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Planification des ressources humaines : méthodes, expériences, pratiques Olivier Bertrand Paris 2003 UNESCO : Institut international de planification de l’éducation Institut international de la planification de l'éducation www.unesco.org/iiep

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Planification des ressourceshumaines :méthodes, expériences, pratiques

Olivier Bertrand

Paris 2003UNESCO : Institut international de planification de l’éducation

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Principes de la planification de l’éducation – 75

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Dans cette collection* :1. Qu’est-ce que la planification de l’éducation ? P.H. Coombs2. Les plans de développement de l’éducation et la planification économique et sociale, R. Poignant3. Planification de l’éducation et développement des ressources humaines, F. Harbison4. L’administrateur de l’éducation face à la planification, C.E. Beeby5. Le contexte social de la planification de l’éducation, C.A. Anderson6. La planification de l’enseignement : évaluation des coûts, J. Vaizey, J.D. Chesswas7. Les problèmes de l’enseignement en milieu rural, V.L. Griffiths8. Le rôle du conseiller en planification de l’enseignement, A. Curle9. Les aspects démographiques de la planification de l’enseignement, T.N. Châu (épuisé, voir n° 72)10. Coûts et dépenses en éducation, J. Hallak11. L’identité professionnelle du planificateur de l’éducation, A. Curle12. Planification de l’éducation : les conditions de réussite, G.C. Ruscoe13. L’analyse coût-bénéfice dans la planification de l’éducation, M. Woodhall14. Planification de l’éducation et chômage des jeunes, A. Callaway16. Planification de l’éducation pour une société pluraliste, C. Hon-chan17. La planification des programmes d’enseignement primaire dans les pays en voie de développement,

H.W.R. Hawes18. Planification de l’aide à l’éducation pour la deuxième décennie du développement, H.M. Phillips19. Les études à l’étranger et le développement de l’enseignement, W.D. Carter20. Pour une conception réaliste de la planification de l’éducation, K.R. McKinnon21. La planification de l’éducation en relation avec le développement rural, G.M. Coverdale22. La planification de l’éducation : options et décisions, J.D. Montgomery23. La planification du programme scolaire, A. Lewy24. Les facteurs de coûts dans la planification des systèmes de technologies éducatives, D.T. Jamison25. Le planificateur et l’éducation permanente, P. Furter26. L’éducation et l’emploi : une étude critique, M. Carnoy27. Planification de l’offre et de la demande d’enseignants, P. Williams28. Planification de l’éducation préscolaire dans les pays en développement, A. Heron29. Moyens de communication de masse et éducation dans les pays à faible revenu : répercussions sur la

planification, E.G. McAnany, J.K. Mayo30. La planification de l’éducation non formelle, D.R. Evans31. Education, formation et secteur traditionnel, J. Hallak, F. Caillods32. Enseignement supérieur et emploi : l’expérience de l’IIPE dans cinq pays en développement,

G. Psacharopoulos, B.C. Sanyal33. La planification de l’éducation comme processus social, T. Malan34. Enseignement supérieur et stratification sociale : une comparaison internationale, T. Husén35. Un cadre conceptuel pour le développement de l’éducation permanente en URSS, A. Vladislavlev36. Education et austérité : quelles options pour le planificateur ? K.M. Lewin37. La planification de l’éducation en Asie, R. Roy-Singh38. Les projets d’éducation : préparation, financement et gestion, A. Magnen39. Accroître l’efficacité des enseignants, L. Anderson40. L’élaboration des programmes scolaires à l’échelon central et à l’échelon des écoles, A. Lewy41. Planification des ressources humaines : méthodes, expériences, pratiques, O. Bertrand (épuisé,

voir n° 75)42. Redéfinition de l’éducation de base en Amérique latine : les enseignements de l’école nouvelle

colombienne, E. Schiefelbein43. La gestion des systèmes d’enseignement à distance, G. Rumble44. Stratégies éducatives pour les petits États insulaires, D. Atchoarena45. Evaluation de la recherche en éducation fondée sur l’expérimentation et sur les enquêtes, R.M. Wolf46. Droit et planification de l’éducation, I. Birch47. Utilisation de l’analyse sectorielle de l’éducation et des ressources humaines, F. Kemmerer48. Analyse du coût de l’insertion scolaire des populations marginalisées, M.C. Tsang49. Un système d’information pour la gestion fondé sur l’efficience, W.W. McMahon50. Examens nationaux : conception, procédures et diffusion des résultats, J.P. Keeves51. Le processus de planification et de formulation des politiques d’éducation : théorie et pratiques,

W.D. Haddad, assisté par T. Demsky52. À la recherche d’un enseignement adapté : l’orientation vers le travail dans l’éducation, W. Hoppers53. Planifier pour l’innovation en matière d’éducation, D.E. Inbar54. Analyse fonctionnelle de l’organisation des ministères d’éducation, R. Sack, M. Saïdi55. Réduire les redoublements : problèmes et stratégies, T. Eisemon56. Faire davantage participer les filles et les femmes à l’éducation, N. P. Stromquist57. Installations et bâtiments éducatifs : ce que les planificateurs doivent savoir, J. Beynon58. La planification de programmes d’alphabétisation des adultes centrés sur les élèves, S.E. Malone,

R.F. Arnove59. Former les enseignants à travailler dans des établissements et/ou des classes réputés difficiles,

J.-L. Auduc60. L’évaluation de l’enseignement supérieur, J.L. Rontopoulou61. À l’ombre du système éducatif. Le développement des cours particuliers : conséquences pour la

planification de l’éducation, M. Bray62. Une gestion plus autonome des écoles, I. Abu-Duhou63. Mondialisation et réforme de l’éducation : ce que les planificateurs doivent savoir, M. Carnoy64. La décentralisation dans l’éducation : pourquoi, quand, quoi et comment? T. Welsh, N.F. McGinn65. L’éducation préscolaire : besoins et possibilités, D. Weikart66. La planification de l’éducation dans le contexte du VIH/sida, M.J. Kelly67. Aspects légaux de la planification et de l’administration de l’éducation, C. Durand-Prinborgne68. Améliorer l’efficacité de l’école, J. Scheerens69. La recherche quantitative au service des politiques éducatives : le rôle de l’analyse de la littérature,

S.J.Hite70. La cyberformation dans l’enseignement supérieur : développement de stratégies nationales, T. Bates71. L’évaluation pour améliorer la qualité de l’enseignement, T. Kellaghan, V. Greaney72. Les aspects démographiques de la planification de l’éducation, T.N. Châu73. Planifier l’éducation en situation d’urgence et de reconstruction, M. Sinclair74. La privatisation de l’éducation : causes, effets et conséquences pour la planification,

C.R. Belfield, H.M. Levin

* Série publiée également en anglais. Autres titres à paraître.Institut international de la planification de l'éducation www.unesco.org/iiep

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L’Agence suédoise d’aide au développement international (Asdi) afourni une aide financière pour la publication de cette brochure.

Publié en 2003 par l’Organisation des Nations Uniespour l’éducation, la science et la culture7, place de Fontenoy, 75007 Paris

Maquette de couverture : Pierre FinotComposition : Linéale ProductionImprimé en Espagne par Marco Gráfico, S.L.

ISBN 92-803-2237-0© UNESCO 2003

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Principes de la planification de l’éducation

Les brochures de cette collection sont destinées principalement à deuxcatégories de lecteurs : ceux qui occupent déjà des fonctions dansl’administration et la planification de l’éducation, dans les pays endéveloppement comme dans les pays industrialisés ; et d’autres, moinsspécialisés – hauts fonctionnaires et hommes politiques, par exemple –qui cherchent à connaître de façon plus générale le mécanisme de laplanification de l’éducation et les liens qui la rattachent au développementnational dans son ensemble. Ces brochures sont, de ce fait, destinées soità l’étude individuelle, soit à des cours de formation.

Depuis le lancement de cette collection en 1967, les pratiques etles concepts de la planification de l’éducation ont subi d’importantschangements. Plusieurs des hypothèses qui étaient sous-jacentes auxtentatives antérieures de rationaliser le processus du développementde l’éducation ont été critiquées ou abandonnées. Toutefois, si laplanification centralisée, rigide et obligatoire, s’est manifestementrévélée inadéquate, toutes les formes de planification n’ont pas étéabandonnées. La nécessité de rassembler des données, d’évaluerl’efficacité des programmes en vigueur, d’entreprendre des étudessectorielles et thématiques, d’explorer l’avenir et de favoriser un largedébat sur ces bases s’avère au contraire plus vive que jamais, pourorienter la prise de décisions et l’élaboration des politiques éducatives.

La planification de l’éducation a pris une envergure nouvelle.Outre les formes institutionnelles de l’éducation, elle porte à présentsur toutes les autres prestations éducatives importantes dispenséeshors de l’école. L’intérêt consacré à l’expansion et au développementdes systèmes éducatifs est complété, voire parfois remplacé, par lesouci croissant d’améliorer la qualité du processus éducatif dans sonensemble et de contrôler les résultats obtenus. Enfin, planificateurset administrateurs sont de plus en plus conscients de l’importancedes stratégies de mise en œuvre et du rôle joué à cet égard par lesdivers mécanismes de régulation : choix des méthodes de financement,d’examen et de délivrance des certificats et diplômes, ou d’autres

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Principes de la planification de l’éducation

structures de régulation et d’incitation. La démarche des planificateursrépond à une double préoccupation : mieux comprendre la valeur etle rôle de l’éducation par l’observation empirique des dimensionsparticulières qui sont les siennes, et contribuer à définir des stratégiespropres à amener le changement.

Ces brochures ont pour objet de refléter l’évolution et leschangements des politiques éducatives et de mesurer leurs effets surla planification de l’éducation ; de mettre en lumière les questions quise posent actuellement en la matière et de les analyser dans leurcontexte historique et social ; et de diffuser des méthodes deplanification pouvant s’appliquer aussi bien aux pays en développementqu’aux pays industrialisés.

Afin d’aider l’Institut à bien identifier les préoccupations actuellesdans les domaines de la planification et de l’élaboration des politiquesde l’éducation dans diverses parties du monde, un Comité de rédactiona été mis en place. Il comprend deux rédacteurs en chef et cinqrédacteurs associés, venus de différentes régions, tous éminentsspécialistes dans leurs domaines respectifs. Lors de la premièreréunion de ce nouveau Comité de rédaction en janvier 1990, sesmembres ont défini les sujets les plus importants à traiter dans lesnuméros ultérieurs sous les rubriques suivantes :

1. L’éducation et le développement.2. L’équité.3. La qualité de l’éducation.4. Structure, administration et gestion de l’éducation.5. Les programmes d’enseignement.6. Coût et financement de l’éducation.7. Techniques et approches de la planification.8. Systèmes d’information, suivi et évaluation.

Chaque rubrique est confiée à un ou deux rédacteurs.

La collection correspond à un plan d’ensemble soigneusementétabli, mais aucune tentative n’a été faite pour éliminer les divergences,voire les contradictions, entre les points de vue exposés par les auteurs.L’Institut, pour sa part, ne souhaite imposer aucune doctrine officielle.

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Principes de la planification de l’éducation

S’il reste entendu que les auteurs sont responsables des opinionsqu’ils expriment – et qui ne sont pas nécessairement partagées parl’UNESCO et l’IIPE –, elles n’en sont pas moins dignes de fairel’objet d’un vaste débat d’idées. Cette collection s’est d’ailleurs fixécomme objectif de refléter la diversité des expériences et des opinionsen donnant à des auteurs venus d’horizons et de disciplines très variésla possibilité d’exprimer leurs idées sur l’évolution des aspectsthéoriques et pratiques de la planification de l’éducation.

Une des questions qui ont le plus alimenté les débats dans ledomaine de la planification de l’éducation est celle de savoir dansquelle mesure on doit et on peut planifier le développement del’enseignement en fonction des besoins du marché du travail. Il esten fait de moins en moins question de développer l’éducation enfonction des stricts besoins de l’emploi, ne serait-ce que parce qu’ilest extrêmement difficile d’estimer de tels besoins. Dès lors, laplanification doit s’attacher à surveiller le fonctionnement du marchédu travail et l’insertion des diplômés afin d’être à même d’orienter ledéveloppement des systèmes éducatifs. Nombreux sont les pays,néanmoins, qui cherchent à définir leur politique en fonction dedifférents éclairages sur l’évolution probable de l’économie à moyenet long termes.

Afin de faire le point sur les méthodes de planification desressources humaines, l’Institut avait demandé à Olivier Bertrand,ancien chercheur au Centre d’études et de recherches sur lesqualifications (CEREQ) de France, de préparer cette brochure. Laprésente édition est une mise à jour de ce document, tenant comptedes derniers développements méthodologiques. De manière claire etsynthétique, l’auteur passe en revue les méthodes de prévision etd’analyse des besoins de formation utilisées dans le passé, avant deprésenter ce qui se fait à l’heure actuelle dans les pays industrialisés,où, sans toujours l’admettre, on n’a pas cessé de faire œuvre deplanification. Olivier Bertrand tire de toutes ces expériences un certainnombre de conclusions importantes sur ce que pourrait être unedémarche pragmatique adaptable à différents contextes.

Gudmund HernesDirecteur, IIPE

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Composition du Comité de rédaction

Président : Gudmund HernesDirecteur, IIPE

Rédacteurs en chef : Françoise CaillodsIIPE

T. Neville Postlethwaite(Professeur émérite)Université de HambourgAllemagne

Rédacteurs associés : François OrivelIREDU, Université de BourgogneFrance

Eric HanushekUniversité de StanfordÉtats-Unis d’Amérique

Claudio de Moura CastroFaculdade PitágorasBrésil

Kenneth N. RossIIEP

Richard SackConsultant InternationalFrance

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Préface

Faut-il ajuster le développement du système éducatif aux besoins del’économie et du marché du travail ? Faut-il au contraire développer leseffectifs à tous les niveaux, notamment après l’éducation de base, sansse préoccuper de ce que deviennent les sortants ? Telles sont les questionsque nombre de planificateurs des ressources humaines se posent depuislongtemps sans avoir trouvé de réponses entièrement satisfaisantes.

La planification dite « en fonction des besoins en main-d’œuvre »,qui prônait une stricte adéquation de la formation à l’emploi, a connu denombreux déboires. Très critiquée sur un plan théorique à cause deshypothèses simplificatrices qu’elle fait sur les déterminants des structuresdes emplois et de la relation éducation-emploi, la méthode a essentiellementservi dans le passé à justifier le développement très rapide des effectifsaux niveaux post-primaire et post-secondaire ; elle n’a en revanche quepeu contribué à freiner ou à orienter ce développement lorsque celas’est révélé nécessaire. La méthode des taux de rendement proposéecomme alternative n’est pas non plus sans poser de problèmes sur lesplans théorique et technique. Celle-ci ne renseigne de toute façon qu’aposteriori sur l’efficacité de telle ou telle politique éducative et ne fournitque peu d’indications sur l’état du marché du travail et l’évolution destaux de rendement à l’avenir.

La difficulté de faire des prévisions des emplois par qualifications etspécialisations s’est encore renforcée dans les pays industrialisés et entransition du fait de l’accélération du changement technique qui affecteun grand nombre d’emplois et modifie radicalement les qualifications etcompétences requises. Dans les pays en développement, l’incertitudequi pèse sur l’économie, les prix de vente des matières premières et lerèglement de la dette rend tout exercice de prévision périlleux. Faut-il enconclure que l’on doit s’abstenir de prévoir l’avenir et de planifier ledéveloppement des ressources humaines ? La réponse à cette questionest évidemment non. Il faut de très nombreuses années pour former uncadre scientifique ou un gestionnaire de haut niveau, et toute actionprise, ou non prise, maintenant peut avoir de graves conséquences

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Préface

dans le futur. D’un autre côté, le nombre de jeunes qui arrivent chaqueannée sur le marché du travail dans les pays en développement estsouvent tellement élevé par rapport à la population active totale qu’onne peut éviter de réfléchir à l’avance à la manière dont se fera leurinsertion professionnelle. Comme ces deux exemples le montrent, laplanification se doit de continuer sa tâche d’exploration del’avenir ; elle doit aussi mettre en place des mécanismes d’évaluationet de recherche afin de contrôler la qualité de la formation, et surveillerla manière dont s’effectue l’insertion des diplômés dans le monde dutravail, ou dont évolue le contenu des qualifications requises. Lesstratégies éducatives proposées par ailleurs mettent l’accent sur laqualité de la formation favorisant une plus grande adaptabilité de lamain-d’œuvre ; la mise à jour et l’actualisation permanentes descompétences par divers programmes d’éducation extrascolaire, et laflexibilité dans l’organisation des systèmes de formation.

La première version de cette brochure a été préparée en 1992.Elle a servi à former des générations de planificateurs de l’éducation.Quelque dix ans après, les conclusions de l’ouvrage restent valables.L’Institut a néanmoins demandé à Olivier Bertrand de procéder àune mise à jour des défis recensés par les planificateurs et desméthodes utilisées dans la planification des ressources humaines.

Par sa longue expérience, acquise dans les pays endéveloppement, puis au Centre d’études et de recherches sur lesqualifications (CEREQ) de France, Olivier Bertrand était la personnela mieux placée pour présenter aussi bien les méthodes traditionnellesque les nouvelles pratiques en matière de planification des ressourceshumaines et pour tirer les leçons de ces expériences. La démarchequ’il propose, combinant approche prospective et analyse qualitative,intéressera les planificateurs des ressources humaines dans lesministères concernés des pays en développement comme des paysindustrialisés.

Françoise CaillodsCorédactrice en chef de la collection

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Table des matières

Préface 9

Introduction 13

I. Les méthodes traditionnelles de planification 15

1. La planification de l’éducation fondée surl’approche main-d’œuvre et la logiquede l’adéquation formation-emploi 16

2. Deux approches alternatives de l’évaluationdes besoins et des priorités de formation 26

3. Les démarches fondées sur l’évaluationde l’efficacité du système de formation 29

II. Tendances récentes de la planificationdes ressources humaines 39

1. Prévision et prospective de l’emploiet des qualifications 39

2. L’analyse qualitative des contenus de travailet de formation 48

III. Les leçons de l’expérience 62

1. La planification des ressources humaines aujourd’hui 62

Références 122

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Introduction

Il est clair que la vocation de l’éducation et de la formation, au sensle plus général, ne se limite pas à la préparation à un emploi.L’enseignement doit d’abord contribuer à former la personnalité del’individu et à le préparer à une vie sociale. Il devrait aussi, autantque possible, contribuer à l’égalité des chances. Mais il ne peut pourautant se désintéresser complètement du devenir professionnel desjeunes. Cette préoccupation devient primordiale lorsqu’il s’agit dedéfinir les orientations des formations à finalité professionnelle. Dansla plupart des pays, elle se fait de plus en plus insistante et l’on critiquefréquemment l’inadaptation de la formation aux besoins del’économie, surtout lorsque l’on voit coexister le chômage desdiplômés et la pénurie de personnel qualifié.

Ce point de vue est très répandu au sein du grand public, maisaussi des médias, des représentants des employeurs et parfois despouvoirs publics, qui réclament une meilleure adéquation entreformation et emploi. Mais celle-ci est-elle possible, et par quelsmoyens ? L’analyse des expériences de pays très différents au coursdes dernières décennies incite à une grande prudence. Si l’on abeaucoup progressé dans la connaissance des problèmes, cela a surtoutconduit à une meilleure prise de conscience de leur complexité et deleur difficulté. Il n’existe pas à ce jour de réponse pleinementsatisfaisante à la question de savoir si l’on peut prévoir les besoins deformation découlant de l’évolution technique et économique et planifier(ou orienter) en conséquence le système de formation. Certains sedemandent même si on doit le faire. En effet, la mode aujourd’hui està la mise en valeur du marché et du libéralisme, de sorte que la notionmême de planification peut paraître désuète.

Les pages qui suivent ne prétendent pas apporter la solutionmiracle à ces questions. Elles visent à faire le point des acquis résultantde l’histoire récente, principalement dans les pays industriels avancés,et à éclairer les expériences pratiques par des références aux analysesthéoriques. Elles s’adressent notamment à ceux qui sont responsables

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de l’orientation et de la gestion des systèmes de formation post-obligatoires, dans les pays en développement ou dans ceux quipratiquaient une planification centralisée et prennent un nouveaudépart : les uns et les autres cherchent à savoir dans quelle mesureles expériences des pays industriels avancés sont transférables dansleur propre contexte.

Ce texte se place donc plus du point de vue des pouvoirs publicset de la formation initiale que de celui des entreprises et de la formationcontinue. Il est surtout orienté vers les aspects de la planification quitouchent la relation formation-emploi. Il ne prétend pas traiter desautres aspects, tels que le coût et le financement, la programmationdes constructions ou la formation des enseignants.

Après une première partie qui passe en revue les méthodes deprévision et d’analyse des besoins de formation utilisées dans leurcontexte historique et national, la deuxième partie présente desexemples d’expériences récentes. La troisième partie vise à tirer lesconclusions de ces différentes expériences et suggère les étapespossibles d’une démarche pragmatique, adaptable à différentscontextes, pour la mise en place d’un processus de planificationpermanent comportant le suivi des réalisations.

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I. Les méthodes traditionnelles de planification

Les pratiques et les idées concernant la relation formation-emploiont suivi une évolution historique que l’on peut résumer comme suit :

• Dès les années 1940, la mise en œuvre d’une planificationcentralisée en Union soviétique et le désir de fournir à l’industriela main-d’œuvre nécessaire conduisaient à étendre la planificationà l’évaluation des besoins en main-d’œuvre de l’économie etleur confrontation avec les sorties du système éducatif. C’étaitla naissance de l’« approche main-d’œuvre ». Ce système étaitétendu pendant les années 1950 aux pays satellites de l’Europede l’Est qui adoptaient le modèle soviétique.

• Vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, l’intérêtnouveau porté au problème du développement et la prise deconscience du rôle de l’éducation suscitaient un intérêt desorganisations internationales et de différents pays pour uneplanification intégrant l’emploi et l’éducation comme facteursde développement. Des variantes plus ou moins élaborées del’approche main-d’œuvre étaient expérimentées par l’OCDE(dans les pays méditerranéens et en Amérique latine), par despays industrialisés comme la France et par des pays endéveloppement comme l’Inde ou le Pakistan. Tous ces paysavaient en commun le souci de faire face aux besoins en main-d’œuvre, et notamment en main-d’œuvre qualifiée, nécessaire àleur croissance.

• La fin des années 1960 et les années 1970 correspondent à unepériode de reflux que l’on peut expliquer de plusieurs manières.Des économistes de tendance libérale (dans les pays anglo-saxons) critiquaient l’approche main-d’œuvre pour son manquede fondement théorique et proposaient une approche alternative.De leur côté, les techniciens de la planification prenaientconscience de l’insuffisance de cette démarche.

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Parallèlement, le contexte économique se modifiait radicalementavec la crise de la fin des années 1970 : dans les pays industrialisés,le problème ne consistait plus à faire face aux besoins en main-d’œuvre, mais au contraire à affronter le chômage. De manièregénérale, la mode n’était plus à la planification, du fait du changementdu climat politique et par suite des mécomptes d’une prévision souventmise en échec. De leur côté, les pays en développement rencontraientdes difficultés dans leur exercice de prévision des relations formation-emploi, du fait du manque de données et de moyens, et s’apercevaientdes obstacles politiques que soulevait une telle planification.

Pour toutes ces raisons, l’approche main-d’œuvre commeinstrument de prévision et de planification a été un peu partoutabandonnée, sans être véritablement remplacée. On est aujourd’huien général plus pragmatique et plus modeste. Les essais de prévisionse limitent davantage à un niveau sectoriel ou régional. Les effortss’orientent vers l’amélioration de l’information et d’instrumentssusceptibles de permettre un meilleur pilotage à court terme et unemeilleure gestion du système de formation.

Néanmoins, les spécialistes continuent à s’interroger sur l’utilitéet sur la validité des prévisions – ou plutôt de la prospective –concernant l’emploi et les professions. De fait, beaucoup de payscontinuent à en élaborer, mais dans un autre contexte et dans unautre esprit.

Après l’analyse des expériences fondées sur l’approche main-d’œuvre, cette première partie passe en revue les approchesalternatives.

1. La planification de l’éducation fondéesur l’approche main-d’œuvre et la logiquede l’adéquation formation-emploi

Cette approche, bien connue, a déjà fait l’objet d’une abondantelittérature critique. Il a néanmoins paru utile de passer en revue uncertain nombre d’expériences pour montrer leur diversité et pour en

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Les méthodes traditionnelles de planification

tirer des leçons qui restent actuelles. Le lecteur pressé pourranéanmoins préférer passer directement au chapitre II.

Le principe et la démarche

Cette démarche part de l’idée selon laquelle « il faut établir desplans d’enseignement en tenant compte des objectifs du développementéconomique et social » (Parnes, 1962). Elle suppose qu’il est possibled’estimer les futurs besoins en main-d’œuvre (particulièrement la main-d’œuvre qualifiée) en partant d’hypothèses sur l’évolution de l’économieet sur la structure professionnelle. Ces besoins peuvent ensuite êtrerapprochés des sorties attendues du système de formation pour viserautant que possible une adéquation entre les deux. La démarche comporteles étapes suivantes :

(a) Elle part de projections économiques sur le niveau de la productionnationale et sa répartition par secteur (ou branche) d’activité àun horizon donné. Elle établit des hypothèses sur l’évolution dela productivité de chaque secteur, ce qui donne des estimationssur les effectifs employés.

(b) Il s’agit ensuite d’estimer la répartition de ces effectifs parprofession (métier), groupe de professions ou catégoriesocioprofessionnelle. Pour cela, il faut connaître la structureactuelle par secteur et procéder à des estimations sur l’évolutionde cette structure au cours de la période étudiée. L’applicationde ces coefficients de structure aux effectifs estimés par secteurdonne la répartition des effectifs par secteur et par profession.La récapitulation de l’ensemble des secteurs fournit uneestimation sur l’emploi total (ou offre potentielle d’emplois) parprofession pour l’année horizon.

(c) Pour satisfaire cette offre d’emplois (ou cette demande de main-d’œuvre), il s’agit ensuite d’estimer les ressources enmain-d’œuvre qui seront disponibles au même moment. Cesressources proviennent de deux origines :(i) les effectifs employés actuellement, compte tenu des décès,

des départs à la retraite et, si possible, de la mobilitéprofessionnelle ;

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Planification des ressources humaines :méthodes, expériences, pratiques

(ii) les sorties attendues du système de formation au cours dela période allant de l’année de départ à l’année horizon.

L’addition de ces deux éléments donne une estimation sur lamain-d’œuvre qui sera disponible à l’année horizon pour occuper lesemplois offerts par les entreprises.

Offre potentielle d’emplois Ressources ou disponibilitésou besoins de main-d’œuvre en main-d’œuvre= =Emplois correspondant aux Main-d’œuvre « résiduelle »prévisions économiques par (après déduction des départsprofession/qualification. et décès) +

sorties prévisibles dusystème de formation.

(d) Il ne reste plus qu’à confronter les besoins estimés de l’économieet les ressources prévisibles pour faire le bilan des déficits oudes surplus et orienter en conséquence la politique de formation.

Cette démarche soulève des problèmes de fond sur lesquels onreviendra plus loin. Elle pose aussi des problèmes de mise en œuvre,tels que :

• la durée de la période prise en compte. Dans une démarche deplanification, cette durée s’identifie souvent avec celle du planglobal de développement économique, soit en général 4 ou 5 ans.Mais cela pose un problème, dans la mesure où la duréenécessaire pour mettre en œuvre une politique éducative et enobtenir des résultats est beaucoup plus longue. Il faut en effetune dizaine d’années pour définir des orientations, procéder auxinvestissements nécessaires, former les enseignants et voirl’achèvement d’un cycle d’études et la sortie de ses diplôméssur le marché du travail ;

• le niveau d’agrégation des analyses concernant la structurepar profession (ou métier). Le désir des utilisateurs d’obtenirdes prévisions détaillées n’est pas seulement un facteur decomplication. Il est aussi en contradiction avec le fait qu’il existeun degré important de possibilités de substitution entre formations

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Les méthodes traditionnelles de planification

de spécialités ou de niveaux proches. Choisir un niveaud’agrégation, c’est aussi choisir un système de classification (ounomenclature) suivant lequel sont regroupées les professions ;

• les méthodes et les hypothèses utilisées pour prévoir les effectifset les structures professionnelles.

On trouvera ci-dessous quelques illustrations de l’utilisation dela démarche, montrant comment ces problèmes ont été résolus, dansdes pays et des contextes différents.

L’expérience des pays socialistes à économie planifiée

L’Union soviétique a constitué l’exemple le plus typique d’uneplanification de la main-d’œuvre et de l’éducation présentant lescaractéristiques suivantes :

• Elle s’intégrait dans un processus global de planification directivecouvrant tous les secteurs d’activité économique et s’imposantà toutes les unités de production.

• Ce processus impliquait une adéquation mécanique entre sortantsdu système de formation et besoins de recrutement desentreprises. Ceux-ci étaient évalués par les entreprises elles-mêmes, en relation avec les objectifs planifiés de production etpar application de coefficients techniques. Les instances deplanification totalisaient ensuite les besoins des entreprises pourévaluer les besoins nationaux.

• Dans le cas de l’URSS, la logique de l’adéquation était renforcéepar le fait que les instances de planification décidaient del’affectation des diplômés aux unités de production. De plus, laconception socialiste ne reconnaissait pas l’existence d’un marchédu travail (pas plus que d’un marché des produits), et donc, neprenait pas en compte les phénomènes de libre mobilité destravailleurs.

La Hongrie, qui devait être la première à donner l’exemple desréformes économiques, prenait ses distances vis-à-vis de ce modèledès les années 1960. Les responsables de la planification firent unbilan critique du modèle adopté pendant les années 1950 sur l’exemplede l’URSS. Tout d’abord, la période de 5 ans adoptée initialement

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(parce qu’elle correspondait à la période normale de planification) futjugée trop courte pour la période de planification – ce qui fut égalementreconnu en URSS, où l’on a étendu la période jusqu’à 15 ou 20 ans.

Ensuite, la planification volontariste fondée sur l’extrapolation destaux de croissance élevés des premières années de l’industrialisationaboutit souvent à des prévisions irréalistes. Cette tendance était renforcéepar le fait que, dans l’élaboration de leurs plans, les entreprises suivaientleur propre logique et tendaient à exagérer leurs prévisions de besoins,dans la mesure où il y avait une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

Ce bilan avait conduit les responsables hongrois à mettre en place,à partir des années 1960, un dispositif assez différent de la simpleadéquation mécanique des années 1950. Il s’agissait d’une approchesocio-économique globale couvrant une longue période (15 à 20 ans),fondée notamment sur les données démographiques, visant à éviterles principaux risques de déséquilibres entre l’évolution à long termede l’éducation, de l’économie et de la société. On passait ainsi d’unelogique de planification directive rigide à une planification indicativeplus souple. Cette démarche a été utilisée par la suite dans différentspays en développement.

En revanche, la fin du régime communiste a entraîné un discréditde la planification fondée sur l’approche main-d’œuvre dans les paysd’Europe centrale et orientale. On évoquera plus loin la reprise d’uneréflexion, non plus sur la planification à proprement parler, mais surune forme de prévision des relations emploi-formation.

Les travaux de l’OCDE

Cette organisation internationale regroupant des pays développéss’est préoccupée vers 1960 du rôle que jouait l’enseignement dans lacroissance économique (Parnes, 1962). Elle a cherché à évaluer lesniveaux convenables de développement de l’enseignementcorrespondant aux objectifs économiques et sociaux d’un certainnombre de pays que nous appellerions « semi-développés ». Dansun premier temps, il s’est agi de six pays méditerranéens (Espagne,Grèce, Italie, Portugal, Turquie, Yougoslavie). Des équipes despécialistes, réunies dans chacun de ces pays, ont été chargéesd’élaborer des plans détaillés portant sur une longue période (1975).

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Les méthodes traditionnelles de planification

La différence majeure avec l’expérience des pays socialistes àéconomie planifiée provient du fait qu’il s’agissait cette fois de paysà économie de marché. Par conséquent, il s’agissait surtout d’obtenirdes estimations sur les déficits en main-d’œuvre prévisibles et sur lesinvestissements nécessaires pour les combler.

L’un des intérêts de cette expérience est qu’elle a été suiviequelques années plus tard d’une évaluation, permettant de comparerles prévisions initiales et les réalisations. L’évaluation a notammentconsisté à procéder à des analyses de sensibilité faisant apparaîtrela marge d’erreur constatée sur les différentes hypothèses. On a puainsi constater que les erreurs les plus importantes avaient concernéle taux de croissance globale de l’économie. Ce constat donnerait àpenser que les difficultés rencontrées sont essentiellement celles detoute prévision économique et ne sont pas particulièrement spécifiquesde la relation formation-emploi.

L’expérience française

Mise en place après la guerre pour accélérer la reconstruction,la planification française avait un caractère souple et indicatif et sesituait dans une économie mixte fonctionnant selon les lois du marché(contexte donc très différent de celui des pays socialistes àplanification centralisée). Orientée d’abord vers la productionmatérielle, elle a peu à peu pris en compte les problèmes de ressourceshumaines, du fait qu’une partie importante de l’appareil de formationétait entre les mains de l’État, auquel il incombait de prendre desdécisions d’orientation. Cette planification s’est développée dans uneperspective de croissance, avec pour préoccupation de chercher àsatisfaire des besoins en main-d’œuvre qualifiée considérés commeimportants (Goy, in Commissariat général du Plan, 1978).

Au cours des années 1960 et 1970, la méthodologie s’estprogressivement affinée. Les modèles économétriques sur lesquels sefondaient les prévisions et l’analyse des structures professionnelles ontété perfectionnés. Et surtout, l’évaluation des besoins en main-d’œuvrea essayé de prendre en compte les besoins de renouvellement dus auxcessations d’activité et aux décès.

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Mais ces progrès de la méthodologie se sont accompagnés d’uneévolution de la conception des travaux, dans le sens d’un plus grandscepticisme vis-à-vis de la possibilité de planifier les relationsformation-emploi dans une économie de marché, de plus en plusouverte sur le monde extérieur, et alors que la main d’œuvre qualifiéecommençait à être abondante. Les chocs pétroliers des années 1970ont remis en cause la validité des projections. Et les progrès de laconnaissance ont souligné les incertitudes et la fragilité de la prévision.« On est passé progressivement d’une approche fondée sur les« besoins » de l’économie à une optique résolument tendancielle(prolongation des tendances passées et analyse de leursconséquences) » (Goy, in Commissariat général du Plan, 1978).

Les tentatives d’application de l’approche main-d’œuvredans le Tiers-Monde

On donnera ci-dessous un exemple de pays qui avaient unevolonté de planification, mais dans le contexte d’une économie demarché en développement.

Le cas de l’Inde

Elle a débuté à la même époque que celle de la France et présentaitquelques caractéristiques communes, en ce sens que l’on est parti d’unevolonté de planification pour faire face à des pénuries, mais dans unsystème de marché qui donnait à cette planification un caractère indicatifplutôt qu’impératif. Cela dit, le contexte était totalement différent, puisqu’ils’agissait d’un pays immense, d’un niveau de développement encorepeu avancé, dans lequel le gouvernement central avait plus un rôle decoordination qu’un pouvoir réel (notamment en matière d’éducation) faceà 22 États et 9 territoires.

Cette expérience se caractérisait d’abord par la priorité donnéeà la main-d’œuvre scientifique et technique (ingénieurs, médecins,agronomes, enseignants) de haut niveau. Les autres catégories ontété pratiquement négligées, d’abord à cause du manque de données,mais aussi parce qu’elles ne posaient pas de problème de pénurie.Les planificateurs indiens ont, en effet, toujours considéré que lapénurie était plus dommageable que le surplus (Verma, in Youdi etHinchliffe, 1985).

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Une autre caractéristique indienne est l’immensité du pays et lefait qu’une grande partie des responsabilités incombent aux 22 Étatset aux 9 territoires. Le Gouvernement central a plus un rôle decoordination qu’un pouvoir réel de contrôle. Cela explique en partiepourquoi les prévisions de main-d’œuvre ont eu en fait un impactlimité sur les orientations en matière d’éducation. Pour les mêmesraisons, le Gouvernement central n’a pas toujours accès aux donnéesdétaillées que nécessiterait une planification concrète.

L’évaluation de l’expérience indienne a permis notamment deconstater que la plupart des prévisions sur les besoins en main-d’œuvreont été, là aussi, surestimées. Cela tient d’abord au fait que lesestimations de croissance économique étaient elles-mêmes tropoptimistes. De plus, les spécialistes tendaient à surévaluer les besoinsdans leurs domaines respectifs. Enfin, on a pu constater que les postesqui, suivant les planificateurs, devaient être pourvus par des diplômésétaient souvent pourvus dans la réalité par un personnel n’ayant pasla formation théoriquement requise, mais moins bien rémunéré. C’estla conséquence de l’absence de prise en compte des rémunérationsdans la planification.

Une autre limite reconnue a posteriori tient au fait que laplanification de la main-d’œuvre n’a pas pris en compte la mobilitésociale ou professionnelle. Le manque de données statistiques fiablessur les structures professionnelles a constitué un handicap importantà cet égard. On reviendra au chapitre IV sur l’utilisation de la prévisiondans différents pays.

Bilan de l’approche main-d’œuvre

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces expériences.

Tout d’abord, le recours à l’approche main-d’œuvre est largementlié au contexte sociopolitique dans lequel elle est utilisée : systèmeplanifié ou régi par le marché, situation de pénurie ou de surabondance.

Sur le plan méthodologique, outre les difficultés d’application etles infléchissements notés au fur et à mesure de cet exposé, l’approchemain-d’œuvre pose au moins trois problèmes fondamentaux :

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• L’idée de base consiste à confronter les futurs recrutements etles sorties du système de formation. Mais cette conception netient pas suffisamment compte du fait qu’une part (trèsimportante dans certains pays) des recrutements provient, nondes sorties du système de formation, mais de la mobilité, soit àpartir d’un autre emploi, soit à partir du chômage, soit à partir del’inactivité. Aussi faut-il distinguer l’approche main-d’œuvre laplus simpliste, qui ne prend pas en compte ces phénomènes, etcelle qui s’efforce d’évaluer au moins la mobilité.

• Une autre critique porte sur le fait que l’approche main-d’œuvrene tient pas compte des conditions dans lesquelles se faitconcrètement l’ajustement entre offre et demande de main-d’œuvre, et en particulier des rémunérations. Elle suppose qu’ilexiste des besoins objectifs et que, pour satisfaire ces besoins, ilsuffit de former les effectifs correspondants.

Quelques exemples suffisent à montrer que, dans la réalité, leschoses ne se passent pas ainsi. C’est ainsi, par exemple, que dansbeaucoup de pays en développement, le fait d’avoir formé en grandnombre des techniciens de l’agriculture n’a pas suffi à combler lespénuries dans cette spécialité : la rémunération de ces personnelsn’est pas assez attractive pour compenser des conditions de travaildifficiles (éloignement et inconfort) et l’image négative de cesprofessions par rapport à d’autres. Rien ne sert de former desspécialistes, s’ils refusent d’exercer la spécialité pour laquelle ils ontété formés. De même, dans beaucoup de pays industrialisés, le travailindustriel est dévalorisé, et l’on a beau créer ou développer desformations dans des domaines comme le bâtiment ou la chaudronnerie,il n’y a pas suffisamment d’élèves qui s’y inscrivent.

Ces exemples suffisent à montrer que l’opinion condamnesouvent à tort le système éducatif pour son incapacité à répondreaux besoins de l’économie. Si l’on doit rechercher une meilleureadaptation entre formations et emplois, cette adaptation ne doit passe faire à sens unique, elle doit englober les deux côtés de la balance.

Cette idée se retrouve également sur un autre plan. En supposantque l’on passe outre aux difficultés qui viennent d’être évoquées,reste la question de savoir comment définir la correspondance entre

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un type et un niveau de formation et une profession. D’abord, unetelle correspondance ne peut être rigide, car presque tous les emploissont accessibles à partir de plusieurs formations et presque toutes lesformations débouchent sur plusieurs emplois. C’est le principe desubstituabilité déjà évoqué à propos de la Hongrie.

La médecine et quelques professions réglementées (architecte,avocat), dont l’exercice suppose nécessairement un diplômedéterminé, constituent des exceptions. Ce n’est pas le cas desingénieurs, car on constate qu’une partie parfois importante de ceuxqui sont répertoriés comme tels dans les entreprises ne possèdentpas le diplôme correspondant, tandis qu’une fraction égalementsubstantielle des diplômés n’exercent pas la fonction : ils exercentune fonction financière, commerciale ou de direction générale.A fortiori, pour les emplois commerciaux, le lien est très lâche.

Il faut également souligner que ce lien est variable selon l’offreet la demande, et suivant le niveau des rémunérations, qui peuventvarier selon le lieu et dans le temps. Les entreprises disposent d’unelarge marge d’adaptation. Si elles trouvent sur le marché dessecrétaires ayant fait des études supérieures, elles leur donnerontsouvent la préférence ; si ne se présentent au contraire que descandidates n’ayant pas fini leurs études secondaires, elles s’encontenteront. Peut-on dire objectivement quel est le niveau deformation nécessaire à une secrétaire ?

Le même raisonnement pourrait s’appliquer aux spécialitéstertiaires. Le cas limite est celui des banques, qui, dans beaucoup depays, ont recruté leurs futurs cadres en étant relativement indifférentesà leurs spécialités de formation ; ce qui leur importait, c’était plutôt leniveau. Un certain degré d’indifférenciation existe également dansbeaucoup de domaines tertiaires et, dans une certaine mesure, danscertains domaines industriels.

Les variations ainsi observées dans le temps, au sein d’un mêmepays, sont tout aussi importantes si l’on compare les pays entre eux.Le type et le niveau de formation jugés nécessaires pour occuper unemploi dépendent en effet de la structure du système de formation etde son degré de développement, mais aussi de la manière dont lesystème social reconnaît la qualification.

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Les travaux entrepris par l’OCDE pour comparer les niveauxde développement économique et éducatif vont dans le même sensque cette analyse pour confirmer que « les facteurs de demandesont insuffisants à eux seuls pour guider le développement du systèmed’enseignement ; les facteurs d’offre doivent être pris en comptedans l’analyse ».

Dans ces conditions, on peut douter qu’il existe des besoinsobjectifs de l’économie et que la planification doive consister à adapterla formation à de tels besoins. L’adaptation ne peut être à sens unique.

Malgré ces critiques, l’idée adéquationniste reste solidementancrée dans beaucoup d’esprits, car elle donne l’impression rassurantequ’il existe des solutions techniques au problème de la relationformation-emploi.

Pour se prononcer sur la validité de l’approche main-d’œuvre, ilfaut aussi voir quelles sont les approches alternatives possibles.

2. Deux approches alternatives de l’évaluation desbesoins et des priorités de formation

Les méthodes de planification de ressources humaines ne selimitent pas à l’approche main-d’œuvre. D’autres démarches sontpratiquées ou ont été proposées. Les unes restent dans l’optique del’adéquation ; les autres au contraire s’inscrivent dans une logiquedifférente, fondée sur l’évaluation de l’efficacité de la formationcomme instrument de pilotage de celle-ci.

Le questionnement des entreprises

Ce n’est pas véritablement une méthode, et elle ne mériteraitpas d’être mentionnée si elle ne restait pas aussi fréquemmentpratiquée. C’est simplement une pratique et la plus simple de toutes,puisqu’elle se borne à demander aux entreprises quels sont leursbesoins de formation. Dans une perspective de planificationd’ensemble, elle se heurte à trois objections majeures :

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• Les entreprises vivent généralement dans l’incertitude surl’avenir, et il est rare qu’elles fassent des prévisions à moyenterme. Il est encore beaucoup plus rare que ces prévisions portentsur l’emploi et la main-d’œuvre. Il est donc à craindre que lesévaluations qu’elles pourraient fournir ne soient totalementfantaisistes et déconnectées de la réalité.

• Il est également à craindre que les estimations ne soient biaisées,si les entreprises ont l’impression que leurs réponses auront uneincidence concrète, par exemple sur l’allocation de main-d’œuvre.S’il s’agit de main-d’œuvre rare, elles auront tendance àsurestimer leurs besoins.

• Enfin, le questionnement des entreprises ne peut répondre auproblème d’une planification globale. L’agrégation mécanique desbesoins des entreprises et unités de production ne peut fournir lesdonnées sur la main-d’œuvre exigées par une planification à longterme. « (En effet) l’économie est un organisme complexe vivantqui évolue constamment : des éléments meurent et sont remplacéspar d’autres. On ne peut guère s’attendre à ce que les organismesexistants prévoient leur propre destruction ; au contraire, ils sontgénéralement inconscients du fait que leur survie et leurdéveloppement futur peuvent dépendre d’une transformation radicalede leur profil de production, de leur structure et de leur travail. Deplus, la simple addition des besoins des entreprises existantes exclutles firmes à naître de la planification » (Timár, 1990).

Si le questionnement des entreprises ne peut constituer uneméthode de prévision chiffrée des effectifs à former, il est en revancheun élément essentiel de l’analyse qualitative des contenus de travailet de leur évolution, ainsi que de l’appréciation du fonctionnement dumarché du travail.

La référence à la demande sociale

Il s’agit ici encore d’une approche qui n’a pas de prétentionscientifique, mais qui, implicitement ou explicitement, joue un rôleimportant dans les orientations en matière d’éducation.

Les analyses qui précèdent peuvent susciter une questionbrièvement évoquée au départ : le développement de la formation

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doit-il et peut-il être déterminé seulement par les besoinséconomiques ? À première vue, la réponse est simple et consiste àdire que les formations à finalité professionnelle doivent êtredéterminées par les besoins économiques et la formation généralepar les besoins que l’on pourrait qualifier de sociaux.

En fait, le problème est plus complexe. D’abord, parce qu’il estévident que le développement éducatif est conditionné par lesressources économiques disponibles. Ensuite, parce que la frontièreest ténue. Les deux sont étroitement liés : le développement desformations professionnelles est conditionné par celui de l’enseignementgénéral ; à l’inverse, une extension de ce dernier qui ne déboucheraitsur aucune formation finalisée risque fort de susciter des problèmes.Enfin, on peut constater que, notamment – mais pas exclusivement –dans différents pays du Tiers-Monde, les programmes de formationprofessionnelle ont souvent une finalité sociale : ne sachant pascomment occuper les jeunes, ni pour quels emplois les former, on lesplace dans des stages de formation professionnelle sans finalitéprécise. Cette pratique est toutefois discutable, compte tenu dumanque dramatique de ressources de ces pays.

Si l’on se place, non plus sur le plan théorique et méthodologique,mais du point de vue des conditions concrètes dans lesquelles sontprises les décisions en matière d’éducation, il faut bien constater que,si les décideurs sont confrontés à l’extrême difficulté d’évaluer lesbesoins économiques, ils sont aussi soumis à une pression socialeallant généralement dans le sens de davantage d’éducation. Àl’inverse de la précédente, cette demande sociale est assez facile àplanifier.

Dans ces conditions, il est tentant pour les autorités responsablesde fonder davantage leurs décisions sur la seconde démarche. Deplus, celle-ci apparaît comme parfaitement démocratique à premièrevue. À y regarder de plus près, c’est loin d’être le cas. En effet,comme on le verra plus loin, l’expérience montre que ce sont lescatégories sociales les plus favorisées qui profitent le mieux del’éducation.

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Il faut en conclure que si la prise en compte de la demandesociale n’est pas une méthode scientifique et objective d’évaluationdes besoins de formation, elle constitue cependant un élément essentield’une réalité qui s’impose aux planificateurs, dans la mesure où laplanification n’est pas un exercice académique en chambre, mais unprocessus largement politique d’arbitrage entre des intérêts et despriorités contradictoires (Klees, in Caillods, 1989).

3. Les démarches fondées sur l’évaluationde l’efficacité du système de formation

Les approches analysées jusqu’ici visaient à prévoir les évolutionsfutures pour en déduire une estimation chiffrée des besoins deformation. Une autre démarche consiste à évaluer a posteriori lefonctionnement du système éducatif. Cette démarche peut prendredeux formes. La première vise à évaluer le rendement de la formationsuivant un calcul économique semblable à celui qui s’appliquerait àdes investissements matériels. La seconde consiste à étudier commentceux qui ont été formés se placent sur le marché du travail et dansquelle mesure l’emploi qu’ils occupent correspond au type deformation reçue.

Ces deux démarches peuvent être considérées comme desméthodes, sinon de prévision, du moins de pilotage du système deformation, par corrections successives. On trouvera ci-dessousquelques exemples de leur application.

L’efficacité économique : l’analyse coût-avantage ou destaux de rendement

Elle a été surtout proposée par des économistes néo-classiques,souvent anglo-saxons (Blaug, 1974 ; Psacharopoulos et Woodhall,1988), partant d’une critique de l’approche main-d’œuvre portantnotamment sur l’absence de prise en compte des rémunérations etrecherchant un meilleur fondement économique au rapprochementformation-emploi. Ce fondement, ils le trouvent dans la théorie ducapital humain, suivant laquelle éducation et formation constituent uninvestissement économiquement rentable, que l’on se place au niveau

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de l’individu ou de la nation. Cette démarche s’inscrit dans uneperspective économique, mettant l’accent sur les mécanismes derégulation naturelle qui opèrent sur le marché du travail, grâce auxsalaires et aux revenus.

Dans cette conception, lorsqu’ils choisissent une orientation, lesindividus font implicitement une analyse de ce qu’elle va leur coûteret leur rapporter. Si l’on prend le cas où le choix s’exerce en faveurd’une poursuite d’études (par exemple à l’université), son coût peutêtre mesuré par les frais de scolarité et surtout par les coûtsd’opportunité, c’est-à-dire le manque à gagner résultant du fait qu’enchoisissant de continuer des études, on perd une possibilité d’obtenirune rémunération.

En revanche, en poursuivant des études, on peut espérer obtenir,tout au long de la vie active, un supplément de revenu qui compenserace manque à gagner et bien au-delà. En tenant compte des tauxd’intérêt à affecter à ces différentes périodes de la vie active, il estpossible d’aboutir à un bilan en termes de taux de rendement. Cetteanalyse peut être transférée du niveau individuel à celui de lacollectivité, à condition d’admettre que la rémunération individuelleest équivalente au bénéfice que la collectivité tire de son activité. Onpourrait ainsi évaluer le coût et le bénéfice qu’un pays tirerait dedifférents types de formation ou de leur développement futur. Il y atoutefois une différence dans le mode de calcul, dans la mesure où lacollectivité supporte généralement tout ou partie du coût des études.Cela implique que la poursuite des études doit logiquement être plusrentable pour les individus que pour la collectivité.

Une série d’études a été consacrée à une cinquantaine de pays, àdifférents stades de développement, notamment par Psacharopoulos(1993). Celui-ci en avait tiré un certain nombre de conclusions, que l’onpeut résumer ainsi :

– le rendement de l’éducation à tous les niveaux seraitgénéralement supérieur à celui des investissements en capital ;

– c’est pour l’enseignement primaire que ce rendement serait leplus élevé ; il déclinerait ensuite avec l’élévation du niveau del’éducation ;

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– le rendement pour les individus serait plus élevé que pour lasociété, en particulier pour l’enseignement supérieur, ce quijustifierait une prise en charge plus grande du coût de celui-cipar les individus ;

– le rendement de l’éducation se maintiendrait avec le développementdes pays et l’éducation resterait un investissement attractif.

Ces résultats sont aujourd’hui contestés. Une étude consacrée àdix pays d’Asie, fondée sur une interprétation différente des données, neconfirmait nullement ces conclusions et suggérait en particulier que letaux social de rendement de l’éducation était faible dans des pays commel’Inde, le Pakistan et les Philippines, où il existe un surplus de main-d’œuvre éduquée, compte tenu du niveau de développement de l’économie.L’auteur concluait de cette analyse que la méthode des taux de rendementn’était pas suffisamment fiable pour fonder les décisions d’investissementdans l’éducation, en raison de l’insuffisance des données et du rôle desfacteurs non économiques (Bennel, 1998).

Enfin, une étude récente de la relation entre éducation etcroissance économique dans 16 pays émergents apporte encore denouveaux éléments. Elle conclut que la croissance économique estplus rapide lorsque les enseignements secondaire et supérieur touchentune part plus importante de la population, en donnant l’exemple duChili, de la Malaisie et de la Thaïlande (UNESCO/OCDE, 2003).

Si les résultats des différentes études semblent apparemmentdiverger sur le rôle respectif des différents niveaux d’éducation, onpeut au moins en tirer deux conclusions générales :

– il y a probablement un seuil d’éducation à partir duquel elle devientun important facteur de décollage, seuil qui pourrait correspondreau premier cycle secondaire, ou à un enseignement élémentaired’au moins huit ans. Mais de toute manière, les pays qui en sontau stade de l’extension de l’éducation à ce niveau sontgénéralement à peu près parvenus à la généralisation despremières années. Et un équilibre entre niveaux reste souhaitable,ne serait-ce que pour ne pas aggraver les inégalités sociales ;

– toutes les études s’accordent pour considérer que l’investissementdans l’éducation est généralement rentable.

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Cette approche a le grand mérite de souligner le rôle du facteurrevenu dans les ajustements entre formation et emploi, et donc, decombler une importante lacune de l’approche main-d’œuvre. Ellepourrait être utilisée davantage pour analyser, par exemple, leproblème du manque d’enseignants lié à l’insuffisance desrémunérations : on doit pouvoir calculer le coût supplémentairecorrespondant à l’augmentation des rémunérations nécessaire pourrendre la profession plus attractive.

Bien qu’elle ne donne généralement que des indications trèsglobales sur les grands types d’éducation, elle est couramment utilisée,au moins implicitement, dans les travaux et décisions de prêtsd’organismes comme la Banque mondiale. Elle prête cependant àcontroverse et soulève des problèmes (Klees, in Caillods, 1989) :

• Elle nécessite beaucoup de données sur les revenus, qui ne sontpas toujours disponibles.

• Fondée sur une analyse purement économique, elle donne unereprésentation quelque peu schématique de la réalité, qui négligeles acquis de la sociologie contemporaine. Supposer que lesdifférences de revenu sont liées exclusivement à l’investissementdans l’éducation, c’est ne pas tenir compte de la complexité desrelations entre éducation, milieu social et familial notamment.Un certain nombre d’économistes reconnaissent ce problème etrecourent à des hypothèses plus ou moins arbitraires pour évaluerle poids des facteurs autres que l’éducation dans l’estimationdes différences de revenu (Klees, in Caillods, 1989).

De même, on peut contester l’identification entre revenu individuelet efficacité sociale : le fait que la poursuite des études dans les paysdu Tiers-Monde ait souvent conduit à des emplois de fonctionnairesrelativement bien rémunérés ne prouve pas que ces emplois et cesformations aient été économiquement justifiés, mais plutôt qu’ils sesont maintenus par suite d’une pression sociale.

Par ailleurs, en supposant que l’analyse coût-bénéfice rende biencompte du rapport actuel entre formation et revenu, elle ne dit riensur la manière dont ces relations pourront évoluer dans l’avenir. Or,une planification de la formation doit se situer dans un avenir suffi-

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samment éloigné, et les équilibres peuvent se modifier pendant cettepériode. Beaucoup de pays nouvellement indépendants ont commencépar manquer gravement de main-d’œuvre qualifiée pour occuper lespostes d’encadrement tenus par des expatriés. Mais ces emploisétaient peu nombreux et on est passé rapidement d’une situation depénurie à une surabondance de diplômés. L’observation des avanta-ges dont bénéficiaient les titulaires au départ a contribué à créer unedemande et des attentes qui n’ont pu ensuite être satisfaites et quiont été source de frustrations. Ce n’est pas par l’approche coût-bénéfice que cette situation pouvait être évitée.

L’analyse des conditions d’insertion et du suivi dessortants de formation

Depuis un certain temps déjà, un nombre croissant de pays ontpris conscience du fait qu’il n’était pas suffisant de vouloir prévoir etplanifier si l’on ne connaissait pas les résultats obtenus : la premièrechose à faire ne consiste-t-elle pas à savoir ce que deviennent lesjeunes formés, comment ils se placent dans la vie professionnelle etquelle est la relation entre la formation qu’ils ont reçue et l’emploiqu’ils occupent ?

Plusieurs méthodes visent à répondre à cette question. Le choixentre ces méthodes dépend d’abord des questions que l’on se pose,mais aussi des moyens financiers disponibles et des moyens pratiquespermettant de délimiter, de saisir et d’interroger les populationsconcernées, ces moyens étant liés au contexte institutionnel. En cequi concerne le contenu des questions, on peut distinguer les enquêtesà caractère purement factuel, consistant à analyser en particulier lasituation des jeunes et leur expérience, et les enquêtes ayant l’ambitionde connaître leurs attitudes et leurs motivations, notamment vis-à-visde l’orientation scolaire et professionnelle.

Du point de vue des méthodes d’enquête, on peut distinguer :

• Le suivi dans le temps ou méthode du panel, consistant à ré-interroger les mêmes individus pendant une période variable, maisgénéralement assez longue. Elle se prête bien à des étudesmettant en relation les caractéristiques familiales et sociales, la

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Planification des ressources humaines :méthodes, expériences, pratiques

carrière scolaire et la trajectoire professionnelle. Mais elle exigele concours d’enquêteurs spécialisés, ne peut concerner que deséchantillons de petite taille et ne donne des résultats qu’après uncertain temps.

• Les enquêtes d’insertion touchent les personnes sorties à unmoment donné et à un point précis du système de formation.Faites à partir des établissements de formation, elles facilitentles contacts avec les jeunes, ainsi que la délimitation du champd’enquête en se référant à un découpage scolaire, et donnentdes résultats rapides. L’inconvénient de ces enquêtes tient aumorcellement du champ sur lequel elles se fondent. Elles nepermettent pas de comparer différentes filières et isolent chaqueenquête du contexte du marché du travail.

• Les enquêtes rétrospectives visent à identifier les anciensétudiants après un certain temps, non pas à partir des étudesfaites, mais dans un autre milieu, généralement le milieuprofessionnel. L’interrogation cherche à reconstituer le passéscolaire aussi bien que professionnel. La difficulté consiste àidentifier une population homogène et à la relier à son passéscolaire. La reconstitution pose aussi le problème de la fiabilitéde la mémoire de l’intéressé.

On trouvera ci-dessous quelques exemples d’enquêtesentreprises dans des pays et des contextes différents, avec desobjectifs différents.

Les enquêtes de l’IIPE

À plusieurs reprises, l’IIPE a pris l’initiative d’enquêtes surl’insertion professionnelle des diplômés.

Pendant la période 1978-1984, avec la participation de 21 pays,l’Institut a lancé des enquêtes sur l’enseignement supérieur visant àmieux comprendre les interactions avec le développement socio-économique, à identifier les déséquilibres et à éclairer les facteursdéterminant l’entrée dans l’enseignement supérieur. Pour analyserla demande d’enseignement supérieur, l’insertion dans le monde dutravail et le fonctionnement du marché du travail, trois méthodes étaientutilisées :

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Les méthodes traditionnelles de planification

– l’étude longitudinale d’un groupe d’étudiants, de diplômés etd’employeurs. Cette démarche, la plus intéressante, nécessitaitde garder le contact avec les mêmes personnes pendant plusieursannées et impliquait une longue attente pour obtenir les résultatsdes enquêtes ;

– l’exploitation des données du recensement était la plus simple,mais elle supposait la disponibilité de données pertinentes ;

– l’analyse rétrospective des conditions d’insertion par enquêteauprès d’un échantillon d’étudiants, de diplômés et d’employeursétait la plus facile à mettre en œuvre, mais posait le problème dela fiabilité des réponses lorsqu’il s’agissait de reconstituer unitinéraire déjà ancien.

Des questionnaires fermés étaient remplis par les intéressés etcomplétés dans certains cas par des entretiens directs. Les questionsposées portaient à la fois sur des données factuelles et sur des opinionssur les préférences en matière d’études et de travail. L’interprétationde ces opinions devait être faite avec précaution.

Les résultats de ces enquêtes ont permis de tirer un ensemblede conclusions sur les facteurs qui déterminent la demanded’enseignement supérieur et sur le passage à l’emploi, conclusionsqui pouvaient intéresser la planification.

Par ailleurs, l’IIPE a réalisé une série d’enquêtes auprès desentreprises et de leurs salariés, qui ont en commun, avec les étudesde suivi, d’analyser a posteriori des sortants de l’éducation àdifférents niveaux.

L’Observatoire français des entrées dans la vie active

Au début des années 1970, alors que la France se situait encoredans une perspective de planification globale des relations formation-emploi, il est apparu que l’on manquait de données sur la situationdes jeunes à la sortie de la formation et sur les conditions réelles depassage à l’emploi. Cette préoccupation est devenue plus urgenteensuite avec l’aggravation du chômage des jeunes.

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Planification des ressources humaines :méthodes, expériences, pratiques

Il a donc été décidé de mettre en place un dispositif national,permanent, d’observation des entrées dans la vie active. Il fallaitpour cela observer, sur une période suffisante, les flux annuels dejeunes sortants de tous les niveaux et de tous les types de formation.L’échantillon devait être suffisamment important pour permettred’apprécier les débouchés à l’issue d’un niveau de formation, d’unefilière ou d’une région géographique.

Ce dispositif comporte deux éléments :

– une enquête exhaustive est réalisée par les établissementsd’enseignement secondaire publics et privés par voie postale etfait l’objet d’une première exploitation par l’administration del’enseignement ;

– depuis quelques années, une deuxième enquête est effectuéepériodiquement par le Centre d’études et de recherches sur lesqualifications (CEREQ) auprès d’un échantillon de sortants,plusieurs années après la fin de leurs études. La dernière enquêtea été réalisée au printemps 2001 auprès d’un échantillon de55 000 jeunes, sur les 750 000 qui étaient sortis en 1998 de tousles niveaux et types de formation. Cette enquête a impliqué l’envoide 170 000 lettres et un contact par téléphone de 135 000 jeunespar 150 télé-enquêteurs. Le questionnement dure en moyenne20 minutes.

Cette deuxième série d’enquêtes doit rendre compte desdifférentes composantes des parcours d’insertion en étudiant toutesles situations – emploi, chômage, formation – rencontrées parl’intéressé pendant cette période. L’analyse sur une plus longue duréecomplète et modifie souvent l’image que donnait l’enquête initiale :certaines formations peuvent déboucher sur un emploi immédiat, maisprécaire et mal rémunéré, alors que d’autres donnent des résultatsmoins rapides, mais plus satisfaisants à terme (CEREQ BREF, 1998).

L’expérience de la Tunisie

En s’inspirant du dispositif précédent, la Tunisie a réalisé depuis1989 plusieurs séries d’enquêtes sur les sortants de l’enseignementsupérieur et de la formation professionnelle.

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Les méthodes traditionnelles de planification

Concernant cette dernière, une première enquête postale à étélimitée à une région et à un type de formation. L’année suivante, uneenquête a touché les jeunes sortis un an plus tôt de l’ensemble descentres de formation. Le questionnaire était rempli par les jeunes ettransmis par voie postale. Le taux de réponse était de 65 % pourl’enquête pilote, et de 52 % pour l’enquête exhaustive. Des enquêtescomplémentaires par interview étaient organisées auprès des non-répondants, pour veiller à la représentativité de l’échantillon. Lequestionnaire comportait cinq types de questions :

– des questions communes pour identifier la personne, la formationsuivie et la situation sur le marché du travail servaient de filtrepour orienter sur les questions suivantes, qui sont spécifiques :

– pour ceux qui ont un emploi, il était demandé d’identifier cetemploi et la manière dont il avait été trouvé ;

– d’autres questions s’adressaient aux chômeurs ;– les dernières questions aux inactifs ;– enfin, une partie commune finale portait sur la formation continue.

L’exploitation était assurée par les offices régionaux de laformation professionnelle, mais il était également envisagé de faireremplir les questionnaires par les établissements de formation.Parallèlement, d’autres enquêtes étaient effectuées auprès des centresde formation et des entreprises, pour obtenir leur propre évaluationde la formation.

Parallèlement, des séries d’enquêtes ont été consacrées auxdiplômés de l’enseignement supérieur, notamment aux titulaires d’unemaîtrise ou d’un diplôme d’ingénieur des universités de Tunis. Pourtenir compte du fait que l’insertion professionnelle est un processuslong, les enquêtes ont porté sur des périodes allant de deux ans etdemi à quatre ans et demi après la sortie de formation. Les enquêtesétaient effectuées « par interview à l’aide d’un questionnaire structuréautour de trois grands domaines : le repérage socio-économique desfamilles des diplômés, la scolarité et le récit détaillé des emplois etdes situations vis-à-vis du marché du travail occupés durant toutel’observation du processus d’insertion » (Plassard, Ben Sédrine, 1998).

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La population à étudier était reconstituée à partir des listes nominativescommuniquées par les établissements. Un taux de sondage uniforme de25 %, puis 30 % était appliqué à chaque cohorte. Sur cet échantillon,compte tenu d’éventuelles difficultés concernant l’exactitude des adresses,plus de 70 % des sortants ont pu être interrogés, le refus total de répondreà des enquêteurs étant très marginal.

Conclusions

Les enquêtes sur l’insertion dans la vie active après la formationsont aujourd’hui menées de manière régulière dans la plupart despays européens. Les démarches et les méthodes suivies sontdifférentes : par exemple, en Allemagne, les observations portentessentiellement sur les sortants du système « dual » d’apprentissage ;au Royaume-Uni, les enquêtes se réfèrent à une tranche d’âge etnon à un type de formation. Mais ceux qui travaillent dans ce domainedans les différents pays se concertent dans le cadre d’un réseaueuropéen.

De nombreuses études ont été entreprises dans différents paysen développement, souvent à l’initiative de la Banque mondiale, qui yvoit un moyen d’évaluer l’efficacité des systèmes éducatifs. Ladémarche suivie est souvent proche de celle qu’avait adoptée l’IIPEdans les études mentionnées plus haut, puisqu’il ne s’agit pas seulementde rassembler des données factuelles, mais aussi d’analyser lesmotivations des jeunes. Mais ces travaux ne sont pas toujours conduitsjusqu’à leur terme et ne bénéficient pas toujours d’un soutien despouvoirs publics, qui sont parfois réticents pour diffuser des résultatssusceptibles de donner une image critique du fonctionnement dusystème de formation.

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II. Tendances récentes de la planificationdes ressources humaines

1. Prévision et prospective de l’emploiet des qualifications

Il n’existe aujourd’hui pratiquement plus de pays pratiquant letype de planification évoqué au chapitre I, c’est-à-dire visant à réaliserde manière volontariste une certaine adéquation entre formation etemploi à partir de prévisions concernant notamment les besoins enmain-d’œuvre et s’inscrivant dans le cadre d’une planification globalede l’économie. Cet abandon est lié à la fois aux difficultésméthodologiques évoquées dans ce chapitre et à l’incertitudecroissante dans laquelle vivent les économies modernes, en liaisonavec la mondialisation qui implique une interdépendance croissantedes pays. Parallèlement, l’échec des économies socialistes fondéessur une planification centralisée et la prédominance de l’idéologielibérale ont contribué à déconsidérer la notion même de planification(on reviendra sur ce point en conclusion).

À ce stade, il est utile de rappeler la distinction entre plusieursconcepts (Godet, 1983) :

Une projection est le prolongement dans le futur d’une évolutionpassée selon certaines hypothèses d’extrapolation ou d’inflexion detendances. Une projection ne constitue une prévision que si elle estassortie d’une probabilité.

Une prévision est l’appréciation assortie d’un certain degré deconfiance (probabilité) de l’évolution d’une grandeur à un horizondonné. Il s’agit le plus souvent d’une appréciation chiffrée à partirdes données du passé et sous certaines hypothèses.

Une prospective exploratoire est un panorama des futurspossibles (futuribles), c’est-à-dire des scénarios non improbables,compte tenu du poids des déterminismes du passé et de la confrontation

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des projets d’acteurs. Chaque scénario (jeu d’hypothèses cohérent)de la prospective peut faire l’objet d’une appréciation chiffrée, c’est-à-dire d’une prévision.

« La planification consiste à concevoir un futur désiré ainsi queles moyens réels d’y parvenir ». Il s’agit donc d’une prospectivenormative. Trop souvent, le piège est classique, on confond prévisionet planification, en assimilant à une erreur de prévision ce qui n’estqu’un écart par rapport à des objectifs.

Beaucoup de pays développés réalisent régulièrement des travauxde prévision ou de prospective concernant l’emploi, les professionset leurs relations avec l’éducation. Ils s’inspirent plus ou moins de lalogique de l’approche main d’œuvre analysée au chapitre I, maisleur méthodologie échappe, comme on le verra, aux critiques les plusgraves évoquées dans ce chapitre à propos d’une conceptionadéquationniste et répondent à des préoccupations différentes, quel’on a pu définir comme suit (Forecasting, 2000) :

– soit constituer un cadre pour l’aide à la décision au niveau despolitiques publiques, « afin d’examiner les conditions d’unecohérence entre l’évolution des structures d’emploi et celle dusystème de formation, ce qui suppose deux processus qui sonten partie autonomes et en partie interdépendants » ;

– soit plutôt informer les étudiants, les conseillers d’orientation, lesemployeurs et le public sur les perspectives d’emploi, afin decontribuer à orienter leurs décisions individuelles, et à équilibrerl’offre et la demande.

La première fonction paraît prédominante en Allemagne et enFrance, la seconde aux États-Unis, aux Pays-Bas et dans bien d’autrespays. Un examen des expériences de différents pays entrepris enFrance, en 2002, comportait également trois observations :

– la méthode adoptée par l’OCDE au cours des années 1960 resteprédominante, mais il serait souhaitable de rechercher desméthodes alternatives et d’entreprendre des études européennes ;

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Tendances récentes de la planification des ressources humaines

– les démarches étudiées ont un caractère central et institutionnel,alors que la France privilégie désormais un travail en réseauimpliquant différentes institutions ;

– les études prospectives ont un caractère quantitatif, alors qu’ilserait important d’entreprendre également des travaux qualitatifs.

Tenant compte de ces observations, ce chapitre évoquera lesétudes à caractère régional ou sectoriel, tandis que le suivant aborderales approches à caractère qualitatif. On trouvera aussi ci-dessousquelques références à des études ponctuelles réalisées dans des paysen développement qui, à la différence des précédents, ne disposentpas des institutions et des ressources nécessaires pour des travauxréguliers de prospective et font donc souvent appel à une expertiseextérieure.

Les prévisions nationales

Les États-Unis

Le cas de ce pays se situe à l’opposé de ceux qui ont été évoquésau chapitre I. Il fait confiance aux mécanismes du marché et auxdécisions individuelles et les responsabilités de l’enseignement sonttrès décentralisées. Mais on considère qu’un bon fonctionnement dumarché suppose une bonne information des acteurs, à qui il importede fournir des indications sur les perspectives d’emploi. C’est pourquoiles États-Unis ont été parmi les premiers à réaliser des étudesprospectives concernant l’emploi et les professions, en relation avecla formation. Le Bureau of Labor Statistics, qui dépend du départementdu Travail et dispose de moyens importants, effectue régulièrement,à partir d’un modèle macro-économique, des prévisions présentantles caractéristiques suivantes :

• La période couverte est de l’ordre d’une dizaine d’années (lesprojections publiées en 2001 vont jusqu’à 2010) et les projectionssont mises à jour régulièrement).

• Les données traitées sont extrêmement nombreuses et détaillées,à la fois par secteur d’activité et par profession (698 professionsfont l’objet des projections de 2000 à 2010).

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• L’évolution macro-économique fait l’objet de scénarios seréférant à de grandes orientations socio-économiques. Quant àl’évolution des structures professionnelles, elle n’est passeulement calculée par des modèles ; elle fait davantage l’objetd’hypothèses raisonnées établies par les experts à partir d’étudesqualitatives et en concertation avec des professionnels ayant uneexpérience concrète. La projection de cette structure tient comptede facteurs tels que l’évolution technique, les pratiques et modesde production des entreprises, ainsi que la demande du marché.

• Les prévisions ne s’intéressent pas seulement à la répartition del’emploi par secteur et par profession. Elles s’attachent égalementà l’évolution du marché du travail et de la composition de lamain-d’œuvre (part croissante des femmes et des minoritésethniques).

• Les résultats font l’objet d’une très large diffusion, notammentpar Internet (bls.gov), mais aussi par deux types de publications :l’Occupational Outlook Handbook et le Career Guide toIndustries. Ce sont des outils de base pour l’orientation scolaireet professionnelle. Les projections font souvent l’objet de débats,qui peuvent avoir un impact national ou même international. Lesinterprétations sont parfois contradictoires. Les uns mettentl’accent sur le rythme de croissance ; dans ce cas, ce sont souventles professions les plus qualifiées (par exemple, informaticiens)qui viennent en tête ; les autres s’attachent plutôt aux effectifset, dans ce cas, l’augmentation en valeur absolue concernesouvent des emplois moins qualifiés (par exemple, vente), maisdont le poids est beaucoup plus important au travail.

En résumé, tout en produisant les prévisions les plus élaboréeset les plus détaillées en matière d’emploi et de professions, avec desindications sur la formation, les États-Unis ne les utilisent pasdirectement comme un instrument de planification, mais comme unesource d’information alimentant le débat social, largement mise à ladisposition de tous les acteurs. Ce contexte est très différent de celuide l’Europe.

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Les pays européens

En France, après la période de désenchantement vis-à-vis de laplanification évoquée au chapitre I, des études ponctuelles sur lesperspectives d’évolution de l’emploi et de la formation ont étéeffectuées par des organismes privés. Ces études suivent uneméthodologie proche des précédentes, mais avec des moyensbeaucoup moins importants et sur des données beaucoup plusagrégées.

En 1991, une mission consacrée à la prospective des métiers et desqualifications concluait à l’utilité de ce type de travaux, mais estimait quel’information et l’expertise nécessaires existaient, de manière disperséeentre plusieurs organismes. Elle suggérait une structure de coopérationqui assure la mise en commun de leurs ressources dans ce domaine. Cessuggestions n’ont pas été retenues, mais un groupe de travail sur cethème s’est réuni à nouveau en 2002 et a repris l’idée d’une collaborationentre plusieurs institutions, suivant différentes modalités.

En Allemagne, la responsabilité de l’éducation est attribuée auxÉtats (Länder), ce qui aurait exclu de toute manière une planificationcentralisée. Une approche main d’œuvre suivant le modèle de l’OCDEavait néanmoins été mise en œuvre au cours des années 1960. Sonutilisation comme instrument de planification avait été abandonnéeensuite, non seulement en raison des objections méthodologiques, maisaussi parce que cette approche semblait incompatible avec le librechoix des individus vis-à-vis de leurs études et de leur carrière.

Cela n’a pas empêché le développement d’études prévisionnelles,assurées non seulement par l’Institut national (IAB), mais aussi pard’autres organismes (universitaires ou privés). Ces études suivent desméthodologies différentes et tendent à s’écarter du modèle traditionnelde l’approche main-d’œuvre, critiqué parce qu’il ne tient pas suffisammentcompte des modalités réelles d’ajustement entre formation et emploi.Elles portent sur de grandes fonctions et non sur des professions. Elless’efforcent de tenir davantage compte de la demande sociale, desphénomènes de substitution entre catégories de main-d’œuvre et du faitque les étudiants s’orientent davantage en fonction de leurs référencespersonnelles que des emplois disponibles.

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1. On évoquera dans la conclusion quelques-unes des conséquences du nouveaucontexte sur la prévision.

Un bilan des premières expériences réalisé au cours desannées 1980 suggérait quelques conclusions intéressantes1 :

– la validité des prévisions ne semblait pas dépendre du degré decomplexité des méthodes utilisées ;

– les prévisions concernant la main-d’œuvre très qualifiéeparaissaient plus fiables que celles qui portaient sur lesqualifications plus faibles ;

– les prévisions se sont révélées exactes à propos des facteurs etde la direction des changements, en particulier pour les grandsagrégats, alors que les erreurs étaient plus graves à un niveauplus fin.

Malgré tout, les prévisions ne sont pas jugées suffisammentfiables pour l’information du public. On craint aussi qu’une adhésionmassive à leurs conclusions n’aboutisse à inverser les résultats –crainte qui ne semble guère partagée dans la plupart des autres pays,où les prévisions sont généralement peu connues et où elles semblentn’avoir que peu d’impact.

Au Royaume-Uni, des prévisions ont été réalisées régulièrementpar l’Institute of Employment Research de l’université de Warwick.Mais, si elles peuvent servir de base à des débats sur le thème del’ajustement entre formation et emploi et constituer un signal pourattirer l’attention des décideurs, leur utilisation est restée limitée.

Une étude sur les pays d’Europe centrale, réalisée dans le cadredu programme Leonardo de l’Union européenne (Forecasting, 1999),a conclu qu’ils auraient intérêt à entreprendre le même type deprévisions que celles qui sont menées à bien en Europe occidentale.Mais cela implique d’abord une volonté politique et une disponibilitéde données qui n’ont pas toujours été constatées.

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Exemples d’études dans les pays en développement

Trois exemples d’études ponctuelles, mais assez élaborées,fondées sur l’approche main-d’œuvre, peuvent être rapidementévoqués :

En Algérie, une première étude prospective à long terme àl’horizon 1990 avait été réalisée en 1973 par une mission internationales’inspirant de l’expérience hongroise. Partant de données de baseapproximatives – faute d’informations statistiques – elle se fondaitdans une large mesure sur le jugement et sur des comparaisonsinternationales pour donner une image globale de l’évolution comparéede l’emploi et du système éducatif. Elle conduisait à suggérer que lestaux de croissance de l’éducation et les pénuries observées ne seprolongeraient pas longtemps et qu’une ré-orientation de l’éducation(au profit des niveaux inférieurs et des formations scientifiques ettechniques) était souhaitable.

En 1985, des estimations du Secrétariat d’État au Plan, fondéessur une logique adéquationniste, étaient discutées avec des consultantsextérieurs. Le thème de la prospective était repris vers l’année 2000dans un esprit très différent : l’accent était mis sur la nécessité d’untravail de plus longue haleine, nécessitant une mobilisation et unecoordination des différents acteurs.

Au Soudan, des projections ont été élaborées pour la période1976-1981, en ce qui concerne plus particulièrement les qualificationssupérieures, suivant des méthodes économétriques. Elles ont faitl’objet de commentaires détaillés sur le plan méthodologique (Abegaz,1994).

En Côte d’Ivoire, l’Office national de la formation professionnelles’est préoccupé dés les années 1960 de la relation entre formation etemploi et a lancé des enquêtes sur la main-d’œuvre. Celles-ci ont puservir de base à des études prospectives sur l’emploi et la formationdans le secteur moderne pour la période 1982-1990. Ces travaux ontpermis d’illustrer quelques-uns des problèmes qui se posent dans unpays en développement, comme la Côte d’Ivoire :

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– la prise en compte du seul secteur moderne ne donne qu’uneimage très imparfaite de la situation d’ensemble de l’emploi ;mais la logique du secteur traditionnel et informel vis-à-vis de laformation est très différente ;

– lorsque l’économie moderne est peu développée, c’est le secteurpublic qui représente le principal débouché pour les qualificationsformelles ;

– ce faible développement de l’économie moderne expliquaitégalement que l’on risquait de manquer gravement de débouchéspour les formations supérieures ;

– les problèmes d’ajustement entre formation et emploi se posentau moins autant en termes qualitatifs que quantitatifs.

Ces différentes expériences ont mis en relief l’importance dufacteur politique. D’une part, en raison du caractère sensible deshypothèses sur lesquelles se base tout travail de prospective, qu’ils’agisse des prévisions démographiques, de la croissance attendue,du taux de chômage prévisible ou de l’activité des femmes, d’autrepart, du fait que l’utilité de ces études dépend au moins autant del’intérêt qu’y attachent les pouvoirs publics que de leur valeurscientifique.

Les études régionales

L’une des limitations des prévisions nationales concernant larelation formation-emploi tient au fait qu’elles ont souvent un caractèreabstrait et qu’elles sont déconnectées de l’environnement socio-économique et éloignées des décideurs. C’est naturellement surtoutle cas des pays dans lesquels la responsabilité de la formation estdécentralisée. La décentralisation, qui a commencé au cours desannées 1980, en France, a également donné à la dimension régionaleune importance croissante, avec la mise en place de dispositifsrégionaux, sur lesquels on reviendra dans la dernière partie.

Les études sectorielles

On donnera ici encore l’exemple d’une expérience française,celui des contrats d’études prospectives, lancés vers 1990. Il s’agitde contrats passés entre l’État et les organisations professionnelles

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et syndicales, pour permettre aux services publics, aux organismesde formation, d’orientation et de placement d’anticiper leschangements et d’orienter leurs politiques et leurs décisions. De 1989à 2000, 45 études ont été consacrées à des domaines professionnelstrès variés, secteurs d’activité économique le plus souvent et parfoisgroupes de professions.

La méthodologie adoptée est variable suivant les organismeschargés des études, mais elle comporte toujours trois éléments : lediagnostic sur le secteur, l’élaboration de scénarios d’évolution pourl’avenir à partir d’une analyse des facteurs de changement et ladéfinition de plans d’action. Toutes les études comportent à la fois unaspect quantitatif et un aspect qualitatif (nature des emplois etcompétences requises). Mais seul un petit nombre d’entre ellescontiennent des prévisions quantitatives chiffrées. On prendra pourexemple la première, réalisée en 1989 et consacrée à la grandedistribution alimentaire.

Cette étude comportait trois approches complémentaires : unesynthèse de toutes les données statistiques concernant l’emploi, lamain-d’œuvre et la formation dans le secteur, des enquêtes dans unéchantillon d’entreprises et des enquêtes dans certains pays, pourpouvoir disposer d’éléments de comparaisons internationales. Lerecoupement de ces différents éléments a permis d’abord d’établirun diagnostic de la situation actuelle, du point de vue de la structureet de l’activité du secteur, de l’emploi, des caractéristiques de la main-d’œuvre et de la formation initiale et continue. On s’estparticulièrement intéressé à l’analyse de la mobilité de la main-d’œuvre(très importante dans ce secteur) et des modalités de recrutement :quelles sont les qualifications requises par les employeurs pourdifférents types d’emploi ? Ces types d’emploi ont également faitl’objet d’une analyse qui a permis de définir les profils les pluscaractéristiques.

À la suite d’une concertation avec des experts et avec desreprésentants de la profession, des hypothèses ont été énoncées surl’évolution de l’activité du secteur à un horizon de six ans, sur sarépartition suivant les principaux types d’entreprise et sur laproductivité. À partir de ces hypothèses, des jeux de projections ont

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été élaborés sur l’évolution de l’emploi et des recrutements et surleur répartition par niveau de qualification professionnelle et deformation. Enfin, l’identification de trois facteurs de changement(sociodémographiques, technologiques et économiques) a permis desuggérer des tendances d’évolution affectant la stratégie desentreprises, la structure des qualifications et la gestion de la main-d’œuvre. Cette analyse a notamment permis de tirer un certain nombrede conclusions sur l’orientation de la formation, en particulier de laformation continue assurée par les entreprises.

Compte tenu de la diversité des objectifs assignés aux contratsd’études prévisionnelles et des acteurs qui sont censés bénéficier deces travaux, il est difficile d’évaluer l’impact de ce genre d’études.On peut souligner que, dans ce cas, la tentative de quantification desprévisions n’a pas permis de répondre pleinement aux demandes desdirigeants d’entreprises qui auraient souhaité des objectifs chiffrésdans une logique adéquationniste, dont on a vu plus haut l’absence deréalisme. Mais elle a contribué à mettre en relief le rôle des différentsfacteurs qui conditionnent les évolutions futures – dont certainsdépendent des entreprises elles-mêmes. Et surtout, la démarcheimpliquant la participation des acteurs (employeurs et syndicats) apermis de parvenir à un certain consensus sur le diagnostic et à uneclarification des enjeux et des responsabilités.

2. L’analyse qualitative des contenus de travail et deformation

Les analyses précédentes se sont placées uniquement sur unplan quantitatif : effectifs à former par niveau et type de formation,insertion des sortants. Lorsqu’il s’agit de formation professionnelleinitiale et continue, il est tout aussi nécessaire de définir les objectifsde la formation en termes de contenus, suivant une approche purementqualitative cette fois. Nous passerons en revue les notions essentiellesavant d’évoquer quelques expériences nationales.

De l’analyse du travail à la formation

L’analyse du travail est le plus souvent effectuée dans les grandesentreprises, où elle peut poursuivre plusieurs objectifs : l’étude des

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conditions de travail (ergonomie), l’organisation et l’affectation dessalariés aux postes de travail en fonction de leurs capacités et surtoutla classification de ces postes en vue de la détermination des salaires.Dans les deux derniers cas, différentes méthodes d’évaluation (« jobevaluation ») sont pratiquées par des cabinets de conseil ou par lesentreprises elles-mêmes. Elles consistent généralement à définir uncertain nombre de critères, par exemple le degré de responsabilité etd’autonomie, le nombre et la complexité des tâches à accomplir, etc.Une pondération est ensuite attribuée à chaque critère, ce qui permetd’évaluer un certain nombre de points à un poste et de le ranger dansune classification.

Cette démarche pose plusieurs problèmes : dans quelle mesureest-il possible d’apprécier objectivement un élément aussi subjectifque le degré de responsabilité ou d’autonomie ? À plus forte raison,comment peut-on justifier un degré de pondération entre les différentscritères ? Le problème consiste-t-il à évaluer un poste de travail oula personne qui l’occupe à un moment donné, sachant qu’elle peutêtre appelée à en changer ? La réponse à ces questions dépend ducontexte particulier de l’entreprise, et notamment du rapport de forcesentre employeurs et salariés, les représentants de ceux-ci souhaitantque les classifications s’attachent plutôt à l’individu et à ses qualitéspropres qu’à son emploi provisoire.

S’agissant de formation, il est indispensable de la concevoir demanière à bien préparer ceux qui sont formés à occuper certainstypes d’emploi, donc d’analyser les capacités que cela exige. Ladémarche est assez différente de la précédente ; mais certaines desquestions qu’elle soulève sont identiques : faut-il partir de l’analysed’emplois spécifiques et des capacités qu’ils exigent ? Dans ce cas,comment peut-on traduire les exigences du travail en termes decapacités que doit transmettre la formation ? Ou bien peut-on définirces capacités sans passer par l’analyse du travail ? Et qui estcompétent pour assurer cette responsabilité ?

Pour traiter de ces questions, on évoquera ci-dessous quatre étapesdans l’analyse du travail, puis le problème de l’anticipation des évolutionset celui de la traduction en objectifs de formation, pour terminer parquelques exemples de démarches suivies par différents pays.

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Quatre étapes dans l’analyse des contenus de travailet de formation

On peut distinguer quatre étapes dans la mise en œuvre de cetteapproche, correspondant à un progrès des réflexions dans ce domaine :

(a) La première étape consiste à déterminer les contenus deformation d’après l’autorité des experts, ou simplement d’aprèsla tradition, sans se préoccuper d’un lien direct avec le mondedu travail. Le risque est évidemment que les formations ainsidéfinies soient très éloignées de la nature du travail qui seraexercé par les bénéficiaires de la formation, et ce pour plusieursraisons : le travail évolue constamment ; les experts n’en ontqu’une vision partielle (ils ne connaissent peut-être qu’uneentreprise, alors que la réalité est très diverse) ; l’expertise estsouvent la transposition d’éléments acquis dans un autrecontexte. C’est le cas, par exemple, lorsque des experts étrangersreproduisent des schémas de formation venant de leur paysd’origine dans des pays en développement, où la technologie, lesconditions de production et l’organisation du travail sontdifférentes.

(b) La prise en compte de l’activité professionnelle apparaît donccomme nécessaire. Pour ce faire, on peut se limiter àl’interrogation de responsables d’entreprises pour leur demanderquelles sont les compétences nécessaires pour occuper un emploi.Mais il faut être conscient du fait qu’ils n’ont pas toujours uneconnaissance concrète du travail effectif de leurs employés etqu’ils risquent de ne pas être objectifs et d’exagérer les exigencesde la fonction.

Une démarche apparemment plus rigoureuse consiste à analyserdes postes de travail pour décomposer les activités qu’ils comportent,puis en déduire les compétences nécessaires à leur titulaire et lesprogrammes de formation qui permettront d’acquérir cescompétences. C’est cette démarche qui a été adoptée en Algérie audébut des années 1970, lorsque l’on a créé des instituts de technologie,visant à répondre de manière immédiate et concrète à des besoinsurgents de l’économie.

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Cette démarche se heurte à plusieurs difficultés. Tout d’abord, ellesuppose que l’on soit capable de traduire les contenus d’activitéprofessionnelle en termes de connaissances, de savoir-faire et decomportements. Cela exige une collaboration entre analystes du travailet psychopédagogues. Mais ceux-ci sont confrontés au fait que l’onconnaît mal les mécanismes mentaux par lesquels un individu mobiliseses capacités et met en jeu ses acquis pour effectuer une tâche donnée.

De plus, à moins qu’il ne s’agisse de formations continuesrépondant à des objectifs très spécifiques, une démarche centrée surle poste de travail rencontre les objections déjà énoncées à propos del’approche adéquationniste : une formation ne débouche pas sur unseul emploi, et un emploi est accessible à partir de plusieursformations. À plus forte raison si l’on tient compte du fait que lespostes de travail évoluent de plus en plus rapidement et que laformation doit désormais moins viser un emploi précis qu’une vieprofessionnelle, qui exigera de plus en plus de capacité à évoluer et àêtre mobile.

(c) Ces considérations peuvent conduire à une troisième étape. Celle-ci consiste à définir les objectifs de formation non plus en fonctiond’un emploi particulier et d’une compétence spécifique, maisd’un groupe d’emplois ou d’une activité polyvalente.

Une telle démarche peut notamment conduire à chercher àidentifier des familles professionnelles, ou groupes professionnels.On peut envisager de les constituer de trois manières. La premièreconsiste à regrouper des situations de travail homogènes du point devue de leur insertion dans le système productif (service ou fonctiond’une entreprise). Mais ces activités risquent d’être hétérogènes dupoint de vue du contenu de travail et des compétences.

La deuxième démarche consiste à partir de l’analyse des contenusde travail pour regrouper ceux qui sont communs à différentessituations professionnelles, même s’ils se situent dans des secteurset des entreprises très différents. La troisième démarche consiste àobserver les itinéraires professionnels des individus et à regrouperles activités successives qu’un même individu est susceptible d’occuperà partir d’une formation donnée. Obéissant à des logiques différentes,

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ces démarches sont susceptibles d’aboutir à des résultats différents,car, dans la réalité, la mobilité professionnelle est déterminée autantpar des considérations de salaire, d’opportunité ou de conditions detravail que par une proximité des contenus d’emploi. Dans le premiercas, on prend davantage en considération la mobilité entre entreprisessur un même type d’emploi ; dans le second cas, on privilégiel’éventualité d’une mobilité entre différents types d’emplois au seinde la même entreprise. Ce dernier cas est plus fréquent au Japon,alors que le premier prédomine dans les pays occidentaux.

Ces démarches orientées vers la polyvalence sont mieux adaptéesque les précédentes, dans la mesure où elles correspondent davantageaux tendances récentes de l’organisation du travail et débouchentsur des formations moins étroites. Il subsiste néanmoins des problèmes,d’abord dans la mesure où la polyvalence implique une connaissanceau moins approximative des différentes situations professionnellesauxquelles un individu est susceptible d’être confronté à l’avenir. Or,celui-ci apparaît comme de plus en plus changeant et de plus en plusincertain. D’autre part, il est clair qu’une trop grande extension duchamp de la formation risque d’entraîner une dispersion et une dilutiondes connaissances et des compétences.

(d) C’est à partir de cette analyse qu’un certain nombre deformateurs donnent la préférence à la transférabilité descompétences sur la formation à la polyvalence. Cette approcheconsiste à former l’individu pour le préparer à un type d’activitéprofessionnelle spécifique et concret, mais en lui donnant leséléments qui lui permettront de transférer lui-même ses acquisdans un contexte ou dans une technologie différents. Enmécanique, par exemple, on ne pourra donner une formation àl’utilisation de tous les types d’usinage et de machine-outil, maison cherchera à faire en sorte que la formation donnée sur unemachine puisse facilement s’adapter à une autre. De même,dans le domaine bancaire, on ne peut exiger d’un débutant qu’ilconnaisse les très nombreux produits que propose aujourd’huiune banque ; mais on peut lui faire comprendre les principes debase qui président à la conception de ces produits et qui luipermettront d’acquérir facilement la connaissance de chacund’entre eux.

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L’anticipation des évolutions futures

Il faut faire à nouveau ici une distinction importante. Lorsqu’ils’agit d’organiser une formation répondant à des besoins immédiatset spécifiques, ce qui est souvent le cas au niveau des entreprises, onpeut se fonder essentiellement sur le constat de la situation actuelle.Mais lorsqu’il s’agit de mettre en place ou d’adapter une formationinitiale, il faut penser à ses implications à terme sur le système éducatifet préparer ses bénéficiaires pour une période suffisamment longue.On ne peut alors faire l’économie d’une réflexion sur l’évolution futuredes emplois que ces bénéficiaires seront appelés à pourvoir.

Il n’existe pas pour cela de méthode scientifique capabled’apporter des réponses simples. Il s’agit de recouper un ensembled’informations et d’opinions et d’en faire la synthèse en exerçant unjugement. Ce travail consiste essentiellement à rechercher quels sontles facteurs qui vont vraisemblablement affecter les évolutions futures.À ce sujet, on pense d’habitude en premier lieu aux changementstechniques et, notamment, au rôle des nouvelles technologies del’information et de la communication (TIC). Dans une économiemoderne, leur diffusion joue certainement un très grand rôle, à la foiscomme objet et comme outil de travail. Mais ce n’est pas le seulfacteur qui entre en jeu. Il se combine, de manière très variable suivantles domaines professionnels, avec d’autres facteurs tels quel’organisation des entreprises, l’intensification de la concurrence etla mondialisation.

Pour comprendre et apprécier le rôle de ces différents facteurs, il ya intérêt à recouper les points de vue des experts, des représentants desemployeurs, et surtout de ceux qui exercent diverses responsabilités ausein des entreprises. On a vu que ces derniers étaient rarement en mesurede chiffrer leurs besoins à terme en personnel qualifié, mais ils doiventpouvoir expliquer comment les différents facteurs influent sur l’évolutiondes emplois et des qualifications demandées à leur personnel et donnerdes indications sur la direction des changements. On s’adressera d’abordaux entreprises les plus avancées, mais il faudra s’efforcer d’apprécierdans quelle mesure elles sont représentatives de l’avenir, en pensant queles formations doivent pouvoir répondre à des besoins à plus ou moinslong terme.

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La synthèse des opinions recueillies doit permettre à ceux quieffectuent ce genre d’étude de circonscrire l’éventail des possibilitéset à montrer que l’avenir n’est pas déterminé, mais dépend pourune bonne part du rôle joué par les acteurs eux-mêmes, etnotamment par les entreprises. Ils seront sans doute amenés aussi àrelativiser les besoins de qualification et de formation et à montrerque ces besoins peuvent être satisfaits de manière différente suivantles contextes et les politiques d’entreprise (l’étude sectorielle sur lecommerce de détail en a fourni un exemple).

Quelques exemples européens

On prendra l’exemple de quatre pays européens, dont lestraditions et les institutions sont très différentes :

– la France et le Portugal, où la formation est traditionnellementune responsabilité essentielle de l’État ;

– l’Allemagne, où la formation professionnelle est d’abord laresponsabilité conjointe des employeurs et des représentants dessalariés ;

– le Royaume-Uni, où une grande dispersion de la formationprofessionnelle a fait récemment place à un dispositif nationaloriginal les « National vocational qualifications ».

Beaucoup de pays se sont inspirés de ces exemples, notammentdu dernier, qui a fait l’objet de nombreuses controverses. Dans chaquecas, on évoquera rapidement le cadre institutionnel et les méthodeset instruments employés.

Au début des années 1970, la France a souhaité se doter d’uninstrument pour améliorer la connaissance de la relation formation-emploi et perfectionner ainsi son système de planification. Ce dispositif,le Répertoire français des emplois, avait de grandes ambitions, puisqu’ilvisait à la fois à répondre aux besoins de l’information sur l’emploi,de l’orientation et du placement professionnel et de la formation, endéfinissant avec précision les tâches effectuées. À partir del’observation de 10 000 situations de travail, il a ainsi permis de décrire800 situations caractéristiques, ou « emplois-types ». L’analyse deces emplois portait essentiellement sur la fonction exercée par le

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titulaire de l’emploi, le processus de production dans lequel il s’insérait,sa relation avec des documents, des équipements ou des personnes,son degré de responsabilité et d’autonomie et le profil observé etsouhaité des titulaires d’emploi.

Le Répertoire se limitait volontairement à l’analyse des élémentscaractéristiques de l’activité professionnelle et ne prétendait pas entirer de conclusions sur les connaissances et les compétencesmobilisées par l’emploi, considérant que celles-ci ne pouvaient êtreappréciées objectivement. Il laissait aux responsables de formationle soin d’interpréter les données observées pour en tirer desconclusions sur les connaissances, compétences et savoir-faire exigéset donc sur les contenus de formation nécessaires pour occuperchaque type d’emploi (voir ci-dessous).

Ce dispositif devait être régulièrement mis à jour, pour que l’onpuisse analyser les évolutions. Mais il était très lourd et très coûteuxet cette mise à jour n’a pas pu être réalisée. Il a prêté à la critique,parce qu’il donnait ainsi une image trop statique et trop limitative del’emploi en s’attachant à des situations individuelles observées à unmoment donné. Mais la méthodologie fondée sur la notion d’emploi-type a inspiré de nombreuses activités de gestion de l’emploi et deformation continue. L’analyse des besoins de formation se fondeaujourd’hui sur des études plus ponctuelles consacrées à certainsdomaines d’activité.

Le Portugal a mis en place à la fin des années 1990 un dispositifd’identification des profils professionnels et des besoins de formation. Ils’inspire pour partie du Répertoire français des emplois, en cherchant àtirer profit de cette expérience et en poursuivant des objectifs tout aussiambitieux, puisqu’il s’agit à la fois de servir de base à l’élaboration desprogrammes de formation initiale et continue, à l’évaluation et à lacertification des compétences et à l’information et à l’orientationprofessionnelle. Il va plus loin que le Répertoire, en ce sens qu’il adopteune approche prospective, qu’il replace les emplois dans leur contexte etqu’il comporte une analyse des compétences exigées pour occuper unemploi. Il présente aussi des similitudes avec les études sectorielles,puisque le découpage se fonde sur les secteurs et que la dynamique dechacun d’entre eux est analysée.

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Chacune des études comporte un diagnostic du secteur, unedescription des principaux profils professionnels que l’on y trouve,des compétences qu’ils supposent, des modes de recrutement et degestion de la main-d’œuvre, ainsi qu’une analyse des facteurssusceptibles d’influer sur l’évolution de ces différents éléments. Lerapprochement avec l’offre de formation permet de tirer desconclusions pour la formation.

À la fin de l’année 2002, ce dispositif était toujours en cours deréalisation, avec la participation des partenaires sociaux et desorganismes de formation. Il avait permis d’étudier 22 secteursprofessionnels et de définir 236 profils professionnels.

À la différence des cas précédents, il n’existe pas en Allemagnede dispositif national permanent d’analyse des emplois et qualificationsrépondant à une diversité d’objectifs. Mais l’Institut fédéral de laformation professionnelle (BIBB) conduit des études approfondiessur l’évolution des qualifications et des compétences, au fur et àmesure de la demande des partenaires sociaux, lorsqu’ils préparentune mise à jour ou une réforme des différents domaines professionnelscouverts par l’apprentissage.

Jusqu’à la fin des années 1980, le Royaume-Uni se caractérisaitpar l’absence de diplômes nationaux, par le manque de clarté et d’unitéde la formation professionnelle et par la faible qualification d’unegrande partie de la main-d’œuvre. Pour remédier à ces inconvénients,pour rapprocher la formation des réalités du marché du travail etpour faciliter l’accès des adultes à la formation, l’Angleterre etl’Écosse ont mis en place des dispositifs ambitieux : les NationalVocational Qualifications, que l’on peut caractériser comme suit :

– la formation est définie en termes d’objectifs professionnels àatteindre et non en termes de conditions d’accès, de durée ou detype d’institution suivie ;

– les objectifs professionnels se réfèrent à des compétences, oucapacités à exercer une activité professionnelle spécifique, plutôtqu’à des connaissances théoriques ;

– ces compétences sont spécifiées en un certain nombre demodules, rattachés à des familles et classés à plusieurs niveaux.

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Ils peuvent être évalués de manière indépendante, suivant desmodalités diverses, pas nécessairement dans le cadre d’institutionsde formation, mais aussi en entreprise.

Cette démarche a nécessité un important investissement pour ladéfinition de compétences, assurée par des organismes professionnelsspécialisés, sous la responsabilité d’un National Council of VocationalQualifications. Les compétences sont définies indépendamment ducadre de l’entreprise, de l’unité de travail et de l’emploi et peuventêtre communes à plusieurs types d’emplois et secteurs d’activité (cequi peut faciliter la mobilité professionnelle).

La démarche a été étendue à la formation professionnelle initiale,avec l’idée de mieux l’adapter aux besoins des entreprises. Elle ainspiré d’autres pays (Australie et Nouvelle-Zélande, mais aussiAfrique et Amérique latine ; cf. Bertrand, 1997).

La traduction en objectifs et en contenusde formation

Une fois identifiées les tâches et activités professionnelles et lamanière dont elles sont susceptibles d’évoluer, le passage aux objectifset contenus de formation pose au moins trois types de questions :

• Le problème que l’on devrait se poser en premier (mais c’estloin d’être toujours le cas), et qui relève spécifiquement d’uneplanification des relations formation-emploi, est celui de savoircomment seront pourvus les emplois correspondant à l’évolutiondes activités professionnelles : va-t-on chercher à faire évoluerla main-d’œuvre déjà en place, ou promouvoir, ou transférer cellequi occupe actuellement d’autres emplois, ou bien recruter desjeunes sortant de formation ? Les conséquences pour la formationinitiale ne sont pas du tout les mêmes. L’analyse est d’autantplus complexe que, si l’évolution des emplois est fréquente, il estrare que des emplois disparaissent totalement et que des emploisentièrement nouveaux fassent leur apparition.

• C’est seulement en fonction de ce premier diagnostic que l’onse posera la question de créer de nouvelles formations ou defaire évoluer les formations existantes. Il faudra alors passer (à

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moins que cela n’ait été fait directement, comme dans le casbritannique) à une analyse de type psychopédagogique, consistantà interpréter les éléments de l’analyse du travail en termes decapacités, ou de savoirs, savoir-faire et savoir-être, oucomportements à développer.

• À ce stade, on sera confronté à un problème classique en matièrede formation : dans quelle mesure celle-ci doit-elle viser unobjectif professionnel spécifique ou privilégier une formationgénérale visant d’abord à développer les capacités générales del’individu ? On reviendra dans un autre chapitre sur cette question,à laquelle on ne peut apporter de réponse globale, car il faut tenircompte des différences de contexte.

On constate que les méthodologies d’analyse tendent à sedéplacer de l’étude des tâches vers celle des compétences et que lescompétences auxquelles s’intéressent les entreprises dans l’économiemoderne ne sont plus les mêmes. Désormais, ce sont moins lesconnaissances et savoir-faire techniques qui les intéressent que lescompétences liées aux comportements : capacité d’analyse, dedialogue, de travail en groupe, de créativité, d’adaptabilité, d’autonomieet de responsabilité. Ce sont ces éléments qui sont mis en valeurdans les travaux qui fleurissent actuellement sur la gestionprévisionnelle des ressources humaines (Bertrand, sous presse).

Cette évolution pose plusieurs problèmes. Le premier tient aufait que si l’analyse du travail et des connaissances techniques relèvede méthodologies assez bien identifiées et reconnues, en revanche,celle qui concerne les nouvelles compétences est plus difficile, carelle porte sur des éléments plus subjectifs et plus flous. Or, sur lemarché du travail, ce sont ces compétences qui priment.

Dans ce contexte, on peut se demander s’il ne tend pas à seproduire un certain glissement de la responsabilité du système deformation initiale assurée par les autorités publiques vers lesentreprises, qui auront de plus en plus la maîtrise de la définition et dudéveloppement des compétences. Le hiatus entre celles-ci et lesinstitutions de formation risque en outre de s’aggraver. En effet, siles demandes des premières se font plus floues, il est encore plusdifficile d’y répondre, d’autant plus que la plupart des systèmes

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scolaires n’ont pas l’habitude de s’attacher au développement descomportements aujourd’hui demandés.

Enfin, cette analyse pose une dernière question : celle du lienentre la planification quantitative, qui a surtout retenu l’attention dansles premiers chapitres, et la planification qualitative, qui faisait l’objetdu dernier. L’une et l’autre sont nécessaires, mais elles ne sont pastoujours étroitement liées. Cela nous conduit à nous intéresserdavantage, non seulement aux méthodes de planification, mais aussiaux mécanismes institutionnels et aux conditions concrètes suivantlesquels elle se déroule. C’est l’objet de la dernière partie.

En France, l’élaboration des diplômes de formation professionnelle,dont la responsabilité incombe exclusivement au ministère de l’Éducationnationale, implique une procédure formalisée, qui a évolué depuis quelquesannées. Y participent différents services de l’administration, ainsi que lesreprésentants des partenaires sociaux, réunis au sein de commissionsprofessionnelles consultatives. Après avoir décidé du principe del’opportunité de créer ou de modifier un diplôme, ces commissions (oudes groupes restreints constitués en leur sein) définissent d’abord unréférentiel des activités professionnelles auxquelles la formation devrapréparer.

Ensuite, avec une participation plus active d’enseignants, leréférentiel du diplôme définit les capacités et les compétencesauxquelles ce diplôme doit préparer. La définition des capacités tientcompte des éléments et des moyens dont dispose celui qui doit faireses preuves et des critères selon lesquels il sera évalué. C’est là uneinnovation importante, qui signifie le passage à une pédagogie parobjectifs, alors que le système traditionnel se référait essentiellementà des connaissances qu’il fallait avoir acquises et qui n’avaient pasnécessairement d’utilité réelle.

Dans une dernière étape, ces référentiels sont traduits sous formed’un règlement du diplôme, puis de contenus de formation et derecommandations pédagogiques. Il faut toutefois souligner que lepassage par la définition d’un profil professionnel n’empêche pas dedonner une grande importance à la formation générale et audéveloppement de capacités de réflexion personnelle et d’adaptation.

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En Allemagne, il ne s’agit pas seulement de consulter lespartenaires pour avis : les diplômes et les programmes de formationprofessionnelle sont définis d’un commun accord par les représentantsdu patronat et des syndicats, au sein de groupes animés par l’Institutfédéral de la formation professionnelle (BIBB). Celui-ci consulteégalement les régions (Länder), seules responsables de la partiescolaire de la formation, tandis que les entreprises assurent l’essentielde la formation en apprentissage. Ces différents modes deconcertation nécessitent de nombreuses réunions de différentescommissions et la participation d’experts. Elles aboutissent àl’élaboration d’un règlement de formation définissant les matières àenseigner et les connaissances et savoir-faire à dispenser. Les derniersrèglements adoptés se soucient de plus en plus de l’intégration entrela théorie et la pratique et de mettre l’accent sur les qualificationsclés. Ils font référence à des capacités dont doit pouvoir faire preuvele bénéficiaire de la formation : capacité à planifier, à exécuter et àcontrôler les tâches de façon autonome.

Au Royaume-Uni, pour ce qui concerne les « National VocationalQualifications », et compte tenu du mode d’analyse et d’évaluationqu’elles impliquent, il n’y a pas véritablement de problème detraduction : les analyses regroupées en modules définissent déjà descompétences ou capacités à faire quelque chose. L’évaluation porteprécisément sur cette capacité, et non pas sur des connaissances etdes savoir-faire. Elle est assurée par des praticiens de la professionplutôt que par des pédagogues.

C’est là l’exemple le plus extrême d’une formation et d’uneévaluation orientées vers un objectif professionnel concret etspécifique. Cette démarche suscite les réactions critiques de certainspédagogues, qui considèrent qu’elle met trop l’accent sur des savoir-faire concrets, mais pas suffisamment sur la compréhension plusglobale et parfois plus abstraite qu’exige l’exercice intelligent d’uneactivité ; elle ne favoriserait pas suffisamment l’adaptabilité et nepréparerait pas à l’évolution professionnelle. Les promoteursrépondent, d’une part, qu’ils raisonnent de plus en plus en termes decomplémentarité des modules et de filières qui les articulent entreeux et, d’autre part, que des travaux sont en cours pour rapprocher

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les réflexions sur les programmes scolaires des écoles techniques etles modules de qualification professionnelle.

Au Royaume-Uni, la démarche suivie par les « NationalVocational Qualifications » n’implique pas de traduction, puisque cesqualifications sont déjà définies en termes de modules définissantl’objectif visé par une formation : la capacité à démontrer unecompétence. Les documents comportent trois éléments :

– la définition des capacités nécessaires à l’exercice d’une activitéprofessionnelle ;

– les savoir-faire (skills) et les connaissances (knowledge)qu’impliquent ces activités ;

– les critères permettant d’évaluer ces capacités (performancecriteria).

L’approche britannique est séduisante par sa simplicité apparenteet par sa souplesse, notamment du point de vue des modalitésd’évaluation et de certification pour tous publics, ainsi que par lesouci de répondre directement aux besoins des entreprises. Mais ellea fait l’objet de vives controverses, car elle soulève de nombreusesquestions :

– l’élaboration et la mise à jour d’un répertoire complet descompétences représente un investissement considérable, qui n’estpas à la portée de tous les pays et l’instrument risque d’être trèsrigide ;

– la démarche ne met-elle pas trop l’accent sur les savoir-fairedémontrables au détriment d’une compréhension plus globale etparfois plus abstraite qu’exige l’exercice intelligent d’uneactivité ; en ce sens, prépare-t-elle suffisamment à l’évolutionprofessionnelle ?

– les modalités d’évaluation – y compris par l’employeur lui-même– ne risquent-elles pas d’être excessivement laxistes ?

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III. Les leçons de l’expérience

Le bilan des expériences passées en revue dans la premièrepartie montre que la planification n’est pas une science exacte etqu’aucune recette ne peut apporter de réponse toute faite auxproblèmes posés par la prévision. De plus, les écarts entre prévisionset réalisations ne sont pas seulement dus à l’insuffisance des méthodes,mais plus encore aux difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit de passeraux réalisations.

Quelles conclusions tirer d’un tel constat ? Peut-on se borner àla critique, au scepticisme ? C’est la solution de facilité souventproposée par les théoriciens et observateurs extérieurs ; mais lesresponsables de la planification et de l’administration de l’éducationet de la formation sont, dans la pratique, confrontés à des problèmesconcrets difficiles qui appellent des solutions. Ils ne peuvent pas sepermettre de ne pas prendre des décisions, en particulier dans lespays les moins avancés, où ces questions se posent avec une urgenceet une difficulté particulières, par manque de moyens de tous ordres.

Aucune réponse simple ne peut leur être apportée, car il n’existepas de solution universelle, et la planification n’est pas une techniquepure, mais plutôt un art de s’adapter de manière pragmatique auxcirconstances. Or, celles-ci varient considérablement d’un pays à l’autre.

Après avoir analysé les éléments qui conditionnent uneplanification et surtout le passage des objectifs aux réalisations, lespages qui suivent proposent une démarche, des étapes et des priorités.

1. La planification des ressources humainesaujourd’hui

Les insuffisances de la prévision ont prêté le flanc à de facilescritiques, et l’idée de planification peut paraître quelque peu démodéedans un contexte marqué par l’interprétation la plus libérale del’économie de marché et par la faillite des économies socialistes àplanification centralisée.

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Les leçons de l’expérience

Le scepticisme ambiant concernant la planification ne doit-il pasencore davantage affecter les pays en développement, plusdépendants de l’extérieur et confrontés à l’insuffisance de données,au manque de ressources et d’expertise, et davantage conscients del’irréalisme de beaucoup d’expériences antérieures ?

Si la validité des prévisions chiffrées peut être discutée, c’est ànotre avis moins une question de principe que de circonstances, surlesquelles on reviendra plus loin.

De toute manière, si l’on considère, d’une part, que les décisionsprises en matière d’éducation engagent nécessairement un avenirassez éloigné et, d’autre part, que ces décisions ont des conséquencesmultiples et complexes, une certaine forme de planification paraîtnécessaire.

Planifier ne signifie pas nécessairement adopter un systèmeautoritaire et centralisé couvrant l’ensemble de l’activité économique.Cela peut signifier simplement adopter des priorités rationnelles etprendre des décisions cohérentes qui engagent l’avenir. Ce type dedécision est de toute manière indispensable lorsqu’il s’agit de financerdes constructions scolaires, de créer de nouvelles filières et de recruter– bien souvent pour toute une vie professionnelle – des enseignants.Ces décisions sont aussi indissociables d’une réflexion sur ce quepourra être le devenir de ceux qui seront formés, même si ce devenirne peut être chiffré avec précision. Il faut voir la planification moinscomme une technique que comme un processus permanent.

Les différences de situations

Il n’existe pas d’approche unique de la planification. Celle-cidoit tenir compte des différences entre systèmes nationaux et entretypes d’éducation et de formation.

Les différences entre contextes nationaux

Elles sont liées soit au niveau de développement du pays, soit àson système politique et à son système scolaire.

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Le niveau de développement : l’impératif de la planificationdes ressources humaines dans le Tiers-Monde. Cette nécessitéd’une certaine forme de planification s’impose encore plus pour lespays en développement, pour plusieurs raisons. D’abord, parce queles ressources dont ils disposent sont plus limitées et qu’une définitiondes priorités y est plus nécessaire. Mais aussi – et ce point n’est passuffisamment souligné – parce que la plupart d’entre eux sontconfrontés à une situation différente de celle des pays industrialisés.

Leur croissance démographique est beaucoup plus élevée, cequi signifie que les flux de jeunes s’ajoutant chaque année à lapopulation active sont proportionnellement beaucoup plus importantspar rapport à la population active, et que la part de jeunes dansl’ensemble des recrutements est bien plus élevée. La planification dece flux de jeunes devrait dès lors recevoir une priorité plus grandeque dans les pays industrialisés.

Cette différence est encore accentuée par deux phénomènes :

• la croissance scolaire a été et est encore souvent beaucoup plusrapide que la croissance démographique, ce qui est logique dansla mesure où les pays les moins avancés veulent rattraper leurretard et tendre vers la scolarisation totale. Mais ce mouvementse répercute aux autres niveaux de scolarité et suscite unepression sociale qui peut entraîner, aux niveaux secondaire etsurtout supérieur, des rythmes de croissance disproportionnésavec la capacité d’absorption de l’économie ;

• cela d’autant plus que, du côté économique, la dimension dusecteur moderne (qui est souvent le seul à recruter des diplômés)est encore généralement très limitée, tandis que les perspectivesde recrutement dans le secteur public sont freinées par le manquede ressources budgétaires.

Si, à titre d’exemple, on compare la situation d’un pays « vieux »et celle d’un pays « jeune », on constate que dans le premier, le fluxd’arrivée de jeunes représente 3,5 % seulement de la populationactive, alors que dans le second, il représente 7,3 % de la populationactive totale, mais également 17 % des effectifs du secteur moderne,qui est le plus apte à absorber les jeunes instruits !

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Les leçons de l’expérience

La conjonction de ces phénomènes implique des risques dedéséquilibre beaucoup plus graves dans les pays en développementque dans les pays industrialisés. Une certaine planification est vitale pourles anticiper et les corriger.

Mais, pourra-t-on objecter, n’est-elle pas aussi beaucoup plusdifficile ? Le manque de données et de compétences, la faiblessedes structures administratives ainsi que la dépendance dans laquellevivent beaucoup de pays vis-à-vis de l’extérieur, et qui rend encoreplus difficile la maîtrise des évolutions, tous ces facteurs ne font-ilspas de la planification une notion théorique et vide de contenu ?

Incontestablement, ces difficultés sont réelles, et c’est pourquoiil apparaît essentiel de faire un bilan de ce qui est nécessaire et de cequi est possible, afin d’en déduire des priorités pour l’action, adaptéesà chaque contexte particulier. Il y a aussi des éléments qui rendentplus facile la prévision et la planification des relations formation-emploidans les pays peu développés. La faible extension du secteur modernefait que celui-ci est plus facile à identifier et à analyser. Dans certainspays, l’étude de quelques entreprises suffit à donner une imageapproximative de la situation actuelle et des besoins potentiels.

Les différences de systèmes politiqueset de systèmes scolaires

Comme on l’a déjà relevé dans la première partie, la recherched’une adéquation formation-emploi est plus cohérente avec unsystème de planification centralisée qu’avec une économie demarché. À la limite, une véritable adéquation supposerait uneplanification intégrale de l’offre et de la demande, et notamment uneorientation obligatoire des jeunes formés. On s’éloigne de plus enplus de cette démarche, alors que presque tous les pays s’oriententvers une économie de marché. Cette réorientation pose d’ailleursdans certains pays des problèmes difficiles, car un système d’éducationet de formation est quelque chose de complexe, qui résulte d’unensemble de traditions historiques et culturelles. On ne peut fairetable rase du passé et tout bouleverser en peu de temps. Une phasede transition est nécessaire, et elle risque d’être délicate.

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Mais l’économie de marché peut se pratiquer dans des cadresinstitutionnels très divers. La différence porte en particulier sur ledegré de décentralisation.

Enfin, le rôle de la planification diffère nécessairement suivantles systèmes et les structures de formation. Une première distinctiondoit être établie entre les pays où l’éducation est essentiellementpublique et ceux (comme les États-Unis, l’Inde ou les Philippines) oùles institutions privées jouent un grand rôle. Il est évident que laplanification est plus importante dans un système public dont l’État anon seulement la responsabilité de la gestion, mais aussi celle dufinancement. À l’inverse, lorsque l’enseignement et la formation sontdans une large mesure privés, la planification est moins prioritaire.Elle est aussi plus difficile, car l’État dispose de moins de moyensd’action. Il ne peut pour autant renoncer totalement à orienter undomaine aussi essentiel pour l’évolution économique et sociale. Ildispose d’ailleurs de moyens indirects d’incitation : exemptionsd’impôts, subventions d’établissements ou de filières prioritaires,contrôle de la qualité, ne serait-ce qu’en se réservant l’attributiondes diplômes.

Le rôle distinct de la planification pour les différents typesde formation

Enfin, le problème de la planification ne se pose pas dans lesmêmes termes selon qu’il s’agit d’enseignement général, technique,supérieur ou de formation professionnelle.

L’enseignement technique, dans la conception française, n’estpas conçu pour préparer à des emplois spécifiques ; il constitue toutau plus une première orientation, normalement complétée par uneformation plus professionnelle. Sa planification, comme celle del’enseignement général, est surtout fondée sur des arbitrages entredemande sociale, d’une part, ressources financières et donnéespédagogiques, d’autre part. La demande sociale peut être évaluéepar rapport à la démographie (nombre d’enfants d’âge scolaire) etaux flux de passage d’un niveau à l’autre, qui présentent une certaineinertie et sont donc assez faciles à évaluer. Il s’agit donc surtout deprévoir l’accueil des flux à l’entrée de chaque cycle.

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Les leçons de l’expérience

Cependant, une planification ne devrait pas se désintéresser desflux de sortie vers l’enseignement supérieur, la formationprofessionnelle et finalement l’emploi. Comme on l’a noté plus haut,s’il n’existe pas de lien direct et précis avec l’emploi, il y a quandmême une relation globale entre niveaux de développement éducatifet socio-économique. Il est vrai que l’offre d’éducation est assezindépendante de la demande et qu’il existe une latitude en ce quiconcerne le niveau d’éducation correspondant à une catégorie d’emploidéterminée. Mais cette latitude n’est pas infinie, et il faut tenir comptedes attentes professionnelles de ceux que l’on forme, même si ellessont vagues.

Cette analyse s’applique à plus forte raison à l’enseignementsupérieur. S’il n’a pas nécessairement un caractère professionnel,l’enseignement supérieur débouche néanmoins normalement surl’emploi. C’est aussi celui qui coûte le plus cher. Sa planifications’impose donc particulièrement. Elle doit tenir compte de troisparticularités :

• C’est l’enseignement supérieur qui est le plus long à porter sesfruits, si l’on doit tenir compte des délais nécessaires pourconcevoir une formation, construire et équiper les locaux ettrouver les enseignants, avant de commencer la formation desétudiants proprement dite. Il faut donc se situer dans un horizonsuffisamment éloigné, qui devrait dépasser les cinq ans danslesquels se situent la plupart des plans.

• On peut constater de manière assez générale que la mobilité destravailleurs est d’autant plus grande que leur niveau dequalification est élevé. C’est ainsi que le marché du travail desdiplômés de l’enseignement supérieur est généralement nationalet commence à être international. Aussi la planification régionaleet locale n’a-t-elle ici qu’une valeur limitée. Au contraire, il seraitsouhaitable que les petits pays dont les ressources sont faiblespuissent mettre en commun leurs moyens et planifier d’un communaccord leurs besoins et la manière de les satisfaire – mais lenationalisme des jeunes nations n’a pas permis de grands progrèsdans cette voie jusqu’ici.

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• Beaucoup de pays ont une tradition d’indépendance del’Université. Celle-ci peut entrer en contradiction avec lesimpératifs d’une planification nationale. Il est normal quel’Université soit pleinement indépendante lorsqu’il s’agit de sagestion interne et de sa pédagogie, mais elle devrait tenir comptede ces impératifs lorsqu’il s’agit de sa nécessaire articulationavec les capacités et les besoins de l’économie.

La planification de la formation professionnelle, scolaire ounon, devrait, plus que les précédentes, viser à coller au plus près auxbesoins spécifiques et locaux. Dans beaucoup de pays endéveloppement, ce que l’on appelle enseignement technique doit plutôtêtre considéré comme une formation professionnelle, qui devrait toutparticulièrement être planifiée en fonction des débouchés. La questionest toutefois compliquée du fait que les formations industrielles sontgénéralement publiques, alors que les formations tertiaires sont souventprivées (parce qu’elles sont moins coûteuses et donc, plus facilementrentables).

L’évaluation des besoins et débouchés s’impose dans les deuxcas, mais davantage dans le premier, puisque les incidences financièressont plus importantes. Pour ce qui concerne le privé, le contrôle desflux et l’allocation des moyens se posent de manière différente, carles moyens de contrôle ne peuvent être qu’indirects : information desfamilles et des écoles sur les débouchés, contrôle des examens d’Étatlorsque les écoles privées y préparent, homologation (supposant uncontrôle) de certaines formations privées, ou label de qualité decertaines écoles, éventuellement en liaison avec un système desubventions subordonnées à des conditions de qualité.

Dans un pays comme les États-Unis, on considère volontiersque la régulation se fait par le marché. Dans les pays endéveloppement, il est à craindre que les conditions d’un bonfonctionnement du marché (bonne information des acteurs et respectdes règles de la concurrence) soient moins bien réunies. Aussi lelaisser-faire complet n’est-il pas souhaitable, car il peut conduire àdes abus, mais la planification du secteur n’est pas facile, car elle seheurte aussi à une pression sociale.

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Les institutions, l’organisation et les hommes

Un aperçu comparatif montre une très grande variété desituations suivant les pays en ce qui concerne la responsabilité etl’organisation de la planification. Ces situations reflètent l’héritagehistorique et culturel propre à chaque pays.

Il n’existe pas de modèle idéal d’organisation de la planification :ici encore, il faut s’adapter au contexte. Ce qui est clair, c’est que lesministères de l’Éducation n’ont généralement ni la vocation, ni lacompétence, ni la motivation pour élaborer une planification tenantcompte des débouchés vers l’emploi. Compte tenu de la multiplicitédes disciplines, mais surtout des points de vue mis en jeu par laplanification de l’éducation et de la formation professionnelle, undispositif de concertation est indispensable.

Cette concertation devrait, autant que possible, se situer àdifférents niveaux :

• Au niveau national, bien entendu. Lorsqu’il existe un ministère duPlan, ce doit être le lieu normal de la concertation. Sinon, il devraitexister une structure ad hoc, capable de se réunir régulièrement,jouissant d’un prestige suffisant et fonctionnant de façon permanente,indépendamment des plans.

• Mais la concertation nationale n’est pas suffisante. L’établissementd’une relation plus étroite entre formation et emploi doit tenir comptedes réalités concrètes de l’administration, d’une part, du marché dutravail, de l’autre. Tout dépend de la taille du pays, du degré dedécentralisation et du mode de fonctionnement de l’administration.Il existe toujours un risque que les implantations d’universités etd’écoles subissent des pressions politiques (voir ci-dessous) ; il estbon que celles-ci soient contrebalancées par une présence suffisantedes employeurs.

• Cette présence est également souhaitable au sein même desétablissements de formation et des universités, par exemple dansleurs conseils d’administration. À défaut, des mécanismes devraientgarantir un lien entre ces établissements et les employeurs.

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Si essentielle qu’elle soit, la concertation n’est pas la planification ;elle n’en est qu’un des aspects. La planification proprement ditecomporte la collecte d’une grande diversité d’informations, puis leursynthèse, suivie de la définition des choix et des orientations proposésaux décideurs et, enfin, le suivi des réalisations et leur évaluation. Leministère de l’Éducation se charge généralement de la collecte et dutraitement des données qui lui sont propres (effectifs et flux d’élèves),et éventuellement de projections les concernant. Mais il ne dispose nide la perspective globale, ni du temps, ni des compétences nécessairespour assumer l’ensemble de ces responsabilités. Le ministère du Plan(lorsqu’il existe) devrait être mieux placé, mais il risque d’être prispar les travaux de routine et de ne pouvoir se consacrer suffisammentà certaines analyses approfondies.

C’est pourquoi il est important de concevoir un dispositifsusceptible de mettre en commun des ressources variées etcomplémentaires pour prendre en charge à la fois les aspectstechniques et politiques de la planification. Pour les aspects techniques,on peut penser à quatre solutions : universités, bureaux d’études,organismes ad hoc et expertise extérieure. Dans les pays peudéveloppés disposant de faibles ressources, l’appel aux universitésdoit en principe constituer une excellente solution : peu coûteuse, maisaussi susceptible d’inciter les universités à orienter leurs travaux versdes problèmes concrets, offrant en plus une diversité d’anglesd’analyse. Mais ces orientations peuvent aller à l’encontre de traditionsacadémiques qui ne sont pas toujours faciles à surmonter.

Une évolution récente constatée dans des pays très différentsconsiste à créer des observatoires, dont l’objectif est moins ambitieuxque celui des structures traditionnelles de planification. Il ne s’agitpas de centraliser dans une institution lourde les responsabilitésqu’impliquerait un processus de planification, mais de regrouper lesinformations dont disposent différents acteurs et de coordonner leursréflexions au sein d’une structure légère.

Celle-ci peut se situer au niveau d’une région ou d’un pays. C’estainsi qu’en France, le début de décentralisation mis en œuvre aucours des années 1980 a conduit à la création d’observatoiresrégionaux de l’emploi et de la formation (OREF). Il s’agit de mettre

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en réseau différents organismes concernés par ces problèmes, pourpréparer les décisions concernant la formation. Plus spécifiquement,ils sont chargés de fournir un cadre macro-économique pour l’analysedes évolutions en matière d’emploi, de coordonner les travaux deprospective avec les instances nationales et d’organiser des étudessectorielles avec les partenaires sociaux.

Cette démarche a également été entreprise au niveau nationaldans des pays moins avancés, où il est d’autant plus important demettre en commun des ressources rares et de coordonner les acteurs.C’est, par exemple, le cas au Togo, avec un projet d’Observatoiredes besoins de formation professionnelle financé par la Banquemondiale. C’est aussi la démarche suivie, avec le concours de laFondation européenne de la formation, dans différents pays duMaghreb et du Moyen-Orient. En Algérie, par exemple, il a été prévude mettre en place une « fonction Observatoire de l’emploi et de laformation » qui devrait constituer une aide à la formation, en ayantpour premier objectif d’ouvrir le débat pour poser les bonnes questions,plutôt que de prétendre apporter des solutions toutes faites.

Enfin, on constate que beaucoup de pays en développementcontinuent à recourir largement à une expertise extérieure. Cettesolution soulève de sérieuses objections. Si en effet les principalesdifficultés de la planification des ressources humaines ne sont pasd’ordre technique, mais d’ordre sociopolitique et administratif (voir ci-dessous), il est indispensable que le plus grand nombre de responsablesnationaux soient impliqués et prennent leurs responsabilités en touteconnaissance de cause. D’autant que le rôle pédagogique de ceprocessus est tout aussi important que les conclusions auxquelles ilaboutit. Faire faire ce travail par des étrangers, c’est en perdre toutle bénéfice, et une appropriation nationale des expertises étrangèresest indispensable. Tout cela implique la formation de spécialistesnationaux de la planification.

Cela dit, il faut évoquer d’autres formes d’aide institutionnelle,qui peuvent être fort utiles et qui sont apportées par différentsorganismes internationaux, souvent dans le cadre de programmesrégionaux. Elles ne visent pas des interventions opérationnellesdirectes, mais plutôt une information méthodologique et la formation

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de responsables pour contribuer à la mise en place d’institutions.C’est le cas de différents programmes de l’IIPE, des activités de laFondation européenne de la formation à Turin pour les paysméditerranéens et de ceux de la Commission européenne pour laformation professionnelle dans les pays d’Europe centrale et orientale(Programme Leonardo).

La dimension sociopolitique de la planification

Encore une fois, le problème de la planification réside moinsdans la difficulté à définir des objectifs qu’à les traduire dans les faits(Caillods, 1991). Dans l’un et l’autre cas, elle est confrontée auxmotivations et aux intérêts, souvent opposés, d’une multitude departenaires. Ces acteurs, ce sont à la fois : les dirigeants politiques,les décideurs principaux ainsi que l’administration de l’éducation, lesenseignants et les syndicats qui les représentent, les entreprises etles organisations professionnelles, les syndicats ouvriers et, enfin, lesétudiants et leurs familles. Leurs points de vue et les pressions qu’ilspeuvent exercer sont susceptibles d’affecter aussi bien la définitiondes objectifs de planification que la mise en œuvre de ces objectifs.

Les dirigeants politiques peuvent avoir des préoccupationsidéologiques ou simplement électorales. L’idéal de démocratisationde l’enseignement et la volonté d’élever le niveau d’éducation seretrouvent dans des contextes politiques très différents. Ils ont jouéet jouent encore un rôle important dans la définition des grandesorientations éducatives. Dans beaucoup de pays qui ont accédérécemment à l’indépendance, ils sont liés à une volonté de remplacerla main-d’œuvre expatriée, qui joue encore un rôle important dansl’encadrement du secteur privé. Si cette volonté est parfaitementlégitime, il n’est pas toujours facile d’évaluer objectivement lesavantages et les inconvénients du maintien de cette présenceétrangère et les conditions de son remplacement.

Dans beaucoup de pays, on pourrait aussi citer des cas où leprocessus de planification a été freiné ou biaisé parce qu’il conduisaità remettre en question des options politiques ou parce qu’il évoquaitdes sujets tabous. L’étude prospective des grands équilibres peutconclure à la persistance probable d’un niveau élevé de chômage –

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ce qui est difficilement acceptable – et à poser le problèmedémographique que beaucoup de gouvernements ont longtemps refuséde prendre en considération, ou celui de l’activité des femmes, quipeut aussi être un sujet sensible dans les pays où la tradition les inciteà rester à la maison plutôt qu’à travailler à l’extérieur.

En pensant plus particulièrement à la formation professionnelle,Moura Castro et Cabral de Andrade (1990) font un diagnostic sévère quipourrait s’appliquer plus généralement aux administrations del’éducation et de la formation : « les formateurs font leur travail sansse soucier ni des objectifs que se proposent les stagiaires, ni des besoinsde ceux qui les emploieront plus tard ... (Nous supposons) que lesformateurs agissent en fonction des besoins sociaux. Or, ce n’est pasainsi que les choses se passent. C’est en se plaçant à l’intérieur desbureaucraties que l’on peut comprendre la logique de leurs décisions.Les organisations ont mis au point leurs propres règles du jeu en fonctionde leur logique interne, et si le monde extérieur conditionne leur action etleur impose des contraintes, il ne détermine pas les systèmes d’incitationsqui influencent le comportement des administrateurs ».

Cette mise en cause globale de l’administration mérite d’êtreaffinée, suivant les niveaux de responsabilité et suivant les stades dela planification. Au niveau des principaux responsables de laformation, si les grandes décisions affectant l’orientation et la structuredu système de formation et d’enseignement supérieur privilégient lalogique interne du système, plutôt que les besoins externes del’économie, c’est aussi pour de bonnes raisons.

Au stade des réalisations, les conséquences effectives de toutesles orientations prises dépendent en grande partie de l’administrationlocale et de celle des établissements scolaires. On constate souventque malgré des directives supérieures, l’orientation vers différentesfilières et les taux de passage restent stables, parce que l’administrationest conservatrice et parce que ceux qui font passer les examens etdécident de l’orientation ne changent pas facilement leurs habitudeset ont leurs propres critères, qui ne sont pas nécessairement ceuxdes planificateurs.

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La lenteur (souvent, et parfois excessivement, dénoncée)d’adaptation de la formation professionnelle à l’évolution des besoinséconomiques peut s’expliquer d’au moins deux manières :

• Par les délais nécessaires à la consultation des partenaires et àla mise en place des nouveaux programmes et des nouveauxmoyens : en France, il faut environ deux ans pour définir et mettreen vigueur un nouveau diplôme ; mais en Allemagne, où il fautaboutir à un consensus entre les partenaires sociaux, ce délaipeut aller jusqu’à dix ans.

• Lorsque la formation professionnelle est assurée à l’école pardes enseignants ayant un statut de fonctionnaires, ceux-ci sontnommés à vie, ce qui limite nécessairement les possibilités deréorienter les formations.

On voit ici apparaître d’autres acteurs qui sont les enseignants.Leur rôle est double dans la définition des objectifs de planification etdans leur mise en œuvre : en tant que corps ayant un statut etdéfendant des intérêts et parfois une idéologie par l’intermédiaire deleurs syndicats, et en tant que pédagogues ayant une pratique et deshabitudes qui peuvent être ou non conformes aux orientations quel’on veut donner à l’éducation. Le souci des intérêts de ce (ou deces) corps peut influer sur les décisions prises en matière de créationou de suppression de certaines filières ou de certains typesd’établissements.

Les mêmes enseignants, qui sont pour la plupart attachés à uneidéologie de démocratisation, ont souvent des pratiques individuellesélitistes. Ils préfèrent évidemment travailler avec de bons élèves etne sont pas toujours prêts à consacrer aux plus faibles l’attentionplus grande dont ils ont besoin. Ils ont naturellement tendance àvaloriser le savoir abstrait et académique au détriment des savoir-faire concrets et des activités manuelles. Tous ces éléments ont uneinfluence importante, même si elle n’est qu’indirecte, sur les valeurstransmises par l’école et sur les processus d’orientation.

Nous avons déjà souligné la nécessité d’associer les employeursà la définition des besoins et des objectifs de formation. Mais il fautaussi être conscient du fait qu’ils n’ont généralement qu’une

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appréciation à court terme de leurs besoins de formation. De plus,cette appréciation peut être biaisée par la conjoncture. En période decrise, les recrutements sont réduits au minimum et ne concernentque les besoins les plus urgents, à la marge, qui sont souvent les plusqualifiés. En période de croissance et de plein emploi, au contraire, lagamme des recrutements s’élargit et dépasse les besoins immédiatspour constituer des réserves de qualifications.

Il serait tout à fait erroné de supposer que les entreprises ontune vision homogène de leurs besoins et de leurs attentes vis-à-visde la formation. Il peut exister des clivages importants entre les petitesentreprises, qui souhaitent le plus souvent disposer d’une main-d’œuvre immédiatement utilisable sur un poste de travail précis, cequi suppose une formation préalable spécialisée et les grandesentreprises, qui souvent recrutent un personnel capable d’évoluerdans une diversité d’emplois et qui sont davantage conscientes dufait qu’aucune formation ne peut aujourd’hui former pour la vie. Lespremières attendront de la formation un « produit fini », les secondesun « produit semi-fini » : elles se chargeront elles-mêmes de laformation complémentaire et de l’adaptation au poste, d’autant plusfacilement qu’elles disposent de moyens de formation plus importantsque les petites entreprises.

Un autre clivage peut séparer les types d’industrie et d’entreprise.Traditionnellement, les banques attachent surtout de l’importance auniveau de formation initiale et à l’adaptabilité de leurs recrues. Ellesse chargent elles-mêmes de la formation professionnelle. Lesindustries, dont la technicité est élevée (comme la mécanique oul’électricité), ont besoin d’un personnel ayant des bases théoriques etdes connaissances professionnelles spécifiques ; elles sont doncintéressées par l’existence de bonnes écoles de formationprofessionnelle. En revanche, des industries comme le textile oul’habillement (au moins avec les technologies traditionnelles) ontsurtout besoin d’une main-d’œuvre faiblement qualifiée, possédantdes savoir-faire pratiques. Aussi ne voient-elles guère l’utilité de cesécoles et peuvent-elles se contenter de formations très courtes. Pourla plupart des artisans, l’apprentissage reste le meilleur moyend’acquérir des habitudes de travail et éventuellement un métiertraditionnel.

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Il faut s’attendre aussi à une diversité d’opinions entre entreprises,dont chacune peut avoir sa logique, qu’il convient d’analyser. Leproblème est encore compliqué lorsque les entreprises sontreprésentées par des organisations professionnelles, dont lespermanents ne sont pas toujours les plus compétents, car il peut leurarriver d’avoir perdu le contact avec les réalités de la production.

Lorsqu’ils ont leur mot à dire sur les orientations en matière deformation, les syndicats ouvriers ont souvent des positions opposéesà celles des entreprises. Il peut s’agir de positions essentiellementidéologiques, comme la crainte de l’exploitation et de l’abandon dupouvoir au capitalisme, que l’on a déjà vue chez certains enseignants.Mais ils peuvent aussi avoir une analyse divergente de celles dupatronat sur la conception de la formation. Beaucoup d’entreprisespeuvent privilégier une vision à court terme et un niveau dequalification minimum pour répondre à des besoins spécifiques. Aucontraire, les syndicats se préoccupent de l’intérêt à long terme destravailleurs et du développement de leur potentiel, de manière à leurménager des possibilités d’évolution professionnelle. Ils tendent doncà avoir des exigences plus élevées quant au niveau de formation : enAllemagne, par exemple, les syndicats plaident pour que la formationcommerciale dure au minimum trois ans, alors que le patronat secontenterait souvent de deux.

Les aspirations des jeunes et de leurs familles dépendentévidemment du contexte socioculturel. La résistance à l’éducationdans les milieux ruraux traditionnels est sans doute très rareaujourd’hui, mais elle existe encore en ce qui concerne les jeunesfilles. Et d’ailleurs la ségrégation dont souffrent ces dernières enmatière d’orientation vers certaines carrières est sans doute unphénomène presque universel.

Mais, comme cela a été évoqué à propos de la demande sociale,ce qui joue un rôle de plus en plus important, c’est la pression quis’exerce pour demander de plus en plus d’éducation et de formation.On peut sans doute dire que cette pression est d’autant plus forteque le niveau social des parents et le niveau scolaire sont élevés,comme on l’a vu à propos de la demande sociale. Ce sont les milieuxsociaux les plus favorisés qui sont les plus conscients de la rentabilité

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de l’investissement dans l’éducation et les mieux placés pour fairepression efficacement sur les autorités, alors que les moyens depression des régions isolées et des groupes défavorisés sont limités.

En résumé, la planification des ressources humaines est bienautre chose qu’une technique, et les plans les mieux conçus peuventrester lettre morte si l’on n’a pas :

• suffisamment tenu compte des conflits d’intérêts et du potentield’inertie et de biais que recèle tout système de formation. Lanécessaire concertation mentionnée plus haut peut y contribuer,mais elle ne suffit pas toujours. Il y a des cas où une volontépolitique est nécessaire pour passer outre certains intérêtscatégoriels ;

• mis en place une administration efficace capable de mettre enœuvre les orientations fixées et des procédures d’évaluation desrésultats. Nous y reviendrons.

Les exigences techniques de la planification : les données

Les possibilités concrètes de planification ne dépendent passeulement du contexte et de considérations techniques sur le choixdes méthodes. Elles dépendent tout autant des données disponibles,des sources qui peuvent les fournir, et de la manière dont elles sontstructurées et présentées. C’est un des principaux obstacles querencontrent les pays en développement, qui manquent de systèmesd’information et d’éléments fiables préalables à l’établissement d’undiagnostic.

Les données

Une planification des relations entre formation et emploi nécessiteautant que possible trois types de données : sur les flux de formation,sur l’emploi et le marché du travail, et sur le passage de la formationà l’emploi.

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(i) Les flux de formation

Ce qui nous intéresse ici n’est pas de recenser les effectifs,mais les flux de sortie. Au sein du système scolaire, ceux-cicorrespondent à la fois aux sorties en fin de cycle et aux abandonsen cours de cycle. Toute administration scolaire devrait être en mesurede remplir la matrice classique faisant apparaître, classe par classe,les taux de promotion (passage dans la classe supérieure), deredoublement et d’abandon.

Les données ainsi recueillies sur les sorties du système scolairesont nécessaires, mais pas suffisantes, si l’on s’intéresse aux fluxd’entrée sur le marché du travail. Ce sont alors les flux de sortienets qu’il s’agit de comptabiliser, ou au moins d’évaluer, c’est-à-direaprès déduction :

• des réentrées dans un cycle plus élevé de formation scolaire ;• des passages en formation dans un autre système d’enseignement

supérieur, autres formations publiques ou privées ;• (autant que possible) de la proportion de sortants (essentiellement

des jeunes filles) qui ne cherchent pas d’emploi et sont considérésstatistiquement comme inactifs.

(ii) Connaissance de l’emploi et du marché du travail

Une planification globale complète devrait idéalement comporterdes données sur :

• la répartition de l’emploi par secteur d’activité économique : enmatière d’analyse des évolutions et de prévision, cette approches’impose, car elle est généralement intégrée aux modèles macro-économiques. C’est aussi à ce niveau que l’on peut le mieuxétablir le lien avec les évolutions techniques et économiques ;

• la répartition de l’emploi par profession/qualification, qui constitueun passage presque obligé avec la formation, car la structurepar secteur ne dit rien sur ce sujet ;

• la composition de la main-d’œuvre par âge (qui influe sur lesbesoins de renouvellement), par sexe (qui peut être reliée autaux d’activité), par nationalité (dans la mesure où la politique

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nationale vise à remplacer les cadres expatriés par des nationaux)et par type de formation reçue ;

• La mobilité professionnelle. Elle comporte trois éléments d’inégalintérêt :– La mobilité géographique n’est à prendre en compte que

s’il existe des déséquilibres géographiques constituant unélément important du problème de la planification ;

– Le changement d’entreprise sans modification de la situationprofessionnelle est une donnée significative du fonctionnementdu marché du travail, mais le bilan total est nul par rapport auxbesoins de recrutement par qualification ;

– Les changements de profession, dont le poids est généralementassez faible (sauf dans certains pays, lorsqu’il affecte parexemple les enseignants), et surtout la promotion professionnellejouent un rôle beaucoup plus important dans l’estimation desbesoins et des capacités de recrutement de l’économie. Eneffet, on a parfois tendance à négliger le fait qu’une partconsidérable des recrutements de cadres et de personnelqualifié sont pourvus par la promotion de personnels decatégorie inférieure, et non par des sortants du systèmeéducatif au même niveau. C’est particulièrement le cas pourles agents de maîtrise de l’industrie et des services ;

– Enfin, les revenus constituent un important élément de lacompréhension du fonctionnement du marché du travail, dela motivation des jeunes dans leur orientation et deséventuelles analyses de taux de rendement.

(iii) Passage de la formation à l’emploi

Ces données doivent concerner, d’une part, les conditions danslesquelles les sortants de formation s’insèrent sur le marché du travail(nature des formations suivies et caractéristiques des emploisoccupés), d’autre part, les conditions dans lesquelles les employeursrecrutent différents types de main-d’œuvre pour différents typesd’emplois.

Bien entendu, il s’agit là d’une situation idéale. Toutes ces donnéesne présentent pas le même caractère prioritaire et toutes ne peuventêtre obtenues avec le même degré de précision. Tout dépend des

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circonstances définies plus haut, du niveau de sophistication duprocessus de planification et des sources disponibles. Dans bien descas, on sera amené à se contenter d’estimations.

Les sources

(a) La comptabilisation des effectifs scolaires est celle qui pose lemoins de problèmes, car les élèves sont faciles à repérer et sesituent dans un cadre bien délimité.

Les choses se compliquent lorsqu’il faut passer d’un cycle oud’un sous-système à l’autre, et surtout lorsqu’il faut inventorier lessorties des autres systèmes de formation (Agriculture, Santé, Travail,etc.) et faire le calcul des sorties nettes d’un système à l’autre. Lesadministrations concernées n’ont pas toujours les données et lesraccordements restent à faire. Elles se compliquent encore lorsqu’unepartie de la formation est assurée par les entreprises, qui necommuniquent pas facilement les données sur leur activité.

(b) Il est infiniment plus difficile de recueillir et d’analyser lesdonnées sur l’emploi et sur le marché du travail : la réalité àappréhender est beaucoup plus complexe et plus insaisissable,les informations à recueillir plus variées, et les sources posentdes problèmes de fiabilité et de cohérence. Pour la plupart, cessources sont extérieures au domaine de la formation et répondentà une autre finalité, et il peut être nécessaire de rechercher uneinformation complémentaire et spécifique.

La première source d’information est évidemment lerecensement de population, dans la mesure où il est exhaustif et oùil donne un ensemble d’informations que l’on doit pouvoir croiser etque l’on trouve difficilement ailleurs (âge, sexe, nationalité, niveaud’études et profession). Bien entendu, la couverture réelle ainsi quela qualité des réponses peuvent laisser à désirer. Mais le principalproblème est la période qui sépare les recensements, de sorte quel’information disponible est souvent ancienne.

Une deuxième source statistique est constituée par les fichiersadministratifs (de la Sécurité sociale ou d’autres régimes). C’est

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potentiellement la meilleure source d’information, dans la mesure oùelle a un caractère permanent et permet un suivi régulier. Dans lespays en développement, les difficultés proviennent plutôt des retardset des lacunes des fichiers, et de la difficulté d’obtenir la communicationdes informations d’une administration à l’autre. Malgré tout, uneamélioration de ces fichiers et de leurs conditions d’utilisation devraitêtre une des pistes à explorer.

Une troisième source d’information peut provenir des enquêtesadministratives régulières. Elles peuvent être effectuées soit auprèsdes entreprises, par exemple par le ministère du Travail, soit auprèsd’un échantillon de particuliers (ce qui est généralement laresponsabilité de l’organisme chargé des statistiques). Ici, il s’agit desavoir à quelle finalité elles répondent, quel type d’information ellescontiennent et quelles sont la qualité et la représentativité des réponses.

En ce qui concerne les emplois du secteur public, le budgetdonne une information sur les postes, mais celle-ci risque de ne pascorrespondre avec la réalité si une partie des postes budgétaires nesont pas effectivement pourvus, ou si une part importante du personnelest en détachement.

Il peut être nécessaire de rechercher dans les ministères ou lesservices concernés des précisions sur les effectifs employés.

Reste le difficile problème de l’emploi dans le secteur dit« informel », ou « non structuré », généralement beaucoup plus malconnu et sur lequel nous reviendrons.

À l’inverse des précédentes, les données sur l’insertion neproviennent pas de sources indépendantes et permanentes. Elles fontl’objet d’enquêtes spécifiques visant, comme nous l’avons vu dans lapremière partie, l’évaluation de l’efficacité du système de formationet éventuellement les facteurs de motivation et d’orientation desjeunes.

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Organisation des données : le problème desnomenclatures

Il ne suffit pas de collecter les données : encore faut-il que cesdonnées soient utilisables. Ce n’est pas un problème lorsqu’il s’agitde dénombrer les effectifs scolaires, mais cela le devient lorsqu’ils’agit de classer ces effectifs par type de formation et plus encorelorsqu’il faut analyser les emplois et qualifications. Ces données doivents’intégrer dans un système de classement ou nomenclature.

Les formations sont généralement classées par niveau et parspécialité. Si l’on ne se place que sur un plan scolaire, pourdénombrer les effectifs ou évaluer le niveau de formation de lapopulation, la classification par niveau n’est que le reflet de la structuredu système de formation. Si, comme c’est le cas ici, on s’intéresse àla qualification et au rapprochement avec l’emploi, on retrouvel’ambiguïté de la notion de qualification. S’agit-il de la qualificationde l’individu (définie par la formation acquise) ou de la qualificationde l’emploi (définie par la profession exercée) ? On a vu que lesdeux ne coïncidaient pas nécessairement et que c’était l’une desprincipales difficultés rencontrées lorsque l’on cherche à établir unlien automatique entre formation et emploi.

La classification internationale de l’UNESCO, qui entre dans lapremière catégorie en se plaçant sur le plan formation, se réfèresimplement aux cycles scolaires : élémentaire, secondaire premier etdeuxième cycles, etc. La classification française est conçue à la foispour analyser le niveau de formation le plus élevé et pour faciliter lesrapprochements avec l’emploi. De ce point de vue, et compte tenudu niveau général d’éducation, la référence à l’enseignementélémentaire n’a pas de justification. Ses six niveaux se réfèrent, pourle plus bas à toute formation inférieure au premier cycle secondaire,pour le second au premier cycle, pour le troisième au second cycle,pour le quatrième à deux années de formation supérieure et pour lesdeux derniers (souvent regroupés) à l’enseignement supérieur.Beaucoup de pays utilisent des classifications semblables, dont laréférence reste clairement le niveau scolaire.

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D’autres classifications, en revanche, tentent de se référer à lafois à un niveau de formation scolaire et à une qualificationprofessionnelle. Ainsi la classification européenne, qui comporte cinqniveaux, définit son niveau 2 à la fois par un mode d’accès(enseignement obligatoire et formation technique et professionnelle)et par un type d’activité : qualification complète pour une activitéprécise accompagnée de la maîtrise des instruments et des techniquesnécessaires à l’exercice de cette activité.

Une classification fondée sur ce principe serait idéale si ellepermettait à la fois de recueillir et d’analyser les données sur l’emploiet de servir d’instrument de planification de la formation, ce qui estbien son objectif. Mais elle pose différents problèmes. Tout d’abord,elle s’inscrit dans la logique d’adéquation formation-emploi et soulèvedonc toutes les difficultés inhérentes à cette conception, abordées auchapitre I. La correspondance théorique qu’elle suppose entrecatégorie d’emploi et niveau de formation se vérifie-t-elle ? Ce typede classification peut-il servir de base au recueil des données surl’emploi ? S’il s’agit non pas de constater une réalité observée, maisde planifier, qui va décider du niveau ?

Il ne faut pas oublier que ce recueil est d’abord l’affaire desstatisticiens, dont les préoccupations ne coïncident pas avec cellesdes planificateurs et dont la conception des systèmes de classificationrisque fort d’être différente.

Pour les statisticiens, les informations sur l’emploi se limitentassez souvent au dénombrement des personnes employées ou auchômage et à l’identification du secteur dans lequel elles sont actives :si l’information est fournie par les entreprises, il est assez facile desavoir combien de personnes sont employées dans le commerce oudans l’industrie du bois. Mais cela ne dit rien sur la nature de leurtravail. L’analyse par secteur (ou branche) d’activité constituecependant un passage obligé si l’on veut étudier l’emploi et prévoirson évolution, car c’est seulement au niveau du secteur que l’on peutexaminer la relation entre données économiques globales, donnéestechniques caractérisant chaque secteur et données individuelles.Mais, dans une optique de planification, on pourra se limiter à unedizaine de secteurs.

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Ce qui se rapproche le plus de la grille des niveaux de qualificationet des spécialités de formation qui intéresse les planificateurs est lanomenclature des professions. Mais la profession est une réalitécomplexe et multidimensionnelle : elle peut se définir par rapport à lanature du travail effectué, à la compétence de celui qui l’effectue, àl’environnement de travail, au statut et à l’image sociale de l’activité,ainsi qu’aux caractéristiques individuelles du travailleur.

Les statisticiens peuvent s’intéresser plus ou moins à telle outelle de ces dimensions. Comme on ne peut analyser l’information àpartir des appellations de professions (il y en a des milliers et ellesn’ont pas toujours un sens stable et précis), les statisticiens ont misau point des classifications. Mais aucun système de classification nepeut rendre compte de manière satisfaisante de toutes ces dimensions.Chaque système se réfère plus ou moins explicitement à des critèrescorrespondant à l’un ou l’autre d’entre eux, pour aboutir généralementà des compromis.

La nomenclature de professions la plus utilisée est la Classificationinternationale type du BIT (CITP). Elle vise à faciliter les échangesd’information et les comparaisons et à servir de modèle aux pays quisouhaitent élaborer ou réviser leur propre classification. Elle se réfèreà deux critères : la nature du travail effectué (emploi ou job),un ensemble d’emplois proches par la nature du travail correspondantà une profession, et la qualification, définie comme capacité à exercerun emploi.

La qualification peut être définie par deux dimensions : le niveau(degré de complexité) et la spécialisation. Le niveau se réfère à desniveaux de formation qui sont ceux de la Classification de l’UNESCO,sachant qu’en réalité la qualification n’est pas toujours acquise parune formation formalisée.

On voit que la conception de cette nouvelle classification serapproche de celles qui ont été mentionnées plus haut et qui étaientconçues pour la planification. Elle présente donc les avantages et leslimites qui ont déjà été signalés. Dans un grand nombre de pays, enparticulier dans les pays en développement, cette classification inspireles nomenclatures nationales d’emploi.

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Deux conclusions nous paraissent devoir être tirées de cetteanalyse :

• Si une concertation est hautement souhaitable entre statisticienset planificateurs, il est peu probable que ces derniers puissentimposer leur conception des nomenclatures d’emplois. Lespréoccupations des statisticiens ont toutes chances d’êtredéterminantes, et, dans la plupart des pays, ils donnerontvraisemblablement la préférence à la Classification du BIT,éventuellement aménagée, qui a le mérite d’exister et de se prêteraux comparaisons internationales.

• Puisque aucune nomenclature ne peut rendre compte de manièresatisfaisante de toutes les dimensions de cette réalité multiformequ’est l’emploi, il faut plutôt chercher à cerner cette réalité parun croisement de plusieurs variables. Deux croisementsintéressent la planification de l’éducation :– C’est d’abord le croisement entre la profession, qui renseigne

plus sur l’emploi que sur son titulaire, et la formation decelui-ci. Cette information figure normalement dans lesrecensements, beaucoup plus rarement dans les autresenquêtes, mais des enquêtes ad hoc sur des échantillonslimités peuvent fournir des approximations suffisantes. Parce moyen, on doit pouvoir obtenir une information plus fiableet moins ambiguë qu’en utilisant une nomenclature uniquesupposant par construction une adéquation entre cesvariables.

– Une autre variable que nous n’avons pas mentionnéejusqu’ici concerne le statut individuel du travailleur : est-ilsalarié, patron ou travailleur indépendant ? Cette informationpeut être intégrée dans la nomenclature des professions (toutela nomenclature française est construite autour de cescatégories socioprofessionnelles). Elle peut aussi faire l’objetd’une classification distincte, si l’on considère par exemplequ’il faut analyser séparément le métier et le statut et qu’unélectricien, par exemple, a le même métier s’il est artisan ousalarié. Quelle que soit la solution adoptée, cette informationa un intérêt pour la planification, particulièrement dans lespays en développement, où l’on pourra faire l’hypothèsequ’un travailleur indépendant appartient au secteur

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« informel », avec un profil et des exigences de formationtrès différents des salariés.

Améliorer le système d’information

Dans notre esprit, la planification doit être un processus permanentet doit donc pouvoir s’appuyer, autant que possible, sur un systèmed’information également permanent, et pas seulement sur des enquêtesréalisées au coup par coup pour répondre à des besoins exceptionnels.En effet, des enquêtes ponctuelles sont coûteuses et donnent de moinsbons résultats : chaque enquête demande une mise au point délicateet il y a des risques de discontinuité et de non-comparabilité desdonnées d’une enquête à l’autre. Or, il est essentiel de pouvoir situerles informations dans le temps et de pouvoir capitaliser l’information,ce qui exige de la continuité. La mise en place d’un tel système nepeut toutefois être que progressive.

(a) L’information sur les flux de sortie du système scolaire devraitpouvoir être déduite automatiquement des statistiques scolairesque doit établir régulièrement le ministère de l’Éducation. Laconnaissance de l’ensemble des sorties de tout le système deformation et l’évaluation des flux nets posent des problèmes plusdifficiles de coordination entre les administrations responsables.

(b) Les informations sur l’emploi et sur le marché du travail quenous avons présentées comme souhaitables ne sont pas toujoursdisponibles. Dans les pays en développement, on se montreparfois très critique sur les informations statistiques existantes,considérées comme peu fiables, hétérogènes ou trop difficilementaccessibles (sources administratives). On a alors tendance à fairetable rase de ce qui existe et à lancer des enquêtes ad hoc donton attend des réponses à tous les problèmes que l’on se pose.Mais ces enquêtes sont souvent trop ambitieuses et malexploitées. Avant de lancer une enquête nouvelle, qui risque decoûter cher et d’exiger beaucoup de temps, il convient des’assurer :• qu’une exploitation des données existantes, fondée sur une

analyse critique, ne suffirait pas à répondre aux questionsque l’on se pose ;

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• que les objectifs visés et les informations qu’ils exigent sontdéfinis de manière suffisamment précise. Avant de lancerune enquête, il faut avoir prévu l’exploitation que l’on enfera. Il faut éviter de tomber dans le travers fréquentconsistant à accumuler une masse d’informations, pours’apercevoir ensuite qu’une grande partie d’entre ellesn’était pas indispensable ;

• que l’on dispose des moyens nécessaires pour le traitementdes données recueillies. On a vu de grandes enquêtesinexploitées faute de moyens informatiques.

Le moyen le plus économique de résoudre ce problème consisteà faire appel aux sources administratives, tout en améliorant leurqualité. C’est encore une fois d’abord un problème de coordinationentre les instances responsables, afin qu’elles acceptent d’ouvrir leursfichiers et de les utiliser pour d’autres finalités.

Dans le domaine qui nous intéresse, les meilleures statistiquesrisquent fort d’être insuffisantes. Rien ne remplace une connaissanceconcrète des entreprises et des pratiques des employeurs, surtoutlorsqu’il ne s’agit pas seulement de faire un constat, mais d’analyserdes évolutions. Des investigations directes auprès des employeurssont donc indispensables pour compléter et éclairer les statistiquespar des éléments plus qualificatifs. Elles peuvent aussi se substituerpartiellement à elles lorsque l’appareil statistique est gravementinsuffisant et lorsque l’économie moderne est si faible et si peudiversifiée qu’un petit nombre d’investigations directes peuvent suffireà donner une image approximative de la réalité.

L’enquête suggérée ne peut se faire par le simple envoi d’unquestionnaire, que les employeurs risquent de remplir de façonincomplète ou fantaisiste, et dont ils ne comprendront pas toujoursl’objectif. Elle suppose un entretien conduit par un personnel préparéspécialement. Bien entendu, ce questionnement devrait s’adresser àun échantillon qui, à défaut d’être statistiquement représentatif(ce qui exigerait sans doute un trop grand nombre d’enquêtes), devraitêtre aussi diversifié que possible, pour rendre compte de l’éventaildes conditions que l’on peut rencontrer.

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Jusqu’ici, il n’a été question que des entreprises du secteurmoderne. Mais, dans beaucoup de pays en développement, celui-cin’emploie que des effectifs limités, peut-être moins que le secteur« informel ». La connaissance de celui-ci pose plusieurs questions :pourquoi l’étudier ? comment le définir ? et comment l’étudier ? Dupoint de vue d’une appréhension globale du problème de l’emploi etde la définition de politiques de promotion de l’emploi, une connaissancede ce secteur est évidemment essentielle. Du point de vue de laplanification de la formation, c’est plus discutable, dans la mesure oùce secteur emploie très peu de main-d’œuvre ayant une qualificationformelle, de type enseignement supérieur, technique ou professionnel– sauf lorsqu’il commence à y avoir un surplus de diplômés qui nesavent comment se placer.

Le mode d’investigation dans le secteur informel est généralementl’enquête, souvent plus qualitative que quantitative, visant des objectifsplus vastes que la simple identification des effectifs, de leur qualificationet de leur formation. L’expérience tunisienne, par exemple, montrequ’il est possible d’avoir une assez bonne estimation de l’emploi dansle secteur informel à partir d’enquêtes sur les ménages (par exemple,par une enquête emploi). Pour dénombrer les emplois, il suffit decroiser un certain nombre de variables telles que le secteur et la taillede l’entreprise.

Toutes ces indications doivent suffire à souligner l’importancede la disposition d’un ensemble de données permettant d’établir undiagnostic de la situation actuelle. Encore faut-il que ces donnéesconstituent un tout cohérent et utilisable. C’est l’objectif desobservatoires de l’emploi et de la formation, évoqués plus haut, quipermettent de centraliser différents types de données émanantd’organismes variés.

Les étapes d’un processus de planification

Après avoir insisté sur la spécificité des situations particulières,il est bien difficile de proposer une approche ayant une valeur générale.On peut tout au plus énoncer quelques principes d’action et tenter dehiérarchiser les priorités.

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Lorsqu’il s’agit plus particulièrement de pays en développement,plusieurs écueils sont à éviter :

• le premier consiste à partir d’un bilan critique des données etdes moyens disponibles pour conclure que toute planification eta fortiori toute prévision sont impossibles ;

• le second (qui peut très bien prendre la suite du premier) découlede l’adoption d’objectifs exagérément ambitieux en matièred’enquête, d’étude et/ou de système d’organisation, avec le risqueque ces objectifs ne puissent être atteints, ou n’exigent des délaissi longs qu’ils paralysent toute action ;

• la troisième fausse solution reviendrait à faire faire (éventuellementpar une expertise extérieure) une étude technique supposée apportertoutes les réponses au problème posé.

Si ces approches ne nous paraissent pas adaptées, c’est parcequ’une planification utile doit nécessairement être un processuspermanent mais progressif, directement pris en charge par lesresponsables, qui ne peuvent attendre une solution miracle del’extérieur, mais que le manque de moyens ne doit pas non plusdécourager. À chaque état de l’information et des moyens disponiblespeut correspondre une démarche appropriée. Il doit toujours êtrepossible de partir d’estimations approximatives et de les affinerprogressivement, au fur et à mesure que des éléments nouveauxdeviennent disponibles. À condition cependant de conserver un regardcritique sur ces résultats intermédiaires et d’en faire un usageapproprié.

Priorité à l’évaluation et exigence de qualité

Avant de vouloir s’aventurer à prévoir un avenir nécessairementincertain, il est peut-être plus urgent et probablement moins difficilede mieux connaître le présent. Beaucoup de pays n’ont qu’une idéetrès vague de la manière dont le système de formation fonctionne, sice n’est pour dénombrer les effectifs d’enseignants qu’il emploie etles élèves qu’il scolarise. L’évaluation du système de formation estune nécessité en soi, quels que soient le dispositif et la démarcheadoptés. Mais elle peut aussi être vue comme un accompagnementnécessaire de la planification et s’envisager de plusieurs manières :

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• L’évaluation interne peut concerner le niveau de connaissancesou de compétences acquis, l’efficacité mesurée notamment parle rapport entre effectifs scolarisés et effectifs formés (affectépar les redoublements et les abandons), et enfin le coût financier.Ces éléments d’évaluation ne concernent pas directement notresujet. Il faut néanmoins souligner que trop souvent la planificationn’est fondée que sur des éléments quantitatifs et ne prend passuffisamment en compte les données qualitatives. Trop souvent,l’expansion éducative s’est faite au détriment de la qualité et lesprogrès ne sont qu’apparents : en fait, la croissance des effectifspeut très bien recouvrir une véritable régression.

Les effets d’une telle évolution se font nécessairement sentirlorsque l’on passe à l’évaluation externe, car une qualité insuffisantede la formation peut nuire à l’insertion professionnelle de ceux quiont été formés.

On ne saurait donc trop insister sur l’utilité de mettre en place etd’améliorer un dispositif d’évaluation de la formation qui ne soit passeulement fondé sur des critères formels, tels que les examensmesurant essentiellement des connaissances, mais plutôt sur uneévaluation des capacités réellement acquises. Ici encore, etnotamment lorsqu’il s’agit de formation professionnelle, cela devraitimpliquer une collaboration avec les milieux professionnels.

• L’évaluation externe se mesure d’abord par les conditionsd’entrée sur le marché du travail, avec des enquêtes commecelles qui ont été examinées plus haut. Il n’est pas nécessaire audépart de disposer d’un dispositif d’observation lourd pour sefaire une première idée de la situation. On peut commencer parétudier des échantillons limités de population en donnant la prioritéaux formations sur l’efficacité desquelles on s’interroge et quiposent les problèmes les plus urgents.

Les enquêtes ne pourront pas toujours se faire par la poste et ily aura sans doute avantage à les décentraliser pour être au plus prèsde ceux qui sont interrogés mais, dans ce cas, il est indispensable deveiller à l’homogénéité des questionnaires et des méthodes d’enquête,si l’on veut que les résultats soient exploitables.

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Combiner les approches quantitative et qualitative

L’une des difficultés soulevées par la planification des ressourceshumaines provient du cloisonnement des approches. Il existe d’abordun écart important entre :

• d’un côté, l’approche quantitative et macro-économique queconnaissent généralement les statisticiens, les économistes etles planificateurs. Elle donne une vue d’ensemble, mais à partirde données abstraites qui ne sont pas toujours significatives etqui reflètent mal les situations réelles et les problèmes qu’ellesposent ;

• d’un autre côté, la connaissance concrète, mais limitée, qu’ontles hommes de terrain de leur environnement immédiat. Ilsmanquent de recul et d’une perspective d’ensemble.

Un autre fossé sépare trop souvent les administrateurs du mondede la production et de l’entreprise. La vision négative qu’ils ont lesuns des autres est généralement fondée sur l’ignorance.

Une bonne planification exige une réduction de ces écarts, nonseulement par une meilleure concertation, mais aussi par une approchepluridisciplinaire impliquant une meilleure connaissance des conditionsconcrètes. Cela doit être plus facile si le pays est plus petit (ou s’ils’agit d’une approche régionale) et si l’économie est moins avancée,et donc moins complexe. C’est pourquoi nous suggérons qu’une mêmedémarche auprès des employeurs serve à la fois à donner desinformations qualitatives et à compléter et enrichir les donnéesquantitatives (ou même à se substituer aux statistiques lorsqu’ellesmanquent).

Ces considérations amènent à poser le problème de l’utilité oumême de la nécessité d’une analyse du travail pour la planificationde la formation. L’élaboration systématique d’un répertoire des emploisest-elle indispensable ? Dans la plupart des cas, la réponse estnégative, ne serait-ce qu’en raison de l’investissement excessivementélevé que cela exige en personnel compétent, en argent et en temps.De plus, nous avons vu que l’on avait de plus en plus besoin d’une

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formation générale qui ne pouvait se limiter à la préparation à despostes spécifiques.

Les investigations sur le terrain restent toutefois souhaitables,d’abord pour concevoir et mettre à jour des contenus de formationmieux adaptés aux besoins changeants de l’économie, mais aussiparce que c’est un moyen de mieux faire comprendre ces besoinsaux administrateurs et aux formateurs, surtout lorsqu’on peut lesimpliquer dans le processus. Sachant que les contenus d’emploi sontsouvent proches d’un pays à l’autre, il doit donc être possible d’utiliserles documents existants comme référentiel pour tester sur le terrainquelques-unes de ses analyses. On pourra limiter ces tests auxfonctions les plus significatives et adopter une démarche plussynthétique visant à mettre immédiatement en relief les types decompétences réellement mobilisées dans le contexte national.

Ces analyses qualitatives sur le terrain devront se placer dansune perspective dynamique, en cherchant à analyser les facteurs dechangement et à en déduire les tendances d’évolution les plusprobables.

Passer d’une notion de besoins à une notion d’utilisationde la main-d’œuvre

L’analyse critique de l’approche main-d’œuvre a montré quel’on pouvait difficilement parler de « besoins » en main-d’œuvrequalifiée de l’économie, constituant une donnée intangible, comptetenu des possibilités de substitution et d’alternatives de recrutement.Cela étant, il doit être également clair que l’économie ne peut recrutern’importe qui et que la marge de flexibilité n’est pas infinie. Prendreen compte les débouchés possibles et les demandes prioritaires restedonc indispensable, mais on se placera plutôt dans une optiqued’utilisation de la main-d’œuvre et de demande de l’économie, comptetenu des conditions concrètes du marché du travail, et notamment :

• des possibilités de substitution entre différents types dequalification ;

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Les leçons de l’expérience

• du caractère plus ou moins attractif des emplois pour les jeunes,considérant les rémunérations, les conditions d’emploi et detravail ;

• des alternatives entre différentes sources possibles derecrutement : formation initiale, promotion interne, recrutementà partir d’autres emplois, etc.

Autant que possible, ce dernier point doit pouvoir se concrétisersous forme d’estimations chiffrées.

Élaborer des modèles simples de flux

Ces estimations peuvent prendre la forme d’un modèle simplifiédes flux de recrutement, non seulement à partir de la formation, maisaussi à partir d’autres sources. Ce modèle, représenté dans legraphique 1 ci-dessous, a l’avantage de donner une imaged’ensemble, mais il n’est pas suffisant. Si possible, il devrait êtrecomplété de plusieurs manières :

• Sous forme de sous-modèles correspondant davantage à la réalitédes grands secteurs ; dans un pays en développement, il y en auraitau moins trois : secteur public, secteur moderne privé et secteurinformel. Celui du secteur public est fondé principalement sur desrecrutements à partir du système éducatif (éventuellement après unpassage par l’étranger) et sur la promotion interne ; les autreséléments (chômage et inactivité) peuvent être négligés. C’estvraisemblablement l’inverse pour le secteur traditionnel et« informel », qui peut recruter des jeunes non scolarisés. Seul lesecteur moderne marchand recourt à toute la gamme des flux.

• Si utiles qu’ils soient pour fournir une toile de fond, de tels modèleslimités aux effectifs totaux ne peuvent constituer un instrumentsuffisant pour la planification de l’éducation, qui nécessite la priseen compte des qualifications (formations/professions). Élaborerun modèle semblable pour chaque qualification ou même groupede qualifications serait l’idéal, mais ce serait excessivement lourd.Il serait cependant utile de le tenter au moins pour trois grandescatégories qui se situent de manière bien distincte sur un telschéma : l’encadrement supérieur – dont une définition plusprécise est nécessaire, mais elle doit être particulière à chaque

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contexte national ; l’encadrement intermédiaire ; et les ouvrierset employés qualifiés, pour lesquels une formation professionnellelongue est normalement exigée.

Pour des pays en développement qui manquent de données, ilfaudra vraisemblablement simplifier le schéma. Cette démarche poseévidemment au moins deux problèmes :

• Comment chiffrer tous ces éléments ? Cela revient à la questiondes sources évoquée plus haut. Seuls les pays les plus avancésdisposent d’un appareil statistique suffisant pour pouvoir chiffreravec une certaine précision chacun des flux figurant sur ce typede diagramme – ce qui équivaut au Bilan formation-emploiévoqué. Pour les autres, nous pensons qu’il doit toujours êtrepossible d’estimer des ordres de grandeur, ne serait-ce qu’à partirde données ponctuelles obtenues par quelques investigationsauprès des employeurs et en recoupant les informations fourniespar les spécialistes (de l’emploi, de la démographie). L’élaborationde ces estimations peut être une occasion utile de confrontationentre différentes sources et d’échanges de vues entrepersonnalités venant d’horizons différents. Si grossières soient-elles, des estimations de ce type sont toujours préférables à lasolution consistant à négliger les différents flux de mobilité pourse contenter d’une hypothèse artificielle d’adéquation formationinitiale-recrutement. Bien entendu, ces estimations ne sontdestinées qu’aux planificateurs et ne doivent pas être diffuséesen l’état, car elles pourraient être mal interprétées ou faire l’objetde critiques faciles. Mais elles doivent toujours être révisables,au fur et à mesure que l’information s’améliore.

• En supposant que le modèle se concrétise, ce ne sera d’abordqu’une image de la situation présente, ce dont la planification nepeut se contenter. Il faudrait projeter cette situation dans l’avenir.

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Les leçons de l’expérience

Graphique 1. Analyse des flux

Décès

Inactivité

Chômage

Formationcomplémentaire

Étranger

ÉducationNon-scolarisés

Emploi

Mobilité

Note : Les flèches suggèrent les principaux flux ; le schéma pourra être adapté aucontexte national en négligeant les flux les plus faibles.

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Projeter dans l’avenir le schéma des flux

Dans la plupart des contextes, il doit être possible de trouver unevoie moyenne entre l’adoption naïve de prévisions chiffrées et lerefus pur et simple de toute vision prospective. En ce qui concerne lastructure future de l’emploi, les conclusions suivantes peuvent êtretirées de l’analyse critique des expériences :

• La prévision est beaucoup moins aléatoire dans certainsdomaines que dans d’autres. Ainsi en est-il pour ladémographie, qui conditionne très largement :– le volume de la population active future. Les actifs qui

composeront cette population dans dix ou quinze ans sontdéjà nés. Pour les moins jeunes, la répartition par qualificationest déjà estimée. Il est facile d’appliquer à cette populationdes coefficients permettant de tenir compte des décès etdéparts en retraite pendant la période ;

– les entrées dans le système scolaire. L’inertie du mode defonctionnement de celui-ci étant importante, il est possibled’établir des prévisions d’effectifs scolarisés sur des basesassez solides, en faisant des estimations sur la demandesociale. Soulignons que de telles prévisions sont de toutemanière indispensables pour programmer les constructionsscolaires et la formation des enseignants.

De ces prévisions d’effectifs scolaires peuvent être déduites desestimations sur les sorties par type de formation. L’addition de cesestimations et de celles qui concernent la population active résiduellefournit une première image de la population susceptible d’occuperles emplois futurs (en mettant provisoirement de côté les problèmesde mobilité).

Les besoins de recrutement d’enseignants par grande catégoriepeuvent facilement être déduits des prévisions d’effectifs. Or, dansbeaucoup de pays en développement, ces besoins en enseignantsconstituent une très grande part des débouchés du système éducatifaux niveaux les plus élevés, ce dernier fonctionnant largement encircuit fermé, pour satisfaire ses propres besoins. En rapprochant

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ces données, on possède déjà des éléments importants de la futurerelation formation-emploi pour les qualifications de type scolaire.

À partir des enseignants, on est conduit à évoquer plusgénéralement le problème du secteur public – ou plus exactement del’administration, car peu importe que les entreprises soient publiquesou privées, elles doivent ressortir d’une autre logique que celle del’administration. Ce qui est le plus caractéristique d’un faible niveaude développement, c’est le poids relativement important des emploisrelevant de la fonction publique. Ces emplois représentent souvent lagrande majorité des emplois très qualifiés, notamment des diplômésde l’enseignement supérieur. Or, il est important de souligner que :

• comme on l’a vu, c’est précisément à ces emplois que la notiond’adéquation s’applique le mieux ;

• le secteur administratif devrait mieux se prêter aux prévisions,avec moins d’aléas, que le secteur privé. D’abord, le principalemployeur – et de loin – est généralement l’Éducation nationale.Comme on le voit par ailleurs et compte tenu de l’inertie dusystème, la prévision des effectifs scolaires est celle qui soulèvele moins de difficultés. Il est facile d’en déduire les besoins enenseignants (sauf dans les cas où la forte mobilité de ceux-ciconstituerait une inconnue). Si le principal débouché del’enseignement est l’enseignement lui-même, c’est au moins unélément qu’il devrait être assez facile de planifier.

Le reste du secteur public reste encore concentré sur quelquescatégories qu’il doit être possible d’identifier et qui peuvent faire l’objetd’estimations. Enfin, il devrait être possible de procéder à desestimations globales sur la capacité du budget de l’État de financerdes emplois de fonctionnaires : cette capacité est liée au produitnational ; elle ne peut guère augmenter davantage, mais elle est liéeaux mêmes aléas.

• Les prévisions concernant les qualifications et les professionsdoivent de préférence porter sur de grands agrégats. Pourtenir compte des effets de substitution et pour ne pas démultiplierles hypothèses et les calculs, il y a intérêt à envisager l’évolutiond’un nombre réduit de secteurs et de qualifications.

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• Plutôt que de prétendre prévoir l’avenir avec quelque précision,cet exercice doit plutôt viser à délimiter le champ des possibles,en utilisant des jeux d’hypothèses définissant des« fourchettes ». Ces hypothèses peuvent être simples, voiresimplistes, mais elles doivent être expliquées et, autant quepossible, justifiées. Elles pourront se référer à une situation limiteou à des comparaisons internationales, ou constituer uneextrapolation des tendances observées :– On a vu que les prévisions d’emploi étaient généralement

fondées sur des hypothèses de croissance économiquesouvent exagérément optimistes, parce qu’elles ont uncaractère officiel, et que cela constituait la principale caused’erreur. Si l’on ne peut éviter de se référer à ce type deprévision, il y aura avantage à envisager parallèlement deshypothèses alternatives se référant à des taux réellementobservés, dans le pays même ou ailleurs. Passer de lacroissance de l’économie à celle de l’emploi implique deshypothèses sur la productivité. C’est là un aspect souventmal connu et les prévisions sont très aléatoires, maissupposer qu’il ne se produira aucun gain de productivitéconstituerait une hypothèse extrême, peu réaliste, car celaimpliquerait une stagnation et un manque de compétitivitéde l’économie par rapport à ses concurrentes. Si l’on nedispose pas de prévisions économiques (notamment parceque la période envisagée est trop longue), il est quand mêmepossible de faire des hypothèses raisonnées sur l’évolutionde l’emploi par secteur, en se référant aux évolutionsconstatées et à des comparaisons internationales et en tenantcompte des priorités et des potentialités nationales.

– La structure de l’emploi par profession à l’intérieur de chaquesecteur ne se modifie que très lentement, et ses modificationsne jouent pas un très grand rôle dans l’évolution globale, quiest davantage affectée par le taux de croissance et par larépartition sectorielle de l’emploi. Il n’est donc pasdéraisonnable de partir d’une hypothèse conservatricesupposant la structure de l’emploi inchangée. On peut ensuiteenvisager une autre hypothèse supposant une améliorationprogressive des niveaux de qualification et des tauxd’encadrement, en se référant à des situations types ou à

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des comparaisons internationales. Il nous paraît difficile deproposer des normes de structure, au moins pour l’industrieet la plupart des services, mais elle reste valable pour dessecteurs comme la santé (tel nombre de médecins et depersonnel paramédical pour 100 000 habitants, par référenceà l’existant et aux comparaisons internationales) oul’éducation (tant d’élèves par enseignant).

– Concernant les ressources disponibles pour occuper lesemplois futurs, une première série d’hypothèses concernele vieillissement de la population active existante. Sur unepériode moyenne, la mortalité peut être négligée, tandis quel’on peut recourir à des tables de mortalité sur une périodeplus longue. L’impact des départs en retraite est facile àestimer : supposant que l’âge normal soit 65 ans, unehypothèse simplifiée consiste à estimer que dans 10 ans tousceux qui sont aujourd’hui âgés de 55 ans ou plus seront partis– ce qui suppose une estimation sur la structure actuelle parâge et par grandes catégories professionnelles.

– La mobilité professionnelle est beaucoup plus difficile àévaluer, car elle est fonction d’une diversité de facteurs dontcertains sont imprévisibles ... Il n’est guère question d’établirici des prévisions, mais les hypothèses que l’on pourra faireauront le mérite de poser des problèmes, tels que celui descauses de la forte mobilité de tel ou tel secteur et desremèdes possibles. L’hypothèse la plus simple estévidemment celle du maintien des taux constatés ou estimésau départ.

– Comme l’autre composante des ressources provient dessorties du système de formation, celles-ci peuvent égalementfaire l’objet d’hypothèses contrastées : extrapolation des tauxde passage actuellement observés, ou bien des tendancesde croissance, anticipation de la demande sociale.

– Il ne faudra pas manquer de se poser la question de laproportion des sortants n’entrant pas sur le marché du travail,qui peut ne pas être négligeable lorsque beaucoup de femmesne cherchent pas d’emploi rémunéré. Les hypothèses quel’on pourra faire sur le taux d’activité des jeunes fillespourront tenir compte du niveau d’éducation, qui constituesans doute le critère le plus déterminant : quel que soit le

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milieu socioculturel, plus les femmes sont instruites, plus ellesse présentent sur le marché du travail.

– Après avoir estimé le volume des emplois à pourvoir et celuides ressources en main-d’œuvre suivant différenteshypothèses, se pose le problème essentiel de la confrontation.À ce stade, faire des hypothèses à caractère prévisionnelsur les ajustements entre niveau et type de formation, d’unepart, et groupe de professions, de l’autre, serait tomber dansle piège de l’adéquationnisme. Mais la confrontation de cesdonnées peut donner lieu à une analyse instructive. Elle peutnotamment permettre de détecter des situations limites oupeu vraisemblables. Ce serait le cas, par exemple, si lenombre de diplômés de l’enseignement supérieur apparaissaitau moins équivalent à celui des emplois de cadres : celaimpliquerait soit qu’il n’y a plus aucune promotion possiblepour ceux qui viennent d’un niveau inférieur, soit qu’unepartie des diplômés occupent des emplois de niveau inférieur :est-ce acceptable ? Si les hypothèses retenues conduisentà bouleverser les structures et les équilibres de professionsexistants, par exemple en relevant brutalement le niveau deformation pour un groupe de professions, on pourra aussi seposer des questions.

• Les résultats devront faire l’objet de tests de cohérence pourconforter leur vraisemblance. La cohérence peut porter surl’équilibre entre niveaux de formation, entre groupes deprofessions, entre l’analyse sectorielle et l’analyse globale, ouentre la situation prévisible du pays et celle de pays ayant atteintun niveau de développement comparable. Il n’existe pas de règlesauxquelles on puisse se référer ; c’est affaire de jugement etd’expérience.

Une autre série de tests de cohérence concerne la relation entre lesperspectives quantitatives d’évolution des flux et les données quiconditionnent la concrétisation de ces perspectives : compte tenu desconditions réelles dans lesquelles se fait l’orientation des jeunes, de leurmotivation, des rémunérations, des conditions de travail et d’emploi, est-il vraisemblable que les hypothèses adoptées se réalisent ?

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• Cette nécessité d’une vision d’ensemble ne signifie pas que laprévision et la planification qui s’appuient sur elle doivent couvrirsystématiquement et au même degré de détail toutes lesqualifications. L’exemple du Japon montre que la déterminationde grandes orientations et de grandes priorités (par exemple lapriorité donnée aux formations à l’électronique et à l’informatiqueil y a au moins vingt ans) peut être plus efficace qu’uneplanification détaillée.

Dans les pays dont l’économie est encore peu diversifiée, il estgénéralement possible de définir des priorités concrètes en matièrede formation. Pour ces pays, on ne risque guère de se tromper ensuggérant trois priorités :

– la maintenance des installations électriques et mécaniques,des véhicules et des différents types de matériel correspondà un besoin permanent qui n’est jamais satisfait et qui peutoccuper une main-d’œuvre nombreuse et bien qualifiée ;

– la gestion recouvre une fonction plus large que la comptabilitéet conditionne l’efficacité d’un très grand nombre destructures : entreprises industrielles et commerciales,coopératives agricoles, etc. Les formations qui peuvent ypréparer se situent à des niveaux variables et peuvent fairel’objet de formations très diverses ;

– l’agriculture reste le problème majeur de la plupart des paysles moins avancés, mais les qualifications exigées par sondéveloppement sont plus dépendantes du contexte socio-économique et institutionnel.

• En combinant ces différentes démarches, et quel que soit l’étatdes données et des structures, il est toujours possibled’élaborer des scénarios pour l’avenir, dont la fonction estplus pédagogique que prédictive. En réunissant lesresponsables des différents domaines concernés pour discuterde ces scénarios, on fera apparaître des questions qui exigerontdes prises de position ou des recherches d’informationcomplémentaire et on pourra fournir les bases d’une politique.

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Intégrer la planification de la formation dans unepolitique globale concernant les ressources humaines

Cette politique devrait prendre en compte non seulement lesystème d’éducation et de formation dans son ensemble, mais aussiles problèmes d’emploi, d’insertion des jeunes, de mobilisation de lamain-d’œuvre et de rémunération. Elle devrait être conçue en termesd’alternatives : dans bien des cas, il n’existe pas de solution uniqueau problème de la satisfaction des « besoins » de l’économie enqualifications. Des choix peuvent s’exercer entre formation initialeet continue, entre formation nationale et à l’extérieur, entre extensionou prolongation de formations existantes et création de formationsentièrement nouvelles, entre différents types de formation.

Dans les pays en développement, une politique de formation doitnécessairement tenir compte des mesures d’ajustement visant à limiterles dépenses budgétaires tout en stimulant la croissance, à encouragerle développement des petites entreprises et du secteur informel, àinciter à l’auto-emploi et à la création d’entreprises, à faciliter lesreconversions. Dans les pays plus avancés, il faudra veiller à lacohérence des politiques de formation et des politiques sociales visantnotamment à lutter contre l’exclusion des jeunes les plus qualifiés.Le défi des économies modernes fondées sur l’intensification de laconcurrence et du recours aux nouvelles technologies n’est pas tantla nécessité de former la main-d’œuvre hautement qualifiée, qui estde plus en plus demandée, que d’éviter la marginalisation de ceux quiont de la peine à s’adapter.

Intégrer les moyens dans la planification

Est-il besoin de souligner qu’une politique – peu importe qu’elleprenne la forme d’un plan – ne se limite pas à définir des objectifs.Plus important – et aussi plus difficile – est la définition des moyensd’action. Que va-t-on faire pour surmonter les inerties et les rigiditésdécrites au chapitre précédent, à l’intérieur et à l’extérieur du systèmede formation ? Comment trouver les moyens de financement ?Comment faire en sorte que l’administration constitue un facteur dedéveloppement et non un frein ? Plus concrètement, une politiqueglobale devrait se préoccuper :

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• d’une programmation des ressources financières sur plusieursannées, et pas seulement sur l’année budgétaire ;

• du mode de financement. Celui-ci ne peut venir que de troissources : l’État, les entreprises et les particuliers. La capacitéde financement du premier est déjà mise largement à contributiondans la plupart des pays. Les entreprises contribuent volontiersà la charge de la formation si elles y voient un investissementproductif. On ne peut toutefois les taxer trop lourdement sanscompromettre leur compétitivité. Dans certains pays, la durée etla qualité de l’enseignement sont largement dépendantes d’uneimportante contribution des particuliers. Mais celle-ci ne devraitpas contribuer à l’aggravation des inégalités ;

• de la création de filières de formation nouvelles ou del’aménagement des filières existantes ;

• bien entendu, de la disponibilité des locaux, des enseignants, desformateurs et des matériaux pédagogiques ;

• mais aussi, ce qui est tout aussi important, des mécanismes suivantlesquels les élèves, les étudiants et leurs familles seront informéssur les orientations et incités à s’orienter dans les directions jugéessouhaitables ;

• des dispositions à prendre pour que les enseignants et lesadministrateurs de l’éducation et de la formation contribuent à laréalisation des objectifs, par exemple en ce qui concerne leseffectifs admis aux examens et concours d’entrée, la définitiondes niveaux d’exigence et des objectifs pédagogiques, et desprocédures d’évaluation. Dans beaucoup de pays, les initiativesdes enseignants les plus dynamiques, tant en matière de pédagogieque de relations avec l’environnement, sont systématiquementbridées par une administration tatillonne et bureaucratique. Ilfaudrait qu’à l’inverse leur statut et leurs conditions d’emploisoient conçus de telle manière qu’ils soient motivés etrécompensés pour leurs initiatives ;

• à l’extérieur du système de formation, des mesures qui peuventêtre prises pour inciter les employeurs à adopter des politiquesde recrutement, de gestion du personnel, de rémunération et deformation complémentaire cohérentes avec la politique globaledéfinie ;

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• enfin, des conditions qui permettront de concrétiser cesorientations nationales au niveau local (carte scolaire desimplantations).

Conjuguer et articuler politique nationale et politiquelocale

Dans cette perspective, il convient de viser le maximum dedécentralisation et de coopération avec les employeurs (comme onl’a vu dans ce chapitre).

Ayant mis l’accent sur l’idée que la planification implique autantle souci de la mise en œuvre des orientations décidées que leurformulation, il reste une question importante : les jeunes vont-ilss’orienter conformément aux prévisions, aux priorités nationales et àleur intérêt propre ? Cela pose à la fois un problème de fond (dansquelle mesure doivent-ils rester totalement libres de leur décision ouêtre au moins incités) et des problèmes techniques (comment lesinformer et les orienter ?)

Ces questions suscitent aujourd’hui un renouveau d’intérêt,notamment à la suite des travaux de l’OCDE sur la transition vers lavie active (OCDE, 2000) et de ceux qu’elle réalise en 2003 dansdifférents pays membres (Grubb, 2002). Ces travaux ont fait apparaîtrela diversité des philosophies qui inspirent l’information, l’orientationscolaire et professionnelle et le conseil, ainsi que leur organisation.Mais ils ont également fait ressortir un besoin de renforcement desmoyens, de réorganisation et de modernisation de ces services dansla plupart des pays. C’est une condition d’un fonctionnement plusefficace des systèmes éducatifs et de leur ouverture sur lesentreprises et le monde de l’emploi. C’est aussi un moyen d’éviter lafrustration de nombreux jeunes qui, par manque d’information et deconseil, ont suivi une orientation qui a rendu leur emploi difficile ou neleur a pas donné satisfaction.

La nécessité d’une adaptabilité du système de formation

Même si l’on réussit à mener à bien les travaux d’évaluation etde prévision qui viennent d’être évoqués, ils laissent une sérieuse

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marge d’incertitude, et il faut encore compter avec les pesanteurssocio-économiques (rappelées plus haut) et administratives.L’amélioration de la planification n’est pas suffisante ; elle devraitaller de pair avec une plus grande adaptabilité du système de formation.Cette approche présente un double avantage. Pour l’économie,l’adaptabilité de la main-d’œuvre est une réponse à l’imprévisibilité.Pour les individus, aucune formation spécialisée ne peut désormaissuffire à préparer à une vie professionnelle, et la mobilité devient uneexigence de plus en plus fréquente. Cette adaptabilité peut êtreexaminée sur plusieurs plans :

• adaptabilité des structures et des programmes d’enseignementet de formation initiale, ce qui doit nécessairement concerner lesformateurs eux-mêmes ;

• rapprochement de l’école et de l’entreprise, et participation decelle-ci au processus de formation ;

• rôle plus important donné à la formation continue.

Adaptabilité des structures et des programmes

La rigidité des systèmes de formation peut provenir aussi biendu statut des établissements que de la structure des filières deformation et des programmes. Elle pose en effet trois problèmes,d’ailleurs assez étroitement liés :

• celui de la structure et du type d’établissement chargé de laformation – établissement scolaire public ou privé, centre deformation, entreprise ;

• celui des filières de formation et de leur professionnalisation ;• celui des programmes et de la spécialisation.

(i) Le problème de la structure se pose moins pour l’enseignementsupérieur que pour la formation professionnelle. Il y a déjàlongtemps qu’un article demeuré classique faisait le procès desécoles professionnelles, jugées incapables de répondre auxbesoins changeants de l’économie, en particulier dans les paysen développement (Foster, 1965). Faisant partie du systèmescolaire, l’école professionnelle risque en effet de fonctionneren circuit fermé, de ne pas évoluer facilement en fonction des

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demandes extérieures. Elle coûte plus cher que l’enseignementgénéral. Dans les pays du Tiers-Monde, où l’économie moderneest peu développée, il n’y a qu’une faible demande pour le typede qualifications qu’elle produit, et les diplômés ont tendance àrefuser les emplois de type manuel pour préférer un travailadministratif.

Ces inconvénients peuvent être encore plus prononcés lorsquel’enseignement ou la formation professionnels sont entre les mainsd’un État centralisé qui a le monopole des diplômes, qui n’emploieque des enseignants fonctionnaires (voir ci-dessous) et qui utilise laformation professionnelle pour faire face aux conséquences socialesdu chômage. La Banque mondiale est aujourd’hui très sévère pourles systèmes de formation professionnelle d’État « trop vastes, malfinancés, rigides et de qualité médiocre » (Middleton ; Ziderman ;Adams, 1990).

La solution opposée consiste à confier la formation professionnelleaux entreprises ou à des centres spécialisés dépendant de l’industrie.Mais cette solution n’est pas non plus sans inconvénient. Lesentreprises ont naturellement tendance à satisfaire leurs besoinsspécifiques et à privilégier les savoir-faire purement professionnelsplutôt que les capacités plus générales (voir ci-dessous). Ce n’estpas nécessairement dans l’intérêt des individus, dont cela peut limiterles possibilités d’évolution, ni même de l’économie, qui a de plus enplus besoin de qualifications larges. Dans les pays en développement,il y a généralement très peu d’entreprises capables et désireuses deprendre en charge une formation approfondie, surtout quand il s’agitde démarrer de nouvelles activités. Enfin, la multiplication des centresde formation autonomes pose des problèmes de coordination qui sontsouvent mal résolus.

Les systèmes de formation placés sous la responsabilité principaledes organismes professionnels patronaux, comme le SENAI au Brésil,échappent pour une bonne part à ces inconvénients et constituentpeut-être la solution intermédiaire la plus satisfaisante. Créé et gérépar les entreprises, il est financé par un prélèvement sur les salaireset est fortement décentralisé pour s’adapter aux besoins locaux.

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Les aspects les plus négatifs des systèmes scolaires centraliséspeuvent aussi être atténués, par exemple, en laissant dans la pratiqueune certaine marge d’adaptabilité aux institutions chargées de la miseen œuvre des programmes. C’est le cas de l’Allemagne, où, bien queles diplômes de formation soient définis suivant des procédurescentralisées très lourdes, la mise en œuvre de la formation incombeaux entreprises, qui sont bien placées (au moins les plus importanteset les plus modernes d’entre elles) pour veiller à l’adaptation à desréalités concrètes toujours changeantes. On verra plus loin d’autresmodalités de liaison école-entreprise.

En tout état de cause, il n’existe pas, ici encore, de solution idéalevalable pour tous les pays, car l’efficacité de chaque formule dépenddes contextes culturels nationaux. L’efficacité tant vantée de laformation professionnelle en Allemagne et au Japon ne tient passeulement au fait qu’elle est sous la responsabilité principale desentreprises. Elle est également liée à deux autres facteurs essentiels.D’une part, les entreprises de ces pays ont une conception particulièrede leur responsabilité en matière de formation : en Allemagne, c’estle résultat d’une très longue tradition ; au Japon, cela correspond àune politique d’investissement dans les ressources humaines liée à lapratique de l’emploi à vie dans les grandes entreprises. En secondlieu, il faut souligner que la formation professionnelle ne vient qu’aprèsune formation générale approfondie : en Allemagne, une proportioncroissante des stagiaires ont déjà reçu 13 ans de formation générale(les autres 10 ou 11 ans) ; au Japon, plus de 90 % des jeunes ontachevé des études, le plus souvent générales et parfois techniques,d’une durée totale de 12 ans. Il est évident que la transposition despratiques de ces deux pays dans des contextes très différents (faibleformation de base, forte mobilité des travailleurs et engagement limitédes entreprises) ne donnerait pas nécessairement des résultatsidentiques, ce qui ne veut pas dire qu’il faille la rejeter.

(ii) Concernant la professionnalisation, il n’est pas inutile de rappelerl’opposition entre les systèmes de formation comportant uneorientation très rapide vers une formation à finalité professionnelle,à l’école ou en entreprise (que l’on trouve même dans des paysindustriels avancés comme l’Autriche ou les Pays-Bas), et ceux

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dans lesquels l’enseignement a un caractère général, la formationprofessionnelle étant repoussée le plus souvent après la fin del’enseignement secondaire et laissée aux entreprises (cas desÉtats-Unis et du Japon). Il est évident que le problème de laplanification ne se pose pas dans les mêmes termes dans lesdeux systèmes. Le deuxième laisse plus d’ouverture pour deschoix ultérieurs et détermine de façon moins rigide les orientations.Mais il suppose un niveau élevé de scolarisation (avec les coûtscorrespondants), et il devrait impliquer un engagement desentreprises à jouer leur rôle dans le processus de formation.

La question de la professionnalisation se pose aussi au niveausupérieur et suscite un problème controversé qui nécessiterait deplus amples développements. Le rôle de l’enseignement supérieurconsiste-t-il d’abord à former des individus cultivés, aptes à une variétéd’activités professionnelles, ou bien à former spécifiquement à desprofessions ? La première solution correspond à la conceptionclassique de l’Université. La seconde répond davantage à unepréoccupation moderne des gouvernements et des pouvoirs publics àla recherche de l’efficacité. Cette préoccupation nous paraît pluslégitime et plus réaliste en ce qui concerne les formations courtesque les formations longues. De toute manière, considérant lesincertitudes sur l’évaluation des besoins, d’une part, et, d’autre part,les exigences d’adaptabilité et d’ouverture d’esprit qui s’imposentaux cadres d’aujourd’hui, la professionnalisation ne peut être pousséetrès loin au niveau supérieur.

La politique annoncée par un certain nombre de pays endéveloppement et visant la professionnalisation de leur enseignementsecondaire a déjà été évoquée dans ce chapitre.

(iii) En supposant que le système scolaire comporte une formation àcaractère professionnel, se pose alors la question du degré despécialisation de cette formation. Plus une formation estspécialisée, plus il est difficile à son bénéficiaire de s’adapter àun autre emploi que celui pour lequel il a été formé. Cet argumentplaide pour des formations larges. Il s’y ajoute le fait quel’évolution récente des techniques et de l’organisation du travailtend à remettre en question la tradition taylorienne du « travail

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en miettes ». On demande de plus en plus aux ouvriers et auxemployés d’être capables d’une compréhension globale d’unenvironnement d’une complexité croissante et de réaliser unemultiplicité de tâches, se référant à une diversité de techniqueset de fonctions dans l’organisation. Aussi l’économie modernese satisfait-elle de moins en moins de formations purementtechniques à des métiers traditionnels faisant surtout appel à dessavoir-faire spécifiques.

Cette perspective conduit à donner la priorité au développementdes capacités de base : expression écrite et orale, analyse et résolutionde problèmes. C’est en même temps une garantie d’adaptabilité àune variété de situations et à des évolutions imprévisibles.

La spécialisation présente le maximum d’inconvénientslorsqu’elle est décidée de bonne heure et prend la forme de filièresn’ayant pas d’autre issue que l’emploi. Ces inconvénients apparaissentlorsque les emplois correspondants ne sont pas disponibles, ou lorsqueceux qui sont formés ne sont finalement pas disposés à occuper cesemplois. Elle risque aussi d’être coûteuse, dans la mesure où il estplus difficile d’ajuster les ressources et les effectifs en formationlorsque celle-ci est fractionnée. À l’opposé, on peut envisagerdifférentes formules plus flexibles :

• La spécialisation progressive, à partir d’un tronc commun. C’estainsi qu’en Allemagne, la refonte récente de la formationprofessionnelle dans le travail des métaux a conduit à unespécialisation en deux temps : une première année est communeà tous, la deuxième année comporte une spécialisation en deuxfilières, et c’est seulement en troisième année que se fait laspécialisation définitive vers des métiers spécifiques. Dans lemême esprit, on peut concevoir qu’à partir d’une formationcommune de base, des formations complémentaires soientlaissées à l’initiative locale, en concertation étroite avec lesresponsables locaux ou les entreprises. S’écartant de sa traditiontrès centralisée, la France s’est orientée dans cette direction audébut des années 1980.

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• Une deuxième formule consiste à ne déterminer qu’un noyaucommun de formation correspondant à des matières de base etgarantissant un minimum d’homogénéité entre les formations.Chaque région ou chaque établissement est ensuite libre de définirles compléments de programmes correspondant à des besoinsspécifiques de la région ou des entreprises locales (ce qui supposeune concertation étroite avec les entreprises).

• La troisième formule est celle des unités de valeur, qu’il estpossible d’assembler de différentes manières et dans des ordresdifférents, permettant une grande variété de combinaisons. Cedispositif, très répandu dans les pays anglo-saxons, et prôné parle Bureau international du travail, est largement diffusé dansl’enseignement supérieur d’autres pays.

• Dans cet esprit, un autre facteur de flexibilité résulte de l’existencede filières de progression au sein du système de formation, encherchant à éviter que certaines formations n’aboutissent qu’à uncul-de-sac. Le système germanique en est un bon exemple. En effet,la grande majorité des jeunes passent par des filières de formationprofessionnelle préparant normalement à des emplois d’ouvrier ouemployé qualifié. Mais, à partir de là, il est toujours possible decontinuer ou de reprendre une formation menant à des qualificationssupérieures, jusqu’au niveau ingénieur ou cadre supérieur. Ce systèmea trois avantages : il donne une plus grande souplesse au système deformation vis-à-vis du marché du travail ; il ne condamne aucunindividu à une impasse ; enfin, il est un facteur d’homogénéité sociale,dans la mesure où il réduit les cloisonnements et la hiérarchie quiexistent entre l’« élite » et les exécutants dans les autres systèmes(qui fonctionnent parallèlement dans les pays germaniques).

L’adaptabilité par l’apprentissage à vie

La formation initiale ne peut répondre totalement, ni aux besoinsdes individus, qui auront rarement la même activité pendant touteleur vie, ni à ceux du marché du travail et de la société qui évoluentconstamment. Cette vérité d’évidence est apparue de plus en plusclairement avec l’accélération de la transformation des emplois liéeà l’évolution des technologies, des structures économiques et desorganisations, ainsi qu’à la mondialisation. Parallèlement, il est

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demandé à la majorité des travailleurs de s’adapter constamment auchangement de leur activité professionnelle et souvent de leur emploi.

C’est pourquoi on constate depuis quelque temps un début deprise de conscience de la nécessité d’un apprentissage tout au longde la vie. Celui-ci fait l’objet d’une littérature surabondante etd’innombrables déclarations d’intention. Mais celles-ci n’ont jusqu’icieu que des effets assez limités. L’application du principe d’undéveloppement de la formation continue implique de résoudre unesérie de questions qui peuvent seulement être évoquées brièvementici : Comment motiver les employeurs, les salariés et la populationdans son ensemble pour que le plus grand nombre bénéficie de cetteformation ? Qui doit l’organiser ? Qui doit la financer ? Commentdoit-elle être reconnue et sanctionnée ?

Ces questions sont liées entre elles. Il faut d’abord admettre enprincipe que la formation continue doit bénéficier aussi bien auxemployeurs qu’aux travailleurs et doit autant que possible intéresserl’ensemble de ceux-ci. Dans la pratique, c’est loin d’être le cas : lescadres bénéficient plus souvent d’une formation continue que lestravailleurs les moins qualifiés. De façon générale, plus on a bénéficiéd’une formation et plus on est demandeur, et réciproquement ; ce quisignifie que la formation des moins qualifiés exige que l’on sorte d’uncercle vicieux en suscitant une motivation pour ceux qui devraient ytrouver un intérêt. Cette motivation, ce peut être la possibilité detrouver un meilleur emploi, ou d’être mieux rémunéré, ou de changerd’emploi dans le cas d’une menace sur l’activité actuelle.

Si l’on admet le principe d’un intérêt général et commun pour laformation continue, il ne doit pas y avoir d’exclusivité, et tous lesacteurs possibles – entreprises, écoles, organismes privés – doiventtrouver leur place sur un marché qui peut être concurrentiel. Ce typed’action se prête mal à une planification très directive, mais davantageà une politique définissant des grands axes, des orientations et desincitations. Cette politique doit notamment chercher un équilibre entreune formation donnée exclusivement au bénéfice de l’entreprise oudu salarié. Le premier cas se produirait si l’entreprise n’apportaitque des apprentissages spécifiques à son activité propre qui, loin depréparer le salarié à une évolution, tendraient au contraire à l’attacher

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à elle. Le deuxième cas correspondrait soit à une formation n’ayantpour fin que l’agrément du salarié, soit à une formation qui lepréparerait au départ. Dans ce cas, l’employeur aurait fait uninvestissement qui bénéficierait à d’autres, et peut-être à desconcurrents.

C’est la concertation sociale qui est le mieux à même de réglerces problèmes. Pour les salariés, il est important que la formationaboutisse à une reconnaissance des acquis ayant une validité en dehorsde l’entreprise. À ce sujet, il faut souligner la tendance suivie assezrécemment par différents pays, notamment en Europe, à la suite duCanada. Il s’agit de chercher à valoriser, non seulement les acquisrésultant d’une formation continue, en relation ou non avec une vieprofessionnelle, mais aussi les acquis de l’expérience professionnelle.Leur reconnaissance peut être utile pour l’intéressé, soit pour luipermettre de reprendre des études, soit vis-à-vis de son employeuret du marché du travail, pour une valorisation utile à sa carrière ouinfluant sur la rémunération. À cet effet, l’une des démarches suiviesconsiste à définir un cadre pour que l’intéressé puisse remplir unportefeuille de compétences, dans lequel il peut faire état de sesexpériences et compétences et des témoignages qu’il peut en donner.

Cette démarche intéressante est souvent restée expérimentaleet n’est pas facile à généraliser. Elle suppose un gros travail individuelde constitution d’un dossier et d’analyse critique de celui-ci. Et elleva à l’encontre des traditions du système éducatif qui, dans beaucoupde pays, tendent à privilégier la reconnaissance des connaissancesscolaires, ne serait-ce que parce qu’elles sont plus faciles à évaluer.Pour celle-ci, il est important d’être prémuni contre la perte liée à unéventuel départ en fin de formation. En même temps, un certainnombre d’entreprises commencent à s’apercevoir qu’il n’est pasnécessairement dans leur intérêt de lier les salariés par une formationtrop spécifique : au cas où elles seraient confrontées à une crise, ilvaut mieux que les salariés aient davantage de possibilités dereconversion. Autrement dit, il apparaît de plus en plus que la politiquede formation continue doit s’intégrer dans une politique globaled’emploi.

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De même, un partage des charges entre employeurs et travailleurs(en acceptant qu’une partie de la formation se déroule en dehors dutemps de travail) semble constituer une solution au problème dufinancement. L’État peut imposer une contribution aux entreprises(par exemple en pourcentage de la masse salariale), mais il estimportant que celle-ci ne soit pas perçue comme une taxesupplémentaire et que les entreprises soient bien convaincues que laformation est pour elles un investissement productif.

Dans différents pays, on observe des tendances à raccorderformation initiale et continue, formation à l’entreprise et à l’école,effort individuel et contribution des employeurs. Un certain nombrede ceux-ci incitent leur personnel à suivre une formation débouchantsur des diplômes techniques ou universitaires et passent des accordsavec des institutions d’enseignement pour que ces objectifs soientatteints en tenant compte de l’expérience professionnelle et en alternantles cours et la pratique professionnelle.

L’adaptabilité du corps enseignant

Les établissements de formation ne peuvent s’adapter que sileurs enseignants eux-mêmes sont en mesure de faire face àl’évolution des besoins de formation, et donc des programmes. Ceproblème ne se pose guère dans l’enseignement général, où leschangements de programmes n’exigent qu’un effort réduit de la partdes enseignants. Il en est différemment pour les formations à caractèreprofessionnel, où l’évolution des techniques et de l’économie peutentraîner non seulement une transformation radicale desconnaissances et des savoir-faire, mais aussi des modificationsimportantes dans la répartition des effectifs de formateurs dans lesdifférentes disciplines. Le problème est crucial dans les pays et lesinstitutions où la formation est scolaire et où les enseignants bénéficientd’un statut de la fonction publique leur garantissant un emploi à vie.Que faire si l’on n’a plus besoin de formateurs en menuiserie, alorsqu’il en faudrait beaucoup plus en informatique ? Il y a peu de chancespour que l’on puisse faire des reconversions entre spécialités sidifférentes. Dans une telle situation, il n’est pas très utile de faire desprévisions élaborées sur les besoins, si l’on ne dispose pas des moyens

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permettant de procéder aux adaptations nécessaires de l’appareil deformation.

Ce problème ne se pose pas dans des pays comme les États-Unis, où il suffit de ne pas renouveler le contrat des formateurs donton n’a plus besoin. Dans beaucoup de pays, et notamment dansl’enseignement supérieur et dans la formation professionnelle, on voitse développer des formules permettant d’employer simultanémentdes enseignants de carrière, attachés de manière stable àl’établissement, et des formateurs répondant à des besoins spécifiqueset venant souvent des entreprises où ils sont employés à titre principal.Toutes les formules, fondées notamment sur le temps partiel, sontpossibles et tendent effectivement à se développer. Ces formulesconstituent sans doute le meilleur compromis, sachant que lesformateurs venant du monde du travail ne sont pas nécessairementplus efficaces que les autres, mais faisant l’hypothèse que leurexpérience plus concrète devrait être complémentaire de l’apportdes enseignants professionnels, supposés mieux formés à la pédagogie.

C’est une des raisons pour lesquelles la coopération école-entreprise doit être développée.

La coopération école-entreprise

Consulter les employeurs ou leurs représentants sur les besoinsde formation – comme on l’a vu ci-dessus – est une chose. Associerles entreprises au processus de formation en est une autre. Cetteassociation peut prendre plusieurs formes.

La plus connue est celle qui est pratiquée en Allemagne, enAutriche et en Suisse sous le nom de « système dual ». Elle consisteà alterner des périodes de scolarité (au minimum un jour par semaine)et des périodes de travail en entreprise (le reste du temps). AuDanemark, il s’agit de périodes consécutives de plusieurs mois. Cesystème est de nature à rapprocher la formation de l’emploi. D’abord,et dans la mesure où les programmes sont définis avec une certainesouplesse, il donne aux entreprises une latitude pour adapter laformation aux conditions d’emploi réelles. Il donne aux jeunes uneexpérience concrète de ce qu’est le monde de l’entreprise. Enfin, il

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contribue à faciliter l’insertion des jeunes et à diminuer le chômagequi les touche, puisque les entreprises recrutent généralement parmiles stagiaires.

Le système dual est également un moyen pédagogique. D’abordparce qu’il contribue à développer la motivation pour la formation(les étudiants savent qu’ils ont une meilleure chance d’être recrutéss’ils ont fait leurs preuves). Ensuite parce qu’il donne la possibilité deconfronter et de compléter l’une par l’autre la théorie et la pratique.C’est l’idée d’alternance que cherchent à mettre en œuvre de plusen plus de pays.

Mais pour que l’alternance soit une réalité, il faut qu’il y aitvéritablement une liaison étroite entre la formation scolaire et laformation en entreprise (ce qui n’est pas toujours le cas dans lesystème dual, dans la mesure où les deux institutions sont totalementséparées et où leur coopération dépend largement de la bonne volontédes deux parties). Il faut aussi que les conditions d’un bon accueildes stagiaires en entreprise soient réunies : définition des étapes d’uneprogression pédagogique et des résultats à atteindre, et surtout suiviet assistance par des tuteurs compétents et motivés. Il faut enfin queles entreprises considèrent leur contribution à cette formation nonpas comme une charge, mais comme un investissement à long termeet comme une responsabilité naturelle. C’est le cas dans la traditiongermanique. C’est beaucoup moins évident dans un cas comme celuide la France, où le développement de l’alternance est un objectifdéclaré de la part des organisations professionnelles et de quelquesgrandes entreprises, mais où il n’est pas certain que la majorité soitprête à suivre leur exemple.

Sans aller jusqu’à l’alternance proprement dite, le développementdes stages en entreprise est recherché un peu partout avec des objectifssimilaires, notamment dans l’enseignement supérieur et la formationà la gestion. Mais ce développement pose d’abord un problème decapacité d’accueil des entreprises (ou autres organismes employeurs).On risque en effet d’atteindre rapidement la limite des possibilitésd’accueil de stagiaires et, à plus forte raison, des possibilités d’offrirune expérience formatrice aux stagiaires, sans perturber lefonctionnement de l’entreprise (ou organisme). L’une des conditions

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nécessaires à la solution de ce problème est l’étalement des stages,qui suppose une souplesse des organismes de formation : c’est à euxde s’adapter aux organismes d’accueil, plutôt que l’inverse.

Un autre avantage de la coopération entre école et entrepriseest de mieux répondre au problème des équipements nécessaires àla formation professionnelle. Avec l’évolution technique accélérée, ilest devenu pratiquement impossible aux établissements de formationde disposer d’équipements modernes fonctionnant dans les conditionsréelles de la production, en raison du coût de ces équipements et del’obsolescence dont ils sont constamment menacés. Trois réponsespeuvent être apportées à ce problème.

La première consiste précisément à envoyer les étudiants enstage, mais elle ne résout pas toujours la question, car certainséquipements sont trop complexes et trop coûteux pour être mis entreles mains de stagiaires temporaires. La seconde consiste à travaillersur des équipements qui simulent le fonctionnement de ceux qui sontutilisés en production, mais sans en posséder toutes les caractéristiques,ce qui les rend moins coûteux. La troisième consiste à obtenir desentreprises la mise à disposition d’équipements, éventuellement dansle cadre d’une coopération plus large comportant une contribution deformateurs et permettant de former un personnel répondant à desbesoins très spécifiques.

La coopération école-entreprise peut prendre des formes diversesavec des échanges mutuels : l’entreprise peut mettre à dispositiondes équipements et des formateurs, mais l’école peut aussi proposerles services de ses formateurs. Elle peut également effectuer destravaux de recherche, d’expérimentation ou d’essais que beaucoupd’entreprises n’ont pas les moyens de faire elles-mêmes, surtout sielles sont de petite taille.

On voit que la coopération école-entreprise offre un potentielconsidérable, tout en posant un certain nombre de problèmes. Cesproblèmes se posent avec une acuité encore plus grande dans lespays en développement, où le nombre d’entreprises capables d’offrirune formation est réduit et où il y a très peu de cadres compétents etdisponibles susceptibles de suivre des stagiaires. Il ne faut pas renoncer

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pour autant à explorer ce type de solution, car la distance entre lemonde de la formation et celui de l’emploi y est souvent encore plusgrande que dans les pays industrialisés, de sorte qu’il est d’autantplus important d’établir des ponts entre les deux mondes.

S’il fallait tenter de résumer en quelques lignes ce long exposé,les points suivants mériteraient d’être mis en relief :

• Une forme de planification est indispensable pour orienter etgérer le système complexe, mais essentiel, que constituel’ensemble des activités d’éducation et de formation. Mais cettenécessité s’impose à des degrés et dans des conditions trèsvariables suivant les contextes nationaux.

• La conception que l’on peut avoir de cette planification acependant considérablement évolué depuis une vingtained’années. Il s’agit moins aujourd’hui de chiffrer un horizon précisà atteindre que d’analyser les évolutions possibles et leursimplications sociopolitiques, financières, techniques etadministratives pour définir des orientations et les moyens de lesatteindre.

• Alors que l’avenir apparaît de plus en plus incertain et que l’onest davantage conscient de la difficulté de passer des plans auxréalisations, la préoccupation majeure doit consister à mettre enplace un système réactif, mieux capable de s’adapter auchangement et de définir les mécanismes et les moyenscorrespondants.

• Cette conception implique notamment une plus grandedécentralisation des décisions et une plus grande concertationentre les nombreux partenaires concernés par le choix desorientations et par la mise en œuvre des moyens. La fonction dela planification consiste notamment :– à éclairer la concertation, qui doit contribuer à une meilleure

anticipation de l’avenir et à une meilleure efficacité desajustements ;

– à veiller à la cohérence entre grandes orientations, décisionsdécentralisées et réalisations (par une évaluation régulièredes résultats).

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Nouvelles technologies et mondialisation

Dans le domaine de l’éducation comme dans bien d’autres, lalittérature récente est dominée par deux thèmes : l’impact desnouvelles technologies de l’information et de la communication etcelui de la mondialisation. Ces deux thèmes sont liés entre eux deplusieurs manières : les nouvelles technologies de la communicationsont un important facteur d’accélération de la mondialisation et,réciproquement, c’est du fait de la mondialisation que les technologiesse sont diffusées si rapidement. On peut considérer que ces évolutionsont trois types de conséquences sur les problèmes traités dans cetouvrage.

(a) En premier lieu, il est clair que la mondialisation et les nouvellestechnologies contribuent à l’intensification de la concurrence àtous les niveaux : entre pays, entre entreprises et entre individus.À chaque niveau également, la compétitivité ne se fonde passeulement sur le coût de la main-d’œuvre (ce qui donneraitl’avantage aux plus pauvres), mais au moins autant sur saqualification (ce qui donne une importance de plus en plusessentielle à la formation). Alors que les nouvelles technologiestendent à supprimer les tâches simples et répétitives effectuéeshabituellement par la main-d’œuvre non qualifiée, un personnelbien formé est indispensable pour la production des biens et desservices innovants, de qualité, à forte valeur ajoutée, qui sontcompétitifs sur le marché. Par ailleurs, le renouvellement accélérédes technologies contribue à l’obsolescence rapide desqualifications et rend d’autant plus nécessaire la généralisationde l’apprentissage à vie, évoquée par ailleurs.

Mais l’intensification de la concurrence et les restructurationsqu’elle entraîne ont aussi d’autres effets plus négatifs. Ils ne sont passans relation avec l’aggravation du chômage dans beaucoup de payset surtout avec le développement de formes atypiques d’emploi, dela flexibilité, de l’instabilité et de la précarité. Ces évolutions affectentd’abord les conditions d’emploi, mais peuvent aussi avoir des effetsindirects sur la formation. Une instabilité et une mobilité plus grandespeuvent dissuader les entreprises d’investir dans la formation, demême que le risque de débauchage entre entreprises (BIT, 1998).

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Au total, on constate déjà une tendance à l’aggravation desinégalités entre pays et entre individus, dont on peut craindre qu’ellene se renforce, dans un contexte de libre concurrence, cette inégalitéaffectant simultanément la formation, l’emploi et les revenus.

(b) Cela pose le problème de l’interdépendance croissante deséconomies, des politiques et des cultures. La mondialisation etl’interdépendance impliquent que les pays n’échappent plus auxfluctuations internationales et qu’ils ont de moins en moins lamaîtrise de leur rythme de croissance, avec tout ce que celaimplique, notamment en termes de ressources budgétaires. Parrapport au thème de cet ouvrage, ce contexte ne fait qu’accroîtreles incertitudes sur l’avenir et la difficulté de la prévision.

L’interdépendance signifie aussi que peu de pays échappent àl’influence des grands courants internationaux, qui jouent actuellementdans le sens de la diminution du rôle de l’État, de la libéralisation etdu renforcement des mécanismes de marché, de la privatisation etde la décentralisation. Cette influence peut être diffuse, dans la mesureoù elle résulte simplement des échanges et des rencontres entrereprésentants de différents pays, par exemple au sein de certainesorganisations : au minimum, on peut n’y voir qu’un effet de mode.Mais elle peut aussi s’exercer de manière beaucoup plus concrète,dans la mesure où elle est liée à une assistance financière outechnique, qui peut être conditionnée par des exigences ou despressions s’exerçant sur la pays bénéficiaire.

La diminution du rôle de l’État peut résulter aussi bien de lalimitation de ses ressources que d’un choix politique. On peut penserque les analyses contenues dans cet ouvrage vont à contre-courantde cette évolution, puisqu’elles supposent un rôle central des pouvoirspublics. Mais il est important de clarifier deux points :

– s’il est essentiel de coordonner un certain nombre d’orientationset de décisions au niveau national, elles ne doivent pas toutesrelever de l’État central. Il est souhaitable qu’elles soientdéléguées pour une large part aux provinces, régions, districtsou municipalités. Plutôt que du rôle de l’État, on devrait doncparler davantage de celui des pouvoirs publics ;

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– le maintien ou même le renforcement du rôle de ceux-cipeuvent être compatibles avec une limitation de leur champd’intervention. C’est la conception actuelle de lagouvernance, qui implique que les pouvoirs publics en généralet l’État en particulier jouent d’abord un rôle d’orientation,d’animation et de coordination, mais n’assurent pasnécessairement par eux-mêmes la mise en œuvre desorientations.

On peut observer, d’un pays à l’autre, toute une gammed’évolutions des orientations déclarées et des pratiques, qui peuventaller plus ou moins loin dans cette direction. En matière d’éducation,une tendance à la privatisation peut résulter aussi bien de décisionspolitiques que de la limitation des ressources dont peut disposer l’État.Cela peut conduire à favoriser la privatisation de certains élémentsdu secteur éducatif et le développement des écoles privées. Plusfréquemment, notamment dans les pays anglo-saxons et dans ceuxqui subissent leur influence, on constate un renforcement desmécanismes de marché dans la gestion des établissements. Ils ontune responsabilité accrue dans leur gestion et la recherche definancements ; ceux-ci peuvent être proportionnés à la progressionde leurs effectifs et la concurrence peut être encouragée.

(c) L’utilisation des nouvelles technologies dans l’enseignement etla formation progresse incontestablement, mais on peut avoirdes points de vue différents sur le rythme de cette progression.D’un côté, on pourrait s’attendre à un développement importantde l’apprentissage par les nouvelles technologies et notammentpar Internet (e-learning), dans l’enseignement initial et surtoutdans la formation continue. Il pourrait y avoir une série deconséquences. Le processus d’apprentissage, devenant plusinformel et virtuel, échapperait de plus en plus à toute forme decontrôle institutionnel sur les effectifs, les flux et leur prévision.Les contenus de formation relèveraient davantage d’une logiqueconcurrentielle et marchande, ce qui ouvrirait la porte à uneinternationalisation et éventuellement à une domination mondialepar des firmes multinationales, au moins dans certains domaines.Dans ces conditions, un processus de planification à caractère

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national, centré sur la prévision et l’orientation des élèves dansdes institutions de formation, perdrait une grande partie de sasignification.

Si cette vision a effectivement commencé à se concrétiser danscertains pays et dans certains domaines très spécifiques, on peut luiopposer une vision beaucoup plus conservatrice. Elle souligneraitd’abord que l’équipement en nouvelles technologies des pays moinsdéveloppés est encore excessivement limité et risque de le resterlongtemps, le risque étant plutôt celui de l’aggravation du fossénumérique entre pays et entre catégories sociales. D’autre part, onpeut s’attendre à la persistance, pour encore longtemps, d’un systèmeéducatif fondé principalement sur la présence d’élèves et d’étudiantsdans des institutions nécessitant d’importants investissements qu’ilfaut prévoir et destinés à s’intégrer sur un marché du travail. Enfin,on peut supposer que c’est dans le domaine de l’éducation, élémentessentiel de la transmission des cultures, souvent marqué par leconservatisme, que la résistance à la mondialisation sera la plus forte.

Il y a vraisemblablement une part de réalité dans ces deuxanalyses. Même si elle ne devait jouer qu’un rôle marginal et ne seconcrétiser qu’à long terme, la première ne peut être totalementnégligée. C’est une illustration supplémentaire de l’idée centrale decet ouvrage : dans le domaine qui nous intéresse, il n’existe pas devérité universelle ni de réponse définitive ; il s’agit d’aborder unprocessus permanent dans un esprit d’ouverture, de pragmatisme etd’adaptabilité constante.

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Publications et documents de l’IIPE

Plus de 1 200 ouvrages sur la planification de l’éducation ont été publiéspar l’Institut international de planification de l’éducation. Un cataloguedétaillé est disponible ; il présente les sujets suivants :

Planification de l’éducationGénéralité– contexte du développement

Administration et gestion de l’éducationDécentralisation – participation – enseignement à distance – carte scolaire –enseignants

Économie de l’éducationCoûts et financement – emploi – coopération internationale

Qualité de l’éducationÉvaluation – innovations – inspection

Différents niveaux d’éducation formelleDe l’enseignement primaire au supérieur

Stratégies alternatives pour l’éducationÉducation permanente – éducation non formelle – groupes défavorisés –éducation des filles

Pour obtenir le catalogue, s’adresser à :IIPE, Unité de la communication et des publications

([email protected])Les titres et les résumés des nouvelles publications peuvent être consultés

sur le site web de l’IIPE, à l’adresse suivante :www.unesco.org/iiep/

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L’Institut international de planification de l’éducation

L’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) est un centre international,créé par l’UNESCO en 1963, pour la formation et la recherche dans le domaine de laplanification de l’éducation. Le financement de l’Institut est assuré par l’UNESCO etles contributions volontaires des États membres. Au cours des dernières années, l’Instituta reçu des contributions volontaires des États membres suivants : Allemagne, Danemark,Inde, Irlande, Islande, Norvège, Suède et Suisse.

L’Institut a pour but de contribuer au développement de l’éducation à travers le mondepar l’accroissement aussi bien des connaissances que du nombre d’experts compétentsen matière de planification de l’éducation. Pour atteindre ce but, l’Institut apporte sacollaboration aux organisations dans les États membres qui s’intéressent à cet aspectde la formation et de la recherche. Le Conseil d’administration de l’IIPE, qui donneson accord au programme et au budget de l’Institut, se compose d’un maximum de huitmembres élus et de quatre membres désignés par l’Organisation des Nations Unies etpar certains de ses institutions et instituts spécialisés.

Président :

Dato’Asiah bt. Abu Samah (Malaisie)Directrice, Lang Education, Kuala Lumpur, Malaisie.

Membres désignés :

Carlos FortínSecrétaire général adjoint, Conférence des Nations Unies sur le commerce et ledéveloppement (CNUCED), Genève, Suisse.

Edgar Ortegón (Colombie)Directeur, Division de la programmation des projets et investissements, Institutde la planification économique et sociale (ILPES) pour l’amérique latine et lesCaraïbes, Santiago, Chili.

Joseph M. Ritzen Vice-Président, Human Development Network, Banque Mondiale, Washington

DC, États-Unis d’Amérique.Ester Zulberti (Argentine)

Chef, Service de la vulgarisation, de l’éducation et de la communication, Divi-sion de la recherche, de la vulgarisation et de la formation, Organisation desNations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Membres élus :

José Joaquín Brunner (Chili)Directeur, Programme d’Éducation, Fundación Chile, Santiago, Chili.

Klaus Hüfner (Allemagne)Professeur, Université Libre de Berlin, Berlin, Allemagne.

Zeineb Faïza Kefi (Tunisie)Ambassadrice extraordinaire et plénipotentiaire de Tunisie en France, Déléguéepermanente de Tunisie auprès de l’UNESCO.

Philippe Mehaut (France)Directeur adjoint, Centre d’études et de recherches sur les qualifications,Marseille, France.

Teboho Moja (Afrique du Sud)Professeur de l’enseignement supérieur, Université de New York, New York,États-Unis d’Amérique.

Teiichi Sato (Japon)Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et Délégué permanent du Japonauprès de l’UNESCO.

Tuomas Takala (Finlande)Professeur, Université de Tampere, Tampere, Finlande.

Pour obtenir des renseignements sur l’Institut, s’adresser au :Secrétariat du Directeur, Institut international de planification de l’éducation,

7-9, rue Eugène Delacroix, 75116 Paris, France.

Institut international de la planification de l'éducation www.unesco.org/iiep