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L’interface Images en Dermatologie Vol. IV • n° 4 et 5 • juillet-octobre 2011 128 Cas clinique Syndrome POEMS • Plaque cutanée • Plasmocytome • Neuropathie POEMS syndrome • Skin patch • Plasmacytoma • Neuropathy Légendes Figure 1. Placard rouge brun violacé, infiltré et scléreux, latérothoracique droit. Figure 2. Lésion de même aspect à proximité de la première, au niveau lombaire droit. Placard cutané infiltré et immunoglobuline monoclonale Infiltrated skin patch and monoclonal immunoglobulin M. Hello 1 , A. Néel 1 , S. Barbarot 2 ( 1 Service de médecine interne ; 2 Clinique dermatologique, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes) U n homme de 60 ans, éthylotabagique sans autre antécédent, était hospita- lisé pour une neuropathie sensitivomotrice sévère des 4 membres évoluant depuis quelques mois. Observation Sur le plan cutané, il présentait un volumineux placard dermo-hypodermique érythé- mato-purpurique infiltré et scléreux latérothoracique droit. Ce placard asymptomatique était apparu 3 mois auparavant et s’étendait progressivement depuis (figure 1). On observait à proximité une plus petite plaque de même aspect (figure 2). Le patient était apyrétique et son état général était conservé. On palpait 2 adénopathies, axillaire droite et pectorale droite, et une discrète hépatosplénomégalie. On notait aussi des œdèmes des membres inférieurs prenant le godet. Le reste de l’examen était sans particularité. L’électromyogramme (EMG) confirmait l’existence d’une polyneuropathie axonale démyélinisante à prédominance sensitive, de stade avancé. L’examen du liquide céphalorachidien retrouvait une hyperprotéinorachie à 1,1 g/l, sans réaction cellulaire. Sur le plan biologique, l’hémogramme, l’hémostase, le ionogramme sanguin, la glycémie, la calcémie, la fonction rénale et le bilan hépatique étaient normaux. La CRP était à 16 mg/l. L’électrophorèse des protéines sériques retrouvait une IgG-λ monoclo- nale en faible concentration, sans abaissement des autres classes d’immunoglobulines. Il n’y avait pas de protéinurie de Bence-Jones. Le myélogramme et la biopsie ostéo- médullaire étaient normaux (pas de plasmocytose significative, notamment). Le bilan immunologique (facteur antinucléaire, anticorps anticytoplasme des polynucléaires [ANCA], CH50, C3, C4), la recherche d’anticorps antineurone et de cryoglobuline, la sérologie de Lyme et la PCR HHV8 étaient négatifs. Le bilan hormonal ne retrouvait ni hypogonadisme, ni hypothyroïdie, ni insuffisance surrénalienne. La biopsie cutanée profonde de la lésion objectivait une prolifération vasculaire aspé- cifique, sans infiltrat ni dépôts notables (figures 3 et 4, p. 131). La biopsie du ganglion pectoral droit n’était pas contributive (adénopathie en régression fibroadipeuse). Le scanner thoraco-abdominopelvien révélait une lyse de l’arc postérieur de la onzième côte droite, située en regard de l’infiltration cutanée (figure 5, p. 131), et des adéno- pathies axillaires hypervasculaires. Cette lésion ostéolytique était unique et hyper- métabolique sur le FDG-PET scan. La biopsie osseuse confirmait le diagnostic de plasmocytome (prolifération tumorale plasmocytaire monotypique lambda). Le patient était traité par radiothérapie localisée et thérapie systémique (lénalidomide et dexaméthasone), avec une bonne réponse après 2 mois de suivi.

Placard cutané infi ltré et immunoglobuline monoclonale

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Page 1: Placard cutané infi ltré et immunoglobuline monoclonale

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Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 4 et 5 • juillet-octobre 2011128

Cas clinique

Syndrome POEMS • Plaque cutanée • Plasmocytome • Neuropathie

POEMS syndrome • Skin patch • Plasmacytoma • Neuropathy

Légendes

Figure 1. Placard rouge brun violacé, infi ltré et scléreux, latérothoracique droit.

Figure 2. Lésion de même aspect à proximité de la première, au niveau lombaire droit.

Placard cutané infi ltré et immunoglobuline monoclonaleInfi ltrated skin patch and monoclonal immunoglobulinM. Hello1, A. Néel1, S. Barbarot2 (1 Service de médecine interne ; 2 Clinique dermatologique, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes)

U n homme de 60 ans, éthylotabagique sans autre antécédent, était hospita-lisé pour une neuropathie sensitivomotrice sévère des 4 membres évoluant

depuis quelques mois.

Observation

Sur le plan cutané, il présentait un volumineux placard dermo-hypodermique érythé-mato-purpurique infi ltré et scléreux latérothoracique droit. Ce placard asymptomatique était apparu 3 mois auparavant et s’étendait progressivement depuis (fi gure 1). On observait à proximité une plus petite plaque de même aspect (fi gure 2).

Le patient était apyrétique et son état général était conservé. On palpait 2 adénopathies, axillaire droite et pectorale droite, et une discrète hépatosplénomégalie. On notait aussi des œdèmes des membres inférieurs prenant le godet. Le reste de l’examen était sans particularité.

L’électromyogramme (EMG) confi rmait l’existence d’une polyneuropathie axonale démyélinisante à prédominance sensitive, de stade avancé. L’examen du liquide céphalorachidien retrouvait une hyperprotéinorachie à 1,1 g/l, sans réaction cellulaire.

Sur le plan biologique, l’hémogramme, l’hémostase, le ionogramme sanguin, la glycémie, la calcémie, la fonction rénale et le bilan hépatique étaient normaux. La CRP était à 16 mg/l. L’électrophorèse des protéines sériques retrouvait une IgG-λ monoclo-nale en faible concentration, sans abaissement des autres classes d’immunoglobulines. Il n’y avait pas de protéinurie de Bence-Jones. Le myélogramme et la biopsie ostéo-médullaire étaient normaux (pas de plasmocytose signifi cative, notamment). Le bilan immunologique (facteur antinucléaire, anticorps anticytoplasme des polynucléaires [ANCA], CH50, C3, C4), la recherche d’anticorps antineurone et de cryoglobuline, la sérologie de Lyme et la PCR HHV8 étaient négatifs. Le bilan hormonal ne retrouvait ni hypogonadisme, ni hypothyroïdie, ni insuffi sance surrénalienne.

La biopsie cutanée profonde de la lésion objectivait une prolifération vasculaire aspé-cifi que, sans infi ltrat ni dépôts notables (fi gures 3 et 4, p. 131). La biopsie du ganglion pectoral droit n’était pas contributive (adénopathie en régression fi broadipeuse).

Le scanner thoraco-abdominopelvien révélait une lyse de l’arc postérieur de la onzième côte droite, située en regard de l’infi ltration cutanée (fi gure 5, p. 131), et des adéno-pathies axillaires hypervasculaires. Cette lésion ostéolytique était unique et hyper-métabolique sur le FDG-PET scan. La biopsie osseuse confi rmait le diagnostic de plasmocytome (prolifération tumorale plasmocytaire monotypique lambda).

Le patient était traité par radiothérapie localisée et thérapie systémique (lénalidomide et dexaméthasone), avec une bonne réponse après 2 mois de suivi.

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Cas clinique

Discussion

Il s’agit ici d’un plasmocytome solitaire costal révélé par un syndrome AESOP.

Le syndrome AESOP (Adenopathy and Extensive Skin Patch Overlying a Plasmacytoma) a été décrit par D. Lipsker et al., en 2003 (1). À notre connaissance, 1 seul cas a été rapporté depuis cette publication (2).

Le syndrome AESOP se manifeste par un placard cutané rouge brun violacé plus ou moins infiltré, scléreux et télangiectasique, d’extension progressive, à proximité immé-diate d’un plasmocytome osseux. On observe parfois des lésions identiques – mais de plus petite taille – à proximité du placard cutané initial. Ce placard inflammatoire est volontiers associé à des adénopathies locorégionales, qui apparaissent secondairement. Dans la série de 10 cas rapportée par D. Lipsker et al., la lésion cutanée était toujours localisée en regard d’un plasmocytome osseux (1). Dans l’observation de F. Rongioletti et al., le plasmocytome osseux n’était pas situé tout à fait en regard (2).

Les diagnostics différentiels de l’AESOP sont essentiellement représentés par l’erythema migrans, l’acrodermatite chronique atrophiante, les morphées, le granulome annulaire, la mucinose érythémateuse et réticulée (REM), les lésions de radiodermite chronique, les lymphomes angiotropes et les lymphomes T à type de panniculite.

Dans notre observation, le syndrome AESOP était lié à un syndrome POEMS (Polyneu-ropathy, Organomegaly, Endocrinopathy, Monoclonal protein, Skin changes). Celui-ci était néanmoins incomplet car il n’y avait pas d’endocrinopathie ni de manifestations cutanées classiques (angiomes gloméruloïdes, hyperpigmentation, lipoatrophie faciale, hypertrichose, sclérose cutanée).

Dans la série de Lipsker et al., 3 cas d’AESOP étaient associés à un syndrome POEMS (d’emblée dans 1 cas, secondairement dans les 2 autres). Cette coexistence ne semble pas fortuite et reflète vraisemblablement des mécanismes physiopathologiques communs. En effet, l’AESOP correspond histologiquement à une prolifération vas-culaire non spécifique, éventuellement liée à une hypersécrétion de VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) par les plasmocytes. Or, le VEGF est une cytokine dont le rôle physiopathologique au cours du POEMS est bien connu (3, 4).

Le traitement de l’AESOP correspond à celui du plasmocytome. En cas de lésion osseuse unique et en l’absence de plasmocytose médullaire significative, la radiothérapie loca-lisée à fortes doses reste le traitement de première intention. En cas de maladie disséminée, un traitement systémique est proposé (4, 5).

Une plaque rouge violacé, lentement extensive et associée à une immunoglobuline mono-clonale peut révéler un plasmocytome à un stade précoce et de bon pronostic. II

Références bibliographiques1. Lipsker D, Rondeau M, Massard G, Grosshans E. The AESOP (Adenopathy and Extensive Skin Patch Overlying a Plasmacytoma) syndrome: report of 4 cases of a new syndrome revealing POEMS (Polyneuro-pathy, Organomegaly, Endocrinopathy, Monoclonal protein, and Skin changes) syndrome at a curable stage. Medicine (Baltimore) 2003;82:51-9.2. Rongioletti F, Romanelli P, Rebora A. Cutaneous mucinous angiomatosis as a presenting sign of bone plasmacytoma: a new case of (A)ESOP syndrome. J Am Acad Dermatol 2006;55:909-10.3. Nobile-Orazio E, Terenghi F, Giannotta C, Gallia F, Nozza A. Serum VEGF levels in POEMS syndrome and in immune-mediated neuropathies. Neurology 2009;72:1024-6.4. Dispenzieri A. POEMS syndrome. Blood Rev 2007;21:285-99.5. Mayr NA, Wen BC, Hussey DH et al. The role of radiation therapy in the treatment of solitary plamacy-tomas. Radiother Oncol 1990;17:293-303.

Légendes

Figure 3. Biopsie de la lésion de la figure 1 (HES, × 10) : prolifération vasculaire dermique aspécifique.

Figure 4. Biopsie de la lésion de la figure 1 (HES, × 20) : immunomarquage CD31 positif, confirmant la nature vasculaire de la proli-fération dermique.

Figure 5. Lyse de l’arc postérieur de la onzième côte droite, située en regard de l’infiltration cutanée.

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