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Phéochromocytome I Pannier-Moreau C Massien-Simon PF Plouin R é s u m é. Le phéochromocytome est une cause rare d’hypertension artérielle. Il s’agit d’une tumeur développée aux dépens de la médullosurrénale sécrétant des catécholamines (adrénaline, noradrénaline ou dopamine). Les manifestations cliniques consistent essentiellement en une hypertension artérielle permanente. L’association avec la triade paroxystique constituée de céphalées, sueurs, palpitations ou les formes paroxystiques d’hypertension artérielle sont très évovatrices de phéochromocytome mais inconstantes. Le diagnostic repose sur un dosage pathologique des dérivés méthoxylés urinaires des 24 heures rapportés à la créatininurie et la présence d’une tumeur surrénalienne sur un scanner. Un scanner cervico-thoraco-abdomino-pelvien à la recherche d’une tumeur extrasurrénalienne est réalisé en cas de dosages des dérivés méthoxylés anormaux et de scanner des surrénales normal. Le scanner est complété par une scintigraphie à la méta- iodobenzylguanidine (MIBG) afin de documenter la présence éventuelle de métastases (10 % des phéochromocytomes sont malins). Enfin, la recherche d’une néoplasie endocrinienne multiple est systématique devant tout phéochromocytome. Elle repose essentiellement sur un génotypage. Le traitement consiste en une exérèse chirurgicale après une préparation médicale adaptée. Des traitements adjuvants (embolisation tumorale ou métastatique, consolidation de lésions osseuses par plastie) sont réalisés pour des phéochromocytomes malins. Tout phéochromocytome doit être considéré comme potentiellement malin et suivi au long cours. Introduction Le phéochromocytome (phéo) est une tumeur développée aux dépens de la médullosurrénale. Elle produit des catécholamines en excès. C’est une cause rare d’hypertension artérielle (HTA) puisqu’elle est à l’origine de cinq cas d’HTA sur mille. Il s’agit cependant d’une étiologie importante à diagnostiquer en raison de la curabilité chirurgicale dans 90 % des cas et de l’évolution spontanément mortelle en l’absence de résection. Origine Les cellules du système nerveux sympathique sont issues des crêtes neurales constituées de cellules primitives. Ces cellules ou sympathogonies migrent hors du système nerveux central le long de la face postérieure de l’aorte. Elles se différencient en sympathoblastes donnant naissance aux cellules ganglionnaires sympathiques ou en phéochromoblastes à l’origine des cellules chromaffines principalement localisées dans la médullosurrénale. Des tumeurs (phéo) peuvent être issues de ces deux types de cellules. La plupart des phéos se développent aux dépens de la médullosurrénale. Isabelle Pannier-Moreau : Rôle ? Christine Massien-Simon : Chef de clinique-assistant Pierre François Plouin : Professeur des Universités, praticien hospitalier. Hôpital Broussais, 96, rue Didot, 75674 Paris cedex 14, France. Toute référence à cet article doit porter la mention : Pannier-Moreau I, Massien-Simon C et Plouin PF. Phéochromocytome. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Endocrinologie- Nutrition, 10-015-B-50, 1999, 4 p. Cependant, 15 % des phéos de l’adulte et 30 % chez l’enfant sont extrasurrénaliens [2] . Ils peuvent être retrouvés dans les ganglions le long de la chaîne sympathique ganglionnaire, dans l’organe de Zuckerkandl à la face antérieure de la bifurcation aortique ou dans la vessie [3] . Quelques cas de phéochromocytomes intra-aortiques ont été décrits. Biosynthèse des catécholamines Les cellules chromaffines synthétisent et stockent les catécholamines à partir de l’acide aminé tyrosine. Les produits intermédiaires sont la dopa et la dopamine, et le métabolite final de la réaction est la noradrénaline, sauf dans la médullosurrénale où 75 % de noradrénaline est méthylée en adrénaline. La dopamine est un neurotransmetteur du système nerveux central et des terminaisons nerveuses sympathiques périphériques. Elle entraîne une vasodilatation des artères rénales et des vaisseaux splanchniques, et stimule l’inotropisme cardiaque. La dopamine est métabolisée en noradrénaline. Certaines cellules chromaffines de la médullosurrénale, de l’organe de Zuckerkandl et du système nerveux central sont capables de transformer la noradrénaline en adrénaline grâce à l’action d’une enzyme, la phényléthanolamine-N-méthyltransférase. Les catécholamines exercent leurs actions par l’intermédiaire des récepteurs dopaminergiques et adrénergiques (les récepteurs α et ). Les récepteurs sont subdivisés en récepteurs 1 et 2. Les récepteurs 1 entraînent des effets inotropes et chronotropes positifs ainsi qu’une stimulation de sécrétion de rénine par l’appareil juxtaglomérulaire rénal et une lipolyse des adipocytes. Les récepteurs 2 sont à l’origine d’une bronchodilatation, d’une vasodilatation de certains territoires artériels, de la relaxation des cellules musculaires lisses intestinales et du myomètre, et de l’augmentation de la libération des neurotransmetteurs à partir des terminaisons nerveuses sympathiques périphériques. Les récepteurs a sont également subdivisés en récepteurs a1 et a2. Les récepteurs a1 exercent une vasoconstriction et une glycogénolyse. Les 10-015-B-50 ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 10-015-B-50 © Elsevier, Paris

Phéochromocytome

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Phéochromocytome

I Pannier-MoreauC Massien-Simon

PF Plouin

R é s u m é. – Le phéochromocytome est une cause rare d’hypertension artérielle. Il s’agitd’une tumeur développée aux dépens de la médullosurrénale sécrétant des catécholamines(adrénaline, noradrénaline ou dopamine).Les manifestations cliniques consistent essentiellement en une hypertension artériellepermanente. L’association avec la triade paroxystique constituée de céphalées, sueurs,palpitations ou les formes paroxystiques d’hypertension artérielle sont très évovatrices dephéochromocytome mais inconstantes.Le diagnostic repose sur un dosage pathologique des dérivés méthoxylés urinaires des 24heures rapportés à la créatininurie et la présence d’une tumeur surrénalienne sur unscanner. Un scanner cervico-thoraco-abdomino-pelvien à la recherche d’une tumeurextrasurrénalienne est réalisé en cas de dosages des dérivés méthoxylés anormaux et descanner des surrénales normal. Le scanner est complété par une scintigraphie à la méta-iodobenzylguanidine (MIBG) afin de documenter la présence éventuelle de métastases(10 % des phéochromocytomes sont malins). Enfin, la recherche d’une néoplasieendocrinienne multiple est systématique devant tout phéochromocytome. Elle reposeessentiellement sur un génotypage.Le traitement consiste en une exérèse chirurgicale après une préparation médicale adaptée.Des traitements adjuvants (embolisation tumorale ou métastatique, consolidation de lésionsosseuses par plastie) sont réalisés pour des phéochromocytomes malins.Tout phéochromocytome doit être considéré comme potentiellement malin et suivi au longcours.

Introduction

Le phéochromocytome (phéo) est une tumeur développée aux dépens de lamédullosurrénale. Elle produit des catécholamines en excès. C’est une causerare d’hypertension artérielle (HTA) puisqu’elle est à l’origine de cinq casd’HTA sur mille. Il s’agit cependant d’une étiologie importante àdiagnostiquer en raison de la curabilité chirurgicale dans 90 % des cas et del’évolution spontanément mortelle en l’absence de résection.

Origine

Les cellules du système nerveux sympathique sont issues des crêtes neuralesconstituées de cellules primitives. Ces cellules ou sympathogonies migrenthors du système nerveux central le long de la face postérieure de l’aorte. Ellesse différencient en sympathoblastes donnant naissance aux cellulesganglionnaires sympathiques ou en phéochromoblastes à l’origine descellules chromaffines principalement localisées dans la médullosurrénale.Des tumeurs (phéo) peuvent être issues de ces deux types de cellules. Laplupart des phéos se développent aux dépens de la médullosurrénale.

Isabelle Pannier-Moreau : Rôle ?Christine Massien-Simon : Chef de clinique-assistantPierre François Plouin : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Hôpital Broussais, 96, rue Didot, 75674 Paris cedex 14, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Pannier-Moreau I, Massien-Simon Cet Plouin PF. Phéochromocytome. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Endocrinologie-Nutrition, 10-015-B-50, 1999, 4 p.

Cependant, 15 % des phéos de l’adulte et 30 % chez l’enfant sontextrasurrénaliens[2]. Ils peuvent être retrouvés dans les ganglions le long dela chaîne sympathique ganglionnaire, dans l’organe de Zuckerkandl à la faceantérieure de la bifurcation aortique ou dans la vessie[3]. Quelques cas dephéochromocytomes intra-aortiques ont été décrits.

Biosynthèse des catécholamines

Les cellules chromaffines synthétisent et stockent les catécholamines à partirde l’acide aminé tyrosine. Les produits intermédiaires sont la dopa et ladopamine, et le métabolite final de la réaction est la noradrénaline, sauf dansla médullosurrénale où 75 % de noradrénaline est méthylée en adrénaline.

La dopamine est un neurotransmetteur du système nerveux central et desterminaisons nerveuses sympathiques périphériques. Elle entraîne unevasodilatation des artères rénales et des vaisseaux splanchniques, et stimulel’inotropisme cardiaque. La dopamine est métabolisée en noradrénaline.Certaines cellules chromaffines de la médullosurrénale, de l’organe deZuckerkandl et du système nerveux central sont capables de transformer lanoradrénaline en adrénaline grâce à l’action d’une enzyme, laphényléthanolamine-N-méthyltransférase.

Les catécholamines exercent leurs actions par l’intermédiaire des récepteursdopaminergiques et adrénergiques (les récepteursα et â). Les récepteursâsont subdivisés en récepteursâ1 etâ2. Les récepteursâ1 entraînent des effetsinotropes et chronotropes positifs ainsi qu’une stimulation de sécrétion derénine par l’appareil juxtaglomérulaire rénal et une lipolyse des adipocytes.Les récepteursâ2 sont à l’origine d’une bronchodilatation, d’unevasodilatation de certains territoires artériels, de la relaxation des cellulesmusculaires lisses intestinales et du myomètre, et de l’augmentation de lalibération des neurotransmetteurs à partir des terminaisons nerveusessympathiques périphériques.

Les récepteursa sont également subdivisés en récepteursa1 et a2. Lesrécepteursa1 exercent une vasoconstriction et une glycogénolyse. Les

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récepteursa2 des terminaisons nerveuses présynaptiques inhibent la sécrétionde noradrénaline et ceux du système nerveux central diminuent l’activitésympathique. Ils ont par ailleurs une action de vasoconstriction, d’inhibitionde la sécrétion d’insuline, d’inhibition de la lipolyse et de relaxation descellules musculaires lisses intestinales. Les récepteurs dopaminergiques sontégalement subdivisés en deux types, DA1 et DA2. Les récepteurs DA1 sont àl’origine d’une vasodilatation des territoires artériels rénaux, mésentériqueset cérébraux. Les récepteurs DA2 inhibent la sécrétion de noradrénaline parles terminaisons nerveuses sympathiques.

L’inactivation des catécholamines est essentiellement réalisée par le biaisd’un recaptage par les terminaisons nerveuses sympathiques périphériques.L’inhibition de ce recaptage peut d’ailleurs être le mécanisme principald’action de certains médicaments ou drogues comme les antidépresseurstricycliques et la cocaïne. Les catécholamines sont également métaboliséespar des enzymes telles que la monoamine oxydase (MAO) et lacatécholamine-O-méthyltransférase (COMT). Enfin, une partie descatécholamines est éliminée dans les urines sous la forme de métanéphrine etnormétanéphrine constituant des dérivés méthoxylés.

La plupart des tumeurs médullosurrénaliennes sécrètent de l’adrénaline alorsque les phéos extrasurrénaliens ne sécrètent que de la noradrénaline. Lafréquence et la sévérité des symptômes des phéos sont liées au type desécrétion. Les tumeurs sécrétant des quantités importantes et soutenues decatécholamines induisent des hypertensions permanentes sans paroxysme enrapport avec la désensibilisation des récepteurs[7] alors que le relargagecyclique des catécholamines est à l’origine de formes paroxystiquesd’hypertension. Par ailleurs, les tumeurs à noradrénaline entraînent unevasoconstriction prédominant au niveau des récepteursα avec unehypertension diastolique. Les phéos sécrétant principalement de l’adrénalinesont à l’origine d’une stimulation prédominant au niveau des récepteursâcardiaques avec une hypertension essentiellement systolique accompagnée detachycardie, flush, sueurs et tremblements. Les tumeurs sécrétant de la dopaet de la dopamine vasodilatatrices peuvent ne pas entraîner d’HTA. Enfin, lesphéochromocytomes peuvent sécréter de nombreuses autres hormones tellesque le neuropeptide Y[5], la somatostatine[4] ou l’insulin-like growth factorII [1] pouvant expliquer la présence simultanée de symptômes liés à ceshormones.

Diagnostic clinique

Les manifestations cliniques du phéo sont extrêmement diverses. L’HTApermanente est la forme clinique la plus fréquente (50 % des cas). Sonassociation avec la triade paroxystique constituée de céphalées, sueurs etpalpitations est très évocatrice du diagnostic de phéo. Certains patients ontdes symptômes purement paroxystiques correspondant aux décharges decatécholamines. Ces formes d’HTA paroxystique sont très en faveur d’unphéo, mais plus rares que l’HTA permanente. Encore plus rarement, lespatients peuvent être totalement asymptomatiques malgré d’importantsniveaux plasmatiques de catécholamines circulantes[6].

L’HTA permanente du phéo est le plus souvent sévère, systolodiastolique etextrêmement instable. En plus de la triade symptomatique, d’autresmanifestations paroxystiques peuvent être retrouvées : douleurs ascendantesthoracoabdominales, tremblements, pâleur et anxiété. L’association à unehypotension orthostatique est également un bon élément d’orientation dansle diagnostic de phéo puisqu’elle est retrouvée dans trois quarts des cas.

Les formes avec HTA purement paroxystique accompagnée de crisesdouloureuses thoracoabdominales et triade symptomatique sont beaucoupplus rares. Elles peuvent être déclenchées par une émotion, un traumatisme,une intervention chirurgicale, une prise médicamenteuse ou un effortphysique. Dans le cas particulier du phéo vésical, les accès paroxystiquespeuvent être déclenchés par la simple miction.

L’amaigrissement est aussi un signe fréquent lié au catabolismecatécholaminergique. Dans tous les cas, il faut rechercher des signes dephacomatose ou de néoplasie endocrinienne multiple chez le patient ou danssa famille.

Diagnostic biologique

Certains signes biologiques peuvent orienter le diagnostic. Il s’agit d’uneintolérance au glucose ou d’un diabète vrai, une polyglobulie ou unehypokaliémie liée à une stimulation du système rénine angiotensine. Cet

hyperaldostéronisme secondaire est en rapport avec une hypovolémie relativeinduite par l’élévation de pression artérielle selon la loi pression-natriurèse etpar la stimulation des récepteursâ1-adrénergiques des cellulesjuxtaglomérulaires.Le diagnostic de phéo repose sur le dosage urinaire des catécholamines et deleurs métabolites, les métanéphrines.En effet, le dosage urinaire du blocmétanéphrines-normétanéphrines de 24 heures mesuré en chromatographieliquide à haute performance a une sensibilité de 100 % et une spécificité de95 %. Il faut cependant souligner l’importance de réaliser ce test dans debonnes conditions. Le résultat du dosage doit être rapporté à la créatininurieafin de s’assurer du recueil complet des urines de 24 heures : un rapport de lasomme des normétanéphrines et métanéphrines urinaires (en mg/24 h) sur lacréatininurie (en mg/24 h) supérieur à 0,354 signe le diagnostic de phéo.D’autre part, ce dosage doit être fait dans un laboratoire habitué à ce typed’analyse et les urines des 24 heures doivent être recueillies sur acidechlorhydrique. Les interférences avec certains aliments ou médicaments sontquasi nulles avec ce test. Ainsi, un dosage normal du bloc métanéphrines-normétanéphrines permet d’éliminer le diagnostic de phéo. Ceci expliquel’abandon d’autres tests beaucoup moins sensibles tels que les VMA trèsdépendants de l’interaction de facteurs alimentaires ou médicamenteux. Dela même manière, le dosage des catécholamines plasmatiques n’est pas réaliséen pratique car trop ponctuel et trop dépendant des conditions de stress dupatient (prélèvement sanguin, hospitalisation...).Le diagnostic peut être renforcé lors de la survenue de symptômesparoxystiques par un dosage des catécholamines urinaires libres sur unepériode de 3 heures. Ces catécholamines sont mesurées sous la forme libre enraison d’un recueil intervenant avant tout métabolisme de ces catécholamines.

Diagnostic topographique– La radiographie de thorax de face et de profilpermet de détecter un phéomédiastinal.– L’examen de référence est le scanner.Il permet de visualiser des tumeursde moins de 2 cm. L’aspect caractéristique après injection consiste en unemasse hétérogène constituée de plages de nécroses intratumorales et pouvantcontenir des calcifications. Dans la majeure partie des cas, le phéo estsurrénalien. Mais il n’empêche que le radiologue doit être bien informé dudiagnostic car l’exploration doit être large. Si l’on ne retrouve pas de massesurrénalienne, il faut chercher une localisation périaortique (y compris auniveau de l’organe de Zuckerkandl), médiastinale ou vésicale. Et dans tousles cas, il faut éliminer des métastases ganglionnaires, osseuses ou hépatiques.– La scintigraphie à la MIBGcomplète l’exploration faite avec le scanner.La MIBG est un analogue des catécholamines et elle est captée par le tissuphéochrome. La scintigraphie permet de détecter des tumeurs plus petites etsurtout ectopiques, multiples ou métastatiques. Elle doit être faite par unmédecin rompu à la pratique et à l’interprétation de ce type particulier descintigraphie.– Enfin, l’IRM peut conforter le diagnostic.L’aspect de tissu phéochromeest caractérisé par un rehaussement du signal par rapport à la graisse lors dudeuxième temps d’acquisition en T2.

Formes cliniques

Phéos malins

Ils représentent 10 % de l’ensemble des phéos. L’examenanatomopathologique de la pièce opératoire n’est d’aucun secours car un tissuphéochrome bénin peut avoir les mêmes caractéristiques histologiques qu’unphéo malin. Tout phéo doit donc être considéré comme potentiellement malinet surveillé à long terme.

Formes familiales

Ils peuvent faire partie d’une néoplasie endocrinienne multiple (NEM de typeII). Il s’agit de cancers de cellules endocrines issues des crêtes neurales. Laprévalence rapportée de cette maladie est de l’ordre de 10 000 patients àl’échelle mondiale. C’est une maladie familiale dont la transmission estautosomique dominante. Les NEM de type II peuvent être de différents types.Le type IIa, ou syndrome de Sipple, associe un cancer médullaire de lathyroïde (CMT) développé aux dépens des cellules à calcitonine, unehyperparathyroïdie et un phéo bénin ou malin. L’association phéo et présenceou antédédent de tumeur de la thyroïde impose de doser la thyréocalcitonineaprès stimulation par la pentagastrine chez le patient et dans sa famille. Le

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type IIb ou syndrome de Gorlin associe un CMT, des ganglioneuromesmuqueux et du tractus gastro-intestinal, un phéo et parfois la coexistence d’unaspect marfanoïde.

Le CMT est issu des cellules parafolliculaires de type C de la glande thyroïdeproduisant de la calcitonine. Il est généralement bilatéral et multicentrique. Ilse développe progressivement à partir d’un foyer d’hyperplasie pour aboutirà un carcinome après plusieurs années d’évolution. Les métastasesganglionnaires sont fréquentes bien que l’évolution reste latente dans 80 %des cas. Il existe d’autres localisations métastasiques au foie, poumon et os.Des signes plus rares du CMT sont la diarrhée et un hypercorticisme enrapport avec une sécrétion ectopique d’ACTH.

Les phéos des NEM 2A sont généralement limités à la glande surrénale. Demême que le CMT, l’évolution se fait progressivement à partir d’un foyerd’hyperplasie de la médullosurrénale. Ces phéos sont rarement malins bienque l’envahissement capsulaire soit fréquemment retrouvé. Ils peuventsécréter de façon prédominante de l’adrénaline, ce qui explique l’absencehabituelle d’HTAet la plus grande fréquence de signes adrénergiques tels queles palpitations, la tachycardie et l’anxiété.

Enfin l’hyperparathyroïdie est présente dans 15 à 20 % des cas. L’hyperplasiedes parathyroïdes représente la caractéristique histologique la plus fréquente.Elle apparaît rarement dans les premières années du développement dusyndrome de NEM 2A.

Le dépistage d’une NEM 2A doit se faire le plus rapidement possible dèsqu’on en a la suspicion et devant tout phéo afin d’éviter une évolutionpéjorative pour le propositus (c’est en effet le CMT qui règle le pronostic). Ildoit être proposé aux différents membres d’une même famille en raison ducaractère héréditaire de ce syndrome.En présence de CMT, les taux de calcitonine sont augmentés dans desconditions standards et surtout s’élèvent à des valeurs explosives après destests de stimulation. Le test dynamique à la pentagastrine est fiable et peutdéceler l’atteinte de la thyroïde au stade précoce d’hyperplasie. Il a permispendant de nombreuses années de dépister des formes infracliniques de CMTpour lesquelles une chirurgie pouvait être proposée à un stade précoce de lamaladie, améliorant ainsi la survie de ces patients. Seul le test dynamique à lapentagastrine a une valeur de dépistage puisque les taux basaux de calcitoninepeuvent être normaux en présence d’anomalie des cellules C à unstadeprécoce de la maladie. La réalisation annuelle du test à la pentagastrine permetainsi de dépister des anomalies précoces du fonctionnement des cellules C dela thyroïde au sein d’une fratrie dans laquelle d’autres membres sont suivispour une NEM 2A. Quant au phéo, il est détecté à partir de taux augmentés dubloc métanéphrine/normétanéphrine des 24 heures et confirmé par un scannerou une IRM et une scintigraphie au MIBG. Enfin, l’hyperparathyroïdie estdépistée sur une simple élévation des taux de calcémie totale et ionisée etconfirmée par une augmentation des taux de PTH.

Le dépistage (fondé auparavant uniquement sur les tests de stimulation de lasécrétion de calcitonine par la pentagastrine) s’est affiné avec les tests dedépistage génétique depuis la découverte de la localisation du locus de laNEM 2Asur la partie proximale du bras long du chromosome 10 (Simpson etal, 1987 ; Mathiew et al, 1987) et la mise en évidence d’un modèle génétiquede la maladie avec les analyses de ségrégation. C’est dans la même région duchromosome 10 que se trouve le proto-oncogène RET (un proto-oncogène estun gène cellulaire contrôlant la prolifération normale des cellules ou codantpour des facteurs de croissance ou leurs récepteurs ; il peut devenircarcinogène et favoriser une prolifération non contrôlée après mutation oustimulation excessive). Ce proto-oncogène contient 21 exons codant pour unrécepteur tyrosine-kinase membranaire. Il est constitué d’une partie NH2-terminale extracellulaire, d’un domaine transmembranaire et d’une régiontyrosine-kinase intracellulaire. C’est en 1993 que la NEM 2Aa été associée àune mutation ponctuelle de l’exon 10 ou 11 codant pour une région riche encystéine du proto-oncogène RET (Mulligan et al, 1993 ; Donis-Keller et al,1993). Actuellement, le dépistage de cette mutation peut être réalisé dans deslaboratoires de biologie moléculaire à partir d’un simple prélèvement sanguind’ADN (acide désoxyribonucléique) et à l’aide de techniques fiables. Sasensibilité est de l’ordre de 100 % dans la détection des NEM 2A. En cas desuspicion de phéo familial, l’enquête et le dépistage des autres membres de lafamille sont impératifs (Lips et al, 1994).

Dans 5 % des cas, le phéo est associé à une maladie de Recklinghausen (ouneurofibromatose) comportant des lésions typiques telles que des tachescutanées café au lait, des neurofibromes sous-cutanés ou des lésionsrétiniennes (nodules de Lish). Plus rarement, le phéo constitue l’une des

lésions de la maladie de Von Hippel Lindau, au même titre que deshémangioblastomes cérébelleux et spinaux, des angiomes rétiniens et descancers du rein.L’association éventuelle de phéos à ces maladies susceptibles de grever lepronostic vital des patients en raison de la coexistence de tumeurs malignesimpose de les rechercher systématiquement devant tout phéo.

TraitementIl repose sur la chirurgie en milieu spécialisé comprenant une équiped’anesthésistes familiarisés avec le phéo. Cependant, la préparation enpériode préopératoire est essentielle. Elle repose sur un traitementantihypertenseur adapté, une correction de l’hypovolémie, d’une éventuellehypokaliémie, d’un diabète et des désordres liés à l’hypermétabolisme.Le traitement antihypertenseur fait appel dans un premier temps auxalphabloquants, puis aux bêtabloquants. L’utilisation première desalphabloquants s’explique par la prépondérance des phéos sécrétant lanoradrénaline, un alpha-agoniste. La prazosine est prescrite trèsprogressivement de 0,25 à 5 mg 2 fois/j (la prescription initiale de doses trèsfaibles est importante à respecter en raison de la très grande sensibilité de laréponse tensionnelle de ces phéos ; l’utilisation initiale de doses« modérées » peut entraîner des collapsus au décours immédiat des premièresprises). Le blocage des récepteursα-adrénergiques entraîne une stimulationrelative des récepteursâ, à l’origine d’une tachycardie pouvant être gênantepour le patient. C’est donc dans un second temps que sont introduits lesbêtabloquants. On utilise habituellement le propranolol de 20 à 60 mg 2 fois/j.La dose instituée doit permettre de ramener la fréquence cardiaque auxalentours de 65 à 70/min. Le labétalol, cumulant les propriétés d’un alpha- etd’un bêtabloquant n’est pas à recommander car il a des propriétésbêtabloquantes de manière prédominante et risque d’entraîner des picstensionnels dans le cas de phéos sécrétant principalement de la noradrénaline.Si l’association alpha- et bêtabloquants reste insuffisante, le recours auxinhibiteurs de l’enzyme de conversion peut être utilisé en raison del’hyperaldostéronisme secondaire associé au phéo. Enfin, les antagonistescalciques plutôt bradycardisants tels que le diltiazem peuvent être proposés.Dans tous les cas, il faut proscrire l’utilisation des diurétiques. En effet,l’hypovolémie relative induite par la relation pression-natriurèse est àl’inverse à corriger de manière simultanée au traitement antihypertenseur etnon à aggraver par le traitement diurétique. La réhydratation se fait par unsimple régime normosodé apportant 6 g/24 h de Nacl et des boissons ou parune perfusion de sérum physiologique ou d’albumine en cas de grandedéshydratation. D’autre part, le traitement diurétique risque de majorer unehypokaliémie induite par l’hyperaldostéronisme secondaire et d’entraîner destroubles du rythme graves chez des sujets en état d’hyperadrénergie. Toutehypokaliémie doit donc être corrigée et les troubles du rythme traités parbêtabloquant. D’autres désordres tels qu’un diabète ou des troublessecondaires à un hypermétabolisme chez un sujet en mauvais état général sontégalement à corriger.Une bonne préparation opératoire est un élément essentiel dans le bondéroulement de l’intervention chirurgicale. Celle-ci est confiée à des équipesde chirurgiens et d’anesthésistes ayant l’habitude d’intervenir sur des phéos.En cas de lésion extrasurrénalienne ayant fixé à la scintigraphie à la MIBG,une scintigraphie thérapeutique à la MIBG peut être proposée en périodepériopératoire. D’autre part, une embolisation vasculaire peut être unealternative ou un complément de chirurgie. Enfin, des lésions osseuses sontsusceptibles d’être embolisées et/ou consolidées par plastie.Après l’exérèse du phéo, le patient est repris en charge par l’équipe médicale.Tout phéo doit être considéré comme potentiellement malin et suivi enconséquence à long terme. Une consultation et des dosages du blocmétanéphrines-normétanéphrines urinaires sont répétés en moyenne tous les6 mois à 1 an. Un bilan morphologique de la localisation initiale et larecherche de foyers à distance est systématique devant toute réascension dubloc normétanéphrines-métanéphrines urinaires.

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Le phéo est une tumeur rare puisque sa prévalence est de moins de0,1 % parmi les patients hypertendus. Le diagnostic est suspectédevant tout patient hypertendu ayant la triade symptomatique, devanttoute HTA sévère résistante à une bithérapie bien conduite et devant

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tout phéo familial ou suspicion de néoplasie endocrinienne multiple oude phacomatose. Le diagnostic de certitude repose sur le dosageurinaire du bloc normétanéphrines-métanéphrines des 24 heures. Latopographie est précisée par l’association scanner-scintigraphie à laMIBG. Une fois le diagnostic posé, le patient est pris en charge par une

équipe médicale spécialisée, préparé à l’intervention et adressé à uneéquipe de chirurgiens et d’anesthésistes habitués à intervenir sur desphéos. En cas de suspicion de phéo familial, l’enquête et le dépistagedes autres membres de la famille sont impératifs. Enfin, tout phéo doitêtre considéré comme potentiellement malin et suivi au long cours.

Références

[1] Gelato MC, Vassalotti J. Insulin-like growth factor-II: pos-sible local growth factor in pheochromocytoma. J Clin Endo-crinol Metab 1990 ; 71 : 1168-1174

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PHÉOCHROMOCYTOME Endocrinologie-Nutrition10-015-B-50

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