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Université Paris III – Sorbonne Nouvelle UFR Didactique du Français langue étrangère Mémoire présenté pour l’obtention du DESS Ingénierie de formation linguistique, diffusion des langues/cultures et francophonie(s) par Véronique FONTAINE LA FORMATION DES MAîTRES FACE AU DÉFI PLURILINGUE ÉTUDE D’ADÉQUATION ET PROPOSITIONS POUR LA FORMATION INITIALE DES MAÎTRES DU PREMIER DEGRÉ DIRECTEUR : Patrick CHARDENET Maître de conférences en sciences du langage (Université de Franche Comté) JURY : Danièle MOORE Maître de conférences HDR (Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3) Patrick CHARDENET Maître de conférences (Université de Franche Comté)

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  • Universit Paris III Sorbonne Nouvelle

    UFR Didactique du Franais langue trangre

    Mmoire prsent pour lobtention du

    DESS Ingnierie de formation linguistique, diffusion des langues/cultures et francophonie(s)

    par Vronique FONTAINE

    LA FORMATION DES MATRES FACE AU DFI PLURILINGUE

    TUDE DADQUATION ET PROPOSITIONS POUR LA FORMATION INITIALE DES MATRES DU PREMIER DEGR

    DIRECTEUR : Patrick CHARDENET

    Matre de confrences en sciences du langage

    (Universit de Franche Comt)

    JURY :

    Danile MOORE

    Matre de confrences HDR (Universit de la Sorbonne Nouvelle Paris 3)

    Patrick CHARDENET

    Matre de confrences (Universit de Franche Comt)

  • Anne universitaire 2002-2003

  • Universit Paris III Sorbonne Nouvelle

    UFR Didactique du Franais langue trangre

    Mmoire prsent pour lobtention du

    DESS Ingnierie de formation linguistique, diffusion des langues/cultures et francophonie(s)

    par Vronique FONTAINE

    LA FORMATION DES MATRES FACE AU DFI PLURILINGUE

    TUDE DADQUATION ET PROPOSITIONS POUR LA FORMATION INITIALE DES MATRES DU PREMIER DEGR

    DIRECTEUR : Patrick CHARDENET

    Matre de confrences en sciences du langage

    (Universit de Franche Comt)

    JURY :

    Danile MOORE

    Matre de confrences HDR (Universit de la Sorbonne Nouvelle Paris 3)

    Patrick CHARDENET

    Matre de confrences (Universit de Franche Comt)

  • Anne universitaire 2002-2003

    En mmoire de ma grand-mre,

    Nonna,

    Abuelita,

  • REMERCIEMENTS :

    Merci Patrick Chardenet de mavoir ouvert de nouvelles perspectives.

    Merci Danile Moore de mavoir permis de les mettre en mots.

    Merci Martine Kervran de me les avoir fait concrtiser.

    Merci eux trois davoir accepter de me suivre dans ce travail.

  • SOMMAIRE

    SOMMAIRE 4`

    INTRODUCTION 5

    PREMIRE PARTIE : UNIFICATION NATIONALE ET ENSEIGNEMENT DES LANGUES DANS LE PREMIER DEGR DU SYSTME DUCATIF FRANAIS 7

    DEUXIME PARTIE : CADRE CONCEPTUEL 30

    TROISIME PARTIE : EXEMPLES ET PROPOSITIONS DE FORMATION 50

    CONCLUSION 68

    BIBLIO-SITOGRAPHIE 70

    ANNEXES 73

    TABLE DES MATIRES 77

  • INTRODUCTION

    Sous linfluence des directives de lUnion Europenne1[1] et des

    recommandations du Conseil de lEurope2[2], les rcents textes officiels,

    programmes des langues vivantes lcole de fvrier 2002 et les programmes

    denseignement des langues trangres ou rgionales lcole primaire daot 2002,

    semblent faire prendre au systme ducatif franais la voie du plurilinguisme. On

    peut cependant sinterroger sur ladquation entre ces discours officiels et la ralit

    de la politique ducative. En effet, la lecture des seuls textes officiels fait apparatre

    un cart entre les principes souscrits et la politique mise en place.

    Lorientation monolingue et monoculturelle de la France en gnral et du

    systme ducatif franais en particulier est toujours de mise. Cest ainsi que lon

    trouve, ds le prambule des derniers programmes, une phrase telle que :

    "Deux grands axes structurent lenseignement primaire, la matrise du

    langage et de la langue franaise, lducation civique. Transmettre la

    langue nationale est lobjectif fondamental. Se sentir chez soi dans la

    langue franaise est indispensable pour accder tous les savoirs. Tout

    au long de lcole primaire, cet impratif doit tre la proccupation

    permanente des enseignants"3[3].

    Lorientation politique gnrale est encore guide par un idal monolingue de

    lenseignement qui place la langue franaise au-dessus de toutes les autres et quil

    est ncessaire de repenser. Il est possible, en effet, de valoriser le franais sans pour

    autant exclure ou discriminer les autres langues.

    1 [1] Rsolution du conseil du 31 mars 1995 concernant lamlioration de la qualit et la diversification de lapprentissage et de lenseignement des langues au sein des systmes ducatifs. 2 [2] Recommandation n R (98) 6 du comit des ministres aux tats membres concernant les langues vivantes. 3 [3] Ministre de lducation Nationale, Programmes denseignement de lcole primaire, Bulletin Officiel du 14/02/02, p. 13.

  • La prise en compte du plurilinguisme et de la diversit linguistique implique

    des changements diffrents niveaux. Si la rnovation des programmes

    denseignement en est un, il nest pas suffisant. En effet, introduire les langues dans

    les programmes comme discipline nouvelle est une tape importante qui fait prendre

    conscience au matre que lenseignement des langues fait dornavant partie de ses

    missions, mais ceci implique que linstitution scolaire se donne les moyens de cette

    politique, savoir proposer aux enseignants du premier degr une formation qui

    permette de relever ce dfi du plurilinguisme.

    La formation des enseignants dispense dans les Instituts Universitaires de

    Formation des Matres (dsormais IUFM) correspondant lintroduction de cette

    nouvelle discipline dans le curriculum scolaire est, le plus souvent, optionnelle ou

    succincte. Les enjeux lis lintroduction dune didactique des langues et la

    diversit linguistique ny sont ni mesurs, ni perus. De telles lacunes dans la

    formation des matres rendent difficiles loptimisation et la concrtisation des

    principes du plurilinguisme dont se rclame apparemment ltat franais.

    Le travail qui suit sera une tentative de rponse au dfi du plurilinguisme par

    la mise en place, au sein des IUFM, dune formation initiale qui soit la fois

    efficace et pertinente. Nous essayerons de voir comment, dans un contexte a priori

    peu ouvert la diversit culturelle et linguistique, favoriser louverture des

    enseignants cette dimension.

    Pour cela, nous allons examiner, dans une premire partie, ce que linstitution

    a prvu pour lenseignement des langues, nous tudierons quelle est la place des

    langues dans le systme ducatif franais travers ltude des diffrents discours

    politiques et de leurs corrlatifs, les textes officiels. Dans une seconde partie, nous

    analyserons les concepts et outils ncessaires llaboration dune formation

    reposant sur le plurilinguisme pour, dans un troisime temps, proposer le descriptif

    dune telle formation.

  • PREMIRE PARTIE Unification nationale et enseignement des langues

    dans le premier degr du systme ducatif franais

  • 1 Les langues et la politique

    Avant daborder la question de la formation en langues des enseignants du

    premier degr, et afin den mieux cerner les problmes et les enjeux, il est

    ncessaire de revenir sur les diffrentes options politiques adoptes par la France

    vis--vis des langues au cours de lhistoire. Nous commencerons donc ce travail par

    une tude du contexte politique, nous reviendrons rapidement sur quelques donnes

    historiques primordiales pour nous pencher ensuite de manire plus approfondie sur

    une priode plus rcente, celle couvrant les quinze dernires annes.

    1. 1.1 Du monolinguisme dtat au plurilinguisme des peuples

    Trois textes ont contribu inscrire fortement ltat franais dans une logique

    monolingue4[4] : lordonnance de Villers-Cotterts, la loi rvolutionnaire du 2

    Thermidor de lan II et larticle 2 de la Constitution de 1992 o le franais figure

    comme "langue de la Rpublique". Ce monolinguisme, construit social, ne

    correspond pas pour autant la situation sociolinguistique de la France.

    1. 1.1.1 Un tat, une nation, une langue

    En 1539, sous le rgne de Franois Ier, est signe lordonnance de Villers-

    Cotterts. Deux de ses articles donnent une assise juridique ce processus

    monolingue :

    Article 110 : Afin quil ny ait cause de douter sur lintelligence

    des arrts de justice, nous voulons et ordonnons quils soient faits et

    4 [4] Balibar, R. (1985) : Linstitution du franais, Paris, PUF.

  • crits si clairement, quil ny ait, ni puisse avoir, aucune ambigut ou

    incertitude, ni lieu demander interprtation.

    Article 111 : Et pour ce que telles choses sont souvent advenues

    sur lintelligence des mots latins contenus dans lesdits arrts, nous

    voulons dornavant que tous arrts, ensemble toutes autres procdures,

    soit de nos cours souveraines et autres subalternes et infrieures, soit de

    registres, enqutes, contrats, commissions, sentences, testaments, et

    autres quelconques actes et exploits de justice, soient prononcs,

    enregistrs et dlivrs aux parties, en langage maternel franais et non

    autrement.

    Lordonnance de Villers-Cotterts est un texte juridique contre la langue

    latine. travers cette ordonnance, Franois Ier fixe une langue officielle en mme

    temps quil affirme le pouvoir royal. En cartant le latin, il carte de fait le pouvoir

    papal, mais il ne touche pas la diversit des langues parles sur son territoire. Il y

    a dun ct, un roi, et de lautre, des peuples avec des parlers divers.

    Ce texte fondateur doit tre rapproch du texte de Du Bellay : Deffence et

    Illustration de la langue franoyse (1549). Le manifeste du groupe de "la Pliade"

    proclame, exactement dix ans aprs lordonnance de Villers-Cotterts, lexcellence

    et la prminence du franais en matire de posie. On le voit, lattachement rsolu

    la langue franaise rpond une exigence la fois politique, juridique et littraire,

    le franais devient un construit social et un principe de gouvernement.

    On retrouve cette troite imbrication entre langue et politique au moment de la

    Rvolution franaise. La priode rvolutionnaire affirme le lien dj tabli entre la

    France et la langue franaise, cest cette poque que "langue" et "nation" sont

    associes, pour la premire fois. La langue est plus que jamais une affaire dtat.

    Ainsi, la loi du 2 Thermidor, an deuxime de la Rpublique franaise, une et

    indivisible, stipule que :"nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit

    du territoire de la Rpublique, tre crit qu'en langue franaise". Loptique affiche

    ici est diffrente de celle de la monarchie de Franois Ier, il nest plus question de

    laisser coexister sur une mme rpublique, "une et indivisible", divers parlers.

    Ainsi, en juin 1794, labb Grgoire publie son fameux Rapport sur la

  • ncessit et les moyens danantir les patois et duniversaliser lusage de la langue

    franaise dont le titre seul suffit la comprhension du contenu. Il ne sagit ni plus

    ni moins que dradiquer les langues rgionales, signe de morcellement linguistique

    de ltat et de particularisme des individus. Et avant mme le rapport de labb

    Grgoire, un dcret prsent en janvier 1794, par Bertrand Barre, membre du

    Comit de salut public, uvrait dans ce mme sens de la primaut du franais,

    vhicule privilgi de valeurs rpublicaines, outil essentiel la citoyennet

    franaise, principe de cohsion sociale.

    Avec ce dcret sur "les idimes trangers, et lenseignement de la langue

    franaise"5[5], seffectue le passage de la politique linguistique la politique

    linguistique ducative. Les articles I et II fixent les modalits dtablissement et de

    nomination "dun instituteur de langue franaise dans chaque commune de

    campagne des dpartements dont les habitants parlent un idiome tranger". Larticle

    IV, quant lui, mentionne que "Les instituteurs seront tenus denseigner tous les

    jours la langue franaise et la dclaration des droits de lhomme".

    Ladoption de ce dcret implique lcole dans la mise en uvre de la politique

    linguistique, on peut alors parler de politique linguistique ducative. Cependant,

    dicter des textes de lois ne suffit pas pour conduire un peuple vers un idal

    monolingue. Aussi, afin dacclrer le processus visant au monolinguisme, devient-

    il ncessaire daccompagner ces intentions par la mise en place dune ducation du

    peuple la langue franaise.

    Ainsi, avec linstauration de lcole obligatoire, publique et laque sous la

    troisime Rpublique, commence lre de la gnralisation de ce principe du

    monolinguisme. Le franais est dcrt "seul en usage dans lcole" en 1880. Les

    instructions en vigueur sous Jules Ferry obligent les enseignants enseigner en

    franais, seule langue nationale et officielle, face un public dont la premire

    langue de socialisation est souvent autre.

    ces premiers facteurs historiques, et pour mieux comprendre la situation

    actuelle, il faut sans doute ajouter une autre donne : celle du fantasme de la langue

    universelle, vhicule de communication sans limites. La puissance de la France, de

    5 [5] Rapport Barre

  • Louis XIV la Rvolution, lui a permis de s'imposer comme langue des lites

    europennes et de la diplomatie. La signature, en 1714, du Trait de Rastadt qui

    tablit l'emploi du franais comme langue diplomatique, ainsi que titre dun ouvrage

    dAntoine Rivarol publi en 1780, Discours sur luniversalit de la langue

    franaise, corrobore ce propos.

    En 1919, le trait de Versailles sera rdig en franais et en anglais, les deux

    versions faisant galement autorit. C'est ainsi que le franais ne sera plus la langue

    officielle de la diplomatie occidentale. Mais cette longue priode, depuis le rgne de

    Louis XIV jusqu lpoque plus rcente de la fin de la premire guerre mondiale,

    faisant de la langue franaise par excellence la langue des relations internationales,

    donc a priori, comprise du plus grand nombre, a probablement contribu elle aussi

    au maintien de la France dans une culture monolingue.

    La France sest inscrite historiquement dans un cadre linguistique officiel

    monolingue. L'histoire a fortement contribu la construction de cet idal

    monolingue qui place la langue franaise au-dessus de toutes les langues. Prendre en

    considration ces diffrents aspects de la politique linguistique franaise, cest se

    doter dlments de comprhension quant au rapport quont certains enseignants

    lgard de la langue franaise, leur langue, et lgard de la langue des autres. La

    devise "un tat, une nation, une langue", nest pas trangre aux reprsentations,

    voire au rejet, que ce font les enseignants de la langue de lautre (de lautre langue).

    "La politique linguistique suivie avec constance par les gouvernements successifs de

    la France est largement responsable de ce refoulement collectif."6[6]

    Dans ce contexte, que deviennent les langues rgionales et les langues

    introduites par limmigration, quelle place leur est laisse dans ce monopole de la

    langue nationale et officielle ?

    6 [6] Laparra, M. (1993) : "Politiques linguistiques, cole et intgration", dans La pluralit culturelle dans les systmes ducatifs europens, CRDP de Lorraine, p.57.

  • 2. 1.1.2 Un tat multilingue

    Mme si la France a adopt, au cours de son histoire, des politiques visant

    imposer le monolinguisme, il nen faudrait pas pour autant conclure que ce

    monolinguisme dtat serait synonyme de monolinguisme de sa population.

    Pour clairer ce propos, nous nous appuierons sur une enqute, conue avec le

    concours de lINED7[7] et ralise par lINSEE8[8] loccasion du recensement de

    19999[9] qui porte sur les pratiques linguistiques des Franais et qui a permis de

    dnombrer un nombre impressionnant de langues et parlers. Cette enqute rvle la

    richesse du patrimoine linguistique lie la diversit des origines de sa population,

    mais outre laspect quantitatif des langues en prsence sur le territoire franais, elle

    apporte une seconde donne dimportance quant la situation sociolinguistique de

    la France : prs dun adulte sur quatre na pas le franais pour langue maternelle.

    Cette enqute de lINSEE vient corroborer une tude de Christine Deprez10[10] qui,

    en 1986-1987, montrait quun quart des enfants scolariss sur Paris taient

    bilingues. Lauteur disait quon pouvait tre frapp par lnorme diversit des

    langues et quon "ne saurait trop insister sur lnorme capital culturel quelle

    reprsenta nos portes"11[11] tout en soulignant que :

    "Ds quil rentre lcole, lenfant appartient des rseaux sociaux

    nouveaux o se parle et sapprcie la langue dominante. Dans ces

    rseaux, on nattribue pas la mme valeur la langue de la famille que

    la famille elle-mme."12[12]

    En effet, il y a certes une trs forte prsence de langues trangres sur le

    territoire franais, mais cette coexistence ne se fait pas sans heurts, les langues en

    prsence sont le plus souvent en situation de diglossie. Il y aurait deux usages de la

    langue lis des questions de valeurs et entranant des jugements normatifs :

    "Il y aurait une langue riche, belle, claire [] et une langue lourde,

    7 [7] INED : Institut National dtudes Dmographiques 8 [8] INSEE : Institut National de la Statistique et des tudes conomiques 9 [9] Clanch, F. (2002) : Langues rgionales, langues trangres : de lhritage la pratique, Insee Premire n 830, fvrier 2002 10 [10] Deprez, C. (1994) : Les enfants bilingues : langues et familles, Paris, Didier/Crdif. 11 [11] Idem, p. 44. 12 [12] Idem, p. 77.

  • inlgante, voire grossire et, entre autres lments, tout fait impropre

    labstraction, faonne quelle est par le contact avec les aspects

    ordinaires, triviaux et coutumiers, de lexistence quotidiennes."13[13]

    La terminologie contraste reprise ici nest pas trangre celle en usage dans

    le corps enseignant. Les reprsentations que se font les enseignants de lautre

    langue, leurs reprsentations sociales, sont le plus souvent discriminatoires.

    Attitude paradoxale donc que celle dun pays au riche patrimoine linguistique

    qui se dit et se vit comme monolingue. Pourtant, quelques lueurs despoir sont

    permises. En effet, si la France est longtemps reste sur ses positions monolingues,

    nous assistons depuis une quinzaine dannes un changement dans les attitudes.

    Sous linfluence du Conseil de lEurope, les dcisions prises ces dernires annes au

    niveau du ministre de lducation nationale sont rvlatrices de cette volution.

    Ltude des diffrents discours politiques et textes officiels permettra den mieux

    percevoir les caractristiques et enjeux.

    2. 1.2 Des discours politiques aux textes officiels

    Nous avons tudi le processus historique menant au monolinguisme dans

    lequel la France tait entre, un processus conduit par la volont de construction

    dune identit citoyenne franaise, un processus visant, dans ce dessein,

    lradication des langues rgionales du territoire. Cependant, partir des annes

    1950, le contexte daprs seconde guerre mondiale va entraner une modification

    des attitudes jusqualors adoptes ; cest lentre dans une re nouvelle, une re qui

    favorisera la rintroduction des langues dans le systme ducatif.

    Avant danalyser les diffrents contextes de lenseignement des langues dans

    le premier degr, nous en dfinirons un lment pertinent, celui des diffrents axes

    que recouvre la pluralit linguistique et culturelle.

    13 [13] Poche, B. (2000). Les langues minoritaires en Europe, Grenoble, PUG, p. 46.

  • 1. 1.2.1 Les trois axes de la pluralit linguistique

    Dans une recherche datant de 1999, Cristina Allemann-Ghionda, Claire de

    Goumons et Christiane Perregaux14[14] dfinissent trois axes la pluralit

    linguistique et culturelle. Ancre dans la ralit suisse, cette tude est dune porte

    qui va bien au-del et les trois axes dfinis peuvent tout fait s'employer pour

    dautres contextes nationaux.

    Mme si la France nest pas, contrairement la Suisse, officiellement

    plurilingue, nous lui appliquerons ces trois axes que nous distinguerons de la

    manire suivante :

    laxe intranational : celui de la pluralit dcoulant de la

    constitution mme de la France, pays non-officiellement pluririlingue

    mais riche de plusieurs langues rgionales ;

    laxe extranational : celui dune pluralit apporte par les

    migrants ;

    laxe international : celui dune pluralit due une ncessaire

    adaptation la socit qui appelle la mobilit et au dveloppement de

    nouvelles comptences plurilingues telles quelles ont pu tre dfinies

    par le Conseil de lEurope et sur lesquelles nous reviendrons.

    Ces trois axes questionnent la socit en gnral et le systme ducatif en

    particulier. Ltude des diffrents dispositifs mis en place dans le systme ducatif

    franais montre que la pluralit nest jamais envisage dans sa globalit. Chacun des

    axes fait lobjet de textes officiels et donc de mise en place de dispositifs

    particuliers, mais il sagit toujours de dispositifs fonctionnant en cloisonnement,

    sans quaucune cohrence ne soit jamais tablie entre langues rgionales, langues

    des migrants, langues secondes et trangres, sans que jamais lobjet langue ne soit

    envisag dans sa totalit.

    14 [14] Allemann-Ghionda, C. & de Goumens, C. & Perregaux, C. (1999). Pluralit linguistique et culturelle dans la formation des enseignants, Editions Universitaires de Fribourg, Suisse, pages 1-6.

  • 2. 1.2.2 Les langues rgionales

    En 1951, la loi dite "Deixonne"15[15], loi "relative lenseignement des langues

    et dialectes locaux", est vote. Cette loi autorise les instituteurs utiliser les parlers

    locaux et consacrer une heure dactivits au parler local et la littrature

    correspondante.

    Lobjectif de cette loi de rintgrer dans la pratique des coles la diversit des

    langages et coutumes. Et pour ce faire, elle prvoit une formation spcifique dans

    les coles normales. Elle repose sur les comptences linguistiques faire acqurir

    aux futurs instituteurs qui doivent se "rapproprier" une langue rgionale quils ont

    le plus souvent perdue ou qui leur est totalement inconnue.

    3. 1.2.3 Les langues vivantes trangres

    Louis Porcher et Dominique Groux, dans un court ouvrage consacr

    lapprentissage prcoce des langues, indiquent que :

    "Les dbuts de lenseignement prcoce des langues, partir de 1945,

    correspondent une volont politique de rapprochement entre les

    peuples. Lenseignement de langue de jeunes enfants ds la maternelle

    devait permettre une meilleure approche de la culture de lautre et

    favoriser lintercomprhension entre les tres appartenant des cultures

    diffrentes"16[16].

    Les finalits de ces changes sont trs proches de celles exprimes quelques

    annes plus tard par le Conseil de lEurope. Nous le verrons par la suite, elles sont

    galement en adquation avec le deuxime axe prioritaire des Instructions

    Officielles franaises : lducation la citoyennet.

    15 [15] Loi n 51.46 du 11 janvier 1951 parue au Journal officiel du 11 janvier 1951. 16 [16] Porcher, L., Groux, D. (1998) . Lapprentissage prcoce des langues, Presses Universitaires de France, Que sais-je ? p. 50.

  • La rintroduction des langues lcole, quelles soient rgionales ou

    trangres na pas t un processus strictement linaire mais a plutt connu

    quelques vicissitudes. Les diffrentes priodes rencontres correspondent des

    changements historiques de la construction de la socit, elles sont aussi la preuve

    des difficults, voire des rticences, traiter de ce problme dans le systme

    ducatif.

    1. 1.2.3.1 Les expriences pionnires

    Les expriences pionnires dinitiation une langue trangre prennent forme

    aprs-guerre. En 1952, sous limpulsion de lassociation "un monde bilingue", un

    projet visant initier des enfants de maternelle et de premires annes du cycle

    primaire la pratique dune langue trangre par des assistants trangers, prend

    naissance. Ce projet a lieu dans le cadre de jumelage entre communes, un jumelage

    qui permet les changes entre institutrices et assistantes maternelles.

    La premire de ces expriences a lieu entre les communes de Luchon dans les

    Pyrnes et Harrogate en Grande-Bretagne. Ce premier projet ne stale que sur une

    semaine, la "French week", mais donne lieu lanne suivante la mise en place dun

    mariage franco-amricain entre Arles en Camargue et York en Pennsylvanie.

    Langlais est alors enseign dans plusieurs coles par des assistants trangers aids

    dans leurs tches par deux ou trois institutrices itinrantes. Ces changes

    initialement fonds autour de langlais seront, la faveur dautres jumelages, largis

    lallemand.

    Ces expriences pionnires reposent sur une pdagogie de limmersion,

    reposant elle-mme sur les seules comptences des enseignants trangers. Rien nest

    propos aux enseignants concernant la formation. Pourtant, cette simple diffrence

    tablie entre matres titulaires de la classe et assistants natifs nous fait toucher du

    doigt un aspect essentiel de la formation, celui de la distinction entre comptences

  • linguistiques et comptences pdagogiques ; la premire catgorie ntant pas

    coutumire pour le matre et la seconde ntant pas inne pour le locuteur natif.

    Laprs seconde guerre mondiale sera donc une priode faste pour les langues.

    Les constructions politiques du XIXe sicle, celles appeles tats-Nations

    connaissent une crise. Ces circonstances conduisent modifier la manire dont la

    question des langues est comprise et donc repenser la faon dont cette question

    sera mise en place au niveau des politiques publiques et plus particulirement

    encore au niveau des politiques linguistiques ducatives.

    La priode daprs-guerre donne donc nouveau droit de cit aux langues dans

    le systme ducatif franais et lon assiste une extension notable des classes

    concernes par des projets dchanges. Malheureusement, une circulaire, date du

    11 mai 1973, met fin cet essor. En obligeant les matres titulaires des classes

    enseigner les langues vivantes, alors quils ny sont pas forms, et donc en

    linterdisant de fait aux assistants trangers, cette circulaire oblige les coles

    renoncer cet enseignement. Preuve sil en est de limportance de la formation

    lorsque lon traite de la question de lenseignement des langues.

    partir de la fin des annes 1980, vont se succder une srie de dispositifs,

    correspondant chacun la priode dexercice du Ministre de lducation nationale

    alors en place. Les ministres et donc les dispositifs se succdent, mais la volont

    politique de dclinaison nationale des principes europens demeure.

    La reprise du processus, aprs quinze ans de silence, est mettre en relation

    avec la construction de lEurope. Le surmoi rpublicain jusqualors dominant se

    heurte un nouveau concept : celui de citoyennet europenne. Le lien entre langue

    et citoyennet est trs fort. De mme que, sous la Rvolution franaise, stait

    construit le concept de citoyen autour de la langue franaise, cest autour de la

    notion de plurilinguisme que celui de citoyen europen se btit. Le passage de lune

    lautre de ces constructions oblige un changement de prfixe, elle oblige passer

    du monolinguisme au plurilinguisme. Ce changement de perspective nest pas sans

    rpercussions sur ce qui slaborera dans le systme ducatif.

  • 2. 1.2.3.2 1989-1992 : EPLV et EILE

    En 1989, Lionel Jospin et son quipe dcident linstauration dune

    exprimentation contrle de lenseignement prcoce dune langue vivante

    trangre lcole lmentaire17[17]. La circulaire concernant lEnseignement

    Prcoce dune Langue Vivante (dsormais EPLV), date du 6 mars 1989, prvoit

    une initiation de deux trois heures par semaine destine aux lves du cours

    moyen. Cette exprimentation trouvera son cho dans la loi dorientation sur

    lducation de 198918[18], premire loi sur lducation depuis la IIIme Rpublique,

    dont le premier article stipule : "La matrise de la langue franaise et la

    connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de

    l'enseignement."

    En 1991, les EPLV deviennent "lEnseignement dInitiation une Langue

    trangre" (dsormais EILE)19[19]. Le dbat entre "enseignement" et

    "sensibilisation" est tranch. Il sagit de proposer aux lves un vritable

    enseignement et pour distinguer cet enseignement de celui dispens au collge, on

    parlera denseignement dinitiation.

    Sil peut sembler tre vain, le dbat entre "enseignement" ou "sensibilisation"

    a le mrite de remettre le problme des langues sur le devant de la scne. Avec ces

    premires mesures, sont donc poses les premires pierres pour un vritable

    apprentissage. Mais bien que le problme soit soulev, aucune mesure nest encore

    prise concernant la formation de ceux qui devront dispenser cet enseignement.

    17 [17]Circulaire n 89-065 du 06 mars 1989, BOEN n 11 du 16 mars 1989, Exprimentation contrle de lenseignement dune langue vivante trangre lcole lmentaire, p. 683. 18 [18] Loi d'orientation sur l'ducation n89-486 du 10 juillet 1989 19 [19] Circulaire n 91-246 du 06 septembre 1991, BOEN n 32 du 19 septembre 1991, Exprimentation contrle de lenseignement dune langue vivante trangre lcole lmentaire, p. 2201.

  • 3. 1.2.3.3 1995 : ILV

    En 1995, le Ministre de lducation nationale Franois Bayrou propose son

    Nouveau contrat pour lcole. La mesure n7 de ce contrat propose aux classes de

    CE1 une Initiation une Langue Vivante (ILV)20[20] raison dun quart dheure par

    semaine. Le point positif de cette rforme est quelle concerne tout lve de CE1,

    quelle que soit sa rgion ou son cole. Elle avance galement lge auquel les

    enfants seront sensibiliss puisque auparavant seuls les lves de CM1 et CM2

    taient concerns. Lapproche devient ainsi pyramidale. Sensibiliser les enfants plus

    tt oblige repenser ce qui est fait ensuite. Dune sensibilisation au CE1, on se

    dirige progressivement dans une problmatique dapprentissage pour le cycle des

    approfondissements (CE2-CM1-CM2).

    Cest cette poque que le Centre National de Documentation Pdagogique

    (dsormais CNDP) dite et distribue les cassettes vido de la srie "Sans Frontire".

    Lintroduction de ces cassettes dans les classes de CE1, CE2 et CM1 a permis de

    constater que le paramtre dcisif dans la pertinence de leur utilisation tait la

    comptence du matre, sa formation la pdagogie de lenseignement des langues.

    Et cest l que le bt blesse puisque la logique sous-jacente ces cassettes tait

    justement de se substituer la comptence linguistique et pdagogique des matres,

    donc de se substituer leur formation. Les matres ntaient jamais trop souvent

    forms qu devenir de simples utilisateurs de cassettes, aucune rflexion sur lobjet

    langue et sur sa didactique ntait propose. Or, ces cassettes, comme tout autre

    support pdagogique ne pouvaient tre utilises que par des matres aux

    comptences linguistiques et pdagogiques avres.

    4. 1.2.3.4 1998 : vers une gnralisation progressive

    20 [20] Circulaire n 95-103 du 03 mai 1995, BOEN n 19 du 11 mai 1995, Enseignement des langues vivantes orientations pdagogiques et modalits de mise en uvre, p. 1649.

  • Sous le ministre de Claude Allgre, sont tudies les modalits dextension et

    de gnralisation de lenseignement des langues vivantes au cycle des

    apprentissages (cycle 3 du primaire). Des rfrentiels sont publis21[21]. Il ne sagit

    pas encore de vritables programmes et aucune progression ny est inscrite puisque

    la discipline "langue vivante" nexiste pas encore en tant que telle. Il ne sagit

    encore que de "dispositifs" ou orientations gnrales. Cependant, le passage

    dexprimentations locales une quasi-gnralisation est bien en train de

    seffectuer. La prochaine tape sera celle du changement de statut des langues

    trangres lcole.

    5. 1.2.3.5 Introduction dune nouvelle discipline

    Le tableau suivant montre que lobjectif affich dune gnralisation de

    lenseignement de langue pour les cours moyens est en voie de concrtisation.

    Pourcentage de classes de cours moyen bnficiant dun enseignement de langue22[22]

    SECTEUR PUBLIC SECTEUR PRIV sous contrat

    2000/2001 2001/2002 2000/2001 2001/2002

    CM2 homognes et CM1-CM2 96,1 97,1 86 88,9

    CM1 homognes et CE2-CM1 58,7 90,2 63 74,1

    Autres classes avec lves de CM 76,8 91,6 71,8 74

    TOTAL 80,2 93,9 76 81,8

    Source :enqute DESCO auprs des Inspections acadmiques.

    Le 20 juin 2000, Jack Lang, alors Ministre de lducation nationale annonce la

    mise en uvre dun plan ambitieux relatif lenseignement des langues vivantes

    dans le primaire. Dans les circulaires de rentre concernant lanne scolaire 2001-

    2002, est prvue une continuit dapprentissage de la langue apprise du cours moyen

    21 [21] Circulaire 99-176 du 04 novembre 1999, BOEN n 40 du 11 novembre 1999, Langues vivantes trangres orientations pdagogiques pour la mise en uvre au CM1 et au CM2, p. 11. 22 [22] www.eduscol.eduaction.fr/DOO70/statistiques.html (05.05.03)

  • la sixime. Il sagit donc bien de sinscrire dans une logique dapprentissage et les

    textes publis en 2002 sont le rsultat de dcisions visant sortir de faon dfinitive

    de lexprimentation pour inscrire effectivement les langues vivantes parmi les

    disciplines de lcole. Lobjectif clairement affich de faire des langues vivantes

    trangres une discipline part entire doit alors passer par son inscription dans les

    programmes et par son valuation. Ce sera chose faite le 14 fvrier 2002, date de

    publication au Bulletin Officiel de lducation Nationale (dsormais BOEN) des

    programmes des langues rgionales et trangres lcole primaire.

    Ces programmes sont directement inspirs des travaux du Conseil de lEurope

    tant dans leurs principes que dans le choix des outils techniques ; y sont mentionns

    le Portfolio et le Cadre europen commun de rfrence pour les langues. Ces

    programmes fournissent des objectifs en termes de comptences faire acqurir aux

    lves du cycle des approfondissements (cycle 3). Le contenu ne porte plus

    seulement sur laspect linguistique de la langue mais aussi sur les aspects culturels.

    Lautre nouveaut de ces programmes est linscription de lapprentissage sur

    la dure : lenseignement est cens dmarrer ds le dbut du cycle 2 cest--dire ds

    la grande section de maternelle, soit vers les 5 ans. Lapprentissage dune langue

    vivante remplit plusieurs missions. Lune dentre elles consiste donner aux lves

    des comptences de communication, lautre est celle de lducation laltrit.

    Louverture laltrit est un des objectifs importants inscrits au cycle des

    apprentissages fondamentaux (cycle 2) : il sagit de dcouvrir des modes de vie

    diffrents, dautres cultures. Il sagit de favoriser lducation la citoyennet par

    une valorisation de toutes les comptences linguistiques des lves, comptences

    souvent ignores par le systme ducatif, en valorisant les connaissances pour

    dautres langues : lment trs voisin des objectifs dune approche telle que celle de

    "lveil au langage" sur laquelle nous reviendrons, mais aussi lment dimportance

    concernant le deuxime axe de la pluralit linguistique et culturelle.

    4. 1.2.4 Les langues des migrants

  • Lacclration des mouvements migratoires dans les annes 1970 et la

    prsence de nombreux lves allophones dans les classes interrogent nouveau le

    systme ducatif franais quant la question de lenseignement des langues. Cest

    ainsi que nous en arrivons aux dispositifs prenant en compte le deuxime axe de la

    pluralit linguistique et culturelle.

    1. 1.2.4.1 CLIN et CRI

    Le deuxime axe , laxe extranational, est celui qui interroge le plus le

    systme ducatif. Cest sur ce point que les reprsentations des enseignants sont les

    plus fortement ancres : la langue des migrants est source de problme, elle

    provoque des interfrences ngatives avec la langue franaise, elle est davantage

    pense en termes de handicap plutt quen termes de ressources.

    Les circulaires portant, depuis le dbut des annes soixante-dix, sur la scolarit

    des enfants primo-arrivants allophones rpondent un souci dintgration rapide de

    ces derniers dans le cursus scolaire normal. Au regard de ce qui a t dit

    prcdemment concernant lidal rpublicain, on peut dornavant sinterroger sur ce

    mot "intgration".

    Selon lidal rpublicain, ltat a la responsabilit de socialiser tous ses

    citoyens la culture nationale dans laquelle les membres de tous les groupes

    socioculturels doivent se fondre en abandonnant leur spcificit. Ce quoi conduit

    cet idal rpublicain nous fait davantage penser un procd dassimilation que

    dintgration. Il serait prfrable de prendre en compte ces spcificits pour

    favoriser un rapport harmonieux entres les diffrentes communauts

    linguistiques/culturelles.

    La circulaire du 13 janvier 197023[23] est la premire circulaire rgissant

    lenseignement lcole lmentaire des enfants de migrants, mais il existe dj,

    cette date, des classes exprimentales dinitiation pour enfants trangers. La

    23 [23] Circulaire n 70-37 du 13 janvier 1970, BOEN n 5 du 29 octobre 1970, Classes exprimentales pour enfants trangers.

  • premire dentre elles avait t cre Aubervilliers en 1965. Ce texte ne fait donc

    jamais quofficialiser une situation crant ex nihilo dans les coles des classes pour

    enfants trangers. Mais, en lgitimant ainsi lexistence de structures spcifiques

    pour la scolarisation des enfants trangers, elle gratigne ds lors le principe

    rpublicain dgalit scolaire. Cependant, en prcisant que "ces classes ayant pour

    objectif une intgration rapide des enfants dans le milieu scolaire normal, aucun

    redoublement ne sera admis", cette circulaire tente de faire en sorte que cette

    marginalisation du cursus soit la plus brve possible.

    Un dispositif souple est pour cette raison envisag : les CLIN (classes

    dinitiation) qui scolarisent pour un an au plus les primo-arrivants coexistent avec

    des classes de CRI (cours de rattrapage intgrs), o les lves sont placs dans les

    mmes classes que "leurs camarades franais" et ne sont regroups que sept ou huit

    heures hebdomadaires pour un enseignement de la langue. Ce dispositif des CRI sur

    la scolarisation des enfants primo-arrivants non francophones, est une autre rponse

    au souci dintgration rapide dans le cursus scolaire normal.

    Le dernier texte en vigueur24[24] ne change rien aux premiers objectifs affichs

    des CLIN, il tente simplement de les recentrer aprs la drive des annes 80 faisant

    de ces structures daccueil pour allophones des structures pour enfants en difficult,

    confondant CLIN et ZEP (Zone dducation Prioritaire).

    La proccupation pdagogique qui domine dans ces structures est celle des

    difficults lies lapprentissage de la langue franaise, et ce titre on parle

    aujourdhui de la problmatique du franais langue seconde. La reconnaissance des

    acquis scolaires autres que linguistiques napparat pas. Les outils dvaluation

    initiale des comptences scolaires dj acquises, dans dautres disciplines, tant

    inexistants, il a t ais de confondre matrise de la langue franaise, comptences et

    acquis scolaires. Les enseignants font de la matrise de la langue franaise un

    pralable tout autre apprentissage.

    Avec lintroduction de la discipline langue trangre dans le primaire, le

    systme nourrit une nouvelle contradiction. Bien que soucieux de maintenir une

    24 [24] Circulaire n 2002-063 du 20 mars 2002, BOEN n 10 du 25 avril 2002, Modalits dinscription et de scolarisation des lves de nationalit trangre des premier et second degr.

  • galit entre les lves, il les distingue en crant pour eux des parcours scolaires

    spcifiques. La place donne lapprentissage dune langue vivante autre que le

    franais nous claire sur les prsupposs pdagogiques. Partant du principe que

    lacquisition dune deuxime langue vivante trangre constitue une difficult

    supplmentaire pour ces lves, ils ne bnficient pas, la plupart du temps, de cet

    enseignement. Lenseignement dune langue vivante est nglig dans les classes

    daccueil. Laccent est mis sur lapprentissage du franais, les heures

    denseignement de la langue vivante trangre sont remplaces par des heures de

    franais. Apprendre simultanment une langue vivante trangre en mme temps

    que le franais serait nfaste lintgration rapide des lves.

    On constate que la pratique du terrain est trs loigne de celle prconise

    dans les textes officiels :

    "On veillera dispenser aux lves concerns, ds leur arrive, un

    enseignement en langue vivante trangre pour leur permettre de

    poursuivre une scolarit conforme leurs aptitudes et leur acquis. On

    encouragera la poursuite de leur premire langue de scolarisation

    comme langue vivante I ou II en classe ordinaire, ou dans le cadre de

    lenseignement des langues et cultures dorigine."25[25].

    On ne doit retenir de ce conseil que la coordination "ou" qui, finalement, fait quon

    laisse ces seules structures fonctionnant hors temps scolaire, le soin de cet

    enseignement.

    2. 1.2.4.2 Les ELCO

    La note de service n 83-165 du 13 avril 1983 prvoit la possibilit d'organiser

    pour les lves trangers scolariss l'cole primaire et en collge un enseignement

    de langue et culture d'origine sous forme d'activits optionnelles. Sur la base

    daccords de partenariat conclus entre la France et certains pays d'migration, des

    25 [25] Circulaire n 2002-063 du 20 mars 2002, BOEN n 10 du 25 avril 2002, Scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage, p. 12

  • ressortissants de ces pays viennent donner un enseignement de langues et cultures

    dorigine dans certaines coles, hors temps scolaire.

    Les accords de coopration pour l'Enseignement de Langues et Cultures

    dOrigine (dsormais ELCO) concernent lAlgrie, le Maroc, la Tunisie, lEspagne,

    lItalie, le Portugal, la Turquie et la Rpublique Fdrale de Yougoslavie. Les

    enseignants dELCO sont en dtachement administratif et sont rmunrs par leur

    pays. Le financement est assur par les pays trangers en ce qui concerne les postes

    et les manuels dont se servent les enfants. Le fonctionnement quotidien est assur

    par l'cole d'implantation : les matres trangers doivent avoir leur disposition les

    mmes moyens que leurs collgues franais. Mais il est noter que ces accords de

    coopration ne sont pas sans poser problmes entre les deux administrations du fait

    du non-respect dune clause de laccord qui prvoyait le transfert progressif de la

    prise en charge des cots denseignement par la France dans la mesure o se

    dveloppait lenseignement du franais.

    Lobjectif principal des ELCO leur cration tait de permettre aux lves

    trangers de mieux s'insrer dans le systme ducatif du pays d'accueil, tout en

    maintenant des liens avec leurs racines et en prservant la possibilit d'un retour au

    pays. En effet, les premiers ELCO ont t mis en place ds 1973, pendant une

    priode o limmigration tait considre comme un moyen transitoire de trouver

    une main duvre complmentaire et o le retour au pays dorigine tait prvisible

    et devait en consquence tre prpar. Mais cette situation a chang ; la preuve en

    est que les effectifs des lves frquentant les ELCO sont en nette diminution. Le

    dispositif doit donc ncessairement voluer.

    La transformation progressive des ELCO en enseignements de langues

    vivantes offerts tous les lves, enseignement dispens par les matres des

    programmes ELCO , permettrait une diversification des langues enseignes lcole

    primaire.

    Depuis 1989, la prsence des langues dans les coles est devenue de plus en

    plus significative. Mais, les objectifs ont volu au cours du temps. Nous avons

    parl denseignement, dinitiation, de sensibilisation et nous sommes arrivs une

  • politique mettant davantage laccent sur une logique dapprentissage des langues

    vivantes.

    La distinction faite entre les termes sensibilisation et apprentissage, et donc

    entre les deux approches, est un point qui, nous le verrons, pourrait sembler tre un

    frein au module de formation qui sera propos en dernire partie. Cependant, nous

    pouvons galement voir dans cette "bataille" terminologique, lintrt croissant

    montr pour la question des langues, et surtout le besoin de la rendre crdible par

    lutilisation dun terme qui soit plus fort que "sensibilisation".

    On peut galement considrer qutre expos une langue, cest dj

    commencer lapprendre, ce qui ferait du dbat entre sensibilisation et

    apprentissage un faux dbat. Cependant, de ce faux dbat entre sensibilisation,

    optionnelle, et apprentissage, obligatoire puisque disciplinaire, surgit un vrai dbat :

    celui de la question de la formation. Si celle-ci tait facultative lorsque enseigner

    une langue lcole tait optionnel, elle devient obligatoire lorsque la discipline

    elle-mme est impose.

    Mais avant de traiter proprement parler du problme de la formation, il

    convient de sintresser au type de personnels concerns par cette formation. La

    partie qui suit abordera donc la question des ressources humaines.

    2 Langue et gestion des ressources humaines lcole

    Si lon peut encore sinterroger sur la pluralit des langues dans le systme

    ducatif, lanalyse qui prcde prouve quen matire de dispositifs, la pluralit nest

    pas mettre en doute. Cette pluralit de dispositifs saccompagne dune diversit de

    catgories de personnels que nous allons nous attacher dcrire.

  • 1. 2.1 La diversit des acteurs

    Si lon espre voir, terme, la majorit de lenseignement des langues

    vivantes trangres pris en charge par les enseignants du premier degr, ceci est

    encore loin dtre le cas et les diffrentes catgories dacteurs chargs de

    lapprentissage des langues sont l pour lattester. Les ressources mobilises pour

    mener bien cet enseignement sont plthoriques. Le tableau page suivante illustre la

    faon dont ce personnel est rparti.

  • Rpartition en pourcentage des personnels chargs de lenseignement des langues vivantes en cours moyen.26[26]

    SECTEUR PUBLIC SECTEUR PRIV

    sous contrat

    2000/2001 2001/2002 2000/2001 2001/2002

    Enseignants du 1er degr 54,3 57,9 38,6 44,1

    Enseignants du 2nd degr 23 20 40,1 38,3

    Intervenants extrieurs tat 11,5 10,9

    Intervenants ext. Collec.

    Locales

    4,6 3,4 4,5 3,9

    Assistants de langues vivantes 4,1 5

    Autres personnels 2,5 2,9 16,8 13,7

    Source : Enqute DESCO auprs des Inspections acadmiques.

    numrons et dcrivons maintenant ces diffrentes catgories de personnels.

    1. 2.1.1 Les assistants trangers

    Il sagit de la plus ancienne catgorie de personnels puisque, nous lavons vu,

    le systme ducatif franais a fait appel elle ds 1954 dans le cadre dchanges

    denseignants. La prsence de locuteurs natifs auprs des matres de classes et des

    lves est positive sur plusieurs points : elle permet une authenticit et une qualit

    de la langue, une dimension internationale et culturelle.

    Les assistants de langue font leur retour dans le premier degr la rentre

    1998. Ils ne doivent pas se substituer au matre qui reste le responsable pdagogique

    de cet enseignement. Ils ne doivent donc pas intervenir seuls, ils sont toujours en

    prsence de lenseignant titulaire de la classe et les prparations de squences

    pdagogiques doivent se faire conjointement. La dure de leur affectation (7 mois),

    la mobilit laquelle ils sont assujettis (la plupart sont affects sur plusieurs

    26 [26] www.eduscol.eduaction.fr/DOO70/statistiques.html (05.05.03)

  • coles), leur affectation mme (en zone rurale) conduiront de nombreux

    dsistements et une utilisation incompatible avec lobligation denseignement

    prconise par les textes.

    Afin de surmonter ces difficults, le mode de recrutement de ces assistants

    trangers a t rvis : ils sont dornavant volontaires et affects pour une dure de

    neuf mois, avec un statut moins prcaire (droit la scurit sociale). Dautre part, la

    politique mise en place a fait en sorte que lenseignant lui-mme prodigue cet

    enseignement.

    2. 2.1.2 Les intervenants extrieurs

    La premire loi de dcentralisation laissant la gestion des universits ltat,

    celle des lyces aux rgions, celle des collges aux dpartements et enfin celles des

    coles aux communes, a permis, dans un premier temps, le recrutement par les

    collectivits locales dintervenants extrieurs pour enseigner les langues. Mais,

    lenseignement des langues ayant pris un caractre obligatoire, celles-l se sont

    dsengages et ont laiss ltat le soin de ce recrutement.

    Le relais a donc t pris, des crdits pour des postes dits "flchs" sont allous

    aux Inspections acadmiques qui recrutent soit des locuteurs natifs installs en

    France, soit des Franais ayant acquis des comptences en langue trangre. On

    saperoit, une fois encore, que le seul critre retenu est celui des comptences

    linguistiques.

    3. 2.1.3 Les professeurs du secondaire

    Il a t propos aux enseignants de langues du second degr deffectuer des

    complments de service, sur la base du volontariat, dans le primaire. Le recours

    cette option a t bnfique sur deux points : il a permis une meilleure continuit

  • des enseignements entre cole et collge et favoris la diversification des langues

    enseignes, les complments de service ayant t proposs aux spcialistes des

    langues les moins enseignes. Cependant, une remise en cause des habituelles

    mthodes utilises par ces enseignants tait ncessaire pour prendre en compte la

    spcificit dun jeune public et cela na pas toujours t le cas.

    4. 2.1.4 Les matres et professeurs des coles

    Des enseignants du premier degr, volontaires, ont choisi denseigner une

    langue dans leur classe et parfois de dcloisonner en ayant recours des changes

    de service avec un collgue, permettant ainsi dautres classes de bnficier de cet

    enseignement. Dans certains endroits, des postes de matre itinrant enseignant

    exclusivement une langue ont t crs. Ces personnels doivent ncessairement tre

    titulaires dune habilitation.

    La procdure dhabilitation a t cre en 1989 , elle tait alors locale mais elle

    a t rnove par un texte de novembre 2001 qui en fait un diplme national. La

    procdure dhabilitation nest pas une formation mais, essentiellement, la

    reconnaissance dune comptence minimale en langue trangre du matre, et le

    niveau requis est celui correspondant au niveau B2 du Cadre europen commun de

    rfrence. Cette recommandation dun enseignement dispens par un enseignant du

    premier degr est justifie par le fait quelle permet dinstaller une meilleure

    cohrence entre les diffrents apprentissages, celui de la langue et celui des autres

    disciplines. Mais, elle se justifie aussi par le fait quelle permet, mme si elle est

    enseigne par diffrents professeurs, une approche pdagogique unifie due la

    formation, identique, reue lIUFM.

    Quelle que soit la catgorie des personnels recruts, le recrutement sopre

    toujours en fonction des comptences en langues, la diversit des personnels repose

    sur une base commune de comptence, celle de la comptence linguistique. Mais

    cest justement parce quil y a des difficults trouver des enseignants possdant

    cette comptence en langue trangre que cet enseignement connat des difficults

    dans sa gnralisation.

  • De plus, la solution trouve par linstitution pour remdier ce problme de la

    comptence minimale en langue, savoir lexigence du Certificat en Langue de

    lEnseignement Suprieur (dsormais CLES) au moment du recrutement, du fait de

    la trs forte rsistance de certains des acteurs du monde ducatif, ne semble pas tre

    en trs bonne voie. De plus, par le recrutement de candidats dj comptents, et en

    sachant que cette comptence est le plus souvent due des parcours ou des

    situations personnelles, cette exigence est aussi une faon de ne pas sengager dans

    la formation.

    Cest la raison pour laquelle nous proposerons une formation axe

    essentiellement sur le dveloppement de comptences pdagogiques propres

    lenseignement des langues aux enfants ainsi qu la dmarche dveil au langage et

    non pas une formation en langues.

    2. 2.2 La question de la formation

    Nous avons pu voir, travers le portrait de ces diffrentes catgories de

    personnels que ce soit travers lexemple de la circulaire de 1973 ou travers la

    mise en circulation des cassettes "Sans frontires", quel point la question de la

    formation des matres tait importante. Concernant lenseignement prcoce des

    langues, ces diffrents exemples pointaient les difficults surmonter, notamment

    en termes de qualification des personnels chargs de cet enseignement.

    Les problmes de formation des enseignants dans la langue trangre et dans

    sa didactique est un problme rcurrent auquel aucun ministre ne sest rellement

    attach. Dans le primaire, aucun des acteurs cits prcdemment ne reoit de

    formation spcifique, ou du moins cette formation nest pas systmatique et

    obligatoire pour tous. Lorsque cette question est traite, elle lest sur linitiative

    personnelle dun formateur sans que linstitution sy soit investie.

    Pourtant, concernant la formation initiale, il est vident que les langues

    vivantes devenant une discipline lcole lmentaire, il y a obligation pour le

  • systme ducatif de donner une place plus importante la formation linguistique et

    la formation pdagogique pour lensemble des matres. Cest la tche que les

    IUFM devront accomplir.

    Notre analyse de la situation de lenseignement des langues dans le premier

    degr du systme ducatif franais a conduit diffrents constats concernant la

    formation des matres. Ces constats nous incitent poursuivre la rflexion. Cest

    partir de lanalyse de certains concepts, que nous aborderons en seconde partie, que

    pourront tre proposes, dans la troisime partie, des pistes concrtes sur la faon

    dont pourrait tre relev le dfi plurilingue.

  • DEUXIME PARTIE Cadre conceptuel

  • Nous avons vu que jusqu prsent le Ministre de lducation nationale

    sintressait essentiellement au problme de la comptence linguistique du futur

    matre. Une proccupation lgitime par un rapport remis en 1998 la Commission

    europenne intitul Les langues trangres ds lcole maternelle ou primaire :

    quels rsultats, quelles conditions 27[27]? Cette tude fait le point sur les acquis des

    lves mais surtout examine quels sont les facteurs susceptibles dinfluencer ces

    acquis. Cest ainsi que lon retiendra deux des facteurs lis lenseignant : celui de

    sa comptence linguistique et celui de son appartenance souhaitable au corps de

    professeurs du premier degr :

    "Les enfants obtenaient de meilleurs rsultats lorsque le professeur avait

    suivi une formation de haut niveau dans la langue trangre. [] En

    France, les performances des enfants dans la langue trangre tudie

    en primaire avaient tendance tre meilleures lorsquils avaient cours

    avec un instituteur du primaire, cest--dire une personne habitue aux

    lves et au programme de lcole primaire."28[28]

    Cest la raison pour laquelle les instances dcisionnaires du systme ducatif

    se sont essentiellement proccupes de la formation en langues trangres des

    enseignants et cest uniquement dans cette direction que des mesures ont t prises.

    Ainsi, tout professeur des coles recrut devait, pour la rentre 2003, avoir obtenu

    pralablement une certification dans une langue vivante. Cette certification devait

    tre valide par une attestation de niveau B2 du Cadre Europen Commun de

    Rfrence pour les Langues (dsormais CECRL) du Conseil de lEurope. Cet

    objectif na pas t atteint puisque le concours 2003 na pas vu lapplication de cette

    mesure. De plus, linstauration dun dispositif tel que le CLES qui devrait permettre

    de rsoudre terme ce problme de la comptence en langue des futurs professeurs,

    semble connatre une mise en place difficile. Mais quoi quil en soit, nous avons pu

    voir que lobtention dune telle qualification, bien quutile la gnralisation, ne

    rsout en rien le problme de la diversit linguistique.

    27 [27] Blondin, C. et alii, (1998) : Les langues primaires lcole maternelle et primaire : quels rsultats, quelles conditions ?, De Boeck Universit, Bruxelles. 28 [28]Idem, p. 56-57.

  • Cest pourquoi, nous faisons ici le choix dlibr de ne pas nous intresser la

    formation linguistique des futurs enseignants pour toucher au cur du problme :

    une formation la didactique des langues et au plurilinguisme. Il sagirait dintgrer

    dans le curriculum de formation existant, celui des IUFM, un module ne reposant

    non plus sur lacquisition de seules comptences linguistiques mais sur la didactique

    des langues dune part et sur le plurilinguisme dautre part, deux notions essentielles

    au futur travail de construction curriculaire. Ainsi, aprs avoir dfini plus

    prcisment ce que nous entendons par "didactique des langues" et "didactique du

    plurilinguisme", reprenant ainsi le titre dun recueil de textes en hommage Louise

    Dabne29[29], cette deuxime partie traitera des concepts partir desquels pourra se

    construire notre formation.

    1 1 Didactique des langues et plurilinguisme

    Notre propos sera ici, dans une optique dadquation avec linstitution, de

    faire en sorte que didactique des langues (dsormais DDL) et plurilinguisme ne

    soient pas opposs, mais plutt de trouver les fdrer. Dans ce dessein, la

    consultation des Instructions Officielles, parce quelles font office de loi au sein de

    lducation nationale, est une tape indispensable. Lanalyse des derniers

    programmes montre que des ancrages sont possibles. Il sagira donc de voir quels

    sont ces points dancrages, quelle articulation entre DDL et plurilinguisme est

    possible, quelles correspondances tablir entre les axes directeurs de programmes

    officiels et ceux de lveil au langage.

    Langue et culture sont troitement lies, aussi, avant de dfinir respectivement

    la DDL et le concept de plurilinguisme, revenons sur un terme proche, celui de

    29 [29] Billiez, J. (Dir), (1998) : De la didactique des langues la didactique du plurilinguisme, Hommage Louise Dabne, Grenoble : CDL-Lidilem.

  • pluralit linguistique, et plus prcisment sur les trois axes de la pluralit

    linguistique et culturelle (dsormais PLC) dfinis prcdemment.

    3. 1.1 La pdagogie interculturelle

    Les trois axes de la PLC, laxe international, laxe extranational et laxe

    intranational, recouvrent trois dimensions aux implications pdagogiques et

    didactiques diffrentes. Ils ont, cependant, un point commun, celui dinterroger le

    rapport lautre, et font appel un mme concept de dfinition malaise : celui de

    "pdagogie interculturelle", concept sur lequel nous proposons de nous arrter.

    Le prfixe "inter" met en relation deux ou plusieurs lments. Pour Martine

    Abdallah-Pretceille, lobjectif de la pdagogie interculturelle :

    "serait de saisir loccasion offerte par lvolution pluriculturelle de la

    socit pour reconnatre la dimension culturelle, au sens

    anthropologique du terme, de toute ducation, et dintroduire lAutre et

    plus exactement le rapport lAutre, dans lapprentissage. La

    reconnaissance dautrui passe par lacceptation de soi et

    rciproquement, encore faut-il que le Moi soit lui-mme lobjet dune

    vritable reconnaissance en tant quun parmi le multiple."30[30]

    Lanalyse de lvolution historique de cette notion permet un dcoupage en

    quatre paradigmes. Ce sont les quatre paradigmes de Cristina Allemann-

    Ghionda31[31] que nous reprenons ici. Dune part, ils permettent davoir une vision

    globale de ce qui a pu tre fait dans ce domaine, et dautre part ils permettent, lors

    de la construction de formation, dviter certains cueils :

    le paradigme du dficit : cest loption de lassimilation, elle

    implique une pdagogie compensatoire, il sagit de combler les

    supposs dficits linguistiques, sociaux et culturels de llve ;

    le paradigme de la diffrence : la diffrence culturelle est mise en 30 [30] Abdallah-Pretceille, M. (1986) : Vers une pdagogie interculturelle, INRP, Paris, p. 167. 31 [31] Allemann-Ghionda, C. , Perregaux, C. , De Goumens, C., op.cit., pp. 13-14.

  • valeur, mais lapproche est stigmatisante, il sagit de faire une

    pdagogie de lexotisme ;

    le paradigme de lgalit : la diffrence culturelle est une donne

    ngligeable, seules les diffrences socio-conomiques importent ;

    le paradigme de la diversit : cest une vision citoyenne du rapport

    lautre, le pluralisme et lhtrognit sont vus comme des valeurs

    partages, et accepts.

    Le dveloppement de lidentit europenne, cest--dire de la diversit dans

    lunit, passe par la dimension interculturelle. Les formations la pdagogie

    interculturelle qui ont pu tre proposes aux enseignants ont t une premire

    tentative de rponse leurs interrogations consquentes lacclration des

    mouvements migratoires, mais les reprsentations dualistes de laltrit, type

    dominant / domin, ont continu subsister. De plus, lcart entre le contenu de ces

    formations et les proccupations des enseignants dans leur classe pour grer

    lhtrognit pose problme. La non-adquation entre loffre et la demande

    entrane des difficults traiter ensuite de ces questions en classe.

    Les formations la pdagogie interculturelle sont lacunaires. Une des

    premires explications se trouve peut-tre dans lutilisation mme de larticle dfini

    et singulier "la" qui tendrait laisser croire quil ny a quun seul chemin possible.

    Une des raisons de lchec de ces formations tient probablement aussi au fait

    quelles nenvisagent la diversit que sous un seul de ses aspects. La diffrence

    culturelle est surestime, tandis que dautres angles, comme celui de la diversit

    linguistique, sont ngligs.

    4. 1.2 La didactique des langues

    On parle de "pdagogie interculturelle" et de "didactique des langues". Si la

    pdagogie est la plus ancienne et la plus courante dnomination dsignant les

    relations entre un matre et des lves (du grec paidaggia : direction, ducation des

  • enfants), elle concerne plus particulirement dans son acception contemporaine "les

    relations matres/lves en vue de linstruction ou de lducation"32[32]. Mais le

    terme de "pdagogie" a aussi une valeur dprciative. En effet, elle est parfois

    considre comme une sorte de psychologie applique, un art denseigner ne

    ncessitant pas de formation particulire puisque relevant du domaine de linn, du

    don. Le terme de didactique na pas, quant lui, cette valeur discrdite.

    Dans la Grce antique, le paidagogos (pdagogue) tait charg daccompagner

    lenfant dans ses dplacements, de le suivre quotidiennement et dune anne sur

    lautre et de le conduire au didascalos (didacticien), le matre faisant la classe.33[33]

    Le paidagogos tant souvent un esclave, la partie de lenseignement noble tait celle

    de la mise en contact avec la matire denseignement rserve au didascalos. Ce qui

    peut expliquer le discrdit que certains apportent la pdagogie qui est ds lorigine

    centre sur llve.

    Henri Besse et Daniel Coste dfinissent respectivement la DDL comme

    un ensemble de discours :

    "plus ou moins raisonns, portant sur ce qui se passe dans une

    classe quand on y enseigne/apprend une langue, quel que soit le

    statut quon reconnat celle-ci et sa nature pour les

    apprenants"34[34]. "portant (directement ou indirectement) sur lenseignement des

    langues (pourquoi, quoi, comment enseigner et qui, en vue de quoi)

    et produits sur des supports gnralement spcifiques (par exemple

    des revues sadressant des enseignants de langues), par des

    producteurs eux-mmes le plus souvent professionnellement le plus

    particulariss (enseignants, formateurs denseignants,

    chercheurs)."35[35]

    32 [32] Galisson, R. et Coste, D. (1976), Dictionnaire de didactique des langues, Hachette, "F". 33 [33] Prost, A., 1985, loge des pdagogues, Seuil / Points, p. 28. 34 [34] Besse, H. ,(1989)., "De la relativit des discours sur lenseignement/apprentissage des langues", dans Galisson, R. et Roulet, E., Langue Franaise n 82,p. 29. 35 [35] Coste, D. "Dbats propos des langues trangres la fin du XIXme sicle et didactique du franais langue trangre depuis 1950. Constantes et variations", dans Galisson R. et Roulet E, op. cit. , pp. 20-27.

  • Parler de DDL, implique lexistence de didactiques portant sur dautres objets

    que les langues. Mais la DDL se fonde sur une particularit : celle de son mode

    dappropriation. Contrairement aux autres didactiques, la DDL est en concurrence

    avec un mode dappropriation naturel : lacquisition.

    "Ce qui fonde la spcificit des langues par rapport aux matires

    scolaires-types, cest qu ct de lapprentissage scolaire, lacquisition

    naturelle des langues (maternelles et mme trangres) se pratique de

    faon massive, alors quil ny a pas dexemples (signifiants)

    dacquisition des mathmatiques, de la physique, de la chimie."36[36]

    La didactique fait de la langue un objet denseignement et dapprentissage

    compos dun idiome et dune culture, ces deux paramtres tant troitement

    imbriqus. On peut dfinir lobjet de la DDL comme tant :

    "ltude et les modalits denseignement et dappropriation dune langue

    trangre en milieu non naturel. En dautres termes, elle est lobjet dun

    contrat qui lie pour un temps donn et en un lieu donn une partie

    guidant et une partie guide en vue dun transfert de comptences

    idiomatico-culturelles."37[37]

    De nouvelles perspectives souvrent pour la DDL qui jusqualors cloisonnait

    de faon monolinguistique son objet. Patrick Chardenet, dans un article paratre,

    dit de la DDL :

    "quelle doit avoir pour but de comprendre et de rendre intelligible la

    fois le fonctionnement et le rle de son objet langue dans la socit

    humaine afin dorienter les pratiques (politiques et pdagogiques) qui

    permettent lappropriation des langues par les sujets quels quils soient

    o quils soient. [] Le pluri- comme but, le multi- comme moyen, on

    aurait tout intrt faire de la DDL une discipline dintgration des

    langues, une codidactique capable autant de dire ce qui se passe quand

    on enseigne / apprend une langue que quand on passe dune langue

    36 [36] Cicurel, F. (1988), "Didactique des langues et linguistique : propos pour une circularit", tudes de Linguistique Applique, n 72, pp. 15-23. 37 [37] Cuq, J.P.,(2002), Cours de didactique du franais langue trangre et seconde, PUG, Grenoble, p. 80

  • une autre (ce qui est de toute faon toujours le cas en langue trangre),

    quand on choisit ou lorsquon refuse une langue."38[38]

    Toutes ces donnes et perspectives font de la DDL un objet particulier auquel

    il convient donc dattribuer une formation particulire. La particularit de cette

    formation est renforce ici par le fait que cet enseignement de langue se fait en

    prsence dun public spcifique puisque constitu de jeunes enfants, ce qui implique

    une mthodologie particulire. Deux grandes coles se partagent le terrain de la

    mthodologie destine de jeunes enfants : lenseignement prcoce des langues

    vivantes et lveil au langage.

    5. 1.3 Lenseignement prcoce des langues vivantes

    En dcidant de faire commencer lapprentissage dune langue ds lenfance,

    esprant ainsi se rapprocher le plus possible des comptences du natif, le ministre a

    entrepris une dmarche sduisante, mais qui ne manque pas de poser des problmes

    didactiques particuliers. La dcision dapprendre une langue tant plus du ressort

    des parents ou de linstitution que du ressort de lenfant, on peut dores et dj

    sinterroger sur ses futures motivations et mobilisations.

    1. 1.3.1 Origine et mthodologie

    La problmatique de lenseignement prcoce des langues vivantes est ne dans

    le milieu des annes 1970 avec lapparition de la notion de besoin langagier qui

    introduit une approche diversifie des publics.

    38 [38] Chardenet, P, 2003, ( paratre), "Linterlinguisme roman : didactique et politique linguistique", Synergies Italie n1, publication du GERFLINT, Turin.

  • La dnomination "enseignement prcoce" a suscit quelques dbats dont la

    cause est mettre au compte de la valeur de son adjectif. Prcoce tant synonyme de

    prmatur, cela pouvait laisser croire quil y avait un ge dtermin pour apprendre

    les langues. Mais nous laisserons de ct ce dbat pour nentendre derrire cette

    appellation que lide dun apprentissage des langues durant la scolarit du

    primaire.

    Nous retiendrons des travaux sur lenseignement prcoce des langues vivantes

    laspect psycholinguistique, trs fortement influenc par les thories constructivistes

    et socioconstructivistes de lacquisition telles quelles ont t dveloppes par

    Piaget39[39] pour la premire et par Vygotski40[40] pour la seconde.

    Des travaux reposant sur limagerie crbrale et concernant les bases

    biologiques du langage et la plasticit neuronale ont tabli des capacits

    linguistiques humaines trs prcoces et sophistiques. Cest sur ce processus de

    dveloppement neurophysiologique du cerveau, en dautres termes, sur le concept

    de plasticit crbrale, que les partisans de lapprentissage prcoce des langues

    vivantes se fondent essentiellement. La grande mallabilit crbrale du jeune

    enfant favoriserait tout apprentissage en gnral et celui dune langue trangre en

    particulier.

    Les travaux en neurosciences donnent un clairage biologique ce

    phnomne. Dans le processus de dveloppement neurophysiologique, le cerveau

    crot, prend du volume et les relations neurologiques vont se multiplier en mme

    temps que sopre un phnomne de mylinisation, phnomne denrobage

    protinique des cellules nerveuses permettant la conduction lectrique, ce qui

    restreint la mallabilit.

    Durant ses premires annes, le cerveau de lenfant a donc un caractre

    mallable et le filtre phontique de la langue nopre pas encore ; ce qui facilite la

    comprhension de la langue et lacquisition dune bonne prononciation.

    Troubetskoy parle ce sujet de crible phonologique : "Les sons de la langue

    39 [39] Piaget, J. (1967) : La construction du rel chez lenfant, Delachaux et Niestl, Paris. 40 [40] Vygotski, L.(1985) : Pense et langage, ditions Sociales, Paris.

  • trangre reoivent une interprtation phonologiquement inexacte, puisquon les

    fait passer par le "crible phonologique" de sa propre langue."41[41]

    En arrivant maturit, le cerveau de lenfant perd de sa plasticit, mais gagne

    en capacits analytiques. Il pourrait donc aborder lapprentissage linguistique de

    faon rflchie.

    Enfin, lenfant apprend et se structure autour du jeu et dhistoires fictionnelles

    qui sollicitent son imaginaire. Aussi, la dimension ludique sur laquelle repose

    lenseignement des langues aux jeunes enfants est-elle tout fait justifie. Cette

    dimension est non seulement essentielle la construction de lenfant, mais le plaisir

    quelle induit est un facteur favorable lapprentissage puisquil est source de

    motivation (lenvie) et de mobilisation (linvestissement).

    2. 1.3.2 Inconvnients

    Cependant, provoquer la rencontre entre lenfant et la langue trangre le plus

    tt possible, aussi louable que soit cette volont, nest pas sans provoquer quelques

    problmes. Si lentreprise de gnralisation de lenseignement des langues vivantes

    dans le primaire est, nous lavons vu en premire partie, une russite, il faut y

    mettre un bmol. En effet, gnralisation ne signifie pas diversit et si la presque

    totalit des lves de cours moyen bnficient effectivement dun enseignement de

    langue, cette presque totalit a pris langlais comme premire langue

    dapprentissage, par ailleurs langue pour laquelle les matres reoivent

    majoritairement leur habilitation, ce qui constitue un cercle vicieux.

    Il peut sembler dommage de ne pas profiter de la plasticit crbrale ainsi que

    des possibilits phontiques de lenfant en rduisant son univers linguistique une

    seule langue trangre. De plus, pouss par une demande sociale trs forte, lobjectif

    fix dun tel apprentissage nest pas toujours bien dessin. Parce que lenfant va

    commencer tt cet apprentissage, on espre quil atteindra des comptences

    41 [41] Troubetskoy, N. (1949) : Principes de phonologie, Klinsieck, Paris, p. 49.

  • linguistiques dignes de celles dun natif. On attend de cet apprentissage quil

    conduise un bilinguisme quilibr.

    La DDL sest construite sur le mode du cloisonnement faisant delle un isolat.

    La comptence de communication mise en avant dans la DDL reprsente un objectif

    final idalis inatteignable. Autant de points qui sopposent la conception de

    comptence plurilingue sur laquelle nous reviendrons. Cest donc sur cette ide de

    confrontation une seule langue et sur celle des comptences acqurir quil faut

    sattarder.

    6. 1.4 Le plurilinguisme

    La proximit des termes "multilingue" et "plurilingue" entrane de frquentes

    confusions qui requirent dtre claircies. Adoptant la classification du CECRL,

    nous emploierons ici "multilingue" pour dcrire la situation linguistique dun tat

    ou dun continent, et "plurilingue" pour parler des comptences dun individu et de

    sa capacit apprendre plusieurs langues au cours de sa vie en transfrant les

    comptences ncessaires cet apprentissage de lune lautre.

    1. 1.4.1 La comptence plurilingue

    linitiative de la Suisse, sest tenu Rschlikon en novembre 1991 un

    colloque intergouvernemental dont le thme tait "Transparence et cohrence dans

    lapprentissage des langues en Europe : objectifs, valuation, certification". Suite

    ce colloque, la division des langues vivantes du Conseil de lEurope a analys les

    diffrents systmes ducatifs et sest penche sur les innovations apporter

  • lenseignement des langues. Cela a donn naissance au CECRL, un outil de base qui

    fournit des repres communs aux diffrents systmes quant aux objectifs, mthodes

    et qualifications dans lapprentissage des langues. Cest un instrument de rfrence

    pour la coordination des politiques linguistiques, dont laxiome de base, conforme

    lide dune construction dune identit europenne, est de promouvoir le

    plurilinguisme. On retiendra le fait que la dfinition donne par Coste, Moore et

    Zarate de la comptence plurilingue en 1997, est reprise dans le CECRL. On

    dsigne donc par comptence plurilingue et pluriculturelle une :

    "comptence communiquer langagirement et interagir

    culturellement dun acteur social qui possde, des degrs divers, la

    matrise de plusieurs langues et lexprience de plusieurs cultures tout

    en tant mme de grer lensemble de ce capital langagier et culturel.

    Loption majeure est de considrer quil ny a pas l superposition ou

    juxtaposition de comptences toujours distinctes, mais bien existence

    dune comptence plurielle, complexe, voire composite et htrogne,qui

    inclut des comptences singulires, voire partielles, mais qui est une en

    tant que rpertoire disponible pour lacteur social concern."42[42]

    Le CECRL met en avant laspect curriculaire de lapprentissage de la langue.

    Cet apprentissage sinsre dans un curriculum sans cloisonnement, lexprience

    dautres langues/cultures est prise en compte. Autant de points qui nous conduisent

    lapproche dveil au langage.

    2. 1.4.2 Lveil au langage

    Lveil au langage est n, dans les annes 1980, en Grande-Bretagne avec les

    travaux dEric Hawkins et cest dans un article datant de 1989 que lon en trouve la

    42 [42] Coste, D., Moore, D., Zarate, G. (1997) : Comptence plurilingue et pluriculturelle, Conseil de lEurope, Strasbourg, p. 12. Conseil de lEurope ( 2001) : Cadre europen commun de rfrence pour les langues, Paris, Didier, p.129.

  • premire occurrence en France.43[43] Lapproche Language Awareness a donn lieu

    diverses appellations, veil aux Langues (lacronyme Evlang pour le projet

    europen Lingua), veil au langage et Ouvertures aux Langues (le sigle EOLE en

    Suisse), Begegnung mit Sprachen en Allemagne, Educazione linguistica en Italie.

    La richesse des appellations dmontre lintrt suscit par cette approche. Mais,

    quelles que soient les appellations, elles reposent toutes sur les mmes principes sur

    lesquels nous reviendrons aprs avoir donn une dfinition de cette approche:

    "Il y a veil aux langues lorsquune part des activits porte sur les

    langues que lcole na pas lintention denseigner (qui peuvent tre ou

    non des langues maternelles de certains lves). Cela ne signifie pas que

    seule la partie du travail qui porte sur ces langues mrite le nom dveil

    aux langues. Une telle distinction naurait pas de sens, car il doit sagir

    normalement dun travail global, le plus souvent comparatif, qui porte

    la fois sur ces langues, sur la langue ou les langues de lcole et sur

    lventuelle langue trangre (ou autre) apprise."44[44]

    Lapproche dveil aux langues ne juxtapose pas les langues les unes aux

    autres dans des relations duelles, mais en remettant lhonneur lanalyse

    contrastive, elle en offre une confrontation pacifique. Il sagit de provoquer une

    dcentration de llve par rapport sa propre langue/culture ; llve peut ainsi

    mettre en vidence les modes de fonctionnement de ces langues, leurs

    ressemblances et leurs diffrences, sans quaucune hirarchie ne soit tablie. La

    dcentration, que ce soit pour lenseignement prcoce des langues ou pour lveil au

    langage, est un enjeu fondamental qui permet, en provoquant un recul par rapport

    soi-mme, dintgrer dautres points de vue.

    Le thme de travail est dordre sociolangagier, culturel (les salutations, les

    proverbes) ou linguistique (les emprunts, le pluriel, les dterminants). Les objectifs

    gnraux dune telle approche didactique visent la construction des attitudes et

    43 [43] Caporale, D. (1989) : Lveil aux langages : une voie nouvelle pour lapprentissage prcoce des langues, Lidil, n 2, pp.128-141. 44 [44] Candelier, M. (2001) : "Les dmarches dveil la diversit linguistique et culturelle dans lenseignement primaire", dans Lenseignement des langues vivantes, perspectives, Les actes de la DESCO, CNDP, p. 51.

  • aptitudes ncessaires au meilleur droulement possible des apprentissages

    langagiers.

    De mme que pour lenseignement prcoce des langues, la dmarche

    didactique de lveil au langage repose sur une orientation socioconstructiviste de

    lenseignement/apprentissage qui rend llve acteur de ses apprentissages. Laccent

    est mis sur le caractre social de lapprentissage, le rle de lenseignant est un rle

    dappui, il devient facilitateur dapprentissage. Selon les principes de la pdagogie

    active, les activits se dcomposent en trois phases :

    mise en situation : faire merger les reprsentations et susciter

    lintrt ;

    situation-problme : mettre des hypothses et dvelopper des

    stratgies pour rsoudre le problme;

    synthse : expliciter, verbaliser pour mieux sapproprier le concept.

    Si nous avons fait le choix dintgrer lveil au langage dans le futur module

    de formation, cest quil a retenu notre attention pour plusieurs raisons, raisons qui

    ont pu dj transparatre mais que nous reformulons ici :

    lveil au langage ne ncessite pas de comptences particulires en

    langue trangre de la part de lenseignant, ce qui permet ceux qui

    nont ni lhabilitation, ni le CLES, de pouvoir sinvestir ;

    lveil au langage permet daborder les trois axes la pluralit ;

    lveil au langage assure, grce au dcloisonnement, une meilleure

    cohrence et cohsion entre les enseignements/apprentissages ;

    lveil au langage, parce quil met en contact lenfant avec une

    grande diversit de langues/cultures, permet lentre dans un processus

    de dcentration ;

    lveil au langage, parce quil met lenfant en contact avec une

    grande diversit de langues/cultures, est une premire rponse au dfi

    du plurilinguisme.

    Introduire lenseignement dune langue lcole na pas permis de relever le

    dfi du plurilinguisme puisque cet enseignement sest port de faon crasante sur

    langlais. Cet tat de fait sexplique aisment si lon considre ce que cette langue

  • reprsente socialement pour les parents. Pour que ces reprsentations changent, pour

    que le plurilinguisme se mette exister, il est donc ncessaire doprer un travail

    dinformations auprs de tous les acteurs sociaux, parmi lesquels les parents

    dlves. Introduire des activits dveil au langage lcole devrait permettre

    daider une prise de conscience par les lves et, au-del, par les parents, des

    enjeux du plurilinguisme, et peut-tre daider clairer la demande vis--vis des

    langues.

    Pour conclure sur les avantages de lveil au langage, nous nous reporterons

    aux Instructions Officielles qui ont fait de la matrise de la langue et de la

    citoyennet leurs deux axes directeurs. La matrise de la langue a t remise au

    centre du nouveau dispositif avec lespoir de combattre ainsi lchec scolaire.

    Lducation la citoyennet est devenue un thme rcurrent travers lequel on

    espre combattre les "incivilits", autrement dit : la violence lcole. Ces deux

    axes, citoyennet et matrise de la langue, sont des points dancrage vidents pour

    lintroduction dune approche telle que celle de lveil au langage. Parce quelle fait

    rflchir sur le fonctionnement de la langue (travail mtalinguistique), parce quelle

    met sur un mme plan diffrentes langues sans aucune hirarchisation, parce quelle

    favorise une vritable dcentration quant ses propres pratiques langagires et donc

    culturelles, cette approche est tout fait pertinente dans le cursus scolaire.

    2 Dfinition et exemples de curricula

    Ce travail repose sur lide de construction dune formation des enseignants

    dans le premier degr, qui contribuerait le plus efficacement possible relever le

    dfi du plurilinguisme. Comment construire et organiser une telle formation ? Les

    notions de syllabus et de curriculum, issues du modle de la pdagogie par objectifs

  • et de lingnierie de la formation, permettront den mieux conceptualiser les

    procdures.

    1. 2.1 Le Curriculum

    Dans la conception dun programme de formation, il est ncessaire

    daccomplir certaines tapes. Ces tapes, dfinition des objectifs, buts et finalits,

    essentielles dans une construction curriculaire, sont empruntes ce quil est

    convenu dappeler la pdagogie par objectifs. Le curriculum de formation se

    caractrise donc par une maquette qui se droule selon un axe paradigmatique dont

    les tapes sont lidentification des finalits, buts et objectifs.

    1. 2.1.1 Les finalits

    Elles sont un pralable primordial toute construction de formation. Les

    finalits se dfinissent en rapport avec des valeurs. Daniel Hameline, dans ce quil

    est convenu dappeler "la pdagogie par objectifs" propose de dfinir les finalits de

    la faon suivante :

    "Une finalit est une affirmation de principe travers laquelle une

    socit (ou un groupe social) identifie et vhicule ses valeurs. Elle

    fournit des lignes directrices un systme ducatif et des manires de

    dire au discours sur lducation."45[45]

    2. 2.1.2 Finalits et systme ducatif

    45 [45] Hameline, D. (1979), Les objectifs pdagogiques en formation initiale et en formation continue, Paris, ESF, p. 97.

  • La formation des enseignants est un acte ducatif qui a ses valeurs par rapport

    la socit qui la constitue. Les propos de Philippe Perrenoud, quant aux finalits

    de lcole et celles de la formation des enseignants et aux enjeux lis ces

    finalits, sont particulirement clairants :

    "On ne peut former des enseignants sans faire de choix idologiques.

    Selon le modle de socit et dtre humain que lon dfend, on

    nassignera pas les mmes finalits lcole, donc on ne dfinira pas de

    la mme faon le rle des enseignants.

    On peut ventuellement former des chimistes, des comptables ou des

    informaticiens en faisant abstraction des finalits des entreprises qui les

    emploieront. On peut se dire, un peu cyniquement, quun bon chimiste

    reste un bon chimiste, quil fabrique des mdicaments ou de la drogue.