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1 Plantes génétiquement modifiées : controverses, communication et idéologies. Doctorant : Jean Paul Oury Directeur de thèse : Claude Debru Doctorat d'Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques Année 2003-2004

Plantes génétiquement modifiées, controverse, communication et idéologie

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La thèse de doctorat en histoire des sciences et technologie de Jean-Paul Oury : un traitement interdisciplinaire de la thématique des OGM qui aborde le sujet du point de vue de l'histoire des sciences et technologie, de la communication et de l'histoire des idées. Jean-Paul Oury est également l'auteur de la Querelle des OGM aux PUF et de OGM moi non plus chez Livrebusiness.com

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Plantes gntiquement modifies : controverses, communication et idologies. Doctorant : Jean Paul Oury Directeur de thse : Claude Debru

Doctorat d'Epistmologie, Histoire des Sciences et des Techniques Anne 2003-2004

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Prambule Tout, ou presque, a dj t dit sur la controverse des Plantes Gntiquement Modifies. Ce sujet dactualit a russi captiver lattention des historiens, des sociologues, des journalistes, des juristes et, bien videmment, des biologistes eux-mmes. Aussi, ce travail est une synthse interdisciplinaire des problmatiques souleves par le sujet. Il y a quelques annes de cela, nous avons eu recours une mthode similaire pour traiter des chimres embryologiques au cours dun mmoire de DEA effectu Strasbourg sous la direction de Claude Debru1. Nous avions procd alors un essai de classification des diffrents types de chimrismes raliss en embryologie exprimentale dans le cadre de travaux de recherche fondamentale sur le dveloppement de lembryon et la formation du systme immunitaire. A lpoque, tudiant en philosophie, ce mmoire nous avait donn loccasion de mener une rflexion sur les modifications du vivant. Aussi, au travers du sujet des PGM, nous souhaitons poursuivre ce questionnement philosophique en y ajoutant une tude sur les controverses scientifiques et la polmique mdiatique qui lui sont lies. Ces deux sujets sont pour nous du plus grand intrt, puisque aujourdhui, professionnel de la communication, nous avons t sensibilis par les nombreux problmes soulevs par le dbat sur les PGM et le dialogue impossible entre les industriels et les consommateurs. De mme, lattitude des mdias et linfluence des groupes environnementalistes sont deux sujets qui ont attir notre attention. Quel rapport peut-on trouver alors entre une rflexion philosophique sur les modifications du vivant, une controverse scientifique et une polmique mdiatique ? Et quel est lintrt dun tel travail ? Dun point de vue thorique, les nombreuses implications idologiques du dbat ont t pour nous un vecteur de recherche. Dun point de vue professionnel, lobjectif que nous nous sommes fix est de mettre en place une mthode danalyse des valeurs en prsence dans le cadre particulier dune situation de remise en question dune technologie. Aussi, il nous a sembl intressant de voir de quelle manire un conflit de valeurs peut bloquer la progression de la technologie au point dtre capable de remettre celle-ci en cause. Nous avons donc unifi plusieurs problmatiques au sein dune seule et mme dmarche de rflexion afin davoir une vision globale. Aussi, notre objectif tait moins

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Conditions de possibilits, ralisations et significations des chimres embryologiques. , ULP Strasbourg, 95

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dtablir un corpus exhaustif de connaissances sur les PGM que de relier le dveloppement des diffrents arguments tous les niveaux. Cest ainsi que le volet historique dessine le tableau des biotechnologies dans lequel ont merg les PGM et recadre le sujet en amorant une rflexion qui situe les PGM par rapport aux biotechnologies et aux autres crises alimentaires. Ltude des controverses scientifiques sur les PGM, quant elle, est une slection de certains cas significatifs en vue dun travail pistmologique dexplication et de classifications. De mme, concernant la 3me partie, notre objectif est dtudier la polmique publique des PGM en rattachant cette tude une problmatique communicationnelle. Quant la partie philosophique, elle tente de mettre au jour les idologies en prsence et propose une rflexion directement applique la problmatique des PGM. On est conscient des limites de cette mthode en ce sens que chacun des sujets abords ici pourrait donner lieu des recherches plus approfondies. Cependant, par un embotement des diffrentes problmatiques, nous pensons tre arriv un travail cohrent qui donne une origine axiologique au dbat. Ce travail devrait pouvoir servir de base la mise en place dune nouvelle stratgie des valeurs en vue de rtablir le dialogue devenu impossible.

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Sur les transgniques, nous ne voulons pas un dbat idologique mais un dbat scientifique. Luiz Inacio Lula da Silva, prsident du Brsil.

Etre contre les biotechnologies, c'est comme tre contre les mathmatiques. Paulo Pimento, dput PT du Rio Grande do Sul.

Citations extraites de Libres OGM au Brsil , par Daniel Vernet. Article paru dans le Monde du 25.11.03..

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Table des matires 1.Introduction 2. Des origines de la technologie la polmique 2.1. De la dcouverte de lADN ses applications 2.1.1. Dfinition et origine du terme biotechnologie 2.1.2. Le gnie gntique appliqu aux micro-organismes 2.1.3. La thrapie gnique 2.1.4. Les biotechnologies animales et vgtales: le principe de la transgense 2.2. Application du gnie gntique aux biotechnologies vgtales 2.2.1. De la slection dite classique aux PGM 2.2.2. Les techniques de la transgense vgtale 2.2.3. Panorama de lindustrie des PGM 2.3. Origine de la controverse et comparaison avec les crises agro-alimentaires 2.3.1. Asilomar,1975 : une controverse scientifique sur laspect thique des OGM 2.3.2. Anvers, 1996 : naissance dune polmique mdiatique sur les PGM 2.3.3. Spcificit du cas des PGM par rapport aux autres crises alimentaires 3. Dveloppement des controverses au niveau des experts 3.1. PGM et risques alimentaires : le principe dquivalence en question 3.1.1. Dfinition du principe dquivalence en substance 3.1.2. PGM et risque dallergie 3.1.3. Le risque dun transfert du transgne lorganisme 3.1.3.1. Les principes du transfert horizontal 3.1.3.2. Le cas des gnes de rsistance aux antibiotiques 3.1.3.3. Laffaire Pusztai 3.1.4. Conclusion sur lquivalence en substance et les risques alimentaires 3.2. PGM et risques environnementaux : le principe de prcaution en question 3.2.1. De la prcaution en gnral 3.2.1.1. De la prcaution comprise comme une forme de prudence 3.2.1.2. Du principe de prcaution au principe de responsabilit 3.2.1.3. Des applications concrtes du principe de prcaution 3.2.1.4 Discussion 3.2.2. Le mas Bt et la gestion du risque de rsistance

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3.2.2.1. A lorigine du mas Bt 3.2.2.2. De lusage du mas Bt : avantages et prcautions 3.2.2.3. Vers une gestion de la rsistance 3.2.2.4. Le rapport BRAD de lEPA 3.2.2.5. Critiques de la re-registration de lHDR par lEPA 3.2.3. Des effets non-intentionnels du mas Bt 3.2.3.1. La re-registration du mas Bt partir des donnes existantes 3.2.3.2. Laffaire du papillon monarque 3.2.3.3. Lappel contribution de lEPA 3.3.4 Conclusion sur le principe de prcaution et les risques environnementaux 3.3. Dveloppement de la controverse au niveau de lexpertise socio-conomique 3.3.1. Un dveloppement gographique contrast, une progression constante 3.3.2. Estimer les avantages des biotechnologies 3.3.3. La Faim dans le monde : prtexte ou argument ? 3.4. Synthse des controverses au niveau des experts 4. Aspects publics, mdiatiques et communicationnels 4.1. P.G.M. et opinion publique 4.1.1. Les rsultats de lEurobaromtre et ses interprtations 4.1.2. La dmystification du P.A.B.E et la mthode des focus group 4.2. Les P.G.M. dans les mdias : parti pris ou dsinformation ? 4.2.1. Le rle des mdias dans la perception des PGM 4.2.2. Lectures quantitatives de la presse crite 4.2.3. Etudes qualitatives du suivi mdiatique 4.2.3.1. Laffaire du papillon monarque : gnralisation du risque 4.2.3.2 Le Golden Rice : dconsidration des avantages 4.2.4. Bilan des tudes quantitatives et qualitatives des mdias 4.3. P.G.M. et stratgies de communication 4.3.1. La stratgie des grands groupes : Monsanto 4.3.2. La stratgie des ONG environnementalistes : Greenpeace 4.3.3. Nouvelle rvolution verte ou cataclysme cologique ? 4.3.4 Lopinion publique et la Nature des PGM 4.4 Synthse sur les aspects publics, mdiatiques et communicationnels

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5. Le nouveau rapport technologie-nature lorigine du problme 5.1. La thse naturaliste 5.2. La thse techniciste 5.3. De la nature de la transgense vgtale et des plantes gntiquement modifies 6. Conclusion Bibliographie Index des noms Index des choses

410 412 427 441 468 477 498 500

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1. Introduction Alors que le nombre dhectares de cultures gntiquement modifies augmente partout dans le monde de manire significative2, que la seconde gnration de plantes avantages directs pour le consommateur sapprte entrer sur le march3 et que lUnion Europenne lve progressivement le moratoire4 moratoire qui date de juin 1999 et qui interdisait lintroduction de nouveaux vnements sur les PGM (Plantes Gntiquement Modifies5), tous les problmes sont loin dtre levs en ce qui concerne le dveloppement de cette technologie agronomique en Europe en gnral et en France en particulier. Il a fallu peu dannes aux promoteurs des plantes gntiquement modifies pour sapercevoir que le plus grand obstacle au progrs de cette technologie se situait essentiellement au niveau de lopinion gnrale6, et ce, surtout sur le vieux continent. Aussi, les tudes sur lorigine du rejet des PGM par lopinion publique ne manquent pas. Celles-ci ont permis de produire un certain nombre dexplications qui rendent compte de lorigine du blocage. Toujours est-il que les PGM continuent de susciter la dfiance et mme, ont permis, dans un certain sens, dautres pratiques agricoles de prendre appui sur cette critique pour se dvelopper. Quobserve-t-on aujourdhui ? La technologie simpose et ses principaux opposants continuent de protester fortement7. On a trouv un compromis ce statu quo dans2

Un rapport sur la production mondiale annonce quune superficie de 67,7 millions dhectares, a t cultive en 2003. Clive James, ISAAA (International Service for the Acquisition of Agribiotech Applications), Global Status of Commercialized Transgenic Crops. http://www.isaaa.org/, 2004. 3 Matthieu Quiret, Une nouvelle vague dOGM dici 5 ans , Les Echos, mardi 4 mai 2004. 4 Marc Mennessier, L'Europe s'entrouvre aux OGM, Aprs avoir mis en place un nouveau systme d'tiquetage et de traabilit, Bruxelles lve le moratoire , Le Figaro, 25 octobre 2003 ; Pierre Avril, La Commission europenne va dcider officiellement d'autoriser la mise sur le march europen du BT 11. Bruxelles va autoriser un mas transgnique , Le Figaro, 14 mai 2004. Yves Miserey, Bruxelles brise le tabou des OGM. La Commission de Bruxelles devrait donner son feu vert pour la commercialisation d'un mas gntiquement modifi. Le Figaro, 19 mai 2004. 5 Nous choisissons demployer le terme PGM pour plante gntiquement modifie dans notre expos, au lieu dOGM et ce, par un souci de prcision. En effet, le terme OGM (organisme gntiquement modifi) qui est plus gnralement utilis renvoie lensemble des applications de la transgense. Notre travail ne porte que sur la transgense vgtale dont les applications servent dans le domaine agro-alimentaire. Lorsque nous employons le terme OGM , cest dans le cadre dune citation ou entre guillemets pour signifier lemploi du terme quand celui-ci est utilis avec une connotation ngative. 6 Lorsque nous employons des notions comme consommateurs , opinion publique ou grand public , cest toujours en conservant lesprit les rsultats des tudes sociologiques qui ont t faites ce sujet. Cependant, nous avons parfaitement conscience du caractre systmatique de ces expressions. En effet, certaines tudes ont montr que les opinions sur les PGM variaient en fonction des individus, surtout lorsquon les interroge en particulier. Aussi, notre objectif nest pas de dterminer ce que pense lopinion publique (ce travail a dj t fait), mais de comprendre ce qui dans la technologie a fait problme. Autrement dit, notre question est quest-ce qui fait que la transgense vgtale est devenue une source de problme, aussi bien pour les experts que pour les non-experts ? Il sagit donc plus dtudier la technologie en soi que les ractions de lopinion publique par rapport la technologie. 7 Rpondant la question Les Franais ont-ils peur des OGM ? , Pierre-Benot Joly affirme : Non,

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ltablissement de procdures de traabilit et dtiquetage. Si on ne peut que se fliciter dans les deux camps dun tel progrs - en effet, ceux qui croient fermement en la vertu des PGM considrent ces directives comme un label qui permettra terme, cest--dire, lorsque les PGM prsenteront des avantages directs pour le public de distinguer un avantage lorsque celui-ci sera clairement peru - et pour les consommateurs prudents ou les farouches opposants, cette dcision devrait permettre de clarifier une situation et tre source dun regain de confiance. Il ne sagit pourtant l que de demi-mesures et on peut penser quaucune des deux parties ne sera satisfaite sans que lon ait une vritable comprhension de ce que sont les PGM et la transgense vgtale. En disant cela, nous ne tentons pas de remettre au got du jour la thse selon laquelle un individu doit comprendre la technologie pour laccepter ; sil y a sans doute l une part de vrit, il nous parat plus important de dvoiler les prsupposs idologiques qui ont jou le rle dun frein au dialogue aussi bien au sein de la communaut scientifique quentre les industriels et les consommateurs. Or comment expliquer le fait que les PGM aient cristallis elles seules autant de problmes et soient devenues une source de conflits aux frontires de la politique agricole, des mouvements environnementalistes, de la dynamique industrielle et du march de la grande distribution ? Pour cela, il est ncessaire de retourner lanalyse de la technologie en elle-mme et la dfinition du statut dune plante gntiquement modifie. Car trop souvent on a rduit le dbat une querelle politique et on a utilis les PGM comme le prtexte un autre dbat. Si les scientifiques, les institutions et les industriels, la suite de quelques msaventures, ont bien compris quune technologie ne pouvait simposer indpendamment de la volont du plus grand nombre et quil fallait en passer par un dbat, il est galement ncessaire de clarifier la position des opposants la technologie. En effet, dun point de vue naf, on peut stonner du fait quune technologie qui est prsente par certains spcialistes comme une vritable rvolution ne russisse pas simposer8, alors que, comparativement aux autres technologies, elle ne semble pasaucune enqute ne le montre. Ce qui est trs particulier, c'est le fait que les OGM ont cristallis toute une srie de nouvelles questions sur la gestion des pratiques agricoles. En fait, le dbat dborde la stricte problmatique des OGM : Quel projet pour l'agriculture et l'alimentation franaises ? Quelles sont les implications des brevets ? En mme temps, le dbat porte sur l'organisation de l'expertise et sur les politiques de recherche. L'importance de ces thmes est lie la place des organisations altermondialistes, notamment la Confdration paysanne et Attac. Depuis 2001, ces organisations mnent des campagnes de destruction des essais au champ, ce qui provoque de fortes ractions d'une partie des scientifiques. De nombreux maires de communes rurales ont pris des arrts d'interdiction des essais, eux-mmes relays par certains conseils rgionaux. Pierre-Benot Joly, chercheur l'Inra, La mfiance franaise dcrypte par un sociologue , propos recueillis par Yves Miserey, le Figaro, 19 mai 2004. 8 L'ventuelle autorisation du "Bt-11" par la Commission aprs l'chec des Etats s'entendre provoque une polmique le Monde du 13.05.04.

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prsenter ni plus ni moins de danger. Ne pratique-t-on pas son propos trop souvent lamalgame ? En effet, dans un numro dat du mois de juillet 1999, le Monde Diplomatique offre sa premire de couverture ainsi quune pleine page intrieure Franois Dufour, agriculteur et porte-parole de la Confdration Paysanne. A la lecture du titre : Dioxine, vache folle, OGM, Les savants fous de lagro-alimentaire , les PGM subissent une lourde charge: La fin du millnaire voit monter une grande peur inattendue : celle de la nourriture quotidienne. De la vache folle au poulet la dioxine, en passant par le buf aux hormones, le soja transgnique, les farines au jus de cadavre donnes aux animaux de boucherie ou aux poissons dlevage, leau minrale et le coca-cola contamins, la liste sallonge des produits de consommation frelats. Un fil rouge relie ces drives : la poursuite maximale du profit par les firmes gantes de lagro-alimentaire qui sont en train de transformer lagriculture en une industrie o le paysan na plus sa place. 9 Ces quelques lignes propagent la confusion : les PGM sont prsentes au mme niveau que toutes les autres crises de lagro-alimentaire, elles ont t inventes par des scientifiques irresponsables et leur application a t dveloppe par des industriels cupides et sans foi, ni loi. Lauteur les met au mme niveau que les autres crises alimentaires qui ont secou la socit. Il faut donc que la priori gnral de la nocivit de la technologie soit largement rpandu pour quun tel ditorial paraisse la une dun journal aussi reprsentatif. Mais on laura compris, il sagit ici dune tribune politique. Aujourdhui, lopinion selon laquelle la prsence de PGM sur le march est une source de problmes et dinconvnients semble bien ancre dans les murs et la chasse aux OGM est ouverte. On est pass de la question les PGM sont-ils une source de risques ? (question laquelle on na toujours pas donn de vritable rponse) la question comment faire pour les ostraciser? Ainsi, en France, le magazine Que choisir ? du mois de juin 2002 rvle au consommateur prudent quon lui cache les OGM et que sur 80 produits analyss, 16 sont positifs 10. Sur quels arguments lopinion dfavorable aux applications de la transgense vgtale11 se fonde-t-elle ? Comment expliquer que les PGM qui, depuis 20 annes9

Franois Dufour, Dioxine, Vache Folle , OGM, les savants fous de lagroalimentaire , Le Monde Diplomatique, Juillet 1999, p.1. 10 Les OGM cachs , magazine Que Choisir ?, n394, juin 2002. 11 Dans le livre les Biotechnologies en dbat , on trouve les rsultats dun sondage effectu au cours de lhiver 2000/2001 ; la question encourageriez-vous la modification gntique dun fruit ou dun lgume pour quil ait meilleur got, seul 2% de la population interroge est tout fait favorable alors que 57% est dfavorable. Les Biotechnologies en dbat, pour une dmocratie scientifique, Editions Balland, Paris 2002, p.126

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maintenant, sont prsentes grand renfort de moyens par les scientifiques et les industriels, comme la solution moyen terme pour rsoudre le problme de la faim dans le monde , naient pas russi sduire et voient natre chaque jour un plus grand nombre de dtracteurs ? Comment expliquer le fait que cette technologie qui a rvolutionn lhistoire de lagronomie et a ft ses 20 ans en 200312 reste toujours prsente comme une rgression ? Mme si de nombreuses explications ont dj t proposes, cette situation nous a paru surprenante pour les raisons suivantes13 : En France, on ne peut pas dire que le public ait t expos directement aux PGM. Par exemple, le consommateur nest quasiment jamais en contact avec des lgumes gntiquement modifis14. On ne trouve pas de tomates transgniques sur les talages de la grande distribution. En ce qui concerne les agriculteurs maintenant, un moratoire15 a suspendu la dissmination grande chelle des plantes gntiquement modifies et ils continuent davoir principalement recours aux semences issues de la slection classique. Les seuls PGM qui sont cultivs sur le sol franais le sont titre exprimental et les industriels doivent en rfrer la Commission du Gnie Biomolculaire16. En outre, La procdure veut que tous les essais raliss en plein champ soient dcids aprs un examen minutieux du dossier prsent par le ptitionnaire, que celui-ci soit une entreprise prive ou appartienne au secteur public. Si quelques citoyens peuvent connatre un proche ou lami dun proche qui a t atteint par la version de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dont il a t constat qu'elle tait similaire l'ESB, ou encore avoir contract le VIH la suite dune transfusion sanguine personne ne peut affirmer quil connat un proche qui prsenterait des

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Si une longue aventure a prcd la naissance de la toute premire plante transgnique, on peut dater celle-ci lanne 1983, suite aux travaux de lquipe belge de Marc Van Montagu et de lquipe amricaine de Marie Del Chilton. 13 Ces remarques prliminaires ont pour but de retracer ltonnement qui a t lorigine de notre travail. 14 En Angleterre, la socit Zeneca a introduit sur le march une pure base de tomates gntiquement modifies qui a connu un succs non ngligeable pendant un certain temps ; cette tomate nest plus commercialise actuellement. 15 Cest en juin 1999, que lUnion Europenne a dcid de lapplication dun moratoire concernant la production de PGM sur le sol europen. 16 En 2000, 62 dossiers de plantes ont donn lieu des mises en culture dans environ 125 communes. Rapport 2000 de la CGB, La documentation franaise.

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symptmes la suite de lingestion de mas transgnique. En dautres mots, on na pas encore dtect de maladie des OGM 17. On peut supposer que cette raction ngative a pour origine une attitude prudente fonde sur le manque de recul (absence dexprience spatio-temporelle en plein champ ou sur les talages) ; pourtant il est toujours possible de sinstruire des rsultats qui ont t obtenus outre-Atlantique o lon cultive dsormais les plantes gntiquement modifies grande chelle et ce, depuis maintenant presque 10 ans18. Si lon considre le cas particulier des Etats-Unis, o consommateurs et agriculteurs sont exposs de manire directe aux plantes gntiquement modifies, alors, on constate que lattitude rfractaire a mis beaucoup plus de temps merger et ne sexprime pas de la mme faon19. En outre, sil est vrai que pour comparer on doit tenir compte des diffrences socioculturelles, il ne faut pas cependant oublier quun pays sest trouv directement aux contacts des PGM alors que lautre nen a fait quune exprience indirecte. Dans les deux cas, une fois de plus, le point commun est labsence de dtection daccident notoire qui aurait pu entraner des dommages pour la sant, voire lexistence des individus. Il est vrai que le consommateur franais peut avoir le sentiment dtre soumis aux PGM indpendamment de sa volont par lintermdiaire des animaux nourris aux crales ou des produits transforms imports des Etats-Unis ou des autres pays producteurs de PGM17

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. On

Nous ne cherchons pas ici des arguments pour dmontrer labsence de risque des PGM. En effet, comme chacun, nous nous rangeons derrire largument selon lequel labsence de preuve nest pas une preuve dabsence . On ne peut pas prsumer de lexistence de risques potentiels et le principe de prcaution doit tre appliqu. Cependant, ce que nous observons aujourdhui, cest que, alors quil y a effectivement absence de preuve (ici, absence daccident), le sujet des PGM est prsent dans les mdias sur un ton catastrophiste similaire celui des crises alimentaires o il y a eu effectivement accident , donc preuve. 18 Concernant, par exemple, les seules plantes rsistantes aux herbicides, un rapport dit par les services de recherche conomique de lUSDA, nous apprend que la surface cultive de soja gntiquement modifi est passe de 17 % en 1997 68 % en 2001. Adoption of Bioengineered Crops / AER-810 Economic Research, Service/USDA. 2001 19 Pierre-Benoit Joly, Grald Assouline, Dominique Krziak, Juliette Lemari, Claire Marris, Alexis Roy, INRA Grenoble, Collectif sur les risques, la dcision et Lexpertise (CRIDE), chapitre le face face Etats-Unis Europe , in Linnovation Controverse : Le Dbat Public Sur Les OGM en France Rapport Janvier 2000, p.161 ; et aussi, Analyse conomique du dveloppement des cultures base d'organismes gntiquement modifis aux Etats-Unis , Avril 2001. 20 Ainsi comme le rsume Claude Fischler dans une intervention : Si en plus de subir un risque quon vous impose, vous prenez conscience ou vous pensez quil profite quelquun et pas vous, vous tes videmment dans une situation beaucoup plus mobilisatrice que si le risque est gratuit pour tout le monde. Arriv ce point, les gens pensent toujours aux Ogm Avec un risque dont on ne connat pas limportance, qui vous est impos parce que vous navez aucun contrle sur ce que vous allez absorber et qui, en plus, profite dautres plutt qu vous. Il ny a mme aucune promesse pour

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comprendra aussi que, la suite des nombreuses affaires qui ont t mises en exergue, lon considre comme un vritable problme labsence dtiquetage dun produit suppos dangereux. Labsence de choix et le manque dinformation sur la transgense vgtale peuvent tre perus comme un double obstacle la consommation. Si on ajoute cela le manque de confiance et labsence des citoyens dans les instances dcisionnelles, alors on comprendra la frustration et la mfiance des consommateurs21. A la suite de ces remarques qui, rappelons-le, ont pour objectif dexposer ltonnement qui se trouve lorigine de notre travail, une question reste en suspens :

Comment, expliquer que les campagnes de communication denvergure qui ont t mises en uvre par les promoteurs de la transgense vgtale, ainsi que les prises de positions officielles des institutions gouvernementales ou internationales qui sont venues appuyer cette innovation, soient restes sans effet sur lopinion publique ? Comment expliquer que le message entirement positif que vhiculait la mise sur le march des PGM soit pass inaperu, voire, ait t spontanment dnonc comme une opration de marketing22 ? Comment expliquer cette raction ngative par rapport une nouvelle technologie dont on imagine de manire un peu trop exclusive, les risques et ignore entirement les infinies potentialits ? Comment expliquer, labsence dunanimit au sein mme de la communaut scientifique ? Pourquoi, enfin, la transgense vgtale est-elle devenue un catalyseur de problmes ?De nombreux travaux ont fourni des explications pertinentes sur le problme de la raction du public face aux PGM. Aussi, les tudes finances par les institutions ou les industriels ne manquent pas23. Or on constate gnralement deux types dexplication.le consommateur. On ne vous dit mme pas que a va tre moins cher ou meilleur. Mais : Bouffez, nous ferons le reste. in Quand les crises alimentaires rveillent les utopies , 6e Universit dt de linnovation rurale Jazz In Marciac, Actes des journes du 9 et 10 aot 2000 , sur http://www.agrobiosciences.org/ 21 Ces thses sont celles qui sont dfendues par la plupart des tudes sociologiques qui ont eu lieu sur le sujet (PABE, INRA-Stepe, Gaskell & al., Cheveigne). Le public sest senti exclu du dbat ; il a perdu confiance dans les institutions. 22 Cest le cas par exemple pour le riz dor ; en effet ds lannonce de la mise disposition prochaine pour les agriculteurs des PVD de cette crale gntiquement enrichie en vitamine A, les promoteurs de la technologie et les firmes qui les soutenaient se sont vues immdiatement accuss de vouloir utiliser cette invention pour, cest le cas de le dire, redorer leur image de marque auprs des consommateurs occidentaux. 23 Au niveau europen les 3 principaux projets sont Science et Gouvernance , le PABE (Perceptions Publiques des Biotechnologies Agricoles en Europe) et lEurobaromtre . Le premier est essentiellement financ par lINRA et fait intervenir tout un rseau de partenaires internationaux ; le second, est financ par la Commission Europenne dans le cadre des programmes de recherche FAIR (agriculture et pche) et ELSA (dimensions thiques, juridiques et sociales des sciences de la

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Une premire thse affirme que lopinion ngative sur les PGM a pour origine le manque dinformation, voire la dsinformation ; ces lacunes auraient pour consquence la crainte et le refus des consommateurs qui ne comprennent pas le principe de la transgense vgtale. Ceux qui dfendent cette position sont, le plus gnralement, des scientifiques ou des promoteurs du gnie gntique. Ils se fondent, le plus souvent, sur les rsultats de sondages tels que ceux de leurobaromtre. Cette thse est soutenue, par exemple, par Robert Marchant dans un rapport de lEMBO (European Molecular Biology Organization)24. Le manque dinformation, ou linformation tronque et dforme serait principalement lorigine des craintes. Aussi, pour les scientifiques impliqus dans le dbat, il est important daccrotre la communication vers le public pour que celui-ci ait une meilleure comprhension des faits25. Cette ide a t largement dveloppe (dun point de vue non-sociologique) par le biologiste molculaire, Philippe Kourilsky. Dans son livre La science en partage, il commente les prtendus risques que font courir les plantes gntiquement modifies : Au total, on voit difficilement, dit-il, o se trouvent les risques plantaires et les dangers inquitants auxquels nous exposeraient les plantes transgniques. Quen raison de leur caractre innovant elles aient t soumises une attention critique accrue est parfaitement normal. Mais on aperoit mal, et de moins en moins mesure que les exprimentations saccumulent, o rsiderait leur nocivit spcifique.26 Un peu plus loin dans le livre, il sinterroge sur les notions de risque potentiel et risques avrs, (notions sur lesquelles nous aurons loccasion de revenir) : Que sest-il produit dans le dbat public en Europe qui explique la drive que nous constatons sur les biotechnologies ? Tout simplement la distinction entre les risques potentiels et les risques avrs a t perdue. [] Restent alors le risque et la dangerosit qui y est associe. 27 La rponse cette question, daprs lauteur, se trouve dans une analyse de la diffusion de linformation scientifique et cest, en grande partie, ce travail que nous entreprendrons de faire dans cette thse. Pour Kourilsky, la dsinformation mdiatique joue un rle fondamental dans la formation dune opinion antiOGM majoritaire. Beaucoup de scientifiques sont persuads quun manque dinformation du grand public a jou en la dfaveur de la transgense vgtale. Cest parce quils ne

vie) ; le projet a dbut en juin 1998 pour une dure de deux ans. LEurobaromtre enfin, est un sondage dopinion gr par lINRA Europe et lECOSA. 24 Robert Marchant, From the test tube to the table , EMBO reports vol.21 no.51 , 2001, http://embojournal.npgjournals.com/ 25 As the debate over GM crops and products has intensified, many scientists have become involved in increasing the public understanding of genetic manipulation. These initiatives are based on a deficit model, which assumes that if public knew more about GM science, it would be more supportive of the technology. Ibid. 26 Philippe Kourilsky, La science en partage, ditions Odile Jacob, 1998, p.57 27 Kourilsky, Ibid., p.64

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comprendraient pas le mcanisme de ce qui se passe et se trouveraient dans lincapacit de se reprsenter ce que peut tre une plante gntiquement modifie, que les consommateurs auraient peur de cette nouvelle technologie. Pourtant cette thse, avec tous ses prsupposs (suprmatie et infaillibilit du modle scientifique, ignorance du public, absence de prise en compte des revendications, absence desprit critique par rapport aux mdias) semble insuffisante pour expliquer les ractions du public. Les rsultats dune tude de science sociale finance par lUnion Europenne sur le comportement des individus prtend dmontrer son incohrence28. Daprs les sociologues qui se trouvent lorigine de ces enqutes qui ont t menes en Angleterre, en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie, non pas sous forme de sondage dopinion, la manire de leurobaromtre, mais laide de groupes de discussion sur plusieurs thmes dtermins (focus group), lide selon laquelle le public manque dinformations scientifiques est un mythe soutenu par les acteurs de la technologie (stakeholders). Les enqutes auraient bien dcel une ignorance du public, mais celle-ci serait accompagne dune conscience de cette ignorance ; aussi, dans ce cas, on ne pourrait pas parler de fausse croyance sur cette technologie. Au contraire, une tude ralise par Gaskell et al. aurait dmontr quune meilleure connaissance de cette technologie rendrait les gens plus sceptiques29. Aprs avoir dconstruit ainsi plusieurs mythes (11 en tout), le groupe affirme que labandon de ces fausses interprtations et leur substitution par une meilleure comprhension des vritables raisons qui font que le public reste gnralement insatisfait par rapport la manire dont les PGM ont t introduites sur le march ( quoi a sert, qui a profite, pourquoi navonsnous pas t mieux informs, est-ce que les risques ont suffisamment t estims ?) permettraient aux promoteurs de ces nouvelles technologies de mieux grer la situation,

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Final Report of the PABE research project, Public Perceptions of Agricultural Biotechnologies in Europe, funded by the Commission of European Communities, Contract number: FAIR CT98-3844 (DG12 - SSMI), December 2001 29 Indeed, understanding the nature of genetic modification, although varied between individuals and countries, was often rather limited. In particular, participants tended to be unsure about the technical distinction between conventional breeding methods and recombinant DNA techniques. But this would be better described as a lack of knowledge, rather than firmly held false beliefs about this technology. Participants were conscious of this technical ignorance, and admitted it readily. More importantly, the principal concerns expressed about GMOs were not based on erroneous information and would, therefore, not be addressed by more science education. Thus, even if we could wave a magic wand and create a world tomorrow where all citizens knew that all tomatoes contain genes, the basic questions (in sidebar) would remain unanswered, and the controversy would be unlikely to abate. Indeed, there is evidence that more knowledge about GMOs makes people more sceptical or polarised, not less (Martin and Tait, 1992; Gaskell et al., 1998). Marris Claire, Public views on GMOs: deconstructing the myths - Stakeholders in the GMO debate often describe public opinion as irrational. But do they really understand the public? , 08/13/2001, source www.bioscope.org

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aussi, il serait plus judicieux que ceux-ci entreprennent de changer la faon dont ils agissent que de vouloir rationaliser lopinion publique 30. On le voit, cette explication, contrairement la prcdente, a le mrite de prendre en compte des considrations autres que lignorance du public. En donnant des raisons extrieures au contenu du sujet, savoir, la possibilit dexprimer son avis sur une innovation sans en connatre le dtail, elle permet dlargir le dbat et dvoile un dysfonctionnement du processus de validation de linnovation scientifique et technique. Le fait que lon nait pas demand lavis des individus pour introduire les PGM dans la chane alimentaire pourrait dj apparatre comme une faute en soi. Cette explication remet en cause les prsupposs de lexpertise. Mais alors que la premire se recentre uniquement sur la problmatique de la comprhension de la transgense vgtale sans voir les ventuelles revendications du public, lexplication du PABE ne tient nullement compte de la spcificit de la transgense vgtale. Cela parat vident, puisquelle lgitime des opinions fondes sur une connaissance incomplte du sujet. Aussi, sil est lgitime de reprocher aux promoteurs des PGM de ne pas avoir pris en compte lintrt des consommateurs, cela nimplique pas, a contrario, que lon donne une valeur absolue des perceptions subjectives (en ce sens quelles sappuient sur des prsupposs et nont pas une pleine connaissance de lobjet quelles jugent), quel que soit largument sur lequel elles se fondent. Si chacune des deux thses prcdemment voques rend compte des ractions suscites par les PGM, elles nexpliquent pas les raisons profondes du problme. Il parat donc ncessaire daller encore plus avant en recherchant ce qui, dans la technologie en ellemme, a fait quelle est devenue une source de problme. Tout dabord, il est important de remarquer que la controverse ne trouve pas son origine au sein du public inculte , mais au cur de la sphre de lexpertise scientifique. En effet, il faut remonter 1974 et la confrence dAsilomar pour retrouver lorigine de la premire controverse scientifique sur le gnie gntique. La dispute est donc ne en mme temps que la technologie. Concernant ces querelles, il est important de noter au passage quelles nopposent pas seulement des reprsentants de disciplines distinctes : si lon trouve30

It is obvious that public opinion has had a significant impact on the development and marketing of GMOs in Europe. At the same time, the current situation does not fully satisfy any of the stakeholders. Our research suggests that one reason for this situation is not a lack of public understanding of the science but rather policies that continue to be based largely on erroneous beliefs about 'the public'. Clearly, there is a mismatch between the way in which institutions comprehend public perceptions, and the attitudes expressed by the participants in our focus groups. Exploring this apparent discrepancy is important, because new policies and strategies to introduce GMOs-even if they are innovative and honestly seek to integrate public views-are prone to failure if they continue to be based upon these 'myths'. Ibid.

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de nombreux opposants dans les matires qui nincluent pas forcment la biologie molculaire (le cas du botaniste Jean-Marie Pelt est, de ce point de vue, difiant31), ce nest pas toujours la rgle, et de nombreux biologistes molculaires sont de virulents opposants aux plantes gntiquement modifies. Ltude de la controverse scientifique doit prcder celle de la polmique au sein de la sphre publique. Or, on constate demble quil ne sagit pas dune discorde purement scientifique , en ce sens quici, le dbat na pas pour objectif de remettre en cause une thorie, ou des rsultats32, mais, le plus souvent, linterprtation qui est donne de ces rsultats. Il ne sagit pas non plus dune querelle politique : en effet, on ne conteste pas lusage qui est fait dune technologie - selon ladage que toute technologie est bonne en elle-mme, seule lapplication que lon en fait peut tre bonne ou mauvaise mais cest bien la technologie en elle-mme qui est directement considre par certains experts contestataires, comme mauvaise, et non son application33. Cest donc seulement aprs avoir analys les raisons qui font que certains scientifiques contestent ce que dautres affirment que nous pourrons mieux comprendre les opinions qui courent au sein des non-initis. Ensuite, contre la thse des sciences sociales qui affirme que lesprit critique des consommateurs lgard des PGM est autonome et possde une valeur indpendamment du fait quil ne se fonde pas sur une connaissance objective et scientifique, nous soutenons que cette thorie nest vraie, que dans la mesure o lon admet que les consommateurs ont t beaucoup plus rceptifs aux arguments anti-PGM relays par les mdias, que par les campagnes de communication orchestres par les industriels et les institutions qui cherchent promouvoir les PGM sur le march. Autrement dit, lorsque le public soppose aux PGM, il adhre un systme de pense que les mdias ont largement relay. Ce qui signifie quil se reconnat moins facilement dans les valeurs que mettent en avant les promoteurs des PGM, que dans celles que promeuvent leurs dtracteurs. Du point de vue dune stratgie de communication, il sera intressant de voir comment un message positif (la promesse dune nouvelle rvolution verte) sest laiss terrasser par lesprit critique (la menace dune catastrophe cologique). Pour cela, il faudra prendre en compte le rle que la perception du risque a pu jouer. Dune tude sur laspect

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Lors de ses prises de positions contre les PGM, le botaniste ne cache jamais le fait que, depuis larrive du gnie gntique sur le devant de la scne, la matire quil enseigne est totalement passe dintrt aussi bien pour les tudiants que pour ladministration qui distribue les crdits de recherche. Information recueillie oralement lors dune confrence donne loccasion dun forum organis par lInstitut Europen dEcologie en Dcembre 2001. 32 Cela peut cependant arriver comme on le verra dans le cas de laffaire Puszta. 33 Ainsi, dans la sphre des scientifiques franais, il y a actuellement deux ptitions qui circulent, une pro et une anti-PGM.

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communicationnel du sujet, on passera donc, tout naturellement, une analyse des valeurs en prsence dans le dbat. Aprs avoir tent de dmontrer le caractre idologique du dbat sur les PGM, quil sagisse des experts ou des non-initis, en ce sens que, trs souvent, pour les premiers, ce sont des a priori et des prises de positions systmatiques qui dterminent lvaluation des risques, alors que pour les seconds, ce sont des arguments externes la technologie qui motivent une certaine mfiance et les critiques exacerbs, on tentera danalyser les idologies en prsence. Ce travail nous permettra donc de dcouvrir ce qui dans la technologie fait quelle est devenue une source de problmes : lobjectif tant de dvoiler la vritable nature de la technologie pour dissiper les problmes. A la source des disputes, on trouvera donc une vritable querelle philosophique sur les notions de technologie et de nature . Aussi on essayera de dmontrer comment en inaugurant un rapport technologie-nature indit dans le domaine agro-alimentaire, la transgense vgtale sest retrouve sur le devant de la scne. En ouvrant un monde de possibles encore inexplors la transgense vgtale pose un double problme ses promoteurs et ses dtracteurs : Les pratiques agricoles issues des biotechnologies sontelles un mode de production qui sloigne de lide de nature et par consquent ne peuvent rpondre certains critre de qualit ? et les plantes gntiquement modifies doiventelles tre considres comme des tres contre-nature et si oui, quest-ce que cela signifie ? Il sagit donc de juger les biotechnologies dune part, et de dfinir les tres dont elles se trouvent lorigine dautre-part. Cest en suivant le fil de ces interrogations que nous avons men une enqute interdisciplinaire dont le premier aspect propose un enracinement du dbat au niveau historique et actuel : Quelle place la transgense vgtale occupe-t-elle dans le courant des biotechnologies et en quoi la controverse scientifique sur les PGM se rattache-t-elle au processus qui est n Asilomar ? Ensuite en quoi la polmique sur les PGM se distingue de la crise de la vache-folle ? Le deuxime aspect, quant lui, prsente une tude dtaille de la controverse au sein de la communaut des experts (scientifiques et techniques, socio-conomiques34). Nous avons slectionn certaines controverses qui nous ont paru fondamentales en les classant en fonction du principe dquivalence en substance, du principe de prcaution et du calcul de la

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Nous avons laiss de ct lexpertise juridique et politique pour nous concentrer sur laspect technologique du sujet ; en effet nous considrons que, contrairement aux deux premiers domaines qui ont fait lobjet de suffisamment dtudes, le second a fait lobjet de beaucoup moins dtudes.

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balance risque-bnfice. Pour cela, on a eu recours des articles issus de la recherche fondamentale, des articles de synthses, des rapports, mais aussi, des textes de vulgarisation scientifiques, en Europe, aux Etats-Unis et dans les PVD. Le troisime aspect porte sur la polmique publique des PGM sur le territoire franais essentiellement. On a tudi cette polmique sur 3 niveaux : celui des enqutes dopinions, celui des mdias et celui des acteurs directement impliqus dans la controverse (industriels et ONG). Le quatrime aspect, enfin, est une tude philosophique des courants de pense impliqus dans le dbat et propose une rflexion sur le rapport technologie-nature tel que limplique la transgense vgtale. La mthode interdisciplinaire employe nous permet davoir une vision synthtique dun problme qui est trs souvent trait de manire compartimente. Ainsi, certaines rflexions menes par les scientifiques se contentent dopposer laspect rationnel de la science dite orthodoxe et laspect subjectif de lopinion . Certaines tudes sociologiques, quant elles, ne voient que les prises de positions des acteurs sans regarder lobjet sur lequel elles portent. En abordant les aspects historiques, pistmologiques, mdiatiques et axiologiques de la querelle des plantes gntiquement modifies, nous souhaitons dmontrer comment un problme pistmologique donne lieu un problme de socit puis un problme de communication et finalement un problme de philosophie des valeurs. Aussi, nous pensons quaujourdhui le dialogue est devenu impossible parce que les mots utiliss par les uns et les autres ne recouvrent pas les mmes choses et que le nouveau rapport technologie-nature instaur par les PGM na ni t prsent, ni t compris sa juste mesure. Une tentative de caractrisation de celui-ci devrait permettre de rtablir le dialogue entre les diffrents protagonistes qui pourraient sopposer sur la reprsentation mme dune technologie et de ses applications possibles, plutt que de lutiliser, la manire de certains, comme un prtexte pour un autre dbat.

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2. Des origine de la technologie la polmique Lorsque aujourdhui les mdias parlent dOGM , ils emploient frquemment le terme de bricolage ; les scientifiques se prennent pour Dieu ou encore, ils jouent les apprentis sorciers . Ces qualificatifs souvent employs de manire pjorative35, refltent un certain oubli : celui des hommes de sciences et des progrs quils ont accompli en un peu moins dun demi-sicle. Cette anne, la transgense vgtale clbre son 20me anniversaire et ses applications ne cessent de se multiplier et de se diversifier. Pourtant, ce dveloppement semble aujourdhui menac. En rencontrant comme principal obstacle le faible enthousiasme, pour ne pas dire, la rponse ngative des consommateurs et les fortes protestations des ONG environnementalistes, les industriels se retrouvent dans une situation dlicate, au point que les PGM sont devenues un vritable problme qui touche aussi bien les experts que la socit toute entire. Comment situer la transgense vgtale par rapport aux autres biotechnologies ? En quoi la controverse quelle a souleve poursuit-elle le processus entam Asilomar et comment distinguer la polmique suscite par les PGM de la crise de la vache-folle ? Cest ce que nous souhaitons voir maintenant au cours dun bref historique36 qui nous permettra de brosser le tableau dans lequel nous situerons nos tudes sur les controverses scientifiques, la polmique mdiatique et idologique. 2.1. De la dcouverte de lADN ses applications

Depuis la dcouverte de Crick en 1953 selon lequel les molcules dADN (acide dsoxyribonuclique) et dARN (acide ribonuclique) ont une importance fondamentale et sont, soit le support de linformation gntique, soit les agents permettant lexpression de cette information37, les applications technologiques relatives aux dcouvertes de la Biochimie structurale des acides nucliques sont alles bon train. A la base de tous les dveloppements, on trouve donc lide du code gntique et, ce qui sera dcouvert au milieu du 20me sicle, son caractre universel : Une des dcouvertes les plus fascinantes de laLa connotation du terme bricolage dans la presse est souvent dprciatrice et exprime labsence de matrise, contrairement lemploi quen a fait Franois Jacob pour caractriser le fait que les mcanismes volutifs volueraient avec lvolution. Lvolution du bricolage consisterait dans un passage de la simple duplication des gnes lacquisition par les gnes de fonctions nouvelles squentiellement actives. (voir sur ce point, lOuvrage de Claude Debru, Le possible et les biotechnologies, p.p.144-145) 36 Ce chapitre a un but introductif et se propose de resituer la technologie, la controverse et les polmiques dans leurs contextes. Notre objectif est double : montrer que la transgense vgtale, en tant que biotechnologie, senracine dans les travaux de recherche fondamentale des sciences du vivant et comme agro-technologie, elle se distingue des crises alimentaires qui ont frapp les consommateurs. 37 Grard Fernand Cuvellier, Biotechnologies, 5me dition, ditions Tec & Doc, 1999.35

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biologie est le caractre universel du code gntique. Cest la grille de correspondance entre les triplets (appels codons ) et les acides amins, qui est universellement conserve. Des bactries lhomme, des champignons aux vgtaux toute la vie sur Terre est organise autour de ce code, toujours le mme ( quelques rares exceptions prs). Les consquences pratiques de cette incroyable conservation sont immenses : une squence codante provenant de nimporte quelle espce, peut tre introduite dans nimporte quelle autre espce, tout en continuant de coder une protine dtermine. () Cest cette universalit qui a permis de crer des organismes gntiquement modifis : faire synthtiser lhormone de croissance humaine une bactrie, fabriquer des vaccins exempts de tout risque de contamination par des virus ou introduire dans une plante un gne confrant une rsistance une maladie, rien de tout cela ne serait possible sans ce caractre universel du code gntique. 38 Or, ce passage de la science fondamentale - qui trouve ses origines thoriques en 1865 dans le mmoire de Mendel, intitul Recherches sur les hybrides vgtaux aux applications technologiques, ne sest pas fait immdiatement. Ainsi, comme le remarque Franois Gros dans son ouvrage La Civilisation du gne, dans la priode qui sest coule entre 1950 et 1970, les objectifs que les sciences de la vie se sont assignes ont fort rarement embrass les domaines dapplication. A lexception dtudes tendant tablir un lien entre lactivit thrapeutique de certaines molcules (antibiotiques ou analogues synthtiques de mtabolites naturels) et les perturbations quelles sont susceptibles dentraner par exemple au niveau de la traduction gntique, on peut dire que les biologistes molculaires se sont bien davantage proccups des aspects fondamentaux propres aux vivants que de pharmacologie, de mdecine ou dagriculture.39 Selon lAcadmicien des Sciences, cette priode va tre interrompue par 2 vnements : la dcouverte, la fin des annes 60, de la transcription rverse par Howard Temin lUniversit du Wisconsin. Le chercheur qui travaillait sur les rtrovirus responsables du cancer chez certains animaux va remettre en question la thse selon laquelle linformation des gnes ne passe que dans un sens . La seconde dcouverte est, cette fois-ci, technique et non pas thorique : cest la dcouverte des techniques de recombinaison artificielle, plus connue depuis, sous le nom de gnie gntique. Non seulement elle va, partir de 1973, redonner une certaine ardeur aux biologistes molculaires, mais elle va savrer dune importance socio-historique considrable, ayant en ceci une porte sans doute aussi grande, dans le public, que lannonce des premiers succs de Louis Pasteur en 1885 dans le domaine

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Jean-Gabriel Valey, La transgense vgtale : de lADN aux protines , in Les Plantes gntiquement modifies, Acadmie des sciences, rst n13, ditions Tec & Doc, dcembre 2002. 39 Franois Gros, La civilisation du gne, Hachette, 1989, p.169

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de la vaccination. () Elles seront dsormais impliques dans linterrogation que pose le monde prsent aux technologies nouvelles et leur impact sur la socit. Et Gros de continuer : A partir du moment o lon commence entrevoir les nouvelles possibilits socio-conomiques quoffrent la gntique, quil sagisse de reproduction humaine, de diagnostic prnatal mais galement du gnie gntique et des applications, la socit, par fantasme, par thique , par intrt ou par crainte, commence raliser que cette poigne de savants pourrait bien changer demain notre mode de vie, et quelle pourrait bien changer de vie tout court. 40 Ainsi, du point de vue de la science, la fin des annes 1970, les dcouvertes fondamentales pour rendre possible la transgense avaient t faites. Il ne restait plus qu complter celles-ci par la mise en place de nouveaux outils pour pouvoir gnraliser les techniques de modifications lensemble des applications. On citera titre dexemples, les enzymes de restriction qui peuvent dcouper lADN ; les plasmides et les bactriophages qui jouent un rle de vecteur et acheminent les fragments ainsi obtenus par les enzymes de restriction jusqu lintrieur des bactries htes ; les gnes de rsistance aux antibiotiques que contiennent ces petits fragments dADN circulaire que sont les plasmides transmis aux bactries. Cette proprit permet de slectionner les bactries transformes en les talant sur un milieu de culture glifi contenant des antibiotiques, sur lequel elles rsistent et prolifrent. Une autre solution consiste fabriquer un phage recombin en ligaturant un fragment dADN dun phage et le fragment du gne tranger insrer, puis il infecte et fait clater la bactrie o il se reproduit, et va ensuite infecter les bactries voisines. On slectionne ensuite les phages recombins capables de coder pour une protine en les reprant par leur couleur blanche. Les bactries sont aussi des outils essentiels, on citera lexemple dE.Coli, de mme que lADN et lARN de synthse, petites molcules que lon est capable de synthtiser. Une fois poss les outils essentiels, il faut inventer les techniques pour les utiliser : on citera le Southern Blot, technique invente par Southern en 1975, qui a pour but de trouver dans un mlange denzymes de restriction, les fragments correspondants un gne donn. Le clonage, imagin par David Hogness en 1974, consiste isoler un fragment dADN, linsrer dans un vecteur, et faire rpliquer le tout par une bactrie. Cette technique a pour but de multiplier les fragments dorigine, on peut ainsi crer des gnothques. On peut aussi crer des banques dADN complmentaire (ADNc) partir de lARN pour viter de cloner lADN inutile. Enfin, il est possible de copier un ADN particulier sans lintervention des bactries grce lamplification de lADN par la raction en chane de la polymrisation (PCR). Une autre technique consiste caractriser les gnes en ralisant par exemple une40

Franois Gros, Ibid.p.173.

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carte de restriction en dcoupant deux deux lADN grce des enzymes de restriction, ce qui permet de comparer les endroits o ont lieu les coupures et de reconnatre lADN. Il est aussi possible de dterminer lordre des nuclotides, cest ce que lon appelle le squenage, cette mthode invente par Sanger, est aujourdhui compltement informatise et ralise lopration fastidieuse de squenage du gnome humain. Enfin, la modification des gnes, ou mutagense dirige a recours le plus souvent la technique de PCR41. Ainsi, tous les historiens saccordent gnralement pour faire remonter 1971 la premire chimre issue de la biologie molculaire avec les travaux du professeur Berg sur le virus SV40, virus partir duquel on avait tudi le phnomne de transformation : Pour mieux tudier les relations entre les gnes de ce virus et les phnomnes de transformation, le laboratoire de Berg eut lide de couper lADN gntique de ce virus et de le recoller lADN dun autre virus, bactrien celui-ci (le bactriophage ) imaginant que la molcule fabrique artificiellement, vritable chimre , pourrait servir infecter une bactrie42. On citera galement les travaux du biochimiste Stanley Cohen qui a ralis une chimre molculaire la suite de la fusion artificielle dun chromosome de la bactrie dE.Coli avec celui de lespce Salmonella. A la suite de ces expriences isoles, cest en 1973 que Berg et Cole, dune part et Chang, Helling et Boyer dautre part, exposeront les principes gnraux dune ingnierie gntique : Le principe du gnie gntique repose sur le transfert dun gne tranger dans une cellule en culture ou dans le tissu (somatique ou germinal) dun animal ou dune plante, de faon obtenir la manifestation dune nouvelle proprit lie au gne ainsi transfr. Cela implique trois oprations : recombiner , cloner et exprimer . La recombinaison est lopration de soudure artificielle dun gne un autre fragment gntique, appel vecteur, qui sert la fois transporter le gne tranger en question dans la cellule et permettre sa reproduction en plusieurs copies. Le clonage est lopration qui permet, une fois le gne transfr dans une population de bactries, den assurer la rplication sur une grande chelle et de lisoler partir des bactries ainsi transformes manant dune seule cellule, de faon amplifier et purifier le gne en question. Quant lexpression, cest lopration au cours de laquelle le gne clon est transfr dans une cellule hte et fabrique dans cette cellule une protine trangre.43 Ce sont donc ces 3 manipulations qui se trouvent la base de toutes les applications du gnie gntique. Aussi, sans elles, il naurait jamais t possible de

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Claudine Guerrin-Marchand, Les Manipulations Gntiques, col. Que sais-je ?, Presses Universitaires de France. 1997, p.p.39-59. 42 Franois Gros, Ibid. p.174. 43 Ibid.

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dvelopper cette technologie dans des domaines aussi diversifis que lindustrie, la mdecine et lagroalimentaire. Cest ce que nous allons voir maintenant. 2.1.1. Dfinition et origine du terme biotechnologie Un vocabulaire important fait aujourdhui rfrence au mme domaine dactivit scientifique et technique touchant aux biotechnologies : gnie ou manipulation gntique, transgense, transgnose ou individu transgnique, thrapie gnique, ingnierie molculaire, organismes gntiquement modifis, pour ne citer que les plus rpandus. Larticle Biotechnology de lEncyclopdia Britannica dfinit la biotechnologie comme lapplication de lindustrie aux avances faites dans les techniques et les instruments de recherches des sciences biologiques. Le dveloppement du champ de la biotechnologie est intimement li au dveloppement dans les annes 1970 du gnie gntique (la modification dirige du matriel gntique () Les biotechnologies trouvent leurs origines la suite dune prise de dcision dans les annes 1980 de dcrter comme brevetable un micro-organisme vivant gntiquement modifi.44 Cette dfinition concerne essentiellement les biotechnologies issues du gnie gntique et est imprcise sur lorigine du terme ; en effet, cest au dbut du sicle quil faut faire remonter lorigine de celui-ci. Ainsi, comme la dmontr Robert Bud dans son ouvrage The Uses of Life, cest en 1917 que le mot biotechnologie a t employ pour la premire fois; les biotechnologies, dfinies comme une application de lingnierie la biologie, prendraient leurs racines dans la chimie et la microbiologie du XIXme sicle. A lorigine de ce dveloppement qui mnera jusquau gnie gntique, on trouve la zymotechnologie . Cette dernire, qui qualifie les procds industriels base de fermentation, trouvera diffrentes applications dans la chimie organique, dans lagriculture, et galement dans les activits de brasserie. La zymotechnologie serait lanctre de la biotechnologie, en ce sens quelle est dj lapplication de principes et de dcouvertes la production industrielles de diffrents produits alimentaires45. Cest Chicago en 1917, la suite du vote de la prohibition, que le Bureau de bio-technologie fut cr par Emil Siebel. Celui-ci avait pour objectif de faire oublier le

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The application to industry of advances made in the techniques and instruments of research in the biological sciences. The growth of the field of biotechnology is closely linked to the development in the 1970s of genetic engineering (the directed alteration of genetic material) [...] Biotechnology had its origins in a 1980 decision by the U.S. Supreme Court that "a live human-made microorganism is patentable matter. Article Biotechnology , Encyclopedia Britannica Multimedia/CD-ROM. 45 Robert Bud, The Uses of life, a history of biotechnology, Cambridge University Press pp.6-50.

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lien qui liait la production dalcool avec la zymotechnologie46 et sest dvelopp dans un premier temps comme le garant dune marque de fabrique. Le terme biotechnologie , quant lui, est employ pour la premire fois par lingnieur agricole hongrois Karl Ereky qui chercha accrotre la production de son pays au point quelle atteigne le niveau du Danemark47. Il sest illustr par la volont de crer une vritable industrie du porc ; ses motivations avaient pour origine le constat de laspect primitif de lagriculture de son pays. Selon Bud lemploi du terme biotechnologie tait soustendu par une vritable approche scientifique de llevage et une industrialisation du vivant48. Avant lapparition du gnie gntique dans les annes 1970, les biotechnologies , dfinies comme une application de lingnierie la biologie avaient dj eu loccasion de sillustrer. Ainsi, avant lintroduction de la gnomique, les biotechnologies peuvent tre vues comme une accumulation dapplications ayant pour objectif dapporter de nouvelles qualits la matire brute , ce dans un souci de production49. Il est important de remarquer que le terme biotechnologie recouvre toutes les technologies qui appliquent des procds industriels au vivant. Cest dans ce mouvement que sinscrira le gnie gntique au dbut des annes 80. Comment cette ambition des biotechnologies a-t-elle t reprise par le gnie gntique ? Cest ce que nous allons voir maintenant en dfinissant 3 catgories gnrales dapplications. 2.1.2. Le gnie gntique appliqu aux micro-organismes

Daprs larticle Gnie gntique de louvrage de R.Scriban, les auteurs constatent que Lamlioration gntique des micro-organismes avec des objectifs industriels a t nglige pendant longtemps. La naissance des mthodes dingnierie gntique a provoqu un lan indniable dans ce domaine. La slection dun micro-organisme peut se faire dans le but At first Emil Siebel (1884-1939) established a consultancy under his own name. Then apparently fairly quickly, his school acquired a title slightly different from that of his fathers rather than Zymotechnic Institute, he called his the Bureau of Bio-Technology. The dilution of the brewing reference, implicit in the term zymotechnology was doubtless wise in the era of Prohibition, and Siebel boasted of his good relations with Federal inspectors. Ibid., p.31. 47 Nonetheless, the key source of the word biotechnology was not in the United States or even in Britain, but in Hungary. Its progenitor was a hungarian agricultural engineer, Karl Erecky, seeking to transform its country in the equivalent of southern Danemark. , Ibid., p.32 48 The difference between an industrial and a peasant approach to pig rearing, he reflected, lay not in his use of electrical pumps and automated feeding. It lays instead in the underlying scientific approach which Ereky labelled Biotechnologie. To him the pig was a machine, converting carrefully calculated amounts of input into meat output. Indeed, he described the pig as a Biotechnologische Arbeitsmachine. Ibid., p.34. 49 The history of biotechnology, conceived as a descendent of zymotechnology, can be seen to have evolved triumphantly in the 1970s. In principle, biological processing was seen as the means for converting low-value locally produced raw materials into high value products, superseding older, cruder, more wasteful methods of manufacture. Ibid, p.162.46

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dune tude thorique ou dune application industrielle. Dans ce dernier cas, lobjectif est lobtention dune souche prsentant un intrt pratique et une rentabilit maximale ; ceci nest pas forcment obligatoire dans le premier cas. 50 Ainsi comme le rappelle Philippe Kourilsky dans son ouvrage Les artisans de lhrdit51, les toutes premires possibilits entrevues de transposer les rsultats obtenus en laboratoire de manire industrielle se sont concrtises avec la mise en place dusines du vivant , capables de produire dune manire rentable ce qui ne ltait pas en laboratoire: Le premier succs marquant fut la construction, en 1977, dune souche dE.Coli produisant de la somatostatine, petite hormone animale de 14 acides amins dont Guillemin et son quipe avaient russi isoler quelques milligrammes partir de milliers de cerveaux de moutons. La squence des 14 acides amins avait t dtermine et Guillemin reu le prix Nobel en partie pour ce travail. A laide du code gntique, il tait facile de dduire une squence de 42 (=3x14) bases dADN codant pour cette hormone. Il tait moins facile lpoque, den faire la synthse chimique, petit exploit ralis, en Californie, par Itakura et ses collaborateurs, ce qui permit lquipe de H. Boyer de fusionner ce petit segment dADN synthtique lextrmit dun gne dE.Coli. Ainsi fut construite une souche qui synthtisait une protine bactrienne portant une extrmit les 14 acides amins de la somatostatine. Habilement, un acide amin fragile avait t introduit la jonction, de sorte quun traitement chimique permettait de librer les 14 acides amins terminaux et de restituer lhormone fonctionnelle. Ces travaux ne reurent pas de suite industrielle directe. Le dtour gntique tait blouissant de virtuosit, mais il tait moins onreux de raliser la synthse chimique de lhormone partir des acides amins que de fermenter de grands volumes de bactries, dont la somatostatine ntait extraite in fine quavec quelques difficults.52 La possibilit de synthtiser lhormone partir dacides amins sest donc avre tre une solution plus rentable que la fermentation de grande quantit de bactries. Cest en 1978 que serait apparue la premire vritable application du gnie gntique lorsque H.Boyer et son quipe produisirent de linsuline humaine par E.Coli. Le procd mis au point par la socit Genentech fut dvelopp par la socit Eli Lilly qui mit en vente de linsuline humaine en 1983. La voie tait donc ouverte pour la production industrielle de produits issus des techniques gntiques.

50

Alain Arnaud, Pierre Galzy et Joseph-Pierre Guiraud, Le gnie gntique , in R.Scriban, Biotechnologies, 5me dition, ditions Tec & Doc, 1999, p.412. 51 Philippe Kourilsky, Les artisans de lhrdit , chapitre Les Nouvelles parques, Naissance de lindustrie du gne, La manipulation des organismes des fins productives , Odile Jacob, 1987. 52 Ibid. p.159

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Ainsi, lamlioration gntique par mutagense, slection et utilisation des mutants a permis la production dacides amins tel que la L-lysine, par exemple (un des 4 acides amins indispensables pour lalimentation humaine et animale), la production dantibiotiques, tels que la pnicilline par exemple, et dautres53. Lamlioration gntique par fusion de protoplasmes a permis la fusion cellulaire chez les vgtaux (recombinaison de lADN mitochondrial chez les vgtaux suprieurs, cration dhybrides interspcifiques chez les vgtaux), la fusion cellulaire chez les micro-organismes (levures et moisissures, bactries), la fusion de cellules animales (production danticorps monoclonaux) Enfin lamlioration par manipulation gntique est sans doute la technique qui a permis le plus de ralisations : Il savre aujourdhui possible de faire produire par une bactrie ou une levure, ayant reu linformation ncessaire, une protine particulire. Le gnie gntique peut aussi jouer un grand rle, par exemple en modifiant le nombre de copies dun gne, en augmentant lefficacit dun promoteur . Par le biais de cette technique, on a produit des mtabolites classiques, des acides amins, des antibiotiques, des enzymes, des protines animales intrt mdical (biosynthse de linsuline, biosynthse de la somatostatine, biosynthse de la somatotrophine, biosynthse de linterfron, production de protines virales) production de peptides et de protines54.

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Le nombre des applications industrielles issues du gnie gntique est donc considrable et ce, dans des domaines aussi varis que la sant, lagro-alimentaire ou encore lindustrie. On voit au travers de ces applications, dans quelle mesure les biotechnologies poursuivent lentreprise quelles ont commenc un sicle plus tt en utilisant le vivant des fins productives en mettant en pratique des outils toujours plus complexes et puissants. Aussi, cette pratique se distingue de la recherche fondamentale par le fait quelle est soumise des critres de rentabilit: En recherche fondamentale, un chercheur peut matriser sa discipline suffisamment pour choisir ses objectifs. Dans les applications industrielles, une bonne dcision ne peut tre prise quaprs concertation entre scientifiques, industriels et conomistes. Il nest pas toujours possible de raliser les slections souhaites par les industriels. Par contre, les manipulations gntiques ou les slections imagines par des scientifiques naboutissent pas ncessairement des procds rentables. Compte tenu de

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Alain Arnaud, Pierre Galzy et Joseph-Pierre Guiraud, Le Gnie gntique , Biotechnologies, 5me dition 1999, ditions Tec & Doc, p.524. 54 Ibid., de 529 536.

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limportance des efforts ncessaires, il nest pas possible de faire des erreurs dorientations.55 Aussi, comme on va le voir, la biotechnologie issue du gnie gntique va essentiellement se dvelopper dans ces 2 domaines que sont la mdecine et lagriculture.

2.1.3. La thrapie gnique Dans le domaine mdical, une autre application du gnie gntique est la thrapie gnique. Comme laffirme Franois Gros : Avec la thrapeutique fonde sur le transfert de gnes et destine corriger certaines dficiences hrditaires, nous entrons dans un domaine qui relve pour certains de la futurologie et qui, pour dautres, reprsente au contraire lune des tentatives les plus hardie et les plus prometteuses de la mdecine de demain.56 Lacadmicien des sciences voquant la thrapie qui consiste transfrer un gne dit correcteur clon dans un ovocyte fcond affirme que des expriences ont t menes chez les animaux et que certaines ont russi : les animaux des gnrations suivantes vhiculent galement le nouveau trait de manire hrditaire. Toutefois, les communauts scientifique et mdicale condamnent unanimement, comme incompatible avec les rgles dthique, la transposition de telles pratiques lespce humaine, du fait des normes alas qui sattachent sa ralisation et des risques quelle fait encourir non seulement lindividu gntiquement corrig, mais aussi sa descendance. Sans compter que luf fcond est ici un tre humain potentiel et ne doit en aucune circonstance tre considr comme objet dexprience.57 Quentend-on alors par thrapie gnique ? Daprs louvrage Biotechnologies de R.Scriban: On regroupe sous le terme de thrapie gnique lensemble des procds thrapeutiques reposant sur lutilisation de lADN comme molcule thrapeutique (Kay et al 1997). Des approches vaccinales bases sur le transfert de gnes dans lorganisme en sont aussi rapproches. () Dans les deux cas, quil sagisse de traitement curatif ou de vaccination, cette nouvelle approche repose sur le transfert de matriel gntique dans les cellules somatiques du patient. Les cellules germinales ntant pas modifies, la correction gnique nest pas transmise la descendance. 58 En 1999, 370 protocoles de thrapie gnique auraient t entrepris de par le monde. Le principal obstacle rencontr par le dveloppement de ces technologies est le vecteur : Sans vecteur efficace et sr, les

55 56

Franois Gros, Ibid., p.200. Ibid. p.202. 57 Ibid., p.203. 58 Pascale Briand, Avenir et limites de la thrapie gnique , in dition, ditions Tec & Doc, 1999, p.795.

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stratgies de thrapie gnique ne pourront prtendre un large dveloppement.59 Ce mme article distingue gnralement deux stratgies de thrapie gnique : La thrapie gnique ex vivo : il sagit de prlever la cellule cible du patient et de raliser ex vivo le transfert du gne thrapeutique, puis de rintroduire la cellule traite. On parle galement dautogreffe des cellules gntiquement modifies . La thrapie gnique in vivo : celle-ci repose sur le transfert direct du gne thrapeutique chez le patient. On peut effectuer soit un transfert in situ, soit un transfert par intraveineuse. On envisage galement le transfert par voie orale et par voie amniotique. Les principales maladies qui peuvent aujourdhui faire lobjet de soin par thrapie gnique sont les maladies hrditaires, les cancers, les maladies infectieuses, les maladies cardiovasculaires, inflammatoires, neurodgnratives On parle galement dune industrie de la thrapie gnique puisque de nombreuses start-up se sont cres dans les annes 90 afin de mettre en place des stratgies. Aussi, cette application du gnie gntique est appele de futurs dveloppements ; tout dpendra de la capacit dinvestissement des entreprises, des choix de socit, de la rception du public et de la capacit de la science dcouvrir les possibles du vivant.

2.1.4. Les biotechnologies animales et vgtales: le principe de la transgense. Jusqu prsent, nous avons vu que le gnie gntique se trouvait lorigine dun grand nombre dapplications industrielles. Cependant ces applications se trouvaient limites essentiellement la manipulation de micro-organismes ; dans le cas des thrapies gniques il sagissait de gurir une pathologie. Avec la transgense, on passe, comme qui dirait, une tape suprieure. Ainsi, comme le rappelle Louis-Marie Houdebine, Lorsque la transformation gntique touche un organisme quel quil soit, on dit que celui-ci est gntiquement modifi. Les termes de transgense et transgnique ne sont utiliss que pour les organismes pluricellulaires (plantes et animaux). On ne parle donc gnralement pas de cellules transgniques, mais de plantes et danimaux transgniques.60 Un animal transgnique peut donc tre dfini comme un individu qui a reu une information gntique nouvelle la suite de lintroduction exprimentale dADN tranger dans son propre patrimoine gntique. Ce transfert dADN dans les cellules sexuelles59 60

Pascale Briand, Ibid. Louis-Marie Houdebine, OGM : le Vrai et le faux, dition le Pommier, p.28.

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correspond la transgense germinale.61 Cest en 1982 que lquipe amricaine de Palmiter, Brinster et Hammer russirent une manipulation gntique spectaculaire en produisant des souris transgniques gantes. En russissant modifier le phnotype des souris, les auteurs avaient ouvert la voie dune nouvelle application : lutilisation de souris transgniques comme modles de laboratoire : 10 ans aprs les souris gantes de Palmiter et al., on ne pouvait dj plus compter la quantit de modles murins de pathologies humaines. 62 A noter quon les utilise galement comme modle pour tudier la rgulation de nombreux gnes. Concernant les autres animaux, de nombreux projets sont en cours surtout pour les animaux dlevage. Aussi, on distingue actuellement 3 grandes directions de la recherche : amlioration des productions animales classiques (lait, viande, laine, ufs), augmentation de la rsistance des animaux certaines maladies, production de protines recombinantes, hautes valeurs ajoutes. On se retrouve donc ici, une fois de plus, dans la droite ligne des objectifs de la biotechnologie. Il sagit dutiliser le vivant pour produire plus, mieux et de manire plus rentable. On ajoutera enfin, que toutes ces applications, malgr les incroyables progrs quelles ont connus, sont encore dans lattente de nouveaux succs pour confirmer leurs avances : Depuis la cration des clbres souris transgniques gantes qui avaient, elles aussi, dclench des dbats de socit des plus passionns cause dune nouvelle tape biologique franchie dans la matrise du gnome et des craintes les plus grandes de voir dvelopper des pratiques eugniques, on sest vite aperu que la matrise du vivant tait autrement plus complique. En effet, pour chaque exprience de nombreuses complications apparaissaient (tumeurs, non-viabilit) Prs de 20 ans plus tard, on est encore la recherche de bons gnes candidats pour le progrs et la slection gntique en levage sans perturber de faon malencontreuse dautres fonctions physiologiques. Et pourtant, la transgense animale a ouvert la voie une moisson extraordinaire de connaissances du gnome des Etres Vivants63 Cest galement dans la perspective dindustrialisation du vivant propres aux biotechnologies que sinscrivent les plantes gntiquement modifies (PGM) ; cependant, les chercheurs qui ont travaill sur les PGM nont pas rencontr les mmes difficults que ceux qui ont cherch dvelopper des animaux transgniques et leurs ralisations ont pu trs vite voir le jour sur le march. Cest ce que nous souhaitons maintenant tudier en dtail.

61

Jacques Martal, Les biotechnologies de la reproduction animale , in, 5me dition, ditions Tec & Doc, 1999, p.732. 62 Ibid. 63 Ibid., p758.

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2.2.

Application du gnie gntique aux biotechnologies vgtales

Un point crucial dans le dbat sur les PGM est celui de lancrage historique de cette technologie issue des nouvelles possibilits du gnie gntique appliques la slection classique. En effet, la mise sur le march des plantes transgniques a t subordonne la possibilit de justifier la nouvelle technologie en la situant dans la continuit du dveloppement des techniques de slection agronomiques. Cest l un problme fondamental sur lequel nous aurons de nombreuses occasions de revenir. Ainsi, pour les promoteurs des PGM, il semble essentiel de pouvoir dmontrer cette continuit, et ce dun double point de vue : celui des technologies prcdentes dune part et celui de la nature, elle-mme, dautre part. Cest ainsi que Norman E. Borlaug, prix Nobel de la paix en 1970, situe lorigine des biotechnologies dans la nature elle-mme : Les OGM et les aliments gntiquement modifis sont des termes imprcis qui rfrent lusage de plantes transgniques (cest--dire, celles qui sont produites partir de semences qui contiennent un gne dune espce diffrente). Le fait est que la modification gntique a commenc bien avant que lhumanit ne commence altrer les semences par le biais de la slection artificielle. Mre Nature a eu recours ces pratiques et ce, dune manire importante. Par exemple, la famille des bls sur laquelle nous comptons pour notre alimentation est issue de croisements inhabituels (mais naturels) entre diffrentes espces dherbes. 64 On retrouve cette ide dans louvrage de R.Scriban : lintroduction de gnes trangers dans le patrimoine hrditaire des plantes nest pas une invention humaine. En effet, lagriculture humaine, de manire empirique dabord, puis grce la slection vgtale au cours de ce sicle, a largement bnfici des hybridations naturelles, puis provoques, entre espces. Par ailleurs, lune des dcouvertes majeures de ces vingt dernires annes, en biologie vgtale, est la facult quont certaines bactries (les Agrobactries) de transfrer des molcules dADN dans les chromosomes de certaines cellules des plantes. La matrise de ce dernier processus, ainsi que lutilisation de procds plus artificiels drivs de ceux mis au point pour transformer des micro-organismes ou des cellules animales, permettent une

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Genetically modified organisms and genetically modified foods are imprecise terms that refer to the use of transgenic crops (i.e. those grown from seeds that contain the genes of different species). The fact is that genetic modification started long before humankind started altering crops by artificial selection. Mother Nature did it, and often in a big way. For example, the wheat groups we rely on for much of our food supply are the result of unusual (but natural) crosses between different species of grasses. Norman E. Borlaug, Ending World Hunger : The Promise of Biotechnology and the Threat of Antiscience Zealotry , article paru dans Plant Physiology October 2000, Vol. 124, pp. 487-490, www.plantphysiol.org, et dans www.agbioworld.com

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modification dirige (ou transgense) des gnomes des plantes en tirant parti des possibilits offertes par le gnie gntique dans la construction de gnes in vitro. 65 Les promoteurs de la transgense vgtale, donnent un intrt considrable la possibilit de rattacher cette invention aux technologies passes. Comme on peut sen douter, il en va de la crdibilit de la transgense vgtale, science naissante, ainsi que de la possibilit dintroduire les nouveaux aliments sur le march (voir principe dquivalence en substance, 3.1). En effet, il faut dire que la transgense vgtale apparat comme une vritable rvolution . Aussi, ceux qui affirment la continuit avec les technologies prcdentes reconnaissent galement quil y a rupture, en ce sens, que la nouvelle technologie permet des prouesses que la slection classique ne permettait pas66. Nous allons voir en quoi consistent ces volutions. 2.2.1. De la slection dite classique aux PGM Si aujourdhui les plantes gntiquement modifies se trouvent au cur dune controverse, il ne faut pas oublier que cette nouvelle biotechnologie reprend et complte les travaux dune autre technologie plus ancienne : la slection classique des varits. On prcisera que cette dernire a t en constante volution depuis les dbuts de lagriculture. Ainsi rappelant que lamlioration constante des plantes depuis les premiers pas de lagriculture nest quune hyperbole , Bernard le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Nol Plags, affirment que le vritable progrs gntique ne fut possible que par lapplication de mthodes rigoureuses adaptes aux particularits biologiques (parmi lesquelles les rgimes de reproduction) de chaque espce 67. En effet, les espces qui auraient t slectionnes lors de la domestication des plantes sauvages ne prsentent pas une grande diversit gntique et taient de qualit technologique mdiocre (1 grain de bl en rendait 3 du temps des Romains, 6 la Rvolution, aujourdhui environ 50). La mconnaissance de la reproduction sexue na pas favoris le dveloppement des techniques damlioration.

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Georges Pelletier et Evelyne Toul, La transgense dans le rgne vgtal : le point sur les plantes dintrt agronomique , in R. Scriban, Biotechnologies, 5me dition, ditions Tec & Doc, 1999, p.567. 66 Il ny a pas ici contradiction comme on a pu le lire sous la plume de certains dtracteurs. Arnaud Apothequer, de Greenpeance France, dnonce lattitude des promoteurs des PGM qui soutiennent quil y a continuit pour rassurer le public et innovation pour pouvoir faire breveter leur invention. En effet, linnovation peut tre ici considre comme la dcouverte dune technologie que lon voit dj luvre dans la nature ; cest un problme fondamental sur lequel nous aurons loccasion de revenir et qui est largement abord par Claude Debru dans son ouvrage Le possible et les biotechnologies. 67 Bernard Le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Nol Plags, La transgense vgtale en agriculture , in Les plantes gntiquement modifies , Acadmie des sciences, rst n13, dcembre 2002, ditions Tec & Doc., p.40.

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Celles-ci nont pu faire de vritable progrs qu la fin du 19me et au dbut du 20me sicle. Ainsi, on a vu apparatre les premires lignes pures de certaines varits de bls68. En lespace dun sicle, lamlioration des varits de plantes cultivables a fait un bond considrable et de nouvelles mthodes se sont mises en place.

Apports de la biotechnologie la slection classiqueEn 1991, le GEN (un groupe dexperts nationaux mentionns sur la scurit en biotechnologie) charg au sein de lOCDE de lvaluation des risques et de la scurit des biotechnologies modernes, a dcid de publier une tude de rfrence des mthodes de slection traditionnelle des plantes69. Ce rapport prsente au cas par cas, les principales caractristiques, la toxicologie, la physiologie et le comportement dans lenvironnement de 17 plantes. Dans la prface du rapport, J.E Veldhuyzen van Zanten, alors prsident du GEN, remarque : ltude sur les plantes cultives rvle que lre de la biotechnologie vgtale a dj commenc. Les slectionneurs se servent de polymorphisme de la longueur des fragments de restriction (RFLP), que lon appelle aussi technique des empreintes digitales, comme outil diagnostique pour localiser avec plus de prcision les gnes quils manipulent, notamment dans la tomate, le mas, et la betterave sucre. La rgnration des haplodes et des hybrides somatiques a t mentionnes () On recourt aujourdhui la transgnose en de nombreux endroits et pour diverses cultures, comme le mas et le riz. Les slectionneurs la considrent gnralement comme un outil supplmentaire, venant en complment de leurs programmes de slection classiques. 70 Cest ainsi que lon est pass dun procd de domestication graduelle , un procd de slection vgtale systmatique ; daprs Wally D. Beversdorf71, ce dernier a affin les ressources gntiques de base (variabilit gntique) des espces cultives, les transformant en varits suprieures capables de satisfaire les demandes de la socit moderne, et a jou un rle important dans lamlioration remarquable du bien-tre de cette socit. Les varits suprieures, combines avec les systmes suprieurs de transformation et de distribution de la production dans la plupart des pays de lOCDE, ont entran une nette diminution de la part de lactivit humaine consacre des travaux agricoles. En quoi a donc consist cette slection vgtale systmatique ? Lexpert de lOCDE dresse la liste dune srie dactivits : acquisition ou cration de populations vgtales

68 69

Bernard Le Buanec, Ibid. GEN, Mthode traditionnelles de slection des plantes : un aperu historique destin servir de rfrence pour lvaluation du rle de la biotechnologie moderne , OCDE, 1991 70 J.E Veldhuyzen van Zanten, Ibid., p10. 71 Ibid.,p.11.

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gntiquement variables ; slection des caractristiques dsirables afin daccrotre leur frquence dans les populations soumises la slection ; utilisation de techniques propres stabiliser la composition gntique amliore de gnration en gnration ou danne en anne ; valuation soigneuse des populations gntiquement modifies du point de vue de ladaptation, de la productivit, et des autres exigences de lindustrie transformatrice ou du consommateur final, afin de garantir que les populations gntiquement modifies rpondront aux attentes du producteur ; maintien, purification et multiplication de la population gntiquement modifie afin de fournir des propagules de dpart stables aux systmes commerciaux de production vgtale. 72 De nombreux objectifs damliorations spcifiques ont t entrepris : tolrance ou rsistance des organismes qui consomment ou contaminent des plantes cultives, de la rsistance aux stress abiotiques, atmosphriques et autres stress physiques, productivit, les caractristiques concernant la transformation et la valeur nutritive, de ladaptation 73 La mthode classique se dfinit par la ralisation de croisements des plantes qui prsentent les caractres requis, puis la slection de ces caractres dans la descendance, leur stabilisation et leur multiplication. Toutes les mthodes utilises dans le domaine de la slection varitale sont cependant confrontes certaines difficults. Linter-compatibilit entre les espces est un facteur qui limite fortement les possibilits de mlange entre les espces, la dlicatesse des hybridations mettre en uvre, linstabilit gntiques des hybrides interspcifiques, la longueur et la lourdeur (ncessit dune grande quantit de matriau vgtal) de la mise en uvre technique des manipulations, la difficult stabiliser le matriel74 Le dveloppement des biotechnologies cellulaires et molculaires aurait donc permis dans les annes 60 de contourner certaines de ces difficults.

Quelles ont t ces mthodes ?Il y a tout dabord les solutions qui consistent exploiter les aptitudes naturelles chez les vgtaux, tels les micro bouturages par exemple, lutilisation de tissus diffrencis ; il y a ensuite les mthodes de clonage qui consistent dans la reproduction dun matriel lidentique. On citera galement en vrac la multiplication non conforme, lhaplodisation, les protoplastes et lhybridation somatique, cette dernire permettant de contourner en partie la barrire des espces. On notera bien que les plantes issues de ces technologies ne sont pas

72 73

GEN, Ibid., p.12. Ibid. 74 Evelyne Toul, Biotechnologie et amlioration des plantes , in, dition, ditions Tec & Doc, 1999, p.597-598.

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considres comme des plantes gntiquement modifies et quant ces technologies, dans leur ensemble, elles sont considres comme classiques et prouves . Lapplication des biotechnologies la slection nest donc pas nouvelle. Cependant, les mthodes auxquelles a recours la slection systmatique depuis le dbut du sicle semblent limites. Le Buanec, Pelletier et Plags, soulignent que : ds les annes 1970, les biologistes des vgtaux ont pressenti les limites des mthodes damlioration des plantes, qualifies de classiques, qui reposent sur lhybridation sexue intra ou interspcifique et sur lintroduction de mutations : lenteur de processus dinnovation, impossibilit de modifier suivant les besoins les caractristiques agronomiques ou dutilisation. A lpoque, seules des techniques, alors rcentes, de fusion cellulaire permettaient dans certains cas favorables dlargir les changes dinformation gntique entre espces sexuellement incompatibles mais appartenant le plus souvent la mme famille botanique75 Avec larrive dans les annes 1980 de la transgense vgtale et la possibilit dappliquer certaines mthodes du gnie gntique, on va assister la naissance de nombreuses nouvelles possibilits et notamment, celle de contourner la barrire des espces pour le matriel gntique introduit. Ainsi comme le remarquent Evelyne Toul et Georges Pelletier : La disponibilit de telles mthodes reprsente une rupture dans lvolution de lamlioration des espces. Tout dabord elles permettent des transferts dinformation gntique entre nimporte quelles espces, moyennant parfois des modifications de squences (rgions rgulatrices, usage de codons) pour assurer son expression dans une plante. Ensuite la prcision de lchange gntique dans ces conditions est sans commune mesure avec le rsultat des transferts de gnes dune espce lautre traditionnellement obtenus par croisement et rtro croisements, o lintrogression