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13 Ann Dermatol Venereol 2005;132:13-6 Articles scientifiques Mémoire original Pemphigoïde cicatricielle : traitement par mycophénolate mofétil S. INGEN-HOUSZ-ORO (1, 5), C. PROST-SQUARCIONI (1), F. PASCAL (2), S. DOAN (3), M.-D. BRETTE (4), H. BACHELEZ (1), L. DUBERTRET (1) Résumé Introduction. La gravité de la pemphigoïde cicatricielle (PC) est variable. Le traitement des formes peu ou moyennement sévères repose sur la dapsone. Dans les formes graves, les bolus de cyclophosphamide sont efficaces, mais parfois mal tolérés et nécessitent des hospitalisations répétées. Le mycophénolate mofétil (MMF), administré par voie orale et bien toléré, a montré son efficacité dans le pemphigus et certaines pemphigoïdes bulleuses. Quelques observations encourageantes ont été rapportées dans la PC. Depuis 2000, ce traitement a été proposé à 14 malades de notre service. Nous avons revu rétrospectivement les dossiers. Malades et méthodes. Il s’agissait de 5 hommes et 9 femmes, d’âge moyen 69 ans. Le MMF était prescrit dans 3 circonstances : en relais immédiat du cyclophosphamide chez 7 malades avec atteinte sévère (groupe I) ; en cas de rechute modérément sévère à distance de l’arrêt du cyclophosphamide chez 3 malades (groupe II) ; comme immunosuppresseur de première intention chez 4 malades dont la PC restait évolutive sous dapsone (groupe III), sans toutefois menace immédiate du pronostic visuel ou vital. Le point commun de ces 3 situations était de chercher à contrôler une maladie de gravité moyenne, par un immunosuppresseur oral et bien toléré, dans le but d’améliorer le confort de vie du malade. La dose de MMF utilisée était de 1,5 ou 2 g/j. Le critère d’efficacité du traitement était l’absence de signes cliniques d’évolutivité de la maladie. Résultats. Le MMF était efficace pour obtenir ou maintenir un bon contrôle de la maladie dans 10 cas sur 14 tant que la dose de dapsone était maintenue à 2 mg/kg/j. Dans 7/10 cas, il était possible dans un deuxième temps de diminuer la dose de la dapsone à des doses mieux tolérées. Dans les 3 autres cas, la maladie rechutait lorsque la dose de la dapsone était diminuée. Dans ces 3 cas, le MMF semblait permettre de passer un cap pour obtenir le contrôle d’une maladie restant évolutive sous dapsone seule, mais n’était pas suffisant à lui seul. Dans 4 cas sur 14, le MMF n’était pas efficace. La tolérance clinique et biologique du MMF était bonne dans 13 cas sur 14. Discussion. Dans cette étude rétrospective sur dossier, le MMF a été proposé à des malades hétérogènes, mais dont le point commun était d’avoir une maladie de gravité modérée et pour lesquels une amélioration du confort de vie était recherchée. Le MMF semble intéressant pour maintenir un contrôle satisfaisant de la maladie et permettre la baisse de la dose de dapsone dans certaines PC de gravité moyenne. L’utilisation de ce médicament ne peut pas remplacer le cyclophosphamide dans des PC graves avec menace du pronostic visuel ou vital. (1) Service de Dermatologie I, Hôpital Saint-Louis, Paris. (2) Service de Stomatologie, Hôpital Saint-Louis, Paris. (3) Service d’Ophtalmologie, Hôpital Bichat, Paris. (4) Service d’ORL, Hôpital Saint-Louis, Paris. (5) Service de Dermatologie, Centre Hospitalier Victor Dupouy, Argenteuil. Tirés à part : S. INGEN-HOUSZ-ORO, Service de Dermatologie, Centre Hospitalier Victor Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel Prudhon, 95100 Argenteuil. E-mail : [email protected] Summary Background. The severity of cicatricial pemphigoid (CP) varies. First- intent treatment of mild or moderate cases is dapsone. In life or sight- threatening cases, intravenous cyclophosphamide pulses are efficient but may have digestive side effects and imply repeated hospitalizations. Mycophenolate mofetil (MMF) is an oral and well tolerated immunosuppressant agent which has proved its efficacy in pemphigus and some bullous pemphigoid. In CP, encouraging case reports have been previously published. We report herein a retrospective study about 14 patients who have received MMF since 2000. Patients and methods. There were 5 men and 9 women, with a mean age of 69 years. MMF was introduced in 3 different clinical situations: immediately in relay to cyclophosphamide in 7 patients with severe CP (group I); in case of a mild-severe relapse at distance from with dranal of cyclophosphamide in 3 patients (group II); as first-intent immunosuppressant agent in 4 patients whose disease was not under control with high-dose dapsone, but not life or sight-threatening (group III). In all these patients, the disease was invalidating and not controlled by dapsone r sulfasalazine, but did not threaten life or sight. The aim was to achieve satisfying control of the disease with an oral and well tolerated immunosuppressant agent, and to maintain good quality of life. The dose of MMF was 1.5 or 2 g per day. The criteria of MMF efficacy was the healing of previous lesions and the absence of new progressive lesions. Results. MMF was efficient in obtaining or maintaining a good control of the disease in 10/14 patients, as long as the underlying treatment with dapsone (2 mg/kg/d) was maintained. In 7/10 cases, it was possible to decrease the dapsone dose in order to improve hematological tolerance. In the 3 other cases, a relapse occurred when the dose of dapsone was decreased. MMF was inefficient in controling the disease in 4/14 patients (29 p. 100). Clinical and biological tolerance of MMF was good in 13/14 patients. Discussion. In this series, MMF was proposed to heterogenous patients, who presented at that time a mild-moderate disease and for whom we wanted in improve the quality of life. MMF seems to be an interesting drug, capable of obtaining or maintaining satisfactory control of the disease and permitting the decrease of dapsone doses in some mild- severe CP. However MMF must not replace cyclophosphamide in severe sight or life-threatening forms of CP. Cicatricial pemphigoid: treatment with mycophenolate mofetil. S. INGEN-HOUSZ-ORO, C. PROST-SQUARCIONI, F. PASCAL, S. DOAN, M.-D. BRETTE, H. BACHELEZ, L. DUBERTRET Ann Dermatol Venereol 2005;132:13-6 The full text of this article is available in English, free of charge, on the Web on: www.e2med.com/ad

Pemphigoïde cicatricielle : traitement par mycophénolate mofétil

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Ann Dermatol Venereol2005;132:13-6Articles scientifiques

Mémoire original

Pemphigoïde cicatricielle : traitement par mycophénolate mofétilS. INGEN-HOUSZ-ORO (1, 5), C. PROST-SQUARCIONI (1), F. PASCAL (2), S. DOAN (3), M.-D. BRETTE (4), H. BACHELEZ (1), L. DUBERTRET (1)

Résumé

Introduction. La gravité de la pemphigoïde cicatricielle (PC) est variable. Le

traitement des formes peu ou moyennement sévères repose sur la

dapsone. Dans les formes graves, les bolus de cyclophosphamide sont

efficaces, mais parfois mal tolérés et nécessitent des hospitalisations

répétées. Le mycophénolate mofétil (MMF), administré par voie orale et

bien toléré, a montré son efficacité dans le pemphigus et certaines

pemphigoïdes bulleuses. Quelques observations encourageantes ont été

rapportées dans la PC. Depuis 2000, ce traitement a été proposé à 14

malades de notre service. Nous avons revu rétrospectivement les dossiers.

Malades et méthodes. Il s’agissait de 5 hommes et 9 femmes, d’âge

moyen 69 ans. Le MMF était prescrit dans 3 circonstances : en relais

immédiat du cyclophosphamide chez 7 malades avec atteinte sévère

(groupe I) ; en cas de rechute modérément sévère à distance de l’arrêt du

cyclophosphamide chez 3 malades (groupe II) ; comme

immunosuppresseur de première intention chez 4 malades dont la PC

restait évolutive sous dapsone (groupe III), sans toutefois menace

immédiate du pronostic visuel ou vital. Le point commun de ces 3

situations était de chercher à contrôler une maladie de gravité moyenne,

par un immunosuppresseur oral et bien toléré, dans le but d’améliorer le

confort de vie du malade. La dose de MMF utilisée était de 1,5 ou 2 g/j. Le

critère d’efficacité du traitement était l’absence de signes cliniques

d’évolutivité de la maladie.

Résultats. Le MMF était efficace pour obtenir ou maintenir un bon

contrôle de la maladie dans 10 cas sur 14 tant que la dose de dapsone

était maintenue à 2 mg/kg/j. Dans 7/10 cas, il était possible dans un

deuxième temps de diminuer la dose de la dapsone à des doses mieux

tolérées. Dans les 3 autres cas, la maladie rechutait lorsque la dose de la

dapsone était diminuée. Dans ces 3 cas, le MMF semblait permettre de

passer un cap pour obtenir le contrôle d’une maladie restant évolutive

sous dapsone seule, mais n’était pas suffisant à lui seul. Dans 4 cas sur

14, le MMF n’était pas efficace. La tolérance clinique et biologique du

MMF était bonne dans 13 cas sur 14.

Discussion. Dans cette étude rétrospective sur dossier, le MMF a été proposé à des malades hétérogènes, mais dont le point commun était d’avoir une maladie de gravité modérée et pour lesquels une amélioration du confort de vie était recherchée. Le MMF semble intéressant pour maintenir un contrôle satisfaisant de la maladie et permettre la baisse de la dose de dapsone dans certaines PC de gravité moyenne. L’utilisation de ce médicament ne peut pas remplacer le cyclophosphamide dans des PC graves avec menace du pronostic visuel ou vital.

(1) Service de Dermatologie I, Hôpital Saint-Louis, Paris.(2) Service de Stomatologie, Hôpital Saint-Louis, Paris.(3) Service d’Ophtalmologie, Hôpital Bichat, Paris.(4) Service d’ORL, Hôpital Saint-Louis, Paris.(5) Service de Dermatologie, Centre Hospitalier Victor Dupouy, Argenteuil.

Tirés à part : S. INGEN-HOUSZ-ORO, Service de Dermatologie, Centre Hospitalier Victor Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel Prudhon, 95100 Argenteuil.E-mail : [email protected]

Summary

Background. The severity of cicatricial pemphigoid (CP) varies. First-

intent treatment of mild or moderate cases is dapsone. In life or sight-

threatening cases, intravenous cyclophosphamide pulses are efficient but

may have digestive side effects and imply repeated hospitalizations.

Mycophenolate mofetil (MMF) is an oral and well tolerated

immunosuppressant agent which has proved its efficacy in pemphigus

and some bullous pemphigoid. In CP, encouraging case reports have

been previously published. We report herein a retrospective study about

14 patients who have received MMF since 2000.

Patients and methods. There were 5 men and 9 women, with a mean age

of 69 years. MMF was introduced in 3 different clinical situations:

immediately in relay to cyclophosphamide in 7 patients with severe CP

(group I); in case of a mild-severe relapse at distance from with dranal of

cyclophosphamide in 3 patients (group II); as first-intent

immunosuppressant agent in 4 patients whose disease was not under

control with high-dose dapsone, but not life – or sight-threatening (group

III). In all these patients, the disease was invalidating and not controlled

by dapsone r sulfasalazine, but did not threaten life or sight. The aim was

to achieve satisfying control of the disease with an oral and well tolerated

immunosuppressant agent, and to maintain good quality of life. The dose

of MMF was 1.5 or 2 g per day. The criteria of MMF efficacy was the

healing of previous lesions and the absence of new progressive lesions.

Results. MMF was efficient in obtaining or maintaining a good control of

the disease in 10/14 patients, as long as the underlying treatment with

dapsone (2 mg/kg/d) was maintained. In 7/10 cases, it was possible to

decrease the dapsone dose in order to improve hematological tolerance.

In the 3 other cases, a relapse occurred when the dose of dapsone was

decreased. MMF was inefficient in controling the disease in 4/14 patients

(29 p. 100). Clinical and biological tolerance of MMF was good in

13/14 patients.

Discussion. In this series, MMF was proposed to heterogenous patients,

who presented at that time a mild-moderate disease and for whom we

wanted in improve the quality of life. MMF seems to be an interesting

drug, capable of obtaining or maintaining satisfactory control of the

disease and permitting the decrease of dapsone doses in some mild-

severe CP. However MMF must not replace cyclophosphamide in severe

sight or life-threatening forms of CP.

Cicatricial pemphigoid: treatment with mycophenolate mofetil.S. INGEN-HOUSZ-ORO, C. PROST-SQUARCIONI, F. PASCAL, S. DOAN, M.-D. BRETTE, H. BACHELEZ, L. DUBERTRETAnn Dermatol Venereol 2005;132:13-6The full text of this article is available in English, free of charge, on theWeb on: www.e2med.com/ad

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S. INGEN-HOUSZ-ORO, C. PROST-SQUARCIONI, F. PASCAL et al. Ann Dermatol Venereol2005;132:13-6

a pemphigoïde cicatricielle (PC) est une dermatosebulleuse auto-immune de la jonction dermoépidermi-que touchant principalement les muqueuses (ophtal-

mologique, buccale, pharyngolaryngée, narinaire, génitale,anale) mais aussi la peau. Dans les cas les plus graves, ellepeut menacer le pronostic fonctionnel (cécité) ou vital (parsténose laryngée). Le traitement de première intention desformes mineures à modérées est la dapsone [1, 2]. En cas derésistance à ce traitement, ou en cas de forme grave d’emblée,le cyclophosphamide (CyP) en bolus mensuels a prouvé sonefficacité [3, 4]. Il peut être associé à une corticothérapie géné-rale dans les formes rapidement évolutives et très inflamma-toires impliquant notamment les muqueuses oculaire,laryngée ou œsophagienne [2]. Cependant, ce traitement aparfois une mauvaise tolérance digestive et nécessite des hos-pitalisations itératives.Le mycophénolate mofétil (MMF ou Cellcept®) est un im-munosuppresseur utilisé initialement lors des greffes réna-les, d’administration orale et bien toléré [5]. Depuisquelques années, il a été utilisé avec succès seul ou surtouten association aux corticoïdes, comme traitement d’épargnestéroïdienne dans diverses maladies auto-immunes, et no-tamment certaines dermatoses bulleuses auto-immunescomme le pemphigus ou la pemphigoïde [6-11]. Dans la PC,quelques observations isolées et une étude ouverte chez8 malades ont été rapportées, montrant une bonne efficacitédu MMF soit seul, soit en association à la dapsone [12-14].

Nous rapportons une étude rétrospective chez 14 maladesafin de dégager les situations au cours desquelles ce médica-ment pourrait se révéler bénéfique.

Malades et méthodes

De façon rétrospective, nous avons repris les dossiers de14 malades chez lesquels le MMF a été utilisé entre avril2000 et mai 2001. Le diagnostic de PC reposait sur l’aspectclinique des lésions (prédominance muqueuse des lésions,évolution cicatricielle), l’histologie, l’immunofluorescence di-recte et l’immunomicroscopie électronique.

Il s’agissait de 5 hommes et 9 femmes, d’âge moyen69 ans (extrêmes : 44-92 ans). La maladie évoluait depuisune moyenne de 2 ans avant que le diagnostic ne soit défini-tivement posé et un traitement spécifique introduit.

Le tableau I résume les atteintes initiales de la maladie.

Le MMF était prescrit dans 3 circonstances :– en relais immédiat du CyP en bolus (per os dans un cas

pour des raisons d’éloignement géographique) chez 7 mala-des (groupe I). Dans ce groupe, la PC était initialement sévè-re, justifiant le recours au CyP. Un relais par MMF étaitproposé soit lorsque la maladie était contrôlée par le CyP pourpermettre au malade un traitement uniquement ambulatoire(4 malades), soit comme immunosuppresseur de seconde in-tention lorsque la maladie était incomplètement ou non con-trôlée par le CyP (3 malades) ;

– en cas de rechute à distance de l’arrêt du CyP pour 3 ma-lades (groupe II). Chez ces malades ayant une PC initiale-ment sévère, le CyP en première intention avait été efficacepuis avait été arrêté. Une rechute de sévérité moyenne surve-nait quelques mois plus tard, soit sans traitement, soit souspetites doses de dapsone. Devant cette rechute, le CyP n’étaitpas réintroduit pour diverses raisons (mauvaise tolérance di-gestive des premiers bolus, refus du malade d’être de nou-veau hospitalisé régulièrement), alors qu’il avait étéantérieurement efficace ;

– comme immunosuppresseur de première intentionchez 4 malades ayant une PC de gravité moyenne, dont lamaladie n’était cependant pas contrôlée par la dapsone à2 mg/kg/jour r sulfasalazine (groupe III). Chez ces mala-des, il n’était pas possible d’augmenter la dose de dapsonepour des raisons de mauvaise tolérance hématologique et lemalade était réticent aux hospitalisations pour bolus de CyP.Le point commun de ces 3 situations thérapeutiques était dechercher à contrôler une maladie actuellement de gravitémoyenne, sans menace du pronostic visuel ou vital mais inva-lidante et non contrôlée par dapsoner sulfasalazine, par unimmunosuppresseur oral et bien toléré, dans le but d’amélio-rer le confort de vie du malade.

Dans ces 3 groupes, lorsque le MMF était introduit, le trai-tement associé (dapsone r sulfasalazine) n’était pas modi-fié. La dose de MMF utilisée était de 1,5 à 2 g/jour selonl’âge et le poids du malade. Les malades étaient suivis enconsultation multidisciplinaire (dermatologie, stomatolo-gie, ORL et ophtalmologie) de façon mensuelle ou bimen-suelle. Les critères d’efficacité du traitement étaient lacicatrisation des lésions antérieures et l’absence de nouvel-les érosions.

Résultats

GROUPE I

Dans le groupe I, avant le relais par MMF, les malades avaientreçu un nombre moyen de 18 bolus de CyP (extrêmes : 1-42).Une malade, habitant la Tunisie, avait eu pendant 2 ans untraitement par CyP oral. Le statut de la PC à l’arrêt du CyP,c’est-à-dire au début du MMF, était le suivant : rémissioncomplète (RC) dans 4 cas sur 7, rémission partielle (RP) dans2 cas sur 7 et maladie évolutive dans 1 cas (le patient n’ayantreçu qu’un seul bolus). Dans ces deux dernières situations, leMMF était introduit car le CyP était insuffisamment efficace,

Tableau I. – Lésions initiales chez 14 malades.

Atteinte buccale : 14– muqueuse gingivale seule 10– atteinte plus étendue (gencives, palais, face interne

des joues)4

Atteinte pharyngolaryngée : 6Atteinte oculaire : 5Atteinte génitale/anale : 4Atteinte cutanée : 3

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Pemphigoïde cicatricielle : traitement par mycophénolate mofétil

mal toléré et/ou jugé trop contraignant. L’évolution sousMMF était la suivante.

Chez les 4 malades en RC, 1 seul est resté en RC avec unsuivi supérieur à 1 an. Les 3 autres malades ont rechuté. Unmalade a rechuté au bout d’un mois de MMF. Il recevait éga-lement de la sulfasalazine et de faibles doses de corticoïdes,arrêtés juste avant la rechute. Une malade a rechuté à7 mois ; il n’avait aucun traitement associé. Le troisième ma-lade a rechuté à 12 mois. Dans ce cas précis, la rechute s’estproduite lorsque la dose de dapsone, jusque-là maintenue à2 mg/kg/j, a été diminuée.

Chez les malades en RP, l’évolution sous MMF a été favo-rable, les 2 malades ayant vu leur maladie totalement stabili-sée sans lésion évolutive avec des reculs de 2 et 3 ans ; cesmalades ayant par ailleurs un traitement par dapsone à faiblesdoses.

Chez le malade évolutif, la PC s’est temporairement amé-liorée sous MMF, alors que la dose de dapsone associée étaitmaintenue élevée à 2 mg/kg/j, mais elle a rechuté au boutd’un an dès qu’une diminution de la dose de dapsone a étéamorcée.

Au total, dans ce groupe, on peut conclure que le MMF apermis l’obtention ou le maintien d’un bon contrôle de lamaladie dans 3 cas sur 7, il a été inefficace dans 2 cas sur7 avec 1 rechute très précoce et 1 rechute à moyen terme, etdans 2 autres cas, il a sans doute permis de passer un cap enfavorisant le contrôle de la maladie lorsque la dapsone seule,même à 2 mg/kg/j n’était pas suffisante, mais la maladie arechuté lorsque la dapsone a été diminuée.

GROUPE II

Dans le groupe II, les 3 malades étaient par définition tous enrechute peu sévère à l’introduction du MMF. La maladie s’eststabilisée avec une RC durable sous MMF et dapsone chez2 malades, la dose de la dapsone ayant même pu être dimi-nuée sans rechute ; la PC est restée évolutive sous MMF etdapsone chez 1 malade.

GROUPE III

Dans le groupe III, à l’introduction du MMF, malgré unedose de dapsone de 2 mg/kg/jour la PC était évolutive dansles 4 cas, sans que le pronostic visuel ou laryngé ne soit enga-gé. L’évolution sous MMF a été la suivante : dans 2 cas, uneRC durable de la maladie a été observée, permettant de dimi-nuer sans rechute la dose de dapsone ; dans 1 cas, la maladieest restée évolutive, nécessitant le relais par bolus de CyP etdans le troisième cas, la PC a été contrôlée tant que la dapsonea été maintenue à 2 mg/kg/j, une rechute se produisant dèsla baisse de la dose de dapsone.

Au total, dans ce groupe, on peut conclure que le MMF apermis l’obtention et le maintien d’un bon contrôle de la ma-ladie dans 2 cas sur 4, il a été inefficace dans 1 cas sur 4 et apermis de passer un cap sans possibilité de diminuer la dap-sone dans 1 cas sur 4.

Globalement le MMF a permis d’obtenir ou maintenir unbon contrôle de la maladie dans 10 cas sur 14 tant que la dosede dapsone a été maintenue à 2 mg/kg/j. Dans 7 cas, une di-minution de la dose de la dapsone, dans un deuxième temps,a été possible permettant une meilleure tolérance hématolo-gique. Dans les 3 autres cas, la maladie a rechuté lorsque ladose de la dapsone a été diminuée. Dans ces 3 cas, le MMF apeut-être permis de passer un cap pour obtenir le contrôled’une maladie restant évolutive sous dapsone seule, mais n’apas été suffisant à lui seul.

Enfin, dans 4 cas sur 14, le MMF n’a pas été efficace pourstabiliser la maladie.

Le MMF a été bien toléré sur les plans clinique et biologi-que dans tous les cas sauf 1 (pancytopénie marquée et intolé-rance digestive).

Discussion

Cette étude montre que le MMF a été capable de contrôler lamaladie et de permettre la baisse de la dapsone chez 7/14 ma-lades. Dans 3/14 cas, il semble avoir apporté un bénéfice enpermettant de « passer un cap » (stabilisation d’une maladiejusque-là évolutive sous dapsone), mais une rechute est sur-venue dès que la posologie de la dapsone a été diminuée.Chez ces patients, seule l’association MMF plus dapsone for-te dose a permis de contrôler la maladie. Enfin dans 4/14 cas,il n’a pas permis de contrôler la maladie.

Le traitement de première intention des formes mineuresà modérées de PC repose avant tout sur la dapsone [1]. La po-sologie souvent nécessaire est voisine de 2 mg/kg/j, ce quipeut poser des problèmes de tolérance hématologique chezdes malades souvent âgés et parfois polypathologiques. Lasulfasalazine peut être associée en cas d’efficacité insuffisan-te. Les formes graves, menaçant le pronostic fonctionnel (ris-que de cécité) ou vital (sténose laryngée), nécessitent untraitement d’urgence. La corticothérapie générale est néces-saire [2] en cas de signes inflammatoires marqués. C’estdans ces formes graves que le CyP en bolus a montré son ef-ficacité [3, 4]. L’administration en bolus permet de retarderl’obtention d’une dose cumulative tumorigène ou leucémo-gène [15-17]. Cependant la tolérance digestive est parfois mé-diocre et les bolus imposent des hospitalisations itératives. Ilétait donc tentant d’évaluer l’efficacité du MMF, qui a déjàfait ses preuves dans d’autres dermatoses bulleuses auto-im-munes, notamment le pemphigus, en monothérapie ou sur-tout à visée d’épargne cortisonique [6, 7, 9-11].

Dans la PC, une étude ouverte prospective menée parBedane et al était encourageante, mais avec un recul de quel-ques mois seulement [14]. Nous avons proposé ce traitementà des malades hétérogènes sur le plan évolutif de la maladie,mais toujours par souci de proposer un immunosuppresseuroral, globalement bien toléré, ambulatoire, dans le but depréserver au maximum leur qualité de vie. Dans tous les cas,au moment de l’introduction du MMF, la maladie était à unstade modérément sévère, ne menaçant ni le pronostic vital,

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ni le pronostic visuel. Les résultats que nous rapportons nes’appliquent qu’à ces formes. En effet, nous pensons qu’enl’absence de données sur un plus grand nombre de malades,les PC graves restent une indication absolue aux bolus deCyP, voire à la corticothérapie générale. Nous avons pu ainsidéfinir 3 groupes de malades en fonction des situations clini-ques dans lesquelles le MMF a été introduit. Malgré l’hétéro-généité de ces malades, nous avons essayé de savoir si leMMF était capable d’obtenir et/ou de maintenir un contrôlesatisfaisant de la PC, voire d’autoriser la baisse de la posolo-gie de la dapsone lorsque celle-ci, maintenue à 2 mg/kg/j,était responsable d’anémie mal tolérée. Si chez un maladesur 2 (7/14 cas ) le MMF a été capable de contrôler la maladieet de permettre la baisse de la dapsone, en raison d’un tropfaible nombre de malades dans chacun des 3 groupes, il n’apas été possible de dégager les situations cliniques prédicti-ves d’un succès du MMF.

Par ailleurs, le MMF a été très bien toléré, que ce soit clini-quement ou biologiquement chez presque tous nos malades,sans survenue d’accidents infectieux notables.

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