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1 PERTURBATION D’ORGANISATION TEMPORELLE ET RYTHMIQUE DANS LA PRODUCTION DE LA PAROLE CHEZ DIX ENFANTS DYSPHASIQUES SUIVIS SUR UNE PERIODE DE QUATRE ANS MT LE NORMAND 1,2 1 Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Paris 2 Laboratoire de Psychologie et NeuroSciences Cognitives, Université Paris Descartes CNRS UMR 8189, 71, avenue Edouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt Cedex [email protected] L’objectif de cette étude est d’analyser l’organisation temporelle et rythmique de la parole spontanée élicitée dans une situation de jeu et dans un contexte de livre d’images chez dix enfants dysphasiques diagnostiqués à 4 ans et suivis à intervalles réguliers jusqu’à 8 ans. Il s’agit d’explorer la nature de leur déficit phonologique syntaxique. Les résultats montrent que les enfants manifestent tous à 8 ans, à des degrés divers, des déséquilibres rythmiques de la parole qui se traduisent par un effort important dans le contrôle et la programmation de la parole, compte tenu des contraintes phonologiques (structure accentuelle du français) et des contraintes d’appariement intonosyntaxique (segmentation en constituants prosodiques et actualisation d’un principe de congruence entre la prosodie et la syntaxe). Ces perturbations coexistent avec des déficits importants en mémoire auditive Mots clés : développement de la parole spontanée, prosodie, dysphasie, structure accentuelle, rythme, contour mélodique, mémoire auditive.

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PERTURBATION D’ORGANISATION TEMPORELLE ET RYTHMIQUE DANS LA PRODUCTION DE LA PAROLE CHEZ DIX ENFANTS DYSPHASIQUES SUIVIS SUR

UNE PERIODE DE QUATRE ANS

MT LE NORMAND1,2

1Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Paris

2Laboratoire de Psychologie et NeuroSciences Cognitives, Université Paris Descartes

CNRS UMR 8189, 71, avenue Edouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt Cedex

[email protected]

L’objectif de cette étude est d’analyser l’organisation temporelle et rythmique de la parole spontanée élicitée dans une situation de jeu et dans un contexte de livre d’images chez dix enfants dysphasiques diagnostiqués à 4 ans et suivis à intervalles réguliers jusqu’à 8 ans. Il s’agit d’explorer la nature de leur déficit phonologique syntaxique. Les résultats montrent que les enfants manifestent tous à 8 ans, à des degrés divers, des déséquilibres rythmiques de la parole qui se traduisent par un effort important dans le contrôle et la programmation de la parole, compte tenu des contraintes phonologiques (structure accentuelle du français) et des contraintes d’appariement intonosyntaxique (segmentation en constituants prosodiques et actualisation d’un principe de congruence entre la prosodie et la syntaxe). Ces perturbations coexistent avec des déficits importants en mémoire auditive

Mots clés : développement de la parole spontanée, prosodie, dysphasie, structure accentuelle, rythme, contour mélodique, mémoire auditive.

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TEMPORAL AND RHYTHMIC ORGANIZATION DEFICIT IN SPEECH

PRODUCTION IN TEN CHILDREN WITH DEVELOPMENTAL DYSPHASIA

FOLLOWED OVER FOUR YEARS

MT LE NORMAND1,2

1Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Paris

2Laboratoire de Psychologie et NeuroSciences Cognitives, Université Paris Descartes

CNRS UMR 8189, 71, avenue Edouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt Cedex

[email protected]

ABSTRACT

The purpose of this study is to analyze temporal and rhythmic organization of spontaneous

speech elicited in a play situation and a narrative task in ten children with developmental

dysphasia diagnosed at age 4 and followed to age 8. The main issue is to explore the nature of the

phonological syntactic deficit in these children. Results show that children with developmental

dysphasia show evidence of persistent rhythmic speech disturbances at age 8 occurring by an

effortful control in the programmation of speech given phonological constraints (French

accentual structure) and intonosyntax constraints (segmentation into prosodic constituents and

accurate mapping between prosody and syntax. Such impairments co-occur with severe auditory

short-term deficit

Keywords: spontaneous speech development, prosody, developmental dysphasia, accentual

structure, rhythm, melodic contour, auditory memory.

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Introduction

Le diagnostic de dysphasie s’applique à des enfants qui présentent une forme de désordre du

langage lié à leur neurodéveloppement qui ne peut être attribué ni à un trouble auditif, ni à une

déficience intellectuelle, ni à une pathologie psychopathologique ou neurologique avérée (Rapin,

1986, Bishop, 1992, Billard et coll, 1996 ; Leonard, 1998 ; Conti-Ramsdem et coll, 2001; Le

Normand, 1999, Pierart, 2006, Chevrie-Muller, 2007, Pierart & Seron, 2008, Soares-Boucaud et

coll, 2009).

Quand on évalue longitudinalement le versant productif de la parole et du langage chez ces

enfants, il y a un déficit phonologique et syntaxique évident dans l’enchaînement des phonèmes

et des catégories morphosyntaxiques, particulièrement ces petits mots de fonction courts

unisyllabiques et inaccentués que sont les déterminants, les pronoms et les prépositions. La

nature de ces déficits fait toujours actuellement l’objet de vifs débats psycholinguistiques et

neurodéveloppementaux : Ils peuvent être interprétés comme étant liés soit à un déficit de

perception de la parole soit à un déficit de mémoire auditive ou auditivo-verbale ou encore à un

déficit des fonctions exécutives. Entre 4 et 6 ans, le répertoire consonantique de ces enfants est en

général encore très faible, l'intelligibilité de leur parole est réduite et leur morphosyntaxe peu

élaboré (LME < 2.5) quand on les compare à de jeunes enfants entre 2 et 3 ans en pleine

explosion lexicale et grammaticale (Le Normand & Chevrie-Muller, 1989, 1991a, 1991b; Plaza

& Le Normand, 1996 ; Parisse & Le Normand, 2002, Parisse & Maillart, 2008).

Ce déficit phonologique-syntaxique pourrait provenir d’une mauvaise organisation rythmique

qui se situerait dans le domaine de la perception de la parole en affectant la capacité de

segmentation, l'organisation séquentielle et l’enchaînement des catégories syntaxiques. La

parole de l’enfant dysphasique pourrait être en effet caractérisé par certains déficits subtils dans

les patrons rythmiques ce qui aurait des implications au niveau du lexique particulièrement dans

la composante phonologique, morphologique et grammaticale. Les perturbations de ces unités de

traitement de la parole pourrait évoluer ou s’aggraver en fonction des capacités de réorganisation

fonctionnelle et neurodéveloppementale.

L’objectif de cette étude est d’analyser et de savoir si les déficits impliqués dans le traitement de

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la parole chez ces enfants dysphasiques francophones sont essentiellement des perturbations

d’organisation rythmique, compte tenu des contraintes phonologiques du français (structure

accentuelle) et des contraintes d’appariement intonosyntaxique (segmentation en constituants

prosodiques et actualisation d’un principe de congruence relative entre la prosodie et la syntaxe)

L’accent en français a un statut particulier : le français est considéré comme une langue à accent

fixe qui serait toujours réalisé sur la dernière syllabe pleine d’un mot lexical, quand le noyau est

autre chose qu’un [´] muet. Dire que les mots en français sont toujours accentués sur la dernière

syllabe signifierait que l’accent est un accent de mot. Cependant, comme le signalent, Lacheret-

Dujour & Beaugendre (1999), c’est une définition très insuffisante et qui reflète mal la

complexité de la réalité de la parole. Le traitement de l’information prosodique permet en effet

que la production orale soit perçue comme une structure dynamique, bien intonée et rythmée.

Elle participe pleinement à l’intelligibilité du message contenu par le signal. Si le français est

considéré comme une langue à accent fixe dont l’unité métrique est la syllabe, l’accès au lexique

et à la syntaxe se produit sur la base d’une portion de signal prosodiquement contrainte. Les

auditeurs utilisent une représentation prosodique et organisée du signal à partir de laquelle ils

recherchent les frontières des catégories lexicales et syntaxiques dont la limite est imposée par la

capacité cognitive d’encodage des informations prosodiques.

Les études portant sur le développement de la perception de la parole chez l’enfant typique sont

nombreuses et laissent toutes apparaître le rôle fondamendal des indices prosodiques (rythme et

mélodie) dans l’initialisation des processus de traitement, en particulier pour la segmentation

permettant d’extraire les mots et de repérer les régularités syntaxiques qui organisent les phrases

en unités linguistiques hiérarchisées. La « composante prosodique » est nécessaire pour mettre en

relation la phonologie des mots et la syntaxe (Snow, 1998 ; Snow & Balog, 2002 ; Nazzi &

Ramus, 2003 ; Soderstrom et coll, 2003)

La langue environnante module la perception de la parole du très jeune enfant. Chaque langue

possède un matériel prosodique, phonologique et phonétique spécifique, ainsi que des règles

particulières de mise en relation des différentes catégories phonologiques pour former les

premiers mots. (de Boysson-Bardies & Durand, 1991)

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C’est dans cette perspective longitudinale que nous avons mené pendant 4 ans un suivi sur

l’organisation temporelle et rythmique de la parole spontanée d’une cohorte de 10 enfants

diagnostiqués dysphasique phonologique et syntaxique d’expression à l’âge de 4 ans.

Méthode

Tous les enfants participant à cette étude ont été diagnostiqués selon les mêmes critères :

(i) pas de trouble d'audition vérifié par un examen audiométrique (ii) pas de problème de

compréhension lexicale et morphosyntaxique selon les critères d’évaluation psycholinguistique

de la N-EEL (Chevrie-Muller & Plaza, 2001), (iii) un bon niveau intellectuel (QI >90) vérifié par

un examen psychométrique (WISC-III, Wechsler, 1996), (iv) pas de troubles de comportement.

Les données ont été recueillies dans le cadre de la consultation neuropédiatrique du Professeur

Evrard à l’Hôpital Robert Debré.

Données de l’étude

Les enfants ont été évalués à intervalles réguliers à l’aide de la batterie N-EEL, pour la

phonologie et la mémoire auditivo-verbale (répétition de mots peu fréquents, répétition de

chiffres, reproduction de structures rythmiques, répétition de phrases)

Cinquante échantillons de parole naturelle ont été aussi recueillis dans un contexte de jeu (Le

Normand, 1986, 2007, Le Normand et coll, 2008) et d’un livre d’image sans texte « Frog where

are you ? » (Mercier, 1969) analysés à l’aide du logiciel CLAN (Child Language Analysis) du

CHILDES développé par McWhinney (2000) et du logiciel POST (Part Of Speech Tagger,

Parisse et Le Normand, 2000).

Transcription et codage prosodique

La transcription prosodique a été effectuée à l’aide du logiciel PRAAT (Boersma,

http://www.fon.hum.uva.nl/praat/) selon un codage prosodique défini avec la collaboration d’

Anne Lacheret. Ce codage repose non seulement sur la base de la perception auditive des

proéminences terminales des productions mais se réalise aussi à partir de l’analyse acoustique

du signal.

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Pour cette étude, la transcription s’est effectuée en trois phases:

P1 : une segmentation en groupes accentuels (GA)

P2 : une classification des événements prosodiques en groupes accentuels bien formés ou

perturbés (GA+ vs GA-)

P3 : un codage prosodique définissant trois variables : L’Allongement Syllabique (AS),

L’Accent Morpho-phonologique (AM) et L’Enchaînement Syntaxique (ES)

(a) L’Allongement Syllabique (AS) incongru est un allongement de plus de 50% par

rapport à la durée de référence, cette dernière étant calculée par rapport à la

distribution de la syllabe en cours de traitement, finale ou interne de groupe. Par

exemple, quand l’enfant produit ce groupe nominal ‘dans le gaw-rages’, la syllabe est

accentuable, donc allongeable. Cet allongement ne doit pas excéder 50% de la même

syllabe en contexte inaccentué.

(b) L’Accent Morphonologiques (AM) est associé à une construction erronée de pieds

métriques : l’accent du mot accentogène est reporté sur son dépendant non accentuable

(par exemple, quand l’enfant produit l’énoncé « le bébé dort », le déterminant reçoit

un accent alors que le nom n’est pas proéminent.

(c) L’erreur intonosyntaxique se traduit par de mauvais Enchaînements prosodique des

groupes Syntaxiques (ES). L’exemple suivant montre que les hiérarchies des

frontières prosodiques et syntaxiques ne s’alignent pas et donnent lieu à un

déséquilibre rythmique entre le pronom « il » et le verbe « joue » (temps de pause

intra-énoncés >600ms)

(insérez la figure 1 ici)

Données longitudinales

Les données longitudinales montrent que l’enfant dysphasique maîtrise l’ensemble des 36

catégories syntaxiques vers 5 - 6 ans c’est-à-dire au moment où la longueur moyenne de

l’énoncé (LME) est > à 2.5, période du tout début de la construction des assemblages de mots

grammaticaux (Table 1)

. Table 1. Production des catégories syntaxiques analysées à l’aide du logiciel POST (Parisse

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& Le Normand, 2000)

adj adjectif (ex: petit) pro pronom (ex: moi)

adv adverbe (ex: vite) pro:dat pro datif (ex: à lui)

adv:int adverbe interrogatif pro:dem pro demonstratif (ex:ça)

adv:neg adverbe negatif (ex:pas) pro:int pro interrogatif (ex:qui)

adv:place adverbe de lieu (ex: là) pro:obj pro objet (ex:le)

adv:yn adverbe oui/non pro:refl pro reflexif (ex:se)

co communicateur (ex:wouah) pro:rel pro relatif (ex:que)

co:act communicateur action (ex:oh) pro:subj pro sujet (ex:il)

conj conjonction (ex: et) pro:y/en pro y/en

det determinant (ex:le, une) V verbe (ex:mange)

det:dem démonstratif (ex: ce, cette) v:aux auxiliaire (ex:a)

det:gen article générique v:exist copule (ex:est)

det:poss adjectif possessif v:inf verbe infinitif (ex:manger)

n nom v:mdl modal (ex:va)

n:prop nom propre v:mdllex ”modal lexical” (ex:sait)

num numeral v:poss “avoir” verbe principal

prep Preposition ex: au lit v:pp participe passé (ex:mangé)

prep:art préposition-article v:prog participe present

Total 36/36

Les difficultés d’organisation temporelles et rythmique perturbent alors de manière prédominante

les mots grammaticaux. Ces difficultés co-existent et participent à la construction de l’énoncé

grammatical , particulièrement au cours de l’élaboration de phrases SVO (voir figure 2a, avec

l’exemple : (bébé)* (i regarde le clown) et surtout au cours de la contruction du verbe

pronominal (voir figure 2b, avec l’exemple (le petit garçon)*(s’est)*(couché)

(insérez la figure 2a et 2b ici)

La figure 3 indique l’évolution du taux moyen des erreurs prosodiques pour l’ensemble des dix

enfants observés à partir de 5 ans : les erreurs relevant les marqueurs de durée d’allongements

Syllabiques (AS) et les marqueurs d’Accents Morphophonologiques (AM) diminuent entre 6 et 8

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ans alors que le taux moyen des erreurs concernant les marqueurs d’Enchaînement Syntaxiques

(ES) augmentent et restent encore très élevés à 8 ans.

(insérez la figure 3 ici)

Discussion

Le but de cette étude vise à identifier les perturbations rythmiques et temporelles de la

parole spontanée produite chez dix enfants francophones diagnostiqués dysphasiques à 4

ans et suivis à intervalles réguliers jusqu’à 8 ans. Nous avons exploré le suivi des Groupes

Accentuels et examiné le taux d’erreur moyen de trois marqueurs prosodiques (AS, AM,

ES).

Les principales données du suivi de la parole spontanée de ces enfants dysphasiques ont

montré qu’ils commencent à mettre en place l’ensemble de leurs catégories syntaxiques quand ils

atteignent une Longueur Moyenne d’énoncés (LME) > 2.5 i.e à l’âge de 5 à 6 ans. Le rythme de

leur parole est alors à ce stade peu approprié à la langue standard. La plupart de leurs énoncés

ont des accents Morphophonologiques (AM) erronés comme si la métrique des accents de leur

langue leur était non familière, devenant l’objet fastidieux et difficile d’un apprentissage

explicite.

Chez ces enfants, il semblerait que le problème se situe non pas dans la segmentation de chaque

Groupe Accentuel pris indépendamment mais dans le rapport prosodique (essentiellement

temporel) qu’entretiennent (1) les Groupes Accentuels (GA) (2) les mots internes à chaque GA

et dans l’actualisation de l’enveloppe prosodique avec certains contours d’allongement

syllabique terminaux.

Il s’agit là plus un problème d’équilibre rythmique qui se pose à ces enfants qu’un problème

d’organisation phonologique et de construction syntaxique par la prosodie.

La difficulté des enfants dysphasiques semble donc concerner la récupération des informations

rythmiques stockées en mémoire et non la perte des informations elles-mêmes puisque la

compréhension lexicale et syntaxique reste préservée tout au long du suivi. Leur compréhension

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lexicale et syntaxique se situent à tous les âges dans les variations normales de développement (-1

à +1 écart-type de la moyenne).

Les analyses psycholinguistiques ont révélé un retard d'acquisition phonologique et

syntaxique graduellement compensé à 8 ans coexistant avec un déficit persistant en mémoire

auditive. L’organisation temporelle et rythmique de leur production n’est donc pas encore bien

maîtrisée à 8 ans.

Si la production du langage oral, comme dans le cas de ces enfants dysphasiques, reste encore si

difficile à maîtriser au niveau de la programmation de la parole, ce retard s’inscrit dans un

dysfonctionnement touchant l'accès au lexique de production, la mémoire auditive, ce qui a des

conséquences sur les unités du traitement temporel de la parole, de la phonologie et de la

morphosyntaxe. Le traitement de la phonologie et de la prosodie s’appuie sur des

fonctionnements rapidement automatisés reposant sur des mécanismes d’apprentissage implicites.

L’argument en faveur d’un déficit dans l'automatisation et la programmation de l’enveloppe

prosodique et du lexique morphophonologique pourrait être ici avancé. La différence de rapidité

dans le traitement de la parole et du langage pourrait être liés à des mécanismes cognitifs de

mémoire de travail.

Dans le cas de notre cohorte, on peut supposer que leur déficit a porté davantage dans le domaine

de la perception prosodique de la parole ce qui a perturbé les capacités de segmentation de la

parole, l'organisation séquentielle des catégories syntaxiques. Quand l’enfant est atteint de

troubles de la perception de la parole, des relations asynchrones entre les autres plans

d’organisation du langage peuvent apparaître. Ces plans ne sont ni fixes ni univoques. On a pu

ainsi distinguer dans cette étude des difficultés réelles de l’accès au lexique phonologique et

morphosyntaxique.

Les perturbations d’organisation temporelle et rythmique dans la production de la parole des

enfants dysphasiques ont été encore peu évaluées dans la littérature. Les auteurs constatent

cependant que ces enfants babillent peu et présentent lors des toutes premières phases

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d’acquisition du langage des atypies dans la production des mots et des phrases tout en gardant de

bonnes compétences dans le domaine de la prosodie linguistique et émotionnelle : le jargon est

intonatif avec des contours mélodiques pouvant exprimer une question, un appel, une

exclamation. Le registre pragmatique des intentions de communication et des émotions

exprimant la peur, la joie, la tristesse, le dégoût ou la colère apparaît aussi très riche er

diversifié. (VanderMeulen et coll, 1997 ; Wells & Peppe, 2003 ; Marshall et coll, 2009)

Dans notre étude, le mécanisme cognitif qui est apparu le plus lié aux déficits d’organisation

temporelle et rythmique de la parole des enfants dysphasiques a été la mémoire auditive. Nous

validons ainsi les hypothèses de Corriveau et coll, 2007, et Corriveau & Goswami, 2009.

Pour approfondir davantage la nature de ces perturbations d’organisation temporelle et

rythmique chez les enfants dysphasiques et ses corrélats cognitifs, il conviendrait de faire des

études multicentriques avec des protocoles psycholinguistiques communs sur de grandes cohortes

d’enfants suivis à plus long terme. Cela pourrait permettre aussi de mieux rendre compte des

mécanismes de compensation que l’enfant adopte pour contourner ses difficultés de production

de parole, d’autant plus que chez ces enfants, les dysfonctionnements peuvent être associés,

dissociés ou compensés.

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13

Journal of Speech Language and Hearing Research, 46, 5-20.

Liste des figures Figure 1. Exemple d’une erreur intonosyntaxique (il)*(joue) produit par un enfant dysphasique à l’âge

de six ans. Figure 2a Exemple de segmentation lors de l’élaboration de la structure SVO (bébé)*(i regarde)* le

clown produit par un enfant dysphasique à l’âge six ans Figure 2b Exemple de segmentation lors de la construction du verbe (le petit garçon)* (s’est)* (couché)

produit par un enfant dysphasique à l’âge de six ans Figure 3 Evolution du taux moyen des erreurs prosodiques

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Figure 1. Exemple d’un mauvais alignement intonosyntaxique de l’énoncé avec une pause > à 1 seconde

au cours de l’assemblage Pro+V (il)*(joue) produit par un enfant dysphasique à l’âge de six ans.

Figure 2a. Exemple de segmentation avec une pause > à 400 ms, au cours de la construction de la

structure SVO (bébé)*(i regarde)* (le clown) produit par un enfant dysphasique à l’âge six ans

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Figure 2b Exemple de segmentation avec une pause > à 1seconde lors de la construction du verbe

pronominal (le petit garçon)* (s’est)* (couché) produit par un enfant dysphasique à l’âge de 6 ans