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Recherches phénoménologiques Collection « Le grenier à sel » B E A U C H E S N E RENAUD BARBARAS

phénoménologiques RENAUD BARBARAS Recherches

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R e c h e r c h e s p h é n o m é n o l o g i q u e s

C o l l e c t i o n « L e g r e n i e r à s e l »

B E A U C H E S N E

RENAUD BARBARASRecherches phénoménologiques

Les textes ici réunis correspondent à une importante période de maturation philosophique de l’auteur. Conscient du caractère crucial de la question de la chair pour la phénoménologie et perplexe devant la manière dont Merleau-Ponty l’élabore, Barbaras interroge le sens d’être du sujet : comment celui-ci peut-il être sous le même rapport, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire d’introduire en lui la coupure de l’empirique et du transcendantal, appartenir au monde et s’en distinguer, être à la fois devant et au cœur des phénomènes ?

Avec Patocka, la critique radicale de l’intuitionnisme husserlien et du Dasein heideggerien le conduit à une détermination existentiale de l’existence et du corps propre comme mouvement. Mobilisant ses travaux sur la vie, irréductible à la fois aux lois de la matière et à la conscience, l’auteur comprend ce mouvement du sujet comme celui de la vie même et définit tout vivant comme un existant. Le mouvement vivant par lequel les sujets phénoménalisent le monde s’inscrit dans un mouvement plus originaire du monde lui-même, œuvre d’une archi-vie et renvoyant à une dynamique phénoménologique.

Arrimant la phénoménologie à une cosmologie et à une métaphysique, Barbaras la conduit à s’interroger sur ses propres limites. Demeure alors la question du passage de l’apparaître anonyme du monde à l’apparaître à une conscience, de la physis au sujet, de l’archi-vie du monde à la vie des vivants. Rompant ici avec Patocka et écartant l’écueil du naturalisme, l’auteur assume la scission entre la physis proto-phénoménalisante et notre existence phénoménalisante : le mouvement subjectif résulterait d’une rupture au sein de l’archi-mouvement du monde et relèverait d’un pur événement. Par cet archi-événement scissionnaire, le procès de la physis, se séparant de lui-même, donnerait naissance à un sujet dont le mouvement serait nécessairement aspiration à une réconciliation avec soi, tentative de rejoindre l’archi-vie originaire, bref, désir. Celui-ci repose la question de l’unité originaire de la chair. En effet, la dualité qui structure toute la démarche de Barbaras, entre mouvement et événement, apparaît comme l’avatar ultime de la dualité conscience/monde ou sujet/objet ; elle vient buter sur l’épreuve du corps comme sa limite interne.

Le volume est complété par une bibliographie exhaustive des travaux de Renaud Barbaras, élaborée par Mathias Goy, avec l’aide de Marco Barcaro, Mariana Larison et Petr Prášek.

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Recherches phénoménologiques

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L E G R E N I E R À S E LCollection créée par Guy Petitdemange,

dirigée par Jocelyne Sfez

À l’entrée des villes, jadis, se trouvait un « grenier à sel ». Il fallait allerchercher le sel loin et il était prudent d’en faire une réserve. Il est en effetvital, il est aussi discret. On ne constate que son absence ou son excès, carsa présence n’est là que pour assurer à chaque élément son goût propre. Unepincée suffit, telle la remarque du sage.

Cette collection vise à être un instrument de travail utile et sûr. Ellecomprend, à côté d’études dans les diverses branches de la philosophie, despublications de textes inédits, des commentaires de philosophes étrangers,anciens et modernes. Elle est également ouverte à des essais où une pensée,mûrie par le travail de recherche, s’offre au débat.

Herméneutique et philosophie, par Hans Georg Gadamer.L’Autre Voie de la subjectivité, par Yves Charles Zarka.

Nietzsche l’intempestif, par Paul Valadier.Du manque à l’œuvre, par Bernard Dov Hercenberg.

L’Idée de phénoménologie, par Jocelyn Benoist.Le Dieu excentré, par Henri Laux.

Philosophie et réalité I, par Éric Weil.Philosophie et réalité II, par Éric Weil.

Les Conjectures, par Nicolas de Cues, traduit et annoté par Jocelyne Sfez.L’Expérience religieuse (dir. Anthony Feneuil).

Heidegger le sol, la communauté, la race (dir. Emmanuel Faye).L’Art des conjectures de Nicolas de Cues, par Jocelyne Sfez.

Unité et réforme, anthologie de textes de Nicolas de Cues,traduits et annotés par Hubert Vallet.

Pascal. Tours, détours et retournements, par Gérard Lebrun(édition établie par Francis Wolff)

Gérard Lebrun philosophe (dir. M. Cohen-Halimi, Vinicius de Figueiredo,Nuria Sánchez Madrid)

À P A R A Î T R E

Nicolas de Cues à l’épreuve du politique, par Jocelyne Sfez.Contribution à l’histoire du problème de l’individuation,

par Martin Buber.Le Laboratoire mathématique de Nicolas de Cues, par Jean-Marie Nicolle

Raisons d’État, par Gérald Sfez.Écrits sur la religion, par John Locke (édition établie par Patrick Thierry).

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RECHERCHESPHÉNOMÉNOLOGIQUES

Renaud Barbaras

BEAUCHESNE

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www.editions-beauchesne.com

© 2019 Beauchesne éditeur.ISBN : 978-2-7010-2272-7

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PRÉFACE

Les textes réunis dans ce volume et dans Lectures phéno-ménologiques 1 correspondent à une période importante de monactivité philosophique : leur publication couvre une dizained’années (2007-2017) pour ce qui est du premier volume(Recherches phénoménologiques) et un peu plus de quinze ans(1999-2015) pour le deuxième volume (Lectures phénoméno-logiques). Ils courent donc de la fin de l’époque qui a suivi lapublication de ma thèse et a été dominée par mon intérêt pourl’œuvre de Merleau-Ponty – mon premier ouvrage ne relevantplus de l’histoire de la philosophie, Le Désir et la Distance,date de 1999 – jusqu’à mes travaux les plus récents, Métaphy-sique du sentiment et Le Désir et le Monde, qui sont des pro-longements de ce que je considère comme mon livre le plusimportant, Dynamique de la manifestation (2013). Ce n’est doncpas sans une certaine appréhension que j’ai relu tous ces textesqui, s’ils n’étaient évidemment pas voués à être réunis, ne sontnéanmoins pas circonstanciels, car ils ont tous participé àl’effort d’élaboration théorique qui a traversé ces années, dontils livrent une sorte de photographie. L’effet de perspective pro-duit est saisissant : ils m’ont en effet donné à voir pour ainsidire en accéléré, en en rapprochant un certain nombre d’étapes,le mouvement qui m’a conduit de ma lecture peu à peu critiquede Merleau-Ponty, de Sartre, puis de Patocka, jusqu’à mesouvrages récents et aux bilans dont les entretiens ici réunis ontété l’occasion. Or, je ne peux pas nier que j’ai été frappé parl’unité de ce mouvement, bien au-delà de la conscience ou dusouvenir que j’en ai. Par-delà la relative variété des objetss’impose l’évidence qu’il s’agit toujours de la même chose, dela même préoccupation – non seulement, bien sûr, dans le

1. Publié dans cette même collection, Paris, Beauchesne, coll. « Le grenier àsel », 2019.

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premier volume qui, correspondant à un état relativement sta-bilisé, sinon abouti de mon parcours, se donne comme unensemble de variations autour de quelques thèmes fondamen-taux –, mais aussi et surtout dans le second volume, où la lecturedes auteurs apparaît comme aimantée par les questions prisesen charge dans le premier. Chacun des articles est manifeste-ment commandé par une interrogation théorique qui dépassel’auteur abordé, interrogation qu’il contribue à nourrir en retour.À l’évidence, c’est le même questionnement qui traverse lesdeux volumes et leur confère l’unité qui justifie cette publica-tion conjointe – ce qui revient tout simplement à constater ànouveau que questionnement philosophique et méditation his-torique sont inséparables. Mais l’appréhension ne s’en trouvepas pour autant apaisée : reconnaître que c’est bien la mêmeinterrogation qui court de bout en bout, c’est aussi constaterqu’elle n’a pas été résolue, en tout cas qu’elle est loin d’êtreépuisée par les tentatives de solution, bref que la question per-dure et donc que, en un sens, tout reste à faire.

Cette interrogation trouve son origine dans ma lecture deMerleau-Ponty, plus particulièrement du dernier Merleau-Ponty : elle procède à la fois de la conscience du caractère cru-cial de la question de la chair pour la phénoménologie, dontelle est en quelque sorte la croix, et d’une perplexité devant lamanière dont Merleau-Ponty l’élabore dans son ouvrage pos-thume. Plus précisément, la prise en charge de l’a priori uni-versel de la corrélation, en tant que circonscrivant l’espace dela phénoménologie, m’a conduit à la nécessité de rendre comptedu sujet de la corrélation dans sa double dimension d’apparte-nance au monde et de différence, au titre de celui pour lequelil y a quelque chose. Et il faudrait ajouter : l’appartenance estaussi profonde – le sujet est en effet inscrit dans le monde plusprofondément que les choses, en quoi il a une chair – que ladifférence est radicale, puisqu’elle n’est autre que celle du trans-cendantal et de l’empirique, ce qui revient à dire que cette chairn’est pas un simple corps, qu’elle est mienne. Or, il n’est passûr qu’en invoquant un concept univoque de chair du monde,Merleau-Ponty parvienne à penser ensemble cette inscription etcette différence. De là la question à laquelle m’ont conduit aussibien mon travail sur Merleau-Ponty que ma lecture critique deHusserl, informée par Patocka : comment penser le sens d’êtredu sujet de telle sorte qu’il puisse sous le même rapport,

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c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire d’introduire en lui la cou-pure du transcendantal et de l’empirique, appartenir au mondeet s’en distinguer, être à la fois devant et au cœur des phéno-mènes ? Ma lecture de Sartre, postérieure à celle de Merleau-Ponty, s’est trouvée naturellement focalisée sur l’impuissancedes concepts de L’Être et le Néant face au phénomène du corpspropre, la dimension de l’union substantielle, pour parler entermes cartésiens, apparaissant alors comme une sorte de casevide. Il n’en reste pas moins que la place que Sartre octroie audésir dans cet ouvrage m’a parue très tôt décisive et convergenteavec ma propre tentative de penser l’être de l’intentionnalitéprécisément comme désir. Mais, chez Sartre, ce désir estmanqué aussitôt qu’invoqué dès lors qu’il est pensé commemanque, de surcroît d’un soi dont l’unité est impossible.

C’est incontestablement la lecture de Patocka qui m’a missur la voie d’une formulation exacte des conditions du problèmeet qui m’apparaît comme le véritable coup d’envoi de mes pro-pres tentatives. En ce sens, la troisième partie du second volumetient lieu de transition vers le premier volume. La critique radi-cale de l’intuitionnisme husserlien, mais aussi du caractèreencore formel de la caractérisation heideggerienne du Dasein,ouvre la voie d’une détermination existentiale de l’existence et,en son cœur, du corps propre comme mouvement. Il m’est alorsapparu clairement que c’est seulement dans cette perspectiveque le problème posé pouvait être résolu : en tant que mouve-ment, le sujet diffère radicalement des étants du monde et s’ins-crit profondément en lui, au titre du sol requis par son déploie-ment ; le mouvement est ce par quoi le sujet se distingue dumonde au cœur du monde. Convergeant avec mes travaux surla vie, en sa double irréductibilité aux lois de la matière et à laconscience, ces conclusions m’ont conduit à comprendre cemouvement qui caractérise le sujet comme celui de la vie mêmeet, par là même, à définir tout vivant comme un existant. Cepen-dant, dans la mesure où, en raison de l’irréductibilité ontolo-gique du mouvement, le sujet ne saurait commencer le mouve-ment mais commence toujours en lui, c’est-à-dire reprend unmouvement qui le précède, force est de reconnaître que le mou-vement vivant par lequel les sujets phénoménalisent le mondes’inscrit dans un mouvement plus originaire qui procède dumonde lui-même, mouvement de mondification qui est l’œuvred’une archi-vie : la phénoménologie dynamique, qui voit dans

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le mouvement l’essence du sujet, renvoie à une dynamique phé-noménologique. En effet, à l’instar de celui du sujet, ce mou-vement du monde, autre nom de la physis, doit être lui aussiphénoménalisant, proto-phénoménalisant. Ainsi, en pleineconvergence avec Patocka, j’ai été conduit à arrimer la phéno-ménologie à une cosmologie, sans pour autant basculer dansune quelconque forme de naturalisme puisque l’œuvre de cettephysis est déjà celle d’une venue au paraître, mais d’un appa-raître encore anonyme. C’est cet apparaître que le sujet reprendà son compte, c’est sur les pointillés d’une première phénomé-nalisation, qui se produit à même les choses sous la forme deleur individuation, que repasse le mouvement du sujet. Une telledémarche conduit la phénoménologie à sa limite et la contraintà s’interroger sur ses propres limites. Mais, alors que Merleau-Ponty court le risque de franchir purement et simplement lalimite en basculant du côté d’un certain naturalisme, il mesemble qu’en mettant en évidence la nécessité d’un dépasse-ment de la phénoménologie vers une cosmologie puis une méta-physique, je montre comment elle enveloppe sa propre limite,comment elle subsiste et s’accomplit au-delà d’elle-même.

Ces conclusions, inséparables de ma lecture de Patocka, sontau centre du volume de Recherches phénoménologiques. Cepen-dant, une question demeure, assurément la plus difficile, celledu passage de l’apparaître anonyme du monde à l’apparaître àune conscience, de la physis au sujet, de l’archi-vie du mondeà la vie des vivants. C’est en ce point que se situe ma ruptureavec Patocka et c’est la prise de conscience de cette rupture qui,à partir de 2011, a rendu possible les quatre livres qui ont suivi.En effet, en optant, même si c’est de manière confuse, pour unesolution téléologique, Patocka perd d’un seul coup tout ce qu’ilavait acquis en inscrivant par avance l’apparaître subjectif ausein de l’apparaître du monde, la phénoménalité au cœur de laproto-phénoménalité, bref en refusant d’assumer jusqu’au boutla coupure entre les plans. En écartant le double écueil du natu-ralisme, qui reconduit l’apparaître subjectif à une physis, et dela téléologie, qui subordonne l’apparaître primaire du monde àl’apparaître subjectif, j’ai seulement assumé la scission entre laphysis proto-phénoménalisante et notre existence phénoména-lisante, entre nos mouvements et l’archi-mouvement du monde.Or, assumer jusqu’au bout cette différence, sans laquelle toutle bénéfice de la cosmologie est perdu et donc une véritable

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critique de la phénoménologie constitutive dépourvue de fon-dement, c’est reconnaître tout simplement que le mouvementsubjectif procède d’une rupture au sein de l’archi-mouvementdu monde, rupture qui, si elle l’affecte, ne saurait trouver saraison ou sa cause en lui et, à ce titre, relève d’un pur événe-ment, d’un archi-événement. En ce sens, si l’objet de la méta-physique est bien l’événement même comme cela qui n’a nicause ni raison, force est de reconnaître que la cosmologie, entant que phénoménologique, c’est-à-dire susceptible de rendrecompte des phénomènes subjectifs, est vouée à s’adjoindre unemétaphysique, que, par conséquent, afin de s’accomplir elle-même, la phénoménologie est bien portée à sa propre limite,qui se découvre être double. Autant dire qu’il faut distinguerdeux régimes d’individuation : l’un, qui concerne les étants nonvivants et relève de l’œuvre singularisante de la physis, l’autre,qui concerne les seuls sujets vivants et procède d’une séparationde l’archi-vie avec elle-même ; l’un est cosmologique, l’autremétaphysique. Tel est le thème central autour duquel tournentles textes du premier volume, qui n’échappent pas, par là même,à une forme de répétition. Ce thème renvoie en vérité à unelacune, qui est le négatif même, à savoir l’archi-événement scis-sionnaire par lequel le procès de la physis se sépare de lui-mêmeou s’effondre en lui-même pour donner naissance à un sujetdont le mouvement sera nécessairement aspiration à une récon-ciliation avec soi, tentative de rejoindre l’archi-vie originaire,bref désir. Or, si cette conclusion s’est imposée à moi, le statutde cet archi-événement demeure profondément énigmatique etson mode d’articulation à l’archi-vie – ou de procession à partird’elle – reste tout entier à penser. La résolution du problèmedébouche sur cette difficulté.

Mais il y en a une autre, qui concerne cela même qui aoriginairement motivé ce long mouvement, à savoir la chair. Sitoute la démarche est commandée par la nécessité de penserl’appartenance du sujet en tant que sujet, avons-nous pour autantrendu compte de la chair en son unité originaire, autrement quecomme unité d’une dualité ? En effet, force est de reconnaîtreque mon corps appartient aux deux régimes d’individuation,qu’il est à la frontière des deux, ce qui peut conduire ultimementà remettre cette dualité en question. En effet, mon corps, en tantque tel, appartient au monde, c’est-à-dire relève du régimegénéral d’individuation par différenciation, ce qui revient à dire

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qu’il renvoie aux lois générales de la physique et de la chimie.Néanmoins, en tant que mien ou encore en tant que vivant,c’est-à-dire capable de se rapporter au monde, de le phénomé-naliser en et par son mouvement de désir, il procède de l’archi-événement et renvoie donc au second régime d’individuation.Le corps a à la fois un pied du côté du procès mondifiant et unpied hors de ce procès, séparé qu’il en est par l’événementscissionnaire. Autrement dit, en tant qu’il est un, phénomèneou mode d’être originaire, il vient brouiller la distinction fon-damentale que j’ai établie entre procès physique mondifiant etévénement séparateur, c’est-à-dire tout simplement entre vivantet non-vivant. De sorte que, au vu de ce phénomène unitaire etde la difficulté qu’il soulève, la dualité qui structure madémarche, celle entre mouvement et événement, peut apparaîtrecomme un avatar ultime de la dualité conscience/monde ousujet/objet – dualité sur laquelle vient buter l’épreuve du corps,ou plutôt qui vient buter sur l’épreuve du corps comme sa limiteinterne. Bien entendu, mon idée et mon espoir est que cettenouvelle dualité, de part en part dynamique, permette d’articulerce que d’autres dualités ne parvenaient pas à articuler : c’estune dualité en vue ou au profit d’une unité originaire, dualitéqui, subordonnée à cette unité, ne doit pas la compromettre.Mais il n’en reste pas moins que cette approche finalementencore dialectique vient achopper sur le corps, qu’elle risquede diviser au lieu d’en restituer l’unité, ce qui permet sans doutede conclure que le corps est cela même qui invalide toutedémarche dialectique. J’ai donc finalement le sentiment d’avoirdessiné le cadre théorique au sein duquel une interrogation surle corps peut prendre place, mais celle-ci reste entière, ce quisignifie que ce cadre doit maintenant être rempli, mis àl’épreuve.

Ces ouvrages n’auraient pas vu le jour sans Mathias Goy, àqui revient aussi bien l’idée que sa mise en œuvre rigoureuseet patiente. Je tiens à lui exprimer ma profonde reconnaissance.Je veux également exprimer ma gratitude à Jocelyne Sfez, pourla confiance qu’elle m’a témoignée.

Renaud BARBARAS

1er septembre 2017

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AVANT-PROPOS

Comme quête d’intelligibilité, la philosophie en quelquesorte s’auto-entretient et se suffit à elle-même, une fois admisque sa quête est sans fin, le monde à comprendre étant toujoursplus grand qu’elle, et la renvoyant à la pauvreté de ses concepts.Mais toute frustration n’est pas vaine, surtout lorsqu’elles’accompagne d’un intense bonheur de lecture.

Le parcours de Renaud Barbaras, dont ce double recueil, pré-sentement édité1, permet de faire la rétrospection, est à la foisclassique par ses sources – même s’il a grandement contribué enFrance à faire admettre celles-ci, principalement Merleau-Pontyet Patocka, comme classiques ; et radical par son développement,en pratiquant une surenchère à l’originaire, selon l’expression deF.-D. Sebbah, qui l’amène progressivement aux questions ultimes.

Outre la profonde reconnaissance que ce parcours m’inspire,et dont je peux témoigner grâce à l’accueil de ce projet éditorialpar l’auteur et par Jocelyne Sfez dans sa collection « Le grenierà sel », deux aspects me frappent et sont visibles, me semble-t-il, dans chacun des volumes. D’une part, une grande cohérenced’ensemble, l’auteur procédant, tel Bergson, par approfondis-sement successif d’une question initiale, ce qui lui permetaujourd’hui d’articuler phénoménologie, anthropologie, onto-logie, cosmologie et métaphysique, les dimensions s’emboîtantpour ainsi dire les unes dans les autres. Les Recherches phéno-ménologiques permettent de s’en donner une idée. Il n’est d’ail-leurs pas étonnant que cette cohérence surprenne l’auteur lui-même, puisqu’elle le dépasse d’une certaine manière, du faitqu’il poursuit quelque chose qu’il n’a jamais fini d’exprimer.En quoi son intuition – qui, selon le mot de Bergson, est telle-ment simple que le philosophe, pourtant animé par elle, ne

1. Parallèlement à ce volume paraissent dans cette même collection lesLectures phénoménologiques.

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pourra jamais la dire – n’est pas la sienne complètement, etrejoint quelque chose du monde d’où elle provient.

D’autre part, tout en suivant une route non tracée, tel un sillagesans bateau pour reprendre l’expression de Merleau-Ponty,l’auteur ne s’appuie pas moins sur des œuvres qui le nourrissent,bien qu’il s’en démarque. Or, au moment même où il se sépare deMerleau-Ponty, Sartre ou Patocka, il nous semble redevable deleurs analyses, le dialogue n’étant pour ainsi dire pas clos. LesRecherches phénoménologiques permettent d’exposer ces dialo-gues. Renaud Barbaras a bien sûr supervisé le choix des textes àretenir ou à écarter pour la constitution des deux recueils.

L’établissement de la bibliographie, qui se veut exhaustive,n’aurait pas pu voir le jour sans la contribution active de RenaudBarbaras. En outre, les concours de Marco Barcaro, MarianaLarison et Petr Prásek furent décisifs pour l’amélioration desréférences en langues étrangères. Qu’ils en soient ici remerciés.

Enfin, une double pagination apparaît dans les notes pourcertains ouvrages. En effet, d’une part, le passage de certainstitres en collection de poche a modifié les paginations. D’autrepart, dans les années 2000, les éditions Gallimard pour certainstitres de la collection « Tel » et les Presses Universitaires deFrance pour certains titres de la collection « Quadrige », ontprocédé (sans en avertir le lecteur) à des rééditions en employantune nouvelle typographie, ce qui a également modifié les pagi-nations. Nous nous en expliquons dans les références desouvrages cités.

Mathias GOY

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