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DOSSIER | P 5 | QUELLE PLACE POUR LE THÉÂTRE DANS LA VILLE D’AUJOURD’HUI ? Le théâtre, art de la ville La ville, théâtre vivant PATRIMOINE | P. 84 | LE CENTRE D’HISTOIRE DU TRAVAIL OUVRE SES COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES Images du travail, images du peuple p. 76 L’EMPLOI RÉSISTE GRÂCE AUX ACTIVITÉS MÉTROPOLITAINES p. 146 LE « SYNDICAT DES QUARTIERS POPULAIRES » EST NÉ À NANTES p. 150 UN JEUNE ARCHITECTE RÊVE UNE NOUVELLE TOUR BRETAGNE #48 Place Publique 9 782848 092362 NANTES/SAINT-NAZAIRE 10LA REVUE URBAINE | Novembre-Décembre 2014

Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

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Dossier : Le théâtre, art de la ville La ville, théâtre vivant novembre-décembre 2014 Place publique est une revue de réflexion et de débat sur les questions urbaines, installée au cœur de la métropole Nantes / Saint-Nazaire. Une revue de référence qui privilégie la raison à l’émotion, la durée à l’éphémère. Une revue généraliste croisant les savoirs, les regards, les approches. Une revue qui permet la confrontation des projets.

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DOSSIER | P 5 | QUELLE PLACE POUR LE THÉÂTRE DANS LA VILLE D’AUJOURD’HUI ?

Le théâtre, art de la villeLa ville, théâtre vivantPATRIMOINE | P. 84 | LE CENTRE D’HISTOIRE DU TRAVAIL OUVRE SES COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES

Images du travail,images du peuple

p. 76L’EMPLOI RÉSISTE GRÂCE AUX ACTIVITÉS MÉTROPOLITAINES

p. 146LE « SYNDICAT DES QUARTIERS POPULAIRES » EST NÉ À NANTES

p. 150UN JEUNE ARCHITECTE RÊVE UNE NOUVELLE TOUR BRETAGNE

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LA REVUE URBAINE | Novembre-Décembre 2014

Situé à l’est de Nantes, ce quartier fut longtemps celui des maraîchers qui y cultivaient carottes, salades et petits pois. Aujourd’hui intégré dans l’agglomération, le quartier Bottière-Chénaie reste un morceau de campagne en ville : une fidélité aux origines mais aussi la volonté de promouvoir un habitat durable. Épousant la géographie du site, bien relié au reste de la ville, le quartier est un exemple de densité intelligente et d’attention portée à la nature. Il offre aussi toutes les facettes de l’urbanité : école, médiathèque, commerces, espaces publics, vie associative naissante…Ce hors-série de la revue Place publique retrace l’histoire du quartier, décrit l’ambition des élus et des urbanistes, fait témoigner les habitants et les commerçants.Il a été rédigé par Philippe Dossal, journaliste indépendant, collaborateur régulier de Place publique, et par Emmanuelle Morin, de l’agence Double Mixte.

En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €

Vient de paraître

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LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

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6 numéros 50 € Nouveau numéro hors-série de Place Publique

Un parc naturel régional devrait voir le jour dans l’estuaire de la Loire et le lac de Grandlieu. Une étude de faisabilité a été lancée. La Région prendra sa décision définitive début 2015.Ce projet fait la quasi-unanimité alors que celui d’une réserve naturelle nationale soulève bien des craintes. Mais il pose la question d’un dessein commun, d’une vision partagée de l’estuaire par les industriels et les naturalistes, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs…Fragile et précieux, l’estuaire du plus long fleuve de France est un lieu de conflit d’usages, de choc des imaginaires. Le parc naturel ne remplira vraiment sa mission que s’il parvient à faire confluer des désirs d’estuaire.Ce hors-série a été rédigé par Thierry Guidet qui dirige la revue Place publique.

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| SOMMAIRE

LA CARTE& LE TERRITOIREBenoît Ferrandon L’emploi depuis la crise : la métropolisation en marche

PATRIMOINENicolas de La Casinière Le goust des ruinesXavier Nerrière Images du travail, images du peuple

SIGNES DES TEMPSBloc-notesCritiques de livresFranck Renaud Le jokari nazairien de Patrick DevilleDaniel Morvan Sika Fakambi, « tombée en traduction »La chronique de Cécile ArnouxLa chronique de Jean-Luc QuéauLes expositionsLa chronique d’architecturede Dominique Amouroux

CONTRIBUTIONSGuillaume Durand L’éthique appartient aux citoyensPierre Gilbert Saint-Nazaire : une autre lecture des municipales

INITIATIVES URBAINESAïcha Boutaleb Pas sans nous ! le « syndicat des quartiers populaires » est né à NantesJean-Louis Violeau La Tour Bretagne, cet obscur objet du désir (des architectes)Marc Dumont Projets urbains

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ÉDITOPlace publique

LE DOSSIERLe théâtre, art de la ville.La ville, théâtre vivant

1. État des lieuxà Nantes/Saint-NazaireMarcel Freydefont La constellation nantaiseMarcel Freydefont et Clémence Gabilleau Cartographie des lieux scéniques à Nantes/Saint-NazaireThierry Guidet Une brève histoire du théâtre à Nantes/Saint-NazaireSophie Minssart Le théâtrede Saint-Nazaire : la cultureau service du projet de ville

Catherine Blondeau « Le théâtre, art de la présence, art du présent »

2. Théâtralité de la ville,urbanité du théâtreMarcel Freydefont La ville et le théâtre, une métaphore toujours viveXavier Fabre Le théâtre contre la ville, tout contre…Antoni Ramon Graells Barcelone, accords et désaccords du théâtre et de la villeSerge Rangoni Liège : l’utile et l’agréableEmmanuelle Gangloff Quand Les Machines mettent la ville en scèneLucie Thévenet Royal de Luxe : la grande échelleYann Rocher Des théâtres en utopieLaurent Devisme et Christian Leray La théâtralité contre l’urbanité ?

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PLACE PUBLIQUENantes/Saint-Nazaire. La revue urbaineTour Bretagne Place BretagneBP 72423 - 44047 Nantes Cedex 1www.revue-placepublique.fr

Directeur de la publication :Jean-Claude Murgalé

Directeur : Thierry [email protected]

Chargée de diffusion :Marine Jaffré[email protected]él. 06 75 06 32 67

Comité de rédaction :Jean-Paul Barbe, Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Martine Mespoulet, Jean-Claude Pinson, Franck Renaud, Laurent Théry, Jean-Louis Violeau, Gabriel Vitré.

Ont participé à ce numéro :Dominique Amouroux, Cécile Arnoux, Grégoire Arthuis, Catherine Blondeau, Aïcha Boutaleb, Alain Croix, Patrick Deville, Laurent Devisme, Marc Dumont, Guillaume Durand, Xavier Fabre, Sika Fakambi, Benoît Ferrandon, Marcel Freydefont, Clémence Gabilleau, Emmanuelle Gangloff, Pierre Gilbert, Antoni Ramon Graells, Thierry Guidet, Georges Guitton, Catherine Guy, Nicolas de La Casinière, Christian Leray, Sophie Minssart, Daniel Morvan, Xavier Nerrière, Jean-Claude Pinson, Jean-Luc Quéau, Serge Rangoni, Franck Renaud, Danielle Robert-Guédon, Yann Rocher, Lucie Thévenet, Jean-Louis Violeau.

Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats.Administrateurs :Soizick Angomard, Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, Jean-Luc Huet, Jean-Claude Murgalé, Bernard Remaud, Françoise Rubellin.

Direction artistique : Bernard Martinéditions joca seria, [email protected]

Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan.Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85)

ISSN 1955-6020

Place publique bénéficie du soutien de La Poste Diffusion presse Nantes et Saint-Nazaire : SADDiffusion librairie : Joca Seria/Pollen

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ntre la ville et le théâtre, quelle histoire ! Des gradins antiques aux scènes contemporaines en passant par les beaux édifices des 18e et 19e siècles à la fois lieux de rassemblement, foyers d’imper-

tinence, signes de distinction. Le théâtre fut longtemps l’art urbain par excellence tandis que la ville est depuis l’origine un lieu de représentation, un espace organisé pour voir et être vu.

Saisissant le prétexte d’une rencontre internationale « Place du théâtre, forme de la ville », organisée par l’École d’architec-ture de Nantes, nous avons conçu un dossier

à double entrée : le théâtre comme art de la ville ; la ville comme théâtre vivant.

Et d’abord, un état des lieux à Nantes/Saint-Nazaire. Cartes à l’appui, le scéno-graphe Marcel Freydefont, à l’initiative de la rencontre, montre la diversité des lieux scéniques dans la métropole : près de qua-rante-cinq salles dans la seule agglomération nantaise. Une densité qu’on rencontre dans d’autres villes françaises et européennes et qui conduit à se demander si ce n’est pas là le signe de la singularité et de la résistance d’un certain modèle urbain à l’heure de la mondialisation. Des fiches sont consacrées à la présentation de chacun des équipements les plus notables.

Une brève histoire ensuite, du théâtre à Nantes/Saint-Nazaire : les pièces à machines données au 16e siècle au château des ducs de Bretagne, la construction du quartier Graslin autour du théâtre à la veille de la Révolution, la concurrence du cinéma, une vivace tradi-tion de marionnettes, le tournant manqué par Nantes de la décentralisation théâtrale d’après guerre, le rôle surprenant occupé par le théâtre dans la guerre des cultures qui opposa la droite et la gauche dans les années 1980…

L’architecte-urbaniste Sophie Minssart explique pourquoi une ville comme Saint-Nazaire a décidé de se doter d’un théâtre tout neuf à deux pas du port, dans l’écrin de l’ancienne gare où descendaient jadis les voyageurs avant de monter à bord des paque-bots transatlantiques. La culture possède, bien sûr, sa vocation propre, mais dans ce cas elle se met aussi au service d’un projet urbain plus vaste.

L’état des lieux se referme par une conversation avec Catherine Blondeau, la directrice du Grand T, le principal théâtre de la métropole, qui offre pourtant cette singu-larité, liée à l’histoire, d’être très majoritaire-ment financé par le Département. Catherine Blondeau expose avec brio les raisons de sa croyance dans la pérennité de l’art drama-tique. Irremplaçable, « le théâtre est un art de la présence, un art du présent. » Et le Grand T pourrait bien être une « école du sensible ».

Le second volet du dossier s’éloigne par-fois de Nantes/Saint-Nazaire pour explo-rer, de manière plus conceptuelle, les liens tissés entre le théâtre et la ville. Il est exact, concède Marcel Freydefont, qu’au 20e siècle,

La ville et le théâtre, le théâtre et la ville

On ne sait trop qui, de la ville ou du théâtre, tend un miroir à l’autre. Ce dossier explore leur fascination réciproque à l’occasion d’une rencontre internationale « Place du théâtre,

forme de la ville ».

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le livre publié par Actes Sud) qui expose 90 projets de théâtre, de l’Antiquité à nos jours, restés à l’état de plans, de maquettes ou de textes…

Ce dossier se referme sur un question-nement de Laurent Devisme, qui enseigne les sciences de l’espace social à l’École d’ar-chitecture de Nantes : et si la théâtralité de la ville était un piège ? Si la mise en scène tuait l’émotion ? Si les vastes perspectives et les places immenses nuisaient à la véritable urbanité, faite de frottements, de contacts, de rencontres, de surprises ?

Sans risquer de réponses, le photographe Christian Leray prolonge l’interrogation en images : une place Graslin déserte qu’on croirait peinte par Chirico ; le passage Pom-meraye, haut lieu de la théâtralité nantaise, comme on ne l’avait jamais vu ; la plage inventée de l’Île de Nantes tournée vers les quais anciens ; les lignes de fuite du CHU depuis l’île Feydeau ; le front de mer à Saint-Nazaire comme une rambla entre le ciel et l’eau… n

le théâtre a perdu sa prééminence au profit du cinéma. Mais si l’on en donne une défini-tion large, le théâtre n’a rien perdu de sa per-tinence. La diversité des lieux scéniques fait écho à la diversité de la ville, elle-même de plus en plus soucieuse de se mettre en scène.

L’architecte Xavier Fabre montre bien que cette diversité des lieux n’a rien d’une nouveauté. La salle majestueuse, orgueil et ornement de la cité, n’est qu’un des modèles possibles. Au fil des siècles se joue une rela-tion complexe entre la ville et le théâtre qui, parfois, l’accapare et parfois le relègue. Deux exemples pris à l’étranger illustrent ce propos : la manière dont, à Barcelone, les théâtres se sont édifiés comme en éclaireurs de l’urbani-sation ; la façon dont Liège, touchée de plein fouet par la désindustrialisation, a utilisé un bel édifice du 19e siècle pour jouer la carte de la culture comme vecteur du développe-ment.

À partir du cas des Machines, sur l’Île de Nantes, la scénographe Emmanuelle Gan-gloff le souligne : sa discipline échappe à la simple sphère du théâtre. En tant que drama-turgie de l’espace, elle est devenue un outil d’aménagement urbain.

Autre exemple nantais de la porosité entre la ville et le théâtre. Avec Royal de Luxe, ex-plique l’universitaire nantaise Lucie Théve-net, la ville et ses rues deviennent une scène immense. La pièce dure des jours et les di-zaines de milliers de spectateurs sont autant d’acteurs d’un spectacle à grande échelle. Décidément, tous les Nantais peuvent se prendre pour des géants !

L’architecte Yves Rocher prolonge la rê-verie en évoquant l’exposition accueillie par le Lieu Unique, « Théâtres en utopie », (et

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LE DOSSIERLe théâtre, art de la villeLa ville, théâtre vivant

1. État des lieuxà Nantes/Saint-NazaireMarcel Freydefont La constellation nantaiseMarcel Freydefont et Clémence Gabilleau Cartographie des lieux scéniques à Nantes/Saint-NazaireThierry Guidet Une brève histoire du théâtre à Nantes/Saint-NazaireSophie Minssart Le théâtrede Saint-Nazaire : la cultureau service du projet de villeCatherine Blondeau « Le théâtre, art de la présence, art du présent »

2. Théâtralité de la ville,urbanité du théâtreMarcel Freydefont La ville et le théâtre, une métaphore toujours viveXavier Fabre Le théâtre contre la ville, tout contre…Antoni Ramon Graells Barcelone, accords et désaccords du théâtre et de la villeSerge Rangoni Liège : l’utile et l’agréableEmmanuelle Gangloff Quand Les Machines mettent la ville en scèneLucie Thévenet Royal de Luxe : la grande échelleYann Rocher Des théâtres en utopieLaurent Devisme et Christian Leray La théâtralité contre l’urbanité ?

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LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

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Les lieux scéniques sont des lieux de représentation, de rassemblement et d’échange, ainsi que des lieux

de vie, symptomatiques des villes et des mutations ur-baines. Ainsi Nantes révèle-t-elle une part de sa substance à travers la constellation de ses théâtres, assemblées de spectateurs et plateaux dédiés aux artistes et techniciens, en miroir d’une ville composite qui ne cesse de chan-ger. Leur typologie est diverse d’un point de vue urbain, architectural, scénographique, artistique, culturel, institu-tionnel, économique, social, politique. On peut émettre l’hypothèse que la métropole de Nantes donne un visage et une forme à la ville contemporaine, forme tempérée, équilibrée, cohérente dans son hétérogénéité et son éclec-tisme, fluide, agréable à vivre. Elle se prête à de nouvelles représentations dans tous les sens du terme, en combinant réalité et imaginaire.

Dans son offre de création, de diffusion et de forma-tion, Nantes constitue une figure singulière pour les arts de la scène et une cartographie exemplaire : le théâtre y tient sa place dans la ville sans jamais se réduire à un modèle unique. Plutôt que de se fonder sur des modèles anciens de l’action culturelle (en regrettant par exemple l’absence d’un Centre dramatique national à Nantes), cette singularité doit être soulignée et valorisée. Dans leurs statuts, leurs missions, leurs actions, Angers Nantes

La constellation nantaise

RÉSUMÉ > La diversité des théâtres dans l’agglomé-ration nantaise, et plus généralement dans la région, témoigne bien de la forme d’une ville, tempérée, éclec-tique et composite. Le constat peut être élargi à d’autres régions de France et d’Europe. On peut y voir le symp-

tôme tout à la fois du renouveau du théâtre et de la résistance du modèle de ville à l’européenne.

MARCEL FREYDEFONT est scénographe, fondateur du département Scénographie à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Il a collaboré avec Michel Corvin au Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Éditions Bordas, Paris 1991 (nouvelle édition, 2008) avec Robert Abirached au Théâtre français du XXe siècle, Anthologie de L’avant-scène théâtre, Paris 2011. Il a publié un Petit traité de scénographie, Carnets de la MCLA, Éditions Joca Seria, Nantes 2007 (nouvelle édition en cours). Il est à l’initiative de la rencontre Place du théâtre, forme de la ville.

TEXTE > MARCEL FREYDEFONT

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DOSSIER | LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT

Opéra, le Grand T, le Lieu unique, le Théâtre universi-taire, le Studio Théâtre, la Salle Vasse, le Centre choré-graphique national, Onyx-La Carrière, l’Arc à Rezé, la Fabrique, Royal de Luxe, la compagnie la Machine, les Machines de l’Ile, notamment et sans être exhaustif com-posent cette constellation singulière où prennent place des théâtres privés comme le Théâtre 100 noms ! des cafés-théâtres ou des lieux associatifs comme le Terrain Neutre Théâtre. Ces établissements renouvellent de fait le cadre et les missions impartis jusqu’alors aux établissements labelli-sés de la décentralisation culturelle, dramatique, musicale, lyrique, chorégraphique.

Parmi d’autres initiatives, en mai 2011, la venue du Théâtre du Soleil à Nantes, ou celle de la Compagnie de cirque Les Colporteurs en décembre 2012 ou de Circa Tsuica en décembre 2014, la saison culturelle québécoise Oupalaï en 2014-2015 à Nantes, au Mans, en Loire-Atlan-tique et dans les Pays de la Loire témoignent des synergies entre tous ces acteurs et ces lieux.

Comme un grand théâtreouvert sur le mondePlus largement, si l’on ouvre l’objectif en considérant

l’aire métropolitaine Nantes/Saint-Nazaire, cette exempla-rité s’accentue en ce qui concerne les lieux scéniques et la forme urbaine. Élargissant encore le focus pour accéder à une vision régionale qui va de Saint-Nazaire au Mans en passant par Nantes, Ancenis, Châteaubriant, Château-Gontier, Laval, Cholet, La Roche-sur-Yon, le constat devient encore plus net : il se dessine une ville-territoire constituée d’un chapelet de localités petites, moyennes et grandes. À cette échelle, la ville peut apparaître comme un grand théâtre ouvert sur le monde.

Revenons à l’agglomération nantaise. Au total, près de 45 salles ou lieux scéniques équipés ayant une programmation suivie pour une agglomération de 600 000 habitants (voir la carte métropolitaine) : lieux dédiés, depuis le théâtre Gras-lin, théâtre historique (1788), siège d’Angers Nantes Opéra, jusqu’au théâtre urbain ouvert des Machines de l’Île (2007) installé sous et autour des Nefs des anciens chantiers navals (et tant d’autres lieux investis temporairement ou de façon perma-nente dans la ville, clos ou ouverts), en passant par le Grand T, théâtre frontal1 (1982) ; le Lieu unique, cette ancienne usine réinvestie (2000) ou l’Onyx à Saint-Herblain (1988), cube noir construit à l’origine sur un no man’s land en périphérie, devenu aujourd’hui un grand centre commercial ; la Fabrique (2011), bâtiment neuf qui se glisse sous une ancienne halle industrielle et s’accroche à un bunker – ces trois derniers lieux scéniques étant transdisciplinaires et transformables – et d’autres lieux comme L’Arc à Rezé, ancienne salle des fêtes dans une zone pavillonnaire, transformée en théâtre frontal (1938-1957) ; le Théâtre universitaire (1994) théâtre trans-formable situé sur le campus entre l’hippodrome et les rives boisées de l’Erdre, ou La Cité, centre de culture et de congrès (1992) dont la grande salle est étagée à la française. Le mot transformation vient vite dès que l’on parle de théâtre.

Au plan des Pays de la Loire (voir la carte régionale), de Saint-Nazaire avec le Théâtre (2012) à Angers avec le Théâtre du Quai (2007), et au Mans avec L’Espace des Jacobins (2014) qui complète le Théâtre de l’Espal (2001) sans oublier la Fonderie, lieu investi par le Théâtre du Radeau depuis 1985, un même constat peut être fait.

1. Un théâtre frontal est un lieu où la salle, constituée d’un bloc de gradins, et la scène se répondent face à face. Voir aussi p. 14

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LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

Cartographie des lieux scéniques à Nantes/Saint-Nazaire

CONCEPTION, LÉGENDES ET SCHÉMAS TYPOLOGIQUES EN PLAN ET COUPE > MARCEL FREYDEFONT

CARTOGRAPHIE, INFOGRAPHIE, PLANS MASSE > CLÉMENCE GABILLEAU

Cette cartographie est issue de l’enseignement au sein du Département Scénographie de l’École natiionale supérieure d’architecture de Nantes. Elle s’appuie sur le travail de collecte dirigé par Marcel Freydefont et Bruno Suner et réalisé par les étudiants en scénographie et en architecture (Cycle supérieur professionnel spécialisé Scénographe DPEA et cycle conduisant au diplôme d’État d’Architecte). Pour plus de détails, consulter les monographies réalisées sur le site web http://archilisce.nantes.archi.frSite web du cycle Scénographe DPEA http://www.ensanantes.fr/le-dpea-scénographeSite web du Groupe d’étude et de recherche scénologique en architecture : http://gersa.nantes.archi.fr

Jean Chollet, Marcel Freydefont, Lieux scéniques en France (1980-1995) Quinze ans d’architecture et de scénographie, Éditions AS, Paris 1996

CLÉMENCE GABILLEAU, architecte diplômée d’Etat (2014) a suivi sa formation à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes.

Contient des informations de «Salles de spectacle en Loire-Atlantique», présentement mises à disposition aux conditions de la licence ODbL (Open Database License) (http://data.nantes.fr/fileadmin/nm_opendata/pdf/Licence_ODbL_Nantes_VF.pdf).Le propriétaire : Musique et danse en Loire-Atlantique, le diffuseur : Département de Loire-Atlantique(http://data.nantes.fr/donnees/detail/salles-de-spectacles-en-loire-atlantique/?tx_icsoddatastore_pi1[page]=2)Contient des informations de la base de données «ROUTE 500®», produit de l’IGN, présentement mises à disposition aux conditions de la «licence ouverte» version 1.0

Ce constat vaut pour tant d’autres villes (150 à 200 lieux répertoriés à Paris intra-muros, 60 lieux scéniques à Toulouse dont 17 théâtres) ou dans des régions (500 lieux en Île-de-France, 460 lieux en PACA). Une approche ter-ritoriale dans d’autres pays (se reporter aux cas de Liège et Barcelone) confirme le diagnostic. Et si cette multi-plication des lieux scéniques était à la fois le symptôme d’un regain du théâtre et d’une résilience du modèle de la ville européenne, de la ville spécifique qui refuse de se transformer en une ville générique, expression de la seule volonté du marché ? n

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DOSSIER | LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT

N 165 / E60LA BAULE

ST NAZAIREVANNES

BREST

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D 723ST BREVIN

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ST NAZAIREVANNES

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NOIRMOUTIER

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1 - THÉÂTRE BORIS VIANthéâtre240 p. assisesthéâtre, musique, danse

2 - LA CARRIÈREscène conventionnée danse700 p. assises, 1800 p. deboutThéâtre, musique, danse, cirque

3 – ONYXscène conventionnée danse558 p. assises, 950 p. deboutthéâtre, musique, danse, cirque

4 – ZÉNITH NANTES MÉTROPOLEZénith2200 à 9 000 p.musique, one man shows, comédies musicales

5 – MAISON DES ARTSmaison des arts165 p. assisesmusique

6 – MAISON DE QUARTIER DES DERVALLIÈREScentre socio-culturel200 p. assises, 300 p. deboutdécouverte culturelle en lien avec le quartier

7 – L’ODYSSÉEthéâtre323 p. assises, 1 100 p. deboutthéâtre, musique, danse, one man shows

8 – THÉÂTRE DE LA GOBINIÈREthéâtre203 p. assisesthéâtre

9 – TU - THÉÂTRE UNIVERSITAIREthéâtre312 p. assisesthéâtre, danse

10 – ESPACE CULTUREL CAPELLIA espace culturel500 p. assises, 1000 p. deboutthéâtre, musique, danse, one man shows

11 – LE JAMscène de musiques actuelles et studios de répétition200 p.musique

12 – LA FLEURIAYEthéâtre814 p. assisesthéâtre, musique, danse, cirque, one man show

13 - LE VALLONthéâtre226 p. assises, 356p. deboutthéâtre, musique

14 – LIGERIAcentre culturel396 p. assises, 700 p. deboutthéâtre, musique, one man shows

15 – SALLE PAUL-BOUINcentre culturel270 p. assisesthéâtre, musique

16 – L’EMBARCADÈREcomplexe cinématographiquethéâtre483 p. assisesthéâtre, musique, danse

17 – L’ESCALLsalle de spectacles400 p. assises, 800 p. deboutthéâtre, musique, danse

18 – THÉÂTRE MUNICIPAL DE REZÉthéâtre municipal433 à 461 p. assisesthéâtre, musique, danse

19 – LA BARAKASONsalle de spectacles411 p. assisesmusiques actuelles

20 – LA TROCARDIÈRE salle de spectacles1000 p. assises ou 3000 p. debout300 p. assises ou 600 p. deboutmusique, one man shows

21 – PIANO’CKTAILcentre culturel320 p. assises à 790 p. deboutthéâtre, musique

22 – SALLE BAPTISTE-MARCETcentre socio-culturel - scène conventionnée180 p. assisesmusiques actuelles et traditionnelles

23 – LE GRAND Tthéâtre – scène conventionnée879 p. assises / 107p. assisesthéâtre

24 – STUDIO THÉÂTREthéâtre104 p. assisesthéâtre (programmation TU)

25 – LE CABANIERthéâtre49 p. assisesthéâtre de marionnettes

26 – CENTRE CHORÉGRAPHIQUE NATIONALcentre de formation, de création et de diffusion200 p. assisesdanse

27 – LA RUCHEthéâtre49 p. assisesthéâtre, musique

28 – SALLE PAUL-FORT scène musiques actuelles503 p. assisesmusiques actuelles

29 – SALLE VASSEthéâtre308 p. assisesthéâtre, musique, one man shows

30 – THÉÂTRE GRASLINthéâtre (Angers Nantes Opéra)784 p. assisesopéra, danse

31 – THÉÂTRE DE JEANNEthéâtre125 p. assisesthéâtre (comédie), one man shows

32 – THÉÂTRE 100 NOMSthéâtre224 p. assisesthéâtre (comédie), one man shows

33 – LA COMPAGNIE DU CAFÉ-THÉÂTRE théâtrede 25 p. assises à 120 p. assises selon les sallesthéâtre (comédie, boulevard), one man shows

34 – PANNONICA BOUCHE D’AIRsalle de spectacles type cabaret140 p. en version cabaret (dont 100 p. assises), 199p. deboutmusiques actuelles (jazz)

35 – TNT - TERRAIN NEUTRE THÉÂTREthéâtre100 p. assisesthéâtre, musique, danse, one man shows

36 – THÉÂTRE DU SPHINXthéâtre100 p. assisesthéâtre

37 – LU - LIEU UNIQUEscène nationale532 p. assises ou 1500 p. debout ou4000 p. deboutmusique

38 – LA CITÉ NANTES EVENTS CENTERcentre des congrès (3 auditoriums)1971 p. assises / 814 p. assises / 456 p. assisesmusique, opéra, théâtre, danse

39 – THÉÂTRE BEAULIEUthéâtre280 p. assisesthéâtre (comédie), one man shows

40 – AUDITORIUM DU CONSERVATOIRE RÉGIONAL conservatoire régional1000 p. assisesmusique

41 – STEREOLUXscène musiques actuelles et pratiques numériques400 p. debout / 548 p. assises ou 1200 p. deboutmusiques actuelles, arts numériques

42 – LES NEFSjauge inconnuemusique, danse

Lieux scéniques de Nantes Métropole

L’ensemble des lieux répertoriés ci-dessous, est complété des informations suivantes : type d’établissement, jauge(s), type de représentation

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 11

LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

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Ligne 1

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A 83 / E3LA ROCHE S/ YON

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N 249CHOLETPOITIERS

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PARISPARISN137 / E3RENNES

1011

Ligne 1

Ligne 3

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10m

10m

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DOSSIER | LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT

12 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

canal Saint-Félix

rue de Valmy

av. Jean-Claude Bonduelle

0m

0m

0m 50m

N

10m

10m

0m 10m

Cité des congrès de Nantes

Centre de congrès (Lion et Lewitt, scénographie Scène / Jacques Dubreuil, 1992). Grand auditorium de 2 000 places. Appellation Cité Nantes Events Center (2010)5, rue de Valmy 44 000 Nanteswww.lacite-nantes.fr�En 1985, la Ville fait réaliser une étude pour une salle de spectacle de 2 000 places associée à un centre de congrès, inspirée des Convention Centers améri-cains. La nouvelle municipalité élue en 1989 redéfi nit le projet architecturale-ment et culturellement. La Cité est gérée par une Société publique locale depuis 2010. n

0 m 50m

10m

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N

Coupe schématique du Grand Auditorium

Plan schématique du Grand AuditoriumPlan-masse schématique

Vue extérieure du Grand Auditoriumcrédits photo V. Garnier

Vue des gradinscrédits photo V. Garnier

Vue depuis la scène vers la sallecrédits photo M. Roger

gril

38

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 13

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0m 50m

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Théâtre Graslin - Angers Nantes Opéra

Théâtre dit à l’italienne, salle à la fran-çaise (Crucy, 1788). 784 placesPlace Graslin, 44 000 Nanteswww.angers-nantes-opera.comConstruit par un élève de Boullée, dans un style néo-classique inspiré de Palladio. En 1796, un incendie le ravage. Recons-truction à l’identique en 1811-1813. Le théâtre est remanié à plusieurs reprises de 1829 à 2015. Siège depuis 2002 du Syndicat Mixte Angers Nantes Opéra, né de la volonté des villes de Nantes et d’Angers, encouragées par l’État, d’unir leurs moyens pour mener une politique lyrique commune. n

10 m

0m 10m

N

10 m

0m 10mCoupe schématique

Plan schématiquePlan-masse schématique

Vue extérieure du théâtre Graslincrédits photo I. Requena

Vue de la scène depuis la salle Vue de la salle depuis la scène

gril

passerelles

balcons

parterre

30

LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

Page 16: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

DOSSIER |

22 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

Page 17: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

VOYAGE | DOSSIER

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 23

LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

Des Mystères à contenu religieux et, plus original, des pièces à machines données au château pour le

duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne à la fin du 16e siècle. Telles sont, pour Philippe Coutant, l’ancien direc-teur du Grand T, les plus anciennes formes de théâtre connues à Nantes. Plus tard, les troupes itinérantes font halte dans la ville. Rue Saint-Léonard, une plaque rap-pelle le passage de Molière et de son Illustre Théâtre en 1648 pour une représentation donnée dans la salle du jeu de paume. En 1660, le premier opéra nantais est construit rue du Bignon-Lestard, l’actuelle rue Rubens. Mais il faut attendre la veille de la Révolution pour que Nantes se dote du théâtre Graslin, inauguré en 1788, « cette cathé-drale laïque de l’art, rivale directe de l’autre » comme l’écrit Gracq dans La Forme d’une ville, entourée d’une « constellation de rues votives : rue Crébillon, rue Vol-taire, rue Jean-Jacques Rousseau »… Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal décrit une soirée passée en 1837 à Graslin où se produisent les plus grands acteurs français du moment.

Un art urbainC’est que le théâtre « est devenu, au fil du 18e siècle,

un art qui séduit des spectateurs de tous milieux et évoque quelques-unes de leurs préoccupations, de l’aspi-ration à la liberté à l’abolition de l’esclavage », note Phi-

Une brève histoiredu théâtre à Nantes/Saint-Nazaire

THIERRY GUIDET est le directeur de Place publique.

RÉSUMÉ > Des mystères médiévaux à Royal de Luxe en passant par l’ouverture de Graslin, les castelets de marionnettes et les créations collectives d’Armand Gatti

à Saint-Nazaire, esquisse d’une histoire du théâtre dans la métropole.

TEXTE > THIERRY GUIDET

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 37

LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

MARCEL FREYDEFONT est scénographe.

Nantes, « cette ville qui n’existe pas existe bel et bien », écrivions-nous dans un article intitulé

« Cette ville met nos vies en scène1 ». La disparition de la ville est régulièrement annoncée depuis trente à qua-rante ans2, en tout cas, si ce n’est sa disparition : sa dé-composition ou sa pulvérisation. La ville est l’expression spatiale et temporelle de notre façon d’être au monde. De même, la mort du théâtre est régulièrement proclamée, trop vieux jeu. Ou alors on veut l’enfermer dans un code en déclarant ce qui est ou n’est pas du théâtre, fermeture qui en son temps amenait Zola à répondre carrément : « Le théâtre n’existe pas. Il y a des théâtres et je cherche le mien ».

Dans l’incertitude qui est la marque de notre époque, théâtre et ville cherchent leur visage. La dramaturgie contemporaine continue de filer la métaphore urbaine, théâtre de tous les conflits prenant vie sur scène, comme en témoignent Electronic city de Falk Richter (2003) qui brosse le portrait de la ville générique entre aéroport,

La ville et le théâtre, une métaphore toujours vive

CONTEXTE > Dans un croisement de l’éphémère et du permanent, de ce qui s’évapore et de ce qui persiste, dans une mise en récit, dans une mise en jeu, le parallèle entre le théâtre et la ville, entre théâtralité et urbanité, consti-tue une métaphore toujours aussi vive et précieuse : la ville est un spectacle et le spectacle prend place dans la

ville. Filons cette métaphore du théâtre, qui mène en utopie.

TEXTE > MARCEL FREYDEFONT

1. Article publié dans Place publique n° 8 mars-avril 2008, où nous appelionsnotamment à voir utilisée la Tour Bretagne comme belvédère.2. Paul-Henry Chombart de Lauwe, La Fin des villes : mythe ou réalité ? Calmann-Lévy, Paris, 1982

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60 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

d’effets visuels, d’échappées, de vues panoramiques et aident à ce que l’on se fasse une image mentale de la ville. La scénographie urbaine a permis que se trouvent enlacés vocabulaire et morphologie des espaces urbains. C’est vrai d’espaces grecs et romains, c’est vrai de l’archi-tecture classique mais aussi de celle qui accompagne la spatialisation du socialisme municipal (le quartier des gratte-ciels à Villeurbanne) ou encore, plus récemment, de l’architecture urbaine qui s’est notamment déployée dans les villes nouvelles en France. Ainsi, l’axe monu-mental à Cergy-Pontoise ou encore l’axe qui relie le centre commercial Polygone au Conseil régional de Lan-guedoc-Roussillon à Montpellier : place du Millénaire, place du Nombre d’Or, place de Thessalie encadrées par l’avenue Jacques-Cartier et le boulevard d’Antigone : Ri-cardo Bofill n’a pas lésiné sur la monumentalité (google street view permet d’ailleurs de se faire une bonne idée de la scénographie de ces lieux).

L’inconvénient est de privilégier des espaces vides,

sans aspérités, sans prise possible aux diverses activités qui font urbanité. Du reste, l’histoire de nombreuses places et parvis est bien celle de leur récent « nettoyage » ou désencombrement. Les églises ont progressivement été dégagées, les places évacuées de la circulation automo-bile. Les motifs sont généralement louables mais les ef-fets peuvent interroger : la combinaison d’un traitement « apaisé » des mobilités (Nantes n’est tout de même pas une ville si intense de ce point de vue) et de centralités réenchantées produit de la standardisation à destination de populations fantasmées (les passants). On ne voudrait pas que les espaces urbains centraux soient tirés vers les seules images de places monumentales, accaparées par telle ou telle enseigne prestigieuse de restauration.

Rappelons a contrario l’enjeu d’urbanités de frotte-ments : les espaces publics peuvent accueillir des occu-pations temporaires, des émotions de rue. Cela suppose de ménager des espaces ambigus, de préserver des lieux de regroupement ponctuels. Promouvoir alors une esthé-tique de l’ordinaire revient à rendre possibles, ensemble, les deux expériences du sentiment esthétique et du vécu ordinaire. La vie de la ville, comme l’explique Jean-Christophe Bailly, peut être conçue comme un phrasé urbain si s’enchevêtrent en permanence, le prospect et l’aspect, ce qui est tenu comme un discours et ce qui est disposé comme un amas1.

Cela suppose de remettre au premier plan les activités urbaines : que se passe-t-il ici ? Que peut-il se passer ici ? Voilà les deux premières questions que devrait se poser un urbaniste. n

Place Graslin. Nantes, juin 2014

La voici refaite cette place, dégagée (ou presque) du trafic automobile (des potelets tout de même). C’est qu’il faut montrer l’opéra, magnifier la ville

bourgeoise, dégager le parvis… Domaine d’extension de la terrasse de La Cigale certes mais aussi espace minéral avec petit jet d’eau, pots-arbustes en carapace

de tortue renversée et candélabre-lustre d’aspect plastique.Proprette, cette place et motif de traversée de la fameuse ligne verte

que suivent les Voyageurs à Nantes

1. Jean-Christophe Bailly, La phrase urbaine, Paris, Seuil, 2013, p. 173.

DOSSIER | LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE. LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT

L’ÎLE DE NANTES EST AUSSI UNE SCÈNELa ville de Nantes a ménagé bien des points de vue sur elle-même (cf.

Place publique n°40, « Les villes vues d’en haut »). Lorsqu’ils s’étirent, ces points de vue forment des séquences. Ainsi la reconquête de l’Île de Nantes est-elle passée par un aménagement de ses rives, de ses quais, dans une visée qui associe l’agrément et la révélation de ce que peut faire un espace public. Depuis le quai François-Mitterrand jusqu’à la pointe de l’île en passant par le parc des chantiers s’est ainsi élaborée une promenade associant différents types d’assise, tantôt en lien immédiat avec la rive, tantôt implantés de manière spé-cifique pour des usages plus ludiques, contemplatifs voire autocentrés (un solarium). L’accessibilité accrue de cet espace auparavant quasi strictement portuaire est désormais l’occasion de déploiement de l’une des scènes nan-taises d’exposition du public à lui-même, particulièrement en fin de semaine, amenant un croisement de publics de l’agglomération et au-delà. Lorsque cer-tains critiquent un effet de mise à distance de la ville (participant de sa patri-monialisation), d’autres insistent sur le potentiel de rencontre que représente l’aménagement de l’espace public. Qu’il y ait du monde constitue à tout le moins une bonne nouvelle !

Page 21: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 61

LE THÉÂTRE, ART DE LA VILLE - LA VILLE, THÉÂTRE VIVANT | DOSSIER

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Nicolas de La Casinière

Le goust des ruines

Xavier Nerrière

Images du travail, images du peuple

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TEXTE et DESSIN >NICOLAS DE LA CASINIÈRE

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 83

Page 26: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

PATRIMOINE | PHOTO

Images du travail, images du peuple

Régulièrement le Centre d’histoire du travail (CHT) fournit des photographies afin d’illustrer des articles sur l’histoire de Nantes ou du département. À l’occasion de la publication d’un ouvrage qui lui est consacré1, nous vous proposons de découvrir cette col-lection d’images, exceptionnelle par bien des aspects.

Ces photographies, dont nous estimons le nombre à près de 50 000, proviennent d’abord des fonds d’ar-chives qui sont confiés au CHT par des organisations syndicales, des associations ou des militants. Pour l’essentiel, elles sont déposées en même temps que d’autres documents, essentiellement des archives pa-pier. Cependant de plus en plus de particuliers nous apportent des images isolées, issues de collections fami-liales, parfois un album entier relatif à une entreprise ou une grève.

Au-delà de la diversité de leur origine, de leur statut (photos d’amateurs ou de professionnels), de leur objet, ces photographies ont toutes en commun leur rapport avec l’histoire sociale : le monde du travail, les conflits sociaux ou les conditions de vie des classes populaires. Ces images constituent un ensemble relativement co-hérent, comme un immense album de famille qui il-lustrerait une histoire populaire de la Loire-Atlantique. Lorsqu’une personne dépose, par exemple l’image de son grand-père sur son lieu de travail, celui-ci intègre un récit collectif, un « roman-photo populaire ».

Ces images se répondent les unes les autres et leur cohabitation crée une sorte d’émulation entre elles. Si personne n’a décidé de la forme que prendrait la col-lection du CHT, toutes celles et ceux qui déposent des documents, décident de fait d’y contribuer. Cette créa-tion collective constitue en quelque sorte la prolonga-tion culturelle de combats passés, syndicaux, sociaux et politiques.

Pour reprendre les propos de Jérôme Baron2, pré-sident de Ciné-Nantes, si selon le peintre Paul Klee, « le peuple manque », l’une des fonctions sociales de l’art, et de la culture en général, est d’essayer d’en pro-poser une définition et une représentation. Les collec-tions du CHT suggèrent une représentation du peuple qui se définirait par son rapport au travail, comme source exclusive de ses moyens de subsistance.

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TEXTE > XAVIER NERRIÈRE

XAVIER NERRIÈRE travaille au Centre d’histoire du travail depuis 1996. Il y est notamment responsable de l’iconothèque et du cycle de cinéma annuel.

1. Xavier Nerrière, Images du travail - Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes, Presses universitaires de Rennes, octobre 2014, lire le compte rendu p. 106.2. Intervention lors de l’inauguration du cycle cinéma, Fictions sociales, repro-duite dans le bulletin 2014 du CHT.

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PHOTO | PATRIMOINE

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 85

Le personnel d’un atelier de charronnage à Pont-Rousseau (commune de Rezé) vers 1880. Cette photographie est la plus ancienne conservée par le CHT. Au moment où est saisie cette image, la photographie existe depuis un peu plus de quarante ans1. Les appareils et les techniques alors disponibles sont encore très contraignants et la réalisation des prises de vue nécessite des temps de pose très longs, interdisant les photos de scènes en mouvement. Les sujets doivent rester figés quelques secondes, ce qui ne permet de reproduire que des paysages, des portraits ou des photos de groupe, souvent méticuleusement agencés. Coll. CHT

3. L’État français acquiert le brevet de Louis Daguerre et « l’offre à l’humanité » en 1839. Le procédé technique de capture des images devient ainsi librement accessible à tous. Cet événement est présenté comme l’acte de naissance de la photographie.

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86 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

PATRIMOINE | PHOTO

Intérieur du « chantier de fer » (ou entrepôt de fer) de l’entreprise Champenois, boulevard de La Prairie-au-Duc à Nantes, le 31 juillet 1923. L’ordonnancement des marchandises, le volume et la clarté des locaux, provoquent un effet de modernité, sans doute très conjoncturel, mais cette installation, récente au moment de la prise de vue, marque un réel souci de rationalisation du travail. Bien avant l’ère de la communication de la fin du 20e siècle, les industriels ont compris que l’image pouvait être un formidable outil de promotion et de valorisation de leurs entreprises. CHT, Coll. famille Champenois-Rigault.

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 87

PHOTO | PATRIMOINE

Hamacs à l’intérieur des chantiers navals de Saint-Nazaire, grève de mai-juin 1936.Les occupations d’usines, une innovation des grèves du Front populaire, sont l’occasion pour les ouvriers de produire leur propre représentation photographique de leur lieu de travail. Pour la première fois de son histoire, le monde ouvrier s’empare massivement de son image. Pour ce faire, les grévistes utilisent la plupart du temps des appareils bon marché et simples d’usage que des firmes comme Kodak diffusent largement en Europe depuis la fin de la Première Guerre mondiale. CHT, cliché M. Durand

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SIGN

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Bloc-notes

Critiques de livres

La chronique de Cécile Arnoux

La chronique de Jean-Luc Quéau

Les expositions

La chronique d’architecturede Dominique Amouroux

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THIERRY GUIDET directeur de Place Publique

LE BLOC-NOTES

De Waldemar Kita, des Petits-Beurre, des géographes, des baisers mouillés et de deux ou trois autres choses encore

SIGNES DES TEMPS | BLOC-NOTES

96 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

ALDEMAR KITA était tendu ce soir-là. Pour-tant son équipe avait

gagné la veille. À l’extérieur, contre Guin-gamp. Il s’était même fait accompagner de deux gardes du corps lors de la séance de Questions publiques à laquelle nous l’avions convié en octobre. Et puis tout s’est bien passé. Le président du Football club de Nantes, dont les apparitions publiques sont rarissimes, s’est montré pugnace débatteur, ne manquant ni de brio ni d’humour, assénant des arguments qui méritent d’être pris en considération comme les 3 620 heures (et 35 minutes !) de visibilité du club à la télévision en une année. Le grand oral s’est soldé par une mention Bien selon Ouest-France.

n

CERTES, LE PROPRIÉTAIRE DES CANARIS n’a guère de chances de voir exaucé son souhait le plus cher : la contruction d’un nouveau stade. Le premier adjoint Pascal Bolo, bien qu’ardent supporter du club, a publiquement douché les espérances de Waldemar Kita quelques

W Waldemar Kita a obtenu une mention Bien à son grand oral »

« jours après le débat. Vu l’état financier des collectivités locales, une telle dépense n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Et il ne faut pas non plus regretter de n’avoir pas dépensé les 80 à 100 millions d’euros nécessaires à la modernisation de la Beaujoire selon le cahier des charges de l’UEFA. Une bien lourde addition à régler pour que Nantes accueille simplement quelques matchs de l’Euro 2016.

n

MAIS CE QUI M’A LE PLUS SURPRIS lors de cette soirée, ce sont les propos échangés en petit co-mité avant le débat. On lui suggère de mon-ter au Nid, au sommet de la tour Bretagne, pour jouir du panorama unique qu’offre le lieu sur Nantes. Waldemar Kita s’étonne : il n’a jamais entendu parler du Nid, qui a tout de même enregistré un million d’entrées

Page 32: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

118 | PLACE PUBLIQUE | NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

SIGNES DES TEMPS | LIVRES

SIKA FAKAMBI > C’est toujours un peu irréel, sans doute, même si cela me ravit et m’honore. Et cela augmente un peu la pression, peut-être. Par exemple, je crois bien que je suis maintenant censée accélérer le rythme dans mon travail : jusqu’ici, puisque j’ai toujours choisi de concentrer mon activité de traduction sur des projets qui me te-naient à cœur, et qu’à chaque fois il s’agissait d’auteurs inconnus en France… D’une certaine manière « personne ne m’attendait », et de ce fait je pouvais passer des mois, voire des années, sur un texte, sans être jamais sûre qu’il serait un jour accepté par un éditeur. Comme pour le roman de Nii Ayikwei Parkes, dont j’avais envoyé le premier chapitre traduit à différentes maisons dès 2008, sans que rien ne se passe jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Laure Leroy chez Zulma en 2012.

PLACE PUBLIQUE > Comment avez-vous découvert ce livre ?SIKA FAKAMBI > Depuis le début, je traduis de la poésie, et c’est en faisant des recherches autour du poète de la Barbade Kamau Bra-thwaite que j’ai « rencontré » Nii Ayikwei Parkes. Il venait d’éditer une anthologie où figurait un poème de Brathwaite, à la mémoire de l’écrivain nigérian Ken Saro-Wiwa, auteur d’un très beau roman intitulé Sozaboy. J’ai tendu l’oreille, j’ai tiré le fil, j’ai voulu savoir de qui Nii Ayikwei Parkes était le nom, en quelque sorte, et j’ai découvert là un jeune écrivain ghanéen, poète primé, déclamant certains de ses poèmes dans la veine du spoken word, et qui achevait l’écriture de ce premier roman, Tail of the Blue Bird.

PLACE PUBLIQUE > Un livre que vous avez aussitôt eu envie de traduire ?SIKA FAKAMBI > Je lui ai écrit, il m’a envoyé le premier chapitre de son roman, que j’ai tout de suite eu envie de traduire. Autour de ce projet, sans savoir s’il allait ou non aboutir à une publication en français, nous avons correspondu pendant quelques années, avant de nous rencontrer finalement en 2012 au salon du livre de Paris, sur le stand de Zulma, devant Laure Leroy à qui j’avais envoyé le texte quelques mois auparavant et qui avait décidé de le publier. Il est vrai que j’ai un sentiment de connivence avec les écritures du Nigeria et du Ghana, pays proches du Bénin où j’ai grandi, mais mes premières explora-tions littéraires m’ont plutôt portée très loin des deux univers qui sont les miens au départ, l’Afrique de l’Ouest et l’Europe : et le premier auteur que j’ai voulu traduire a été l’Australienne Gail Jones.

PLACE PUBLIQUE > Donc, dans les marges de la littérature anglophone ?SIKA FAKAMBI > Oui, j’ai entamé un cursus d’études canadiennes, et peu à peu cette exploration intuitive des marges de la littérature anglophone (par opposition aux « centres » que seraient la Grande-Bretagne et les États-Unis, largement prépondérants, me semble-t-il,

Sika Fakambi,« tombée en traduction »

CONTEXTE > Le Prix Baudelaire lui a été remis le 18 juin et elle vient de recevoir le Prix Laure-Bataillon, décerné par la ville de Saint-Nazaire, pour sa traduction de Notre quelque part du Ghanéen Nii Ayikwei Parkes. Sika Fakambi parle de son métier, de la fascination devant les textes à transmettre, de la place que la France répugne à faire à la diversité linguistique.

PROPOS RECUEILLIS PAR > DANIEL MORVAN

PLACE PUBLIQUE > Comment êtes-vous devenue traductrice ?SIKA FAKAMBI > Un jour j’ai lu, je ne sais plus où, cette petite phrase, qui m’a saisie : « on entre en lecture comme on tombe amoureux ». Et le jour où, à Paris, quai des Grands-Augustins, à la Librairie austra-lienne de Paris, qui n’existe plus depuis longtemps hélas, Elaine Lewis, merveilleuse rencontre, s’est penchée vers moi doucement et a déposé entre mes mains Fetish Lives de Gail Jones, c’est là, je crois, que je suis « tombée en traduction ». J’ai compris pourquoi, comment cette petite phrase, quelques années avant, avait eu en moi une telle résonance : j’ai su, en lisant les nouvelles de Gail Jones cet après-midi-là, assise dans ce gros fauteuil moelleux qui trônait au milieu de la librairie d’Elaine Lewis, que je souhaitais à la fois partir et devenir traductrice. Comme quand Barthes compare le plaisir du texte au fait d’« être avec qui on aime et penser à autre chose »… Il dit du texte qu’il « produit le meil-leur plaisir s’il parvient à se faire écouter indirectement ; si, le lisant, [on est] entraîné à souvent lever la tête, à entendre autre chose ». Je crois que le désir de traduire, je veux dire le désir conscient de traduire, a surgi là, en même temps que s’imposait à moi, levant les yeux des textes de Gail Jones, une nécessité impérieuse, celle de partir, d’aller à la ren-contre d’autres visages, d’autres parlers, d’autres silences, d’autres imagi-naires, d’autres écritures. Comme un appel de l’ailleurs, un ailleurs qui serait aussi moi, en lectures comme en voyages comme en rencontres.

PLACE PUBLIQUE > Le métier de traducteur est rarement mis en lumière. Deux prix prestigieux pour votre deuxième traduction de roman, cela change votre vie ?

Page 33: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 | PLACE PUBLIQUE | 119

LIVRES | SIGNES DES TEMPS

Sika Fakambi, 38 ans, vit à Nantes

LE PRIX LAURE-BATAILLONCréé en 1986 par les villes de Nantes et de Saint-Nazaire, ce prix récompense la meilleure oeuvre de fiction traduite en français dans l’année. En hommage à Laure Bataillon, lauréate en 1988, son nom a été donné au prix après sa disparition.Le Prix Laure-Bataillon est attribué conjointement à l’écrivain étran-ger et à son traducteur en langue française. Il est doté de 10 000 euros, remis pour moitié à l’auteur et pour moitié au traducteur par la Ville de Saint-Nazaire, Nantes s’étant retirée du prix l’an dernier.

Le jury du Prix Laure-Bataillon est constitué d’écrivains, de tra-ducteurs et de critiques littéraires : Marianne Alphant, Geneviève Brisac, Pascale Casanova, Patrick Deville, Gérard Meudal, Jean-Baptiste Para, Anne-Marie Garat, Alain Nicolas, Arno BertinaLe Prix Baudelaire de la Société des gens de lettres (SGDL), créée en 1980, est destiné à couronner la meilleure traduction française d’un ouvrage en anglais dont l’auteur est un ressortissant du Royaume-Uni ou d’un des pays du Commonwealth. Il est doté de 2000 €.

Page 34: Place publique Nantes #48 à feuilleter (extraits)

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SIGNES DES TEMPS | LIVRES

dans les départements d’études anglophones des universités françaises que j’ai fréquentées), m’a ramenée vers l’Afrique de l’Ouest, et plus particulièrement vers les auteurs émergents de l’aire anglophone. PLACE PUBLIQUE > Quel est le déclic qui vous décide à traduire un livre ? Quelles ont été les diffi cultés de cette traduction ?SIKA FAKAMBI > Il y a d’abord la jubilation et la fascination devant le texte. La principale diffi culté était probablement de rendre en fran-çais les différentes langues qui imprègnent le roman : entre autres, le pidgin des policiers d’Accra, qui pour aller vite pourrait être dé-crit comme un anglais créolisé ; la langue imaginaire et imagée du chasseur Yao Poku ; les paroles de sagesse ancestrale portées par les proverbes… Et chacune des langues qui tissent ce récit raconte un monde, une vision du monde. En même temps, je dois dire que cette question des diffi cultés du texte me met toujours un peu dans l’embar-ras : d’abord parce que je me rends compte que j’ai du mal à parler de ma traduction, à expliquer, par des mots qui ne seraient pas ceux du texte, comment j’ai traduit ceci ou cela, car le geste de traduire est pour moi quelque chose d’assez organique, diffi cile à verbaliser. En rendre compte serait, idéalement, de lire le texte traduit en duo avec l’auteur lisant l’original ! Il y a aussi que cette question des diffi -cultés, pour le roman de Nii Parkes, me fait prendre conscience du fait qu’avant tout cette traduction a été un immense plaisir, comme si j’attendais depuis longtemps un texte comme celui-ci, qui me ferait replonger dans cette réjouissante mixture de langues qui a été, qui est pour toujours « mon quelque part » linguistique. PLACE PUBLIQUE > Comment y êtes-vous parvenue ?SIKA FAKAMBI > En faisant confi ance à mon oreille d’« enfant du Bé-nin debout », peut-être… Je plaisante, et c’est curieux que cette ex-pression me vienne comme ça : ce sont les premiers mots de l’hymne béninois, qu’au temps de Kérékou, qui a dirigé le pays pendant 17 ans de marxisme-léninisme, il nous fallait chanter, au garde-à-vous, tous les jours en chœur, toutes les classes de l’école primaire de Ouidah rassemblées devant le drapeau planté au milieu de la cour… Souve-nir très ambigu, à la fois oppressant et exaltant, mais à la réfl exion cela fait sens, ce surgissement, comme un lapsus, d’une des réminiscences les plus lointaines et pourtant saillantes de mon enfance.Parce que cette époque-là, c’est aussi celle où j’ai pris conscience que je pouvais parler différentes langues et différents français — selon que je m’adressais en français à mon frère, ma sœur ou mes parents (un couple mixte), en mina à ma grand-mère paternelle (qui vivait avec nous), en français de France à mes cousins parisiens lorsqu’ils venaient nous rendre visite ou que nous allions les voir, en fon ou en « fran-çais fongbétisé » à mes cousins et copains de Ouidah et Cotonou, en

fon aux vendeuses de rue ou aux ouvriers de l’atelier de menuiserie que nous avions au fond du jardin, en fon très simplifi é aux bouviers peuhls menant leurs vaches dans les champs derrière la maison... Traduire, pour moi, disons que tout s’est sans doute décidé là-bas, dans ce Golfe du Bénin où j’ai grandi, cette enfance entre les lan-gues et les cultures, dont j’ai aimé précisément ça : « être entre ». Pour traduire Notre quelque part, c’est sûrement de cela aussi que je me suis servie. PLACE PUBLIQUE > La façon dont vous traduisez le titre original, Tail of the Blue Bird, en est un exemple ?SIKA FAKAMBI > Le choix du titre défi nitif se fait toujours en concer-tation avec l’éditeur. Le titre original du roman, Tail of the Blue Bird, n’est d’ailleurs pas celui qu’avait choisi l’auteur avant d’envoyer le livre à son éditeur anglais. Il l’avait d’abord intitulé Afterbirth, un mot qui en anglais signifi e « placenta »… Toute l’intrigue du roman démarre après la découverte, au milieu d’une case dans un village reculé du Ghana, de restes organiques manifestement humains que les premiers policiers dépêchés sur la scène du « crime » prennent tout d’abord pour de la matière placentaire.

PLACE PUBLIQUE > Mais vous n’avez pas choisi pour titre : « Placenta » ?SIKA FAKAMBI > Quand l’éditrice cherchait un titre pour le livre tra-duit, Nii Parkes et moi avons à sa demande proposé quelques frag-ments du texte à partir desquels travailler. Cette expression de Yao Poku, « nous étions à notre quelque part », est la traduction littérale d’une expression courante en twi, une parole d’accueil évoquant, de manière plutôt métaphysique, un état de bien-être et de tranquillité. Une journaliste, Salomé Kiner, y a d’ailleurs reconnu le lentus in um-bra (« nonchalant sous l’ombrage ») de Virgile, dans les Bucoliques, et j’ai pensé que c’était une belle lecture de ce fragment, qui est un leitmotiv du récit de Yao Poku. En tout cas, l’expression nous a paru intéressante aussi parce qu’elle fait quelque chose à la langue – en français comme en anglais.

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LIVRES | SIGNES DES TEMPS

De cette expression, nous avons extrait « notre quelque part », avec le sentiment que ce titre donnerait au livre en français toute son am-pleur, à la fois linguistique, politique, et aussi poétique, car il est en soi très évocateur. « Notre quelque part », cela pourrait être bien des choses pour le lecteur. Ce pourrait être par exemple la langue au sens plein – celle qui fait de nous des êtres humains. Et maintenant que j’y songe, cela pourrait aussi évoquer un univers placentaire…

PLACE PUBLIQUE > Avez-vous rencontré en France l’équivalent de cette diversité linguistique ? Que pensez-vous de ce que la France fait de ses langues ? De sa langue ?SIKA FAKAMBI > Il m’est arrivé d’entendre parfois des gens, qui par ailleurs se disent grands lecteurs, y compris de littérature étrangère, tenir des propos particulièrement pédants sur les parlers régionaux de France ou de la francophonie, des gens qui, notamment, ont travaillé à gommer leur propre accent régional, et surtout qui affirment ne plus supporter d’entendre, lorsqu’ils reviennent visiter leur région natale, tel accent trop prononcé ou tel parler dialectal… C’est une chose que je n’arrive pas à comprendre, cette forme d’aveuglement, de surdité, devant l’immensité des possibles de la langue française, hors des rigidités académiques. Adolescente, je m’émerveillais d’entendre dans la cour de mon collège-lycée, à Cotonou, toutes les formes que pouvait prendre le français dans nos bouches d’élèves venus d’un peu partout : métis aux origines diverses, jeunes « expats » français ou venus d’autres pays d’Europe, du Québec parfois, ou encore jeunes Béninois, Libanais, Syriens, Indiens… Je me souviens d’ailleurs que je m’amusais à écrire de petits textes dialogués pour essayer de captu-rer ces parlers « caméléons » que j’entendais autour de moi, dans la rue ou la cour de l’école, où le français populaire d’Abidjan était en vogue, mélangé au verlan qui nous arrivait des banlieues françaises, et aux expressions directement calquées sur le fon de Cotonou... PLACE PUBLIQUE > Le paysage de l’édition française ne laisse pas une grande place aux écritures « multiculturelles »… pensez-vous que vous puissiez contribuer à le faire évoluer ?SIKA FAKAMBI > J’espère que cela est en train de bouger, justement, grâce à des maisons comme Zulma, entre autres, et parce que je veux croire que l’idée que l’on se fait de la littérature traduite est en train de changer, en même temps que changent les pratiques des traducteurs et celles des lecteurs de textes traduits — peut-être de plus en plus attentifs au fait même qu’ils lisent un texte « étranger », même s’il est écrit en français ? Et j’ai l’impression, oui, que c’est aussi cela, la tâche du traducteur. S’il n’y avait pas eu la réflexion de traducteurs-pen-seurs tels que Antoine Berman ou Henri Meschonnic, et aussi André Markowicz, ou Laure Bataillon, dont l’essai Traduire, écrire, un petit

livre d’entretiens, textes critiques et correspondances, m’a également marquée, j’aurais évidemment eu une tout autre vision de ce métier, de sa pratique, et peut-être que j’aurais écouté moins longtemps que je ne l’ai fait cette petite voix intérieure qui, au fil des années, me disait : continue de traduire. Ces traducteurs ont montré, par leur pratique et leur réflexion, que traduire, cela peut aussi être augmenter le français, « étranger le français ». Faire entendre un français plus vaste qu’on ne nous le fait croire ou qu’on ne veut bien l’admettre : un français qui peut contenir des multitudes. PLACE PUBLIQUE > À quel moment savez-vous que vous avez réussi à traduire un texte ?SIKA FAKAMBI > Quand je lis le poème ou le texte de prose traduit en français, et qu’il me semble retrouver le souffle, la voix de l’auteur, celle que j’ai perçue au moment de ma lecture de l’original. PLACE PUBLIQUE > Existe-t-il des textes intraduisibles ?SIKA FAKAMBI > Devant pareille question je me sens toute petite. Je préfère donc m’en remettre à cette possible réponse faite par le poète Adonis qui, invité aux Assises de la traduction littéraire à Arles, en 2003, disait : « La métaphore agit dans le poème comme le feraient des fleuves souterrains. Elle déborde la limite des mots. Par elle, le langage s’ouvre à l’infini. Et si nous ajoutons que les mots dans chaque langue passent par différents âges liés à la culture, à la politique, à l’histoire, aux mythes, nous comprenons l’impossibilité de la fidélité et de l’exactitude en traduction. Les mots dans le poème sont comme des ponts : on ne les traduit pas seulement en tant que tels, mais pour l’espace qu’ils parcourent. À quoi sert de traduire le nuage, si on ne traduit pas l’eau qu’il porte en lui ? De même, on ne traduit pas la tige de la rose, ni ses feuilles : on traduit son parfum. »

PLACE PUBLIQUE > « L’inspiration » ou « la grâce » existent-elles lorsque l’on traduit, à quoi les reconnaissez-vous ?SIKA FAKAMBI > Difficile de me reconnaître dans cette terminologie mais, lorsque je traduis, il peut arriver que je me sente « traversée » par le texte qui s’écrit : je dirais presque comme par une fièvre. Surtout en poésie. C’est ce qui a pu se passer, par exemple, pour ma traduc-tion du poème Georgia d’Andrew Zawacki, ou pour Negus de Kamau Brathwaite, et même pour certains passages du récit de Yao Poku, dans Notre quelque part. Je n’appelle pas cela « inspiration » ou « grâce », d’ailleurs je n’ai pas vraiment de mot pour décrire ce qui me traverse dans ces moments, mais j’en sors comme on sort d’une lecture boule-versante, et souvent le texte qui résulte d’un « premier jet » écrit dans cette sorte d’euphorie ne bouge pas tant que cela ensuite. n

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GUILLAUME DURANDPHILOSOPHEL’ÉTHIQUE APPARTIENT AUX CITOYENS

PIERRE GILBERTSAINT-NAZAIRE :

UNE AUTRE LECTURE DES MUNICIPALES

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Le développement fulgurantde l’individualisme libéral

Mais durant la seconde moitié du 20e siècle, les dé-mocraties occidentales ont connu une montée en puissance de l’autonomie des individus. La décou-verte des horreurs nazies, les progrès des sciences et des techniques notamment biomédicales, la perte de confiance de la société envers le monde scientifique et politique, favorisée par de nombreuses affaires (dans le champ médical, Tuskegee3 aux États-Unis, ou en-core l’affaire du sang contaminé ou plus récemment du « Médiator ») ont participé au développement

Pour quelles raisons la gestation pour autrui, la prostitution, l’euthanasie ou encore le suicide assisté, lorsqu’ils sont pratiqués entre des personnes libres et consentantes, sont-elles interdites dans une démocratie laïque et pluraliste ? Les individus n’ont-ils pas le droit de disposer de leur corps et de leur esprit comme ils l’entendent – tant qu’ils ne nuisent pas à des tiers bien entendu ? Au nom de quelles raisons condamnons-nous aujourd’hui les « crimes sans victimes », c’est-à-dire, pour reprendre l’analyse de l’un des parrains de l’association EthicA, le philosophe français Ruwen Ogien, des actes où il n’y a pas de personne physique et morale qui aurait subi un dommage contre son gré1 ?

Certes, de telles questions, loin d’être simples, ne sont pas nouvelles. John Stuart Mill, dès 1850, écrivait qu’« étendre les limites de ce qu’on peut appeler la police morale jusqu’à ce qu’elle empiète sur la liberté la plus incontestablement légitime de l’individu, est de tous les penchants humains l’un des plus universels. »2

L’éthique appartient aux citoyens

GUILLAUME DURAND > PHILOSOPHE

RÉSUMÉ > De la gestation pour autrui à l’euthanasie en passant par la prostitution, la société française est traversée par de vifs débats éthiques et politiques qui tournent autour de la question de la liberté individuelle et de ses limites. La toute nouvelle asso-ciation ÉthicA entend être un lieu de discussion libre et éclairée sur ces sujets.

C O N T R I B U T I O N

GUILLAUME DURAND est maître de conférences en philosophie à l’université de Nantes, président d’EthicA. Il a notamment co-dirigé L’éthique publique et les normes paru en 2013 chez Cécile Defaut.

1. Ruwen Ogien, L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Paris,Gallimard, Folio/Essais, 2007, pp. 20-21.2. John Stuart Mill, De la liberté, Paris, Gallimard, Folio/Essais, p. 192.3. L’étude de Tuskegee en Alabama (1932-1972) visait à étudier les effets de lasyphilis sur des hommes noirs lorsqu’elle n’est pas traitée. Plus de 400 métayers afro-américains seront maintenus dans l’ignorance de leur maladie et sans traite-ment pendant des années, malgré la pénicilline disponible dès 1943.

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INITIATIVES URBAINES

PLACE PUBLIQUE > D’où vient cette coordination nationale ?AÏCHA BOUTALEB > Du rapport Bacqué-Mechmache1 qui a été validé par le ministre de la Ville François Lamy et ses succes-seurs, Najat Vallaud-Belkacem et Myriam El Khomri. Plusieurs de ses propositions ont été reprises par la loi, notamment la mise en place de conseils citoyens dans les quartiers prioritaires.

PLACE PUBLIQUE > Plusieurs propositions du rapport figurent dans la loi, mais pas la principale : le droit de vote des étran-gers aux élections locales…AÏCHA BOUTALEB > Non, et ça reste un cheval de bataille ! Comment parler de citoyenneté sans accorder le droit de vote à des gens qui vivent et travaillent en France depuis des années ? Ce refus alimente le discours victimaire de jeunes qui ne peuvent pas se sentir pleinement français.

PLACE PUBLIQUE > Mais pourquoi une coordination nationale ?AÏCHA BOUTALEB > Pour fédérer ce qui se passe un peu partout dans les quartiers. Nous voulons devenir les interlocuteurs incontournables des pouvoirs publics à tous les échelons, être co-responsables de la politique de la ville. Et puis cette coordination nationale peut permettre d’intervenir tous en-semble quand quelque chose ne va pas bien quelque part. Par exemple, on a tous débarqué à Grenoble à l’appel des délégués régionaux. Une régie de quartier venait de perdre

CONTEXTE > La coordination nationale « Pas sans nous » est née à Nantes les 6 et 7 septembre. Elle se présente volontiers comme le « syndicat des quartiers populaires ». Entretien avec Aïcha Boutaleb, directrice du Centre interculturel de documentation de Nantes, déléguée régionale de la coordination, et secrétaire de son bureau national.

Pas sans nous !le « syndicat des quartiers populaires » est né à Nantes

1. François Lamy, le ministre délégué à la Ville du gouvernement Ayrault, avait confié une mission sur la participation des habitants à la politique de la ville à la sociologue Marie-Hélène Bacqué et à Mohamed Mechmache, président du collectif AC Le Feu. Cette mission a débouché sur un rapport présenté, en juillet 2013, au ministre et dont plusieurs propositions ont été reprises par la loi de février 2014 sur la cohésion urbaine. Lire un entretien avec Marie-Hélène Bacqué dans Place publique n° 41, septembre-octobre 2013.

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le marché du ménage des caves HLM au profit d’une entreprise privée et ça mettait au chômage des femmes du quartier dont c’était le seul travail. On s’est remué, on a tenu une réunion publique…

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi cette coordination nationale a-t-elle vu le jour à Nantes ?AÏCHA BOUTALEB > J’y suis pour quelque chose… Ça fait longtemps que j’explique à mes camarades que les choses ne se passent pas si mal que ça à Nantes. À la longue, ils en ont eu marre et ils m’ont dit : « C’est d’accord, Aïcha, on fait ça chez toi. » Je crois qu’ils n’ont pas été déçus du voyage quand ils ont vu l’accueil dans les locaux de Nantes Métropole ou la proximité avec les élus, Johanna Rolland et son adjointe Myriam Naël.

PLACE PUBLIQUE > Et, cerise sur le gâteau, la venue de la toute nouvelle secrétaire d’État, Myriam El Khomri, nommée quelques jours auparavant.AÏCHA BOUTALEB > Le billet de train avait été pris pour Na-jat Vallaud-Belkacem !

PLACE PUBLIQUE > Mais tant d’attentions à votre égard rendent-elles crédibles votre volonté d’être un syndicat des quartiers populaires ? Vous êtes mieux traités que la CGT par le Medef… Vous ne craignez pas la récupération ?AÏCHA BOUTALEB > Je crois vraiment que Nantes a un train d’avance sur la plupart des villes. Ici, il me semble que les associations de quartiers ne sont pas menacées de perdre leurs subventions en raison de leur indépendance d’es-prit. Tant qu’elles remplissent leur mission d’intérêt géné-ral, pas de problèmes. Cela dit, on n’a pas voulu d’une

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INITIATIVES URBAINES

Dans les locaux de Nantes Métropole en septembre, la création de la coordination nationale « Pas sans nous ». Photo © Thierry Mezerette

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INITIATIVES URBAINES

PROPOS RECUEILLIS PAR > JEAN-LOUIS VIOLEAU

La Tour Bretagne demeure à jamais le symbole du moment pompidolien qui a touché Nantes comme la plupart des grandes villes françaises traversées par les grandes infras-tructures et livrées à la voiture. La spécificité de la situation nantaise tient cependant à deux facteurs : très tôt, et avant d’autres, le pouvoir local aura cherché à y endiguer le flot automobile sur un mode volontariste, enfin visuellement l’immeuble de grande hauteur symbolisant ce moment y est situé sur un promontoire, isolé, au cœur et non en lisière de la ville. Julien Gracq (pas toujours tendre avec Nantes dans La forme d’une ville) y vit « le pieu de Dracula au cœur de cette ville vampirique ». Nombre d’architectes y ont vu depuis, que voulez-vous c’est leur métier, un « enjeu de projet », comme ils ont pris l’habitude de les nommer. On ne compte plus en effet sur une trentaine d’années parta-gées entre amour et haine les contre-projets, mémoires, ou thèmes de studios semestriels (ateliers) ayant porté sur « la Tour ».

La Tour Bretagne, cet obscur objet du désir (des architectes)

JEAN-LOUIS VIOLEAU est professeur de sociologie à l’École nationale supérieure d’archirtecture de Paris-Malaquais. Il est membre du comité de rédaction de Place publique.

Une tour ouverte à la ville et aux flux qui la traversent.

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Dernière pierre à ce gigantesque contre-édifice de papier, la proposition de Grégoire Arthuis vient d’être remarquée à deux reprises au cours de l’année écoulée. Présentée pour l’obtention de son diplôme d’architecte à l’École na-tionale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais en juin 2014, sa « structure d’une ville », ainsi qu’il l’intitule, a obtenu dans le même temps le 3e prix du Trophée bé-ton et le 5e prix des jeunes talents européens du concours Holcim. Dans les deux cas, c’est certes la maison qui régale (ces deux concours promotionnels sont parrainés et financés par des géants du béton et la mutation envi-sagée nécessiterait d’en couler quelques mètres cubes !), mais il est rare de voir ainsi le même projet récompensé à deux reprises la même année. Si la qualité et l’originalité de ses solutions constructives sont indéniables (le jeune architecte est également ingénieur, diplômé de l’INSA de Lyon), cette nouvelle Tour Bretagne réussit pourtant à marcher enfin sur ses deux jambes en n’oubliant plus l’aspect urbain. C’est même probablement là sa première qualité.

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi avoir choisi la Tour Bretagne pour votre projet de fin d’études ?GRÉGOIRE ARTHUIS > J’ai grandi à Nantes et suivi toutes mes études secondaires à la Perverie, collège puis lycée, mais ce parcours n’épuise pas les raisons de mon choix. La principale, selon moi, porte le nom d’une rue, celle de l’Arche-Sèche que je trouve extrêmement fertile pour l’imaginaire. Elle se trouve en effet entièrement en tran-chée, et le long des façades, c’est toute l’histoire de la ville qui s’y donne à lire, comme sédimentée. Enfin, les passerelles et les ponts qui la surplombent et la traversent annoncent la rampe du parking qui s’enroule autour du

soubassement de la Tour. L’idée de superposition des niveaux présente une régularité troublante tout le long de cette rue, de la place Royale, cœur de la ville, jusqu’à la Tour.

PLACE PUBLIQUE > Et l’on sait bien que l’enjeu de cette tour, ce n’est pas tant sa hauteur que le traitement de son socle…GRÉGOIRE ARTHUIS > Le socle catalyse en effet le rapport avec la ville proche, mais pas seulement puisque c’est aussi là que convergent tous les flux, du Sillon de Bre-tagne jusqu’à l’Erdre. C’est un point de cristallisation qui marque une convergence des frontières.

PLACE PUBLIQUE > Dès lors votre projet a constamment cherché à ouvrir la Tour, à la ville et aux flux qui la tra-versent…GRÉGOIRE ARTHUIS > Je reste frappé en effet par l’opacité

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PLACE PUBLIQUE # 49 PARUTION LE 3 JANVIER 2015

Un pont transbordeur ? Un pont classique ? Un tunnel ? Un téléphérique ? Depuis quelques années, la querelle fait rage autour du nouveau franchissement de la Loire dont Nantes a besoin. Mais désormais le débat s’est organisé et élargi. Piloté par une commission mixte et indépendante, il doit permettre de faire le point sur les usages de la Loire, la place centrale du fleuve, son rôle économique, sa valeur écologique, le dialogue qu’il entretient avec le cœur de la ville. Ce débat débouchera sur des conclusions remises aux élus au début de l’été. Place publique ne pouvait qu’apporter sa pierre au débat en consacrant un dossier au sujet avec des contributions d’histo-riens, de sociologues, de géographes, d’urbanistes, de politolo-gues : une histoire de la Loire et des franchissements à Nantes/Saint-Nazaire : les enjeux du débat public ; les scénarios de franchissements ; un tour d’Europe des villes qui se posent les mêmes questions ; des entretiens avec les responsables de la Commission du débat…

D’ici là, suivez l’actualité de Place publique sur Twitter et sur Facebook

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La Loire au cœur de la villeDOSSIER

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LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

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6 numéros 50 € Nouveau numéro hors-série de Place Publique

Un parc naturel régional devrait voir le jour dans l’estuaire de la Loire et le lac de Grandlieu. Une étude de faisabilité a été lancée. La Région prendra sa décision définitive début 2015.Ce projet fait la quasi-unanimité alors que celui d’une réserve naturelle nationale soulève bien des craintes. Mais il pose la question d’un dessein commun, d’une vision partagée de l’estuaire par les industriels et les naturalistes, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs…Fragile et précieux, l’estuaire du plus long fleuve de France est un lieu de conflit d’usages, de choc des imaginaires. Le parc naturel ne remplira vraiment sa mission que s’il parvient à faire confluer des désirs d’estuaire.Ce hors-série a été rédigé par Thierry Guidet qui dirige la revue Place publique.

En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €

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DOSSIER | P 5 | QUELLE PLACE POUR LE THÉÂTRE DANS LA VILLE D’AUJOURD’HUI ?

Le théâtre, art de la villeLa ville, théâtre vivantPATRIMOINE | P. 84 | LE CENTRE D’HISTOIRE DU TRAVAIL OUVRE SES COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES

Images du travail,images du peuple

p. 76L’EMPLOI RÉSISTE GRÂCE AUX ACTIVITÉS MÉTROPOLITAINES

p. 146LE « SYNDICAT DES QUARTIERS POPULAIRES » EST NÉ À NANTES

p. 150UN JEUNE ARCHITECTE RÊVE UNE NOUVELLE TOUR BRETAGNE

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LA REVUE URBAINE | Novembre-Décembre 2014

Situé à l’est de Nantes, ce quartier fut longtemps celui des maraîchers qui y cultivaient carottes, salades et petits pois. Aujourd’hui intégré dans l’agglomération, le quartier Bottière-Chénaie reste un morceau de campagne en ville : une fidélité aux origines mais aussi la volonté de promouvoir un habitat durable. Épousant la géographie du site, bien relié au reste de la ville, le quartier est un exemple de densité intelligente et d’attention portée à la nature. Il offre aussi toutes les facettes de l’urbanité : école, médiathèque, commerces, espaces publics, vie associative naissante…Ce hors-série de la revue Place publique retrace l’histoire du quartier, décrit l’ambition des élus et des urbanistes, fait témoigner les habitants et les commerçants.Il a été rédigé par Philippe Dossal, journaliste indépendant, collaborateur régulier de Place publique, et par Emmanuelle Morin, de l’agence Double Mixte.

En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €

Vient de paraître