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Michel Berger Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustration de l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin du XIVe siècle In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 94, N°1. 1982. pp. 121-170. Résumé Michel Berger, Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustration de l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin du XIVe siècle, p. 121-170. La diffusion dans le Salento, à la charnière des XIVe et XVe siècles, des leçons et des expériences artistiques de l'Italie centrale et septentrionale, en vogue à la cour des rois angevins de Naples, n'exclut pas la persistance de thèmes iconographiques liés à la pratique de la liturgie byzantine encore bien vivante parmi les populations grecques locales. C'est le cas des peintures murales de l'église de S. Stefano à Soleto, édifiée à leur usage et néanmoins décorée en grande partie dans le style gothique international. Les cycles iconographiques que renferme ce petit monument et les didascalies qui les accompagnent sont extrêmement révélateurs de la permanence d'une culture religieuse de tradition byzantine à une époque (v. au verso) déjà tardive. Cette fidélité à Byzance se manifeste tout particulièrement dans les peintures de l'abside qui constituent toutefois une illustration originale de l'anaphore eucharistique, élaborée in loco à partir de l'Historia ecclesiastica, commentaire mystagogique alors fort répandu et apprécié parmi les Grecs de la Terre d'Otrante. Citer ce document / Cite this document : Berger Michel. Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustration de l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin du XIVe siècle. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 94, N°1. 1982. pp. 121-170. doi : 10.3406/mefr.1982.2643 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1982_num_94_1_2643

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Michel Berger

Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustrationde l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin du XIVe siècleIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 94, N°1. 1982. pp. 121-170.

RésuméMichel Berger, Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustration de l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin du XIVesiècle, p. 121-170.

La diffusion dans le Salento, à la charnière des XIVe et XVe siècles, des leçons et des expériences artistiques de l'Italie centraleet septentrionale, en vogue à la cour des rois angevins de Naples, n'exclut pas la persistance de thèmes iconographiques liés àla pratique de la liturgie byzantine encore bien vivante parmi les populations grecques locales. C'est le cas des peintures muralesde l'église de S. Stefano à Soleto, édifiée à leur usage et néanmoins décorée en grande partie dans le style gothiqueinternational. Les cycles iconographiques que renferme ce petit monument et les didascalies qui les accompagnent sontextrêmement révélateurs de la permanence d'une culture religieuse de tradition byzantine à une époque(v. au verso) déjà tardive. Cette fidélité à Byzance se manifeste tout particulièrement dans les peintures de l'abside quiconstituent toutefois une illustration originale de l'anaphore eucharistique, élaborée in loco à partir de l'Historia ecclesiastica,commentaire mystagogique alors fort répandu et apprécié parmi les Grecs de la Terre d'Otrante.

Citer ce document / Cite this document :

Berger Michel. Les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto. Une illustration de l'anaphore en Terre d'Otrante à la fin duXIVe siècle. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 94, N°1. 1982. pp. 121-170.

doi : 10.3406/mefr.1982.2643

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MICHEL BERGER

LES PEINTURES DE L'ABSIDE

DE S. STEFANO À SOLETO

UNE ILLUSTRATION DE L'ANAPHORE EN TERRE D'OTRANTE À LA FIN DU XIVe SIÈCLE

La petite église, à la gracieuse façade romane et gothique, de S. Stefano à Soleto dans la province de Lecce, jadis lieu de culte de la communauté grecque locale au cœur même de la Grecia Salentina, a surtout attiré l'attention des historiens de la peinture du «Trecento» et du «Quattrocento» en Italie méridionale par la représentation du Jugement dernier qui orne la face interne de la paroi occidentale de la façade1. L'intérieur est entièrement recouvert de fresques qui tapissent chacune des parois en

1 Pour une description générale de S. Stefano à Soleto et de ses peintures murales, voir C. De Giorgi, La provincia di Lecce. Bozzetti di viaggio, Lecce, 1888, 2, p. 49-57 (reproduit in extenso par F. A. P. Coco, Vestigi di grecismo in Terra d'Otranto, dans Roma e l'Oriente, 18, 1919, p. 62-70, repris ensuite en un volume séparé, Grottaferrata, 1922, p. 186-194); Ch. Diehl, L'art byzantin dans l'Italie méridionale, Paris, s.d. (1894), p. 93-110; M. Berger, S. Stefano di Soleto e i suoi affreschi, dans Paesi e figure del vecchio Salento, a cura di A. De Bernart, II, Galatina, 1980, p. 81-128. Certains aspects particuliers ont été étudiés par De Giorgi, // Giudizio universale dipinto a fresco nella capello di S. Stefano in Soleto, dans Rassegna pugliese, 1, 1884, p. 81-83; A. Antonaci, Arte bizantina in Terra d'Otranto. La «letteratura» in S. Stefano di Soleto, Galatina, 1953; M. Berger, Un inédit italo-grec de la passion légendaire de saint Etienne. Les peintures de l'église Santo Stefano à Soleto, dans La Chiesa greca in Italia dal Vili al XVI secolo, dans Atti del Congresso storico interecclesiale (Bari, 1969), Italia sacra, 22, Padoue, 1973, p. 1377-1388. Descriptions plus sommaires dans E. Aar, Gli studi storici in Terra d'Otranto, dans Archivio storico italiano, 4a serie, 9, 1882, p. 249-250, publié séparément à Florence, 1888, p. 191-192; P. Schubring, La Puglia. Impressioni di viaggio, dans Rassegna pugliese, 18, 1901, p. 170 sq., et Trani, 1901, p. 16-18; E. Bertaux, L'art dans l'Italie méridionale, Paris, 1904, p. 147-148, et ibid., {Aggiornamenti dell'opera di Émile Bertaux sotto la direzione di A. Prandi), 4, Rome, 1978, p. 345-346; G. Panico, All'ombra del campanilo di Soleto, Galatina, 1910, p. 9; R. Labadessa, L'arte in Puglia nei secoli XI-XII-XIII, dans Apulia, 2, 1910-1914, p. 85-101 ; G. Gigli, // Tallone d'Italia. Lecce e dintorni, Bergame, 1929, p. 82; G. Palumbo, Soleto e la Grecia

MEFRM - 94 - 1982 - 1, p. 121-170.

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deux zones bien distinctes. À hauteur d'homme, une série de saints et de saintes, figurés en pied et en position frontale, se succèdent en file quasiment ininterrompue sur les murs de la nef. Sur la zone supérieure de la paroi sud, un cycle hagiographique consacré à saint Etienne, le titulaire de l'église, emprunte visiblement les scènes légendaires de l'enfance à la Fabulosa vita sancii Stephani protomartyris , tandis que celle du martyre sont une illustration inattendue d'une non moins légendaire Passio, curieux apocryphe, peut-être d'origine égyptienne et, en tout cas, assez peu répandu2. La fresque de Soleto en est un écho d'autant plus intéressant qu'un texte grec du XIVe siècle, provenant de l'île voisine de Corfou, en constitue jusqu'ici le seul témoin littéraire connu pour l'aire culturelle qui nous intéresse3.

Les trois registres de la paroi nord déroulent, dans la zone supérieu-

salentina. (Le cento città d'Italia illustrate, 296), Milan, 1929, p. 3-4; P. Marti, Ruderi e monumenti della penisola salentina, Lecce, 1932, p. 69; G. Robinson, Some cave chapels of Sou-thern Italy, dans Journal of Hellenic Studies, 50, 1930, p. 200; P. Camassa, Brindisi. S. Maria del Casale, dans Fede, 1-2, 1932, p. 9. Des caractéristiques proprement byzantines de la décoration picturale de S. Stefano ont attiré l'attention de N. Pokrovskij, Stennyja rospisi ν drevnich chramach gre- ceskich i russkich, Moscou, 1890, 1, p. 31-32; O.A. Dalton, Byzantine art and archeology, Oxford, 1911, p. 313; Ch. Diehl, Manuel d'art byzantin, 2e éd., Paris, 1926, 2, p. 584, 733; G. Florovskij, Ο pocitanij Sofij, premudrosti Boziej ν Vizanti i na Rusi, dans Trudy 5° sjezda russkich akademiceskich organisacij za granicej, Sofia, 1932, p. 491; S. Bettini, // pittore Ambrogio Monaco, dans Bollettino d'Arte, 10, 1937, p. 467; A. M. Ammann, Darstellung und Deutung der Sophia in vorpetrinischen Russland, dans Orientalia christiana periodica, 4, 1938, p. 144; Florovskij, Christ the Wisdom of God in byzantine theology and art, dans Actes du 6e congrès international d'Études byzantines, (Paris, 1948), 1, Paris, 1950, p. 229-230; A. Guil- LOU, Art et religion dans l'Italie grecque médiévale. Enquête, dans La chiesa greca in Italia dall'VIII al XVI secolo, p. 741-750. Sur les fresques de Soleto dans le cadre de la peinture en Italie, voir A. Venturi, Storia dell'arte italiana, 2, Milan, 1902, p. 519; M. Salmi, Appunti per la storia della pittura in Puglia, dans L'Arte, 22, 1919, p. 157, n. 1; R. Van Marle, The development of the Italian schools of painting, 5, Paris, 1924, p. 386-390; P. Toesca, Storia dell'arte italiana. Il Medioevo, Turin, 1927, p. 1032, η. 34; Ο. Morisani, Pitture del Trecento a Napoli, Naples, 1948, p. 112, η. 14; P. Toesca, Storia dell'arte italiana. Il Trecento, Turin, 1951, p. 692, η. 220; A. Prandi, II Salento provincia dell'arte bizantina, dans L'Oriente cristiano nella storia della civiltà (Problemi attuali dì scienza e di cultura, 62), Roma, 1964, p. 681, 686 sq.; A. Antonaci, Gli affreschi di Galatina, Milan, 1966, p. 91-94; Α. Ρε- TRUCCI, Cattedrali di Puglia, 2e éd., Rome, 1972, p. 108, 125, 216.

2 F. M. Abel, La légende apocryphe de saint Etienne. À propos de quelques textes géorgiens, Jérusalem, 1931; M. Berger, S. Stefano di Soleto, p. 99-106.

3 Cf. BHG, 1649h, et M. Berger, Un inédit italo-grec, p. 1383, n. 1 et 2.

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re, une série d'épisodes de la vie du Christ, de l'enfance à la résurrection, où la narration suit un ordre beaucoup plus symbolique que strictement chronologique. Sans constituer une sélection des événements néo-testamentaires en fonction du cycle des fêtes de l'année liturgique byzantine, la succession des images évoque les principales étapes de l'histoire évan- gélique en tant qu'événements de l'histoire du salut liés à l'incarnation et à la rédemption, que chaque célébration eucharistique renouvelle sacra- mentellement4. On y décèle aisément l'influence des commentaires symboliques, tels que la Protheoria de Nicolas d'Andida et YHistoria ecclesiastica, largement diffusés en Terre d'Otrante comme dans le reste du monde byzantin, qui voient dans la Divine Liturgie se dérouler la vie entière du Sauveur5.

Toutes ces peintures, à l'exception de deux figures de saints et d'une crucifixion dans la zone inférieure, y compris les scènes de l'annoncia- tion, de l'ascension et de la vision de Daniel avec l'Ancien des jours qui occupent le front de la paroi orientale surplombant l'abside, appartiennent au pinceau de peintres qui, à la charnière des XIVe et XVe siècles, véhiculèrent dans le Salento, sans doute à l'occasion du grand chantier que fut la décoration de l'imposante église franciscaine de S. Caterina à Galatina, les leçons et les expériences artistiques de l'Italie centrale et sep-

4 A. Grabar, On rouleau liturgique constantinopolitain et ses peintures, dans Dumbarton Oaks Papers, 8, 1954, p. 161-199; Id., Les sources des peintres byzantins des XIIIe et XIVe siècles, dans Cahiers archéologiques, 12, (1962), p. 351-380.

5 G. Millet, Recherches sur l'iconographie de l'Évangile aux XIVe, XVe et XVIe siècles, d'après les monuments de Mistra, de la Macédoine et du Mont Athos, Paris, 1916, p. 35-40; J. D. Stefanescu, L'illustration des liturgies dans l'art de Byzance et de l'Orient, Bruxelles, 1936, p. 41-44; Millet, La dalmatique du Vatican. Les élus, images et croyances, Paris, 1945, p. 38; H. J. Schulz, Die byzantinische Liturgie. Vom Werden ihrer Symbolgestalt, Fribourg-en-Brisgau, 1964, p. 118-162. Sur les textes des commentaires mystagogiques, voir F. E. Brightman, The Historia mysta- gogica and other Greek commentaries on the Byzantine liturgy, dans lournal of theological studies, 9, 1907-1908, p. 248-267, 387-397; R. Bornert, Les commentaires byzantins de la Divine Liturgie du VIIe au XVe siècle, (Archives de l'Orient chrétien, 9), Paris, 1966, surtout p. 178-180, au sujet des influences sur l'art byzantin; Id., L'anaphore dans la spiritualité liturgique de Byzance. Le témoignage des commentaires mystagogiques du VIIe au XVe siècle, dans Eucharisties d'Orient et d'Occident, {Lex Oraudi, 47), 2, Paris, 1970, p. 241-263. S. Dufrenne, Les programmes iconographiques des églises byzantines de Mistra, Paris, 1970, p. 49-62; pour ce qui est de la diffusion de ces commentaires en Terre d'Otrante, voir A. Jacob, On opuscule didactique otrantais sur la Liturgie eucharistique. L'adaptation en vers, faussement attribuée à Psellos, de la Protheoria de Nicolas d'Andida, dans Rivista di studi bizantini e neoellenici, n.s., 14-16, 1977-1979, p. 161-178.

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tentrionale, alors en vogue à la cour des Angevins de Naples6. En Terre d'Otrante, la diffusion de ce goût pour le gothique international est due principalement à la munificence de nobles et puissantes familles comme les princes angevins de Tarente et surtout, dans le cas présent, des Orsini del Balzo, alors comtes de Soleto et de Galatina7.

Toutefois, le décor absidial de S. Stefano, auquel il convient de rattacher celui de la niche ou absidiole de prothèse, occupe une place à part, aussi bien pour la forme que pour le fond. Nous avons démontré ailleurs comment, à notre avis, les peintures de l'abside, de la prothèse et des trois autres panneaux signalés plus haut, sont certainement l'œuvre d'un peintre local, traditionaliste et attardé, étranger aux nouveautés alors en circulation et qui, à S. Maria della Croce à Casaranello, exécuta la figure du pape Urbain V et aussi, en dépit des repeints maladroits qui l'ont passablement altérée, l'image de la Vierge à l'Enfant qui est actuellement placée derrière l'autel8. Aussi, malgré leur apparente diversité, les fresques de l'abside de S. Stefano sont à considérer comme contemporaines de l'ensemble, même si elles ont été au point de départ d'un programme pictural qui représente un tout organique et qui, en cours d'exécution, a pu faire l'objet de reprises dans le choix des artistes mais non point des thèmes envisagés. Elles ne peuvent donc pas être antérieures aux toutes dernières décades du XIVe siècle, époque vraisemblable de la construction de l'édifice comme de sa décoration picturale.

L'abside elle-même comprend deux zones : la conque avec la scène de la Pentecôte et, au niveau de la table d'autel encastrée dans la concavité de l'abside, cinq panneaux respectivement occupés par cinq figures de personnages représentés en pied (fig. 1).

Le personnage central est un jeune homme imberbe aux longs cheveux, auréolé du nimbe crucifère et assis, légèrement de trois quarts, devant un autel. Il signe de la main droite un calice et un discos ou patène, contenant un pain eucharistique. Au-dessus des oblats, un ange, de

6 F. Bologne, / pittori alla corte angioina di Napoli 1266-1414, Rome, 1969, p. 287-343; M. S. Calò Mariani, Pittura di età angioina in Puglia, Naples, 1979. Sur le chantier de S. Caterina à Galatina, outre Antonaci, Gli affreschi, passim, voir A. Putignani, II tempio di S. Caterina in Galatina, 2e éd., Galatina, 1968.

7 M. S. Calò Mariani, Note sulla pittura salentina del Quattrocento, dans Archivio storico pugliese, 32, 1-4, 1979, p. 139-164; M. Berger, S. Stefano di Soleto, p. 122-123.

8 A. Prandi, Pitture inedite di Casaranello, dans Rivista dell'Istituto nazionale d'archeologia e di Storia dell'arte, n.s., a. 10, 1961, p. 227-292. Cette étude a été publiée à peu près tel quel dans Paesi e figure del vecchio Salento, 1, p. 273-327 : voir sur l'argument, p. 279, 285-288, et M. Berger, S. Stefano di Soleto, p. 91, 123.

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Fig. 1 - Soleto. S. Stefano. Abside (photo M. B.).

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taille réduite, agite un rhipidion ou éventail liturgique. Une inscription grecque révèle l'identité de ce personnage : Σοφία ο λόγος του θ(εο)υ (fig. n° 2). Cependant, l'identification de cette image a donné lieu par le passé à quelque confusion. En effet, si C. De Giorgi, dans sa description des peintures de S. Stefano, y avait reconnu le Christ, Ch. Diehl y voyait un ange (sic) personnifiant «sans doute cet esprit de sagesse dont parle le prophète Isaïe, propriété première et essentielle de l'esprit divin»9. Il pensait à une sorte de figuration de l'Esprit Saint sous les traits mêmes de la Sagesse. Sans parler de l'interprétation théologique, la présence d'un ange sans ailes, même au XIIe ou XIIIe siècle comme croyait pouvoir le dater Ch. Diehl, a de quoi étonner sur une peinture médiévale.

De fait, le soi-disant ange sagesse de Soleto a fait son chemin. La plupart des auteurs qui ont signalé cette fresque, en se répétant les uns les autres, la rangèrent dans la catégorie des représentations de ce type iconographique. N. Pokrovskij, sur la foi de Diehl, parle des «ailes d'ange», mais il prend soin de préciser qu'il s'agit d'une image du Sauveur. Il écarte la référence à Isaïe et, en raison du contexte eucharistique évident, y voit une allusion à la Sagesse hospitalière du Livre des Proverbes, 9, 1- 2 10

Dans une étude sur le culte de la Sagesse en Russie et à Byzance, G. Florovskij range la Sagesse de Soleto parmi les figurations du «Christ Sagesse et Verbe» sous la forme de l'Ange du Grand Conseil11. Énumérant à son tour les exemples byzantins connus de la représentation de la Sagesse, A. Ammann écrit : « Im ' griechischen ' Einflussgebiet gibt es aus dem XII. bis XIII. Jahrhundert noch eine zweimalige 'Sophien-Engel' darstellung (allusion à la répétion de la même figure, dans une position identique, parmi les images de saints de la paroi méridionale) in einer kleinen dem hl. Stephanus geweihten Kirche in Soleto bei Lecce in Apu- lien. Beidesmal trägt der 'Engel' einen kreuzgeteilten Nimbus - das Zeichen der zweiten Person der Gottheit - und beidesmal ist die Bezeichnung hinzugefügt : Σοφία, ό λόγος θεού»12. Il est clair que l'auteur, faisant confiance à la description de Ch. Diehl, n'a probablement jamais vu la peinture de Soleto de ses propres yeux, et n'a certainement pas eu l'occasion d'en avoir une reproduction photographique.

9 Diehl, L'art byzantin dans l'Italie méridionale, p. 96. 10 Pokrovskij, Stennyja rospisi, 1, p. 31-32. 11 Florovskij, Ο pocitanij Sofij, 1, p. 491; Id., Christ the Wisdom of God,

p. 229-230. 12 Ammann, Darstellung und Deutung der Sophia, p. 144.

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Depuis lors, les représentations de la Sagesse divine dans l'art byzantin ont été l'objet d'études plus approfondies. En effet, le thème biblique de la Sagesse personnifiée est un de ceux qui nourrit depuis toujours l'Orthodoxie13. L'interprétation habituelle et historiquement la mieux fondée est celle qui identifie cette figure énigmatique au Fils de Dieu, le Verbe né du Père éternel. À Byzance, au XIVe siècle, les théologiens palamites ont vu dans la Sagesse l'énergie divine commune aux trois personnes de la Trinité, manifestée dans le Fils et communiquée par le Saint Esprit, par laquelle et dans laquelle Dieu créa l'univers H.

En dehors des figures allégoriques de la Sagesse sous l'allure d'une femme15 et des représentations du Christ historique dont l'incarnation est, en somme, une manifestation dynamique de la Sagesse divine16, c'est surtout à l'époque des Paléologues que les théophanies de l'Ancien Testament seront interprétées comme des apparitions du Logos sous l'aspect d'un ange, et donneront lieu à une iconographie dès lors assez répandue. Si la notion du Christ-Ange n'était pas neuve et avait toujours intéressé les Pères17, la tradition iconographique en était plutôt pauvre avant le XIIIe siècle. Dorénavant, les milieux humanistes et hésychastes byzantins auront un penchant pour des figurations de concepts bibliques, considérés comme des symboles ou des types des réalités du Nouveau Testament. C'est pourquoi la figure de l'Ange-Sagesse leur apparaîtra comme une image plus mystérieuse et bien plus symbolique que celle du Christ histo-

18 rique Avec la fresque de S. Clément d'Ochrid (1295) qui peut être considé

rée comme la doyenne de cette lignée d'images symboliques dans la pein-

13 A. Grabar, Iconographie de la Sagesse divine et de la Vierge, dans Cahiers archéologiques, 8, 1956, p. 255 sq. Le meilleur travail d'ensemble sur la question reste, à ce jour, celui de J. Meyendorff, L'iconographie de la Sagesse divine dans la tradition byzantine, dans Cahiers archéologiques, 10, 1959, p. 259-277.

14 M. Candal, Fuentes Palamiticas. Dialogo de Jorge Facrasi sobre el contradicto- rio de Palamas con Nicéforo Grégor as, dans Orientalia Christiana periodica, 16, 1950, p. 354, n° 25-35.

15 H. Omont, Peintures de l'Ancien Testament dans un manuscrit syriaque du VIIe ou du VIIIe siècle, dans Monuments et mémoires publiés par l'Académie des inscriptions et belles-lettres (Fondation Piot), 17, 1909, 1, p. 85-99.

16 A. Grabar, L'iconoclasme byzantin. Dossier archéologique, Paris, 1957, p. 234- 236.

17 J. Barbel, Christos- Angelos, Bonn, 1941; J. Daniélou, Trinité et angelologie dans la théologie judéo-chrétienne, dans Recherches de sciences religieuses, 45, 1957, p. 5-41 ; S. Der Nersessian, Note sur quelques images se rattachant au thème du Christ-Ange, dans Cahiers archéologiques, 13, 1962, p. 214.

18 Meyendorff, L'iconographie de la Sagesse divine, p. 269-270.

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ture byzantine des Balkans, c'est le type du Christ-Ange à l'auréole timbrée de la croix ou celui de l'Ange-Sagesse, dépourvu du nimbe crucifère comme à Gracanica (1321), qui prévaudra dans la représentation du banquet de la Sagesse, conçu comme une figure de l'Eucharistie instituée par le Verbe incarné 19.

Or à Soleto, nous ne sommes pas en présence de l'Ange-Sagesse ni même du Christ-Ange, ainsi que l'ont cru et répété tous ceux qui ont aveuglément suivi la description de Ch. Diehl. La figure du Christ qui se trouve dans l'abside de S. Stefano de Soleto est une image de la Sagesse divine personnifiée dans le Verbe, sous les traits du Logos en tant que Christus praeexistens et dont l'iconographie puise ses origines dans des documents paléochrétiens illustrant, par exemple, le thème de la création, comme sur le sarcophage n° 104 du Musée Pio cristiano au Vatican. Ce type iconographique est le même que celui du créateur de la Genèse de la célèbre bible de Cotton, conservée au British Museum et qui date du VIe siècle20. Ce sont les illustrations de cette bible grecque ou d'un manuscrit du même type, qui ont servi de modèles aux scènes de la création qui ornent les calottes du vestibule nord de S. Marc à Venise21. Ces mosaïques sont donc un témoignage du XIIIe siècle sur une tradition iconographique grecque du VIe siècle et probablement alexandrine.

Ce type paléochrétien du Christ, imberbe et éternellement jeune, est celui de la mosaïque d'Hosios David à Salonique (V-VP siècle). Au XIIe siècle, on retrouve le Logos de la vision des prophètes dans le narthex de l'église du monastère de Backovo et, au XIVe siècle, sur la fameuse icône dite de Poganovo22. Toujours en Bulgarie, un cycle consacré au thème symbolique de la Sagesse divine a été découvert dans l'oratoire de la tour de Khrelio (1334-1335), au monastère de Rila. Il s'agit d'une personnifica-

19 Ibid., p. 269 sq. 20 W. J. A. Visser, Die Entwicklung des Christusbildes in Literatur und Kunst in

der früchristlichen und frübyzantinischen Zeit, Bonn, 1934, p. 88. Sur la bible de Cotton, voir K. Weitzmann, Observations on the Cotton Genesis fragments, dans Later Classical and Medieval Studies in Honor of A. M. Friend, Princeton, 1955, p. 112-131; G. Bonner, The Cotton Genesis, dans British Museum Quarterly, 26, 1962, p. 22-25.

21 J. J. Tikkanen, Le rappresentazioni della Genesi in S. Marco a Venezia e la loro relazione con la Bibbia Cottoniana, dans Archivio storico dell'arte, 1, 1888, p. 212-223, 256-257, 348-368.

22 A. Xyngopoulos, Sur l'icone bilatérale de Poganovo, dans Cahiers archéologiques, 12, 1962, p. 341-350; A. Grabar, Les sources des peintres byzantins des XIII- XIVe siècles, 3. Nouvelles recherches sur l'icône bilatérale de Poganovo et sur les images des visions théophaniques dans le narthex, ibid., p. 363-366, 372-380.

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tion de la Sagesse sous les traits du Christ Logos praeexistens de la vision des prophètes et non du Christ-Ange, peinte dans la coupole de l'oratoire, entourée des dons du Saint-Esprit sous la forme de sept figures ailées. Tout autour, des groupes d'apôtres, de pontifes, de rois, de prophètes et de martyrs entourent une immense coupe disposée sur une table flanquée de deux archanges23. Cette image du Christ praeexistens se maintiendra dans la peinture d'icône russe du XVIe siècle, avec des compositions comme celles illustrant les sept jours de la semaine (sedmica) ou le Samedi de tous les Saints, parfois remplacée par celle du Christ-Ange, ainsi qu'il apparaît dans certaines illustrations de la création ou d'autres sujets plus ou moins complexes24. Signalons enfin une sépia sur papier, œuvre du peintre crétois Moschos, probablement de la fin du XVIIe siècle, qui représente la vision du prophète Isaïe : le Seigneur y est figuré sous les traits du Christ jeune, imberbe et avec de longs cheveux, assis au milieu de sept chœurs d'anges, des quatre vivants, de chérubins et de séraphins, dans la pose et le geste qui sont ceux du Logos de la mosaïque d'Hosios David et de l'icône de Poganovo25.

Selon ce type iconographique, le Verbe qui est la Sagesse, est donc représenté jeune, imberbe et la tête nimbée de l'auréole crucifère, sauf dans le cas de la coupole de la tour de Khrelio, où le personnage central se rapproche de la figure de la Sagesse, elle aussi sans ailes, de l'icône novgorodienne du XVe siècle conservée à la Galerie Tretyakov de Moscou26. Conformément à l'Écriture, le monde est l'œuvre de la Sagesse divine, qui est présentée par les livres sapientiaux comme une hypostase à côté de Yahweh et que le Nouveau Testament nous révélera comme la

23 K. Krästev, Srednovekovni stenopisi ν Hreliovata Kula na Rilskia monastir, dans Izvestia na institute za izobrazitelni izkustva pri BAN, 1, Sofia 1956, p. 181- 230; L. Praskov, Novootkriti freski ν Hreliovata kula na Rilskia monastir, dans Izkustvo, 2, 1968, p. 35. Voir aussi A. Boschkow, La peinture bulgare, Recklinghau- sen, 1974, p. 84, fig. 93-93a, et A. Tschilingirov, Christliche Kunst in Bulgarien (von der Spätantike bis zum Ausgang des Mittelalters) , Berlin, 1978, p. 68, fig. 135.

24 Ν. Scheffer, Days or the Week in Russian religious Art, dans Gazette des beaux-arts, s. 6, 28, 1945, p. 321-344.

25 Sur la mosaïque de Hosios David à Salonique, voir A. Xyngopoulos, To Καθολικον της Μονής του Λατόμου èv θεσσαλονίκη και εν αύτη ψηφιδωτόν, dans Άρχαιολογικόν Αελτίον, 12, 1929, ρ. 142 sq. ; S. Pelekanides, Παλαιοχριστιανικά μνημεία της Θεσσαλονίκης. Άχεφοποίητος, Μονή Λατόμου, Thessalonique, 1949, ρ. 6-68; Id., Gli affreschi paleocristiani ed i più antichi mosaici parietali di Salonic- co, (Università degli Studi di Bologna. Istituto di Antichità Ravennate e Bizantine, Quaderno n° 2) Ravenne, 1963, p. 47 sq. Sur l'icône de Moschos, voir M. Chadzida- kis - V. Djuric, Les icônes dans tes collections suisses, Genève, 1968, n° 110.

26 Meyendorff, L'Iconographie de la Sagesse divine, p. 274.

MEFRM 1982, 1. 9

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personne divine du Logos, selon le Prologue de S. Jean27. Dans cette perspective, une icône serbe, datée de 1330 environ, illustrant le baptême du Christ, relate la théophanie trinitaire de l'événement de la manière suivante : Jésus, dans le Jourdain, reçoit l'effusion du Saint Esprit que lui envoie la main divine du Père, tandis que des anges entrouvrent les portes du ciel pour laisser apparaître le Logos sous les traits du Christ Emmanuel28.

Fig. 2 - Soleto. S. Stefano. Détail de l'abside : Logos-Sophia, la Sagesse de Dieu, à l'autel (pho

to M. B.).

27 A. Grabar, L'iconographie du Dimanche principalement à Byzance, dans Le Dimanche (Lex Orandi, 39), Paris, 1965, p. 169-184 : il y est question du cycle de la création comme illustration du cycle hebdomadaire. Cf., supra, n. 24.

28 M. Tatic-Djuric, Ikona Hristovog Krstenja, dans Zbornik radova Narodnog muzeja, Belgrade, 1964, p. 267-281, fig. 1-5; Κ. Weitzmann, M. Chatzidakis, Κ. MiSTEV, S. Radojcic, Icônes, Belgrade, 1966, n° 175, fig. 67.

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Créateur, le Logos Sagesse est aussi dispensateur de la vie surnaturelle de la grâce (Jn. 1, 12). L'Écriture fait un rapprochement très net entre la Parole de Dieu et sa Sagesse, entre Logos et Sophia (Si., 1, 8). C'est donc le Logos-Sophia qui, à Soleto, propose la vérité, qui exige l'attention (Prov. 1 et 8) et qui invite à son festin : « Venez, nourrissez-vous de ma nourriture, buvez du vin que j'ai mélangé ...» (Prov. 9, 5). Comme à Decani (1348), par exemple, où l'Ange-Sagesse siège devant une table de marbre sur laquelle on voit, ainsi qu'à Ochrid, une coupe de vin et du pain, le Logos- Sophia de Soleto a une signification essentiellement eucharistique. Bien plus, la table est devenue un autel véritable où a lieu une vraie célébration, et les servantes de la Sagesse (Prov. 9, 3) sont remplacées par un ange serviteur qui tient un rhipidion en main.

Le peintre de Soleto n'a pas voulu montrer l'image de la réalité intelligible par le subterfuge de la vision d'un ange, c'est-à-dire d'un personnage symbolisant le Logos selon une des formules de la vision théophani- que, et encore moins de celle où c'est l'ange lui-même qui, auréolé du nimbe crucifère, est assimilé au Christ29. On sait combien cette conception était, en fait, contraire au principe établi par le canon 82 du concile in Trullo, qui récusait, après l'incarnation, la possibilité de recourir à des images symboliques. Aussi, à l'opposé de ces images de l'Ange-Sagesse, telles qu'elles voient le jour dans la peinture byzantine des XIII-XIVe siècles, la fresque de l'abside de S. Stefano à Soleto est celle d'une image descriptive du Christus praeexistens qui est Sagesse, Verbe, Emmanuel, tous noms divers d'une même personne, la seconde de la Trinité, le Fils. L'adolescent de Soleto est donc Emmanuel, qui nous apparaît imberbe, resplendissant de jeunesse, considéré surtout dans son origine divine : il est le Fils éternel qui est né dans la chair, bien sûr, mais qui conserve la rosée de «l'éternel matin». Logos-Sophia par qui tout a été fait, engendré dans l'éternité et montrant «l'éclat de la beauté originelle» (του αρχετύπου κάλλους την εύπρέπειαν) 30, «a tué ses bêtes, mélangé son vin et dressé sa table» (Prov. 9, 2).

Ce ne sont certainement pas les peintures des monastères serbes ou macédoniens qui ont servi de modèle à notre peintre de Terre d'Otrante. Le goût allégorisant des byzantins à l'époque de la renaissance des Paléo- logues n'est pas à l'origine immédiate de la fresque de Soleto. En insistant

29 Meyendorff, L'iconographie de la Sagesse divine, p. 269 sq. 30Idiomèles des vêpres de la Transfiguration, Menée d'août, Rome, 1901,

p. 334-335. À propos d'Emmanuel, voir Millet, La Dalmatique du Vatican, p. 61- 62.

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sur l'incogniscibilité et l'impénétrabilité de Dieu, tout en maintenant les possibilités propres et autonomes de l'intellect humain à connaître tout ce qui n'est pas Dieu, ceux-ci estimaient en effet que rien ne convenait mieux que le symbole pour aller de l'humain au divin31. Ce que nous pouvons savoir des programmes iconographiques byzantins dans le Salento ne permet pas de conclure que les milieux religieux grecs aient alors succombé à la tentation d'un tel symbolisme analytique et précieux. Par contre, en comparant la figure du Logos-Sophia de l'abside de S. Stefano avec celle du Logos créateur de la Bible de Cotton, comme nous l'a transmise la mosaïque déjà citée de S. Marc à Venise, on est plutôt frappé de la ressemblance qui existe entre les deux images. L'attitude est la même et il semblerait même que le peintre de Soleto, tout en omettant le sceptre crucifère que tient en main le Logos créateur de Venise, n'ait pas su imaginer une autre position à la main gauche du Logos-Sophia qui évoque irrésistiblement l'instrument absent sur la fresque de S. Stefano, (fig. 3).

Sans exclure de manière absolue un rapport de dépendance entre les mosaïques vénitiennes et la lointaine Soleto, il est plus probable que le Logos-Sophia de S. Stefano reflète quelque modèle archaïque du Christus praeexistens , connu en Terre d'Otrante par le biais de recueils de canons iconographiques et qu'on aurait alors adapté au thème de ce . . 32

Une étole sacerdotale, croisée sur la poitrine à la manière latine, ce qui n'est pas étonnant pour l'époque déjà tardive, nous rappelle que le Logos-Sophia est également prêtre, toujours selon les livres sapientiaux (Si., 24, 10-13), et que son service est une Liturgie33. Qu'il suffise de citer

31 Déjà à l'époque de la controverse sur les images, partisans et adversaires étaient parfaitement d'accord sur l'impossibilité de représenter Dieu en lui-même. Saint Jean Damascène écrivait en effet : « Si quelqu'un ose faire une image de la divinité immatérielle et incorporelle, nous le rejetons» {De Imaginibus oratio, III), PG, 99, col. 417 B-C). Le Logos lui-même, avant l'incarnation, ne pouvait donc être représenté : «S'il est bien l'image du Père, cette image ne peut cependant pas être matériellement reproduite» (Théodore Studite, Antirrheticus, III, PG, col. 417 B- C). « II est non seulement vain, mais stupide, de limiter spatialement le Verbe non incarné .... c'est là de l'idolâtrie» (Id., Rejutatio poematum iconomachorum, PG, 99, col. 457 D). Aussi les peintres auront-ils recours à des subterfuges tels que les visions des prophètes : A. Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne, Paris, 1979, p. 108-111.

32 Sur l'existence de canons iconographiques en Terre d'Otrante, voir infra, p. 135, n. 40.

33 P. Bonnard, La Sagesse en personne annoncée et venue, Jésus-Christ, Paris, 1966, p. 64, 72.

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Fig. 3 - Venise. Basilique Saint-Marc. Calotte du narthex. Détail du cycle de la Genèse : le Logos créateur (photo M. B.).

ici les passages les plus significatifs de la messe byzantine qui se réfèrent expressément au sacerdoce ministériel du Christ : σύ γαρ ει ό προσφέρων και προσφερόμενος34; ou encore: καταξίωσον τχ\ κραταιά σου χειρί μετα- δουναι ήμϊν του αχράντου σώματος σου και του αίματος . . . 35.

Enfin, il importe de prendre en considération la place de la figure du Logos-Sophia par rapport aux autres images de l'abside. En effet, il eut été parfaitement inconcevable à un byzantin d'outre-mer de peindre une image de la Sagesse, sous les traits du Christ-Ange ou de l'Ange-Sagesse, au centre de l'abside. Si à Byzance le thème central du décor de l'abside demeure strictement, christologique, il est réservé à des représentations du Christ soit dans sa présence charnelle sur la terre, soit dans sa présence eschatologique au ciel36. Nulle part, que ce soit à Ochrid, à Gracanica,

34 F. E. Brightman, Liturgies Eastern and Western, I : Eastern Liturgies, Oxford, 1896, p. 378, 5.

35 Ibid., p. 392, 30. 36 C. Walter, La place des évêques dans le décor des absides byzantines, dans

Revue de l'art, 24, 1974, p. 81-82.

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à l'église du monastère de Marko, à Decani ou dans l'oratoire de la tour de Khrelio à Rila, pour ne citer que des exemples parmi les plus connus, l'image symbolique de la Sagesse occupe une telle place, mais bien les murs, les voûtes ou même les calottes des coupoles du narthex ou des chapelles annexes, parmi d'autres figures symboliques et typologiques de l'Ancien Testament37. Le bêma de l'église de Zarzma en Géorgie, du milieu du XIVe siècle, sur les parois duquel on trouve l'Échelle de Jacob, le Buisson Ardent, la Divine Liturgie et la «Sagesse qui s'est bâti un temple» (JProv. 9), ne fait exception à la règle. Il s'agit de la voûte du bêma et non de la paroi absidiale. Ce qui, compte tenu du caractère périphérique de la région où ont été exécutées ces peintures, ne fait que confirmer la règle scrupuleusement observée par les peintres byzantins, y compris les plus provinciaux38.

De part et d'autre du Logos-Sophia, des saints évêques occupent les quatre autres panneaux de l'abside. Au lieu d'être représentés frontale- ment, ils sont inclinés vers le centre de l'abside et prennent ainsi part à l'action liturgique, présidée par le Logos-Sophia. Ils tiennent en main un cartel avec le début de l'une des prières récitées par le célébrant au cours de la Divine Liturgie39. Seuls les deux saints évêques les plus proches du

37 En ce qui concerne Ochrid, voir R. Hamann-Mac Lean et H. Hallensleben, Die Monumentalmalerei in Serbien und Makedonien vom 11. bis zum frühenl4. Jahrhundert, dans Marburger Abhandlungen zur Geschichte und Kultur Osteuropas, 3-5, 1963, fig. 173, pi. 20e et 179, pi. 20k; Meyendorff, L'iconographie de la Sagesse divine, p. 271 sq., fig. 7, 8 et 9.

38 Ν. I. TOLMACEVSKAJA, Freski drevnej Gruzii, Tiflis, 1931, p. 22-23. 39 C. Walter, La place des évêques, p. 85. Voir aussi, sur la place des évêques

dans le décor absidial, A. Grabar, Les peintures murales dans le chœur de Sainte- Sophie d'Ochrid, dans Cahiers archéologiques , 15, 1965, p. 257-263, particulièrement p. 259; D. Djuric, Fresques du monastère de Veljusa, dans Akten des XL Internationalen Byzantinisten-Kongresses-München 1958, (hrsg. von Franz Dölger und Hans-Georg Beck), Munich, 1958, p. 113 sq. On sait que depuis le XIe siècle, les peintres byzantins manifestaient un intérêt accru pour la figuration des thèmes liturgiques. Cet intérêt augmente à l'époque des querelles théologiques et liturgiques au XIIe siècle : à ce sujet, voir G. Babic, Les discussions christologiques et le décor des églises byzantines au XIIe siècle, Les évêques officiant devant l'Hétimasie et devant l'Amnos, dans Frühmittelalterliche Studien 2, 1968, p. 368-386. Dufrenne, Les programmes iconographiques, p. 26-27.

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Christ, Sagesse et Verbe de Dieu, sont assez bien conservés ainsi que les inscriptions liturgiques de leurs cartels. Des deux autres, situés à chaque extrémité de l'abside, nous avons la chance de lire le texte des prières qu'ils récitent malgré le mauvais état de conservation de la peinture. Seul saint Jean Chrysostome est parfaitement identifiable, accompagné du sigle S(anctus). ΙΩ (άννης) où sont mêlés le latin et le grec, phénomène assez fréquent sur les fresques byzantinisantes de la Pouille au XIVe siècle. Traditionnellement représenté d'allure plutôt jeune, maigre et avec peu de barbe, le saint Jean Chrysostome de Soleto est tout à fait conforme à la description qu'en fait le Laurentianus 5, 10, (f. 218v-219r) document salentin du début du XIVe siècle, qui contient des canons iconographiques selon lesquels devaient être représentés les saints Denis, Chrysostome, Basile, Grégoire le Théologien, Athanase et Cyrille, ainsi que les apôtres Pierre et Paul40. On note que lui seul, parmi les pontifes byzantins de l'abside de S. Stefano, est revêtu du polystavrion ou chasuble episcopale à croix noires. Ce détail doit être souligné alors que l'évêque qui lui fait pendant a un phélonion ou chasuble dont l'étoffe est parsemée de grenades, imitant les damas alors en vogue en Italie. Autre détail qui indique bien l'époque tardive de l'exécution de ces peintures est l'omophorion episcopal qui, au lieu d'être replié à angle droit sur la poitrine à la façon d'une écharpe, a ici la forme fourchue du pallium latin médiéval, qui se compose d'une seule pièce circulaire munie de deux appendices41. Bien plus, au lieu de l'omophorion blanc à croix noires ou pourpres, saint Jean Chrysostome en porte un de couleur rouge sombre. Toutes ces anomalies vestimentaires, l'inexactitude avec laquelle est représenté l'épigonation en forme de mappa ou d'encheirion qui semble pendre au poignet, sont des indices qui peuvent laisser supposer que le peintre de Soleto se référait à des descriptions ou à des canons iconographiques plus anciens, mais dont il n'avait peut-être pas toujours les modèles en image sous les yeux. Ce qui expliquerait aussi le mélange d'archaïsmes, voire d'anachronismes, et

40 J. N. Sola, De codice Laurentiano X plutei V, dans Byzantinische Zeitschrift, 20, 1911, p. 373-383; les références données à ce sujet par A. O. Parlangeli, II monastero di S. Nicola di Casole, centro di cultura bizantina in Terra d'Otranto, dans Bollettino della badia greca di Grottaf errata, 5, 1951, p. 30-43, sont erronées.

41 Un tel omophorion se retrouve sur une icône du Sinaï, œuvre des milieux italo-grecs du XIIIe siècle, et représentant divers saints dont un saint Martin, portant un «.omophorion de forme latine»: G. et M. Sotiriou, Icônes du Mont Sinaï, Athènes 1956-1958, 1, fig. 202, et 2, p. 182. Cette forme est fréquente sur les peintures murales byzantines d'Italie méridionale.

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d'emprunts maladroits aux modes et aux usages latins contemporains aisément décelables42.

Sur le cartel de l'évêque qui fait face à saint Jean Chrysostome, à la place qui est habituellement celle de saint Basile mais dont les traits ne sont pas ici ceux que l'iconographie traditionnelle attribue au grand Cap- padocien, on lit le texte suivant : Δέσπο/τα κ(ύρι)ε ό/ θ(εο)ς καί [πατήρ του κυρίου] ήμώ/ν Ί(ησο)υ Χ(ριστο)ΰ ... Il s'agit du début de la prière italo- grecque de vêture que le prêtre récitait comme préparation avant la Divine Liturgie. La formule, avec son incipit caractéristique, se retrouve dans la plupart des euchologes otrantais du XIIe au XVIe siècles43. Le pontife placé derrière le précédent et dont les restes du crâne dégarni ne permettent pas une meilleure identification, tient en main le texte, tout à fait insolite à cette époque, de l'ancienne prière italo-grecque, d'origine égyptienne, du Trisagion et dont la peinture de Soleto est le seul document otrantais connu :'Άγιε των/ άγιων ό/ θ(εο)ς ήμ/ών . . .44 (fig. 4 et 5).

42 Cette maladresse dans la disposition des attributs pontificaux dénote bien une époque tardive. Si le peintre de l'abside a tant bien que mal réussi à suivre les indications des anciens canons iconographiques qu'il avait sous la main, celui des parois latérales de S. Stefano s'est tout simplement inspiré de la réalité contemporaine pour représenter les saints évêques, comme, par exemple, saint Nicolas qu'il a cependant figuré tête nue, bénissant à la grecque, mais vêtu selon les usages latins. Depuis environ le XIIIe siècle, il semblerait que les Italo-grecs aient commencé à adopter, plus ou moins complètement, les vêtements liturgiques latins : A. Rocchi, La Badia di Grottaf errata, Rome, 1884, p. 74. On rapprochera ces particularités vestimentaires des saints évêques de Soleto de l'image de saint Barthélémy le Jeune qui se trouve dans le Crypt. Β.β. Il (430), f . 1 1 qui porte curieusement un polystavrion episcopal et dont \' encheirion de forme antique semble également lui pendre au poignet : G. Giov anelli, Βίος καί πολιτεία του 'Οσίου Πατρός ημών Νείλου του Νέου, Grottaf errata, 1972, p. 48, pi. hors-texte. Sur cette question, voir Ν. Thierry, Le costume episcopal byzantin du IXe au XIIIe siècle d'après les peintures datées (miniatures, fresques), dans Revue des études byzantines, 24, (1966), p. 308-315; et aussi T. Papas, Studien, zur Geschichte der Messgewänder im byzantinischen Ritus, dans Miscellanea Byzantina Monacensia, 3, Munich, 1965 : pour Yomophorion, p. 212-250, et pour Y encheirion, p. 131, 133-135, 148-153.

43 A. Jacob, La traduction de la Liturgie de saint Basile par Nicolas d'Otrante, dans Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 38, 1967, p. 56-57. Le texte grec de la prière est dans R. Engdahl, Beiträge zur Kenntnis der byzantinischen Liturgie. Texte und Studien {Neue Studien zur Geschichte der Theologie und der Kirche, hrsg. von N. Bonwetsch und R. Seeberg, 5), Berlin, 1908, p. I ; A. Jacob, Fragments peu connus d'éuchologes otrantais, dans Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 42, 1972, p. 103.

44 Texte dans Brightman, Eastern Liturgies, p. 313-314; A. Jacob, L'evoluzione dei libri liturgici bizantini in Calabria e in Sicilia dall'VIII al XVI secolo, con particolare riguardo ai riti eucaristici, dans Calabria bizantina, Vita religiosa e strutture

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Fig. 4 - Soleto. S. Stefano. Détail de l'abside : deux saints évêques avec les prières de la vêture et du Trisagion (photo L. D. - Α.).

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À gauche du Logos-Sophia, saint Jean Chrysostome récite la prière du Chérubicon, généralement assignée à saint Basile : Ουδείς /άξιος τω/ν συνδε/δεμέ/νων τα/ΐς σαρκι/καΐς έπι[θυμίαις] . . .45. À la suite de Chrysostome, un saint évêque anonyme mais à la longue barbe grise déploie un

ν *-

Fig. 5 - Soleto. S. Stefano. Détail de l'abside prière du Trisagion (photo M. B.).

cartel où se lit l'inscription suivante : Ό θ(εο)ς ό μέ/γας και/ αίνετο/ς ό τώ ζω/οποιω/ του Χ(ριστο)ϋ/ σου . . .46. Ce texte ne présente aucune difficulté

amministrative, (Atti del primo e secondo Incontro di studi bizantini), Reggio Calabria, 1974, p. 55-58 et n. 26; encore sur l'origine égyptienne, voire sinaïtique, de la prière : Id., Testimonianze bizantine nel Basso Salento, dans // Basso Salento. Ricerche di storia sociale e religiosa, a cura di S. Palese, (Società e Religione, 1), Galati- na, 1982, p. 59-60.

45 Texte dans Brightman, Eastern Liturgies, p. 318, 377. "Ibid., p. 347.

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si ce n'est qu'il n'est pas couramment utilisé parmi les inscriptions de prières liturgiques habituellement choisies pour les cartels des saints évê- ques. Il s'agit du début de la première prière des fidèles de la Liturgie des Présanctifiés, dont l'attribution a beaucoup varié au cours des siècles47. Le célèbre higoumène de S. Nicolas de Casole, Nectaire, l'attribuait à saint Basile48. Le sigle A pour ό άγιος est tout ce qui subsiste du nom qui était jadis inscrit auprès de la figure du saint (fig. 6).

Cette série d'incipit de prières sacerdotales de la messe entre les mains des saints évêques est, en soi, chose normale dans une abside byzantine de cette période49. À Soleto, toutefois, le choix des prières mérite une attention particulière. En effet, s'il ne semble pas que, lors de l'apparition et de la diffusion du thème iconographique de la concélébration des saints évêques à partir du XIIe siècle, une préférence ait été marquée dans l'assignation des prières respectives à chacun d'eux, l'usage prévaudra cependant de réserver celle de la prothèse à saint Jean Chrysostome et celle du Chérubicon à saint Basile50. En Italie méridionale, la prière sacerdotale du Chérubicon est assignée par deux fois à saint Jean Chrysostome, sur des peintures déjà tardives comme celles de l'abside de S. Stefano à Soleto en Terre d'Otrante, et celles, ou plutôt ce qu'il en reste, de l'abside de la petite église de la Panagia à Rossano en Calabre51. Pour la zone salentine qui nous intéresse, une seule fois saint Basile récite la prière du Chérubicon et c'est dans l'abside de la chapelle de l'Assunta à Botrugno : Ούδεις/ άξιος των/ συνδεδε/μένον ταις/ σαρκικαΐς/ έπιθυμίαις/

47 D. Ν. Moraïtis, Ή Λειτουργία των Προηγιασμένων, Thessalonique, 1955, ρ. 23-26.

48 Dans une lettre adressée au clergé de Nardo et probablement rédigée à Otrante (1235-1236), Georges Bardanès, métropolite de Corfou et ami de l'abbé de Casole, attribue, lui aussi, la paternité de la Liturgie des Présanctifiés à Basile : J. M. Hoeck-R. Loenertz, Nikolaos-Nektarios von Otranto, Abt von Casole. Beiträge zur Geschichte der ost-w estlichen Beziehungen unter Innozenz HL und Friedrich II. (Studia patristica et byzantina, 11), Ettal, 1965, n° 17, p. 208, 45-55.

49 G. Babic, Les discussions christologiques, passim ; Ç. Walter, La place des évêques, p. 84 sq.

50 G. Babic et C. Walter, The inscriptions upon liturgical rolls in byzantine apse decoration, dans Revue des études byzantines, 34, 1976, p. 269-280, particulièrement p. 279.

51 Reproduction de la fresque dans M. Rotili, Arte bizantina in Calabria e in Basilicata, Cava dei Tirreni, 1980, p. 158, et pi. 58. Le texte du cartel de saint Jean Chrysostome se lit comme suit : f Ουδις αξιος/τών σινδε/(δε)μένων τ/αις σα(ρ)κι/- καις έπιθυ/μιαις και [ήδ]ωναις.

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•«U-.

Fig. 6 - Soleto. S. Stefano. Détail de l'abside : saint Jean Chrysostome et un autre saint évêque avec la prière du Chérubicon et la première prière des fidèles de la

Liturgie des Présanctifiés (photo L. D.-A).

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και ήδοναΐς/ προσέρχεσθαι/ [ή προ]σεγγίζειν . . .52 (fig. 7). Par contre, toujours à Botrugno, saint Jean Chrysostome qui lui fait face a sur son cartel le début de la prière de l'ambon : Ό εύ[λο]γών τους εύλο/γοϋντάς/ [σ]ε κ(ύρι)ε και/ άγιάζων/ πάντας τους έπί σοί/ πε[ποι]θότας . . .". (fig. 8).

Les deux évêques de la chapelle de Botrugno sont à rapprocher de certaines icônes murales de l'église de S. Giovanni Evangelista à San Ce-

Fig. 7 - Botrugno. Chapelle de l'Assunta. Détail de l'abside : cartel de saint Basile avec la

prière du Chérubicon (photo L. D.-A.).

52 Brightman, Eastern Liturgies, p. 318, 377. Les inscriptions de Botrugno ont été publiées par De Giorgi, La provincia di Lecce, 2, p. 85 et par Medea, Gli affreschi delle cripte, 1, p. 243-244. On notera le mot πάντας, qui ne figure pas dans le texte reçu et qui semble avoir été ajouté de la même main au-dessus de l'article τους. De Giorgi, op. cit., lisait τους παΐδας έπί σοί . . . (sic).

53 Brightman, Eastern Liturgies, p. 397.

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sario di Lecce, et peuvent être datés du milieu du XIVe siècle54. Si à S. Mauro de Gallipoli, était encore nettement visible, voici environ vingt ans, la majestueuse figure d'un saint Basile revêtu du polystavrion et aujourd'hui presque entièrement effacé, les autres saints évêques de l'abside à demi enterrée, rongée par l'humidité et saccagée par le vandalisme

s Fig. 8 - Botrugno. Chapelle de l'Assunta. Détail de l'abside : cartel de saint Jean Chrysosto- me avec la prière de l'ambon (photo L. D.-A.).

54 Sur l'église de S. Giovanni Evangelista, voir A. Cassiano, Chiesa di San Giovanni Evangelista, dans San Cesano di Lecce. Storia - Arte - Architettura, Galatina, 1981, p. 55-68; G. Passarelli, Le scritte di San Giovanni Evangelista a San Cesario, ibid, p. 71-78. Pour une interprétation correcte de l'inscription dédicatoire où il est fait mention du prêtre Nicolas, de la voisine cité de Sternatia, et de la date (1329), voir A. Jacob, Testimonianze bizantine, p. 64, et n. 73.

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de certains visiteurs, ont depuis longtemps disparu55. Le cartel de Basile comportait la prière du premier antiphone de l'enarxis, commune aux Liturgies de saint Jean Chrysostome et de saint Basile : Κ(ύρι)ε ό θ(εο)ς ή/μών ού το κρά/τος άνείκα/στον και ή /δόξα άκα/τάλιπτος /ου το έλεος . . .56.

À S. Salvatore, autre petite église monastique du territoire de Galli- poli, les peintures de l'abside sont elles aussi plus ou moins contemporaines de celles de S. Mauro, c'est-à-dire de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle. On y peut voir une série de quatre saints évêques, dont trois sont encore facilement identifiables. Les inscriptions de leurs cartels respectifs, comme celui du saint Basile de l'abside de S. Mauro, viennent de faire l'objet d'une récente publication57. Cependant, nous estimons pouvoir revenir sur l'argument, la lecture des cartels aussi bien que la description des peintures n'étant pas satisfaisantes. À sa place habituelle, en tête de la file de gauche, saint Basile tient en main un cartel avec le début de la première prière pour les fidèles de la Liturgie à lui attribuée : Σύ Κ(ύρι)ε κ[α]/τέδειξας/ ήμίν το μέ/γα τούτο της/ σ(ωτη)ρίας μυ/στήριον . . . 58. Derrière lui, saint Grégoire le Théologien est représenté avec la prière du second antiphone, commune aux Liturgies de Chrysostome et de Basile : Κ(ύρι)ε ό θ(εο)ς/ ημών/ σώσον τον/ λαόν σου/ και εύλό/γισον την . . . 59. Face à ces derniers, lui aussi incliné vers le centre de l'abside, saint Jean Chrysostome récite la prière de la prothèse, introduite

55 Sur les fresques de Gallipoli, voir V. Pace, La pittura delle origini in Puglia (secc. IX-XIV), dans La Puglia fra Bisanzio e l'Occidente, (Civiltà e cultura in Puglia, 2), Milan, 1980, p. 394-397; M. Falla Castelfranchi, Gli affreschi della Chiesa di San Mauro presso Gallipoli. Note preliminari, dans Byzantion, 51, 1981, p. 159-168. Comme le fait observer cet auteur, de la décoration de la zone inférieure de l'abside qui comprenait jadis quatre saints évêques en concélébration, il ne reste aujourd'hui que des traces informes d'un saint Basile, dont les traits et l'inscription du cartel étaient bien visibles lors de la photographie faite, il y a déjà bien des années, par M. Giovanni Guido de Lecce. Récemment, M. G. Passarelli a cru lire le début de la même prière du premier antiphone, récitée par saint Basile, sur le cartel du saint Jean Ohrysostome correspondant et actuellement complètement détruit. Il est étonnant que les quelques maigres fragments de lettres qui subsistent du cartel de l'évêque disparu se réfèrent à la même prière, et, qui plus est, dans une même abside : G. Passarelli, Alcune iscrizioni bizantine dell'Italia meridionale, dans Bolletino della Badia Greca di Grottaf errata, n. s., 35, (1981), p. 19.

56 Brightman, Eastern Liturgies, p. 364. 57 Passarelli, Alcune iscrizioni, p. 26-28. 58 Brightman, Eastern Liturgies, p. 400. 59 Ibid., p. 366.

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de façon inhabituelle : Κ(ύρι)ε ό Θ(εο)ς ή/μων ό το/(ν) ούράνοι[ον] άρ- τον . . . 60. Vient ensuite un autre évêque, très détérioré, avec la prière du premier antiphone, déjà signalée à S. Mauro : Κ(ύρι)ε ό Θ(εο)ς ή/μών ου/ το κράτος ά/νίκαστο/ν [και ή] δόξα61.

À simple titre d'indication et pour donner un répertoire aussi complet que possible des inscriptions liturgiques des cartels des saints évê- ques en Italie méridionale, il conviendrait d'ajouter, outre la prière du Chérubicon du saint Jean Chrysostome de l'église de la Panagia à Rossa- no, les vestiges de fresques qui décoraient l'abside de l'église du monastère de S. Angelo au Mont Raparo, en Basilicate, eux aussi datés généralement du XIVe siècle62. Des saints évêques en concélébration y étaient également représentés avec leurs cartels où l'on pouvait reconnaître la prière de l'entrée : Δέσπο/τα Κ(ύρι)ε ό/ θ(εο)ς ημών/ ό κατα/στίσας/ έν ούρα/ νοΐς τά/γμ[ατα] 63 ; un autre évêque récitait la prière du Trisagion : Ό θ(εο)ς ό ά/γιος ό έ/ν άγίοι/ς άναπ/α[υόμενος] . . . 64.

Dans le cas de Soleto, les prières de la vêture, du Trisagion, la première prière des fidèles de la Liturgie des Présanctifiés et celle du Chérubicon correspondent à quatre moments successifs de la célébration, mais

60 Ibid., p. 360-361. On aura remarqué que la prière de la prothèse est ici introduite par κύριε ό θεός ημών, au lieu de la formule habituelle ό θεός ό θεός ημών qu'aurait lue M. Passarelli, op. cit., p. 28.

61 Brightman, Eastern Liturgies, p. 364. Ici, quoi qu'en dise M. Passarelli, la lecture du début de la prière du premier antiphone est encore aisée. Sans doute l'auteur a-t-il interverti les textes des inscriptions relevées puisque, au lieu de la prière du premier antiphone de l'abside de S. Salvatore, attribuée arbitrairement au Chrysostome de S. Mauro, il s'est contenté de reporter un incipit qui n'est autre que celui de la prière de la prothèse récitée par le Chrysostome de S. Salvatore (voir supra, n. 55 et 60), privant ainsi le saint évêque, anjourd'hui anonyme, de l'abside de S. Salvatore du début de la prière qui est encore parfaitement lisible. Sur les fresques de S. Salvatore, voir une description sommaire dans V. Pace, La pittura delle origini, p. 397-398; et aussi G. Robinson, Some cave Chapels of Southern Italy, dans Journal of Hellenic Studies, 50, 1930, p. 203; A. Medea, Gli affreschi delle cripte, 1, p. 244-247. Les arguments d'ordre morphologique concernant les inscriptions des cartels des saints évêques, à S. Mauro et à S. Salvatore de Gallipoli, ne suffisent pas, à notre avis, à infirmer la validité de l'opinion qui voit dans les fresques de ces deux églises l'expression, d'un courant pictural byzantin alors assez nouveau et de qualité dans le Salento du moment : cf. Passarelli, Alcune iscrizioni, p. 30-31.

62 Sur ce qu'était cette très intéressante église, voir É. Bertaux, L'art dans l'Italie méridionale, 1, p. 122-124 et fig. 44; S. M. Bals, Sant'Angelo al Monte Raparo - Basilicate, dans Ephemeris Dacoromana, 5, 1932, p. 35-56, surtout p. 48 et fig. 4; M. Rotili, Arte bizantina in Calabria, p. 117-118, fig. 30 a-b.

63 Brightman, Eastern Liturgies, p. 368. 64 Ibid., p. 369.

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dont les formulaires furent choisis selon un critère qui nous échappe, surtout en ce qui concerne la prière du Trisagion.

Le cul-de-four de l'abside de S. Stefano est occupé par une représentation de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres qui est fort originale (fig. 1). La scène se déploie devant les murailles crénelées d'une ville fortifiée, Jérusalem, aux pieds desquelles sont assis les douze apôtres, côte à côte et disposés sur un même plan. Au milieu d'eux, et légèrement surélevée, la Vierge Marie se détache sur la tour carrée qui marque le centre de la muraille ou la porte de la cité sainte. Marie a les mains jointes, le visage légèment tourné vers la droite en signe de recueillement et d'attention.

Fig. 9 - Solete S. Stefano. Abside. Détail de la Pentecôte : Marie entourée par les apôtres Pierre et Jean (photo M. B.).

MEFRM 1982, 1. 10

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Comme les douze apôtres, elle a la tête auréolée du même nimbe au contour perlé, qui est commun à tous les autres personnages de l'abside. Sous les créneaux de la tour ou de la porte fortifiée, on peut lire les sigles traditionnels MP ΘΥ sur le gris de la muraille (fig. 9).

De part et d'autre de la Vierge, on reconnaît aisément certains apôtres soit à leur iconographie habituelle, soit aux sigles qui timbrent leur auréole. À droite de Marie, saint Pierre est facilement identifiable à son front bas, ses cheveux bouclés et sa barbe arrondie (fig. 9). De l'index de

Fig. 10 - Soleto. S. Stefano. Abside. Détail de la Pentecôte : six apôtres avec les articles du Symbole des Apôtres (photo L. D.-A.).

la main droite, il désigne le texte du cartel qu'il tient en main comme tous ses collègues. Derrière Pierre, figure certainement André, reconnaissable à sa chevelure hirsute, et Jacques au visage juvénile et à la barbe naissante (fig. 11). Saint Jean le Théologien est assis à gauche de la Vierge, avec l'auréole frappée du sigle ΙΩ[άννης]. Son voisin immédiat est jeune, à la barbe et à la chevelure brunes assez fournies (fig. 10) : le sigle inscrit sur son auréole MA laisse supposer qu'il s'agit vraisemblablement de l'apôtre

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Mathias. Seuls les noms de ces deux apôtres nous ont été conservés. Outre ceux individualisés par leur iconographie traditionnelle, les autres apôtres sont presque totalement effacés tandis que la plupart des cartels que chacun d'eux tient en main et qui portent les douze articles du Symbole des Apôtres traduit en grec, sont encore visibles.

Il n'est certes pas commun de rencontrer ce symbole de foi occidental, ancien symbole baptismal de l'Église de Rome, transcrit en langue grecque sur les murs d'une église byzantine du Moyen Âge, fût-elle italo- grecque et d'époque tardive. Le texte de ce Symbole des Apôtres, ainsi que les problèmes qu'il soulève, seront pris en considération un peu plus loin. Remarquons aussitôt que Ch. Diehl s'était quelque peu mépris, là encore, sur l'interprétation de cette scène en renvoyant au Guide de la peinture où il est, en fait, question de l'illustration de chacun des articles

Fig. 1 1 - Soleto. S. Stefano. Abside. Détail de la Pentecôte : groupe d'apôtres avec les articles du Symbole (Photo M. B.).

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du Symbole de foi de Nicée-Constantinople et pas même de son éventuelle transcription65.

Au-dessus de Marie et des apôtres réunis, plane la colombe du Saint- Esprit dont le bec émet des rubans de feu qui rejoignent la bouche de chacun des apôtres. La colombe est en vol, la tête entourée de l'auréole crucifère. Mais ce qui confère à cette venue du Saint-Esprit sur les apôtres un intérêt tout particulier, est la scène qui domine le tout et d'où provient l'Esprit Saint lui-même. D'un segment de ciel en forme de demi- cercle, se détache une figure de vieillard à la barbe et aux longs cheveux blancs, également vêtu de blanc. Sur son sein, un personnage de proportion réduite apparaît, lui aussi en buste comme le vieillard. Tous deux ont l'auréole crucifère, bien que celle du vieillard soit très abrasée. Nous sommes en présence d'une image de la Trinité : le Père et le Fils ensemble, de leurs bras tendus à l'extérieur de la sphère céleste, envoient le Saint- Esprit sur les douze apôtres (fig. 12).

L'iconographie du Père est ici celle de YAntiquus Dierum, titre par ailleurs attribué au Fils comme étant un des aspects divins de Jésus66. Ch. Diehl aurait lu l'inscription grecque désignant précisément le Père comme : [ό παλαιός των] ήμερων, ce dernier mot étant alors seul lisible. Bien qu'A. Guillou fasse sienne cette lecture, il ne reste actuellement nulle trace de cette inscription67. En revanche, en haut et à la gauche du Père, on lit encore l'épithète "Αγιον, ce qui permet de supposer que l'image de la Trinité était en fait accompagnée de la légende qui se trouve normalement sur ce type de représentation, à savoir : ό Πατήρ, ό Υιός και το "Αγιον Πνεύμα.

De chaque côté de la Trinité, deux anges vêtus de blanc et respectueusement inclinés tiennent un cierge d'une main et balancent un encensoir de l'autre. Leur état de conservation est déplorable, les extrémités de la cavité absidiale ayant particulièrement souffert.

65 Diehl, L'art byzantin dans l'Italie méridionale, p. 100, n. 1. A vrai dire, l'illustration des articles du Symbole de Nicée-Constantinople est peu répandue, car presque tous les thèmes qu'elle comporte sont, en général, représentés en relation avec la liturgie, sur les parois des églises dont ils forment en quelque sorte la trame iconographique. Le sujet est plus fréquent dans l'iconographie russe des XVIIe et XVIIIe siècles.

66 C. Capizzi, ΠΑΝΤΟΚΡΑΤΩΡ (Orientalia Christiana analecta, 170), Rome, 1964, p. 211; T. Velmans, L'Image de la Déisis dans les églises de Géorgie et dans celles d'autres régions du monde byzantin, dans Cahiers archéologiques, 29, 1980- 1981, p. 94-97.

67 Diehl, L'art byzantin dans l'Italie méridionale, p. 100; A. Guillou, Art et religion dans l'Italie grecque médiévale, p. 741.

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Dans sa description des peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto, Ch. Diehl estimait que la manière dont y était représentée la Trinité était déjà un indice assez précis de l'époque de son exécution qui remonterait ainsi, selon lui, au XIIe ou au XIIIe siècle. Il ne pouvait être question d'une date postérieure68. Ce n'est pas le lieu de faire l'historique de ce

Fig. 12 - Soleto. S. Stefano. Abside. Détail de la Pentecôte : la Trinité, le Père et le Fils en

voyant le Saint-Esprit (photo M. B.).

mode de représentation de la Trinité. Mentionnons toutefois une miniature de la deuxième moitié du XIIe siècle, conservée à la Bibliothèque nationale de Vienne, dans le cod. Suppl. gr. 52, f. lv69. Sur cette miniature, la

68 Diehl, L'art byzantin en Italie méridionale, p. 100. 69 À cause de la ressemblance de cette miniature avec la représentation de la

Trinité de l'arc triomphal de l'église du monastère de Grottaferrata, dans le

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Trinité est inscrite dans un cercle, les trois personnes étant disposées sur un vaste trône au-dessus duquel on lit encore l'expression Παλαιός των ήμερων. Le Père, vieillard chenu, tient sur ses genoux son Fils Jésus, de taille réduite mais représenté toutefois avec les traits d'un adulte à barbe et cheveux longs, exactement comme à Soleto. C'est le Fils qui tient dans ses mains la colombe du Saint-Esprit. Si l'origine italo-grecque de ce manuscrit a pu faire l'objet de discussions, un autre témoin italo-grec de cette image de la Trinité se trouve dans l'église du monastère de Grotta- ferrata, près de Rome. Sur l'arc triomphal, au-dessus d'une mosaïque de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres70, une fresque du XIIIe siècle reprend ce thème trinitaire du manuscrit de Vienne. Au centre d'une vaste mandorle, la Trinité est adorée par le chœur des anges, comme sur la miniature précédente. Le Père est assis sur un trône, serrant le Fils sur son sein. Celui-ci est également adulte et de taille réduite. L'Esprit Saint, en forme de colombe, repose à son tour sur le sein du Christ qui le serre lui-même dans ses mains. L'expression [ή άγια] Τριάς est encore en partie visible. Des rayons lumineux partent de la colombe et rejoignent, à travers le ciel étoile de la scène inférieure en mosaïque, les rubans de feu qui se posent sur chacun des apôtres71.

Latium, certains ont voulu y voir une œuvre italo-grecque, exécutée précisément au scriptorium de ce monastère : H. Gerstinger, Die griechische Buchmalerei, Vienne, 1926, 1, p. 34-35, n. 275-276, p. 47, et 2, pi. 18. Voir aussi L'art byzantin, art européen. 9e exposition du conseil de l'Europe, Athènes, 1964, p. 307, n. 397 et bibliographie. Une telle origine du manuscrit est réfutée par M. Bonicatti, Aspetti dell'industria libraria medio-bizantina negli «scriptoria» italo-greci e considerazioni su alcuni manoscritti criptensi miniati, dans Atti del HI congresso internazionale di studi sull'Alto Medioevo, 1956, Spolète, 1959, p. 363-364. Enfin V. Lazarev, Storia della pittura bizantina, Turin, 1967, p. 260-261, n. 130, en fait un manuscrit décoré par un maître slave travaillant à l'Athos pour un monastère grec en Italie où on le trouverait dès le début du XIIIe siècle ...

70 Cette représentation de la Pentecôte est exécutée en mosaïque et serait de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle. La scène était donc, à l'origine, absolument indépendante de la fresque de la Trinité qui la surplombe et qui est postérieure. Cependant, on ne peut nier que l'auteur de cette dernière peinture ait intentionnellement voulu lier les deux sujets pour en faire un tout iconographique organique. Au sujet de la mosaïque de la Pentecôte, A. Baumstark, II mosaico degli Apostoli nella chiesa abbaziale di Grottaf errata, dans Oriens Christianus, 4, Rome, 1904, p. 121-150; C. Cecchelli, L'Etimasia Criptoferratense, Rome 1946, p. 19-21; G. Matthiae, / mosaici della badia di Grottaf errata, dans Rendiconti della Pontificia Accademia romana di archeologia, s. 3, 42, 1969-1970, p. 267-282.

71 Sur la fresque de la Trinité à Grottaferrata, voir G. Matthiae, Gli affreschi di Grottaferrata e un'ipotesi cavalliniana, Rome, 1970, p. 10-11. Selon A. Ammann, Pittura sacra bizantina, Rome, 1957, p. 94, le Père et le Fils «ambedue toccano il sim-

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Ces représentations italo-grecques sont à rapprocher de la fresque du narthex de l'église Koumpelidiki à Castoria que l'on date du XIIIe siècle et où le groupe statique des trois personnes divines est enfermé dans une mandorle étroite, une inscription grecque identifiant chacune des personnes72. Au cours du XIVe siècle, ce type iconographique, déjà connu en Russie avec une icône du XIIe siècle provenant du monastère Antoniyev à Novgorod, est illustré par une autre icône de l'école de Novgorod, aujourd'hui à la Galerie Tretyakov de Moscou. Sous la dénomination de Ote- cestvo, c'est-à-dire Paternité, ce type sera souvent reproduit, avec de légères variantes, au cours des siècles suivants73.

Quant à l'usage de considérer le Père comme l'Ancien des Jours et de le figurer comme tel, il apparaît déjà au IXe siècle dans le Paris, gr. 923, où il est représenté avec des cheveux blancs, en rapport direct avec le thème de l'éternité, d'après Daniel, 7, 1374.

Pour nous résumer, disons que la permanence de ce type iconographique de la Sainte Trinité, au moins depuis le XIIe siècle, ne permet pas

bolo dello Spirito Santo, cioè la colomba, con le loro mani : evidentemente un'allusione al dogma della processione dello Spirito Santo dal Padre e dal Figlio». Cependant, un examen attentif de la miniature de Vienne comme de la fresque de Grottaferrata démontre que c'est seulement le Fils qui touche de ses mains la colombe du Saint-Esprit, le Père posant sa main droite sur l'épaule du Christ et sa gauche sur le genoux de son Fils.

72 Description de la fresque de Castoria dans A. N. Orlandos, Ta Βυζαντινά μνημεία της Καστοριάς, dans Άρχεΐον Βυζαντινών μνημείων της 'Ελλάδος, 4, 1938, ρ. 132-133. À propos d'une interprétation théologique, voir P. Stephanou, Καστοριά : Une édition monumentale et une fresque restée inédite, dans Orientalia christia- na periodica, 19, 1953, p. 429-430, et S. Pelekanides, Βυζαντινά και μεταβυζαντινά μνημεία της Πρέσπας, dans Εταιρεία Μακεδόνικων Σπουδών, 35, 1960, ρ. 101, η. 262.

73 Description dans Β. Ι. Antonova et Ι. E. Mneva, Gosudarstvennaja Tretja- kovskaja galereja. Katalog drevnerusskoj zivopisi : I. XI - nacala XVI veka, Moscou, 1963, p. 94, n° 25, fig. 46; Κ. Onasch, Icone, Florence, s.d., n° 24; H. Gerstinger, Heber Herkunft und Entwicklung der anthropomorphen byzantinisch-slawischen Trinitätsdarstellungen des sogenannten Synthronoi - und Paternitas-Typus , dans Festschrift W. S. Sas-Zaloziecky zum 60. Geburtstag, Graz, 1956, p. 79-85.

74 A. Grabar, La représentation de l'Intelligible dans l'art byzantin du Moyen- Age, dans Actes du VIe congrès international d'études byzantines, Paris 1948, 2, Paris, 1951, p. 129-135. Là encore, comme dans le cas de l'image du Logos avant l'Incarnation, ainsi que nous l'avons vu plus haut, les artistes se heurtaient à l'impossibilité de représenter Dieu le Père lui-même. C'est alors qu'apparaissent des représentations symboliques de Dieu le Père, et le truchement de la figure de l'Ancien des Jours de la vision de Daniel.

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d'assigner à la peinture de Soleto une datation exclusive de toute autre, comme le voulait Ch. Diehl. Nous avons vu, par ailleurs, que l'image de la Trinité ne peut absolument pas être isolée de l'ensemble des peintures de l'abside, elles-mêmes contemporaines de l'entier programme pictural de S. Stefano. Une preuve supplémentaire de l'actualité de cette image, à la fin du XIVe siècle, dans le cœur même du Salento, se trouve sur la paroi gauche du collatéral méridional de l'église de S. Caterina à Galatina (fig. 13). Parmi les icônes murales qui revêtent cette paroi, on rencontre une réplique de l'image de la Trinité de Soleto : sur un fond rouge identique, se découpe le demi-cercle du ciel dans lequel prend place Dieu le Père comme Ancien des Jours, vêtu de blanc, qui a sur son sein un Christ adulte mais toujours à échelle réduite. Les bras tendus vers le bas, tous deux font le geste d'envoyer la colombe du Saint-Esprit sur les douze apô-

Fig. 13 - Galatina. S. Caterina. Collatéral sud: la Pentecôte (photo M. B.).

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très réunis autour de Marie et assis devant les murs et les tours crénelés de Jérusalem, exactement comme à S. Stefano. Sur le fond bleu du segment céleste se lit le sigle grec IC [XC]. À la droite de la Vierge, saint Pierre est désigné par l'initiale latine P, tandis qu'à sa gauche saint Jean, imberbe cette fois, est surmonté de l'abréviation IO. Mis à part le style, qui est celui de l'un des nombreux peintres mineurs que l'on retrouve sur les murs des nefs latérales de S. Caterina et de la petite église de S. Stefano, et qui n'est donc pas antérieur à la fin du XIVe siècle, la différence essentielle de cette image de la Trinité avec celle de l'abside de Soleto consiste dans l'absence, à Galatina, des deux anges céroféraires et thuriféraires.

À Soleto, la présence de l'un des douze articles du Symbole des Apôtres sur chacun des cartels que ceux-ci ont en main est, nous l'avons dit, fort insolite. Plutôt rares en Italie, les représentations de la composition de ce symbole par les apôtres eux-mêmes sont assez répandues au nord des Alpes, mais le thème ne devient vraiment fréquent dans l'art occidental qu'à la fin du XVe siècle75. Quant à l'art de Byzance, il ignore complètement cette scène, comme du reste l'Église byzantine ignorait cette «profession de foi qui nous vient des apôtres». C'est seulement au cours du concile de Ferrare-Florence, le 8 décembre 1438, que la question de l'apostolicité de ce symbole, jusqu'alors indiscutée en Occident, fut subitement posée entre Latins et Grecs76. Quoi qu'il en soit, les origines légendaires du Symbole des Apôtres devaient être connues des Grecs de la Terre d'Otrante, puisque le peintre de l'abside de Soleto s'en est fait l'écho. Son témoignage a d'autant plus d'intérêt qu'il ne s'est pas simplement contenté d'illustrer la scène : il a aussi transcrit sur la paroi absidiale le texte grec d'un formulaire qui devait alors être assez familier.

Si la peinture de S. Stefano est à présent le seul document iconographique qui nous reste de cette légende, l'existence du Symbole des Apô-

75 Künstle, Ikonographie der Heiligen, Friburg-en-Brisgau, 1926, p. 93 sq. ; L. Réau, Iconographie de l'art chrétien, Paris, 1955, 3, p. 135.

76 L'un des plus anciens témoins de cette origine légendaire du Symbole des Apôtres est Rufin d'Aquilée (+ 411), dans son Comm. in Sytnb. Apost., 2 : voir PL, 21, col. 337. Sur l'histoire de la légende, voir H. de Lubac, La foi chrétienne. Essai sur la structure du Symbole des Apôtres, 2 éd., Paris, 1970, p. 19-53. L'étonnement des Grecs à Ferrare est rapporté dans A. de Santacroce, Acta latina concilii Florentini, (quae edidit G. Hofmann) , dans Concilium Florentinum documenta et scripto- res, ser., B, 4, Rome, 1955, p. 118, f. 72V, 12-13.

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très traduit en grec est attestée dans le Salento dès le XIIIe siècle. Un manuscrit bilingue grec et latin, le Karlsruhe Ettenheimmünster 6, écrit en Terre d'Otrante dans le dernier quart du XIIIe siècle, contient une version grecque de ce symbole (f. 121v-122r) identique à celle du Vaticanus gr. 1276, du début du XIVe siècle (f. 18v-19r)77. Ces deux textes présentent les caractéristiques d'une traduction grecque faite à partir du formulaire latin78. Par contre, le texte grec du Symbole des Apôtres qui se trouve dans l'abside de S. Stefano est, en quelque sorte, plus conforme au génie de la langue grecque. Il semble même avoir été plus ou moins rédigé à partir d'un démarquage du Symbole de Nicée-Constantinople. Chacun des douze articles peut y être aisément transposé, presque toujours tel quel. Seuls les 7e et 8e articles sont totalement effacés.

Voici le texte de Soleto (fig. 9, 10 et 11) :

1. Πιστε/ύο είς ε/να Θ(εο)ν/ Π(ατέ)ρα π(αν)/τοκράτορα π/(οι)ητήν ού(ρα)ν(οΰ)/ και γης :

2. Και εις/ ενα Κ(ύριο)ν/ Ί(ησοΰ)ν Χ(ριστο)ν/ τον μονογενή/ υίόν αύ/τοϋ :

3. Και σαρκο/θέντα έκ/ Πν(εύματο)ς 'Αγίου/ και Μαρί/ας της/ Πα- ρθέ/νου :

4. Παθόντα έπί Πον/τίου Πιλάτου στ(αυ)ρω/θέντα/ και τα/φέντα : 5. [Κα]τελθόν/τα εις τόν/Άδην και/ τη [τρίτ]η ήμερα άναστάν/τα : 6. Άνελ[θόν/τα είς τους ού/ρανούς και]/ καθεζόμε/νον έν δε/ξια του/

Πατρός : 7. [ ] 8. [ ] 9. 'Αγία ν/ κοινω/νίαν :

10. Είς άφε/σιν άμαρτι/ών :

77 Sur le Karlsruhe Ettenheimmünster 6, voir Κ. Preisendanz, Die Handschriften des Klosters Ettenheim- Münster. Neudruck mit bibliographischen Nachträgen, Wiesbaden, 1973, p. 9; Hoeck et Loenertz, Nikolaos-Nektarios von Otranto, p. 75- 82; A. Jacob, Un opuscule didactique otrantais, p. 176. Pour le Vaticanus gr. 1276, voir Hoeck et Loenertz, Nikolaos-Nektarios von Otranto, p. 113, n. 2; A. Acconcia Longo et A. Jacob, Une anthologie salentine du XIVe siècle : le Vaticanus gr. 1276, dans Rivista di studi bizantini e neoellenici, n. s., sous presse.

78 Ces versions grecques du Symbole des Apôtres ont des latinismes caractéristiques. Comme le texte bilingue du Karlsruhe Ettenheimmünster 6, le Vaticanus gr. 1276 introduit les propositions par le pronom relatif ος, emploie l'aoriste comme επαθεν, άνηλθεν . . . etc., ainsi que le futur έλευσόμενός έστι, l'expression ύπο Ποντίου Πιλάτου au lieu de έπί Ποντίου Πιλάτου, autant de particularités qui indiquent un texte tardif : à ce propos, voir C. P. Caspari, Ungedruckte, unbeachtete und wenig beachtete Quellen zur Geschichte des Taufsymbols und des Glaubensregel, dans Christiana, 3, 1875, p. 239-247.

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1 1 . Άνά/στασιν/ νεκρών : 12. Ζω/ή ν ai/ώνι/ον : On aura noté que le 6e article ne porte pas la mention du retour glo

rieux du Christ pour le Jugement. Le cartel, bien qu'assez abîmé se termine visiblement par les mots : έν δεξιά του Πατρός. Par ailleurs, on ne voit pas comment ce passage aurait pu figurer sur le cartel suivant qui concerne le Saint-Esprit.

Ce qui, dans le Symbole des Apôtres de Soleto, est certainement digne du plus haut intérêt est la façon dont sont rattachés l'un à l'autre les 9e et 10e articles: άγίαν κοινωνίαν - εις άφεσιν αμαρτιών. Le texte de Soleto met donc un lien entre communion des saints et rémission des péchés, comme dans le Symbole de Nicée-Constantinople où l'on confesse «un seul baptême pour la rémission des péchés » Or dans le textus receptus du Symbole des Apôtres, l'article sur la communion des saints s'inscrit là où, dans les symboles orientaux il est fait mention du baptême79.

Les symboles et confessions de foi des Orientaux suivent l'ordre des articles du Symbole de Nicée-Constantinople et, par conséquent, ne contiennent rien d'explicite sur la communion des saints. Cependant, chez les Grecs, l'expression était utilisée d'ordinaire comme équivalent de communion eucharistique alors que chez les Latins elle conserva au début un sens plus indéterminé, correspondant soit à la communio sacramentorum, soit à des rapports entre personnes. Saint Augustin est le meilleur témoin de cet usage ambivalent80.

Pour saint Basile (Reg. 309: PG 31, col. 130), les choses saintes, τα αγία, ne sont pas autre chose que le corps et le sang du Christ. Chez Isidore de Péluse, κοινωνία équivaut à μετάληψις (Ep. 1, 228 : PG 78, col. 325). En somme, κοινωνία των αγίων a le plus souvent la signification de participation au corps et au sang du Seigneur. Commentant la formule liturgique τα αγία τοις άγίοις81, Nicolas Cabasilas précisera plus tard, dans son

79 Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, definitionum et declara- tionum de rebus fidei et morum, 36e éd. Barcelone, Fribourg-en-Brisgau, Rome, 1976, n° 41-42, p. 30-31.

80 À ce sujet, voir Y.-M.-J. Congar, Introduction générale aux Traités antidona- tistes dans Œuvres de saint Augustin, {Bibliothèque augustinienne, 28), 4e série, [Paris], 1963, p. 99. Le sens sacramentel et objectif se retrouve tout au long du Moyen Âge, seul ou juxtaposé au sens personnel. Un texte normand français du Symbole des Apôtres déclare : «Jeo crei ... la communiun des seintes choses» : L. A. Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche, Breslau, 1897, p. 83. Certains scolastiques continuaient de voir dans sanctorum, le génitif de sancta : sur toute cette question, voir H. de Lubac, Credo sanctorum communionem, dans Communio, 1, (1972), p. 22-31.

81 Nicolas Cabasilas, Explication de la Divine Liturgie, 2e éd., {Sources chrétiennes, 4 bis), Paris, 1967, p. 222-223, 448 D - 449 A.

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Explication de la Divine Liturgie, que sont nommés saints ici, tous ceux qui tendent vers la perfection, voire tous les fidèles, en raison de la chose sainte à laquelle ils participent. Ainsi la communio sanctorum naît essentiellement de la communio sacramentorum.

De même qu'une version grecque tardive du Symbole des Apôtres, celle de Y Ambrosianus C. 13 Inf., vraisemblablement du XVe siècle, le texte de Soleto ne porte pas αγίων κοινωνίαν ainsi qu'on s'y attendrait, mais l'expression άγίαν κοινωνίαν (fig. IO)82. Il n'est pas possible de mettre en doute l'interprétation strictement sacramentaire que veut bien marquer le symbole de Soleto. Ici, la communio sanctorum comprise comme la communio sacramentorum, participation aux sacrements, est devenue, au sens restrictif, la sancta communio, c'est-à-dire la participation au sacrement de l'Eucharistie. En accord avec la meilleure tradition théologique, les Grecs de la Terre d'Otrante maintenaient que la communion des saints signifiait la participation aux choses saintes, plus spécialement aux sacrements, eux-mêmes instruments de la rémission des péchés. C'est ici encore que le Karlsruhe Ettenheimmünster 6 vient confirmer l'existence dans le Salento de cette interprétation, antérieure d'un siècle à celle du texte de Soleto, par une glose bilingue de cet article du Symbole encore inédit, et dont nous donnons le texte latin et la version grecque (f. 122r) :

Sanctorum communionem, id est credo quod remissio peccatorum fit per communionem sanctorum, id est sacramentorum in sancta ecclesia.

Il importe de faire remarquer que, dans ce manuscrit, c'est au seul apôtre Jacques le Mineur que sont attribuées les formules : sanctam catholicam ecclesiam, aussitôt suivie, après le point virgule, de : sanctorum communionem. La communio sanctorum serait ainsi une sorte de répétition pour mieux définir ou pour expliquer les termes de l'article précédent du symbole : sanctam catholicam ecclesiam 83. La remarque vaut naturellement pour le texte grec qui est en tout point identique : Άγίαν καθολική ν έκκλησίαν · αγίων κοινωνίαν, τοΰτεστι, πιστεύω οτι άφεσις αμαρτιών έγένετο, δια την κοινωνίαν των αγίων δηλονότι ίερουργημάτών έν τη αγία εκκλησία.

À Soleto, le rédacteur du symbole des Apôtres a voulu souligner que, parmi les sacrements, l'Eucharistie occupe une place prééminente parce que dans sa célébration s'exprime plus pleinement l'idée de communion. Suivant une théologie selon laquelle le pécheur obtient la rémission de son péché par la communion au corps et au sang du Christ, il insiste sur

82 Les textes grecs tardifs du Symbole des Apôtres se trouvent dans L. A. Hahn, Bibliothek der Symbole, p. 59.

83 H. de Lubac, Credo sanctorum communionem, p. 22 ; Idem, La Foi chrétienne, p. 214-215, et la bibliographie à ce sujet.

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le fait que l'Eucharistie est ainsi ordonnée à la rémission des péchés. C'est d'ailleurs dans l'Eucharistie que la pénitence trouve son fondement théologique autant que liturgique, selon une théologie beaucoup plus perceptible en Orient qu'en Occident84. Le symbole de Soleto est certainement révélateur des opinions théologiques des Grecs du Salento à la fin du Moyen Âge et de leur degré de fidélité à leurs traditions byzantines. Ils étaient conscients du sens des expressions et des formules de la Liturgie eucharistique qui insiste plusieurs fois sur cette intention du pardon rédempteur lié à l'institution de l'Eucharistie par le Seigneur lui-même (Le, 22, 19; Mt., 26, 28). Aussi les mots qui l'expriment - εις άφεσιν αμαρτιών - constituent-ils un thème liturgique longuement soutenu et capital85.

Au terme de cette description des peintures de l'abside de S. Stefano de Soleto, il est permis de se demander, ce qui a pu présider à ce mélange d'éléments parfaitement traditionnels et d'emprunts inattendus pour former une composition iconographique extrêmement originale. Comme nous allons nous efforcer de le démontrer, cette originalité correspond à une élaboration fort cohérente dont le fil conducteur est à chercher dans le but que se propose une telle illustration.

Dans les églises byzantines du Moyen Âge, le sanctuaire ou bêma représente ce qui est plus haut que le ciel, ce qui dépasse le monde créé : c'est la demeure même de Dieu. C'est dans le sanctuaire que s'accomplit le sacrement de l'Eucharistie. C'est pourquoi, dans l'abside, on représente ce qui est directement lié à ce sacrement. Lieu où est offert le sacrifice non sanglant institué par le Christ, il est normal que le sanctuaire comporte l'image de celui-ci. Le Christ est lui-même le sacrifice offert et le sacrificateur qui l'offre, et son visage y revêt une signification tout particulièrement eucharistique. C'est sous cet aspect qu'il faut contempler

84 D. A. Tanghe, L'Eucharistie pour la rémission des péchés, dans Irénikon, 34, 1961, p. 165-181; J. M. R. Tillard, L'Eucharistie, purification de l'Église peregrinante, dans Nouvelle revue théologique, 84, 1962, p. 449-475; H. de Lubac, La foi chrétienne, p. 216; J. Ratzinger, Introduzione al Cristianesimo : lezioni sul Simbolo Apostolico, Brescia, 1969, p. 276.

85 L. LiGiER, Pénitence et Eucharistie en Orient, dans Orientalia Christiana pe- riodica, 29, 1963, p. 69. Il n'est donc pas nécessaire de sous-entendre ομολογώ εν βάπτισμα pour donner un sens à εις άφεσιν αμαρτιών du Symbole de Soleto, comme l'a cru A. Antonaci, Arte bizantina in Terra d'Otranto, p. 25.

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l'image du Christ, Sagesse et Verbe de Dieu, qui siège dans l'abside de Soleto.

Alors que la Communion des apôtres figure ordinairement dans les absides byzantines à partir du XIe siècle, en Italie méridionale seule l'église de S. Angelo au Mont Raparo présentait, dans la zone médiane de l'abside, la double procession des apôtres s'avançant en file pour recevoir de la main du Christ le pain et le vin consacrés86. L'absence de ce thème d'origine constantinopolitaine dans les autres églises italo-grecques s'explique sans doute, abstraction faite des dimensions relativement modestes de leurs absides, par la situation périphérique de l'Italie méridionale.

Les autres scènes qui figurent habituellement sur les voûtes ou les calottes des sanctuaires byzantins ont, elles aussi, un lien intime avec la célébration de la Divine Liturgie. Conformément aux programmes iconographiques des XIe-XIIe siècles, c'est la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, le jour de la Pentecôte, qui figure sur la voûte du bêma de S. Pietro à Otrante, dont la peinture, due fort probablement à un peintre de formation métropolitaine, est à situer vers 130087. Presque un siècle plus tard, la conque de l'abside de Soleto sera occupée par la représentation de la Pentecôte, là où il eût été plus normal de placer, sinon l'image de la Vierge et l'Enfant, icône par excellence de l'incarnation du Verbe, au moins celle de la Déisis ou de la vision de l'Apocalypse, comme c'est le cas pour la plupart des absides d'Italie méridionale88.

86 Bertaux, L'art dans l'Italie méridionale, 1, p. 123. Sur le thème de la communion des apôtres dans les absides byzantines, voir S. Dufrenne, Les programmes iconographiques des églises byzantines de Mistra, Paris, 1970, p. 51; aussi C. Walter, La place des évêques, p. 84.

87 Pace, La pittura delle origini in Puglia, p. 394 ; voir aussi I. P. Marasco, Affreschi medioevali in S. Pietro d'Otranto, dans Annali dell'Università di Lecce. Facoltà di Lettere e Filosofia e di Magistero, 2, 1964-1965, Lecce, 1966, p. 79-97.

88 T. Velmans, L'Image de la Déisis, p. 57-58. Une exception remarquable doit être signalée : la représentation de l'Ascension peinte dans le cul-de-four de l'abside de S. Maria delle Cerrate, près de Squinzano, où, comme sur la voûte du bêma de la Cattolica à Stilo en Calabre, le Christ est porté au ciel par les anges dans le nimbe resplendissant de sa gloire. Cette fort belle église romane ne comportant pas de coupole, l'image de l'Ascension est en quelque sorte la fusion de deux thèmes iconographiques en un seul : la gloire du Pantocrator et l'évocation de la seconde venue du Christ comme Juge suprême. Cette idée qui était déjà manifestée dans les anciens monuments de l'Orient chrétien, comme ceux de Baouît en Egypte ou bien de l'Anastasis à Jérusalem, est à nouveau exprimée dans les coupoles des églises à partir du XIe siècle : O. Demus, Byzantine mosaic decoration, Aspects of monumental art in Byzantium, 4e éd., Londres, 1976, p. 17-20, 52, 55. C'est au XIIIe et au XIVe siècles que le thème apparaît de façon générale sur la voûte du bêma des

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Autre singularité déjà signalée, la présence du Christ Logos-Sophia à l'autel, au milieu des saints évêques concélébrants, en pleine action liturgique89. Bien qu'en relation avec l'Eucharistie, selon Prov. 9, 1-6, le Logos-Sophia de Soleto n'est pas, nous l'avons vu, une représentation symbolique : c'est le Logos, le Verbe de Dieu lui-même qui est Sagesse, que le peintre a voulu représenter comme tel, sous les traits du Christ de la vision des prophètes.

Seul thème iconographique classique, le chœur des saints évêques en concélébration, dont l'abside de S. Stefano offre peut-être le dernier maillon d'une chaîne qui, dans le Salento, part assurément de S. Mauro et de S. Salvatore de Gallipoli, en passant par la chapelle de l'Assunta à Botrugno. Aucune église hypogée de la Pouille ne comporte pareille composition, pas même la crypte des Ss. Stefani à Vaste, en Terre d'Otrante, où l'on trouve dans le cul-de-four d'une abside latérale de prothèse, un groupe de trois pontifes disposés en position frontale et n'ayant donc rien de commun avec le thème de la concélébration90. Alors qu'à S. Pietro d'Otrante on peut encore discerner la figure d'un saint Basile vu de face, revêtu de son phélonion pourpre dans la zone inférieure de l'abside, il subsiste, en Calabre, un saint Jean Chrysostome identique, revêtu cette fois d'un polystavrion, dans l'abside de la Cattolica à Stilo. Une récente

églises byzantines, en liaison avec celui de la Pentecôte. Dans les petits édifices, surtout ceux qui ne comportent pas de voûte et ont un simple toit en charpente, la scène de l'Ascension occupe souvent l'espace réservé au-dessus de l'arc du sanctuaire. C'est le cas, par exemple, de beaucoup d'églises de la région des bords du lac de la Prespa et de Castoria. En Terre d'Otrante, les Grecs de Soleto ont tenu à ce que l'Ascension, qui figure sur l'arc triomphal avec la vision de l'Ancien des Jours, soit la première étape, évidente aux yeux de tous, de ce retour glorieux lors du Jugement général qui figure en face, sur la paroi occidentale, et qui en marque l'étape finale : à ce sujet, voir A. Grabar, Les peintures murales dans le chœur de Ste Sophie d'Ochrid, dans Cahiers archéologiques, 15, 1965, p. 257-265; Th. von Bogay, Deesis und Eschatologie, dans Polychordia, Festschrift F. Dölger zum 75. Geburtstag, dans Byzantinische Forschungen, 2, 1967, p. 59-72; Dufrenne, Les programmes iconographiques, p. 24-25.

89 À l'église du monastère de Marko (1371), en Macédoine, on peut voir une image du Logos avant l'incarnation figuré comme Emmanuel, un rouleau en main et bénissant au milieu d'évêques. Cette peinture n'est pas située dans une abside : il s'agit de l'illustration de la 15e strophe de l'hymne Acathiste (thème du double Logos). Le Christ y est vu en tant que Sagesse divine, Logos-Sophia, enseignant l'Église : H. Grondijs, De Iconographie van den Dubbelen Logos : I. De 15e strophe des Acathistische Hymne aan de H. Maagd, Amsterdam, 1934, p. 21-25, et pi. 2.

90 A. Medea, Gli affreschi delle cripte, 1, p. 158-159 et 2, fig. 88; C. D. Fonseca, A. R. Bruno, V. Ingrosso, A. Marotta, Gli insediamenti rupestri medioevali nel Basso Salento, Galatina, 1979 (Saggi e ricerche, 5), p. 239-240.

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restauration a permis de découvrir à S. Maria delle Cerrate, antique église monastique près de Squinzano (Lecce), une théorie de saints évêques vus de face, qui se déroule sur les trois absides, et qu'on croit pouvoir dater au tout début du XIIIe siècle (fig. 14)91.

Inutile de rappeler le rôle qu'ont joué, dans l'évolution et les variantes de l'iconographie des églises byzantines, en particulier du décor absi- dial, les mystagogies liturgiques auxquelles nous avons déjà fait allusion au début de cette étude92. Il n'en allait pas autrement chez les Grecs d'Italie méridionale, surtout ceux de Terre d'Otrante, où ces commentaires ont connu une assez large diffusion. Outre une adaptation en vers de la Pro- theoria de Nicolas d'Andida dont les qualités mnémotechniques devaient être fort appréciées du clergé grec du Salento, nombreux sont aussi les manuscrits otrantais qui, du XIIe au XVIe siècle, témoignent du succès de l'Historia ecclesiastica, dont ils attribuent la paternité à saint Basile93. « Lege expositionem sacrae missae magni Basilii et disce ab ilio, non a me, quid ipse dicat adversus tuam quaestionem ... », écrivait l'higoumène de S. Nicolas de Casole à l'un de ses correspondants à propos de la légitimité de certains usages liturgiques byzantins94. À la même époque, c'est-à- dire dans le deuxième quart du XIIIe siècle, son ami Georges Bardanès, métropolite de Corfou, répondait à certaines questions d'ordre liturgique que lui avaient posées des membres du clergé de Nardo, en leur citant ce même commentaire de saint Basile (του ούρανοφάντορος Βασιλείου)95. Ce texte, tel qu'il est transmis par les manuscrits otrantais de YHistoria ecclesiastica, est farci d'extraits de la Protheoria et cet amalgame a vraisemblablement vu le jour en Terre d'Otrante96.

Comme la Protheoria, YHistoria ecclesiastica insiste sur les faits concrets de l'histoire du salut en établissant une correspondance entre les rites liturgiques et la vie terrestre du Christ, la Divine Liturgie et les saintes images étant aussi des expressions du mystère au même titre que la lettre de l'Écriture. C'est certainement dans ce genre de commentaires que les Grecs du Salento, en particulier ceux de Soleto, ont puisé les idées qui ont inspiré les décorateurs de S. Stefano. De même qu'il existait une composition locale, à savoir l'adaptation métrique de la Protheoria de

91 Sur S. Maria delle Cerrate, voir V. Pace, La pittura delle origini in Puglia, p. 353-354.

92 DuFRENNE, Les programmes iconographiques, p. 62-65 ; Walter, La place des évêques, p. 83-87.

93 Jacob, Un opuscule didactique otrantais, p. 165. 94 Hoeck et Loenertz, Nikolaos-Nektarios von Otranto, p. 138, 65-75. 95 Ibid., p. 209, 85-90. 96 Jacob, Un opuscule didactique otrantais, p. 176.

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Fig. 14 - Squinzano. S. Maria delle Cerrate. Abside : Ascension et saints évêques (photo Sovrintendenza ai Monumenti di Bari).

MEFRM 1982, 1.

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Nicolas d'Andida, peut-être y avait-il une tradition iconographique locale, élaborée à partir des données fournies par YHistoria ecclesiastica, et dont la petite église de Soleto resterait actuellement le seul témoin.

Nous avons vu comme il était difficile d'imaginer un lien de dépendance directe entre les représentations symboliques de l'Ange-Sagesse des fresques balkaniques et le Logos-Sophia de Soleto. En revanche, on peut légitimement rechercher la source de cette élaboration iconographique locale qu'est l'abside de S. Stefano dans YHistoria ecclesiastica, et y trouver la clé du mystère. En effet, dans un passage s'appliquant à l'offertoire et qui fait l'objet d'une répétition dans la recension interpolée des manuscrits otrantais, dont le meilleur témoin est le Karlsruhe Ettenheimmünster 697, on peut lire les explications qui suivent. Après avoir dit que le calice tient la place du vase qui reçut le sang jailli des plaies et du côté du Christ, la coupe du salut que le Seigneur donna à ses disciples lors de la Cène, le commentaire ajoute: «Le calice rappelle aussi la coupe dans laquelle la Sagesse, c'est-à-dire le Fils de Dieu (ή Σοφία ήτοι ό Υίος του θεοΰ), a mélangé son propre sang au lieu du vin que voici, et le disposant sur sa sainte table, s'adresse à tous en disant : buvez-en tous, c'est-à-dire de ce vin préparé pour la rémission des péchés et la vie éternelle»98.

Le commentaire continue en insistant sur la référence à la Sagesse hospitalière (Χριστός ή του Θεοΰ Σοφία και δύναμις) qui a bâti sa propre chair, a dressé sept colonnes qui sont les sept dons du Saint-Esprit, a abattu ses bêtes et a mélangé son vin dans la coupe en unissant sa divinité à la chair de la Vierge très sainte, comme un vin pur et sans mélange. En effet, le Sauveur qui naquit d'elle a préparé sa table, «il a dépêché ses serviteurs dans l'univers entier afin d'inviter tout le monde à la connaissance de Dieu. À ceux qui le désirent, mais n'ont pas encore reçu la grâce de l'Esprit, il dit : Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai préparé. Le Christ nous donne à manger son corps divin et à boire son sang très pur, pour la rémission des péchés»99. On retrouve ici la sainte communion pour la rémission des péchés du Symbole des Apôtres de Soleto.

Il est probable que c'est à partir de ces textes que le Logos-Sophia a pu voir le jour à Soleto, en sorte que nous serions en présence de la pro-

97 C'est précisément cette recension longue qui a pris place dans Migne, Patro- logiae cursus completus, series graeca, 98, col. 384-453, parmi les œuvres de saint Germain de Constantinople. Elle correspond au stade I du texte, selon F. E. Brightman, The Historia Mystagogica, p. 253-254, et au type Dp selon Bor- nert, Les commentaires byzantins, p. 140-141. Pour ce qui est de la date de cette recension interpolée, voir Jacob, Un opuscule didactique otrantais, p. 176-178.

98 PG, 98, col. 400 B, 5-11 et col. 421 D, 6-12. 99 PG, 98, col. 421 D, 12 - 424 A-B, 26.

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jection iconographique d'un thème typologique qui s'est constitué parallèlement, mais de façon indépendante, au type balkanique de l'Ange-Sages- se, empruntant son mode de représentation à un prototype antérieur du Christus praeexistens , figuré jeune comme Emmanuel. Cette Sagesse (σοφία) est bien le Fils et Verbe de Dieu (ό Υιός και Λόγος του θεού), comme ne cesse de le répéter le commentaire mystagogique. Cette insistance reflète le climat allégorisant de la théologie byzantine de l'époque, que le Logos-Sophia de Soleto exprime parfaitement, mais en récusant tout symbolisme abstrait.

Quant à la scène complexe qui occupe la conque de l'abside, nous n'avons qu'à parcourir ce que YHistoria ecclesiastica dit de l'anaphore ou prière eucharistique. Cette explication est pratiquement à la base de la décoration de l'abside, qui est la plus dense de toute l'église. Certes, le caractère trinitaire de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, tel qu'il ressort de la fresque de Soleto, pourrait tout simplement illustrer le fait que, dans les textes liturgiques byzantins, l'apparition de l'Esprit en ce monde a été considérée assez vite comme l'achèvement de la révélation du dogme trinitaire100. Cette idée de l'achèvement de l'économie du salut était déjà suggérée dans certaines compositions iconographiques beaucoup plus anciennes101. Toutefois, dans le cas de Soleto, c'est bien plutôt le contexte eucharistique de l'économie trinitaire, dans le cadre de l'anaphore byzantine, qui donne toute sa signification à la fresque de S. Stefano.

L'Historia ecclesiastica consacre de longs passages à l'anaphore. Après le dialogue d'introduction, le commentaire décrit l'oraison théologique ou prière d'action de grâce au Père : « Le prêtre s'approche, avec confiance, du trône de grâce de Dieu, (...) s'entretenant seul à seul avec lui, non plus à travers la nuée, comme ce fut le cas de Moïse dans la tente du témoignage, mais en contemplant face à face la gloire du Seigneur»102. Le prêtre contemple donc le mystère du Dieu en trois personnes, qui « nous a été révélé par le Fils unique, qui est dans le sein du Père (ό μονογενής

100 A. Baumstark, Liturgie comparée, 3e éd., Chevetogne, 1953, p. 176-177. Voir aussi J. P. Casper, Die Ostkirche feiert das Fest des heiligen allesspendenden Pneu- ma, dans Bibel und Liturgie, 12, 1938, p. 321-326; E. Hammerschmidt, Pfingsten und heiliger Geist in der Oskirche, ibid, 20, 1952-1953, p. 241-243.

- 101 C'est le cas, par exemple, d'une des célèbres ampoules de Monza, où l'idée de l'économie trinitaire est nettement exprimée : en dessous du symbole de la main divine entourée des rayons de la Pentecôte, se trouve la colombe du Saint-Esprit : A. Grabar, Les ampoules de Terre Sainte, Paris, 1958, p. 26-27, 58-59 et pi. XVII (Ampoule Monza, n° 10); Id., Les voies de la création, p. 105, fig. 54.

102 PG, 98, col. 429 a 14 - C 6.

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Υιός ό ών εις τον κόλπον του Πατρός). De même que Moïse conversait avec le Seigneur, d'une manière invisible, ainsi le prêtre se tient devant le propitiatoire, au milieu de deux chérubins (ούτω και ό ιερεύς μέσον των δύο χερουβίμ έστώς έν τω ίλαστηρίω). Il s'incline à cause de la gloire et de l'éclat de la divinité qu'il n'est pas permis de contempler à découvert. En esprit, il voit le culte céleste où il est initié; il contemple le divin éclat de la Trinité qui est un principe de vie au-dessus de toute substance » 103.

Aussi lorsque le prêtre de Soleto célébrait la Divine Liturgie à S. Stefano, commençait-il son action de grâce trinitaire en ayant devant les yeux l'image de ce Dieu en trois personnes, effectivement représenté comme tel dans la conque de l'abside, le Fils unique se tenant, là aussi, dans le sein du Père. Il pouvait alors contempler le divin éclat de la Trinité dout il voyait l'image, debout devant l'autel avec les deux anges qui encadrent la vision théophanique, munis de leurs flambeaux et de leurs encensoirs. Ici, les séraphins que décrit YHistoria ecclesiastica et que l'on retrouve sur l'arc triomphal, dans la scène de la vision de l'Ancien des Jours, sont remplacés par des anges vêtus de tuniques blanches à parement d'or, qui, sous une forme plus rustique, rappellent ceux qui, à l'église de S. Maria dell'Incoronata (1352) à Naples, assistent à la distribution de la communion des fidèles dans la représentation du sacrement de l'Eucharistie par Roberto di Odorisio104.

Après une longue digression sur la louange des choeurs angéliques et des zoomorphes à chacune des personnes de la Trinité, que le prêtre clame en annonçant l'hymne epinikios et qu'évoque la scène de la vision prophétique qui surplombe l'abside, YHistoria ecclesiastica poursuit son commentaire de l'anaphore, qui est celle de la Liturgie de saint Basile 105.

Une fois l'anamnèse accomplie, le prêtre invoque le Saint-Esprit qui doit parfaire et sceller ce mystère trinitaire qu'est la célébration de l'Eucharistie : «De nouveau, il s'adresse à Dieu le Père pour qu'il achève le mystère de son Fils, et il le supplie de le faire naître à nouveau, en transformant le pain et le vin au corps et au sang du Christ Dieu, selon la parole : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. C'est pourquoi le Saint-Esprit, invisiblement présent par le bon plaisir du Père et la volonté du Fils (όθεν

103 PG, Ibid. 104 Sur l'assimilation des diacres aux deux chérubins de la vision, voir Schulz,

Die byzantinische Liturgie, p. 122, n. 13. 105 À propos de l'illustration de l'hymne epinikios (sanctus), voir A. Xyngqpou-

los, Une icône byzantine à Thessalonique, dans Cahiers archéologiques, 3, 1948, p. 115-128. Voir aussi G. de Jerphanion, Les noms des quatre animaux et le commentaire liturgique du Pseudo-Germain, dans La Voix des monuments, Paris, 1930, p. 251-256; J.-D. Stefanescu, L'illustration des liturgies, p. 61-62.

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καί το αγιον Πνεύμα xfj ευδοκία του Πατρός καί βουλήσει του Υίου άοράτως παρόν), manifeste l'énergie divine et apposant son sceau sur les dons offerts, par la main du prêtre, il les consacre en les changeant au corps et au sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ ...» 106.

Ce moment solennel de l'anaphore est représenté avec réalisme dans l'abside de Soleto. C'est en fonction de cette venue de l'Esprit Saint sur les dons que l'image de la Trinité y revêt ce caractère particulier qui la distingue de celles qui peuvent lui être apparentées, comme, par exemple, celle de l'arc triomphal de l'église de Grottaferrata. À l'instar des compositions verticales de ce genre, le Fils est peint sur le sein du Père, non pas sous la forme d'un enfant ou d'un adolescent, mais d'un adulte, «engendré par le Père, de telle sorte qu'il n'en soit séparé d'aucune façon et demeure toujours en lui», tout en ayant sa propre subsistance distincte de celle du Père (Jean Damascène, De Fide orthodoxa, 1, 8)107.

Cependant, au lieu d'une composition trinitaire statique, l'abside de S. Stefano nous offre une composition dynamique. La colombe du Saint- Esprit n'est plus simplement tenue entre les mains du Fils, mais elle est littéralement envoyée en dehors du segment de ciel contenant le Père et le Fils. Tous deux, de leurs bras tendus, lancent la colombe de l'Esprit sur les apôtres réunis devant les murs de Jérusalem. Il s'agit d'une action commune au Père et au Fils qui envoient et au Saint-Esprit qui est envoyé, manifestation de l'unique vouloir de la nature divine des trois personnes de la Trinité.

Même si l'Esprit Saint est celui qui «sanctifie toutes choses sur la terre comme dans les cieux»108, il n'en est pas moins vrai que les trois personnes divines participent à la consécration des saints dons qui renouvelle le mystère de la naissance éternelle et temporelle du Logos, représenté à Soleto comme Emmanuel adolescent, Sagesse et Fils de Dieu né dans l'éternité, et comme fils de Marie né dans la chair. L'image de Soleto veut souligner cette coopération trinitaire en montrant le Saint-Esprit comme effectivement envoyé par le Père et par le Fils, selon le texte du commentaire.

L'Historia ecclesiastica précise enfin que c'est Jésus-Christ lui-même «qui a ordonné aux apôtres, et par eux à toute l'Église, de faire cela : faites ceci, dit-il, en mémoire de moi. Il n'aurait pas énoncé cet ordre, s'il n'avait dû leur communiquer la vertu de pouvoir l'accomplir. Quelle est donc cette vertu? C'est le Saint-Esprit, la puissance qui d'en haut a armé

106 PG, 98, col. 436 D 11 - 437 A 9. m PG, 94, col. 816 Β 5-7 et 10-13. 108 PG, 98, col. 432 C 13 - D.

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les apôtres, selon la parole que leur dit le Seigneur : quant à vous, restez dans la ville, à Jérusalem, jusqu'à ce que vous soyez investis de la force d'en haut. Telle est l'œuvre de cette divine descente . . . C'est cet Esprit qui par le main et la langue des prêtres consacre les mystères » 109. Le lien entre la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, le jour de la Pentecôte, et la venue de ce même Esprit au cours de la Liturgie eucharistique est non moins clair. C'est ce qui a engagé le peintre de Soleto, ou l'auteur du programme iconographique, à représenter les apôtres réunis et assis dans les murs de la ville de Jérusalem (καθίσατε έν τη πόλει 'Ιερουσαλήμ εως αν ένδύσησθε δύναμιν έξ ύψους), afin de recevoir cette vertu qui leur permettra d'accomplir les mystères et aussi de la transmettre à l'Église.

L'influence du commentaire mystagogique transparaît d'autant plus que la scène de la Pentecôte, sous son aspect narratif et descriptif, était de moins en moins utilisée à Byzance, comme image de l'épiclèse proprement dite, dans les programmes iconographiques des XIIIe et XIVe siècles. On lui préférait la figure plus concise et plus synthétique de la colombe du Saint-Esprit, posée sur le trône de l'Hétimasie. Cette représentation qui figure le plus souvent seule dans la voûte du bêma, était en quelque sorte considérée comme une pars pro toto de l'entière représentation de la Pentecôte, conçue dans son intime relation avec l'aspect essentiellement eucharistique du programme absidial. Au sommet de la voûte du bêma, la colombe prête à s'envoler du trône de l'Hétimasie ne rappelait pas seulement le premier envoi du Paraclet sur les apôtres, mais aussi la descente de l'Esprit sur les dons que le prêtre invoque dans l'épiclèse110.

Ainsi, par l'action du Saint-Esprit, le mystère eucharistique actualise le mystère de l'Incarnation. C'est pourquoi, au moment de l'épiclèse, «le fait que le prêtre s'incline profondément pour accomplir le divin sacrifice, signifie qu'il est invisiblement en colloque intime avec Dieu seul. Aussi bien, apercevant la lumineuse manifestation de la divinité , est-il ébloui par la splendeur de la gloire qui émane du visage du Fils de Dieu (Όθεν καί την θείαν φωτοφάνειαν όρα καί τη λαμπρότητι της δόξης του προσώπου

109 PG, 98, col. 433 C 2-12. Sur l'épiclèse dans YHistoria ecclesiastica, voir l'article polémique de M. Jugie, De sensu episcleseos juxta Germanum Constantinopolita- num, dans Slavorum litterae theologicae conspectus periodicus, 4, 1908, p. 385-391.

110 O. Wulff, Die Koimesiskirche in Nicoea, Strasbourg, 1903, p. 283; E. Diez et O. Demus, Byzantine Mosaics in Greece: Daphni and Hosios Lukas, Cambridge (U.S.A.), 1931, p. 72. Encore sur l'illustration de la venue de l'Esprit Saint sur les offrandes, voir Grabar, Un rouleau liturgique, p. 193, et Schulz, Die byzantinische Liturgie, p. 144, n. 27, 28.

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του Υίοΰ του Θεοΰ έμφαιδρύνεται), et il se retire avec crainte et confusion . . . »m. Cette impression de lumière, que le célébrant est censé avoir en contemplant le visage du Christ désormais présent, pourrait être la raison de cette nette différence dans l'exécution du visage du Logos-Sophia de l'abside, au modelé assez contrasté et rehaussé d'accents lumineux de couleur blanche sur fond d'ombre verte, alors que tous les autres personnages qui l'entourent ont des faces beaucoup plus terreuses et plates. Malgré sa naïveté et sa maladresse, le peintre de l'abside a fait de son mieux pour rendre l'éclat qui émane du visage du Fils de Dieu, au point d'en éblouir le prêtre célébrant la Liturgie et contemplant le miracle qui vient de s'opérer. Enfin, toujours selon YHistoria ecclesiastica, c'est ce même Christ, la Sagesse et le Verbe de Dieu, qui, seul prêtre éternel, «accomplit réellement notre Liturgie»112, et que le peintre de Soleto a représenté à l'autel, en étole sacerdotale, signant le pain et le vin du sacrifice, assisté d'un ange avec son rhipidion (fig. n. 1,2).

Une telle densité et une semblable cohérence dans le contenu des images afin de rendre au maximum le double plan des apparences visibles et celui des réalités intelligibles où se joue l'action liturgique de l'ana- phore, est assurément le fruit d'une longue méditation et d'une grande familiarité avec les textes cités. Ceci explique un choix et une disposition des images qui n'a pas son équivalent ailleurs, tout en étant parfaitement conforme à l'esprit de la peinture byzantine du Moyen Âge.

L'unicité de ce programme absidial est accrue si on le compare non seulement à ceux du reste du monde byzantin, mais encore à ceux de l'Italie méridionale et même du seul Salente Certes, la subordination de ces programmes aux textes liturgiques et mystagogiques est propre à la peinture byzantine de l'époque. Il existe un schéma général de la décoration des absides qu'on retrouve à peu près partout. Que ce soit en Macédoine, à Constantinople ou en Serbie, en Morée ou en Bulgarie, les idées sont les mêmes, et en puisant son inspiration dans YHistoria ecclesiastica, le peintre de Soleto n'a fait qu'imiter ses collègues plus raffinés d'outremer. Entre eux et lui, la différence consiste en une élaboration indépendante et provinciale, due en partie aux circonstances politiques et à leurs conséquences au plan social et culturel, de thèmes iconographiques qui devaient remplacer les figures plus traditionnelles de la Déisis ou de la Mère de Dieu dans la conque des absides.

niPG, 98, col. 437 Β 13 - C 6. 112 PG, 98, col. 433 D 5 - 11.

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Mis à part le thème de la concélébration des saints évêques qui vient de Grèce et qui apparaît pour la première fois à Gallipoli, la décoration des absides salentines, comme de toute l'Italie méridionale byzantine, demeurait plutôt conservatrice et archaïsante. Exception faite pour les absides des églises hypogées de la Madonna della Croce à Matera et de S. Maria à Poggiardo, près de Lecce, c'est en général la Deisis qui demeure le thème iconographique de rigueur dans les cryptes. Pour ce qui est des édifices sub divo, nos connaissances sont encore imparfaites. En effet, à la Déisis présumée de S. Mauro et à celle toujours visible de S. Salvatore, toutes deux sur le territoire de Gallipoli, on opposera les médiocres peintures postérieures des conques absidiales de S. Pietro à Otrante et de l'Assunta à Botrugno, où une Vierge orante recouvre très certainement une composition précédente. Nous ignorons quel était le contenu iconographique de l'abside, aujourd'hui disparue, de l'intéressante église de S. Giovanni Evangelista à San Cesario di Lecce113. Il est probable qu'un nettoyage et une restauration des fresques sous-jacentes de la petite église de S. Marina, à Muro Leccese, nous réserverait bien des surprises, particulièrement en ce qui concerne son abside, qui s'orne actuellement d'une Vierge de Miséricorde, assise comme les orantes de Botrugno et d'Otrante, entourée de deux saints évêques, et qui est une œuvre populaire des XVIP-X VIIIe siècles114.

Dans le cas de Soleto, ce conservatisme provincial se mue en une sorte d'autonomie qui, à sa manière, s'avère créatrice. Cette créativité n'est pas uniquement motivée par des exigences architectoniques, comme c'était le cas à S. Maria delle Cerrate (voir supra, n. 8 et fig. n. 14). À S. Stefano, sont utilisés des thèmes traditionnels, parfois archaïsants, dans des compositions originales inspirées des données fournies par les commentaires mystagogiques. À la figure symbolique et quelque peu éso- térique de l'Ange-Sagesse, est préférée l'image du Christus praeexistens, ce qui permet de réserver le milieu de l'abside au Logos-Sophia, lui-même Grand Prêtre, présidant la Liturgie qu'il concélèbre avec les saints évêques qui l'entourent. L'originalité et la nouveauté de ce choix est d'autant plus évidente que ce que nous pouvons encore discerner des concélébra- tions épiscopales sur les parois absidiales des autres églises du Salento

113 Cassiano, Chiesa di San Giovanni Evangelista, p. 60. Sur l'abside de la chapelle de l'Assunta à Botrugno, voir A. Medea, Gli affreschi delle cripte, 1, p. 243- 244; C. de Giorgi, La provincia di Lecce, 2, p. 85.

114 V. Pace, La pittura delle origini, p. 329; Medea, Gli affreschi delle cripte, p. 249-250.

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évoquées au cours de cette étude ne nous permet pas d'individualiser un sujet central, du type du mélismos ou de l'Hétimasie, si ce n'est à Botru- gno, où les vestiges d'un autel cubique drapé de rouge et surmonté du pied d'un calice, sont encore reconnaissables entre saint Jean Chrysosto- me et saint Basile inclinés115.

Enfin, l'image condensée de la colombe du Saint-Esprit sur le trône de l'Hétimasie n'a pas été adoptée pour évoquer la descente de ce même Esprit sur l'offrande eucharistique, ni même la représentation pure et simple de la scène de la Pentecôte, comme sur la voûte du bêma de S. Pietro à Otrante. C'est la scène, plus analytique et plus démonstrative à la fois, de l'envoi du Saint-Esprit sur les apôtres par le Père et par le Fils, qui a été choisie (fig. η. 1). À Soleto, cette descente de l'Esprit, le jour de la Pentecôte, est vue comme l'image par excellence de l'action trinitaire invisible et permanente, qui se renouvelle à chaque célébration eucharistique. C'est donc aujourd'hui, maintenant, que ce même Esprit Saint «dans lequel les apôtres ont été confirmés à Jérusalem» descend sur les oblats et, « invisiblement présent par le bon plaisir du Père et la volonté du Fils, manifeste l'énergie divine». Aussi, le peintre de Soleto n'éprouve pas le besoin de nous donner deux représentations du même événement, l'une sous son aspect purement narratif et l'autre dans sa signification liturgique et toujours actuelle. Il s'agit essentiellement de l'événement de l'histoire du salut qu'actualise, en dehors des catégories de temps et de lieu, la célébration de la Divine Liturgie. Cette signification est renforcée par la démonstration de l'action des trois personnes divines au moyen d'un type iconographique connu, auquel il a été donné une expression dynamique, et par la présence éminemment rituelle des deux anges diacres.

À vrai dire, une explication en image, quelque peu analogue, existe dans l'absidiole de prothèse de l'église de la Péribleptos à Mistra (vers le milieu du XIVe siècle), où Dieu le Père, figuré comme Ancien des jours, est représenté dans une mandorle et entouré de deux chérubins, munis chacun de rhipidia, tandis que la colombe du Saint-Esprit, enfermée dans une auréole, descend sur le Christ revêtu des habits pontificaux (saccos et omophorion) et officiant à l'autel au cours de la Divine Liturgie dont se déroule sur les parois latérales la grande Entrée116. Toutefois, cette expli- citation iconographique ne se trouve pas dans l'abside du bêma de la

115Babic, Les discussions théologiques, p. 374 sq.; Dufrenne, Les programmes iconographiques, p. 25-26, 52 sq.

116 S. Dufrenne, Images du décor de la prothèse, dans Revues des études byzantines, 26, 1968, p. 297-310; Id., Les programmes iconographiques, p. 14, 53-54.

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Péribleptos. Elle ne fait pas non plus preuve d'une aussi grande fidélité au texte de YHistoria ecclesiastica que la représentation dynamique et réaliste de l'action de grâce trinitaire et de la contemplation sacerdotale peinte sur la paroi de l'abside de Soleto.

La participation de la Trinité à l'action liturgique se rencontrera plus tard, dans la peinture post-byzantine, sur les fresques des églises de la Roumanie et ailleurs jusqu'en Russie, surtout à partir du XVIe siècle. Mais il s'agit toujours d'un développement de la composition trinitaire sous la forme του τριπροσώπου117.

* * *

Véritable unicum de la peinture byzantine, l'abside de Soleto revêt un caractère de profonde signification théologique et liturgique qui, en dépit de sa médiocrité artistique, d'hybridismes mêlés d'archaïsmes, est à mettre à l'actif de la culture des Grecs de Terre d'Otrante à la fin du Moyen Âge, au même titre que les nombreux manuscrits copiés dans la région. À l'instar du Jugement dernier et de la Passio légendaire de saint Etienne, qui nous offrent encore une incomparable illustration de la vie et des préoccupations des paysans et des petits artisans grecs du Salento à l'époque angevine118, les peintures de l'abside de S. Stefano à Soleto nous permettent d'apprécier le degré de fidélité de cette population et de son clergé aux traditions et à la spiritualité byzantines, au moment où elles allaient être submergées par la marée montante du rite latin et des expressions artistiques nouvelles qu'il véhiculait.

Michel Berger

117 Pelekanides, Βυζαντινά και μεταβυζαντινά μνημεία της Πρέσας ρ. 100-101, fig. 38; I.D. §TEFANESCU, L'évolution de la peinture religieuse en Bucovine et en Moldavie, depuis les origines jusqu'au XIXe siècle, Paris, 1928, p. 147; Id., La peinture religieuse en Valachie et en Transylvanie, depuis les origine jusqu'au XIXe siècle, Paris, 1932, p. 93-94, 72 et 405 (index s.v. Trinité).

118 Berger, S. Stefano di Soleto, p. 104, 115.