Pierre et Jean - beq. · PDF file2 Guy de Maupassant Pierre et Jean roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 356 : version 1.01

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  • Guy de Maupassant

    PPiieerrrree eett JJeeaann

    BeQ

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    Guy de Maupassant

    Pierre et Jean roman

    La Bibliothque lectronique du Qubec Collection tous les vents Volume 356 : version 1.01

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    Du mme auteur, la Bibliothque :

    Mademoiselle Fifi

    Mont-Oriol Contes de la bcasse

    Sur leau La maison Tellier La petite Roque

    Une vie Fort comme la mort

    Clair de lune Miss Harriet

    La main gauche Yvette

    Linutile beaut Monsieur Parent

    Le Horla Les surs Rondoli

    Le docteur Hraclius Gloss et autres contes Les dimanches dun bourgeois de Paris

    Le rosier de Madame Husson Contes du jour et de la nuit

    La vie errante Notre cur

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    Pierre et Jean

    Image de couverture : Terrasse Sainte-Adresse, de Claude Monet.

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    Le roman Je nai point lintention de plaider ici pour le

    petit roman qui suit. Tout au contraire les ides que je vais essayer de faire comprendre entraneraient plutt la critique du genre dtude psychologique que jai entrepris dans Pierre et Jean.

    Je veux moccuper du Roman en gnral. Je ne suis pas le seul qui le mme reproche

    soit adress par les mmes critiques, chaque fois que parat un livre nouveau.

    Au milieu de phrases logieuses, je trouve rgulirement celle-ci, sous les mmes plumes :

    Le plus grand dfaut de cette uvre, cest quelle nest pas un roman proprement parler.

    On pourrait rpondre par le mme argument : Le plus grand dfaut de lcrivain qui me

    fait lhonneur de me juger, cest quil nest pas un

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    critique. Quels sont en effet les caractres essentiels du

    critique ? Il faut que, sans parti pris, sans opinions

    prconues, sans ides dcole, sans attaches avec aucune famille dartistes, il comprenne, distingue et explique toutes les tendances les plus opposes, les tempraments les plus contraires, et admette les recherches dart les plus diverses.

    Or, le critique qui, aprs Manon Lescaut, Paul et Virginie, Don Quichotte, Les Liaisons dangereuses, Werther, Les Affinits lectives, Clarisse Harlowe, mile, Candide, Cinq-Mars, Ren, Les Trois Mousquetaires, Mauprat, Le Pre Goriot, La Cousine Bette, Colomba, Le Rouge et le Noir, Mademoiselle de Maupin, Notre-Dame de Paris, Salammb, Madame Bovary, Adolphe, M. de Camors, LAssommoir, Sapho, etc., ose encore crire : Ceci est un roman et cela nen est pas un , me parat dou dune perspicacit qui ressemble fort de lincomptence.

    Gnralement ce critique entend par roman

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    une aventure plus ou moins vraisemblable, arrange la faon dune pice de thtre en trois actes dont le premier contient lexposition, le second laction et le troisime le dnouement.

    Cette manire de composer est absolument admissible la condition quon acceptera galement toutes les autres.

    Existe-t-il des rgles pour faire un roman, en dehors desquelles une histoire crite devrait porter un autre nom ?

    Si Don Quichotte est un roman, Le Rouge et le Noir en est-il un autre ? Si Monte-Cristo est un roman, LAssommoir en est-il un ? Peut-on tablir une comparaison entre Les Affinits lectives de Gthe, Les Trois Mousquetaires de Dumas, Madame Bovary de Flaubert, M. de Camors de M. Feuillet et Germinal de M. Zola ? Laquelle de ces uvres est un roman ? Quelles sont ces fameuses rgles ? Do viennent-elles ? Qui les a tablies ? En vertu de quel principe, de quelle autorit et de quels raisonnements ?

    Il semble cependant que ces critiques savent dune faon certaine, indubitable, ce qui constitue

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    un roman et ce qui le distingue dun autre qui nen est pas un. Cela signifie tout simplement que, sans tre des producteurs, ils sont enrgiments dans une cole, et quils rejettent, la faon des romanciers eux-mmes, toutes les uvres conues et excutes en dehors de leur esthtique.

    Un critique intelligent devrait, au contraire, rechercher tout ce qui ressemble le moins aux romans dj faits, et pousser autant que possible les jeunes gens tenter des voies nouvelles.

    Tous les crivains, Victor Hugo comme M. Zola, ont rclam avec persistance le droit absolu, droit indiscutable, de composer, cest--dire dimaginer ou dobserver, suivant leur conception personnelle de lart. Le talent provient de loriginalit, qui est une manire spciale de penser, de voir, de comprendre et de juger. Or, le critique qui prtend dfinir le Roman suivant lide quil sen fait daprs les romans quil aime, et tablir certaines rgles invariables de composition, luttera toujours contre un temprament dartiste apportant une manire

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    nouvelle. Un critique, qui mriterait absolument ce nom, ne devrait tre quun analyste sans tendances, sans prfrences, sans passions, et, comme un expert en tableaux, napprcier que la valeur artiste de lobjet dart quon lui soumet. Sa comprhension, ouverte tout, doit absorber assez compltement sa personnalit pour quil puisse dcouvrir et vanter les livres mmes quil naime pas comme homme et quil doit comprendre comme juge.

    Mais la plupart des critiques ne sont, en somme, que des lecteurs, do il rsulte quils nous gourmandent presque toujours faux ou quils nous complimentent sans rserve et sans mesure.

    Le lecteur, qui cherche uniquement dans un livre satisfaire la tendance naturelle de son esprit, demande lcrivain de rpondre son got prdominant, et il qualifie invariablement de remarquable ou de bien crit louvrage ou le passage qui plat son imagination idaliste, gaie, grivoise, triste, rveuse ou positive.

    En somme, le public est compos de groupes

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    nombreux qui nous crient : Consolez-moi. Amusez-moi. Attristez-moi. Attendrissez-moi. Faites-moi rver. Faites-moi rire. Faites-moi frmir. Faites-moi pleurer. Faites-moi penser. Seuls, quelques esprits dlite demandent

    lartiste : Faites-moi quelque chose de beau, dans la

    forme qui vous conviendra le mieux, suivant votre temprament.

    Lartiste essaie, russit ou choue. Le critique ne doit apprcier le rsultat que

    suivant la nature de leffort ; et il na pas le droit de se proccuper des tendances.

    Cela a t crit dj mille fois. Il faudra

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    toujours le rpter. Donc, aprs les coles littraires qui ont voulu

    nous donner une vision dcorne, surhumaine, potique, attendrissante, charmante ou superbe de la vie, est venue une cole raliste ou naturaliste qui a prtendu nous montrer la vrit, rien que la vrit et toute la vrit.

    Il faut admettre avec un gal intrt ces thories dart si diffrentes et juger les uvres quelles produisent, uniquement au point de vue de leur valeur artistique en acceptant a priori les ides gnrales do elles sont nes.

    Contester le droit dun crivain de faire une uvre potique ou une uvre raliste, cest vouloir le forcer modifier son temprament, rcuser son originalit, ne pas lui permettre de se servir de lil et de lintelligence que la nature lui a donns.

    Lui reprocher de voir les choses belles ou laides, petites ou piques, gracieuses ou sinistres, cest lui reprocher dtre conform de telle ou telle faon et de ne pas avoir une vision concordant avec la ntre.

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    Laissons-le libre de comprendre, dobserver, de concevoir comme il lui plaira, pourvu quil soit un artiste. Devenons potiquement exalts pour juger un idaliste et prouvons-lui que son rve est mdiocre, banal, pas assez fou ou magnifique. Mais si nous jugeons un naturaliste, montrons-lui en quoi la vrit dans la vie diffre de la vrit dans son livre.

    Il est vident que des coles si diffrentes ont d employer des procds de composition absolument opposs.

    Le romancier qui transforme la vrit constante, brutale et dplaisante, pour en tirer une aventure exceptionnelle et sduisante, doit, sans souci exagr de la vraisemblance manipuler les vnements son gr, les prparer et les arranger pour plaire au lecteur, lmouvoir ou lattendrir. Le plan de son roman nest quune srie de combinaisons ingnieuses conduisant avec adresse au dnouement. Les incidents sont disposs et gradus vers le point culminant et leffet de la fin, qui est un vnement capital et dcisif, satisfaisant toutes les curiosits veilles

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    au dbut, mettant une barrire lintrt, et terminant si compltement lhistoire raconte quon ne dsire plus savoir ce que deviendront, le lendemain, les personnages les plus attachants.

    Le romancier, au contraire, qui prtend nous donner une image exacte de la vie, doit viter avec soin tout enchanement dvnements qui paratrait exceptionnel. Son but nest point de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer penser, comprendre le sens profond et cach des vnements. force davoir vu et mdit il regarde lunivers, les choses, les faits et les hommes dune certaine faon qui lui est propre et qui rsulte de lensemble de ses observations rflchies. Cest cette vision personnelle du monde quil cherche nous communiquer en la reproduisant dans un livre. Pour nous mouvoir, comme il la t lui-mme par le spectacle de la vie, il doit la reproduire devant nos yeux avec une scrupuleuse ressemblance. Il devra donc composer son uvre dune manire si adroite, si dissimule, et dapparence si simple, quil soit impossible den apercevoir et den indiquer le

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    plan, de dcouvrir ses intentions. Au lieu de machiner une aventure et de la

    drouler de faon la rendre intressante jusquau dnouement, il prendra son ou ses personnages une certaine priode de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles, jusqu la priode suivante. Il montrera de cette faon, tantt comment les esprits se modifient sous linfluence des circonstances environnantes, tantt comment se dveloppent les sentiments et les passions, comment on saime, comment on se hait, comment on se combat dan