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  • 7/21/2019 PDF l Islam Histoire Des Origines Et Histoire Califale

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    L'islam : histoire des origines et histoire califaleAnne-Marie DelcambreDocteur d'Etat en droit, docteur en civilisation islamique Islamologue et professeur d'arabe

    Abandon Dieu, la volont de Dieu , telle est la signification originelle du terme islam. Sinous savons bien qu'il dsigne la religion fonde par Mahomet au dbut du VIIe sicle de notrere et qui se rpandit largement en Afrique, en Asie et dans certaines rgions d'Europe, nousconnaissons moins les difficults prouves par le Prophte pour s'imposer La Mecque, lesdivisions qui apparurent bientt entre les diffrentes mouvances, le processus d'laboration de ladoctrine...

    Un contexte gographique, social et religieux bien particulier

    L'islam n'est pas n dans un environnement de vertes prairies, de clairs ruisseaux et de doucescollines. Son berceau est le dsert aride d'Arabie o les chameaux parcourent parfois de vastesdistances sans pouvoir se nourrir. Les puits sont si rares que les hommes ou les btes peuventmourir de soif. Ce milieu hostile, les habitants de cette rgion, les Arabes, le redoutent d'autant

    plus qu'ils pensent que des gnies malfaisants (les djinns) se cachent partout ; aussi sont-ilsparticulirement superstitieux. Tous, aussi bien les nomades sous les tentes que ceux quidemeurent dans les rares cits caravanires ou l'ombre d'oasis, vivent en groupes selon le modetribal. Une tribu comporte plusieurs clans, chacun compos d'un certain nombre de familles. Tout

    individu est obligatoirement rattach un clan ; mme l'esclave affranchi doit bnficier,provisoirement ou de faon dfinitive, de la protection d'une famille. On ne peut vivre seul et libreen Arabie, moins d'tre un de ces ermites chrtiens terrs dans le dsert.

    Contrairement aux apparences, ce dsert n'est pas vide. Il est travers par des caravanes remontantvers la Syrie ou descendant jusqu'au Ymen. Depuis le IVe sicle, l'Arabie est entoure deroyaumes chrtiens, que ce soit au nord, celui de l'empereur byzantin, ou au sud, celui del'empereur thiopien. Au Ymen, des tribus arabes se sont aussi converties au christianisme. Or,ce dernier est souvent htrodoxe dans la mesure o diverses doctrines concernant la nature duChrist n'ont cess de fleurir. phse, en 431, les vques runis en concile cumnique ontcondamn le christianisme nestorien qui affirme deux natures spares dans le Christ. En 451, auconcile de Chalcdoine, ils ont dclar erron le christianisme monophysite qui voit dans le Christla seule nature divine. Les chrtiens monophysites restent toutefois nombreux en gypte et enAbyssinie (thiopie). Un grand nombre d'vques, de prtres et de moines avaient en effet trouvrefuge dans le dsert syrien pour chapper aux perscutions perptres par l'glise byzantinecontre les hrtiques. Les Arabes du centre de l'Arabie, qui conduisent les caravanes vers la Syrieou le Ymen, s'tonnent sans doute de ces ermites solitaires qui ne s'enflent pas d'orgueil, ne se

    battent pas et ne possdent rien. Leur religion ne leur sert pas acqurir des biens. l'oppos, lesArabes paens rendent un culte des puissances protectrices, dans des endroits protgs etsacraliss. Ils leur sacrifient des chameaux pour se les concilier. Pour ces hommes du dsert, les divinits qui protgent doivent tre puissantes. Les pierres, du fait de leur rsistance, lesarbres, cause de leur raret, leur servent de demeures. Une ville d'Arabie, La Mecque, dirige

    par la tribu des Quraychites, doit son importance un cube de pierre qui sert de domicile ungrand nombre de ces puissances tutlaires auxquelles, de partout, on vient en plerinage offrir dessacrifices. Outre un lieu de rassemblement connu dans toute l'Arabie, elle est aussi une ville

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    refuge qui accorde le droit d'asile quiconque le demande, arabe ou non. Le moine chrtienNestorius, perscut pour ses positions hrtiques consistant voir dans le Christ deux naturesspares la nature humaine et la nature divine serait venu se rfugier La Mecque auVe sicle.

    La Mecque, ville orgueilleuse, rejette d'emble Mahomet

    la fin du VIe sicle, il semble que cette cit caravanire soit devenue un paradis pour lesbrasseurs d'affaires, l'attrait du profit que procurent les caravanes de marchandises vers la Syrie etle Ymen s'accroissant. Chez les nobles familles arabes, pour qui seules comptent la gnalogiesans faille et la fiert du nom, la richesse est insolente. On peut comprendre qu'au dbut duVIIe sicle, un Arabe de La Mecque se sente appel rformer cette socit o la veuve etl'orphelin sont spolis, le faible dpouill et le pauvre mpris et humili. L'Arabe qui rpondra cet appel, nous le connaissons sous le nom de Mahomet. Sur la naissance et l'enfance du futur

    prophte de l'islam, on ne sait pratiquement rien. Pourtant, toutes les biographies musulmanesrelatent avec force dtails sa naissance miraculeuse et son enfance emplie de prodiges. En fait, il

    s'agit d'une construction ralise deux sicles plus tard, l'poque des califes abbassides, auIXe sicle, pour grandir le personnage et l'auroler. La ralit est beaucoup moins glorieuse. LeCoran dit simplement, dans la sourate 93 : Ne t'a-t-Il pas trouv orphelin ? Ne t'a-t-Il pas trouv

    pauvre ? . Mahomet, dont le nom arabe est Muhammad Ibn Abdallah, semble en effet avoirconnu une extrme pauvret. Trs jeune, l'orphelin doit travailler pour allger les charges de sononcle qui l'a recueilli. Plus tard, il accompagnera les caravanes, et le mtier de chamelier aurait tle sien. Dans la socit arabe, aucun notable ne trait les chamelles et ne se place comme intendant,en ralit serviteur chez une patronne ; c'est ce que fait Mahomet entrant au service d'une richeveuve Khaddja qui a fait fortune dans le commerce des caravanes et n'est plus trs jeune. prsde quarante ans, elle ne reste probablement pas insensible ce jeune homme alors g devingt-cinq vingt-neuf ans. Qu'elle n'ait pas t totalement ignorante du judasme ou d'un

    christianisme judas voire d'un christianisme hrtique est galement vraisemblable. Latradition musulmane, pour sa part, prfrera reporter cette connaissance des critures de lapremire pouse du Prophte sur un prtendu cousin de Khaddja, Waraqa, fils de Nawfal, dontelle fait un hanf, c'est--dire un monothiste qui ne serait ni juif ni chrtien. En fait, il semble bienque Waraqa ait t tout simplement un chrtien nestorien. Finalement, Khaddja pouseMahomet : ce mariage le sauve car il l'enrichit. De cette union ne resteront malheureusement quedes filles car les fils mourront tous en bas ge ce qui, pour les Arabes, est assimil la strilit.Mahomet sera trait d'abtar, littralement la queue coupe , c'est--dire impuissant. Onqualifiait ainsi l'homme sans descendance, l'esclave et l'ne chtr. Tout en subissant l'opprobresocial en silence, il prend l'habitude de mditer, comme les ermites, dans une caverne sur le montHira prs de La Mecque. Vers l'ge de quarante ans en 610 d'aprs la chronologie officielle

    musulmane , il aurait entendu la voix de l'ange Gabriel lui ordonnant de prcher. Tous les dtailsqui sont donns par l'histoire musulmane sur les circonstances de la Rvlation, et sur la maniredont les conversations qui ont suivi se sont effectues, relvent du lgendaire et non del'historique. Dans le Cortion, et un tableau assez saisissant est bross du rejet de Mahomet par sa

    propre socit lorsqu'il entreprend de prcher ce qu'il entend : la rise gnrale accueille sespropos. Les gens de La Mecque pensent qu'il puise ses informations auprs d'un chrtien tranger(sourate 16, verset 103). Il faut une relle mconnaissance de ce milieu arabe tribal pour croireque Mahomet, qui n'est pas un homme puissant de la ville (sourate 43, verset 30-31) et n'a pas de

    postrit, puisse tre cru par ceux qui se savent d'un rang suprieur et sont fiers d'avoir des fils.Pour eux, il parle comme un devin, un sorcier, un pote, et son message ressemble fort aux histoires des juifs et des chrtiens. L'annonce de la rsurrection des corps aprs la mort le fait

    traiter de fou, majnn, celui dont l'esprit est possd par les djinns. D'ailleurs, mme son oncleAb Tlib, qui l'a recueilli, refuse d'adhrer ce message. Aucun membre de sa tribu n'a t plusridiculis, mpris que Mahomet, et seule la solidarit de son clan lui permet d'chapper au

    bannissement. Ce endant la mort de son oncle Ab Tlib et de sa femme Khadd a en 619

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    d'aprs la tradition musulmane , Mahomet perd tout appui ; Ab Lahab, son ennemi jur, devientle chef du clan. Toute une sourate du Coran (111) sera consacre sa maldiction. Mahomet doitalors se chercher des appuis tribaux dans d'autres cits. Lorsqu'en 622, d'aprs la Tradition, leProphte quitte La Mecque, c'est dans une fuite oblige et quelque peu honteuse, l'Hgire. Le salutviendra de Yathrib, la future Mdine, oasis situe 350 km au nord-est de La Mecque. Avec lesmembres de cette cit, il met au point une alliance tribale. Le choix de cette ville n'est sans doute

    pas d au hasard, Mahomet tant apparent l'une des tribus arabes mdinoises par songrand-pre Abd-al-tMuttalib, n d'un mariage temporaire ou mut'a, conclu par son pre Hchim,avec une femme du clan mdinois des Nadjdjr de la tribu arabe des Khazradj. Mdine, deuxtribus arabes et trois tribus juives coexistent alors dans la discorde. Celle des Khazradj avait perdule pouvoir au profit de la tribu arabe des Aws, devenue la plus puissante. On peut raisonnablement

    penser que Mahomet et ses partisans reprsentent un appui apprciable pour la premire, vincepar la seconde : c'est l une raison suffisante pour lui accorder une protection, sansqu'interviennent en aucune faon des considrations religieuses. Ainsi, Mahomet arrive Mdinecomme simple protg tribal. L'migr banni est d'ailleurs mal accueilli par le chef de la tribuarabe mdinoise des Khazradj Abdallah Ibn Ubay, notable qui restera jusqu' sa mort sonadversaire acharn. Les juifs de Mdine refusent pour leur part cet Arabe dont le message

    dnature les critures et mconnat certains des prophtes. Mahomet, humili et profondmentdu, est physiquement affaibli par le climat insalubre de la rgion et las de dpendre del'hospitalit des Mdinois arabes. Une solution s'impose : la razzia contre les caravanes desMecquois, ennemis des tribus arabes mdinoises. Cette opration de pillage est permise, condition de ne pas verser le sang ; dans le cas contraire, la loi du talion est applique : s'ensuiventdes meurtres en chane, conformment aux principes de la compensation et de la vengeanceobligatoire et rglemente. Cette solution est d'autant plus tentante que Mahomet rve dereconqurir sa ville natale et d'y tre accueilli en vainqueur, lui qui en a t chass comme unvulgaire esclave.

    Le retour La Mecque, li la rupture avec le judasme

    Entreprendre la razzia contre les Mecquois, c'est dj pratiquer une politique de reconqute et,pour lui qui n'avait pas russi convaincre par la parole, commencer se faire entendre par lesarmes. Le premier raid a lieu Nakhla, au cours d'un mois sacr. Mais il y a mort d'homme et lescandale est grand. Une rvlation coranique intervient cependant pour justifier l'opration. De

    plus, du butin a t rcolt : il sera toujours un appt de taille pour donner du courage auxcombattants (sourate 8).

    Au dbut du mois de mars 624, c'est aux Mecquois et la grande caravane de marchandises

    envoye chaque anne en Syrie que s'attaquent Mahomet et ses partisans. Prsente comme unemagnifique victoire (sourate 3, verset 123), la victoire de Badr semble, en fait, n'avoir t qu'uncoup de main russi. Elle marque pourtant un tournant religieux dans la mesure o le ple sacralde l'islam n'aura dsormais plus rien voir avec celui des juifs : on se tournera vers La Mecque.Les liens avec le judasme sont rompus. Nat alors un abrahamisme arabe d'aprs lequel Abraham,figure biblique, n'est ni juif ni chrtien : accapar au profit de l'islam, il devient le premier muslim,le premier musulman. Les juifs de Mdine, n'acceptant pas cette appropriation de leur prophte,sont accuss d'avoir fauss leurs critures. Consquence de cette rupture, une premire tribu juive,celle des Ban Qaynuqa', est expulse immdiatement aprs la victoire de Badr. En 625, Uhud,un nouvel affrontement oppose les Mecquois aux troupes de Mahomet. Cette fois, c'est undsastre pour les musulmans. Aprs la dfaite, la tribu juive des Ban Nadhr, accuse d'avoir

    provoqu la dfaite du Prophte, est somme de partir. En 627, dans la bataille dite du foss,Mahomet affrontera encore les Mecquois : grce un foss creus autour de Mdine, ses hommesvaincront sans avoir combattu. C'est au tour de la troisime tribu, celle des Ban Qurayza, d'treaccuse de trahison. L'accusation tant purement tribale, les rgles tribales d'excution prvalent :

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    les juifs mles sont dcapits et jets dans des fosses creuses par les musulmans ; les femmes etles enfants sont vendus comme esclaves. Aprs le carnage, Mahomet prend pour concubine la

    belle Rayhana, veuve de l'un des supplicis. Dans une Mdine vide de ses juifs, Mahomet doitaffronter les Arabes hypocrites , ces poltrons qui se sont convertis du bout des lvres et quirpandent sans vergogne des calomnies sur sa vie prive. Ils accusent sa trs jeune pouse Achad'adultre, mais une rvlation coranique l'innocente (sourate 24) et punit la fausse accusation de

    quatre-vingts coups de fouet, quasiment autant que l'adultre lui-mme, qui en vaut cent. LeProphte dsire pouser Zaynab, la femme de son fils adoptif Zayd. Une rvlation lui permet nouveau de braver l'interdit social (sourate 33, verset 37). Mais Mahomet dsire cependant

    par-dessus tout reconqurir La Mecque, sa ville natale. En 627, il est autoris par la conventiond'Hudaybiyya effectuer le plerinage mais seulement l'anne suivante dans une ville vide

    pendant trois jours de ses notables et des conditions juges humiliantes par ses compagnons qui,comme Omar, appartiennent des familles importantes. Contrairement la pratique actuelle, il nese fera pas l'extrieur, dans la plaine d'Arafat situe vingt-cinq kilomtres l'est de La Mecque

    le plerinage Arafat tait alors pratiqu par les Bdouins pour demander la pluie, et lesMecquois avaient leur propre itinraire. Mahomet accepte toutes les conditions. Pour calmer seshommes dus, il les lance toutefois l'assaut de Khaybar, palmeraie juive particulirement

    prospre au nord de Mdine. Mahomet entre La Mecque l'anne suivante, de manire pluttpacifique preuve de son ralisme politique, attitude d'ailleurs partage par les grands chefstribaux d'Arabie. Beaucoup de riches Mecquois se convertissent, ou plutt font alliance avecMahomet ; on ne peut gure qualifier ces conversions de pieuses et dsintresses pour ceometles ayant rcompenss par des parts de butin bien plus importantes que celles alloues ses vieuxcompagnons.

    C'est seulement aprs la conqute de La Mecque, en l'an IX (sourate 9), que Mahomet impose sesconditions. Dsormais, l'alliance implique la conversion. Les unions conclues avec ceux qui ne sesont pas encore convertis pourront tre dnonces, condition de le faire publiquement.Interdiction est faite aux non-musulmans d'aller en plerinage La Mecque. Le Coran dclare

    galement la suppression du mois intercalaire qui stabilisait tous les trois ans l'anne lunaire et lafaisait concorder avec l'anne solaire. Un coup trs dur est ainsi port aux nomades qui, par leurindpendance, leur caractre farouche et leur refus de se plier aux ordres, causaient de gravessoucis au Prophte. Que le Coran ne cesse d'appeler ces Bdouins l'obissance laisse penserque Mahomet tait loin d'obtenir d'eux la docilit attendue : leurs yeux, il n'tait alors

    probablement pas ce modle que vnrent les musulmans d'aujourd'hui.

    Le califat des compagnons

    Lorsque Mahomet meurt en 632, les rivalits de clans renaissent avec une violence inoue. Unnotable Mecquois, Ab Bakr, l'un des premiers compagnons de Mahomet et pre d'Acha, la trseune pouse, est lu successeur du Prophte (calife). sa mort en 634, c'est encore un Mecquois

    d'un clan puissant, Omar Ibn al-Khattb pre d'Hafsa, autre pouse du Prophte qui est choisicomme calife. Il sera assassin en 644.

    Le troisime calife, Uthmn, est lui aussi un trs riche Mecquois appartenant la noble famille desBan Umayya et ayant pous successivement deux des filles de Mahomet. D'un ge avanc, ilfavorise outrageusement les gens de son clan. Il meurt lui aussi assassin ; sa fin sanglante ouvreune priode de discorde et de guerre civile qui dchire la communaut. Profitant de ces troubles,les Mdinois portent au pouvoir Ali pour lutter contre les Mecquois, qui ont jusqu'ici toujours

    choisi les califes parmi les prestigieuses familles de leur cit. Ali est souponn d'avoir particip l'assassinat d'Uthman et, pendant cinq ans, son califat connat la guerre civile ; il doit affronter lavengeance tribale de Mu'awiyya, gouverneur de Damas, l'un des parents du calife assassin. Les

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    armes des deux adversaires se rencontrent en 657 dans la plaine de Siffin, entre la Syrie et l'Irak.Mu'awiyya, sur le point d'tre vaincu, oblige par une ruse Ali accepter un arbitrage.Quelques-uns de ses partisans lui reprochent sa faiblesse, quittent les rangs et se retirent. L'histoiremusulmane les appelle kharejites, ceux qui sont sortis . Il s'agirait des nomades des confins dudsert, trs hostiles aux riches marchands mecquois sdentaires. Les partisans d'Ali prennent pourleur part le nom de chii'tes, partisans . La grande majorit des musulmans, qui sont les

    descendants de ceux qui avaient soutenu le gouverneur Mu'awiyya contre Ali, reoivent quant eux l'appellation de sunnites. Toutes ces appellations n'apparatront toutefois que plus tard, sous lecalifat abbasside. Ali meurt en 661 d'un coup d'pe empoisonne port prcisment par unkharjite, la sortie de la mosque de la ville de Kufa. Son viction du califat marque le triomphesur le clan du Prophte des prestigieux clans de La Mecque, lesquels n'ont que mpris pour lafamille proche de Mahomet, trop pauvre leurs yeux pour possder un poids tribal vritable. Oncomprend pourquoi Ali ralliera les musulmans non arabes, de l'Irak et de la Perse, sduira lestrangers, les marginaux, les rvolts et les perscuts... comme le rejet de l'appropriation de lavictoire politique et religieuse de Mahomet par la puissante famille des Ban Omayya, ses anciensennemis qui ne l'avaient jamais vraiment accept !

    Le Coran

    la mort du Prophte, rien n'a t crit de la Rvlation. Celle-ci reste orale, constitue demessages fragments, heurts, avec des thmes rptitifs. La Rvlation La Mecque est d'abordun appel lanc aux Arabes afin qu'ils retrouvent leurs valeurs de gnrosit, de solidarit.Mahomet y apparat comme un simple rasl ou messager et n'est pas encore prsent commenabiyy, comme prophte. Pour convaincre ses oncles et les hommes de sa tribu, il parle de la

    puissance de Dieu, capable de crer, contrairement aux puissances protectrices qui, elles, s'enmontrent incapables. Pour dmontrer la puissance de Dieu, des rcits exemplaires sont cits,concernant des prophtes envoys et qui n'ont pas t reus par leur peuple. La punition des Saba

    est une magnifique illustration de chtiment ; ces impies orgueilleux n'ont-ils pas vu leurs jardinscultivs transforms en steppe sauvage ? La Rvlation La Mecque se prsente souvent commeune violente diatribe contre des adversaires mecquois qui accusent Mahomet d'tre un devin,sorcier, possd par les djinns, vendu aux religions trangres.

    Les rvlations de Mdine revtent un autre ton plus serein, plus juridique aussi. Elles s'adressent un prophte qui a triomph dans la politique tribale mais qui n'obissent pas ses partisans etqui a bien du mal avec toutes ses femmes, souvent imposes par stratgie tribale ou, plusrarement, pouses par inclination. La mise en ordre de ces pisodes, par la confection du Livre,aurait t ralise, d'aprs la tradition, vingt ans aprs la mort de Mahomet, vers 652, sous le califeUthman. En fait, pour les chercheurs occidentaux modernes comme C. Gilliot et JacquelineChabbi, la mise en criture du Coran pourrait bien dater de l'poque o la tte de l'islam taitsitue en Syrie, dans une socit d'criture, confronte aux religions livre, soit seulement partirde 661. C'est cette poque que commence avec Mu'awiyya, vainqueur d'Ali, parent du califeUthman assassin, la dynastie des califes omeyyades. Uthman comme Mu'awiyya appartenait la

    puissante famille des Omeyyades les Ban Omayya. Mais, pour la tradition musulmane, dont lesmodles datent de l'poque abbasside, il tait le seul Omeyyade acceptable : le dplacement historique de Mu'awiyya Uthman se justifiait alors pour la mmoire croyante.

    Les califes omeyyades

    Mu'awiyya, le premier d'entre eux, choisit Damas en Syrie, et non Mdine en Arabie, commecapitale politique. Nomm gouverneur de la riche province byzantine aprs sa conqute, il en

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    apprcie la douceur de vivre et la magnificence artistique. Ce transfert vers le Proche-Orientconstitue une rupture avec l'islam des origines. Pour la premire fois Damas, les Arabesmusulmans rencontrent la pense chrtienne, avec des thologiens comme saint Jean Damascne.La thologie musulmane ou kalm s'labore et prend un aspect dfensif et apologtique contre lesuifs et les chrtiens. Ce qui importe pour les Omeyyades, c'est la noblesse et la fiert arabes ; ce

    titre, il faut noter l'indulgence particulire de Mu'awiyya parent du puissant Mecquois Ab

    Sufyn, longtemps adversaire acharn de Mahomet envers les Arabes chrtiens de Syrie. Leslites locales sont maintenues en place. Pour le calife, le fait d'tre Arabe est plus important que laconversion l'islam qui, loin d'tre obligatoire, n'est mme pas souhaite. Les convertis trangerssont pvilisations persane en particulier , ils acquirent un statut analogue celui de l'esclaveaffranchi ! Ce fait explique sans doute la haine de ces non-Arabes envers les orgueilleuxOmeyyades. Guids par l'opportunisme et le pragmatisme, ceux-ci entreprennent des conqutes

    pour le butin et non par idologie religieuse, lesquelles restent des razzias de type tribal quiobissent toujours des vengeances de clans. Ainsi, lors d'un vritable massacre Kerbla enIrak, le calife Yazd fils de Mu'awiyya du clan des Ban Omayya fait supprimer Husseyn, filsd'Ali, du clan hachmite. Leur mpris d'Arabes orgueilleux envers les musulmans non arabesconduit ces derniers fomenter une rvolution. Les Omeyyades sont massacrs, un seul chappe

    la tuerie ; il s'enfuit en Espagne o ses descendants fonderont le califat de Cordoue.

    La priode des califes abbassides

    La priode des califes abbassides, avec Bagdad pour capitale de l'empire, constitue une deuxime rupture , dfinitive celle-l, par rapport l'islam arabe des origines. Le califat est rendu au clandu Prophte les Hachmites puisque ce sont les petits-fils de Abbas, son oncle, qui prennent le

    pouvoir. Mais la famille proche de Mahomet c'est--dire les descendants de Ali, de Fatima, et dedeux fils de celle-ci, Hassan et Husseyn est encore une fois soigneusement vince. LesAbbassides, qui ont obtenu le califat en se servant de la cause d'Ali, vont, aprs avoir triomph,

    perscuter les chiites, les partisans d'Ali. Ils se dclarent sunnites, proposant aux croyants del'empire comme voie suivre ou Sunna l'imitation d'un modle parfait, savoir un Mahomet dtribalis , aseptis, coup d'Ali, de Fatima et de leurs deux fils, sa famille proche. Ainsi natun personnage lgendaire, aurol de merveilleux. De 750 950, l'Empire abbasside engendre la

    prestigieuse civilisation de l'islam classique, vritable ge d'or. Mais, partir du XIe sicle, lecalifat abbasside se trouve sous la coupe de diverses dynasties militaires, comme les Bouyyidesd'origine persane, ou les Turcs venant d'Asie centrale qui, eux, servent dans 1'arme commeesclaves mercenaires et finissent par obtenir de fait le pouvoir.

    partir de cette poque, le califat abbasside est un tat fantoche, jusqu' sa disparition sous lescoups des Mongols au XIIIe sicle. Il affronte mme plusieurs califats rivaux, le califat chiitefatimide en gypte, le califat omeyyade de Cordoue en Espagne vritables russites

    provinciales qui clipsent presque le califat de Bagdad. Pendant les deux premiers siclesabbassides, on assiste la reconstruction totale de l'idologie musulmane. L'empire rompt alorscompltement avec le monde tribal : les musulmans arabes d'Arabie ont fait place aux musulmanstrangers. Pour ces convertis non arabes, de plus en plus nombreux et ignorants des coutumes dudsert, il faut construire une religion tenant compte de leur imaginaire d'anciens chrtiens,d'anciens zoroastriens ou d'anciens juifs. Afin d'clairer la lecture du Coran, parfaitement compris

    par les Bdouins l'origine mais peu intelligible pour les musulmans du IXe sicle, on labore descommentaires du Livre ou tafsr, des biographies du Prophte ou sra, le rcit global ducomportement du Prophte ou sunna, des rcits fragments de ce comportement rapports par lesdescendants des compagnons de Mahomet, les hadths. Le fiqh, le droit musulman, construit pardes jurisconsultes privs permet de qualifier le comportement humain selon des catgories quivont du permis l'interdit en passant par le recommand, le rprouv, le hassable. C'est ainsi quela rpudiation en fait un divorce unilatral est le licite le plus hassable ! Prenant en compte la

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    multitude des ethnies, les jurisconsultes se rpartissent en quatre coles plus ou moins rigoristesqui tirent leur originalit et leur nom de leur fondateur : le malkisme, avec le juriste mdinoisMalik Ibn Anas, tient compte des coutumes d'Arabie ; le hanafisme, cr par le persan AbHanfa, s'appuie sur le droit msopotamien et est la moins religieuse des coles, la plus juridique,celle prfre des non-Arabes ; le chafisme, d au juriste palestinien Chfi'i, adopte un justemilieu entre les deux rites prcdents ; le hanbalisme enfin est en fait le droit religieux d'un islam

    qui est devenu religion lgaliste et ritualiste avec une loi, sorte de mtadroit, la charia, dont laurisprudence ou fiqh s'labore dans les coles juridiques tenant compte de la logique grecque etdu raisonnement, il se rattache au Coran et la Sunna. La thologie ou kalm va rencontrer la

    philosophie grecque et essayer de concilier la raison et la foi. On assiste la naissance de lamystique musulmane, le soufisme. Toutes ces sciences sont totalement trangres l'islam desorigines mais s'imposent sous l'influence des convertis musulmans, trangers au monde arabe.

    Les principes de base

    Les principes de base de cette religion ont t tablis l'poque o Mahomet vivait Mdine,

    entre 622 et 632, mais le corps de la doctrine musulmane ne se constitue vritablement que sous lecalifat d'empire. L'islam embryonnaire de Mdine va, au VIIIe sicle, partir du califat omeyyadede Damas, tre enjoliv par toutes les lgendes du Proche-Orient. Ainsi le rcit de l'ascension deMahomet jusqu' Jrusalem, puis sa traverse des sept cieux, mont sur une jument aile tte defemme, et sa rencontre avec Dieu qui lui aurait indiqu le nombre de prires ; tout ceci est invent partir d'un seul verset du Coran, sec et allusif (sourate 17, verset 1). Au IXe sicle, sous le califatabbasside, Abraham devient celui qui a reconstruit la Kaaba avec l'aide de son fils Ismal ; le

    plerinage La Mecque commmore le sacrifice d'Abraham, et le mouton remplace le chameaucomme animal du sacrifice ; l'enfer, qui tait l'origine solaire, est dcrit dans les commentairesde la tradition musulmane comme un enfer de feu, se rapprochant trs troitement de la ghennede la Bible ; l'ange Gabriel est omniprsent alors qu'il n'apparat pratiquement pas dans le Coran.

    La razzia va tre l'origine de toute une thorie juridique de la guerre sainte, le djihd. L'islam estainsi reconstruit au point de masquer totalement l'aspect arabe tribal des origines. PourtantMahomet et la religion qu'il prchait demeurent profondment arabes, et mme la formulation duCoran et son contenu restent tribaux : la polygamie qui existait avant l'islam n'a pas t supprimemais seulement limite ; la razzia a t conserve ; La Mecque et la Kaaba gardent une place

    prpondrante ; le plerinage La Mecque est maintenu, en ajoutant mme le plerinage bdouinde demande de pluie qui se droule dans la plaine d'Arafat. Mme la croyance aux gnies oudjinns continue. Cet aspect tribal, travesti par les commentaires de l'poque impriale, a cependant

    perdu son sens historique et rel : en rinterprtant le pass arabe pour le rendre parfaitementmusulman et purifi, en valorisant l'extrme le rle de Mahomet dans sa propre socit, alorsque nul Arabe n'a t plus mpris que lui, le califat abbasside crait une religion du Livre, sans

    couleur rgionale , mais capable d'accder au rang de religion universelle.Anne-Marie DelcambreOctobre 2010Copyright Clio 2012 - Tous droits rservs

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    Bibliographie

    LIslam, des origines au dbut de lEmpire ottomanClaude Cahen

    Hachette, Paris, 1995

    L'IslamAnne-Marie Delcambre

    La Dcouverte, Paris, 2001

    Le Seigneur des tribus. L'Islam de MahometJacqueline Chabbi, Prface d'Andr Caquot

    Nosis, Paris, 1997

    Mahomet, la parole d'AllahAnne-Marie DelcambreDcouvertesGallimard, Paris, 1987

    MahometAnne-Marie Delcambre

    Descle de Brouwer, Paris, 1999