PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

  • Upload
    ndiayek

  • View
    288

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    1/77

    Les fondem ents juridiques internationaux dudroit communautaire

    p arALAIN PELLET

    193Academ y of European Law (ed . ) ,Col lec t ed C ourses o f the Academ y of Europ ean Law , Volume V , Book 2 , 193-271. 1997 K luwer Law Internat ional . Pr in ted in the Nether lands .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    2/77

    195

    Table de matiresIntroduction

    201

    Chapitre ILes C omm unauts sans le droit international?A . Les tentatives de dsinternationalisation du droitcommunautaire

    2 0 41. La jurisprudence de la Cou r de Justice

    2 0 4

    2. La doctrine comm unautariste

    2 0 7B . Le droit international, fondement du droitcommunautaire

    2 11

    1. Un ordre juridique d ' origine conventionnelle

    2 122. La rvision des traits

    2 143. Le com plexe du Jivaro

    2 17

    Chapitre IILes Co mm unauts comm e organisations internationales

    2 2 1

    A . L'absence de caractre tatique, ft-il fdral, desCommunauts

    2 2 2

    1. Les Com munauts ne sont pas des Etats

    2 22

    2 . La souverainet des Etats mem bres demeureintacte

    2 25

    B . La Communaut prsente les traits caractristiques d'uneorganisation internationale

    2 311. La C omm unaut est une organisationinternationale

    2 332 . Une manifestation trs avance du droit desorganisations internationales

    2 37

    Chapitre IIIL'ordre juridique comm unautaire, ordre juridique de droitinternational

    A . L'autonomie relative du droit communautaire par rapportau droit international

    2 471. Un ordre juridique autonome

    2 472. Les rapports de systm es entre droitcomm unautaire et droit international

    25 1B . L'autonomie du droit communautaire par rapport aux

    droits nationaux

    2 5 41. L ' effet direct du droit comm unautaire

    2 5 62. La primaut du droit comm unautaire

    261

    En guise de conclusion

    2 68

    203

    245

    Orientations bibliographiques

    270

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    3/77

    1 9 7

    BiographieProfesseur l'Universit de Paris X Nanterre et l'Institut d'tudes poli-tiques de Paris.Membre de la Com mission du droit international des Nations Unies.

    Etudes suprieures Ag rgation de droit public et de sciences politiques (19 74);

    Doctorat d'Etat de droit public (19 74 Universit de Paris II);D .E .S . de sciences politiques (1969 facult de droit et des sciencesconom iques de Pa ris);D .E .S . de droit public (1969 facult de droit et des sciencesconom iques de Pa ris);Auditeur l'Acadmie de droit international de La Haye (session dedroit public, 1967, 19 69 e t 1971 );Diplme de l'Institut d'tudes politiques de Paris (Sciences-Po) (1968 section du service public);Licence en droit public (1968 facult de droit et des sciencesconomiques de Paris).

    Fonctions u niversitairesProfesseur l'Universit de Paris X Nanterre, Professeur (19 90 -);Directeur du Centre de droit international de Nanterre (CEDIN);Directeur du D .E .A . de droit des Relations conomiques internationaleset com munautaires;Professeur l'Institut d'tudes politiques de Paris (Sciences-Po)(1980-);Professeur l 'Universit de Paris-Nord (19 77-199 0 );Professeur l 'Universit de C onstantine (19 74-1 977);Matre de confrence l'Institut d'tudes politiques de Paris (1972-1981);Assistant l 'Universit de Pa ris II (196 9-1 974 );Professeur invit, missions de courte dure et confrences dans denombreuses universits trangres .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    4/77

    198Activits extra-universitaires

    Membre de la Commission du droit international des Nations Unies(1990);rapporteur spcial sur Les rserves aux traits (1994 -);Membre supplant de la Sous-Commission des droits de l'homme desNations Unies (1983 -199 2);Conseil et avocat de la France, du Burkina Faso, du Nicaragua, del'Australie, du Tchad, de la Slovaquie, de la Bosnie-Herzegovine et duCameroun, dans plusieurs affaires devant la Cour internationale dejustice;Expert-consultant auprs d e la C omm ission d'arbitrage de la C onfrencepour la paix en Yougoslavie (199 1-1 99 3);Conseiller juridique de l 'Organisation m ondiale du tourisme (1 99 0 -);Rapporteur du Comit de juristes franais charg d'tudier la crationd'un Tribunal pnal international destin juger les crime s com mis dansl'ex-Yougoslavie (Commission TRUCHE) (1993);Consultant, socit d'avocats M ignard-Teitgen-Grisoni (Paris) (19 93 -) .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    5/77

    199

    Publications principalesOuvrages Droit international public (avec D . Nguyen Quoc et P . Daillier),(L .G.D.J .), 5 e d., 19 94 , 1379 pages, (traduction partielle en grec, 199 1;en hongrois, paratre en 199 6). Les fonctionnaires internationaux (avec D. Ruzie), P .U.F ., CollectionQue sais-je?, 1993 , 12 8 pages. La Charte des Nations Unies (commentaire article par article), (avec

    J .P . Cot), Economia, 2e d ., 1991, XIV 1771 pages, (traduction enjaponais, 1993 ; en anglais paratre en 1995 ).

    Le Droit international du dveloppement, P .U .F ., Collection Que sais -je?, 2 e d . , 198 7, 12 8 pages, (traduction en japonais, 198 8).Les voies de recours ouvertes aux fonctionnaires internationaux,Pdone, 1982 , 202 pages.Droit international public, P.U .F ., Collection THEMIS, 1981, 154pages, (traduction en japonais, 19 92 ).

    Recueils de textesL es Nations Unies T extes fondam entaux, P .U .F . , Collection Q ue sais-je?, n 303 5 , 199 5 , 128 pages.

    - Droit d'ingrence ou devoir d'assistance humanitaire?, Problmespolitiques et sociaux, n 758-759, ler-22 dcembre 1995, La documen-tation franaise, 13 3 pages.

    Principaux articlesL'activit du Tribunal pnal international pour l'ex-Yougoslavie, paratre in A F D I (1995) .The Ro ad to Hell is Paved with Good s Intentions The United Nationsas Guarantor of International Peac e and S ecurity : a French P erspective,in C . Tomuschat (d .), UN at A ge Fifty (1995) 113-133 .La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies,EJIL (1995) 401-425 .Peut-on et doit-on contrler les actions du Conseil de scurit?,,S .F .D .I ., Colloque de Rennes, Le chapitre VII de la Charte des NationsU nies et les nouv eaux aspects de la scurit collectiv e (1995) 22 1-238.Quel avenir pour le droit des peuples disposer d'eux-mmes?, LiberA m icorum Jimenez de A rechaga (1995) 401-425 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    6/77

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    7/77

    201IntroductionCe cours est un cours d'humeur, presque de m auvaise humeur . Il n'a paspour ambition d'apporter au lecteur des connaissances techniques nouvelleset pour une raison simple : comme l'a crit Jacques Delors, la constructioneuropenne est un monument d'hermtisme ou une ouverture trs sophis-tique connu seulem ent des spcialistes . . . . 1 Et spcialiste, l'auteur ne l'estcertainement pas . Il ne s'agit donc pas d'approfondir un domaine particulierdu droit communautaire, mais de porter sur celui-ci dans son ensemble unregard extrieur ou, pour tre plus exact un regard partiellem ent extrieurcar, n'en dplaise aux communautaristes, le droit communautaire tient sonfondement et son existence mme du droit international public : les Commu-nauts comme, d'ailleurs l'Union europenne, ont t cres par des traits;ce sont ces traits qui fondent leur personnalit juridique ; et un trait est uninstrument juridique international . Ds lors, les Communauts et l'Unionsont, avant toute chose et peut-tre exclusivement, des personnes du droitinternational . 2

    Ces vidences sont d 'une banalit affligeante et l'on aurait scrupule lesrappeler si la doctrine communautariste ne les scotomisait pas peu prscompltement et systmatiquement. Non pas en tout cas pas uniquement par ignorance, mais, et c'est plus grave, dans le cadre de ce qui parat treune v ritable stratgie intellectuelle dogm atique.

    Ceci est irritant ; pas seulement parce que cela heurte l'amour-propre desinternationalistes mais surtout, plus substantiellement, pour deux raisonsfondamentales:

    en premier lieu, la doctrine communautaire qui a acquis son autonomieacadmique par rapport au droit international public tmoigne ainsi deson ignorance des rvolutions que celui-ci a subies, en partie d'ailleursgrce au droit communautaire ; le droit des gens est en gnralprsent par les communautaristes comme une discipline fige, inca-pable de rendre compte du fait communautaire et dont ils font uneprsentation inexacte et, la limite, trop souvent franchie, presque cari-caturale;en second lieu, il semble presque vident qu'en cartant ainsi, d'un re-vers de ma in, l'approche internationaliste du droit com mu nautaire, on seprive d'lments de rflexion et de com prhension fcond s.Voici pourquoi ce cours est un cou rs d'humeur : il s'agit de ragir contre le

    mpris injuste, et injustifi, dans lequel la doctrine communautariste, debrillantes mais rares exceptions prs, tient le droit international, au risque dedform er la ralit, et ceci des fins purem ent idologiques : la promotion de1

    La France pour l'Europe (1988) 272.

    2

    Le droit international dont il est question dans ce cours est, sauf indication expressecontraire, le droit international public .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    8/77

    202ALAIN PELLETla construction communautaire qui, pourtant, ne se porterait sans doute pasplus m al de rendre justice ses origines internationalistes . ..Ce cours s'efforcera de le faire en s'interrogeant sur la possibilit d'envi-sager ou d'imaginer les Communauts 3 sans le droit international (chapitreI), en les dcrivant en tant qu'organisations internationales (chapitre II) et entudiant mais trs superficiellement l'ordre juridique communautairecom me un ordre juridique de droit international (chapitre III).

    3 II ne fait pas de doute qu'il existe toujours trois Communauts fondes sur des traitsconstitutifs distincts, auxquelles s'ajoute maintenant, et se superpose dans une certainemesure, l'Union europenne . Ce cours, selon un usage assez rpandu, traitera, sousrserve de quelques prcisions donnes dans le chapitre II, indiffremment de la oudes Communauts . Etant donn le niveau d'abstraction assez grand auquel il se situe,ceci ne prsente probablement gure d'inconvnient .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    9/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    03Chapitre I

    Les C om mu nauts sans le droit international?Il est peine exagr d'voquer le terrorisme intellectuel que font rgnercertains com munautaristes parmi les juristes . L'une des manifestations de cephnom ne consiste affirmer que la question de la nature juridique de la oudes Communauts est rsolue, qu'elles n'ont plus rien voir avec le droit in-ternational et qu'il est inutile de revenir sur c e po int.

    Le juge Pescatore, dont les qualits de juriste ne sont videmment pas encause, est probablem ent le reprsentant le plus qualifi et le plus connu de cecourant doctrinal et l'ensemble de son oeuvre, considrable, est imprgn decette conviction selon laquelle les ordres juridiques communautaire et inter-national sont entirement distincts et spars ; tout au plus le droit commu-nautaire pourrait-il constituer un modle et une source d'inspiration fcondepour la rforme et l'approfondissem ent du droit international . Au dem eurant,M . Pescatore est loin d'tre isol dans cette conv iction, certainem ent sincre,mais que l'on peut juger errone et, en tout cas, trs excessive . On peut, vrai dire, souponner qu 'elle est partage par la qua si-totalit des spcialistesdu droit comm unautaire . Il est ainsi trs frappant de constater que l'index del'excellent manuel de Droit communautaire gnral du Recteur Guy Isaac 4ne comporte pas d'entre l'expression Droit international et que, d'unemanire gnrale, aucun dveloppem ent, ou peu prs, n'y est consacr.

    Ceci est extrmement significatif : l'minent auteur, dont le livre a djform des gnrations de juristes franais, admet comme une donne d'vi-dence que, en tant qu'ordre juridique, le droit communautaire ne doit rien audroit international ; il est prsent en soi . Certes, M . Isaac n'omet pas deprsenter les traits communautaires 5 qui constituent le droit commu-nautaire primaire, 6 mais il s'abstient soigneusement de s'interroger sur lefondement de la validit de ce droit primaire . Rsu ltat invitable : les mil-liers d'tudiants franais qui apprennent le droit communautaire dans cema nuel don t il faut redire l'excellence auron t forcme nt la conviction, er-rone, que le droit communautaire n'a aucun lien avec le droit interna-tional . . . 7

    4

    (1994) 32 8 pages.

    5

    Ibid . , 117-124.6

    Ibid . , 117.

    7 Une tendance rcente dans les Universits franaise consiste avancer l'tude du droitcommunautaire gnral de la troisime la deuxime anne des tudes en droit . Ceci estjustifi par l'importance concrte considrable du droit communautaire pour les Etatsmembres; mais ce n'est acceptable que si, avant d'aborder le droit communautaire, lestudiants reoivent au moins des rudiments de droit international: comment comprendreles Comm unauts sans savoir ce qu'est un trait ou une o rganisation internationale?

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    10/77

    2 0 4ALAIN PELLETEt pourtant le Professeur Isaac n'est pas, loin s'en faut, un communau-tariste extrme . On peut sans doute mme le considrer comme assezreprsentatif d'une tendance modre, assez technicienne, qui constitue lagrande majorit des communautaristes, dont la caractristique est de ne pasnourrir de prvention particulire l'encontre du droit international mais,tout simplement, de n'en pas vo ir l'intrt pour leur discipline . Ils conoiventles Com mu nauts et leur droit abstraction faite du droit international.

    La thse fondamentale de ce chapitre et, vrai dire, de l'ensemble de cecours, est que ceci n'est pas possible . Malgr la dsinternationalisation laquelle procdent la doctrine et la jurisprudence communautaristes, pour demauvais motifs (section A), cette position est intenable et ne correspondnullement la ralit des choses ; bien au contraire, le droit internationalconstitue l'ancrage et le fondement mmes du droit communautaire(section B ).

    A . Les tentatives de dsinternationalisation du droit comm unautaireL'anathme lanc contre le droit international est le fait aussi bien de la doc-trine que de la jurisprudence communautaires . Mais les motifs de cette ex-communication paraissent, tout bien rflchi, diffrents dans l'un et l'autrecas. La CJCE a agi par calcul, de propos dlibr, mais, si l'on y regarded'un peu plus prs, sans pousser la thse de l'enfermement du droit commu-nautaire jusqu' ses consquences extrmes . La do ctrine, pour sa part, a suiviavec zle la direction montre par la jurisprudence, mais sans s'imposer larelative modration dont la Cour a su faire preuve, et ceci probablement parignorance des tend ances ac tuelles du droit international.

    1 . La jurisprudence de la Cour de JusticeDans les premires annes de son existence, la Cour a manifest quelqueconsidration pour les traits constitutifs.

    Ceci est trs frappant, par exemple, dans un arrt de 1960, que l'on aqualifi d'obscur8 et qui porte sur des problmes compliqus de fiscalitapplicable aux fonctionnaires de la CECA, l'arrt Humblet . Pour affirmerl'obligation de la Belgique de respecter l'immunit fiscale d'un fonctionnairecommunautaire belge, la Cour s'est expressment fonde sur l'obligation r-sultant du Trait et du protocole qui ont force de loi dans les Etats mem bres la suite de leur ratification et qui l'emportent sur le droit interne .9 Leschoses taient trs claires, trs solidem ent argum entes au regard d u droit in-

    8

    De W itte, Retour `Costa' L a primaut du droit communau taire la lumire du droitinternational, RTDE (1984) 426.

    9

    Affaire 6/60 , Rec. , 1146 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    11/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    05ternational : les obligations des Etats membres trouvent leur source et leurfondement dans les traits rgulirement ratifis par les Etats et incorporsdans leur ordre juridique interne.

    Quoique dans une formule concise, qui a fait sa fortune, le clbre arrtV an Gend en L oos du 5 fvrier 19 63 ne dit pas autre chose . Tout en affirmantque le Trait (CEE) constitue plus qu'un accord qui ne crerait que desobligations mutuelles entre les Etats contractants ce qui est indiscutable-ment exact 10 , la Cour de Luxembourg conclut que la Communautconstitue un nouvel ordre juridique de droit international . 1 1 Cette expres-sion est videmment dcisive . Elle signifie qu'en 1963 la Cour n'prouvaitaucun doute sur l'ancrage de l'ordre juridique communautaire dans le droitinternational, tout en m ettant en lum ire, juste titre les videntes particulari-ts du droit comm unautaire.Pourtant, un an plus tard, dans le non moins clbre arrt Costa c. EN ELdu 15 juillet 1964, la Cour, de faon videmment dlibre, rectifie le tir.Il y est dit cette fois qu' la diffrence des traits internationaux ordinaires,le trait de la CEE a institu un ordre juridique propre intgr au droit desEtats membres . . . . 1 2 Peu importe, pour l'instant cette dernire prcision . l3Ce qui compte, c'est une omission ; ma is elle est de taille : la disparition aprsordre juridique de la me ntion de droit international . Ainsi peine plusd'un an d'intervalle, le nouvel ordre juridique de droit international de-vient un ordre juridique propre. Exit le droit international, alors qu'il nes'tait produit, entre-temps, aucune mutation juridique majeure. Il est, dansces conditions, exclu que l'ordre juridique de droit international de 1963ait pu perdre ce caractre en 1964 et, d'ailleurs, l'arrt Costa ne dit rien dete l : posant le principe de la primaut du droit communautaire, 1 4 il tablitfermement que l'ordre juridique communautaire a t institu par le Trait etque sa primaut dcoule des termes et [de] l'esprit de celui-ci qui, malgrles particularits qu'il prsente par rapport c eux q ue la C our appe lle, un peuddaigneusement, les traits ordinaires, n'en est pas moins un accord in-ternational con clu par c rit entre Eta ts et rgi par le droit international . 1 5

    Il ne parat pas aventureux d'en dduire que, malgr la diffrence de for-mulation existant entre ces deux arrts essentiels, la Cour de Justice ne m-connat pas dans le second le fondement international de la Communaut etde son droit, mme si elle l'explicite moins nettement; aprs tout, la Cour atendance tenir pour acquis les principes poss par elle et il n'tait, en effet,

    1 0

    Voir infra B.3 .

    1 1

    Affaire 26/62, Rec . , 1963, 3 italiques ajoutes.

    12

    Affaire 6/64, Rec. , 1161.

    13

    Voir infra, chapitre III.

    14 Id1 5

    Dfinition du trait aux fins de la Convention de Vienne sur le droit des traits du 2 3 mai1969 (article 2, paragraphe 1(a) .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    12/77

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    13/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    07Le trait CE E, bien que conclu sous la forme d'un accord international,n'en constitue pas moins la charte constitutionnelle d'une communautde droit ; 20ou bien: le Trait instituant l'EEE ne dnature pas les comptences dela Communaut et de ses institutions telles qu'elles sont conues par leTrait . 2 1

    Dans les deux cas, le fondement juridique international de la constructioncom mu nautaire est reconn u mm e si, corrlativemen t, l'accen t est mis sur lesparticularits du Trait originaire, que nul ne saurait nier, mais qui sont unautre problme . Malheureu sem ent, la doctrine comm unautariste, pour sa part,emporte par son zle europaniste, ne veut, dans sa grande majorit,retenir de cette jurisprudence, somme toute quilibre mme si elle est pas-sablement oriente, que l'affirmation de la spcificit du droit communau-taire.

    2 . La doctrine communautaristeLes communautaristes ont bonne conscience et il n'est pas douteux que si,par hasard, ce cours tombait aux mains de l'un d'eux, il ne manquerait pas dehausser les paules en considrant qu'il ranime une guerre de religions d-passe.

    Il est exact que les batailles doctrinales qui ont marqu les premierstemps de la construction communautaire, sans avoir compltement disparu,se sont en grande partie apaises . Mais cette paix arme est plutt due au faitque les internationalistes ont dsert le champ de bataille qu' leur convic-tion du bien-fond des thses communautaristes extrmes qui, malheureuse-ment, tiennent le haut du pav dans le petit monde du droit communautairemme si, en son sein, il comporte des colombes . On peut penser, en parti-culier, parmi la doctrine francophone, M . Daniel Vignes il est vrai ancienDirecteur gnral au Conseil des Communauts o l'on est, traditionnelle-ment, et peut-tre par fonctions, plus modr qu' la Commission ou laCour . . . ou au Professeur Vlad Constantinesco qui, tout en mettant l'accentsur l'originalit, indniable, de la construction communautaire, a toujoursinsist, paralllement, sur son fondem ent conventionnel . 2 2

    Mais foin de ces nuances! Ce cours se veut et est polmique, ce quicond uit sans doute grossir le trait, et l'image globa le que donne la littra-ture de base en droit communautaire ne porte certainement pas la nuance.20

    Avis 1/91, R ec . I-6079.

    2 1

    Avis 1/92, Rec . I-2821.22 Voir notamment sa thse, publie en 1974, Comptences et pouvoirs dans les Commu-nauts europennes, LGD J, Paris, 492 p . ou sa contribution aux M langes Chaumont Ledroit des peuples disposer d'eux-mmes Mthodes d'analyse du droit international;M langes of ferts Charles Chaum ont (1984), La Cour de Justice des Communauts eu-ropennes et le droit international, 20 7 -222 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    14/77

    2 0 8ALAIN PELLETLa majorit des auteurs manifestent une superbe indiffrence pour le droitinternationa1 23 et, chez les plus militants, l'indiffrence devient franchehostilit.Da ns sa thse, publie en 1 96 8, et consacre L'application d'un trait fondation : le Trait instituant la CEE, 24 le Professeur Henri Lesguillons

    prsente les querelles doctrinales des annes 1950 et 1960 durant lesquellesse sont affrontes les thses fdralistes qui voyaient et voient toujours dans les Com mu nauts une structure (pr-)fdrale, et les thses internationa-listes qui les dcrivent comme des organisations internationales d'un typeparticulier, ce qui est assurment plus raliste . 2 5 Parmi les premiers, les pro-fesseurs Cartou, Heraud, Jaenicke ou Schwarzenberger ; parmi les seconds,Mme Bastid et MM . F . Berger, Bindschedler, Bleckmann, Delbez, Scelle,Seidl-Hohenveldern, Verdross, Vitta ou Paul de Visscher . La seconde thse at relance rcemment avec beaucoup de talent par le Professeur CharlesLeben, dans un article 2 6 dont on peut partager les conclusions gnrales touten tant sceptique sur le bien-fond de l'approche kelsnienne e t terriblementabstraite adopte par l'auteur.

    Quant l'cole fdraliste, elle ne s'affiche plus ouvertement commetelle tant l'volution des Communauts a dmenti de faon clatante sesprvisions intgrationnistes dcidment trop optimistes (quelles que soientles sympathies politiques qu e l'on peut nourrir pour elles).

    Il n'en reste pas moins que cet chec n'a gure entam l'ardeur anti-inter-nationaliste de la doctrine communautariste la plus agissante . Certes, il n'estpas d'auteur qui ne paie, formellement, tribut aux traits originaires : 2 7 ilssont trop voyants pour q ue l'on puisse se dispenser de ce lip service . Mais,ce devoir accompli, c'est pour expliquer aussitt que ceci n'a aucune cons-quence.

    Un e xem ple trs frappant de cette attitude, tout de mm e assez tonnante,est donn par la contribution du juge Constantinos Kabouris aux MlangesPescatore . Dans ces rflexions qu'il prsente comme parfois peu confor-23

    Voir supra note 3 e t le texte correspondant.

    24 LGDJ, Pans, IV 319p.25

    Voir infra, chapitre II.26 A propos de la nature juridique des Communauts europennes, 24 Droits (1991) 61 -72.27 Cf M . B lanquet, L 'article 5 du trait CEE R echerches sur les obligations de f idlit desEtats membres de la Communaut, LGDJ, Paris (1994) XXII 502p . : Les Etats mem-bres sont a priori placs dans un cadre conventionnel, leurs obligations dcoulant d'untrait ngoci et accept (page 421) ; ou P . Pescatore, L'ordre juridique des Commu-nauts europennes Etude des sources du droit communautaire (1971) : Les bases dunouveau droit europen ont t cres par le procd le plus classique du droit des gens:au m oyen de plusieurs traits internationaux ; ou, du mme auteur, Droit international etdroit communautaire Essai de rflexion comparative, Centre europen universitaire,Nanc y, non dat : B ien sr, le droit commu nautaire trouve ses bases dans un ensem ble detraits internationaux conclus suivant les procds les plus classiques du droit interna-tional (page 15 ) .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    15/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    09mistes mais o l'on peut voir, au contraire, un assez grand conformismecommunautariste, l'minent auteur explique que le Trait (de Rome) est envigueur par lui-mm e, de faon autonome, et constitue la source primaire detout l'ordre juridique communautaire . . . ; 28 aprs quoi il met l'accent surl'abandon par la jurisprudence de l'expression ordre juridique de droit in-ternational 29 pour conclure la nature fdrale de la relation Comm unaut Etats membres . 30

    D'une faon gnrale, la doctrine communautariste s'est vertue don-ner une interprtation trs radicale de l'volution de la position de la Courqui cependant est probablement plus tactique que substantielle . 3 1 Pournombre d'auteurs, l'expression nouvel ordre juridique de droit interna-tional ne serait qu'une remarque quelque peu malencontreuse 32 ou uneerreun> . 3 3Ainsi dbarrasss de la prsence encombrante du droit international, lescommunautaristes les plus virulents, qui se considrent comme lesreprsentants du droit europen, 34 se livrent une critique acerbe de cemme droit international auquel, cependant, la construction communautairene devrait pratiquemen t rien : La spcificit de l'ordre juridique com mu nau-taire s'exprime notamment par le fait que le droit international n'est pasappel jouer un grand rle . . . . 3 5

    Ainsi, le juge Pescatore s'est, dans nombre de travaux, pench sur les re-lations et la comparaison entre le droit communautaire et le droit interna-tional . Dans son cours sur L'ordre juridique des Communauts europennes,il s'emploie montrer que, [j]uridiquement, les communauts sont fermessur elles-mmes . 36 La raison profonde de l'inadaptation du droit interna-tional au droit comm unautaire rsulte du fait que le prem ier est fait pour rgirdes rapports de coexistence ou de coopration . . . . 37 Cette pure ptition deprincipe conduit notre auteur, dans un autre pam phlet, poser en postulat quele droit international est peu volu 38 et vanter la supriorit le motapparat maintes reprises sous sa plume intrinsque du droit commu nau-28 La relation de l'ordre juridique communautaire avec les autres ordres juridiques desEtats membres quelques rflexions parfois peu conformistes, Mlanges Pescatore

    Du droit international au droit de l'intgration Liber Amicorum Pierre Pescatore(1987) 331.29

    Ibid . , 331-2 ; voir supra note 12 et le texte correspondant.30

    Ibid . , 334.

    31

    Voir supra A .1 .32 G Bebr, Dev elopm ent of Judicial Control of the European Com m unities (1981) 436, citpar De Witte, supra note 8, 445 .33

    Iglesias B uiges, La nature juridique du droit communautaire, CD E (1968) 52 7.34

    P. Pescatore, Droit international et droit communautaire, supra note 27, 9.35 J-V . Louis, L'ordre juridique communautaire, Commission des Communauts europ-ennes, coll . Perspectives europennes (1986) 78.36

    Supra note 27, 40 .

    3 7

    Ibid . , 123.38

    Droit international et droit communautaire, supra note 27, 33 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    16/77

    2 10ALAIN PELLETtaire, mais, fort heureusement conclut-il, tout ce qui fait l'originalit et laforce du droit communautaire chappe aux catgories du droit interna-tional . 39 Ds lors, le droit communautaire qui, seul, permet de porter unregard neuf sur la souverainet 4 0 constitue un modle la pense scienti-fique . 4 1

    De mme, mais ce ne sont que des exemples parmi bien d'autres, M.Jacot-Guillarmod, dans un ouvrage d'ailleurs fort stimulant paru en 1979,Droit communautaire et droit international public, n'hsite pas crire:

    Par ses faiblesses intrinsques, le droit international public diffre profondmentdu droit communautaire . Plusieurs traits du droit international sont ainsi devenus,par contraste, d'utiles repres pour apprcier la spcificit du droit communau-taire et, par l mme, pour m esurer l'cart qui s'est creus entre les deux ordresjuridiques.42

    Pour c et auteur, si dialogue il doit y avoir entre les deux systmes de droit, cene peut tre qu'en ce qui con cerne les relations externes des Com munauts, 4 3dans lesquelles, concde-t-il, le droit international joue en effet un rlecroissant, consquence du rle accru que jouent les Communauts elles-mmes dans les relations internationales 44 (ce dernier constat est, au moins,indniable!).

    Bien sr, si tout ceci tait exact, on ne pourrait que se fliciter, avec M.Jacques Bourgeois, Conseiller juridique principal la Commission, que laCour de Luxembourg soit soucieuse d'viter [ . . .] d'introduire dans le droitcommunautaire le cheval de Troie de certains modes de pense du droit in-ternational . 45

    Mais tout ceci n'est pas exact et repose sur deux ptitions de principedifficilement acceptables.

    En premier lieu les faiblesses que ces auteurs prtent au droit interna-tional sont, en partie au moins, l'effet de leur imagination ou de leur igno-rance . Le droit international contemporain n'est pas ce qu'ils disent, ou cequ'ils croient . Par exemple, il est totalement inexact que, comme l'crivaitM. Pescatore 46 mais on retrouve aussi cette affirmation errone sousd'autres plumes47 la dnonciation d'un trait soit toujours possible;comme cela ressort clairement des articles 54 64 de la Convention de

    39

    Ibid. , 10 .40

    L'apport du droit com munautaire au droit international public, CDE (1970) 5 07.41

    Ibid. , 522.

    42

    (1979) 25 8.43

    Ibid. , 266.

    44

    Ibid. , 2 5 0 .45

    Les relations internationales de la Com munaut europenne et la rgle de droit : quelquesrflexions, Mlanges Pescatore, supra note 28, 65 .

    46

    Droit international et droit com m unautaire, su pra note 27, 15 .47

    Voir par exemple C . Kabouris, supra note 28 , 337 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    17/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    11Vienne de 1969, le trait est, au contraire, un pige volont, qu'il cristallisede faon largem ent dfinitive . De m me, pour prendre un seul autre exemp le,en dfinissant le droit communautaire tout le droit communautaire comme un jus cogens rgional, 48 M . Jacot-Guillarmod fait preuve soitd'ignorance sur la notion de jus cogens, soit d 'une hardiesse singulire,mme au regard des thses les plus avances! Au fond, cependant, il fautbien reconnatre que ceci n'est pas trs grave et tmoigne seulement d 'unecertaine ignorance due un excs de spcialisation ; les internationalistes, etl 'auteur de c e cou rs le premier, en sont certainem ent galem ent les victimes.

    En reva nche, la seconde p tition don t partent nos auteurs est m oins excu-sable et jette un certain discrdit sur la m thode scientifique elle-mm e deceux qui la prsentent com me un m odle de rigueur . Ils posent en effet enpostulat le rsultat mme de l'quation qu'il s'agit de rsoudre . Alors que laquestion est de d terminer la place d u droit international dans la con structioncom munautaire, ils raisonnent peu prs de la manire suivante:1. Le d roit com mu nautaire ne doit rien au droit international;2. donc le droit international est, par dfinition, tout ce qui n'est pascommunautaire et est purement inter-tatique;3. donc le droit international n'a aucune place dans le droit communau-

    taire . ..M ais la prem ire et la troisim e propo sitions sont identiques, ce qui n'est pasde bonne logique, et la deuxime est trs abusivement simplificatrice . Unetude m oins militante condu it une vision infiniment plus nuance.

    B . Le droit international, fondem ent du droit comm unau taireIl ne saurait faire de doute que, loin d'tre tranger au droit communautaire,le droit international en est le fondement mme, ce qui fait de lui, pourreprendre l'expression de la Cour de Justice elle-mme, un ordre juridiquede droit international . De ce constat dcoulent plusieurs consquences, no-tamment en ce qui concerne la rvision des traits communautaires origi-naires mme si l'importance de la question est, en dfinitive, plus thoriqueque concrte . Ceci tant, cet ordre juridique, pour tre d'origine convention-nelle n'en est pas moins, c'est une vidence, tout fait spcial et part, ori-ginalit que, par sa mallabilit et sa souplesse, le droit international est par-faitement capab le de prendre en considration.

    48 Supra note 42, 3 62 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    18/77

    212

    ALAIN PELLET

    1 . Un ordre juridique d'origine conventionnelleIl n'est pas utile de rappeler en grands dtails les origines conventionnellesdu droit communautaire . Chacun sait que les Communauts ont t crespar des traits successifs ; pas seulement ceux de Paris de 195 1 et de Ro me de1957, mais aussi tous ceux qui ont ralis des amnagements institutionnelsplus ou moins profonds depuis la Convention de Rome de 1957 relative certaines institutions communes jusqu'au trait de Maastricht sur l'Unioneuropenne du 7 fvrier 1992 entr en vigueur le l er novembre 1993, enpassant par le trait de fusion de 1965, les deux traits sur le budget commu-nautaire de 1970 et 1975, l'Acte annex la dcision du Conseil du 20septembre 1976 relatif aux lections du Parlement europen et l'Acte uniquedu 28 fvrier 1986, sans oublier les traits successifs d'adhsion de 1972,19 79, 19 86 et ceux, encore en pointills, de 199 4.

    Il est galement bien connu que chacun de ces textes est extrmementcomplexe, l'instrument principal tant en gnral accompagn d'une multi-tude d'annexes, protocoles et dclarations dont, ds 1956, la Cour de Justicea dit qu'ils avaient la mm e force imp rative q ue le trait lui-mm e . 49

    De plus, tout en prservant l'autonomie de chaque trait, la Cour n'enconsidre pas moins la construction communautaire comme un tout, chacunde ces instruments tant appel, le cas chant, clairer l'interprtationdonne aux autres . so

    Con formm ent une con struction doctrinale qui ne prte pas le flanc lacritique, 5 1 c'est cet ensemble complexe de traits que la Cour de Luxem-bourg a qualifi, notamment dans l'avis 1/91 du 14 dcembre 1991, decharte constitutionnelle d'une communaut de droit . 52 Mais, pour avoirdes aspects constitutifs ou, si l'on veut, constitutionnels, ils n'en rpo ndentpas moins, en tous points, la dfinition des traits la plus communmentreue en droit international, celle, par exemple, que l'on trouve dans l'article2, paragraphe 1(a), de la Convention de Vienne sur le droit des traits du 23mai 1969 :

    L'expression trait s'entend d'un accord conclu par crit entre Etats et rgi parle droit international, qu'il soit consign dans un instrument unique ou dans deuxou plusieurs instruments connexes.En accord avec les principes les plus classiques et les mieux tablis du droitinternational, de tels traits entrent en vigueu r, conformm ent leurs disposi-tions, aprs que les Etats parties ont exp rim leur consenteme nt tre lis

    4 9

    Affaire 7/54, Industrie sidrurgique luxembourgeoise, Rec . 1956, 55 .

    50

    Cf . affaire 9/56, M eroni, Rec . , 1958, 9 et affaire 13 /60, C om ptoirs de vente de charbon dela R uhr, R ec . 1962, 165.

    51

    Voir infra le texte correspondant la note 151 .52

    Rec . 1991, I-610 2 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    19/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    13en l'espce par la ratification. C'est donc la suite d'un processus parfaite-ment orthodoxe de droit international que les Communauts ont t cres.Pour banal que ce soit, ceci doit tre soulign : elles ne doivent rien lagnration spontane ; ce sont des crations juridiques et, plus prcisment,du droit international . Elles ne relvent pas du fait, mais du droit.M me si le mom ent n'est pas encore venu de com parer les Com munauts la forme tatique, 5 3 cette vidence fond am entale suffit tablir leur naturenon tatique . Certes un Etat peut, en apparence, tre issu d'un trait et l'onpeut penser cet gard la cration de la Belgique en 1830 . Mais ce n'estjamais du trait que l'Etat tire son existence juridique . Il est un sujet de droitparce qu'il existe en fait . Comme l'a rappel rcemment la Commissiond'arbitrage pour la Yougoslavie (Com mission B adinter) dans son avis n1du 29 novembre 1991, l'existence ou la disparition de l'Etat est une ques-tion de fait . 54 Du moment qu'une entit rpond la dfinition de l'Etat,c'est un Etat; les conditions de sa cration n'importent pas.

    Cette analyse est videmm ent inapplicable aux Com mu nauts . Alors quel'existence de l'Etat s'impose au droit international, celle des Communautsen dcoule . Elles procdent de celui-ci, de la volont des Etats parties auxtraits originaires telle que le droit international l'organise et en rglementel'expression.

    La Cour de Justice s'est du reste constamment montre tout faitconsciente de ce caractre fondamental . En premier lieu, on l'a vu, 5 5 dans sesarrts de 1963 et 1964, les arrts fondateurs dont dcoule toute laconstruction de l'autonomie du droit communautaire, elle a insist sur l'ori-gine conventionnelle des Communauts, point que la doctrine communau-tariste militante se garde de souligner. Ensuite, dans tous les cas o c ela luiparat utile, elle n'hsite pas se rfrer la ratification des traits par lesEtats mem bres, leur rappelant ainsi leurs obligations et le fondem ent conve n-tionnel de celles-ci . Ainsi, dans son ordonnance du 2 2 juin 19 65 rendue dansl'affaire des Aciries San Michele, 56 elle rappelle l'Italie qu'elle est en-gage par le trait CECA qu'elle a rgulirement sign et ratifi ; de tels rap-pels sont constants dans les arrts rendus en matire de responsabilit pourmanquem ents . Le juge Pescatore, qui donne ces exemp les 5 7 en ddu it que lestraits ont, de ce fait, amen la cration des rapports juridiques apparen ts ceux du droit international . 58 Pas du tout! ce ne sont pas des rapportsapparents ceux du droit international Ce sont des rapports de droitinternational, pour une raison, encore une fois, toute bte et sur laquelle il53

    Voir infra I I .A.

    54 RGDIP (1991) 264.5 5

    Voir supra le texte correspondant aux notes 8 15 .5 6

    Affaire 9/65 , Rec 1965, 35.

    57 L 'ordre juridique des Com m unauts europennes, supra note 27, 124-5 .5 8

    Ibid ; les italiques sont ajoutes .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    20/77

    214ALAIN PELLETest superflu de gloser indfiniment, parce que la cration des Communautsest la manifestation juridique et le rsultat de l'expression de la volont desEtats parties aux traits de les crer sur le plan international.Ceci tant pos, et trop vident pour pouvoir tre srieusement mis endoute, on ne peut chapper la question, rebattue mais jamais totalement r-

    solue de la rvision des traits constitutifs, qui vient nouveau de rebondiravec l'avis 1/91 sur l'EEE . Ce que les Etats ont fait par la conclusion detraits des p lus classiques formellem ent, peuven t-ils le dfaire?

    2 . La rvision des traitsLes donnes du problme sont bien connues : les traits contiennent desclauses spciales de rvision ; ces modalits sont, dornavant, fixes l'arti-cle N du Trait sur l'Union europenne ; elles font intervenir le Conseil, leParlement et, le cas chant, la Commission et le Conseil de la Banque cen-trale europenne, et, si les modifications sont adoptes par une confrencedes reprsentants des Etats mem bres, les amend em ents entreront en vigueuraprs avo ir t ratifis [toujours une proc dure typique du droit international]par tous les Etats membres conformment leurs rgles constitutionnellesrespectives. La question est de savoir si l'on pourrait passer outre ces dis-positions.

    On peut d'ailleurs signaler que ceci s'est produit deux reprises dans lepass puisque, en 1956 et en 1957, le trait CECA a t modifi, sur despoints, il est vrai, relativement secondaires, la suite d'une procdure nerespectant pas les rgles poses par le trait de Paris . Les auteurs se bornenten gn ral voir dans ces prcden ts des ngligences 59 ou des pchs dejeunesse . 6 0 Soit! Mais la question mrite tout de mme que l'on s'y arrtequelques instants ; comme la jeunesse, la maturit peut avoir droit sespchs!

    Compte tenu de ce qui prcde, il parat vident qu'il s'agit l d'un pro-blme de pur droit international public et pas du tout d'un problme propreau droit communautaire : les traits communautaires sont, d'abord, destraits ; comme tels ils sont, dans leur vie et jusque dans leur mort, soumis l'application de cette branche, matriellement constitutionnelle, du droitdes gens qu'est le droit des traits.

    A cet gard, un argument parat devoir tre cart d'emble : celui tir dela jurisprudence de la Cour de Justice . Il est tout fait exact que l'on peut endduire que, selon la juridiction de Luxembourg, les traits peuvent tre

    59

    Ganshof van der Meersch, L'ordre juridique des Communauts europennes et le droitinternational, 148 R dC (1975-V) 47.60

    Cruz Vilaca, Y a-t-il des limites matrielles la rvision des traits instituant lesComm unauts europennes?, CDE (1993) 19 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    21/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    15

    modifis, exclusivement, par recours aux procdures conventionnellementprvues . D e son point de vue, la Cour a certainement raison : gardienne de lalgalit communautaire, elle a pour charge de faire respecter les traitsoriginaires . De mme que l'on imagine mal la Cour constitutionnelle d'unEtat donnant par avance sa bndiction une violation de la constitution, dem me, il est peu conce vable que, face une disposition claire des traits etl'article N est sans ambigut , la Cour de Justice vienne proclamer paravance q ue sa violation serait sans consquen ce aucune .

    Il faut toutefois constater que, dans les quelques affaires dans lesquelleselle a pris position, la Cour n'tait pas confronte la seule hypothse quipose rellement problme, celle de 1'acte contraire, c'est--dire d'un traitentre Etats membres modifiant les traits constitutifs, mais de prtenduesmodifications rsultant du droit driv (directive, rsolution du Conseil oupratique institutionnelle) . On peut penser surtout aux affaires Manghera, 6 1Defrenne6 2 ou Roy aume-U ni c . Conseil . Encore faut-il noter en passant que,dans ce dernier arrt, du 23 fvrier 1988, la Cour affirme que les traits nesont la disposition ni des Etats membres, ni des institutions elles-mmes 6 3 mais que, dans l'avis 1/91, 64 elle oublie de s'appliquer ce sageprcepte elle-mme puisqu'elle voit dans l'article 164 du trait CE l'un desfondements mmes de la Communaut, non susceptible de modificationsur la base du troisime alina de l'article 2 38 , alors que le Trait ne com por-te pas une telle restriction . 6 5

    Quoi qu'il en soit, il est plus que probable que la Cour s'inclinerait face une rvision opre dlibrment par la procdure de l'acte contraire, demme que le Conseil constitutionnel franais, plac devant le fait accomplide l'lection du prsident de la Rpub lique au suffrage universel la suite dela rvision constitutionnelle de 1962, introduit la suite d'un rfrendumconstituant dont la validit au regard de la Constitution de 1958 tait pour lemoins douteuse, s'est inclin et a estim ne pouvoir censurer ni cette r -forme, 66 ni les lections subsquentes . Ceci est probablement justifi juri-diquement si l'on veut bien admettre la distinction, classique en droit consti-tutionnel, entre pouvoir constituant institu et pouvoir constituant originaire.Certes, la rvision des traits par un acte contraire constituerait, comme on

    61 Affaire 59/75, Rec 1976, 91.62 Affaire 43/75 , Rec 1976, 455 .63 Affaire 68 /86, Rec 1988, 855 .64 Supra note 20 .65 Il est vrai que, dans l'avis 1/92, la Haute Juridiction a sembl admettre qu'une telle rvi -sion, fonde sur l'article 23 6 du trait CE serait valable ( Rec . 1992, I -2821) .66 Dcision du 6 novembre 1962, Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel (1962)27.

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    22/77

    2 16ALAIN PELLETl'a crit, un acte rvolutionnaire, 6 7 ma is qui pourrait nier que la rvolutionprodu it des effets juridiques? c'est m me sa raison d'tre!Au demeurant, ceci ne rsout qu'imparfaitement le problme : il en rsu ltesimplement que la Cour de Justice ne pourrait pas et, probablement, qu'ellene devrait pas, censurer une rvision intervenue dans de telles conditions . Ilfaut en effet sortir du cadre de l'ordre juridique communautaire dans lequelon s'est situ jusqu' prsent et examiner le problme au regard du droit in-ternational puisque les traits constituent le lien entre ces deux ordres juri-diques distincts et autonom es.

    Quid donc si, comme on le doit, on raisonne au regard du droit interna-tional? Il doit tre entendu d'emble qu'il ne s'agit pas d'appliquer ici ledroit des traits en gnral . Contrairement aux affirmations de ses dtrac-teurs, le droit international n'est pas fait d'un seul bloc ; ses rgles sont adap-tes aux diffrentes situations qui se prsentent et il ne saurait tre questionde tenir les actes constitutifs des organisations internationales 68 pour destraits ordinaires, si bien que les rgles de la Convention de Vienne de1969 ne leur sont pas automatiquement et globalement applicables . Commele prcise expressment l'article 5 de cette Convention, celle-ci s'applique tout trait qui est l'acte constitutif d'une organisation internationale [ . . .] sousrserve de toute rgle pertinente de l'Organisation ; et, comme le prcisel'article 2, paragraphe 1(j) d'une autre Convention de Vienne, celle de 1986sur le droit des traits conclus par les organisations internationales,l'expression `rgles de l'organisation' s'entend notamment des actes consti-tutifs de l'organisation . L'article N du trait de Maastricht en fait donc in-discutablement partie.

    Il parat assez logique d'en tirer la consquence que, sauf improbablechangement fondamental de circonstances, qui conduirait carter l'applica-tion de l'article N, le recours au droit international ne perm et pas de lgitimerle procd de l'acte contraire . Ainsi, le droit international vient au secoursdes thses com mu nautaristes les plus rigides . . .

    Il faut cependant bien voir ce que ce raisonnement a de trs formel.D'une part, il est trs improbable que le problme se pose concrtement 69 et,d'autre part, si cela se produisait, ce manquement (au regard tant du droitcommunautaire que, par voie de consquence, du droit international, qui yrenvoie) ne pourrait pas tre sanctionn : pour les raisons indiques ci-dessus,la Cour de Justice devrait s'incliner devant le pouvoir constituant origi-naire et le droit international n'offre pas de mcanismes de contrle crdi-bles qui, au demeurant, ne seraient, de toutes manires, pas actionns67 Bernhardt, Les sources du droit communautaire : la `constitution' de la Communaut,

    Commission des Communauts europennes, 30 ans de droit communautaire , coll.Perspectives europennes (198 2) 8 1.68

    Catgorie dont relvent les traits comm unautaires ; voir infra, chapitre II.69

    Voir G . Isaac, supra note 4, 124 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    23/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    17puisque, par hypothse, tous les Etats membres seraient d'accord . Quant une modification par un trait conclu entre certains Etats membres de laCom mu naut seulemen t, elle ne serait, assurment, pas opposable aux autresEtats membres et engagerait la responsabilit des Etats signataires leurgard . 70Il semble donc lgitime de conclure que le recours au procd de l'actecontraire se justifie, finalement, davantage en vertu du droit communautaire(par le recours la thorie du constituant originaire eu gard la natureconstitutionnelle des traits constitutifs) qu'au regard du droit interna-tional, mais que la v iolation de celui-ci n'aurait pas de c onsquenc es concr-tes . N'en dplaise aux militants les plus sectaires d'un communautarismetroit, le droit international n'en offre pas moins le terrain thorique le plussolide pour exclure la validit de l'acte con traire . ..

    3 . L e com plexe du Jiv aroConcluant un colloque organis en 1992 par le Centre de droit internationalde Nanterre (CEDIN) sur Les accords de Maastricht et la constitution del'Union europenne, 7 1 le professeur Denys Simon dnonait le Jivarointellectuel consistant essayer par tous les m oyens de rduire le contenu etl'enjeu du Trait de Maastricht . 72 Cette mise en garde vaut, videmment,pour l'ensemble du droit communautaire en ce sens que ce n'est pas parceque toute la construction communautaire trouve son fondement dans le droitinternational qu'elle est banale, ou anodine.

    Il serait tout fait inappropri et, vrai dire, parfaitement stupide, deprendre prtexte de la fondation des Communauts par des traits pour ennier l'originalit et d'abord pour une raison trs simple : le trait est uneforme neutre, en principe indiffrente son contenu . On distingue tradition-nellement l'instrumentum, qui est le support formel du trait, du negotiumqui en est la substance, l'objet mme . Mais alors que l'instrumentum faitl'objet de rgles relativement prcises quoique souples du droit interna-tional, le negotium est presque entirement laiss la discrtion des parties.En d'autres termes, le trait est un moyen juridique la disposition des Etatspour raliser les objectifs qu'ils se fixent, mais ces objec tifs, et les moyens deles atteindre, peuvent tre fixs peu prs sans limites.

    A cette libert, le droit international ne fixe qu'une borne, le fameux juscogens, que l'article 53 de la Convention de Vienne de 1969 dfinit commeles norme s impratives du d roit international gn ral, acceptes et reconnue spar la communaut internationale des Etats dans son ensemble en tant que

    70

    Cf l'article 41 de la Convention de Vienne de 1969.

    71

    M .F . Labouz (d . , 1992 ) 241p.72

    Ibid. , 214 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    24/77

    2 18ALAIN PELLETnormes auxquelles aucune drogation n'est permise. Mais, quoi qu'ait pu endire, jadis, l'Union Sovitique, les traits communautaires ne contiennent l 'vidence aucune disposition contraire une norme de ce type.Ils comportent, en revanche, indiscutablement, des trangets, des

    bizarreries, par rapport aux ralisations habituelles du droit international ; etl'on peut y voir, en ce qui concerne la plupart d'entre elles, des avancesconsidrables . Le problme sur lequel le professeur O'Keeffe a centr, cetteanne, son cours gnral l'Acadmie, la place de l'individu dans le droitcommunautaire, constitue d'ailleurs un lment essentiel de cette originalitprofonde et fconde . Mais il y a en a bien d'autres, que l'on pense, parexemple, l'importance de l'auto-production lgislative de la Commu-naut ; 7 3 au rle tout fait extraordinaire par rapport aux juridictions inter-nationales de type classique, que joue la CJCE dans la vie du droit commu-nautaire et qui se traduit, notamment, par l'importance, exceptionnelle, ducontentieux de la lgalit et par ses rapports directs avec les juridictions na-tionales, 7 4 qui contraste avec le caractre embryonnaire et consensualiste durglem ent obligatoire des diffrends dans l'ordre international ; l'ignorance,par le droit communautaire, du principe, fondamental en droit internationalgnral, de l'puisement des recours internes ; 7 5 la responsabilit commu-nautaire, organise et effectivement sanctionne ; ou aux institutions juridi-ques, trs remarquables, que sont l'effet direct et la primaut du droitcommunautaire.

    Toutefois, ces traits spcifiques encore une fois, profondment origi-naux par rapport ce dont on a l'habitude en droit international doiventtre quelque peu relativiss en ce sens qu'ils ne sont pas tous, loin de l, detotales nouveauts . Ce sont m oins les innovations du droit comm unautaire enelles-mmes qui frappent l'internationaliste que la massivit des particu-larits qui le carac trisent et leur runion . Par exemple : les Comm unauts nesont pas les seules organisations internationales disposer d'un pouvoir dedcision obligatoire l'gard de leurs Etats membres ; l'Organisation del'aviation civile internationale (OACI), l'Organisation mondiale de la sant(OMS) ou, de faon plus spectaculaire, le Conseil de scurit dans le cadredu c hapitre VII de la Charte des N ations U nies, en disposent galement maisseulement dans des domaines restreints 76 ou, comme l'OCDE, desconditions procdurales extrmement strictes . De mme, la Convention eu-ropenne des droits de l'homme qui est antrieure la CECA ouvre pluslargement le prtoire de la Commission et, en fait, de la Cour aux individus

    73

    Ganshof van der Meersch, supra note 59, 33 ou P. Pescatore, L'ordre juridique, supranote 27, 13.74

    J.-V. Louis, supra note 35 , 38.

    75

    Ganshof van der Meersch, supra note 59 , 20 7.76

    Encore que le Conseil de scurit largisse considrablement le champ de son interven -tion obligatoire depuis la fin de la guerre froide .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    25/77

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    26/77

    220ALAIN PELLETComme la Cour de Karlsruhe l'a rappel dans son arrt du 12 octobre 1993relatif la constitutionnalit du Trait sur l'Union europenne, l'intgrationeuropenne, pour originale qu'elle soit est un fait du droit international pub-lic . 80Dans un article clbre, le doyen Vedel mettait en lumire les basesconstitutionnelles du droit administratif 8 1 et il y montrait avec brio quetoute l'analyse de cette branche du droit franais, dont nul ne songe nierl'originalit, devait tenir compte de ce fondement . La mme chose vaut,m utatis m utandis, pour le droit communautaire : ancr dans le droit des gens,il n'en prsente pas moins des traits profondment originaux ; mais ceux-cin'existent que du fait de ce fondement juridique international, et c'est lalumire de ces bases internationales que le droit communautaire doit, oudevrait, tre analys et pens quitte, lorsque cela est ncessaire, porter unregard critique sur la jurisprudence de la Cour de Luxemb ourg.

    Lorsque l'on s'y essaie et ce sera l'objet des deux autres chapitres de cecours , on s'aperoit d'ailleurs que cette jurisprudence se laisse plus facile-ment apprhender que l'on pouvait le penserprima facie par une analyse in-ternationaliste si, du moins, l'on veut bien ne pas avoir du droit internationalune vision trique et souvent obso lte et caricaturale.

    80 EG.Z . (1993) 4 2 9 ; voir le commentaire de J . S chwartze, Rev ue du M arch comm un et del'Union europenne (1994) 2 9 3 - 3 0 3 , notamment 3 0 0 .8 1

    8 Etudes et documents du Conseil d'Etat (1954) 21 et s . ; galement reproduit in Pages d edoctrine, LGDJ, Paris (1980 ) 129-76.

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    27/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    21Chapitre II

    La Com m unaut comm e organisation internationaleDans le trs remarquable article qu'il a publi dans la revue Droits en 1991,le Professeur C harles Leben , relanant la querelle, jamais teinte, relative lanature juridique de la, ou des, Com munaut(s) europenne(s), crit:

    ou bien les rapports entre Etats membres de la Communaut ne sont plus du toutrgis par du droit international et on se situe alors au sein d'un Etat fdral, lesrelations entre entits composantes tant rgies par du droit interne et de faonultime par une Constitution, ce que personne ne peut soutenir s'agissant desCommunauts, ou bien les rapports entre Etats membres sont effectivement gou-verns par les traits qui ont institu les Communauts et, quel que soit le particu-larisme de ces traits et le particularisme de l'interprtation qu'en donne la Courde Luxem bourg, ils demeuren t videmment dans la sphre juridique interna-tionale, 82

    et les Com mun auts sont et ne peuvent tre quedes organisations internationales comme les autres . 8 3

    Toutefois, comm e l'ont relev d'minents auteurs, infiniment plus autoriss parler des Communauts que l'auteur de ce cours d'humeur, comme MM.Ganshof van de Meersch84 ou Vlad Constantinesco, 8 5 il n'est pas videntqu'il faille ncessairement se laisser enfermer dans le dilemme Etat ou or-ganisation internationale . A prs tout, la form e organisation internationaleest une invention relativement rcente du droit international et, depuis lors,d'autres sujets de droit, les peuples, les mouvements de libration nationale,les individus, sont apparus sur la scne juridique internationale . De plus,com me l'a rappel la Cour internationale de Justice, dans son avis consultatifdu 11 avril 1949, [1]es sujets de droit, dans un systme juridique, ne sontpas ncessairement identiques quant leur nature ou l'tendue de leursdroits, 8 6 et l'on pourrait fort bien envisager que, tout en relevant du droitinternational et elles en relvent , les Com munauts constituent l'amorced'une nouvelle catgorie de sujets du droit international ; ni Etat, ni organisa-tion internationale ; autre chose . ..

    On peut l'envisager; mais il faudrait pour cela qu'elles ne soient ni uneentit tatique ni une organisation internationale, car on voit mal l'intrt

    82

    A prop os de la nature juridique . . ., supra note 26, 64.83

    I b i d .84

    L'ordre juridique . .. , supra note 59 , 38.85

    Comptences et pouvoirs dans les Communauts europennes, LGDJ, Paris, 1974,chapitre prliminaire, 7-86.86 Rparation des dom m ages subis au service des Nations Unies, Rec . 1949, 178 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    28/77

    222ALAIN PELLETd'inventer de nouveaux sujets du droit des gens si les catgories existantes,maintenant bien tablies et rpertories, permettent d'accueillir notre objet,pour l'instant non identifi . Ds lors, on l'aura devin, ce chapitre necomp ortera que deux sections ; car, s'il est trs clair que les Com mu nauts nesont pas des Etats, il n'est pas moins clair qu'elles prsentent toutes lescaractristiques d'une (ou plusieurs) organisation(s) internationale(s) mmesi, ici encore, leurs traits spcifiques son t tout fait vidents.

    A . L'absence de caractre tatique, ft-il fdral, des C omm unautsLes Communauts ne sont ni un, ni des Etats . D'emble, la chose parat sividente que l'on peut se demander s'il est bien ncessaire de le dmontrerau risque d'enfoncer des portes largement ouvertes . A la rflexion, la pr-caution n'est, cepend ant, pas aussi superftatoire qu'il peut sem bler car, aussivident et largement admis que cela soit, il se trouve encore des communau-taristes pour affirmer, non pas, certes, que la Communaut est un Etat maisqu' dfaut de l'tre, elle en prsente certains traits . Ce n'est pas exact.

    L'Etat est certainement l'un des objets les mieux identifis du droit inter-national et si la question de la souverainet demeure au centre de quelquescontroverses, les internationalistes peuvent sans doute s'accorder sur la dfi-nition minimale et d'un classicisme de bon aloi donn par la Commissiond'arbitrage pour l'ex-Yougoslavie dans son avis n1: L'Etat est commun-ment dfini comme une collectivit qui se compose d'un territoire et d'unepopu lation soum is un pouvoir politique orga nis et qui se caractrise parla souverainet . 87 Il est clair que la Communaut ne rpond pas cette d-finition, tandis qu'au contraire les Etats membres, malgr les limitations im-portantes de leurs comptences et non de leur souverainet qui rsultede leur participation aux Communauts, demeurent des Etats dans toute laplnitude qu'a le terme e n droit international.

    1 . L es Com m unauts ne sont pas des EtatsIl n'est pas douteux que les pres-fondateurs des Communauts avaient envue une vritable intgration communautaire . Dans l'esprit de RobertSchuman, de Jean Monnet, d'Adenauer ou de De Gasperi, l'approche fonc-tionnelle devait dboucher sur une vritable fusion des souverainets dontaurait rsult un nouvel Etat, probablement fdral, successeur des six Etatsoriginaires . Il ne parat pas douteux non plus que, comme l'crivait M.Dagtoglou dans l'important ouvrage publi en 1982 sous l'gide de laCommission, 30 ans de droit communautaire, que cette perspective reste

    87 29 novembre 1991, RGDIP (1992) 264 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    29/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    23srement ouverte 8 8 m me si elle semble de plus en plus lointaine . C'est ellequi est l'origine des thses fdralistes brivement voques dans lechapitre prcdent . 8 9 Mais si celles-ci sont, assurment, admissibles commeexpression d'un espoir politique, elles ne le sont certainement pas en tantqu'analyses scientifiques et, comme l'crit le Professeur VladConstantinesco,

    [flaire dpendre la nature juridique actuelle d'une institution de ce qu 'elle serapeut-tre un jour, en caractriser les instruments actuels par leur avenir probablen'est pas seulement inexact, mais aussi dangereux . Aussi, l'approche fonction-nelle [et la thse fdraliste en est une drive] tombe-t'elle sous le coup des cri-tiques que l'on peut adresser tout finalisme : poser le sollen au sens impratif ettemporel, et analyser sa lumire le sein . 9 0

    Or, comme le rappelait galement M. Dagtoglou, en tout tat de cause, iln'est pas contest que la Communaut n'tait l'origine ni n'est devenueultrieurement, ni ne deviendra par ncessit juridique ou par automaticitpolitique un Etat fdral . 9 1 Le fdralisme renvoie ncessairement et invi-tablement l'Etat ; faute de quoi il se dilue l'excs et perd tout caractreoprationnel et en vient dsigner tout mouvement de coopration inter-tatique aussi bien qu'infra-tatique 9 2 et l'ide d'un fdralisme interna-tional 9 3 n'a pas grand sens . Or, ni les Communauts, ni l'Union, ne rpon-dent la dfinition de l'Etat com mu nm ent adm ise en droit international . 94

    Analysant la nature juridique de l'Union europenne, M . AstrisPliakos croit pouvoir dceler l'existence de trois lments constitutifs del'Etat . 95 Elle est, vrai dire, trs douteuse . Certes, on peut assez bien dfinirle territoire de la Communaut ou de l'Union, compos de l'ensemble desterritoires des Douze ; encore que , si l'on entre dans les dtails, cette affirma-tion doive tre qualifie et nuance il suffit de penser cet gard aux lesFro, au Groenland ou aux territoires franais d'outre-mer . L'existenced'une population au sens que le droit international donne ce terme est en-core beaucoup plus problmatique ; certes, on peut, ici encore, songer

    88 Dagtoglou, La nature juridique de la Communaut europenne, Commission desCommunauts europennes, 30 ans de droit communautaire, coll . Perspectives europ -ennes (1982 ) 38.89 Voir supra le texte correspondant aux notes 24 26. Dans un ouvrage rcent, leProfesseur G . Soulier analyse la Communaut comme un Etat fdral minimum

    (L'EuropeHistoire, civilisation, institutions (1994) 3 56 et s .).90 Supra note 85, 63 .9 1

    Supra note 88 , 38 .92

    En ce sens, Ganshof van der Meersch, supra note 59, 89 ; voir aussi Leben, supra note 26,62 et s.93 Cf P . Pescatore, Droit international et droit communautaire, supranote 2 7, 10-11 ; voiraussi T. Daups, L'ide de constitution europenne , thse Paris X, Atelier national et re-production de th ses, Lille (1995) 91 et s . et 234 et s.

    94

    Voir supra le texte correspondant la note 87 .95

    RIDE (1993) 1 92 et s .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    30/77

    224ALAIN PELLETdfinir la population communautaire comme l'ensemble des ressortissantsdes Douze, mais cela se heurte tout de mme un certain nombre d'objec-tions fondamentales.A vrai dire, les internationalistes sont ou, en tout cas, ont t profond-ment diviss sur la dfinition de la composante humaine de l'Etat . A la

    concep tion objective, fonde sur le lien, purem ent juridique, de la nationalit,s'est oppose l'approche subjective, traduite par l'ide de nation, rved'avenir partag (E . Renan), fond sur des souvenirs communs . Les excsde cette dernire conception, qui ont trouv leur point d'orgue dans lesthories raciales nazies, ont conduit l'abandonner largement. Mais, mmedans cette perspective, il est pour le moins os d'affirmer l'existence d'unenation communautaire, dont on a dit que [c]e serait pourtant l le vrita-ble et ncessaire symptme du fdralisme96 et les rcentes lections euro-pennes (juin 1 99 4) ne laissent pas grand espoir de ce ct.

    Pas beaucoup d'espoir non plus du ct de la thse objective . Certes, lesarticles 8 8 E insrs par le trait de Maastricht dans le trait CE instituentune c itoyennet europenne qui a, com me l 'ont crit les professeurs Kovaret S imon, une valeur fortement em blmatique 97 et dont dcou lent pour lescitoyens de l 'Union un certain nom bre de droits et de devoirs des droitsplus que des devoirs, d'ailleurs . Mais l'article 8 nouveau dfinit le citoyen d el'Union comme toute personne ayant la nationalit d 'un Etat membre et,com me le rappellent expressmen t tant la D claration relative la nationalitd'un Etat membre annexe au Trait sur l'Union europenne que la dcisiondu Conseil europen d'Edimbourg du 11 dcembre 1992 concernant certainsproblmes soulevs par le Danemark propos du trait de Maastricht, laquestion de savoir si une personne a la nationalit de tel ou tel Etat membreest rgle uniquement par rfrence au droit national de l'Etat concern, cequ'a confirm la Cour de Justice . 9 8 Ni l'Union, ni la Communaut n'ontdonc comptence pour dfinir la consistance de leur population et il estbien difficile de la considrer, ds lors, comme un lment constitutif del'une comme de l'autre de ces entits.

    Toutefois, ce sont srement les problmes poss par le troisime l-ment, le pouvoir politique organis qui sont les plus dlicats . Il n'est pasdouteux que la Communaut dispose d'un certain pouvoir politique . Tel estaussi le cas d'un trs grand nombre d 'entits infra-tatiques aussi bienqu'inter-tatiques: une comm une, un dpartement, un Etat mem bre d'un Etatfdral disposent, eux aussi, d'un tel pouvoir politique organis et, pourtant,ce ne sont pas des Etats au sens du droit international, pas davantage que lesorganisations internationales qui, elles aussi, bnficient toujours, peu ou96 Supra note 26, 92 .97

    Kovar et S imon, La citoyennet europenne, CDE (1993) 286.98

    Affaire C-369/90 , M icheletti et as. c. Delegacion del Gobierno en Cantabria, Rec . 1992 ,I-4239 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    31/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    25prou, d'un certain pouvoir politique propre . C'est que les lments constitu-tifs sont des conditions ncessaires l'existence de l'Etat au regard du droitinternational, mais ce ne sont pas des conditions suffisantes . Pour que l'onsoit en prsence d'un Etat, il ne suffit pas que ces lments existent, il fautencore qu'ils s'agencent d'une manire particulire ; c'est ce que l'on traduiten termes juridiques en disant que le critre de l'Etat est la souverainet qui,par dfinition mme, ne se divise pas, si bien que ds lors que les Etatsmembres demeurent pleinement souverains, la Communaut ne l'est pas etne peut, en con squence, aucun titre, prtendre la qualit d'Etat.

    2 . L a souverainet des Etats m em bres dem eure intacteM. Jacot-Guillarmod qui, sur ce point galement 99 fait cho aux thsessoutenues par le juge Pescatore, 1 0 0 estime que les communautaristes et lesinternationalistes partent de prmisses divergentes 1 0 1 en ce qui concerne leconcept mme de souverainet . C'est en partie vrai car la plupart des in-ternationalistes prouvent de grandes difficults admettre les concepts desouverainet limite ou de souverainet partage, trs en vogue parmiles communautaristes . Encore faut-il, ici encore, ne pas caricaturer la posi-tion des spcialistes de droit international en ce do ma ine.Selon M. Pescatore, ceux-ci seraient incertains sur le concept mme desouverainet de l'Etat et n'en offriraient aucune thorie coh rente . 1 0 2 Certes,il existe des nuances d'un auteur l'autre, voire mme d'une dcisionjuridictionnelle ou arbitrale une autre, mais, quoiqu'en pensent les commu-nautaristes extrmes, les internationalistes s'accordent pour considrer:1. pour reprendre le clbre dictum de Max Huber dans l'arbitrage de l'ledes Palmes de 1928, que la souverainet dans les relations entre Etats

    signifie l'indpendance ; 1 0 32. qu'ainsi dfinie, la souverainet con stitue le critre mm e de l'Etat ; et,3. qu'il n'en rsulte nullement une illimitation du pouvoir de l'Etat, dontl'existence est indissociablement lie celle des autres Etats, ce qui im-plique qu'ils sont lis par les rgles du dro it international.M . Pescatore semble imputer aux internationalistes d ' en tre rests laconception absolue de la souverainet de Jean Bodin ; c'est ngliger le fait,pourtant difficilement discutable, que, sur ce point comme sur bien d'autres,la doctrine internationaliste, sous rserve de quelques regrettables exceptions,a chang avec, d'ailleurs, la socit internationale.

    99

    Voir supra le texte correspondant aux notes 36 4 4.

    10 0 Supra note 40, 501 .101 O. Jacot-G uillarmod, supra note 42, 251 .10 2 Supra note 40 , 5 01 .103 Sentence du 4 avril 1928, II Recueil des sentences arbitrales, 838 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    32/77

    226ALAIN PELLETPour la trs grande majorit des internationalistes contemporains, la sou-verainet n'est donc, en aucune manire, une doctrine de l'illimitation dupouvoir tatique . Elle signifie simplement que l'Etat, qui ne se reconnat pasde suprieur, a des gaux . A ce titre, il est le titulaire originaire du maximumde comptences compatibles avec celles, gales, dont bnficient les autresEtats . Ce ci a plusieurs consquences sur lesquelles il n'est ni utile ni possibled'insister ici sauf signaler qu'il en rsulte une prsomption de comptencede l'Etat dans la sphre internationale . Mais cette prsomption est trs loind'tre irrfragable . Elle flchit en particulier dans deux cas : d'une part, sil'exercice d'une comptence revendique par un Etat est incompatible avecla comptence, par dfinition gale, appartenant tous les autres Etats (c'estla consquence du principe, fondamental, de l'galit souveraine) 104 et,d'autre part, si l'Etat, volontairement, dcide de renoncer l'une des comp-tences que lui reconnat le droit international et c'est, pour notre problm e, lepoint essentiel.

    Le m oyen le plus habituel par lequel l'Etat renonce ses com ptences estla conclusion d'un trait et, comme l'a expliqu avec beaucoup de rigueur etde vigueur la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) dans lepremier arrt qu'elle a rendu, en 1923, dans l'affaire du V apeur W imbledon,[l]a facult de contracter des engagements internationaux est prcismentun attribut de la souverainet de l'Etat . 1 0 5 Autrement dit, en renonant l'exercice de telle ou telle de ses co mptence s par un trait, l'Etat ne renoncepas sa souverainet qui est la source de ces comptences, y compris cellede s'engager internationalement ; bien au co ntraire, il l 'exerce.

    Ce tableau, bross trs grands traits, de la notion de souverainet tellequ'elle est reue en droit international, permet de comprendre pourquoi lathorie de la divisibilit ou de la limitation de la souverainet n'est gure re-cevable, bien qu'elle soit chre de nombreux communautaristes, y comprisceux que, comme M. Ganshof van der Meersch, on peut qualifier demodrs . 1 0 6 En renonant, au profit de la Communaut, certaines deleurs comptences souveraines, les Etats ne renoncent nullement leur sou-verainet ; ils l'exercent (comme ils le font chaque fois qu'ils concluent untrait) . Ils ne remettent pas non plus des bouts de leur souverainet l'Or-ganisation: celle-ci n'est pas divisible ; un Etat n'est pas plus ou moinssouverain ; sa souverainet est le fondement de ses comptences interna-tionales, com me elle l'est aussi de son droit renon cer les exercer.

    Bien entendu, sous la plume des communautaristes extrmes, la thse dela divisibilit de la souverainet, dj irrecevable par elle-mme, prend uneconnotation plus radicale, qui la rend plus inacceptable encore . Ainsi, le104 La conception de la souverainet limite par le droit a pour corollaire une conception deI'Etat limit dans ses com ptences internationales (H . Lesguillons, supra note 24, 61).105 Srie A, n1, 25.106 Cf supra note 26, 199 et s .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    33/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    27Professeur J .-V . Louis estime que la construction com mu nautaire entrane unpartage ou un exe rcice conjoint de la souverainet 1 0 7 et, allant plus loinencore, le juge Pescatore, affirme que le droit communautaire table [ . . .] surla conception d'une souverainet nationale divisible et que les Etats mem-bres ne jouissent plus que de souverainets rsiduelles . 1 0 8 Outre que l'onpeut contester le choix de l'adjectif rsiduel, c'est confondre la souverai-net qui est la source et le fondemen t des comp tences tatiques avec sesconsquences que sont, prcisment, les comptences de l'Etat auxquellescelui-ci peut parfaitement renoncer (en vertu de sa souverainet) etauxquelles, en effet, les Etats membres des Communauts ont renonc dansles matires couvertes par les traits et conformment leurs termes.

    Ici encore, la Cour de Justice a une position infiniment plus modre etraisonnable que la doctrine . Elle n'a jamais qualifi la Communaut desouveraine, 1 0 9 mais parle, ce qu i est tout diffrent, de droits souve rains.Ainsi, ds 1964 dans l'arrt Costa, la Haute Juridiction prcise qu'en institu-ant, par le trait CEE, une Communaut de dure illimite, dote d'attribu-tions propres, de la personnalit, de la capacit juridique, d'une capacit dereprsentation internationale et, plus prcisment, de pouvoirs rels issusd'une limitation de comptence ou d'un transfert d'attributions des Etats,ceux-ci ont limit, bien que dans des domaines restreints, leurs droits sou-verains . . . . 1 1 0 Il n'y a rien redire cela, qui correspond entirement ladistinction entre d'une part la souverainet, qui ne se divise, ni ne se limite,ni ne se transfre, et, d'autre part, les comptences qui en dcoulent quis'analysent en des droits souverains et qui, sous la seule rserve des normesimpratives de jus cogens, peuven t faire librement l 'objet de renonciation, delimitation ou de transfert. La Cour ne s'est jamais, par la suite, dpartie decette vision, en tous points conformes aux analyses internationalistes ladiffrence, on peut le signa ler au passage , de certaines juridictions nationalesqui, emportes par un excs de zle communautariste, n'ont pas hsit, dansdes priodes il est vrai anciennes, parler de pouvoir souverain autonomepour qualifier la Com muna ut . ) l i

    La doctrine a beaucoup glos sur la terminologie utilise par la Cour . Onen a relev le flottem ent en faisant valoir que droits souverains, pouvoirssouverains, comptences ou attributions ne sont pas des notions tout fait quivalentes . 1 1 2 On s'est surtout demand si les mots limitations,

    107 L'ordre juridique communautaire. . . , supra note 35 , 14.108 Supra note 40, 50 7.109 Cf . V . Constantinesco, La Cour de Justice des Comm unauts europennes et le droit in -temational, supra note 22 , 213.110 Affaire 6/64, supra note 12 , 11 41 , italiques ajoutes.111 Cf. le jugement du Tribunal de Milan dans l'affaire Meroni du 24 juin 1964, 4 CMLR

    (1965) 1-9.112 Ganshof van der Meersch, supra note 59 , 203 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    34/77

    228ALAIN PELLETtransferts, renonciations et attributions taient synonymes . 1 1 3 Cen'est certainement pas le cas : un Etat peut renoncer l'une de ses comp-tences ou en limiter l'exercice sans pour autant la transfrer ou l'attribuer ; unexemple particulirement net en est donn par la renonciation progressive l'usage de la force arme dans les relations internationales, sans que l'onpuisse dire que cette comptence tatique traditionnelle a t transfre auxNations Un ies.

    Il n'est pas certain en revanche, qu'il y ait lieu de tirer des consquencesparticulires de ces glissements terminologiques et notamment de la substi-tution du mot attribution au terme transfert . 114 Il est exact qu'aprsavoir utilis plutt le mot transfert, la Cou r a tendance, depuis 19 72 , par-ler de l'attribution opre par les Etats mem bres la Com mu naut de droitset pouvoirs correspondant aux dispositions du Trait . 1 1 5 Mais l'importantest qu'il s'agit l, de toutes manires, d'un mouvement opr volontairementpar les Etats et qui se traduit par le changement de titulaire de certains droitsou de certaines comptences qui, l'origine, appartiennent l'Etat en vertude sa souverainet, et qui, dornavant, sont exercs par la Communaut sansqu'il en soit rsult un ab andon d e la souverainet.

    Plus troublant en apparence est un autre aspect de la jurisprudence de laCour en ce domaine . Il faut, pour le comprendre, une fois de plus, revenir Costa. La Haute Juridiction ne se contente pas, dans son arrt de 1964, deconstater un transfert d'attributions des E tats la Com mu naut, elle ajouteque ce transfert entrane donc [ce donc fait rfrence aux dispositions duTrait] une limitation dfinitive de leurs droits souverains 1 1 6 et, dans sa ju-risprudence ultrieure, elle insiste frquemment sur le caractre total etdfinitif de ce transfert de comptences . 1 1 7 On peut se demander si, du faitdu carac tre dfinitif de c e transfert, on ne doit pas con sidrer que les Etatsont, en ralit, renonc leur souverainet et pas seulement aux comp tencesqui en dcoulent.

    Il n'en est rien. Si le raisonnement valait, il vaudrait aussi pour n'importequel trait conclu pour une dure illimite . Tout trait est, vrai dire, unpige volont : en vertu de rgles bien tablies du droit international, 1 1 8la terminaison d'un trait conclu sans limitation de dure autrement que parl'accord de toutes les parties est extrmement difficile et suppose que soientrunies des conditions qui sont trs rarem ent remplies . A ce point de vue, lestraits communautaires ne limitent pas plus la souverainet des Etats parties

    113 Voir ibid ., 197 ; H . L esguillons, supra note 24, 100 et s ; ou P . Pescatore, supra note 40 ,508-10 .114 Cf J .-V . Louis, supra note 35 , 12.115 Affaire 48/71, Com m ission c . Italie, R ec . 1972, 5 34.116 Affaire 6/64, supra note 12 , italiques ajoutes.117 Cf affaire 804/79, Commission c . Royaume-Uni , Rec . 1981, 1045 .118 Voir les articles 56 et 60 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traits de 1969.

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    35/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    29que n'importe quel autre trait ; autrement dit: ils la laissent entirement in-tacte . Du reste, comme l'a fait remarquer M . Ganshof van der Meersch, lathse de la Communaut dfinitive est source de blocages et va l'encon-tre de l'objectif poursuivi par ses tenants : elle figerait la Communaut danssa forme actuelle et exclurait toute volution vers l'Etat fdral ; cedfinitif doit, bien entendu, tre conu sous rserve d u droit de rvision quipeut aboutir une volution, pour l'instant indtermine, de la nature mmede cette entit . 1 1 9

    La conclusion s'impose d'elle-mme : quelle que soit l'tendue des trans-ferts de comptences raliss par les traits des Etats membres la Commu-naut, les premiers n'ont pas renonc leur souverainet au profit de la se-conde . Ils demeurent donc des Etats au sens plein du terme puisque, on l'avu, 1 2 0 l'identit entre souverainet et forme tatique est totale : toute entitsouveraine est ncessairement un Etat et tout Etat est ncessairement sou-verain.

    Il est nanmoins ncessaire de se poser une question supplmentaire:l'arrt Costa a t rendu en 1964 ; trente ans plus tard, les domaines danslesquels se sont prod uits ce transfert d'attributions et cette limitation c orr-lative des droits souverains des Etats membres par l'effet conjugu descomptences supplmentaires dvolues aux Communauts par l'Acte uniqueet le Trait sur l'Union europenne d'une part, et d'autre part, de la dynami-que communautaire elle-mme, qui s'est traduite par une extension consid-rable, sinon du domaine, du moins des pouvoirs communautaires, notam-ment, mais pas exclusivement, sur le fondement de l'article 235 du trait CEet par le biais, sans doute plus discutable, de la comptence de la Cour . Onpeut ds lors se demander si ce qui tait exact en 19 64 le demeure en 19 94 . Aforce de transfrer les comptences des Etats vers la Communaut, n'envient-on pas transfrer la souverainet elle-mme qui, progressivement, sevide de toute substance puisque les droits souverains, dont elle est la source,ne peuvent plus tre exercs par les Etats . La souverainet en serait alors r-duite n'tre qu'une coq uille vide.

    Il y a l une vraie question laquelle on peut tenter de rpondre en sui-vant une d m arche soit subjective, soit objective.S ubjectivement, on peut se rfrer la problm atique du tas de sable :

    partir de combien de grains de sable est-on en prsence d'un tas? Quand lespassages rpts dans une prairie tracent-ils un chemin? Si l'on pose le pro-blme de cette manire, il n'a pas de solution objective ; tout est affaired ' opinion et je suis, pour ma part, convaincu que la diminution, indniable,des comptences des Etats membres n'a pas atteint le point o la coquilleserait vide . Certes, l'abandon probable des com ptences montaires des Etats11 9 Supra note 84, 79.12 0 Voir supra le texte correspondant la note 87 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    36/77

    2 30ALAIN PELLETenvisag par le trait de Maastricht constitue un lment important de laproblmatique 1 2 1 comme l'a bien vu le Conseil constitutionnel franais danssa dcision du 9 avril 19 92 , qui a considr que, dans son volet montaire, leTrait portait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souverai-net nationale ; 1 2 2 ce qui imposait une rvision de la Constitution ; mais ondoit aussi estimer avec lui qu'il s'agit l d'un transfert de com ptences et nond'un transfert de souverainet . 1 2 3 Il pourrait, peut-tre, en aller diffremmentsi le Trait transfrait la Communaut l'exercice de comptences de l'Etaten ma tire de dfense et de politique trangre m ais c'est prcisment ce quele Trait sur l'Union europenne se refuse faire : tort ou raison, laP .E .S .C . n'est pas communautarise, comme l'a d'ailleurs expressmentrelev la Cour constitutionnelle allemande dans sa dcision 1 2 4 du 2 octobre1993.

    La seconde approche est plus objective, mais conduit la mme conclu-sion : dans une perspective peut-tre plus sociologique que juridique, maisque le droit ne peut ignorer, l'une des caractristiques essentielles de l'Etatest qu'il bnficie du monopole de la contrainte . L'extension des comp-tences de la Communaut dans des domaines toujours plus considrables nes'est pas accompagne d'un accroissement corrlatif de ses pouvoirs d'ex-cution qui lui ont toujours t chichement mesurs . Ceci est visible jusquedans le mcanisme juridictionnel communautaire . Certes, la Cour de Justicedispose, en thorie, de m oyens imp ortants pour faire respecter la primaut dudroit communautaire par et dans les Etats membres mais, concrtement,l'excution de ses arrts suppose toujours que les juges nationaux qui, dansle cadre d e la procdure prjudicielle de l'article 177, en sont les destinatairesles plus habituels, s'y plient ou que les Etats acc eptent de les m ettre en oeuvreeffectivement. Com me le m ontre bien M . Fernand Schockweiler, [i]l est unfait qu'en l'tat actuel de l'ordre juridique communautaire, la violation dudroit communautaire par un Etat membre reste sans sanctions vrita-bles . . . , 1 2 5 l'excution supposant toujours la volont politique de 1'Etatconcern . 126 Et l'institution de sanctions pcuniaires par le paragraphe 2ajout l'article 171 du trait CE par celui de Maastricht ne modifie en riencette situation : le paiement, en dfinitive, dpend lui aussi de la bonnevolont de l 'Etat condamn .

    121 Cf Pliakos, supra note 95, 22 3.122 R ecueil des dcisions du Conseil constitutionnel (1992) 59.123 Sur ce point, la dcision de la Cour constitutionnelle allemande du 12 octobre 1993 estplus ambigu que celle du Conseil constitutionnel franais puisqu'elle n'hsite pas vo-

    quer plusieurs reprises les droits souverains des Communauts et l'exercice encomm un par les Etats mem bres d'lments (?) de leur souverainet (E .G.Z. (1993 ) 429).124 I b i d .125 La responsabilit de l'autorit nationale en cas de violation du droit communautaire,R TDE (1992) 27 .126 L'excution des arrts de la Cour, Mlanges Pescatore, supra note 28 , 635 .

  • 7/22/2019 PELLET - 1997 - Les Fondements Internationaux Du Droit Communautaire

    37/77

    Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire

    31A vrai dire, concrtement, tout ceci n'a gure d'importance car, mme sil'on peut relever, ici ou l, quelques bavures, dans l'immense majorit descas, les Etats finissent par s'acquitter de leurs obligations com munautaires et,

    notamment, par excuter les arrts de la Cour. 1 2 7 Le fait n'en demeure pasmoins : le monopole de la contrainte cette caractristique essentielle del 'Etat reste entiremen t l'apanage des Etats mem bres et le droit com munau-taire, obligatoire, n'est pas plus excutoire que ne l'est le droit interna-tional . Comme on l'a relev, le prsident de la Commission ne pourrait en-voyer des troupes pour faire excuter un arrt de la CJCE alors que le prsi-dent des E tats-Unis peut utiliser la force arm e pour faire respecter les arrtsde la Cour suprme Eisenhower l'a fait, Little Rock en 1959, pour faireexcuter l'arrt Brown de 1964 sur l'interdiction de la discriminationraciale . 1 2 8 A la limite, le Conseil de scurit pourrait, lui aussi, recourir auxsanctions militaires prvues l'article 42 de la Charte des Nations Uniespour ob liger un Etat respecter un arrt de la cu . 1 2 9 Aucun organe commu-nautaire ne dispose d'un tel pouvoir.

    On ne peut, bien sr, que constater l'vidence reconnue par les commu-nautaristes les moins suspects d'internationalisme: la Communaut n'estpas un Etat, ne serait-ce que parce qu'[e]lle n'a pas la force matrielled'imposer sa volont l'un de ses membres . 1 3 0 Le juge Pescatore lui-mm een con vient, dans une form ule o, il est vrai, point le regret : les E tats, crit-il,sont rests au fond des choses souverains malgr le transfert d'importantssecteurs de comptence dans le domaine communautaire . 131 Ceci,d'ailleurs, ressort trs clairement et pas seulement au fond des choses de l'article F, paragraphe 1, du trait de Maastricht : l'Union respectel'identit nationale de ses Etats membres . . . et la