Pierre Michel, « La violence d’un anarchiste non-violent : le cas Octave Mirbeau »

8/13/2019 Pierre Michel, La violence dun anarchiste non-violent : le cas Octave Mirbeau

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Pierre M I C H E L

LA VIOLENCE D'UN ANARCHISTE NON-VIOLENT :

LE CAS OCTAVE MIRBEAU

Pamphltaire, romancier, intellectuel engag, Octave Mirbeaupasse pour un crivain froce et violent, voire ultra-violent, selonLawrence Schehr1. Mais ce uali!icati! accusatoire est problmatiue,car il ne permet pas "e !aire le "part entre la violence sociale, uiconstitue un th#me littraire et ui est "nonce par un crivain"$inspiration libertaire, et la violence "u pamphltaire et "u critiueengag "ans "es combats politiues ou esthtiues ui reui#rent lema%imum "$e!!icacit. &t surtout il ne permet pas "e "istinguer la !inet les mo'ens, comme si la violence "u polmiste et la cruaut "uconteur taient ( mettre sur le compte "e la personnalit "el$crivain, sans tenir compte "e ses ob)ecti!s, littraires, thiues oupolitiues. *$est ( ces ncessaires "istinguo ue )e vou"rais proc"er

au)our"$hui.

La violence sociale

O!!iciellement ralli ( l$anarchisme en 1+, mais libertaire "ecur et "$esprit "epuis sa )eunesse, Mirbeau n$a cess "e "noncer laviolence e%erce par les institutions sur les in"ivi"us, et au premierche! par l$/tat, assassin et voleur, u$il vou"rait r"uire ( son minimum de malfaisance0 L'tat pse sur l'individu d'un poids

chaque jour plus crasant, plus intolrable. De l'homme qu'il nerveet qu'il abrutit, il ne fait qu'un paquet de chair impts. a seulemission est de vivre de lui, comme un pou vit de la b!te sur laquelle ila pos ses su"oirs. L'tat prend l'homme son ar#ent,misrablement #a#n dans ce ba#ne $ le travail % il lui filoute salibert toute minute entrave par les lois % ds sa naissance, il tueses facults individuelles, administrativement, ou il les fausse, ce quirevient au m!me2. &n thorie, la !onction "e l$/tat est "$assurerl3galit la pai% sociale, gr4ce au r#gne "es lois. Mais, pour Mirbeau,

1Lawrence Schehr, Mirbeaus Ultraviolence , Substance, n 86, vol. 27, 18, !!.1"6#127.2$nterview %&ctave Mirbeau !ar 'n%r( )icar%,Le Gaulois, 2* +(vrier 18.


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loin "$5tre neutre, "e servir "3arbitre entre les classes et "e r"uireles ingalits sociales, l3/tat n3est en ralit u3un instrument"3oppression, au service "e la classe "ominante, ui e%erce uneviolence permanente sur le proltariat et le sous-proltariat6. 7uant

au% lois, elles rsultent "3un rapport "e !orce entre les classes et ne!ont )amais u3entriner le 8"roit9 "u plus !ort Les lois sonttoujours faites par les riches contre les pauvres, elles neprot#ent que les heureu&: ; inhumaines et tortionnaires, ellestou!!ent, de leur poids crasant , la vie des faibles et despetits ous leprte&te fallacieu& de lui apprendre servir son pa*s, on ne luiapprend que le crime et qu'il n'est beau que de voler, piller, tuer...dtruire quelque chose ou quelqu'un, n'importe quoi, n'importe qui...pourvu qu'il dtruise au nom de la +atrie -Le mpris de la piti,

l)effro*able haine de la vie, la monomanie du meurtre, et ce qui endrive, le culte des #rands bri#ands laurs, de ces d#otantesbrutes que sont les hros militaires, telles sont les le"ons qui,dsormais, vont l)envelopper, le conqurir, le corrompre, l)enliser,tout entier, dans la boue san#lante?. *et apprentissage "u meurtretrouve son aboutissement logiue "ans les guerres, "ont les civilsinnocents sont les principales victimes, comme Mirbeau l$a illustr"ans le chapitre @@ "u /alvaire, ui !it hurler les patriotes . Au%guerres entre puissances imprialistes s$a)outent les guerres civiles,

oB l$arme peut allgrement massacrer les cito'ens u$elle estsuppose "!en"re Cvoir le "nouement "es 0auvais ber#ersD, et lesguerres coloniales, ui, au nom "u progr#s , "e la civilisation et"$une religion "$amour , trans!orment "es continents entiers en "e

-&ctave Mirbeau, )r(+ace La Socit mourante et l'anarchie,%e /ean 0rave, 18- Combatspolitiques%e Mirbeau, S(uier, 1", !. 123.

4oir )ierre Michel, &ctave Mirbeau et la 5uestion sociale , in /ac5ues )etit (%.3, Intgrationet exclusion sociale, 'nthro!os, 1, !!. 17#28.

*&ctave Mirbeau, (!o!ulation ,Le Journal, 2* novebre 1"".6&ctave Mirbeau, Le oestea% ,La France, 6 ao9t 188*.7&ctave Mirbeau, )r(+ace Un an de caserne, %e Louis Laar5ue alias:u;ne Mont+ort3, 1"1.


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terri!iants )ar"in "es supplices et "ont l$histoire, selon Mirbeau, serala honte jamais ineffa"able de notre temps+.

@l stigmatise une "eu%i#me violence tatiue l$appareil rpressi!nomm 8Eustice9, sans "oute par antiphrase. @l est entre les mains

"$in"ivi"us ue Mirbeau uali!ie "e monstres morau&, parce u$ilssont "pourvus "e piti et "$humanit, courbent le "os "evant lespuissants et crasent les pauvres "e leur pouvoir arbitraire, ( la!aveur "e ces lois iniues u$ils ont pour mission "$appliuerimpito'ablement.

Autre cible "e choi% la violence e%erce par la sainte trinit "ela !amille, "e l$cole et "e l$/glise

F Le massacre "es innocents commence au sein "e la !amille,oB c$est avant tout l$autorit paternelle ue Mirbeau met en cause.

Ainsi, si le narrateur "e Dans le ciel entrepren" "e r"iger sessouvenirs, c$est a!in "e rendre plus sensible une des plusprodi#ieuses t*rannies, une des plus ravalantes oppressions de la vie,dont je n'ai pas t seul souffrir, hlas 1 c'est22dire l'autoritpaternelle. /ar tout le monde en souffre. =...> 3out !tre, peu prsbien constitu na4t avec des facults dominantes, des forcesindividuelles, qui correspondent e&actement un besoin ou una#rment de la vie. 5u lieu de veiller leur dveloppement, dans unsens normal, la famille a bien vite fait de les dprimer et de les

anantir. 6lle ne produit que des dclasss, des rvolts, desdsquilibrs, des malheureu&, en les rejetant, avec un merveilleu&instinct, hors de leur moi % en leur imposant, de par son autoritl#ale, des #ots, des fonctions, des actions qui ne sont pas les leurs,et qui deviennent non plus une joie, ce qu'ils devraient !tre, mais unintolrable supplice.

F *omme si leur uniue ob)ecti! tait "e tuer l$homme "ansl$en!ant, les pro!esseurs, ui prennent le relais "es parents,s$emploient ( susciter cheG leurs l#ves l$ennui et le "goHt, a!in

"$5tre bien sHrs ue rien ne subsistera "e leurs potentialitsintellectuelles ni "e leur personnalit. Les programmes scolairesaccor"ent la priorit ( une langue morte, le latin, et ( une littrature"u pass, ue rien ne vient revitaliser, "$oB un tr#s vi! sentiment"$inutilit, ue ressent, par e%emple, le )eune Sbastien Ioch. 7uant( l$histoire, elle se r"uit ( une morne et abrutissante propagan"e (n le #or#eait de dates enfuies, de noms morts, de l#endes#rossires, dont la monotone horreur l'crasait. @l en rsulte le plussouvent une in"igestion , ui participe e!!icacement "e la

8&ctave Mirbeau,


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crtinisation programme. Je surcroKt, l$cole se rv#le compressivepour la vie a!!ective et se%uelle "e l$en!ant et "e l$a"olescent, "$oB uninassouvissement pr)u"iciable ( l$panouissement "e l$a"ulte 7ers l)8#e de quator9e ans, l)homme s)veille dans l)enfant. :l lui

faudrait le #rand air, la culbute dans les champs, en plein soleil. /elacrerait un ;dversoir< ce trop2plein de vie qui se manifeste en lui.=...>5u lieu de cela , les r!ves se dveloppent en libert entre quatremurs noircis d)encre pendant que le professeur lit =nophon d)unevoi& somnolente ses auditeurs somnolents % ils se donnent carrire l)tude, en rcration, au dortoir nu et maussade1. *$estprcisment en mettant ( pro!it les r!ves imprcis et gnreu% "u)eune Sbastien et en l$nervant par un continuel fracas d)ima#esenfivres ue l$in!4me p#re "e ern parvient ( s"uire l$a"olescent

can"i"e et ignorant, )ustement 4g "e uatorGe ans. Pour Mirbeau,l$cole telle u$elle !onctionne ( l$poue constitue un viol "e l$esprit"e l$en!ant.

F L$/glise catholiue compl#te le travail "e la !amille et "el$cole, ui sera ensuite parachev par l$arme. Pour Mirbeau, lareligion n$est pas seulement un opium "u peuple "ont les "ominantsont besoin elle est aussi une institution ui e%erce une violencehonte sur les mallables esprits u$elle ptrit11et u$elle "!orme ()amais en ' "versant le poison "e la culpabilit :l e&iste, dans

certains pa*s, des fabriques de monstres. (n prend, sa naissance,un enfant normalement conform, et on le soumet des r#imesvaris et savants de torture et de dformation pour atrophier sesmembres et, en quelque sorte, dshumaniser son corps. =...> Lesjsuites, en #nral tous les pr!tres, font pour l)esprit de l)enfant ceque ces impresarii de cirques la>ques et de plerina#es reli#ieu& fontpour son corps. Les maisons d)ducation reli#ieuse, ce sont desmaisons o? se pratiquent ces crimes de lse2humanit. uoi ilconvien"rait "$a)outer le viol "es corps perptr par "es pr"ateurs

ensoutans, tels ue le p#re "e ern. Aussi Mirbeau s$oppose-t-ilvigoureusement ( la libert "e l$enseignement ui permettrait au%pourrisseurs d)8mes "e continuer ( empoisonner impunment lesesprits 6st2ce que, sous prte&te de libert, on permet au& #ensde jeter du poison dans les sources10@

&n!in, il voit "ans le capitalisme in"ustriel et !inancier unemonstrueuse violence e%erce sur la ma)orit "e la population par

1" L=%ucation sentientale ,L!"#nement, 12 avril 188*. $l sait %une %es Chroniques duiable, sin(es %un %iablotin au> !ie%s +ourchus.

114oir )(trisseurs %?es ,Le Journal, 16 +(vrier 1"1.12&ctave Mirbeau, @(!onse une en5uAte sur l(%ucation reliieuse,La $e#ue blanche, 1er Buin1"2.


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une poigne "e patrons "e "roit "ivin, tel Nargan" "es 0auvaisber#ers, ou "e c'niues a!!airistes et pr"ateurs, tels u$@si"oreLechat "ans Les affaires sont les affaires. L3un "es traits ma)eurs "e laperversit "u s'st#me vient "e ce u3il repose sur l3crasement "e la

masse "es !aibles, r"uits ( l3esclavage par une minorit "e !orts, ui)ouissent "3une totale impunit, lors m5me u$ils s#ment partout lamis#re, l$e%clusion et la "solation. Ainsi Mirbeau !ait-il avouer ( un vritable homme d'tat, partisan "u "arwinisme social Lespauvres sont les rfractaires du devoir social % ce sont les rvolts quin'ont pas voulu se soumettre la loi #nrale du travail, la loiscientifique qui veut que tout homme travaille et s'enrichisse de sontravail. =...> Dans une Apublique claire, attentive et pro#ressiste,comme est la ntre, il ne faut plus de pauvres. B bas les pauvres =...>

Cous enfermerons les pauvres dans ce dilemme $ ou ils deviendrontriches, ou ils dispara4tront Dans les deu& cas, c'est la fin de lamisre, c'est la solution de la question sociale12. Solution !inale, oBl3absur"e le "ispute au monstrueu%...

Un idal de non-violence

Si Mirbeau "nonce ainsi la violence sociale sous toutes ses!ormes, c$est parce u$il a pour i"al une socit harmonieuse, )uste

et galitaire, oB r#gneraient entre tous les cito'ens "es relationspaci!ies et "$oB la violence serait e%clue. Jans une chroniue "e1++2, c$est-(-"ire bien avant son ralliement o!!iciel ( l$anarchisme, etalors u$il travaille encore pour le compte "$Arthur Me'er, le patron"u auloismonarchiste, il imagine ")( une socit ui se passeraitavantageusement"e toutes les institutions oppressives u$il e%#cre bre!, l$anarchie i"ale, "u moins sur le papier16. @l r5ve en e!!et u$ilest "evenu roi "$une Kle isole, oB ses su)ets vivraient en pai& , dans une douce i#norance de tout point "e ministres, ni

"$a"ministration, ni "e parlement, ni "e tribunau%, ni "e ourse, ni "eca!s-concerts, ni "e courses "e chevau%, ni "$aca"mies, ni "ebreloues "coratives, bre! la pai% et la srnit garanties ( tous...)usu$au )our oB, l$ennui "u monarue l$incitant ( s$entourer "$unecour et "e tout ce ui s$en suit, ce !ut vite la !in. Ji% ans plus tar",Mirbeau voit "ans l)anarchie la reconqu!te de l)individu et lalibert du dveloppement de l)individu, dans un sens normal etharmonique (n peut la dfinir d)un mot $ l)utilisation spontane

1-&ctave Mirbeau, =lo5uence %(t( ,Le Gaulois, 26 Buin 186.1&ctave Mirbeau, @oCaue ven%re , Le Gaulois, 2 avril 188-.


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de toutes les ner#ies humaines, criminellement #aspilles parl)tat1:.

Pour ceu% ui caressent cet i"al "e !raternit et "e )ustice, lauestion se pose "e savoir comment passer "$une socit ingalitaire,

oppressive et violente, ( une communaut paci!iue "$hommes libreset gau%. 7uels mo'ens mettre en uvre &st-il concevable ue lesnantis se retirent "$eu%-m5mes, sans combattre, et laissent polimentleur place au soleil au% sans-voi%, au% sans-le-sou et au% sans-toit /vi"emment non. J#s lors, sau! ( capituler avant m5me "ecommencer la lutte, !orce est "$envisager "e mettre en uvre lesmo'ens "e les ' contrain"re chasse par la porte, la violence a alorstoutes chances "e se rintro"uire par la !en5tre. celle "esoppresseurs pourrait bien s$a)outer, en retour, celle "es opprims en

rvolte. Jans l$espoir "e !aire s$e!!on"rer l$"i!ice tatiue, certainsanarchistes, on le sait, ont eu recours ( ce u$ils ont appel lapropa#ande par le fait, en s$imaginant naQvement ue ueluesattentats, bien cibls "e pr!rence Cmais ce n$est pas le cas "e celuiperptr par /mile Nenr'D, contribueraient ( ouvrir les 'eu% "eslarges masses et ( les mettre en branle, )usu$( la victoire !inale et (la !in "e toute e%ploitation "e l$homme par l$homme. Ron seulementcette stratgie a chou, mais elle a entraKn imm"iatement unsacr retour "e b4ton les lois libertici"es "e 1+2-1+6, aussitt

uali!ies "e sclrates et ue Mirbeau n$a vi"emment pasmanu "e stigmatiser.

@l prouve alors un tel "goHt "es politiciens sans scrupules, "espr"ateurs en tous genres et "e cette pseu"o-Ipubliue ui trahit samission, u$il souhaite son renversement. &n 1++2 il en appelait aucholra vengeur pour "barrasser le pa's "es jo*eu& escarpes opportunistes ui, ( l$en croire, avaient !ait main basse sur laTrance1


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matire, qu)importe la mort de deu&, de cinq, de di& millionsd)hommes @... Ga ne compte pas... igre V On croirait enten"reStepan, "ans Les Fustes"e *amus, et cette "sinvolture c'niue,"igne "$un bureaucrate stalinien, !ait !roi" "ans le "os. @l se pourrait

bien, nanmoins, u$( travers son personnage "e !iction Mirbeautra"uise une tentation bien prsente cheG lui, "ans cette interminableprio"e "e crise et "e nihilisme u$il traverse. Mais le vi! malaiseprouv par le narrateur rv#le u$il ne c#"e pas pour autant ( latentation "e la "estruction aveugle et ue, sensible ( l$vi"entecontra"iction entre la !in et les mo'ens, il ne l$e%prime publiuementue pour mieu% l$e%orciser par le verbe. Jeu% ans plus tar", aulen"emain "u premier proc#s "e Iavachol, le 0< avril 1+0,Mirbeaului consacre, "ans L)6ndehors, un article ue Eean Maitron a )ug

absolutoire parce u$il s$' r)ouit ue sa t!te=ait> chapp aucouperet, malgr les clameurs de la mort abo*ante ; et parceu$il accor"e ( Iavachol "e larges circonstances attnuantes Lasocit aurait tort de se plaindre. 6lle seule a en#endr Aavachol. 6llea sem la misre $ elle rcolte la haine. /)est justeHI. Je la part "$unpaci!iste, on est en "roit "e s$tonner "$une semblable mansutu"epour un homme ui, certes, au cours "e ses proc#s, s$est rclam "el$anarchie et a vou la mis#re "e sa !amille en guise "e)usti!ication, mais ui n$en a pas moins commis au moins un

assassinat "e "roit commun. Mirbeau se serait-il "onc ralli ( lapropa#ande par le fait @l n$en est rien. On sait ue, lors "el$attentat sanglant commis par /mile Nenr' au ca! Werminus le 10!vrier 1+6, il verra en ce )eune i"aliste "vo' un ennemi mortelde l)anarchie et, cherchant qui le crime profite, se "eman"era,( mots couverts, et au risue "e se couper "$une partie "e lamouvance libertaire, s$il n$aurait pas t manipul par "es agentsprovocateurs0.

&n !ait, "#s sa chroniue sur Iavachol, il a pris clairement ses

"istances avec les attentats terroristes. J$abor", il ' ra!!irme"$entre "e )eu u$il a horreur du san# vers, des ruines de lamort, ue toute vie =lui> est sacre et u$il atten" au contraire"e l$anarchie l)amour la beaut, la pai& entre les hommes.&nsuite, il pren" bien soin "e prciser ue la seule bombe ui !eracrouler le vieu& monde sous le poids de ses propres crimes sera d)autant plus terrible qu)elle ne contiendra ni poudre, ni d*namite,mais de l):de et de la +iti $ ces deu& forces contre lesquelles onne peut rien. la propa#ande par le fait il oppose "onc

1&ctave Mirbeau, @avachol ,L!&ndehors, 1erai 181.2"&ctave Mirbeau, )our /ean 0rave ,Le Journal, +(vrier 18.


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clairement la propagan"e par le verbe, la seule susceptible "e !airegermer l):de et la +iti. &t c$est naturellement "ans cette voieu$il s$est engag en tant ue )ournaliste, romancier et "ramaturge,en mettant en uvre une p"agogie "e choc, "ans l$espoir "e

secouer l$inertie "e ses aveugles contemporains et "e les !orcer (ouvrir les 'eu% sur "es horreurs m"usennes u$ils ont peur "eregar"er en !ace, parce ue cela bousculerait leurs bonnesconsciences et perturberait leurs "igestions. Mais il est luci"e sur leshommes, et par consuent pessimiste, et il ne se !ait pour autantaucune illusion sur la gran"e ma)orit "e ses lecteurs seuls ceu%u$il appelle "es 8mes na>ves sont susceptibles "e l$enten"re,parce u$ils ont conserv uelues traces "u gnie potentiel "el$en!ant et u$ils n$ont pas t compl#tement lamins par ce u$il

appelle l)orthopdie de l)esprit programme par la socit.

Secoe! la "o!ce d#ine!$ie

Ieste ( voir comment le verbe "$un anarchiste non-violent a pususciter "es accusations "e violence et "e !rocit.

Le pro)et thico-littraire "e Mirbeau repose sur le constat uela masse "es "omins n$est pas seulement e%ploiteconomiuement et opprime politiuement, mais u$elle est aussi

aline i"ologiuement. /tant "onn la crtinisation mise en uvrepar la sainte trinit u$il crible "e ses !l#ches, il ne !aut pas s$tonnersi, ( l$en croire, la ma)orit "es a"ultes, au lieu "$5tre constitue "ecito'ens luci"es et acti!s, comporte une masse "e croupissanteslarves impropres ( toute rvolte et tout )uste bonnes, plus stupi"esencore ue "es moutons, ( "poser un bulletin "ans une urne pourchoisir le boucher qui les tuera et le bour#eois qui les man#era01,ou ( se !aire trouer la peau sur un champ "e bataille. M5me la !emme"e chambre *lestine, "$or"inaire si luci"e, s$av#re incapable "e

"onner un contenu et "es ob)ecti!s ( son in"ignation spontane et "elui !i%er "es perspectives mancipatrices pour les esclaves mo"ernesue sont les "omestiues. La seule mancipation u$elle envisage estin"ivi"uelle et bien "cevante c$est "e "evenir maKtresse ( son tour,"e pren"re sa revanche sur ses humiliations passes et "e pouvoirhouspiller ses bonnes, ( "!aut "e ses anciennes patronnes. Si m5meelle n$o!!re aucun e%emple ( suivre, a fortiori tous les autres"omestiues, ui se laissent corrompre par "es maKtres ue,pourtant, ils "testent et mprisent in petto. Mirbeau ne se !ait "onc

21&ctave Mirbeau, La 0r;ve %es (lecteurs ,Le Figaro, 28 novebre 1888.


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mo'en "es %o$s, "es %a&ue nous in!ligent la vie et la socit etui suscitent sa permanente in"ignation0:. Jans Le Fournal d)unefemme de chambre, bien avant Sartre, Mirbeau s3emploie ( suscitercheG nous une vritable nause e%istentielle, seule susceptible "e

nous inciter ( nous poser "es uestions sur notre mo"e "e vie et surla socit. Je l( ( nous remettre en cause, il ' a encore un pasimportant ( !ranchir, et il est "outeu% ue beaucoup "e lecteurs enaient le courage...

&nsuite, Mirbeau ne nous propose aucune voie "e recours c$esten vain ue "es critiues atten"aient u$il apport4t, "ans Les 0auvaisber#ers, une solution ( la !ameuse uestion sociale . 7uant auFardin des supplices, monstruosit littraire, on serait !ort en peine"$en tirer "es leUons pratiues, tant l$ambiguQt lui est

consubstantielle. @ntellectuel engag, Mirbeau n$a ni le c'nisme "espoliticiens en campagne, ui promettent monts et merveilles, ni la"angereuse prsomption "es scientistes, imbus "e leur monopole "usavoir, et ui ne sont ( ses 'eu% ue "es charlatans mo"este, ilconnaKt ses limites et ses contra"ictions, et il n$a, "ans les lumi#res"e la raison u$une con!iance "es plus limites0


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moin"re perspective. @l n$est pas )usu$( Mirbeau lui-m5me, uan" ilse met en sc#ne "ans le ca"re "$auto!ictions avant la lettre, "ans LaKM26Met Din#o0+, ui ne soit !ort en peine "e servir "e mo"#le, tant ils$vertue ( "onner "e lui-m5me une image contra"ictoire et

"m'sti!icatrice "e !ait, il est trop allergiue ( toute autorit pourprten"re en e%ercer une ( son tour. Prsenter "es mo"#les positi!su$il n$' aurait plus u$( imiter, ce serait entretenir la passivit "ulectorat, lui !aire croire ue tout peut !inir par s$arranger, et u$il n$est"onc pas aberrant "$accor"er sa con!iance au% "tenteurs "$uneautorit uelconue, au& +r!tres, au& oldats, au& Fu#es, au&Nommesqui duquent, diri#ent, #ouvernent les hommes etau%uels il ""ie ironiuement Le Fardin des supplices. Isultat "e cere!us "$assumer une posture "$autorit le lecteur mo'en est

"stabilis et mal ( l$aise Y surtout celui "uFardin des supplicesY etson attente est "librment !rustre. @l ne sait plus ue penser nicomment apprcier les rcits et les personnages hors normes ui luisont proposs. Peut-on pour autant parler "e violence e%erce sur leslecteurs Ee ne le pense pas, mais on peut "u moins compren"re uecertains en soient perturbs et re)ettent avec horreur "es ob)etslittraires si mal i"enti!is.

&n!in, il importe ( Mirbeau "e "truire l$aura "e respectabilitui prot#ge les "ominants et leur permet "e perptuer leur

oppression. Pour lui, cette respectabilit n$est en aucune !aUon)usti!ie loin "$5tre lie au% mrites "es in"ivi"us, ( la vali"itthiue "es valeurs proclames et au% services ren"us au% largesmasses par les institutions )uges respectables, elle ne repose enralit ue sur "es #rimaces0 ui bernent le bon peuple. *etterespectabilit est "onc "angereuse, puisu$elle contribue ( emp5cherla conscientisation "es classes e%ploites et ( sauvegar"er un or"resocial in)uste et oppressi!, ui "evrait au contraire susciter "esrvoltes. Mirbeau a "onc entrepris "e casser cette image respectable,

a!in "e rvler les 5tres et les choses )ugs respectables "ans touteleur absur"it ou leur monstruosit. La caricature, la "rision, l$ironie!roce, l$humour noir, les proc"s !arcesues, la perception "umon"e ( travers le trou "e la serrure, comme "ans Le Fournal d)unefemme de chambre, et l$interview imaginaire, ui permet "e r"uireses cibles ( leur minimum de malfaisance en rvlant lespuissants tels u$ils sont, et non tels u$on a t habitu ( les voir

284oir )ierre Michel, Mirbeau et lauto+iction , Cahiers +cta#e irbeau, n 8, 2""1, !!. 121#

1-. 2@a!!elons 5ue Mirbeau aie e!loCer ce tere %ans son acce!tion !ascalienne et 5uil a!r(cis(ent intitul(Les Grimacesun !a!hlet heb%oa%aire 5uil a %iri( !en%ant si> ois, en 188-.


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Cou, plutt, ( ne pas les voirD sont autant "e mo'ens mis en uvrepour rvler l$envers "u "cor, pour !aire apparaKtre l$incomptence,l$h'pocrisie ou le grotesue "es in"ivi"us, la !ausset "es valeursinculues ( l$cole et "ans la presse, et la nocivit "es institutions

bourgeoises. *e !aisant, le polmiste a e%erc une mani#re "eviolence et a utilis sa plume et sa notorit Y ( "!aut "$autorit Ypour "molir "es rputations et couvrir "e ri"icule "es gens uin$taient peut-5tre pas tous aussi "angereu% ni aussi mprisablesu$il l$a prten"u, et "es institutions ui, m5me !ort impar!aites,n$taient peut-5tre pas toutes aussi meurtri#res u$il l$a!!irme.

ien sHr, on est en "roit "e contester les prises "e positionra"icales "e ce contempteur "e l$or"re ; on peut souligner "$un ilcritiue les sinuosits "e son itinraire politiue2; on peut mettre en

lumi#re la rhtoriue ui lui "icte certaines violences verbales, tellesue la !ameuse O"e au cholra ; on peut aussi lui reprocher"$avoir t in)uste avec nombre "e ceu%, politiciens, crivains ouartistes, u$il a contribu ( "montiser. Mais on "oit "u moinsreconnaKtre ue, apr#s son gran" tournant "e 1++6-1++:, il est rest!i"#le au% m5mes valeurs ; ue, "epuis lors, la violence "u polmistea tou)ours t mise au service "u eau et "u Euste tels u$il lesconUoit ; et u$il n$a )amais hsit ( reconnaKtre ses torts, chaue !oisu$il a eu conscience "e s$5tre tromp, ou "$avoir !rapp trop !ort, ce

ui n$est pas si !ruent ainsi a-t-il !ait plusieurs mea culpa, nonseulement pour l$o"ieu% antismitisme "e ses rimaces "e 1++2,mais aussi pour avoir "nigr "es hommes u$il a !ini par )uger "ignes"$estime, comme Jau"et, runeti#re et Ieinach, ou u$il s$est mis (encenser sans la moin"re rserve, comme Xola, stigmatis nagu#recomme un vulgaire parvenu, mais "evenu !igure christiue par lagr4ce "e l$A!!aire21.

F F F

Ainsi Mirbeau s$est-il tou)ours emplo' ( "onner "e tout ceu$un vain peuple rv#re aveuglment une image "vastatrice, ui

-"Mirbeau a ven%u sa !lue la r(action !en%ant une %ouaine %ann(es, avant %e se rallier lanarchise.

21@a!!elons 5ue cest Mirbeau 5ui a !aC( %e sa !oche laen%e %e Fola !our J!accuse, soit 7***, 2* +rancs, soe (nore. Sur ses voltes#+aces, voir notaent nos articles Les N)alino%iesO%P&ctave Mirbeau Q R !ro!os %e Mirbeau et %e au%et , Cahiers -aturalistes, n 62, 188, !!. 116#126,et Mirbeau et Fola entre (!ris et v(n(ration , Cahiers naturalistes, n 6, 1", !!. 7#77.


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nous oblige ( regar"er en !ace une ralit "rangeante. *ar ne pas"ranger uivau"rait, pour lui, ( 5tre complice "$un or"re social uile rvulse. Sa violence verbale est tout ( la !ois p"agogiue etthrapeutiue il se "!oule au mo'en "es mots et s$en sert comme

"$un rvlateur "es turpitu"es sociales au%uelles on est tellementaccoutum u$on n$en a m5me plus conscience. On compren" uetous les puissants u$il a "masus et fait trembler la fa"ondes prophtes, selon son ami Wha"e Ratanson, aient pris leurrevanche une !ois u$il n$tait plus l( pour poursuivre son travail "e"boulonnage. @l tait !acile, post mortem, "e !aire passerl)imprcateur au cJur fidlepour un incohrent, un palino"iste, un!rntiue, voire pour un pornographe, histoire "e "iscr"iter"urablement son message et "e le ren"re ino!!ensi!. 7uali!ier Mirbeau

"e violent ou "e !roce, c$est une mani#re "e mettre la passion aveclauelle il s$est engag au service "e valeurs thiues et esthtiuessur le compte "e pr"ispositions, voire "e perversions, relevant "e laps'chologie, voire "e la ps'chiatrie, et "e ""ouaner "u m5me coupla socit "es violences e!!ectives u$elles n$a cess "$e%ercer entoute impunit.

Pierre M@*N&L[niversit "$Angers

Documents

Pierre Michel, « La violence d’un anarchiste non-violent : le cas Octave Mirbeau »