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Fondation pour la Recherche Stratégique 27, rue Damesme 75013 PARIS Tél. : 01 43 13 77 77 fax : 01 43 13 77 78 http ://www.frstrategie.org Siret 394 095 533 00045 TVA FR74 394 095 533 Code APE 732Z Fondation reconnue d'utilité publique – Décret du 26 février 1993 Séminaire « Péninsule coréenne et Asie du Nord-Est 18 – 19 janvier 2006 au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM) – Paris

Péninsule coréenne et Asie du Nord-Est...sud-coréen. ¾ États-Unis et Japon seront vus avec moins d’indulgence : les premiers sont en contradiction d’intérêt avec la Corée

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Fondation pour la Recherche Stratégique • 27, rue Damesme • 75013 PARIS Tél. : 01 43 13 77 77 • fax : 01 43 13 77 78 • http ://www.frstrategie.org

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Séminaire

« Péninsule coréenne et Asie du Nord-Est

18 – 19 janvier 2006 au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM) – Paris

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SOMMAIRE

Note de couverture....................................................................................................................5

Synthèse .....................................................................................................................................9

1 – Les relations intercoréennes et la perspective de la réconciliation nationale ...........................................................................................9

1.1 – La guerre de Corée ou le passage d’une division nationale à une partition nationale confirmée ............................................................................9

1.1.1 – Le rôle des forces françaises du bataillon de l’ONU.............................................9 1.1.2 – Les origines de la guerre de Corée (1950-53) .......................................................9

1.2 – Les cycles de tension et de détente dans les relations intercoréennes......................10 1.2.1 – Le paradoxe de la division de la péninsule coréenne au regard

du passé séculaire commun aux deux pays .........................................................10 1.2.2 – La confiscation des relations intercoréennes par des acteurs

et intérêts extérieurs à la péninsule......................................................................11 1.3 – La politique de la « sunshine policy » et la réconciliation nationale .......................11

1.3.1 – Le bilan positif de « Sunshine Policy » ...............................................................11 1.3.2 – La réconciliation nationale ..................................................................................12

1.4 – La perspective de la réunification ............................................................................13 1.4.1 – Un objectif réalisable sur le long terme...............................................................13 1.4.2 – La priorité donnée au statu quo sur la réunification ............................................13

2 – La crise nucléaire nord-coréenne ..................................................................................14 2.1 – L’évolution du régime nord-coréen..........................................................................14

2.1.1 – Le passage d’une stratégie offensive à une stratégie défensive...........................14 2.1.2 – Le nucléaire au coeur de la stratégie nord-coréenne ...........................................15 2.1.3 – La rationalité de la stratégie nord-coréenne.........................................................15

2.2 – Le développement de l’économie de marché et la question de l’ouverture du régime nord-coréen ......................................................................16

2.2.1 – Un développement timide de l’économie de marché ..........................................16 2.2.2 – La fermeture hermétique du régime nord-coréen ................................................17

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2.3 – Quelle stratégie face au dossier nord-coréen ? Une combinaison des approches bilatérales et multilatérales ...............................................................18

2.3.1 – Le manque de coordination des politiques internationales vis-à-vis de la Corée du Nord.............................................................................................18

2.3.2 – La thèse du complot inversé : l’anecdote de James Hoare ..................................19 2.3.3 – L’inefficacité des sanctions économiques et la nécessité

d’une transition en douceur .................................................................................20 2.4 – La Corée du Nord et les enjeux de la prolifération nucléaire

à l’échelle globale.....................................................................................................20 2.4.1 – Les cas nord-coréen et iranien .............................................................................20 2.4.2 – Les enjeux de la prolifération nucléaire...............................................................21

3 – Le rôle des différents acteurs régionaux dans le maintien de la sécurité régionale ...................................................................................................22

3.1 – L’évolution des nationalismes en Asie orientale......................................................22 3.1.1 – Des nationalismes très anciens ............................................................................22 3.1.2 – Des nationalismes à géométrie variable ..............................................................22

3.2 – Les tensions régionales.............................................................................................23 3.2.1 – Le dossier nucléaire nord-coréen.........................................................................23 3.2.2 – La montée de la puissance militaire chinoise ......................................................23 3.2.3 – L’exploitation des ressources énergétiques .........................................................23

3.3 – Le rôle pivot de la Chine ..........................................................................................24 3.3.1 – La Chine et la question nord-coréenne ................................................................24 3.3.2 – L’évolution des relations sino-coréennes ............................................................24 3.3.3 – La question de Taiwan dans les relations sino-coréennes ...................................25

3.4 – La réorientation de la stratégie américaine dans la région .......................................25 3.4.1 – Les tensions États-Unis/Corée du Sud.................................................................25 3.4.2 – Le rapprochement États-Unis/Corée du Sud et la stabilité régionale ..................26

3.5 – La nouvelle politique régionale du Japon et de la Russie ........................................26 3.5.1 – La « normalisation » du Japon.............................................................................26 3.5.2 – Le retour de la Russie sur la scène régionale.......................................................27

3.6 – L’idée d’un système de concertation au niveau régional .........................................27

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Note de couverture*

Co-organisée les 18 et 19 janvier 2006 à Paris par Asia Centre et la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), avec l’appui et le conseil de la Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, cette conférence avait pour but de permettre à l’audience d’appréhender, à travers le cas de la Corée, les choix et les dilemmes stratégiques en Asie du Nord-est.

La décision avait été prise de remonter directement aux sources – c’est-à-dire de permettre à des experts ou acteurs de la scène géopolitique coréenne (Corée du Sud) de s’exprimer et de dialoguer entre eux, avec des participants français ou européens ainsi qu’avec le public du Centre des Hautes Etudes Militaires (CHEM) ou invité.

Inédite dans sa formule, cette conférence a restitué, lors des présentations et débats, des points importants et rarement évoqués :

Une histoire spectrale de la péninsule coréenne, resituant les dimensions diverses de la guerre intercoréenne mais aussi des dimensions politiques intérieures depuis la fin de l’occupation japonaise (présentations de André Fabre et Yoo Jungwan) ; la suite de la conférence va constamment revenir sur ces évolutions internes, en particulier dans la société et la politique sud-coréenne, et « externaliser » une grande partie du conflit sur la politique américaine ;

Les perspectives de réunification apparaissent à la fois réalistes en raison de la « réconciliation » qu’anticipent de nombreux acteurs privés, du passage possible et même souhaitable à la gestion intercoréenne de la zone démilitarisée et de ses couloirs, de l’intensité croissante des échanges économiques ; et lointaines en raison du choc qu’entraînerait un rapprochement brutal entre deux sociétés aux modèles si différents – et si inégales aujourd’hui. Si M. Kim Taeho n’hésite pas à parler du « statu quo » comme de la meilleure des solutions, les autres chercheurs préfèrent envisager une perspective éloignée de réunification.

Un débat vif quoique courtois oppose les chercheurs coréens sur le facteur nucléaire et les armes de destruction massive nord-coréennes. Pour MM. Changsu Kim et Yongsup Han, le chantage nucléaire et la détention des bombes sont un facteur incontournable. M. Seongchang Cheong et l’ambassadeur Chulki Ju vont relativiser la menace, ce dernier percevant un signe d’évolution de la Corée du Nord à partir des dernières conversations à Six de Pékin. Le récit haut en couleurs fait par James Hoare, premier ambassadeur britannique à Pyongyang en 2002-2003, mettant en doute la réalité même des armes de destruction massive et l’existence d’un programme nucléaire militaire et réduisant celui-ci à un bluff qui tournerait mal à l’automne 2002 (visite à Pyongyang du sous-secrétaire d’État américain James Kelly) va évidemment renforcer les arguments de cette dernière thèse.

* François Godement, Président de Asia Centre.

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La présentation des enjeux économiques a illustré la difficulté d’avoir une vision rationnelle de l’évolution du système nord-coréen. Ruediger Frank présente les éléments de l’économie de marché naissante, souligne le rôle de nouveaux flux internationaux (notamment chinois), relève la plasticité idéologique d’un régime sui generis et finalement très peu marxiste. Mais il expliquera aussi que la réforme des prix lancée à l’été 2003 a dû être interrompue en octobre 2005 : elle faisait la part trop belle aux producteurs agricoles dans un pays qui, à la différence de la Chine ou du Vietnam, est bien plus urbanisé et salarié. La rigidité des structures politiques, les atrocités concernant les droits de l’homme, la question des réfugiés sont rappelés.

La séance concernant l’attitude des grands acteurs internationaux révèle des failles importantes entre ceux-ci : Seongchang Cheong et François Godement estiment que l’attitude de l’administration américaine depuis 2001 a été une « non-politique » accompagnée d’une instrumentalisation de la question nucléaire plutôt que l’adoption d’une stratégie, fût-elle dure, à l’égard de la Corée. James Hoare suscite un vif débat en affirmant à partir de son expérience que les États-Unis ont poussé et piégé la Corée du Nord en 2002 sur la question de son programme nucléaire caché. M. Changsu Kim défendra l’acuité de la vision américaine (mais « ils ne disent pas tout ce qu’ils savent ») sur la Corée du Nord ; François Godement souligne que le nucléaire militaire nord-coréen est un handicap stratégique pour la Chine, et reste une préoccupation japonaise majeure même si ce dernier ne veut pas d’un recours à la force, peu crédible aujourd’hui.

Le débat s’est répété à propos de l’interaction entre le cas nord-coréen et la prolifération. Tandis que Bernard Hourcade évoque le cas iranien en des termes voisins de ceux de James Hoare pour la Corée du Nord, Guillaume Schlumberger rappelle les exigences du Traité de non-prolifération, et surtout l’effet mécanique sur d’autres proliférants potentiels qui serait la conséquence d’une acceptation internationale des cas nord-coréen et iranien. François Godement évoque l’effondrement possible du TNP par le haut (développement de catégories d’armes nouvelles et nouvelles doctrines d’emploi) et par le bas (multiplication des justifications apologétiques au cas par cas et loi du précédent). Guillaume Schlumberger évoque l’exemplarité du cas iranien que tous les proliférateurs observent (y compris les Nord-coréens) ; soulève l’idée d’une instrumentalisation de la prolifération par la Chine pour contrer indirectement les États-Unis ; souligne que la politique européenne fondée sur le soft power est aujourd’hui obsolète.

Le rôle de la Chine va être envisagé en fait de façon plus consensuelle par les intervenants sur le plan régional. Charles-Philippe Godard présente un pays dont l’émergence militaire ne doit pas faire oublier les objectifs économiques et de sécurité au sens large. La gestion du dossier nord-coréen est une opportunité pour la Chine de gains à la fois géopolitiques et économiques sur la péninsule. L’ambassadeur Ju comme M. Taeho Kim – dont les vues divergeaient sur d’autres sujets – estiment qu’un rapprochement avec la Chine est dans l’intérêt national sud-coréen.

États-Unis et Japon seront vus avec moins d’indulgence : les premiers sont en contradiction d’intérêt avec la Corée du Sud, pour James Hoare ; quoiqu’ils visent peut-être à terme une normalisation directe avec le régime de Pyongyang, que le Sud accepterait si elle ne débouche pas sur un alignement anti-chinois

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(Charles Philippe Godard). Le Japon, dont la contribution économique et commerciale est essentielle dans toute l’Asie du Nord-est, est enfermé dans une attitude « étrange » sur l’histoire. Le possible retour de la Russie se fera à travers la gestion du dossier énergétique. Une concertation régionale, pour l’ambassadeur Ju, est souhaitable mais ne peut que prendre la suite des conversations à Six, et non pas anticiper sur leur résultat.

Tout au long de cette conférence, les participants ont débattu sans éclats de leurs points de vue, souvent très divers, sur l’histoire et l’environnement de la péninsule, et ce en présence de l’ambassadeur de la RDC : c’est un signe de maturité démocratique, qui explique peut-être plus que tout autre facteur la fin de l’alignement automatique sur les positions et analyses américaines. Les participants coréens ont paru toutefois oublier le plus souvent le cadre global de la prolifération, et n’envisager les relations avec un pays comme la Chine qu’en fonction de leurs espérances régionales sur le rôle de celle-ci.

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Synthèse*

Cette synthèse est divisée en trois volets : les relations intercoréennes et la perspective de la réconciliation nationale (1.), la crise nucléaire nord-coréenne (2.) et le rôle des différents acteurs régionaux dans le maintien de la sécurité régionale (3.).

1 – Les relations intercoréennes et la perspective de la réconciliation nationale

1.1 – La guerre de Corée ou le passage d’une division nationale à une partition nationale confirmée

1.1.1 – Le rôle des forces françaises du bataillon de l’ONU

Président de l’Association Nationale des Anciens et Amis des Forces Françaises de l’ONU en Corée, Patrick Beaudoin rappelle comment une poignée d’hommes a contribué à créer et développer les liens qui unissent la France à la Corée du Sud. Il souligne que les principes des combattants français de l’ONU s’exprimaient dans les valeurs de la République française : la Liberté, l’Égalité, la Fraternité. Selon lui, leur intervention n’était pas indissociable du combat mené par les Coréens eux-mêmes. Les combattants Coréens et Français ne formaient qu’une seule unité sans aucune distinction et luttaient pour le même idéal, ce qui a construit une fraternité encore intacte aujourd’hui. Patrick Beaudoin estime que malgré la disparition des acteurs, l’association des anciens de Corée continue la mission qu’elle s’est fixée d’être un lien solide entre les deux pays. Jean d’Amécourt souligne que les militaires français ont toujours pour la Corée du Sud un attachement particulier du fait de leur contribution à sa libération. Selon lui, la guerre de Corée a été un événement fondateur des alliances en Asie du Nord-Est entre d’un côté les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon et de l’autre, la Chine et la Corée du Nord. André Santini soutient que la guerre de Corée a créé des liens solides entre la France et la Corée du Sud car la France a perdu 10 % de son bataillon d’hommes. Selon lui, la France ne prend pas suffisamment en compte la grande amitié que la Corée lui porte. Il soutient que si les échanges franco-coréens se sont développés en 2005, ils le sont encore peu. André Santini espère voir se multiplier les jumelages et les échanges entre la France et la Corée sur le modèle franco-allemand. Il rappelle que l’année 2006 sera une année dense et importante pour la Corée et que l’on fêtera le 120ème anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Corée.

1.1.2 – Les origines de la guerre de Corée (1950-53)

La période 1945-1953 est chargée d’événements décisifs qui marquent le passage d’une partition territoriale à une division nationale confirmée. Le professeur Junghwan Yoo souligne que les alliés n’avaient pas de projet précis vis-à-vis de la péninsule coréenne avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’idée d’un projet de tutelle naît à la conférence de Yalta en 1945, puis il est abandonné à Moscou en 1947. Les Américains souhaitent alors construire une démocratie dans la péninsule coréenne avec l’idée de constituer une base solide dans la région pour les appuyer dans leur lutte anti-communiste.

* Version diffusée lors de la mission du CHEM en Asie.

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Le projet américain est présenté à l’ONU, mais les Russes refusent d’autoriser des élections dans le Nord de la péninsule. Le 05 août 1948, la République de Corée est proclamée au Sud et le président Sungham Rhee est nommé à sa tête. En septembre 1948, la République Démocratique Populaire de Corée est proclamée au Nord avec Kim Il Sung comme dirigeant. Selon Junghwan Yoo, les Coréens regrettaient cette division et s’en rejetaient mutuellement la responsabilité. C’est dans cette atmosphère tendue que la guerre de Corée a éclaté en 1950.

Le professeur Yoo distingue trois thèses distinctes sur l’origine de la guerre de Corée :

1. La thèse traditionaliste : les dirigeants communistes (Staline, Kim Il Sung et Mao Tse Toung) ont comploté pour faire éclater la guerre.

2. La thèse de la provocation américaine : les États-Unis ont volontairement délaissé la Corée pour provoquer la guerre dans le contexte de l’expansionnisme communisme. Cette thèse est considérée comme la moins crédible aujourd’hui.

3. La thèse « révisionniste » développée depuis les années 1970 : les facteurs internes à la péninsule coréenne comme les clivages idéologico-politiques sont jugés plus importants que les facteurs externes dans le déclenchement de la guerre de Corée.

Pour le professeur Yoo, c’est une combinaison de facteurs internes et externes qui explique le déclenchement de la guerre de Corée. Selon lui, cette situation est comparable au cas de la partition du Vietnam mais elle se distingue des cas allemand ou chinois. Suite à l’armistice de 1953, la Corée du Sud et le monde occidental ont affirmé que la division de la péninsule coréenne renvoyait à des facteurs internationaux et ont constamment cherché une solution sur le plan international. En revanche, la Corée du Nord a toujours considéré cette division comme la résultante de problèmes intercoréens. Junghwan Yoo estime que ces deux visions de la division coréenne constituent le fondement de toutes les politiques de la Corée du Sud et de la Corée du Nord depuis les années 1950. Il soutient que cette interprétation différente de l’histoire a constitué un obstacle dans la recherche d’une solution durable pour la réconciliation nationale coréenne. Interrogé sur la thèse révisionniste, Junghwan Yoo précise qu’elle est récente et constitue une nouvelle vision de la division de la Corée insistant sur l’importance des relations intercoréennes dans la perspective d’une réconciliation nationale.

1.2 – Les cycles de tension et de détente dans les relations intercoréennes

1.2.1 – Le paradoxe de la division de la péninsule coréenne au regard du passé séculaire commun aux deux pays

La division de la péninsule coréenne revêt un caractère paradoxal au regard du passé séculaire commun aux deux pays et de l’homogénéité de la population coréenne. Le colonel Nass préconise d’analyser la péninsule coréenne en prenant la relation Nord/Sud dans sa continuité depuis les origines et en intégrant la détermination et l’implication personnelle de certains hommes qui ont fait basculer l’histoire coréenne, comme Chung Ju Young, le fondateur de Hyundai, ou encore le président Kim Dae Jung.

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1.2.2 – La confiscation des relations intercoréennes par des acteurs et intérêts extérieurs à la péninsule

La fin de la Seconde Guerre mondiale est perçue dans la péninsule coréenne comme une libération confisquée par des intérêts extérieurs, qui imposent la partition et l’occupation. L’indépendance est ensuite refusée pour des raisons extérieures de « Guerre froide et de lutte contre le communisme » qu’exacerbe l’arrivée au pouvoir de Mao en Chine. Le colonel Nass considère que la guerre de Corée met en jeu deux camps frustrés de la victoire, portant le sentiment d’une guerre civile « contrariée » par des intérêts/acteurs extérieurs, sans vainqueur ni vaincu coréen. C’est en ce sens que la fin de la Seconde Guerre mondiale constitue une « victoire empêchée » pour Syngman Rhee et une « victoire confisquée » pour le Nord. La période « 1945-guerre de Corée » représente ainsi la première grande tragédie de la relation Nord-Sud, qui laisse deux entités coréennes prêtes à s’empoigner dès que leurs tuteurs leur en laisseraient l’occasion. Selon le colonel Nass, les relations intercoréennes ont depuis évolué dans l’interférence constante de la politique intérieure américaine et de son intérêt fluctuant pour la région, au gré de cycles de provocations et d’incidents Nord/Sud, et en fonction des échéances politiques du Nord, du Sud et des États-Unis. Il rappelle également l’évolution depuis les années 1990 qui s’est traduite notamment par la mise en place d’un dialogue intercoréen secret par des services de renseignements interposés et une instrumentalisation des relations intercoréennes comme outil de propagande par les régimes respectifs. Aux États-Unis, le dossier Corée est instrumentalisé en politique intérieure et la gestion de la question coréenne est déléguée aux militaires qui ont des intérêts parfois divergents de ceux de l’administration au pouvoir. Par ailleurs, le colonel Nass souligne que nombre de propositions faites dans les années 1950 pour régler les problèmes intercoréens, comme les réunions de familles séparées, n’ont pu voir le jour qu’à la fin des années 1990. Il ajoute que l’année 2002 est une année cruciale et pivot pour deux raisons essentielles : le retour de la question nucléaire en tant que blocage principal des relations Nord/Sud en octobre 2002 et l’élection du président Roh Moo Hyun en décembre 2002 qui permet la poursuite et l’élargissement de la politique d’engagement avec le Nord. Selon lui, les relations intercoréennes sont aujourd’hui souvent otages des relations États-Unis/Corée du Nord autour de la question du nucléaire. Il estime que pour les années 2006-2007, le président Roh est déterminé à rendre le processus de détente intercoréen irréversible, en ne laissant aucun pays autre que la Corée du Sud jouer le rôle de médiation qui lui revient. Le colonel Nass s’interroge ainsi sur l’identité de l’acteur qui prendrait au final la responsabilité de détruire les armes de destruction massives en Corée du Nord (États-Unis ou ONU, notamment).

1.3 – La politique de la « sunshine policy » et la réconciliation nationale

1.3.1 – Le bilan positif de « Sunshine Policy »

Le colonel Yakovlev soutient que depuis la première tentative de rapprochement entre le président sud-coréen Sunghee Park et le dirigeant nord-coréen Kim Il Sung en 1961, on constate une volonté plus nette de la Corée du Sud de rendre la détente possible dans la région et les tentatives de rapprochement entre les deux Corée se sont multipliées. Il appuie son analyse sur un tableau chronologique ou « thermomètre » des relations intercoréennes, qui montre que les rencontres entre les deux Corée se sont considé-rablement développées ces dernières années, principalement grâce à la politique d’engagement de la Corée du Sud ou « Sunshine Policy ».

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12 Fonda t ion pour l a Recherche S t ra tég ique

Selon l’ambassadeur Chulki Ju, la politique d’engagement de la Corée du Sud menée par l’ancien président Kim Dae Jung et la politique de paix et de prospérité du gouvernement du président Roh Moon-Hyun ont permis de renforcer les contacts et les liens de coopération entre les deux Corée. Les investissements sud-coréens en Corée du Nord, particulièrement en ce qui concerne le pôle d’affaire de Gaesung, portent leurs fruits. Malgré ces progrès, l’ambassadeur Ju se demande si la Corée du Nord acceptera d’accueillir plus d’investissements en provenance de la Corée du Sud et si elle pourra gérer le dilemme entre la nécessité de redresser son économie et sa volonté de garder la mainmise sur son peuple et sa société. L’ambassadeur souligne que les rencontres bilatérales au niveau ministériel continuent à un rythme régulier et les discussions économiques progressent, mais les discussions militaires sont souvent interrompues par la Corée du Nord. Avec la multiplication des contacts et des échanges, les méfiances mutuelles sont peu à peu tombées, mais l’objectif de la réunification n’est toujours pas véritablement mentionné à ce stade. Selon Yongsup Han, la « Sunshine Policy » est une stratégie basée sur l’idée que le régime nord-coréen ne s’effondrera pas. Il s’agit de favoriser un changement progressif et pacifique de la Corée du Nord en privilégiant le dialogue, l’ouverture de l’armée nord-coréenne ainsi que les échanges économiques et militaires. Malgré les difficultés rencontrées et une mauvaise volonté manifeste des États-Unis, notamment dans la gestion du programme KEDO, monsieur l’ambassadeur James Hoare estime que cette politique a porté ses fruits. Grâce aux fonds dégagés par la Corée du Sud, les échanges intercoréens se développent et permettront à terme de résoudre certains dossiers comme le nucléaire.

1.3.2 – La réconciliation nationale

L’engagement du peuple coréen en faveur de la réconciliation nationale s’exprime au travers de la politique sud-coréenne de la main tendue et dans les négociations à six sur le nucléaire nord-coréen. Le professeur Yoo estime que la société sud-coréenne est en pleine mutation, mais qu’elle conserve ses racines historiques. André Fabre soutient que la réconciliation nationale s’opère déjà dans les esprits des Coréens car une « coréanité » profonde transcende les difficultés économiques et politiques. Pour le colonel Nass, le développement des échanges intercoréens de marchandises constitue pour les autorités sud-coréennes une première étape vers la réconciliation nationale. Il cite l’exemple de Gaesong où 15 entreprises sud-coréennes sont installées employant 3 500 salariés nord-coréens en soulignant que leur nombre atteindra 2 000 d’ici 2007. Le commerce bilatéral a également augmenté de 55 % en 2005. Il constate qu’il y a une concrétisation de nombreux projets dans les couloirs ouverts par la « Sunshine Policy » de Kim Dae Jung. Le professeur Cheong estime à l’inverse que les progrès dans les échanges économiques et militaires intercoréens sont insuffisants pour rapprocher les deux Corée et préconise l’établissement en parallèle à ses liens bilatéraux la signature de multiples accords internationaux sur la question du nucléaire, notamment avec les États-Unis et la Chine. Selon lui, le dialogue doit être poursuivi à ces deux niveaux car les efforts engagés avec les pays étrangers ont déjà porté leurs fruits. Les États-Unis devraient sortir de leur attitude réservée pour encourager le rapprochement intercoréen.

Le colonel Nass soulève la question du rôle des Nations Unies dans le processus de réconciliation nationale. Selon lui, le mandat officiel obtenu par l’ONU depuis la fin de la guerre de Corée pour contrôler la zone démilitarisée ne se justifie plus aujourd’hui. Il rappelle que les deux Corée travaillent ensemble sur la zone démilitarisée alors que l’armistice a été fait à l’origine pour séparer les belligérants. Selon lui, la progression vers un traité de paix est une priorité et les Coréens sont capables de poursuivre cet objectif dans les couloirs tracés par la « Sunshine Policy ».

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L’ambassadeur Ju soutient que la politique d’engagement mise en place depuis Kim Dae Jung ne pourra pas être réversible si les élections présidentielles de 2007 se soldent par une alternance au pouvoir. Il estime que la jeune génération coréenne ne montre pas aujourd’hui de réticence vis-à-vis de la Corée du Nord et que les deux Corée sont capables de coexister harmonieusement. Selon lui, même si les conservateurs prennent le pouvoir en 2007, la Corée est arrivée à un point de non-retour et maintiendra l’attitude actuelle visant la réconciliation nationale.

1.4 – La perspective de la réunification

1.4.1 – Un objectif réalisable sur le long terme

La réunification de la péninsule coréenne est un objectif de long terme que la Corée du Sud souhaite assurément atteindre. Junghwan Yoo soutient que l’espoir de la réunification est dans les esprits, seul le coût de celle-ci décourage une partie de l’opinion publique. Selon lui, les efforts en vue du renforcement de la coopération économique intercoréenne permettront d’amortir une partie de ce coût. André Fabre est plus sceptique s’agissant de la coopération économique au vu de la volonté chinoise de se mêler également du développement économique de la Corée du Nord et du risque éventuel de rivalité avec la Corée du Sud.

Selon le professeur Han, l’ouverture de l’armée nord-coréenne et le développement des échanges touristiques dans le cadre de la poursuite de la politique de la main tendue sont les perspectives les plus prometteuses. Il faudrait encore attendre une vingtaine d’années avant d’envisager une réunification. Il rejoint le professeur Yoo en avançant que le coût de la réunification est secondaire car les deux Corée ainsi que les autres pays impliqués dans le processus de réunification pourraient en partager les frais. Il reste confiant en la capacité des Coréens à s’unir pour affronter ces difficultés. Les Coréens du Sud ont tendance à assortir le coût de la réunification à l’espoir de son amortissement dans le temps et la Corée du Sud a mis en place beaucoup d’études sérieuses sur le coût de la réunification. Selon lui, les Coréens ont toujours réussi à s’unir pour surmonter les difficultés dans l’histoire coréenne, la crise financière de 1997 en a offert un nouvel exemple, et cette faculté renforce leur sentiment d’unité. Lors de la crise financière de 1997, la situation était critique et les Coréens du Sud ont accepté de donné tout l’or qu’ils possédaient pour renflouer les caisses de l’État. Cet exemple laisse à penser qu’en cas de nouvelle crise liée à la réunification, un scénario similaire serait envisageable. Le colonel Nass envisage le processus de réunification seulement sur le long terme et à condition qu’il y ait une diminution des menaces des deux côtés avec un désengagement militaire américain assorti d’un processus d’accompagnement de l’armistice.

1.4.2 – La priorité donnée au statu quo sur la réunification

Les Coréens souhaitent une réunification radicalement différente de la réunification allemande, à savoir moins radicale et plus en douceur. Selon Taeho Kim, le statu quo est actuellement privilégié par l’ensemble des acteurs régionaux sur la réunification car l’existence d’une seule Corée entraînerait un repositionnement des puissances régionales concernées et présenterait le risque de déclencher des conflits de souveraineté. Sur la question du travail de mémoire, à l’instar du travail de mémoire qui a construit la relation franco-allemande, l’ambassadeur Ju croit qu’il se réalisera progressivement à la suite de la réunification des deux Corée sans que la Corée du Sud n’y sacrifie son système démocratique. Le professeur Cheong préconise un processus de réunification par étapes s’inspirant du projet européen. Sur la question du défi des différences de mentalités entre

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les deux Corée qui pourrait nuire à la réunification de la péninsule coréenne, l’ambassadeur Ju estime nécessaire de développer avec la Corée du Nord l’adaptation des mentalités respectives mais également le niveau de vie pour faire diminuer au maximum le coût de la réunification. Il rappelle que 6 000 à 7 000 Nord-Coréens vivent actuellement en Corée du Sud et qu’ils constituent déjà un défi de taille. Junghwan Yoo souligne les multiples différences qui opposent les sociétés sud et nord-coréennes : le peuple nord-coréen est conditionné alors que le peuple sud-coréen est individualiste, très occidentalisé. La réunification posera des problèmes d’adaptation entre les deux sociétés. James Hoare soutient que malgré tout l’espoir de la Corée du Sud, la perspective d’une réunification est lointaine car les dirigeants nord-coréens ont peur de subir le même sort que Ceaucescu et les hauts fonctionnaires d’Europe de l’Est et le régime est toujours très fort, notamment en matière de défense, malgré la faiblesse de l’économie. La population n’a pas connaissance des richesses de la Corée du Sud et ne s’estime pas non plus défavorisée par rapport aux générations antérieures. L’aspiration à la réunification mettra donc un certain temps à naître dans les esprits nord-coréens.

2 – La crise nucléaire nord-coréenne

2.1 – L’évolution du régime nord-coréen

2.1.1 – Le passage d’une stratégie offensive à une stratégie défensive

Le régime nord-coréen passe d’une stratégie offensive pendant la Guerre froide à une stratégie défensive dans l’après-Guerre froide. Jusqu’à la fin des années 1960, la Corée du Nord possède une puissance militaire supérieure à la Corée du Sud et son objectif est de faire s’effondrer le régime de Séoul. Lorsqu’elle ne peut plus affirmer sa supériorité économique et militaire face à la Corée du Sud, elle adopte un comportement menaçant en organisant des attentats sur le modèle soviétique. Le régime nord-coréen crée volontairement des crises et développe l’anormalité. La fin de la Guerre froide signifie pour la Corée du Nord, l’effondrement de son plus fidèle allié, l’URSS, l’avènement de la politique d’engagement sud-coréenne et d’une plus grande souplesse de la Chine à l’égard des États-Unis. Par ailleurs, l’alliance militaire entre la Corée du Sud et les États-Unis contribue à endiguer toute nouvelle crise intercoréenne. La Corée du Nord cherche alors des solutions pour assurer sa survie en provoquant des crises autour du nucléaire. Le chantage nucléaire lui permet de bénéficier d’une aide économique substantielle nécessaire à son économie en déclin.

Selon le professeur Changsu Kim, la Corée du Nord a mis du temps à se rendre compte de son infériorité économique et militaire par rapport à la Corée du Sud. Il met en lumière le sentiment d’infériorité qui a poussé le pays à développer des armes de destruction massive dans le contexte des deux crises nucléaires de 1993-1994 et de 2002. Il rappelle que la Corée du Nord connaît des catastrophes naturelles (inondation, sécheresse) en 1992-93, suivies d’une famine dans un contexte de croissance économique nulle. Elle a ensuite le sentiment d’être exclue des négociations précédant la signature des accords de Genève le 20 août 1994. Selon Changsu Kim, ces éléments ont constitué un terrain propice au développement des armes nucléaires nord-coréennes. Quelques années plus tard, les États-Unis placent la Corée du Nord sur « l’axe du mal » dans le contexte de la guerre contre le terrorisme. Changsu Kim soutient que cette situation offre de nouveau un terrain favorable au déclenchement d’une nouvelle crise nucléaire en 2002.

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2.1.2 – Le nucléaire au coeur de la stratégie nord-coréenne

Suite à la deuxième crise nucléaire de 2002, la Corée du Nord s’est retirée du Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP) en 2003 et provoque régulièrement des tensions. Les négociations régionales à six sur le nucléaire nord-coréen engagées à l’initiative de Pékin depuis quelques années ne sont ni bilatérales, ni trilatérales, mais pour la première fois multilatérales. Changsu Kim estime que le chantage nucléaire va encore durer malgré la mise en place de ces pourparlers à six et la signature d’un accord en septembre 2005. Il rappelle que parmi les cinq problèmes liés à la Corée du Nord évoqués en 2001 par l’administration Bush, seule la question nucléaire a été traitée à ce jour. Il reste ainsi quatre autres questions, parmi lesquelles celle des missiles, propices à faire éclater de nouvelles crises dans la péninsule. Comme le nucléaire est le seul outil de la Corée du Nord pour attirer l’attention de la communauté internationale, il n’est pas dans son intérêt d’y renoncer. Le professeur Yongsup Han soutient que la carte nucléaire restera essentielle aux yeux de Pyongyang mais il estime que la Corée du Nord ne constituera pas pour autant une menace car ce chantage nucléaire s’inscrit dans un calcul stratégique. James Hoare considère que les dirigeants nord-coréens ne sont pas suicidaires et n’enverraient pas de missile ou de bombe nucléaire, par exemple contre le Japon, car ils sont bien conscients des représailles sévères qu’ils subiraient en retour. François Godement estime également que le régime nord-coréen n’envisage pas l’emploi de l’arme nucléaire.

Selon le professeur Seongchang Cheong, un conflit majeur autour du nucléaire est très peu envisageable. Il rappelle les gestes positifs de la Corée du Nord ces dernières années, comme l’envoi d’une délégation nord-coréenne aux États-Unis sous l’administration Clinton ou l’initiative du sommet Kim/Koizumi avec le Japon en 2002 et l’acceptation des négociations à six sur le programme nucléaire nord-coréen. L’ambassadeur Chulki Ju estime qu’il faut relativiser les tensions engendrées par le projet nucléaire de la Corée du Nord. Selon lui, l’adoption de la déclaration conjointe en septembre 2005 à Pékin au terme de deux années de négociation à six est positive, en ce sens que les différentes parties se sont mises d’accord pour un démantèlement du projet nucléaire nord-coréen ainsi que pour la normalisation à terme des relations de la Corée du Nord avec les États-Unis et le Japon. Ces nouveaux objectifs visent à atténuer les préoccupations de la Corée du Nord en matière de sécurité et d’assistance économique tout en favorisant son adhésion à la communauté internationale. Selon l’ambassadeur, cette déclaration conjointe constitue un nouveau point de départ à la mise en place d’un processus de paix dans la péninsule coréenne et les réunions des 6 parties permettront d’ouvrir un nouvel horizon dans les rapports intercoréens.

2.1.3 – La rationalité de la stratégie nord-coréenne

Depuis la fin de la Guerre froide, la communauté internationale n’a pas su interpréter correctement la stratégie nord-coréenne, convaincue qu’elle était de l’imminence de l’effondrement du régime nord-coréen. En 2006, le régime de Kim jong Il est au centre de toutes les préoccupations de la communauté internationale qui est contrainte de réviser son interprétation : contrairement aux idées préconçues, la stratégie de la Corée du Nord est extrêmement rationnelle. François Godement souligne que la mauvaise interprétation de la stratégie nord-coréenne est en partie liée à ces stéréotypes que la propagande sud-coréenne a pendant un certain temps contribué à développer. Cette vision erronée a entraîné des changements de politique au fil des années. Par exemple, la politique nord-coréenne des États-Unis a changé à plusieurs reprises et aujourd’hui, c’est le changement de ton de la Corée du Sud qui est le plus surprenant. Si la communauté internationale

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critique toujours autant le régime nord-coréen, force est de constater qu’elle y prête constamment attention. Selon le professeur Godement, ceci s’explique par la stratégie d’action du régime de Kim Jong Il qui repose sur la rationalité et la volonté de toujours garder des marges de liberté dans ses tactiques.

Selon le professeur Cheong, les ressorts de la stratégie de la Corée du Nord s’exposent en six points :

1. Si la Corée du Nord a été bâtie sur les idées de Staline, elle ne les a jamais véritablement suivies : dans les années 1960, elle a toujours voulu éviter l’ingérence politique de l’URSS ou de la Chine.

2. Après la Guerre froide, la Corée du Nord étudie rapidement comment contester les États-Unis, ce qui explique qu’elle résiste actuellement mieux qu’on ne le croyait aux critiques américaines.

3. Le pays a toujours cherché à gagner une autonomie pour pouvoir jouer la carte de l’indépendance sur la scène internationale. Le régime est d’ailleurs bâti sur l’idée d’une économie autonome.

4. La Corée du Nord a toujours opté pour l’autodéfense plutôt que pour des alliances militaires avec d’autres pays communistes, ce qui lui a permis d’affronter directement les États-Unis.

5. L’unité du peuple nord-coréen renvoyant à l’idéologie du Juche a joué pour contrebalancer toute menace d’invasion étrangère.

6. La stratégie nord-coréenne est étroitement liée à la stratégie sud-coréenne sur de nombreux points. Suite à la rencontre au sommet entre les deux Corée en 2000, le régime nord-coréen a une attitude plus coopératrice avec le gouvernement sud-coréen, ce qui lui a permis de renouer des relations diplomatiques avec un certain nombre de pays européens.

2.2 – Le développement de l’économie de marché et la question de l’ouverture du régime nord-coréen

2.2.1 – Un développement timide de l’économie de marché

L’économie de marché peut être aujourd’hui tolérée en Corée du Nord, ce qui était impensable dans les années 1990. Le professeur Han souligne que c’est depuis le 1er juillet 2002 que la Corée du Nord a commencé à expérimenter l’économie de marché en l’adaptant à son système. Il nous livre une anecdote significative à ce propos : une des personnalités les plus respectées en Corée du Nord serait George Washington car les Nord-Coréens adorent la devise du dollar. Ces derniers diraient fréquemment : « donnez-moi George Washington ! » pour réclamer des dollars. Selon Yongsup Han, cette anecdote est symptomatique de cette nouvelle tendance de la Corée du Nord à apprécier l’économie de marché. Le professeur Ruediger Frank note que les dirigeants de la Corée du Nord s’informent sur les expériences étrangères à l’aide de séminaires en économie et envisagent de calquer ou d’adapter certains modèles de réforme économique. Ils continuent à jouer parallèlement des cartes avec les différents pays étrangers (Chine, Russie, Corée du Sud, Japon, etc.) pour obtenir un maximum d’aide économique. Dans la perspective de réformes économiques, l’idée de garder une autosuffisance est pour eux une question essentielle. Ruediger Frank estime que c’est pour sauvegarder le système traditionnel de distribution alimentaire que le régime nord-coréen autorise progressi-

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vement les échanges de marché. Pour appuyer sa présentation, il a projeté des photo-graphies prises récemment en Corée du Nord qui témoignent du développement de l’économie de marché. On y voit notamment une pancarte d’un magasin indiquant une remise sur les prix affichés et une publicité pour des cartes de crédit.

2.2.2 – La fermeture hermétique du régime nord-coréen

Malgré le développement timide de l’économie de marché, le régime de Kim Jong Il ne va pas pour autant s’effondrer. Selon Ruediger Frank, la communauté internationale verse tour à tour dans le pessimisme et l’optimisme aveugle vis-à-vis de la Corée du Nord, sans jamais véritablement faire preuve de pragmatisme. Il estime qu’il ne faut pas être trop optimiste car il n’y a pas de changement de paradigme en Corée du Nord. Comme tous les États, la Corée du Nord vise son intérêt national qui dépend de son pouvoir relatif par rapport aux autres nations. Il précise par ailleurs que le régime n’est pas staliniste car la théorie du Juche ne s’appuie sur aucune base théorique comme les écrits de Marx ou d’Engels, mais renvoie simplement à la volonté du dirigeant Kim Jong Il. Le régime en place à Pyongyang reste très fort. James Hoare soutient que la Corée du Nord applique une politique de changement depuis les années 1990 mais que les changements ont du mal à être réalisés car les structures politiques sont rigides, à savoir que les décisions sont seulement appliquées si elles proviennent directement du sommet de l’État. Il estime que l’évolution de la Corée du Nord depuis 2002 renvoie davantage à une acceptation des faillites du système qu’à une introduction de l’économie de marché. Il soutient également que le régime nord-coréen est toujours très fort et que l’augmentation des dissidents potentiels ne peut que renforcer la dureté du régime.

Le professeur Cheong rappelle qu’il existe selon lui une arme plus redoutable que les armes nucléaires : la fermeture du pays, l’unité du peuple nord-coréen qui résiste aux critiques internationales. Ce qui est frappant pour lui, c’est l’attitude révérencielle que les réfugiés nord-coréens adoptent à l’égard de Kim Jong Il. Si certains Nord-Coréens sont hostiles à leur régime, la plupart sont en accord avec sa logique. Même parmi les dissidents, certains ont été condamnés pour corruption, donc ils trouvent leur compte avec le régime nord-coréen. Quant aux sanctions qui mènent aux camps de prisonniers, il précise qu’elles s’appliquent autant à l’individu concerné qu’à sa famille et ses proches. Si les informations sur ces camps et les méthodes employées sont révélées près de la frontière avec la Chine, il est difficile selon lui de faire des pressions réelles sur le régime nord-coréen.

L’ambassadeur Chulki Ju estime qu’il est regrettable que la Corée du Nord contrôle autant l’action humanitaire, la présence des observateurs étrangers et celle des agents de l’ONU pour sauvegarder son régime. Il ajoute que le problème des droits de l’homme en Corée du Nord et celui des réfugiés nord-coréens sont des problèmes épineux qui attendront de trouver une solution adéquate, en temps voulu. Selon lui, les grandes puissances doivent d’abord résoudre rapidement la question du nucléaire et ne pas trop précipiter l’attente de résultats sur ces questions.

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2.3 – Quelle stratégie face au dossier nord-coréen ? Une combinaison des approches bilatérales et multilatérales

2.3.1 – Le manque de coordination des politiques internationales vis-à-vis de la Corée du Nord

Monsieur l’ambassadeur Chulki Ju estime que l’établissement de la sécurité dans la péninsule coréenne est une tâche longue et difficile car il est nécessaire d’assouplir des structures héritées de la Guerre froide et de vaincre la division jusqu’alors imposée à un peuple contre son gré. Dans cet objectif, il soutient que l’appui unanime de la communauté internationale est plus que jamais nécessaire.

Les divergences de points de vue entre les différents acteurs internationaux font aujourd’hui perdre en efficacité la politique vis-à-vis de la Corée du Nord. François Godement soutient qu’il existe une véritable différence entre les relations intercoréennes et le traitement de la question nord-coréenne par la communauté internationale. Le professeur Cheong souligne les divergences entre les États-Unis qui ont désigné la Corée du Nord comme un « État voyou » dont il faut renverser le régime et la Corée du Sud qui n’envisage pas l’effondrement imminent du pays. Il estime que les États-Unis ont un rôle essentiel pour prévenir les tensions sur le nucléaire nord-coréen. Selon lui, ils devraient reconnaître le régime nord-coréen avant de forcer la Corée du Nord à abandonner son programme nucléaire. Il considère cette option comme l’unique condition pour une amélioration de la situation dans la péninsule coréenne et dans cet objectif, il préconise que les États-Unis s’appuient sur la Corée du Sud.

Le professeur Frank est convaincu que la Corée du Nord pourra véritablement changer si la communauté internationale lui donne plus d’options et la soutient pour qu’elle puisse se réformer harmonieusement. Il reste optimiste et pense que la Corée du Nord va changer progressivement. Selon lui, la Corée du Nord peut être manipulée comme tout autre nation, mais pour cela, il est essentiel de connaître davantage le fonctionnement de son régime et ses limites. Dans cet objectif, il encourage la formation de spécialistes de la Corée qui puissent rester réalistes et ne pas tomber dans le pessimisme ou l’optimisme aveugle. Il souligne que la communauté européenne a son rôle à jouer. François Godement cite Emmanuel Plant : « There is a pratical imperative to deal with North Korea » (il est impératif pour des raisons pratiques de négocier avec la Corée du Nord) pour préconiser de regarder ce qui est essentiel sur le moment, sans rester enfermés dans des images qui selon lui versent dans la politique. Il cite les Européens qui insistent toujours sur leurs différences avec les Américains ou la Corée du Sud qui loue trop souvent les bénéfices de la politique de la main tendue.

Selon François Godement, la Corée du Nord suscite un réalignement des alliances nippo-américaine et coréano-américaine qui est nécessaire. Alors que l’administration Bush a critiqué la politique de Bill Clinton avec la Corée du Nord (les accords de Genève), François Godement estime qu’elle n’a pas été capable de proposer une alternative et qu’elle a accepté du bout des lèvres les négociations à six dont les avancées sont plus symboliques que réelles. Il ajoute que depuis 2001, la politique américaine dans les faits relève de l’attentisme car elle ne donne pas l’exemple d’une politique affirmée. Il soutient par ailleurs que la Chine est le pays le plus menacé à long terme sur le plan stratégique par le nucléaire nord-coréen car elle court le risque de produire une escalade dans l’usage de la force balistique de dissuasion en Asie du Nord-Est. Selon lui, elle aurait dû se montrer plus énergique sur la question du nucléaire nord-coréen. La Chine veut éviter de se trouver engluée dans ce dossier, qu’elle gère davantage comme une question technique

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que comme une question politique ou stratégique. Par ailleurs, selon F. Godement, l’hypothèse de l’emploi de la force n’est plus crédible aujourd’hui au regard des conséquences néfastes sur la Corée du Sud et sur l’environnement.

2.3.2 – La thèse du complot inversé : l’anecdote de James Hoare

James Hoare livre une anecdote liée à son expérience à l’ambassade de Grande-Bretagne à Pyongyang. Il soutient que les Nord-Coréens ne développaient probablement pas de programme nucléaire lorsqu’ils ont été accusés par les États-Unis en 2002. Il rappelle qu’en septembre 2002 a débuté à Pukchang la construction d’un réacteur à eau inspecté par les Américains. Les Nord-Coréens affirmaient que ce réacteur ne serait pas utilisé à des fins nucléaires. L’ambassadeur américain Charles L. « Jack » Pritchard venait de déclarer que les États-Unis allaient chercher rapidement des preuves que la Corée du Nord développait un programme nucléaire. Un mois plus tard, en octobre 2002, James Hoare reçoit un appel de l’envoyé américain en Corée du Nord, James A. Kelly, à son ambassade à Pyongyang, pour demander s’ils peuvent utiliser son fax afin de révéler que la Corée du Nord développe un programme d’enrichissement d’uranium en violation de l’accord-cadre dont elle est signataire. Deux officiers américains et leurs interprètes venaient d’être autorisés à traverser la zone démilitarisée jusqu’à Pyongyang, signe de bonne volonté de la part du régime nord-coréen. Pour James Hoare, la désinvolture des officiels américains est suspecte. Pour prévenir le développement d’un programme d’enrichissement d’uranium supposé, qui eut en tout état de cause mis des années à se développer, les États-Unis ont mis un terme au programme KEDO qui avait su contenir un programme nucléaire avéré. En agissant de la sorte, ils ont finalement contribué au développement du programme nucléaire nord-coréen sans aucun contrôle extérieur. En 2002, les États-Unis évoquent des problèmes qui ne sont pas nouveaux dans l’objectif de provoquer une crise nucléaire nord-coréenne : ils décident de porter sur le devant de la scène ces problèmes à ce moment précis pour faire capoter les négociations à six ; la menace nord-coréenne leur fournit une excuse toute trouvée au maintien de leur parapluie nucléaire en Asie face à la montée en puissance de la Chine. Quant au Japon, James Hoare estime qu’il n’est pas si inquiet du développement de l’arsenal nucléaire nord-coréen car il se préoccupe davantage de l’intrusion de bateaux espions dans ses eaux territoriales. Il ajoute que la Chine et la Russie n’ont pas réfuté les révélations des Américains sur les armes nucléaires en Corée du Nord parce qu’elles n’avaient pas intérêt à le faire. La Chine par exemple traite différemment la question nucléaire des autres questions avec la Corée du Nord car elle souhaite rester un acteur essentiel du jeu politique régional. James Hoare affirme qu’il a participé à de nombreuses discussions de haut niveau sur les armes nucléaires et que, malgré les soupçons, il n’y a jamais eu de preuve tangible de la possession de l’arme nucléaire par la Corée du Nord. Selon lui, il y a beaucoup de remous autour de cette question alors que nous ne possédons pas de véritables preuves.

François Godement estime qu’il y a une contradiction dans l’intervention de James Hoare car il affirme que les Japonais ne sont pas vraiment inquiets de l’arme nucléaire nord-coréenne alors qu’en 2002, le Premier ministre Koizumi a pris l’initiative d’aborder cette question avec Kim Jong Il. James Hoare répond que Koizumi a souhaité ouvrir une brèche pour la négociation sur les problèmes liés à la Corée du Nord et ceux liés à la colonisation de la péninsule coréenne. Il visait à diminuer les menaces sur la stabilité de la région. Mais selon lui, l’affaire intérieure autour des otages japonais en Corée du Nord a handicapé la politique de Koizumi car les familles des otages ont émis des demandes trop exigeantes. Certains avancent une théorie du complot de Koizumi contre la Corée du Nord, mais James Hoare pense que Koizumi a véritablement souhaité se rapprocher de

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son voisin, à la différence d’autres membres de son parti plus conservateurs comme M. Shinzo Abe. Changsu Kim soutient que les États-Unis connaissent plus la Corée du Nord que ce que semble affirmer James Hoare mais qu’ils ne livrent pas toutes leurs informations au public. James Hoare lui répond que, s’ils connaissaient si bien la Corée du Nord, il est surprenant qu’ils ne savaient pas que Kim Jong Il allait se déplacer en Chine courant janvier 2006. Changsu Kim souligne alors que c’est justement parce qu’ils ne révèlent pas ce genre d’informations au public.

2.3.3 – L’inefficacité des sanctions économiques et la nécessité d’une transition en douceur

Les sanctions économiques vis-à-vis de la Corée du Nord ne sont pas efficaces sur le long terme. Ruediger Frank estime qu’elles constituent la pire des options envisageables car elles pénalisent la population et non pas le dirigeant Kim Jong Il. Il prône une transition en douceur, pacifique, qui garantisse à terme la prospérité de la population. Yongsup Han préconise la mise en place d’un accord de sécurité pour que la Corée du Nord ne se sente pas menacée ainsi que le développement de la coopération de la communauté internationale sur les plans économique et stratégique. Changsu Kim préconise également que la communauté internationale multiplie les initiatives pour faire en sorte que la Corée du Nord adopte certaines propositions. Le professeur Cheong ne soutient pas l’idée de renverser le régime car il y aura toujours une relève assurée dans l’entourage de Kim Jong Il. Selon lui, il est préférable de miser sur la jeune génération d’hommes politiques en Corée du Nord qui est beaucoup plus pragmatique, surtout parmi les Nord-Coréens qui ont eu la chance de visiter la Corée du Sud. Il s’agit d’essayer d’influencer ces personnes à moyen ou long terme pour qu’elles élargissent elles-mêmes leur influence dans les cercles de pouvoir à Pyongyang. Il estime que le régime nord-coréen ne s’effondrera pas d’un coup comme les anciens régimes communistes d’Europe de l’Est.

S’agissant du rôle de la Corée du Sud, le professeur Taeho Kim évoque une citation fréquemment utilisée au XIXème siècle selon laquelle la péninsule coréenne était comparée à une petite crevette coincée entre deux baleines. Selon lui, la péninsule coréenne est toujours coincée entre deux grandes puissances voisines (la Chine et le Japon) mais elle n’est plus une petite crevette en ce sens où elle exerce une influence grandissante dans la région et son rôle est essentiel pour trouver une solution au dossier nord-coréen. Il estime que dans cet objectif, il faut renforcer l’arsenal militaire de la Corée du Sud pour qu’elle puisse faire face aux menaces éventuelles de la Corée du Nord.

2.4 – La Corée du Nord et les enjeux de la prolifération nucléaire à l’échelle globale

2.4.1 – Les cas nord-coréen et iranien

Le programme iranien scientifique n’en est qu’à ses débuts mais il va certainement aboutir à des armes nucléaires. Bernard Hourcade soutient que l’Iran a aujourd’hui acquis la connaissance théorique et technique pour fabriquer l’arme atomique sur le moyen terme alors que les capacités de la Corée du Nord ne sont pas encore vérifiées. A la différence de la Corée du Nord, l’Iran possède du pétrole et du gaz qu’il exporte massivement et lui donne des réserves financières qui lui permettent de vivre en autarcie pendant deux ou trois ans. L’Iran entretient des relations de bon voisinage avec la Russie. La Chine est un partenaire majeur dans l’exploitation de son gaz et souhaite éviter de prolonger la crise sur le nucléaire. Considérant l’Iran comme un pays voyou, les États-Unis souhaitent qu’il supprime son programme militaire (alors qu’il n’en a pas à ce jour)

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et soutiennent la mise en place de sanctions des Nations Unies à son égard. Selon Bernard Hourcade, une politique trop sévère avec l’Iran risque de pousser le pays en dehors des contrôles internationaux. En ce sens, il rejoint l’analyse de James Hoare sur le manque de fondement des arguments des États-Unis en accusant la Corée du Nord en 2002. Selon Bernard Hourcade, il serait plus judicieux de garder la paix sous contrôle et de favoriser une évolution paisible du dossier nucléaire. Comme pour le cas nord-coréen, le manque de coordination des politiques internationales vis-à-vis de l’Iran est problématique. Il estime que la sensibilité du dossier palestinien et la gestion différente des relations internationales entre les États-Unis (aucun contact avec l’Iran depuis 1980) et l’Union Européenne (contacts avec l’Iran et seul dossier international sur lequel existe une position commune) constituent des facteurs défavorables à une évolution positive de la situation. Il ajoute que si l’Iran passe le cap du nucléaire, cela présente un risque considérable, en ce sens où les autres pays arabes suivront certainement son exemple. Il condamne l’idée de sanctions contre l’Iran et préconise plutôt de jouer avec le dynamisme et le consensus politique au sein de la société iranienne : tout en soutenant un programme nucléaire civil, l’opinion publique pourrait développer une forte opposition à un programme nucléaire militaire.

2.4.2 – Les enjeux de la prolifération nucléaire

Le TNP actuellement n’est plus valide. Selon François Godement, le traité a volé en éclat par le haut, car certains États détenteurs de l’arme nucléaire sont passés à une nouvelle étape, celle de la construction d’engins balistiques ; et par le bas, avec l’accumulation de la chaîne apologétique, à savoir qu’il y a un raisonnement naturel pour les États les plus faibles à vouloir se doter de l’arme nucléaire pour se protéger des plus forts, surtout lorsque leur voisinage est nucléarisé. Il souligne que la communauté internationale admire en quelque sorte la capacité de la Corée du Nord à développer un régime de survie et ajoute que les partisans de la non-prolifération sont aujourd’hui des missionnaires car la question du nucléaire renferme beaucoup d’éléments et d’idées contradictoires. Selon lui, la situation en Corée du Nord n’est pas dans une impasse mais nous allons probablement assister à une mutation du cas stratégique, où la Corée du Nord va jouer le rôle de poisson-pilote vers une nouvelle ère plus nucléarisée, avec l’apparition de nouvelles méthodes dans le monde des relations internationales, en contraste avec les politiques traditionnelles de pression ou d’ingérence. Il rappelle qu’il ne faut pas considérer le cas nord-coréen comme une catastrophe régionale car la Corée du Nord ne fait qu’adopter une position défensive. Selon le professeur Godement, cette situation révèle plutôt l’échec cuisant des régimes internationaux, élément dont la Corée du Sud doit tenir compte dans sa politique d’engagement avec la Corée du Nord.

Guillaume Schlumberger aborde la question de la prolifération. Avec l’apparition d’un Iran nucléarisé, on pourrait assister à un regain d’intérêt pour le nucléaire militaire de la part de pays de la région. Il s’interroge sur les capacités des États-Unis à faire respecter leurs engagements internationaux à tous les pays réfractaires. Leur gestion de la crise nord-coréenne est analysée et suivie par les autres États réfractaires. Il évoque également l’image possible du « double standard » de la politique des États-Unis vis-à-vis des pays intéressés par le nucléaire. Selon lui, les Iraniens ont tout intérêt à ce que les Américains soient tenus occupés en Irak. Si la politique de certains pays comme la Corée du Nord peut apparaître irrationnelle, elle peut être réfléchie et savamment négociée. Il avance que réciproquement la Corée du Nord étudie la situation actuelle en Iran et les positions prises par la Communauté. Guillaume Schlumberger évoque également les relations de la Chine avec la Corée du Nord et l’Iran. Selon lui, la Chine ne peut pas supporter que la sécurité de ses ressources énergétiques au Moyen-Orient dépende des Etats-Unis ; elle est un

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acteur essentiel dans la gestion du dossier nucléaire iranien. Guillaume Schlumberger évoque enfin le rôle des Européens. Selon lui, une partie du jeu n’est plus en leur contrôle car la prolifération concerne aujourd’hui l’ensemble de la planète. Il soutient que les Européens sont face à de nouveaux défis car leur politique de soft power trouve ses limites.

3 – Le rôle des différents acteurs régionaux dans le maintien de la sécurité régionale

3.1 – L’évolution des nationalismes en Asie orientale

3.1.1 – Des nationalismes très anciens

Les nationalismes en Extrême-Orient sont très anciens. Le professeur Fabre explique que le nationalisme chinois naît dans le bassin du fleuve jaune en réaction contre les « Barbares » et que le nationalisme japonais est un « nationalisme fabriqué » que l’on retrouve dans des livres très anciens comme le Kojiki. Selon lui, la cour japonaise copie pendant longtemps le nationalisme chinois en présentant le Japon comme le pays central et les royaumes coréens et les populations indigènes de l’archipel (Aïnous) comme ses vassaux. Il ajoute que le nationalisme coréen est plus feutré car les manifestations du nationalisme sont rares dans les documents anciens. Ceci pourrait s’expliquer soit par la destruction des textes, soit par le refus du royaume de Corée de révéler certains liens de vassalité avec la cour du Japon.

3.1.2 – Des nationalismes à géométrie variable

André Fabre cite la remarque du professeur Godement à propos du nationalisme asiatique actuel : « il n’y a pas d’acte de naissance du nationalisme asiatique » et rejoint son analyse de l’ère coloniale comme facteur de bouleversement en Asie, avec notamment la création de nouveaux États. Le professeur Fabre estime que le nationalisme asiatique se développe actuellement en réaction aux menaces et aux invasions extérieures car il existe encore nombre de revendications territoriales en Asie. Selon lui, les nationalismes asiatiques sont aujourd’hui à géométrie variable, voire à double face, avec d’un côté des réactions épidermiques face au souvenir du colonialisme (surtout japonais) et de l’autre côté, des considérations géostratégiques, notamment relatives à la montée en puissance de la Chine dans la région. L’ambassadeur ChulKi Ju soutient que le nationalisme coréen est actuellement fondé sur le refus de la vassalité de la péninsule coréenne vis-à-vis du Japon ainsi que sur celui d’accepter l’écriture de l’histoire par ce pays colonisateur. Une des plus grandes tâches qui restent à la Corée serait ainsi la réécriture de son histoire. Le professeur Taeho Kim avance que les quatre pays voisins en Asie du Nord-Est ont des relations diplomatiques instables et/ou tendues liées au problème de la reconnaissance historique dans la région (cf. le sous-titre de son intervention écrite : « Uncommon past »). André Fabre estime que le nationalisme chinois se traduit actuellement par la politique de sinisation sur le long terme de la Chine des populations indépendantistes ouighours et tibétaines. Il remarque que le Japon est préoccupé par la montée en puissance de la Chine et que la Corée du Sud se concentre sur la normalisation et la coopération économique avec la Corée du Nord. Il signale également qu’il n’existe selon lui aucun équivalent linguistique du mot « frère » dans les langues d’Asie orientale à la différence des langues occidentales. Si les mots « liberté » et « égalité » existent, le mot « fraternité » est difficilement traduisible car il implique toujours une notion de

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hiérarchie. Ce manque d’égalité dans la notion de « fraternité » traduirait selon lui la réalité du nationalisme en Asie orientale.

3.2 – Les tensions régionales

Outre le lourd dossier de Taiwan et les multiples conflits territoriaux, les intervenants ont distingué trois sources de tensions régionales.

3.2.1 – Le dossier nucléaire nord-coréen

La crise nucléaire nord-coréenne et l’évolution de ce dossier depuis la crise de 1993/94 constituent le principal enjeu de sécurité régionale. Le colonel Godard évoque les différents positionnements des pays de la région face au dossier nord-coréen et remarque l’émergence de la Chine dans l’exercice de négociations multilatérales à six et la volonté du Japon de jouer un rôle politique régional. Il pose également la question de la place de la Corée du Sud : doit-elle essayer d’apaiser les tensions nationalistes Chine/Japon, faire face à la montée de la Chine ou se rapprocher des États-Unis sur la question du nucléaire nord-coréen ? Selon l’ambassadeur, la Corée du Sud doit savoir jouer un rôle majeur pour la préservation de la sécurité du pays, de la péninsule coréenne et de la région du nord-est asiatique. Selon le colonel Godard, le dossier nord-coréen montre que le gouvernement américain mène une politique régionale qui varie au gré des intérêts des administrations successives.

3.2.2 – La montée de la puissance militaire chinoise

La Chine reprend sa place dans la région depuis la fin de la Guerre froide et lance un défi aux États-Unis. Selon le colonel Godard, il existe un risque de confrontation entre l’alliance États-Unis/Japon et la Chine mais d’après lui, ce conflit ne correspond pas au modèle de course aux armements entre les États-Unis et l’Union soviétique pendant la Guerre froide car la Chine donne la priorité à la croissance économique sur l’utilisation de sa puissance militaire. Il estime que le problème de la Chine est davantage celui de sa stabilité intérieure et de l’ouverture de ses militaires et de ses hommes politiques sur l’étranger. Selon lui, on ne connaît pas véritablement les militaires chinois et c’est pour cette raison que l’on se demande quel usage la Chine va faire de son outil militaire et de ses hommes. A cet égard, l’Europe revêt une importance cruciale pour ouvrir les Chinois au monde. L’ambassadeur Chulki Ju considère également que la tension existant entre les États-Unis et la Chine est un véritable défi pour la sécurité en Asie du Nord-Est. Il souligne que le redéploiement de l’armée américaine suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 et le renforcement de la coopération japonaise sont des sources d’inquiétudes pour la Chine.

Le colonel Renaud note que le Japon est très attaché à son alliance de sécurité avec les Américains face à la menace nord-coréenne mais aussi et surtout face à la montée en puissance de la Chine. Il ajoute que la Chine s’inquiète face à la montée du nationalisme et la remilitarisation du Japon dans le contexte de l’élargissement de l’alliance militaire nippo-américaine dans sa zone.

3.2.3 – L’exploitation des ressources énergétiques

Cette autre source de tension est susceptible de peser sur l’équilibre de la région. Le professeur Kim estime que ce sujet est d’actualité car la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont des besoins en énergie pressants et sont en concurrence pour élargir leurs liens avec les différents pays producteurs. Selon lui, la sécurité énergétique occupe une place

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de plus en plus importante dans les stratégies politique et militaire. Le colonel Godard estime quant à lui que l’énergie n’est pas seulement un facteur de crises mais également un facteur de coopération entre les pays rivaux car les économies sont entremêlées. Selon lui, les intérêts économiques étant globaux, le Japon n’a par exemple aucun intérêt à ce que l’économie chinoise subisse un contrecoup énergétique.

3.3 – Le rôle pivot de la Chine

3.3.1 – La Chine et la question nord-coréenne

La Chine a renoué ses relations diplomatiques avec la Corée du Sud en 1992 et depuis, la Corée du Sud a une politique de détente avec la Chine. Le professeur Taeho Kim souligne que les échanges culturels, politiques, économiques et politiques se développent entre la Chine et les deux Corée mais qu’il existe des divergences de points de vue avec la Corée du Sud sur la question des réfugiés nord-coréens en Chine et sur la réunification coréenne qui pourraient envenimer les relations à l’avenir. Le colonel Godard présente la péninsule coréenne comme un miroir des contradictions chinoises. Il soutient que les relations Chine/Corée du Nord sont établies non pas entre deux pays mais entre deux régimes traditionnellement sur la défensive vis-à-vis de leur population. Il rappelle que depuis la guerre de Corée, la Chine n’a jamais cherché à vassaliser la Corée du Nord, à la différence de l’URSS en Europe de l’Est. Elle a laissé Kim Il Sung purger le parti et prendre le pouvoir à Pyongyang. Après la Guerre froide et l’effondrement de l’URSS, la Corée du Nord ne peut plus jouer des rivalités entre l’URSS et la Chine. Elle se tourne naturellement vers la Chine qui lui fournit une aide économique massive et constitue son premier partenaire commercial et son plus grand investisseur. Selon le colonel Godard, la Chine est aujourd’hui intéressée par les ressources naturelles de la Corée du Nord, comme l’uranium. Il estime également qu’elle souhaite présenter son projet de réforme économique aux dirigeants nord-coréens et que dans une visée géopolitique, elle vise à désenclaver ses provinces régionales proches de la frontière nord-coréenne. La Corée du Nord appartient au périmètre de sécurité de la Chine face à la menace américaine. Pour la Chine, un effondrement du régime nord-coréen aurait des conséquences dramatiques en termes de stabilité régionale.

Le colonel Godard estime que le dossier nucléaire nord-coréen fait actuellement le jeu de la Chine. L’isolement de la Corée du Nord du monde extérieur la conduit à se rapprocher de la Chine qui acquiert ainsi un rôle crucial dans la sécurité régionale. Les approches stratégiques de la Chine et des États-Unis sont différentes dans la région. Si les États-Unis s’appuient sur un réseau d’alliances bilatérales avec notamment le Japon et la Corée du Sud, la Chine a un accord de sécurité uniquement avec la Corée du Nord et privilégie aujourd’hui les institutions multilatérales en Asie. En occupant la place centrale dans le dossier de la sécurité collective, la Chine souhaite également marginaliser à terme son rival nippon. Selon François Godement, la dynamique sur le dossier nord-coréen à travers Pékin peut avoir un impact sur d’autres dossiers en matière de sécurité régionale. Suite à la mise en place des négociations à six sur le nucléaire nord-coréen à l’initiative de la Chine, certains analystes esquissent un embryon de sécurité régionale mais les problèmes de rivalités de leadership risquent de faire obstacle à cette évolution.

3.3.2 – L’évolution des relations sino-coréennes

Le colonel Godard soutient qu’il existe un face à face stratégique sino-américain et en même temps une méfiance sino-coréenne. Selon lui, les États-Unis peuvent jouer des rivalités entre la Chine et la Corée du Sud. Il soutient dans le même temps que la Chine

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souhaite éloigner la Corée du Sud des États-Unis en développant ses échanges commerciaux et une stratégie de conciliation vis-à-vis de Pyongyang. Une partie de la population sud-coréenne estime aujourd’hui que la Chine est une alliée pour se rapprocher de la Corée du Nord et considère les États-Unis comme un obstacle dans ce processus. L’ambassadeur Chulki Ju soutient que la montée de la puissance militaire chinoise est une évolution positive pour la Corée du Sud tant qu’elle ne devient pas trop menaçante. Selon lui, la Chine doit être idéalement un pays modéré qui respecte les droits de l’homme, possède un marché libre et coopère activement avec la communauté internationale, notamment en tant que membre de l’ONU. La Corée n’a pas pris de position déclarée sur la question de l’embargo des armes à la Chine mais pour elle, la stabilité régionale est essentielle et il faut prévenir la volonté hégémonique de tout pays dans la région. Pour des raisons de sécurité régionale, Taeho Kim préconise que la Corée du Sud établisse une alliance militaire avec la Chine et le Japon. Il souligne que la péninsule coréenne se trouve en position médiane entre la Chine et le Japon à tous les niveaux, non seulement stratégique mais également économique et culturel.

3.3.3 – La question de Taiwan dans les relations sino-coréennes

Les relations de la Corée du Sud avec la Chine et Taiwan sont étroites sur le plan historique car la Chine a été le premier État reconnu par la Corée du Sud en 1948. Suite à la normalisation des relations diplomatiques Chine/Corée du Sud en 1992, le gouvernement sud-coréen a officiellement rompu ses relations avec Taiwan. Selon Taeho Kim, cet élément a joué un rôle important dans les relations intercoréennes. Il ajoute que la réunification n’est pas un problème à résoudre entre les deux Corée, la Chine et Taiwan, mais entre l’ensemble des grandes puissances. Pour Jean-Pierre Cabestan d’Asia Centre, il existe une différence de relation entre la Corée du Sud, la Chine et Taiwan mais il souligne que Taiwan et la Corée du Sud ont des points communs comme la dépendance technologique avec le Japon, leur système démocratique et certains éléments stratégiques hérités de la Guerre froide. Il rappelle que la Corée du Sud est le seul acteur régional à affirmer que le développement économique de la Chine est une opportunité pour son propre développement. Il souligne également que les deux Corée, la Chine et Taiwan ont des objectifs politiques et des valeurs différents, notamment sur la question de la démocratie. Il estime essentiel à cet égard de démocratiser la Chine car nombre de Chinois n’ont aucune idée des valeurs démocratiques. Ce sujet est à aborder prudemment en se projetant dans 15 ans. Il préconise à cet égard le développement d’alliances multipartites pour éviter de faire revivre les hégémonies du passé. Le colonel Godard rappelle que la Corée du Nord n’a pas hésité à provoquer la Chine en établissant des contacts avec Taiwan ces dernières années. L’ambassadeur Chulki Ju souligne que Taiwan soulève des discordes car les États-Unis et le Japon soutiennent la sécurité de Taiwan malgré leur « one China policy ». Le ton est monté et les échanges de haut niveau ont été récemment interrompus entre le Japon et la Chine. Cette dernière a bloqué la réunion annuelle au sommet qui rassemble la Chine, le Japon et la Corée. Les autres réunions tripartites, telles que la prochaine rencontre des ministres de l’Environnement, devraient subir le même sort. Selon l’ambassadeur Ju, la Corée du Sud pourrait reprendre le rôle intermédiaire qu’elle a revêtu dans l’histoire entre le Japon et la Chine.

3.4 – La réorientation de la stratégie américaine dans la région

3.4.1 – Les tensions États-Unis/Corée du Sud

Les relations Corée du Sud/États-Unis sont actuellement fondées sur les structures de la Guerre froide ainsi que sur la réorientation de la stratégie américaine dans la région suite

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aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Depuis l’arrivée de l’administration Bush aux États-Unis et la guerre contre le terrorisme, il existe une instabilité stratégique des États-Unis vis-à-vis de la péninsule coréenne : les deux Corée ne figurent plus en tête des priorités de l’administration américaine. Malgré la série de pourparlers à six sur le nucléaire nord-coréen, le professeur Taeho Kim soutient que les États-Unis ne sont pas très présents sur cette question et que le gouvernement de Corée du Sud est devenu plus progressiste que dans le passé, ce qui empêche de considérer objectivement la situation en Corée du Nord. Selon lui, un changement s’opère en Corée du Sud car les Sud-Coréens hésitent désormais entre deux orientations : une politique de suivisme à l’égard des États-Unis ou une politique intercoréenne indépendante. Le professeur Cheong rejoint l’idée selon laquelle les Sud-Coréens sont partagés vis-à-vis de la question nord-coréenne. Certains préfèreraient privilégier la politique américaine et se préparer à une éventuelle menace, d’autres souhaitent avancer un point de vue indépendant des États-Unis et favoriser le développement économique pour se rapprocher de la Corée du Nord. Seongchang Cheong préconise cette deuxième option. Il ajoute que la question de l’indépendance politique de la Corée du Sud est débattue dans le contexte de l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes politiques et que les relations internationales prennent désormais une dimension politique dans les débats en Corée du Sud. Selon lui, tous ces facteurs conduisent à diviser la société sud-coréenne. Selon le colonel Godard, le principal souci de la Corée du Sud est de ne pas se laisser entraîner dans un mécanisme de collision entre la Chine et les États-Unis. Face à la réorganisation du dispositif militaire américain, elle n’est pas prête d’accepter une base militaire plus importante dans la région. James Hoare soutient que le développement des échanges entre les deux Corée depuis la mise en place de la « Sunshine Policy » nuit aux intérêts des États-Unis qui, pour reprendre les rênes dans la gestion des questions régionales, mettent en avant le problème nucléaire.

3.4.2 – Le rapprochement États-Unis/Corée du Sud et la stabilité régionale

Dans ce contexte, la stratégie de survie de la Corée du Nord a pour objectif la reconnaissance de son régime par les États-Unis. Si la Chine est un partenaire essentiel, la reconnaissance des États-Unis est nécessaire pour bénéficier des financements internationaux, ainsi que celle du Japon. Selon le colonel Godard, les États-Unis avaient une carte importante à jouer lors de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la Corée du Sud en 1992 car la Corée du Nord s’est sentie marginalisée. Au lieu de regarder le jeu des acteurs et d’éviter la marginalisation du pays, les États-Unis se sont concentrés sur l’unique question du nucléaire. Si la gestion américaine de la péninsule à venir se rapproche d’une politique de soft power, une redistribution des cartes pourrait voir le jour. Le colonel Godard estime que les États-Unis pourraient jouer une carte assez subtile en évoluant vers un rapprochement de la Corée du Sud. La Corée du Sud s’alignera sur la stratégie des États-Unis si ces derniers n’envisagent pas de collision avec la Chine. Les États-Unis pourraient ainsi exercer un effet stabilisateur et réaffirmer leur rôle central dans la région.

3.5 – La nouvelle politique régionale du Japon et de la Russie

3.5.1 – La « normalisation » du Japon

Le colonel Godard estime que la normalisation du Japon s’établit dans un contexte singulier où se mêlent problèmes historiques et développement des échanges écono-miques nippo-coréens. Lors de la normalisation des relations diplomatiques entre le Japon et la Corée du Sud en 1965, l’archipel verse quelques 500 millions de dollars à la

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Corée du Sud pour le développement de la coopération économique, mais la Corée du Sud estime que cette somme constitue une compensation pour la colonisation de la péninsule coréenne. Les problèmes liés à la colonisation sont toujours vivaces. Malgré quelques éléments de rapprochement comme la coupe du monde de football en 2002, les scandales liés à la question des manuels scolaires japonais et aux visites répétées du Premier ministre Koizumi au temple Yasukuni enveniment les relations. L’ambassadeur Chulki Ju souligne que le Japon s’efforce de réformer son économie, mais que sa politique étrangère est plutôt conservatrice. L’opiniâtreté du Premier ministre japonais à se rendre sur le tombeau des « héros » de la Seconde Guerre mondiale a provoqué la colère des pays riverains, en particulier celle de la Corée et de la Chine. Il précise également que le Japon critique le budget croissant que consacre la Chine à la défense et envenime ses relations avec cette dernière. Dans le même temps, les échanges économiques sont florissants avec la Corée du Sud et la Chine. Le colonel Godard rappelle que le Japon est un pôle économique pour la Corée du Sud qui, en tant que pays intermédiaire, souhaite conserver une avance technologique sur la Chine. Selon lui, l’archipel nippon constitue également un acteur économique important pour la reconstruction de la Corée du Nord et il cherche à développer son rôle dans la sécurité régionale, comme en atteste la visite inopinée du Premier ministre Koizumi à Pyongyang en septembre 2002. Le dernier Livre blanc sur la défense japonaise s’inscrit dans cette perspective avec l’extension du périmètre de sécurité nippon, et la mention pour la première fois du « risque » lié à la montée de la puissance militaire chinoise et l’élargissement du partage des rôles avec les États-Unis au sein de l’alliance de sécurité nippo-américaine. Le professeur Changsu Kim évoque le souhait du Japon de développer ses relations avec la Corée du Sud. Selon lui, le Japon considère la Corée du Sud comme un partenaire essentiel pour l’avenir et souhaite renforcer son alliance avec les États-Unis tout en s’assurant une certaine marge d’autonomie. Il estime également que le Japon s’oriente vers une direction étrange dans le contexte des problèmes liés à l’interprétation de l’histoire et de l’évolution conservatrice de son gouvernement, facteurs qui continueront à peser lourdement sur ses relations avec les pays voisins.

3.5.2 – Le retour de la Russie sur la scène régionale

Le colonel Godard évoque le retour de la Russie sur la scène régionale par le biais de sa politique énergétique. La Russie prête une attention spécifique à l’Extrême-Orient avec sa nouvelle politique énergétique et la refonte de ses frontières orientales. A la fin de la Guerre froide, elle souhaite revenir sur la scène régionale car ses relations économiques sont modestes avec les pays de la région. Dans cet objectif, elle développe les échanges économiques régionaux, sa politique énergétique et la coopération spatiale en essayant de jouer des rivalités entre les pays de la région. Elle crée une compétition entre la Chine et le Japon dans le cadre de sa politique énergétique qui risque de se développer à l’avenir. Son positionnement diplomatique est également affaibli mais elle maintient son objectif de garder le contrôle de la péninsule coréenne. Dans les négociations à six, elle adopte une attitude de profil bas en pesant ses mots afin de s’intégrer au maximum au jeu régional. Le colonel Godard souligne que le problème de la Russie reste son instabilité politique interne.

3.6 – L’idée d’un système de concertation au niveau régional

L’évolution des relations entre les quatre pays de la région peut jouer un rôle sur l’avenir de la péninsule coréenne, en particulier l’évolution des relations Chine/Corée du Sud et États-Unis/Corée du Sud. Selon l’ambassadeur Chulki Ju, le moment est venu en Asie du

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Nord-Est de songer à établir un système de concertation en matière de sécurité régionale. Les négociations à six sur le nucléaire nord-coréen visent au lancement d’un système de sécurité en vertu de l’accord qui émergera au terme de ces négociations. Outre la question du nucléaire, ce système devrait traiter de toutes les autres questions de sécurité régionales, notamment des ressources énergétiques. Les facteurs économiques et commerciaux poussent les pays de la région à développer de facto un marché en réseau dans la région, traduisant un dynamisme économique qui tend vers la régionalisation. Les tensions actuelles entre les grandes puissances régionales et la montée du nationalisme pourraient constituer une autre source de conflit. Selon l’ambassadeur Chulki Ju, le Japon et la Corée du Sud, partageant les mêmes valeurs de démocratie et de liberté, veilleront à anticiper de tels élans nationalistes sur la base des liens économiques comme l’accord de libre-échange Corée-Japon, qui pourrait constituer la base d’un accord de libre-échange avec la Chine, ainsi que les interférences culturelles entre les deux pays. Il soutient que le Japon doit être encouragé à sortir de sa politique d’isolement, coopérer avec la Corée du Sud pour apporter la lumière sur les événements du passé et bâtir une zone de paix et de stabilité avec les autres pays de la région. L’ambassadeur Chulki Ju souligne que la Corée du Sud souhaite d’abord voir la fin des négociations à six avant d’établir un système de concertation pour la sécurité régionale. Il estime que l’expérience de l’Union Européenne incitera les partenaires asiatiques à poursuivre cet objectif.

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