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    Université de LiègeFaculté de Philosophie et Lettres

    Département des Arts et Sciences de la Communication

    « PISSER BLEU »Les pratiques de communication managériale chez Décathlon,

    une source d’adhésion des travailleurs à l’org anisation.

    Mémoire présenté par Pirard Alexandraen vue de l’obtention du grade deMaster en Information et Communication

    Année Académique 2011/ 2012

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    INTRODUCTION

    Le 24 décembre 2010 peu avant 18 h00, dans le magasin Décathlon d’Alleur en

    périphérie liégeoise, une cliente se retrouve perplexe face à un rayon croulant sous d

    nombreux modèles de bottines de randonnée. Mission délicate : elle cherche une paire dchaussures à poser sous le sapin pour son mari. Quelques minutes et conseils plus tard, cetdame remercie chaleureusement la vendeuse qui l’a aidée à faire son choix. En s’ éloignant

    vers l’allée des caisses, elle ajoute : «Vous avez de la chance d’être là un soir commeaujourd’hui, avec les autres jeunes vendeurs. Vous semblez être une grande famille, c’est

    sympa.» La vendeuse lui souhaite un bon réveillon et s’en retourne lacer les chaussures sur le présentoir. Quelque peu interloquée : «comment quelqu’un pouvait -il penser que l’endroitidéal pour passer le début de soirée de réveillon de Noël se trouvait là, au boulot, à ranger dchaussures de randonnée ? »

    Ceci relèvedu registre de l’anecdote, et elle n’est qu’une parmi de nombreuses autresqui piqua le questionnement de cette vendeuse, notre questionnement. Qu’est -ce qui avait pudonner à cette cliente particulière, à la clientèle en général et, principalement, à certaincollègues vendeurs avec qui nous discutions, ce sentiment d’appartenance à une communauté

    et même plus, à une famille? Cette anecdote nous donna l’envie de comprendre et donc de

    réaliser cette recherche. Une intuition fondée sur une période assez longue d’observation noussoufflait à l’oreille que cette impression d’appartenance pouvait être suscitée par une puissante

    culture d’entreprise et donc par la communication interne de l’enseigne. L’objet de ce

    mémoire porte donc sur la communication internedans la multinationale d’articles de sport,Décathlon.

    Cependant ce concept de communication interne, souvent usité, pose en lui-mêmquelques problèmes. Comme l’a souligné Bernard Floris, ce terme suppose une nette

    séparation entre une communication interne destinée aux salariés d’une entreprise et unecommunication externe destinée aux personnes extérieures à l’entreprise, soit dans le cas quinous concerne: les consommateurs. Or dans les faits, la distinction s’avère plus complexe. Ceconcept sépare artificiellement deux types de personnes qui peuvent être liées. Un mêmindividu peut à la fois être interne et externe : le salarié peut effectivement aussi être u

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    consommateur. D’autres ne sont ni dehors ni dedans, c’est le cas des actionnaires, des

    fournisseurs ou encore des sous-traitants, qui possèdent pourtant des intérêts communconcernant la bonne santé économique de l’entreprise. En outre, les fondements idéologiques

    employés doivent être cohérents et être donc sensiblement les mêmes, tant en interne qu’en

    externe1. Effectivement la communication interne, comme nous le décrirons, ainsi que lacommunication externe, à travers notamment la publicité, ont pour objectif de donner unimage jeune, dynamique et sportive de Décathlon. Le travailleur représente en quelque sorune vitrine pour l’extérieur. Ainsi, selon une citation de Philippe Schwebig, « la qualité de lacommunication interne représente la condition première de la qualité de la communicatioexterne. »2 Sans poursuivre plus longuement ce débat terminologique, nous admettons que cterme usuel de communication interne ne nous satisfait pas. Nous lui préférons celui d

    « communication managériale». Nous nommons communication managériale l’ensemble destechniques de communication élaborées par la gestion des ressources humaines et les chargde communication destinées aux salariés d’une entreprise.

    « L'adhésion volontaire active des travailleurs vaut plus pour l'organisation que lsoumission docile. »3 Partant de cette citation de la sociologue française Hélène Weber, quianalysait la culture d’entreprise au sein de la multinationale américaine de restauration rapide,

    McDonald's, nous tenterons de découvrir si cette réflexion vaut également pour Décathlo

    Nous essayerons de savoir si l’entreprise tente consciemment de faire adhérer les travailleurs à

    son système organisationnel. Notre hypothèse de départ étant que la communicatiomanagériale chez Décathlon n’a pas pour unique vocation d’organiser la vente, mais qu’elle

    joue un rôle primordial dans l’engagement subjectif des travailleurs. Par cette étude, nous

    chercherons donc à déterminer si cette hypothèse peut être considérée comme correcte. Poce faire, la première partie de ce mémoire sera consacrée à la contextualisation de not

    problématique. Nous relaterons brièvement l’histoire de l’entreprise Décathlon. Nous

    1 Bernard Floris,La communication managériale : la modernisation symbolique des entreprises , Grenoble, PUG,1996, pp. 182-187. 2 Philippe Schwebig,Les communications de l’entreprise , Paris, Mac Graw-Hill, 1986.

    3 Hélène Weber, Du Ketchup dans les veines : pratiques managériales et illusions. Le cas Mc Donald’s , Toulouse,érès, 2011, p. 32.

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    exposerons la chronologie des rapports que nous, chercheur, avons entretenus avec elle. nous conclurons cette première partie par l’ évolution historique du management afin de biencerner en quoi celui pratiqué chez Décathlon relève du management participatif. La second

    partie de ce travail s’attachera à expliquer et justifier la méthodologie utilisée lors de nos

    recherches. Cette méthode mêle, nous le verrons, entretiens qualitatifs et analyse ddocuments internes à l’entreprise. Enfin, la troisième et majeure partie de ce mémoire

    exposera et analysera par quelles stratégies et outils communicationnels, les responsables de gestion des ressources humaines tentent de susciter cette adhésion active auprès detravailleurs. Comment s’efforcent -ils de créer un individu conforme à l'idéologie del'entreprise, le «Décathlonien»? Enfin, quelles sont les forces d’une telle organisation ?

    Précisons-le d'emblée, l'adhésion effective des travailleurs ne sera pas étudiée. Lsalarié peut, en effet, se sentir plus ou moins en adéquation avec les normes et les valeurs d’un

    groupe, ici de l’entreprise. Il peut y adhérer totalement ou partiellement , ou, au contraire, setrouver totalement en désaccord par rapport au cadre de référence de l’organisation. Quel que

    soit leur degré d’implication organisationnel le, certains travailleurs jouent le jeu qu'ils pensentque l'organisation désire les voir jouer. Cela étant précisé, il ne sera ainsi pas question dsavoir si oui ou non, les travailleurs de Décathlon adhèrent à l’entreprise qui les emploie, de

    déterminer leur degré d’implication organisationnelle réel, mais d'étudier ce qui est mis en

    place pour susciter leur engagement.

    Dès les prémices de cette recherche et à la lecture de notre hypothèse de déparconcernant l’adhésion des travailleursà l’entreprise, certains pourraient objecter qu’u ne telle

    position relève d’un parti pris idéologique du chercheur. Pour leur répondre, nous citerons lesociologue Max Weber : «Sans la ressource d’un point de vue engageant des valeurs,comment serait-il seulement possible de sélectionner, dans le flux embrouillé de ce quadvient, ce qui mérite d’être relevé, analysé, décrit. »4 Ainsi, bien qu’elle naisse d’un point devue, d’un questionnement, certes, idéologiquement engagé, la recherche, elle, est fondée sur

    4Max Weber reformulé par Luc Boltanski et Eve Chiapello,Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, ÉditionsGallimard, 1999, p. 31.

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    une méthode rigoureuse basée sur une forte implication de terrain que nous expliquerons caprès.

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    PREMIERE PARTIE : Contextualisation

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    1.1 Présentation de l’entreprise Décathlon

    Si l’enseigne bleue et, peut -être plus encore, le slogan « A fond la forme » sontgénéralement bien connus du public, sportif ou non, l’histoire de Décathlon en tant

    qu’entreprise l’est légitimement beaucoup moins. En guise de préambule, un petit retour sur lacréation de l’organisation, sur quelques dates importantes et sur le haut de son organigramme

    pourrait donc s’avérer nécessaire. Ensuite, nous ferons rapide ment de même pour le magasinDécathlon situé à Alleur, puisque nous avons basé notre recherche au sein de ce sit particulier.

    A l'origine, Décathlon est une entreprise française vendant des articles de sport. L premier magasin Décathlon a été créé en 1976 près de Lille par Michel Leclercq5. Un nom qui

    n’échappera pas au féru d’économie, puisqu’il est le cousin germain de Gérard Mulliez, le

    fondateur du groupe de supermarchés Auchan. La famille Mulliez, famille très catholiquoriginaire du nord de la France, a fait fortune début du XXe siècle dans l’industrie du textile 6.Dans les années 50, une association familiale est créée regroupant 525 cousins, dont MichLeclercq. Cette association familiale Mulliez (AFM) est actionnaire majoritaire, entre autrde Flunch, Leroy Merlin, Midas, Auto5, Pimkie et 3suisses. Parmi les particularités de l’AFM,

    signalons que les membres sont liés par un pacte dont un des articles interdit de vendre s parts à un tiers ne descendant pas en ligne directe de Louis Mulliez-Lestienne7. Avec unchiffre d’affaires de plus de 70 milliards, l’association représente le numéro 12 mondial de la

    distribution. A lui seul, Gérard Mulliez se classe actuellement 2ème plus grande fortune deFrance, juste derrière Bernard Arnault.

    Le succès de l’enseigne Décathlon fut rapidement au rendez -vous, si bien qu’enquelques années, plusieurs structures se sont ouvertes ci et là dans l’hexagone. En 1986,

    plusieurs magasins voient le jour dans différents pays européens. Cette même annél’entreprise Décathlon ne s’occupe plus uniquement de la distribution. Elle prend également

    5 Les informations historiques et chiffrées que nous présentons ici proviennent du site internet du groupewww.oxylane.fr

    6Olivier Devillard et Dominique Rey,Culture d'entreprise : un actif stratégique, Efficacité et performancecollective , Paris, Dunod, 2008, p. 14.

    7 Ibid.

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    en charge la production des produits qu’elle met en vente, de la conceptualisation à la

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    Aujourd’hui une vingtaine de ces « marques passions » ont vu le jour: Quechua pour larandonnée, Tribord pour les sports d’eau et Domyos pour le fitness étant les plus connues.

    En 2008, le nom du groupe Décathlon est abandonné pour Oxylane. Une contractioentre les mots oxygène et lane, sentier en anglais. Cette nouvelle dénomination est choisd’abord pour favoriser une ouverture dans les marchés des pays ang lo-saxons, ensuite parceque le groupe, s’étant lancé dans d’autres activités, ne se résume plus uniquement aux

    magasins Décathlon. Le groupe Oxylane comprend également, en effet, parmi les pluconnus: Ataos, pour la vente de matériel sportif d’occasion, Koodza, pour la distribution des

    marques passions à prix réduits et Décapro pour la vente de matériel aux professionnels. Cetmême année, Yves Claude devient le directeur général du groupe. Michel Leclercq conservlui, sa position de président jusqu’e n 2009, date à laquelle son fils, Olivier Leclercq, luisuccède. Le 22 juin 2012, Mathieu Leclercq remplace son frère à la tête de la société.

    Sur la page d’accueil de son site internet destiné aux collaborateurs et aux entreprises

    partenaires, le groupe Oxylane se présente comme suit.« Dans les entreprises du réseau Oxylane, nous avons placé délibérément l'Homme au cœur,que ce soit :- Le collaborateur, première richesse de nos entreprises- L'utilisateur de nos produits ou le client de nos formes de vente- Le partenaire externe, fournisseur, collectivité ...- L'actionnaire Notre promesse : que chacun soit satisfait et gagnant sur le long terme. »

    Outre les différents points de vente et de conception d’articles de sport que nousvenons de passer en revue, depuis 2005, Décathlon a également créé sa propre fondation, q porte son nom. Sa finalité, « éduquer et intégrer par le sport, dans différents pays où vivent travaillent les collaborateurs de l’entreprise ».

    Aujour d’hui, Oxylane emploie plus de 50.000 collaborateurs dans le monde, pour laconception, la production et la vente confondues de leurs produits. Pour 2011, avec untotalité de 700 magasins, son chiffre d’affaires s’élevait à 5.978 milliards d’euros. Le cap ital

    8 Tout au long de ce mémoire, les termes suivis d’un astérisque seront définis dans le glossaire figurant en find’ouvrage.

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    du groupe est détenu à 43% par la famille Leclercq et à 45% par la famille Mulliez. Depu1985, le capital de Décathlon, comme celui des autres grandes entreprises appartenant l’association familiale Mulliez, est aussi ouvert aux salariés de l’entr eprise. Cette participationà l’actionnariat par les travailleurs de Décathlon se fait via le fond Oxyval. Selon les comptes

    publiés par l’entreprise en 2011, les salariés sont actionnaires de 12% de l’entreprise.

    Dans ce marché de la distribution d’artic les de sport, deux groupes peuvent êtreconsidérés comme les principaux concurrents de Décathlon : Intersport et Gosport. Cependanen Europe, Décathlon demeure sur la plus haute marche du podium. En terme de stratégmarketing, Décathlon se différencie de ses concurrents en misant sur des produits bon marcet innovants9. Il détient ainsi différents centres de recherche pour développer ses propresmarques de composantes. A elles seules, les marques maison du groupe représentent 80% d

    chiffre d’affaires .

    1.2 Le site d’Alleur

    Pour cette étude, nous nous sommes particulièrement intéresséeà l’un des 14 magasins présents en Belgique: celui d’Alleur. Ce magasin situé dans la périphérie liégeoise, dans unzoning industriel et commercial comme la plupart des magasins de l’enseigne, est le plus

    important de Wallonie tant en terme de superficieque de chiffre d’affaires. Ouvert en 1997, ilcompte aujourd’hui 120 travailleurs engagés sous contrat à durée indéterminée (CDI).

    Cependant, l'effectif complet se compose généralement de 170 à 280 personnes, selon le périodes de l’année. Depuis 2010, le directeur du magasin est Raphaël Mathonet.

    9 Cette stratégie marketing est donnée dans le documentaire de Jean-Christophe Portes, Magasin de sport à fond la concurrence !, Dreamway Production, 2012.

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    1.3 Décathlon et moi

    Comme cela a été évoqué dans l’introduction, nous avons eu l’occasion de fréquenter

    l’entreprise Décathlon de très près. De l’intérieur. Avant d’esquisser cette expérience, prenons

    quelques accords syntaxiques préalables : afin de différencier plus aisément le « Mochercheur » qui réalise cette recherche et le « Moi décathlonien », ayant travaillé poul’entreprise durant une année, le passage concernant le second sera écrit à la première

    personne du singulier. L’usage du « Nous de modestie » sera réemployé par la suite, lorsquenous reprendrons la position de chercheur.

    L’histoire commence en octobre 2009. Après quelques semaines passées sur les bancs

    de l’université, en pre mière année de master, je décide de mettre fin à mon parcours scolaire,avec pour objectif de me lancer définitivement dans la vie active. Dans ce but, les journéesuivantes sont consacrées à la mise en conformité administrative : remplir des documents pol’Université, le Forem ou encore la Maison de l’emploi. Sur ma lancée administrative, je

    décide de m’inscrire dans une agence intérim, Lem. Dès le lendemain, l’agence me contacte

    pour une « mission», selon l’expression consacrée au sein de l’agence. Il s’agit de distribueraux clients des coupons de réduction durant 9 heures à l’entrée de la grande surface Carrefour.

    Comme la mission se déroule sans encombre, je suis reprise pour cette même tâche llendemain. Cela ne représente évidemment pas le boulot rêvé : hôtesse, debout toute

    journée, entre deux portes, dans les courants d’air froid d’octobre. Cette mission signifie ainsi

    une entrée plutôt difficile dans le monde du travail.Le soir, en revenant de cette journée somme toute assez pénible, je reçois le coup de f

    d’une opératrice de chez Lem. Elle m’apprend que l’agence intérim coopère régulièrement

    avec le magasin Décathlon. Elle m’explique qu’à condition de lui envoyer assez rapidement

    mon CV, elle peut leur proposer ma candidature pour un poste de vendeur. Enfin, si je suintéressée, bien entendu. Comment aurais- je pu ne pas l’être ? En tant que cliente, je côtoyais

    régulièrement l’enseigne. J’avais déjà eu l’occasion d’être conseillée par des vendeurs sur l’unou l’autre produit et j’avais pu constater qu’en plus d’être sportifs, les travailleurs semblaient

    relativement jeunes. Afin de mettre toutes les chances de mon côté, le soir même mon Cfraîchement mis à jour est envoyé. L’opératrice me rappelle dès le lendemain : je commencema mission de deux jours chez Décathlon, à Alleur, le lundi matin.

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    Nous sommes deux intérimaires envoyées par l’agence pour cette mission : il s’agit de

    remplacer les racks* de chaque rayon. D’un métal gris clair, ils doivent passer à un gris foncé.

    Pas de giletgris et bleu pour nous, puisque le client ne doit pas nous confondre avec l’équipede vendeurs sportifs. Durant deux journées entières, nous enlevons donc la marchandis

    présente en rayon, décrochons et empilons les anciens racks afin d’accrocher les nouve aux auxgrilles prévues à cet effet. Une tâche qui peut sembler pénible, puisque répétitive et trè

    physique, mais elle ne l’est pas pour nous. Depuis deux ans, l’autre intérimaire, ma collègue,

    peinait à trouver un boulot même en intérim. Quant à moi, ma courte expérienc professionnelle décrite plus haut n’était pas des plus réjouissantes. Apparemment notre

    motivation est remarquée. Avant notre départ « définitif », après les deux jours de mission, responsable d’un rayon, l’univers* chaussures de rand onnée, vient nous parler. Il manque de

    personnel pour l’hiver, la grosse saison du rayon. Une place est à pourvoir. Une seule. Nousdevons le rencontrer en face à face le lendemain dans l’après -midi.

    Je suis déterminée à obtenir ce poste, ma collègue aussi. Malgré les liens qucommencent à s’établir entre deux personnes travaillant deux journées complètes côte à côte,

    et qui, n’étant pas intégrées avec les « travailleurs en gilet », ont tendance à rester ensemble pendant l’heure de table ou les pauses, no s parcours respectifs persistent dans un coin de nostêtes. Lors de l’entretien d’embauche, lorsque le responsable univers (RU*) me demande

    pourquoi moi plutôt que l’autre je mets en avant mon dynamisme et ma passion pour le sport.

    A l’issue de l’entretien, je suis sélectionnée et engagée, toujours en tant qu’intérimaire, au sein

    de l’équipe de chaussures de randonnée.

    Ma tâche se résume principalement à conserver un rayon bien rangé, « un facingirréprochable », remettre des attaches aux paires de chaussures qui en sont dépourvues décharger le camion de marchandises. Les conseils clients sont réservés à mes collèguen’ayant, vu mon statut d’intérimaire, reçu aucune formation concernant les produits dispensés.

    Enthousiaste malgré tout, je m’attelle à cette tâche durant 3 mois et demi à temps plein (36heures par semaine), jusqu’à la fin des soldes de janvier. A partir de cette période, le rayon

    n’étant plus considéré en grosse saison, plus aucun avenant concernant un supplément d'heures

    de travail ne peut être accordé. Les employés à contrat à durée indéterminée (CDI) et à durdéterminée (CDD) redescendent à la base minimale pour laquelle ils ont été engagé

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    contractuellement, principalement 9 ou 18 heures. Et forcément, il ne persiste aucune placdisponible pour les intérimaires. Je quitte donc Alleur, un peu déçue, pour prendre un boulde remplaçante technicienne de surface dans une maison de repos.

    Deux semaines plus tard, je reçois un appel téléphonique d’une autre responsable de

    chez Décathlon, celle de l’univers bain. Elle recherche un candidat pour un CDD de 36 heures par semaine pour effectuer la grosse saison au sein de son équipe. Après un nouvel entretie je suis donc réembauchée fin février pour un contrat de 4 mois qui sera renouvelé par la suiJe vis avec beaucoup de fierté mon retour chez Décathlon. Dès le dépôt de mes effet personnels dans le vestiaire, je saisis que je fais à présent bel et bien partie de la communaudes Décathloniens. J’ai droit à un casier avec mon nom/préno m et fonction. A cet égard, unecollègue me conseille d’acheter un cadenas dans le rayon pêche, « certains intérimaires

    profitant des pauses pour voler dans les vestiaires». Je n’en fais rien, mais souris : je suisenfin introduite.

    Le rayon bain proposant des articles distincts de celui par lequel j’étais passée précédemment, les tâches sont également différentes, bien qu’aussi répétitives. Il s’agit de

    déballer la marchandise et de cintrer les maillots et les bikinis. Cependant, je m’épanouis dans

    cette tâche. Principalement parce qu’ayant reçu une formation sur les produits, je peux à présent enfin conseiller les clients potentiels. Les nombreuses intérimaires, présentes dans rayon pour les semaines de grande affluence, me posent des questions, ce qui est, il faul’avouer, assez valorisant.

    Par ces quelques lignes, le lecteur aura pu se rendre compte que, dans mon entrée asein de l'entreprise Décathlon, il n’y avait aucune démarche méthodologique liée à une étude.

    Aucune volonté d’observer mes semblables comme l’a fait Renaud de Sainsaulieu 10 en sefaisant engager comme OS, ouvrier spécialisé, dans une usine, ou comme Robert Linhart11 qui travailla à la chaîne chez Citroën. Malgré tout le respect et l’admiration que j’ai à l’égard

    de leur travail,mon intention n’était pas d’en faire autant, toutes proportions gardées. Il ne fauty voir aucune démarche autre que celle d’une jeune personne qui tente de gagner sa vie.

    Jusqu’en juillet, en tout cas. A partir de ce moment, le renouvellement de mon contr at

    10Renaud de Sainsaulieu, L’identité au travail , Paris, Références Académiques, Presse de Sciences po, 1988.11Robert Linhart, L’établi , Paris, Minuit, 1978.

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    approchant, je dois prendre une décision : soit rester au moins 4 mois de plus, soit reprendmes études là où je les avais laissées? Après mûre réflexion et en dépit des conseils de mcollègues et responsables qui me soufflent qu’après mon troisième CDD suivra plus quecertainement le Graal, le CDI, je choisis de reprendre mes études dès l’année académique

    suivante.A partir de ce moment, je décide de mettre à profit ma position particulière, à la fois d

    Décathlonienne et d’étudiante en communication, pour m’intéresser à la culture de

    l’entreprise. J’ouvre les yeux sur les diverses pratiques quotidiennes, sur ce qui y est dit,

    montré, suggéré. Mais également, et mon intérêt principal est là, j’observe directement l’effet

    que tous ces discours peuvent avoir sur mes collègues. A partir de ce moment, j’adopte une position d’observation participante et ce durant mes 3 derniers mois de travail au sein de

    l'entreprise, jusqu’à la reprise des cours en octobre 2010. Cette méthode immanquablementriche sera décrite dans la deuxième partie de ce mémoire concernant la méthodologie. Ma

    précisons d’emblée que cette approche radicalement différente ne s'est pas produite du jour au

    lendemain. J'ai connu, en effet, un parcours de maturation qui m'a amenée à adopter cetdémarche de chercheur.

    Durant ce parcours de maturation, un épisode particulier mérite d’être souligné. Bien

    qu’anecdotique, il suscite en moi pas mal d’interrogations et constituera, par la suite, une des

    principales motivations de ma recherche. Dans le courant du mois de mai, j’apprends, de la bouche de la principale intéressée, que la déléguée syndicale FGTB du site se prépare à quitt

    le groupe. Elle ne supporte plus l’attitude de la direction à son égard qui la dénigre par des

    mails envoyés àl’ensemble du personnel, ou encore, qui met en cause la délégation dusyndicat socialiste12 par un affichage aux valves. Cette attitude négative envers la déléguée ades conséquences directes sur son quotidien dans l’entreprise. Certains vendeurs sportifs

    r egrettent qu’elle « empoisonne le système» alors qu’eux -mêmes ne lui demandent rien. Cettedéléguée m’interroge sur mon envie de reprendre le flambeau (lorsque le délégué syndical

    12 Je pense ici à un cas précis où la FGTB a revendiqué que les travailleurs soient rémunérés à 200%, et non plusà 150%, lors des déménagements des rayons effectués durant la nuit. La direction refuse cette hausse desalaire. Dans la foulée, elle impose aux travailleurs de reprendre leur jour de récupération dans la semainesuivant le déménagement. Alors qu’auparavant, ce jour pouvait être repris par le travailleur au moment del’année qui lui convenait. La direction justifie cette décision par l’interventio n hargneuse du syndicat.

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    d’une entreprise quitte son emploi, on n’attend pas les élections sociales suivantes sansdélégué. Celui ou celle qui le désire peut reprendre cette place, en tant «qu’intérimaire»).Ayant une réelle foi dans la pertinence du syndicat au sein d’une entreprise, cette proposition

    me plaît. Néanmoins comme expliqué plus haut, je quitte l’entreprise quelques mois plus tard.Comme personne ne souhaite reprendre cette fonction, on fait appel en renfort à la déléguésyndicale CGSLB du magasin de Liège centre-ville, qui depuis passe un jour par semaine s

    le site d’Alleur 13.On voudrait spontanément se mettre au-dessus de la mêlée. Se persuader au regar

    d’une situation quelconque de la vie, professionnelle ou non, que dans pareil cas, on aurait

    réagi d'une autre manière. On se convainc que notre personne n’est pas catégorisable, ne

    pour rait entrer dans un moule. C’est en renonçant à cette volonté spontanée que j’ai abordé les

    travailleurs de Décathlon lors des entretiens. Cette position de vendeur sportif, je l’ai occupée :la personne qui cherchait un emploi, qui a tenté de démontrer qu’elle était meilleure qu’uneautre travailleuse pour être reprise. J’ai été satisfaite et reconnaissante envers l’entreprise

    d’avoir été choisie, fière d’avoir un boulot dans une multinationale dynamique comme

    Décathlon. Mais également, fière de moi tenant des discours teintés de « bien sûr, il y a dchômage, mais quand on le veut vraiment… » Je me suis surpassée dans les tâches quim’étaient demandées, pour tenter d’obtenir le contrat à durée indéterminée, au détriment

    d’autres collègues. Ai -je adhéré et eu foi dans le système Décathlon ? Oui, dans une certainemesure.

    Je l’ai évoqué précédemment, j’ai connu un parcours de maturation ponctué d’épisodes

    qui m’ont permis de prendre un certain recul sur mon « moi Décathlonien », sur les valeurs

    auxquelles j’ai cru et sur l’attitude que j’ai adoptée pendant près d’un an. Boltanski,

    Ehrenberg et de Gaulejac, mes premières lectures théoriques concernant la préparation de mémoire, ont constitué, plus que quelques pas en arrière, l’enlèvement définitif de mon g iletsymbolique. Ils m’ont permis de comprendre l’organisation, et par la suite, de déculpabiliser :

    j’avais été exactement celle que l’organisation souhaitait que je sois.

    13 Malgré les élections sociales de mai 2012, faute de candidat, cette situation est restée inchangée.

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    1.4 Bref historique du management

    Dans ce dernier chapitre de notre première partie consacrée, rappelons-le, à lcontextualisation de la problématique, nous reviendrons rapidement sur les origines e

    l’évolution du management, concernant particulièrement la place attribuée à l’homme au seinde l’organisation, pour en arri ver au management participatif. Puisque le management pratiquéau sein de Décathlon relève de ce courant.

    D’après la définition de Raymond -Alain Thiétart, «le management, c’est l’action oul’art ou la manière de conduire une organisation, de la diriger, d e planifier son développement,de la contrôler. »14 Dans toute entreprise, qu’importe sa taille, son âge ou sa nationalité, pour parvenir aux objectifs, trois types de ressources sont mobilisés : les ressources financières, lressources techniques et enfin les ressources humaines. Une simple recherche sur internet no

    permet d’apercevoir la nébulosité qui entoure le terme de management, parfois utilisé

    indifféremment de celui de gestion. Généralement, cependant, lorsque le terme dmanagement est usité,il concerne la troisième ressource dont dispose l’entreprise, lesressources humaines. Soulignons-le, c’est dans ce sens que nous utiliserons le terme tout aulong de ce mémoire.

    Le management n’est pas une discipline qui observe et décrit ce qu’elle voi t au seindes organisations. Elle dicte des comportements pour tenter de parvenir à des résultat

    prédéfinis. Il s’agit donc bel et bien d’une discipline normative et prescriptive, et non d’une

    discipline constatative15. Par conséquent, il existe une relation claire entre le discours présentdans la littérature managériale et la pratique du management dans les organisations. De cetconstatation résulte la difficulté de réaliser une recherche sur une question concernant lcommunication managériale, sans retracer brièvement l’histoire même de la discipline et lescourants qui l’ont traversée, afin de déduire de quels courants a pu s’inspirer Décathlon,

    l’organisation qui nous occupe.

    Nous nous inspirons, ici, de l’historique que réalise Thiétart16

    dans le QSJ concernantle management. Communément, dans toute histoire du management, on s’accorde à dire que la

    14 Raymond-Alain Thiétart,Le Management , Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2003, p. 7.15 Luc Boltanski et Eve Chiapello,Le nouvel esprit du capitalisme , Paris, Gallimard, 1999, pp. 94-95.16 Raymond-Alain Thiétart,Le Management , Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2003, pp. 10-24.

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    discipline trouve ses racines au début du XXe, avec Henri Fayol en France, Frederik Taylor etHenri Ford aux États-Unis. Selon Fayol, les tâches doivent être spécialisées afin qu’uneexpertise se développe dans leur exécution. Les opérations doivent être standardisées demeurer sous la direction d’un seul, unique responsable de la prise de décision. Un acronyme

    résume sa conception du management : « PODC » (Planifier-Organiser-Diriger-ContrôlerPour Taylor, et cela fut mis en pratique dans les usines Ford, la décomposition e

    l’optimisation des tâches entraînent un gain de temps non négligeable. Le Fordisme introduit,

    lui, le travail à la chaîne et l’automatisation du travail ouvrier. L’ouvrier devient une machine

    dont on attend rapidité et rendement grâce à des gestes très répétitifs. Dans ces troiconceptions du management, on laisse peu de place à l’ouvrier en tant qu’humain, sa

    subjectivité étant renvoyée à la sphère privée. La principale motivation du travailleur vient d

    salaire puisque, dans le cas du Fordisme et du Taylorisme, la rétribution dépend du rendemede l’individu. La hiérarchie est fortement marquée, chaque position dans l’entreprise a un rôledéfini qui lui est associé : la direction conçoit et planifie des stratégies, les ouvriers leexécutent.

    Quelques théoriciens, dans les années 40, remettent en question cette façon de reléguel’humain au second plan dans l’organisation. Il s’agit de l’école des relations humaines, portée

    à ses débuts principalement par Elton Mayo. A la suite d’une série d’expériences, il démontreque le facteur humain doit être prépondérant dans la recherche de productivité de l’entreprise.

    Durant les décennies 60-70, Henri Mintzberg mise, lui, sur une cultureorganisationnelle forte, « sur un ensemble de valeurs, de représentations partagées par lmembres, ou, du moins, acceptables pour chacun d’eux. »17 Ces valeurs doivent déterminer un

    certain nombre d’attitudes et de comportements des membres de l’organisation. Au final, cette

    culture organisationnelle lie les membres de l’organisation entre eux puisque ceux -ci partagentle même socle de valeurs. Une implication personnelle des travailleurs est attendue, lsubjectivité de la ressource humaine fait donc irruption dans le monde de l’entreprise.

    Dans les années 90, pour impliquer encore un peu plus le personnel dans sonentreprise, il faut tenter de le motiver. Pour y parvenir, on va lui démontrer que concernant so

    17 Henri Mintzberg, The effective organization. Force and Form, pp. 19-36. Cité par Annie Cornet, Analyseéconomique et sociale de l’entreprise, Les Éditions de l’Université de Liège, 2011, p. 62.

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    travail, il a voix au chapitre. C’est la vocation du management participatif. Dans ce courant, le

    management se veut clairement antihiérarchique afin de mettre en avant l’égalité et les libertés

    individuelles. Il ne s’agit plus de faire travailler l’ ouvrier en le menaçant de sanction mais demettre en place des éléments qui lui inculqueront l’envie de réaliser son travail. Les anciens

    chefs sont désormais des animateurs qui essayent de faire adhérer leurs équipes aux objectides leaders. Afin de responsabiliser, on se concentre sur les résultats individuels de chaqu

    travailleur. Dans cette optique, être engagé dans l’entreprise possède une dimension très

    séduisante. D’une part, pour le développement personnel, puisque de l’autonomie est accordée

    au salarié, il n’est plus un simple exécutant. D’autre part, parce que, grâce à son emploi, letravailleur s’investit pour une ambition plus large : le projet de son entreprise. Ce qui peutconstituer une réelle motivation. Les maîtres mots des responsables d’une entreprise se

    revendiquant du management participatif sont « AMRD » : animer et gérer son groupe, motiver, responsabiliser son personnel, tout en déléguant les responsabilités18.

    Si aujourd’hui, en 2012, la littérature concernant la pratique quotidi enne dumanagement participatif est abondante, à ses débuts, deux livres ont particulièrement favorice nouveau courant managérial : L’entreprise du troisième type et Le Prix de l’e xcellence. Lesecond, rédigé par deux anciens collaborateurs de chez Mc Kinsey, Tom Peeters et RobeWaterman, fut un best-seller et est toujours considéré comme une bible du managemen participatif. Dans ce livre, les auteurs font part de leurs observations au sein de 64 entreprise« les entreprises qui marchent ont recour s aux mêmes trucs pour s’assurer que tous leursemployés adhèrent à leur système de valeurs, leur culture ou s’en vont. »19 Ils dégagentdifférentes techniques pour obtenir un service de qualité en exigeant « une performance

    l’homme moyen, une productivité par le personnel. »20 Il nous faut constater, consécutivement à ce bref historique du management, que l

    conception de la place à accorder à l’homme au sein de l’entreprise, a radicalement changé.

    18 Gérard Ouimet et Yves Dufour, Vivre et gérer le changement ensemble ?, Revue Française de gestion n°113,1997.

    19 Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de l’excellence : les secrets des meilleures entreprises , Paris, InterÉditions, 1983, p. 18.

    20 Ibid.

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    DEUXIEME PARTIE : Méthodologie

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    2.1 Introduction

    Cette seconde partie sera consacrée àl’exposition et à la justification des différentesméthodes utilisées dans le cadre de cette recherche.

    Cette présente analyse est ainsi consacrée à la communication managériale pratiquéchez Décathlon. Cependant, le groupe possédant plus de 700 magasins à travers le monde, nous fallait délimiter le terrain de notre recherche. Pour le choix du terrain d’investigation,

    nous avons décidé d’opter pour le site d’Alleur puisque, comme nous y avions travaillé, tant

    certaines de ses pratiques que ses différents acteurs commençaient à nous être familiers. Not

    collecte de données empiriques s’appuient sur de l’observation participante, des entretiens de

    travailleurs du site d’Alleur et de l’analyse de différents documents internes de ce magasin. Si

    certains deces documents sont communs à l’entièreté du groupe Oxylane, d’autres sont propres aux Décathlons belges, d’autres encore sont spécifiques à Alleur. En toute rigueur

    scientifique, nous circonscrivons nos conclusions à ce site particulier. Cela n’équivaut

    cependant pas à dire que notre analyse ne serait pas valable pour un autre Décathlon. Il doassurément exister une cohérence concernant la culture d’entreprise entre Décathlon France et

    Décathlon Allemagne, par exemple. Certainement aussi entre celle du Décathlon implandans le centre de Moscou et celui de la périphérie de Shangaï. Une cohérence, certes, macomme nous le montre la littérature scientifique sur la gestion interculturelle en entreprise, culture d’entreprise d’une même société va s’adapt er au pays ou à la région dans laquelle elledésire s’implanter 23. Notre recherche porte ainsi sur la communication managériale au sein duDécathlon Alleur.

    Différents outils communicationnels composent notre objet d’analyse. Des plus

    traditionnels comme le journal de l’entreprise, La Moquette, et le journal du groupe Oxylane, Passion, aux autres publications que sont les newsletters ou les affiches, par exemple. Le projet de l’entreprise, les formations, les consultations internes et les enquêtes auprès de s

    collaborateurs ont également été analysés. La communication de recrutement, bien qu’elle soità cheval entre la communication interne et externe, a été aussi soumise à examen. Tout comm

    23 Le lecteur pourra consulter sur ce thème Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis, Jean-François Chanlat, Gestionen contexte interculturel. Approches, problématiques, pratiques et plongées. Montréal, Les presses del’Université Laval, 2008.

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    les divers événements, fêtes, assemblées, challenges, auxquels sont conviés les travailleurPour cette recherche, nous désirions étudier ces diverses techniques de communication et leinscription dans une démarche symbolique, idéologique. Notre hypothèse étant que cetcommunication joue un rôle considérable pour faire adhérer le travailleur à l’entreprise, il nousfallait élaborer une méthode qui permette de saisir à la fois l’application quotidienne de la

    communication, la démarche à identifier derrière celle-ci, mais également l’approche du vécudes différents acteurs de notre terrain par rapport à cette communication. Ces différenteapproches se devaient donc d’être complémentaires.

    2.2 L’observation participante

    Pour appréhender notre problématique, plusieurs méthodes de travail ont été élaboréeComme nous l’avons évoqué précédemment, notre hypothèse de départ provient d’une

    observation participante. Elle a été la première méthode de récolte d’informations. C’es t doncle terrain qui a suscité notre questionnement, attisé notre curiosité de chercheur. Sans pouautant avoir réalisé une grille d’observation en tant que telle, instinctivement une série de

    thèmes nous ont intéressés et ont attirés chaque jour notre attention durant ces trois moiPrincipalement: l’organisation du travail (la division du travail, les formations, les entretienset les évaluations des travailleurs), les techniques de gestion des ressources humaines (GRH

    (le type de contrat proposé, le système de rémunération qui lui est alloué mais aussi, pexemple, les qualités des personnes embauchées) et évidemment la culture de l’entreprise (les

    valeurs mises en avant, les règles qui en découlent…).

    Durant cette première phase d’exploration, plu sieurs entretiens informels ont étéréalisés, s’apparentant à des discussions entre collègues. Qu’ils aient lieu en salle de pause, le

    matin avant l’ouverture des portes par le gardien de nuit ou après une formation, ces échanges

    concernaient l’organisation des tâches au quotidien, les manifestations festives de l’entreprise

    ou encore les incidents du type avertissement de la direction ou licenciement qui pouvaiesurvenir. Si ces entretiens n’ont que peu de valeur pour la recherche scientifique, ils furen tempreints d’une grande richesse et sont en partie à l’initiative de cette recherche. Évidemment,

    durant ces trois mois d’observation participante, de par notre position de salariée de

    l’entreprise, nous n’avions pas accès à la prise de décisions stratégi ques, mais uniquement à

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    leurs implications et à leurs conséquences sur la base, les vendeurs sportifs et les hôtesses caisse. C’est à partir de cette phase de terrain que se sont forgées notre question de départ et

    des pistes d’exploration sur le sujet. Notre première interrogation consiste à se demander si lacommunication interne n’aurait pas pour unique vocation de rendre possible la vente d’articles

    de sport, mais jouerait un rôle prépondérant dans une politique d’implication et d’adhésion des

    travailleurs aux valeurs de l’entreprise. Ensuite, d’autres questionnements sont venuscompléter notre réflexion : les travailleurs engagés le sont-ils parce qu’ils correspondent auxvaleurs prônées par l’entreprise ou celles -ci leurs sont-elles inculquées par la suite ? Ou encorequelles sont les conséquences d’une culture d’entreprise aussi puissante sur l’action

    collective ?L’observation participante constitua ainsi le point de départ de ce mémoire. Le terrain

    ne fut pas par conséquent, et contrairement à la tendance générale des mémoires, un moyen vérifier une problématique déjà bien établie, mais à l’inverse le commencement de notre

    réflexion, exploration et questionnement.

    2.3 Entretiens

    Une fois les premières questions de départ soulevées, le choix d’employer uneméthode qualitative s’est assez rapidement imposé. Il fallait, en effet, cerner à la fois la

    communication interne formelle mais aussi informelle, et, surtout, saisir la dynamiqucomplexe qui régule l’interaction entre le travailleur et l’en treprise. Un tel sujet concernant la

    culture d’une entreprise, les valeurs et surtout l’effet produit sur les travailleurs, était, semble -t-il, difficilement perceptible par une méthode statistique24 ou une analyse de contenu seule.La première, la méthode statistique permet de classer en fonction de catégories, mais quellauraient été des catégories intéressantes et non réductrices dans le cas de cette recherchconcernant l’engagement ?25 Nous désirions saisir la culture de l’entreprise comme unsystème,avec différentes imbrications. La seconde, l’analyse de contenu des documents aurait

    24 Notons toutefois que certains auteurs ont usé de cette méthode statistique pour saisir la culture d’entreprisevoir par exemple, Geert Hofstede, Les différences culturelles dans le management , Paris, Éditionsd’Organisation, 1987.

    25 Michel de Certeau, L’invention du quotidien 1. Arts de faire , Introduction, Paris, Gallimard (1980) 1990, XXXV-LIII.

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    été, semble-t-il, incomplète. Effectivement, quelques affiches et articles de journaux mis part, nous n’avions ici que peu de données de base établies. Cette méthode se concentrant surles documents n’aurait, de plus, pu cerner l’usage qu’en font les travailleurs à qui ils sont

    destinés. La finalitéde la méthode qualitative pour laquelle nous avons opté était d’obtenir desinformations plus fines et nuancées concernant l’implication des travailleurs, bien qu’elle ne

    puisse prétendre obtenir des résultats généralisables à d’autres contextes.

    Trois acteurs clés concernés par la communication managériale chez Décathlon onrapidement été identifiés. En premier, le responsable de la communication et de la GRH qtraduit les objectifs de la direction en matière de culture d’entreprise et de valeurs en

    développant une stratégie et des outils managériaux. Dans un second temps, un responsable rayon qui use concrètement des applications de management mises à sa disposition. Pou

    approcher ces deux premiers acteurs nous avons choisi une méthode assez classiqud’entretiens semi -directifs. Principalement parce que la durée de l’entretien était fixée par cesresponsables, de 20 à 30 minutes et que le choix de leur lieu de travail nous était imposé. Edisposant de si peu de temps, dans un lieu qui, de prime abord, peut mal se prêter à ldiscussion, il s’agissait donc d’aller directement à l’essentiel en pointant les sujets et les

    thèmes prévus. Enfin, nous avons choisi d’aborder un dernier acteur : la basede l’entreprise, tant les

    vendeurs sportifs que les hôtesses de caisse. Les travailleurs directement visés et touchchaque jour par ces techniques de management. Pour ces derniers entretiens, nous avons cho

    d’utiliser la méthode d’entretien compréhensif de Jean -Claude Kauffman26. Il s’agit d’uneméthode d’entretien non -directif qui s’apparente à une discussion où l’enquêteur laisses’exprimer librement l’enquêté. Si l’interview er pose, cependant, parfois des questions de fait,de sentiment, d’opinion sur des problèmes qui l’intéressent, il le fait en s’efforçant de ne pas

    rompre le discours spontané de l’interviewé. L’essentiel de la méthode étant de provoquer une

    discussion riche, permettant d’aller plus en profondeur. Ces discours spontanés possèdent « la particularité de dissimuler l’essentiel dans les détours et les biais de la conversation, dans les

    ratés de la parole claire, dans les digressions incompréhensibles et les dénégations troubles. »27

    26 Jean-Claude Kaufmann,L’entretien compréhensif , Paris, Armand Colin, 2007.27 Op. cit. p. 20. De ce fait, nous avons, pour chacun des extraits présentés dans la partie suivante, conservé lelangage oral.

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    Pratiquement, l’entretien se déroulait dans un lieu choisi par l’interviewé hors de

    Décathlon et durait entre soixante et nonante minutes. Après un bref dialogue d'introductioavec l’interviewé, nous lui expliquions très succinctemen t le thème de la recherche « lacommunication managériale chez Décathlon.» Dans ce type d’entretien, la première questionest particulièrement importante puisqu’elle détermine la suite de l’entretien. Elle a pour

    objectif de mettre l’interviewé en confian ce. Dans notre cas, après avoir demandé quel nom

    d’emprunt il souhaitait porter dans notre travail, ce qui le faisait sourire, tout en lui certifiant

    son anonymat, la première question était toujours similaire, « pouvez-vous m’expliquercomment êtes-vous arrivé(e) chez Décathlon ? » Une demande assez simple afin de détendl’atmosphère, rassurer sur la difficulté des questions, sans brusquer l’interviewé. La suite de

    l’entretien se résume difficilement puisque chacun est particulier : l’ordre des thèmes à

    aborder n’était pas systématiquement identique, les questions elles -mêmes ne l’étaient pastoujours. Tout se décidait au gré de la conversation et au hasard des digressions. Noudisposions cependant bien d’une grille d’entretien constituée de thèmes (le p arcours

    professionnel, le métier, les espoirs de carrière, les formations, l’organisation, les valeurs, les

    sentiments par rapport à la firme, la convivialité, les rapports entre collègues et enfil’implication) qui servait de canevas afin de vérifier si tous les thèmes prévus avaient bien étéabordés. Généralement, d’autres thèmes intéressants qui n’avaient pas été envisagés

    surgissaient au fil de la discussion.Pour cette recherche, nous avons interviewé un échantillon de huit personne

    travaillant dansl’entreprise, bien que pour l’entretien compréhensif le terme d’informateurssoit préféré à celui d’échantillon 28. Dans une telle démarche qualitative, l’échantillon ne peut

    jamais prétendre être représentatif, les réponses dépendant des personnes interviewées et contexte dans lequel a eu lieu la discussion. Cependant, nous avons veillé à ce que céchantillon ne présente pas de déséquilibre manifeste, entre les sexes notamment. Cetravailleurs interviewés n’ont pas été choisis au hasard. D’emblée nous avons mis de côté les

    travailleurs sous-traitantsde l’entreprise : qu’il s’agisse du personnel d’entretien, degardiennage ou de livraison. Nous pensons que cette sous-traitance induit des conséquencsur l’organisation de l’entreprise et sur le sentiment d’appartenance mais nous ne nous

    28Vous pouvez retrouver la retranscription intégrale de chacun des entretiens réalisés, en annexe.

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    sommes intéressée qu’aux travailleurs engagés directement par Décathlon. Ceci pour une

    raison simple, ces équipes de travailleurs sous-traitants, bien que présents sur place à temp plein, n’ont ni accès aux activités ni aux formations. De même parmi les travailleurs de chezDécathlon, nous avons négligé les intérimaires, pourtant nombreux au sein de l’entreprise,

    simplement parce que l’entreprise ne prend pas en charge leur formation, qu’ils ne sont pas

    conviés aux activités, et ne réalisent pas d’entretiens individuels, etc. puisqu’ils ne sont en principe pas là pour une période durable. Nous n’avons pas non plus rencontré de travailleurs

    CDD travaillant dans l’entreprise depuis moins de six mois, parce que ceux -ci ne sont pasconviés aux activités comme le bilan de fin d’année ou la participation aux valeurs Oxyval, la

    prise d’action dans la société.

    Il nous faut préciser que nous ne connaissions pas personnellement les interviewés. S

    certains avaient travaillé durant la même période que nous, nous n'avions jamais sympathiavec la plupart d'entre eux. De plus, leturn-over , la rotation des travailleurs au sein del’entreprise se révèle être assez important. Certains enquêtés sont ainsi arrivés alors que nous

    avions déjà quitté l’entreprise. Tous étaient cependant prévenus que nous avions travaillé pourleur employeur actuel. Cette précision annoncée préalablement nous permettait de ne pasystématiquement interrompre la parole spontanée de l’interviewé qui aurait voulu donner des

    précisions sur des termes plus techniques ou des expressions propres à l'entreprise. L’enquêté

    savait pertinemment qu’il s’adressait à un initié (d’où notre décision, après avoir réalisé les

    retranscriptions des divers entretiens, d’insérer un g lossaire de termes utilisés chez Décathlon).

    Afin d’éviter d’éventuelles réticences suite à des pressions et menaces, réelles ou

    supposées, de la direction, la prise de contact et les entretiens se déroulaient dans un lieextérieur au magasin. Dans cettemême optique, nous avons garanti l’anonymat à tous nosinformateurs. Ainsi, pratiquement, les noms de chacun d’eux ont été modifiés afin de garantir

    un maximum de discrétion.

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    Code Genre Fonction ContratRCFP Homme Responsable recrutement et

    frais de personnel. Adjoint dudirecteur. Responsable équipecaisse.

    CDI 36 heures

    GPCI Femme Responsable service client,gestion du personnel etcommunication interne

    CDI 30 heures

    Louise Femme Vendeuse sportive/ hôtesse decaisse

    CDI 12 heures

    Rose Femme Vendeuse sportive/ hôtesse decaisse

    CDI 36 heures

    Hugo Homme Vendeur sportif CDI 20 heures

    Emeline Femme Vendeuse sportive CDI 20 heures

    Guillaume Homme Vendeur sportif CDI 18 heures

    Isabelle Femme Vendeuse sportif/ hôtesse decaisse

    CDI 30 heures

    Nathan Homme Vendeur sportif CDI 30 heures

    Theresa Femme Vendeuse sportive CDD 12 heures

    2.4 Analyse des documents internes

    Avec pour objectif de compléter nos propos et grâce, tant à notre observation participante qu’à ces entretiens, les documents de communication managériale d’une demi -année furent récoltés. Passion, le journal trimestriel interne de Décathlon, La Moquette, le

    journal interne du site d’Alleur et enfin les Newsletters envoyées par courrier aux salariés. Ces

    divers documents nous ont été fournis par les différents travailleurs enquêtés. Nous avonégalement reçu des documents plus confidentiels destinés aux responsables de rayonconcernant notamment le recrutement.

    Dans cette optique, nous avons aussi analysé certains discours provenant du sit

    internet d’Oxylane, des publicités destinées aux candidats potentiels au recrutement ainsi que

    le contenu des formations.

    29 Chaque vendeur sportif a choisi son nom d’emprunt lors du début de l’entretien.

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    2.5 Conclusion

    La principale difficulté de ce mémoire fut sans conteste d’élaborer une méthodologie

    appropriée à notre problématique. Il nous fallait élaborer une méthode pour saisir lcommunication managériale appliquée sur le site du Décathlon Alleur et son inscription daune démarche symbolique. Pour ce faire, nous avons couplé deux méthodes: l’analyse desdifférents documents émis par les responsables de la communication du site et la réalisatio

    d’entretiens de différents acteurs. Cette investigation double nous permettait d’analyser le

    discours, de recueillir le témoignage des responsables de la communication qui les élaborende ceux qui veillent à son application et, enfin, de ceux qui y sont confrontés quotidiennemenCette approche qualitative nous a permis d’obtenir des informations significatives afind’étudier l’impact en matière de ressenti, d’intériorisation et/ou de réappropriation par les

    travailleurs de la stratégie de communication de l’entreprise.

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    TROISIEME PARTIE : Analyse

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    3.1 Introduction

    Cette troisième et dernière partie sera consacrée à l’analyse de la communication

    managériale pratiquée sur le site du Décathlon Alleur. Afin de vérifier la véracité dl’hypothèse de ce mémoire, quatre points de vue seront confrontés. Tout d’abord,

    immanquablement, celui du chercheur, puisque nous observons à partir des questions ddépart qui sont les nôtres et que les analyses sont le fruit de notre interprétation, bien qu’elles

    soient argumentées et reliées au terrain. Ensuite, le second point de vue sera celui de lcommunication managériale, par l’intermédiaire des documents émis par les responsables de

    la gestion des ressources humaines, ainsi que des discours de ces mêmes responsables récoltlors des entretiens. En troisième lieu, celui des travailleurs de chez Décathlon, par le biais fragments d’entretien.

    Précédemment, nous disions que les techniques de management pratiquées paDécathlon provenaient d’un courant appelé le management participatif. Le livre Le Prix del’excellence, abondamment cité par les auteurs de nouvelles techniques de gestion desressources humaines, fait figure de bible du management participatif. Nous évoquerons donici, les idées défendues par les partisans de ce courant et ce livre en sera la voix. Il constituenotre 4ème point de vue.

    Nous procéderons en faisant se répondre les différents points de vue sur un mêmthème à la suite de quoi ils seront éclairés par des outils tirés de nos lectures théoriques sur sujet, et ce, afin de pouvoir donner sens à nos découvertes à l’aide de différents conceptsanalytiques. Pour donner plus de cohérence à la confrontation des différents points de vunous créerons un personnage hypothétique, lambda. Il incarnera le cas général d’un individu

    engagé chez Décathlon en tant que vendeur sportif. Ainsi nous le suivrons dans ses diversrencontres successives avec l’entreprise : de son entretien d’embauche à son intégration ausein d’un rayon en passant par les formations qu’il sera amené à suivre ou les challenges

    auxquels il participera. Soulignons-le, comme nous l’avons vu dans l’introduction générale dece mémoire, le propos n’est pas ici que tous les salariés adhèrent avec force à Décathlon.

    Lambda ne pourra ainsi être considéré comme la synthèse de ce que pensent et sont tous ltravailleurs de l’enseigne. Il représentera davantage l’idéal -type d’un individu se révélantcroire à l’organisation.

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    3.2 Recrutement et sélection

    Condition sine qua non d’une intégration dans l’entreprise, il faut y être embauché. Entermes de recrutement, Décathlon utilise différents supports et canaux communicationnelDes affiches dans le sas d’entrée des magasins invitent les personnes à la recherche d’un

    emploi à déposer leur CV à l’accueil. Des journées d’animation sont organisées dan s leshautes écoles de commerce. Le « job day » à HEC-ULg en constitue un bon exemple. Dcartes de visite sont distribuées dans les salles de sport. Le réseau social Facebook eégalement investi d’annonces de l’enseigne. Depuis le début de l’année 2011 , DécathlonBelgique a mis sur pied une prime de cooptation de 500 euros pour le travailleur qui conseilà une personne de sa connaissance de postuler chez Décathlon en tant que responsabllogistique30. On entrevoit que le groupe possède deux stratégies de recrutement : la premièr

    organisée au niveau national destinée à la main d’œuvre stratégique (manager, responsablelogistique, etc.) et la seconde organisée par les différents magasins pour les travailleurs d

    base de l’enseigne (vendeur et hôtesse de caisse). Mais tant les ressources humaines deDécathlon Belgique que le Décathlon Alleur investissent différents canaux.

    À Alleur, si le choix du type de profil recherché en fonction du rayon, de la saison edu budget disponible est laissé au « responsable du recrutement et des frais de personnel » dmagasin, chaque responsable univers (RU*) prend la communication de son recrutement emain.

    Afin de recruter les meilleurs candidats, la communication de recrutement doit fairvaloir une image motivante de l’entreprise. Sur les consignes de recrutement (en plusieurs

    points) reçues par chaque RU de chez Décathlon, il est d’ailleurs stipulé dans les points 6 et 7,

    « Je rends Décathlon désirable en tant qu’employeur, dans ma ville, mon pays, mon

    environnement. Je suis l’ambassadeur de Décathlon pour attirer les meilleurs candidats, encommençant par les étudiants. »31 Une journée de recrutement intitulée « Viens en short pourune embauche ! »32 et le « Sport, My Job tour »33 sont exemplaires de cette image jeune à

    30 Annexe 1.

    31 Vous pouvez retrouver l’entièreté de ce document en annexe 2.

    32 Annexe 3.

    33 Annexe 4.

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    l’ambiance décontractée que veut se donner l’entreprise auprès des candidats potentiels. Malgré ces diverses démarchesde recrutement, aujourd’hui au sein du magasin

    d’Alleur, la majorité des embauches se fait à partir de l’espace recrutement du site in ternet deDécathlon Entreprise34. Lambda, à la recherche d’un emploi, a surfé sur cette page internet ety a trouvél’annonce de recrutement pour l’univers cycle et le descriptif du profil du vendeursportif : « Vous êtes sportif et passionné par le sport du rayon pour lequel vous postulez, vouaimez le contact client, vous avez le sens du service et l'esprit d'équipe : ce métier est fait povous ! »35 Dans cette même optique de rendre l’entreprise séduisante pour le candidat plusieurs témoignages de travailleurs36, écrits ou vidéos, sont consultables sur le site.S’identifiant au profil recherché, lambda a pu, par le biais de ce canal, faire parvenir son CVau responsable univers (RU) qui a publié l’annonce.

    Parmi les CV qu’il a reçus, le respon sable de l’univers cycle a dû faire un énorme tri.Le CV de lambda a attiré son attention, peut-être grâce à ses centres d’intérêts 37 et il l’aconvoqué pour un entretien. Bien que le RU soit seul maître de la décision finale concernal’embauche du candidat, ce d ernier rencontrera également le patron direct du RU qui désirel’embaucher. C’est ce qu’on appelle « une validation n+1 ».

    Qu’importe le profil38 de vendeur parmi les quatre définis par la direction, quel est letype de personnes que recherche l’entreprise ? A la lecture de l’annonce, il semblerait que lesport soit un critère de recrutement chez Décathlon, ce qui paraît cohérent avec l

    34 Interview GPCI, le 2avril 2012.

    35 Annexe 5.

    36 Annexe 6 et pour la vidéo www.recrutement.decathlon.fr/pages/vendeur-sportif.php

    37

    - -

    38 Interview RCFP (22 février 2012).Quatre types de profils sont déterminés : « Les potentiels à court terme » quipourront un jour devenir responsables et en manifestent di rectement l’envie. « Les potentiels à long terme »qui après avoir mûri au sein de la société pourront un jour devenir responsables. « Les performers », personnesne souhaitant pas nécessairement devenir RU mais en possèdent toutes les qualités. « Les stables », ceux quiviennent travailler par habitude, qui n’ont pas de réelles ambitions de projet au sein de la société et la sociétén’en a pas réellement pour eux non plus.

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    positionnement de l’entreprise. Comme nous le montrent nos entretiens, l’âge est égalementun des critères. D’ailleurs, dans le cas du site que nous étudions, la moyenne d’âge des

    travailleurs est de 27 ans39. Pour la plupart des travailleurs de l’enseigne, il s’agit de leurentrée dans la vie active,qu’ils demeurent étudiants ou soient fraîchement sortis des études. La

    jeunesse serait un critère de sélection pour les recruteurs de l’enseigne afin de maintenir une

    image jeune et dynamique de l’enseigne. « Soyons honnêtes, on ne recrute que des jeunes… Les plus de 30 ans c’est rare. Car c’est ungroupe jeune et dynamique. Puis c’est aussi un cercle sans fin, comme nos responsables sont

    jeunes, ce serait difficile pour eux d’animer des plus de 40 ans. C’est plus facile quand c’est le premier boulot d’une personne et qu’ils ont tout à apprendre. D’ailleurs un personne de plus de30 ans aura peut-être déjà plus de mal à écouter les ordres d’une personne plus jeune qu’elle,

    pourtant il le faut, c’est son responsable. »40

    Il transparaît également decet extrait d’interview, qu’une personne jeune postulant

    pour son premier emploi devrait adhérer plus facilement à un système parce qu’elle agénéralement moins de recul, d’aspiration ou de responsabilités privées ou familiales. Outre le

    critère de l’âge qui n’est évidemment pas mis publiquement en exergue, le site internet du

    groupe consacré au recrutement avance un autre argument dans l’article intitulé « une politique RH pleine de vitalité » : « Nos collaborateurs partagent le même état d'esprit où passion du sport, sens du service, vitalité, responsabilité et goût du concret sont les valeuessentielles. »41 Effectivement, dès l’entrée sur la page de recrutement du groupe, uneillustration montre un terrain de sport dessiné à gros traits, reliant les mots : vitalitégénérosité, sincérité, responsabilité42. Plus loin, une page entière est consacrée à unedescription assez précise de ces valeurs et qualités humaines recherchées par le groupe. Elexplique plus en détail leurs applications concrètes dans le quotidien du métier.

    « Nos valeurs. Vitalité : être positif et déborder d'énergie. Comme les grands sportifs,toujours chercher à progresser et faire évoluer les choses. Aimer la création et l'innovationest donc indispensable. Sincérité : être transparent autant entre nous qu'avec nosfournisseurs et nos clients. C'est la base d'une entreprise cohérente. Responsabilité etGénérosité : Chez Décathlon, l'un ne va pas sans l'autre. Être généreux dans nos actions

    39 Interview de GPCI du site d’Alleur, 2 avril 2012.

    40Interview d’RCFP, le 22 février 2012.

    41 Annexe 8.

    42 Annexe 9.

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    « Mais conseiller sur des choses qui leur sont utiles, sinon je ne vends pas. C’est ça qui est bienchez Décathlon,c’est qu’on est honnête . »47

    Une autre enquêtée remet, cependant, en question cette valeur de sincérité prônée pason employeur, en déclarant, à deux reprises lors de l’entretien, qu’au point de vue du

    recrutement, de la rotation des travailleurs, cette valeur revendiquée était quelque peu misemal. Mais lorsque, suite à cette affirmation, nous lui demandons d’où provient selon elle cemanque de sincérité, elle évoque « des pommes pourries »48, entendez des personnes haut

    placées dans l’entreprise qui dégradent le système. Elle rejette ainsi la responsabi lité sur une personne en particulier, voire plusieurs, mais en ne remettant pas en cause le système lumême (de recrutement notamment). Nous reviendrons sur cet extrait par la suite, lorsque noévoquerons les forces du système, et les éléments qui, plus que le maintenir, le renforcent.

    Ainsi en guise de conclusion concernant le recrutement, nous retenons que Décathlotente d’attirer les candidats potentiels en valorisant l’image de l’entreprise. Elle sélectionne

    ensuite des individus jeunes, sportifs et partageant les valeurs de l’entreprise. Les compétencestechniques seules ne suffisent plus pour être embauché. Décathlon attend que lambda possècertaines qualités comportementales. «C’est par cette internalisation des valeurs del’entreprise, cette intériorisation profonde des valeurs morales qu’elle [l’entreprise ] met enavant qu’est produite l’adhésion au système. »49

    3.3 Les formations

    Nous l’avons vu, lors de l’embauche, Décathlon mise plutôt sur un jeune sportif

    correspondant à certaines valeurs, non sur son expérience dans la distribution, « sur des savoêtre, plus que sur des savoir-faire »50, comme la GRH aime à le répéter, que ce soit sur leursite internet ou lors des entretiens que nous avons effectués. Une fois lambda recrutél’entreprise mise alors beaucoup sur les formations qu’il devra suivre dans les quelques

    47

    Interview de Louise, vendeuse sportive, le 22 décembre 201148 Interview de Rose, vendeuse sportive, le 28 décembre 2011.

    49 Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence, Paris, Éditions du Seuil, 2007, p. 120.

    50 Cette expression se retrouve notamment dans l’interview de GPCI mais également dans le texte de l’affiche« Viens en short pour un entretien d’embauch e » (Annexe 3) que nous avons cité précédemment.

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    premiers mois de son arrivée afin d’acquérir ce savoir -faire qu’il ne possède pas forcémentlors son entrée dans l’entreprise.

    Si, en Belgique, il n’existe pas comme pour Décathlo n France, une période deformation de plusieurs semaines dans un campus (ndlr : à Villeneuve-d’Ascq) avant la prise defonction, la filiale belge mise également sur ses formations maison. « Chaque nouveacollaborateur dispose d’un plan d’intégration où la formation à nos métiers prend une placemajeure. Ce développement des compétences se poursuit tout au long de votre carrière afin s’adapter à vos souhaits. »51 peut-on lire sur une affiche éditée par les ressources humaines.

    Chez Décathlon, les plans de formations sont conçus en 4 parties : la prise de fonctionl’intégration, l’apprentissage, les formations complémentaires. Ces formations prennent desaspects multiples. L’une concerne la sécurité : le vendeur doit être capable de faire face à une

    évacuation rapide de la clientèle ou à un braquage, par exemple. Une autre formation concerle linéaire*: elle aide à bien comprendre l’implantation des produits dans le rayon. Une autreencore permet de connaître la gamme des articles proposés à la vente dans son univers. Cformations peuvent soit être dispensées oralement par un des collaborateurs du site formé pol’occasion, soit prendre la forme d’un e -learning, c’est -à-dire une formation suivieindividuellement par l’apprenti face à un ordinateur. U ne autre formation vise à améliorerl’efficacité relationnelle dans l’abord du client, afin de mieux appréhender ses besoins et ses

    requêtes. D’autres formations sont encore délivrées au vendeur afin qu’il puisse renforcer le

    personnel de caisse en cas de grande affluence imprévue.Un document distribué aux travailleurs lors de chaque formation met en exergue le

    bienfaits des formations pour les clients, les collaborateurs et l’entreprise. Ainsi, ces

    formations ont pour finalité, entre autres, pour le collaborateur « de développer sa confiancde renforcer sa motivation, de décupler son efficacité au travail et de développer ses savofaire. »52 Elles permettent ainsi à Décathlon de «contribuer à la performance de l’entreprise par le développement de ses collaborateurs, d’accompagner l’internationalisation et la

    croissance du groupe et de porter le sens et les valeurs du groupe. »53 L’objectif de ces

    51 Annexe 11.

    52 Annexe 12.

    53 Ibid.

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    formations serait ainsi de mettre le vendeur plus à l’aise dans son métier au quotidien, afin

    qu’il s’amél iore dans son métier de vendeur, augmentant ainsi les chances de profit dumagasin.

    Le sociologue Michel De Coster souligne un autre aspect de ces formations. Selon lu puisque les qualifications des travailleurs sont relativement faibles lors du recrutement, dtelles formations données par l’organisation rendent le travailleur dépendant de son

    entreprise54. Effectivement, les compétences que le travailleur acquiert par les formationfournies par Décathlon seront difficilement valorisables dans un autre emploi, même dgrande distribution. Nous ajouterons que ces formations, notamment la formation d’hôtesse de

    caisse, permettent une plus grande rotation entre les divers postes de l’entreprise. Elles

    assurent ainsi une mobilité interne plus importante et permettent de faire face à l’engorgement

    des caisses. Parmi le panel de formations dispensées, arrêtons-nous plus longuement sur l

    dénommée « Valeurs et volontés du magasin ». Celle-ci est proposée durant une demi-journlors des trois premiers mois au sein de l’entreprise, à tous les CDD vendeurs et hôtesses decaisses. Une formation accélérée de deux heures est aussi délivrée aux étudiantsContrairement aux autres formations données par des collaborateurs du site, formés à cet effecette dernière est exclusivement assumée par les directeurs (directeur du magasin, directeBelgique, voire directeur Benelux, selon les disponibilités). Comme son nom l’évoque, elle a

    pour finalité de présenter la vision et les objectifs du groupe. Regardons son contenu, e

    analysant pour cela, la vidéo montrée pour l’occasion à tous les collaborateurs 55.Celle-ci permet d’abord de rappeler les valeurs, citées ci -dessus, de chez Décathlon.

    Les apprenants ont d’ailleurs le devoir de descendre en magasin et d’interviewer des

    collaborateurs chevronnés sur les trois valeurs prônées par le magasin. Cette démarche aga bon nombre de collaborateurs, questionnés ou interrogés qui se sentent évalués. Cette méthoconduit à reverbaliser les valeurs de la société. Pour le collaborateur chevronné, il ne s’agit pas

    seulement d’une évaluation mais aussi d’une occasion o ù il est poussé par la pression socialede l’entreprise à devoir montrer l’exemple aux néo -arrivants. En réaffirmant ces valeurs, il

    54Michel De Coster, Sociologie du travail et gestion du personnel , Bruxelles, Éditions Labor, 1987, p. 227.55Annexe 13.

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    atteste son appartenance à la communauté des Décathloniens. Cette évaluation devra permettre de renforcer la mémorisation de ces valeurs, tant chez le vendeur chevronné qchez le nouveau collaborateur. Pour ce dernier, cela lui donne une occasion de les entendrenouveau, ce qui instille une ambiance de communauté autour des valeurs de l’entreprise. L’un

    dans l’autre, cela provoque un renforcement de l’intériorisation de ces valeurs.

    Mais, durant cette formation, les directeurs/formateurs ont également l’occasion de

    présenter les objectifs d’expansion de l’enseigne, à un an, trois ans et cinq ans. Ainsi par cette

    formation, lambda sera mis au parfum du nouveau projet à long terme de Décathlon, de cinqdix ans : le Décathlove. Un projet élaboré par les différents dirigeants de Décathloeuropéens.

    « Les grandes lignes du Décathlove, c'est qu'on voudrait pouvoir créer une marque à laquellele client peut s'identifier. Alors ce n’est pas un projet à un an, c'est beaucoup plus ambitieux.On demandait aux collaborateurs une des marques passions, une marque qui t'atteint dans tonquotidien. Alors certains sortaient Nike s’ils se référaient à du sport. D'autres disaient aussi“moi c'est Nutella, parce que quand j'étais petit je faisais mes tartines avec du Nutella. Nutellac'est vraiment une marque que j'aime bien depuis toujours”. Pourquoi ? Parce que ça te rappellel'enfance, parce que ça a une histoire, parce que ça te raccroche à quelque chose etc. A une personne si on pense à Apple. A des sensations, à un vécu. Et donc on voudrait devenir unemarque de référence et Décathlove c'est un peu ça. Et c'est se dire voilà on voudrait devenir unemarque référente, ce qu'on appelle une lovebrand et à travers différents moyens qu'on va mettreen place, à travers les collaborateurs pour que eux sachent où on va. Et le but, c'est que nosclients adhèrent à ça, pareil, sans s'en rendre compte, mais grâce à ce qu'on a mis en place. »56

    Les responsables de la communication interne de la multinationale semblent avoi parfaitement intégré l’enseignement de la citation de Philippe Schewbig que nous repren ionsdans l’introduction de ce mémoire, selon laquelle « la qualité de la communication internereprésente la condition première de la qualité de la communication externe. »57 Lecollaborateur doit avoir intégré le projet, le Décathlove, pour que l’idée se transmette auprèsdes nombreux clients du magasin. En survolant nos interviews, il se dégage un sentime prégnant de répétition de la communication interne, lorsque le sujet Décathlove a été abordé58.

    « Le but,c’est que Décathlon devienne une marque de ré férence, une marque préférée comme

    56Interview de GPCI, le 2 avril 2012.

    57 Philippe Schwebig,Les communications de l’entreprise , Paris, Mac Graw-Hill, 1986.

    58Le projet Décathlove n’ayant été communiqué qu’en janvier 2012, certains de nos entretiens avaient déjà étéréalisés avant l’annonce et l’explication du projet délivrées aux collabo rateurs.

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    Coca ou Apple. Pour y parvenir, il faut que Décathlon raconte une histoire au client. »59

    « Le défi c’est que Décathlon devienne une marque de référence comme Apple ou Coca. Etdonc on doit tout faire à chaque niveau de la société pour que ça réussisse. »60

    « Il faut que Décathlontouche le cœur des gens. Qu’il fasse partie du quotidien. Que ce ne soit pas une société pour faire du chiffre, mais une société proche du client, qui s’impose dans sonquotidien. Que Décathlon devienne un nom commun comme Apple. Enfin une marque deréférence. Et pour toucher ce grand public, c’est évidemment nous les vendeurs qui devons lefaire passer, puisque c’est nous qui représentons le magasin pour les clients qui viennent . »61

    Dans ces trois courts extraits d’interview, nous trouvons un discours très étudié, répété

    et finalement intégré par les travailleurs interviewés. L’objectif Décathlove a été

    préalablement défini, et toutes les actions quotidiennes des travailleurs de l’entreprise serontguidées par cet objectif. Les travailleurs sont ainsi associés aux grands projets et objectifslong terme de l’entreprise. « Engager le travailleur à collaborer personnellement à laréalisation des objectifs de son organisation, c’est lui faire quitter l’anonymat de sa modestie

    pour l’associer à la grande aventure entrepreneuriale, c’est le désaliéner d’une part, enfinalisant son travail par un ajustement aux objectifs généraux et, d’autre part, en s’intéressant

    à la progression de ses efforts et à la qualité de ses réalisations.»62 La communicationmanagériale du groupe insiste : les vendeurs et hôtesses de caisse sont les seuls à pouvomettre cet objectif en place. Elle valorise ainsi ces deux métiers de base. Les tâches à effectune changent pas, mais l’importance prêtée à la fonction est motivante et enthousiasmante pour

    le personnel.Comme nous l’avons vu, les formations dispensées chez Décathlon ont pour objectif,

    d’une part, d’augmenter le profit de l’entreprise, not amment en inculquant aux travailleurs destechniques de vente. D’autre part, ces formations internes vont permettre d’asseoir l’entreprise

    et ses valeurs en associant le travailleur aux différents objectifs fixés. « [La formation intervise] surtout à unifier les“mentalités de base” des employés de l’entreprise, afin de renforcerle processus d’adhésion de chacun et de tous à l’organisation, à ses valeurs, à sa mission, à ses

    59 Interview d’RCFP, le 22 février 2012.

    60 Interview d’Emeline, vendeuse sportive, le 18 janvier 2012.

    61 Interview d’Isabelle, vendeuse sportive, le 5 février 2012.

    62 Michel De Coster,Sociologie du travail et gestion du personnel , Bruxelles, Éditions Labor, 1987, p. 260.

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    objectifs. »63 Dans le cas du dernier objectif mis en place, le projet Décathlove, le management de l

    multinationale mise sur le storytelling 64 : la société doit, pour conquérir le cœur descollaborateurs et du public, raconter une histoire, son histoire. Nous l’avons vu dans la

    première partie de cette étude, lorsque nous nous sommesintéressée à l’historique del’entreprise : dans les faits, Michel Leclercq crée le premier magasin Décathlon en 1976 dan

    le nord de la France. Mais voyons, à présent, l’histoire que le groupe souhaite raconter.

    3.4 Michel Leclercq, la figure du leader

    « Ce qu'il y a, c'est que Décathlon a une histoire relativement jeune. Puisque le premierDécathlon a été fondé en 1976, donc c'est quand même relativement jeune. Et ça a été créé parquelqu’un vraiment qui y croyait , qui avait la passion, qui est toujours Michel Leclercq et quiest toujours quelqu’un d'actif même s’il a pri s sa retraite […] Parce qu’il estime que c'estimportant qu'il fasse passer le… voilà pourquoi il a créé Décathlon.“Voilà ce en quoi je croyaisqui restent les valeurs de Décathlon et les différentes manières de les mettre en place”. Puisaprès se sont créées d'autres formes de vente, forcément on a évolué avec le temps mais c'est luiqui continue à donner la base. […] C’est une histoire encore jeun e chez nous qui n'a pas encorede grosses bases solides comme peut l'avoir Apple. »65

    « Tout commence avec un allumé, Michel Leclercq, un peu dingue il lance un magasin desport. Mais il se rend vite compte que Nike refuse de vendre dans son petit magasin. Et qu’il estdonc très dépendant des marques internationales. Donc il a lancé un Décathlon et ses propresmarques pour arriver à 70, 80% de marques Décathlon. Et ainsi ne plus être totalementdépendant des marques internationales. Il a fait peut-être quelques erreurs, comme aux USA,mais il a essayé, s’est battu et finalement il s’est éte ndu de Lille à toute la France, puis à la

    Belgique. Et maintenant, nous sommes présents dans quasi le monde entier. On a ouvert desKoodzas, des petits Décathlon, Décathlon.com pour la vente en ligne. Des terres et eaux pourl’environnement . »66

    Dans cesdiscours tenus par deux des cadres du Décathlon d’Alleur, nous constatonsque la majeure partie de l’histoire de Décathlon tient en une seule personne, le fondateur de

    l’entreprise : Michel Leclercq. Décrit comme un « self made man », parti de rien avec un« petit magasin», mais qui, armé de passion et de détermination, a réussi à s’imposer et à

    63

    Aubert Nicole et Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence, Paris, Éditions du Seuil, 2007, p. 122.64 Olivier Clodong et Georges Chétochine,Le storytelling en action : transformer un politique, un cadred’entreprise ou un baril de lessive en héros de saga !, Paris, Éditions d’Organisation, 2009, pp. 83-113.

    65 Interview de GPCI, le 2 avril 2012.

    66 Interview d’RCFP, le 22 février 2012.

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    créer l’empire que l’on connaît aujourd’hui. Il s’agit là cependant du discours des cadres, des

    personnes susceptibles d’un jour donner la formation « Valeurs et volontés du magasin » auxnouveaux collaborateurs, mais voyons maintenant quels éléments de l’histoire de leur

    entreprise retiennent les travailleurs interviewés.« Je sais que le grand patron c’est Michel Leclercq, que c’est une société qui a eu un essorfulgurant, qui est même présente en Chine. Et peut-être même un jour aussi sur le continentaméricain. […]C’est un sportif, un battant. Il a ouvert un petit magasin en France d’abord puis

    petit à petit, il en a ouvert d’autres parce que ça marchait bien . »67

    « C’est une entreprise qui a commencé petite mais le directeur s’est battu pour prendre sesmarques. Peut-être en faisant des erreurs, mais il y est parvenu. Et on voit où la société en estaujourd’hui. On est présent partout dans le monde . »68

    Nous pouvons tirer quelques enseignements de ces extraits. Ces vendeuses ont retenque c’est à force de persévérance et de ténacité que Michel Leclercq a réussi à s’imposer dans

    le monde entier. Bien qu’il soit parti à la retraite en 2009 et ait laissé les rênes de la présidencedu groupe à ses fils, il reste toujours quelque peu actif au sein d’Oxylane. Il assume, en effet,

    la formation « Valeurs et volontés » destinée aux différents directeurs de magasin. Il persisd’ailleurs, au sein de la société, encore un mythe69 à l’égard du fondateur. Par ces différentséléments, nous considérons que le management chez Décathlon utilise la personne de MichLeclercq comme un leader. Selon Boltanski, l’intérêt d’utiliser une telle figure de leader serait

    d’« assurer l’eng agement des travailleurs sans recourir à la force en donnant du sens au travai

    de chacun. Le leader est celui qui fait adhérer les autres. »70

    L’utilisation d’un leader permettrait ainsi de faire adhérer plus aisément le travailleur aux objectifs de l’entr eprise.Plusieurs types de personnalité de leader sont catégorisés. Dans le cas de Décathlon, on tent

    67Interview de Louise, vendeuse sportive, le 22 décembre 2011.

    68 Interview d’Isabelle, vendeuse sportive, le 5 février 2012. Dans le cas de cet extrait, il est intéressant derelever le changement du groupe sujet, passant de « la société » à un « on ».

    69 Nous avons pu entendre, lorsque nous y travaillions, une sorte de parabole le concernant « Michel Leclercq etl’hôtesse de