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Études photographiques
32 | Printemps 2015Interroger le genre / Retour sur l'amateur /Personnages de l'histoire
Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934pour Paris-SoirL’avènement d’un reporter photographe
Fabienne Maillard
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514ISSN : 1777-5302
ÉditeurSociété française de photographie
Édition impriméeDate de publication : 1 janvier 2015ISBN : 9782911961328ISSN : 1270-9050
Référence électroniqueFabienne Maillard, « Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir », Étudesphotographiques [En ligne], 32 | Printemps 2015, mis en ligne le 30 avril 2015, consulté le 04 mai 2019.URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3514
Ce document a été généré automatiquement le 4 mai 2019.
Propriété intellectuelle
Pierre Verger et le « Tour du monde » de1934 pour Paris-SoirL’avènement d’un reporter photographe
Fabienne Maillard
1 Le 20 avril 1934, le journal Paris-Soir lance en première page un article intitulé le « Tour
du monde », qui est le premier volet de toute une série de reportages parus entre avril et
septembre 1934, composés d’articles signés de l’écrivain Marc Chadourne et du
journaliste Jules Sauerwein, et illustrés par les photographies de Pierre Verger. Cette
publication est annoncée auparavant dans les éditions des 14, 16, 18 et 19 avril 1934 par la
formule : « Bientôt dans Paris-Soir, le Tour du monde 1934, par ses envoyés spéciaux Jules
Sauerwein et Marc Chadourne qu’une équipe de reporters photographes accompagne. »
Cent cinquante photographies de Pierre Verger furent publiées d’avril à septembre 1934
pour illustrer les chroniques des journalistes1. Il s’agit de son premier photoreportage
pour la presse. Cette commande s’inscrit dans le marché très dynamique de la presse
illustrée française de la période de l’entre-deux-guerres. L’amélioration des techniques
photographiques et de reproduction, mais aussi le désir des maisons de presse, d’édition
et de publicité d’accorder de plus en plus d’importance à l’image dans leurs mises en
pages, participent à l’avènement de la photographie de reportage2. Un nouveau marché
de la photographie se met en place qui permet à de nombreux photographes, notamment
à Paris, de s’inscrire dans un contexte économique et artistique, et de développer de
nouvelles perspectives en associant œuvres de commande et recherche esthétique3. Cet
article se propose de revenir sur cette expérience inaugurale de Pierre Verger afin de
révéler et d’analyser, de manière inédite, cet ensemble de photographies sur les États-
Unis, le Japon et la Chine, tout en évoquant le contexte de la photographie de presse à
cette époque.
Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir
Études photographiques, 32 | 2015
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Paris-Soir et la photographie de presse
2 L’avènement de nouvelles techniques d’impression et l’amélioration des appareils
photographiques participent à l’essor des magazines et journaux illustrés dans les
années 1920 et ainsi au développement de la photographie de reportage. Les progrès
réalisés dans les techniques d’impression, avec la mise en place de nouveaux procédés
comme l’héliogravure et l’offset4, permettent une reproduction de clichés de meilleure
qualité. L’amélioration des techniques photographiques, avec l’arrivée sur le marché du
Leica en 1925 et du Rolleiflex en 1929, procure au photographe une pratique plus libre et
plus souple de la photographie. Ces progrès techniques favorisent une nouvelle
production dans l’édition et la presse française5, davantage dédiée à l’image et à la
photographie. De nouveaux quotidiens et hebdomadaires sont ainsi lancés en France à la
fin des années 1920 par des innovateurs qui consacrent l’image comme l’élément clé de
leur journal : il s’agit de Lucien Vogel et de Jean Prouvost. Lucien Vogel met en vente le
21 mars 1928 l’un des premiers magazines illustrés, Vu. Dans son éditorial du premier
numéro, le directeur de Vu prône une ouverture sur le monde, notamment avec le
recours à la photographie comme forme d’illustration6. Elle devient le document de
référence dans les reportages d’actualité, renouvelant considérablement le métier de
photographe.
3 La nouvelle mise en pages du journal Paris-Soir, à partir de 1931, révèle également un
intérêt pour l’image. Jean Prouvost rachète Paris-Soir en 1930 et en fait un des principaux
quotidiens de la presse française. Le nombre d’exemplaires imprimés est signifiant : il
passe de 130 000 par jour en 1930 à 260 000 exemplaires l’année d’après, et connaîtra une
augmentation exponentielle au cours des années 1930, pour atteindre
1 800 000 exemplaires en 19397. Depuis mai 1931, le nouveau directeur, qui est un
véritable « innovateur8 », a remanié la mise en pages du journal en proposant une
nouvelle formule centrée sur la photographie : « La photographie est devenue la reine de
notre temps9 », écrit Jean Prouvost dans son éditorial du 2 mai 1931. L’image
photographique est mise en avant dans la nouvelle maquette : une série de clichés peut
occuper l’espace de la première et de la dernière page du journal, ce qui permet
d’accrocher le lecteur via une lecture d’abord visuelle. Pour réaliser cette nouvelle
présentation, le journal crée le plus grand service photographique de la presse
quotidienne française, dirigé par Paul Renaudon à la fin des années 1930, et fait appel à
vingt-deux photographes10, mais aussi six tireurs et téléphotographes11, ainsi que des
photographes indépendants12 tels que Pierre Verger.
4 Pierre Verger intègre l’équipe de Paris-Soir par l’intermédiaire de l’écrivain Marc
Chadourne13 qu’il a rencontré en janvier 1934. Cela fait alors tout juste deux ans que
Pierre Verger s’est formé à la pratique de la photographie auprès de son ami Pierre
Boucher, pratique qu’il expérimente ensuite à l’occasion d’un voyage dans les îles du
Pacifique durant l’année 1933. À son retour en janvier 1934, le jeune photographe de
trente-deux ans entreprend de présenter au romancier Marc Chadourne ses
photographies prises en Océanie afin de lui demander de rédiger un texte pour un album
photographique sur le Pacifique. L’écrivain se prépare au même moment à partir faire le
tour du monde pour le journal Paris-Soir, en compagnie du journaliste Jules Sauerwein, et
profite de cette entrevue avec Verger pour lui proposer de les accompagner en tant que
photographe afin d’illustrer leurs articles. En février 1934, la plupart des photographes
Pierre Verger et le « Tour du monde » de 1934 pour Paris-Soir
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étaient mobilisés par l’actualité parisienne autour des manifestations et émeutes qui
opposent les partisans de l’extrême droite avec les communistes, c’est « la crise du
6 février 1934 ». Pierre Verger bénéficie de ce fait de l’opportunité de faire le « Tour du
monde » pour Paris-Soir et s’achète un Rolleiflex pour son premier contrat en tant que
professionnel. Dès février 1934, il accompagne les deux journalistes pour une série de
reportages aux États-Unis, au Japon et en Chine.
Le « Tour du monde » de Paris-Soir
5 Avec le reportage intitulé « Le tour du monde » en 1934, Paris-Soir met l’accent sur le
caractère exclusif et sensationnel de cet événement. Le numéro du 19 avril présente un
encart conséquent, qui occupe l’espace inférieur gauche de la page de couverture,
communiquant la publication imminente du reportage (voir fig. 1). Cette annonce est
illustrée d’un photomontage de photographies et de mappemondes, de même que d’un
texte présentant les grandes lignes de ce reportage. Voici ce que l’on peut lire dans
l’éditorial de ce numéro :
« Les lecteurs de Paris-Soir, à partir de demain, vont faire le tour du monde. Non pasle tour du monde banal et délicieux, avec de brèves escales et de longues traversées,mais un tour du monde qui étreint véritablement la terre. Le monde tout entier esten frémissement. Partout, à chaque carrefour, se dressent, pareils à des Sphinx, derudes problèmes. […] Deux journalistes et écrivains de grande classe : MM. JULESSAUERWEIN et MARC CHADOURNE ont été associés pour mener à bien cette tâchecolossale. […]. Les images qu’ont recueillies auprès d’eux de nombreux reporters-photographes, dirigés par Pierre Verger, viendront encore aider l’imagination desvoyageurs immobiles […]. Un grand voyage, une plongée dans l’avenir, mais aussiun film pittoresque qui se déroulera devant nos lecteurs comme sur un écran. Enmême temps paraîtront les articles de Jules Sauerwein, ceux de Marc Chadourne etles documents de nos reporters-photographes. Ainsi, sous ces trois angles de vues,le monde apparaît aux lecteurs de “Paris-Soir” non seulement avec les couleurs,mais avec le relief de la vie14. »
6 L’expression « vont faire le tour du monde » montre que Paris-Soir souhaite que le
spectateur se sente concerné et soit plongé au cœur du voyage effectué par les
journalistes et le photographe. La photographie est également présentée comme un
médium qui permettra d’« aider l’imagination des voyageurs immobiles ». Cette idée de la
photographie comme un moyen de connaissance immédiate du monde, et comme
médium donnant accès à la représentation de celui-ci, est présente dès son invention. Les
chercheurs ont rapidement compris l’intérêt de cette nouvelle technique qui, par sa
précision et sa fidélité, se révèle efficace « pour bâtir un inventaire du monde15 ». Dès
1852, le critique d’art Louis de Cormenin avait tissé un lien entre la photographie, qu’il
nomme encore héliographie, et la notion de voyage, relevant la capacité de la
photographie à faire voyager le spectateur sans qu’il ne bouge de son « fauteuil16 ».
L’aspect novateur du journal tient au fait que la photographie permet en plus d’éveiller
l’imagination du lecteur. La photographie publiée dans la presse ouvre effectivement la
vision des lecteurs sur d’autres mondes. D’après Gisèle Freund : « L’introduction de la
photo dans la presse est un phénomène d’une importance capitale. Elle change la vision
des masses. Jusqu’alors, l’homme ordinaire ne pouvait visualiser que les événements qui
se passaient tout près de lui, dans sa rue, dans son village. Avec la photographie, une
fenêtre s’ouvre sur le monde. Les visages des personnages publics, les événements qui ont
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lieu dans le pays même et en dehors des frontières deviennent familiers. Avec
l’élargissement du regard, le monde se rétrécit17. »
Fig. 1. Page 1 de Paris-Soir, n° 3847, 19 avril 1934, n° 3847, coll. BnF, Paris.
7 Paris-Soir, en choisissant la formule du reportage illustré, participe à cette ouverture. Le
journal met en évidence la présence de la photographie en la représentant massivement.
Cet éditorial du 19 avril 1934 évoque d’autre part le fait que de « nombreux
photographes » ont été engagés et « dirigé[s] par Pierre Verger », alors que ce dernier
était véritablement le seul photographe accompagnant les deux journalistes. Cette
dimension de pluralité a pour ambition de souligner la valeur de l’image et son
importance au sein du reportage. Également, la première page du journal du 20 avril (voir
fig. 2), dont un des articles est annoncé par ces termes : « Fini le temps des beaux départs !
Aujourd’hui on s’embarque pour le tour de la terre comme on prend le métro… »,
présente deux portraits qui occupent le quart inférieur de la page, un titré « Jules
Sauerwein et Marc Chadourne sur le pont du “Manhattan” » et l’autre « Pierre Verger qui
dirigea l’équipe de nos reporters photographes ». Si la photographie des auteurs
correspond bien aux journalistes, celle légendée Pierre Verger, qui représente un
personnage debout en train de porter une caméra à son œil, ne correspond aucunement
au photographe. Son visage ne ressemble pas à celui de Pierre Verger à l’âge de trente
ans, d’autant plus que Verger travaille au Rolleiflex, un appareil photo que l’on porte sur
le ventre et non pas à l’œil. Cette photographie représente en fait l’acteur Paul Muni, à
bord du paquebot S.S. Manhattan, en train de filmer avec sa caméra. Elle a été prise par
Pierre Verger. En présentant les portraits des auteurs, autant écrivain que photographe,
en première page du journal, la rédaction a voulu les valoriser et les rendre identifiables
aux yeux des lecteurs, même si le portrait attribué à Pierre Verger était en fait celui de
Paul Muni.
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Fig. 2. Page 1 de Paris-Soir, n° 3848, 20 avril 1934, coll. BnF, Paris.
8 À travers sa mise en forme, axée sur les écrits des deux journalistes et la présence de
l’image, le journal s’oriente vers une dimension réaliste. Le reportage, dans sa nouvelle
conception, doit désormais révéler « le relief de la vie ». Loin des tonalités exotiques et
touristiques auxquelles les Français des années 1930 pouvaient s’attendre avec le thème
du « tour du monde », les articles des deux reporters dévoilent une approche
journalistique tournée vers la retranscription du réel. Ils réalisent des portraits de vie des
gens rencontrés au cours de leur voyage : Américains, Japonais, Chinois. Le propos de
leurs articles est fondé sur le témoignage de ces personnes qui évoquent leur vie
quotidienne, les problèmes économiques, sociaux et politiques qu’ils rencontrent et leurs
conséquences. Chaque reportage est accompagné de trois à six photographies réparties
sur une ou deux pages. En général, le photographe travaille seul, de manière assez libre,
et les journalistes enquêtent de leur côté. Pierre Verger témoigne que « [les] activités
gardèrent un caractère individuel et peu contraignant pour le photographe.
J’accompagnai rarement mes compagnons lors de leurs interviews. J’ai conservé le
souvenir de quelques ballades avec Chadourne, celle du volcan de l’île de Oshima au
Japon, et le pèlerinage au temple du Pic Merveilleux dans les collines à l’ouest de Pékin18
».
9 La majorité des photographies que Pierre Verger réalise pour le journal attestent de son
exaltation face à la découverte des États-Unis et de l’Asie. Dans une lettre destinée à son
ami parisien Raymond Le Cerf, il exprime sa fascination pour la nouvelle métropole de
New York et la rapidité avec laquelle il exécute les reportages : « Manhattan, 9 mars
1934 – Toute la journée je photographie en pagaille – des buildings – des taxis – des jeunes
filles – des nègres – des maires – des clochards – des sénateurs – des chiens de luxe – le
soir je développe et j’imprime et le lendemain je rends cela19. » Il fait preuve d’une
observation constante, il est rapide et efficace dans ses prises de vue et dans le
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développement de ses négatifs. Au cours de cette expérience, il va forger son regard et
acquérir une technique qui lui permet d’être autonome20 : « J’envoyais en effet certains
négatifs que je développais tant bien que mal dans des assiettes à soupe. Plaçant les films
dos-à-dos et deux à deux à l’aide de pinces, j’en développais jusqu’à huit à la fois lorsque
j’avais un récipient assez grand. En bon débutant, j’étais à chaque fois heureux de voir
qu’il y avait quelque chose sur les clichés21. »
Les reportages : de la modernité des vuesd’architecture au documentaire social
10 Les deux journalistes et le photographe commencent le Tour du monde par les États-Unis,
et notamment la ville de New York. De nombreuses prises de vue de la métropole
montrent à quel point la ville fascinait le photographe. Pierre Verger est effectivement
imprégné des nouvelles expériences sensorielles engendrées par les transformations de la
ville22, et en particulier par des nouvelles conditions de vie : « À l’hôtel, j’avais la curieuse
impression d’avoir été enfermé dans une alvéole strictement cubique multipliée à l’infini,
tant à la verticale qu’à l’horizontale23. » Il cherche à saisir cette nouvelle atmosphère en
photographiant le nouveau paysage urbain : les ponts, les édifices new-yorkais, avec des
cadrages décentrés qui mettent en évidence sa démesure. Il réalise entre autres des vues
d’architecture dont plusieurs du Building Radio City. Une vue de cet immeuble, prise en
contre-plongée, présente au premier plan une statue représentant une femme, derrière
laquelle s’étirent les lignes structurantes du gratte-ciel (voir fig. 3). De même, l’image
imprimée du Paris-Soir du 23 avril montre une vue totalement décentrée de cet édifice par
une perspective accentuée vers le ciel, provoquant une grande dynamique de hauteur et
de vitesse (voir fig. 4). L’effet visuel recherché est ici purement graphique.
Fig. 3. P. Verger, New-York, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.
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11 Une photographie, reproduite sur la première page du 20 avril 1934, représente une vue
frontale des cheminées du paquebot S.S. Manhattan (voir fig. 2). Verger joue sur les lignes
et les formes, sur l’équilibre du plein et du vide, dans un style épuré. Il tire parti des
formes de la grande cheminée, haute et majestueuse, qui est entourée de deux autres plus
petites, aux formes rondes, pour provoquer un effet de symétrie. Les images de cette
série, par leur traitement graphique, épuré, décentré, sont formellement proches de
celles produites par les acteurs de l’avant-garde photographique de la nouvelle vision. Ces
images font également écho à la modernité du sujet. Il faut rappeler que Pierre Verger
évolue au cours des années 1920 et 1930 dans un monde changeant, transformé par la
reconstruction de l’après-guerre en France et par l’usage de nouveaux matériaux de
construction, qui aboutissent à de nouvelles formes d’architecture, majestueuses et
épurées, dont les gratte-ciel new-yorkais en sont le meilleur exemple. Toutes ces
composantes favorisent l’émergence de nouveaux regards portés sur le monde.
Fig. 4. Page 1 de Paris-Soir, n° 3851, 23 avril 1934, coll. BnF, Paris.
12 Cet univers urbain américain, extrêmement contrasté, offre à ses contemporains de
multiples aspects : l’image fascinante de la transformation de la ville mais également
l’image terrible d’une population touchée par une crise économique sans précédent.
Après le krach boursier de Wall Street de 1929, les États-Unis traversent une période
économique et sociale très difficile. Pierre Verger a représenté dans plusieurs clichés des
scènes de ce monde en crise. Des vues de rue et de campagne, en lien avec les articles
rédigés par les journalistes, rendent compte de cette réalité de crise socio-économique,
comme le révèlent aussi certains titres d’articles publiés dans Paris-Soir : « Les sans-
travail ; quelques centaines de mille vivent misérablement à New York… », « Wall Street
n’a pas le sourire » (voir fig. 4), « Les intellectuels sont les plus touchés par la crise
économique ». Dans le journal du 1er mai, l’article de Jules Sauerwein évoque les
conditions de vie des fermiers du Middle-West. Un portrait de Verger, non publié dans le
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journal mais conservé à la Fondation Pierre Verger, suggère ce climat. Il représente un
fermier avec un enfant. Le photographe met l’accent sur l’expression des visages et des
regards des deux modèles, en les saisissant devant un fond neutre, composé d’un mur de
planches horizontales.
13 La vie à Harlem est ensuite une thématique qui mobilise particulièrement les journalistes
de Paris-Soir dans leur enquête. Un article de Marc Chadourne, du 1er mai, porte sur le
quartier de Harlem à New York : « Dans Harlem, la ville des noirs. Le quartier de Harlem
est presque entièrement habité par les noirs américains plus connus là-bas sous la
dénomination de “coloredmen”. Voici quelques instantanés pris dans ce quartier. De haut
en bas : Une coiffeuse cherche à aplanir la coiffure crépue d’une cliente. Un chauffeur de
taxi qui conduit une voiture blanche. Le policier noir fait quelques observations à des
galopins24 […]. »
14 En page « trois » du journal, Marc Chadourne indique qu’« À Harlem, comme rue Blomet,
les blancs fréquentent volontiers les bals nègres25 ». Comme Marc Chadourne, Pierre
Verger fut sensible à cet aspect de New York et de nombreuses photographies des États-
Unis montrent l’intérêt qu’il porte à la culture noire afro-américaine, qui s’exprime à
travers le jazz. Bien que né à la Nouvelle-Orléans, le jazz prend toute son ampleur à
New York dans le quartier de Harlem, qui avait attiré de nombreux Noirs américains au
début du XXe siècle, et qui devient en 1930 « la capitale du monde noir américain » et un
foyer de création artistique majeur composé de peintres, sculpteurs et photographes
comme James Van Der Zee26. En 1935, le jazz sort de sa relative clandestinité et devient un
divertissement avec l’arrivée du swing27 : une danseuse que Verger a probablement
photographiée dans un cabaret new-yorkais en est une image représentative.
15 Le photographe a saisi inlassablement les habitants des quartiers modestes des grandes
villes américaines, documentant les attitudes, les gestes et les expressions de la
population afro-américaine. Il réalise toute une série de portraits dans la rue, coiffés
fréquemment d’une casquette-gavroche ou d’un chapeau de type Borsalino, les mains
dans les poches, déambulant dans les rues de New York, de la Nouvelle-Orléans ou de
San Francisco. Une scène de rue de Harlem représente deux enfants d’origine afro-
américaine, habillés des vêtements typiques de la mode de l’époque : l’un porte un
blouson cuir aviateur avec une gavroche, l’autre, une casquette d’aviateur (voir fig. 5).
Cadrés en plan rapproché, on perçoit nettement les attitudes de défis et les regards fiers
de ces enfants de la rue. Le photographe a saisi l’instant où l’un d’eux glisse sa main dans
la poche intérieure de sa veste : est-ce pour y cacher quelque chose, peut-être une arme ?
Est-ce seulement un portefeuille, ou bien des gants pour se protéger du froid ?
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Fig. 5. P. Verger, Harlem, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.
16 Dans le même registre, il réalise le portrait d’un Noir américain, placé au centre de la
photographie et représenté de dos, en plan rapproché (voir fig. 6). Le photographe met en
valeur la présence de cet homme dans l’environnement urbain de New York en captant le
moment où il tourne légèrement la tête vers lui. Il joue sur l’équilibre des contrastes
sombres, denses et profonds du manteau noir de l’homme et de la lumière intense qui
éclaire les traits de son visage. Les reflets sur la carrosserie de la voiture au second plan et
sur les fenêtres de l’immeuble à l’arrière-plan viennent accentuer le contraste en
soulignant le profil droit de l’homme mis en lumière. Dans la ville de Charleston, en
Caroline du Sud, il photographie une mère et son fils (voir fig. 7). Adossée à un gros pilier,
la mère tient dans ses mains un grand parapluie et un paquet, tandis que l’enfant a les
mains dans les poches de sa veste. Ils regardent tous deux dans la même direction, vers la
rue grouillante de circulation. À l’arrière-plan, on distingue une voiture, sa
représentation est floue du fait qu’elle a été prise en pleine vitesse. Verger joue sur le
contraste formel pour mettre en avant la situation des États-Unis : l’imposant véhicule
symbolise la modernité, la vitesse, alors que les deux personnages représentent les
conséquences de cette industrialisation qui a engendré une profonde crise à la fin des
années 1920, celle de la pauvreté croissante au sein des villes. L’intérêt notoire de Pierre
Verger pour la communauté noire américaine est ainsi perçu au travers de cette série de
portraits, où il centre son attention sur les attitudes et les expressions de ces personnages
saisis dans des scènes de rue.
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Fig. 6. P. Verger, New-York, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.
17 L’œuvre photographique de Verger réalisée au cours de son séjour américain s’inscrit
dans une véritable modernité, marquée dans le traitement graphique de ses images et par
l’utilisation de points de vue basculés. Elle traduit également une conception de la
pratique orientée sur la représentation de l’homme, parfois à la manière du documentaire
social, se situant dans la lignée des travaux américains menés au cours des années 1930,
par la Farm Security Administration et la Photo League. Il semble que Verger fut d’emblée
attiré par les quartiers populaires et se soit naturellement dirigé vers la dimension sociale
de la photographie. Il n’adhérait à aucun parti politique même si, au début des
années 1930, il partit en Russie pour suivre un mouvement communiste, puis rejoignit,
lors de l’exposition de la Pléiade en 1935, le groupe de l’Association des artistes et
écrivains révolutionnaires (AEAR), ce qui peut d’une certaine manière expliquer sa
conscience politique, de même que la portée sociale de son œuvre. Ce qui rattache
cependant l’œuvre de Verger à celle des Américains des années 1930 concerne non
seulement les thèmes abordés, qui se caractérisent par un goût pour le social et par
l’intérêt porté à la figure humaine, mais aussi par le traitement stylistique employé. À la
manière de Walker Evans et de Dorothea Lange qui s’immiscent au cœur de l’action et
saisissent les expressions et les gestes des Américains, Pierre Verger met en avant sa
perception moderne, dynamique et réelle, de l’homme, qui invite à un renouvellement du
regard sur l’autre, notamment du Noir américain.
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Fig. 7. P. Verger, Charleston, États-Unis, 1934, coll. Fondation Pierre Verger, Salvador de Bahia.
18 À la suite de son parcours aux États-Unis, Verger suit les deux journalistes dans leurs
reportages au Japon pendant quatre semaines, où il visite Tokyo, Kyoto, Nara et Oshima. Il
développe un intérêt particulier pour les contrastes saisissants qu’offre le pays. Il
photographie de nombreux sujets, tout en orientant ses recherches photographiques vers
une simplification des formes et des lignes. À l’occasion d’une série de reportages sur le
Tatsuta-Maru, lors de la traversée San Francisco-Yokohama28, Verger a saisi une image de
l’équipage du bateau dans une composition extrêmement dynamique, animée et
équilibrée entre les gestes et les figures des matelots disposés sur trois poutres
horizontales, qui occupent la partie supérieure de l’image, la forme rectangulaire des
seaux d’eau et la présence au centre et au premier plan d’un marin qui, le bras levé, s’est
tourné au moment de la prise de vue vers le photographe. Une autre photographie
témoigne de l’attention que Verger porte à la composition de l’image : prise à Kyoto, elle
représente deux personnes assises dans un grand hamac. Les éléments qui structurent
cette photographie reposent sur les formes courbes et blanches, résultant d’un jeu de
lumière sur le hamac, qui contrastent avec l’ambiance plutôt sombre de la cour.
19 Si les photographies de cette série évoquent le dépouillement, la pureté, l’art de vivre à la
japonaise, certaines renvoient aussi à des vues urbaines avec des images de l’architecture
moderne, des devantures de boutiques, des vues de la ville de Tokyo. De nombreux clichés
de Pierre Verger montrent également des scènes de vendeurs ambulants, des cireurs de
chaussures, ainsi que des familles vivant dans la rue. Ces séries d’images accompagnent
toute une suite d’articles sur les difficiles conditions de vie au Japon à cette époque, qui
touchent notamment le monde paysan. Le 20 juin, l’article de Marc Chadourne s’intitule
« Trente millions de paysans souffrent dans les campagnes miniatures. Les cultivateurs
japonais s’endettent de telle façon qu’ils n’ont même plus de quoi acheter le riz qu’ils
produisent en abondance29. » Le journaliste écrit également des chroniques sur le suicide
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des jeunes Japonais30 dans les montagnes d’Oshima, accompagnés de photographies de
Pierre Verger.
20 D’autres sujets de Jules Sauerwein et de Marc Chadourne relatent enfin la vie dans le
quartier des prostituées : « À Tokyo, des milliers de filles livrent leur jeunesse pour payer
les dettes de leur famille : officiellement danseuses, musiciennes, demoiselles de
compagnie, les célèbres geishas reçoivent dans les écoles spéciales une éducation soignée31. » Le journaliste évoque aussi qu’« une femme parle au Yoshiwara […] où les filles sans
joie vivent une existence de recluses ». Cet article de Marc Chadourne, publié le 29 juin
1934, est illustré par deux photographies de Pierre Verger : une montre une vue générale
de la rue de Yoshiwara, « le quartier du plaisir », et l’autre, recadrée et inversée pour les
besoins de la mise en pages, représente le portrait d’une geisha (voir fig. 8). Verger ne
« vole » pas ses images, ses portraits. Ils sont le fruit d’un accord tacite, d’un échange de
regard complice entre le photographe et le sujet photographié. Légendée dans le journal
par la phrase « un œil se laisse parfois entrevoir en dépit des prescriptions de police »,
cette photographie montre l’intensité de l’échange et la complicité des deux
protagonistes. Derrière une fenêtre apparaît la jeune femme, dont on aperçoit seulement
l’œil droit, grand ouvert : elle regarde le photographe de façon directe. La composition de
cette image est très subtile dans le jeu de matières, de lumières et de surfaces. Verger a
choisi de mettre l’accent sur ce regard, qui se détache de l’atmosphère générale froide, et
vient nous surprendre et nous impliquer dans l’intimé de cette jeune Japonaise. À l’instar
des sujets abordés par les journalistes, les photographies de Pierre Verger présentent les
scènes de la vie quotidienne au Japon et dressent le portrait d’une société en crise.
Fig. 8. Page 5 de Paris-Soir, n° 3918, 29 juin 1934, coll. BnF, Paris.
21 Le photographe accompagne ensuite les journalistes en Chine où il raconte qu’il « a été
pris à Pékin d’une dangereuse fièvre photographique » et qu’il a « bien dû y prendre
1 500 photos32 ». Il décrit, ainsi dans une lettre datée du 3 mai 1934 à l’intention de
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Raymond Le Cerf, ses impressions sur la Chine : « Vieux, Patelin
splendide_inespéré_crasseux_Chinois à un point qu’on ne peut concevoir_des gueules
superbes et un soleil à faire jouir les photographes_c’est poussiéreux
mélangé_pagailleux_des chameaux dans les rues_des enterrements et des mariages_et
mon ami !–quels enterrements_avec tout le mobilier du défunt qui défile devant le
corbillard_et quelle belle musique de foire pour l’accompagner à sa dernière
demeure_des temples_des palais en pagaille_j’en ai plein les yeux et je voudrais bien tout
coller sur pellicule_Je n’ai guère le temps de t’écrire, lis “PARIS–SOIR33.” »
22 Au cours de son voyage en Chine, il visite les villes de Pékin, Nankin, Canton, Shanghai,
Xiamen et Hong Kong. Les sujets abordés sont très divers : religion, opium, nuits agitées.
Les articles rédigés par Marc Chadourne portent les titres suivants : « Le cocktail du
Bouddha vivant » le 8 août, « Fumerie d’opium » le 10 août, « Dans les bas-fonds de
Shanghai, fumeurs d’opium et morphinomanes s’entassent pêle-mêle dans des bouges
infâmes pour chercher un apaisement artificiel à leur misère » le 11 août. D’après les
photographies publiées dans Paris-Soir, mais également parmi celles conservées à la
Fondation Pierre Verger, bon nombre sont consacrées aux difficiles conditions de vie en
Chine à cette époque. Une photographie montre le portrait d’un Chinois en train de
mendier. Saisi frontalement, l’homme est habillé d’oripeaux et tient un chapeau entre ses
mains pour recevoir l’aumône. Le photographe resserre le cadre sur l’homme qui se
confond, par un jeu de matière, à son environnement. Son visage exprime un grand
désarroi et évoque la terrible pauvreté qui s’abat sur le pays. La photographie se substitue
aux paroles, aux écrits, elle montre l’essentiel. Aragon avait par ailleurs souligné la force
de ces images de Chine dans son article intitulé « Un salon photographique » : « Les
photographes qui exposent à la Pléiade ont honnêtement abordé le problème du contenu
social de la photographie, signalons le groupe de photos rapprochées par Verger consacré
à la Chine, au centre duquel un admirable portrait chinois, qu’entourent les aspects de la
misère […]. C’est ici, remarquons-le en passant, un des meilleurs essais d’utilisation pour
dire quelque chose34. »
23 Le contrat de Pierre Verger avec Paris-Soir prend fin en Chine. Il est contraint de
retourner à Paris même s’il aurait souhaité rester beaucoup plus longtemps dans ce pays35
. Les journalistes Jules Sauerwein et Marc Chadourne continuent quant à eux leur tour du
monde, en Russie et en Finlande pour le premier et aux Philippines pour le second.
24 Cette expérience de reporter, inaugurale pour le photographe dans le champ du
photojournalisme, vient affirmer sa position dans le monde de l’image et lui confirmer la
possibilité qu’il a de vivre de cette activité. Elle concourt à la mise en place de son style
photographique et à ses choix thématiques. Il privilégie en effet des thématiques sociales
et culturelles, souvent liées aux conditions de vie des hommes qu’il rencontre. Les motifs
de représentation qui suscitent son intérêt sont la ville, ses rues, ses habitants, son
architecture, et manifestent son souci de saisir l’homme dans un décor souvent urbain.
Refusant toute représentation spectaculaire, il favorise le reportage de fond, une prise de
distance par rapport à une actualité factuelle, et le traitement photographique de ses
sujets est associé à une recherche évidente de la composition. Entre photographie
d’avant-garde et tradition humaniste, ses clichés révèlent une attention portée à la
construction de l’image qui se caractérise par une recherche d’équilibre et de dynamisme.
Il joue sur les masses plastiques, les formes découpées, les rythmes contrastés et les lignes
géométriquement basculées, comme l’évoque Thomas Michael Gunther dans le livre
Photographies : « La composition savante des vues démontre à quel point il [Pierre
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Verger] sait exploiter l’opposition des lignes verticales et horizontales et conjuguer les
premiers plans et les arrière-plans pour équilibrer l’espace visuel36. »
25 Même si la reconnaissance de son travail des années 1930 en tant que reporter reste
limitée dans l’histoire de la photographie, quelques images de ces reportages figurent
parmi les plus connues de son œuvre et s’imposent comme les clichés emblématiques du
début de sa carrière. La photographie du « Chinois mendiant » est effectivement repérée
dès 1935 par Aragon, la photographie représentant deux jeunes Noirs américains à
Harlem (voir fig. 5) est publiée dans la fameuse revue Photographie en 1937 et fait aussi la
couverture d’un livre publié en 1989 aux éditions du Désastre sur Pierre Verger. Enfin, la
« Jonque », prise en Chine, est également publiée dans le numéro de l’année 1936 de la
revue Photographie.
26 L’année 1934 marque ainsi le début de la collaboration du jeune reporter avec des
magazines et des revues, qui se poursuivra tout au long de sa carrière, d’abord au cours
des années 1930 grâce à son association en 1934 avec l’agence photographique Alliance
Photo aux côtés de Pierre Boucher, René Zuber et Emeric Feher. Par l’intermédiaire de
l’agence, ses photographies sont publiées dans de nombreux titres de la presse française (
Vu, Regards, Voilà, Paris-Magazine, Art et Médecine, etc.) et internationale (Life, Daily Mirror).
Verger contribue également à illustrer les ouvrages des éditions Paul Hartmann (En
Espagne en 1935, L’Italie, des Alpes à Sienne en 1936, Le Mexique en 1938). À partir des
années 1940 et de son contrat pour un magazine argentin El Mundo Argentino à
Buenos Aires en 1941-1942, il sera pleinement associé à un journal. Néanmoins, c’est en
tant que reporter photographe pour la revue brésilienne O’Cruzeiro de 1946 à 1951, puis de
1957 à 1960 pour la version internationale, que Pierre Verger mettra en place une
véritable esthétique du reportage, conciliant narration visuelle et esthétique des images37.
NOTES
1. Pierre VERGER, « Souvenir de reportage, Paris-Soir (1934-1935) », in 50 ans de photographie de
presse : archives photographiques de « Paris-Soir », « Match », « France-Soir » (cat. exp., Paris,
Bibliothèque historique de la Ville de Paris, hôtel de Lamoignon, 17 octobre-24 novembre 1990),
Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 1990, p. 22.
2. Selon Thierry GERVAIS : « le photoreportage est une pratique qui apparaît au début du XXe siècle
et qui se développe massivement dans les années 30 », in « Le plus grand reporter de guerre.
Jimmy Hare, photoreporter au tournant du XIXe et du XXe siècle », Études photographiques, no 26,
2010 (en ligne : http://etudesphotographiques.revues.org/3110).
3. Françoise DENOYELLE, La Lumière de Paris, t. II, Les usages de la photographie, 1919-1939 , Paris,
L’Harmattan, 1997, p. 9.
4. « L’héliogravure, procédé de gravure en creux sur plaque ou cylindre de cuivre qui consiste à
graver la forme entière de la page, texte compris, à l’aide d’une trame quadrillée extrêmement
fine [...]. L’offset, quant à lui, rare à l’époque mais aujourd’hui le plus répandu, presque seul
subsistant, est un procédé de report à plat par l’intermédiaire d’un cylindre de caoutchouc, issu
directement de la lithographie ou de la zincographie puisque c’est ce matériau qui est utilisé
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pour les plaques d’impression. » Alain FLEIG, Étant donné l’âge de la lumière, t. II, Naissance de la
photographie comme média, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1997, p. 101.
5. Christian BOUQUERET, Des années folles aux années noires : la nouvelle vision photographique
en France 1920-1940, Paris, Marval, 1997, p. 146.
6. « Conçu dans un esprit nouveau et réalisé par des moyens nouveaux, Vu apporte en France une
formule neuve : le reportage illustré d’informations mondiales […]. De tous les points où se
produira un événement marquant, des photos, des dépêches, des articles parviendront à Vu, qui
reliera ainsi le public au monde entier par ses communiqués, ses chroniques, ses illustrations et
mettra à portée de l’œil la vie universelle. » Éditorial de Lucien VOGEL, Vu, 21 mars 1928.
7. Marie DE THÉZY, « Cinquante ans de presse parisienne : Paris-Soir, Match, France-Soir », in
50 ans de photographie de presse, op. cit., p. 31. Cf. également F. DENOYELLE, La Lumière de Paris, t. II,
Les usages de la photographie, 1919-1939, op. cit., p. 102.
8. Didier POURQUERY, Philippe LABARDE, Paris-Soir, France Soir la photo à la une, Paris, Paris
Musées, 2006, p. 6.
9. « L’image est devenue la reine de notre temps. Nous ne nous contentons plus de savoir, nous
voulons voir. […]. Puisque Paris-Soir est un journal de Paris, et que son heure de mise en vente lui
permet de saisir par l’objectif les principaux événements de la journée, nous avons pensé que
l’image pourrait y tenir une place encore plus grande ». Éditorial de Jean PROUVOST, Paris-Soir,
2 mai 1931.
10. Myriam CHERMETTE, « Le succès par l’image ? Heurs et malheurs des politiques éditoriales de
la presse quotidienne (1920-1940) », Études photographiques, no 20, juin 2007, p. 92.
11. Jean PLANCHAIS, « Paris-Soir », in Olivier BARROT, Pascal ORY (dir.), Entre deux guerres, la
création française 1919-1939, Paris, François Bourin, 1990, p. 102.
12. « Un bon nombre des images qui furent publiées dans le journal représente le travail
indépendant ou de commande de photographes, souvent réputés, qui vendaient des tirages à la
presse de temps à autre. Ainsi la proclamation de la République espagnole est illustrée par un
reportage réalisé à Madrid en 1931 par Germaine Krull. Entre 1936 et 1939, Robert Capa a envoyé
plus de 130 photographies prises à Tolède, à Barcelone et à Madrid au service photographique de
Paris-Soir […]. À différentes époques, Laure Albin Guillot, Ilse Bing, Brassaï, Robert Doisneau,
Rémi Duval, Emeric Feher, Gisèle Freund, François Kollar, Noël et Guy Le Boyer, André Ostier,
André Papillon, Gaston Paris, Émile Savitry, Sasha Stone, Raymond Voinquel, Ylla et René Zuber
ont travaillé pour Paris-Soir, Match ou France-Soir. » Thomas Michael GUNTHER, « Cinquante ans
de photographie de presse », 50 ans de photographie de presse, op. cit., p. 50.
13. Écrivain français (1895-1975) qui a reçu le prix Fémina 1930 avec Cécile de la Folie aux éditions
Plon, et auteur également du livre Vasco en 1927 qui était « une des choses qui avaient donné
envie [à Verger] d’aller dans les îles ». Pierre Verger, photographe, ethnologue, « Mémoire du
siècle », France Culture, réalisation Michèle Prudhon, 8 octobre 1989.
14. Paris-Soir, 19 avril 1934, no 3847, p. 1.
15. Jean-Noël JEANNENEY (dir.), Trésors photographiques de la Société de géographie, Paris,
Bibliothèque nationale de France / Glénat, 2006, p. 7.
16. « Qu’on se figure les illustres voyageurs d’autrefois, Christophe Colomb, Mungo-Park,
Levaillant, etc, armés de nos ressources ; que de difficultés aplanies, que de problèmes vite
résolus ! Nous n’avons plus besoin de monter sur les vaisseaux des Cook et des Lapeyrouse pour
tenter de périlleux voyages ; l’héliographie, confiée à quelques intrépides, fera pour nous le tour
du monde, et nous rapportera l’univers en portefeuille, sans que nous quittions notre fauteuil. »
Louis de CORMENIN, Journal La Lumière, no 25, 12 juin 1852.
17. Gisèle FREUND, Photographie et société, Paris, Seuil, 1974, p. 102.
18. Pierre VERGER, « Souvenirs de reportage, Paris-Soir (1934-1935) », op. cit., p. 21.
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19. Lettre de Pierre Verger à Raymond Le Cerf, le 9 mars 1934, conservée à la Fondation Pierre
Verger (FPV), Salvador de Bahia, Brésil.
20. Entretien avec Jean-Claude GAUTRAND, « Pierre Verger le messager », Le photographe, no
1510, décembre 1993-janvier 1994, p. 28. Verger donne encore quelques détails concernant la
manière dont il développait ses films au cours de son séjour au Japon : « Le fait de développer
mes pellicules moi-même dans une chambre d’hôtel, n’était pas non plus pour rassurer une
police un peu soupçonneuse. Je jugeais prudent, lorsque je sortais, de laisser sécher mes films
ostensiblement pendus au-dessus de mon lavabo, pour leur en faciliter l’inspection et je pouvais
constater au retour qu’en effet ils étaient rangés dans un ordre différent. » Pierre VERGER, 50 anos
de fotografia, Salvador de Bahia, Corrupio, 1982, p. 13.
21. J.-C. GAUTRAND, « Pierre Verger le messager », art. cit., p. 28.
22. Cf. Laetitia DEVEL, « Vitrines et miroirs urbains : communication visuelle et expérience de la
réflexivité », in Paola BERENSTEIN JACQUES, Henri-Pierre JEUDY (dir.), Corps et décors urbains : les
enjeux culturels des villes, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 130.
23. Pierre VERGER, 50 anos de fotografia, op. cit., p. 15.
24. Marc CHADOURNE, Paris-Soir, 1er mai 1934, dernière page.
25. Ibid., p. 3.
26. « L’identité culturelle se constitue sur la base d’une appartenance raciale. L’installation dans
le quartier de Harlem à la suite de l’exode vers le Nord permet ainsi à la population noire de
s’établir dans un lieu qui lui offre, malgré l’isolement dans un ghetto, une forme de liberté
culturelle qui rompt avec l’assujettissement vécu depuis l’esclavage. » Elvan ZABUNYAN, Black is a
Color : une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis voir, 2004, p. 20.
27. Ibid., p. 79.
28. Un article en première page de Paris-Soir daté du 29 mai 1934 est intitulé : « En route pour
Yokohama à travers le Pacifique, de notre envoyé spécial Jules Sauerwein ».
29. Également le 21 juin 1934, Chadourne publie un article intitulé : « Sous la griffe de l’usurier le
paysan japonais se débat désespérément. Pour se procurer quelque argent, l’infortuné laboureur
en est parfois réduit à vendre sa fille à la ville ».
30. Le 5 juin, Paris-Soir annonce en page 1 : « Au printemps et en été des milliers de jeunes gens se
suicident au Japon ». Le 6 juin, en page 3, « Une ascension au cratère tragique où l’on se suicide
par un beau dimanche de printemps ». Le 7 juin, page 3 : « Qui saute ? Moi ? Et le jeune étudiant
japonais fit un bond et disparut dans le cratère en fleur ».
31. Paris-Soir, 29 juin 1934.
32. Lettre de Pierre Verger à Raymond Le Cerf, le 3 mai 1934, conservée à la FPV.
33. Ibid.
34. ARAGON, « Un salon photographique », Commune, juin 1935.
35. P. VERGER, 50 anos de fotografia, op. cit., p. 53.
36. Préface de Thomas Michael GUNTHER, Pierre Verger : photographies, Paris, Éditions du
Désastre, 1989, p. 2.
37. Cf. Fabienne MAILLARD, « La modernité du photojournalisme au Brésil : Pierre Verger et la
revue O’ Cruzeiro (1946-1951) », in Le Photojournalisme des années 1930 à nos jours, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014, p. 83-94.
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RÉSUMÉS
Le 20 avril 1934, le journal Paris-Soir lance en première page un article intitulé le « Tour du
Monde », qui est le premier volet de toute une série de reportages parus entre avril et septembre
1934, composés d’articles signés de l’écrivain Marc Chadourne et du journaliste Jules Sauerwein,
et illustrés par les photographies de Pierre Verger. Il s’agit du premier photo-reportage de Pierre
Verger pour la presse. Cette commande s’inscrit dans le marché très dynamique de la presse
illustrée française de la période de l’entre-deux-guerres. L’amélioration des techniques
photographiques et de reproduction, mais aussi le désir des maisons de presse et d’édition
d’accorder davantage d’importance à l’image dans leurs mises en page, participent à l’avènement
de la photographie de reportage. Un nouveau marché de la photographie se met en place qui
permet à de nombreux photographes de s’inscrire dans un contexte économique et artistique, et
de développer de nouvelles perspectives de création. Cet article se propose de revenir sur cette
expérience inaugurale de Pierre Verger afin de révéler et d’analyser de manière inédite cet
ensemble de photographies sur les États-Unis, le Japon et la Chine, tout en évoquant le contexte
de la photographie de presse à cette époque.
AUTEUR
FABIENNE MAILLARD
Fabienne Maillard est docteure en histoire de l’art contemporain, auteure d’une thèse intitulée
L’art photographique de Pierre Verger : la modernité d’un regard (1932-1960) (Université Paris 4-
Sorbonne, 2009). Elle a enseigné en tant qu’ATER l’histoire de la photographie et la théorie des
images à l’Université Lumière Lyon 2 de 2011 à 2013. Lauréate de la bourse de recherche Louis
Roederer sur la photographie en 2011, elle a été également commissaire de l’exposition « Pierre
Verger » présentée au Jeu de Paume en 2005. Ses travaux, portant entre autres sur la
photographie documentaire et de reportage, et sur les rapports entre photographie et
anthropologie, ont été publiés dans des ouvrages collectifs et des revues spécialisées.
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