Pierre Laval - Laval Parle

Embed Size (px)

Citation preview

LAVAL PARLENotes et mmoires rdigs par Pierre Laval dans sa cellule, avec une prface de sa fille et de nombreux documents indits

Dans ces temps de haine et de mensonge, lart que lon a port la plus haute perfection est lart de calomnier ceux que lon assassine. Andr Chnier

Pour faciliter la consultation en ligne les images ont t supprimes

2

LAVAL PARLE

PrfaceDans sa dernire lettre, mon pre mcrivit : Je vais disparatre de ce monde aller me confondre avec la terre qui nous absorbe tous : mais mon me survivra et elle ne te quittera jamais. Je serai sans cesse avec toi et ta maman pour que vous ne perdiez pas courage. Ne songe pas me venger je te le demande, mais comme tu nas pas rougir de moi tu pourras dfendre ma mmoire. Fais-le tranquillement, sans passion mauvaise, avec la certitude que par un juste retour des choses je retrouverai une place dans le cur des braves gens. Tenez-vous debout devant le malheur. La France entire sait maintenant quon a voulu mempcher de parler et de me dfendre. Plus tard, elle exigera des explications et des comptes. On na pas voulu entendre les miens. Que mon sacrifice serve au moins ceux qui ont t injustement frapps ou qui sont menacs de ltre parce quils ont eux aussi voulu servir notre pays quand i l tait malheureux. Voil pourquoi jai le courage dcrire cette prface. Ce ne sont pas des mmoires que vous allez lire. Un homme daction comme mon pre, un homme dtat comme lui ncrit pas de mmoires. I l laisse cela des observateurs consciencieux, tmoins des faits dont ils criront lhistoire. Ou bien il laisse cela des coupables, ou des menteurs, qui tentent de justifier leurs erreurs politiques. Ils prsentent alors les vnements quils ont vcus en essayant de se donner le beau rle. Ces livres fleurissent particulirement aprs une priode comme celle que nous venons de vivre. Rien de tel dans les pages que vous allez lire. Mon pre les crivit en prison sur une troite tablette qui lui servait de bureau, dans une cellule tapisse de limaces, avec laide de sa seule mmoire, dans notre triste France de 1945. Javais demand le Journal officiel pour que les Franais connaissent laccusation et mes rponses. On me la refus. I l nest pas ncessaire que la France connaisse son histoire crivait-il avec amertume dans la dernire page quil laissa et dont vous trouverez la photographie dans ce livre. I l a crit ces notes sur les feuillets que je lui faisais parvenir. I l les a rdiges pour sen servir au cours des interrogatoires de son instruction, qui na pas eu lieu, pour les crier la face des juges et des jurs sil y avait eu un procs. I l me les faisait passer par ses avocats, pour que je les fasse taper afin quil les corrige. Cest ainsi que sest constitu ce manuscrit. Vous trouverez de tout dans ce livre. Beaucoup de sujets y sont traits, puisque laccusation na recul devant aucune bassesse, aucune audace. Vous remarquerez la progression du rcit. Au dbut cest un homme qui rpond un acte daccusation absurde. I l prend son temps. Au secret, priv de tout contact avec le monde extrieur (le Gouvernement provisoire avait fait saisir tous ses papiers), il fait le tour des problmes ; ensuite, au fur et mesure que les vnements se prcipitent, il rpond deux chefs daccusation, puis trois, pour finir par neuf la fois ! Conscient du marchandage politique dont sa vie tait lenjeu, il nous crivit alors : Mon affaire nest pas un procs mais un problme politique. I l faut que jaie tort pour quils aient

LAVAL PARLE

3

raison. Cest le point culminant de ce drame. En lisant ces lignes, peut-tre vous rappellerez-vous ce que fut la vie de mon pre au cours de ces trente dernires annes ? Souvenez-vous de ces annes... Qui vous a le mieux protgs avant la dfaite ? Qui a mis plus de talent et de gnrosit dfendre les petits et les humbles, si ce nest lavocat des anarchistes et des syndicats ? Qui, plus tard, ralisa la rforme sociale la plus importante de notre temps, celle des Assurances sociales ? Qui accepta toujours de braver limpopularit et les risques du pouvoir lorsque les autres se drobaient ? Qui, pour assurer la paix de vos foyers, a construit le Front de Stresa et le cercle autour de lAllemagne allant de Rome Moscou ? Et lorsquon eut dtruit les fruits de son patient labeur et que le malheur sabattit sur nous, qui donc est revenu au gouvernement comme syndic dune faillite quil avait prvue et tout fait pour viter, afin de rduire les souffrances des Franais ? Rappelez-vous les luttes politiques davant-guerre. Qui combattait alors avec le plus dacharnement la politique conomique et financire de mon pre si ce nest le Prsident Lon Blum, qui mon pre devait, plus tard, sauver la vie ? Lon Blum, qui tenta lan dernier de pratiquer la mme politique conomique et financire. Malgr son pass de militant socialiste irrprochable, ne fut-il pas alors en butte aux mmes critiques que connut mon pre dix ans plus tt ? Cest en le regardant vivre et agir chaque jour, avec un courage que rien ne rebutait, en le voyant se refuser aux mille lchets qui lui auraient valu une popularit facile, que la plupart de ceux qui lont approch comprirent le chemin du devoir. Lorsque jappris le dbarquement des Amricains en Afrique du Nord, en novembre 1942, je partis dans la nuit pour Chteldon. I l y a des moments dans la vie o chaque minute, chaque parole, chaque geste se gravent dfinitivement dans le souvenir de ceux qui les vivent. Ils sont rares. Nous tions dans la salle manger, mes parents, mon mari et moi. I l tait quatre heures du matin. Mon pre sapprtait partir pour Munich o il devait porter Hitler le refus de la France loffre dalliance. Ne sachant pas sil reviendrait, il posa sur la table les papiers quil portait toujours sur lui (trois fois en deux annes, nous lavons vu depuis accomplir ce mme geste). Je le suppliai alors de quitter le gouvernement. I l refusa. Je tentai de lui dmontrer que sa prsence ne servirait plus rien. I l me rpondit que jtais inconsciente. Les Allemands allaient devenir plus durs, leur duret et leurs exigences allaient crotre avec leurs dconvenues militaires, me dit-il. Partir serait dserter, je dois rester ici pour protger les prisonniers en cong de captivit, les rfugis, les Alsaciens-Lorrains, les Juifs, les communistes, les francsmaons. Si je men vais, je transforme la France en un vaste maquis. Combien de milliers de Franais paieront alors de leur vie une telle lchet ? Regarde, me dit-il, ce qui se passe en Pologne, dans les Balkans, partout. . . Cest partir de cet instant que jai mesur pleinement la grandeur du sacrifice quil avait dcid de consentir son pays. Je sais que vous le mesurerez vous-mmes en lisant ce livre. Ces pages sont celles dun homme qui na jamais connu la haine, qui ignorait les mots blessants, qui a tout fait pour viter lirrparable, tout tent pour jeter un pont entre les incomprhensions des peuples. Ce sont les pages dun chrtien dun chrtien jug par de faux chrtiens dun Euro-

4

LAVAL PARLE

pen supprim par une France provisoire dun Franais assassin pour avoir trop bien servi son pays. Ces lignes paratront peut-tre certains trop passionnes, mais ne venons-nous pas de vivre une poque de passion ? Passion chez mon pre pour rester au gouvernement par sentiment du devoir, passion chez ses assassins dans leur prcipitation a touffer la voix quils redoutaient, passion chez moi qui ai vcu tout cela. Vous qui lavez connu, fonctionnaires de tous rangs, quelles que soient vos origines, vous tous qui navez pas hsit comme lui servir la France dans les jours sombres et qui avez t frapps, vous verrez que sa dernire pense fut pour vous. Et vous qui navez pas trop souffert dans la tourmente, vous jugerez en toute conscience, selon vos prjugs, vos partis pris et vos prfrences. Mais quelles que soient ces prfrences, je crois que vous trouverez dans ces pages une raison de croire et desprer, car si vous aimez la dmocratie et si vous croyez vraiment en elle, vous rflchirez la leon quil faut tirer de la vie de cet enfant dAuvergne, ttu, travailleur, obstin, qui, sans compromissions, par sa seule intelligence et son seul courage, a su slever au sommet de labngation et du sacrifice. Jose de Chambrun

LAVAL PARLE

5

Dclaration des dfenseurs de Pierre LavalMes JACQUES BARADUC et ALBERT NAUD, AVOCATS LA COUR, fa it e Paris l e 30 o ct o br e 1945 aux agences de presse t r a n g res. Le prsident Pierre Laval a t fusill le 15 octobre. Cest le lendemain de sa mort que nous prenions connaissance de ses rponses aux derniers chefs daccusation. Ce fait seul suffit souligner la prcipitation de linstruction, la prcipitation des dbats, la prcipitation de lexcution. Lors de son retour en France, Pierre Laval pria le Btonnier de lui dsigner deux avocats. Quelques jours plus tard, notre confrre Yves-Frdric Jaffr se joignait nous. Le 22 aot, nous emes un premier et long entretien avec Pierre Laval. Nous ne le connaissions pas. son contact et devant les rvlations quil nous fit, nous comprmes tout de suite lampleur et la grandeur de notre tche. Le prsident Bouchardon et M. Bteille, juge dinstruction, nous avaient reus le 21 aot. Ils nous avaient dit lun et lautre quil sagissait dune affaire de longue haleine, et quaprs deux interrogatoires en septembre, linstruction ne commencerait rellement quau mois doctobre pour se poursuivre en novembre. M. Bteille nous remit un plan dinformation comportant au minimum vingt-cinq interrogatoires. Quatre eurent lieu : les 23 aot, 6, 8 et 11 septembre ; le cinquime, ayant t interrompu en raison de lheure tardive, ne devait jamais tre repris. Le 12 septembre, la presse nous apprenait que linstruction tait close. Huit jours plus tard, Pierre Laval tait sommairement interrog sur les Antilles, la Marine marchande, le sort de LAgneau mystique, le meurtre de Marx-Dormoy Montlimar et lagression contre M. de Menthon au bord du lac dAnnecy. Accus de complot contre la sret intrieure de ltat et dintelligences avec lennemi, le Prsident Laval navait t interrog ni sur son rle lAssemble nationale, ni sur les raisons et les conditions de son retour au pouvoir pendant loccupation, ni sur ses ngociations avec le gouvernement allemand, ni sur les entretiens de Montoire, ni sur les rquisitions de main-duvre, ni sur la Milice, ni sur les conditions de son dpart de Paris le 17 aot 1944. En vertu de lordonnance instituant la Haute-Cour de justice, les noms de dix-huit jurs parlementaires et ceux de dix-huit jurs Rsistants devaient tre tirs au sort sur une liste de cinquante jurs parlementaires et de cinquante jurs Rsistants. Le tirage au sort des jurs avait t fix au 3 octobre. Au lieu de cinquante jurs parlementaires, dix-huit seulement taient venus au Palais de Justice. En consquence, il ny eut aucun tirage au sort mais bien dsignation de dixhuit jurs. Cest au cours de cette audience publique que le Premier prsident Mongibeaux dclara que les dbats devaient commencer, se poursuivre et se terminer avant les lections. Le lendemain, le procs souvrait en notre absence. Nous avions en effet demand a notre Btonnier de nous dcharger de nos commissions. On nous avait mis dans limpossibilit absolue dassurer la dfense de notre client. Nous ne connaissions pas le dossier de laccusation. Nous

6

LAVAL PARLE

navions pas eu le temps matriel de faire citer nos tmoins. Nos dossiers ntaient pas constitus. Malgr cette situation de fait sans prcdent, le Premier prsident nous demanda de prendre notre place la barre. Le lendemain 5 octobre, nous nous rendions laudience pour raffirmer solennellement la ncessit imprieuse de surseoir au procs. La Haute-Cour passa outre et les dbats continurent. Le samedi 6 octobre, Pierre Laval donna lecture de la lettre quil avait crite M. le Garde des Sceaux pour lui demander la publication de son procs dans le Journal officiel. Sinsurgeant contre le refus qui lui avait t signifi, i l insista de nouveau mais en vain auprs du Ministre public. Cest la suite de cette lecture quclatrent les incidents que le monde entier connat. Ceux-ci rvlrent que laccus se trouvait en prsence de juges qui lavaient par avance condamn. Devant la partialit, les injures et les menaces de ses juges, le Prsident Laval dclara : Un crime judiciaire va saccomplir. Je veux bien en tre la victime. Je naccepte pas den tre le complice. I l quitta laudience et, en son absence aussi bien quen la ntre, la Haute-Cour passa laudition de trois tmoins charge . Le lundi 8 octobre, quelques instants avant la rouverture des dbats, le Garde des Sceaux, M. Teitgen, nous convoqua, nous fit prendre en voiture et conduire son cabinet. Lentretien dura plus dune heure. I l nous demanda instamment de reprendre notre place la barre. I l nous dit que les magistrats de la commission dinstruction qui avaient interrog le Prsident Laval avaient t fortement impressionns par ses rponses. I l ajouta, que sil avait un conseil nous donner, ctait de revenir laudience. En contrepartie de notre acceptation, il prenait lengagement que les membres de la Haute-Cour cesseraient de menacer et dinjurier notre client . Peu aprs, en accord avec le Prsident Laval, nous faisions connatre notre refus au prsident Mongibeaux et au Procureur gnral Mornet, leur expliquant que lhonneur et le prestige de notre Ordre nous interdisait de nous associer des dbats qui navaient de judiciaires que le nom. Le Premier prsident et le Procureur gnral nous confirent alors que, sils insistaient auprs de nous pour que nous acceptions au moins dtre prsents la barre sans client, sans dossier et sans possibilit dintervenir dans les dbats, ctait sur lordre exprs du gnral de Gaulle. Nos consciences dhommes libres, le respect que nous avons pour les traditions de notre Ordre et notre sens de la justice nous ont interdit de rpondre cet appel. Le lendemain mardi 9 octobre, Pierre Laval tait condamn mort sans avoir pu faire entendre sa voix.Jacques Ba r r a d u c - A l b e r t Naud

LAVAL PARLE

7

Chapitre 1Carrire politiqueLe premier considrant de lacte daccusation, dont le texte intgral figure en annexe sous la lettre A, tait ainsi rdig : La carrire de Laval avant la guerre fut celle dun homme venu des partis extrmes, reni par eux, plusieurs fois ministre, deux fois prsident du Conseil, et dont la fortune prive a suivi lascension de la fortune politique. Lorsque, le 12 septembre 1945, les avocats de Pierre Laval remirent au prsident de la commission dinstruction la lettre indite quon va lire, ils apprirent quun ordre suprieur venait dtre donn de clore brusquement linstruction.

Prison de Fresnes, le 11 septembre 1945 Monsieur le Prsident, Vous avez bien voulu me remettre hier, au cour de mon interrogatoire, lacte daccusation dress contre moi en application de larrt rendu, le 13 juin 1945, par la commission dinstruction qui me renvoie devant la Haute-Cour de justice. Jai lhonneur de vous remercier de cette communication qui ma permis de connatre les griefs qui ont t invoqus contre moi pour tablir la double accusation davoir commis le crime dattentat contre la sret intrieure de ltat et celui davoir entretenu des intelligences avec lennemi. Je nai pas voulu attendre plus longtemps pour vous exprimer quelques-unes des rflexions que ma suggres la lecture de ce document. Je me trouve ainsi, maintenant, en mesure de pouvoir rpondre chacun de ces griefs, dont certains nont pu tre formuls et retenus quen raison de mon absence de linstruction. I l me sera facile, au cours de mes prochains interrogatoires, de les contester et de vous montrer quils ne reposent sur aucune base solide. Je ne doute pas de votre intention et de votre volont de faire toute la lumire sur laffaire qui mamne devant vous. Les hautes fonctions que jai remplies dans le pass et celles que jai assumes pendant loccupation, autant que les raisons qui ont dtermin le Gouvernement me faire dfrer devant la Haute-Cour de justice, donnent mon procs un caractre important et historique qui ne peut vous chapper. I l sagit non seulement du droit que jai de me dfendre, mais aussi de mon devoir dapporter, au cours de cette instruction judiciaire, ma contribution lhistoire dune poque qui fut si douloureuse pour notre pays et laquelle jai t ml dune manire si directe. Je ne redoute pas la lumire ; je vous aiderai la faire clater, car je ne crains pas la justice lorsquelle se fonde sur la vrit. Lacte daccusation dbute par un considrant que je ne saurais admettre. Venu de partis extrmes , jaurais t reni par eux . Cette affirmation implique que jaurais t exclu du Parti socialiste, auquel jai appartenu, alors que je peux tablir, sans contestation possible, que je lai quitt librement, de mon propre gr ; que, quatre annes

8

LAVAL PARLE

aprs mon dpart, les candidats socialistes, aprs une discussion sur ce point provoque par Jean Longuet, ont accept de figurer aux lections de 1924 sur une liste la tte de laquelle javais t plac. Javais alors expressment dclar que je nadhrerais plus jamais au Parti socialiste, ni aucun autre parti. Jai toujours respect la discipline du Parti socialiste tant que jen tais membre et, en particulier, jai refus, en 1917, dentrer dans le ministre Clemenceau, o le poste de soussecrtaire dtat lIntrieur mtait offert. Jai refus parce que le Parti, qui javais t charg, de la part de Clemenceau, doffrir une large reprsentation dans son gouvernement, avait repouss le principe mme de cette collaboration. En 1919, jtais en difficult avec mes camarades socialistes, et jai prfr, parce que javais t lu par eux en 1914, leur marquer ma solidarit jusqu un chec qui tait certain, plutt que daccepter loffre qui mtait faite de figurer en tte de la liste du Bloc national qui fut lue. Jai quitt volontairement le Parti socialiste fin 1920, lorsque la scission se produisit entre les socialistes et que fut cr le Parti communiste. Je rappellerai que je nai jamais cess dtre lu comme dput ou comme maire Aubervilliers depuis 1914, et quil a fallu une rvocation administrative pour mettre un terme, lan dernier, un mandat que les lecteurs ouvriers de cette commune, eux, ne mont jamais retir. Jajouterai enfin quen octobre 1935, aux dernires lections snatoriales, malgr les dcrets-lois que javais pris, jai t lu le mme jour les prcdents sont rares dans deux dpartements, la Seine et le Puy-de-Dme, alors que les majorits trs gauche de ces deux collges snatoriaux taient dj annonciatrices du Front populaire. Vous voyez, Monsieur le Prsident, que les partis extrmes, dans le secret des urnes, nexprimaient pas mon sujet leur reniement au jour dcisif des scrutins dont ils taient les matres. Quelque dpit quen puissent manifester ceux qui ne me connaissent pas, je ne peux donc figurer sur la liste des rengats , quillustrrent pourtant de hautes personnalits. Jai rfut cette partie du premier considrant de lacte daccusation, mais je ne vous ai pas encore dit toute ma pense. Je conserve un souvenir mu de ma jeunesse militante, non pas seulement parce quil sagit de ma jeunesse, mais parce que jai trouv, cette poque, un enthousiasme, un dsintressement, une gnrosit de sentiments, que je nai pas connus plus tard dans dautres milieux. Jai t marqu ds ce moment dune empreinte indlbile par lamour de la paix, des travailleurs, des humbles et de la libert. Jaurai vous parler longuement de ma politique de paix, puisque lacte daccusation retient comme un grief mon attitude avant la guerre. Quant mon attachement aux travailleurs et aux humbles, je crois en avoir donn souvent la preuve, en faisant notamment voter la loi sur les Allocations familiales et, dans une hostilit presque gnrale, celle des Assurances sociales, en rglant pacifiquement de nombreux conflits ouvriers et, en particulier, pour citer un exemple, celui de la grve des textiles dans le Nord, qui ne concernait pas moins de cent cinquante mille ouvriers. Quant la libert que nous avons perdue, jen ai souffert plus que beaucoup dautres pendant loccupation car, outre quil sagit dun des biens les plus prcieux, je sais que rien de durable ne peut tre construit sur la contrainte. Le mme considrant, auquel je viens de me rfrer, prcise que jai t plusieurs fois ministre et deux fois prsident du Conseil. Jai en effet, depuis 1925, successivement occup presque tous les postes ministriels et jai t, ce titre, le collaborateur de MM. Painlev, Aristide Briand, Tardieu, Doumergue et Flandin. Jai t, non pas deux fois, mais trois fois prsident du Conseil, sans compter les fonctions de chef du Gouvernement pendant loccupation. Croyezvous, Monsieur le Prsident, quen temps de paix, sous lil et le contrle du Parlement, avec une opinion publique informe par une presse libre, jaurais pu accder ces hautes fonctions, my maintenir et y revenir si souvent, si jen avais t indigne ? Croyez-vous que des prsidents de la Rpublique comme M. Doumergue, M. Doumer, mauraient charg de constituer des gouver-

LAVAL PARLE

9

nements sils navaient eu la certitude que mon nom rencontrait la fois la faveur du Parlement et de lopinion ? Croyez-vous que M. Lebrun lui-mme, qui na jamais eu pour moi de sentiments particulirement bienveillants, maurait appel en 1935 ? I l est vrai qu cette poque les chefs se drobaient ; la tche remplir tait ingrate pour sauver le franc. Je ne craignais pas, dans lintrt de notre pays, de mexposer aux risques de connatre la saveur amre de lingratitude et de limpopularit. Cest surtout dailleurs partir de ce moment que les campagnes les plus violentes ont t dchanes contre moi, et cest seulement alors que mes adversaires politiques ont paru sintresser ma fortune prive, dont le mme considrant de lacte daccusation dit quelle a suivi lascension de ma fortune politique Ainsi, je suis surpris de retrouver dans un document judiciaire cet argument que javais seulement relev, jusque-l, dans des journaux ou dans des feuilles, et qui navait servi qu des fins lectorales ou dans un but de polmique. Je suis trs fier de mes origines modestes. Javais nglig et mpris cette attaque, et les menaces alors profres de faire ouvrir une enqute sur les origines de ma fortune ne me gnaient gure. Au contraire, leur mise excution maurait permis de fournir des explications claires, et maurait dgag dune fausse et mchante lgende. Je ne suis nullement gn pour rpondre cette partie de lacte daccusation, mais je tiens ds prsent protester contre linsinuation ou laffirmation, si cest ainsi que je dois lire ce considrant, que jaurais tir ma fortune de mes fonctions publiques. Jai toujours pens quune indpendance matrielle bien assure, si elle nest pas indispensable, donne aux hommes de gouvernement qui la possdent une plus grande indpendance politique. Je nai jamais appris quil tait interdit des hommes politiques, en dehors de leurs fonctions, de soccuper de leurs intrts privs quand ceux-ci ne sopposaient pas aux intrts de ltat. Je vous surprendrai peut-tre en vous disant que jai pouss ce point le scrupule que jai toujours refus de plaider contre ltat ou contre la Ville de Paris, parce que jtais parlementaire et lu de la Seine. Je vous surprendrai moins, vous qui tes au Palais depuis si longtemps, en vous disant que jai un tel respect de lindpendance de la Magistrature et de la dignit des fonctions que jai occupes que jai cess, en fait, de plaider aprs avoir t Garde des Sceaux.1 Javais pourtant, dans le sens contraire, des exemples illustres et honorables. Jai prfr chercher ailleurs, pour tre plus libre, des activits productrices. Je mets au dfi quiconque dtablir que jai profit de mes fonctions pour agrandir mon patrimoine. Vous avez un rapport dexpert, que je ne connais pas encore et qui a t rdig sans que jaie pu tre entendu, mais vous aurez de moi, soyez-en sr, des rponses pertinentes toutes vos interrogations. Sil est vrai que jtais labri du besoin, et vous connatrez les origines de ma fortune, ne serait-il pas mieux, plus gnreux, de mesurer ltendue du sacrifice que jai voulu consentir notre pays, alors que, comme tant dautres lauraient fait ma place, jaurais pu vivre tranquille et heureux, entour de laffection des miens ? Je mexcuse, Monsieur le Prsident, de vous crire aussi longuement, mais jai tenu, ds que jai eu connaissance de lacte daccusation, vous faire cette rponse au premier considrant. Je mexpliquerai aussi facilement sur les autres au cours de mes prochains interrogatoires. Veuillez agrer, Monsieur le Prsident, lassurance de mes respectueux sentiments. P ie r r e Laval

1

Pierre Laval fut Garde des Sceaux en 1926, lge de 43 ans.

10

LAVAL PARLE

Chapitre 2Rapports avec la Grande-BretagneJai rpondu au premier considrant de lacte daccusation et jen arrive au deuxime, ainsi libell : Renvers en janvier 1936, aprs lchec du plan propos par lui pour rsoudre la crise thiopienne, i l a gard de cet incident une haine tenace contre lAngleterre quil accusait davoir contribu sa chute, et contre le Parlement franais dont i l navait pu gagner la confiance. Ma rponse doit tre claire. I l est inexact que jaie t renvers en janvier 1936. Jai abandonn le pouvoir de mon plein gr. Habituellement, un prsident du Conseil apportait sa dmission et celle de ses ministres au prsident de la Rpublique, lorsquil avait t mis en minorit dans un vote devant lune des Chambres, aprs avoir pos la question de confiance. Daprs lacte daccusation, jaurais t renvers sur une question de politique trangre, sur le projet HoareLaval si je comprends bien. Le fait nonc est manifestement faux. Je nai pas t interpell en janvier 1936. Je lavais t la Chambre des dputs les 27 et 28 dcembre 1935 sur cette mme question, et javais obtenu aprs un dbat qui dura deux jours et une nuit, ayant pos la question de confiance, une majorit de vingt-deux voix. Cest M. Yvon Delbos qui minterpella et il fut soutenu par MM. Paul Reynaud, de Monzie, Campinchi, Lon Blum, Gabriel Pri, Marcel Dat et plusieurs autres orateurs. Ce fut un grand dbat parlementaire, dont le compte rendu fut largement diffus par toute la presse mondiale. On croyait gnralement que je sortirais vaincu du scrutin, tandis que jescomptais un succs. Jobtins, je le rpte, aprs un expos de ma politique extrieure, une majorit de vingt-deux voix. Le rsultat tait impressionnant, en contraste avec les pronostics de mes adversaires, et en raison surtout de la qualit et de la diversit des interpellateurs. Je rsolus nanmoins, trois semaines plus tard, de quitter le pouvoir. Ce fut immdiatement aprs un voyage Genve, au cours duquel javais rencontr M. Eden, qui je fis part de ma dcision et qui en parut fort surpris. I l eut mme la courtoisie de mexprimer son regret de me voir donner ma dmission. I l est des circonstances o un chef de gouvernement, surtout lorsquil est ministre des Affaires trangres, a le devoir de sen aller sil nest pas assur de certains concours quil juge indispensables pour appuyer sa politique. I l doit le faire en particulier sil se trouve en dsaccord avec certains ministres dont la collaboration lui est ncessaire. Jestimais que le concours massif du parti radical mtait indispensable et que je ne pouvais me priver de la collaboration du Prsident Herriot, alors ministre dtat. Javais constat que, dans le vote de confiance, les radicaux staient diviss, et je savais que M. Herriot, qui avait approuv tous les dcrets-lois pour sauver le franc et empcher le prix de la vie de monter, marquait son dsaccord sur ma politique extrieure, me trouvant trop faible dans lapplication des sanctions lgard de lItalie. Je navais pu obtenir sa signature, ncessaire pour la prorogation des pouvoirs spciaux dj appels pleins pouvoirs , et je savais, dans ces conditions, que lchec dune politique destine restaurer les finances et accrotre la production du pays tait certain. Je savais dautre part que la sanction dite du ptrole tait rclame par certains milieux de gauche, en France et en Angleterre. Or, je me refusais lenvisager parce que, selon moi, son application nous et entrans dans la guerre, et je voulais viter la guerre. Je pensais bien, dailleurs, que les mmes hommes qui me combattaient, lorsquils seraient au pouvoir, en prsence de leur respon-

LAVAL PARLE

11

sabilit, auraient les mmes apprhensions que javais eues. Je dmissionnai donc, et la sanction du ptrole ne fut jamais applique ni propose par mes successeurs. Par contre, quelques semaines aprs mon dpart, lAllemagne remilitarisait la Rhnanie. Cette violation du Trait de Versailles devait tre sanctionne en application du Trait de Locarno, mais elle ne le fut pas. Hormis un discours et quelques articles de presse, personne ne bougea. I l est donc inexact de dire, comme le fait lacte daccusation, que jai t renvers, et que de cet incident (qui ne sest pas produit) jai gard une haine tenace contre lAngleterre et le Parlement franais. Je navais pas mimmiscer dans la politique britannique, et je navais pas en vouloir au Parlement qui mavait donn sa majorit et sa confiance. Le gouvernement qui me succda aurait pu en vouloir au cabinet britannique qui avait certainement d lui refuser dintervenir propos de la remilitarisation de la Rhnanie ; ce ntait pas mon cas. Je ntais plus au pouvoir, et je nai jamais eu, avec lAngleterre, rgler un problme aussi dlicat et aussi grave. Je nai dailleurs aucune gne pour mexprimer au sujet de la Grande-Bretagne. Je nai pas et je nai jamais eu de haine contre ce pays. Jai eu parfois, au cours de ma carrire gouvernementale, des difficults avec le cabinet britannique. Jai t souvent en plein accord avec les ministres anglais. Jai toujours admir avec quelle tnacit ils dfendaient lintrt de leur pays quand ils le croyaient menac. Je nai jamais conu quen dehors dune solidarit rciproque, la France puisse tre mise la remorque de lAngleterre. Mes rapports personnels avec les ministres anglais ont toujours t courtois et souvent mme, quand je ntais pas compltement daccord avec eux, empreints de grande cordialit, comme ce fut le cas avec M. Eden. Si javais un vu exprimer, ce serait de voir toujours les ministres franais faire leur mtier de Franais comme les ministres anglais, quelle que soit leur couleur politique, savent accomplir leur mtier dAnglais. Ils ont au suprme degr lorgueil de leur race, de leurs traditions et de leur Empire ; ils sont, au sens noble, des matres dans le monde. Jai toujours eu et jaurai toujours pour notre pays, quelles que soient ses vicissitudes, la mme ambition. Ceux qui me connaissent bien savent que je nai jamais tenu un autre langage. I l mest arriv parfois de rfrner langlomanie ou langlophobie de certains Franais, mais je sais que ces sentiments chez nous sont toujours passagers. Lunion franco-britannique ne peut se fonder que sur une parfaite galit de droits et elle ne peut durer qu cette condition. Je vais citer certains faits saillants, concernant les rapports que jai eus, comme ministre des Affaires trangres et comme chef du Gouvernement, avec le gouvernement britannique. En 1931, au moment de la grande crise financire, sollicit durant la nuit (septembre-octobre 1931) de recevoir immdiatement M. Campbell, charg daffaires Paris, remplaant Lord Tyrell, jai accept, sans runir le Conseil des ministres, pour ne pas porter atteinte, par des indiscrtions, au crdit de la Grande-Bretagne, de lui faire faire, par le Trsor franais, le matin mme, une avance de trois millards. Les caisses de la Banque dAngleterre taient vides et les paiements auraient t suspendus sans le concours spontan de la France. M. Campbell mavait remerci avec motion et dit, en me serrant les mains : Monsieur le Prsident, mon pays noubliera jamais.2 En 1934 et en 1935, jeus rgler, en collaboration troite Genve avec M. Eden, le dlgu britannique, des problmes graves, comme les conditions du plbiscite de la Sarre et la rsolution du Conseil de la Socit des Nations concernant lassassinat du roi Alexandre de Yougoslavie. Mon attitude et mon action furent alors approuves par le Parlement et je fus, ce qui est rare, flicit et remerci nommment dans un ordre du jour vot lunanimit par le Snat.3 Je navais pu russir Genve quavec le concours actif de la dlgation britannique. Jeus avec elle, parfois, des2

Voir en annexe B la photographie des documents secrets rdigs par Sir Ronald Campbell et remis Pierre Laval les 18 et 19 septembre 1935 3 Lire lannexe C le texte de lordre du jour du Snat.

12

LAVAL PARLE

difficults, chose naturelle dans des questions aussi graves, mais elles furent toujours surmontes par une bonne volont rciproque. Lorsque, en 1935, je fus prvenu que la Home Fleet avait travers le dtroit de Gibraltar pour se rendre en Mditerrane et que lambassadeur de la Grande-Bretagne me demanda quelle serait lattitude de la France au cas o les sanctions provoqueraient, entre la GrandeBretagne et lItalie, un conflit arm, je rpondis que son pays pouvait compter sur lappui immdiat et sans rserve de toutes nos forces de terre, de mer et de lair. Jai cherch dans lHistoire des prcdents o un reprsentant de la France aurait pris vis--vis de la GrandeBretagne un tel engagement sans tre li par une alliance militaire : je nen ai pas trouv. Voici dailleurs dans quels termes, rpondant linterpellation de M. Yvon Delbos, je rendis compte au Parlement, le 28 dcembre de mes ngociations avec la Grande-Bretagne : En excution de lalina 3 de larticle 16 du Pacte, je nai pas hsit faire prendre la France, vis--vis de la Grande-Bretagne, lengagement de se porter son aide sur mer, sur terre et dans les airs, si elle venait tre attaque par lItalie loccasion de lapplication des sanctions. La dclaration faite alors lambassadeur de Grande-Bretagne, confirme depuis, Paris, Sir Samuel Hoare lui-mme, je tiens, pour dissiper tout malentendu qui pourrait subsister ce sujet dans lopinion internationale, la renouveler ici publiquement.4 (Jai dailleurs t peu surpris dapprendre que ce numro du Journal officiel avait t supprim la vente par des achats massifs. La nettet de cette politique extrieure tait peut-tre une gne pour ceux qui combattaient ma politique intrieure de redressement financier.) La Chambre des dputs, aprs ma rponse M. Yvon Delbos et aux autres interpellateurs, me vota un ordre du jour de confiance. La majorit et t encore beaucoup plus forte si javais pu alors faire tat de certains documents secrets concernant mes ngociations avec lItalie, et notamment de lalliance militaire secrte dont jai parl au procs Ptain et que le marchal Badoglio a confirm par une dclaration la presse le lendemain de mon audition. Je fus en dsaccord avec le gouvernement anglais lorsquil ngocia et signa, notre insu, un accord naval avec le gouvernement allemand. Jtais all Londres auparavant, au dbut de fvrier 1935, comme ministre des Affaires trangres, avec M. Flandin, prsident du Conseil, et il avait t convenu que, dsormais, nous naborderions jamais sparment lAllemagne, spcialement pour les questions de rarmement de ce pays. Ayant appris par la lecture des journaux la signature de laccord naval, je convoquai Sir George Clark, ambassadeur Paris, et je lui dis mon regret davoir vu son gouvernement ngocier avec lAllemagne sur un tel objet, sans nous prvenir, contrairement lengagement solennel qui avait t pris le 4 fvrier 1935. Jeus aussi quelques difficults lorsque lAllemagne viola les clauses militaires du Trait de Versailles. Cette violation ntait pas, comme la remilitarisation de la Rhnanie, sanctionne par le Trait de Locarno, mais elle constituait la plus grave menace pour notre scurit. Nous emes une discussion Stresa dabord, Genve ensuite, et, finalement, jobtins que Sir John Simon donnt son accord la rsolution, dailleurs platonique, qui fut vote par le Conseil de la Socit des Nations. Lanne prcdente, sous le ministre Doumergue, lAllemagne avait propos de porter un chiffre forfaitaire de trois cent mille hommes leffectif de son arme. Barthou avait accept, mais MM. Tardieu et Herriot sy opposrent, en plein accord avec M. Doumergue, et lAngleterre jugea (certainement) que nous avions eu tort de repousser cette proposition allemande. Aussi nous ne trouvions pas un accueil chaleureux du ct anglais pour protester et agir avec nous contre la violation par lAllemagne des clauses militaires du Trait de Versailles. I l est vrai quelle allait conclure avec lAllemagne laccord naval dont je viens de parler.4

Voir la suite de la citation lannexe D.

LAVAL PARLE

13

Nous ne pouvions donc alors envisager lapplication de sanctions lAllemagne, car nous navions pas la majorit Genve quand nous ntions pas pleinement daccord avec lAngleterre. Aussi notre dbat Stresa fut assez vif. Je demandai M. Mac Donald, en prsence du danger allemand qui se prcisait, de faire la chane de Londres Moscou. Les Accords de Rome et le Pacte franco-sovitique, que javais signs, avaient dblay le terrain de difficults quon croyait insurmontables. LAngleterre ntait pas encore prte envisager cette politique dencerclement de lAllemagne, qui seule pouvait empcher la guerre, en mettant Hitler dans limpossibilit de nuire. Dune manire gnrale, quand on connat la politique britannique en Europe depuis le Trait de Versailles, on peut dire que mes difficults avec les Anglais furent de mme ordre que celles quavaient connues mes prdcesseurs. I l y eut un moment, pendant cette priode, o nos rapports furent excellents : cest lorsque M. Austen Chamberlain tait au Foreign Office et quil signait avec Briand le Trait de Locarno. Jai lu, dans ma cellule, le livre du ministre anglais, Au F i l des Annes, et jai constat que lintrt britannique avait largement inspir ses ngociations. Je nen ai pas t choqu, au contraire, car les traits ne valent pour les peuples que dans la mesure o ils consacrent leurs intrts. Cette politique avait une autre allure que celle de Munich, laquelle je nai jamais donn mon adhsion. Jen aurai termin avec la rfutation du deuxime considrant de lacte daccusation, en disant quil est aussi inexact et injuste de prtendre que javais vou une haine tenace lAngleterre, propos de laffaire thiopienne, quand jaurai rpondu largument tir contre moi de lchec du projet Hoare-Laval. Je men suis expliqu devant la Haute-Cour en dposant dans le procs Ptain, mais je vais prciser. Toutes les tentatives faites Genve pour trouver une solution amiable au conflit thiopien avaient successivement chou. Seul un accord complet entre la France et lAngleterre pouvait obtenir ce rsultat. Ni lItalie, ni lthiopie nauraient pu rsister une transaction impose par nos deux pays. Cest ce que comprit Sir Samuel Hoare et, avec un sens aigu des ralits et le souci de mettre un terme une entreprise dont les consquences pouvaient tre graves pour lavenir de lEurope, il accepta de discuter et dlaborer un projet dont jtais sr quil serait accept par lItalie, dont i l tait sr quil le serait galement par le Ngus, et dont nous tions srs tous les deux que Genve aurait entrin une telle solution. Des indiscrtions de presse et de polmique se produisirent. Une interpellation eut lieu la Chambre des communes et Sir Samuel Hoare dut dmissionner. I l fut dailleurs rappel dans le Cabinet, un autre poste, quelques jours aprs. Jai toujours profondment regrett que ce projet nait pas t admis. Je nai jamais pens que je devais en vouloir particulirement lAngleterre pour le rejet du plan ; il y avait en effet dans ce pays, comme dans le ntre, une opinion divise ; elle tait gnralement plus hostile en Angleterre, car, lantifascisme qui, seul, chez nous, sopposait au projet, il sajoutait, chez elle, lopinion de ceux qui croyaient une menace sur la route des Indes. Les Anglais, une fois de plus, dfendaient leur intrt quils croyaient menac. Ce sont l les fluctuations de la politique internationale. Je navais donc aucune raison de har lAngleterre ; jen avais seulement pour regretter un chec qui allait progressivement jeter lItalie dans les bras de lAllemagne, priver la France et la Grande-Bretagne du concours indispensable des Balkans et attirer tant de malheurs sur notre pays. Je suis profondment surpris de trouver aujourdhui, dans un acte daccusation aussi grave, un tel grief relev contre moi, avec une telle mconnaissance des faits de lhistoire, pourtant rcente, de notre pays.

14

LAVAL PARLE

Chapitre 3Rapports avec lItalieLacte daccusation, dans son troisime considrant, sexprime ainsi : Ds le dbut de la guerre, i l semble stre pos en ngociateur de la paix grce au crdit quil prtendait avoir auprs de Mussolini. I l envisageait en mme temps pour la France un changement de rgime dont i l serait le bnficiaire et i l parat bien avoir compt pour cela sur le concours du marchal Ptain. Les lettres de Loustaunau-Lacau au Marchal ne laissent gure de doute ce sujet, non plus que la dposition de Mlle Petit, exsecrtaire dun sieur Giobbe, qualifi par elle d Abetz italien , avec lequel Laval entretenait, par lintermdiaire dun sieur Borra, des relations en vue de sassurer laide de lItalie pour faire, disait-il, sortir la France de la guerre et la doter dun systme politique analogue celui que le Duce avait institu dans la Pninsule. Sil ne sagissait pour moi dune aussi grave accusation, je ne pourrais que qualifier dabsolument faux les faits qui sont srieusement exposs dans ce document judiciaire, et de fantaisiste linterprtation qui leur est donne ; mais jai le droit, puisque ces faits sont retenus, de les discuter. La rfutation en sera facile. Je me suis expliqu, dans ma dposition devant la Haute-Cour de justice, sur une lettre de M. Loustaunau-Lacau, qui me mettait en cause. Ce monsieur sest prsent mon bureau alors que je ntais pas ministre, de la part du marchal Ptain. Je nai pas conserv un souvenir exact de ses propos, que je nai mme pas prouv le besoin de noter. Je me suis content denregistrer la communication quil disait tre charg de me faire, et jtais naturellement mis en garde contre lui parce quil mavait paru anormalement agit, au dbut de la guerre, en dnonant dune manire anonyme un ministre quil qualifiait de tratre et de prvaricateur. Cette plainte et le scandale quil tenta alors de provoquer neurent aucune suite, parce quayant dabord refus de dire le nom de ce ministre, il napporta ensuite aucune preuve contre lui. I l dut tre intern par la police franaise pendant loccupation et, sollicit par lui pour sa libration, jinsistai personnellement pour que satisfaction lui ft donne, mais je dus y renoncer, parce que les services sy opposaient. Je fus ensuite, son sujet, lobjet de dmarches qui montraient quil ne devait pas figurer parmi les lments trs actifs de la Rsistance. I l maurait fallu manquer du plus lmentaire esprit critique, mme si javais eu les intentions que me prte lacte daccusation, pour faire des confidences de ce genre M. LoutaunauLacau, dont javais t mme dapprcier le caractre fantasque. Je suis oblig, en ce qui concerne Mlle Petit, de formuler les plus grandes rserves sur son tmoignage. Jai connu un journaliste italien, M. Giobbe, dont elle aurait t la secrtairedactylo. I l est venu parfois, assez rarement, mon bureau, beaucoup plus pour minformer des choses de son pays que pour obtenir de moi des renseignements. Jai lhabitude dtre prudent et rserv avec les journalistes, surtout lorsquils sont trangers, et cet gard ma rputation est bien tablie. Je nai jamais pu considrer que M. Giobbe, pour reprendre lexpression de Mlle Petit, ft un Abetz italien , cest--dire un confident du ministre des Affaires trangres, qui tait M. Mussolini, comme M. Abetz le fut de son ministre, M. von Ribbentrop. I l tait journaliste italien et, ce titre, il frquentait lambassade dItalie. Je naurais prouv aucune difficult, si je lavais jug utile ou opportun, avoir des entretiens directs avec lambassadeur, sans avoir me servir de lentremise dun journaliste tel que M. Giobbe ; plus forte raison, je

LAVAL PARLE

15

naurais pas compliqu ces rapports par lintrusion de M. Borra, lautre personne que cite Mlle Petit. Je connais M. Borra depuis 1935, date laquelle jai sign les Accords de Rome ; il tait garibaldien et paraissait trs actif dans les milieux italiens de la capitale ; en tout cas, il me le disait. I l ma amen un jour, vers cette mme poque, le gnral Ezzio Garibaldi. Je le prends pour un honnte homme, mais je ne lai et je ne laurais jamais charg daucune mission; je ne crois pas dailleurs quil aurait eu lentregent pour la remplir. I l ma parl souvent dun prtre italien, labb Tache Venturi, dont il se disait lami. Je ne le recevais pas toujours lorsquil se prsentait mon bureau; il appartient cette catgorie de personnages qui veulent toujours paratre jouer un rle et dont on se rend compte trs vite que leurs moyens sont limits. Je lai expressment pri, en raison de son agitation, diffrentes reprises, de ne jamais parler en mon nom aux autorits italiennes, craignant quil ne sattribue des missions de ma part ou me prte des projets. Je regrette seulement quon invoque, pour une accusation aussi grave, de tels tmoignages. Ceci mamne dire ce que furent vraiment mes rapports avec les autorits italiennes et ce quils auraient pu tre pendant la priode vise lacte daccusation. Javais sign, en janvier 1935, les Accords de Rome, et javais vcu la priode difficile des sanctions. Je mtais toujours efforc de concilier les obligations de la France vis--vis de la Socit des Nations, laquelle nous devions rester fidles, avec la ncessit de ne pas rompre avec lItalie, pour sauvegarder les avantages de nos arrangements en Tunisie et mnager une amiti et une alliance utiles notre scurit (voir la rponse au considrant n 2). I l existe aux scells les copies des lettres que nous avons changes doctobre 1935 janvier 1936, et dont les originaux, pour les lettres signes de Mussolini, et les copies, pour les miennes, doivent se trouver aux archives du Quai dOrsay, sous enveloppe scelle, o je les ai laisss en abandonnant le pouvoir le 22 janvier 1936. Ce sont des documents infiniment plus srieux que les tmoignages de M. Loustaunau-Lacau et de Mlle Petit. Ils montrent que jai eu cette poque des difficults graves avec Mussolini ; il nen reste pas moins que, malgr ces difficults, javais, comme ngociateur des Accords de Rome, conserv du crdit en Italie. Jai revu maintes reprises des personnalits italiennes de passage Paris, et les ambassadeurs dItalie qui se sont succd sauf depuis la dclaration de guerre nont jamais cess dentretenir avec moi des rapports de courtoisie. Parmi les personnalits italiennes, il en est deux que je dois citer. M. Puricielli, snateur, ami du Roi et de Mussolini, est venu me voir plusieurs fois pour regretter les dissentiments ns entre nos deux pays. I l a eu un jour loccasion de venir Chteldon, o je lavais invit, en compagnie de M. Labrousse, snateur, aujourdhui membre de lAssemble consultative. I l revint, et il me dit tre navr de voir son pays alli de lAllemagne, et il ajouta quil fallait tout prix rconcilier la France avec lItalie ; i l tait notamment partisan dun retour la politique de 1935 ; il me dit un jour que cela tait possible des conditions trs acceptables, et il me demanda expressment de venir Rome, ou ailleurs en Italie, pour rencontrer Mussolini. I l dit clairement quil avait qualit pour me faire cette communication. Je vis alors lambassadeur dItalie, avec qui jeus un entretien priv. LItalie ne formulait aucune de ces revendications territoriales si souvent et si grossirement affirmes sur la place publique par des orateurs sans mandat. Je ntais pas au gouvernement et il ne mappartenait pas de prendre aucune initiative.5 Jinformai immdiatement M. Daladier, alors prsident du Conseil, au Snat, et je lui offris, mes risques et prils, daccomplir une mission prive, quil dsavouerait si elle chouait, ou quil prendrait son compte si je lui rapportais les lments dun accord. M. Daladier me dit quil allait rflchir et quil me rpondrait le surlendemain lundi. I l ne dut pas estimer utile ou opportune cette procdure, et, nayant reu aucune rponse, je ne donnai aucune suite au dsir que mavait exprim M. Puricielli. En li5

Lire en annexe E lhistorique dtaill des relations franco-italiennes, expos par Pierre Laval au procs du Marchal Ptain.

16

LAVAL PARLE

sant le compte-rendu du Snat runi en comit secret en mars ou avril 1940, on doit trouver mention de ce fait important que jai rappel dans mon discours. Je navais donc pas besoin de rechercher des intermdiaires pour avoir des contacts, si je les eusse jugs ncessaires, avec le gouvernement italien. Jai galement un autre fait rappeler. Le comte Arduini-Ferretti, que je connaissais beaucoup moins que M. Puricielli, Italien habitant Paris, se disant, et je le crois, trs francophile, vint me voir au retour de chacun de ses voyages en Italie, spcialement pendant la guerre, avant la dclaration de guerre de lItalie la France. I l sexprimait comme le snateur Puricielli et se lamentait sur la position adopte par lItalie, allie de lAllemagne. I l se prsenta le 9 juin 1940 mon bureau, trs mu, me disant quil revenait de Rome, que lItalie tait la veille de dclarer la guerre la France, que cette dclaration pouvait peut-tre tre vite ; que lItalie, en tout cas, nattaquerait pas, et il me fit des suggestions pour tre transmises au gouvernement franais. Je lui demandai si ces renseignements taient officiels ; alors il me dit me parler de la part du snateur Aloisi, ancien directeur du cabinet de Mussolini, que javais eu comme interlocuteur Genve, o il tait le dlgu de lItalie. Ce sont sans doute les procds de la diplomatie italienne, mais je compris que la communication pouvait tre aussi interprte comme venant de Mussolini. Jappelai le gnral Denain, qui avait t ministre de lAir et qui avait, ce titre, en 1935, sign des accords militaires avec son collgue italien, et je le priai dinformer M. Albert Lebrun. Celui-ci lenvoya trouver M. Paul Reynaud, qui ne donna aucune suite cet entretien. Je quittai Paris le jour mme, 9 juin 1940. Quant M. Arduini-Ferretti, il eut limprudence de se rendre le lendemain au Quai dOrsay pour essayer de remplir ce quil croyait tre sa mission. LItalie, le jour mme, nous dclarait la guerre et M. Arduini-Ferretti fut, comme Italien, aussitt intern. Ainsi, en deux circonstances, quand je ntais pas au pouvoir, jai reu des communications importantes concernant nos rapports avec lItalie. Jai agi suivant ma conscience et mon devoir en en faisant part aussitt au gouvernement franais, lui laissant le soin de dcider seul, sous sa propre responsabilit, les suites qui devaient tre donnes ces communications. Je nai rien cacher de mes actes, ni de mes intentions, mais je ne vois pas quel lien on pourrait tablir entre ces faits tels quils existent et le projet, qui mest prt dans lacte daccusation, dun changement de rgime. aucun moment, ni de prs ni de loin, il ne peut et il ne pouvait tre question de mler une question de rgime intrieur franais ce problme minemment extrieur de nos rapports avec lItalie. I l faudrait me supposer bien faible desprit pour avoir, dans ce mme moment, mis de telles lucubrations M. Loustaunau-Lacau et M. Borra, qui nont dailleurs jamais connu les faits que je viens dexposer. Le snateur Puricielli est un grand entrepreneur qui a d, je crois, construire les plus grands autostrades italiens ; il devait avoir galement des travaux ltranger. I l me souvient de lavoir entendu me parler du projet quil avait eu de construire un autostrade travers le Corridor de Dantzig, ce qui et ce moment rgl ou retard le conflit germano-polonais qui a entran la guerre en Europe. Hitler lui avait donn son accord ; il avait galement obtenu celui du gouvernement polonais, mais i l choua ensuite parce quil eut le tort de dire aux autorits polonaises quHitler avait promis de payer les cinquante millions que reprsentait la premire dpense. Je cite sans commenter, uniquement pour prsenter la personnalit de M. Puricielli qui, par ailleurs, affirmait avec beaucoup de force ses sentiments damiti pour la France. I l avait conu lide dun autostrade reliant la France et lItalie par un tunnel sous le Mont-Blanc. Par son caractre et ses gots, il me disait navoir quune admiration modre pour le rgime fasciste ; au surplus, je ne lai jamais questionn ce sujet. Quant M. Arduini-Ferretti, jignore sil avait des attaches avec le Parti fasciste. I l neut pas me renseigner ce sujet et jeus toujours limpression que, vivant en France, o il avait, me disait-il, tous ses intrts, il avait surtout la proccupation dviter un conflit entre son pays et le ntre. I l blmait la politique militaire de Mussolini, son alliance avec Hitler et, sur ce

LAVAL PARLE

17

point, il partageait la faon de voir de M. Puricielli. Jai rappel mes souvenirs pour les placer en face de lacte daccusation qui prcise que ds le dbut de la guerre, il semble stre pos en ngociateur de la paix, grce au crdit quil prtendait avoir auprs de Mussolini . Jai dit tout ce que je savais, mais je ne vois pas le lien entre mon action et linjuste accusation qui mest faite davoir voulu changer le rgime. Cette accusation est dveloppe dans dautres considrants du rquisitoire et cest ceux-l que jaurai rpondre pour les rfuter ; la recherche de la vrit constituant le principal objet de linstruction, je naurai pas de peine me justifier parce que la vrit, que fera apparatre une instruction contradictoire, fera en mme temps tomber cette accusation dirige contre moi.

Chapitre 4Bordeaux 1940 LarmisticeLacte daccusation sexprime dans ces termes : Quand survinrent les vnements militaires de mai 1940, Laval fut au premier rang de ceux qui rclamrent larmistice. Aussi bien son nom figurait-il sur la liste que, le soir mme du jour o Paul Reynaud venait de dmissionner, Ptain prsenta au prsident de la Rpublique. I l en fut momentanment effac, mais pour y reparatre trois jours aprs; et, ds lors, le rle de Laval, dans les jours qui prcdrent le 10 juillet 1940, fut prpondrant. Cette accusation nonce ma charge deux faits. Jaurais t au premier rang de ceux qui rclamaient larmistice et jaurais figur sur la liste ministrielle du marchal Ptain. Je nai eu prendre aucune responsabilit ni aucune dcision en ce qui concerne larmistice. Je nappartenais pas au gouvernement qui a demand larmistice. Quant lopinion que jaurais exprime ce sujet, je la partageais, ce moment, avec la quasi-unanimit des Franais. Au surplus, une telle demande ne pouvait tre formule que sur la constatation, nettement tablie par le chef militaire responsable, que la continuation de la lutte tait impossible ou savrait pour la France plus dsastreuse que larmistice lui-mme. Ce fut lopinion du gnral Weygand et ce fut aussi celle du marchal Ptain. Je ntais pas au gouvernement, et les ministres avaient seuls le pouvoir et le devoir de prendre une dcision. Les dbats du procs Ptain montrent que larmistice tait dcid avant larrive du Gouvernement Bordeaux, et je navais eu aucun contact depuis longtemps avec Ptain. Cest de Chteldon, o je rsidais, que jai gagn Bordeaux aprs larrive du Gouvernement. Si mon nom figurait sur la liste ministrielle prsente par le marchal Ptain au Prsident Lebrun, ce fait tait manifestement sans aucun rapport avec lopinion que je pouvais avoir au sujet de larmistice. Je reste convaincu que le successeur de M. Paul Reynaud, mme sil et t un autre que Ptain, aurait mis mon nom sur cette liste. Jai t souvent ministre et parfois prsident du Conseil des poques de crises graves, comme en 1935. (Il semble que cest toujours ces heures quon a lhabitude de faire appel moi.) Javais t longtemps aux Affaires trangres; javais jou un rle important dans de nombreuses ngociations internationales et il pouvait paratre normal, ce moment douloureux pour notre pays,

18

LAVAL PARLE

de me voir une fois de plus venir au gouvernement. Au surplus, cette poque, le Marchal croyait sans doute que ma collaboration lui serait utile en raison de mon exprience du pouvoir. Dailleurs, comme le constate lacte daccusation, je ne fis pas partie de ce gouvernement qui demanda et signa larmistice. Javais refus le portefeuille de la Justice, et, sur lintervention de M. Charles Roux, le Marchal ne crut pas devoir me charger des Affaires trangres (portefeuille dj attribu M. Baudouin). Quelques jours aprs, je fus appel pour tre nomm viceprsident du Conseil, fonctions que je partageai avec M. Camille Chautemps. Ds lors, jaurais, daprs lacte daccusation, jou un rle prpondrant dans les jours qui prcdrent le 10 juillet 1940. Ainsi, nous arrivons sans doute lun des griefs les plus importants retenus contre moi. En tout cas, le premier parmi ceux dont lensemble constituerait linculpation dattentat contre la sret intrieure de ltat. Pour que ma rponse soit claire et pertinente, il est ncessaire, et en tout cas logique, de rappeler maintenant le cinquime considrant qui complte et prcise le prcdent en ce qui concerne le grief relev contre moi et tir de la demande darmistice. Ce cinquime considrant est ainsi rdig : Cest incontestablement lui lagent responsable qui, par ses intrigues et ses menaces jusque dans le cabinet du prsident de la Rpublique, empcha ce dernier, les prsidents des deux Chambres, les membres du Parlement et ceux des ministres qui avaient encore souci de la souverainet nationale, daller en Afrique du Nord former un gouvernement labri des reprsailles allemandes et qui, devant lEurope et lAmrique, et reprsent la France et affirm sa persistance en tant que nation souveraine. Bien que nayant pas appartenu au gouvernement qui avait demand larmistice et sign la convention, je suis inculp et rendu responsable dun acte auquel je nai pas particip. Je pourrais me contenter de cette constatation, mais je paratrais ainsi me dgager dune dcision que jai, sinon comme ministre, du moins personnellement comme Franais, reconnue ncessaire et mme indispensable lorsquelle a t prise. Cela ne signifie pas que jaurais accept, telle quelle nous fut prsente Rethondes, la Convention darmistice. On ma dit ensuite quelle nous fut impose, quelle navait pu tre discute par nos plnipotentiaires, explication que jai toujours juge insuffisante, car il tait indispensable de faire une protestation solennelle contre les clauses qui rendaient la Convention inapplicable. En effet, lexcution de ces clauses rendait toute vie impossible notre pays et provoquait son asphyxie. I l aurait suffi dune simple protestation, ou mme dun simple commentaire fait le jour mme, pour justifier ds le lendemain louverture dune ngociation sur linterprtation et lapplication de larmistice. Cest ce qui fatalement devait se produire, mais chaque assouplissement de cette convention devait dans la suite servir de prtexte limposition de nouveaux sacrifices, aucune rserve nayant t exprime de faon suffisamment claire au moment de la signature. Si javais t au gouvernement, je naurais pas manqu de tout faire pour obtenir, dfaut de mieux, un protocole prcisant les conditions dapplication de larmistice. Avant de mexpliquer plus compltement sur les prtendues intrigues auxquelles je me serais livr et sur les menaces que jaurais profres jusque dans le cabinet du prsident de la Rpublique, menaces et intrigues dont la consquence aurait t dempcher le dpart du Gouvernement et des Chambres pour lAfrique du Nord, je tiens faire observer que je nai pas eu mexprimer comme ministre, mais seulement comme parlementaire, et quil est peu vraisemblable dimaginer que jaie pu disposer dun tel pouvoir. I l faudrait admettre, au contraire, une absence totale de volont de la part de ceux qui voulaient partir, car je ne disposais daucune autorit ni daucun moyen pour les empcher de raliser un tel dessein. Jaffirme avec sincrit que si javais t leur place, ce nest pas lopposition de quelques parlementaires, dailleurs toute verbale, qui maurait arrt. Je naurais pas nglig, en tout cas, dessayer de convaincre le ou les parlementaires de la ncessit dune telle dcision et, si lopposition ne stait pas rallie

LAVAL PARLE

19

mes arguments, jaurais pass outre. (Voir la dposition de Paul Reynaud au procs du Marchal.) I l importe de justifier dabord larmistice. Cette justification incombe au gouvernement qui la demand. Les dbats devant la Haute-Cour prouvent quil tait impossible dchapper la triste ncessit de demander larmistice. I l me parait dun intrt moindre qu certains de faire la distinction entre le cessez le feu et larmistice. Dans les deux cas, ctait larme prisonnire et la France dans limpossibilit de se dfendre, sauf que dans le premier le nombre des prisonniers et t beaucoup plus lev. Ce qui est vrai, et ce que certains tmoins au procs Ptain ont oubli aprs coup, cest que le gnral en chef ne pouvait mme plus faire parvenir ses ordres larme, qui tait disloque, coupe par tronons, en droute et en dsordre. Weygand signalait le danger de la rapidit de linvasion et le nombre chaque jour croissant des troupes faites prisonnires. Lide de faire refluer notre arme vers la Bretagne, o elle aurait pu sappuyer sur la flotte anglaise, ne pouvait tre ralise. Le rduit breton aurait dailleurs t vite cras par laviation et larme allemandes. Restait la solution du prolongement de la lutte en Afrique du Nord. Et cest moi que lacte daccusation vient reprocher aujourdhui davoir empch le transfert de la souverainet en Afrique du Nord. Je nai t appel prendre part aucune dlibration parlementaire sur la ncessit ou lopportunit du dpart du Gouvernement. Je nai connu aucun des arguments qui pouvaient tre invoqus pour ce dpart et je nai par consquent jamais t amen les rfuter. Si le prsident de la Rpublique, si les prsidents des Chambres, MM. Jeanneney et Herriot, estimaient que cette dcision tait indispensable, pourquoi nont-ils pas fait un effort de propagande et de persuasion, dfaut mme de sances officielles, pour convaincre ceux qui, comme moi, taient dune opinion contraire ? Le prolongement de la lutte en Afrique aurait d tre prvu par les tats-majors ; des mesures pralables eussent t ncessaires : dabord assurer le transport, et lamiral Darlan le disait impossible. Je parle du transport des troupes et du matriel, et non pas du transport des pouvoirs publics. LAfrique du Nord ne disposait daucun moyen de fabrication du matriel de guerre, tout restait crer au moment o, si une dcision de dpart et t prise, la France entire aurait t envahie. Mme si la chance et t faible, on pouvait la tenter, mais, considrer les vnements cette poque, il ny avait aucune chance de pouvoir rsister la pousse allemande. Les succs militaires allemands taient tels, et avaient t si rapides, qu ce moment larme allemande paraissait invincible. I l ny a aucun doute que lEspagne ne se ft pas oppose, et elle ne le pouvait gure pour de nombreuses raisons, au libre passage des troupes allemandes. LAngleterre ne songeait alors qu dfendre son le, reconstituer rapidement ses forces, acclrer ses fabrications pour faire face une tentative dinvasion quelle redoutait. Les Soviets et lAllemagne taient associs et lAmrique tait neutre. Nous tions la priode de la guerre-clair, et je ne crois pas que le seul rocher de Gibraltar et suffi, avec la supriorit de laviation allemande ce moment, pour retarder longtemps le passage des troupes allemandes vers la rive africaine. On peut pronostiquer, aprs coup, cest vrai, mais avec tous les lments dont disposait lagression allemande, on peut dire que notre dfaite sur le territoire mtropolitain aurait t, peu de semaines plus tard, complte par notre dfaite en Afrique du Nord. On peut alors poser quelques questions importantes : que serait devenu le Gouvernement : serait-il all Londres ? Que seraient devenues les populations restes en France, cest--dire quarante millions de Franais ? Elles auraient t administres par les Allemands, comme les Belges, comme les Hollandais, comme les Polonais ? Alors, cest tout le problme qui se pose de savoir sil tait plus conforme lintrt de la France de la laisser dans le dsordre ou sous la domination des vainqueurs, plutt que dessayer par des ngociations rgulires dallger ses souffrances. On ne pouvait alors prdire combien de temps durerait larmistice, mais ce

20

LAVAL PARLE

qui tait vrai pour une courte dure ltait bien plus pour un armistice qui devait se prolonger pendant quatre ans. I l est une autre question trs importante : que serait devenue lAfrique du Nord aux mains des Allemands ? Un magnifique champ doprations prparer contre lgypte, le canal de Suez ; la possibilit dune jonction avec la marine japonaise, au moins pour les changes de matires premires. Quelle difficult effroyable pour les Anglais, soucieux de continuer la guerre et de secourir leur Empire menac ! Il ne faut pas oublier qu ce moment, en 1940, lAllemagne tait lallie des Soviets et quon peut dduire de ce fait toute une srie de consquences, y compris peut-tre la continuation de lalliance puisque dautres champs dexpansion au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie souvraient ces deux gouvernements. Enfin et surtout, si lon est de bonne foi, il faut reconnatre que lAmrique et d plus tard chercher ailleurs quen Afrique du Nord une plateforme pour lancer ses attaque contre larme allemande. Le fait de navoir pas donn suite au projet de dpart du gouvernement franais a constitu peut-tre la victoire la plus sre et la plus importante, qui a permis ensuite la pleine victoire des Allis. Cette constatation de bon sens, faite de bonne foi, devrait suffire pour faire tomber ce grief relev mon encontre ; mais, au surplus, cest bien le marchal Ptain qui a eu linitiative dempcher ce dpart du gouvernement franais quand il a dit, avant darriver Bordeaux, alors quil tait Tours, que ceux qui partiraient seraient des fuyards . Cest le Marchal, par ses propos, qui a fix lopinion de la plupart de ceux qui pensaient que leur devoir tait de rester et qui ne dsiraient pas voir partir le Gouvernement. Ptain disposait alors dune autorit morale qui, ajoute son autorit militaire, faisait de lui larbitre incontest de tous les problmes poss par la situation tragique dans laquelle nous nous trouvions. Une autre solution pouvait tre envisage par ceux qui ne voulaient pas rester dans la mtropole. Ils pouvaient aller Londres, marquant ainsi leur refus daccepter larmistice et leur volont de continuer la lutte. Mais il fallait en 1940 que quelquun ou quelques-uns sauvent lAfrique du Nord du raz de mare qui dferlait vers le sud. I l fallait prserver cette terre dAfrique que les gnraux Giraud et de Gaulle ont trouve intacte deux ans plus tard, avec une arme commande par des chefs que la politique pratique par le gouvernement de la mtropole avait fait librer des camps dAllemagne. I l fallait pendant ces dures annes un gouvernement dans la mtropole pour dfendre les intrts de la France pendant loccupation et, en cas de victoire allemande ou de paix de compromis, pour attnuer et compenser les risques de notre dfaite. O est lhonneur dans tout cela? Lhonneur est l. I l est partout o il sagit, sous quelque forme que ce soit, de dfendre lintrt de son pays.

Chapitre 5LAssemble nationale du 10 Juillet 1940 Dsaccord avec le Marchal au sujet de la RpubliqueLacte daccusation retient maintenant ce qui, sans doute, est considr comme lun des griefs les plus graves : mon activit qui aurait amen le Parlement remettre au marchal Ptain le Gouvernement de la Rpublique. Avant de les discuter et de les rfuter, je reproduis ces considrants dont laccusation tire la conclusion que jaurais commis le crime dattentat contre

LAVAL PARLE

21

la sret intrieure de ltat : Sixime considrant : Cest galement lui qui, force dintrigues, de marchandages, de promesses et de menaces, amena le Parlement remettre au Marchal le Gouvernement de la Rpublique et cest encore lui qui, en tant que vice-prsident du Conseil, hritier prsomptif du Marchal, fut le premier bnficiaire du coup dtat ralis le 11 juillet par la suppression de la prsidence de la Rpublique, le cumul des pouvoirs entre les mains de Ptain et la prorogation sine die du Parlement. Septime considrant : ce titre, linculpation dattentat contre la sret intrieure de ltat releve contre Laval se trouve pleinement justifie. Lui-mme en a fait laveu, non sans une fiert qui nest pas dans sa manire, lorsque, sadressant aux instituteurs dans son allocution du Mayet-de-Montagne, i l disait : Vous maccorderez que lacte le plus important de la Rvolution nationale, cest moi qui, sous lgide du Marchal, lai accompli le 10 juillet 1940. Huitime considrant : Un rgime comme le sien et celui de Ptain, confinant labsolutisme, ne pouvait stablir en France quen sappuyant sur lenvahisseur et en sinspirant de ses mthodes, la loi mettant les Juifs hors du droit commun ntant quun premier pas dans limitation servile de nos vainqueurs. Je rponds ces considrants comme je lai fait aux questions qui mont t poses par le magistrat instructeur lorsquil sest rfr aux mmes griefs. Pour apprcier sainement, sans lesprit de polmique qui parait inspirer tout au long lacte daccusation, il faut se replacer dans la situation o se trouvait la France en juin-juillet 1940, et on comprendra comment le Parlement, sans que fussent ncessaires les marchandages, les intrigues, les menaces et les promesses qui me sont gratuitement et injustement prts, dcida le 10 juillet 1940 de confier au Marchal des pouvoirs exceptionnels comme le pouvoir constituant. Le Parlement ne remit pas en effet au Marchal le Gouvernement de la Rpublique, comme le dit par erreur lacte daccusation. Cest de M. Albert Lebrun, prsident de la Rpublique, que le Marchal avait reu le Gouvernement de la Rpublique, et les dbats du procs Ptain rvlent que M. Albert Lebrun avait pris cette dcision sur le conseil de M. Paul Reynaud. Le Gouvernement disposait alors de pouvoirs exceptionnels en vertu dune loi de 1939 et il pouvait agir sans le concours des Chambres. Noublions jamais que nous sommes en juin 1940 et que nous sommes Bordeaux. Pour arriver jusqu cette ville, la plupart des parlementaires ont pu, pendant leur voyage difficile, mesurer ltendue du dsastre qui vient de frapper notre pays. Une arme disloque, des units souvent abandonnes par leurs chefs, des soldats isols, tel est, ct dactes dhrosme quillustrrent toujours des Franais au combat, le dsolant spectacle militaire quils venaient de voir. Quant aux populations civiles, elles fuyaient vers le sud dans un douloureux cortge, mitrailles sur la route. Ils taient peu nombreux alors chez nous, ou en tout cas ils restaient silencieux, ceux qui croyaient un redressement rapide de cette situation dsespre. Dans le pays, comme au Parlement, il y eut alors un grand lan vers Ptain, qui apparaissait comme un sauveur, et une colre sourde contre ceux qui nous avaient aussi lgrement entrans dans cette guerre que nous venions de perdre. Que chacun fasse son examen de conscience, et qui osera srieusement, honntement, prtendre que les choses ne se passaient pas ainsi et que dautres sentiments animaient les foules ? I I y eut certes des Franais qui ne dsespraient pas ; il y eut une poigne dhommes qui acceptrent quatre annes dune bataille sans rpit. Les vnements finirent par leur donner raison, mais ce moment ils taient rares ceux qui, en France, partageaient leur optimisme. I l y eut aussi ceux qui avaient une responsabilit et qui ne pouvaient se rsoudre admettre que leur carence ou leurs fautes nous avaient conduits jusqu cet abme du malheur.

22

LAVAL PARLE

Le Parlement avait sa part dans cette responsabilit. Certes, il avait vot les crdits militaires, mais le rsultat tait l, et ctait une catastrophe. I l avait laiss prescrire un droit, le plus essentiel de la constitution rpublicaine, celui qui garantissait au peuple de ntre engag dans la guerre quavec lassentiment de ses reprsentants. I l aurait d, avant de laisser le Gouvernement jeter notre pays dans laventure, lui demander des comptes sur nos effectifs, sur notre matriel, sur nos alliances, sur nos risques et sur les chances qui restaient encore de trouver une solution pacifique au conflit dj commenc lest. I l ne le fit pas, et je me souviens de cette sance du Snat, le 2 septembre 1939, o je voulais demander sa runion en comit secret et o la parole me fut refuse. Javais compris que le Gouvernement nous demandait des crdits, mais quil se refusait laisser le Parlement discuter sur lopportunit de dclarer la guerre. Avoir engag le pays dans la guerre sans une dclaration officielle vote par le Parlement, ctait une violation si flagrante de la Constitution de 1875 quon peut dire que ce fut une sorte de coup dtat. Avoir auparavant, cest mon avis personnel, supprim leur droit de reprsentation aux dputs communistes, tait aussi une violation flagrante de nos droits constitutionnels ; ils navaient pas la majorit, mais ils exprimaient lopinion dune partie importante de nos populations. Avoir engag le pays dans la guerre sans avoir les moyens matriels pour pouvoir la gagner ou mme lentreprendre, constituait une faute lourde pour le Gouvernement, mais dont les parlementaires, qui avaient fait preuve de faiblesse ou de complaisance, devaient partager la responsabilit. Voici dailleurs ce que jai dit Vichy, le 9 novembre 1943, parlant aux maires du Cantal, parmi lesquels se trouvaient quelques parlementaires, et leur rappelant la sance du Snat du 2 septembre 1939 : Quest-ce que je voulais demander aux snateurs ? Je voulais leur demander de se runir en comit secret et de ne pas voter la guerre. Quest-ce quil y avait en effet dans la Constitution? I l y avait pour moi une chose importante et sacre : la France ne pouvait pas, ne devait pas entrer dans la guerre sans un vote du Parlement. Or, jamais le Snat, ni la Chambre nont t appels voter pour ou contre la guerre. Rpublicains que vous tes tous et qui avez le souci de la lgalit, noubliez jamais ce que je viens de vous dire : nous sommes entrs illgalement dans la guerre. 6 Bordeaux, dputs et snateurs, dans leur immense majorit, se rendaient compte que Hitler serait impitoyable sil avait traiter avec certains hommes politiques franais. Chacun navait quune seule proccupation : essayer par tous les moyens de sauver ce qui pouvait ltre et de rduire au minimum les consquences de notre dsastre. Et le nom de Ptain tait sur toutes les lvres. Cest par un sentiment patriotique honorable que les parlementaires acceptaient dabandonner leur pouvoir au Marchal pendant toute la priode qui serait ncessaire pour assurer le maximum de redressement de notre pays. Cest le mme sentiment patriotique qui les animait en leur faisant admettre quil fallait rformer profondment nos institutions pour viter le retour derreurs et de fautes qui nous avaient conduits au bord de labme. Dailleurs, en dehors de Ptain, on ne voyait personne qui pt remplir la mission providentielle que tout le monde dsirait lui voir confie. Jai partag cette opinion avec beaucoup dautres, et si jai dploy alors plus dactivit que certains autres, cest quil est dans mon caractre de travailler activement au succs dune ide quand je la crois juste, et surtout quand je la crois utile notre pays. Je navais besoin ni dintriguer, ni de promettre, ni moins encore de menacer ; je ne manquais daucun argument pour convaincre mes interlocuteurs. Javais sans doute alors, pour parler mes collgues, un peu plus dautorit que dautres. Javais fait au Snat des appels dsesprs pour la paix. Javais souvent prdit le dsastre qui allait sabattre sur la France si on ne faisait pas la chane autour de lAllemagne, et les vnements, hlas, me donnaient raison. Enfin, jtais ministre, et le Marchal me demandait de moccuper personnellement de rgler6

Voir le texte intgral de ce discours lannexe M.

LAVAL PARLE

23

cette question importante, et, de mme que quelques jours aprs, il me demanda de le reprsenter auprs des autorits allemandes, il me priait alors de le reprsenter devant le Parlement. Cest dailleurs ce quil dit la dlgation des parlementaires anciens combattants venus pour lentretenir, le 6 juillet 1940, du projet qui allait tre mis en discussion devant lAssemble nationale. MM. Jacquy, Chaumi, Paul-Boncour et Taurines ont rdig le mme jour un procsverbal de leur entretien avec le Marchal, et, dans le procs-verbal, je relve cette phrase : Venant lobjet direct de notre visite, il nous a dclar quil avait charg le Prsident Laval dtre lavocat, devant le Parlement, du projet du Gouvernement, dsirant lui-mme ne pas participer au dbat. Ainsi, il sagissait dun projet du Gouvernement que je devais prsenter et dfendre devant les Chambres et devant lAssemble en vertu du mandat que men avait donn le Marchal. Une lettre signe de lui se trouve aux scells, qui confirme les propos tenus par Ptain aux parlementaires anciens combattants. I l ne sagit donc pas dune initiative personnelle que jaurais prise, mais bien dune mission dont javais t charg par le Gouvernement et par son chef, le marchal Ptain. I l fallait dabord, aux termes des lois de 1875, obtenir un vote de chacune des deux Chambres pour pouvoir ensuite convoquer lAssemble nationale et lui soumettre le projet du Gouvernement. I l est intressant de savoir ce que fut, le 9 juillet 1940, laccueil des snateurs et des dputs runis sparment, pour mesurer lexactitude et la porte de certaines dpositions qui furent faites au cours du procs Ptain. La Chambre et le Snat taient appels statuer sur un projet de loi sign Philippe Ptain et Albert Lebrun, ainsi libell : Article unique. Le projet de rsolution dont la teneur suit sera prsent la Chambre des dputs par le Marchal de France, prsident du Conseil, qui est charg den soutenir la discussion : La Chambre des dputs dclare quil y a lieu de rviser les lois constitutionnelles. Le mme texte tait soumis au Snat le mme jour. la Chambre, il fut adopt par trois cent quatre-vingt-quinze voix contre trois (MM. Roche, Blondi et Margaine). Au Snat, il ny eut quune seule opposition, M. de Chambrun ayant vot contre. Les dbats ne rvlent aucune hostilit au projet du Gouvernement. M. Jeanneney, prsident du Snat, pronona dans son discours ces paroles : Jatteste enfin M. le marchal Ptain notre vnration et la pleine reconnaissance qui lui est due pour un don nouveau de sa personne. M. Herriot, prsident de la Chambre, sexprima dans des termes semblables. Le lendemain 10 juillet, il y eut dans la matine une runion prive secrte de lAssemble nationale pour permettre une discussion plus libre du projet qui devait tre soumis dans laprsmidi la sance officielle. Un compte rendu stnographique de la sance fut pris pour tre vers aux Archives nationales. Voici le texte du projet du Gouvernement tel quil fut soumis lAssemble nationale : LAssemble nationale donne tous pouvoirs au Gouvernement de la Rpublique sous lautorit et la signature du marchal Ptain, leffet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de ltat franais; cette constitution devra garantir les droits de travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifie par la nation et applique par les assembles quelle aura cres. On dit aujourdhui que le vote de la loi constitutionnelle fut escamot. On a mme, laudience de la Haute-Cour, employ lexpression plus image d entlage . Est-il srieux de faire une telle affirmation ? Chaque parlementaire a eu au moins trois fois la possibilit de faire connatre son opinion la sance du 9 juillet ou lune des sances du 10 juillet. I l y eut dailleurs le contre-projet des anciens combattants qui donna lieu un large dbat et

24

LAVAL PARLE

qui permit de modifier le texte du projet gouvernemental qui navait pas prvu la mme formule de ratification, et, sur ce point, les parlementaires anciens combattants obtinrent satisfaction. Le projet fut rdig comme il a t dit plus haut et soumis ainsi la discussion et au vote de lAssemble nationale. la sance prive, le dbat eut un plus large dveloppement. Aucune protestation ne se fit entendre ; aucune rserve ne fut faite. I l est trange quil ait fallu attendre quatre annes pour dire que le vote fut escamot. Une telle opinion et t plus forte si elle avait t exprime ce moment. (Le texte fut vot par cinq cent neuf voix contre quatre-vingts ; il y eut dix-sept abstentions.) La lecture des dbats du procs Ptain ma surpris. En aot 1945 parlent des tmoins qui restrent silencieux tant Bordeaux qu Vichy. Cest pourtant ce moment-l, en juin et en juillet 1940, que les dclarations auraient pu influencer ou modifier des dcisions contre lesquelles ils lvent aujourdhui de tardives et opportunes protestations. Jignore sur quels tmoignages ou plutt sur quels racontars lacte daccusation a pu se baser pour me reprocher des manuvres, des intrigues, des promesses ou des menaces dont je me serais servi pour faire voter la loi constitutionnelle. I l est sans doute opportun, sinon facile, aprs coup, et toujours quatre annes plus tard, quand les vnements ont chang, dexpliquer son vote, mais, en mon absence, le projet prsent par un autre ministre aurait t vot de la mme faon. I l me parait plus judicieux de retenir et de discuter le tmoignage de M. Lon Blum devant la Haute-Cour. Cest sous la triple pression, a-t-il dit, des bandes de Doriot Vichy, de Weygand Clermont-Ferrand et des Allemands Moulins, que fut obtenu le vote du 10 juillet. Je nai pas vu sagiter ce moment les bandes de Doriot Vichy, mais il est vrai que les Allemands taient Moulins. Jignorais tout de leurs intentions, car mon premier contact avec eux neut lieu, Paris, que le 20 juillet et je ne sais dans quelle mesure ils sintressaient aux dbats de lAssemble nationale. Javais, comme M. Lon Blum, entendu parler du risque dun putsch militaire, car je suppose que cest le sens quil donne son propos Weygand Clermont-Ferrand . Personnellement, je ny croyais gure, mais beaucoup de parlementaires, je le reconnais, paraissaient inquiets. Cela ne saurait signifier en aucune manire mon accord avec le gnral Weygand, car il reportait sur moi, dans nos rapports, les sentiments quil avait pour tous les parlementaires. On a fait, au cours du procs Ptain, un sombre tableau du climat politique de Vichy ce jour-l. Je ntais pas ministre de lIntrieur, mais je ne perus aucun bruit qui pt justifier ce pessimisme. Je nai pas besoin de dire, en tous cas, que les bandes de Doriot me considraient comme leur ennemi ; elles me lont prouv pendant les quatre annes doccupation et ont eu souvent la vellit demployer mon gard une mesure dfinitive. Le climat politique qui existait ce moment tait d la dfaite, aux misres des populations errantes sur les routes, tentant de rejoindre leurs foyers, ce quelles ne pouvaient faire encore puisque larmistice avait coup la France en zones infranchissables. Mais il est un point, je lai dit, sur lequel limmense majorit du Parlement tait daccord : ctait sur la ncessit de rformer nos lois constitutionnelles. Mon rle fut celui dun ministre mandat par le chef du Gouvernement pour soutenir devant le Parlement la discussion du projet. Parce que jai russi ce quet fait un autre ma place, il nest pas ncessaire den dduire que jai employ des manuvres ou que je me suis livr des intrigues. I l faudrait imaginer, pour le soutenir, que la majorit tait contre le projet, alors quelle en rclamait ladoption, ou imaginer que javais assez dascendant pour impressionner et suggestionner les deux Chambres. Ce ne serait pas en tout cas faire lloge de ceux qui auraient d me combattre et qui sont alors rests silencieux. Je pourrais montrer que le contre-projet des parlementaires anciens combattants tait beaucoup plus grave que le projet gouvernemental. Si javais eu la moindre intention de faciliter un coup dtat, jaurais repris ce contreprojet qui prvoyait la suspension des lois constitutionnelles de 1875 jusqu la conclusion de la paix, qui ne visait pas le Gouvernement de la Rpublique, mais le marchal Ptain seul, et qui prvoyait naturellement une nouvelle constitution.

LAVAL PARLE

25

Tout ce que je viens de dire tablit lvidence quil ntait besoin ni de menaces, ni de promesses, pour aboutir au vote de lAssemble nationale et que, sur ce point, aucun grief ne peut tre retenu contre moi pour ladoption dune loi qui tait rclame ou accepte par limmense majorit des reprsentants du pays (la convocation des Chambres, celle de lAssemble nationale, furent lgales ; les dbats furent rguliers et le vote qui suivit ne fut et ne pouvait tre entach daucune nullit). Lacte daccusation ne retient pas seulement les conditions du vote de la loi, mais il vise aussi et je dirai surtout, car jai rpondu au premier grief en le rfutant lapplication illgale qui aurait t faite de cette loi constitutionnelle. Jai dclar devant la Haute-Cour mon dsaccord total et profond avec le Marchal sur la politique intrieure et je ne puis accepter pour moi-mme des critiques ou des griefs qui le concernent seul ou qui concernent ceux qui lont conseill ou assist dans des actes que jai rprouvs. Le Marchal commit une premire faute, quil renouvela sans cesse depuis, en ne soumettant jamais ses actes constitutionnels aux dlibrations du Conseil des ministres. Ds le lendemain du vote et ds la signature du premier acte constitutionnel avec la formule Nous, Philippe Ptain , je compris limmensit de lerreur que javais commise et que je partageais avec tous ceux, au Parlement ou en dehors, qui navaient pu prvoir le caractre personnel que le Marchal allait imprimer son pouvoir. La signature quil donna lacte me confrant sa succession, au cas o il serait empch pour quelque cause que ce soit, sexplique par le fait quau Parlement il tait implicitement admis par les votants que les choses devraient se passer ainsi au cas o le Marchal viendrait mourir et si les circonstances restaient les mmes. Jaurais pu, daccord avec le Marchal, sans opposition des ministres ce moment, insrer dans le projet de loi constitutionnelle mon nom dans les mmes termes que dans lacte sign par le Marchal, et il ne fait aucun doute que le texte et t vot. Les parlementaires, M. Lon Blum la rappel, craignaient une entreprise militaire contre le pouvoir civil, et cette seule crainte et suffi assurer une majorit ladjonction de mon nom au texte. Aucune critique ne fut alors formule contre cet acte sign par le Marchal, par aucun des votants de lAssemble nationale. Si le Marchal et t empch de continuer exercer sa fonction et si javais d accepter la responsabilit du pouvoir, jaurais eu de mon rle une conception tout autre. Malgr les circonstances nes de loccupation, cest vers le Parlement que je me serais tourn. Ctait dailleurs la seule direction que je pouvais suivre pour trouver des concours et un appui. Je naurais jamais accept cette succession sans la collaboration active et partage des reprsentants politiques les plus qualifis, en attendant le retour des circonstances normales. Au surplus, la solidit de cet acte constitutionnel tait bien fragile, puisquil fut rvoqu le 13 dcembre par une simple signature. Ce qui prouve que je ne my tais gure attach, cest quen revenant au pouvoir, en 1942, jaurais pu demander, et jaurais certainement obtenu, quun nouvel acte me restitut la qualit de successeur qui mavait t enleve le 13 dcembre. Je nen fis rien parce que les circonstances ntaient plus les mmes quau lendemain du vote de lAssemble nationale. Au surplus, je tenais dautant moins ce titre de successeur, quaprs la mort de Darlan lacte sign par le Marchal ne me confrait le pouvoir que pour un mois, pendant lequel le Conseil des ministres devait choisir le successeur et fixer les pouvoirs respectifs du chef de ltat et du chef du Gouvernement. Je croyais la ncessit de la prsence dun prsident de la Rpublique et dun chef du Gouvernement. Le Marchal avait reu du Parlement la mission de promulguer une nouvelle constitution, et il ne la jamais remplie. Je lui ai souvent rappel son devoir ce sujet ; il me rpondait toujours par de vagues formules, mais notre dsaccord sur les principes essentiels ne lui permettait

26

LAVAL PARLE

pas de traiter ce problme avec moi. I l avait de nombreux collaborateurs, occasionnels souvent, ou permanents, comme lamiral Fernet qui travaillait et accumulait des projets qui ne voyaient jamais le jour ; sauf pourtant le 13 novembre 1943, lorsquil voulut lire un message annonant quil avait prpar une nouvelle constitution (message dont la radiodiffusion fut interdite par les Allemands). Cest le projet de constitution qui a t produit au cours de son procs ; il prvoyait la Rpublique aprs sa mort, car le Marchal na jamais admis quil pouvait tre remplac de son vivant. Comme chef du Gouvernement, je navais eu aucune connaissance de ce projet, mais jai appris par un colonel, collaborateur du Marchal, quil avait t fait en prvision du retour au pouvoir de M. Camille Chautemps. Quand je me suis expliqu devant lAssemble nationale, dans la sance prive du 10 juillet 1940, jai trs nettement marqu que la nouvelle constitution ne pourrait tre ractionnaire, ne pouvait nous ramener vers un pass prim, et soulign quelle devait tre lexpression des vux, du dsir et de la volont du pays. Javais ajout que toute constitution qui ne rpondrait pas aux aspirations prcises du peuple serait artificielle et ne pourrait tre ratifie. Jai parl un langage, devant le Parlement, si clair quil ne pouvait laisser aucun doute sur le caractre rpublicain de luvre construire. Devant la commission spciale charge de rapporter le projet de loi constitutionnelle, javais pris lengagement que les prsidents de la Commission du suffrage universel de la Chambre, de la Commission des lgislations civiles du Snat, des Commissions des finances de la Chambre et du Snat, participeraient de droit llaboration de la nouvelle constitution. Javais prcis que leur participation consacrait lobligation de rdiger une nouvelle constitution dans lesprit de nos lois rpublicaines, qui garantissaient au surplus le contrle financier des dpenses publiques. Ainsi donc, on ne trouve rien dans les dbats et dans les travaux prparatoires de la loi du 10 juillet 1940 qui pourrait laisser planer le moi