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Science & Sports (2011) 26, 225—228 NOTE BRÈVE Perception de soi et activité physique adaptée dans l’anorexie mentale Self-perception and adapted physical activity in anorexia nervosa A.L. Moscone , P. Leconte, C. Le Scanff EA 4532, Laboratoire CIAMS (Complexité, innovation et activités motrices et sportives), UFR STAPS, université Paris-Sud 11, bâtiment 335, 15, rue Georges-Clémenceau, 91405 Orsay cedex, France Rec ¸u le 18 mars 2010 ; accepté le 10 f´ evrier 2011 Disponible sur Internet le 8 juin 2011 MOTS CLÉS Perception de soi ; Anorexie mentale ; Activité physique adaptée (APA) Résumé Introduction. — L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire lié à des per- turbations de la perception de soi (image du corps, estime de soi, soi physique). Patientes et résultats. — Ces trois composantes de la perception de soi ont été évaluées par questionnaires chez 19 patientes anorexiques, en début et fin de programme d’activité physique adaptée (APA), comparées à 16femmes valides ne bénéficiant pas de programme d’APA. Nos résultats montrent des scores inférieurs chez les anorexiques comparés aux valides, pour les différentes composantes de la perception de soi, mais aucun effet significatif du programme d’APA sur ces variables chez les anorexiques. Conclusion. — Malgré l’absence d’effet significatif, nous pensons qu’un programme d’APA plus long peut contribuer au processus de guérison de l’anorexie par la réduction des troubles de la perception de soi. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Self-perception; Anorexia nervosa; Adapted physical activity (APA) Summary Introduction. — Anorexia nervosa is an eating disorder related to disturbances of self-perception (body image, self-esteem, physical self-perception). Methods and results. — These three components of self-perception were assessed by question- naires in 19 women with anorexia, at the beginning and at the end of a program of adapted physical activity (APA), and in 16 women without eating disorder. Results revealed that the anorexics scores were significantly lower than controls for the three variables. Nevertheless, we observed no effect of the program of APA on these variables for anorexics. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.L. Moscone). 0765-1597/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.scispo.2011.04.006

Perception de soi et activité physique adaptée dans l’anorexie mentale

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Science & Sports (2011) 26, 225—228

NOTE BRÈVE

Perception de soi et activité physique adaptée dansl’anorexie mentaleSelf-perception and adapted physical activity in anorexia nervosa

A.L. Moscone ∗, P. Leconte, C. Le Scanff

EA 4532, Laboratoire CIAMS (Complexité, innovation et activités motrices et sportives), UFR STAPS, université Paris-Sud 11,bâtiment 335, 15, rue Georges-Clémenceau, 91405 Orsay cedex, France

Recu le 18 mars 2010 ; accepté le 10 fevrier 2011Disponible sur Internet le 8 juin 2011

MOTS CLÉSPerception de soi ;Anorexie mentale ;Activité physiqueadaptée (APA)

RésuméIntroduction. — L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire lié à des per-turbations de la perception de soi (image du corps, estime de soi, soi physique).Patientes et résultats. — Ces trois composantes de la perception de soi ont été évaluées parquestionnaires chez 19 patientes anorexiques, en début et fin de programme d’activité physiqueadaptée (APA), comparées à 16 femmes valides ne bénéficiant pas de programme d’APA. Nosrésultats montrent des scores inférieurs chez les anorexiques comparés aux valides, pour lesdifférentes composantes de la perception de soi, mais aucun effet significatif du programmed’APA sur ces variables chez les anorexiques.Conclusion. — Malgré l’absence d’effet significatif, nous pensons qu’un programme d’APA pluslong peut contribuer au processus de guérison de l’anorexie par la réduction des troubles de laperception de soi.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSummaryIntroduction. — Anorexia nervosa is an eating disorder related to disturbances of self-perception

Self-perception;Anorexia nervosa;Adapted physicalactivity (APA)

(body image, self-esteem, physical self-perception).Methods and results. — These three components of self-perception were assessed by question-naires in 19 women with anorexia, at the beginning and at the end of a program of adaptedphysical activity (APA), and in 16 women without eating disorder. Results revealed that theanorexics scores were significantly lower than controls for the three variables. Nevertheless,we observed no effect of the program of APA on these variables for anorexics.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A.L. Moscone).

0765-1597/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.scispo.2011.04.006

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Conclusion In spite of absence of significant effect, we considered that a six-month pro-gram of APA would contribute to the anorexia recovery process by reducing the self-perceptiondisturbances.

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LléaDdésoi physique). Enfin, pour le groupe anorexiques, les diffé-rences entre le pré-test et le post-test concernant l’estimede soi et le soi physique ont été analysées par un test t deStudent pour échantillon apparié. Les analyses statistiques

© 2011 Elsevier Masson SAS

. Introduction

’anorexie mentale est un trouble du comportement ali-entaire qui touche environ 0,4 % à 1 % des jeunes femmes

gées de 15 à 24 ans. Sur le plan psychologique, de nombreuxroubles sont associés au développement de l’anorexie men-ale, dont la dépression et les idées suicidaires, mais leslus corrélés sont les troubles de la perception de soi. Selonlusieurs auteurs en effet, l’anorexie mentale engendre-ait une perturbation de l’image du corps, mais égalementne baisse de l’estime de soi et du soi physique [1], cesrois composantes de la perception de soi étant étroitementiées comme nous allons le voir à présent. L’image du corpsorrespond à l’image de notre propre corps que nous for-ons dans notre esprit, autrement dit la facon dont notre

orps nous apparaît à nous-mêmes. L’estime de soi corres-ond au sentiment qu’a chacun de sa propre valeur. Évaluer’estime de soi revient à évaluer dans quelle mesure cha-un s’aime et s’accepte en tant que personne. Enfin, leoi physique constitue une sous-dimension de l’estime deoi globale, puisqu’il correspond à l’estime de soi dans leomaine corporel. Le renforcement ou l’altération du soihysique influence positivement ou négativement le niveau’estime de soi globale.

Ces trois composantes, image du corps, estime de soi etoi physique seraient intrinsèquement liées [1]. Dans le case l’anorexie mentale, l’image du corps occupe une placerioritaire, qui s’exprime par un contrôle excessif du poids.a peur de grossir augmente à mesure que le poids diminue,e qui accroît le niveau d’insatisfaction corporelle chez lesnorexiques. L’altération de cette image du corps aurait unmpact plus marqué sur le soi physique et l’estime de soi,ue chez des personnes sans trouble du comportement ali-entaire. Ainsi, une insatisfaction corporelle, qui se traduitar un écart important entre la perception de son imageéelle et de son image idéale, serait à l’origine du troublesychologique. Cela entraînerait une baisse de l’estime deoi et du soi physique, à l’origine de l’enfermement dans leercle vicieux de la maladie.

Le premier objectif de cette étude est de vérifier quees patientes anorexiques présentent un niveau significati-ement plus bas dans ces trois composantes de la perceptione soi, image du corps, estime de soi et soi physique, compa-ées à des participantes valides. Le second objectif vise àvaluer l’effet d’un programme d’activité physique adaptéeAPA) sur ces composantes.

. Patientes et méthodes

.1. Sujets

ix-neuf patientes atteintes d’anorexie mentale (âge :

5,94 ± 6,55 ans), prises en charge au sein de deux servicesospitaliés spécialisés dans les troubles du comportementlimentaire (Paul Brousse à Villejuif, Tarnier à Paris) ainsi

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rights reserved.

ue seize femmes valides (âge : 24,6 ± 3 ans) ont participé àette étude.

.2. Protocole

’image du corps a été évaluée à partir de l’échelle « contourrawing rating scale » (CDRS) de Thompson et Gray [2]Fig. 1). La consigne, pour chacune des participantes, étaite sélectionner la silhouette qui lui ressemble le plusctuellement (silhouette réelle, SR), puis de sélectionner lailhouette à laquelle elle souhaiterait ressembler (silhouettedéale, SI). Un score d’insatisfaction corporelle (IC) a étéalculé à partir de la formule suivante : IC = SR — SI.

L’évaluation de l’estime de soi a été réalisée à l’aideu questionnaire d’estime de soi (EES-10) de Rosenberg [3]ermettant d’obtenir un score d’estime de soi se situant surn continuum allant de 10 (basse estime de soi) à 40 (hautestime de soi).

Le soi physique à été évalué auprès de 11 des patientesnorexiques et des 16 participantes valides grâce auuestionnaire de soi physique (PSDQ) de Marsh [4]. Ceuestionnaire permet d’estimer 11 sous-dimensions du soihysique à partir de 70 items (Tableau 1), sur un continuumllant de 1 (perception très négative) à 6 (perception trèsositive).

Les patientes anorexiques ont été évaluées avant et aprèsn programme d’APA d’une durée de trois mois, d’une àeux séances d’une heure par semaine. L’activité physiqueroposée aux patientes anorexiques était adaptée à leursossibilités physiques et reposait sur une pratique de faiblentensité. Les séances étaient essentiellement axées sur de’expression corporelle et se composaient d’exercices detretching, de yoga, de musculation légère avec poids deorps. Enfin, un exercice de relaxation axé sur la respirationoncluait chaque séance.

.3. Analyse statistique

es résultats sont exprimés selon la moyenne plus ou moinsa déviation standard (SD). L’écart entre la SR et la SI àté évalué à l’aide du test t de Student pour échantillonpparié et ce pour les deux groupes, anorexiques et valides.es analyses de variances à un facteur ont été réalisées afine comparer les deux groupes pour les différentes variablesvaluées (SR, SI, IC, estime de soi, 11 sous-dimensions du

nt été réalisées avec le logiciel Statistica version 7.1. Unealeur de p inférieure à 0,05 était exigée pour affirmer learactère significatif des résultats.

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Perception de soi et activité physique adaptée dans l’anorex

3. Résultats

3.1. Indice de masse corporelle

L’indice de masse corporelle (IMC) du groupe anorexiquesétait significativement inférieur à celui du groupe valides(IMCA = 16,35 ± 2,49 ; IMCV = 21,7 ± 2,99 ; p < 0,001).

3.2. Image du corps

Nos résultats montrent une différence significative entre laSR et la SI pour les deux groupes, la SI étant significative-ment plus maigre que la SR pour les anorexiques (p < 0,01)et les valides (p < 0,01). Toutefois, cet écart entre la SRet la SI est plus important pour le groupe anorexiques quepour le groupe valides (Fig. 1). Alors que les anorexiquespercoivent leur SR comme identique à celle des valides, ellesaspirent à une SI significativement plus maigre que ces der-nières (p < 0,01). Cette différence de jugement se traduitpar des scores d’insatisfaction corporelle significativementsupérieurs chez les patientes anorexiques, comparées auxvalides (p < 0,001 ; Tableau 1).

3.3. Estime de soi et soi physique

Le groupe anorexiques présente des scores significative-ment inférieurs à ceux du groupe valides (p < 0,01). De plus,les scores relatifs au soi physique sont significativementinférieurs pour le groupe anorexiques comparé au groupevalides pour dix des 11 sous-dimensions évaluées. Les valeursd’estime de soi et de soi physique des deux groupes sontprésentées dans le Tableau 1.

3.4. Programme d’activité physique adaptée

L’analyse des résultats ne révèle aucune différence signi-ficative entre le pré- et le post-test chez les patientesanorexiques pour les trois variables évaluées.

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Fig. 1 Scores de silhouette réelle (SR) et silhouette idéale (SI) podrawing rating scale (CDRS) ».

entale 227

. Discussion

os résultats révèlent que les patientes anorexiques, malgrén IMC significativement inférieur à celui des valides, sontlus insatisfaites de leur image corporelle que les valides.n effet, elles aspirent à une silhouette idéale significative-ent plus maigre que le groupe valides. Ces résultats sont en

ccord avec la littérature et montrent que les anorexiquese se percoivent pas de facon réaliste et ont tendance à sur-stimer leur corpulence [5]. Cette non-volonté de reprendreu poids chez ces jeunes femmes, voire la volonté de conti-uer de perdre du poids, semble refléter un déni totale la maladie et de ses conséquences sur leur état deanté.

Nous remarquons également que le niveau d’estime deoi des anorexiques est significativement plus bas que celuies valides. Ces résultats confortent ceux de Maureen etary [1], qui considèrent qu’un score trop bas d’estime de

oi reflète un sentiment d’infériorité, ce qui peut constituern frein dans le processus de guérison.

Enfin, concernant le soi physique, les résultats montrentue les anorexiques obtiennent des scores significativementnférieurs à ceux des valides pour les dimensions suivantes :a santé, la coordination, l’activité physique, l’adiposité,a compétence sportive, le soi physique global, l’apparencehysique, la force, l’endurance et l’estime de soi globale.es résultats confirment le fait que les patientes ano-exiques présentent un niveau faible d’estime de soi, enarticulier, dans le domaine corporel.

Par ailleurs, nous avons voulu vérifier les effets d’un pro-ramme d’APA sur les différentes variables évaluées chezes patientes anorexiques. L’absence de significativité desésultats ne permet pas de mettre en avant les bénéfices durogramme d’APA sur ces variables.

De manière générale, nos résultats indiquent que les ano-exiques ont une perception de soi plus négative que les

alides dans différents domaines relatifs au corps et auxompétences physiques, qu’un programme d’APA de troisois ne permet pas de modifier. Toutefois, nous pensonsu’avec un programme d’APA d’une durée plus longue (six

ur les groupes anorexiques et valides avec l’échelle « contour

228 A.L. Moscone et al.

Tableau 1 Scores obtenus pour les trois composantes de la perception de soi pour les groupes anorexiques et valides, imagedu corps, estime de soi et soi physique.

Matériels Groupe valides Groupe anorexiques

Image du corps (échelle CDRS) n = 16 n = 19Silhouette réelle 5,43 ± 1,20 5,47 ± 2,19Silhouette idéale 4,62 ± 0,80 3,26** ± 1,4Insatisfaction corporelle 0,93 ± 0,68 2,94*** ± 2,04Estime de soi (EES-10) 28,87 ± 9,52 21,12 ± 4,18

Soi physique (PSDQ) n = 16 n = 11Santé 5,31 ± 2,77 4,34* ± 2,75Coordination 4,81 ± 0,79 3,83** ± 0,74Activité physique 4,23 ± 1,55 2,29** ± 1,69Adiposité 4,67 ± 0,97 3,63* ± 1,68Compétence sportive 4,75 ± 1,13 2,95** ± 1,15Soi physique global 4,56 ± 0,95 2,19** ± 1,28Apparence physique 4,52 ± 1,02 3,09** ± 1,44Force 4,33 ± 0,98 2,25** ± 0,87Souplesse 4,36 ± 1,27 3,13 ± 1,38Endurance 5,03 ± 0,85 2,28** ± 1,15Estime de soi globale 2,52 ± 0,71 3,29* ± 1,24

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Les valeurs sont exprimées en moyenne ± SD ; SD : déviation stanle groupe anorexiques et le groupe valides ; CDRS : contour drawi

ois) et avec une fréquence de pratique plus importantedeux à trois fois par semaine), il serait possible d’observeres changements significatifs concernant les variables éva-uées. Selon Krantz [6] il semble pertinent de développeres approches corporelles pour les personnes présentant desroubles du comportement alimentaire, dans la perspectiveù le trouble alimentaire est justement issu d’une distor-ion de l’image du corps. Ce type d’activités permettraite restaurer une image du corps plus réaliste, conditionndispensable au rétablissement des patientes souffrant’anorexie.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

[

; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 : différence significative entreting scale ; PSDQ : questionnaire de soi physique.

éférences

1] Maureen ES, Mary EP. Is self-esteem the primary predictor ofdisordered eating? Pers Individ Diff 2006;42:1527—37.

2] Thompson MA, Gray JJ. Development and validation of a newbody-image assessment scale. J Pers Assess 1995;64(2):258—69.

3] Rosenberg M. Society and the adolescent self-image. Princeton,NJ: Princeton University Press; 1965.

4] Marsh HW. Construct validity of physical self-description ques-tionnaire responses: relations to external criteria. J Sport ExercPsychol 1996;18(2):111—31.

5] Benninghoven D, Raykowski L, Solzbacher S, Kunzendorf S, Jant-schek G. Body images of patients with anorexia nervosa, bulimianervosa and female control subjects: a comparison with male

ideals of female attractiveness. Body Image 2007;4(1):51—9.

6] Krantz AM. Growing into her body: dance/movement the-rapy for women with eating disorders. Am J of Dance Ther1999;21(2):80—103.