PHILOSOPHIE Le réel selon Alain Badiou€¦ · Pour Badiou, de fait, le réel n'est pas matteignable ll faut juste procéder autrement déchiffrer le réel, le com-prendre, c'est

LE POINT REFERENCESDate : MARS/AVRIL 15Pays : France

Périodicité : Bimestriel Page de l'article : p.107-114Journaliste : C. G. / AudreyPinson / Aliocha Wald Lasowski/ Anthony Mangeon / JérémyAndré / Sophie Pujas

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LAFFONT 7969413400506Tous droits réservés à l'éditeur

PHILOSOPHIE

Le réelselon Alain Badiou

Qu'est-ce que leréel ~> Le contraire del'irréel, de l'mauthen-tique, du semblantet de l'illusion. C'est,

! r I comme le dit VictorHugo, distinguer le pays du réel desarbres en carton ou des palais en toileOn ne peut pas réduire le réel auxapparences qui nous entourent Maîscomment y accéder alors ~> Dans cepetit essai, Alain Badiou estime que laphilosophie a trop souvent essayé dedire le réel sans y parvenir. Les philo-sophes idéalistes d'abord, par uneconstruction savante et rationnelle ;les empinstes, ensuite, par une expé-rience subjective et sensible Maîs lespremiers, comme Hegel, sont piégéspar le concept, général et abstrait, etles seconds, tel Kierkegaard, sont pri-sonniers de ce qui est immédiatementdevant les yeux ou de l'émotionPour Badiou, de fait, le réel n'est pasmatteignable ll faut juste procéderautrement déchiffrer le réel, le com-prendre, c'est y participer. La révéla-tion d'un petit bout du réel, c'estlorsque surgit quelque chose que l'onn'attend pas Soudain bouscule, onprend conscience du monde qui nousentoure, et l'existence apparaît sousun jour nouveau Ainsi, quoi de plusréel que la mobilisation de millions deFrançais dans la rue, le dimanchell janvier 2015, pour dire non à la bar-barie ? Qu'y a-t-il de plus réel, sinoncette prise de conscience, ce sursautcitoyen ?

Pour Badiou, l'irréel en politique, c'estla forme figée et étatique des choses,la société institutionnelle, régulière,normée. Le contenu réel, c'est ce quise fait hors de l'État, au prix certes



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DécryptagesIdées et essais

d'un effort et d'un arrachement, maîs parla volonté libre et spontanée des citoyensPour lui, le reel, c'est transformer l'impos-sible en possible c'est, au-delà de la ges-tion ordonnée et encadrée des institu-tions, l'action, la mobilisation, la prise deparoles Cette participation enrichit le réelen retour Finalement, toucher le reel, lerencontrer, serait une activité créatrice,une invention médite, et non une simpleréception passive, quelque chose dont onserait simplement spectateur Noussommes là dans ce que Badiou appelle les« logiques des mondes », titre d'un autrede ses livres, sur la production des effetsd'un evenement Ce qui ramène à laphrase fameuse de Karl Marx « Les phi-losophes n'ont fait jusqu'ici qu'interpréterle monde, il s'agit maintenant de le trans-former » Même si l'on n'est pas d'accordavec lui, une fois encore, Alain Badiounous bouscule et nous oblige à réfléchirAllochaWaldLasowski

Alain Badiou, xi la recherche du réel perdu,Fayard 64 pages 5€

DÉCRYPTAGE

Descartes sans clichésVéritable star de la philo-sophie au même titre quePlaton ou Anstote, Des-cartes souffre pourtantplus que d'autres d'êtreun penseur mal connu

Trop souvent, on croît savoir ce qu'il a dit,sans prendre la peine de le lire, et l'on mul-tiplie a son égard les contresens Spécia-liste incontesté du philosophe qui aimaitrêvasser sur les poêles, Denis Kambouch-ner entreprend ici d'éradiquer les clichesEn vingt-cinq courts chapitres, rédigésdans un style clair et accessible, quicouvrent tous les aspects de l'œuvre, dela méthode à la morale, de la métaphy-sique à la physique, le professeur d'his-toire de la philosophie a Paris I remet àl'endroit les relations de l'âme et du corps

version Descartes, le concept d'idéesinnées, la place des animaux dans lanature, etc Stimulant et utile CG.

Denis Kambouchner, Descartes rt 'apas dit. Les Belles lettres Hors collection,240 pages ll €

ESSAI

Les critiquesde Miss Murdoch

Frederic Worms, profes-seur de philosophie àl'École normale supé-rieure a eu l'idée de tra-duire enfin en français cetessai, sobrement intitule

Sartre, écrit en 1953 par la romancièreirlandaise Iris Murdoch (1919-1999) alorsqu'elle n'est encore qu'une jeune ensei-gnante en philosophie a Oxford L'ongina-lité de cette première etude en langueanglaise consacrée à Sartre consiste aanalyser la pensée du philosophe unique-ment a partir de La Nausée et de sa trilo-gie Les Chemins de la liberte « J'ai tentede fonder tout ce que l'avais a dire à proposde Sartre sur la considération de sesromans qui manifestent tres clairementtout a la fois la structure centrale de saphilosophie et le détail de ce qui l'intéressedans te monde contemporain », écrit Mur-doch Pour cette élève de Ludwig Witt-genstem, seul le roman est capable derendre compte de l'ambivalence de laraison humaine C'est la que la pensée deSartre va au plus lom, même s'il échoue,selon elle, à rendre compte de la com-plexité des relations entre les êtreshumains L'auteur de La Nausée est troprationaliste pour ne pas écraser le mys-tère de l'homme sous l'analyse Un anplus tard en 1954, Iris Murdoch publierason premier roman, Sous le filet Quant al'œuvre romanesque de Sartre, elle s'estarrêtée la Audrey PinsonIris Murdoch, Sartre, un rationalisteromantique, traduction Frederic Worms« Manuels » Payot 224 pages, 16 50 €

NOSTALGIE

Conversationavec Susan

Lorsque Susan Sontag(1933-2004) apprend en1974 qu'elle a un cancer,elle en fait aussitôt unsujet de réflexion etsigne, quatre ans plus

tard, La Maladie comme métaphore Riend'étonnant pour l'auteur emblématiquede la generation intellectuelle desannees 1960, vivre c'était penser Lentre-tien culte qu'elle donna au magazineRolling Stones en 1978 est aujourd'huipublie en intégralité On y retrouve sesquestionnements d'écrivain ses admira-tions littéraires et philosophiques, sesluttes pacifistes ou féministes « L'un demes plus anciens comba ts consiste a reje-ter la distinction entre pensée et senti-ment, qui est a la source de toutes lesconceptions anti-intellectualiste le cœuret la tête, la pensée et le sentiment, l'ima-gination et le jugement », resume-t-elleUn attachant portrait Sophie Pujas

Susan Sontag, Tout et rien d'autre,conversation avec Jonathan Cott,traduction Maxime Cattroux Climats,180 pages, 19 €

PSYCHANALYSE

Redécouvrir Freud

Freud, inlassablementFreud Les Cahiers del'Herne consacre unnumero à l'inventeur de lapsychanalyse Dirige parle psychologue Roger

Perron.il entend réhabiliter une œuvremalmenée ces dernières annees L'occa-sion de parcourir des inédits, comme ceslettres à Hermann Messe et a ThomasMann, maîs aussi de découvrir, au fil desarticles, les intuitions freudiennes et lamanière dont elles ont pu se realiser Ainsi,du concept de pulsion de mort - hypothe-



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tique processus d'autodestruction intrin-sèque a la vie -, si proche du phénomèned'apoptose, la mort cellulaire program-mée, mis en évidence en 1972 A. P.

Freud, Les Cahiers cfe l'Herne n°110424 pages 39 €

ANTHROPOLOGIE

Question de méthodeProfesseur au Collège deFrance, Nathan Wachtela construit une œuvreoriginale, à la croisée del'histoire et de l'anthro-pologie, liant enquêtes

ethnographiques et etude des archives,notamment celles de l'Inquisition Aprèsavoir étudie comment les populationsandmes se figuraient la conquête espa-gnols au XVIe siecle, puis les survivancesde leur vision du monde dans les folklorescontemporains, il s'est intéresse auxmémoires juives, notamment celle desmarranes du Brésil Ce livre qui rassembleprès de cinquante ans d'écrits, mêlantréflexions théoriques et notes de lectureou de terrain, illustre sa singulièreméthode - l'anthropologie historique -tout en défendant l'attention aux excluset aux victimes Sansangélisme les vain-

cus de l'histoire, tels les Aymaras duPérou ont eu, eux aussi, leurs colonisés,les Urus de Bolivie Maîs sans pessimismepour autant en détournant a leur profitles langages et les usages dominants, lescultures, poreuses et changeantes, réus-sissent à survivre aux pires traumatismesAinsi les marranes du Bresil ont-ils main-tenu vivants certains rites de leursancêtres, contribuant ainsi a ludaiser lesgestes mêmes par lesquels ils devenaientchrétiens En nos temps de crispationidentitaire, cette mise en perspective deséchanges culturels s'avère aussi salutaireque bienvenue Anthony Mangeon

Nathan Wachtel, Des archivesaux terrains, essais d'anthropologiehistorique, « Hautes Études »EHESS/Gallimard/Seuil 544 pages, 29 €

OPPRESSION

Poésie en résistanceUn acte de foi et uneexhortation au courageTelle est Consolation auxtribulations d'Israël, deSamuel Usque, l'un destextes majeurs de la litté-

rature juive De la vie de l'auteur, on ne saitpas grand-chose, si ce n'est qu'il est né au

Danse des Indiens Aymaras du Pérou, vers 1848.

Portugal vers la f in du XVe siècle, dans unefamille de marranes, juifs convertis parforce au christianisme C'est à Ferrare(Italie), ou il s'est enfui, que le texte estpublié en 1553 Sous forme d'un dialoguepastoral, forme alors très en vogue, le livreraconte l'histoire des juifs, des originesaux persécutions médiévales L'auteurveut convaincre les siens de ne pas renon-cer a leur foi Ila choisi de l'écrire en por-tugais, car la communauté lusitanienneest alors dans une situation critiqueDepuis 1536, l'Inquisition y traque lesfausses conversions, et elle frappe avecautant de violence que dans l'Espagnevoisine Samuel Usque livre pourtant unmessage d'espoir, fondée sur sa lecture del'histoire et du destin juif « À ceux quin'étaient plus capables cle discerner laprésence vivante de Dieu dans l'histoire, laConsolation voulait offrir une nouvellehistoriographie messianique, soudant lepasse, le présent et l'avenir dans unemême réalité », analyse l'historien YosefH Yerushalmi dans la très riche préface del'ouvrage Témoignage crucial d'uneculture en péril, ce monument litterairefrappe aussi par sa beaute poétique s. P.

Samuel Usque, Consolation auxtribulations d'Israël, traduction Lucia LibaMuczmck introduction de Yosef HYerushatmi, Chandeigne, 464 pages 25€

ÉGYPTE

Histoired'une fascination

Comment et pourquoi lepays des pharaons a-t-ilinfluence les récitsbibliques, la philosophienéoplatonicienne, l'héré-sie gnostique ou le sou-

fisme ~> Pour quelles raisons les momieset les pyramides ont-elles tant fait rêverMozart, Napoléon ou Gérard de Nerval?Pourquoi sommes-nous toujours captivespar le mystère de ces momies et de ces



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LE COIN DE L'EDITEUR

MarcdeSmedt« II faut absolument enclencherdes ondes positives et créatives »

Marc de Smedt dirige les Éditions du Relie. Auteur, il a signé,entre autres, éloge du silence (Albin Michel, 1989). Fondateur dumagazine de spiritualité et développement personnel NouvellesClés (devenus Clés), il relance aujourd'hui, sous forme de mook,la revue Question de, créée en 1972 par Louis Pauwels.

Le Point Pourquoi avoir trans-formé la revue Question de en unmook, cette formule hybride entrelivre et magazine?Marc de Smedt L'ancienne for-mule, tirée à 3 DOO exemplaires,publiait des actes de colloque.Là, nous partons sur un tirage de15 000 exemplaires par numéro,deux fois par an, avec une revuequi est à la fois un objet esthé-tique et une sorte de laboratoiretraitant de la spiritualité et dessciences humaines de manièreoriginale. La méditation est lepremier thème que nous trai-tons, car c'est l'un de mescentres d'intérêt majeurs. En cemoment, il est vraiment impor-tant de savoir trouver la sérénité,de se dépolluer psychiquementet émotionnellement. Le but estde trouver des idées pour conti-nuer à évoluer et non à involuer.Comme le dit l'historien JeanDelumeau, « nous nous trouvons

mages 'Dans ce livre-somme, auquel ontparticipé quelques-uns des meilleurs spé-cialistes dans les domaines de ('archéolo-gie, les religions, la philosophie, la bandedessinée, l'opéra, l'art ou le cinéma, lajournaliste et spécialiste de l'Egypte Flo-rence Quentin ne se contente pas de nous

EhTION*

devant une régression de civilisa-tion ». Il faut absolumentenclencher des ondes positiveset créatives. Sur les scienceshumaines aussi. Ce qui m'inté-resse, c'est l'être humain dansson mystère et son potentiel.

À l'heure où la presse est en crise,vous espérez atteindre l'équilibre ?C'est un pari, qui exige devendre au moins 7 000 exem-plaires. Mais, pour Albin Michelcomme pour moi, cette revuen'est pas une affaire d'argent,c'est un objet de recherche et deplaisir. Puisque nous ne dépen-dons pas de la publicité, noussommes complètement libres.

Propos recueillispar Audrey Pinson

Question de,N°l:LaMéditation,157 pages, 15 €.

raconter une civilisation plusieurs foismillénaires. Elle nous donne égalementles moyens de comprendre la fascinationcomme la répulsion qu'elle a pu susciterPassionnant, e. G.Florence Quentin, Le Uvredes Égypte!, collection « Bouquins »,Robert Laffont, 1024 pages, 30 €

MESSALINE

Merci pour ce moment

François Hollande n'estpas le premier chefd'État dont les idylles semuent inéluctablementen calvaire. Il y a deuxmille ans, l'empereur

Claude (qui régna de 41 à 54) connutbien pire que Valérie Tnerweiler : Messa-line. La dame est restée dans l'histoiresous l'aimable surnom que lui donna lepoète Juvénal (v. 50-130) MeretnxAugusto, la « putain impériale ».Légende ~>llfaut, pour le savoir, lire l'épaisse biogra-phie que lui consacre Jean-Noël Castono,spécialiste des femmes dans la Romeantique. La vie de Valena Messalma, des-cendante de Marc Antoine (83-30 av.J -C ), le général qui aima Cléopâtre,commence plutôt bien. À quelque14 printemps, elle épouse Tiberius Clau-dius Drusus, la cinquantaine, membre dela famille impériale, deux fois divorcé. Lavie sourit à ces deux ambitieux. Aprèsl'assassinat du cruel Caligula, en 41,Claude devient empereur et sa com-pagne lui donne deux enfants, Octavie etBntannicus. Presque un couple bour-geois. D'où vient, dès lors, la désastreuseréputation de madame ?Les écrivains romains l'accablent de tousles vices. Insatiable, elle vend son corpsdans les bordels. Cruelle et cupide, elles'accapare des fortunes et pousse sesnvales au suicide. À l'été 48, amoureusepeut-être, elle force le consul Caius Siliusà répudier sa femme et l'épouse lors defantasques noces publiques. Voilà l'im-pératrice polygame ! Pire, selon Suétone(v. 70-140), l'empereur lui-même s'estporté témoin du contrat ! Rome n'enrevient pas. Trahie, Messalme est assas-sinée par d'anciens complices. Averti dudrame, Claude lève sa coupe et prometqu'on ne l'y reprendra pas. Maîs déjà, il seremarie et cinq ans plus tard, Agrippine



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Les Orgies de Messalme, tableau de Federico Faruffim (XlX'siècle).

(v 15-59), l'empoisonne pour mettre surle trône Néron (r 54-68), son fils d'unpremier mariage Trop horrible pour êtrevrai7 Face à une intrigue si bien ficelée,les historiens modernes s'interrogentPlus personne ne croît au portrait d'unClaude idiot goinfre et veule, tel que l'ondressé les auteurs de l'antiquité Cetempereur fut un conquérant et un poli-tique trop habile pour être le cocu d'unetelle farce Et si tout cela n'était qu'uneimposture, montee contre l'empereur7

A Rome, le pn/ros/oterpares, « premiersparmi les pairs », n'était jamais qu'unprince parmi d'autresPrudent, Castono ne prend pas position,même si pour lui, la Messalme desAnciens n'est qu'un fantasme, cauche-mar misogyne d'une femme de pouvoirà la sexualité débordante Elle deviendral'archétype au XIXe siècle, de la femme« nymphomane » Le livre est passion-nant, même si l'analyse finale laisse unpeu sur sa faim Comme l'insatiable Mes-salme Jerémy AndréJean-Noël Castono, Messalme,la putain impériale, « Biographie »Rayol 464 pages 26 €

ETHNOGRAPHIE

Un Franciscainchez les Mayas

En 1566, de retour enEspagne après un séjourde quatorze ans dans leYucatan, dans le sud-estdu Mexique, le moinefranciscain Diego de

Landa (1524-1579) rédige La relation deschoses de Yucatan Véritable photogra-phie de la societé maya au moment de laconquête espagnole, ce temoignage estl'un des tout premiers ouvrages connussur les Mayas, et l'un des plus precieux deLanda envoyé pour convertir les Indiens,noue une amitie avec un seigneur localqui lui fait decouvrir son peuple et saculture Ce qui ne l'empêchera pas dedétruire activement des manuscritsmayas i ll rapporte pourtant sansiuger, ycompris quand il s'agit de sacrificehumain « Lorsqu'ils devaient arracher lecœur de la victime [ ], le sacrifia teur luidonnait un coup entre les côtes, du côtegauche, en dessous du mamelon, ilypor-tait immédiatement la mam qui, se /étant

sur le cœur comme un tigre enragé, l'arra-chait vif pour le déposer sur un plateauqu'il remettait au prêtre, lequel allait leplus vite possible aux idoles pour oindreleurs faces avec ce sang frais » Le moinenous décrit de féroces guerriers, qui sontégalement savants et artistes, bonsvivants amateurs de fêtes, de danses etde comédies « ll leur arrivait souvent dedépenser en un banquet ce qu'ils avaientmis de nombreux iours a gagner en com-merçant ou en grugeant autrui » DeLanda donne aussi un premier décryp-tage de la langue, du calendrier, de l'anth-metique, maîs aussi de la faune et de laflore Le texte original ayant ete perdu,François Baldy s'est fondé, pour sa tra-duction, sur un manuscrit retrouvé en1862, recueil d'extraits choisis par uncopiste espagnol L'ensemble est consi-dérablement ennchi des dernières decou-vertes sur la sociéte maya A. p.

Diego de Landa, Relation des chosesdè Yucatan, suivi de Histoire du Yucatan,Livre IV-Chapltres I à IX par DiegoLapez de Cogolludo, Les Belles Lettres552 pages 46 €

ESCLAVAGE

Les dessouséconomiquesde la morale

De Montesquieu et sonEspntdes/o/s(1748)audecret d'abolition promupar Victor Schcelcher(1848) la lutte contrel'esclavage aura dure un

siècle On connaît les grands principes quil'ont justifiée ils forment aujourd'hui ladevise republicaine On a oublié, enrevanche, que le combat abolitionnistefut aussi porté par des raisonnementspragmatiques, notamment sur les coûtsrespectifs de la servitude et du travaillibre Ce courant de pensée a favorisél'essor de la philosophie politique, le



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développement de la sociologie et de lapensée économique modernes, commes'attachent à le montrer dans ce livreCaroline Oudm-Bastide, historienne del'esclavage aux Antilles, et Philippe Stei-ner, spécialiste de sociologie économiqueComment d'importants penseurs fran-çais, de Condorcet à Tocqueville, en pas-sant par Auguste Comte, ont-ils lié mora-lité, intérêt et rationalité i Et commentl'idée de calcul s'est-elle imposée pourdésigner un décompte arithmétiqueautant qu'un choix mûrement réfléchi 'C'est ce qu'exploré Calcul er Morale, enrevisitant les (longs) débats entre aboli-tionnistes et esclavagistesTout commence avec Du Pont deNemours, qui montre en 1771 que le travaillibre est plus rentable que le travail ser-vile, tant pour la France que pour les pro-pnetaires d'esclaves Ces derniersdénoncent en retour le coût faramineuxdes propositions abolitionnistes, notam-ment le remplacement des Noirs affran-chis par des immigrés européens On vaalors avoir l'idée de coloniser l'Afrique,pour y développer des plantations outravaillerait une main-d'œuvre locale, etlibre Gain moral supplementaire on luttecontre l'esclavage en Afrique même 'Comme quoi, les bonnes intentions nesont pas toujours gratuites A. M.

Caroline Oudln-Bastideet Philippe Stelner. Calcul et Morale,coûts de l'esclavage et valeurde l'émancipation (XVIIf-XIX'siecle)Albin Michel 298 pages 24 €

TRAJECTOIRE

Viva OlgaBertin, ll avril 1928 Armesen mam, une poignée deleunes communistespénètrent dans la salled'audience de la prison deMoabit, ou l'un des leurs,

incarcéré depuis plus d'un an, doit être

ITALIE

Fureur et luttedes classes

Militante communiste, Olga Benârio, néeGutmann, sera déportée à RavensbrOck.

entendu À leur tête, Olga Benàno, 20 ans,tignasse brune et regard bleu Ils repartentavec le prisonnier - et pourtant leursarmes n'étaient pas chargées Qui est lapasionana qui a mené l'opération 7 Unefille de la bourgeoisie juive allemande,dont l'engagement précoce a vite gagne enampleur Agent de la troisième Internatio-nale à Moscou, elle va être chargée d'ac-compagner au Brésil le militant commu-niste Luis Cartes Prestes, qu'elle épouse Àses côtés, elle participe à la révolutionmanquée de 1935, pour tenter de fairetomber la dictature de Getulio Vargas Lepouvoir brésilien la livre à l'Allemagnenazie.alorsqu'elleest enceinte Apresavoiraccouché en prison, elle sera déportée àRavensbruck, ou elle meurt en 1942Parue au Brésil en 1985, cette biographiesignée de Fernando Morais, fruit d'unelonguefascmation de l'auteurpourl'mtré-pide révolutionnaire, a nécessite trois ansd'enquêtes minutieuses « Livre vraimentinoubliable », comme l'a décrit l'écrivainJorge Amado (1912-2001), il rencontra unvif succès (plus de 60 DOO exemplairesvendus) et contnbua à forger la légended'Olga au Brésil S. P.Fernando Morals, Olga, Allemande,lulve, révolutionnaire, traduction AntoineAlbuca Chandeigne 454 pages 22 €

Une petite ville desPouilles(ltalie),le7mars1946 Un leader syndical,Giuseppe di Vittono, doitprendre la parole aprèsplusieurs iours de heurts

violents entre ouvriers agricoles et pro-priétaires terriens Soudain, un coup defeu part depuis la demeure d'une desgrandes familles de la ville, les PorroQuatre sœurs vivent la, dans le respect detraditions immuables, elles ont entre 50 et60 ans Qui a tiré ~> On ne le saura jamaisMaîs la foule se saisit des sœurs et leslynche Deux d'entre elles survivront Plusd'une centaine de personnes seront arrê-tées Comment s'est produit ce déchaîne-ment de fureur collective ' Prends gardeexamine cette flambée de violence àtravers deux récits L'essayiste LucianaCastellina replace l'événement dans lecontexte de ce qu'elle nomme la « guerrecivile des Pouilles », véritable lutte desclasses sur fond de famine et de difficileaprès-guerre La romancière MilenaAgus,elle, fait des sœurs Porro, aveugles auvent du changement, les émouvanteshéroïnes d'un récit de fiction Deux façonsde revisiter la grande histoire S. P.

Mllena Agus et Luciana Castellina,Prends garde, traduction MarianneFaurobert et MargueritePozzoli LianaLevi. 176 pages 17 €

ART

Le poids des influencesLa création peut-elle sefaire ex nihilo? On a cou-tume de penser l'histoiredes arts, des littératureset des savoirs en termesde filiations ou de rup-

tures Or, par-delà ces schémas domi-nants, comment une influence s'exerce-



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t-elle concrètement dans le domaineculturel 'Line époque de grands change-ments, une révolution scientifique, unemutation esthétique ne retiennent-elles

vraiment rien des pratiques ou des habi-tudes qui les ont précédées 7 Pour la phi-losophe Judith Schlanger, il est évidentqu'on ne crée jamais à partir de nen : touteœuvre s'inscrit dans une culture et dansdes codes, même si elle contribue à lestransformer. Le leu des influences n'esttoutefois pas un simple conditionnementqu'on recevrait de manière passive ; il a uneffet transitif. L'influence est une force quioriente, maîs que nous conduisons ail-leurs. Cette dynamique opère à tous lesniveaux, celui des génies comme celui dessimples consommateurs de culture. Ainsi,parmi les spectateurs venus chahuter lapremière dePelléasetMélisande, en 1902,certains, comme Jacques Rivière ou Léon-Paul Fargue furent si bouleversés par lamusique de Claude Debussy qu'ils contri-buèrent à refonder la sensibilité littérairede leur époque Ils ne faisaient ainsi quesuivre Baudelaire qui, un demi-siècle plustôt, avait été tellement marqué par lespeintres d'avant-garde qu'il devint le pre-mier théoricien de notre modernité... A. M.

Judith Schlanger, Le Neuf, (e différentet le déjà-là, une explorationde l'Influence, Hermann, 252 pages, 24 €

DANSE

Morale de l'entrechatPeut-on penser avec sespieds7 L'historienneNathalie Lecomteexplore les idéologiescachées derrière l'appa-rente légèreté du ballet.

« Aussi (om que ('on s'aventure dans/'étude du spectacle dansé, on perçoit larelation étroite qui unit danse et pensée »,note-t-elle Né avec la Renaissancehumaniste, le ballet lui doit ses premièresvaleurs, le goût de la raison et de l'harmo-

INÉDIT

« La Méduse » : les mémoiresdu capitaine

Immortalise par Géricault (1791-1824), le naufrage de La Méduse estl'un des plus célèbres désastres de l'histoire de la manne. En juillet

1816, cette frégate s'échoue au large du Senégal, avec à son bord plus

de 400 hommes, mais seulement six canots de sauvetage... Sur l'und'entre eux, plus de 160 hommes vont s'entasser, s'entretuer et finir pardévorer les cadavres des victimes. Daniel Dupont, un capitaine d'infan-terie, sera l'un des quinze survivants de ce terrible radeau.

Philippe Collonge, passionné d'histoire, a retrouvé le manuscrit desmemoires du capitaine, détenus par ses descendants, et le publie pourla première fois dans son intégralité. Ce récit haut en couleur revient surle fameux naufrage. Dupont affirme avoir vécu dans le brouillard d'une

fièvre délirante la pire nuit d'affrontement (cf. encadré ci-dessous). Mais

ses souvenirs retracent aussi une vie d'aventures. il participa à la guerre

civile de Vendée qui opposa, pendant la Révolution française, dans lesannees 1790, les royalistes aux républicains, puis a une campagne mili-taire aux Antilles. « Sauvé de la noyade a Pontorson, il échappe au massacre

d'un convoi de malades, est épargne par un sabreur vendéen, évite la baïon-

nette d'un esclave révolté, traverse sans dommage les plus fortes tempêtes et,

quand le malheur semble enfin le terrasser, il fait partie de

la poignée d'hommes qui survit à la tragédie du radeau de

La Méduse », s'enthousiasme Philippe Collonge Unhomme qui a de la chance... • S. P.

Un Rescapé de La Méduse, mémoires du capitaine Dupont,1775-1850, présente et commenté par Philippe Collonge,La Découvrante, 162 pages, 18 €

LE TEXTE ———

« Un matelot me coupait le pied »« Je repris connaissance, et, en ouvrant les yeux, l'aperçus un matelot qui mecoupait le pied Je n'avais pas la force de le retirer, cependant je lui demandai cequ'il faisait, qu'il me faisait du mal. Il me répondit qu'il croyait couper le radeau.Je m'aperçus tout de suite que ce malheureux avait perdu la tête et, en effet, ilparaît qu'il n'a pas vécu longtemps après, car je ne l'ai plus revu Mon premiermouvement fut aussi en ouvrant les yeux de regarder où l'étais, et je fus biensurpris de me voir encore sur le radeau. Je (étais aussi un regard tout autour demoi et je f us bien surpris de ne voir presque plus de monde. Je pensais qu'il étaitmort beaucoup de monde dans cette nuit affreuse, maîs je ne savais pas encorece qui s'était passé et je suis resté longtemps sans le savoir. Aujourd'hui même,ie ne sais pas la vérité sur cette terrible nuit. »

Mémoires du capitaine Dupont, rescapé de La Méduse, © La Découvrante



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nie Ainsi, lors des noces de la catholique

Marguerite de Valois avec le futur roi pro-

testant Henri I V, on assiste à un spectacle

fastueux La Défense du Paradis, racon-

tant le triomphe des forces du bien suite

a un rude combat En fait, il s'agit de la

mise en scène symbolique d'une actualité

brûlante le nécessaire retour a la paix

que ce mariage doit permettre, dans un

pays déchiré par les guerres de religion

Rapidement influent dans toute l'Europe,le ballet devient un incontournable de la

vie de cour Louis Xl V, qui aime danser, en

fait l'un des arts au service de sa gloire

Raffinement, modération et equilibre

résument l'idéal de l'honnête homme- autant de vertus incamées par la danseConséquence l'institutionnalisation du

genre, symbolisée en France par la crea-

tion en 1669 de l'Académie royale de

musique ancêtre de l'Opéra de Pans S. P.

Nathalie Lecomte, Entre coursetiardins d'illusion, le balleten Europe (1515-1715), Centre Nationalde la Danse 480 pages 29 50 €

MATHÉMATIQUES

Les aventuriersdu chiffre perdu

ALEXBT LA MAGIE

DES NOMBRES

Le soir de la Saint Syl-

vestre, la bonne année, il

l'a « tweetée » ainsi «10

x9x8x7-6 -5x4x3-2

+ I = 2015 » On l'aura

compris, Alex Belles aime

les nombres Après cinq années à étudierles mathématiques a l'université d'Oxford,

puis cinq autres comme correspondant du

Guardian au Brésil entre 1998 et 2003, il a

propose à son journal une chronique surses aventures a « Numberland » Le pre-mier livre qui en a été tiré, A/ex au pays des

chiffres (2011), s'est vendu à plus de

8 DOO exemplaires en France LaMagiedes

nombres en est la suite Elle s'ouvre sur la

rencontre de Jerry Grâce a un don particu-

lier lié au syndrome d'Asperger cet autiste

divise les plus grands nombres en nombres

premiers, des entiers indivisibles sauf par

un et eux-mêmes Quand il parvient a

decouvrir un très grand nombre premier ilfrissonne de plaisir c'est un nouvel ami

Pour lui, les nombres sont des merveilles

de la nature qu on prend plaisir à apprivoi-

ser Mobilisant de très séneuses études de

psychologie, Belles montre que les chiffres

ont une vie en soi 7 est ainsi le chouchou

de beaucoup et 13 le dandy des chiffres car

perçu comme « ténébreux » et « dégin-

gandé » Autant d informations dont sesont saisis les experts du marketing pour

valonser leurs produits' Surprenantes, les

chroniques d Alex le béotien explorent

ainsi les régions les plus obscures desmathématiques modernes, telles que les« f ractales » de Benoît Mandelbrot ou les

équations du Français Cédric Vidam, lau-

réat de la médaille Fields Au risque de

perdre parfois les lecteurs, maîs se perdre

n'est-ce pas le luxe de l'aventure ~> I. A.

Alex Belles, La Magie des nombres,un nouveau voyage d'Alex au pays desmathématiques, traduction AnatoleMuchmk Robert Laffont 368 pages 22 €

À NOTER

Le retour des sorcières« Sorcières » c'est le nom de la nouvelle

collection féministe lancée par les editions

Cambourakis Pour ouvnr le bal, deux réé-

ditions d'ouvrages cles de la lutte pour

l'égalité entre les sexes Rêver l'obscur,

publie en 1982 par l'activiste américaine

Starhawk, figure de l'écofémmisme, etSoraères sages-femmes etmfirmières, de

Barbara Ehrenreich et Dei rd re English, paru

en 1973 Les auteurs s'y interrogent sur la

suppression de la profession de sage-femme aux États-Unis au XIXe siècle per-çue comme une confiscation de la mede-

cine par les hommes À découvrir S. P.

Réver ('obscur, traduction Morbic404 pages 24 € et Sorcières, sages-femmes et Infirmières, traduction L Lame,128 pages 16 € éditions Cambourakis

Documents

PHILOSOPHIE Le réel selon Alain Badiou€¦ · Pour Badiou, de fait, le réel n'est pas matteignable ll faut juste procéder autrement déchiffrer le réel, le com-prendre, c'est