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La Philosophie Subtile de Paracelse

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Paracelse

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Note d’introduction

ureolus Philippe Théophraste Bombast vonHohenheim, dit Paracelse, ce nom quelque peu

coruscant est bien à la mesure du personnage uni-que et génial qui fit irruption dans l’Allemagne de laRenaissance, au début du XVIe siècle.

Médecin et chirurgien, alchimiste, astrologue, mage,exégète et théologien, Paracelse était né à Einsiedeln, dans

le canton de Zurich, en 1493, selon certains en 1494. Sonpère était médecin; il donna à son fils une éducation soignéeet lui enseigna les premiers rudiments de la médecine et dela chirurgie.

Ce fut un grand voyageur. Il parcourut toute l’Europedans le but de s’instruire et fréquenta nombre d’universités.

Ses biographes ont eu bien du mal à le suivre dans toutes sespérégrinations qui le conduisirent jusqu’à l’île de Rhodes en Méditer-ranée orientale.

C’est en 1506 qu’il vint pour la première fois à l’université deBâle, comme étudiant. Il s’instruisit aussi auprès du fameux abbé

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Trithème en son abbaye de Spanheim. Il y aurait, d’ailleurs, beaucoupà dire et à rechercher sur ce mystérieux et savant abbé (1462-1519),cabaliste, alchimiste et historien, qui serait peut-être à l’origine de larenaissance de l’alchimie dans l’Allemagne du XVIe siècle.

Mais Paracelse ne se contentait pas d’étudier dans les livres et aucontact des grands docteurs de son temps. Après avoir quitté l’abbéTrithème, il se rendit au Tyrol où il acquit une grande connaissance desmétaux en séjournant aux mines de son ami Sigismond Fugger dont ilsoignait les ouvriers.

Après une longue absence, il revint en Allemagne avec unegrande réputation de médecin et de physicien. On lui doit notammentun traitement de la syphilis au moyen du mercure.

En 1527, il était à Bâle où il exerça à la fois les fonctions demédecin de la ville et de professeur à l’université. Comme médecin, il yfit un grand nombre de guérisons et devint rapidement célèbre. Mais ilétait écrit que ce personnage ne devait jamais demeurer longtemps enun même lieu et en paix. Son caractère violent, son originalité, safaçon de bousculer sans ménagement les idées reçues, ne plaisaientpas à tous. Son enseignement médical opposé à la mode du temps, luiattira de nombreux ennemis parmi les autres médecins, jaloux d’autrepart du succès de ses cures. Il perdit même un procès intenté à un bour-geois de la ville qu’il avait guéri et qui refusait de le payer. Finale-ment, il dut quitter la ville en toute hâte, comme un fugitif, et reprit savie errante.

Finalement, le duc Ernest de Bavière, administrateur de l’évêchéde Salzbourg, le prit sous sa protection. C’est dans cette ville qu’il seréfugia. Il y mourut, peut-être assassiné, en 1541. Cet errant perpétuelne laissa presque rien, à peine ce qu’un voyageur peut porter dans sesbagages: quelques livres, dont les oeuvres de saint Jérôme... On peutencore aujourd’hui voir son monument funéraire dans l’église Saint-Sébastien à Salzbourg1.

Paracelse était contemporain de Luther. C’est en 1517, en effet,que ce dernier afficha ses fameuses quatre-vingt-quinze thèses sur lavertu des indulgences, à la porte de l’église du château de Wittenberg.Mais notre Théophraste ne paraît pas s’être beaucoup intéressé aux

1. Cf. K. Goldammer, «La vie et la personnalité de Paracelse», dans Paracelse,collection Cahiers de l’Hermétisme, éd. Albin Michel, Paris, 1980. Nous rendonscompte de cet ouvrage ci-après, pp. 92 et sv.

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polémiques suscitées par le protestantisme naissant. Il renvoyait lesadversaires dos à dos: «mauvais troupeaux de sectaires...», écrivait-ildes uns et des autres.

Il était bien un homme de la Renaissance, de ce merveilleux mou-vement du coeur et de l’esprit qui, depuis le XIVe siècle, animait enEurope les meilleurs tempéraments humains. Hélas! Comment s’est-ilfait que cette sève vigoureuse et si prometteuse, se soit si rapidementtarie par le rationalisme qui dessèche à présent encore l’esprit de larace blanche?

Peut-être est-ce la raison pour laquelle notre Théophraste a été sipeu étudié et commenté dans les siècles suivants. Un renouveau desétudes paracelsiques se dessine à présent en Allemagne. Mais pourl’étudiant francophone, l’image de ce génie méconnu est celle d’unbeau portique derrière lequel on ne trouve plus rien. Il nous faudrait,en effet, rechercher de vieilles éditions latines du XVIIe siècle, naturel-lement introuvables en dehors des grandes bibliothèques, pour appro-cher sa pensée.

Paracelse n’en est pas moins un des grands maîtres de l’hermé-tisme chrétien et sa renommée s’étendit au XVIe siècle, à travers toutel’Europe. Ce n’est pourtant pas un auteur facile, bien qu’intarissable.Son tempérament violent s’exprime dans un style très imagé, parfoisagressif, frisant même la grossièreté par endroits, ce qui lui suscitabeaucoup d’ennemis. Ce style tout à fait original ne doit rien à celui,souvent un peu impersonnel, des hermétistes traditionnels. Paracelseest unique en son genre. Il alla même, pour exprimer certaines réalités,jusqu’à inventer de nouveaux mots dont il est souvent difficile de préci-ser le sens. Sous ces outrances, on retrouve cependant facilement lapensée des anciens maîtres, leur enseignement et leur art.

Aucune traduction importante de ses ouvrages n’a jamais été faiteen français2. Au début de ce siècle, l’occultiste Grillot de Givry avaitconçu le projet de ce grand travail. C’est ainsi que parurent en 1913 et1914, chez Chacornac, les deux premiers volumes de ses oeuvresmédico-chimiques, collationnées sur les éditions allemandes et latines.Mais ce travail ambitieux qui aurait pu être si utile, fut interrompu parla mort de l’auteur du «Musée des sorciers».

2. Pour plus de détails, cf. J.-J. Mathé, «Bibliographie des ouvrages et travauxen langue française depuis 1945 concernant la philosophie hermétique», dansAlchimie, collection Cahiers de l’Hermétisme, éd. Albin Michel, Paris, 1978.

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L’édition princeps en traduction latine, faite par son discipleGérard Doorn a été publiée à Bâle en 1577 sous le titre suivant:Aurora Thesaurusque Philosophorum Theophrasti Paracelsi...

Nous croyons être utile aux inquisiteurs de science en publiant iciquelques extraits, inédits en français, de ce grand hermétiste. Ces tex-tes ont été traduits de la grande édition latine de Bitiskius, Operaomnia, éd. De Tournes, Genève, 1658, en 3 tomes.

Au deuxième tome de cette édition, se trouve une oeuvre particu-lièrement attachante de Paracelse et facilement accessible: La Philo-sophie Subtile, Philosophia Sagax, en deux livres. Le texte en estimprimé sur deux colonnes par page de cette grande édition, de lapage 522 à la page 644. Le deuxième chapitre du deuxième tome dontproviennent les extraits qu’on va lire, porte le titre suivant:

Comment faut-il comprendre que l’homme soit composéd’un corps mortel et d’un corps immortel?

Nous avons séparé ces textes en trois sous-titres afin que la lec-ture en soit plus aisée:

I. Le Corps de la résurrection: les enfants de Marie et lesaint baptême. Il s’agit d’un commentaire du troisième cha-pitre de l’Evangile selon saint Jean. Le mystère de l’Immaculée Conception de Marie.

II. La Perle de l’Ecriture: les deux enseignements.III. Qui sont-ils, ceux-là? Les Adeptes et les fameux

Rose+Croix que Paracelse semble avoir rencontrés.

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Liber secundus: Philosophiae Sagacis Magnae Astronomiae, desupernaturalibus virtutibus seu operationibuscoelestis Astronomiae, in Aureoli PhilippiTheophrasti Paracelsi Bombast ab Hohenheimmedici & philosophi celeberrimi chemicorum-que principis operum volumine secundo...

Chapitre II (extraits) Comment faut-il comprendre que l’homme soitcomposé d’un corps mortel et d’un corps immortel?

I. Le Corps de la résurrection... En quoi une perle serait-elle utile à un porc? L’homme qui ne se

connaît pas est un cochon. C’est pourquoi le Christ a dit: «Ne jetez pasles perles devant les pourceaux de peur qu’ils ne les foulent auxpieds»3, comme s’il disait: Vous, Apôtres, ne prêchez pas mon Evan-

3. Ev. s. St Matthieu VII, 6.

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gile à ces hommes qui vivent comme des porcs, car ils le foulent auxpieds.

Il voulait éviter que l’homme ne devînt un pourceau. Personne, eneffet, ne naît cochon, c’est aussi ce qu’affirme le Christ: «Les petitsenfants sont miens, laissez-les venir à moi»4. Et ailleurs, il affirmeencore: «Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui suspendît au cou unepierre de meule et qu’on le précipitât au fond de la mer, plutôt qued’offenser un seul de ceux-là»5. Il est donc évident que les hommespeuvent devenir porcs, et en le devenant, ils ne peuvent rien recevoir delui puisqu’ils ont été l’objet de sa malédiction lorsqu’il a dit: «Je neveux pas qu’ils se convertissent pour qu’ils soient sauvés»6. Telle est lahaine ardente de Dieu envers ceux qui, se dépouillant de l’humain,deviennent cochons ou ce qui leur ressemble: renards, vipères, dragonset basilics.

Afin que l’homme se connaisse avec plus d’exactitude, il fautdonc expliquer plus longuement ce qu’il est.

L’esprit, en effet, que Dieu a uni à la chair, il l’a créé en âme une.Par sa protection, il le réchauffe et l’entretient de toutes sortes defaçons, faisant pour lui beaucoup, afin que l’homme dont la vie estbrève, puisse, dans cette brièveté, revenir à Celui dont il est venu, aujour de la résurrection, évidemment. De plus, après la mort, l’hommedoit demeurer dans la chair et le sang et ressusciter au dernier jour afind’entrer en homme et non en esprit, et avec la chair et le sang, dans leroyaume de Dieu.

... Mais... la chair et le sang reçus d’Adam ne pénétreront pas dansle royaume de Dieu. «Rien ne monte au ciel qui ne soit descendu duciel.»7 La chair adamique, elle, est terrestre: elle n’entre donc pas dansle ciel, mais elle redevient terre, étant mortelle et soumise à la mort.Rien de ce qui est mortel ne parvient au ciel. Dès lors, la chair terrestre,elle non plus, ne peut pénétrer dans le ciel, car elle n’est d’aucune uti-lité et ne mène à rien. Ce qui n’est bon à rien ne pénètre donc pas dansle ciel, puisque rempli d’horreur, de crime et de luxure. Il n’y a pas defeu qui puisse le purger de ses fèces pour le rendre capable de saisir leciel. Il ne donne accès, ni au feu, ni à la glorification, mais il doit être

4. Ev. s. St Luc XVIII, 16.5. Ev. s. St Matthieu XVIII, 6.6. Ev. s. St Marc IV, 11 et 12.7. Ev. s. St Jean III, 13.

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complètement séparé de l’homme, c’est-à-dire de l’âme, ce qui se faitpar la mort séparant l’homme de la chair. La chair née de la semenced’Adam est donc tout entière mortelle et bonne à rien.

Mais l’homme ne peut entrer dans le ciel, sans être chair et sang,comme un homme. C’est par la chair et le sang, en effet, que l’hommeest différent des anges, sans quoi ils seraient de la même essence. Encela, l’homme possède plus que les anges, en ce qu’il est pourvu dechair et de sang: pour lui, le fils de Dieu est né, est mort, a été cloué à lacroix afin de le racheter et de le rendre capable du royaume céleste.

Le Christ n’a subi aucune de ces choses pour les anges qui ont étérejetés du ciel, mais seulement pour les hommes. Combien donc Dieun’a-t-il pas aimé l’homme plus que les anges eux-mêmes! PuisqueDieu a donc poursuivi l’homme de tant d’amour, et que la chair mor-telle l’a cependant exclu du royaume céleste, il lui a donné pour cetteraison une autre chair et un autre sang afin qu’il soit en un seul corps,chair et sang. Cette chair est constituée par le fils, et c’est la créature dufils qui pénètre dans le ciel, non celle du père eu égard à la chair et ausang. La chair mortelle, comme Adam et ses descendants, vient dupère, et elle retourne là d’où elle a été prise. Si Adam n’avait paspéché, sa chair serait demeurée immortelle dans le Paradis. Mais, àprésent, par son péché, elle a été exposée à la mort. Par pitié pour cettecondition, le Christ a donné à l’homme un corps nouveau. La chaird’Adam ne lui était d’aucune utilité puisqu’elle était mortelle. C’estl’esprit, d’ailleurs, qui vivifie, c’est-à-dire que la chair vive provient del’esprit. En lui il n’y a pas de mort, mais vie. Cette chair est donc celledont l’homme a besoin pour être un homme nouveau; dans cette chairet ce sang, il ressuscitera au dernier jour et possédera le royaume descieux en unité avec le Christ.

Puisque la chair mortelle doit donc être abandonnée, et que laseule chair vivifiante8, celle qui ressuscitera, entrera dans le royaumedes cieux, nous avons beaucoup à dire de cette nouvelle créature oucréation. Si nous devons entièrement connaître ce que nous sommes, ilnous faut aussi expliquer la nouvelle génération, afin que soit complè-tement et sérieusement explorée la question de savoir qui est l’hommeen toutes choses, de quoi il provient, et ce qu’il est. Tout cela sera clai-rement exposé, afin qu’on comprenne bien qui est l’homme, ce qu’ilest et ce qu’il peut devenir.

8. Cf. I Corinthiens XV, 45.

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Nous l’avons dit dans le paragraphe précédent, il y a un espritdont sort la chair vive et dont elle naît. Il nous faut donc bien expliquercette chair et le comment de sa naissance, car nous avons une chair etun sang spirituels provenant de l’esprit qui vivifie.

La chair d’Adam ne sert à rien9. Il en est ainsi dès le principe: lenouvel enfantement naît de la Vierge et non de la femme. Il s’ensuitque cette Vierge dont est sortie la nouvelle génération a été filled’Abraham selon la promesse, et non d’Adam, c’est-à-dire qu’elle estnée d’Abraham sans semence virile, dans la vertu de la promesse, sansaucune nature mortelle10.

Le Christ est né de cette Vierge qui n’est pas d’Adam ni de sasemence, il est né de sa chair à elle seulement, conçu par l’Esprit-Saintincarné par la chair sainte, non selon l’ordre de la chair mortelle, maisselon la génération nouvelle procédant du Saint-Esprit.

La chair d’Adam doit être considérée comme du vin renfermédans un vase: on l’en retire, puisqu’il n’est pas né du vase. Et certes,sous ce rapport, ce qui s’incarne de l’Esprit est du ciel et retourne auciel. Ce qui n’est pas incarné de l’Esprit ne parvient pas au ciel. LeChrist seul est né d’une Vierge et a été fait homme sans la semencevirile d’Adam; incarné dans la Vierge, il a été fait homme par l’Esprit-Saint. De même nous, hommes qui aspirons au royaume des cieux,nous devons nous dépouiller de la chair mortelle et du sang, nousdevons naître une deuxième fois de la Vierge et de la foi, nous devonscertes, être incarnés par l’Esprit-Saint. C’est ainsi que nous seronscapables du royaume des cieux.

L’homme doit donc être chair et sang pour l’éternité. C’est pour-quoi, la chair est double: l’Adamique qui ne sert à rien, et l’Esprit dusaint qui fait la chair vive: celui-ci, en effet, s’incarne d’en haut et cetteincarnation est cause de son retour au ciel à travers nous.

Le baptême tient donc lieu de Vierge, c’est par lui que nous incar-nons l’Esprit-Saint, je veux parler de cet Esprit-Saint qui apparut au-dessus du Christ lorsque Jean-Baptiste le baptisa. Celui-là nous seraprésent aussi à nous et nous incarnera dans la génération où il n’y aplus de mort, mais la vie. Et si nous ne naissons pas dans cette généra-tion-là, nous serons fils, non de la vie, mais de la mort.

9. Cf. Ev. s. St Jean VI, 63.10. Allusion à l’Immaculée Conception.

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Dans cette chair, en effet, reçue de l’Esprit, nous contemplerons leChrist notre Rédempteur11, non dans la chair mortelle, et dans la chairvive, nous ressusciterons et nous pénétrerons dans le royaume de Dieu.Celui qui n’est pas baptisé, qui n’est pas incarné de l’Esprit-Saint, estexposé à la damnation. Il nous faut donc être baptisés, car sans bap-tême, nous n’aurons pas la chair et le sang éternels. Même un fils deDieu croissant et parvenant à l’âge juste et à l’esprit qui convient à sonâge, sans baptême cependant, ne posséderait pas ce corps.

Le baptême est donc la première chose nécessaire, et le Christ lui-même a dit: «Si quelqu’un ne renaît...»12 Cette sentence nous recom-mande d’imiter le Christ; tout est inclus dans cette parole dite par leChrist, sur le baptême et le reste. C’est la conclusion de tous les ensei-gnements sur le baptême.

Tout Chrétien doit donc commencer par le baptême dont naît lachair chrétienne, et ceci à cause de l’incarnation faite dans le baptêmepar l’Esprit-Saint qui confère le corps de la résurrection. Ceux qui nesont pas de sang chrétien répugnent à la foi; ils doivent d’abord êtreconduits à la foi et se convertir. Lorsque la foi a été conçue, ils doiventensuite être baptisés, mais non dans cette foi qui demeure encore enexil13.

Comme on l’a déjà compris, l’homme doit naître une seconde foisde la Vierge et non de la femme, par l’eau et par l’esprit. L’esprit, eneffet, vivifie cette chair dans laquelle il n’y a pas de mort ni même pos-sibilité de mort. Quant à cette chair dans laquelle est la mort, elle n’estd’aucune utilité, elle ne confère rien à l’homme pour le salut éternel.C’est donc pour cela que l’homme renaît et reçoit une autre chair del’esprit qui est éternel, et cette chair circulera dans le royaume de Dieu,comme le fait sur la terre la chair mortelle; la vertu de cette même chairle rendra aussi autre et plus excellent que la progéniture Adamique nel’a été. C’est par les hommes de cette espèce que naissent les Astrono-mes célestes en état de parler et discourir de Dieu.

Le corps mortel ne sait rien, c’est seulement le corps éternel quisait; il a la connaissance de Dieu son Seigneur; il est Théologien, Pro-phète, Apôtre. Dans ce corps sont les martyrs, en lui sont les Saints de

11. Job XIX, 26.12. Ev. s. St Jean III, 3.13. ... non ea vel dum exulante...

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Dieu: c’est-à-dire qu’ils sont dans la génération nouvelle et non dansl’ancienne. C’est la nouvelle qui vivifie; dans l’ancienne, tous meu-rent...

II. La Perle de l’EcritureAfin de mieux vous instruire, sachez que l’Ecriture qui nous

transmet la Sapience céleste, ne peut absolument pas être saisie par laraison naturelle; il faut la comprendre en esprit, non certes dans l’espriten lui-même, mais dans cet esprit qui se serait incarné dans la chair etle sang. En d’autres mots, de même que le corps naturel possède en luila sapience naturelle, de même le corps spirituel possède en lui lasapience spirituelle, c’est-à-dire que le corps céleste possède en lui laSapience céleste. Ces Ecritures, dès lors, ne doivent pas être expliquéespar la sapience naturelle ni par l’intelligence naturelle. Chacun attribueà son corps particulier sa sapience et s’y applique d’une manière dignede foi, sans qu’aucun ne soit poussé par un esprit de vertige. Il est vraicependant que la nature n’est pas soumise à l’Ecriture même, maisqu’elle est née avec l’Ecriture de la Sapience céleste. On ne peut toute-fois prouver qu’elle suffise (à l’interpréter) ni qu’on puisse se passer dela perle. Le corps naturel, en effet, n’a aucun droit sur l’Ecriture duSeigneur.

Seul le corps rené de l’Esprit-Saint est la perle disposée enversl’or, comme le charbon envers le Soleil.

Notez cet exemple tiré de l’Ecriture: «Vous nourrirez celui qui afaim, et vous ferez des vêtements pour celui qui est nu»14. La natureaussi nous recommande de faire la même chose: que nous demandionsaux autres d’agir envers nous comme nous agissons nous-mêmesenvers eux. Cette interprétation, cependant, n’est pas la perle del’Evangile. Mais si nous faisons cela à ceux qui sont privés de Dieu,c’est comme si nous le faisions, non aux pauvres, mais au Christ notreRédempteur que la nature ne connaît pas dans sa sagesse. Dès lors,celui qui nourrit et revêt le Christ, le Christ, à son tour, le nourrit centfois plus, non certes sur cette terre, mais dans son royaume que lanature ne connaît pas. Et bien que la lumière de la nature ne repousse

14. Ev. s. St Matthieu XXV, 35 et 36.

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pas, certes, l’Evangile, mais le reconnaisse, on peut cependant dire cecien toute vérité: il n’y a là rien qui ressemble à la perle, et ce n’est pasde cette façon-là que la perle peut être trouvée.

D’autant moins que l’Ecriture ne s’occupe pas des opérationsnaturelles, de sorte que (l’interprétation naturelle) est parfois contraintede garder un silence total, comme pour la nativité qui se fait d’unevierge, la génération nouvelle, etc., toutes choses dont la nature nepuise aucune connaissance dans sa lumière propre. Si je dis cela, c’estpour que l’homme apprenne cette différence: combien une sagesse estdistante de l’autre, chacune consistant à part dans son corps, aucunedes deux ne découvrant la sagesse de l’autre dans son interprétation. Ily a donc, dans l’homme, deux sciences ou sagesses, à savoir, la natu-relle et la céleste.

III. Qui sont-ils, ceux-là?... Nous mangeons... une seule Manne, c’est la meilleure et la plus

désirable des nourritures pour celui qui la trouve. C’est ainsi que lecorps régénéré est nourri et abreuvé d’une pierre qui fond en eau pourchacun selon la quantité et la qualité qu’il désire15. Voici: la nourritureet la boisson, c’est celui qui nous a rachetés et qui s’est offert lui-même16, comme dans l’énigme que Samson proposa aux Philistins:«De celui qui mange est sortie la nourriture, et du fort est sortie ladouceur»17... Mais l’illumination suprême provenant de l’école célesteest la connaissance de la sagesse la plus élevée, je veux dire, de lasagesse divine, à laquelle nul ne peut résister et devant qui tremblenttoutes les créatures, même l’enfer. C’est de cette sagesse que parle Paullorsqu’il s’écrie: «Ô profondeur des richesses de la sagesse et de lascience de Dieu»18. Comme s’il disait: Qui donc pourrait la scruter etl’explorer dans ses profondeurs? Aucune n’a jamais été plus sublime nine pourra jamais l’être! Ajoute ceci: c’est par cette sagesse que noussommes rachetés de la mort, de Satan, de la chair grouillante de vers,etc., que nous pouvons renaître dans le royaume des cieux, après avoirété débarrassés des liens infernaux.

15. Cf. Exode XVII, 2 à 6, etc., et I Corinthiens X.16. Cf. Ev. s. St Jean VI, 56.17. Juges XIV, 14.18. Romains XI, 33.

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Qui donc serait digne de commémorer comme il le faut ces mer-veilles de Dieu? Y a-t-il quelque part un médecin qui lui serait sembla-ble? Y a-t-il quelque chose qui échapperait ou qui serait caché auProphète semblable à lui? Qui donc surpassera un pareil docteur?

De tels hommes irradient des rayons enflammés: ils sont sembla-bles au feu dans leurs opérations. Comme rien ne résiste au feu quiconsume tout, rien non plus ne résiste à ces hommes-là. Il n’y a rienqu’ils ne fassent voler en éclat, qu’ils ne consument, tant dans l’enferque sur la terre. Les clefs du royaume des cieux sont auprès d’eux. Prèsd’eux est la rémission, la bénédiction. En eux brille la lumière dumonde, d’eux procèdent la voie et la vérité. C’est par eux que se fontles Apôtres et les Saints. Tout cela s’accomplit dans le corps de lagénération nouvelle et non dans l’Adamique qui ne sert à rien.

Post-scriptum d’Emmanuel d’HooghvorstNous ne pourrions laisser ces pages sans reparler de la publica-

tion, dans la collection des Cahiers de l’Hermétisme, d’un excellenttome consacré à Paracelse19.

Comme nous l’écrivions plus haut, il existe bien peu de choses enfrançais sur ce prince de la pensée dont l’enseignement est, hélas! bienoublié. Nous n’hésitons pas à dire de cette étude: c’est un événement.

Dans un avant-propos, signé des directeurs de la revue,MM. Faivre et Tristan, on se pose la question: Pourquoi Paracelse a-t-il été oublié par les historiens de la philosophie?

M. Lucien Braun dans l’article «Paracelse et l’histoire de la phi-losophie» tente d’y répondre. Il écrit notamment: «La science moderneabsorbée qu’elle est par le souci de déterminer de mieux en mieux, tou-jours plus précisément, plus finement, un vis-à-vis pensé comme inerte,a oublié la nature. Nous aussi, dans la mesure où notre regard n’estautre que celui de la science moderne.» Et l’auteur ajoute finement:«C’est sur le fondement de ce qui paraît, que Paracelse veut attirernotre attention. Et le fondement de la science n’est pas science, maisphilosophie.» Soit. Mais à condition de donner à ce dernier mot le sensque lui donnaient les Anciens: celui d’une sagesse révélée. C’est aussi

19. Paracelse, collection Cahiers de l’Hermétisme, op. cit.

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poser, et peut-être résoudre le problème de la désaffection de la penséescientifique occidentale vis-à-vis de l’hermétisme dans son ensemble.

M. Kurt Goldammer, spécialiste des écrits de Paracelse, nousdonne après cela une biographie du grand hermétiste et un aperçu deson oeuvre.

Vient ensuite une étude très substantielle de M. P. Deghaye sur«La Lumière de la Nature chez Paracelse», un examen consciencieuxet bien informé. Mais le sujet est difficile, reconnaissons-le, car, sur cethème, toute étude de l’extérieur se heurte aux incohérences apparen-tes d’un Théophraste peu soucieux de paraître logique. Remarquonscette réflexion judicieuse de l’auteur de l’article: «Toute la science dela nature se résume dans l’Art du feu.» Excellente définition. A-t-onpour autant débrouillé complètement cet écheveau?

Nous voudrions faire la même remarque au sujet d’une étude trèsérudite de M. Ernst W. Kämerer sur «Le corps, l’âme et l’esprit chezParacelse20, et chez quelques auteurs du XVIIe siècle». Cette étudeoccupe une grande part du Cahier puisqu’elle court sur 139 pages.C’est une très importante contribution à l’histoire de la pensée dugrand hermétiste, si peu connue des francophones. Les citations deParacelse sont innombrables, ou presque. L’étude en est méticuleuse etil y a beaucoup à y prendre. Nous serions tenté d’y faire le reproched’un certain manque de synthèse. Mais ce reproche est-il vraimentfondé dans une matière si difficile, traitant d’une pensée souvent obs-cure au lecteur?

On se réjouit enfin de trouver dans ce Cahier, la signature duProf. B. Gorceix qui traduit et présente le Prologue de toute La Philo-sophie Subtile du Grand et du Petit Monde. Un texte de Paracelse lui-même ne pouvait être absent de ce Cahier et nul n’était plus qualifiépour le traduire21.

Le même auteur nous donne ensuite: «Paracelse et Philosophiede la Nature au XVIe siècle en Allemagne».

Il s’agit ici de l’analyse d’un petit traité, rarissime, attribué àParacelse, le De Secretis creationis de 1575. C’est un commentaire des

20. C’est le sujet de la Philosophie Subtile.21. Cf. la bibliographie de ses oeuvres dans J.-J. Mathé, «Bibliographie des

ouvrages et travaux en langue française depuis 1945 concernant la philosophiehermétique», op. cit. Il faut ajouter une publication plus récente: Alchimie, textesalchimiques allemands du XVIe siècle traduits et présentés par B. Gorceix, éd.Fayard, Paris, 1980.

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premiers chapitres de la Genèse, texte extrêmement précieux, commetoutes les exégèses de l’Ecriture laissées par la tradition hermétique.La notion de Philosophie de la Nature y est examinée. L’auteur ajouteque dans ce traité de 1575 «les fondements de la méditation de JacobBöhme sont fermement posés déjà». Ceci nous semble demander plusd’explications: méditer n’est pas expérimenter. Le cordonnier de Gör-litz nous paraît pour cette raison avoir été bien éloigné de Paracelse;c’était plus un théosophe qu’un hermétiste. La pensée de Paracelse,nous dit encore le Prof. Gorceix, a influencé de même toute la philoso-phie allemande de la nature et même la période romantique. Quoi qu’ilen soit, cette étude nous a donné l’eau à la bouche. Vite, une traductionfrançaise du De Secretis creationis! On y examine aussi la notion depremière matière. Il y a ici toute une cosmologie tirée de la Genèse,une physique, mais, comme dit très justement l’auteur, une physiquesacrée ayant pour objet le corps même de Dieu.

Le Cahier se termine par une bibliographie de Mme RosemarieDilg-Frank, d’ouvrages allemands surtout, instrument de travail indis-pensable. Le thème est le suivant: Paracelse, Philosophie de la Natureet de la Religion: Bibliographie 1960-1980.

Pouvait-on faire dans ce Cahier de 280 pages, une étude complètede Paracelse? Evidemment, non. On a choisi de l’étudier à partir ducôté le plus abordable de sa personnalité: le théologien et l’exégète.Les thèmes de la Nature et de la Lumière y sont aussi constammentprésents. Cela donne un profond aperçu et très neuf, en français, maiscependant partiel. L’alchimiste y est à peine esquissé; lorsqu’on enparle, c’est comme en passant, et à propos d’autre chose. Aucune allu-sion à la philosophie des métaux chez Paracelse. Le médecin et lemage sont complètement absents.

Cet auteur, comme tous les hermétistes, requiert des lecteurs ani-més du même esprit, c’est-à-dire en voie de cette régénération spiri-tuelle et corporelle dont ces livres sont faits; ou tout au moins, deslecteurs animés du grand désir de l’atteindre. C’est pourquoi ce genred’écrits ne peut être assimilé par la science de ce monde.

Saluons cependant l’initiative prise par les Cahiers de l’Hermé-tisme, et souhaitons au Professeur Gorceix, à ses élèves et à ses amis,de poursuivre, pour notre plus grand profit, une tâche si heureusementcommencée.