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FILMS ET BULLES THIERRY DE PAUW Table des matières 1. Quelques manipulations avec de l’eau savonneuse 1 2. Les observations de Joseph A.F. Plateau 8 3. Le problème de Steiner 9 4. Ruches d’abeilles 13 Références 14 1. Quelques manipulations avec de l’eau savonneuse On commence par créer un mélange d’eau et de savon dans un grand seau. Attention : si l’on y met d’abord le savon et l’eau ensuite, ou si l’on y verse le savon alors que l’eau coule d’un robinet, on obtient un mélange savonneux plein de petites bulles, comme lorsqu’on fait la vaisselle, ce qui est joli mais n’est pas notre but. On remplira donc d’abord le seau d’eau, puis l’on y versera du liquide vaisselle en le mélangeant délicatement (par exemple à l’aide d’une paille). Tous ces produits savonneux ne sont pas égaux devant nos bulles! 1 1. Voici ce qu’écrit E. Lamarle, dans son mémoire [2, Deuxième Partie §25] : «La préparation du liquide glycérique exige certaines précautions. Voici les principales, suivant les indications que M. Plateau a bien voulu nous donner pour le savon de Marseille et la glycérine française de Lamoureux, d’après de nouvelles recherches encore inédites : Prendre, à défaut d’eau distillée, de l’eau de pluie. En poids, trente parties d’eau pour une de savon. Débiter le savon en copeaux minces et le faire dissoudre dans l’eau à une chaleur modérée. Laisser refroidir la dissolution et, après l’avoir filtrée, la mêler à un volume égal de glycérine. Ce mélange doit être fait avec soin dans un flacon qu’on agite fortement et longtemps. Cela posé, achever comme il suit, d’après la saison : En été, laisser reposer le mélange pendant sept jours ; le plonger ensuite dans de l’eau entretenue à 5 ou 4 degrés au-dessus de zéro et l’y laisser six heures. Après cette immersion, pendant laquelle le mélange se trouble fortement, filtrer à travers du papier Prat-Dumas, en tenant plongé dans le filtre un bocal rempli de morceaux de glace. Le produit de la filtration donne, après six ou sept jours d’attente, un bon liquide glycérique. En hiver, déposer le mélange en un lieu où la température ne s’abaisse pas au-dessous de zéro et ne s’élève point au- dessus de 4˚pour la nuit, de 9˚pour le jour. Attendre ainsi pendant sept jours, puis filtrer à travers du papier Prat-Dumas, en ayant soin d’opérer à une température qui s’écarte peu de 4˚. Le produit de la filtration est le liquide glycérique. Ainsi préparé, le liquide glycérique peut se conserver très longtemps ; plusieurs mois au 1

Plateau problem

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solution plateau problem

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  • FILMS ET BULLES

    THIERRY DE PAUW

    Table des matires

    1. Quelques manipulations avec de leau savonneuse 12. Les observations de Joseph A.F. Plateau 83. Le problme de Steiner 94. Ruches dabeilles 13Rfrences 14

    1. Quelques manipulations avec de leau savonneuse

    On commence par crer un mlange deau et de savon dans un grandseau. Attention : si lon y met dabord le savon et leau ensuite, ousi lon y verse le savon alors que leau coule dun robinet, on obtientun mlange savonneux plein de petites bulles, comme lorsquon fait lavaisselle, ce qui est joli mais nest pas notre but. On remplira doncdabord le seau deau, puis lon y versera du liquide vaisselle en lemlangeant dlicatement (par exemple laide dune paille). Tous cesproduits savonneux ne sont pas gaux devant nos bulles ! 1

    1. Voici ce qucrit E. Lamarle, dans son mmoire [2, Deuxime Partie 25] : Laprparation du liquide glycrique exige certaines prcautions. Voici les principales,suivant les indications que M. Plateau a bien voulu nous donner pour le savon deMarseille et la glycrine franaise de Lamoureux, daprs de nouvelles recherchesencore indites : Prendre, dfaut deau distille, de leau de pluie. En poids, trenteparties deau pour une de savon. Dbiter le savon en copeaux minces et le fairedissoudre dans leau une chaleur modre. Laisser refroidir la dissolution et, aprslavoir filtre, la mler un volume gal de glycrine. Ce mlange doit tre fait avecsoin dans un flacon quon agite fortement et longtemps. Cela pos, achever commeil suit, daprs la saison : En t, laisser reposer le mlange pendant sept jours ; leplonger ensuite dans de leau entretenue 5 ou 4 degrs au-dessus de zro et lylaisser six heures. Aprs cette immersion, pendant laquelle le mlange se troublefortement, filtrer travers du papier Prat-Dumas, en tenant plong dans le filtreun bocal rempli de morceaux de glace. Le produit de la filtration donne, aprs sixou sept jours dattente, un bon liquide glycrique. En hiver, dposer le mlange enun lieu o la temprature ne sabaisse pas au-dessous de zro et ne slve point au-dessus de 4pour la nuit, de 9pour le jour. Attendre ainsi pendant sept jours, puisfiltrer travers du papier Prat-Dumas, en ayant soin doprer une tempraturequi scarte peu de 4. Le produit de la filtration est le liquide glycrique. Ainsiprpar, le liquide glycrique peut se conserver trs longtemps ; plusieurs mois au

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    Figure 1. Des polygones plats prts tre plongs dansleau savonneuse

    Figure 2. Un contour polygonal qui utilise 3 dimensions

    On prpare ensuite quelques formes gomtriques laide de fil defer ou dun kit dassemblage de polydres. Pour nos expriences, nousavons besoin de ceci :

    deux polygones plats pas trop petits, par exemple des carrs oudes rectangles ou des hexagones, voir figure 1 ;

    une courbe polygonale qui utilise 3 dimensions, voir figure 2 ; un ttradre rgulier, voir figure 3 ; un cube, voir figure 4 ; et une paille.Un ttradre est un polydre ayant quatre faces triangulaires, tandis

    quun cube est un polydre ayant six faces carres. Le mot ttradretrouve son origine dans les mots grecs qui signifie quatre, et qui signifie face. Et le mot cube : connaissez-vous son origine ?

    moins, sinon plus dune anne. Sil se dcompose ou saltre, on le fait bouillirpendant quelques minutes. On le filtre ensuite travers un tissu en coton serr.

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    Figure 3. Un ttradre rgulier

    Un cube a six faces, huit sommets, et douze artes, tandis quun t-tradre a quatre faces, quatre sommets et six artes. Aprs cet exercicelmentaire de comptage, il est temps de remonter nos manches !

    Figure 4. Un cube !

    Notre premire exprience consiste plonger un seul des polygonesplats dans leau savonneuse, puis on len retire. On observe alors unfilm de savon qui sest form : il remplit le trou et sappuie sur lecontour polygonal quon a form. Ce film de savon est plat, contenudans le mme plan que le contour polygonal. Si lon impose dlica-tement un mouvement de va-et-vient, de haut en bas par exemple,au contour polygonal, le film de savon se bombe pour former quelquechose qui ressemble un hmisphre, tantt tourn vers le bas, tantttourn vers le haut. Cependant, lorsquon arrte le mouvement, le filmreprend sa position initiale plate. La raison en est que le film minimiseson nergie potentielle, qui est proportionnelle son aire : il tend donc utiliser le moins de surface possible pour boucher le trou impospar le contour polygonal. En ce sens, le film de savon est ce quonappelle, en mathmatiques, une surface minimale. Lorsque le contour

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    donn est plat, comme dans lexprience en cours, le film trouve saposition de surface minimale en restant dans le plan du contour. Maisque se passe-t-il si lon remplace ce contour polygonal par un contourqui utilise trois dimensions ?

    Lorsquon plonge notre polygone trois dimensions dans leausavonneuse, il en ressort un film de savon qui, cette fois, nest pas plat !Il a choisi une position dans lespace de faon minimiser sa surface,tout en sappuyant sur le contour impos. La forme du film en chaquepoint est celle dune selle de cheval, voir figure 5.

    Figure 5. Une surface qui ressemble en tout point une selle de cheval

    Si lon plonge dans leau savonneuse nos deux polygones plats, il enressortira peut-tre une combinaison de surfaces plus complexe comme la figure 6, et en passant sa main au travers du film savonneux aumilieu, on cre un trou : la nouvelle surface obtenue, elle aussi, est enforme de selle de cheval en chacun de ses points. On lappelle unecatnode, voir 7.

    Figure 6. Deux morceaux de catnode et un disque

    Quelle diffrence y a-t-il entre des films et des bulles de savon ? Parexemple, si je souffle une bulle laide dun kit bien connu, dhabitudedestin aux enfants plus jeunes, on observe un film de savon en formede sphre : une bulle. Cette fois, le film ne sappuie pas sur un contourdonn, mais on la contraint enfermer un volume dair donn (ce-lui contenu dans la bulle). Le film de savon a tendance remplir cette

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    Figure 7. Une catnode

    contrainte tout en minimisant sa surface extrieure, et cest ce prin-cipe qui lui donne sa sphrique. Il sagit du problme de gomtriequon appelle le problme isoprimtrique : quel corps de lespace trois dimensions, parmi tous ceux ayant un volume donn, a la pluspetite surface extrieure ? Il sagit de la sphre ! Il existe de nombreusesdmonstrations de cela, et aucune nest vraiment facile. Mais cest bienpour cette raison que la bulle est ronde et nest pas cubique !

    1.1. Exercice. Montrez quune bulle de savon ne peut pas tre cubique ! Pour cela,dterminez quel rayon a une sphre dont le volume gale, disons, 1 centimtre cube (ilfaut disposer dune formule donnant le volume dune sphre en fonction de son rayon), etensuite dterminez sa surface extrieure (il faut disposer dune formule donnant la surfaceextrieure dune sphre en fonction du rayon). Appelons As la surface extrieure de lasphre. Le calcul suivant consiste dterminer laire extrieure Ac dun cube de volumegal 1 centimtre cube. Est-ce que As < Ac ? Si oui, cela signifie bien que la bulle desavon a plutt envie dtre sphrique que cubique. Tiens : pourquoi na-t-elle pas enviedtre ttradrique ?

    Nous venons dvoquer deux principes physiques :

    (1) Les films de savon qui sappuient sur un contour donn, lefont en minimisant la surface quils utilisent pour boucher untrou ;

    (2) Les bulles de savon minimisent la surface qui leur est ncessaire enfermer un volume dair qui leur est impos.

    La gomtrie des films et des bulles de savon consiste se deman-der si ces deux principes physiques imposent aux films et aux bullescertaines formes, et en excluent dautres. Par exemple, la solution duproblme isoprimtrique dit que le principe (2) force une bulle isole prendre la forme dune sphre ! Existe-t-il dautres principes ana-logues ? Quelles formes peut-on observer ? Cest ce genre dexp-rience que sest livr Joseph Plateau (n Bruxelles en 1801 et mort Gand en 1883). Ce sont ses conseils, rapports par Ernest Lamarle,

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    quon a trouvs dans la note en bas de page au dbut de ce docu-ment. Lors dune visite par l-bas 2, on ne manquera pas daller ad-mirer les instruments de Joseph Plateau, dans son bureau laiss in-tact, luniversit de Gand. Il est galement linventeur du phnakis-tiscope vraisemblablement un autre mot dorigine grecque , sortede prcurseur du cinma, appel joujou scientifique par Baudelaire :http://fr.wikipedia.org/wiki/Phnakistiscope.

    Figure 8. Film de savon form sur un ttradre rgulier

    Revenons nos bulles ! Allons-y ! Plongeons le ttradre dans leausavonneuse. En tant le ttradre du seau on observe un film de savonparticulier, qui sappuie sur les six artes, voir figure 8. Ce film estform de six triangles identiques. Chacun de ces triangles a un ctqui concide avec lune des artes du ttradre, et son sommet opposest au centre du ttradre. Voici donc une configuration autorise parle principe physique (1) ci-dessus. On note, dans cette configuration,deux types de singularits, cest--dire deux faons quont les trianglessavonneux de se croiser :

    (1) Chaque triple de triangles savonneux, issus dun sommet com-mun, se croisent le long dun ct commun en des anglesgaux de 120 ; appelons ces cts, le long desquels les trianglesse croisent, des courbes singulires ;

    (2) Les six triangles se croisent au centre du ttradre, o lesquatre courbes singulires elles-mmes se rencontrent en desangles gaux.

    1.2. Exercice. Quel est langle form par ces courbes singulires ?

    On peut prsent utiliser la paille (dont on aura pris soin de plongerpralablement le bout dans leau savonneuse) pour crer, au centre dela configuration savonneuse, une bulle dont on ajustera le volume lenvi, tantt y insufflant davantage dair, tantt en en retirant. Lajout

    2. On ira par exemple visiter la Venise du Nord avant de se rendre la plagepar un chemin de canaux, Voyez la mer du Nord, elle sest enfuie de Bruges.

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    Figure 9. Film de savon form sur un ttradre rgu-lier, et sa bulle ttradrique

    de cette bulle (de forme non sphrique, car on la force sappuyersur une configuration dj prsente) fait apparatre de nouvelles courbessingulires. En effet, la surface extrieure de la bulle elle-mme est for-me de quatre morceaux de sphre qui se raccordent aux six trianglesdj prsents le long de telles courbes. En y regardant bien, on saper-oit que deux morceaux de sphres et un morceau de triangle (lun dessix triangles initiaux) se croisent le long dune courbe singulire ...en des angles gaux de 120 : le dessin nest donc pas neuf, il tait djprsent dans la configuration sans bulle. En outre, ces courbes singu-lires elles-mmes se croisent par groupes de quatre ... en des anglesgaux, ce qui nest pas neuf non plus. Cest ce type dobservations quePlateau consignait dans un grand cahier.

    Figure 10. Film de savon sappuyant sur les artes dun cube

    Tentons de crer de nouvelles formes de singularits. Par exemple,si lon plonge le cube dans leau savonneuse, on peut se demander sil enressortira une configuration forme de douze triangles, chacun dentreeux ayant un ct gal une des artes du cube et son ct opposconcidant avec le centre du cube. En faisant lexprience, on note que

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    ce nest pas cette forme que prennent les films de savon, voir figure 10 !Au contraire, la configuration utilise seulement les deux singularitsdj observes jusquici. Il en est de mme si lon ajoute une bulleau centre du cube.

    2. Les observations de Joseph A.F. Plateau

    Figure 11. Joseph Antoine Ferdinand Plateau

    Joseph Plateau a men de nombreuses expriences, tenant de pro-duire de nouvelles singularits, plongeant dans sa potion magique descontours dodcadrix, icosadrix, collant une bulle lautre, formantdes amas de trois bulles, quatre, vingt bulles, sans arriver falsifiercette simple rgle : que les surfaces savonneuses ne se croisent quedeux faons possibles,

    soit trois morceaux de surface se croisent le long dune courbesingulire, des angles gaux de 120 ;

    soit six morceaux de surface se croisent en un point, lui-mme tantlintersection de quatre courbes singulires qui sy rencontrent endes angles gaux, chacune des quatre courbes singulires tant lin-tersection de trois parmi les six morceaux de surface.

    Larchtype de ces deux singularits est donc reprsent dans le filmqui se forme sur le contour ttradrique. Une autre faon de dire leschoses est la suivante : si lon regarde un film de savon en lun de sespoints et que lon zoome indfiniment limage au voisinage de ce point,on voit in fine lun des trois dessins reprsents la figure 12.

    Figure 12. Les deux singularits observes par Plateau

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    Lun des succs de la gomtrie des bulles de savon 3 a t dedmontrer que le principe doptimisation auquel sont soumis les filmset bulles de savon, impose que seules ces deux singularits observespar Plateau aient lieu. La dmonstration est due Jean Taylor, en1976, [3], et repose sur des outils trs complexes. Afin de se donnermalgr tout loccasion de dmontrer ici un rsultat qui nest pas sansrapport avec le problme de Plateau, nous allons simplifier la questionpose. Plutt quun problme gomtrique de minimisation de surfacedans lespace trois dimensions, nous allons aborder un problme deminimisation de longueur dans lespace deux dimensions.

    3. Le problme de Steiner

    Cette section est inspire du livre [1] dont il existe une traductionfranaise, Mathmatiques et formes optimales.

    Disons cette fois quon sintresse trois villes quon souhaite relierentre elles par un rseau routier le plus court possible. Appelons A, B etC les trois villes quon peut visualiser comme les trois sommets duntriangle, par exemple. On peut imaginer tracer une premire route deA B, et une seconde route de B C, de sorte que les trois villes soientrelies entre elles : pour aller de A B ou de B A on emprunterala premire route ; pour aller de B C ou de C B on empruntera laseconde route ; tandis que pour aller de A C on empruntera les deuxroutes, en passant par B. Ce rseau routier est en effet plus court que sion lui avait adjoint une troisime route reliant directement entre ellesles villes A et C. Bien entendu, afin que chacune de ces deux routes soitla plus courte possible, on la choisit en ligne droite. Y a-t-il moyen defaire mieux ? Cest--dire y a-t-il moyen de construire un rseau routierplus court, reliant entre elles ces trois villes ? Peut-tre en utilisant uncarrefour ?

    Supposons un instant que les trois villes soient disposes de sorte quele triangle de sommets A, B et C nait pas dangle intrieur trop grand(suprieur 120 on verra pourquoi plus tard). Appelons P un pointintrieur du triangle, servant de carrefour, o se croisent trois routes,une issue de chacune des villes et allant en ligne droite au carrefour.

    3.1. Exercice. Dans un triangle equilatral, par exemple, trouvez une configurationde rseau routier, avec un carrefour P , qui a une longueur strictement infrieure laconfiguration routire forme de deux cts du triangle.

    Nous allons dterminer une proprit gomtrique du point P qui ca-ractrise le rseau routier le plus court. On appelle ce problme dopti-misation le problme de Steiner et, le point P correspondant, sappelleun point de Fermat du triangle. Le reste de cette section est consacr la dmonstration que le point P de Fermat occupe une position dansle triangle telle que les trois angles en P forms par les trois routesAP , BP et CP soient gaux (donc gaux 120). En vue dtablir

    3. Ou thorie de la mesure gomtrique

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    Figure 13. Le problme de Steiner

    ce rsultat, nous avons besoin dides, de dessins et de constructionsintermdiaires.

    Tout dabord mettons-nous daccord sur un point essentiel de go-mtrie euclidienne plane : entre deux points P et Q du plan, il existeun (et un seul) chemin le plus court ; il sagit du segment de droitedextrmits P et Q.

    Figure 14. Le problme du cow-boy et son cheval

    Ceci tant, posons un problme de distance minimale un peu pluslabor. Disons quen P se trouvent un cow-boy et son cheval, quisouhaitent rentrer chez eux en Q, tout en passant par une rivire re-prsente par une droite M afin dy faire boire le cheval. On supposeque P et Q se trouvent du mme ct de M , et que le cow-boy et soncheval veulent faire au plus court. Il sagit donc de dterminer un pointR le long de la rivire, o le cheval boira, tel que la somme des distances

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    de P R et de R Q, soit la plus petite possible relativement au choixde R.

    Il existe diverses manires daborder un tel problme. Par exemple,on peut munir le plan dun systme de coordonnes o les points serontreprs par une paire de nombres (latitude et longitude ou abscisse etordonne), le point R variable sera reprsent par un seul nombre, et lasomme des distances minimiser sera reprsente par une fonction ex-plicite de ce nombre. On cherchera alors un minimum de cette fonction,par exemple laide du calcul diffrentiel. Cependant, le problme quenous avons pos ici peut aussi tre rsolu en faisant un argument go-mtrique. Appelons P le point du plan qui est le symtrique orthognal

    Figure 15. Thorme de Hron

    de P par rapport la droite M . Disons que R est un point (variable,dont on cherche trouver la position optimale) sur la droite M . Letriangle de sommets P , R et P est donc isocle : les cts PR et RP sont de mme longueur. Par consquent, la longueur quon cherche minimiser, soit la somme des longueurs de PR et de RQ, gale lasomme des longueurs de P R et de RQ. Or P et Q se trouvent depart et dautre de la droite M : on cherche donc un chemin joignant P Q, passant par un point R de M , qui soit le plus court possible. Cechemin est le segment de droite reliant P Q. Le point R recherchest donc lintersection de la droite M et de la droite contenant P etQ.

    On en dduit, comme illustr la figure 15, que les angles dincidence et sont gaux (car tous deux gaux ). On se rfre cela commeau Thorme de Hron.

    Parlons maintenant dellipse. On se rappelle quun cercle, centr enC, de rayon d, est le lieu des points R du plan qui sont situs unedistance de C gale d. Une ellipse est dfinie de faon similaire. Aulieu de se donner un centre C, on se donne deux foyers P et Q, et onappelle ellipse le lieu des points R tels que la somme des distances de

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    Figure 16. Angles dincidence de rayons lumineux issusdun foyer dune ellipse

    R P et de R Q gale d. On peut tracer un cercle et une ellipse laide dun lacet (de chaussure, reprsent en bleu sur la figure : onlattache en P et Q et on place la mine du crayon en R).

    Si un point R se trouve lextrieur de lellipse, alors la somme desdistances de R P et de R Q est suprieure d. De cela on tirela chose suivante : si R est un point de lellipse et que M dsigne latangente lellipse au point R, alors langle form par la droite M etla droite PR gale langle form par la droite M et la droite QR (ilsagit nouveau du Thorme de Hron), voir figure 16.

    Nous sommes prts, prsent, dterminer la proprit gomtriquedu point de Fermat dun triangle, sil existe. On raisonne sur la figure17. Supposons donc quun point P de Fermat existe dans le triangle desommets A, B, C, cest--dire que parmi tous les points P du triangle,P est celui qui rend plus petite la somme des distances de A P , deB P , et de C P . Traons un cercle centr au sommet C, sur lequelse trouve P , et traons une ellipse de foyers A et B, sur laquelle setrouve P . La proprit optimale de P entrane que lellipse et le cerclesont tangents en P ! (Pour sen convaincre, on suggre au lecteur defaire un dessin du cas o le crecle et lellipse se croisent en deux pointsdistincts, et de bouger P le long du cercle (ou de lellipse) afin dobtenirune configuration meilleure.) Il sensuit que les angles CPB et CPAsont gaux, daprs le paragraphe prcdent.

    La mme construction applique en centrant le cercle en A, et enchoisissant les foyers de lellipse en B et C, entrane que les anglesAPB et APC sont gaux. Il en rsulte finalement que les trois anglesen P concident, et sont donc gaux 120.

    On trouvera ici http://en.wikipedia.org/wiki/Fermat_point denombreuses constructions gomtriques, la rgle et au compas, per-mettant de construire le point de Fermat dun triangle.

  • FILMS ET BULLES 13

    Figure 17. Point de Fermat du triangle

    4. Ruches dabeilles

    Tentons prsent quelques variations sur le thme de Steiner. Pourcommencer, osons une analogie entre des problmes de surfaces mini-males dans lespace 3 dimensions, et des problmes de rseaux rou-tiers les plus courts dans lespace 2 dimensions. Plus prcisment, nosexpriences savonneuses nous ont amen plonger dans le seau :

    (1) un ttradre : il en est ressorti le dessin de la figure 8 ;(2) un cube : il en est ressorti le dessin de la figure 10.

    A la section prcdente, nous avons considr un problme de rseauroutier le plus court reliant :

    (1) trois villes : on a obtenu un rseau optimal comme la figure13 ;

    (2) quen est-il si lon considre prsent le problme analogue pourun rseau reliant entre elles quatre villes ?

    Si les quatre villes sont situes au sommet dun carr, on est tent desuggrer que la runion des deux diagonales du carr forme un rseauroutier optimal. Ce nest cependant pas le cas : si A, B, C et D dsi-gnent les villes en question, et P le centre du carr, on a ainsi inclusun triangle de sommets A, B et P dans notre rseau routier. En serfrant au problme de Steiner pour les trois villes A, B et P (P ,notre carrefour, est une ville virtuelle), on saperoit quil est possiblede crer un rseau routier plus court que la runion des deux diago-nales, en remplaant les routes reliant A et P , et reliant B et P , parle rseau de Steiner relatif ce triangle ! Cest possible car les anglesaux sommets de ce triangle A, B, P , sont tous infrieurs 120. Silon pousse ce raisonnement plus avant, il est possible dtablir quune

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    solution du problme de Steiner pour les quatre villes situes aux som-mets dun carr est le rseau illustr la figure 18. Le lecteur aura

    Figure 18. Problme de Steiner pour quatre villes

    dcouvert lanalogie formelle entre ce problme, et le problme de filmsde savon sappuyant sur les artes dun cube ! En fait, il est possible dedmontrer quun rseau routier optimal relatif un nombre quelconquede villes, par exemple dix mille, nutilise que des routes en ligne droite,et qui ne peuvent se croiser (hors des villes) que par trois en des anglesgaux de 120. Cest en quelque sorte une version en 2 dimensions desrgles de Plateau nonces la section prcdente, et qui elles sap-pliquent un amas dun nombre quelconque de bulles, par exemple dixmille ! A cet gard, on laissera sgarer nos penses la figure ??, oula prochaine fois quon est de corve vaisselle.

    Figure 19. Un amas de bulles, ou la posie de leau de vaisselle

    Enfin, pour clore ce tour dhorizon de gomtrie des bulles, imaginonsce quest lanalogue dun amas de bulles en 2 dimensions. Quest-ceque le problme isoprimtrique dans le plan ? Il sagit denfermer uneaire donne (au lieu dun volume donn) en minimisant le primtrede la figure en question (au lieu de minimiser la surface extrieure du

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    corps en question). La solution de ce problme est le cercle, auquelon peut en quelque sorte penser comme une bulle en 2 dimensions...Que se passe-t-il si lon amasse des telles bulles de dimension 2 ? En serappelant la seule singularit autorise par le problme de Steiner, etle titre de la section, on est forc de penser la figure ??, et dexercerses talents de googleur.

    Figure 20. Habitat des abeilles, sorte deau de vaissellede dimension 2

    Rfrences1. Stefan Hildebrandt and Anthony Tromba,Mathematics and optimal form, Scien-

    tific American Library, New York, 1985.2. E. Lamarle, Sur la stabilit des systmes liquides en lames minces, Mm. Acad.

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    minimal surfaces, Ann. of Math. (2) 103 (1976), 489539.E-mail address: [email protected]