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LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 897 - mai 2015 12 70 e anniversaire Pierre Provost (1895-1986), graveur et résistant, KLB 39705 Les médailles de la camaraderie Dans le cadre des commémorations du 70 e anniversaire de la libération de Buchenwald, une exposition présente dans l’un des bâtiments du camp les médailles et autres objets gravés clandestinement par Pierre Provost, déporté en janvier 1944. La fille de l’artiste qui a contribué à l’exposition évoque pour le PR cette histoire de courage, d’ingéniosité et de solidarité, et présente quelques-unes des médailles remises au camp à des codétenus. Pour Robert Muller, matricule 2181, décembre 1944 Trois médailles bifaces ont été remises à des détenus politiques allemands : Robert Muller, Ernst Busse et Otto Kip1. « Toutes trois furent exécutées dans le sous-sol de l'infirmerie du camp où j'avais obtenu de la bienveillance d'un ouvrier, chargé de l'entretien des bâtiments, la possibilité de graver, écrit Pierre Provost. Elles se ressemblent par les motifs, mais diffèrent dans leurs dispositions. L'argent dont elles sont fabriquées provient de pièces de 5 marks dont le diamètre a été agrandi et épaissi. Mais un jour, ayant étalé devant moi tout un alibi de pièces de chirurgie à réparer, je vis apparaître, au-dessus de ma tête, les bottes d'un SS. Interpellé, je laisse tomber les outils. Le SS ramasse une échoppe et me demande : “qu'est-ce que c'est ?” Tandis qu'il allait chercher un interprète, je pus faire disparaître la médaille et ma boîte d'outillage. Lorsqu'ils sont revenus, j'étais parti. Je suis rapidement retourné à mon kommando de terrasse. Mais pendant huit jours, j'ai attendu ma comparution à la Tour, ne sachant pas si mon matricule avait été relevé ? Car à cette époque, suite au bombardement d'août 1944, la direction du camp, en quête d'armes cachées par les détenus, procédait à de nombreuses fouilles. » F ormé dans les ateliers du compa- gnonnage, Pierre Provost apprend sept métiers liés au métal, dont la ferronnerie d'art, l'outillage (la fabrica- tion d'outils), la gravure et le Trait (l'art des tracés géométriques). Sur le front d'Orient en 1917, il cisèle quantité de « vases de paix » dans des douilles d’obus. Dans l’entre-deux-guerres, il est correc- teur de dessin d'étude et contre-maître d'outillage de précision, aux usines d'ar- mement Hispano-Suiza. Engagé tôt dans la Résistance, il fabrique des faux-papiers puis, sous-lieutenant FTP, il prend une responsabilité importante dans l'appa- reil technique, assurant aussi des sabo- tages et des livraisons d'armes. Arrêté en juillet 1943, il est déporté à Buchenwald le 17 janvier 1944. Assigné au block 59 du Petit camp, fin février, il rejoint les blocks 63 puis 31 du Grand camp. En mars, grâce à deux résistants allemands qui le soignent au Revier , il échappe au crématoire. Affecté aux usines Siemens de la Mibau, il re- produit les tampons des services SS du camp, dont celui du docteur SS, afin de permettre à des centaines de déportés de toutes nationalités de venir reprendre des forces, à l'infirmerie. Il sabote aussi la rectification des pastilles de quartz au- rifiées, du guidage des pilotes de V1 qui reçoivent les ondes hertziennes. Selon la consigne du sabotage invisible, il se dé- brouille pour que, lors des vérifications, tout tombe en poussière. Au moment où les usines ont été bombardées par les al- liés en août 1944, il attendait un contrôle pointilleux. Le 11 avril 1945, responsable du 3 e groupe de la Brigade française d’action libératrice (BFAL), il participe à la libé- ration du camp. Volontaire pour aider à la réorganisation du Revier , il arrive au Lutetia, le 25 avril, avec ses 80 malades. Il rapporte des photos volées aux SS, des dessins, une trentaine de médailles qu’il a gravées, et ses carnets. Le 28 avril, il témoigne à la salle des fêtes de Villejuif. Dans son ouvrage La zone grise ? Olivier Lalieu explique comment les politiques allemands, qui ont intégré le camp dès 1937, ont dans leur « stratégie de survie », réussi à occuper les postes de direction des blocks et des principaux komman- dos « et malgré l'instabilité de ce posi- tionnement », comment ils vont utiliser « toutes les possibilités légales ou clandes- tines, pour améliorer la situation générale des détenus. » Un Comité international clandestin de résistance antifasciste est créé en 1943, en liaison avec les Comités nationaux des pays représentés dans le camp. Ainsi, le Collectif des intérêts français, dans l'es- prit du CNR, créé par Jean Moulin, re- groupe des hommes de partis (PC, PS, SFIO…) et de mouvements et réseaux (FN, MUR, Combat, FTP, Confrérie Notre- Dame, Administration publique…). Le CIF fait comprendre la liaison néces- saire de chacun avec tous, dans le but de créer les conditions d'une vie plus supportable. La camaraderie, les rela- tions d'amitié et de solidarité entre les détenus, prennent diverses formes : « te- nir en équilibre un malade, sur la place d'appel, entre quatre déportés, afin de permettre au SS de nous compter (j'ai été moi-même soutenu de cette façon), cacher, dans nos blocks, des enfants qui étaient les fils de tous les pères », écrivit Pierre Provost après la guerre, prélever un peu de sa ration… Les consignes d'ordre mo- ral sont notamment : rompre l'isolement de l'individu, soutenir le moral, forti- fier l'union. Ce faisant, les expressions artistiques et culturelles, punissables de mort, sont protégées par la fourniture de matériel et une vigilance de protection. Dans ce contexte, Pierre Provost grave clandestinement « quantité de médailles et d'objets » sur des matières premières subtilisées : argent provenant de cuil- lères, bronze ou cuivre sorti de l'usine. Il grave des objets d'intimité pour sa femme (broche, auto-portrait sur petite cuillère) « qui contiennent tout l'espoir du retour » et des œuvres qu'il offre. Il invente les « Médailles-Mausolées » qui, rendant hommage aux morts, sont une forme de monument. Il développe une écriture de la variation autour des mo- tifs récurrents du camp : principaux édi- fices, bloc identitaire (triangle-rectangle), double Z des 380 volts des barbelés qui dans un miroir se lit SS, éléments végé- taux ou stellaires… qui tentent de « fixer la vision du lieu tragique » et définissent « le visage de Buchenwald ». « La Résistance interne me demande alors différents petits travaux de gra- vure, pour récompenser des actions de mérite. » L'art du médailleur se singu- larise des autres arts picturaux, par son rattachement au rituel honorifique de la décoration. Pierre Provost ayant numé- roté ses médailles, on répertorie aujour- d'hui 13 « médailles de la camaraderie ». Les dates d'internement de chaque réci- piendaire figurent sur l'avers (ou face). D'autres « médailles de la camaraderie » sont juste mentionnées ou décrites, dans les manuscrits. Elles concernent : Jean-Marie Legendre, sculpteur, Pierre Oudot, Julien Cain, secrétaire de la Bibliothèque nationale, de Paris et le docteur Rossens (Belgique). Dès septembre 1945, objets et médailles sont exposés, aux Etats-Unis, puis à Paris, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, et au 57 e Salon des artistes indépendants. Jean Babelon, conserva- teur du Musée des médailles, en fait la relation suivante dans le journal Apollo, dans un article intitulé : « Les médail- leurs contemporains » : « L'on se défend de céder à une sensibilité trop vite émue pour admirer que de si subtils ouvrages aient pu être exécutés avec des outils de fortune » (mars 46). En 2013, deux générations sont passées. Le temps de l'oubli arrivant, j'ai entrepris diverses recherches condensées dans un récit intitulé Mémoire Gravée. Contactant la famille de Gilbert Schwartz [voir page suivante], je découvre que sa médaille est sauvegardée. Le 11 avril 2015, dans le cadre du 70 e anniversaire de la libération des camps, et le jour de l'inauguration d'une exposition consacrée à l'œuvre de Pierre Provost, au Mémorial de Buchenwald, Dominique et Achille Biziaux nous ont présenté cette médaille, qu'ils avaient soi- gneusement enveloppée dans le mouchoir de leur grand-père et arrière-grand-père. L'exposition « Pierre Provost, la mémoire gravée de Buchenwald » (11 avril - décembre 2015), à laquelle j'ai contribué, est le fruit d'un partenariat entre le Mémorial, le musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne et l'Association Buchenwald Dora et Kommandos. Les Mémoriaux de Buchenwald et Mittlebau-Dora ont fait éditer par la Monnaie de Paris et offert aux déportés présents, une médaille de Pierre Provost qui représente l'obélisque élevé sur la place d'appel, par les 21 000 survivants en hommage aux 56 000 déportés dispa- rus. Devant cet obélisque, le Serment de 1945, ce texte fondateur, lu en plusieurs langues, a été réitéré avec force, au cours des cérémonies de 2015. GISÈLE PROVOST n Les citations qui suivent sont, sauf mention contraire, issues des écrits de Pierre Provost (photos : coll. part. Gisèle Provost sauf mention contraire). © M R N

Pierre Provost (1895-1986), graveur et résistant, KLB 39705 Les ... · et d'objets» sur des matières premières subtilisées: argent provenant de cuil - lères, bronze ou cuivre

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Page 1: Pierre Provost (1895-1986), graveur et résistant, KLB 39705 Les ... · et d'objets» sur des matières premières subtilisées: argent provenant de cuil - lères, bronze ou cuivre

LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 897 - mai 201512 70e anniversaire

Pierre Provost (1895-1986), graveur et résistant, KLB 39705

Les médailles de la camaraderieDans le cadre des commémorations du 70e anniversaire de la libération de Buchenwald, une exposition présente dans l’un des bâtiments du camp les médailles et autres objets gravés clandestinement par Pierre Provost, déporté en janvier 1944. La fille de l’artiste qui a contribué à l’exposition évoque pour le PR cette histoire de courage, d’ingéniosité et de solidarité, et présente quelques-unes des médailles remises au camp à des codétenus.

Pour Robert Muller, matricule 2181, décembre 1944

Trois médailles bifaces ont été remises à des détenus politiques allemands : Robert Muller, Ernst Busse et Otto Kip1. « Toutes trois furent exécutées dans le sous-sol de l'infirmerie du camp où j'avais obtenu de la bienveillance d'un ouvrier, chargé de l'entretien des bâtiments, la possibilité de graver, écrit Pierre Provost. Elles se ressemblent par les motifs, mais diffèrent dans leurs dispositions. L'argent dont elles sont fabriquées provient de pièces de 5 marks dont le diamètre a été agrandi et épaissi. Mais un jour, ayant étalé devant moi tout un alibi de pièces de chirurgie à réparer, je vis apparaître, au-dessus de ma tête, les bottes d'un SS. Interpellé, je laisse tomber les outils. Le SS ramasse une échoppe et me demande : “qu'est-ce que c'est ?” Tandis qu'il allait chercher un interprète, je pus faire disparaître la médaille et ma boîte d'outillage. Lorsqu'ils sont revenus, j'étais parti. Je suis rapidement retourné à mon kommando de terrasse. Mais pendant huit jours, j'ai attendu ma comparution à la Tour, ne sachant pas si mon matricule avait été relevé ? Car à cette époque, suite au bombardement d'août 1944, la direction du camp, en quête d'armes cachées par les détenus, procédait à de nombreuses fouilles. »

Formé dans les ateliers du compa-gnonnage, Pierre Provost apprend sept métiers liés au métal, dont la

ferronnerie d'art, l'outillage (la fabrica-tion d'outils), la gravure et le Trait (l'art des tracés géométriques). Sur le front d'Orient en 1917, il cisèle quantité de « vases de paix » dans des douilles d’obus. Dans l’entre-deux-guerres, il est correc-teur de dessin d'étude et contre-maître d'outillage de précision, aux usines d'ar-mement Hispano-Suiza. Engagé tôt dans la Résistance, il fabrique des faux-papiers puis, sous-lieutenant FTP, il prend une responsabilité importante dans l'appa-reil technique, assurant aussi des sabo-tages et des livraisons d'armes. Arrêté en juillet 1943, il est déporté à Buchenwald le 17 janvier 1944.

Assigné au block 59 du Petit camp, fin février, il rejoint les blocks 63 puis 31 du Grand camp. En mars, grâce à deux résistants allemands qui le soignent au Revier, il échappe au crématoire. Affecté aux usines Siemens de la Mibau, il re-produit les tampons des services SS du camp, dont celui du docteur SS, afin de permettre à des centaines de déportés de toutes nationalités de venir reprendre des forces, à l'infirmerie. Il sabote aussi la rectification des pastilles de quartz au-rifiées, du guidage des pilotes de V1 qui reçoivent les ondes hertziennes. Selon la consigne du sabotage invisible, il se dé-brouille pour que, lors des vérifications, tout tombe en poussière. Au moment où les usines ont été bombardées par les al-liés en août 1944, il attendait un contrôle pointilleux.

Le 11 avril 1945, responsable du 3e groupe de la Brigade française d’action libératrice (BFAL), il participe à la libé-ration du camp. Volontaire pour aider à la réorganisation du Revier, il arrive au Lutetia, le 25 avril, avec ses 80 malades.

Il rapporte des photos volées aux SS, des dessins, une trentaine de médailles qu’il a gravées, et ses carnets. Le 28 avril, il témoigne à la salle des fêtes de Villejuif.

Dans son ouvrage La zone grise ? Olivier Lalieu explique comment les politiques alle mands, qui ont intégré le camp dès 1937, ont dans leur « stratégie de survie », réussi à occuper les postes de direction des blocks et des principaux komman-dos « et malgré l' instabilité de ce posi­tionnement », comment ils vont utiliser « toutes les possi bilités légales ou clandes­tines, pour améliorer la situation générale des détenus. »

Un Comité international clandestin de résistance antifasciste est créé en 1943, en liaison avec les Comités nationaux des pays représentés dans le camp. Ainsi, le Collectif des intérêts français, dans l'es-prit du CNR, créé par Jean Moulin, re-groupe des hommes de partis (PC, PS, SFIO…) et de mouvements et réseaux (FN, MUR, Combat, FTP, Confrérie Notre-Dame, Administration publique…). Le CIF fait comprendre la liaison néces-saire de chacun avec tous, dans le but de créer les conditions d'une vie plus supportable. La camaraderie, les rela-tions d'amitié et de solidarité entre les détenus, prennent diverses formes : « te­nir en équilibre un malade, sur la place d'appel, entre quatre déportés, afin de permettre au SS de nous compter (j'ai été moi­même soutenu de cette façon), cacher, dans nos blocks, des enfants qui étaient les fils de tous les pères », écrivit Pierre Provost après la guerre, prélever un peu de sa ration… Les consignes d'ordre mo-ral sont notamment : rompre l'isolement de l'individu, soutenir le moral, forti-fier l'union. Ce faisant, les expressions artistiques et culturelles, punissables de mort, sont protégées par la fourniture de matériel et une vigilance de protection.

Dans ce contexte, Pierre Provost grave clandestinement « quantité de médailles et d'objets » sur des matières premières subtilisées : argent provenant de cuil-lères, bronze ou cuivre sorti de l'usine. Il grave des objets d'intimité pour sa femme (broche, auto-portrait sur petite cuillère) « qui contiennent tout l'espoir du retour » et des œuvres qu'il offre. Il invente les « Médailles­Mausolées » qui, rendant hommage aux morts, sont une forme de monument. Il développe une écriture de la variation autour des mo-tifs récurrents du camp : principaux édi-fices, bloc iden titaire (triangle-rectangle), double Z des 380 volts des barbelés qui dans un miroir se lit SS, éléments végé-taux ou stellaires… qui tentent de « fixer la vision du lieu tragique » et défi nissent « le visage de Buchenwald ».

« La Résistance interne me demande alors différents petits travaux de gra­vure, pour récompenser des actions de mérite. » L'art du médailleur se singu-larise des autres arts picturaux, par son rattachement au rituel honorifique de la décoration. Pierre Provost ayant numé-roté ses médailles, on répertorie aujour-d'hui 13 « médailles de la camaraderie ». Les dates d'internement de chaque réci-piendaire figurent sur l'avers (ou face).

D'autres « médailles de la camaraderie » sont juste mentionnées ou décrites, dans les manuscrits. Elles concernent : Jean-Marie Legendre, sculpteur, Pierre Oudot, Julien Cain, secrétaire de la Bibliothèque nationale, de Paris et le docteur Rossens (Belgique).

Dès septembre 1945, objets et médailles sont exposés, aux Etats-Unis, puis à Paris, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, et au 57e Salon des artistes indé pendants. Jean Babelon, conserva-teur du Musée des médailles, en fait la relation suivante dans le journal Apollo,

dans un article intitulé : « Les médail­leurs contemporains » : « L'on se défend de céder à une sensibilité trop vite émue pour admirer que de si subtils ouvrages aient pu être exé cutés avec des outils de fortune » (mars 46).

En 2013, deux générations sont passées. Le temps de l'oubli arrivant, j'ai entrepris diverses recherches condensées dans un récit intitulé Mémoire Gravée. Contactant la famille de Gilbert Schwartz [voir page suivante], je découvre que sa médaille est sauvegardée. Le 11 avril 2015, dans le cadre du 70e anni versaire de la libération des camps, et le jour de l'inauguration d'une exposition consacrée à l'œuvre de Pierre Provost, au Mémorial de Buchenwald, Dominique et Achille Biziaux nous ont présenté cette médaille, qu'ils avaient soi-gneusement enveloppée dans le mouchoir de leur grand-père et arrière-grand-père.

L'exposition « Pierre Provost, la mémoire gravée de Buchenwald » (11 avril - décembre 2015), à laquelle j'ai contribué, est le fruit d'un partenariat entre le Mémorial, le musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne et l'Association Buchenwald Dora et Kommandos.

Les Mémoriaux de Buchenwald et Mittlebau-Dora ont fait éditer par la Monnaie de Paris et offert aux déportés présents, une médaille de Pierre Provost qui représente l'obélisque élevé sur la place d'appel, par les 21 000 survivants en hommage aux 56 000 déportés dispa-rus. Devant cet obélisque, le Serment de 1945, ce texte fondateur, lu en plusieurs langues, a été réitéré avec force, au cours des cérémonies de 2015.

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n Les citations qui suivent sont, sauf mention contraire, issues des écrits de Pierre Provost (photos : coll. part. Gisèle Provost sauf mention contraire).

© MRN

Page 2: Pierre Provost (1895-1986), graveur et résistant, KLB 39705 Les ... · et d'objets» sur des matières premières subtilisées: argent provenant de cuil - lères, bronze ou cuivre

LE PATRIOTE RÉSISTANTN° 897 - mai 2015 70e anniversaire 13

Pour Gaston Gavrois, matricule 15444, 1944, gravée au block 31

La poignée de mains sur mappemonde renvoie au symbole civilisateur de l'universel des bâtisseurs, qu'on trouve dans le compagnonnage. Le soleil, lumière et connaissance, « éclaire le sentiment de solidarité des hommes qui ont su, avec force, maintenir un moral élevé, malgré leurs souffrances, face aux usages de terreur qu'engendrait le milieu des bagnes hitlériens. » (Pierre Provost)

Pour Marcel Paul, matricule 53067 (BFAL*) Comité international de résistance, triangle de direction, secrétaire et responsable politique du CIF

« L'original a été composé au camp, sur argent, avec une baleine de parapluie, trouvée dans un tas de chaussures, affinée en échoppe de qualité, à l'usine. Cette médaille devait être décernée au camp, à Marcel Paul, block 57, avant le bombardement de 44. Elle m'avait été demandée, par les camarades, en raison de son dévouement. »Suite à une commande officielle de l'Etat (ministère de l'Education nationale et de l’Académie des Beaux-Arts), en janvier 1946, Pierre Provost reprend l'exécution de cette

médaille sur matrice d'acier, qui devient : « Plus jamais ça » ou « La médaille des camps ». Il reprend aussi la médaille de la Déportation, qui elle, concerne tous les camps. Ces deux médailles sont frappées à la Monnaie de Paris. Marcel Paul écrit : « Je ne pouvais imaginer qu'il soit possible, dans un cadre aussi réduit, de formuler aussi puissamment des idées aussi profondes que celles que tu groupes dans les cœurs en même temps que dans le métal. »Ces deux médailles sont toujours diffusées.

* BFAL : Brigade française d'action libératrice.

Pour Camille Pigeat, matricule 51365 (BFAL*)

Dans une composition en perspective, Pierre Provost oppose deux sociétés par une double représentation de l'identité. Un monogramme renvoie à une société qualitative et citoyenne. Le triangle-rectangle du Häftling (un Stück ou morceau, pour les nazis), à une société quantitative et industrielle.

A l'ami Gaston Morice, Souvenir d'ExilCette médaille, aimable et patient ouvrage,Que l'habile burin de Provost cisela,Nous voulons te l'offrir, comme le témoignageD'une amitié solide et ferme !.. Accepte­la !..Voyant ce souvenir, certains voudront connaîtreLa cause de l'exil… "Pour l'avoir mérité,Quel crime, diront­ils, a­t­il donc pu commettre ?"Tu répondras : "Mon crime est d'avoir souhaitéFaire régner sur terre un peu plus de bien­êtreEt mettre au coeur de l'homme un peu plus de bonté…"

Pour Gaston Morice, matricule 20767, block 31, bronze (BFAL*)

Le cordon apparemment ornemental des 8 grains renvoie aux 8 phares de surveillance de la Tour. Le double bloc identitaire (triangle-rectangle) s'inscrit dans une cartouche hexagonale, composée d'éléments hétérogènes imprégnés d'influences Art Nouveau. Le poème [voir ci-contre] d'André Marie (nov. 44, block 56) participe de cette remise de médaille officielle-clandestine .« Cette médaille réalisée par vous, grâce à une inlassable ténacité et au prix d'efforts quotidiens, que de souvenirs amers n'invoque-t-elle pas, que de leçons pour le présent et l'avenir ne devrait-elle pas renfermer ? » (Gaston Morice, nov. 48)

Pour Nicolas Sakharov, matricule 63988, capitaine de l'Armée rouge, block 31 (200 Français et 8 Russes)

« Gravée en février 1945, pendant les corvées de déblaiement, dans un kommando de terrasse, cachée sous des briques et de vieilles ferrailles, soumise aux intempéries. »Un paysage entièrement symbolique qui ressemble plutôt à un discours. Le triangle de nationalité porte la lettre R (usse). Nicolas Sakharov écrit : « Cette médaille qui m'est si chère, m'a été décernée le 23 février 45, par l'intermédiaire de Gilbert Schwartz, je la garde voici déjà 14 ans… Nous n'oublierons jamais que les Français qui pouvaient parfois recevoir des colis de la Croix-Rouge partageaient avec nous leurs modestes contenus. » (N. S., 1958)

Pour Claude Sander, matricule 77222

Fils du commandant Charles Sander, président des Cuirassiers de France, et dont Pierre Provost avait pris soin, Claude Sander disparut en transport, en janvier 45, lors d'une rafle massive en direction d'Ohrdruf, camp de sinistre réputation, situé à 60 km de Buchenwald. Un profil de jeune homme, « Soldat sur le chemin de la Paix », précède le mot latin PAX, notion associée à l'astre levant. Charles Sander écrit à Pierre Provost : « Tu fus inébranlable dans ta confiance pour l'avenir de la Patrie. Pour toi, il n'y avait pas à Buchenwald de parti politique, il y avait des malheureux qui souffraient et chaque fois que tu pouvais, tu te faisais un devoir de leur venir en aide » (déc. 45).

Gilbert Schwartz est affecté également aux usines Gustloff, avec mission de sabotage. « Ce vice-doyen du block 31, m. 14 597, responsable de la solidarité à l'échelle nationale et internationale, a mené un dur combat contre la brutalité des détenus-chefs de blocks, verts et parfois rouges, qui relayant celle des SS, exerçaient leur pouvoir au block, comme dans l'ensemble du camp. Ce fut un grand succès politique de la part des organisations d'arriver à faire changer un chef de block violent, renversant ainsi les usages, dans la dite "discipline du camp". »La partition opérée par l'arbre de Goethe (1) délimite dans une moitié droite : un paysage, du sol au ciel, et dans une moitié gauche : la succession hétérogène d'un symbole, d'un emblème et d'un nom propre. « Un tas de pierres rappelle les pénibles transports de la carrière. L'homme qui porte une pierre, vient d'un horizon où le soleil se lève pour apporter de la clarté sur les sombres exploits de nos tortionnaires (...) C'est à cette date que le grand chêne tombe, sous les coups de hache, afin d'éviter un incendie dans le camp. »Au retour, Gilbert Schwartz écrit : « Je ne pourrai jamais oublier que spontanément, sans

se soucier de la mort qui planait sans cesse au-dessus de nos têtes, Pierre a accepté une place de combattant dans la Brigade française d'action libératrice, le danger n'ayant jamais compté pour lui. (...) Je conserve pieusement la médaille qu'il m'a remise, où il avait gravé « 1943-44 », il pensait que 44 verrait la fin de notre cauchemar. En 45, il a gratté le 4 et gravé le 5. Au camp, Pierre est resté ce qu'il avait été, un grand résistant, faisant son travail de sabotage à l'usine, aidant, soutenant ses camarades qui faiblissaient au block 31.La solidarité lui doit beaucoup. »(1) Selon la légende, Goethe, se promenant dans les forêts de l’Ettersberg, donnait ses rendez-vous au pied de ce grand chêne. Les SS l’épargnèrent lors de la construction du camp. Il fut abattu après le bombardement d’août 1944.

Pour Gilbert Schwartz, matricule 14597 (BFAL*)

© D. Bizi

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