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M. Murris-Espin colonisation bronchique la présence d’une flore monomorphe en culture supérieure ou égale à 10 4 CFU/ml, au moins d’un côté. L’évaluation préopératoire comportait une exploration fonctionnelle respiratoire dans la quasi-totalité des cas. Le trai- tement antibioprophylactique reposait sur l’administration d’une céphalosporine de 2 e génération à l’induction et en post- opératoire à 3 g/jour pendant 48 heures. L’extubation précoce restait la règle, le séjour postopératoire en unité de soins inten- sifs était décidé au cas par cas en fonction de l’existence de comorbidités associées et de l’étendue de la résection. La phy- siothérapie était initiée dès le lendemain de l’intervention. L’analgésie postopératoire était assurée par épidurale ou mor- phine autoadministrée. Le suivi clinique était biquotidien et biologique toutes les 48 heures pendant 10 jours. Le moindre signe évocateur de pneumonie (nouvel infiltrat, hyperthermie supérieure à 38 °C, majoration de la CRP ou hyperleucocytose, majoration ou modification de l’expectoration avec apparition d’une purulence) conduisait à la pratique d’une fibroscopie bronchique avec prélèvements protégés. Une pneumonie postopératoire (POP) était définie par l’association de symptômes cliniques compatibles et de prélè- vements per-endoscopiques significatifs (> 10 3 CFU/ml) ou une hémoculture positive. Les cancers bronchiques non à petites cellules consti- tuaient l’indication chirurgicale la plus fréquente. Les germes les plus fréquemment retrouvés per-endoscopiques étaient Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae, Pseudomo- nas aeruginosa ou bacilles à Gram négatif (20 %). L’incidence des POP documentées était de 25 % (42/168), celle des POP non documentées de 10,7 % (18/168) ; 83 % des POP surve- naient durant la première semaine, dont la moitié avant le 4 e jour. Les germes retrouvés étaient Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Serratia. Parmi les 9 patients colonisés en préopératoire et ayant développé une POP documentée, on notait une concordance entre les germes chez 6 d’entre eux, soit 85 %. La mortalité globale opératoire était de 6,5 % (11/168). La POP était la cause de la mortalité chez 8 patients/11. La mortalité en cas de POP était de 8/42 (19 %). La mortalité n’était que de 2,4 % en l’absence de POP. La POP était significativement associée à un recours à la ventilation (invasive ou non), à un séjour prolongé en USI ou en secteur hospitalier. En analyse multi- variée, les facteurs de risque de POP étaient le type de résec- tion (lobectomie et bilobectomie versus pneumonectomie), une colonisation préopératoire, le sexe masculin, une BPCO de stade II. Aucun des patients colonisés à pneumocoque sensible n’a développé de pneumonie, à l’inverse des patients porteurs de pneumocoque de sensibilité diminuée ; 100 % des pneumocoques isolés dans les POP (6/6) étaient de sensibilité diminuée à la pénicilline ; 4 des 9 Haemophilus influenzae isolés des POP étaient sécréteurs de bêta-lactamases, 6 des 10 bacilles à Gram négatif avaient une sensibilité diminuée aux antibiotiques. Commentaires Cette étude très originale a montré l’importance de la colonisation bronchique préopératoire dans le devenir post- opératoire. Quarante-quatre pour cent des patients colonisés ont développé une pneumonie postopératoire contre 21 des non-colonisés (p = 0,004). Il aurait été intéressant de comparer les résultats bactériologiques peropératoires à des résultats pré- opératoires, réalisés lors de l’endoscopie bronchique diagnos- tique, car les germes retrouvés sont fréquemment retrouvés comme cause de pneumonie communautaire ou lors des exacerbations de BPCO. Se discute également le type d’anti- bioprophylaxie proposée, certes conforme aux dernières recom- mandations (mais celles-ci datent de bientôt 10 ans [2]), mais non optimale vis-à-vis des germes retrouvés compte tenu du niveau de résistance de ceux-ci. Cette étude a aussi souligné : – l’impact du geste opératoire (lobectomie ou bilobecto- mie versus pneumonectomie) sur le pronostic à moyen et à long terme ; – l’importance d’une évaluation fonctionnelle respiratoire préopératoire. L’analyse de ces facteurs simples peut permettre d’estimer le risque pronostic postopératoire et d’informer le patient et ses proches avant l’intervention. Références 1 Arozullah AM, Khuri SF, Henderson WG, Daley J : Development and validation of a multifactorial risk index for predicting postoperative pneumonia after major noncardiac surgery. Ann Intern Med 2001 ; 135 : 847-57. 2 Société Française d’Anesthésie et de Réanimation. Recommandations pour la pratique de l’antibioprophylaxie en chirurgie. Actualisation 1999. Actualisation des recommandations issues de la conférence de consensus de décembre 1992, http://www.sfar.org/antibiofr.html. Pneumonie sous anti-TNFα : il faut aussi penser à une légionellose Tubach F, Ravaud P, Salmon-Ceron D, Petitpain N, Brocq O, Grados F, Guillaume JC, Leport J, Roudaut A, Solau-Gervais E, Lemann M, Mariette, Lortholary O, for the Recherche Axée sur la Tolérance des Biothérapies (RATIO) Group. Emergence of Legionella pneumophila pneumonia in patients receiving tumor necrosis factor-alpha antagonists. Clin Infect Dis 2006 ; 43 : 95-100. Introduction On connaît le risque infectieux majoré des patients traités par anti-TNFα, notamment vis-à-vis de la tuberculose, mais aussi de pathologies plus rares comme l’histoplasmose, la 5S116 Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 5S115-5S122

Pneumonie sous anti-TNFα: il faut aussi penser à une légionellose

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Page 1: Pneumonie sous anti-TNFα: il faut aussi penser à une légionellose

M. Murris-Espin

colonisation bronchique la présence d’une flore monomorpheen culture supérieure ou égale à 104 CFU/ml, au moins d’uncôté. L’évaluation préopératoire comportait une explorationfonctionnelle respiratoire dans la quasi-totalité des cas. Le trai-tement antibioprophylactique reposait sur l’administrationd’une céphalosporine de 2e génération à l’induction et en post-opératoire à 3 g/jour pendant 48 heures. L’extubation précocerestait la règle, le séjour postopératoire en unité de soins inten-sifs était décidé au cas par cas en fonction de l’existence decomorbidités associées et de l’étendue de la résection. La phy-siothérapie était initiée dès le lendemain de l’intervention.L’analgésie postopératoire était assurée par épidurale ou mor-phine autoadministrée. Le suivi clinique était biquotidien etbiologique toutes les 48 heures pendant 10 jours. Le moindresigne évocateur de pneumonie (nouvel infiltrat, hyperthermiesupérieure à 38 °C, majoration de la CRP ou hyperleucocytose,majoration ou modification de l’expectoration avec apparitiond’une purulence) conduisait à la pratique d’une fibroscopiebronchique avec prélèvements protégés.

Une pneumonie postopératoire (POP) était définie parl’association de symptômes cliniques compatibles et de prélè-vements per-endoscopiques significatifs (> 103 CFU/ml) ouune hémoculture positive.

Les cancers bronchiques non à petites cellules consti-tuaient l’indication chirurgicale la plus fréquente. Les germesles plus fréquemment retrouvés per-endoscopiques étaientHaemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae, Pseudomo-nas aeruginosa ou bacilles à Gram négatif (20 %). L’incidencedes POP documentées était de 25 % (42/168), celle des POPnon documentées de 10,7 % (18/168) ; 83 % des POP surve-naient durant la première semaine, dont la moitié avant le4e jour. Les germes retrouvés étaient Haemophilus influenzae,Streptococcus pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Serratia.

Parmi les 9 patients colonisés en préopératoire et ayantdéveloppé une POP documentée, on notait une concordanceentre les germes chez 6 d’entre eux, soit 85 %. La mortalitéglobale opératoire était de 6,5 % (11/168). La POP était lacause de la mortalité chez 8 patients/11. La mortalité en cas dePOP était de 8/42 (19 %). La mortalité n’était que de 2,4 %en l’absence de POP. La POP était significativement associéeà un recours à la ventilation (invasive ou non), à un séjourprolongé en USI ou en secteur hospitalier. En analyse multi-variée, les facteurs de risque de POP étaient le type de résec-tion (lobectomie et bilobectomie versus pneumonectomie),une colonisation préopératoire, le sexe masculin, une BPCOde stade II. Aucun des patients colonisés à pneumocoquesensible n’a développé de pneumonie, à l’inverse des patientsporteurs de pneumocoque de sensibilité diminuée ; 100 % despneumocoques isolés dans les POP (6/6) étaient de sensibilitédiminuée à la pénicilline ; 4 des 9 Haemophilus influenzaeisolés des POP étaient sécréteurs de bêta-lactamases, 6 des10 bacilles à Gram négatif avaient une sensibilité diminuéeaux antibiotiques.

Commentaires

Cette étude très originale a montré l’importance de lacolonisation bronchique préopératoire dans le devenir post-opératoire. Quarante-quatre pour cent des patients colonisésont développé une pneumonie postopératoire contre 21 desnon-colonisés (p = 0,004). Il aurait été intéressant de comparerles résultats bactériologiques peropératoires à des résultats pré-opératoires, réalisés lors de l’endoscopie bronchique diagnos-tique, car les germes retrouvés sont fréquemment retrouvéscomme cause de pneumonie communautaire ou lors desexacerbations de BPCO. Se discute également le type d’anti-bioprophylaxie proposée, certes conforme aux dernières recom-mandations (mais celles-ci datent de bientôt 10 ans [2]), maisnon optimale vis-à-vis des germes retrouvés compte tenu duniveau de résistance de ceux-ci. Cette étude a aussi souligné :

– l’impact du geste opératoire (lobectomie ou bilobecto-mie versus pneumonectomie) sur le pronostic à moyen et à longterme ;

– l’importance d’une évaluation fonctionnelle respiratoirepréopératoire.

L’analyse de ces facteurs simples peut permettre d’estimerle risque pronostic postopératoire et d’informer le patient et sesproches avant l’intervention.

Références

1 Arozullah AM, Khuri SF, Henderson WG, Daley J : Development andvalidation of a multifactorial risk index for predicting postoperativepneumonia after major noncardiac surgery. Ann Intern Med 2001 ; 135 :847-57.

2 Société Française d’Anesthésie et de Réanimation. Recommandationspour la pratique de l’antibioprophylaxie en chirurgie. Actualisation1999. Actualisation des recommandations issues de la conférence deconsensus de décembre 1992, http://www.sfar.org/antibiofr.html.

Pneumonie sous anti-TNFα :

il faut aussi penser à une légionellose

Tubach F, Ravaud P, Salmon-Ceron D, Petitpain N,Brocq O, Grados F, Guillaume JC, Leport J,Roudaut A, Solau-Gervais E, Lemann M, Mariette,Lortholary O, for the Recherche Axée sur la Tolérance des Biothérapies (RATIO) Group.Emergence of Legionella pneumophilapneumonia in patients receiving tumor necrosisfactor-alpha antagonists.Clin Infect Dis 2006 ; 43 : 95-100.

Introduction

On connaît le risque infectieux majoré des patients traitéspar anti-TNFα, notamment vis-à-vis de la tuberculose, maisaussi de pathologies plus rares comme l’histoplasmose, la

5S116 Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 5S115-5S122

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coccidioïdomycose, les listérioses [1-3]. L’attention a été atti-rée par les membres du groupe RATIO (Recherche Axée sur laTolérance des Biothérapies) sur le risque de légionellose.

Méthodes et résultats

À partir du registre français RATIO impliquant 486 ser-vices cliniques ayant pour mission de collecter toutes les infec-tions sévères et opportunistes des patients traités par anti-TNFα,les auteurs ont rapporté une série de 10 cas consécutifs de pneu-monie à Legionella pneumophila au cours de l’année 2004.

L’âge moyen des patients était de 51 ans, sex ratio à 1. Lespathologies justifiant le traitement anti-TNFα étaient les sui-vantes : polyarthrite rhumatoïde dans 8 cas, psoriasis cutanésévère dans 1 cas, pyoderma gangrenosum dans 1 cas. Sixpatients étaient traités par adalimumab (Humira®), deux patientspar etanercept (Enbrel®), et 2 par infliximab (Remicade®). Tousétaient traités en moyenne depuis plus de 9 mois (entre 3semaines et 18 mois). Huit patients recevaient parallèlement descorticoïdes à une posologie inférieure à 15 mg d’équivalent pred-nisone et six patients porteurs d’une polyarthrite étaient parallè-lement traités par méthotrexate. Le diagnostic microbiologiqueétait confirmé soit par la positivité de l’antigénurie légionnellechez 9 patients, soit par une séroconversion (1 patient). La cul-ture était positive dans 3 cas (2 lavages alvéolaires et 1 expecto-ration). Chez 9 patients, il s’agissait de légionelle de sérogroupe 1,et chez un seul du sérogroupe 6, beaucoup plus rare. Tous les casétaient communautaires, un cas pouvait être considéré commeintégré à une épidémie. Les auteurs ont calculé un taux d’infec-tion à Legionella pneumophila de 33 à 42 cas pour 100 000patients traités par anti-TNFα contre un taux annuel d’inci-dence global estimé en France à 2 cas pour 100 000 habitants. Lerisque relatif de contracter une légionellose chez les patients trai-tés par anti-TNFα par rapport à la population générale étaitdonc estimé entre 16,5 et 21.

Commentaires

Des cas ponctuels de légionellose sous anti-TNFα ontdéjà été décrits dans la littérature [4-7]. L’intérêt de cette étuderésidait dans son caractère multicentrique et exhaustif dans lecadre d’un registre national. Certes, le risque relatif de légio-nellose sous anti-TNFα a pu être sur ou sous-estimé, en raisondu caractère incertain de certaines données (effets secondairesliés au anti-TNFα non rapportés, sous déclaration des légio-nelloses). Cependant, ce risque de biais était faible, la légionel-lose étant une maladie à déclaration obligatoire. L’analyse destableaux cliniques rapportés montrait un tableau de détresserespiratoire aiguë dans 3 cas, un tabagisme associé dans la moi-tié des cas. Un seul des trois patients transférés en USI étaitfumeur. Deux patients de la cohorte était diabétiques. On peutnoter l’absence de décès, le recours à une bithérapie dans 6 cassur 10 et dans les trois cas en détresse respiratoire. Les tableaux

cliniques étaient classiques associant des signes respiratoires uniou multifocaux, troubles digestifs et/ou neurologiques et/ourénaux [8].

L’effet pro-infectieux des anti-TNFα est largement évo-qué par des données in vivo sur des modèles murins, et in vitro.La réponse immune vis-à-vis des légionelles implique macro-phages alvéolaires et T-lymphocytes. L’adjonction de TNFα àdes cultures macrophagiques a induit une résistance à l’infec-tion par Legionella pneumophila. L’ajout d’anticorps monoclo-naux anti-TNFα a restauré la susceptibilité du macrophage àl’infection par cette bactérie intracellulaire [9]. Le rôle des cor-ticoïdes à faible dose et/ou du méthotrexate peut être évoquémais jusqu’à présent, malgré un large usage depuis de nom-breuses années, rares ont été les cas rapportés. Les auteurs ontaussi rapporté un 11e cas de légionelle survenue après lapremière perfusion d’infliximab, guérie et rechutant après réin-troduction de l’anti-TNFα. Ceci pose le problème de la contre-indication définitive ou non à ce type d’immunodépresseur.

Références

1 Recommandations sur la prévention et la prise en charge des tubercu-loses survenant sous anti-TNFα. AFSSAPS 2005 (http://afssaps.sante.fr/).

2 Bonniaud P, Nunes H : Complications pulmonaires des traitements dela polyarthrie rhumatoïde. Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 15S129-15S133.

3 Lioté H : Complications respiratoires des nouveaux traitements de lamaladie rhumatoïde. Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 1107-15.

4 Keane J, Gershon S, Wise RP, Mirabile-Levens E, Kasznica J, Schwie-terman WD, et al. : Tuberculosis associated with infliximab, a tumornecrosis factor alpha-neutralizing agent. N Engl J Med 2001 ; 345 :1098-104.

5 Li Gobbi F, Benucci M, Del Rosso A : Pneumonitis caused by legio-nella pneumoniae in a patient with rheumatoid arthritis treated withanti-TNF alpha therapy (infliximab). J Clin Rheumatol 2005 ; 11 : 119-120.

6 Wondergem MJ, Voskuyl AE, Van Agtmael MA : A case of legionello-sis during treatment with a TNF-alpha antagonist. Scand J Infect Dis2004 ; 36 : 310-1.

7 Eisendle K, Fritsch P : Fatal fulminant legionnaires disease in a patientwith severe erythodermic psoriasis treated with infliximab after longterm steroid therapy. Br J Dermatol 2005 ; 152 : 585-6.

8 Grangeon V, Vincent L, Pacheco Y : Digestive disorders and legion-naires’ lung disease. Accompanying signs or visceral location? Rev MalRespir 2000 ; 17 : 489-92.

9 McHugh SL, Newton CA, Yamamoto Y, Klein TW, Freidman H :Tumor necrosis factor induces resistance of macrophages to Legionellapneumophila infection. Proc Soc Exp Biol Med 2000 ; 224 : 191-6.

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Infections respiratoires

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