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Penser l’expression religieuse

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Penserl’expressionreligieuse

PierreGire

Penserl’expressionreligieuse

DescléedeBrouwer

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formesconcrètes,l’espritestparnatureouvertàlaconnaissancede toutes les formes.L’hommes’offre alors commeun« agentcommunicationnel»,setenantàlajointurededeuxuniversquis’unissent en lui : le sensible et l’intelligible. Il estsimultanément dans la nature et dans l’esprit; par sa naturel’univers fait échoen lui,par sonesprit il s’inquiètede touteschosesencemonde.

*

Pour conclure cette réflexion schématique sur l’étonnement, iln’est pas inutile de formuler quelques propositionssynthétiques:

1. l’étonnement est significatif de l’existant humain; il seprésentecommeuneexpérienced’écartetd’interrogationdanslaviehumaine,

2. cette expérience ouvre une trajectoire de recherche :questionnement, problématisation, élaboration d’uneréflexion,ensommeunequêtedevérité,

3. l’étonnement, par la médiation de cette trajectoire derecherche, révèle la subjectivité humaine, sa capacitésymboliqueetsonidentitéspirituelle.

Endéfinitivel’étonnementestuneexpériencedel’humanitéquis’ouvresurlaprofondeurmétaphysiquedel’êtrehumain.Encesens,l’étonnementn’ajamaisfinidenousétonner!

*

*Article publié dansLes Cahiers de l’Institut Catholique de Lyon, n°34,Lyon,2004.1. PLATON,Œuvres complètes, Théétète, vol. 2, trad. L. Rohin, Paris,BibliothèquedeLaPléiade,Gallimard,1950,n°155d.

2.ARISTOTE,Physiqueetmétaphysique,texteschoisisettraduitsparS.etM.Dayan;Métaphysique,A,2;Paris,PUF,1966.3. R. THOM,Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Uniongénéraled’éditions,10/18,1974,p.248.4. M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris,Gallimard, 1945; Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964. E.HUSSERL,Méditations cartésiennes. Introduction à la Phénoménologie,trad.G.PeifferetE.Levinas,Paris,Vrin,1969.5.Iln’estpasinutileiciderappelerl’étymologielatinedumot:étonnement;celui-cidériveduverbe:extonare:frapperdelafoudre,fissurer,ouvrirunebrèche…6. G. BACHELARD, Épistémologie, textes choisis par D. Lecourt, Paris,P.U.F.,1971;sereporteraussiàG.BACHELARD,Lapoétiquedelarêverie,Paris,P.U.F.,1974.7.J.HERSCH,L’étonnementphilosophique,Paris,Gallimard,1981et1993;avant-propos.8.K. JASPERS,Introductionà la philosophie, trad. J.Hersch, Paris, coll.10/18,1981et1999.9.M.HEIDEGGER,Introductionà lamétaphysique, trad.G.Kahn, Paris,Gallimard,1967.10.M.FOUCAULT,Lesmotsetleschoses,Paris,Gallimard,1968.11.HEGEL,Leçons sur l’histoirede laphilosophie, trad. J.Gibelin,Paris,Gallimard,1954.12.CitéparM.HEIDEGGER,inLeprincipederaison,trad.A.Préau,Paris,Gallimard,coll.«Tel»,1962.13.W.GOETHE,Saisonset journéesdeChineetd’Allemagne,citéparM.HEIDEGGER,inLeprincipederaison,op.cit.14. Angélus SILÉSIUS, Le pèlerin chérubinique, trad. C. Jordens, Paris,AlbinMicheL/LeCerf,1994.15.ARISTOTE,Del’âme,trad.J.Tricot,Paris,Vrin,1982.16. Saint THOMASD’AQUIN,Somme théologique, Ia,Q.75, a2, in SaintThomasd’Aquin,parS.BRETON,Paris,ÉditionsSeghers,1965et1969.

IIPouruneépistémologiedelamétaphysique*

Laformuled’HermannBroch:«L’absoluestenfouidanslemoidemanièreinviolable»,nousrévèlepeut-êtrel’impossiblemortde lamétaphysiquepar-delà lesmétamorphosesdesonhistoireenOccident.D’AristoteàHeidegger,lamétaphysiqueasubilesmultiplestransformationsexposéesparlesrécentshistoriensdelaphilosophie.

Sciencede«l’êtreentantqu’être»ouensonessenceetdespremiersprincipesdansl’Antiquitéaristotélicienne,elledevient«théologierationnelle»auMoyenÂge,puissavoirfondamentalet systèmede lanature à l’âge classique, avantd’être ébranléeparlescritiquesdel’Encyclopédieetdel’empirismeàl’époquedesLumières.AuXVIIIesiècle,lesanalysesdeKantladéboutentde ses prétentions scientifiques, en l’inscrivant dans l’horizonde l’action humaine comme une exigence nécessaire. Mais letravail corrosif de la pensée nietzschéenne la réduit à uneillusionaliénante,véhiculéedepuisPlatonparlechristianisme,dontlavielibreetcréatricedel’hommeàvenirdoits’affranchirpar l’expression«delavolontédevolonté».EnfinHeidegger,préoccupépar leproblème fondamentalde lapenséede l’Être,expose, comme un destin, sa dérive idolâtrique à laquelle, endéfinitive,ellesembleavoirconsenti.

En dépit de ses propres humiliations, la métaphysique neparaîtpasvouloirmourir.Ellerenaîtencesiècleensuivantlesvoies multiples de la connaissance et de l’action, celles del’idéalisme spirituel, de l’expérience de la liberté ou del’intuitionréaliste.Àl’instarduPhœnix,lamétaphysique,ensanécessaire interrogation, se régénère. Elle se rappelle à la

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« Il n’est pas besoin non plus de beaucoup d’abnégation pourabandonnertoutessesprétentions,puisquelescontradictionsdelaraisonavecelle-même,indéniablesetaussiinévitablesdansladémarche dogmatique, ont depuis longtemps fait perdre touteconsidération à tout ce qu’il y a eu en fait de métaphysiquejusqu’àmaintenant22.»

Mais Kant sait toujours distinguer ce que nous pourrionsappeler, à la suite de F. Alquié, la « finité » rationnelle et lafinitudehumaine. Iléludeainsi laquestionde l’éliminationdela métaphysique, faisant passer celle-ci comme le prétend E.Weil, sans pour autant soutenir la lecture heideggerienne, del’étatde«science»del’êtreàceluide«science»dusens23.Ilsemble d’après les analyses de E. Cassirer, défenseur ducriticisme,queHeideggerensoninterprétationdeKantetdansson entreprise de « déconstruction » de la métaphysiqueoccidentale,aittransformésensiblementladistinction,suggéréeà l’intérieur de l’œuvre Kantienne entre la « finité » et lafinitude, en attribuant au « Dasein » la critique de l’auto-compréhension que Kant réservait à la raison, en orientant la« finité » vers le « pathos»de la finitude et en substituant lacompréhensionherméneutiqueàl’activitécritique24.

Sans doute est-ce Nietzsche qui, selon Heidegger, a laresponsabilité de l’achèvement de la métaphysique, en raisonnonseulementdesacritique radicalede l’onto-théologie,maisaussi de sa thématisation du devenir anthropologiquefondamentalquereprésentelesurhumainensaformedevolontéde puissance comme appropriation de l’être par l’étant. Lemouvement de la transmutation des valeurs constitue, dans laculture occidentale, la fin de la métaphysique aboutissant àl’abandondel’être25.

« Avec la métaphysique de Nietzsche, la philosophie est

achevée.Ceciveutdirequ’elleafaitletourdespossibilitésquilui étaient assignées.Lamétaphysiqueachevée,qui est labasemême d’un mode de pensée “planétaire”, fournit la charpented’un ordre terrestre vraisemblablement ap pelé à une longuedurée.Cetordren’aplusbesoindelaphilosophieparcequ’illapossèdedéjààsabase.Maislafindelaphilosophie,n’estpaslafindelapensée,laquellepasseàunautrecommencement26.»

Heidegger semet en recherche d’une philosophie premièreen thématisant la question de l’Être, par-delà son oublihistorique, en direction de l’impensé de la philosophieoccidentale.MaisonsaitqueR.Carnaps’estvivementopposéàcette tentative, avec les ressources du néopositivisme logiquedont la thèse revient, sur ce point, à considérer le souciheideggeriendel’Êtrecommeunlangageprivédesens.

La contestation de R. Carnap ne va pas sans difficultéépistémologiqueainsiquel’amontréA.Soulezdansuneétudeconsacréeàcettequerelle27.Onpourraitbrièvementlesrésumerparquelquesquestions irrésolues :est-ilpossiblederéduire lesens à la vérification? Comment traiter scientifiquement desénoncés non scientifiques? Que signifie l’évolution de ladémarcation entre énoncés scientifiques et énoncésmétaphysiques, puis entre d’une part énoncés scientifiques etpseudoscientifiques et d’autre part énoncés dépourvus designification scientifique? Quelle est la possibilité de ladélimitation du non-sens? Dans cette perspective A. Soulezécrit : « Il semble que la volonté syntaxique outrepasse lescapacitésfiniesdel’entendementlinguistique28.»

Il n’empêche que cette histoire très schématiquementévoquée de la critique de la métaphysique pose la questionredoutabledelapossibilitéépistémologiquedelamétaphysiquecommeprocéduredeconnaissance.Certes«lamétaphysiquedu

système»figéedanslapositivitédel’objetoudusujet,apparaîtimpossible à reconduire en raison de son épuisementsémantique, des dévelop pements de l’épistémologie et del’essor des sciences de l’homme et de la nature. Sans doutepourrait-on faire droit à « la métaphysique de l’expérience »dont Blondel et Bergson ont donné quelques figures. Maiscelles-ci ne constituent pas des données scientifiques; ellesrévèlent, au-delà de toute science positive, les significationspossiblesdel’existenceoudelavie.

Si lamétaphysique reconnaît son impuissance à devenir lesavoir absolu pensé par Hegel comme une quête de typemétaphysique,elleestmiseendevoir,àcausedesonépuisementhistorique, de se comprendre à lamanière d’un«non-savoir »pouraffirmersondroitd’existerpar-delàlescritiquesquil’ontdéboutée de ses prétentions thématiques. Renonçant à elle-même comme « sur-savoir », elle a le devoir de se poser àdistance dumodèle de scientificité des savoirs constitués, afinde ne pas être invalidée par l’impossible respect de leursexigences scientifiques. Elle a le devoir de s’écarter de toutepropédeutique théologique absorbée dans le déploiement del’affirmationcroyanteoùelle renoncealorsàsaproblématiquedifférence.

Mais en se préservant de ses dérives éventuelles, lamétaphysiquenesereconstruitpasd’elle-même.Illuifautallerau-delà de cette seule attention à de possibles égarements. Lamétaphysique,en tantque«non-savoir», aprobablementà sedéfinir comme l’exigence radicale, au sein de la pensée, de laTranscendance indisponible à partir de laquelle sont mis àdistancelespuissancesdusavoir,lesabsolusdel’expérienceetlesidolesdumonde29.Ensedésignantcomme«nonsavoir»enécart avec l’achèvement de son concept historique épuisé dans

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métaphysiqueimpardonnableenlaquelles’affirmelesupportdudésir.Danslesujet,elleétendsonempireparlapathologiedelamauvaise conscience, comme si, pourmieux se fondre dans lesacré,ledésirdevaits’effacerensonexpressioncoupable.Danslaperspectivedusacréqueprennentenchargelesreligions,enparticulier à ses yeux le christianisme en Occident, Nietzschedéveloppeuneviolentecritiquede l’aliénationdudésir,mutiléparsarelationàlapuissanceabsolue14. Ilest inutiled’insistersur ce jugement connu tout autant que celui de Marx ou deFreud, autres « maîtres du soupçon », au regard desquels lerapport de l’hommeau sacré aboutit audévoiement désastreuxdudésirimpuissantàporterpositivementsapropreénergie15.

Ainsi l’annihilation du désir devant la puissance sacréegénèreunprocessusd’auto-destructiondusujetdontl’existencese réduit à un interminable exercice d’effacement, comme sil’instance du sacré exigeait pour pérenniser sa propredominationlaconduitemortifèredel’êtredésirant.

•Àl’extrêmeopposédecettefiguredeperversion,setientlalogique excessive d’appropriation de la puissance sacrée auservice du désir infini. Il arrive qu’elle se développe sous lemode d’une captation de l’énergie que paraît recéler pourl’homme toute figuration du sacré, sachant qu’ici il s’agit auxyeuxdusujetd’investircetteforcedanslavolontépathologiqued’assurersapropredominationencemonde.Danscettelignedeperversion, s’inscrivent certaines formes de monarchiethéocratiqueetdefondamentalismereligieux.

Plus fréquemmentque lecasévoqué,seproduit le faitquel’homme,emportéparsondésir,dansdesconditionshistoriquesdéterminées, opère une tragique absolutisation de sa proprepuissance. L’Occident a connu, avec le nazisme, les effetsbarbaresd’unprocessusdesacralisationdesthèmesdelanature,

du sol et du sang au profit du pangermanisme, retrouvés etcélébrés dans une esthétique totalitaire à laquelle desintellectuels comme Gœbbels ou Rosenberg se sont efforcésd’apporter un soutien pseudo-philosophique16.De ce point devue, la perversion réside dans la tentative luciférienne des’emparerdelaformemêmedusacré,cequifaitperdreaudésirtout principe de limitation inscrit dans un rapport à l’altérité.C’est là ce qu’amis en évidence, d’unemanière remarquable,l’étudedeM.Carrouges,intituléeLamystiquedusurhomme17.Ainsidanscettelogiquedel’auto-déification,ledésirabsorbelesacrécommepourmieuxserégénérerdansl’extensionindéfiniedesonproprerègnequieffacetouteinstancederésistanceetdeconversion.

Tellessontbrièvementévoquéesdesexpressionsextrêmesetcontraires de la perversion du rapport du désir au sacré.Quoiqu’il en soit, les risques sont ici toujours présents d’unedégénérescence ou d’une absolutisation du sujet désirant, parabsence d’un élémenttiers à même d’assurer une certainerégulationdulienquisoudeledésiretlesacré.

Désiretsacré:larégulationreligieuse

Il importe d’insister sur le fait que le sacré s’offre à l’êtrehumain dans des figurations distinctes. Sur ce point,l’anthropologie des religions indique quelques expressionsfondamentalesrappeléesci-dessus:

1.laformecosmocentrique(lanaturedanssondynamismematricielénergétique),

2. la forme anthropocentrique (la société comme totalitévivanteetimmortelle),

3. la forme théocentrique (la réalité divine dans sa

puissancesurhumaine),sachantquecelle-cirestedeloin,parmi les trois configurations, la plus massive, la plusdéveloppéeetlaplusélaborée,auseindel’humanité;elleestcellequenousprivilégions.

Maislaformethéocentriquesedonneenelle-mêmecommemultidimensionnelle dans l’espace et le temps des hommes :monothéismes méditerranéens, religions traditionnellesd’Afrique, d’Asie ou d’Amérique, etc.Nousmesurons alors lacomplexité du rapport du désir au sacré en fonction de cetteimmensediversitédufaitreligieuxdanslemonde18.

Sansdoute, avantde revenirà laquestiondusacré, avons-nous besoin de retrouver une définition (toujours contestable)opératoiredelareligion;encedomaine,lesessaisnemanquentpoint.Nousreprendronsicicellequiacoursdanslechampdesscienceshumaines.Lareligionsedéfinitalorsparl’articulationtout autant logique qu’institutionnelle de trois pôles de réalitéautour d’un lien (religare, relegere) de l’homme à la réalitédivinereconnue,maisindisponible:

1. le pôle linguistique qui supporte les représentations(textes sacrés, traditions orales, élaborationsthéologiques…) où se trouvent présentés les rapportsstructurantsdel’existencehumaine(relationdesoiàsoi,desoiàautrui,desoiaumonde,desoiàl’Absolu),

2. le pôle de la pratique rituelle et éthique, liée auxreprésentations et à la position de l’homme (religieux)danslemondeoùilvitavecautrui,

3. le pôle de la communauté croyante, simultanémentspirituelle et instituée, consciente de sa foi et de sonaction (avec ses fonctions, ses rôles, ses rapports depouvoir,sonhistoirepropre…)dansl’espaceet le tempsdelaviehumaine19.

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aumonde.Mais il reste que le sacré, dans ses manifestations et ses

investissements sur lesquels l’homme exerce sa capacitésymbolique,sedonne,sansjamaiss’épuiserdoncenseretirantaussi,deplusieursmanières:

• soitqu’il se laissepercevoir sous lemoded’uneénergie,d’une puissance ou d’une force saisissant l’univers,circulantdanslecosmosetlianttouteschosesdemanièreindéfectible,

• soitqu’il s’offre sous la formede sujetsdivinsmultiples(polythéismes) ou d’un Absolu créateur unique ettranscendant(monothéismes),

• soit qu’il s’exprime sous la figure d’unRévélateur divinsimultanémentmanifestéetindisponible.

Toutefois,auxyeuxdeshommes,quelsquesoientsesmodesde « donation », le sacré semble engendrer dans les rapportsqu’il institue avec les hommes une ambivalence fondamentalequepourraientsuggérerdesantagonismesexistentielsvécusparl’humanitésurdifférentsplansanthropologiques:

–mystèreetinitiation,–forceredoutableetfascinante,–puretéetimpureté,–interditettransgression,–transcendanceetritedepassage,etc4.Sans doute est-ce dû ici au pouvoir que recèle le sacré

d’englober l’existence humaine. De ce pouvoir l’hommes’efforce de déchiffrer les articulations et les métamorphoses,jusquedanssonpropredevenirbiologique.

Le sacré, réalité ambivalente pour l’homme, exige d’êtreadministrédansl’humanité,àmoinsdeperdretoutepossibilitéd’identification et toute capacité de transformation. Cette

administration du sacré repose, en général, sur plusieurs typesd’élémentsculturelsfondamentaux:

•lesmédiateurs:chamane,prêtre,prophète,sacrificateur,•lessupportsphysiques:autels,images,objets,temples,• institution sociale avec sa hiérarchie, son organisationrituelle,sesaffirmationscroyantes…

Ilexisteunlienprivilégiéentrelesacréetlereligieux,bienque celui-là ne s’épuise pas dans celui-ci, à cause de lapuissance d’investissement du religieux et de son appel à latranscendance. Aussi estce dans l’univers de la religion quel’administrationdusacréest-ellelaplusaffirmée.Surlemondedel’invisiblesetrouventprojetésdesmoyensdeparticipationetdecontrôleforgésparlacultureetreconnuspourleurefficacitéparlacommunauté5.

L’administration du sacré fait émerger les fonctionsessentiellesdecelui-lààlasurfacedel’histoire.

Fonctionsetmouvementsdusacré

Ens’exprimantdansl’espacedeshommes,lesacré,par-delàsesfigurations repérables, a des fonctions objectives au sein dessociétésoùilestreconnu,autantdirequ’ilassuredespouvoirsdéterminants:

1. une fonction de discrimination et de cohérence«métaphysiques»,enraisondelaquelleilopèredespartagesdenature ontologique et axiologique, dans l’univers, dans la vie,dans l’action, dans les rapports humains etc., et il unifie dansune même énergie indestructible et englobante le monde,l’hommeetlesvivants;

2.une fonction de structuration du temps et de l’espace,par l’appel aux rythmes, aux répétitions, aux cycles, auxévénements primordiaux, aux divisions et aux réorganisations

géographiques. Placés sous le pouvoir du sacré, l’espace et letemps prennent sens et induisent des activités humainesspécifiques;

3.unefonctiond’intégrationdel’individuàl’intérieurdugroupe, par l’exercice d’une administration, par la ritualitéexigée,parlacohérenceexprimée,parlescroyancescollectivesaffirmées,parlacommunautésuscitéeetc.

Mais sans doute est-il nécessaire d’aller plus loin etd’affirmerque le rapportde l’hommeavec lesacréestcréateurdecultureparsonrecourspermanentàlafigurationsymbolique:

–sur le plan de l’art où l’expression sacrale révèle safécondité,

–surleplandulangageoùs’inscriventlesécrituresdusacré,– sur le plan des mathématiques où se développe le

symbolismedel’invisible.Nous pourrions évoquer également les jeux et le droit. En

somme, le sacré inspire la créativité culturelle dans sonensemble.

Nulnepeutniercesdifférentesfonctionsquefaitapparaîtredans l’histoire le rapport des hommes au sacré. Il restecependantquedanslessociétésàmodèle«thermo-dynamique»(etnonpasàmodèlemécanique,pouremployerdestermesdeC.Lévi-Strauss), c’est-à-dire essentiellement dans les sociétésoccidentales, on observe des métamorphoses du sacré ou destransfertsd’investissement.

DestravauxsociologiquesrécentsdeBastide,deBellah,deMaffesoli,dePietteoudeRivièrerévèlentlesdéplacementsdusacréauseindelasociétécontemporaine.Lesacréparaîtquitterles grandes religions traditionnelles pour s’investir dans lacommunication, dans des convivialités nouvelles, dans lapublicité, sur la scène politique et médiatique, dans le sexe,dans le sport, sur le stade etc. Le sacré ne meurt pas, il se

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caractéristiquessuivantes:s’affranchirdudiscoursdelapositivité construit par l’homme enraciné en son être-aumonde, préserver la Transcendance divine de toutedérive idolâtrique,maintenir l’indisponibilitéabsoluedeDieuvis-à-visdetouteprocéduredenomination.Dieuest,de ce point de vue, l’Inobjectivable par excellence enraison de quoi il délivre l’hommede tous les « pseudo-absolus » que peut produire la logique de lareprésentation.

Ainsi nous pourrions dire que nous sommes là dansl’épreuve du langage paradoxal à propos de la nomination deDieu; en effet, dans lamesureoùnous sommesen absencedeRévélation divine et où nous partons, pour cet exercice dediscours,delaseulepositiondel’hommeensonêtre-au-monde,nous nous trouvons confrontés à une extrême tension entre lelangage de la figu ration (de la positivité) et celui del’infigurable (de la négativité).Cette tension opère sur le plandu discours qui a pour objet la Divinité. Sa fécondité résidedanssonmaintien.S’affranchirdesaduréerevientàs’exposeràdesécueils:l’idolâtriequiécrasel’Absolusursareprésentationhumaineou lamortdulangagequis’arrêtedanssoneffortdepenser leDivin. Il y a nécessité demaintenir cette dialectiquedanslaperspectivedulangagedelaconnaissancedeDieupoursoutenirlarecherchedelavéritémêmedel’Absolu.

Vieettémoignage:unlangagepourl’Autre

Il s’agit ici du récit de la vie dans son lien avec Dieu,sachant qu’en celle-là l’engagement, le rite, la prière…deviennentdesmodesdenominationdel’Absolu.Ilsepourraitmêmequelemartyre,danssonsilenceousonmutisme,soitunerévélationd’unrapportinaliénableaveclaTranscendance.Nous

sommes,decepointdevue,surlepland’unerelationentredesvivants:l’hommes’adresse,dufonddesavie,àDieuvivantquise révèle à l’existant où advient la vie donnée. Ce rapportdialectique est fondamentalement existentiel; c’est del’existence qu’il est question dans ce qu’elle recèle de plusprofond : la naissance, l’amour, la fécondité, la souffrance, lemal, le désir, la mort… De l’intérieur de l’existence ainsiéprouvée,Dieu est nommécomme leSeul etVéritableVivant,inquiet pour cet autre vivant que représente l’homme dans saproximitéetsonéloignementdelaprésencedivine.

Si l’intelligence accompagne cette nomination, elle ne laconvertitpaspourautantensystèmedereprésentation,maiselleopère sur ce mode de désignation un exercice cathartique auservicede lavéritéduDivin.Cemodededésignationestceluidel’épreuvedanslasubjectivitévivantedelavraieviequeDieudonne; iln’apas la forme théoriquede lachaînedesconceptsbienqu’ilsoitéclairéparl’intelligence,maisilacelledelaFoivenue de la vie. À cette autremanière de nommerDieu, nousreconnaissons la position religieuse dans sa spécificité. Unereligionnes’identifieniàunephilosophieniàuneidéologienià une éthique ni à un savoir, quoiqu’elle soit ouverte à cesexpressions humaines. Elle ressortit à l’ordre de la vieessentielle que Dieu offre par grâce. Ce mode de nominationadvienttoujoursdanslemystère,autantdiredansl’inépuisablehorizondetranscendancequidonnesensàlaviehumaine.Sansdoute ce mystère éprouvé convoquet-il le langage où la viecherchelavéritédesondestin.Icilaquestiondelavéritéresteinséparable de la réalité de l’expérience humaine, de lapossibilité pour celle-ci de s’objectiver face à l’Altérité divinedans un récit d’alliance et de la venue de Dieu à la présencepourl’hommeaucœurdesavie6.

IlyalàuneformespécifiquedenominationdeDieu:celledulangageadresséàDieuentantqu’Ildonnelavieessentielle.Nouspourrionsnousdemanders’ilestunrapportentrecesdeuxmodesdenomination:

a)lanominationdeconnaissance,b)lanominationexistentielle.Celle-ci reste englobante parce qu’elle est celle de la vie

s’exposantàl’Altéritédivine.Celle-làressortitàl’analysecritiqueappuyéesurunsystème

de conceptualisation qui fait de Dieu une question pourl’intelligence. Elle apporte à la nomination existentielle lesressourcesdusavoirdanslenécessaireécartdelaréflexion;ellealepouvoirdedésignerlesécueilsetlesféconditésdulangage.Mais à la nomination de connaissance, la nominationexistentielle offre le dynamisme de la vie liée à laTranscendance, comme ce qui est à penser dans uneinterprétationinfinie.

*

PourconclurecetteréflexionsurlanominationdeDieu,iln’estpasinutiledeformulerquelquespropositionssynthétiques:

1. ilexistedansl’humanitéunenominationdeDieu:celledesreligions;cettenominationasonhorizondepositionausensd’unmondereligieuxstructuré,

2. l’Occident a développéunenominationde connaissancedanslerégimedelaphilosophie(etdanslechampdelathéologie), en celui-ci le développement de cettenomination demeure problématique en raison del’inobjectivationdelaTranscendancedivine,

3. en définitive, nous sommes placés devant des formesdifférentes de nomination de Dieu : nomination de

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VIILareprésentationdel’AutreImageetTranscendance*

«Tune feras pasd’idoleni rienqui ait la formede cequi setrouveauciellà-haut,surterreici-basoudansleseauxsouslaterre » (Exode 20,4); « Tu ne feras pas de dieux en forme destatue » (Exode 34,17). Ces interdits, extraits de l’Écriturebiblique,sontdirigéscontrel’idolâtrie.Ilsdésignentaulecteurlaredoutablequestiondelareprésentationdel’Autreausensdel’Altéritédivine,endifférenciationavecl’autrerelatifprisdansungenrecommunavecsonopposé.Sansdoute,pourentrerauseinde cettedifficile interrogation, faut-il avoir conscience icidequelquesconditionsderéflexion:

a) il s’agit de philosophie de la religion, en aucun cas dephilosophie religieuse; ainsi la question religieuse estconsidérée comme objet d’une problématisation par laphilosophiequin’apasnécessairementvocationaprioride soutenir l’affirmation religieuse. En conséquence, laperspective de pensée développée ci-dessous demeure àdistance de toute élaboration en provenance de lathéologie, des sciences humaines de la religion et del’esthétique;

b) la religion de référence dans cette recherche reste lechristianisme occidental; le rapport à d’autres formesreligieusesentraîneraitdenouvellesétudesimpossiblesàintégreràl’intérieurdeslimitesdecetexposé.

Aprèsavoirdéchiffrél’expressionreligieusecommeuniverssymbolique inscrit dans le monde des hommes, nous nousintéresseronsàl’activitésymboliqueensonréférentielreligieux

en vue de nous interroger sur le rapport à la Transcendanceimpliquantlacritiquedelafigurationdel’Absolu.

Religionetuniverssymbolique.Interprétationphénoménologique.L’être-au-mondedumondereligieux

L’interprétationphénoménologiquedel’expressionreligieuseseréfèreà la réalitédu lien (simultanémentverticalethorizontal)qui unit la vie humaine et la vie divine, ce qui définit lechristianismecommereligion1.

Cette interprétation inspirée de la philosophiephénoménologiqueenvisagelemondereligieuxchrétiendanssaphénoménalité,àsavoirdansson«apparaître»surl’horizondumonde (cf. les recherches de R. Otto, M. Scheler, Van derLeeuw, H. Duméry, P. Ricœur, S. Breton…). Ainsi le mondereligieux, en sa forme chrétienne, s’offre comme un universsymbolique où s’articulent la profondeur de la vie humaine etl’ouverturedecelle-ciauMystèredel’Absolu.

Danscetuniverssymbolique:deslignesdeforce

Enréférenceàl’expressionhumainedontlepointd’ancragefonda-mental reste le corps subjectif auto-affecté du dire, del’agir et du pâtir, les lignes de force de l’univers symboliquereligieuxsedécriventdelamanièresuivante:

a) le dynamisme de la représentation où sont figurés descercles de langage : kérigmatique, catéchétique, liturgique,théologique…visent le lienessentiel,dans l’ordredu sens,detouteschosesavecDieu2;

b) le dynamisme de la normativité où sont exprimées lesprincipesde l’agirenraisonde l’énonciationde l’ActedeFoi,ce qui définit tout autant une orthopraxie chrétienne qu’une

problématiquedutémoignage;c) le dynamisme de la ritualité où sont inscrits les actes

rituels de la liturgie célébrée par la communauté croyante(réalitédupâtirDieudanslasubjectivitéetl’intersubjectivité).

Ces lignesde force sont constitutives de la structure et dumouvement du monde religieux chrétien comme universsymbolique se projetant dans le monde des hommes sous laformed’unetotalitéinstituéed’existence,desensetd’action.

Danscetuniverssymbolique:unespaced’existenceorienté

Sachant que toute forme religieuse affirmant uneTranscendanceunit,danslelienreligieux,lavieetlesens,ilestpossible de penser le christianisme comme la projection d’unmonde où la vie s’affecte d’un sens transcendantal.Mais sansdoute devons-nous ne pointméconnaître que pour l’homme laviesedonneimmédiatementdanslecorpsdechair.Decepointdevue,ilesticiunecentralitéexistentielleducorps.Certes, ils’agitducorpsvécu,doncducorpssubjectifcommeressourcefondamentale « d’une symbolique générale du monde3 ». Lecorps subjectif, en raison des expressions multiples de la viedont il s’affecte (le sentir, le voir, l’entendre, le nourrir, lesouffrir, le vêtir, le mourir, le mouvoir…) et de la consciencequ’il éprouve dans l’énonciation du langage, se posevéritablement en tant qu’« archi-symbole » de l’ordresymboliquereligieux;ilestcorps«matriciel»deconstructionpar lamédiationde sonpropredynamismedontnous retenonsici seulement la puissance de mouvement en ses différentespossibilitésdirectionnelles:horizontale,verticaleetlatérale.

À l’horizontale, l’avant devient ce qui est à traverser,impliquant alors une certaine légèreté du milieu à pénétrer;

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un travail considérable sur l’ordre symbolique comme expression de lapuissance de présentation (puissance anaphorique) d’un autre ordre deréalitéquelaseuleréalitémondaine.5.F.BOESPFLUG,Dieudansl’art,Paris,LeCerf,1984.6.S.BRETON,DuPrincipe,Paris,B.S.R.,1971.7.S.BRETON,LapenséeduRien,Kampen,KokPharos,1992.8.M.HENRY,C’estmoi lavérité.Pourunephilosophieduchristianisme,Paris,LeSeuil, 1998; Incarnation.Unephi losophie de la chair, Paris, LeSeuil,2000.

VIIIÉlémentsdecontributionàuneréflexion

surlavoienégativedePlatonàMaîtreEckhart*

La question de la voie négative dans la culture occidentaledemeure d’une extrême complexité. Aussi évoquerons-nousseulement quelques figures philosophiques et théologiquesreprésentativesdecetteproblématique.Nousne reprendronsnilesapportsdelapenséejuivenilesperspectivesdelaTraditionmusulmane. Nous rappellerons quelques données de laphilosophie grecque et certaines élaborations théologiques duchristianisme. Par ailleurs, nous emploierons l’expression :« voie négative », au sens de dynamisme de négativité, depréférenceà la formule :«méthodeaphairétique»quisuggèreun processus d’abstraction et à la dénomination :«aphophatisme»insistantsurlefaitdelanégationeuégardàl’Absolu.

Quelquessourcesphilosophiquesetchrétiennesdelavoienégative

Lessourcesphilosophiques

Platonrestesansdoutelepremierphilosophedel’Antiquitégrecque qui ait donné une résonance philosophique auprocessus intellectuel de la négativité : dans le Parménide(141e-142e) il s’agit de la négation appliquée au statutmétaphysique de l’Un, dans lePhèdre (250b) estmen tionnéel’absence d’image de la justice/sagesse en ce monde, dans le

Cratyle (400 d) se trouve indiqué le fait que l’homme ne saitrien des dieux, dans la République (VI, 509b) l’Un-Bien estsituéau-delàdel’essence1.Platonrefused’appliqueràl’Absolulaconnaissancequel’hommeobtientàpartirdesaprésenceaumonde.

Aussi pouvons-nous considérer qu’il est ici un retrait del’Absolu eu égard au tout dumonde.Aristote semble atténuercette position philosophique par le développement de laproblématique du premier Moteur immobile, encore qu’il aitconscience de la limitation des catégories de pensée dans laviséedelaDivinité,cedonttémoignenttantl’idéedel’Absolucomme Vie intellectuelle que la théologie astrale. Platonmaintient la perspective de l’aporie quant à la nature duPrincipe,sansdevoirs’affranchirdepensersonexigence.

Dans le sillage philosophique de Platon, Plotin, fondateurdu néoplatonisme, s’est efforcé de thématiser la transcendancede l’Un comme Absolu ou Origine radicale selon uneperspectivedenégativitédonts’affectelelangageduPrincipe:« en réalité, aucun nom ne lui convient, pourtant il faut lenommer;ilconvientdel’appelerl’Un»(VI,9,5);«lePrincipen’estriendecedontilestprincipe.Riennepeutêtreaffirmédelui ni l’être ni la substance ni la vie, mais c’est qu’il estsupérieur à tout cela » (III,8,10); « nous disons ce qu’il n’estpas, nous ne disons pas ce qu’il est (V,3, 14) »2. Dans LesEnnéades,l’Unsetrouveenvisagéselondeuxpointsdevue:

a) d’une manière positive, l’Un est visé comme principed’unitéentouteschosesprocédantdelui,

b) d’une manière négative, l’Un s’offre comme Absoluaffranchidetoutcequiseconstitueàpartirdelui.

Plotin affirme la supériorité de la voie négative sur toutevoied’appréhensiondel’Un;ellerespecte,mieuxquelesautres,

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IXEntreleDivinetl’humain:

penserlamédiation*

Sans doute devons-nous, en introduction, présenter quelquesexigences épistémologiques nécessaires à la définition et àl’élaborationdel’espacedepenséeouvertparl’invitationdecetintitulé.

Noussommesenphilosophiedelareligion,doncàdistancedesscienceshumainesetsocialesdelareligionetdessciencesreligieuses et théologiques1. L’objectif épistémologique de laphilosophiedelareligionestdepenserlareligionàpartirdelaraison philosophique, avec sa méthodologie propre, en écartavec toute philosophie religieuse soucieuse de légitimer lestitresd’unactedeFoidansuneTraditionreligieuse.

Nous sommes engagés dans une recherche decompréhension de ce qui, au regard de la philosophie de lareligion, constitue la centralité de l’expression religieuse, àsavoir le rapport entre la Nature divine et la vie humaine, unrapport toujours«misenscène»auseindumondehistoriqueselon des Traditions religieuses différentes. Cette recherchedemeurede typehypothétique sous lemoded’unepropositionherméneutiqued’intelligibilitédelamédiationentreleDivinetl’humain.

Noussommesmisendevoirdeformulercetterecherchedecompréhension dans le langage transcendantal de laphilosophie appliquée au phénomène religieux et développé àdistance de la positivité des Traditions religieuses, mais enexigence de visée de la réalité religieuse, sachant que celle-cireste, à nos yeux, référée de manière privilégiée aux

monothéismes institués présents enOccident et notamment auchristianisme.

Nousnousproposonsdedévelopperuneproblématique entroismoments:

a)uneinterrogationsurlaquestiondelagenèsedel’idéedemédiationreligieuse,

b) une analyse de la nature structurée de la médiationreligieuse,

c) une réflexion sur la fonctionde lamédiation religieuse,sachantquecesmomentssontàenvisagerdupointdevuede la raison philosophique pensant l’expressionreligieuse.

Laquestiondelagenèsedel’idéedemédiationreligieuse

L’idéedemédiation(cf.leverbelatinmediare:s’interposer,êtreau milieu, se tenir entre…), considérée d’un point de vuephilosophique, se réfère à une critique de l’immédiat et àl’exposition d’un processus relationnel complexe. À ladifférence du médiat (medium, medius…) qui renvoie à lareprésentation d’unmilieu, d’un intervalle, d’un intermédiaire,second eu égard à des réalités distinctes, l’immédiat s’offrecomme ce qui est premier dans le fait même de sa propreprésence. L’idée de médiation religieuse s’enlève sur le fonddestinaI d’une immédiateté existentielle reprise dans laconsciencedesoidecevivantmortelauquelnousreconnaissonsl’humanité.En régime religieux, l’immédiateté existentielle estcelle de la vie humaine en laquelle s’éprouve l’homme vivant,s’affectantensaviemêmedu«pathos»delaviemarquéetoutautant par la jouissance que par la souffrance. Dans cette viequ’il ressent en lui-même et en laquelle il ne s’apporte pas,l’hommefaitl’expériencedelablessuredelafinitude radicale,

alors même qu’en sa propre subjectivité il éprouve quelquechosede l’infini à travers ledésir, le langage (et lapensée), laliberté…commesiaucœurmêmedelavie,lesujethumainétaitexposéàunparadoxemétaphysique toujours irrésolu,à savoirlaconfrontationde l’infinitésubjectiveà l’extérioritéobjectivedelacontingence2.

Sur l’horizon de ce paradoxemétaphysique qui ouvre sondestin,l’hommesetrouveenpeinedeproduireunesignificationexhaustive de son existence. Sans doute pour s’interprétercomme sujet, se met-il en relation avec l’autre homme quipartage avec lui le même monde historique. Mais pourcomprendre son destin marqué par la réalité tragique del’existence (celle dumal et de lamort), rien de ce qui est aumonden’estdécisif à sesyeux. Ici émerge lapossibilitémêmedel’expressionreligieuse:l’hommeenquêtedelasignificationultimedesondestinserefuseàenfermerdanslemondelavéritéde laviehumaine (commes’ily avaitpour luidans lemonde,hormis l’homme, toujours moins que l’homme). Ainsil’interrogationdel’hommedevenuunequestionpourlui-mêmedans la conscience de sa propre vie, ouvre la recherche del’Absolu,celledeDieuetdurapportàCelui-ci.Pensantlaviehumainedonnéedanslemonde,encontrepossibilitédunéant,l’homme en recherche d’interprétation de sa propre existence,faitparaîtrelaquestiondelaTranscendance,commel’Instanceàpartirdelaquelleilyadonationdelaviehumainemanifestanten l’homme la donation de l’être lui-même dans la grâce d’un«espacepermissif».

Du point de vue du sujet humain éprouvant sa propre vie,l’Autre absolu à qui s’origine la grâce de cet « espace »primordial, demeure irréductible à l’ordre du monde et à laréalité de l’humanité, en raison même de sa position de

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fait)pourquelaphilosophies’intéressed’elle-mêmeauChrist.Cependant,lepuissantdéveloppementduchristianisme,àmêmede créer des phénomènes de culture et de s’approprier deséléments culturels extérieurs, intègre dans son dynamismed’expansionunedialectiquefécondeentreraisonetFoi.Celle-ci convoque en son élan des systèmes de pensée qu’elleconfronte aux données de la Foi et fait émerger une relationcomplexe entre philosophie et théologie. Sans doute est-ce àcause de la puissance du christianisme dans le monde et del’importance du Christ dans l’existence des hommes, que lapenséephilosophiqueaprogressivementreconnudanslafigureduChristun lieudequestionnement.Cette interrogationadesformes différentes dont il reste possible de faire l’histoire1.Dans cette brève étude, nous nous limiterons à l’exposé dequelquesélémentsdécisifsd’uneproblématiquesynthétique.

Questionsd’épistémologie:pourunechristologiephilosophique

Ilimporteicid’insistersurlaperspectiveépistémologiquedelaquestion du Christ en philosophie. L’idée d’une christologiephilosophique n’a de légitimité épistémologique que dans lamesure où l’exercice intel-lectuel attendu demeure strictementphilosophique, en conséquence s’élabore et se maintient àdistanced’unephilosophiereligieusequiprêtesonlangageàlaconsciencede l’expériencecroyanteetd’une«sécularisation»conceptuelle d’une christologie théologique fondée sur unetradition religieuse. Depuis fort longtemps, il existe, enOccident,unephilosophiedelareligionquialamêmenoblessequ’unephilo-sophiedes sciencesouunephilosophiede l’art2.La philo sophie de la religion (qui n’est pas un exercice

théologique sécularisé) a conquis son bien-fondé et sonautonomie disciplinaires; dans l’espace épistémologique de laphilosophie de la religion ont pris place des christologiesphilosophiques que connaît tout historien de la philosophie.Sansdouteendeçàdelapositionmêmedelaphilosophiedelareligion s’ouvre l’horizon des rapports complexes entre lechristianismeetlaphilosophiedontresteprofondémentmarquéelacultureoccidentale.Decepointdevue,nousavonsaffaireàun emboîtement des horizons épistémologiques quicomplexifientlasignificationdelaquestion.

À moins de se renier comme expérience de penséephilosophique, lachristologiephilosophiquenes’identifieniàla reprise argumentée d’un rapport au Christ dans la traditionreligieuse du christianisme ni à l’appropriation par la raisond’une donnée dogmatique. Pour l’authenticité de son propredéveloppement, elle se doit d’intégrer ses conditions depossibilité:

a)pensersonécartconstitutifavectoutepositionreligieuseettoutexercicethéologique,

b)définirsonlangageconceptuel,c)élaborersesproblématiques.En somme, elle n’a pas à servir d’autres finalités que les

siennes. Il est vrai que dans l’histoire culturelle de l’Occidents’est nouée une longue dialectique entre le christianisme et laphilo sophie3. Cette confrontation a nécessairement unretentissementsurlasaisiephilosophiquedelafigureduChrist.À la christologie des philosophes appartient le devoir d’engarderlamémoirecritiquedanslesconfigurationsconceptuellesqu’elleconstruit.

SileChristensafiguretranscendantale,donneàpenseràlaphilo-sophie à cause de son importance spécifique dans

l’humanité, encore faut-il que la pensée philosophiquedéveloppe, à son propos, des interrogations qu’elle puisserevendiquer. En raison de sa capacité extraordinaire àtransformerl’existencedeshommesdanslemonde,leChrist(àsavoir la relation au Christ), au-delà de tout contexte spatio-temporeletdogmatique,faitappelpourlapenséephilosophiquesansquecelle-ci,pours’exposer,soitmiseendemeurededevoirreprendre la dogmatique du christianisme, parce que leChrist,par son interpellation universelle, n’appartient à personne. Enretour,laphilosophiealalibertédeluiprêter,danssonlangage,les formes conceptuelles qu’elle fait surgir de ses propresquestions en fonction de sa compréhension de l’existence (del’être-au-monde de l’homme). Se pose alors, pour ce type depensée, leredoutableproblèmedelavéritédespropositionsdechristologie philosophique projetées dans l’espace culturel.Référerlathématiquechristologiqueàl’ensembledusystèmedepensée qui la soutient revient à déplacer, non sans nouvellesinterrogations, la question de la vérité herméneutique de lapartieincriminéeàlatotalitésignifiante.

Certes,sachantqu’ilnes’agitpointicid’énoncésdécrivantdes états de fait, il serait toujours possible de déterminer descritèresdevéritéspécifiquesauxdiscoursdusens:lacohérencelogique interne, la référence à l’existence humaine dans lemonde, la résistance à la critique, le contrôle des concepts, lacapacitéherméneutiquemiseen scène…Mais il estnécessaired’aller au-delà et de confronter les configurationschristologiques entre elles à partir de la position duquestionnement philosophique lui-même4. Probablement yaurait-il là une première discrimination des christologiesphilosophiques,devantl’impossibilitéd’élaborerlachristologieabsolue qui surplomberait toutes les autres. En définitive,

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supprimeenlui,fut-ceenlessublimant,lesdeuxuniversqu’ilporteenlui,etoùilsemeutavecunetelleaisance.Ilestpossiblequelechristianismenousaitapprisàpenserdialectiquement, mais la tension et le paradoxe ne sontqu’ennousetceseraitunsophismedeleprojeterhorsdenous; toutes ces dramatisations que nous prêtons auxchosesnesont, je lecrains,quedesartificesdemauvaislogiciens (…). Le philosophe ne peut se contenter desretentissementsdanslapenséephilosophiquedumystèrerédempteur. Il fautqu’il s’offreà la lumièrede laCroix,dans son intransigeante rudesse pour en espérer cesurcroîtquiéclaired’unjournouveaulecheminementdelapensée19.»

*

En conclusion de cette étude, nous voudrions seulementreprendrequelquesélémentsderéflexion:

1. la christologie philosophique a une légitimitéintellectuelle, à condition d’intégrer sa propre épistémologie;elles’appliqueàpenserlafiguretranscendantaleduChristsansreprendre la dogmatique chrétienne, mais avec l’exigence devérité qu’implique ce type d’élaboration, en appui sur lesressourcesdelaraisoncritiqueetdel’expériencehumaine;

2.la lecture de l’histoire de la philosophie occidentale àpropos de la question du Christ permet de relever quatreparadigmes fondamentaux de conceptualisation de la figurechristique;ilimportedesavoirinscrirecesparadigmesdansleschamps philosophiques dont ils procèdent, pour saisir leurpertinenceconceptuelle;

3. les enjeux de ces essais philosophiques deconceptualisation révèlent l’importance du rapport entre

christologie philosophique et anthropologie fondamentale. Cerapport mériterait d’être développé ; sans doute son analysepermettrait-elleunemiseenévidencedelaspécificitédechaqueélaboration de la figure christique à laquelle les philosophiesn’ontcessédes’affronter20.

*

*ArticlepubliédansThéophilyon,tomeXIII,vol.1,mars2008.1. X. TILLIETTE, Le Christ de la philosophie, Paris, Le Cerf, 1990;PhilosophiesenquêteduChrist(dir.P.Gire),Paris,Desclée,coll.«JésusetJésus-Christ»,1991.2.Surcepointnous recommandonsau lecteur le travailconsidérabledeJ.GREISCH:LeBuissonardentetleslumièresdelaraison.L’inventiondelaphilosophie de la religion; tome 1 :Héritages et héritiers duXIXe siècle,Paris, Cerf, 2002; tome 2 : Les approches phénoménologiques etanalytiques,Paris,Cerf,2002;tome3:Versunparadigmeherméneutique,Paris,Cerf,2004.3.«LettreencycliqueduPapeJean-PaulIIsurlesrapportsentrelaFoietlaraison. Fides et ratio », La Documentation catholique, n°2191, 1ernovembre1998.4. J.LADRIÈRE,L’articulationdu sens, I.Discours scientifique et paroledelaFoi,Paris,B.S.R.,1970;II.LeslangagesdelaFoi,Paris,Cerf,1984.5. SPINOZA, Traité théologico-politique, in : Œuvres complètes, textenouvellementtraduitourevu,présentéetannotéparR.Callois,M.FrancèsetR.Misrahi,Paris,Gallimard,BibliothèquedeLaPléiade,1954.6.KANT,Fondementdelamétaphysiquedesmœurs,trad.V.Delbos,Paris,Delagrave,1967.7.KANT,Anthropologie du point de vue pragmatique, trad.M. Foucault,Paris,Vrin,1978.8.KANT,Lareligiondansles limitesdelasimpleraison, trad.J.Gibelin,Paris,Vrin,1978.9.ÀdistancedeSpinozaetdeKant,FichtecritiquedesaintPaulquiauraitdétourné la vérité du Christ de sa voie mystique et commentateur del’Évangile de saint Jean, insiste sur la nature métaphysique de la

Rédemption, à savoir la révélationpar leChrist de l’inséparabilité pardelàtoute contingence historique, de l’homme et de Dieu. Le Christ pour quiseule compte l’union à Dieu dont il a conscience par lui-même est la« personne nécessaire » qui inaugure, dans l’Histoire, le destin ultime duchristianisme que représente la Doctrine de la science, c’est-à-dire l’appropriation humaine de la vie divine. Cf. X. Tilliette, Le Christ de laphilosophie,op.cit.10.HEGEL,LeçonssurlaPhilosophiedelaReligion,trad.J.Gibelin,Paris,Vrin,1954.Sereporteràlasectionintitulée:«LeRoyaumeduFils».11.HEGEL,Phénoménologie de l’Esprit, trad. J.Hyppolite, Paris,Aubier,1941.Sereporterà lasection intitulée :«Lareligionrévélée».LamortduChrist devient sa naissance spirituelle dans la communauté des fidèles.Schelling,auxyeuxdequil’IdéeduChristestentouthommecommeidéalmoral, identifie la kénose à l’Incarnation dans la Philosophie de laRévélation. L’Incarnation dévoile la vraie divinité et la kénose dépouillecelle-cide toute faussegloiredivine.Moyende laRévélation, l’IncarnationestinséparabledelaRédemptionoùparaîtlavisibilitédudivin.Surfonddedramaturgie divine : Création, Incarnation/Kénose, Rédemption, SchellingdéploielagesteduChristdansl’histoiredel’humanité(unegestequiintègrele lien du Christ avec les dieux païens), en s’efforçant de sauvegarderl’identité duChrist à travers ses états.Cf.X. TILLIETTE,Le Christ de laphilosophie,op.cit.12.S.WEIL,AttentedeDieu,Paris,ÉditiondeLaColombe,1950.E.Steinadéveloppéune«sciencedelaCroix»,celledessaintsetdesvraismystiquesunis de manière indéfectible au Christ de la Passion. Se reporter à Lapuissance de la Croix, textes réunis et présentés par Waltraud Herbstrih,Paris, Nouvelle cité, 1982. Le Christ de la Passion a inspiré une« méditation » philosophique d’E. Mounier sur le Golgotha dansPersonnalismeetchristianisme,Œuvres,tome1,Paris,Seuil,1963.13. PASCAL,Œuvres complètes, édition établie et annotée par JacquesChevalier, Paris, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, 1954; Pensées, n°729.14.M.BLONDEL,L’action,Paris,PUF,1973,5epartie:«L’achèvementdel’action»,chapitreIII,section4.15.M.HENRY,C’estmoilavérité,pourunephilosophieduchristianisme,Paris,Seuil,1999;chapitre5:«PhénoménologieduChrist».16.S.KIERKEGAARD,L’Écoleduchristianisme,trad.P.-H.Tisseau,Paris,Perrin,1963.

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XIILeChristdeMaîtreEckhart*

Dans l’œuvre eckhartienne la question du Christ demeurecentrale. Elle traverse les plans d’intelligibilité métaphysique,théologique et mystique qui constituent le texte du Maîtrerhénan. À ce sujet, J. Ancelet-Hustache, dans l’un de sesouvragesintitulé:MaîtreEckhartetlamystiquerhénaneécrit:«Ce que la grâce sanctifiante opère dans ce “quelque chose”,cette“étincelle”del’âme,c’estlanaissanceduVerbe.LeLogos,Fils unique de Dieu, a pris un corps de chair, est devenu leChrist,pourqueleshommes,justifiésparlagrâce,retournentàDieuen luietpar lui.Cettedoctrinede lanaissanceduVerbedansl’âmequis’estrenoncéeestaucœurmêmedelamystiqued’Eckhart, le foyer qui l’éclaire toute. On ne saurait trop yinsister.Sansdoute,ontrouvedanssesécritsetsessermonsdesréminiscencesdesmystiquesantérieurs,Plotin,Proclus,Denys.Elles ne sont qu’accessoires. Sa doctrine est essentiellementcelledel’identificationauChristmédiateur,chefducorpsdontles chrétiens sont les membres, que la théologie moderne anomméedoctrineducorpsmystique.Au-delàdesintermédiairesnéoplatoniciens,Eckhart l’apuiséedanslestextesjohanniquesetpauliniens1.»

L’être, le statut et le dynamisme du Christ chez MaîtreEckhart pourraient se résumer dans une formule audacieuseretenueparlesjugesd’Avignon:«LePèreengendresanscessesonFilsetjedisplusencore:ilm’engendreentantquesonFilset lemême Fils2…». Pour saisir la profondeur inouïe de cesphrasesévoquantlacontinuitédelaseuleVieabsoluedeDieu,nousavonsàretrouver lemouvementdepenséequisoutient la

christologieeckhartienne.

LeVerbedanslePrincipe

Dans ses commentaires latins de laGenèse, de l’Exode, de laSagesse et de l’Évangile de Jean, Maître Eckhart expose samétaphysique du Verbe3. L’une des perspectives de cettemétaphysique consiste dans la reprise spéculative de lagénérationéternelleduVerbeenDieu.Surcepoint,leProloguede saint Jean représente le texte d’inspiration par excellence(danslePrincipeétaitleVerbe4).AuparadigmeclassiquedelagénérationnaturelleenusageauseindelaTraditionchrétiennepour penser la filiation dans la Trinité divine,Maître Eckhartpréfère,sousl’influencedel’écoledominicaine,lemodèledelagénérationintellectuelle.SiDieuestl’Êtreabsoluréfléchissantsurlui-mêmesonpropredynamisme(larévélationexodiqueegosum qui sum interprétée en référence à la monadenéoplatonicienne5) et s’intellectualisant dans ce retour sur soiquil’opposeàtoutedissémination.Ils’offreimmédiatement,ausommetdesatranscendance,commeEspritenacte.Encelui-cinaîtéternellementleVerbe.Icil’analogiedel’activitédepenserreste éclairante. Elle permet de distinguer et d’unir dansl’événementdelapensée:

a)lapuissancedel’intelligence,b)l’opérationdel’intelligenceensonintentionnalité,c) la déterminationde l’opération intellectuelle (le corrélatd’intentionnalité).

Projetée en Dieu, elle fait entrevoir le procèsd’engendrement du Verbe dans l’Intellect divin. La générationintellectuelle du Verbe reste pensée principalement sousl’inspiration des thèses métaphysiques d’Aristote sur

l’Intelligencedivine6.AinsiDieu, en tant qu’il est le Principeabsolu sans principe, dans son auto-réflexivité, fait advenir enlui-même sa propre intelligibilité essentielle, comme Imageabsolue.Celle-ciest leVerbe-Logos (inséparableduPèredanslaspirationdel’Esprit-Saint)ensonéternelengendrementainsiquelesuggèrelesermonIntravitJesusintemplum:«Qu’est-ildonc? Il est le Verbe du Père. Dans ce même Verbe, le Pères’exprimelui-mêmeettoutelanaturedivine,ettoutcequeDieuestettelqu’illeconnaît,etilleconnaîttelqu’ilest.Etcommeil est parfait dans sa connaissance et dans sa puissance, il estparfaitaussidanssaparole.EnexprimantleVerbe,ils’exprimelui-mêmeettouteschosesdansuneautrePersonne;illuidonnelamême nature qu’il a lui-même, et il exprime dans le mêmeVerbe tous les esprits douésd’intellect, semblables à cemêmeVerbe selon l’image, dans la mesure où celle-ci demeure àl’intérieur,nonpascependant semblablede toutemanièreà cemêmeVerbe, selon qu’elle se répand au dehors, chaque imageayant son être propre, mais les images ont reçu la possibilitéd’obtenirparlagrâceunesimilitudeaveccemêmeVerbe.EtcemêmeVerbe,telqu’ilestenlui-même,lePèrel’atotalementexprimé:leVerbe,ettoutcequiestdansleVerbe7.»

Danslamêmeperspective,leCommentairedel’ÉvangiledeJean présente le dynamisme de la causalité essentielle del’Intellectdivingénérantenlui-mêmesonpropreeffetintérieur,àsavoirleVerbecommel’objectivationdesonessence:«C’estpourquoil’effetintérieurpropreàl’intellectn’estpasseulementverbe, mais verbe et raison, le logos signifiant l’un et l’autreainsiqu’onl’adit…oubien:elleestauprèsdeluiparcequ’ilconnaît toujours en acte et qu’en connaissant il engendre laraison. Et la raison même qu’engendre son propre connaîtrec’estDieului-même8.».EnDieuPrincipeabsolu, leVerbeest

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deDieutoutprocèdeenvérité.

Ceci nous fait comprendre clairement en quoi consiste notre salut,autrementditlaBéatitudeoulaLiberté:dansl’amourconstantetéternelenversDieu,autrementditdansl’amourdeDieuenversleshommes1.

Mais l’homme, en raisonde sanature et de ses conditionsd’existence, ne s’établit pas immédiatement dans l’ordre dusavoirobjectifparlequelilsedonnelaconscienceauthentiquede, son être et de son univers. C’est pourquoi il lui estnécessairedes’engagerdansuneréformedel’esprit,expressiond’unevéritableconversionspirituelle,inspiréedunéoplatonismegrecreprisparlesnéoplatonicienschrétiensduMoyenÂgeetdelaRenaissance2.

Le Court traité3 et le Traité de la réforme del’entendement4 expriment cette recherche intellectuelle de lavérité comme dynamisme de purification sous la forme d’uneexpositiondestroisgenresdeconnaissances:

a)Le premier genre, radicalement séparé des deux autres,constitue le régime mental de la connaissance en absenced’idéesadéquates.

Nousappelonslapremièreconnaissance,opinion,parcequ’elleestsujette à l’erreur et parce qu’elle n’a jamais lieu à l’égard dequelque chose dont nous sommes certains, mais à l’égard de cequ’onditconjecturéousupposé5.

Ce premier mode de connaissance définit la pensée parexpérienceetpar«ouï-dire»(exauditu),autrementditcellequise trouve référée à l’extériorité, cette pensée que le marchandrévèle avec ses recettes de calcul mémorisées sans réflexion;

pensée où se développe la puissance de l’imagination chez unsujetliéaumondeparlejeudesesaffects.

b) Le deuxième genre, délié du précédent, représentel’expression générale de la raison comprise comme fonctiond’abstractionetdesystématisation:

Nous appelons la seconde connaissance, croyance, parce que leschosesquenoussaisissonsparlaseuleraisonnesontpasvuesparnous, mais nous sont seulement connues par la conviction, dansl’entendement,qu’ilendoitêtreainsietnonautrement6.

Cette forme de connaissance que schématise le marchanddevenumathématicienappliquéetqu’exemplifieSalomondanslaBible,exprimelerégimescientifiquedelaraisonenactivité,retrouvant et liant les idées générales évidentes ou les notionscommunesdanslesavoirobjectifdesidéesadéquates.

c)Letroisièmegenre,préparédansleprécédent,manifestele régime mental de l’intuition intellectuelle par laquelle sontconnues les essences dans leurs rapports nécessaires surl’horizondufondementdivin:

Mais nous appelons connaissance claire celle qui s’acquiert, nonparuneconvictionnéederaisonnements,maisparlesentimentetlajouissance de la chose elle-même; elle l’emporte de beaucoup surlesautres7.

Ce troisième mode de connaissance que le marchandmathématicienpourraitespérerapprocherdansunemêmevisionintellectuelle des calculs et de leurs raisons et que le Christréalise en son esprit, appartient au plan de la communionintellectuelleentrel’intellecthumainetl’espritdeDieu.Telestl’ordredelascienceintuitivedupointdevuedelaquelleilnous

estdonnédeconnaîtretouteschosessousl’aspectdel’éternité(sub specie æternitatis et non pas seulement comme pour laforme de connaissance précédente : sub specie quadamæternitatis).

C’estauseindesdeuxderniersrégimesdeconnaissancequeseformel’idéeadéquateprocédantdudynamismedel’intellect(elleestactiointellectus),commeidéeclaireetdistincte.Surceplan, l’espritaffirmesaproprecausasui, à savoir sonpouvoirde constitution, sa puissance de vérité consciente de soi enlaquelle il trouve sa véritable joie (acquiescentia in seipso).L’idée adéquate exprime l’action de l’esprit et, par là-même,simultanément, la connaturalité de celui-ci avec le vrai et laprimauté de ce mode de penser sur tout autre mode deconnaissance, telqueceluidudésiroude l’amour, relevantdurégime de l’affect (l’affect signifiant le fait de pâtir et d’êtresousladépendanced’unobjet).Entantqu’elledemeureactedel’esprit, l’idée adéquate qui fait reconnaître sa véritéobjectivement par tous et en ses applications, manifeste lapuissance de l’esprit se posant à la fois comme intellect etvolonté. Dans cette perspective, nous pourrions parler d’unintellectualismespinozistedoublementcaractériséparlaprioritédu mode de penser selon l’idée adéquate et par l’auto-affirmation de la nature intellectuelle de l’esprit dans l’idéeadéquateellemême8.

Maislapuissanceintellectuelledel’espritnesecomprend,en sa nature et en son déploiement, que parce que l’esprit estlui-même une partie de l’entendement infini de Dieu9. En cesens,penserdans le régimede l’idéeadéquate revientàpenserdupointdevuedel’universeletdunécessaire,autrementditdupoint de vue de l’Absolu. Ainsi la théorie de l’idée adéquatedéfinitl’étatdusavoirauthentiquequedéveloppelephilosophe

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Spinoza, contemporain de Richard Simon31, instaure aveccelui-ci une lecture scientifique de l’Écriture qui romptradicalement avec l’interprétation classique des quatre sens etexclutlesgenrestraditionnelsducommentaire:

a) le commentaire spirituel par lequel le texte trouve unretentissementimmédiatementsubjectifetreligieux;

b) le commentaire théologique qui, utilisant la Tradition,s’efforcedejustifierl’existenceetl’exercicedel’autoritédogmatique de l’Institution et s’oppose, de ce fait, à lasimplicitédelaReligionetàlalibertédepensée;

c) le commentaire philosophique qui se change enrationalisme exégétique et subordonne l’Écriture àl’autoritéd’unephilosophie32.

Ens’affranchissantdecesformesdecommentairerépanduesdanslechristianismecatholiqueetprotestant,et,pourcertainesd’entre elles, dans le judaïsme, Spinoza soumet l’Écriture àl’appréhensiondel’entendementscientifique,seulopérateurdevérité, apte, par une méthode exégétique construite par lui, àsaisirlesmilletoursdutexterévélé.Cetteméthodesefondesurlesprincipesd’étudesuivants:

a) libérer tout texte de la succession indéfinie de sescommentaires;

b) revenir au texte pris comme une chose intelligible enrenonçantàtouteexplicationmythologique;

c) interroger le texte dans sa propre langue à partir del’espacescripturaireoùils’inscrit;

d) déterminer pour tout texte l’enchaînement de sesprocessusd’expression.

C’est ainsi que doit procéder la raison en lisant l’Écriturequ’elle entend dégager du pouvoir dogmatique de l’InstitutionecclésiastiqueetdelapesanteurséculairedelaTradition–ayant

assu jetti le texte biblique, en son intelligibilitémême, à leurproprevolontédepuissance.

Il n’y a de compréhension authentique de l’Écriture quecelle de la raison scientifique ou de la connaissance dudeuxièmegenre.CarsiDieuserévèledansleTextebiblique,ilne le fait pas en contradiction avec l’entendement humain quidemeureunepartiedesonpropreentendement, sansquoi il serenie lui-même. Aussi s’exprime-t-il selon l’universel et lenécessaire que la raison reconnaît.Mais dans l’Écriture, Dieus’adresse à un peuple ignorant, qui pense et vit au sein durégime mental de l’extériorité. C’est pourquoi, il use desmédiations propres à cet ordre de connaissance et d’existence,ce qui se traduit dans le texte biblique par les détours de laprophétie,delaloietdumiracle.

Opposée dans son ordre à celui de la raison, constant etcommun,laprophétie,opérantensonmodedeconnaissanceparlamédiationducorpsnécessairementindividualisé,exige,pourêtrereconnue,desconfirmationsexternes.Maisquelquesoitleprophète, défini par les variables du tempérament, del’imagination, de la condition sociale ou du discours, laprophétien’instruitpassonauteur,parcequ’elleest seulementun langage de la conduite, nullement un savoir de la naturedivine et de l’univers. Ressortissant à l’ordre de l’éthique, leprophétie traduit, par son autorité, la nécessité pour le peupled’un devoir-être sur l’horizon d’un pouvoir-être référé, en sasignification,auvouloir-diredelaloi33.

L’ÉcritureexposeleDécaloguecommelaloidivinesouslaformeducommandementexprimédanslapositivitédel’histoired’Israël.Maislaloidivinesedéfinitd’abordparlaloinaturelledanslamesureoùDieudemeureCauseabsolueetimmanentedetout, àmoinsd’admettre enDieu lui-même lapossibilitéde la

division, voire de la contradiction. Or la loi naturelle,universelle, nécessaire, invariante, n’exige ni histoireparticulière d’un peuple ni révélation pour être reconnue parl’entendementhumain,quilaretrouveenpensanttouteschosesdupointdevuedel’éternité.Traduisant,danslanécessitédelanature,l’inséparabilitédel’intellectetdelavolontéenDieu,laloi naturelle est divine en elle-même. Ainsi le Décalogue oùDieu est présenté comme législateur n’a de sens que pour lesseulsHébreuxdontlafaçondecomprendreestcelleduvulgaire,à savoir le premier mode de connaissance dominé par lapuissance des affects et le pouvoir de l’imagination. Exprimépour Israël, le Décalogue enseigne l’obéissance à Dieu et lacharitépourautrui.Ilestrègledeviepourlepeuple,commelesont, dans leur subordination au Décalogue, les cérémonieselles-mêmesquimaintiennentlacommunautédanssonunitéetsapiété34.

Quant aux récits de miracles, ils cherchent, avant touteschoses,àproduiredanslaconsciencedupeuplel’obéissance,lacrainte et la reconnaissance enversDieu.Mais ils exigent uneinterprétation ration-nelle où doivent compter le rédacteur, ledestinataire, l’imagination, l’ignorance de chacun, etc. Car lemiracle n’a de signification que pour l’homme soumis à unementalitéanthropocentrique,àl’illusiondescausesfinalesetausentiment de la Providence divine. Perçu comme une œuvreinsolite, faisant violence à l’évidence scientifique dudéterminismedansl’univers,lemiraclefaitl’émerveillementdel’ignorant ne sachant rien de la nécessité naturelle. Ainsi, iln’existe que pour une formede conscience (ex signis) séparéedusavoirauthentiquedel’universoùlacausaliténesouffrepasderuptureensondéploiementinfini35.Laprophétie,laloi,lescérémonies et le miracle, par leur maintien dans la religion

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unitleVerbeàl’EspritquiprocèdedeluicommeduPère52.

Avecl’idéeduChristmétaphysique,exprimantl’essencedeDieu dans l’entendement infini, nous quittons la perspectiveexégétiquedeSpinozapournousétablirsurleplandelapenséephilosophiquedel’Éthique.Àceniveau,leChrist,affranchidel’histoire et de la Foi des fidèles, s’identifie au mode infiniimmédiat de l’entendement en acte de Dieu, à partir duquelprocèdent lesespritset les idéesvraies–en tantqu’ilexprimel’IdéedeDieuquesonespritobjectiveetdontdépendlalibertéhumaine.

Maisque,danslacroyancequelesbêtesétaientsemblablesàlui,ilsemitaussitôtà imiter leurs sentiments etàperdre sa liberté,querecouvrèrent dans la suite lesPatriarches conduits par l’Esprit duChrist, c’est-à-dire par l’Idée de Dieu; car de cette seule idée ildépend que l’homme soit libre et que le bien qu’il désire pourluimême, il le désire aussi pour les autres hommes, comme nousl’avonsmontréplushaut53.

IlestvraiqueSpinozaresteextrêmementdiscretsurcepointet qu’il ne développe aucune théorie du Logos de Dieu.Toutefois,mêmedanslecasoùtoutcelaseraithypothétique,ilyacetteaffirmationdel’EspritduChristentantqu’IdéedeDieu,donc comme mode infini immédiat de l’entendement divin enacte en dehors duquel rien de ce qui existe n’est conçuadéquatement.

Silemouvementnatureldelapenséehumaineconsistedansl’appréhension de toutes choses dans l’Idée de Dieu oul’essence divine dont proviennent l’existant et l’intelligible,alorspenser toutes choses et sepenser soi-mêmeen cette Idéerevientàdemeurerdansl’EspritduChrist.PossédercetEsprit,

c’estsaisirlavérité,parcequec’estconnaîtredupointdevuedeDieu. Mais cela n’est possible que par la connaissance dutroisièmegenreoùs’accomplitlacommunionspirituelledeDieuet de l’homme selon une perfection qui transcende les autresformes de connaissance. Par la science intuitive, au-delà dusavoir scientifique lui-même qui enchaîne les raisons par laliaisondescausesetdeseffets,l’esprithumainreconnaîttouteschoses en Dieu et se reconnaît lui-même comme partie del’Entendement divin. De la prise de conscience de soninscription en Dieu, l’esprit humain tire sa joie véritable etéternelle dépassant par là-même, de manière radicale, lessentimentsheureuxliésauxpassionspendantladuréeducorps.En ce sens, il surmonte, dans l’action de la science intuitive,toute forme de contingence, y compris celle qui représente lamort.

Ainsi,l’âmehumainecommeespritayantuneconnaissanceadéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu54, par lascienceintuitive,exercée,exprimel’amourintellectueldeDieu(amor intellectualis) sur fond de contentement suprême ou devraie béatitude, pure énergie de l’âme en son essenceintellectuelle.

L’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est l’amour même deDieu,dontDieus’aime lui-même,nonen tantqu’ilest infini,maisen tant qu’il peut être expliqué par l’essence de l’esprit humainconsidérée sous l’espèce de l’éternité, c’est-à-dire que l’amourintellectuelde l’esprit enversDieuest unepartiede l’amour infinidontDieus’aimelui-même55.

EnconnaissantDieuqui s’aimeennous,nousnepouvonsque l’aimer comme l’Infini qui nous fonde. C’est dans lareconnaissance que nous sommes expression déterminée de la

puissance infinie d’exister de la Substance divine, que nousfaisons l’expérience de la béatitude ou du salut au sens fort(salus). Nous comprenons alors que nous sommes pensés detouteéternitédanslapenséedeDieuetinscrits,decefait,dansl’ordreéterneldel’univers.Telleestl’authentiqueconnaissancede l’Idée deDieu et, en définitive, de l’esprit du Christ, sanslaquellelevéritablesalutneseréalisepointpourlephilosopheou le sage.En réalité, le salutphilosophiqueconstitue le salutausensfortparlaparticipationintellectuelledel’âmeàl’espritduChristouàlaSagessedeDieu.Sansdoute,cettescienceest-elle le propre des savants. Mais, conjointement à cette voieroyaledelabéatitude,existelavoiedelaFoispirituellequeleChristhistoriqueenseigneenordonnant l’obéissanceàDieuetlapratiquedelacharitéetdelajusticeenversleshommes.

Cette secondevoie,moinsnobleque lapremière,établit lecroyantdansunecertainecommunionavecDieu,donnesensàson existence et le soutient dans l’instauration et ledéveloppementdelajusticeetdelapaix.C’estlàcequepermetl’Évangile universel du Christ de l’histoire. Quant à l’Église,catholiquesurtout,quiprétendétendreencemonde l’Évangiledu Christ, Spinoza, sans toutefois demander sa suppression àcause de sa fonction sociale, exprime à son égard les plusexpresses réserves du fait même qu’elle lui apparaît, en liantpédagogie, institution et politique comme un mouvement derégression vers l’extériorité, l’extrinsécisme et la domination.Quoiqu’ilensoit,surunhorizondepluralitéherméneutiqueeuégard à l’Évangile du Christ, représenté par les diversenseignements apostoliques, l’Église catholique représente unepossibilitéparmid’autresd’interprétationduchristianisme lui-même.

En somme, le Christ, qu’il soit compris par le philosophecomme Idée de Dieu ou qu’il soit saisi par l’ignorant comme

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Enméconnaissant le fait religieux, la philosophie renierait sapropreexigencefondamentaled’intelligibilité.

Ilestvraiqu’enencedomaine,laréflexiondeBergsonaétépréparée par les analyses de Berkeley, de Maine de BiranretrouvéparBlondel,dePlotin,deRousseauetdeSpinoza,etparlesinterprétationsdeDurkheim,deJamesetdeLévy-Brulh3.Quoiqu’ilensoitdesinfluencesphilosophiques,sociologiquesetpsychologiquesquiontpesésursadoctrine,Bergsonatentéde s’affranchir de toute extériorité dans son analyse du faitreligieux, par une fidélité rigoureuse à sa propre méthode depenser.

Aussi pour comprendre la pensée bergsonienne de lareligionnefaut-ilpointméconnaîtrelaphilosophiedeBergsonlui-même.Sachantégalementquelephénomènereligieux,danssonexpressionchrétienne,n’intéresselephilosophequedanslamesureoùilrestepensablesurl’horizondelareligiondontilsedétacheparsonoriginalité,nousproposonsicilesperspectivesdepenséesuivantes:

1.l’avènementdelamétaphysiquepositive,2.laperceptionphilosophiquedelareligion,3. la reconnaissance du christianisme et du « Christ desÉvangiles».

L’avènementdelamétaphysiquepositive

Delascienceàlaphilosophie

Les historiens de la philosophie bergsonienne et lesbiographes de Bergson reconnaissent – sur le témoignage decelui-cidansunentretienavecJeanLaHarpe4–,quelalecturede la thèse de Lachelier;DuFondement de l’induction, a étépour le jeune Bergson, alors élève au lycée Condorcet, le

momentdécisifdesaconversionàlaphilosophie.Danscetextespéculatif,Lachelierafaitlapreuveducaractèrescientifiquedela pensée philosophique qui, par sa capacité de traitement desproblèmes qu’elle se donne, n’a rien d’un pur enchantementlittéraire. On sait encore que le jeune Bergson, passant de lalecturedeCournotàcelledeSpencer,s’estouvert très tôtauxsciencesde lavie redevables,dans l’acquisitionde leurproprescientificité,autravaildeClaudeBernard.

Vivement intéressé par la biologie, sachant lesmathématiquesetlessciencesdelamatière,Bergson,normalien,lit les textes de Ravaisson et découvre le « réalismespiritualiste».OpposéaukantismedeBoutroux,ilexprimesonintérêt pour la recherche métaphysique sous l’influence deLachelieretdeRavaisson.EnréactionaupositivismeétroitduXIXesiècledontTainefutunauthentiquereprésentant,Bergson,ayant pour lui Péguy et Éd. Le Roy, s’efforce de fonder unemétaphysiquepositive.Celle-ciacommeobjetd’étudel’horizondel’esprit,lascienceseréservantl’investigationdudomainedelamatièreindissociabledelavie5.

Refusant de procéder par pure combinaison d’idées,Bergsonexigedelaphilosophiequ’ellepartedel’expérienceensatisfaisantauxconditionsdel’empirismeauthentiquetelquelepréciseletextedel’Introductionàlamétaphysique6.Allerdeschoses aux concepts et non point des concepts aux choses7,ainsi se définit le mouvement du nouveau mode de pensergouverné par l’intuition devenant « maîtred’œuvre » au seinmêmedel’exercicephilosophiquequis’obligeàprocéder«paraccumulation graduelle de résultats acquis8 ». Pour réussir, laphilosophie doit se faire action, c’est-à-dire provoquer lacollaboration patiente et fructueuse des philosophes, par-delàles conflits stériles et les isolements spéculatifs9. En

philosophie, comme en science, il n’est pas d’autre source deconnaissance que l’expérience10, c’est pourquoi le philosophesedoitd’interrogerlestémoignagesetdefréquenterassidûmentlesœuvresdessavants(quitteàsedisposeràdevenirétudiant).En se passant de l’expérience, la philosophie s’égare dans laconceptionthéoriquedétachéedelaperception11etperdalorssonpouvoirdevérité.

Delaphilosophieàl’intuitiondeladurée

DansunelettreàHöffding,Bergsonexposelui-mêmelacléd’intelligibilitédesaphilosophie :«Àmonavis, tout résumédemesvues lesdéformeradans leur ensemble et les exposera,par làmême à une foule d’objections, s’il ne se place pas deprime abord et s’il ne revient pas sans cesse à ce que jeconsidèrecommelecentremêmedeladoctrine:l’intuitiondeladurée12.»

C’estenréfléchissantsurlesmathématiques,lessciencesdelanatureetdelavie,queBergsondécouvrelaréalitéprofondedeladuréeenoppositionautempsscientifiquequidemeure,àses yeux, une donnée abstraite, constante, repérable, en usagedansleséquations13.Lesmathématiques,parleurssystèmesdereprésentations idéalisées, nous donnent seulement le tempsprojetésurl’espacegéométriquedesamesure.

Laduréeestletempsdumonde,delavie,letempsintérieurde l’esprit, celui que saisit la perception et qui se donne dansl’expérience : « Cette durée que la science élimine, qu’il estdifficiledeconcevoiretd’exprimer,on lasenteton lavit14.»L’intelligencescientifiqueetconceptuellel’ignore,parcequ’elleresteuneintelligencedelaspatialisationetdelareprésentation,mais aussi parce qu’elle demeure une intelligence de lacommoditéetdel’efficacité.S’affranchissantdecetidéaldela

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XVL’excèsdelavie

sursareprésentationscientifique:laperspectivephilosophiquedeMichel

Henry*

M.Henry(1922-2002)ainscritsaréflexionphilosophiquedansle mouvement de pensée que représente la PhénoménologieissuedeE.Husserl.Surcethorizond’intelligibilité,ils’estimposé dans l’espace francophone (et au-delà par les multiplestraductionsdesesouvrages)commelephilosophedelavie.Sonanalyse de la vie humaine (du corps, de la chair, de lasubjectivité…) inspirée de la Phénoménologie réinterprétée(dépassant la Phénoménologie historique), inclut une critiqueradicaleduréductionnismedérivédudéveloppementdestechno-sciencesdans lemonde1.Noussommesaffrontésà laquestiondelaconnaissancedelavieàpartirdesmoyensscientifiquesettechniques disponibles; mais, pour honorer la recherche de lavéritédelavie,nousdevonsallerau-delàdecetteproblématiqueetnous interroger sur l’essencemêmede laviedans sonauto-manifestation. Cette interrogation fait appel à l’intelligencephilosophique ouverte aux dimensions symboliques de laculture,notammenticiàlatraditionduchristianisme.

De ce point de vue, les derniers écrits de M. Henryconstituent une trilogie philosophique où la penséephénoménologique du philosophe affronte le christianisme surlaquestiondelavéritédelavie.Maiscestextestardifsnesontnullement déliés des écrits antérieurs où se trouvent soumis àinterrogation, laPhénoménologie dans sa propre évolution, le

développement scientifique, le marxisme et l’économie, lapsychanalyse,l’art…àproposdelamêmethématique,àsavoircellede lavéritéde laviedontnous souhaiterions suggérer laperspectivephilosophique.

Criseetcritiquedelaculturetechno-scientifiquecontemporaine

Uncontexteinternationalinquiétant

La réflexion de M. Henry sur le développement techno-scientifiquecontemporainestconcentréedansunouvragedontnous savons le retentissement :La barbarie2. Sur ce point, iln’estprobablementpasinutilederappelerquelquesévénementsdramatiques ayant trait aux risques technologiques menaçantl’humanité elle-même (événements inter venus au cours desannéesprécédantlapublicationdeLabarbarie):

•19.11.1984,banlieuedeMexico:explosiond’unesériederéservoirsàgaz;

• 2 et 3.12.1984,Bhopal (Inde) : explosion chimique avecnuagetoxique;

•25.04.1986,Tchernobyl(exURSS):catastrophenucléaire;•1er.11.1986,Bâle(Suisse):incendiedesusinesSandoz.En1981,P.Lagadecavaitattirél’attentiondupublicsurla

problématiquedurisquetechnologiqueparunepublication:Lacivilisation du risque. Catastrophes technologiques etresponsabi litéssociales,Paris,LeSeuil,1981.Ensomme, lesannées1980-1990ontétémarquéesparuneconsciencetrèsvivedurisquetechnologique.LaréflexiondeM.Henryprendplacedanscecontextedetragédiesetd’interrogations.

Laréférenceàla«Krisis»deE.Husserl

E.Husserl,fondateurdelaPhénoménologie,acomposéunesériedetextesqui,danslesannées1935-1936,ontconstituélefonds de l’ouvrage que nous connaissons, en traductionfrançaise,sousletitre:LacrisedesscienceseuropéennesetlaPhénoménologie transcendantale3.Dès lespremièrespagesdecet ensembled’écrits fondamentaux,E.Husserl s’interroge surlesensdel’êtrehumaindansunmondedominéparlarationalitéscientifiqueettechnique:«Lavéritéscientifique,objective,estexclusivementlaconstatationdecequelemonde,qu’ils’agissedumondephysiqueoudumondespirituel,estenfait.Maisest-il possible que le monde et l’être humain en lui aientvéritablementunsens, si les sciencesne laissentvaloir commevrai que ce qui est constatable dans une objectivité de cetype4?»

Après avoir analysé d’un point de vue philosophique la« révolution » épistémologique opérée par Galilée et lanaissancedelaphysiquemoderne,E.Husserlsoutientl’idéedel’oubli dumondede la vie (Lebenswelt) par le développementscientifique et technique, autant dire ce développement quisubstitue au monde de l’enracinement naturel de l’homme,l’univers de l’idéalité mathématique. Il écrit : «Mais il est àprésent capital de considérer la substitution – qui s’accomplitdéjà chez Galilée – par laquelle le monde mathématique desidéalités,quiestunesubstruction,estprispour lemonderéel,celuiquinousestdonnévraimentcommeperceptible,lemondede l’expérience réelle ou possible : bref, notre monde de viequotidienne. Cette substitution s’est transmise aussi chez lessuccesseurs de Galilée, chez tous les physiciens des sièclessuivants5.»

Ce mode de connaissance objectiviste s’est étendu à lanature, au sujet humain, à la société ; en définitive, il a

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avec l’autre homme). Parole première et ultime, la parole duChristrappelleauxhommesqu’ilssontnésdanslaviedivineetque la vérité de leur vie tient dans le retour à cette naissancetranscendantale, lieud’avènementde lavraievie.Ainsicelle-ciest Amour : aimer l’autre homme parce qu’il est fils de Dieudanslepremiervivant,chacunétantappeléenlui-mêmeàlaviedivine;decefait,l’éthiquechrétiennenedoitpasaumondesoninspiration. Tel est l’impératif de l’Amour contre l’oubli de lavraievie.Aucœurmêmedelasouffrancesetientlaprésencedelajoie,àsavoirlajoiedelaviedivineenl’hommevivant.

*

PourconclurecetexposésurlaquestiondelaviedanslapenséedeM.Henry,nousretenonslespropositionssuivantes:

1. la vie reste impensée dans la culture technique etscientifique du monde contemporain dominé par unprocessusobjectivistes’imposantàlapenséeetàl’actiondeshommes,

2. lavéritédelavierelève,danssarecherche,moinsd’unePhénoménologie du monde que d’une Phénoménologiede laviepensant laviedans sonauto-affectionaucœurdusujetvivant,

3. cette Phénoménologie de la vie est à même de faireapparaîtrelanaturetranscendantaledelavieirréductibleàsaprésencemondaine;maislanaturetranscendantaledela vie ne reçoit son sens décisif que du christianismeaffirmantlafiliationdivinedel’hommedansleChrist,lepremierdesvivants.

À partir de cette perspective philosophique sur la viehumaine, il y a sans doute possibilité de quelquesinterrogations:

1. Comment pouvons-nous penser l’opposition entre laPhénoménologie dumonde et laPhénoménologie de lavie?LemondedelaPhénoménologiedelavien’estpasceluide l’objectivisme référé à laPhénoménologie dumonde(réductricedelaviedanslaclôturedumonde),maisilestceluidesvivantsetdeleurhistoire.L’oppositionentrelesdeuxPhénoménologiesn’estpasàenvisagercommesilaPhénoménologiedumonden’avaitpas de vie et comme si la Phénoménologie de la vien’avait pas de monde. La première reste impuissante àpenser la vie transcendantale, la seconde substitue àl’extérioritédumondel’histoiredesvivants.

2. Comment penser la différence et l’articulation entre lecorpsetlachair?Qu’est-ce qu’un corps qui ne serait pas inscrit dans lachair?Qu’est-ce qu’une chair qui serait sans corps?M.Henrysoutient l’idée selon laquelle la chair est le « sentiroriginaire»quinepeutêtre«sentir»quedanslesiteducorpsvivant;iln’yapasdechairsanscorps;lecorpssanschairdevientuncorpsobjectif,uncorps-organismeprivédesasubjectivitéaffective(desonsentiroriginaire).

3.Commentreconnaîtreàlaviesonimmanencesanscesserde la relier à la Transcendance de Dieu pensé commel’Essencedelavie?Noustouchonsàlaquestionduchristianisme.Sansdoutelaréponseàcettequestionexige-t-ellelareconsidérationde la figure du Christ qui, dans la donation de la vietranscendantale,révèlelaSourcedivinedelaviehumaine.Ilyauraitlieuicidedévelopper,àproposduChrist,unePhénoménologiedelafiliation:filiationdivineduChrist

etfiliationdel’hommedansleChrist.4.Commentpenserlavietranscendantalesanssouteniruneformed’hyper-transcendantalisme? (cedernierposant laquestion d’un possible abandon dumonde à son propresort).Ilnoussemblequecequiimportedanslemondeoùnoussommes, c’est l’histoire des vivants; celle-ci ne peuts’ennoblir que par la connaissance (qui est aussi unereconnaissance)delavietranscendantale(lavraieviedesvivants); cette connaissance implique le recours àl’éducation, à l’art, à la tradition religieuse, à laphilosophie…elle s’imposepoursurmonter les logiquesdedéshumanisationdelavie.

COMPLÉMENTSBIBLIOGRAPHIQUES

–MichelHenry,l’épreuvedelavie(dir.A.DavidetJ.Greisch),Paris,

LeCerf,2001.–PhénoménologieetchristianismechezMichelHenry(dir.Ph.Capelle),

Paris,LeCerf,2004.–DUFOUR-KOWALSKAS.,MichelHenry,unephilosophiedelavieetdelapraxis,Paris,Vrin,1996.

*

*ArticlepubliédansEspritetVie,n°138,novembre2005.1. Dans un entretien avec R. Vaschalde,M. Henry évoque son expériencepersonnelle comme force d’inspiration de sa pensée : « L’expérience de laRésistanceetdumaquisaeuuneprofondeinfluencesurmaconceptiondelavie»,in:MichelHenry,l’épreuvedelavie(dir.A.DavidetJ.Greisch),Paris,LeCerf,2001.

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deuxfaçonssadynamiqueprésence:parl’élanqu’ilnecessedesusciter,etparlaréductionqu’ilopèresurlediscours(…).LeDieudesmystiquesexcèdelesappellationsquilequalifientauxdiverses étapes d’une histoire. Mais s’il paraît subir lechangement,c’estparcequ’iln’estluimême,telquelemystiquele ressent, que la “voie excessive” dont les vicissitudes d’uneexistence,jetéehorsd’elle-même,reflètentl’énergie19.»

S.BretonacrupercevoirdanslemodedevieexcessifdeJ.-J. Surin une illustration de la « mystique de l’errance » quiporterait à l’extrême, dans le rapport de soi à l’Absolu,l’opération transitive (de l’aller-vers) de la procession, tellel’exigencede«l’excès»divinentouteschosesdumonde,quise donne comme une « force expansive » ou une « poussée »impossibleàmaîtriser.Danslamystiqueeckhartienne,ilatentéderepérer,au-delàmêmedel’affirmationdelapréexistencedetoutes choses dans le Verbe divin, l’expression radicale dudétachementquirévèlelasurexistencedel’âmepar«l’identité»deson«fondsansfond»avecle«Fondsansfond»deDieu.

Maisilestvraiquecesdeuxvoies(del’être-versetdel’être-dans ou plutôt de l’exode et de la manence) mentionnéesprécédemment, se trouvent dépassées au bénéfice d’uneinsistance«hénologique»surlelienentreleNéantdeDieu(ensoninfinité)etle«germedenonêtre»del’âme(sonexnihilo),cequefaitéprouverle«nu-pâtir»de«l’opérationzéro»danslaviemystiqueelle-même.Cetteopération«quinefaitrien»,en laquelleDieu«verdoie»,est lasourcede toute fécondité ;ellefaitpasserversd’imprévisiblesrenouvellements.

DansPhilosophie et Mystique, S. Breton écrit : « On envientàdirequ’iln’estde lieuquepar lanécessitéde transiter“par là”.Oportet transire: il faut passer et dépasser. Tel estl’impératif catégorique, son impératif, que le spirituel lit

désormaissurtoutedétermination,seraitellelenomdel’êtreouceluideDieu20.»

À ce niveau de réalité, il est possible d’en appeler àl’affirmation néoplatonicienne de la précédence (l’immanenceduPrincipe)«méontologique»del’Absoluenl’êtrehumain,cequeMaî tre Eckhart avait formulé d’une certaine manière parl’idéemêmedelaconjonctiondu«Fondsansfond»deDieuetdu«fondsansfond»del’âme.Encetteconjonctionsetientlapuissance critique du Rien qui met à distance, telle une«fonctionméta»illustréeexistentiellementparledétachement,toutautantlesexpressionsdelaspiritualitéetdelareligionquelesformesd’existenceoùl’hommeprojettesesrêves.

Mais en christianisme, cette puissance critique du Rien ason application théologique dans la Croix du Christ, « lieudivin » de dépassement des prétentions mondaines et del’impératif de la charité envers les défigurés de la terre : «LeKérygmerestelapuissanceprimordiale.C’estluiquienracinelechrétien dans la Croix où il demeure. Apparemment le“demeurer”nefaitrien:onl’assimileraitàl’élémentzéro.Maiscerepos,oùl’agirpuisesonélan,décidedecequisera,c’est-à-diredelapossibilitéeffectived’unecréation.CequenousavonsdésignécommedimensionpolitiquedelaCroixdécrit,eneffet,lepassagedeceRienàlaréalisationd’unmonde21.»

En somme, dans le christianisme la vie mystique s’offrecommelapratiquedelafonctionchristique(lerapportPassion-Résurrection) en sa capacité « méontologique » et en sondynamismedecharité.Ilyauraitlàunespécificitéchrétiennedel’expérience mystique qui, toutefois ne récuse pas certainséléments communs avec d’autres formes de viemystique dansl’humanité.

« Lamystique, dite chrétienne, souffre d’une diplopie qui

trahitladualitédesessources.D’unepart,elleplongedansunpassénonchrétien,occidentaletoriental,quiluifournitunepartconsidérabledesonlexique.D’autrepart,ellenepeutignorersaréférence christologique (…). L’originalité chrétienne de lamystiquedoit,qu’onleveuilleounon,unir,sanséclectismedecompromis, la ferveur plurielle de ses origines; le lieu parexcellence où pourrait s’accomplir cette rencontre n’est autrequel’ombredelaCroix.Signedecontradiction,folieetsagesse,faiblesseetpuissance,laCroixtrace,dansl’infirmitéd’unpointd’interrogation,unpossiblecheminànotredifficultéd’être,dedireetdepenser.Elleinviteaubeaudangerdeseperdresurune“voieexcessive”quipar-delàtouteraison,faitappel,ennous,àl’inouïdel’hommeetdeDieu22.»

IntéressédelonguedateparcertainesexpressionsmystiquesduBouddhisme(l’écoledeKyoto),S.Bretonatentédepensertout autant la différence intellectuelle et spirituelle entrel’Occident et l’Orient que les possibilités de rencontre et dedialogueentrecesdeuxmondes23.Danscetteconfrontationsanscomplaisancesevérifiel’originalitédelamystiquechrétienneenladualitédesonorigine:

a)néoplatonicienne pour l’essentiel quant aux sourcespaïennesdesonlangage,

b)christologiquequantàsonexpression«dogmatique»etexistentielle.

« Du rien de l’Origine devrait surgir un univers pour quel’être, en toute son expansion ne soit pas seulement sa trace,maisla“louangedesagloire”(…).Maisavantquelemondenedevienne ce rêve de candeur qui récompense le regard duseptième jour, la Croix devra creuser notre sol pour enbouleverser les équilibres trop assurés. Alors, mais alorsseulement,lemondeserapourleFilsdel’hommelafleurdesa

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(accentuation de la substance dumédiateur au détriment de lafonction médiatrice, d’où l’insistance sur les deux natures enuneseulepersonneàproposduChristmédiateur).

S. Breton se demande alors, au sujet du Christ, s’il estnécessairedechoisirentrecesdeuxhypothèses.Ilsemblequ’àses yeux il soit tout autant impossible de penser lamédiationsansmédiateurquelerapportsanslesupportoùils’enracine.Ilparaîtjustifiéd’affirmerl’unitédesopposésparl’êtreetlenéantdumédiateur:l’êtreenvisagédupointdevuedelaparticipationaux deux pôles opposés et le néant induit par l’impossibleidentificationdumédiateuràl’unetàl’autredesopposés.Aussile Christ, dans sa Passion et sa Résurrection, réalise cetteétrangecondition:

–laPassionestnéantdeformedivineetdeformehumaine,– la Résurrection accomplit l’être du médiateur dans uneformehumano-divinetransfigurée.

Médiationetmédiateurunique

Le christianisme affirme l’existence d’un seul médiateur,maisl’expressiondel’uniquesignifielanécessitédesurmonterla multi-plicité (définition de l’essence de la médiation etaffirmationd’uneseuleréalisationdecetteessence).

Certes nous pourrions soutenir que, dans l’intervalle demédiation,pourpenser lapluralitédesmédiateursdifférents, ilfautrapporterceux-ciàunmaximumauquel,danslamédiation,ilssesubordonnentparleplusetlemoins;autantdirequ’ilfautpenser unmédiateur par excellence dont les autres participentinégalement. Mais en réalité, ce qui reste déterminant dansl’affirmation chrétienne de l’unicité du médiateur, ce sont lesélémentssuivants:

a) lanécessitéd’affirmerunmédiateurquiunifie lemonde

supérieur(surnaturel)etlemondeinférieur(naturel),etlaprojection sur leChrist lui-mêmedu logos grec dans safonctiondecohéreuruniversel,

b)lafusion,dansleChrist,desniveaux– le niveau de la singularité individuelle dans sa dignité

d’êtrehumain,–leniveaudelasingularitédupeupleélu,àsavoirIsraël(le

Christestjuif!),–leniveaudelasingularitéduDieuuniqueettranscendant.Ainsi l’usage théologique du logos grec a inspiré une

christologie fonctionnelle, alors que la fusion des niveaux desingularitéapermisdedévelopperunechristologieontologique(dans le sensd’unmouvementdepersonnalisation).L’unitédumédiateur se révèle dans une logique de la nomination quitraduitlatransfigurationdeJésusenChrist.

Médiation,unicité,universalité

S.Bretons’efforcedepensercequenouspourrionsappelerle « devenir-Christ » de Jésus, à savoir la possibilitéd’universalisation de la fonction christique. Dans cetteperspective, il envisage la question de la Résurrectioninterprétée comme un devenir de transmutation. Ainsi letombeau vide de Jésus (qui ne retient pas le corps physique)constituelepremiermomentd’uneélévationàl’universeldelaRévélation du Salut exprimée par la vie de Jésus; il est lapossibilitéoriginaired’unmondenouveauqui,enréalité,s’offrecomme la construction d’un autre corps : le corps spirituel,pneumatiqueoumystiqueduChrist.Surgitdutombeauvide(enabsenceducorpsphysique),lafigurationd’uneopérationzéro,d’unex-nihilo, d’uneopérationprincipielle faisant appel pourunenouvellecréation(enappuisurlapremière)corrélativeàla

totalité du monde. En référence au corps de Jésus (dont laprésencevivanteasignifiélaRévélationduSalut),ilyalecorpsdu Christ (corps mystique) à actualiser dans le mondehistorique;telleestlamissiondel’Église.Cequisignifiequelafonction médiatrice reste liée à la condition pneumatique ducorps.

MaislecorpsduChristàactualiserdemeureinséparabledecequeS.BretonnommelaBiblefuture(àécriredanslemondeet l’histoire); l’ÉcriturebibliqueduCorpsde Jésus (de savie,Ancien et Nouveau Testaments) fait appel, comme une forceinspirante, pour le nouveau langage et la nouvelle écriture duCorpsmystique du Christ (comme s’il y avait ici possibilitéd’appliqueràl’Écriturelaloidelamortetdelarésurrection,etde distinguer des niveaux d’écriture analogi quement auxniveauxdecorporéité).IlyadoncinséparabilitéentreleCorpsmystique du Christ et la Bible future, projetés l’un et l’autredans l’universalité du monde et de l’histoire. Mais dans lagenèseduCorpsmystiqueetdelaBiblefuturesurl’horizondumondeetde l’histoire,demeure lerappel immémorialducorpsde Jésus (en son absence même) et de l’écriture de ce corps,commelanécessitépermanented’unecritiqueradicaledetoutetentationd’absolutisationdesœuvresdel’Église.

LeChristdesdeuxlogos(johanniqueetpaulinien)

Dans la troisièmeperspectivede laChristologiephilosophiquedeS.Breton,estmiseaujouruneformed’interférencedulogosjohannique et du logos paulinien, déterminant la figure duChrist. L’ouvrage intitulé : Le Verbe et la Croix offre à sonlecteurunestructurationdecetteinterférence4.

Lelogosjohannique

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•soitavecunepersonne,àsavoirleprophètedansl’islam,•soitavecleChrist,homme-Dieudanslechristianisme6.Mais la Révélationmême s’affecte d’un certain coefficient

d’irréalisation faisantde lavéritédeDieuunevérité toujoursindisponibleauvouloir,ausavoiretaupouvoirdeshommes(ceque signifient l’attente du Messie dans le judaïsme, le retourglorieux du Christ pour le christianisme, l’eschatologie duParadis en islam). Il reste qu’au regard de la philosophie, laproblématiquede laRévélationplace l’espritdevantune formed’oppositiondifficileàsurmonter:

•surleplandel’identitéoudustatutdelaRévélation,ilyaoppositionentrelacontingencehistoriquequil’affecteetsa prétention à dominer cette contingence historiquejusquedansl’universalitédel’histoire

• sur le plan de la réception et de la connaissance de laRévélation, ilyaoppositionentre la réalitéde la raison(etdesonactivité)etlefaitdelaRévélationayantàêtrereçuparlaraisonelle-même.

En somme, comment surmonter la disjonction del’autonomie et de l’hétéronomie, sans revenir à la synthèsehégéliennedusavoirabsoluquinefaitpasdroitaucoefficientd’irréalisation de la vérité de Dieu, autant dire au mystère deDieu? en considérant la vérité comme processus demanifestation(noncommeadéquationdel’espritetdelachose),en repensant la catégorie d’événement pour conjoindrel’accidentalitéetl’universalitédel’histoire(idéed’événement–paradigmepourl’histoire).

MaislaRévélationdeDieudanslesreligionsmonothéistesinstituées fait apparaître l’Absolu sous les schèmesfondamentaux de la conscience religieuse (du sujet religieuxtranscendantal),àsavoirlasource,lecentre,lebien.

Lasourceestlefluxdelaviequidonneetsedonne;imagedelagénérositéabsolue,delagrâceprimordialequiinaugurelapossibilitéd’undynamismefécond.DieuestCeluiquidonneetsedonnedanssondonquiestVieabsoluetenanttoutecréaturedans sa Vie ; il y a là l’idée d’une provenance ou d’uneprécédence absolue qui permet un rayonnement d’existencemarqué par la nouveauté et la gratuité, le rayonnement de lacréationelle-même.

Lecentre constitue le point fixe autour duquel un universs’organise.Dieu est le centre absolu de la création qui reposesur sa puissance en laquelle s’enracinent les lois dumonde etrestescelléledestindel’univers.

Le bien s’offre comme l’audelà de toute condition et detoute raison. Dieu est l’Orient absolu, suprêmement désirablepour toutêtredésirant ; ilestCeluiversqui tendetse tend lacréation,commeverssonaccomplissementultime.

Ainsi se donne à l’imagination humaine l’Absolu desmonothéismesdanslesÉcrituressacréesquiportentl’échodesaParole et dans les Alliances qui incarnent son dessein sur lemondedeshommes.DecetAbsoludivin, ilyaà figurerdansl’universlapuissancedeCréationetdeSalut.

RévélationetAppel

Au sein des religions monothéistes instituées comportantune Révélation scripturaire est posée l’affirmation de laprécédence absolue du texte sacré (horizon élémentaire de laRévélationetÉcrituretranscendantsesrédacteurs7).Aucœurdece texte lescroyants, encommunauté, s’efforcentdedéchiffrerlavéritédeDieuetdesonrapportàlacréationquiestàsauverdunéant.Ainsiletextesacrésetrouvereçudanslacommunautéreligieuse(quinecessedelerelire)enraisond’unepluralitéde

dimensionsépistémologiques:• il estespacedesens (vérité théologique) oùDieu se faitconnaître en référence à l’expérience religieuse del’homme (il se dit Créateur, Maître de l’univers et del’histoire, Sauveur des hommes…); en tant que tel, letexte est livré à la communauté qui l’interprète àl’intérieurd’unetradition,

• il est espace de vie (vérité ontologique) au sens où ilexpose l’avènement constitutif de l’homme auquel Dieus’adressedansladramaturgiedumonde.Ilditenquelquesorte, dans ses mille replis, quelle est la vraie vie pourl’hommequis’interprèteenvéritédanslalecturetoujoursrecommencéedel’Écriture,

•ilestespaced’action(véritééthique)danslamesureoùildemeureunmilieu fondamental d’orientationpour l’agirhumain,parlecoefficientdenormativitédontils’affecte,définissantpourlecroyantl’horizond’uneorthopraxie.

Telestlestatut(religieux)dutexterévéléquiseprésenteàlacommunautédescroyantscommeAutoritédesens,devieetd’action.Delui,entantquetextesacré,émanel’Appel adresséauxcroyantsàexprimerdanslemondeetl’histoiredeshommesla vérité de l’Écriture (vérité théologique, vérité ontologique,vérité éthique). Dans l’Appel lui-même se conjuguent latranscendance de la vérité reçue du texte et l’immanence del’expressionmondainedelavéritéscripturaire.Surcepoint,lesmonothéismes ont des insistances différentes.Mais la logiquedel’Appelleurrestecommune,«dialectisant»transcendanceetimmanenceselondesplansd’intensitévariabledanslemonde:

•leplandutémoignageindividueletcollectifinduisantuncertain rayonnement de l’existence humaine dans lasociétéelle-même,

•leplandelamissionorganisée impliquantsimultanément

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Au Moyen Âge s’impose l’expression article de Foi(articulus fidei) référée aux confessions de Foi. Philippe LeChancelierdéfinitl’articledeFoiparsanécessitédansl’accueildu Salut et par sa participation à la vérité divine (Summa deBono 618,3-6), tandis que Thomas d’Aquin le caractérise parsonimmanencedansl’Écriture,parsonimportancepourlaFoietlaviedeFoi,etparsonappartenanceàunSymbole(S.Théol.IIa,IIæ,q.1,a6-10).Guillaumed’AuxerreperçoitlesarticlesdeFoi comme les principes du savoir théologique. Avec laréflexiondeGuillaumed’Ockham(DialogusP.1,1,2,C.1)surl’essencedesvéritéscatholiquesnécessairesauSalut,sepréciseprogressivement dans l’Église une forme de critériologie dulangagedelaFoi:sousl’autoritédeDieurévélésontplacéeslesvérités révélées aux Apôtres, aux Conciles, aux saints; cesvéritésontuncaractèreobligatoire,maisilrevientàl’autoritédel’Église universelle, du Concile et du Pape de dé finir la Foichrétienne.

La Réforme relance l’interrogation sur le thème del’obligationinhérenteàladoctrinecatholique,cequicontribueàinduiredansl’Égliseunesubstitutionprogressivedudogmeàl’articledeFoi.LapériodedesTempsmodernessousl’influencedethéologienscommeF.Veron,H.Holden,F.AntonBlau,Ph.Neri Chrismann, permet l’émergence d’une conception dudogme présenté alors comme une vérité révélée, enseignée parl’Église, devant être crue de Foi divine. Cette perspective estrepriseparJ.KleutgenauXIXesiècle.

Le Concile Vatican I, en écho au Concile de Trente,s’attache à définir le dogme en référence à la Parole de DieutransmiseparlaTradition,enseignéeparleMagistèreuniverselet ordinaire de l’Église et élabore la doctrine de l’infaillibilitépontificale(nonsansrevenirsurl’oppositionviveentredogmeset hérésies). Le Concile Vatican II retrouve la question

dogmatique dans une orientation pastorale et existentielle(disparition de l’anathématisme) sachant que parallèlement àl’évolution de la problématique dans l’Église catholique où laquestion du développement dogmatique est posée, leProtestantismeaffirmant sa fidélité à la confession trinitaire etchristologiquedespremiersconciles,développeunecritiquedudogme en insistant sur la subjectivité croyante et propose uneinterprétationactualiséedukérygmechrétien.

Révélation,Tradition,lesprincipesdelanormativitédogmatique

LaRévélationcommeprincipe

Le langage dogmatique se déploie dans l’horizon duchristianismecatholiqueentantquecelui-ciseprésentecommeune religion révélée, tenant sa fondationde laRévélation elle-même. Certes le concept de Révélation (donation naturelle etsurnaturelle) recèle une complexité sémantique infinie que lesmultiplesthéologiesdelaRévélationonttentéd’élucider.Surcepoint, pour en rester à un exposé très schématique, nousrappellerons que, dans le christianisme de l’Antiquité, desorientations théologiques différentes avaient cours, accentuantsoit le rôle du Christ, soit la place de la création, soitl’importance de l’histoire, soit la réalité d’un processus decommunicationarrivéàson terme.LeMoyenÂges’estengagédans une thématisation des rapports théologiques entre laCréation, l’Écriture et l’Église, pour penser l’essence de laRévélation.

La Réforme a souligné la centralité de la Parole de Dieudans son événement existentiel, entraînant l’insistance duConciledeTrentesurl’enracinementdel’Écritureauseindela

Tradition de l’Église. Vatican I a réhabilité la connaissancenaturelledeDieu,estrevenusurl’inscriptionscripturairedelaRévélation et a conforté la fonctionmédiatrice de laTraditionecclésiale. Vatican II a compris la Révélation à partir de laconnexion des Paroles et des Actes divins en accentuant lacentralité du Christ. Les théologies systématiquescontemporaines présentent, sur cette question, des vectionsdiverses, interprétant la Révélation comme doctrine, commehistoire, comme expérience intérieure, comme dynamisme duSalut ou comme nouvelle conscience de la destinée de lacréationetdel’humanité.

En référence à laConstitutiondogmatiqueDeiVerbum duConcile Vatican II, nous envisageons la Révélation (auto-communication deDieu à l’homme dans lemonde historique)selontroisconnotationsessentielles:

a) la centralité du Christ-Verbe de Dieu incarné, mort etressuscité,accomplissantlesÉcritures,

b) la dialectique des éléments objectifs et des élémentssubjectifsdansleprocèsdelamanifestationdeDieu,

c)laréalitéindépassableduMystèredivin4.C’est à la Révélation ainsi comprise que le langage

dogmatique s’origine du point de vue de ses contenusdoctrinaux.LaRévélation constitue pour le dogme tout autantun principe ontologique fondant la possibilité d’existence dudogmequ’unprincipesémantiquepermettantundéveloppementdogmatique. Sans doute celui-ci peut-il être envisagé deplusieurs manières (dialectique, typologique, vitaliste,transcendantal, autant demodèles épistémologiques convoquéspour la représen tation théorique de la réalité du déploiementdogmatique5).Importeicil’idéed’unmouvementderéductionetde concentration, au sens phénoménologique, autour d’une

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langageprivéchezWittgenstein,Paris,Vrin,1976.10. S. BRETON, Foi et raison logique, Paris, Le Seuil, 1971; J. Poulain,Logiqueetreligion.EmpirismelogiquedeL.Wittgensteinetpossibilitédespropositions religieuses, suivi de logic and religion : a shortened andadaptedversion,LaHaye-Paris,Mouton,1973.11. H. HAMMAN, « Le développement du dogme durant ces dernièresannées:pointsdevuecatholiques»(trad.del’allemand),in:Concilium,21,1967, p. 97-113. E. SCHILLEBEECKX,Révélation et théologie, (trad. dunéerlandais),Bruxelles,éd.duCep,1965.12.Cf.saintPaul,Rm.8,24-25:«Carnousavonsétésauvés,maisc’estenespérance. Or voir ce qu’on espère n’est plus espérer : ce que l’on voit,comment l’espérer encore?Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’estl’attendreavecpersévérance»;Ph.3,13-16:«Monseulsouci:oubliantlecheminparcouruet tout tenduenavant, jem’élancevers lebut,envueduprixattachéàl’appeld’enhautqueDieunousadresseenJésus-Christ(…).En attendant, au point où nous sommes arrivés, marchons dans la mêmedirection.»Cesquelquesphrasesdel’apôtredesGentilssuggèrentàl’esprittroisconnotationsduMystèrechrétien:

a)uneinterpellationadresséeauchrétienayantàs’ouvriràl’au-delàdesaproprevie,b)uneorientationdelavieelle-mêmedanssadestinéesurnaturelle,c)undépassementdelaviehumainedanslaVieabsoluedeDieu.

De ce point de vue, elles soulignent l’importance de la dimensioneschatologique de la Foi, ce qui n’est pas sans retentissement sur lanormativitédogmatiquesesublimantelle-mêmevers l’Essentielqu’elledoitindiquer. En somme, le langage normatif du dogme inscrit l’énonciationdoctrinaledans l’intentionnalitéde laFoidont lavéritéultimedemeure,ence monde, toujours à venir, comme si la normativité de l’expressiondogmatiquesetrouvaitnécessairementcorrigéeparlanatureeschatologiquedelaviesurnaturelleaccomplieenDieu-Trinité.

XXChristianismeetdestindelacréation*

L’intitulédecetteréflexionprivilégiel’idéedecréationeuégardà celle de nature. D’origine grecque, le concept de nature(intégrant la nature humaine dans la nature cosmique) n’aqu’une faible présence indirecte dans les Écritures judéo-chrétiennes (Livre de la Sagesse, 7,20; saint Jacques 3,7;Romains 2,14; Galates 2,15)1; il signifie l’ordre normal deschosesenfonctiondeleurdéterminationessentielleoulemodedeviedesêtresenréférenceàleurespèceouàleurnaissance.Ilest vrai que dans l’histoire de la théologie chrétienneoccidentale ce concept s’est développé progressivement selontroisperspectives:

a) la thématique de la nature créée devenant Royaume deDieuparl’IncarnationduChrist,

b)laproblématiqueNatureetPersonne,c)laquestiondelanatureetdelagrâce.Maisfaceauconceptdenature,l’idéedecréationestd’une

touteautre richessede sens.D’unpointdevue théologique, ilimporte de distinguer sans jamais séparer l’acte de créationréféré au Créateur et l’effet ou la réalisation de l’actioncréatrice. Ici l’inséparabilité dans l’être n’exclut nullement ladistinctionsurleplandelacompréhensionentrel’actecréateuret la création manifestée. Concernant le christianisme et ledestinde lacréation,nousproposonsuncourt exposéen troismomentslogiques:

1.CréationetRévélationjudéo-chrétienne,2.créationetthéologieclassiquedanslechristianisme,3.créationetchristianismecontemporain.

CréationetRévélationjudéo-chrétienne

L’Écriturebibliqueréfèreimmédiatementlacréationdel’universà Dieu transcendant dont la Parole intelligente et efficientesépare, nomme et bénit les éléments de l’œuvre créée (Genèse1,1-2…).Silacréationmanifestée(surfonddeplacenettepourla nouveauté) n’est point, en son origine, l’œuvre de l’hommemais celle deDieu seul, il n’en reste pasmoins que l’homme,crééàl’imageetàlaressemblancedeDieu,sevoit,confiéeparCelui-ci, une responsabilité à l’égard dumonde (Genèse 1,26-29). Dans l’Ancien Testament, certains livres prophétiques(d’Isaïe et de Jérémie), quelques Psaumes et des textes desagesse mettent en étroite relation Création et monothéisme(exclusiondepuissancescréatricesextérieuresàDieu),créationetSalut(leDieuquicréeestaussiceluiquisauveaveclamêmeuniversalité), création et histoire (il n’y a de temps pourl’hommequedansl’universcréé).L’AncienTestamentsetientàdistancedescosmogoniesarchaïquesdominéespardesmisesenscènedecombatsprimordiauxentredespuissancesantagonistes(ex.:lescosmogoniesdeBabylonie).Decepointdevue,seulela Parole divine est créatrice ; en appui sur le retrait deDieu,elle fait surgir la différence, l’altérité et la nouveauté (Sagesse9,1 et s.). En ce geste ori ginel, advient l’autonomie de lacréationdontnoussavonslesdeuxdimensionsfondamentales:

a)lesurgissementdel’univers,b) l’élection d’un peuple, réalisée par la médiation d’uneAlliance, sachant que dans cet univers, ce peuple a laresponsabilitéd’untémoignageàrendreauDieucréateuretsauveur.

Le Nouveau Testament insiste sur la centralité du Christ(VerbedeDieu),AlphaetOmégadel’œuvrecréée(Apocalypse22,13).Lacréationn’appartientpasàl’hommedontnoussavons

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possession et d’idolâtrie, il le demeure véritablement parl’impossibilitéd’êtreabandonnéàladisponibilitéhumaine.Encettedialectique indépassableaucreuxde l’univershistorique,prendsenslasymboliquerituelleduSacrementchrétien.

En définitive, l’humanité de Dieu en christianisme n’estintelligible qu’au regard de ce paradoxe christique de laprésence et de l’absence : présence à la réalité de l’hommemondain, absence eu égard à toute possibilité d’auto-divinisation.Leprocessusd’humanisationdeDieu s’accomplitau creuxde l’IncarnationduChrist insérédans l’humanitéparl’unicité du visage de chair, alors qu’il échappe au pouvoir del’homme en raison du retrait du Ressuscité dont la perte ducorps physique signe l’impossible absorption en cette terre.Ainsi devient saisissable le « vis-à-vis » inouï de Dieu et del’homme,portéparlerapportimplicatifdelaproximitéetdeladistance en référence absolue à la chair du Christ crucifié etressuscité5.

Lechristianisme:unereligionduDieudanslaviedesestémoins

Enraisondel’IncarnationduChrist,l’humanisationdeDieuestintégrale dans le christianisme. Elle détermine une perspectived’existence dénommée la sainteté. Ici nous sortons, de façondécisive,deladominationd’unelogiquedesacralisationdelavienaturelle,delacollectivitésocialeetducosmos,pourentrerdansl’impulsiond’unprocessusdesanctificationdel’existencehumainedelacommunautéhistoriqueetdumondeenréférenceàl’altéritéchristique6.Certeslaréalitédusacrénesetrouvepasniée; elle est réintégrée dans une anthropologie théologique,dans une pratique du Sacrement, dans une symbolique

surnaturelle selon un appel irréductible à la sainteté sous lamouvancedel’EspritdeDieu.

De ce point de vue, se précise concrètement le « face-à-face»entreDieuetl’hommedanslamesureoùcetterelationestreprise dans le témoignage des chrétiens subordonnant leurproprevie à l’appel à la sainteté christique.Le témoignage estindissociablement attestation et engagement; l’attestation seréfèreàl’identitédu«je»duChristcommele«je»delavraieviepourtouthomme;l’engagementdéfinitunmoded’existenceenlequelsedonnelavraievie.Dansletémoignagedusaintquisesoumetà l’exigencedeconversion,apparaîtun«vis-à-vis»deDieuavec l’autre l’homme.Car le témoignagequin’imposerien,signifie,interroge,propose,bref,ditlaproximitédusigneet l’écart du sens. Il fait paraître la nouveauté inouïe d’uneinterpellationradicale7.

Mais lesaintduchristianismenes’exempte jamais,ensontémoignage, de l’horizon indéfectible de la communautéchrétienne tout autant singulière qu’universelle. Car lechristianisme est une religion simultanément personnelle etcommunautaire;le«faceàface»deDieuavecl’hommesurgitdanslaréalitédelavieencommunautéoùs’élaboreunrapportréguléà laTranscendanceà traversunehistoirebâtieensembleet une ritualité célébrée collectivement. En celle-là comme encelle-cisetraduitla«survenue»deDieuseposantenvisà-visd’un ensemble structuré de témoins qui réfèrent à Lui leurréalitésocialeethistorique8.

La communauté ne prend son identité chrétienne que dansl’immensemouvementdelaTraditionreligieuseoùellesesitueetrelativisesonimportance.Ordanslechristianisme,commeentoute autre religion, la Tradition ne se réduit nullement aumaintien institutionnel d’une mémoire de l’Événement

fondateur; elle est l’expérience d’une forme de vie qui inscritsonsillagemystiquedanslemondeetl’histoiredeshommesenfonction d’une Révélation divine immémoriale. Au sein de laTraditionoùlescommunautésserelientaunomd’unecommuneréférencefondamentale, le«vis-à-vis»deDieuetde l’hommene cesse de s’interpréter sur l’horizon de la permanentedialectique de la présence et de l’absence du Dieu vivant, ensituationd’Allianceavec l’humanité.Ensomme, l’humanitédeDieu s’offre dans lemouvement de laTradition chrétienne, eninséparabilitéavecuneactivitéinfinied’interprétationdelaviehumaine liée à la Révélation divine. Mais cette activitéinterprétanteoù l’existencede l’hommevientà la significationreligieuserévèle,ensonexercicemême,lelienirréductibledelatranscendance et de l’immanence, à savoir l’impossibilité des’approprierl’êtredeDieuetlanécessitéd’éprouverlaprésencedivinedansl’espaceetletempsdelavie.

*

Le« face-à-face»deDieu et de l’hommedans la traditionduchris-tianismesigneàlafoisl’impossibleréductiondeDieuàlaréalité humaine et l’exigence de l’Incarnation divine dansl’épaisseurdel’humanité.Ilya là,enpremièreapproximation,une double opposition : l’opposition à toute forme d’idolâtriequi absorberait la Transcendance théologique dans l’ordre despositions humaines, l’opposition à toute possibilité pourl’homme d’auto-divinisation déliée de lamédiation christique.Endeuxièmeapproximation, ilya lieud’insister sur lanaturedialectique du rapport entre Dieu et l’homme, marqué par lerégimedel’inséparabilitédelaprésenceetdel’absence.CertesDieudemeureprésentaumondeetà l’histoiredeshommes,ceque signifie réellement l’Incarnation divine en Christ, mais Il

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humaineendésignantleVerbeincarnérévélant,ensonMystèrepascal,laVieabsoluedeDieu18.Telleestl’illuminationinouïede l’existence concrète en laquelle l’homme s’éprouve; en cesens leVerbeincarnéest le« je»du« jesuis leCheminet laVéritéetlaVie»(Jn14,6),àsavoirle«je»delavérité,parcequ’ilestlechemindelaVieabsolue,le«je»duchemin,parcequ’ilestlavéritédelavieetle«je»delavie,parcequ’ilestlavéritéduchemin.

C’estparcequ’ilestlavéritéqu’ilfaitparaîtrelecheminetillumine lavie.Decette lumièredivinequi«n’estpointdecemonde », procède le jugement christique sur la puissancesatanique demensonge et sur les œuvres de l’ombre généréesparmi les hommes par les formes de l’existence inauthentique(Jn8,44)19.

Nous pourrions nous interroger sur l’extraordinaireprétention«métaphysique»quisupportele«je»du«jesuislecheminetlavéritéetlavie»,commesicelui-cifaisaitéchoau« je » du Dieu de l’Exode (Ex 3,14) dont les différentestraductions(Jesuisquijeserai,jesuisceluiquiest,jesuisceluiqui suis, ego sum qui sum) signalent la difficile, voirel’impossible nomination! Sans doute devrions-nous invoquerdes herméneutiques multiples pour appréhender le moins malpossible ce qui apparaît comme une « revendication » sansprécédentdansl’humanité20.Quoiqu’ilensoit,n’ayantpointlapossibilitédedéveloppericicesformesd’interprétation,nousnedevons pas oublier l’horizon de la Tradition religieuse danslaquelles’inscritl’affirmationincriminée:lapositiondu«je»de la Transcendance (libre de toutes choses) demeureinséparable,dans le livrede l’Exode commedans lequatrièmeÉvangile,del’immanenced’undevenirdesainteté.

Ensomme,lavéritén’estriendemoinsquecelledelaVie

révélée,aucœurdel’êtrehumain,parleChrist,FilspréexistantduPère,sachantqu’icilaVieestàinterpréterdanssonessencemême. Il n’est nulle autre expression de la vérité de la Vie àcette hauteur de réalité en dehors du Christ à qui Dieu rendtémoignage jusque dans la signature de la Pâque. La vérités’identifie, dans l’existence concrète à l’épreuve de laRévélationdel’hommedeNazareth,àsavoirl’épreuveréfléchiede la profondeur infinie de la Vie que Dieu donne ensurabondance dans le Fils et dans laquelle toute créature, à lamesuredesonessence,setrouveapportée.

SaintJean,ensonÉvangiledes signesduVerbe faitchair,neconstruitaucunesommedevéritésàadmettreetàenseigner,maisouvrel’existencehumaineàlaVieabsoluedeDieu,révéléeencemondeparleChristpascal.Sontexten’estpasunegnoseque des initiés se transmettent dans un langage secret. Ildemeurel’écritured’uneépreuve,pourlecroyant,dansl’êtreetl’agir, au seinmêmede l’histoire duChrist. Ici la vérité ne sepossède pas dans les phases d’un processus initiatique; ellesaisitl’existencedeceluiquiaccueilleenlui-mêmeleVerbedeViereconnucommeleVivantqueDieuengendreéternellement.

Véritéettémoignage

LeChrist,dansl’affirmationdeFoi,est«l’exégète»deDieu-Père, en raison même de sa filiation divine unique et de sonincarnation en ce monde, dont la Pâque est la signatured’authenticité21.Lecroyantqui adhère à laVie révéléepar leVerbefaitchairdevient interprèteduChristdans l’histoiredeshommes. Son interprétation se donne dans la figure dutémoignage,transcendanttouteformedesagessephilosophiqueet tout mode éthique d’existence, parce que, dans l’acte decroire qu’il pose, le rapport au Christ reste constitutif de sa

propre vie d’une manière irréductible et indépassable. À sesyeux,laVierévéléeenl’Homme-Dieuouvrelemonded’unevienouvelledévoiléeparlesactesduVerbeincarné.Sansdouteest-ce cette ouverture qui s’offre dans le témoignage qui estsimultanément attestation et engagement fidèle eu égard à lalumière reçue du Fils de l’homme : attestation, pardelà lessignes reconnus, de l’identité divine du Christ et engagementdansunmoded’existencequis’origineàlaVierévélée22.Iciletémoignage devient le récit existentiel (mis en histoire) de laRévélation du Christ éprouvée par le témoin en sa vie mêmemanifestée dans le dire, l’agir et le pâtir (Jn 17,15-19). SaintJeanévoquece témoignage (récit) traduitpardescombats,desrefus,desretournements…brefdestransformationsincessantesde l’existence exposée à la régéné rationde l’être qu’induit lerapportauVerbedeVie(Jn16,32-33)23.

Le témoignage se présente comme une pratique ou uneexposition de la vérité fondée sur l’accueil de la logique duSalutmessianique(Jn8,31-32),àsavoir l’accueilde laparoleduChrist-Logosetdesaviedonnéedontlemémorialinstituédela Cène universalise le geste dans l’espace et le temps deshommes.Commepratiquedelavérité,letémoignage(récit)unit,dans une dialectique permanente, la connaissance et l’action;mieux, il noue, en son apparaître, la transcendance del’attestationetl’immanencedel’engagement.Ainsisedévoile-t-il,danslanarrativitédu«vivre»,commelaréponsedonnéeaulongdesjoursàl’AppeldelaVierévélée.Cetteréponsen’estendéfinitive que l’entrelacs, au cœur de l’existence, de deuxopérations inséparables où le sujet croyant exprime son réeldynamisme:

a) la déconstruction de son « auto-référentialité » en sonabsolutisation,

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etducontrat,renonceraussiàlapossessionetàl’héritage,pourêtrelivréàlavoixdel’autreetdépendantdesavenueoudesaréponse.Attendreainsidel’autrelamortetlavie,espérerdesavoixl’altérationincessanteducorpspropre,avoirpour temple l’effet,dans lamaison,d’unemiseàdistancedesoiparunretournementqui“faitsigne”,voilàsansdoutecequelacoupurecroyante introduità l’intérieuroudans l’entrejeude toutsystème,ceque lafoiet lacharitéconnotent,oucequereprésentelafiguredeJésusitinérant,nuetlivré,c’est-à-diresanslieu,sanspouvoir…»,MichelDECERTEAU,Lafaiblesse decroire, texte établi et présenté parLuceGiard, Paris, Le Seuil,1987,p.302.25.Cf.DomJacquesDUPONT,EssaissurlachristologiedesaintJean,op.cit.,p.228-229:«Bref,Jeanabeaudirequelecroyantpossèdedéjàlavieéternelle, l’idée qu’il se fait de cette vie reste ce qu’elle était chez sesdevanciers juifsetchrétiens : lavie réservéeauxélusdans lemonde futur,synonymedusalutetdelafélicitédontilsjouirontaprèslejugementdernier.De ce point de vue, nous retrouvons les influences juives (A.T., littératuresapientielle,milieudeQumrân…)quiontpesésurlarédactionduquatrièmeévangile(cf.laproblématiqueapocalyptique).»26.Àcepropos, laconclusiondel’étudedeH.Schlierestéclairante :«Lavéritéestdoncexpérimentée,lorsqueceluiquiaétéconvaincuparlagloiredesonVerbe,celuiquivoitetentendlavéritésesoumetàelle,danslafermeconnaissance de la foi, sous la forme de la charité », H. SCHLIER, « Lanotionjohanniquedevérité»,in:EssaissurleNouveauTestament,op.cit.,p. 324. Peut-être y a-t-il, dans la charité du Christ, ce que Hegel aperçoitcomme l’identité du divin et de l’humain. Cf. HEGEL, Leçons sur laphilosophiedelareligion(LeRoyaumeduFils),traduitdel’allemandparJ.Gibelin,Paris,Vrin,1954.27. Se reporter aux beaux textes de J.NABERT, recueillis dans le volumeintitulé :LedésirdeDieu, présentéparEmmanuelDoucy, préfacedePaulRicœur, Paris, Le Cerf, 1996, Livre III : Métaphysique du témoignage etherméneutiquede l’Absolu :«À la corrélationde l’absoluetdu relatif,del’infinietdufini, impliquéedansuneontologiequimetencommunicationdirectelapenséeavecl’Absoluensoietdispensedèslorsdetouterecherche,comme si l’achèvement d’une dialectique correspondait en même temps àune sorte de possession de l’Absolu, ou comme s’il y avait des degrés deconnaissance conduisant à cette possession terminale, il faut substituer lerapportdel’Absoluatteintdanssaformeetparsaforme,etdel’expérienceoùnous le découvrons par uneherméneutiquedont il importe de fixer les

règlesetlesmoyens.Loindes’acheverparuneadéquationdelapenséeetdel’Absolu, qui passe alors toute investigation et donne à la conscience unepossession ou une participation capable de justifier lemysticisme, tous lesmysticismes,l’affirmationintérieureàlaformedel’Absolususciteetfondela recherche des expériences où cette affirmation se vérifie : c’estl’herméneutique de l’Absolu qui est en même temps herméneutique dutémoignage»,p.327-328.

XXIIIPhilosophiecritiquedel’expériencemystique

danslechristianisme*

Appliquée à la religion, la philosophie s’est intéressée àl’expérience mystique selon des perspectives d’intelligibilitédifférentesmarquéespardespositionsthéoriquesdéterminantes.Sans doute est-ce lemouvement phénoménologique, parmi lesessais de compréhension du fait religieux, qui s’est avancé leplus loin, avec une authentique préoccupation d’objectivité,dans le déchiffrement philosophique de la réalité religieuse1.Liéeàcelle-cil’expériencemystiquenes’offreàlaphilosophieque dans la pluralité de témoignages reconnus comme tels parles traditions religieuses qui les nomment. Aussi le discoursphilosophique se donne ici comme un « méta-langage »subordonné tant à son point de vue qu’à sa méthode. Il n’estjamaisenprisedirecteavecl’expérienceelle-mêmequichercheà se saisir dans le langage qu’elle génère. De celui-ci, laphilosophie s’efforce de découvrir la signification humaineirréductible pour mieux s’approcher de l’expérience retenuedans son propre dévoilement. Avec la conscience de cetteimpossibleimmédiateté,l’analysephilosophiquedel’expériencemystiquemesure la relativité de ses résultats; en fonction destémoignages qu’elle interroge, elle propose des perspectivesd’intelligibilité. Elle ne conclut pas sur une seuleherméneutique. Ces quelques rappels épistémologiquesimportent pour interpréter la réflexion développée ici surl’horizonduchristianisme2.

Lecarrémystique

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des traditions qui déterminent lesmystiques eux-mêmes.Quoiqu’ilensoit,lamédiationnecessedefaireproblème,carcequela mystique cherche, avant toutes choses, reste immuablementl’union absolue avec l’Absolu en son unité toujours malnommée.

*

Enconclusion,nousretenonslespropositionssuivantes:1. dans le christianisme, la mystique s’offre comme unmouvement spirituel essentiel qui prend forme par unedialectiqueavecdespointsd’ancrageréelsfondamentaux,

2. cemouvement constitue un processus d’excès objectivédans un cheminement intérieur instauré par uneinterpellationradicalequivientàlavéritéparunrapportaupassagepascalduChrist,

3. lamystique,ensaréférencechrétienne,parcequ’elleestun«voyage»infiniverslaviedivine,prendsavéritédansunincessantdynamismederégénération,

4. en raison de son exigence de radicalité, la mystiqueentretient avec la religion instituée une relationparadoxale qu’elle s’efforce de dépasser vers uneexpérienced’unionabsolueàl’Absolu.

Ainsipeutêtre, sur l’horizonduchristianisme, lamystiquemontre,ensonexcès,l’audacieusepossibilitécréatrice,danscemonde,delavieenDieu.

Sinousdevonsnousdemander,pourfinir,quelavantagelechristianismepeut-ilretirerdelaviemystiquequ’ilgénère,c’estvolontiers que nous reprenons les belles formules deStanislasBreton:«Quelserait,surlechristianismeauqueljemeréfère,le retentissement éventuel de cette philosophie mystique? J’yverrai,pourmapart,undoublebénéfice.D’unepart, lerappel,

magnifique, de l’“unique nécessaire” dont parle l’Évangile, etquiseconfond,sil’onsesouvientdecequifutditàcepropos,avec l’agir-demeurer johannique. D’autre part, la réactivationd’une connivence sans confusion, entre l’austériténéoplatonicienne du “principe” et le signe d’infirmité et defolie,par-delà l’êtrede la sagesseetde lapuissance,quinous“fait signe” sur la Croix. Le simple agir du demeurer dans le“creux de ce bois” est à la fois, la source d’inépuisablegénérosité à l’égard des plus déshérités, que commémore lascène du jugement dernier (cf. Mt. 25, 31-46) et la force dudétachementquinese faitaucune illusionsur“l’œuvredenosmains”15.»

*ArticlepubliédansThéophilyon,t.III,vol.2,juin1998.1.Pourillustrerledéveloppementdelaphilosophiedelareligioninspiréedela Phénoménologie, nous citons ici quelques travaux importants : H.DUMERY,Phénoménologieetreligion,Paris,PUF,1962;Philosophiedelareligion,2vols.,Paris,PUF,1957.R.OTTO,Lesacré,Paris,Payot,1949.G.VANDERLEEUW,Lareligiondans sonessenceet sesmanifestations,phénoménologiedelareligion,Paris,Payot,1948.2.D’autres traditionsreligieusesextérieuresauchristianismeontgénérédesmouvements mystiques; nous permettons de renvoyer le lecteur auxouvragessuivants:E.DEVITRAYMEYEROVITCH,Rûmîet leSoufisme,Paris, Le Seuil, 1977. A. ABECASSIS et G. NATAF, Encyclopédie de lamystique juive, Paris, Berg International Éditeur, 1977. P. MARTINDUBOST,CankaraetleVedanta,Paris,LeSeuil,1975.L.GARDET,Étudesdephilosophieetdemystiquecomparées,Paris,Vrin,1972.3.Nousrenvoyons,surcepoint,àl’ouvragecollectifpubliésousladirectionde LuceGiard :Le voyagemystique,Michel de Certeau, Paris, R.S.R./LeCerf, 1988. Comme illustration des analyses développées dans ce livre, sereporteràAngelusSILESIUS,Lepèlerinchérubinique(trad.deC.Jordens),Paris,AlbinMichel/LeCerf,1994.4. Nous supposons connus les textes des mystiques chrétiens duchristianisme occidental. Voir Charles-André BERNARD, Le Dieu desmystiques,Paris,LeCerf,1994.M.DECERTEAU,Lafablemystique,Paris,

Gallimard,1982.5. Dans l’histoire de l’Église occidentale, les procès intentés à certainsmystiques (cf. le procès de Maître Eckhart, la Bulle pontificale In agrodominico du 27mars 1329)montrent que l’Institution religieuse a cherchédescritèresdevéritédel’expériencemystiqueenfonctiondecertainsrepèresfondamentaux:l’horizondogmatique,lerapportàl’Institution,leseffetsdel’expérience… en direction d’un double principe de limitation :l’impossibilitédes’approprierleDivinetlanécessitédesmédiationsdanslaquêtedeDieu.6. Sur ce point une lecture psychanalytique de l’expérience mystique nemanque pas d’intérêt, à condition toutefois qu’elle sache écarter lestentations réductionnistes. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur àcertainesétudestrèssuggestives:M.BALMARY,Lesacrificeinterdit(FreudetlaBible),Paris,Grasset,1986.L.BEIRNAERT,Auxfron tièresde l’acteanalytique(laBible,saintIgnace,FreudetLacan),Paris,LeSeuil,1987.A.VERGOTE,Detteetdésir(Deuxaxeschrétienset ladérivepathologique),Paris,LeSeuil,1978.7.Ilya,danslelangagedesmystiques,undoublemouvement:a) un mouvement de déconstruction de soi, de ses images, desreprésentationsd’autrui,dumondeetdeDieu,ensommeuneformedelutteincessantecontretouteslesrésurgencesd’idolâtriequirisquentdebloquerlarecherchedel’unionavecDieu;b)unmouvementderenaissancedesoiausensoùlaquêtedeDieuforcelemystiqueàredéfinirsapositiondefinitude,sonrapportàlui-même,àautrui,aumondeet àDieu,brefà repenser son identitédans la saisiedecettevieabsoluequiesttoujourscelledeDieu.8. Comme l’Écriture, le Sacrement (surtout l’Eucharistie) est déterminantdans la mystique chrétienne; il est figuration rituelle du passage essentielréalisé par le Christ. Il reste indis-sociable de l’Écriture. Les mystiqueschrétiens n’interprètent leur propre quête de Dieu qu’à travers ce passageessentielduChristrévélédansl’ÉcritureetleSacrement.9. Pour éclairer ces deux premières questions soupçonnant la véritéspécifique de l’expériencemystique, nous nous permettons dementionnerseulement un ouvrage où ce type de préoccupation reste présent : M.-M.DAVY, L’homme intérieur et ses métamorphoses, Paris, coll. « Épi »,Desclée de Brouwer, 1987. (Voir également : A. HUXLEY, The Doors ofPerception,1956).

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mystique. Cela signifie que cette dernière, en son processusd’excès, n’est pas, quant à sa structure initiatique celle del’itinéraireouduvoyage–invalidéeparlechristianisme.Celui-cireconnaîtlà,enquelquesorte,lastructurationdel’expériencechrétienne (l’unionde la créatureàDieu,qui sedonneàvivrecomme dans un itinéraire). Mais la vie mystique est affectéed’une infinie créativité qui se traduit tout autant dans lafondationd’œuvresquedansl’écriture16.

La fondationd’œuvres (monastères,mouvements religieux,organisationsspirituelles,congrégations…)révèle rarementdesproblèmes dogmatiques. Sur ce plan, il s’agit plutôt d’unequestion«politique»que l’institution religieuseestendevoirdegérerenécartantlesdangersduschismeetenmanifestantsacapacitéderecevoiretd’intégrerdesinitiativesnouvelles;cettesituation n’est jamais sans « effets réformateurs » sur lastructure religieuse traditionnelle. Sans doute y aurait-il ici àanalyser les retentissements « politiques » de l’expressionmystique (la période de la Contre-Réforme en France estexemplairesurcepoint).

L’écriture mystique demeure toujours inquiétante pourl’institution religieuse qui, toutefois, exige de ses propresmystiques qu’ils écrivent ou fassent écrire! Nous laissons decôté ici la dialectique déjà repérée de l’expérience et dudiscours,dans laquelle ledynamismedenégativitén’apasunemoindreplace.L’écrituredesmystiquesse révèleàdistancedela théologie« scientifique», elle estmarquéeparune certainelibertévis-à-visdulangageinstitutionnel(enécartavecceluidelacommunautéreligieusetraditionnelle).Ellese trouvehabitéeparunelogiquedel’impossible(avoiràdirecequi,sanscesse,s’échappedudiscours,àsavoirl’unionessentielledeDieuetdela créature).En raisonde ses caractéristiques, elle fait paraître

devantlechristianismeinstituéderedoutablesquestions17.La question de lamédiation se pose à plusieurs niveaux

d’intelligibilité:a)leniveaudel’institutionreligieuse,b)leniveaudumédiateurchristique.Lepremierestexistentiel,lesecondmétaphysique.•Surleplandel’institutionreligieuse, ilestnécessairede

s’inquiéterdelaréférence,àcelle-ci,del’expériencemystique.Cette dernière exige-t-elle l’horizon institutionnel pour sapropre expression? Que peut-elle devenir sans l’institutionreligieuse?

DanssonoppositionviolenteàlasectedesFrèresdulibreEsprit, Ruysbroeck l’Admirable justifie l’autoritéinstitutionnellecontre lesdérivesde laviemystique. Il sembleque l’histoire du christianisme puisse lui donner raison. Eneffet, par sa position d’extériorité l’institution se met encapacitéd’interroger l’expériencemystiquesursaproprevéritéetdeluirappeler,dansunedialectiqued’objectivité,lamémoiredelatraditionreligieuse.

• Sur le plan du médiateur christique la question resteposée, dans l’expérience mystique, de la nécessité d’unmédiateur et du statut ontologique de celui-ci. Certes, enchristianisme,lemédiateurn’estpasseulementceluiquimetencontactdesopposés,maisceluiquifaitpasserlesopposésl’undansl’autre(telestlestatutontologiqueduVerbeincarné).OrauseindelaTraditionchrétienne,le«transit»divins’opèreparla conformité au Christ, lui-même inséparable d’une Écriture,d’unesacramentalitéetd’une«ministérialité».L’exigencedela« suite du Christ » n’est jamais absente des textes mystiqueschrétiens. Dans ses notes de « dernière retraite », labienheureuseÉlisabethde laTrinitéécrit :«MarcherenJésus

Christ,ilmesemblequec’estsortirdesoi,seperdredevue,sequitter pour entrer plus profondément enLui à chaqueminutequipasse,siprofondémentquel’onysoitenracinéetqu’àtoutévénement,àtoutechoseonpuisselancercebeaudéfi:“quimesépareradelacharitédeJésusChrist?”18.»

Sansdoute,encertainsécritsdemystiquestrouverions-nousdes « élans » théocentriques qui oublient la médiationchristique.Si leChristreste innommé,c’est,enfindecompte,que sa présence va de soi dans l’exigence de conformité quisaisit le mystique. En tant que médiateur, il est celui qui faitpasserenDieu,parcequ’ilest« laVoie, laVéritéet laVie».Toutestcrééenlui,toutestennobliparlui;maisilestenDieucomme le Verbe ou le Fils, celui en qui s’accomplit ladivinisationdel’homme.Encesens,M.CarrougesécritdansLamystiquedusurhomme:«UnseulhommeestDieuavantd’êtrehomme et a trouvé dans ce privilège inouï la puissance de seressusciterluimêmeaprèssamiseàmort.Luiseulaouvertunebrèche dans la grandemuraille qui nous sépare dumonde desmerveilles.Luiseulestlevraimagicienetlevraisurhomme,cethomme qui est le Christ. Il n’y a pas d’autre voie vers ladéification19.»

La médiation christique constitue, en définitive,l’irréductibilitédelamystiquechrétienne.Aussilechristianismeinstituéest-ilendroitd’interrogersespropresmystiquessurlaréalitédecettemédiationdansleurexpérienceelle-même(c’estlaproblématiquedel’êtreetdel’agirduChristdansl’uniondelacréatureàDieu).

La question de l’altérité représente, dans la recherched’intelligibilité de la vie mystique, un point critiquefondamental sachant que l’altérité doit être envisagée en sesdeuxversants irrémédiablement liés :celuideDieuetceluide

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dans un schématisme disponible pour la sensibilité. Elledispense du discours analytique et synthétique. Elle pose ledestinataire dans l’immédiateté de la représentation. Ellel’absorbedans l’offrede laprésentation.Mieux,elles’impose,par une distanciation voilée, dans une sorte de présenceséductrice.

C’est cettemagiequedéploie l’image télévisuellequi,par-delà lescontraintes réellesdu tempsetde l’espace,enferme lespectateur dans le jeu de son artifice (d’autant plus fortementqu’il s’agit presque toujours de l’image séquentielle accélérée,élémentdurécit–réseautentaculairedontonnepeuts’évader).Ens’exerçant sur ledésir, l’image joueavec lesvoeuxenfouisdu destinataire qui, sans le savoir nécessairement, se poursuitlui-même dans cette danse du merveilleux, sous l’impulsiond’unesollicitationpermanentedesonmodèlearchaïqueidéalisé.Mais sans doute est-ce là un sommet de la puissance defascinationdel’imagedontlalogiquededéveloppementnesuitpasobligatoirementcetteperspective.

Contre l’art séducteur de l’image tentatrice (ce que peutréussir d’une manière immédiate et universelle le cinéma),s’inscrit en faux le travail de l’icône. Celle-ci, soigneusementcodée,tournelespectateurversledivin.Participantàlaliturgie,elles’offrecommecheminpourlaprièreenappelantl’esprit,lecoeur et le corps à entrer dans un dynamisme d’élévationspirituelle. L’icône, dans l’ÉgliseOrthodoxe, exprime quelquechose de la Révélation. Elle est d’une certaine façonthéophanique, en conduisant à Dieu par la beauté dans unetransparencerecherchéeàsonprototype.Avecelle,Dieuvientàl’hommeetlanaturehumaines’ouvreàlaGrâcedivine.C’estencesensqu’elleaunevaleurmystérique,presquesacramentelle;elle est voie de communion avec Dieu dans l’éternité de « laJérusalemcéleste».

L’image religieuse occidentale reste éloignée de l’icône,parcequ’ellen’apasunepareilledestinationetparcequ’ellesedéfinitparunelogiqued’objectivationreléguantausecondplantoute volonté de communion. Elle prétend, ainsi que le penseHans Georg Gadamer, saisir le spectateur dans sa vie pourl’ouvriràunecertainevéritédel’existencetouteentière7.

Toutefois l’« image-médium », exempte de toute finalitéreligieuse, inscrite dans les média contemporains, se tient endeçàdusymboleausensreligieuxdumot(cequifaitgagnerunespace spirituel); il lui arrive même de se fermer à touteréférence et de se contenter de jouer de son artifice. Ce typed’image, analysé par Marshall Mc Luhan, est développé àl’excèsparlesmoyensmodernesdecommunicationreposantsurdes technologies avancées. Ainsi ce qui caractérise désormaisnotre civilisation, comme l’a perçu André Malraux, dans Lesvoixdusilence,c’estmoinsunesuccessiond’idéologiesqu’une«galeried’images».AuxyeuxdeGeorgesSteiner,noussortonsd’une«èrehistoriquedelaprimautéverbale»pourentrerdansune période de « formes post-linguistiques ». Marshall McLuhan,pourquil’électricitéaimposéaumondel’imageparlanteaudétrimentdulivre,écrit:«Lavitessedel’électricitémélangeles cultures de la préhistoire et les détritus des boutiques del’èreindustrielle,lesanalphabètesaveclesdemi-analphabétisésetlespost-alphabétisés.L’effondrementmentalestlerésultatlepluscourantdecedéracinementetdecettesubversiondansunflotmouvantdemodèlesd’information8.»

Quoiqu’ilensoitdesdérivesdelacommunicationmoderneoùl’imagecinématographiques’imposeàlaparoleàcausedesapuissance émotionnelle universelle, on doit reconnaître que sejoue dans la culture contemporaine une certaine subversion del’esprit. L’image moderne exem plifiée dans le cinéma ou la

télévisiondébordelaparolequ’ellemetenquestionquantàsonpouvoir d’information et de communication. Elle écrasel’individudanslespectaclequ’elleoffre.Ellelepulvérisedansun empire de signes qui s’alimente à son propre mouvement.Soutenueparlacapacitépolymorphedelavisionquichangeetenchaîne les perspectives comme les séquences, elle estpuissance infinie d’immanence en projetant l’être sur lephénomène. Ainsi elle annihile la possibilité de sa proprecritique.Déliéedetouteopérationréflexive,ensaspatialisationmême,l’imageenchâsseletoutdanslapartie,concentreladuréedans l’instant, condense l’activité dans l’acte; il arrive mêmequ’elleaitassezdeforcepourasservirouinterdirelaparoleenenvahissant d’elle-même la totalité du champ de consciencequ’ellesubordonneàsamagie.C’estalorsqu’ellesefaitidole.

Mais l’imagepeutsolliciter laparole,en l’appelantcommesonproprecommentaire.Danscecas,elleserefuseàsaturerlasensibilitéhumaine.Mieux,ellerendpossiblesaproprerelativisation;elleautorisesondépassement.Encherchantleverbe,elleretrouve un mouvement d’expression qui dévoile ce qu’ellerecèleettraduitsonrapportàl’invisible.Aveclaparole,l’images’inscrit dans un univers de sens que le langage révèle à toutesprit.

Contrel’image,laparoleperdsasensibilité,soninscriptiondansleréeldessens.Elleprendlerisquedesefaireévanescenteet de se priver de tout lien au concret. Elle devient pluslointaine, moins présente. Elle s’enferme dans le théorique,s’épuisedanssonmouvement,oublielapluralitédesmodesdeperception,sedématérialiseàl’excès.Elles’asservitàl’abstraitqu’ellenepeutvaincreparsonimpossiblefiguration.

Enrapportavecl’image,laparoleretrouveunefinalité,desvoies de créativité, une force de suggestion. L’image sert sonpouvoir d’intelligibilité, sa capacité critique; elle aide à sa

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possède la connaissance par laquelle Il domine le cours del’univers. À la complexité naturelle du monde, les hommesajoutentlescomplicationsillimitéesdeleursrelations,deleurspenséesetdeleurscomportements,aupointdetransformerleurscitésenthéâtresdeconflits(7,29).Ilsnecessentdes’opposeretdesecombattreparlaruseetlaforcequel’Étatneréussitpasàéradiquer du champ social. Dans une sorte d’étonnantecontinuité, le savoir et le pouvoir semblent souffrir d’uneperversion originelle de « complexification obscurcissante »,commes’ilsavaientperdulalumièreetl’innocenced’unpremiermatindelacréation10.

En cemonde où l’homme est perçu comme une source dedésordre,ilarrivequelesjusteséchouentdansleursentrepriseset que, à l’inverse, lesméchants réussissent avec insolence entoutes leurs actions (9,11; 10,6-7). Là est peut-être la pierred’achoppement de toute sagesse icibas. SiDieu se découvre àl’homme comme le Créateur appelant les humains à la « viebonne », comment accepte-t-Il simultanément la souffrance deses fidèles et la jouissance de ses contradicteurs? Laconnaissancedusagereligieuxbutecontrecetteénigmetragiquedevenue quotidiennement scandaleuse. En définitive, à lasurfacede la terreoù l’humanité luttepoursapropresurvie, iln’est nulle sagesse qui résiste aux drames dumonde. Par lui-même, l’homme n’a pas le pouvoir de percer le secret de sacondition,ilestvouéàlanuitdel’ignorance.

Faut-il alors qu’il meure de désespoir? Qôheleth sembleabandonner toute recherche de sens transcendantal. Il neproposeaucunehypothèsed’intelligibilitéglobale,ilseborneàconstater l’insondable mystère de l’univers créé ; ce qui nel’empêche pas de présenter la vie comme un don duCréateur.Mais comment est-il possible de procéder de cette façon, si

l’expériencequotidienne révèleàchacunque lesamisdeDieune sontpasépargnéspar laviolencedesmeurtriers sans foiniloi?Quel est ceDieu qui laisse périr, parmi ses créatures, lesjusteseux-mêmes?Est-ceencoresensédecroireenLui?

LaFoidénudée

Le discours insistant deQôheleth considère sans hésitation laréelle relativité de la vie et le profond mystère de la créationcomme d’impossibles appuis pour l’hypothèse d’un Salut.Celui-cinesefondepassurl’universdel’homme.Riendanslemonde ne permet d’imaginer une rédemption de l’humanité euégardàsonextrêmecontingence.

Cependant, l’homme,courbésursonhorizon,neparaîtpasrenoncer au désir de salut qui le saisit (8,12-13), parce qu’ilpréfèreencorel’illusiond’unorientaudésespoirdunon-sens11.Commentne sedésespèrerait-il pasdevant lesparadoxesde lavieet l’énigmedumonde?Aurisquedramatiquedel’absurditémortifère, le textepréfère laconvictionvivifiantede laFoi.Seguérirdumaldel’absencedetoutsensultimeparl’affirmationpersuasive d’un Dieu maître de l’impossible, telle s’offre lafermevolontéquitraversecespages(12,13-14).

La profession de Foi que soutient le discours de sagesseinterroge le lecteur attentif. Est-il concevable, sur le plan del’esprit,deseconvaincredelavéritédecetteFoidansunmonded’où s’absente toute trace de Dieu? Qui pourrait penser àl’Absolusuruneterrequisuinteindéfinimentlaseulerelativitéde toutes choses? Si rien, au coeur de la vie de l’homme, nesuggère l’Appel de la Transcendance, comment légitimer laréalité du Divin? L’insistance pesante sur la détresseirrémédiable de la condition humaine et sur le mystèreinintelligibledumondeimmobiliseendéfinitivetouterecherche

raisonnée de l’Absolu à partir de l’univers où s’enferme ledestindel’homme12.C’estpourquoiseuldemeure lecrid’uneFoi radicalement exempte des assurances du présent commedans un pari. Sans doute, peut-on se persuader que Dieu est,qu’Ilcrée lemonde, lavieet l’espritdansunvouloiraffranchides tourments d’ici-bas, mais il faut croire contre le malheurinexorable de l’existence et l’insignifiance de chaque être.L’actedeFois’enlèvesurunchaosdecontradictionsirrésolues;encelasetientsonexcès!

L’espérancequi traduit,dans l’immanencede lavie, laFoiabrupte,paraîttrouerletexteprudentdeQôheleth,d’uneaudaceexcessive. Dans cet univers illisible où l’homme sembleabandonnéàl’absurditédesacontingence,l’espritserefuseauxlimites humaines. Il ne se résout pas dans la perception del’éphémère, il résiste à l’enfermement des situations. Enaffirmant l’existence et l’action de Dieu, malgré sonincompréhensiondelaréalité,l’esprit,ensonactedeFoi,révèlel’exigence profonde de la vie qui ruse avec la mort. Lemouvementde l’espéranceexhausse lavolontédevivreau-delàdes frontièresduprésent (3,14).Continueràvivrecontre touteraisonconsisteà remettre lemeilleurdesoià l’éland’uneFoiqui veut percer la nuit de la terre. L’acte de croire que posel’esprit où la vie se reconnaît, loin de contredire la volontéd’exister, prolonge à l’infini la vivacité de l’existant. Il sepourrait alors que l’espérance, ici, en son excès, soit l’ultimehommagerenduàlavieenbutteaveclesmilletourmentsdesonhistoire.

Qôheleth, en son désir de vivre au-delà de sa sagesse, seconfie à la puissance duMaître absolu de toutes choses, sansimaginer son avenir dans un paradis surnaturel. Commentsurmonterautrementlecourstragiquedel’univers13?Riensur

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encesens,laparolequ’elleappelleestautrequelediscourssurl’Essence divine, car cette parole est recherche d’attention,d’écoute, de bienveillance. Seul un vivant peut l’entendre etrépondreselonsaliberté.

LevisageduVivantauquels’adresselaparoledeprièrepeutêtreceluiduDieuquicrée,quifaitalliance,quiétablitl’hommecomme fils ou qui ennoblit l’existence de sa créature par sonEsprit.

Ainsi dans l’élévation, l’évocation, la convocation etl’invocation,nousavonslespointsréférentielsoulesopérationsfondamentales de l’acte de prière. Tel paraît s’offrir sondynamismeprofondquisedonnecommeunimmense«transit»enspiraleorientéversDieu:«transit»parcequ’ilfaitallerdusujet priant vers la Transcendance divine par la médiation dulangage,«transit»enspiraleparcequ’ilrevientsanscesse,parla médiation du sujet parlant, sur l’humanité et le monde oùs’inscritlaviedel’orant.

Peuimportenticilesformesdelaprière,quecelle-cisoitdedemandeoudecélébration.Cequidoitretenirl’attention,c’estlacapacitédetransgressiondelaprièrequipasselesfrontières.L’actedeprièreesttransgression,parl’ampleurdesonhorizon,de l’étroitesse de l’environnementmondain de l’individu. ElleremontedesexistantsversleurSource;au-delàd’unmondedeschoses, elle cherche le visage de Dieu. Nous pourrionsmêmenous demander si les voies philosophiques vers Dieu neconstituent pas la transposition sur le plan du concept par lamédiation d’un principe de raison, de cette transgressionoriginelle que représente la prière. Cette capacité detransgression s’inscrit dans la prière adressée à l’Autre; elles’identifie à l’extraordinaire traversée de la création à laquelleDieu est présent sans pour autant renier sa distance créatrice(rapportdeprésence–absencedeDieuàsaproprecréation).

Laprièredanssavérité

Uneparolesansréponse

Acteessentieldetoutereligion,laprièreseprésentecommeune parole humaine adressée à Dieu. Mais à cette parole del’homme,Dieunerépondpasdansune«réciprocitéparlante».Toute prière s’achève avec le silence deDieu.De ce point devue, nous sortons du contrat de langage présupposé dans larelationentredeuxsujetsquis’adressentlaparole;encesens,laprièreestaffranchiedetoutcontratlinguistique.Nouspourrionsnous interroger longtempssur le silencedeDieu.Certes,Dieuquinesedéfinitpasparun«Absoludedialogue»,estdélivréde l’immanence du langage humain. Mais il est le Maître dudestin des êtres qui ne s’apportent pas dans l’être. Il se révèlelibrement et gratuitement à l’homme qui reçoit la vie. Ici leproblèmeestmoinsdesedemanderpourquoiDieusetaitquedecomprendre ce que signifie une parole qui ne reçoit jamais deréponse.Sansdouteestceàcausede l’absencederéponsequecertains identifient l’acte de prière à un exercice absurde oucroient percevoir dans la prière un rituel névrotique. Mais laprière ne ressortit pas à une activité de magicien quis’imaginerait pouvoir disposer de l’Absolu à sa guise(Schopenhauerin:ParergaundParalipomena).Ellen’estpasdavantageunsymptômenévrotique,parcequ’ellecontribueàlaconstruction positive du sujet humain (Freud in : Actesobsédantsetexercicesreligieux).

Il se pourrait même que l’absence de réponse préservel’orant d’une dérive superstitieuse et idolâtrique, et que cettemêmeabsencederéciprocitédialogalenonseulementcreuseenlui l’intériorité, mais surtout maintienne dans son êtrel’ouverturepositiveà l’AltéritéabsoluedeDieu.Ensomme, la

parole de prière tombée dans le silence de Dieu est d’unecertaine façon une parole de vie, parce qu’elle s’exerce contrel’aliénationpar la superstitionet contre l’atrophieexistentielledu sujet due à la fermeture de son être à la Transcendance.CertesilrestetoujourspossibledepenserqueDieurépondàsamanière, lemomentvenu,par telou telsigneaccomplidans lavie du priant ; encore faut-il pouvoir interpréter en vérité lasignification profonde d’une vie liée à Celui qui possède lamaîtrise de tout destin. Peut-être, en effet, existe-t-il uneréponseindirectedeDieudanslessignesadressésaucœurdelaviehumaine.

Ici le silence de Dieu ne se résout pas dans un mutismestérile.Ilestlesilencequipermetl’appel,doncle«dire»etlecheminementspiritueldusujetendirectiondesonDieu.C’estprobablement ce qui reste incompris de quelques philosophescommeKantouFeuerbachquicroientrepérerdanslaprièreuneformededélire:separleràsoi-mêmedansuneauto-divisiondesoi4. Ilsn’ontpas su reconnaîtreque laprière consiste enuneparoleaffectéeparl’adresseàl’Autre.Orcetteaffectionchangel’expression de la parole, parce qu’elle introduit dans lediscoursunmouvementdedépossessiondesoicontretoutreplinarcissiquedanslamesuremêmeoùDieudemeuretranscendant.

L’avènementdusujetdanslaprière

Laprière,ensonacte,n’estpasextérieureàl’avènementdusujetàlui-mêmeenraisondesonadresseàl’Autreabsolu.Cetteréalité a été observée moins par les philosophes que par lesthéologiens(saintAugustin,J.Cassien,saintBonaventure,saintThomas d’Aquin…). Toutefois, un philosophe néoplatonicien,Proclus, a insisté sur l’inséparabilité de la prière et de laconversiondu sujet :«Vouloirprier, c’estdésirer se retourner

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parcequecetteoriginemêmedoitpouvoirnousêtreimputéeetque, par suite, ce fondement suprême de toutes les maximesexigerait,àsontour,l’adhésionàunenouvellemaxime.Lemaln’apuprovenirquedumalmoral(etnondessimplesbornesdenotre nature) et cependant la disposition originaire (que nulautreque l’hommen’apupervertir, si cettecorruptiondoit luiêtreimputée)estunedispositionaubien.Ainsi,ilnesetrouvepas pour nous de fondement compréhensible à partir duquelnous pourrions saisir comment le mal moral aurait pu toutd’abordvenirennous4.»

AuxyeuxdeE.Kant, la faillibilitésesituenécessairementsur le plan de l’existence humaine. C’est à ce prix qu’il estpossibled’assurerl’autonomiedelavolontémoraledansleBiencom me dans le Mal. Transcender l’existence humainereviendrait à retourner à une forme d’hétéronomie quidénaturerait la liberté de l’action morale en excluant laresponsabilité.Cependant il reconnaît l’incompréhensibilité del’originede lapotentialitéhumainevis-à-visdumal. Ici le lienentre lemalmoral (celui de la liberté) et l’existence n’est pasvéritablementéclairé.

L’hommevientdans l’existenceaveccettepotentialité.Est-ce à dire que sans cette potentialité la liberté n’aurait pas deréalité?Lalibertéestladispositionoriginairepourlebien.Maiscette disposition est-elle réelle si la potentialité du mal estabsente? Sans celle-ci, la liberté pourrait exister dans savirtualité, mais serait-elle radicale (comme dispositionoriginaire)? La question de la faillibilité référée à l’existenceexigequesoitposé«leproblèmedumal»danssacausalité.

Decepointdevue,ilparaîtdifficile,ainsiquel’aperçuM.Blondel dans L’être et les êtres, d’isoler l’individu de lacollectivité,lesujetdelasociété,lapersonnedelacommunauté.

Certes,touteexistenceestmarquéeparlafaillibilitéoùserévèleuneformedecausalitéindividuelledumalreprésentéparl’actefautif.Maislafaillibilitéquiaffectetousleshumainspeutêtreaugmentéedansl’intensitédesonexpressionpardessituationscollectivesparticulièresoùs’effacentlesbarrièresdelaculture!Danscecasilexisteuneréellecausalitécollectivedumal(parexemple, en temps de guerre) qui dépasse la causalitéindividuelleemportéparunmouvementnégatifquiladéborde.

Ilyadonclieuderepérericiunetriangulationexistentielleentreexistence,faillibilitéetfaute,sachantquel’existenceaunstatutontologique,lafaillibilités’offrecommeun«existential»(en elle se donne l’existence dans sa facticité) et la fauteressortitàl’ordredelapragmatiquedansl’espaceetletempsdela vie du sujet. Cette triangulation demeure inspiratrice d’unepluralitédelectures:

a)une lectured’unpointdevueontologique, dans ce cas,l’existence apparaît fondatrice de la faillibilité qui setraduitpardesactesréprouvés(desfautes),

b) une lecture du point de vue épistémologique (cognitif)quienvisage,dans lemouvementde laconnaissance, lesactes réprouvés comme immédiatement saisissables, seréférantalorsàlafaillibilitéquinesecomprendqueparsoninscriptiondansl’existence,

c) une lecture du point de vue éthique qui présente lafaillibilitécommesupportdesactesréprouvésimpliquantlesujetexistantdanssonexpressionmorale.

La triangulation existentielle ainsi comprise permetd’objectiver le lien entre l’existence et la faillibilité, lequelprendtoutesasignificationdanslamesureoùl’expressiondelafautedevient« l’élémenttiers»quiouvreetenrichit la relationbipolaireinitiale.

Intégrationdelafaillibilitédansl’existencehumaine

L’existencehumaineresteprécaire;habitéeparlaprésencedelamort,elleestengagéedansunedoubleréalité:

a) celle de l’ouverture à sa propre possibilité par ladistanciation de soi avec soi, par le rapport à autrui, aumonde,àl’Absolu,danslemouvementmêmedulangage;

b)celledelapermanencedelafacesombre,delanuitaufond de soi, des limitations de l’extériorité, desdéterminismes de la vie, signifiant la marque de lafinitude.

Surcethorizond’existence,ilimportequeplacesoitfaiteàlafaillibilité ; lanégationdecelle-ciseraitcellede l’existencedontlafaillibilités’offrecommeun«existential».Iln’estnulexistant dans le monde qui puisse échapper à ce mode dedonation.Maisreconnaîtrelafaillibilitéimplique,pourlesujet,derenonceràsecroireinstallédanslaperfection,possesseurdesapropreexistence,établidansunétatdetransparenceavecsoi;sansdoutefaut-ils’affranchirdelanaïvetédel’idéalisation(deson être, de son agir…), ce qui suppose la pratique d’unedéprise,d’une«démaîtrise»aucœurdel’existence.Quoiqu’ilen soit, quand bien même elle ne serait point reconnue, lafaillibilité impose sesmanifestations ici ou là, aujourd’hui oudemain; elle se fait éprouver, parfois avecune terrible cruauté.Toutedénégationdesaprésenceausensd’unevolontéinsistantedeniersonexpression,paraîtmortifèrepourl’existantdépourvudetouteissuepositivedevantsonévénement.

L’idéed’unedénégationdelafaillibilitéaétémiseenscènepar certaines écoles philosophiques de l’Antiquité grecquequiont tenté de montrer que, par une certaine forme de vie (uneéthique),lesagepouvaitsedonnerlacapacitédesedélivrerdela faillibilité. Ainsi, dans son étude intitulée :Une religiosité

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exercice intentionnel analogue à celui de la perception,constitueenquelquesorteunobjettranscendantprojetédanslafiguredeSatan.

Àl’échelledelasociétélafacultéfabulatriceuniversaliseletravaildel’imaginationindividuelledéchiffréparHusserlselonles règles de la phénoménologie. C’est ainsi qu’elle produit,pourreprendrelessuggestionsdeBergson,lamythologiequelaviehumaineappelledanssesévolutionspoursoutenirl’individuouconsoliderlasociété.

Satan ne s’exclut pas de la créativité de la fonctionfabulatrice qui sait l’intégrer dans son univers « objectif » enraison des horizons négatifs visés, ce qui explique un certainpolymorphisme de la figure satanique. Mais le labeur de la« faculté » fabulatrice reprend sans cesse les multiplesreprésentationsqu’elledéposedans l’histoiredespeuplespourles recomposer à travers de nouvelles élaborations. Ainsi semêlent au sein de cette activité continuelle inscrite dans lessociétés,desélémentsculturelsdifférentsquelestravauxdeH.-Ch. Puech et de H. Rousseau ont mis au jour10. À titred’illustration, il suffit de suivre intellectuellement l’émergencedans la tradition chrétienne de la figure de Satan où se sontprojetésdesapportsmanichéens,desélémentsgnostiquesetdesdoctrines démonologiques venues des religions du mondeméditerranéen11. Sans doute est-ce dans cet univers decroyancesentrelacéesimposantlalecturereligieusedeschoses,des êtres et des événements, qu’il faut inscrire l’interprétationsurnaturelle du désir et des débordements imaginaires de lachair, comme si les multiples violences du corps et de l’âmeexigeaient un déchiffrement mythologique ou, mieux, lasignature ambiguë de Satan inspirateur des plus extrêmesperversions, pour cacher à la conscience la force excessive et

abyssaledesmétamorphosesdel’inhumain.

L’usagepolymorphedelamythologiedeSatan

Il reste impossible, au sein de la culture occidentale, dedissocierradicalementlafiguredeSatandelamythologiequilatranspose. Qu’on se reporte à l’histoire du christianisme, onapercevra facilement la place reconnue à Satan dans unethéologiepopulairedesangesetdesdémons,cequemontreuneétudesuggestivedeH.-I.Marrouintitulée:Unangedéchu,unangepourtant12…Maisilfautreconnaîtreaveccetauteurquelathéologie chrétienne, au long de ses développements spéculatifs, a su dépasser les simples expressions des croyances dupeuple:«IlyadanscettevisionjuiveetchrétienneduMal,etdu Bien infiniment précieux que sa possibilité conditionne,quelque chose de beaucoup plus troublant que la simpleacceptiondesaréalitédontsesatisfaitledualisme:leMalestcequiauraitpunepasexister; ilest le résultatd’unehistoire,car il révèle dans toute sa profondeur et son ambivalence lemystèredelaliberté:Satanestcetêtrelibre,cetAnge,qui, lepremier,achoisides’éloignerdelasourcedetoutêtreetdeserapprocherdunéantd’oùilavaitététiré13.»

S’ilrestevraiqu’endépitdecertainesrésurgencesdualistesdans sa tradition spirituelle, le christianisme n’est pas lemanichéisme, il n’en demeure pasmoins que le rôle dévolu àSatan, au sein de la vie chrétiennepopulaire, a puocculter decelui-ci la véritable nature au profit d’un « héroïsme » négatifégal,enintensité,àl’actiondivine.SatanexistecontreDieu.Ilasonempire,sonculte,sesfidèles;ilaccomplitdesprodiges,dessortilègesquifascinentleshommes.Sonbestiaireressemble,enimages,àun traitédesNomsdivins.Ensomme, lamythologie

quilerévèleparaîtredoubleràl’enverslathéologieofficielledelareligiondominante.Sansdoutedevrait-ons’interrogersur lavérité de ce « cosmos » en négatif que représente le sombreroyaumedeSatanappelant,commesonautre,celuidesangesdelumièredansunsystèmedepenséetotalitaireoùriennesembleabandonnéàl’indétermination14.

Quoi qu’il en soit des multiples travestissements de lamythologie de Satan au cœur de la culture de l’Occidentchrétien, il est possible, avec l’avènement de l’Inquisition, decritiquerledéveloppementextraordinairedelafiguresataniquedanslasociété,tantsurleplandesdiscourstenusquesurceluidesactionsentreprises.Unephilosophiedusoupçonpourraiteneffet se demander si le langage du diable ne constitue pas unmode de communication travestie de l’interdit social, unedénégation par les institutions établies des perversions de lacommunauté,uneexpressionpolitiquedesmouvementsoccultesdanslasociétéouunejustificationvoiléedepouvoirsrépressifs.AussiestposéelaquestiondelavéritédecetuniverscultureloùSatan dresse son théâtre. Au temps de la persécution deshérétiques et de « la chasse aux sorcières », certains textescomme Le marteau des sorcières de J. Sprenger et de H.Institoris, La démonomanie des sorciers de J. Bodin, Lediscours exécrable des sorciers de H. Boguet, Le tableau del’inconstancedesmauvaisangesetdémonsdeP.deLancre,ouLes histoires, disputes et discours des illusions et imposturesdes diables de J. Wier, ne laissent pas d’interroger sur lapolysémie du discours satanique15. Il se peut que face à cesdifférentes et légitimes questions, les explications de laspiritualité et de la médecine apparaissent nettementinsatisfaisantes16.

Dupoint de vue des pratiques humaines, lamythologie de

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définitif et absolu.C’est aucœurdecedonde lui-mêmequ’ilrévèle Dieu aimant l’humanité d’une manière irréductible etinfinie.Parcequ’ilestlerévélateuruniquedeDieudanssaviedonnée, le Christ passe la mort où sont niées toutes lespuissances d’asservissement auxquelles il s’est opposé. Aussisonpassagepascalest-ilretournementradicaldeceslogiquesdelaservitudeendynamismederecréationdel’homme.

À cet acte d’affranchissement où se régénère l’humanité,chaque homme est associé par l’Eucharistie qui actualise laPâqueduChrist.Autantdireque laFoiauChrist faitaffirmerparlechrétiensalibérationenespérancevis-à-visdetouteslesformes du mal et de la mort. Or le passage du Christ pascalconstitueenvéritélecoeurduchristianisme.C’estlaPâqueduChristqueleschrétiensdoiventhabiter;c’estellequidemeureledynamismeprofonddeleurvie;c’estenellequ’ilssontsanscesserégénérés.Aussiest-cedelaPâqueduChristqu’ilsontàtémoignerencemonde.

Mais le témoignage reste impossible sans l’expression«mondaine»delalutteduChrist,parcequeparcetteluttes’estinauguré le Royaume. Alors, à cause de son inscriptionnécessaire dans le monde et l’histoire, le témoignage neforcerait-ilpasl’Égliseàrenoueravecl’idéologie?

Étudedurapportduchristianismeaveclesidéologies

Si la Pâque du Christ demeure le cœur authentique duchristianisme,alorsilestimpossiblequelechristianismepuissese réduire à une idéologie.Car la Pâque duChrist a sa véritédansl’affrontementhistorique,radicaletvictorieuxàtouteslesformes d’asservissement de l’homme. Nous devrions mêmepouvoirdirequ’en raisondesonenracinementdans lepassagepascalduChrist,lechristianismeapparaîtcommelapossibilité

demettre à distance toutes les idéologies en tant que celles-cireprésentent des systèmesde justificationd’une affirmationdesoi. L’action historique duChrist défie, jusque dans l’extrêmeradicalité de la vie livrée, les formes multiples del’asservissementdel’homme.

Cependant le témoignage pour le Christ demandé auxchrétiensestgénérateurd’expressionsidéologiques.Eneffet,letémoignageexige,depuisl’origineduchristianisme,enfonctiondesonproprecontexted’expression,simultanémentlediscours,l’engagement et l’institution; il induit ces trois éléments pourêtreobjectivé,opératoireetuniversalisé.Telleestdanslemondeextérieursamodalitéd’affirmation.

Enexigeantcesélémentsfondamentauxd’objectivationpourne point s’effacer dans le vide et le silence, le témoignageappelle son inscription dans l’épaisseur du monde et del’histoire, au nom de sa propre volonté de position. Ainsi lediscours, l’engagement et l’institution s’articulent pourconstituer une totalité d’objectivation où la Pâque du Christpeut être annoncée, incarnée et célébrée au sein même de laculture. Mais c’est ici qu’intervient la possibilité même del’expressionidéologiqueduchristianisme:

– soit qu’il apporte son concours à l’idéologie dominantedansunesociétéoùilexistecommereligionmajoritaireetreconnue,

– soit qu’il soutienne des idéologies dominées dans unesociétéoùilresteunereligionpersécutéeetcontestée,

– soit qu’il ait assez de force pour jouer ces deux rôlesopposés en s’appuyant sur la souplesse de ses propresstructures.

Maisilluiesttotalementimpossibledenejoueraucunrôledanslessociétésoùilsepose,carilévolueraittrèsrapidementversunesorted’esthétismedegroupeinoffensif,versuneforme

de folklore mythologique ou vers un ensemble de démarchesenfermées dans un subjectivisme inopérant. Autant dire qu’ilperdrait sa volonté de renouvellement de la communautéhumainequiseconstruiraitsanslui,cequireprésenteraitriendemoinsquel’exténuationprogressivedesapropreaffirmation.

Le christianisme,dans son être-au-monde, n’échappepas àl’expressionidéologique.Ilestouvertdedroitàl’idéologiesurles plans du discours, de l’engagement et de l’institution, àmoins qu’il ne décide de s’absenter de l’histoire des hommes.Toutefois ila,en luimême, lapossibilitédemettreenquestionses propres manifestations idéologiques par la référencecontinueàtroisinstancesdecritiqueradicale:

1. la Pâque du Christ sans cesse actualisée et, en elle, lacapacité libératrice de la Croix sur laquelle sont niéestouteslesformesdelapuissance,

2.l’expressioncontinuéedel’actionduChristenfaveurdescrucifiés de ce monde, sens véritable de la Charitéanonymeetexemptedelaréciprocité9,

3.l’affirmationmaintenuedelaTranscendanceduRoyaumesur toutes les formes historiques de la traduction sociale dudésir.

Ces instances de critique radicale devraient permettre auchristianismedesedressercontrelerejetdanslepasséducentrede gravité de l’être-chrétien, contre toute entreprise desacralisationoudecondamnationdudevenirhistorique,contretouttriomphepossibledusystèmeecclésiastique.

Endéfinitive, la faiblesse de laCroix, l’Amour deCharitéanonymeetsansréciprocitépourlesdéfigurésdel’humanitéetlatranscendanceduRoyaumetoujoursindisponibleconstituentla fonction critique du christianisme, au-delà de touteexpression de l’utopie subordonnée aux métamorphoses du

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signifie pour le croyant que ce ne sont pas des tentationsmessianiques à proprement parler. Par contre, les évangélistesutilisentl’expression«FilsdeDieu»,cequitendàprouverquecesontpoureuxdestentationssurlafiliation,surlarelationduFils au Père (obéissance à la Parole de Dieu : Mt 4,4;soumissionàDieu:Mt4,7;adorationdeDieu:Mt10).C’estlaréférence à Dieu qui constitue l’enjeu des sollicitations duTentateur avec cette question voilée : pourquoimaintenir cetteréférencealorsquesefaitpressantel’impatiencedeshommesàsuivre celui qui pourrait satisfaire leurs espoirs immédiats (lathaumaturgie,lapuissance,lagloire)?Pourquoimaintenircetteréférence comme absolument première alors que les hommessontprêtsàoffrir leursoumissionàceluiquipourraitcomblerleurdésirirréfléchi?

EntriomphantdeSatan,leChristaffirmeentouteclartéquele Royaume ne s’identifie pas à la réalisation des souhaitsimmédiats de l’homme. Le Royaume est d’abord, en sonessence, attachement à Dieu. Sans cela, la conceptionévangélique de l’homme reste faussée : l’homme se trouverenvoyéà lui-même,à sespropresdésirs, à ses illusions, à sesrelations conflictuelles avec les autres, à ses volontés de serendreDieudisponible.Sanscela, l’Évangileenfermel’hommedanssonnarcissismequi,fut-celeplusnoble,demeuretoujoursaliénant.

Si dans le récit des tentations, il est possible de lire encondensé les refus successifs du Christ eu égard auxsollicitations trop humaines, il faut savoir y repérer aussil’affirmationdelaréférenceàDieucommeconditionpremière,universelleetnécessairedelaconversiondesrapportshumainsetdel’inaugurationduRoyaumedeDieu.Laisseràl’hommelesoindedirelavéritédel’homme,c’estcourirlerisquedetouteslesaliénations.Dieuseulsaitcequel’hommedoitêtre.

L’espérance dans l’Évangile est avant tout référence del’existenceenDieu;elleestréalisationdelaRédemption,maisuneréalisationtoujoursinachevéequireposesurlacertitudedePâques.Elleseprésentecommeuncheminàtracerquipasseparla souffrance et la mort (en somme par la vie offerte) dansl’oppositiontotaleaumaletàtoutessesformes.

LeChristaprisenchargel’espérancedelibérationd’Israëlen l’orientant du côté de la Passion, de la vie donnée; il en afait,avanttout,unepratiqueduretournementenracinée,nonpasdanslesdésirshumains,maisdansl’exigencemêmedelaParolede Dieu. L’espérance s’identifie à la Rédemption à faire et àinscrire contre les forces dumal et de lamort dans la lumièrepascale. Cette pratique évangélique du Christ peut sans douteéclairernotreespérancedechrétiensduXXesiècle.

L’espérancedel’Écrituredansnotreespéranceaujourd’hui

Lanécessitéderéapprendrel’espérance

L’espérancetellequeleChristnouslaproposenousapparaîtcomme une dynamique du présent sans illusions, comme unecapacité de libération lucide et engageante. Immergés dans lesproblèmesdumonde,nouscherchons toussinondes réussites,du moins des consolations. Nous nous attendons toujours auterme de nos entreprises et nous nous cherchons dans nosprojets. Or notre Dieu en qui nous plaçons notre espérancedemeure le Dieu crucifié. Sur la croix de Jérusalem ont étécrucifiéestouteslesformesdelareligiondelapuissance.Toutcequi a figured’exploitationa été refusépar le crucifiéqui aexpiré dans le dénuement après une vie donnée pour lalibérationde l’hommeaimédeDieu jusqu’à la folie.LaCroixseuledoit être la référence critiquedenotre espérance enfouie

dans lematérialismeambiant.Sacapacitédedépossessiona lepouvoirdefaireéchecànossubtilesvolontésdeprojection.

Espérer ne revient pas à se rechercher soi-même, mais às’abandonnerdanslalumièredelaParoledivined’Amouretdeliberté.Espérerc’ests’ouvrirauxappelsdeDieuetdes frères;encesensc’estaumoinsprésupposerqu’ilyadupossiblepourl’homme,que lemonden’estpas fermé,que l’histoiren’a riend’undestin.L’espérancedecepointdevuesupposela luciditésur le présent (avec la réponse à ces questions : qu’est-ce quipeutêtrechangé?Commentcelapeutilêtrechangé?Envuedequoi cela peut-il être changé?) Espérer c’est être attentif auprésentdanslamémoired’uneTranscendancequiouvrel’avenir.

Espérernerevientpasàattendrequequelquechosesoit.LeChrist n’a pas attendu que la volonté de Dieu se réalise sansLui,malgréLui.Ils’estrisquéàs’engagerdanslemouvementdel’appeldeDieu.Ils’estrisquéàannoncerDieuetsonRoyaumeàtousetnonpasàquelquesprivilégiésfavorables.L’espérancefaitprendredesrisquesquipeuventsechangerenéchecs(ilyadansl’Évangiledeséchecs:lamultiplicationdespains,lerefusde conversion, la Passion). Il n’est pas d’espérance sans paripourlemeilleurdel’homme.

L’Écriture nous enseigne que l’espérance chrétienne nereposepassurdesvérités.LeChristaétablisonespérancesurDieu (cf. c’est la volonté de mon Père…). L’espérances’identifie à Quelqu’un, non pas à Quelqu’un qui interdit,arrête, condamne, mais à Quelqu’un qui invite, provoque,pardonne(cf.lesrencontresduChrist).Lasourcedel’espéranceest en Celui qui pousse en avant vers d’imprévisiblesdépassements.Lesensd’exodereligieuxestdanscemouvement.L’exodenesedéfinitjamaiscommeunégarement,maiscommeunemarchehabitéeparuneinspiration.

Espérerc’estreconnaîtreuneprésence,laprésencedeDieu

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Collectifs

– Introduction à la philosophie de la religion, Jean-LouisVieillard-Baron/FrancisKaplan,Paris,Cerf,1989.–PhilosophiesenquêteduChrist(dir.P.Gire),Paris,Desclée,1991.– Penser la religion, présentation de J. Greisch, Paris,Beauchesne,1991.

Table

Introduction

PremièrepartiePhilosophiedelareligionetquestiondeDieu

I.L’étonnementII.PouruneépistémologiedelamétaphysiqueIII.Ledésiretlesacrédansl’expériencehumaineIV.PhénoménologiedusacréV.LanominationdeDieuVI.PhilosophieetpluralitéreligieuseVII.Lareprésentationdel’Autre.ImageetTranscendanceVIII.ÉlémentsdecontributionàuneréflexionsurlavoienégativedePlatonàMaîtreEckhartIX.EntreleDivinetl’humain.Penserlamédiation

DeuxièmepartiePhilosophiedelareligionethistoiredelaphilosophie

X.LaphilosophiedevantleChristXI.LesalutparlaconversiondanslenéoplatonismedePlotinXII.LeChristdeMaîtreEckhartXIII.Spinozaetl’idéeduChristXIV.BergsonetlefaitreligieuxchrétienXV.L’excèsdelaviesursareprésentationscientifique:laperspectivephilosophiquedeMichelHenryXVI.ChristianismeetnéoplatonismechezStanislasBretonXVII.LeChristdeStanislasBreton

TroisièmepartiePhilosophiedelareligionetchristianisme

XVIII.Lemonothéismeetsonrapportàlavérité

XIX.LedogmecommelangagenormatifXX.ChristianismeetdestindelacréationXXI.ChristianismeethumanitédeDieu.Dieufaceàl’hommeXXII.Laquestiondelavéritédansl’ÉvangiledesaintJean:delaRévélationautémoignageXXIII.Philosophiecritiquedel’expériencemystiquedanslechristianismeXXIV.LechristianismeendialogueavecsesmystiquesXXV.Delafascinationdel’imageàl’écoutedelaparoleXXVI.Qôhelet:l’espérancemendianteXXVII.PhilosophiedelaprièreXXVIII.ExistenceetfaillibilitéXXIX.Satan:aspectsphilosophiquesXXX.Lechristianismeest-iluneidéologie?XXXI.Christianismeetespéranceaujourd’hui

Conclusion

Annexe:HistoireetidéologieÉlémentsdebibliographie

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