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Quel est donc ce grimoire,ce grimoire à la pierre noire, qui semble mener la danse dans la ville de Montgrèze ?

Est-ce lui qui fait surgir des spectresle soir aux coins des rues ?

Est-ce lui qui menace Madeleineet sa famille ?

Si seulement le Grimoire au rubissortait de son silence…

Marguerite Salviat Madeleine

CYCLE II - LIVRE III

BÉATRICE BOTTET

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978

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2876

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6,

00€

Extrait de la publication

156266BCK_TOME6.fm Page 480 Mardi, 17. août 2010 11:12 11


LA SARABANDE DES SPECTRES

156266BCK_TOME6.fm Page 1 Lundi, 16. août 2010 5:41 17


ISBNþ978-2-203-02876-0

© Casterman 2008Achevé d’imprimer en juilletþ2010, en Espagne par Novoprint.Dépôt légalþ: octobreþ2010þ; D.2010/0053/268Déposé au ministère de la Justice, Paris (loi n°þ49.956 du 16þjuillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse).

Tous droits réservés pour tous pays.Il est strictement interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment parphotocopie ou numérisation) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banquede données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.



BÉATRICE BOTTET



PRÉAMBULE

Le livre était haut, large, épais, lourd. Sa couverturede cuir comportait en son centre une pierre dure et pré-cieuse. Pour l’heure, la pierre reposait contre une tablede bois brut comme si le livre, retourné, était puni.

Une femme prit une badine de bois souple et assenaun coup violent sur le plat du livre.

—þTu vas parler, sale grimoireþ? Tu vas nous direc’qu’on veut savoirþ?

Elle frappa à coups redoublés sur le cuir vieilli, noi-râtre. Puis, progressivement, elle sembla s’essouffler.Son bras faiblit.

—þÀ vous aut’, dit-elle alors. J’en peux plus.Une autre femme s’avança. Elle aussi tenait à la main

une baguette de bois souple qu’elle courba deux ou troisfois entre ses mains en prenant un air narquois et cruel.Puis elle cingla à son tour l’arrière du livre. Une troi-sième se mit de la partie, avec un simple bâton noueux.

La première, vieille d’une cinquantaine d’années,épaisse et couperosée, se nommait Adalberte. La



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deuxième n’avait pas plus de trente ans et se nommaitRéjane. La troisième, sèche et noiraude, d’un âge inter-médiaire, avait nom Ugoline.

Toutes trois se relayèrent pendant un bon quartd’heure à rosser le livre tout en écumantþ:

—þTu vas nous les dire, les secrets d’l’avenirþ? Ou t’enveux encoreþ? Allez, frappons, frappons… Y finira bienpar céder…

Tout à coup, d’entre les pages jaillirent de mincesflammèches pourpres et il se répandit dans la pièce uneodeur infecte d’ordures brûlées.

—þAhþ! Ça y est, y s’décideþ!Les flammèches désordonnées dardèrent en sifflant

leurs longs jets en tous sens, au point que les troisfemmes durent reculer de quelques pas.

Le grimoire s’ouvrit sèchement et révéla des feuilletsd’un noir dense comme l’enfer où des formules étaientécrites d’un rouge si épais qu’on aurait dit des lettres desang.

—þJ’connais pas de grimoire qui doive pas êt’flagellépour livrer ses secrets, grommela avec satisfaction lalourde Adalberte. Alors. Qu’est-ce tu vas donc nousfaire savoir, en fin d’compteþ?

Les lettres rouges flamboyèrent. Elles n’étaient plusde sang, mais de feu.

—þQu’est-ce qu’y ditþ? questionna Réjane, qui nesavait pas lire.

—þUne femme va v’nir pour une requête, réponditl’autre.



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—þLa belle affaire, dit Réjane. Des femmes, on envoye des dizaines. Nigaud d’grimoire.

Et elle cingla d’un coup supplémentaire le livreouvert. Il se fit sur la page noire une zébrure de feu quidisparut rapidement, ne laissant visibles que les lettresbrillantes comme les braises d’un feu lors d’une nuitsans lune.

—þCelle-là s’ra pas comme les aut’… grinça la vieilleAdalberte. Elle voudra…

—þQu’est-ce qu’ê voudraþ? fit avec impatience Ugoline.—þAh, il s’ra question d’une esspérience. Il s’ra ques-

tion d’évoquer les morts…Le grimoire noir se referma en claquant. Les femmes

frissonnèrent malgré elles.Cette fois, la couverture était du bon côté. La pierre

qui luisait au milieu ne brillait pas. Elle semblait aucontraire absorber toute la lumière alentour. Taillée enrectangle, sertie d’un entrelacs de métal oxydé et ver-dâtre, elle était aussi noire que la couverture de cuir etque les pages intérieures. Une obsidienne. Une pierresorcellique.

—þFaire parler les morts… fit Ugoline, songeuse. Çava nous changer des p’tits sortilèges pour ces bonnesfemmes qui songent qu’à mettre la main sur un hommeavec un charme.

—þMais Not’… Maître approuve ça d’utiliser lesconnaissances des mortsþ? objecta Réjane, que son âgeencore jeune rendait parfois assez sotte. Les morts, ysont pas entre les mains d’…l’Aut’þ? De Di…



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—þDis pas c’mot, malheureuseþ! ordonna la vieille. Tuveux donc que l’grimoire s’enfonce à tout jamais dansl’néantþ? Où qu’on en étaitþ? Ah oui… Réponds-nousencore, liv’mauditþ: comment qu’on fait pour faire par-ler les mortsþ?

Adalberte saisit de nouveau sa badine pour cravacherla couverture.

—þY parl’ra. J’suis sûre qu’y parl’raþ! insista-t-elle.Y finit toujours par nous dire un truc.

De nouveau, les trois femmes se relayèrent. Et eneffet, au bout d’une demi-heure d’efforts, les troisfemmes furent récompensées. De nouveau, le livre émitdes flammes pestilentielles et s’ouvrit sur une pagenoire où des lettres apparurent, comme une trace desang qui sourdait du papier et se transformait en traî-née de feu avant de disparaître. Quatre mots.

—þAlorsþ? demandèrent Ugoline et Réjane.—þ«þSabbat. Instructions. Trois corbeauxþ», répon-

dit Adalberte.Les trois femmes eurent une moue éloquente.—þY faudra donc attend’le sabbat pour connaît’le

truc, fit Ugoline d’un ton déçu.—þTout d’même, ça nous dit si peu d’choses…

observa Réjane.—þOn apport’ra des corbeaux, commenta Adalberte.

Allons, fais pas ta maussade. Ça veut dire qu’l’affaire estcostaud, ça s’ra bien plus drôle. D’toute façon, c’mauditlivre nous allèche toujours et finalement nous dit pasgrand-chose.



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Le grimoire à l’obsidienne se referma tout seul etAdalberte cingla encore sa couverture.

—þHein qu’tu t’fatigues pas, toiþ?Puis, étant chez elle, elle prit la tête de nouvelles

opérations.—þY dira plus rien aujourd’hui. Allons, aidez-moi

vous aut’, ordonna-t-elle.Elle prit le livre à bras-le-corps et monta péniblement

un escalier de bois branlant donnant sur un grenier.Des souris filèrent le long des murs. Une chauve-sourisse réveilla brièvement, claqua ses répugnantes ailes decuir et se rendormit. À une poutre tordue pendait unegrosse chaîne. Le livre se mit alors à faire de petits sou-bresauts, à se démener, à claquer ses pages d’où jaillis-sait une puanteur de soufre.

—þAidez-moi, toutes les deux, bande d’empotéesþ!À elles trois, elles finirent par maîtriser le volumi-

neux ouvrage qui semblait maintenant doué de vie,gigotant pour échapper à de nouveaux sévices.

Tout essoufflée, Adalberte saisit la chaîne etl’enroula solidement autour du livre, en trois ou quatretours entrecroisés. Les pages ne claquèrent plus. Le gri-moire enchaîné devint inerte. Il pendait au milieu dugrenier, à trois ou quatre pieds du sol. Tout juste s’ilavait une oscillation impuissante.

La vieille assujettit un gros cadenas à la chaîne etconclutþ:

—þVoilà comment faut traiter un grimoire. Descoups, une poutre tordue et des chaînes pour qu’y



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s’échappe pas. Nous v’là tranquilles jusqu’au prochainsabbat.

—þEt maint’nant, on sait not’prochaine mission, ditUgoline. Not’Maître nous esspliqu’ra l’reste.

Les deux autres acquiescèrent en hochant vigoureu-sement la tête et toutes trois, en descendant l’escalierde bois, entamèrent une conversation délectable.

—þJ’vous donnerai d’la glu avant vot’départ, fitAdalberte. Pour attraper les corbeaux vivants.

—þInvoquer un mort… On l’a encore jamais fait.—þOn dit qu’y connaissent tous les secrets du passé,

de l’avenir, du Ciel et de l’Enfer.—þOn ne parle pas du Ciel ici, voyonsþ! gronda

Adalberte.—þEuh, j’voulais dire… les secrets de tout c’qui

s’passe après la mort, quoi.—þMais c’est dur d’les faire parler, à ce qu’y paraît.—þOh, y a des moyens, tout l’monde sait ça. Et pis tout

dépend de c’que veut la personne qui vient nous voir.D’toute façon, croyez-moi, le grimoire finira bien partout nous dire. De gré ou d’force. Ouf, j’sens plus mesbras tellement j’ai frappé.

—þMa pauvre, faut t’reposer maintenant. Tu l’aurasbien mérité. Y a qu’toi qui saches si bien le brutaliser.

—þEh oui, ma commère, une longue habitude, fitmodestement Adalberte… Mais j’me reposerai pas. Ona d’la b’sogne.

Les trois femmes s’assirent près de la cheminée.Adalberte soufflait encore un peu. Un grand sac de noix


les attendait et elles y plongèrent les mains, car il estdans les environs de Montgrèze bien d’autres travauxque ceux de la sorcellerie. Têtes penchées, sereines sousleurs coiffes blanches, Adalberte, Réjane et Ugoline com-mencèrent à casser des noix tout en bavardant de sujetsanodins. Elles avaient l’air de tranquilles paysannestout à fait ordinaires. Les coquilles vides s’accumu-laient sur le sol et les cerneaux dans des panières à por-ter au moulin à huile, mais la vieille, de temps à autre,frottait son bras endolori.

Dans le grenier, le grimoire des sortilèges les plusdiaboliques se balançait doucement sous sa poutretordue. La pierre noire semblait un œil mauvais,revanchard.


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—þJe vais me marier, Pernelle.La jeune fille leva les yeux de son ouvrage et fixa le

cavalier qui se dressait devant elle, tenant son chevalpar la bride. Il lui masquait un peu le soleil. Elle étaitassise sur le banc de pierre extérieur accolé à une mai-son paysanne. Le banc était tourné vers l’ouest et lesoleil couchant éclairait d’une lueur dorée le délicatentrelacement de fils qui naissait sous ses mains, len-tement, régulièrement.

Tout d’abord, son regard s’illumina et elle adressa àson vis-à-vis un sourire comblé, quasiment extatique.Puis un voile de doute s’étendit sur son visage.

—þAvec moiþ? demanda-t-elle prudemment.La réponse se fit attendre un instant de trop.—þTu sais bien que non, Pernelle.Le cœur de Pernelle se brisa et les morceaux tom-

bèrent au plus profond d’elle-même, pesants, coupants,cruels. Ses mains cessèrent de faire voler les fuseaux etse posèrent, comme mortes, sur son ouvrage. Comment



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avait-elle pu être assez naïve pour se dire, contre touteraison, qu’il l’épouseraitþ? Et maintenant, commentallait-elle pouvoir résister à la vague de détresse qui lasubmergeaitþ?

—þBien sûr, fit-elle d’une voix anéantie.—þJe suis désolé.Il la poussa doucement pour s’asseoir à côté d’elle

sur le banc tandis que le cheval s’en allait grignoter uneou deux herbes sèches. On était fin juin, l’été commen-çait à bien chauffer la terre, les récoltes de seigle pro-mettaient d’être magnifiques.

Il saisit sa main sur le carreau – ce coussin sur lequelelle piquait son travail –, mais elle la retira brus-quement.

—þIl ne faut pas m’en vouloir, ma mie. C’est la vie, tule savais comme moi.

—þAlors nous ne nous reverrons plusþ?—þMais si. Je viendrai comme avant te faire mes com-

mandes de dentelles. Tu es une de mes plus habiles den-tellières. Je continuerai mes tournées comme avant.

—þMais vous ne voudrez plus m’entraîner pour unepromenade discrète, monsieur Chanauze, vous n’entrerezplus dans ma maison. Vous ne m’embrasserez plus.Vous oublierez bien vite que j’ai été votre amante.

Elle pinça les lèvres, la gorge serrée.—þMa mie Pernelle, c’était un amusement de jeunesse.

Maintenant, nous devons poursuivre chacun notre vie.—þParlez pour vous, monsieur. Pour moi, ce n’a

jamais été un amusement.



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—þMais nous étions d’accord, il me semble, pour unepetite amourette sans lendemain… Nous nous lesommes dit, n’est-ce pasþ?

Elle hocha la tête, désespérée.—þJe ne me doutais pas que mon cœur me jouerait des

tours.Les larmes coulaient sur ses joues. Aurélien Chanauze

retira le carreau de ses genoux, ainsi ne tacherait-elle passon bel ouvrage de dentelle. Il lui prit encore la main etcette fois elle la lui abandonna. C’était peut-être la der-nière fois qu’il la touchait.

—þJe ne veux pas te faire souffrir, Pernelle.—þTrop tard, Aurélien. Moi je vous aimais.—þMais Pernelle, moi aussi.Il écarta doucement quelques larmes de ses yeux.—þAutant qu’il est possible à un monsieur de la ville

d’aimer une paysanne, fit-elle avec amertume. Autantqu’il est possible à un patron d’aimer une de sesemployées. Vous avez plutôt abusé de moi, il mesemble.

—þEst-ce vraiment ce que tu penses, Pernelleþ? Est-cece que tu ressensþ? Je ne t’ai jamais forcée à quoi que cesoit. Nous avons passé des moments agréables. Trèsagréables. Mais maintenant, je dois me marier. Tu temarieras aussi. Je te doterai généreusement.

Pernelle se retint pour ne pas cracher à cette paroleinsultante, car c’était une façon de se débarrasser d’elleen échange d’argent, puis elle essuya ses yeux ets’efforça de reprendre une contenance.



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—þEt qui est l’heureuse fiancéeþ? prononça-t-elle aumilieu de ses reniflements irrépressibles.

À dire vrai, elle s’en moquait totalement.—þMademoiselle Tarondeau, répondit Aurélien

Chanauze. Mademoiselle Madeleine Tarondeau.Sans aucun doute, il prononçait ce nom avec une

délectation qui perça cruellement ce qui restait de cœurà Pernelle.

—þVois-tu, je précise son prénom pour que tu nela confondes pas avec mademoiselle MargueriteTarondeau, sa sœur jumelle.

Encore cette douceur dans la voix d’Aurélien, et cettedouleur amère en elle qui la pétrifiait. Elle la détestait,cette Tarondeau, et sa sœur jumelle tout autant, pourfaire bonne mesure. Mais elle détestait encore plusAurélien Chanauze, à qui elle avait beaucoup accordédepuis quatre ans. Beaucoup trop. Beaucoup plus qu’ilne le méritait.

Ils avaient connu une liaison qui s’était faite curieu-sement, tout naturellement presque. Les parents dePernelle, qui pensaient tirer des avantages de la situa-tion, n’avaient guère protesté que leur fille se déver-gonde pour s’éloigner dans les chemins creux avecmonsieur Chanauze, qui les faisait vivre en leur com-mandant des aunes et des aunes de dentelle, et payaitparticulièrement bien la jeune Pernelle, avec qui ilbatifolait tellement dans les fourrés, ou même dans lachaumière, qu’elle avait pu croire qu’il l’aimait réelle-ment.



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Elle lui reprocha tout cela, entre hoquets et larmes.—þMais je t’aime beaucoup, protesta-t-il.—þPas au point de m’épouser.—þPernelle, tu n’ignores pas que nous ne sommes pas

de la même condition.—þOn voit cela, parfois, pourtant, dit-elle tristement.

Et mademoiselle Tarondeau, l’aimez-vous beaucoupaussiþ?

—þOui, beaucoup, bien que ce soit un mariage négo-cié par nos familles.

Devant le regard d’Aurélien s’imposa le visage pointuaux grands yeux noirs de Madeleine, et sa silhouettedroite et ferme, ses robes rouges, ses élégantes petitesfraises, sa coiffe à pointe sur le front. Et juste derrière,sa jumelle, jamais bien loin, lui ressemblant tellement.

—þOui, répéta-t-il d’une voix murmurante. Je l’aimebeaucoup.

Pernelle ne savait pas comment elle pouvait suppor-ter cette affirmation sans mourir aussitôt de douleur.

—þL’aimez-vous plus que moiþ? Plus que vous m’avezaiméeþ?

—þCe n’est pas comparable, protesta-t-il, extrê-mement embarrassé.

À dire vrai, la conversation commençait à le lasser.Il avait fait ce qu’il devaitþ: une rupture claire et saine,une proposition de dot.

De nouveau, un silence pesant s’installa, mais Auré-lien ne voulait pas quitter Pernelle trop tôt. Il lui devaitun peu de bonnes manières, un peu de son temps, de sa


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présence, de sa compassion. Il savait bien que rien n’estpire qu’un amour déçu.

—þM’embrasserez-vous encoreþ?—þC’est impossible, Pernelle. Mais jamais je ne

t’oublierai, et je t’estimerai jusqu’à la fin de mes jours.—þVotre estime ne me convient pas, monsieur Cha-

nauze. Je veux votre amour, votre chaleur, vos baisers.Je veux que vous m’aimiez encore quand vous serezmarié.

—þSonges-tu bien à ce que tu disþ! se scandalisa-t-il.—þEh bienþ? Je ne serais pas la première maîtresse

d’un homme marié.—þJe suis désolé, Pernelle, fit Aurélien en la repous-

sant, mais il n’en est absolument plus question.Pernelle crut qu’elle se transformait en statue de

pierre. C’était fini, une fin de non-recevoir glaçante. Etdire qu’il était amoureux d’une de ces petites mijauréesde la ville haute. Qui avait rompu une fois ses fiançaillesl’an dernier et qui menait aujourd’hui Aurélien par lebout du nez.

—þTrès bien, dit Pernelle en se levant raidement.Monsieur Chanauze, je pense que je ne réaliserai plusde dentelles pour vous. Nous ne nous verrons plus.

—þVoyons, Pernelle, fit Aurélien en tentant d’êtremoins brutal. Je ne te veux pas de mal.

—þNe nous voyons plus. Ce sera plus simple.Aurélien tourna entre ses mains sa toque de velours.

Pernelle avait été une agréable passade dans sa vie, maisla piquante Madeleine le faisait vibrer à chaque instant.



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Cependant il était désolé pour Pernelle qui étaitaccrochée à lui bien plus qu’il ne l’était à elle. Il ne dou-tait pas qu’elle était ce soir extrêmement malheureuse.

Le soleil rouge était à demi masqué par la montagne,maintenant.

—þJe dois rentrer à Montgrèze, dit-il. Dimanche, nosfiançailles seront officielles, il y aura la signature ducontrat devant le notaire, et nous serons mariés pourNoël.

—þTous mes vœux vous accompagnent, prononçaPernelle d’une voix glaciale tandis qu’Aurélien montaiten selle.

—þJe reviendrai, Pernelle. Pas pour t’aimer, maispour te prouver que je ne t’abandonne pas.

—þC’est inutile, monsieur Chanauze.—þAu revoir, Pernelle. Crois-moi, tous les chagrins

d’amour finissent par passer.—þQu’en savez-vousþ? cria Pernelle alors qu’Aurélien

s’éloignait au galop.Le soleil avait presque disparu. Pernelle attrapa son

carreau, défit rageusement toutes les épingles en place,emmêla ses fuseaux et déchiqueta sa précieuse dentelle,son travail de trois jours.

—þÇa ne se passera pas comme çaþ! Non, non, ça nese passera pas comme çaþ! répéta-t-elle à de nombreusesreprises d’une voix désespérée, partagée entre fureur etpeine abyssale.

Quand elle eut fini de détruire son œuvre, elles’effondra.






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