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Études photographiques 32 | Printemps 2015 Interroger le genre / Retour sur l'amateur / Personnages de l'histoire Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir L’avènement d’un reporter photographe Fabienne Maillard Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2015 ISBN : 9782911961328 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Fabienne Maillard, « Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir », Études photographiques [En ligne], 32 | Printemps 2015, mis en ligne le 30 avril 2015, consulté le 04 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514 Ce document a été généré automatiquement le 4 mai 2019. Propriété intellectuelle

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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Études photographiques

32 | Printemps 2015Interroger le genre / Retour sur l'amateur /Personnages de l'histoire

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934pour Paris-SoirL’avènement d’un reporter photographe

Fabienne Maillard

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514ISSN : 1777-5302

ÉditeurSociété française de photographie

Édition impriméeDate de publication : 1 janvier 2015ISBN : 9782911961328ISSN : 1270-9050

Référence électroniqueFabienne Maillard, « Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir », Étudesphotographiques [En ligne], 32 | Printemps 2015, mis en ligne le 30 avril 2015, consulté le 04 mai 2019.URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514

Ce document a été généré automatiquement le 4 mai 2019.

Propriété intellectuelle

Pierre Verger et le « Tour du monde » de1934 pour Paris-SoirL’avènement d’un reporter photographe

Fabienne Maillard

1 Le 20 avril 1934, le journal Paris-Soir lance en première page un article intitulé le « Tour

du monde », qui est le premier volet de toute une série de reportages parus entre avril et

septembre 1934, composés d’articles signés de l’écrivain Marc Chadourne et du

journaliste Jules Sauerwein, et illustrés par les photographies de Pierre Verger. Cette

publication est annoncée auparavant dans les éditions des 14, 16, 18 et 19 avril 1934 par la

formule : « Bientôt dans Paris-Soir, le Tour du monde 1934, par ses envoyés spéciaux Jules

Sauerwein et Marc Chadourne qu’une équipe de reporters photographes accompagne. »

Cent cinquante photographies de Pierre Verger furent publiées d’avril à septembre 1934

pour illustrer les chroniques des journalistes1. Il s’agit de son premier photoreportage

pour la presse. Cette commande s’inscrit dans le marché très dynamique de la presse

illustrée française de la période de l’entre-deux-guerres. L’amélioration des techniques

photographiques et de reproduction, mais aussi le désir des maisons de presse, d’édition

et de publicité d’accorder de plus en plus d’importance à l’image dans leurs mises en

pages, participent à l’avènement de la photographie de reportage2. Un nouveau marché

de la photographie se met en place qui permet à de nombreux photographes, notamment

à Paris, de s’inscrire dans un contexte économique et artistique, et de développer de

nouvelles perspectives en associant œuvres de commande et recherche esthétique3. Cet

article se propose de revenir sur cette expérience inaugurale de Pierre Verger afin de

révéler et d’analyser, de manière inédite, cet ensemble de photographies sur les États-

Unis, le Japon et la Chine, tout en évoquant le contexte de la photographie de presse à

cette époque.

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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Paris-Soir et la photographie de presse

2 L’avènement de nouvelles techniques d’impression et l’amélioration des appareils

photographiques participent à l’essor des magazines et journaux illustrés dans les

années 1920 et ainsi au développement de la photographie de reportage. Les progrès

réalisés dans les techniques d’impression, avec la mise en place de nouveaux procédés

comme l’héliogravure et l’offset4, permettent une reproduction de clichés de meilleure

qualité. L’amélioration des techniques photographiques, avec l’arrivée sur le marché du

Leica en 1925 et du Rolleiflex en 1929, procure au photographe une pratique plus libre et

plus souple de la photographie. Ces progrès techniques favorisent une nouvelle

production dans l’édition et la presse française5, davantage dédiée à l’image et à la

photographie. De nouveaux quotidiens et hebdomadaires sont ainsi lancés en France à la

fin des années 1920 par des innovateurs qui consacrent l’image comme l’élément clé de

leur journal : il s’agit de Lucien Vogel et de Jean Prouvost. Lucien Vogel met en vente le

21 mars 1928 l’un des premiers magazines illustrés, Vu. Dans son éditorial du premier

numéro, le directeur de Vu prône une ouverture sur le monde, notamment avec le

recours à la photographie comme forme d’illustration6. Elle devient le document de

référence dans les reportages d’actualité, renouvelant considérablement le métier de

photographe.

3 La nouvelle mise en pages du journal Paris-Soir, à partir de 1931, révèle également un

intérêt pour l’image. Jean Prouvost rachète Paris-Soir en 1930 et en fait un des principaux

quotidiens de la presse française. Le nombre d’exemplaires imprimés est signifiant : il

passe de 130 000 par jour en 1930 à 260 000 exemplaires l’année d’après, et connaîtra une

augmentation exponentielle au cours des années 1930, pour atteindre

1 800 000 exemplaires en 19397. Depuis mai 1931, le nouveau directeur, qui est un

véritable « innovateur8 », a remanié la mise en pages du journal en proposant une

nouvelle formule centrée sur la photographie : « La photographie est devenue la reine de

notre temps9 », écrit Jean Prouvost dans son éditorial du 2 mai 1931. L’image

photographique est mise en avant dans la nouvelle maquette : une série de clichés peut

occuper l’espace de la première et de la dernière page du journal, ce qui permet

d’accrocher le lecteur via une lecture d’abord visuelle. Pour réaliser cette nouvelle

présentation, le journal crée le plus grand service photographique de la presse

quotidienne française, dirigé par Paul Renaudon à la fin des années 1930, et fait appel à

vingt-deux photographes10, mais aussi six tireurs et téléphotographes11, ainsi que des

photographes indépendants12 tels que Pierre Verger.

4 Pierre Verger intègre l’équipe de Paris-Soir par l’intermédiaire de l’écrivain Marc

Chadourne13 qu’il a rencontré en janvier 1934. Cela fait alors tout juste deux ans que

Pierre Verger s’est formé à la pratique de la photographie auprès de son ami Pierre

Boucher, pratique qu’il expérimente ensuite à l’occasion d’un voyage dans les îles du

Pacifique durant l’année 1933. À son retour en janvier 1934, le jeune photographe de

trente-deux ans entreprend de présenter au romancier Marc Chadourne ses

photographies prises en Océanie afin de lui demander de rédiger un texte pour un album

photographique sur le Pacifique. L’écrivain se prépare au même moment à partir faire le

tour du monde pour le journal Paris-Soir, en compagnie du journaliste Jules Sauerwein, et

profite de cette entrevue avec Verger pour lui proposer de les accompagner en tant que

photographe afin d’illustrer leurs articles. En février 1934, la plupart des photographes

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étaient mobilisés par l’actualité parisienne autour des manifestations et émeutes qui

opposent les partisans de l’extrême droite avec les communistes, c’est « la crise du

6 février 1934 ». Pierre Verger bénéficie de ce fait de l’opportunité de faire le « Tour du

monde » pour Paris-Soir et s’achète un Rolleiflex pour son premier contrat en tant que

professionnel. Dès février 1934, il accompagne les deux journalistes pour une série de

reportages aux États-Unis, au Japon et en Chine.

Le « Tour du monde » de Paris-Soir

5 Avec le reportage intitulé « Le tour du monde » en 1934, Paris-Soir met l’accent sur le

caractère exclusif et sensationnel de cet événement. Le numéro du 19 avril présente un

encart conséquent, qui occupe l’espace inférieur gauche de la page de couverture,

communiquant la publication imminente du reportage (voir fig. 1). Cette annonce est

illustrée d’un photomontage de photographies et de mappemondes, de même que d’un

texte présentant les grandes lignes de ce reportage. Voici ce que l’on peut lire dans

l’éditorial de ce numéro :

« Les lecteurs de Paris-Soir, à partir de demain, vont faire le tour du monde. Non pasle tour du monde banal et délicieux, avec de brèves escales et de longues traversées,mais un tour du monde qui étreint véritablement la terre. Le monde tout entier esten frémissement. Partout, à chaque carrefour, se dressent, pareils à des Sphinx, derudes problèmes. […] Deux journalistes et écrivains de grande classe : MM. JULESSAUERWEIN et MARC CHADOURNE ont été associés pour mener à bien cette tâchecolossale. […]. Les images qu’ont recueillies auprès d’eux de nombreux reporters-photographes, dirigés par Pierre Verger, viendront encore aider l’imagination desvoyageurs immobiles […]. Un grand voyage, une plongée dans l’avenir, mais aussiun film pittoresque qui se déroulera devant nos lecteurs comme sur un écran. Enmême temps paraîtront les articles de Jules Sauerwein, ceux de Marc Chadourne etles documents de nos reporters-photographes. Ainsi, sous ces trois angles de vues,le monde apparaît aux lecteurs de “Paris-Soir” non seulement avec les couleurs,mais avec le relief de la vie14. »

6 L’expression « vont faire le tour du monde » montre que Paris-Soir souhaite que le

spectateur se sente concerné et soit plongé au cœur du voyage effectué par les

journalistes et le photographe. La photographie est également présentée comme un

médium qui permettra d’« aider l’imagination des voyageurs immobiles ». Cette idée de la

photographie comme un moyen de connaissance immédiate du monde, et comme

médium donnant accès à la représentation de celui-ci, est présente dès son invention. Les

chercheurs ont rapidement compris l’intérêt de cette nouvelle technique qui, par sa

précision et sa fidélité, se révèle efficace « pour bâtir un inventaire du monde15 ». Dès

1852, le critique d’art Louis de Cormenin avait tissé un lien entre la photographie, qu’il

nomme encore héliographie, et la notion de voyage, relevant la capacité de la

photographie à faire voyager le spectateur sans qu’il ne bouge de son « fauteuil16 ».

L’aspect novateur du journal tient au fait que la photographie permet en plus d’éveiller

l’imagination du lecteur. La photographie publiée dans la presse ouvre effectivement la

vision des lecteurs sur d’autres mondes. D’après Gisèle Freund : « L’introduction de la

photo dans la presse est un phénomène d’une importance capitale. Elle change la vision

des masses. Jusqu’alors, l’homme ordinaire ne pouvait visualiser que les événements qui

se passaient tout près de lui, dans sa rue, dans son village. Avec la photographie, une

fenêtre s’ouvre sur le monde. Les visages des personnages publics, les événements qui ont

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lieu dans le pays même et en dehors des frontières deviennent familiers. Avec

l’élargissement du regard, le monde se rétrécit17. »

Fig. 1. Page 1 de Paris-Soir, n° 3847, 19 avril 1934, n° 3847, coll. BnF, Paris.

7 Paris-Soir, en choisissant la formule du reportage illustré, participe à cette ouverture. Le

journal met en évidence la présence de la photographie en la représentant massivement.

Cet éditorial du 19 avril 1934 évoque d’autre part le fait que de « nombreux

photographes » ont été engagés et « dirigé[s] par Pierre Verger », alors que ce dernier

était véritablement le seul photographe accompagnant les deux journalistes. Cette

dimension de pluralité a pour ambition de souligner la valeur de l’image et son

importance au sein du reportage. Également, la première page du journal du 20 avril (voir

fig. 2), dont un des articles est annoncé par ces termes : « Fini le temps des beaux départs !

Aujourd’hui on s’embarque pour le tour de la terre comme on prend le métro… »,

présente deux portraits qui occupent le quart inférieur de la page, un titré « Jules

Sauerwein et Marc Chadourne sur le pont du “Manhattan” » et l’autre « Pierre Verger qui

dirigea l’équipe de nos reporters photographes ». Si la photographie des auteurs

correspond bien aux journalistes, celle légendée Pierre Verger, qui représente un

personnage debout en train de porter une caméra à son œil, ne correspond aucunement

au photographe. Son visage ne ressemble pas à celui de Pierre Verger à l’âge de trente

ans, d’autant plus que Verger travaille au Rolleiflex, un appareil photo que l’on porte sur

le ventre et non pas à l’œil. Cette photographie représente en fait l’acteur Paul Muni, à

bord du paquebot S.S. Manhattan, en train de filmer avec sa caméra. Elle a été prise par

Pierre Verger. En présentant les portraits des auteurs, autant écrivain que photographe,

en première page du journal, la rédaction a voulu les valoriser et les rendre identifiables

aux yeux des lecteurs, même si le portrait attribué à Pierre Verger était en fait celui de

Paul Muni.

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Fig. 2. Page 1 de Paris-Soir, n° 3848, 20 avril 1934, coll. BnF, Paris.

8 À travers sa mise en forme, axée sur les écrits des deux journalistes et la présence de

l’image, le journal s’oriente vers une dimension réaliste. Le reportage, dans sa nouvelle

conception, doit désormais révéler « le relief de la vie ». Loin des tonalités exotiques et

touristiques auxquelles les Français des années 1930 pouvaient s’attendre avec le thème

du « tour du monde », les articles des deux reporters dévoilent une approche

journalistique tournée vers la retranscription du réel. Ils réalisent des portraits de vie des

gens rencontrés au cours de leur voyage : Américains, Japonais, Chinois. Le propos de

leurs articles est fondé sur le témoignage de ces personnes qui évoquent leur vie

quotidienne, les problèmes économiques, sociaux et politiques qu’ils rencontrent et leurs

conséquences. Chaque reportage est accompagné de trois à six photographies réparties

sur une ou deux pages. En général, le photographe travaille seul, de manière assez libre,

et les journalistes enquêtent de leur côté. Pierre Verger témoigne que « [les] activités

gardèrent un caractère individuel et peu contraignant pour le photographe.

J’accompagnai rarement mes compagnons lors de leurs interviews. J’ai conservé le

souvenir de quelques ballades avec Chadourne, celle du volcan de l’île de Oshima au

Japon, et le pèlerinage au temple du Pic Merveilleux dans les collines à l’ouest de Pékin18

».

9 La majorité des photographies que Pierre Verger réalise pour le journal attestent de son

exaltation face à la découverte des États-Unis et de l’Asie. Dans une lettre destinée à son

ami parisien Raymond Le Cerf, il exprime sa fascination pour la nouvelle métropole de

New York et la rapidité avec laquelle il exécute les reportages : « Manhattan, 9 mars

1934 – Toute la journée je photographie en pagaille – des buildings – des taxis – des jeunes

filles – des nègres – des maires – des clochards – des sénateurs – des chiens de luxe – le

soir je développe et j’imprime et le lendemain je rends cela19. » Il fait preuve d’une

observation constante, il est rapide et efficace dans ses prises de vue et dans le

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développement de ses négatifs. Au cours de cette expérience, il va forger son regard et

acquérir une technique qui lui permet d’être autonome20 :  « J’envoyais en effet certains

négatifs que je développais tant bien que mal dans des assiettes à soupe. Plaçant les films

dos-à-dos et deux à deux à l’aide de pinces, j’en développais jusqu’à huit à la fois lorsque

j’avais un récipient assez grand. En bon débutant, j’étais à chaque fois heureux de voir

qu’il y avait quelque chose sur les clichés21. »

Les reportages : de la modernité des vuesd’architecture au documentaire social

10 Les deux journalistes et le photographe commencent le Tour du monde par les États-Unis,

et notamment la ville de New York. De nombreuses prises de vue de la métropole

montrent à quel point la ville fascinait le photographe. Pierre Verger est effectivement

imprégné des nouvelles expériences sensorielles engendrées par les transformations de la

ville22, et en particulier par des nouvelles conditions de vie : « À l’hôtel, j’avais la curieuse

impression d’avoir été enfermé dans une alvéole strictement cubique multipliée à l’infini,

tant à la verticale qu’à l’horizontale23. » Il cherche à saisir cette nouvelle atmosphère en

photographiant le nouveau paysage urbain : les ponts, les édifices new-yorkais, avec des

cadrages décentrés qui mettent en évidence sa démesure. Il réalise entre autres des vues

d’architecture dont plusieurs du Building Radio City. Une vue de cet immeuble, prise en

contre-plongée, présente au premier plan une statue représentant une femme, derrière

laquelle s’étirent les lignes structurantes du gratte-ciel (voir fig. 3). De même, l’image

imprimée du Paris-Soir du 23 avril montre une vue totalement décentrée de cet édifice par

une perspective accentuée vers le ciel, provoquant une grande dynamique de hauteur et

de vitesse (voir fig. 4). L’effet visuel recherché est ici purement graphique.

Fig. 3. P. Verger, New-York, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.

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11 Une photographie, reproduite sur la première page du 20 avril 1934, représente une vue

frontale des cheminées du paquebot S.S. Manhattan (voir fig. 2). Verger joue sur les lignes

et les formes, sur l’équilibre du plein et du vide, dans un style épuré. Il tire parti des

formes de la grande cheminée, haute et majestueuse, qui est entourée de deux autres plus

petites, aux formes rondes, pour provoquer un effet de symétrie. Les images de cette

série, par leur traitement graphique, épuré, décentré, sont formellement proches de

celles produites par les acteurs de l’avant-garde photographique de la nouvelle vision. Ces

images font également écho à la modernité du sujet. Il faut rappeler que Pierre Verger

évolue au cours des années 1920 et 1930 dans un monde changeant, transformé par la

reconstruction de l’après-guerre en France et par l’usage de nouveaux matériaux de

construction, qui aboutissent à de nouvelles formes d’architecture, majestueuses et

épurées, dont les gratte-ciel new-yorkais en sont le meilleur exemple. Toutes ces

composantes favorisent l’émergence de nouveaux regards portés sur le monde.

Fig. 4. Page 1 de Paris-Soir, n° 3851, 23 avril 1934, coll. BnF, Paris.

12 Cet univers urbain américain, extrêmement contrasté, offre à ses contemporains de

multiples aspects : l’image fascinante de la transformation de la ville mais également

l’image terrible d’une population touchée par une crise économique sans précédent.

Après le krach boursier de Wall Street de 1929, les États-Unis traversent une période

économique et sociale très difficile. Pierre Verger a représenté dans plusieurs clichés des

scènes de ce monde en crise. Des vues de rue et de campagne, en lien avec les articles

rédigés par les journalistes, rendent compte de cette réalité de crise socio-économique,

comme le révèlent aussi certains titres d’articles publiés dans Paris-Soir : « Les sans-

travail ; quelques centaines de mille vivent misérablement à New York… », « Wall Street

n’a pas le sourire » (voir fig. 4), « Les intellectuels sont les plus touchés par la crise

économique ». Dans le journal du 1er mai, l’article de Jules Sauerwein évoque les

conditions de vie des fermiers du Middle-West. Un portrait de Verger, non publié dans le

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journal mais conservé à la Fondation Pierre Verger, suggère ce climat. Il représente un

fermier avec un enfant. Le photographe met l’accent sur l’expression des visages et des

regards des deux modèles, en les saisissant devant un fond neutre, composé d’un mur de

planches horizontales.

13 La vie à Harlem est ensuite une thématique qui mobilise particulièrement les journalistes

de Paris-Soir dans leur enquête. Un article de Marc Chadourne, du 1er mai, porte sur le

quartier de Harlem à New York : « Dans Harlem, la ville des noirs. Le quartier de Harlem

est presque entièrement habité par les noirs américains plus connus là-bas sous la

dénomination de “coloredmen”. Voici quelques instantanés pris dans ce quartier. De haut

en bas : Une coiffeuse cherche à aplanir la coiffure crépue d’une cliente. Un chauffeur de

taxi qui conduit une voiture blanche. Le policier noir fait quelques observations à des

galopins24 […]. »

14 En page « trois » du journal, Marc Chadourne indique qu’« À Harlem, comme rue Blomet,

les blancs fréquentent volontiers les bals nègres25 ». Comme Marc Chadourne, Pierre

Verger fut sensible à cet aspect de New York et de nombreuses photographies des États-

Unis montrent l’intérêt qu’il porte à la culture noire afro-américaine, qui s’exprime à

travers le jazz. Bien que né à la Nouvelle-Orléans, le jazz prend toute son ampleur à

New York dans le quartier de Harlem, qui avait attiré de nombreux Noirs américains au

début du XXe siècle, et qui devient en 1930 « la capitale du monde noir américain » et un

foyer de création artistique majeur composé de peintres, sculpteurs et photographes

comme James Van Der Zee26. En 1935, le jazz sort de sa relative clandestinité et devient un

divertissement avec l’arrivée du swing27 : une danseuse que Verger a probablement

photographiée dans un cabaret new-yorkais en est une image représentative.

15 Le photographe a saisi inlassablement les habitants des quartiers modestes des grandes

villes américaines, documentant les attitudes, les gestes et les expressions de la

population afro-américaine. Il réalise toute une série de portraits dans la rue, coiffés

fréquemment d’une casquette-gavroche ou d’un chapeau de type Borsalino, les mains

dans les poches, déambulant dans les rues de New York, de la Nouvelle-Orléans ou de

San Francisco. Une scène de rue de Harlem représente deux enfants d’origine afro-

américaine, habillés des vêtements typiques de la mode de l’époque : l’un porte un

blouson cuir aviateur avec une gavroche, l’autre, une casquette d’aviateur (voir fig. 5).

Cadrés en plan rapproché, on perçoit nettement les attitudes de défis et les regards fiers

de ces enfants de la rue. Le photographe a saisi l’instant où l’un d’eux glisse sa main dans

la poche intérieure de sa veste : est-ce pour y cacher quelque chose, peut-être une arme ?

Est-ce seulement un portefeuille, ou bien des gants pour se protéger du froid ?

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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Fig. 5. P. Verger, Harlem, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.

16 Dans le même registre, il réalise le portrait d’un Noir américain, placé au centre de la

photographie et représenté de dos, en plan rapproché (voir fig. 6). Le photographe met en

valeur la présence de cet homme dans l’environnement urbain de New York en captant le

moment où il tourne légèrement la tête vers lui. Il joue sur l’équilibre des contrastes

sombres, denses et profonds du manteau noir de l’homme et de la lumière intense qui

éclaire les traits de son visage. Les reflets sur la carrosserie de la voiture au second plan et

sur les fenêtres de l’immeuble à l’arrière-plan viennent accentuer le contraste en

soulignant le profil droit de l’homme mis en lumière. Dans la ville de Charleston, en

Caroline du Sud, il photographie une mère et son fils (voir fig. 7). Adossée à un gros pilier,

la mère tient dans ses mains un grand parapluie et un paquet, tandis que l’enfant a les

mains dans les poches de sa veste. Ils regardent tous deux dans la même direction, vers la

rue grouillante de circulation. À l’arrière-plan, on distingue une voiture, sa

représentation est floue du fait qu’elle a été prise en pleine vitesse. Verger joue sur le

contraste formel pour mettre en avant la situation des États-Unis : l’imposant véhicule

symbolise la modernité, la vitesse, alors que les deux personnages représentent les

conséquences de cette industrialisation qui a engendré une profonde crise à la fin des

années 1920, celle de la pauvreté croissante au sein des villes. L’intérêt notoire de Pierre

Verger pour la communauté noire américaine est ainsi perçu au travers de cette série de

portraits, où il centre son attention sur les attitudes et les expressions de ces personnages

saisis dans des scènes de rue.

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Fig. 6. P. Verger, New-York, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.

17 L’œuvre photographique de Verger réalisée au cours de son séjour américain s’inscrit

dans une véritable modernité, marquée dans le traitement graphique de ses images et par

l’utilisation de points de vue basculés. Elle traduit également une conception de la

pratique orientée sur la représentation de l’homme, parfois à la manière du documentaire

social, se situant dans la lignée des travaux américains menés au cours des années 1930,

par la Farm Security Administration et la Photo League. Il semble que Verger fut d’emblée

attiré par les quartiers populaires et se soit naturellement dirigé vers la dimension sociale

de la photographie. Il n’adhérait à aucun parti politique même si, au début des

années 1930, il partit en Russie pour suivre un mouvement communiste, puis rejoignit,

lors de l’exposition de la Pléiade en 1935, le groupe de l’Association des artistes et

écrivains révolutionnaires (AEAR), ce qui peut d’une certaine manière expliquer sa

conscience politique, de même que la portée sociale de son œuvre. Ce qui rattache

cependant l’œuvre de Verger à celle des Américains des années 1930 concerne non

seulement les thèmes abordés, qui se caractérisent par un goût pour le social et par

l’intérêt porté à la figure humaine, mais aussi par le traitement stylistique employé. À la

manière de Walker Evans et de Dorothea Lange qui s’immiscent au cœur de l’action et

saisissent les expressions et les gestes des Américains, Pierre Verger met en avant sa

perception moderne, dynamique et réelle, de l’homme, qui invite à un renouvellement du

regard sur l’autre, notamment du Noir américain.

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Fig. 7. P. Verger, Charleston, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.

18 À la suite de son parcours aux États-Unis, Verger suit les deux journalistes dans leurs

reportages au Japon pendant quatre semaines, où il visite Tokyo, Kyoto, Nara et Oshima. Il

développe un intérêt particulier pour les contrastes saisissants qu’offre le pays. Il

photographie de nombreux sujets, tout en orientant ses recherches photographiques vers

une simplification des formes et des lignes. À l’occasion d’une série de reportages sur le

Tatsuta-Maru, lors de la traversée San Francisco-Yokohama28, Verger a saisi une image de

l’équipage du bateau dans une composition extrêmement dynamique, animée et

équilibrée entre les gestes et les figures des matelots disposés sur trois poutres

horizontales, qui occupent la partie supérieure de l’image, la forme rectangulaire des

seaux d’eau et la présence au centre et au premier plan d’un marin qui, le bras levé, s’est

tourné au moment de la prise de vue vers le photographe. Une autre photographie

témoigne de l’attention que Verger porte à la composition de l’image : prise à Kyoto, elle

représente deux personnes assises dans un grand hamac. Les éléments qui structurent

cette photographie reposent sur les formes courbes et blanches, résultant d’un jeu de

lumière sur le hamac, qui contrastent avec l’ambiance plutôt sombre de la cour.

19 Si les photographies de cette série évoquent le dépouillement, la pureté, l’art de vivre à la

japonaise, certaines renvoient aussi à des vues urbaines avec des images de l’architecture

moderne, des devantures de boutiques, des vues de la ville de Tokyo. De nombreux clichés

de Pierre Verger montrent également des scènes de vendeurs ambulants, des cireurs de

chaussures, ainsi que des familles vivant dans la rue. Ces séries d’images accompagnent

toute une suite d’articles sur les difficiles conditions de vie au Japon à cette époque, qui

touchent notamment le monde paysan. Le 20 juin, l’article de Marc Chadourne s’intitule

« Trente millions de paysans souffrent dans les campagnes miniatures. Les cultivateurs

japonais s’endettent de telle façon qu’ils n’ont même plus de quoi acheter le riz qu’ils

produisent en abondance29. » Le journaliste écrit également des chroniques sur le suicide

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des jeunes Japonais30 dans les montagnes d’Oshima, accompagnés de photographies de

Pierre Verger.

20 D’autres sujets de Jules Sauerwein et de Marc Chadourne relatent enfin la vie dans le

quartier des prostituées : « À Tokyo, des milliers de filles livrent leur jeunesse pour payer

les dettes de leur famille : officiellement danseuses, musiciennes, demoiselles de

compagnie, les célèbres geishas reçoivent dans les écoles spéciales une éducation soignée31. » Le journaliste évoque aussi qu’« une femme parle au Yoshiwara […] où les filles sans

joie vivent une existence de recluses ». Cet article de Marc Chadourne, publié le 29 juin

1934, est illustré par deux photographies de Pierre Verger : une montre une vue générale

de la rue de Yoshiwara, « le quartier du plaisir », et l’autre, recadrée et inversée pour les

besoins de la mise en pages, représente le portrait d’une geisha (voir fig. 8). Verger ne

« vole » pas ses images, ses portraits. Ils sont le fruit d’un accord tacite, d’un échange de

regard complice entre le photographe et le sujet photographié. Légendée dans le journal

par la phrase « un œil se laisse parfois entrevoir en dépit des prescriptions de police »,

cette photographie montre l’intensité de l’échange et la complicité des deux

protagonistes. Derrière une fenêtre apparaît la jeune femme, dont on aperçoit seulement

l’œil droit, grand ouvert : elle regarde le photographe de façon directe. La composition de

cette image est très subtile dans le jeu de matières, de lumières et de surfaces. Verger a

choisi de mettre l’accent sur ce regard, qui se détache de l’atmosphère générale froide, et

vient nous surprendre et nous impliquer dans l’intimé de cette jeune Japonaise. À l’instar

des sujets abordés par les journalistes, les photographies de Pierre Verger présentent les

scènes de la vie quotidienne au Japon et dressent le portrait d’une société en crise.

Fig. 8. Page 5 de Paris-Soir, n° 3918, 29 juin 1934, coll. BnF, Paris.

21 Le photographe accompagne ensuite les journalistes en Chine où il raconte qu’il « a été

pris à Pékin d’une dangereuse fièvre photographique » et qu’il a « bien dû y prendre

1 500 photos32 ». Il décrit, ainsi dans une lettre datée du 3 mai 1934 à l’intention de

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

Études photographiques, 32 | 2015

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Raymond Le Cerf, ses impressions sur la Chine : « Vieux, Patelin

splendide_inespéré_crasseux_Chinois à un point qu’on ne peut concevoir_des gueules

superbes et un soleil à faire jouir les photographes_c’est poussiéreux

mélangé_pagailleux_des chameaux dans les rues_des enterrements et des mariages_et

mon ami !–quels enterrements_avec tout le mobilier du défunt qui défile devant le

corbillard_et quelle belle musique de foire pour l’accompagner à sa dernière

demeure_des temples_des palais en pagaille_j’en ai plein les yeux et je voudrais bien tout

coller sur pellicule_Je n’ai guère le temps de t’écrire, lis “PARIS–SOIR33.” »

22 Au cours de son voyage en Chine, il visite les villes de Pékin, Nankin, Canton, Shanghai,

Xiamen et Hong Kong. Les sujets abordés sont très divers : religion, opium, nuits agitées.

Les articles rédigés par Marc Chadourne portent les titres suivants : « Le cocktail du

Bouddha vivant » le 8 août, « Fumerie d’opium » le 10 août, « Dans les bas-fonds de

Shanghai, fumeurs d’opium et morphinomanes s’entassent pêle-mêle dans des bouges

infâmes pour chercher un apaisement artificiel à leur misère » le 11 août. D’après les

photographies publiées dans Paris-Soir, mais également parmi celles conservées à la

Fondation Pierre Verger, bon nombre sont consacrées aux difficiles conditions de vie en

Chine à cette époque. Une photographie montre le portrait d’un Chinois en train de

mendier. Saisi frontalement, l’homme est habillé d’oripeaux et tient un chapeau entre ses

mains pour recevoir l’aumône. Le photographe resserre le cadre sur l’homme qui se

confond, par un jeu de matière, à son environnement. Son visage exprime un grand

désarroi et évoque la terrible pauvreté qui s’abat sur le pays. La photographie se substitue

aux paroles, aux écrits, elle montre l’essentiel. Aragon avait par ailleurs souligné la force

de ces images de Chine dans son article intitulé « Un salon photographique » : « Les

photographes qui exposent à la Pléiade ont honnêtement abordé le problème du contenu

social de la photographie, signalons le groupe de photos rapprochées par Verger consacré

à la Chine, au centre duquel un admirable portrait chinois, qu’entourent les aspects de la

misère […]. C’est ici, remarquons-le en passant, un des meilleurs essais d’utilisation pour

dire quelque chose34. »

23 Le contrat de Pierre Verger avec Paris-Soir prend fin en Chine. Il est contraint de

retourner à Paris même s’il aurait souhaité rester beaucoup plus longtemps dans ce pays35

. Les journalistes Jules Sauerwein et Marc Chadourne continuent quant à eux leur tour du

monde, en Russie et en Finlande pour le premier et aux Philippines pour le second.

24 Cette expérience de reporter, inaugurale pour le photographe dans le champ du

photojournalisme, vient affirmer sa position dans le monde de l’image et lui confirmer la

possibilité qu’il a de vivre de cette activité. Elle concourt à la mise en place de son style

photographique et à ses choix thématiques. Il privilégie en effet des thématiques sociales

et culturelles, souvent liées aux conditions de vie des hommes qu’il rencontre. Les motifs

de représentation qui suscitent son intérêt sont la ville, ses rues, ses habitants, son

architecture, et manifestent son souci de saisir l’homme dans un décor souvent urbain.

Refusant toute représentation spectaculaire, il favorise le reportage de fond, une prise de

distance par rapport à une actualité factuelle, et le traitement photographique de ses

sujets est associé à une recherche évidente de la composition. Entre photographie

d’avant-garde et tradition humaniste, ses clichés révèlent une attention portée à la

construction de l’image qui se caractérise par une recherche d’équilibre et de dynamisme.

Il joue sur les masses plastiques, les formes découpées, les rythmes contrastés et les lignes

géométriquement basculées, comme l’évoque Thomas Michael Gunther dans le livre

Photographies : « La composition savante des vues démontre à quel point il [Pierre

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

Études photographiques, 32 | 2015

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Verger] sait exploiter l’opposition des lignes verticales et horizontales et conjuguer les

premiers plans et les arrière-plans pour équilibrer l’espace visuel36. »

25 Même si la reconnaissance de son travail des années 1930 en tant que reporter reste

limitée dans l’histoire de la photographie, quelques images de ces reportages figurent

parmi les plus connues de son œuvre et s’imposent comme les clichés emblématiques du

début de sa carrière. La photographie du « Chinois mendiant » est effectivement repérée

dès 1935 par Aragon, la photographie représentant deux jeunes Noirs américains à

Harlem (voir fig. 5) est publiée dans la fameuse revue Photographie en 1937 et fait aussi la

couverture d’un livre publié en 1989 aux éditions du Désastre sur Pierre Verger. Enfin, la

« Jonque », prise en Chine, est également publiée dans le numéro de l’année 1936 de la

revue Photographie.

26 L’année 1934 marque ainsi le début de la collaboration du jeune reporter avec des

magazines et des revues, qui se poursuivra tout au long de sa carrière, d’abord au cours

des années 1930 grâce à son association en 1934 avec l’agence photographique Alliance

Photo aux côtés de Pierre Boucher, René Zuber et Emeric Feher. Par l’intermédiaire de

l’agence, ses photographies sont publiées dans de nombreux titres de la presse française (

Vu, Regards, Voilà, Paris-Magazine, Art et Médecine, etc.) et internationale (Life, Daily Mirror).

Verger contribue également à illustrer les ouvrages des éditions Paul Hartmann (En

Espagne en 1935, L’Italie, des Alpes à Sienne en 1936, Le Mexique en 1938). À partir des

années 1940 et de son contrat pour un magazine argentin El Mundo Argentino à

Buenos Aires en 1941-1942, il sera pleinement associé à un journal. Néanmoins, c’est en

tant que reporter photographe pour la revue brésilienne O’Cruzeiro de 1946 à 1951, puis de

1957 à 1960 pour la version internationale, que Pierre Verger mettra en place une

véritable esthétique du reportage, conciliant narration visuelle et esthétique des images37.

NOTES

1. Pierre VERGER, « Souvenir de reportage, Paris-Soir (1934-1935) », in 50 ans de photographie de

presse : archives photographiques de « Paris-Soir », « Match », « France-Soir » (cat. exp., Paris,

Bibliothèque historique de la Ville de Paris, hôtel de Lamoignon, 17 octobre-24 novembre 1990),

Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 1990, p. 22.

2. Selon Thierry GERVAIS : « le photoreportage est une pratique qui apparaît au début du XXe siècle

et qui se développe massivement dans les années 30 », in « Le plus grand reporter de guerre.

Jimmy Hare, photoreporter au tournant du XIXe et du XXe siècle », Études photographiques, no 26,

2010 (en ligne : http://etudesphotographiques.revues.org/3110).

3. Françoise DENOYELLE, La Lumière de Paris, t. II, Les usages de la photographie, 1919-1939 , Paris,

L’Harmattan, 1997, p. 9.

4.    « L’héliogravure, procédé de gravure en creux sur plaque ou cylindre de cuivre qui consiste à

graver la forme entière de la page, texte compris, à l’aide d’une trame quadrillée extrêmement

fine [...]. L’offset, quant à lui, rare à l’époque mais aujourd’hui le plus répandu, presque seul

subsistant, est un procédé de report à plat par l’intermédiaire d’un cylindre de caoutchouc, issu

directement de la lithographie ou de la zincographie puisque c’est ce matériau qui est utilisé

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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pour les plaques d’impression. » Alain FLEIG, Étant donné l’âge de la lumière, t. II, Naissance de la

photographie comme média, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1997, p. 101.

5.    Christian BOUQUERET, Des années folles aux années noires : la nouvelle vision photographique

en France 1920-1940, Paris, Marval, 1997, p. 146.

6. « Conçu dans un esprit nouveau et réalisé par des moyens nouveaux, Vu apporte en France une

formule neuve : le reportage illustré d’informations mondiales […]. De tous les points où se

produira un événement marquant, des photos, des dépêches, des articles parviendront à Vu, qui

reliera ainsi le public au monde entier par ses communiqués, ses chroniques, ses illustrations et

mettra à portée de l’œil la vie universelle. » Éditorial de Lucien VOGEL, Vu, 21 mars 1928.

7.    Marie DE THÉZY, « Cinquante ans de presse parisienne : Paris-Soir, Match, France-Soir », in

50 ans de photographie de presse, op. cit., p. 31. Cf. également F. DENOYELLE, La Lumière de Paris, t. II,

Les usages de la photographie, 1919-1939, op. cit., p. 102.

8.    Didier POURQUERY, Philippe LABARDE, Paris-Soir, France Soir la photo à la une, Paris, Paris

Musées, 2006, p. 6.

9.    « L’image est devenue la reine de notre temps. Nous ne nous contentons plus de savoir, nous

voulons voir. […]. Puisque Paris-Soir est un journal de Paris, et que son heure de mise en vente lui

permet de saisir par l’objectif les principaux événements de la journée, nous avons pensé que

l’image pourrait y tenir une place encore plus grande ». Éditorial de Jean PROUVOST, Paris-Soir,

2 mai 1931.

10.    Myriam CHERMETTE, « Le succès par l’image ? Heurs et malheurs des politiques éditoriales de

la presse quotidienne (1920-1940) », Études photographiques, no 20, juin 2007, p. 92.

11.   Jean PLANCHAIS, « Paris-Soir », in Olivier BARROT, Pascal ORY (dir.), Entre deux guerres, la

création française 1919-1939, Paris, François Bourin, 1990, p. 102.

12.   « Un bon nombre des images qui furent publiées dans le journal représente le travail

indépendant ou de commande de photographes, souvent réputés, qui vendaient des tirages à la

presse de temps à autre. Ainsi la proclamation de la République espagnole est illustrée par un

reportage réalisé à Madrid en 1931 par Germaine Krull. Entre 1936 et 1939, Robert Capa a envoyé

plus de 130 photographies prises à Tolède, à Barcelone et à Madrid au service photographique de

Paris-Soir […]. À différentes époques, Laure Albin Guillot, Ilse Bing, Brassaï, Robert Doisneau,

Rémi Duval, Emeric Feher, Gisèle Freund, François Kollar, Noël et Guy Le Boyer, André Ostier,

André Papillon, Gaston Paris, Émile Savitry, Sasha Stone, Raymond Voinquel, Ylla et René Zuber

ont travaillé pour Paris-Soir, Match ou France-Soir. » Thomas Michael GUNTHER, « Cinquante ans

de photographie de presse », 50 ans de photographie de presse, op. cit., p. 50.

13. Écrivain français (1895-1975) qui a reçu le prix Fémina 1930 avec Cécile de la Folie aux éditions

Plon, et auteur également du livre Vasco en 1927 qui était « une des choses qui avaient donné

envie [à Verger] d’aller dans les îles ». Pierre Verger, photographe, ethnologue, « Mémoire du

siècle », France Culture, réalisation Michèle Prudhon, 8 octobre 1989.

14.   Paris-Soir, 19 avril 1934, no 3847, p. 1.

15.   Jean-Noël JEANNENEY (dir.), Trésors photographiques de la Société de géographie, Paris,

Bibliothèque nationale de France / Glénat, 2006, p. 7.

16.   « Qu’on se figure les illustres voyageurs d’autrefois, Christophe Colomb, Mungo-Park,

Levaillant, etc, armés de nos ressources ; que de difficultés aplanies, que de problèmes vite

résolus ! Nous n’avons plus besoin de monter sur les vaisseaux des Cook et des Lapeyrouse pour

tenter de périlleux voyages ; l’héliographie, confiée à quelques intrépides, fera pour nous le tour

du monde, et nous rapportera l’univers en portefeuille, sans que nous quittions notre fauteuil. »

Louis de CORMENIN, Journal La Lumière, no 25, 12 juin 1852.

17.   Gisèle FREUND, Photographie et société, Paris, Seuil, 1974, p. 102.

18. Pierre VERGER, « Souvenirs de reportage, Paris-Soir (1934-1935) », op. cit., p. 21.

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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19.    Lettre de Pierre Verger à Raymond Le Cerf, le 9 mars 1934, conservée à la Fondation Pierre

Verger (FPV), Salvador de Bahia, Brésil.

20.   Entretien avec Jean-Claude GAUTRAND, « Pierre Verger le messager », Le photographe, no

1510, décembre 1993-janvier 1994, p. 28. Verger donne encore quelques détails concernant la

manière dont il développait ses films au cours de son séjour au Japon : « Le fait de développer

mes pellicules moi-même dans une chambre d’hôtel, n’était pas non plus pour rassurer une

police un peu soupçonneuse. Je jugeais prudent, lorsque je sortais, de laisser sécher mes films

ostensiblement pendus au-dessus de mon lavabo, pour leur en faciliter l’inspection et je pouvais

constater au retour qu’en effet ils étaient rangés dans un ordre différent. » Pierre VERGER, 50 anos

de fotografia, Salvador de Bahia, Corrupio, 1982, p. 13.

21. J.-C. GAUTRAND, « Pierre Verger le messager », art. cit., p. 28.

22.  Cf. Laetitia DEVEL, « Vitrines et miroirs urbains : communication visuelle et expérience de la

réflexivité », in Paola BERENSTEIN JACQUES, Henri-Pierre JEUDY (dir.), Corps et décors urbains : les

enjeux culturels des villes, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 130.

23.  Pierre VERGER, 50 anos de fotografia, op. cit., p. 15.

24.   Marc CHADOURNE, Paris-Soir, 1er mai 1934, dernière page.

25.   Ibid., p. 3.

26.   « L’identité culturelle se constitue sur la base d’une appartenance raciale. L’installation dans

le quartier de Harlem à la suite de l’exode vers le Nord permet ainsi à la population noire de

s’établir dans un lieu qui lui offre, malgré l’isolement dans un ghetto, une forme de liberté

culturelle qui rompt avec l’assujettissement vécu depuis l’esclavage. » Elvan ZABUNYAN, Black is a

Color : une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis voir, 2004, p. 20.

27.   Ibid., p. 79.

28. Un article en première page de Paris-Soir daté du 29 mai 1934 est intitulé : « En route pour

Yokohama à travers le Pacifique, de notre envoyé spécial Jules Sauerwein ».

29. Également le 21 juin 1934, Chadourne publie un article intitulé : « Sous la griffe de l’usurier le

paysan japonais se débat désespérément. Pour se procurer quelque argent, l’infortuné laboureur

en est parfois réduit à vendre sa fille à la ville ».

30. Le 5 juin, Paris-Soir annonce en page 1 : « Au printemps et en été des milliers de jeunes gens se

suicident au Japon ». Le 6 juin, en page 3, « Une ascension au cratère tragique où l’on se suicide

par un beau dimanche de printemps ». Le 7 juin, page 3 : « Qui saute ? Moi ? Et le jeune étudiant

japonais fit un bond et disparut dans le cratère en fleur ».

31.    Paris-Soir, 29 juin 1934.

32.    Lettre de Pierre Verger à Raymond Le Cerf, le 3 mai 1934, conservée à la FPV.

33.   Ibid.

34.    ARAGON, « Un salon photographique », Commune, juin 1935.

35.    P. VERGER, 50 anos de fotografia, op. cit., p. 53.

36.    Préface de Thomas Michael GUNTHER, Pierre Verger : photographies, Paris, Éditions du

Désastre, 1989, p. 2.

37. Cf. Fabienne MAILLARD, « La modernité du photojournalisme au Brésil : Pierre Verger et la

revue O’ Cruzeiro (1946-1951) », in Le Photojournalisme des années 1930 à nos jours, Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2014, p. 83-94.

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

Études photographiques, 32 | 2015

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RÉSUMÉS

Le 20 avril 1934, le journal Paris-Soir lance en première page un article intitulé le « Tour du

Monde », qui est le premier volet de toute une série de reportages parus entre avril et septembre

1934, composés d’articles signés de l’écrivain Marc Chadourne et du journaliste Jules Sauerwein,

et illustrés par les photographies de Pierre Verger. Il s’agit du premier photo-reportage de Pierre

Verger pour la presse. Cette commande s’inscrit dans le marché très dynamique de la presse

illustrée française de la période de l’entre-deux-guerres. L’amélioration des techniques

photographiques et de reproduction, mais aussi le désir des maisons de presse et d’édition

d’accorder davantage d’importance à l’image dans leurs mises en page, participent à l’avènement

de la photographie de reportage. Un nouveau marché de la photographie se met en place qui

permet à de nombreux photographes de s’inscrire dans un contexte économique et artistique, et

de développer de nouvelles perspectives de création. Cet article se propose de revenir sur cette

expérience inaugurale de Pierre Verger afin de révéler et d’analyser de manière inédite cet

ensemble de photographies sur les États-Unis, le Japon et la Chine, tout en évoquant le contexte

de la photographie de presse à cette époque.

AUTEUR

FABIENNE MAILLARD

Fabienne Maillard est docteure en histoire de l’art contemporain, auteure d’une thèse intitulée

L’art photographique de Pierre Verger : la modernité d’un regard (1932-1960) (Université Paris 4-

Sorbonne, 2009). Elle a enseigné en tant qu’ATER l’histoire de la photographie et la théorie des

images à l’Université Lumière Lyon 2 de 2011 à 2013. Lauréate de la bourse de recherche Louis

Roederer sur la photographie en 2011, elle a été également commissaire de l’exposition « Pierre

Verger » présentée au Jeu de Paume en 2005. Ses travaux, portant entre autres sur la

photographie documentaire et de reportage, et sur les rapports entre photographie et

anthropologie, ont été publiés dans des ouvrages collectifs et des revues spécialisées.

Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir

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