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Penser les rencontres entre architecture et sciences humaines 3 RECHERCHE ARCHITECTURE CLARA / N 0 3 ARCHITECTURE/RECHERCHE S564787 Ce troisième numéro de la revue CLARA Architecture/ Recherche explore les relations entre architecture et sciences humaines et sociales. Le croisement des points de vue offre l’opportunité de questionner la discipline architecturale et ses méthodes qui, comme toute discipline transversale, emprunte à d’autres sciences, diverses écoles, multiples cultures académiques et professionnelles. Le dossier Penser les rencontres entre architecture et sciences humaines est animé par plusieurs scènes de rencontre entre des chercheurs et des méthodes empruntées à la sociologie, l’histoire culturelle, la promotion immobilière, l’anthropologie, la philosophie. Dans ce numéro, CLARA s’arrête également sur les vingt ans d’ALICE – Laboratoire d’informatique pour la conception et l’image en architecture : vingt ans de recherches dédiées aux questions de représentation architecturale à travers l’outil numérique. Un dossier Archives exhume des projets non réalisés de Jacques Dupuis, à trente et un ans de sa disparition et cent un ans de sa naissance. Enfin, CLARA rend hommage à André Jacqmain en publiant un dernier entretien mené par des étudiants de la Faculté d’architecture de l’ULB. La revue annuelle du Centre des Laboratoires Associés pour la Recherche en Architecture CLARA est un outil de débat et de réflexion alimenté par la recherche en architecture autour de questions d’actualité. Dossiers thématiques, apartés et documents issus des Archives d’architecture de l’ULB inscrivent ces questions dans le temps et l’espace.

Penser les rencontres entre architecture humaines et ... · l’introduction du pragmatisme est de fait largement attribué aux relations trop soutenues que l’architecture entretient

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Penser les rencontres entre architecture et sciences humaines

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RECHERCHE

ARCHITEC

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CL

AR

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N03

ARCHITECTURE/RECHERCHE

S564787

Ce troisième numéro de la revue CLARA Architecture/Recherche explore les relations entre architecture et sciences humaines et sociales. Le croisement des points de vue offre l’opportunité de questionner la discipline architecturale et ses méthodes qui, comme toute discipline transversale, emprunte à d’autres sciences, diverses écoles, multiples cultures académiques et professionnelles. Le dossier Penser les rencontres entre architecture et sciences humaines est animé par plusieurs scènes de rencontre entre des chercheurs et des méthodes empruntées à la sociologie, l’histoire culturelle, la promotion immobilière, l’anthropologie, la philosophie. Dans ce numéro, CLARA s’arrête également sur les vingt ans d’ALICE – Laboratoire d’informatique pour la conception et l’image en architecture : vingt ans de recherches dédiées aux questions de représentation architecturale à travers l’outil numérique. Un dossier Archives exhume des projets non réalisés de Jacques Dupuis, à trente et un ans de sa disparition et cent un ans de sa naissance. Enfi n, CLARA rend hommage à André Jacqmain en publiant un dernier entretien mené par des étudiants de la Faculté d’architecture de l’ULB.

La revue annuelle du Centre des Laboratoires Associés pour la Recherche en Architecture CLARA est un outil de débat et de réfl exion alimenté par la recherche en architecture autour de questions d’actualité. Dossiers thématiques, apartés et documents issus des Archives d’architecture de l’ULB inscrivent ces questions dans le temps et l’espace.

7 ÉDITORIAL Par le Comité éditorial

DOSSIER THÉMATIQUE : PENSER LES RENCONTRES ENTRE ARCHITECTURE ET SCIENCES HUMAINES

« Parler d’exploration n’est pas fortuit. C’est insister sur la multiplicité des liens pouvant s’établir entre ce que l’on identifiera – pour l’instant – comme l’“architecture”, d’une part, et les “sciences humaines”, de l’autre. »

« Les pratiques diffèrent par leurs réquisits et une reprise ne peut pas être une transposition directe ; elle passe nécessairement par des mécompréhensions, des trahisons, dont on ne peut qu’espérer qu’elles soient à la fois créatives et diplomatiques. »

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REC

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9INTRODUCTION. EXCURSIONS

EN ZONES FRONTALIÈRES

Michaël GhyootPauline LefebvreTyphaine Moogin

15QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE : UNE RENCONTRE

PLACÉE SOUS LE SIGNE DE L’ÉVIDENCE

Pauline Lefebvre

« De la même manière qu’il ne s’agit pas de transformer les architectes en anthropologues, on n’attend pas de cet “étranger” qu’il s’intègre. Il doit faire la différence, sinon sa présence n’a aucune raison d’être. »

INTERMÈDE. CONSTRUCTION, DÉCONSTRUCTION, RECONSTRUCTION : CROISEMENTS EN ARCHITECTURE ET PHILOSOPHIE Par Jean-François Côté

« Car tous les acteurs n’agissent pas de la même manière et ne répondent pas des mêmes enjeux. Chacun invite à s’adresser à eux avec une méthode spécifique. En somme, si un prix est une composition d’acteurs divers, c’est par l’adoption d’une composition de méthodes que le chercheur peut parvenir à l’étudier. »

« Notre intérêt pour les usages politiques qui sont faits des bâtiments introduit une divergence méthodologique avec la sociologie de l’action publique, car [...] l’architecture y demeure appréhendée comme un simple réceptacle pour

31APPRENDRE EN SITUATION DE TRANSMISSIONGraziella VellaVictor Brunfaut

43

45DIS-MOI CE QUE TU FAIS ET JE TE DIRAI CE QUE TU ME FAIS FAIRE. LE PRIX

VAN DE VEN COMME OBJET DE RECHERCHE

Typhaine Moogin

63L’ARCHITECTURE (DURABLE) COMME TECHNOLOGIE DE GOUVERNEMENT : APPORTS ET DÉ-

TOURNEMENTS DE LA SOCIOLOGIE DE L’ACTION PUBLIQUE

Julie Neuwels

la mise en œuvre et à l’épreuve des politiques (agir sur l’architecture), et non comme étant également un instrument à part entière (agir par l’architecture). »

« Structurée autour d’un objet non clairement défini (le crime, le criminel, la réaction sociale), elle ne dispose pas d’une épistémologie ni de méthodologie propres. La criminologie est transdisciplinaire en soi et ouverte aux sciences qui la jouxtent […]. Elle ouvre donc d’emblée à l’hybridation et à la transgression des frontières disciplinaires. »

INTERMÈDE. OUVRIR LA CROISÉE Par Pierre Chabard

« L’architecte et le promoteur racontent leurs références puisées dans les sciences sociales, un refuge qui permet au premier de ne pas parler de son architecture, tout en évoquant des savoirs de l’architecture, et au second de se détacher de sa fonction commerciale. »

73GENÈSE D’UNE RENCONTRE ENTRE CRIMINOLOGIE ET ARCHITECTURE : L’ESPACE

CARCÉRAL À TRAVERS LES ÉPISTÉMOLOGIES

David Scheer

85

87UNE DIMENSION HUMAINE ET SOCIALE POUR L’ARCHITECTURE RÉSIDENTIELLE : LES RÉCITS DE

LÉGITIMATION DE DEUX PROMOTEURS

Anne Debarre

« Dans cette perspective, il n’est plus possible d’opposer les experts des sciences humaines et sociales porteurs des connaissances sur “l’habiter” aux architectes comme spécialistes des questions esthétiques et constructives. Une certaine hybridation des savoirs doit s’opérer sans pour autant qu’il puisse y avoir forcément superposition des compétences, c’est-à-dire des prises de responsabilités. »

INTERMÈDE. COUP DE THÉÂTRE ET CHANGEMENT DE RÔLES Par Stéphane Dawans

« Nous allons suivre les objets planologiques lorsqu’ils quittent ce que nous avons appelé dans notre fiction leur “biotope” originaire pour s’installer dans des milieux a priori moins familiers. »

« […] le travail ethnographique de suivi des trajectoires de diverses entités n’a pas seulement des vertus descriptives ; il semble également un bon moyen

101INVENTION ET RÉINVENTION DE LA « PROGRAMMATION GÉNÉRATIVE » DES PROJETS : UNE

OPPORTUNITÉ DE COLLABORATION ENTRE ARCHITEC-TURE ET SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES POUR DES MODES D’HABITER « DURABLES »

Jodelle Zetlaoui-Léger

115

117OBJETS PLANO-LOGIQUES EN DÉPLACEMENT. VERS UNE

JURISPRUDENCE DE CAS ETHNO-GRAPHIQUES

Rafaella Houlstan-Hasaerts Giulietta Laki

131TRAVELLINGS – FAIRE PRISE SUR DES TRAJECTOIRES DE MATÉRIAUX Michaël Ghyoot

pour détecter des pistes concrètes, utiles aux acteurs désireux d’entreprendre la reconfiguration des circuits de l’économie matérielle. »

INTERMÈDE. ÉTUDIER LES ARTEFACTS ARCHITECTURAUX : FAITES ENTRER LES ACTEURS ! Par Isabelle Doucet

« Ces projets sont des leçons d’architecture. Ils nous parlent du plaisir de concevoir et d’offrir aux utilisateurs de nouveaux univers. Ils continuent à vivre grâce à leur conservation dans les archives, mais aussi à nous éclairer et nous rappeler que le parcours créatif est peuplé d’intuitions. »

143

145CE QUE LES ARCHIVES NOUS APPORTENT. NEUF PROJETS

NON RÉALISÉS DE JACQUES DUPUIS (QUAREGNON, 1914 – MONS, 1984)

Maurizio Cohen

ARCHIVES

« ALICE prend alors le contre-pied de la plupart des laboratoires d’architecture et d’informatique […]. Son champ d’expérimentation se focalise désormais sur l’analyse, pour la simple raison que cette dernière peut être entendue comme une forme de rétroconception, mais vierge – dans une certaine mesure – d’idéologies architecturales. »

« Comment je me vois ? Comme quelqu’un qui a toujours recherché la diversité des choses, des projets, mais qui a eu des périodes. »

163ALICE : 1994-2014. VINGT ANS D’EXPÉ-RIMENTATION ET D’ENSEIGNEMENT SUR L’ANALYSE ET LA REPRÉSENTATION ARCHITECTURALEDenis Derycke avec David Lo BuglioMaurizio CohenMichel LefèvreVincent Brunetta

175UN ÉTERNEL PERFECTIONNISTE DANS UN MONDE IMPARFAIT. ENTRETIEN AVEC

ANDRÉ JACQMAINSarah AvniThomas Guilleux

APARTÉS

UN est unique. Deux font la paire. Une unité de plus, et voilà une série. Ce troisième numéro de CLARA Architecture/Recherche consacre un dossier thématique à une question qui traverse l’histoire de l’architecture : celle de ses croisements avec d’autres disciplines, en l’occurrence ici, les sciences humaines. Cette rencontre, les membres du laboratoire Sasha, responsables du dossier, ont voulu la réfléchir symétriquement : que font les sciences humaines à l’architecture, et que leur fait en retour l’architecture ? Comment se construisent des « hybrides » architecturaux imprégnés, incrustés… des savoirs ou des savoir-faire issus des sciences humaines ? Comment faire sociologie, psychologie, philosophie… avec l’espace construit, avec les matériaux de construction ? Comment les représentations ou les imprimantes 3D, l’atelier ou le chantier questionnent-ils les évidences établies de ces disciplines ? Ce dossier est lui-même hybride, par ses contributeurs, issus tant des sciences humaines que de l’architecture, ou mieux, parce qu’ils se sont intellectuellement construits au cœur de et par un tel croisement.

Les deux apartés marquent des anniversaires. Créée avant l’intégration des instituts d’architecture à l’université, le laboratoire ALICE fête cette année ses vingt ans, en présentant un bref bilan de ses activités, où recherches numériques de haut niveau sont constamment conjuguées à une ambition pédagogique, où apprentissage rime avec expérimentation. Auteur de nombreuses réalisations, l’architecte belge André Jacqmain est décédé début 2014, à 92 ans. Nous publions ici ce qui constitue en réalité une dernière interview, réalisée par deux étudiants de la Faculté d’architecture fin 2013. Jacqmain y livre un regard rétrospectif, remarquablement lucide et éclairé, sur son parcours durant ces golden sixties peu connues, peu analysées, qui cèderont bientôt la place à une période de crises répétées, et de fin des grands récits qui avaient animé le modernisme et le fonctionnalisme.

Le dossier Archives apparaît comme un plaidoyer en acte, mettant en scène ce que ces documents nous apprennent. Puisés dans le fonds de Jacques Dupuis, désormais conservé dans la Faculté, des projets non réalisés de l’architecte né il y a 101 ans cette année, nous en disent beaucoup sur ce que veut dire concevoir, dessiner, hésiter, délimiter, organiser l’espace… tout en y prenant plaisir. Par ailleurs, les Archives et Bibliothèque d’architecture de l’ULB ont eu l’honneur de recueillir cette année une dizaine de fonds d’archives, dont ceux des architectes Léon Stynen, Roger Delfosse, Pierre Puttemans, Robert Puttemans, Yvan Blomme, Adrien Blomme et Pierre Farla, de l’ensemblier Eric Lemesre, ainsi que des enseignants Suzanne Goes, Guy Pilate et Alphonse Pion.

Que sera la quatrième livraison de CLARA ? Nous y travaillons. La série se poursuivra, comptant désormais sur le soutien du FNRS, qui a en particulier reconnu dans les premiers numéros la spécificité d’une recherche en architecture où les contenus graphiques font plus qu’illustrer la réflexion : ils en sont le medium.

ÉDITORIAL 7

À l’aube de l’an 2000, à New York, Joan Ockman, alors professeure à l’École d’architecture de Columbia University, est chargée d’organiser un événement pour marquer le tournant du siècle. Elle saisit cette opportunité pour intervenir dans les débats qui commençaient à secouer la scène architecturale américaine concernant le rôle prépondérant que la théorie s’y était octroyée depuis plus de deux décennies. Pour répondre à cette situation problématique, Ockman décide d’introduire une tradition philosophique encore inédite en architecture : le pragmatisme. Elle arrange cette rencontre originale à travers un ambitieux événement en plusieurs volets, intitulé The Pragmatist Imagination.

Au premier abord, l’entreprise paraît paradoxale : le « schisme entre la théorie et la pratique » auquel Ockman (2000c) espère répondre par l’introduction du pragmatisme est de fait largement attribué aux relations trop soutenues que l’architecture entretient alors avec la philosophie. À partir des années 1970, la vague de la theory – ce savant mélange de pensées importées d’Europe – a radicalement transformé les campus américains (Cusset, 2005) et a emporté l’architecture dans son sillage. La théorie de l’architecture acquiert une autonomie sans précédent. La pratique elle-même sort transfigurée : la séparation s’accroît drastiquement entre, d’un côté, une pratique « théorique » conduite dans l’autonomie de la sphère académique ou culturelle et, de l’autre, une pratique « professionnelle » de l’architecture, laissée à des grands bureaux au chiffre d’affaires enviable, mais au crédit culturel faible. Curieusement, l’autonomie disciplinaire

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE : UNE RENCONTRE

PLACÉE SOUS LE SIGNE DE L’ÉVIDENCE

Pauline Lefebvre 15

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qui caractérise la pratique « théorique » va de pair avec la relation intime qu’elle se met à entretenir avec d’autres disciplines. L’intimité frôle même la confusion : « Pour prendre place parmi les autres disciplines des humanités, [l’architecture] devait elle-même se redéfinir comme une pratique discursive, voire textuelle. » (Allen, 2012 : 211.) Cette situation gonfle jusqu’à l’essoufflement : la théorie se trouve méprisée par un nombre accru d’architectes qui ne veulent plus jouer le jeu du langage savant, des emprunts conceptuels et des discours jargonnants. Les objections se multiplient à l’encontre d’une architecture devenue discursive, et des tentatives émergent visant à lui restaurer des modes propres d’agentivité. Surtout, c’est l’« invasion1 » de l’architecture par les philosophies européennes – en particulier, la déconstruction derridienne, les concepts deleuzo-guattariens, mais aussi les théories critiques de l’École de Francfort – qui est tenue pour responsable de cette situation. Pourtant, Ockman choisit de ne pas renoncer à toute alliance. Elle opte plutôt pour une alternative à ce corpus doublement étranger de la philosophie continentale : d’une part, le pragmatisme a l’avantage d’être une tradition proprement américaine ; d’autre part, en tant que « théorie de la pratique », le pragmatisme est plus proche par ses thèmes des préoccupations des architectes et à même de réconcilier pratique et théorie. De plus, le pragmatisme a le mérite de jouir d’un renouveau dans d’autres sphères de l’académie (Rajchman et West, 1985 ; Dickstein, 1998), que l’architecture ne doit pas, selon Ockman, manquer de suivre.

Si l’initiative d’Ockman est si intrigante, c’est en partie parce que, malgré son ampleur, elle n’aura finalement que peu de retentissements et restera relativement isolée. L’importance des moyens déployés témoigne pourtant de la prétention d’opérer un tournant : une cinquantaine d’intervenants, parmi les plus réputés, sont réunis au sein d’institutions de prestige (plus particulièrement au MoMA, que l’histoire de l’architecture aime considérer comme le berceau de mouvements qui se succèdent). Dans un milieu où la réussite consiste à « faire événement », et selon les critères propres à ce milieu, on peut dire que l’initiative a échoué, puisqu’elle ne sera pas reprise :

« Et le “Nouveau Pragmatisme ” ? Si seulement c’était le cas ! Je peux dire avec assurance que si une telle chose existait, la très compétente machine à détecter des talents de la culture architecturale new-yorkaise s’en serait emparée, et si une masse critique de praticiens correspondants pouvait être trouvée – j’en vois deux –, une exposition aurait été organisée, un manifeste aurait été écrit, et un catalogue aurait été publié (intitulé Deux architectes ?)2. » (Nobel, 2001.)

1« L’invasion française de la critique architecturale […] a injecté un regain d’énergie et d’enthousiasme à une discipline qui souffrait d’un retard culturel. Toutefois, cette invasion a entraîné beaucoup de critiques d’architecture dans le plus mortel des pièges, à savoir une perte d’identité en tant que critique d’architecture. » (West, 1999 : 459). Cornel West prolongera encore cette métaphore guerrière à l’occasion de l’événement dont il est question ici en parlant d’une « occupation française et allemande de l’esprit américain ». (West et Koolhaas, 2001 : 19).

2 Toutes les citations en langue anglaise ont été traduites par l’auteure.

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

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Les contestations contre la théorie de l’architecture à l’origine de The Pragmatist Imagination gagneront une vigueur renouvelée. Surtout, elles prendront un tour « post-critique » qui sera largement discuté, et disputé (Baird, 2004). Toutefois, les objections à leur encontre proviennent surtout du ton « anti-intellectuel » pour lequel elles optent. À cet égard, le projet d’Ockman peut difficilement être considéré comme un précédent à cette vague « pro-pratique » (Sykes, 2010), puisque l’opportunité d’éclairer les mutations en cours grâce à la tradition pragmatiste ne sera pas prolongée3 :

« Ce qui allait se passer ensuite est fascinant : la manière dont Somol et Whiting ont repris ceci. J’avais vraiment l’impression d’avoir ouvert la boîte de Pandore. […] Ils étaient intéressés par à la pratique, la pratique sans la théorie. Et, d’une certaine manière, le pragmatisme, faisant progressivement place au discours post-critique, servait de caution. » (J. Ockman, 2013.)

Le caractère paradoxal de l’événement explique en partie cet insuccès : résoudre une situation de crise par une alliance à une philosophie alternative n’a pas convaincu ceux qui attribuaient la crise précisément à de telles alliances, quelles qu’elles soient. Toutefois, c’est aussi et surtout l’évidence de la proposition qui a inhibé l’enthousiasme qu’elle aurait dû provoquer pour réussir. Il semble que l’événement ne soit pas parvenu à faire sentir aux architectes les promesses comprises dans l’écart entre « leur pragmatisme » et les exigences du Pragmatisme. Pourtant, cette ambiguïté était au cœur du programme d’Ockman :

« Les architectes, à quelques rares exceptions près, ne sont pas des philosophes. Cependant, plus que tous les autres producteurs de culture, ils semblent être “naturellement ” pragmatistes. […] L’habituelle confusion entre le pragmatisme générique ou pragmatisme “petit-p ” – associé, le plus souvent péjorativement, à des aspects pratiques, opportunistes et instrumentaux – avec le pragmatisme philosophique ou Pragmatisme “grand-p ” – la tradition intellectuelle de Charles Sanders Pierce, William James et John Dewey, ses pères fondateurs – constituait à la fois un danger et un défi. » (Ockman, 2001 : 26.)

Malgré l’attention qu’elle porte aux enjeux du Pragmatisme « grand-p », Ockman énonce l’idée que les architectes seraient « “naturellement” pragmatistes ». Cette affirmation est peu propice à susciter une mise au travail concernant ce qu’une rencontre avec le Pragmatisme pourrait faire à l’architecture, puisqu’elle implique que les conditions sont déjà réunies. Surtout, cette tendance à « naturaliser » la rencontre est incompatible avec le pragmatisme lui-même, défini par James comme « une attitude,

Pauline Lefebvre

3À l’exception de Michael Speaks – sans doute le « post-critique » le plus virulent – qui instrumentalise une certaine généalogie pragmatiste pour défendre son projet d’une post-avant-garde entrepreneuriale (Speaks, 2000). Speaks ne rallie toutefois pas l’initiative de Ockman, parce que celle-ci ne renonce pas à formuler « une théorie de la pratique » et à attribuer un rôle prédominant à la philosophie (Speaks, 2002).

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[qui] consiste à détourner nos regards de tout ce qui est chose première, premier principe, catégorie, nécessité supposée, pour les tourner vers les choses dernières, vers les résultats, les conséquences, les faits. » (James, 2007 : 120.)

À l’encontre de cette idée selon laquelle la rencontre serait « naturelle » et « nécessaire », cet article profite du caractère isolé (inédit et avorté) de l’entreprise pour mettre en lumière son caractère artificiel. Dans une perspective pragmatiste, aucune connotation négative n’est attribuée au terme « artificiel ». Au contraire, l’artificialité de la rencontre est considérée comme une opportunité pour rendre visible l’ensemble des dispositifs qui ont été mis en place pour que la rencontre prenne. Ce travail de description permet de prendre au sérieux l’événement et de tracer des manières de « faire rencontre » plus ou moins réussies, et ce, du point de vue des architectes, mais aussi de celui des philosophes embarqués (malgré eux) dans l’expérience.

Le premier dispositif consiste à séquencer l’événement en plu-sieurs phases. Chacune d’elles sert des ambitions différentes et se trouve donc servie par des cadres et des participants distincts. La première séquence est un workshop (fig. 1), organisé sur deux jours en mai 2000 dans le cadre universitaire de Columbia University, réunissant principalement des acadé-miques. Comme le pragmatisme est une référence inédite en architecture, Ockman considère que ce temps préliminaire est nécessaire afin que les participants deviennent plus familiers avec cette philosophie. Il s’agit en fait de préparer une autre séquence, la conférence publique (fig. 2), qui se tient quelques mois plus tard au MoMA et qui réunit quant à elle un public composé majoritairement d’architectes4. Les actes du workshop (fig. 3) auraient dû paraître avant cet événement afin de servir de transition, mais ils ne sortiront qu’après. Les actes de la conférence publique auraient également dû être publiés ; le caractère inégal des contributions poussera toutefois Ockman à renoncer à ce projet. Curieusement, seules des revues étran-gères consacreront finalement des dossiers à cette rencontre et traduiront quelques-unes des interventions (Dahms et Krausse, 2001 ; Fernández-Galiano, 2001). En amont de cette séquence workshop-publication-conférence, un Reader5 (fig. 4) avait été assemblé et distribué à tous les intervenants afin de les préparer aux enjeux de l’événement.

DÉPLIER LES DISPOSITIFS

4Les titres attribués aux deux événements diffèrent d’ailleurs légèrement, mais significativement : le workshop était intitulé The Pragmatist Imagination. Thinking about « Things in the Making », insistant sur la tradition pragmatiste et la réflexion qu’elle implique, alors que l’intitulé de la conférence, Things in the Making : Contemporary Architecture and the Pragmatist Imagination, perd la dimension réflexive (« Thinking ») au profit d’un ton qui relève à la fois d’un constat et d’un programme pour l’architecture contemporaine.

5Le Reader est une pratique courante dans le milieu anglo-saxon ; il consiste à réunir une série de textes de références sur un sujet donné ou d’un même auteur afin d’offrir un accès plus aisé à un corpus choisi.

DISPOSITIF 1 : SÉQUENCER

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

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FIG. 1. LE PROGRAMME PAPIER DU WORKSHOP THE PRAGMATIST IMAGINATION. THINKING ABOUT « THINGS IN THE MAKING ». SOURCE : ARCHIVES PERSONNELLES DE JOAN OCKMAN.

FIG. 3. LA COUVERTURE DE LA PUBLICATION DES ACTES DU WORKSHOP THE PRAGMATIST IMAGINATION. THINKING ABOUT « THINGS IN THE MAKING ». SOURCE : OCKMAN, 2000.

FIG. 4. LA COUVERTURE DU READER PRÉPARÉ EN AMONT DU WORKSHOP THE PRAGMATIST IMAGINATION. THINKING ABOUT « THINGS IN THE MAKING ». SOURCE : THE TEMPLE HOYNE BUELL CENTER FOR THE STUDY OF AMERICAN ARCHITECTURE RECORDS, AVERY ARCHITECTURAL & FINE ARTS LIBRARY – COLUMBIA UNIVERSITY, NEW YORK.

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Toutes ces étapes (fi g. 5) sont conçues pour que la rencontre entre architec-ture et pragmatisme prenne. Pour Ockman, ce séquençage servait surtout une mission d’« éducation » des architectes à cette tradition philosophique encore inconnue (ou mal comprise) :

« Il devenait clair que les architectes avaient besoin d’être éduqués parce que dès qu’il est question d’ “architectes pragmatiques”, ils pensent “fi nir le travail”, “résoudre des problèmes”, “faire”, “maintenir du mieux possible”, ou peut-être juste aux fonctions… Ces problématiques sont bien sûr autant de notions pragmatiques. Mais les architectes ne savaient rien de la tradition philosophique. » (Ockman, 2013.)

Un rôle dominant est donc attribué à l’université, présentée comme l’endroit où les pensées doivent être articulées avant d’être livrées aux praticiens professionnels qui n’en sont que les réceptacles. Si la démarche

Pauline Lefebvre

FIG. 5. LIGNE DU TEMPS DES DIFFÉRENTS ÉVÉNEMENTS AUTOUR DE THE PRAGMATIST IMAGINATION. ÉLABORATION : PAULINE LEFEBVRE. SOURCES : ARCHIVES PERSONNELLES DE JOAN OCKMAN [PROGRAMME DU WORKSHOP] ; THE TEMPLE HOYNE BUELL CENTER FOR THE STUDY OF AMERICAN ARCHITECTURE RECORDS, AVERY ARCHITECTURAL & FINE ARTS LIBRARY – COLUMBIA UNIVERSITY, NEW YORK [READER ET AFFICHE].

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ne rejoue pas le « naturalisme » énoncé plus tôt, elle n’en est pas moins peu pragmatiste à nouveau. Elle réinstaure le rapport asymétrique entre théorie et pratique que le pragmatisme devait aider à défaire. Elle ne se place pas sous le signe d’une expérimentation collective entre architecture et philosophie.

Le deuxième dispositif consiste à attribuer des rôles. En effet, le grand nombre et la diversité des intervenants ne garantissaient encore rien. La gamme des cinquante orateurs est très variée en ce qui concerne les « disciplines » desquelles ils sont issus : architecture, art, histoire, sociologie, philosophie, sciences politiques, droit, économie et autres studies propres aux campus anglo-saxons. Ce qui varie surtout, c’est le degré d’affinités préalables des intervenants avec le pragmatisme : très peu sont ceux qui pouvaient être considérés comme des spécialistes du pragmatisme, encore plus rares ceux qui avaient déjà opéré quelques rapprochements entre cette tradition et l’architecture.

Parmi ceux-là, certains jouent le rôle de « passeurs ». John Rajchman, coorganisateur avec Ockman de l’événement, a tenu ce rôle tout au long de sa carrière académique : d’abord en participant à l’importation des pensées françaises poststructuralistes au travers de la revue Semiotext(e) dont il était l’un des éditeurs ; ensuite en jouant un rôle clé dans l’introduction de Deleuze auprès des architectes (Brott, 2010) ; finalement, en participant au rapprochement du poststructuralisme avec le pragmatisme (Rajchman et West, 1985), et surtout en amenant ce même mouvement en architecture (Rajchman, 1998). Ces figures de « passeurs », le plus souvent des philosophes parmi les architectes, sont très importantes pour les passages qui s’opèrent entre ces champs, le plus souvent à sens unique : leur rôle proactif dans les transferts rend visibles les voies par lesquelles passent les concepts ou les auteurs.

Les intervenants qui sont invités pour leurs affinités avec le pragmatisme se voient pour la plupart attribuer un autre rôle, celui de « garant » : ils doivent assurer une compréhension adéquate de la tradition philosophique par les architectes. C’est parmi ces « garants » que vont se manifester les critiques les plus sévères de l’événement : au workshop, Richard Shusterman – philosophe américain qui prolonge les travaux en esthétique de Dewey – exprime de manière particulièrement touchante son inconfort à servir de garant philosophique à la performance présentée par Bernard Tschumi et Paul D. Miller aka DJ Spooky ; Casey Nelson Blake – historien de la culture américaine, pourtant coorganisateur de l’événement – conclut les actes du workshop sur un ton particulièrement sceptique ; et Richard Rorty – célèbre philosophe néopragmatiste – sapera jusqu’aux prémisses de l’événement.

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

DISPOSITIF 2 : ATTRIBUER DES RÔLES

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DISPOSITIF 3 : METTRE EN DIALOGUE/ASSEMBLER

FIG. 6. DE GAUCHE À DROITE : PETER EISENMAN, TERRY RILEY ET RICHARD RORTY. PHOTO PRISE AU MOMA À L’OCCASION DE LA CONFÉRENCE CONTEMPORARY ARCHITECTURE AND THE PRAGMATIST IMAGINATION. SOURCE : MERKEL, 2001 : 18-19.

Le dispositif dans lequel Rorty est pris à l’occasion de la conférence est celui du dialogue entre un architecte et un philosophe. La conférence au MoMA en comporte deux de la sorte. Rorty partage le premier avec Peter Eisenman (fig. 6) ; le deuxième oppose Rem Koolhaas et Cornel West (fig. 7). John Rajchman, chargé d’animer cette deuxième discussion, la présente en ces termes :

« Cette discussion […] rassemble un philosophe qui se revendique pragmatiste d’une manière ou d’une autre, ou dont la pensée ou la philosophie est issue de la tradition pragmatiste, avec un architecte dont le travail comporte un aspect théorique ou critique alors sans que celui-ci ne soit nécessairement qualifié de pragmatiste. L’objectif est de voir si une synergie ou une connexion intéressante apparaît entre les idées spécifiquement pragmatistes du philosophe et la pratique concrète de l’architecte. » (West et Koolhaas, 2001 : 15.)

Si le dispositif de la conversation peut sembler symétrique, il trahit toutefois un déséquilibre. Le résultat attendu repose avant tout sur une confrontation des architectes à une tradition qu’ils ignorent et qui pourrait éclairer leurs pratiques. Il n’est pas vraiment supposé que le philosophe puisse apprendre de l’architecte.

Pauline Lefebvre

FIG. 8. SEMINAR/LECTURE, ROSALYN DEUTSCHE, WALTER HOOD, MARTHA ROSLER, ROGER SHERMAN, MODERATOR : RAYMOND GASTIL, PUBLIC SPACE AND THE PUBLIC, PRAGMATIST IMAGINATION, THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK, 11 OCTOBRE 2000. © PHOTOS : RAINER GANAHL.

FIG. 7. SEMINAR / LECTURE, CORNEL WEST, REM KOOLHAAS, CONVERSATION 2, PRAGMATIST IMAGINATION, THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK, 11 OCTOBRE 2000. © PHOTO : RAINER GANAHL.

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Un autre dispositif est utilisé pour mettre les intervenants en relation, tant à la conférence qu’au workshop : le panel (fig. 8). Une série d’exposés est réunie sous un thème6, et les intervenants sont choisis pour leur expertise sur ce dernier. Les introductions des modérateurs permettent de comprendre en quoi ces thématiques sont supposées faire écho à la tradition pragmatiste, en plus d’être brûlantes dans le milieu architectural contemporain.

Cette dernière stratégie d’assemblage est bien mise en lumière par un dernier dispositif très concret : le Reader, préparé en amont du workshop et distribué aux participants (fig. 4). Ce dossier de plusieurs centaines de pages relie littéralement – il assemble et organise – des travaux des intervenants en fonction des thèmes choisis. Vu que peu de ces recherches se référaient au pragmatisme, et pour assurer que cette rencontre ait bien lieu, chaque partie est introduite par un key text, sélectionné à la fois pour la problématique développée et pour son appartenance à la tradition pragmatiste. Le Reader a en effet pour objectif de fournir une base commune aux participants concernant cette philosophie, puisqu’il est admis qu’ils n’en sont pas tous familiers. Le Reader comporte également un Glossaire définissant les termes généraux du workshop, à travers le texte d’un philosophe pragmatiste : « pragmatisme », « imagination », « workshop ou laboratoire », « penser et dire » et « les choses en train de se faire » se trouvent ainsi expliqués respectivement par C. West, J. Dewey, C. S. Peirce, R. Bourne et W. James. Finalement, un Addendum comporte les textes que les organisateurs avaient déjà publiés concernant le pragmatisme et ses liens avec l’architecture7. Ce Reader s’est révélé efficace, puisque les rares références au pragmatisme qui apparaîtront dans des interventions peinant à en faire leur objet seront tirées de cette bibliographie bien commode. Surtout, l’assemblage de ce dossier rend particulièrement visible le montage expérimental que constituait l’événement.

La deuxième partie de cet article sera mise à profit pour quitter la description presque technique des dispositifs et entrer dans certains arguments qu’ils ont permis de déployer. Trois moments particuliers ont été choisis. Chacun met en scène différentes positions concernant la nécessité pour les architectes d’une rencontre avec la philosophie,

CE QUE LES DISPOSITIFS PERMETTENT DE DÉPLIER

7L’Addendum comprend l’article d’Ockman sur A. Dorner et ses liens avec Dewey (Ockman, 1997), celui de Rajchman présenté à la conférence Anyhow sur « un nouveau pragmatisme » (Rajchman, 1998) et un texte de Blake sur L. Mumford dans un ouvrage sur le pragmatisme (Blake, 1995).

DISPOSITIF 4 : RELIER, LITTÉRALEMENT

Pauline Lefebvre

6Les thèmes abordés sont : « le futur / le passé » ; « le public » ; « esthétique / expérience » ; « la technologie et ses impacts sur la perception » ; « lieu et citoyenneté » ; « la vie sociale et le monde quotidien ».

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mais aussi ses modalités et ses critères de réussite. L’introduction de Rajchman et la conclusion de Blake aux actes du workshop (moment 1) dramatisent la distinction entre les rôles de « passeur » et de « garant » et les critères de réussite très différents qu’ils impliquent. Les dialogues entre Eisenman et Rorty d’une part, et entre Koolhaas et West de l’autre (moment 2), mettent en scène les rôles que les philosophes sont prêts à prendre et que les architectes sont prêts à leur attribuer. L’intervention de l’architecte Stan Allen (moment 3) interroge la manière d’évaluer les espoirs que la conférence représente pour l’architecture. De ces trois moments, des pistes de réflexion seront extraites quant à des critères pragmatistes pour juger d’une rencontre.

Les textes de Rajchman et Blake – tous deux coorganisateurs de l’événe-ment – jouent au premier abord le rôle traditionnellement attribué aux introductions et conclusions : expliquer les enjeux, lier les différentes interventions entre elles et faire le bilan des résultats. Toutefois, dans sa conclusion, Blake est particulièrement perplexe quant aux effets de cette rencontre. L’introduction de Rajchman constitue dès lors une réponse à rebours aux objections de Blake.

Quand Blake intitule sa postface « What’s Pragmatism got to do with it ? », ce n’est pas pour apporter une réponse positive à cette question, mais au contraire pour affirmer que « des limites doivent être mises concernant les arguments qu’on peut assembler sous cette bannière ». Sa conclusion reprend une à une chacune des grandes thématiques abordées (les politiques démocratiques, une esthétique de l’expérience, une identité postnationale) et réinstaure pour chacune d’elles une distance sociohistorique avec la tradition pragmatiste qui met en doute l’opportunité d’une reprise :

« Je suis sceptique par rapport à l’idée qu’il y aurait des connexions nécessaires entre le pragmatisme comme posture philosophique et les opinions politiques défendues par la plupart des auteurs réunis au work-shop, entre l’esthétique pragmatiste et certains courants contemporains en architecture et design. » (Blake, 2000 : 270.)

Endossant son rôle de « garant », Blake met en garde contre une appropriation trop rapide du pragmatisme, qui ne prendrait pas en compte sa spécificité historique. En insistant sur le fait qu’il ne voit pas de « connexion nécessaire » entre le pragmatisme et ce qui est en jeu lors du workshop, il dénonce les arguments qui naturalisent la rencontre. Toutefois, le regret qu’il manifeste à cet égard montre qu’il ne considère pas le travail expérimental et risqué qu’implique une telle reprise.

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

MOMENT 1 : LA REPRISE DOIT-ELLE ÊTRE FIDÈLE ?

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En réponse à ces objections, Rajchman rappelle dans son introduction que le workshop ne consiste pas à appliquer le pragmatisme tel quel, mais bien à utiliser cette tradition éclipsée pour mesurer les changements survenus depuis lors et comprendre si elle peut aider à éclairer des situations contemporaines. L’ambition du workshop n’est pas de mener un travail technique sur la tradition pragmatiste en vue de bien la comprendre et de se rendre capable de bien l’appliquer. Blake et Rajchman diffèrent donc radicalement quant aux modalités de réussite qu’ils attribuent à la rencontre. Pour Rajchman, bien hériter du pragmatisme en architecture n’implique pas de lui être « fidèle », mais de le réinventer à nouveaux frais dans de nouvelles conditions.

Comme évoqué plus haut, les conversations mettant en scène un architecte et un philosophe étaient supposées incarner la rencontre même, sur un mode symétrique. À l’inverse, elles vont être l’occasion de problématiser les différents réquisits qui caractérisent les deux pratiques. Conformément à ses positions philosophiques, Rorty se montre sévère concernant la pertinence même d’une rencontre entre deux champs incommensurables. Il est très méfiant à l’idée d’utiliser des idées philosophiques en dehors de leur champ propre, et plus particulièrement en art8. Le pragmatisme de Rorty consiste à refuser d’attribuer un rôle prédominant à la philosophie, dont il considère qu’elle peut éventuellement servir d’« influence libératrice », mais en aucun cas s’attribuer une mission d’instruction. Rorty introduit cette réserve en évoquant les célèbres échanges entre son interlocuteur Peter Eisenman et Jacques Derrida : « Je suis plus méfiant par rapport aux tentatives d’utiliser des idées philosophiques en dehors de la philosophie que ne l’est Eisenman9. »

En effet, Eisenman avait sans doute été invité dans cette discussion pour témoigner de la manière dont la philosophie avait compté pour sa pratique. Il va toutefois directement récuser l’appellation de « Derrida architectural » et déclarer que son architecture avait été dite déconstructiviste avant même qu’il n’ait jamais lu le philosophe français. Pourtant, Eisenman finira par reconnaître une capacité à la philosophie, celle de problématiser et d’apprendre aux architectes à le faire. L’architecte va d’ailleurs mettre en cause le pragmatisme tel que présenté par Rorty, sous prétexte que celui-ci ne rend pas compte de ce qui pousse une discipline pragmatique comme l’architecture à se tourner vers la philosophie.

La répartition de la méfiance et de l’espoir entre philosophe et architecte sera inversée dans l’autre dialogue : le philosophe Cornel West est particulièrement enthousiaste par rapport

MOMENT 2 : FAUT-IL REPRENDRE ? COMMENT REPRENDRE ?

8L’intervention de Rorty sera d’ailleurs publiée en allemand dans ARCH+ sous le titre « On the necessity of philosophy for the artist » (Rorty, 2001).

9Les citations qui ne sont pas référencées proviennent de la retranscription des captations sonores de la conférence, archivées au MoMA (Ockman et Riley, 2000).

Pauline Lefebvre

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à cette « réunion fascinante et vraiment nécessaire » alors que l’architecte Rem Koolhaas se montre dubitatif voire agacé par l’idée même de la rencontre ainsi que par le manque de résultats concluants. West va rétorquer à Rorty qu’il est impossible de nier que la philosophie a une influence manifeste et constitutive sur certains artistes, qui ne produiraient pas la même chose s’ils ne lisaient certains auteurs. West opte en fait pour une tout autre position philosophique que Rorty. Il se considère comme un philosophe militant et il va jusqu’à attribuer à sa philosophie une mission d’ordre « prophétique ». Il admet d’ailleurs construire son histoire d’une résurgence du pragmatisme de manière partielle et partiale en vue de servir son projet politique, entre autres en privilégiant l’héritage de Dewey (West, 1989). Pour West, le pragmatisme comporte un véritable potentiel démocratique et critique, et ce au-delà de la discipline philosophique, aussi pour l’architecture10. West va donc répondre à la méfiance que les deux architectes expriment à l’encontre du pragmatisme, vu comme une philosophie qui encouragerait l’utilitarisme, voire un retour du fonctionnalisme. West prend toutefois au sérieux le risque que revêtent des reprises trop rapides comme celle-là. Il « pense que le défi est toujours de voir comment préserver son intégrité et son identité en tant que critique et en tant qu’architecte. Il ne faut pas juste imiter ou transposer ce qui se passe dans une autre discipline ». Il rejoint en cela Rorty lorsque celui-ci affirme que « l’art et la critique d’art sont tenus par d’autres nécessités que les philosophes qui les ont inspirés ».

On touche là un point particulièrement important : poser des exigences qui définissent des pratiques différentes ouvre la question des modalités de leurs rencontres. Comment passer les idées d’un champ à l’autre ? Et cette question se pose surtout du fait que les pratiques diffèrent par leurs réquisits et qu’une reprise ne peut pas être une transposition directe ; elle passe nécessairement par des mécompréhensions, des trahisons, dont on ne peut qu’espérer qu’elles soient à la fois créatives et diplomatiques. Approcherait-on là de critères proprement pragmatistes pour juger d’une reprise ? Le pragmatisme, en tant que tradition étrangère à tout scrupule de « conformité », invite à favoriser la trahison créative. En conclusion de son intervention, Rorty dira d’ailleurs que ce qu’il retient du pragmatisme c’est l’invitation à placer l’imagination (produire des idées nouvelles) devant la raison (rendre les idées existantes cohérentes). Les architectes pourraient le lire comme une invitation à « faire des enfants dans

11« Je m’imaginais arriver dans le dos d’un auteur, et lui faire un enfant, qui serait le sien et qui serait pourtant monstrueux. Que ce soit bien le sien, c’est très important, parce qu’il fallait que l’auteur dise effectivement tout ce que je lui faisais dire. Mais que l’enfant soit monstrueux, c’était nécessaire aussi, parce qu’il fallait passer par toutes sortes de décentrements, glissements, cassements, émissions secrètes qui m’ont fait bien plaisir. » (Deleuze, 2003 : 15.)

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

LA REPRISE COMME « TRAHISON CRÉATIVE »

10Il est d’ailleurs l’auteur d’un texte qui décrit un avenir à la critique architecturale inspiré du pragmatisme (West, 1993).

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le dos » des philosophes dont ils veulent hériter. Cette expression – reprise dans le dos de Deleuze – n’autorise toutefois pas à faire « n’importe quoi »11. S’il ne s’agit pas d’une affaire de conformité ou de cohérence, il reste que, dans l’idée d’une « écologie des pratiques » (Stengers, 1997), cette affaire est hautement sensible « diplomatiquement ». Comment ne pas rejouer les erreurs qui ont rendu les architectes imbuvables aux yeux des philosophes qui se sentaient spoliés ? Comment sortir de la confusion dans laquelle ces emprunts avaient plongé l’architecture ? Comment ne pas abandonner toute transaction pour autant ? Comment s’armer de critères pragmatistes pour juger des réussites de ces transactions, et ce pour chacune des parties concernées ?

À ce propos, pour revenir à l’événement et conclure sur une ouverture, un troisième moment est particulièrement propice : l’intervention de l’architecte Stan Allen à la conférence. Allen est l’un des seuls architectes présents à être enthousiaste par rapport à l’introduction du pragmatisme en architecture, tout en restant attentif aux exigences imposées par celle-ci.

« Ce qui est en jeu à cette conférence, ce n’est pas [le petit-p pragma-tisme]. Ce qui est en jeu ici, c’est quelque chose de plus strict, de plus réfléchi (thoughtful), de plus rigoureux (tough-minded) et de plus géné-reux et optimiste. »

Ainsi, Allen ne tombe pas dans l’anti-intellectualisme facile qui caractérise ceux qu’on appelle « post-critiques » et qui monopoliseront bientôt les débats. Il mesure bien la différence entre pragmatisme et Pragmatisme. L’architecte ne considère donc pas du tout la rencontre comme « naturelle ». Il y voit plutôt l’opportunité d’affronter les problèmes auxquels l’architecture est confrontée. Il rappelle que le pragmatisme est « une pratique obstinée » qui pourrait aider l’architecture à sortir des quêtes ontologiques (ce qu’elle est) et sémiotiques (ce qu’elle veut dire), pour insister à nouveau sur la question pragmatiste de sa « performativité » (ce qu’elle fait). L’architecture pourrait dès lors se concentrer sur ses conséquences dans le monde plutôt que sur ce qui la constitue en amont ou en dehors de l’expérience de ceux qui la traversent, la fréquentent, l’utilisent. Symétriquement, Allen invite à interroger la réussite de la rencontre académique à laquelle il participe au vu de ses conséquences : c’est seulement à l’aune des effets produits que la « rencontre » pourra être dite réussie. Et c’est précisément dans les rares reprises comme celle de cet architecte qu’il est possible de tracer des réussites partielles et situées : des pratiques pour lesquelles le pragmatisme fait une différence.

MOMENT 3 : LÀ OÙ LE PRAGMATISME FAIT UNE DIFFÉRENCE

Pauline Lefebvre

30QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE

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Diplômée en 2010 de l’ISACF-La Cambre, Pauline Lefebvre travaille pendant près de deux ans en tant qu’architecte au sein du bureau MS-A. Depuis 2011, elle prépare une thèse de doctorat au sein des laboratoires Sasha et hortence de la Faculté d’architecture de l’Université libre de Bruxelles sous le mandat d’aspirante FRS-FNRS. Au cours de l’année 2011-2012, elle participe en parallèle au Programme d’expérimentations en arts politiques dirigé par Bruno Latour à Sciences Po Paris. En 2013, elle effectue un séjour de recherches au sein de la Graduate School for Architecture, Planning and Preservation de Columbia University. Sa thèse porte sur les récents succès du pragmatisme en architecture.

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DOSSIER THÉMATIQUE :PENSER LES RENCONTRES ENTRE ARCHITECTURE ET SCIENCES HUMAINES

INTRODUCTION. EXCURSIONS EN ZONES

FRONTALIÈRESMichaël GhyootPauline LefebvreTyphaine Moogin 9

Les rencontres entre architecture et sciences humaines réunies dans ce dossier thématique sont d’une grande diversité et ouvrent un grand nombre de questionnements. D’abord, toute rencontre entre deux termes interroge nécessairement ceux-ci : ni l’architecture ni les sciences humaines ne sortent indemnes d’un croisement. Il apparaît en fait que ce sont rarement ces « domaines » qui sont à l’origine de la rencontre, mais que ce sont plutôt des situations problématiques qui amènent à traverser allègrement les limites disciplinaires. En effet, plusieurs recherches rassemblées dans ce dossier montrent que ce sont les objets d’étude qui mobilisent des registres différents et imposent au chercheur de trouver les manières de bien les décrire, mais aussi de les faire importer. C’est pour cette raison que certaines enquêtes usent des ressorts de la fiction pour rendre compte de leurs objets et pour donner une portée critique à leur trajectoire transdisciplinaire.

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE : UNE RENCONTRE PLACÉE

SOUS LE SIGNE DE L’ÉVIDENCE

Pauline Lefebvre 15

Prenant le thème du dossier au pied de la lettre, cet article fait l’histoire d’une rencontre donnée entre architecture et philosophie. La scène se situe à New York, en 2000, lorsque Joan Ockman prend l’initiative d’introduire la tradition philosophique américaine du Pragmatisme dans le champ de l’architecture. Elle met en place une série de dispositifs ambitieux afin que prenne cette rencontre inédite et risquée : un Reader réunissant des articles d’architectes et de philosophes pragmatistes autour de thèmes supposés communs, une assemblée transdisciplinaire réunie en panels ou en dialogue à l’occasion d’un workshop à Columbia University et d’une conférence au MoMA, et, finalement, la publication de certaines de ces contributions. L’échec relatif de cette série d’événements invite à interroger les conditions de réussite d’une telle rencontre. Pour ce faire, l’article propose d’abord de déplier les dispositifs mis en place avant d’entrer dans les arguments qu’ils ont permis de déployer. Le récit emprunte effectivement lui-même des méthodes et des critères pragmatistes : d’une part, l’artificialité de la rencontre est considérée comme une opportunité, d’autre part, son succès doit être mesuré à la lumière de ses conséquences. Finalement, ce sont des critères pragmatistes pour juger d’une

bonne rencontre entre architecture et philosophie qui sont esquissés : cette scène et les discussions qui s’y manifestent amènent à envisager la reprise de pensées philosophiques par l’architecture comme relevant nécessairement d’une « trahison créative ».

APPRENDRE EN SITUATION DE TRANSMISSIONGraziella VellaVictor Brunfaut 31

L’atelier Terrains d’architecture fait de l’apprentissage du projet d’architecture le lieu de l’articulation entre architecture et anthropologie. Le texte montre comment au fil du temps, l’articulation des pratiques a pris d’autres formes, comment elle s’est enrichie en faisant du terrain un véritable travail de problématisation, une sorte d’ethnographie de la commande. Les abattoirs d’Anderlecht y occupent une place centrale car c’est à l’épreuve de ce terrain que la notion de public s’est mise à réclamer plus de consistance et de nuances et qu’a été développé un geste spécifique, celui de faire importer. Faire importer ce qui nous a affectés et qui nous est apparu comme étant une force de ce site : ces abattoirs et la possibilité de les agencer autrement dans leur quartier et dans la ville. Le texte insiste sur les liens qui unissent situation pédagogique et situation de projet. Ce qui se fait dans des lieux d’apprentissage, ici l’atelier de projet, peut compter en dehors de ceux-ci à la condition de ne pas se cantonner à une division des rôles stérile entre pratiques.

RÉSUMÉS

184

Il faut tenter d’autres articulations, refuser le rôle de rabat-joie, quitter le champ des représentations, prendre les architectes dans leurs forces – leur prédisposition à regarder vers le futur et à y projeter des situations, à élaborer des scénarios –, et apprendre avec eux à donner de la consistance à ces scénarios. Spéculer avec consistance : ni utopie, ni vision toute faite.

DIS-MOI CE QUE TU FAIS ET JE TE DIRAI CE QUE TU ME FAIS FAIRE. LE PRIX VAN DE VEN

COMME OBJET DE RECHERCHE

Typhaine Moogin 45

Cet article propose d’explorer certains croisements méthodologiques s’opérant à travers l’analyse d’un objet d’étude particulier : un prix d’architecture. À partir du cas précis du prix Van de Ven, importante distinction belge attribuée de 1928 à 1968, l’auteure souligne en quoi suivre l’histoire d’un prix signifie croiser une série d’entités hétérogènes aux rationalités diverses. En désirant saisir une telle diversité, le chercheur est invité à franchir les frontières disciplinaires. Entre la sociologie, l’histoire et la théorie architecturale, voire parfois la philosophie, c’est un exercice de composition qui se présente. Revenant dans un premier temps sur les raisons qui font des prix des objets particulièrement sensibles à cette composition méthodologique, l’auteure nous plonge par la suite au cœur de son étude de cas. Elle y illustre ainsi ce que notre compréhension

des prix d’architecture gagne par l’adoption d’une posture épistémique qui revendique la possibilité d’allers-retours entre des disciplines diverses, empruntant leurs méthodes (enquêtes, analyse d’œuvres…). La place prépondérante accordée à l’étude de cas n’est pas fortuite. Elle tient d’une intuition selon laquelle les conditions de cette circulation disciplinaire reposent précisément sur la spécificité de cette instance au sein du monde de l’architecture. En ce sens, cette contribution entend questionner les frontières épistémologiques qui se présentent au chercheur dès lors que son objet invite à les déplacer, voire à les ignorer.

L’ARCHITECTURE (DURABLE) COMME TECHNOLOGIE DE GOUVERNEMENT : APPORTS

ET DÉTOURNEMENTS DE LA SOCIOLOGIE DE L’ACTION PUBLIQUE

Julie Neuwels 63

Cherchant à questionner l’« architecture durable » sous l’angle de sa portée critique, nous nous appuyons sur le courant dit cognitiviste de la sociologie de l’action publique, qui insiste sur les dimensions cognitives de la construction des problèmes publics. Dans ce pan de la sociologie, l’enjeu scientifique consiste en l’étude des évolutions des modalités de l’action justifiées au nom du durable. La ville et l’architecture constituent alors des terrains d’étude. A contrario, nos recherches entendent questionner les mutations de l’architecture justifiées au nom

du développement durable par l’analyse de l’action publique. Cette inversion de l’angle de lecture implique une série de distanciations vis-à-vis de la sociologie de l’action publique, tout en orientant la manière dont la question architecturale est abordée. En particulier, la mise en exergue de ses dimensions politiques et cognitives nous amène à considérer l’architecture comme une technologie de gouvernement. Cet article vise à mettre à l’épreuve cette rencontre entre architecture et sociologie cognitiviste de l’action publique par l’analyse de l’appel à projets bâtiments exemplaires, elle-même abordée à travers les modalités de construction de l’intérêt général. Cette analyse met en évidence le fait que les bâtiments exemplaires constituent des instruments de régulation à part entière, au-delà de l’appel à projets à proprement parler. Elle illustre également l’influence de cette utilisation sur la signification du référentiel d’architecture durable, le faisant glisser d’un espace de mise en questionnement à un espace de mise en œuvre de solutions stabilisées.

GENÈSE D’UNE RENCONTRE ENTRE CRIMINOLOGIE ET ARCHITECTURE : L’ESPACE CARCÉRAL

À TRAVERS LES ÉPISTÉMOLOGIES

David Scheer 73

La dissection de la genèse d’un projet de recherche doctorale relatif à l’architecture carcérale, à la veille de la rédaction de la thèse, permet de comprendre les

RÉSUMÉS

185

glissements épistémologiques qu’il s’agit d’opérer lorsque l’on désire étudier les espaces pénitentiaires en criminologie. La présente contribution vise donc à mettre en scène – sous la forme de trois étapes chronologiques illustrant les ajustements et les déplacements progressifs du cadre d’analyse – une rencontre particulière entre deux disciplines scientifiques, à la fois lointaines et proches sur certains aspects : l’architecture et la criminologie. La singularité de cette rencontre, illustrée dans l’exemple récurrent de l’étude de l’espace cellulaire en prison, met en lumière des considérations plus globales sur la manière d’appréhender l’espace comme objet de recherche (davantage que simple focale d’analyse) dans les sciences humaines. Ainsi, l’article propose de considérer l’espace comme véritable objet de la science ; un objet qui nécessite une attention épistémologique toute spécifique.

UNE DIMENSION HUMAINE ET SOCIALE POUR L’ARCHITECTURE RÉSIDENTIELLE : LES RÉCITS

DE LÉGITIMATION DE DEUX PROMOTEURS

Anne Debarre 87

Depuis les années 2000, marquées par un changement des contextes de production des opérations résidentielles en France, les promoteurs immobiliers doivent répondre aux enjeux sociaux qui sont ceux de leurs nouveaux interlocuteurs publics. Une rencontre en 1998 avec le président de George V Habitat et son architecte, puis une seconde en

2012 avec un maître d’ouvrage de Bouygues Immobilier, ont permis d’analyser l’intérêt qu’ils manifestent pour les sciences humaines et sociales. Face aux chercheurs, à des acteurs institutionnels ou à des élus, les promoteurs argumentent leur architecture par des références empruntées à ces disciplines que le marketing les a conduits à fréquenter. Déniée par la critique architecturale, l’« architecture douce » érigée en style de la société George V Habitat, est expliquée par sa portée symbolique, avec l’évocation de concepts développés par Edgar Morin. Incontournable dans le concours auquel participe Bouygues Immobilier, l’architecture contemporaine signée par des architectes renommés cherche à se distinguer par une dimension sociale que lui donne une sociologue recrutée à cet effet. Dans les récits de ces promoteurs, les sciences humaines et sociales fournissent une légitimité à l’architecture qu’ils produisent, mais aussi à ces agents commerciaux qui entendent ainsi revaloriser leur image auprès de potentiels partenaires publics.

INVENTION ET RÉINVENTION DE LA « PROGRAMMATION GÉNÉRATIVE » DES PROJETS : UNE OPPORTUNITÉ

DE COLLABORATION ENTRE ARCHITECTURE ET SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES POUR DES MODES D’HABITER « DURABLES »

Jodelle Zetlaoui-Léger 101

Cet article évoque les différents développements qu’a connus

en France une méthode visant une meilleure analyse de la demande sociale d’habitat : « la programmation générative » des projets. Il revient dans un premier temps sur les conditions d’émergence, les apports et les difficultés de diffusion de cette méthode mise au point par des chercheurs-praticiens du Centre scientifique et technique du bâtiment à la charnière des années 1980-1990. Basée sur un travail itératif entre programmation et conception mené par un binôme spécialiste en sciences sociales et humaines / architecte, elle visait à explorer conjointement, dans le cadre d’un dispositif concerté associant maître d’ouvrage et utilisateurs, des problématiques d’usages, d’appropriation et de gestion ultérieure des espaces. La contribution s’intéresse ensuite à la façon dont la complexification des projets architecturaux et urbains liée à la diversification des acteurs impliqués, aux incertitudes économiques fragilisant leur faisabilité, et à la montée en puissance des enjeux de développement durable, conduit ces dernières années à faire évoluer les processus opérationnels selon des modalités qui reprennent un certain nombre des principes de la méthode de programmation générative. L’article est illustré par des exemples issus de plusieurs recherches et expérimentations auxquelles l’auteure a participé, portant sur les fondements et prolongements de la méthode dans le cadre de dispositifs participatifs. Il montre ainsi dans quelle mesure la programmation, comme activité permettant à une collectivité de définir ses attendus tout au long

RÉSUMÉS

186

d’un projet, peut, dans un dialogue avec la conception spatiale, conférer une dimension véritablement opératoire aux apports des sciences humaines et sociales dans le champ de la production architecturale et urbaine.

OBJETS PLANOLOGIQUES EN DÉPLACEMENT. VERS UNE

JURISPRUDENCE DE CAS ETHNOGRAPHIQUES

Rafaella Houlstan-HasaertsGiulietta Laki 117

Pour le sens commun, les plans, les coupes, les maquettes, les modèles 3D – que nous regroupons sous le nom d’« objets planologiques » – sont des « outils » de conception, de planification ou de représentation propres à la discipline architecturale et urbanistique. On prend d’ailleurs pour acquis que leur manipulation est une affaire de « spécialistes », nécessitant une forte dose de savoirs « techniques ». Pourtant, nombreux sont ceux qui s’emparent de ces objets, les décodent, les élaborent, les transmutent ou les détournent dans des milieux et des situations qui dépassent largement le cadre du bureau d’architecture ou d’urbanisme. En les plaçant au centre d’une enquête ethnographique, nous les avons observés dans leur milieu supposé « naturel » – le « biotope » du bureau et le « terrarium » du dispositif pédagogique de l’atelier – pour continuer à les suivre quand ils se déplacent dans des contrées a priori plus hostiles : des territoires où ces « outils du métier » côtoient des non-

architectes. Cet article rend compte de nos observations : les manières dont les objets planologiques sont engagés dans différentes pratiques et comment ils engagent en retour ceux qui les sollicitent.

TRAVELLINGS – FAIRE PRISE SUR DES TRAJECTOIRES DE MATÉRIAUXMichaël Ghyoot 131

Suivies à la trace à travers toutes les transformations qui les affectent – à la façon d’un travelling cinématographique ou d’une enquête minutieuse –, les trajectoires des matériaux de construction donnent à voir les diverses exigences qui pèsent sur les circuits de l’économie matérielle. Au-delà des processus de production qui leur donnent forme, les matériaux passent en effet par des formatages de nature juridique, commerciale ou normative afin de répondre aux attentes qu’implique leur mise en œuvre. Si les ressources des enquêtes de type ethnographique permettent de décrire de telles trajectoires et de rendre compte de ces diverses exigences, une telle approche permet aussi d’éclairer les rôles que jouent et ceux que pourraient jouer les concepteurs au sein de telles trajectoires. C’est cette question générale qui anime le présent article. Il s’articule pour ce faire autour d’un cas très concret, celui des granulats de béton, et donne ainsi à voir, dans son élaboration même, mais aussi dans les perspectives programmatiques qu’il esquisse, les modalités d’un croisement tout à fait spécifique entre architecture et sciences humaines.

ARCHIVES

CE QUE LES ARCHIVES NOUS APPORTENT. NEUF PROJETS NON

RÉALISÉS DE JACQUES DUPUIS (QUAREGNON, 1914 – MONS, 1984)

Maurizio Cohen 145

L’article introduit une série des projets issus du fonds d’archives de Jacques Dupuis, une figure importante de l’architecture moderne belge. Constitué par Maurizio Cohen et Jan Thomaes, ce fonds et les documents qu’il rassemble est en dépôt aux archives de l’ULB. Cette sélection de neuf projets non-réalisés illustre la vitalité créative, la capacité à manier la géométrie et l’invention spatiale mais également l’esprit avant-gardiste de Dupuis. Il s’agit aussi d’un parcours de typologies et d’échelles différentes. Le fait de montrer des projets inaboutis met en évidence la part de recherche qui dans le métier d’architecte s’effectue dans l’élaboration d’avant-projets. Ce questionnement aide à focaliser la nature de la pratique architecturale, ainsi que la nécessité de conjuguer exigences pratiques et programmatiques avec l’art de composer des espaces et de leur conférer une qualité. Si la notion de qualité est parfois difficile à cerner, dans le cas de Dupuis la richesse des plans nous emporte dans sa vision, dans sa volonté d’offrir aux utilisateurs un monde généreux en fantaisie, libéré des conventions et des banalités.

RÉSUMÉS

SOMMAIRE ILLUSTRÉ 1

ÉDITORIAL 7

DOSSIER THÉMATIQUE : PENSER LES RENCONTRES ENTRE ARCHITECTURE ET SCIENCES HUMAINES

INTRODUCTION. EXCURSIONS EN ZONES

FRONTALIÈRES Michaël GhyootPauline LefebvreTyphaine Moogin 9

QUAND LE PRAGMATISME EST INVITÉ EN ARCHITECTURE : UNE RENCONTRE PLACÉE

SOUS LE SIGNE DE L’ÉVIDENCE

Pauline Lefebvre 15

APPRENDRE EN SITUATION DE TRANSMISSIONGraziella VellaVictor Brunfaut 31

INTERMÈDE.CONSTRUCTION, DÉCONSTRUCTION, RECONSTRUCTION : CROISEMENTS

EN ARCHITECTURE ET PHILOSOPHIE

Jean-François Côté 43

DIS-MOI CE QUE TU FAIS ET JE TE DIRAI CE QUE TU ME FAIS FAIRE. LE PRIX VAN DE VEN COMME

OBJET DE RECHERCHETyphaine Moogin 45

L’ARCHITECTURE (DURABLE) COMME TECHNOLOGIE DE GOUVERNEMENT : APPORTS ET

DÉTOURNEMENTS DE LA SOCIOLOGIE DE L’ACTION PUBLIQUE

Julie Neuwels 63

GENÈSE D’UNE RENCONTRE ENTRE CRIMINOLOGIE ET ARCHITECTURE : L’ESPACE CARCÉRAL

À TRAVERS LES ÉPISTÉMOLOGIES

David Scheer 73

INTERMÈDE.OUVRIR LA CROISÉEPierre Chabard 85

UNE DIMENSION HUMAINE ET SOCIALE POUR L’ARCHITECTURE RÉSIDENTIELLE : LES RÉCITS DE LÉGITIMATION

DE DEUX PROMOTEURSAnne Debarre 87

INVENTION ET RÉINVENTION DE LA « PROGRAMMATION GÉNÉRATIVE » DES PROJETS : UNE OPPORTUNITÉ DE

COLLABORATION ENTRE ARCHITECTURE ET SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES POUR DES MODES D’HABITER « DURABLES »

Jodelle Zetlaoui-Léger 101

INTERMÈDE. COUP DE THÉÂTRE ET CHANGEMENT DE RÔLESStéphane Dawans 115

OBJETS PLANOLOGIQUES EN DÉPLACEMENT. VERS UNE JURISPRUDENCE

DE CAS ETHNOGRAPHIQUESRafaella Houlstan-Hasaerts Giulietta Laki 117

TRAVELLINGS – FAIRE PRISE SUR DES TRAJECTOIRES DE MATÉRIAUXMichaël Ghyoot 131

INTERMÈDE.ÉTUDIER LES ARTEFACTS ARCHITECTURAUX : FAITES ENTRER LES ACTEURS !Isabelle Doucet 143

ARCHIVES

CE QUE LES ARCHIVES NOUS APPORTENT. NEUF PROJETS NON RÉALISÉS

DE JACQUES DUPUIS (QUAREGNON, 1914 – MONS, 1984)

Maurizio Cohen 145

APARTÉS

ALICE : 1994-2014. VINGT ANS D’EXPÉRIMENTATION ET D’ENSEIGNEMENT SUR L’ANALYSE ET LA REPRÉSENTATION ARCHITECTURALEDenis Derycke avec David Lo Buglio,Maurizio Cohen, Michel Lefèvre,Vincent Brunetta 163

UN ÉTERNEL PERFECTIONNISTE DANS UN MONDE IMPARFAIT. ENTRETIEN AVEC

ANDRÉ JACQMAINSarah AvniThomas Guilleux 175

RÉSUMÉS 183

SOMMAIRE 187

COLOPHON 188

187SOMMAIRE

188

CLARA Architecture/Recherche, revue du Centre des laboratoires

associés pour la recherche en architecture (C.L.A.R.A.) de la Faculté d’architecture La Cambre-Horta de l’Université libre de Bruxelles

CLARA Faculté d’architecture

La Cambre-Horta / ULB Place E. Flagey 19 B-1050 Bruxelles, Belgique www.clara-recherche.be [email protected] +32 (0)2 639 24 38

COÉDITEUR Éditions Mardaga Rue du Collège 27 B-1050 Bruxelles www.editionsmardaga.com [email protected] +32 (0)2 894 09 40

COMITÉ ÉDITORIAL Maurizio Cohen, Florencia

Fernandez Cardoso, Axel Fisher, Jean-Louis Genard, Clotilde Guislain (Mardaga), Rafaella Houlstan-Hasaerts, Géry Leloutre, Judith le Maire, Hubert Lionnez, Typhaine Moogin, Yannick Vanhaelen, Aurore Van Opstal (secrétariat), Laurence Waterkeyn (suivi de production)

DIRECTRICE DE LA PUBLICATION Judith le Maire

COORDINATION SCIENTIFIQUE ET ÉDITORIALE DU NUMÉRO Axel Fisher

DIRECTION DE LA THÉMATIQUE DU NUMÉRO ET ILLUSTRATION DE COUVERTURE Typhaine Moogin, Pauline Lefebvre

CONTRIBUTIONS Sarah Avni, Vincent Brunetta,

Victor Brunfaut, Pierre Chabard, Maurizio Cohen, Jean-François Côté, Stéphane Dawans, Anne Debarre, Denis Derycke, Isabelle Doucet, Michaël Ghyoot, Thomas Guilleux, Rafaella Houlstan-Hasaerts, Giulietta Laki, Michel Lefèvre, David Lo Buglio, Julie Neuwels, Typhaine Moogin, David Scheer, Graziella Vella, Jodelle Zetlaoui-Léger

COMITÉ SCIENTIFIQUE Joseph Abram (ENSA Nancy / LHAC),

Pascal Amphoux (ENSA Nantes, ENSA Grenoble / Cresson), Victor Brunfaut (Faculté d’architecture ULB / Habiter), Jean-Louis Cohen (Institute of Fine Arts New York University), Elodie Degavre (Faculté d’architecture ULB), Denis Derycke (Faculté d’architecture ULB / CLARA.ALICE), Isabelle Doucet (Manchester School of architecture, University of Manchester), Bernard Kormoss (Faculté d’architecture ULg), Christophe Loir (Faculté de philosophie et lettres ULB), Irene A. Lund (Faculté d’architecture ULB / Archives), Valérie Mahaut (École d’architecture Université de Montréal), Luca Pattaroni (EPFL / LASUR), Chris Younès (ENSA Paris-La Villette / GERPHAU)

LECTRICES ET LECTEURS INVITÉ(E)S COMITÉ SCIENTIFIQUE Patrick Burniat, Rika Devos (École

Polytechnique ULB / BATir), Marie-Clotilde Roose (Faculté d’architecture UCL / LOCI), Marie Roosen (Faculté d’architecture ULg / Unité Architecture et Société), David Vanderburgh (Faculté d’architecture UCL / LOCI), Pierre Vanderstraeten (Faculté d’architecture UCL / LOCI)

CONCEPTION GRAPHIQUE Boy Vereecken

et Antoine Begon

DIFFUSION Belgique et Luxembourg : Adybooks

+32 (0)4 223 18 28 ou +32 (0)475 32 94 16 [email protected]

France : Sofedis +33 (0)1 53 10 25 25 [email protected] Autres pays : Gallimard Export +33 (0)1 49 54 14 53 [email protected]

IMPRESSION Snel Grafics sa Z.I. des Hauts-Sarts – Zone 3 Rue Fond des Fourches 21 B-4041 Vottem Belgique [email protected] www.snel.be +32 (0)4 344 65 65

MENTIONS ISBN : 978-2-8047-0258-8 ISSN : 2295-3671 Dépôt légal : 2015-0024-6 © 2015, Mardaga Tous droits réservés

La source des images utilisées dans le sommaire se trouve dans chacun des articles concernés.

Les éditeurs se sont efforcés de régler les droits relatifs aux illustrations conformément aux prescriptions légales. Les ayants droit que, malgré nos recherches, nous n’aurions pu retrouver sont priés de se faire connaître aux éditeurs. Les textes publiés dans CLARA Architecture/Recherche n’engagent que la responsabilité des auteurs.

Ce troisième numéro de la revue a reçu le soutien financier :

du F.R.S.-FNRS de la Faculté d’architecture

La Cambre-Horta de l’ULB

Les auteurs et éditeurs les en remercient

APPEL PERMANENT À CONTRIBUTIONS Le comité éditorial de CLARA

Architecture/Recherche encourage la soumission de dossiers thématiques ou d’articles s’insérant dans une thématique déjà déterminée pour ses numéros à venir. Pour plus de précisions quant aux modalités de soumission et aux thématiques programmées adressez-vous au Comité éditorial : [email protected]

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