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POINTS DE PASSAGE Enquête sur l’après Schengen à la frontière France-Italie

Points de passage

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Mémoire de fin d'études en architecture. Séminaire "faire de l'histoire", ENSA Paris-belleville, sous la direction de M.Deming, M-J. Dumont et F.Fromonot

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POINTS DE PASSAGEEnquête sur l’après Schengen à la frontière France-Italie

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POINTS DE PASSAGEEnquête sur l’après Schengen à la frontière France-Italie

Caroline PirotaisMémoire de fin d’études en architecture, Séminaire «Faire de l’histoire»Sous la direction de Mark Deming, Marie-Jeanne Dumont et Françoise FromonotENSA Paris-Belleville - Février 2016

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3 | Remerciements

REMERCIEMENTS

Je remercie en premier lieu mes directeurs de mémoire, Mark Deming, Marie-Jeanne Dumont et Françoise Fromonot pour leur soutien et leurs conseils au sein du séminaire «Faire de l’histoire».

Je remercie aussi, très sincèrement, le musée des douanes de Bordeaux et plus particulièrement Sandrine Faure, directrice du centre de documentation historique, pour le temps pré-cieux qu’elle m’a accordé lors de mes visites.

Je tiens également à remercier chaleureusement Nicolas Fussler pour la sincérité des échanges que nous avons eus. Ils m’ont rassurée et encouragée à poursuivre mes recherches sur ce sujet.

Enfin, un grand merci à mes proches qui m’ont aidé à accomplir ce travail, chacun à leur manière : Monique, Pierre et Marine. Merci aussi à Alice pour son coup de pouce et à Martin pour sa patience et sa bonne humeur sur les routes alpines.

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5 | Sommaire

AVANT PROPOS........7

INTRODUCTION........11

PARTIE I – La frontière comme empreinte, concentré d’histoire ....15- Notion de frontière.......16- Les Alpes, une barrière naturelle........20- Diviser pour mieux taxer........21- Un territoire spatialement défini pour un pouvoir centralisé........30- De la France des 130 départements au rattachement définitif de la Savoie........36- Un nouveau voisin, l’Italie........42- La ligne Maginot, frontière de la France.........46- Issues de guerre ........52- La construction européenne........54

PARTIE II – Douanes d’hier et d’aujourd’hui ........60

- Enquête............72- Le poste de douane posté........78- La douane par la douane........82- Récit de voyage........92

PARTIE III – Tryptique politique législation territoire........111

- La dislocation d’un patrimoine.......112- La société motrice de changement........114- L’effet Europe 93........116- Traverser la frontière ?........118

Conclusion........120

Annexes

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7 | Avant-propos

AVANT-PROPOS

Les questions de frontière soulèvent des débats, souvent houleux, dans les sphères poli-tiques, sociologiques et géopolitiques, rarement architecturales. Le terme de frontière est de façon historique lié aux conflits, aux guerres, aux conquêtes. Aujourd’hui il est de la même manière lié à des sujets hautement politiques et politisés tels l’immigration, le tra-fic de drogue et d’armes, ou encore le terrorisme. Nous voyons ici que la frontière en tant que ligne de séparation entre le territoire de deux nations, est un enjeu pour une réalité socio-économico-politique.Dans les débats, ce sont effectivement les enjeux migratoires et autres trafics transfron-taliers qui prennent le dessus, pourtant nous assistons, en Europe du moins, à un phé-nomène étonnant : l’effacement physique de nos frontières. La presse s’empare du sujet et multiplie les articles portant sur les migrants en attente à la frontière franco-italienne entre Menton et Vintimille, ou plus récemment des images en provenance de Hongrie où un mur anti-migrants, à sa frontière commune avec la Serbie, prend forme 1. Le 13 No-vembre dernier, le président François Hollande annonçait la « fermeture des frontières » dans son allocution post-attentats de Paris, avant de rectifier en déclarant « le rétablisse-ment des contrôles aux frontières ».Sur le sujet des frontières, les articles ne manquent pas, et la littérature s’empare, elle aussi, 2 du sujet. En revanche, très peu d’ouvrages scientifiques sont consacrés à l’étude des frontières du point de vue territorial, et encore moins en considérant les quelques ouvrages architecturaux qui la matérialisent, ce qui est une vraie lacune pour un sujet pourtant véritablement ancré dans des logiques de territoire et de paysage. Pour ce mémoire, j’ai choisi comme terrain d’étude une frontière française, afin de gar-der une certaine proximité géographique avec mon sujet. Le choix de la frontière avec l’Italie ne répond pas à des expériences personnelles ou familiales, excepté peut-être un lointain souvenir d’avoir traversé la frontière, sagement calée à l’arrière de la voiture de mes parents.Ce choix s’est pourtant imposé rapidement au vu de mes premières recherches. Les écrits, photos et autres documents que j’ai pu consulter en bibliothèque ou sur internet me semblaient former des piles relativement épaisses concernant les frontières belge, suisse et espagnole, la frontière franco-allemande remportant, elle, de loin, la palme de la fron-tière française la plus documentée. Deux possibilités s’offraient à moi : profiter de cette documentation abondante qui me permettrait de choisir un angle d’approche précis, ou contribuer avec modestie à combler le manque d’informations concernant la frontière

1. Catherine MARCIANO « Au poste de police à Menton, les migrants renvoyés à la case départ » Le point, 16.06.15 [en ligne] , http://www.lepoint.fr/societe/au-poste-de-la-police-aux-frontieres-a-menton-les-migrants-renvoyes-a-la-case-depart-16-06-2015-1937046_23.phpMaryline BAUMARD « Migrants : et si ouvrir les frontières générait de la richesse ? » Le Monde des idées, 25.06.2015 [en ligne] http://www.lemonde.fr/festival/article/2015/06/25/et-si-on-ouvrait-les-frontieres_4661969_4415198.html AFP, «La clôture de barbelés antimigrants achevée entre la Hongrie et la Serbie» Libération, 29.08.2015 [en ligne] http://www.liberation.fr/planete/2015/08/29/la-hongrie-annonce-l-achevement-de-sa-cloture-de-barbeles-anti-migrants-a-la-frontiere-serbe_1372055consultés le 05.09.2015

2. France culture a consacré une émission au sujet: « La Frontière », le temps des écrivains, France Culture, émission du 18.04.2015. Sont invités : Jean-Christophe Rufin auteur de Check point (Galli-mard 2015) ; Paula Jacques, Au moins il ne pleut pas (Stock 2015) et Sylvain Coher Nord-nord-ouest (Actes Sud 2015).

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franco-italienne. J’ai choisi cette seconde option prise par le désir de réaliser une enquête sur un patri-moine en péril aux confins de la France.Le fait que la partie sud de cette ligne soit aujourd’hui le théâtre d’événements drama-tiques conduisant nos dirigeants à se réinterroger sur une possible réouverture des postes de douane et de police, n’est pas étranger à mon choix. Les questions que soulèvent la présence des frontières en Europe ont un écho particulièrement fort aujourd’hui et qui résonne sur notre frontière avec l’Italie. J’espère pouvoir inscrire ce mémoire dans ce débat, avec un regard d’architecte.

La dimension patrimoniale m’interroge beaucoup depuis quelques années déjà, je dois certainement une partie de cet intérêt au voyage de dessin que j’ai effectué dans le cadre de mon cursus à l’ENSA Paris-Belleville, dans la ville de Palerme en 2012. J’ai gardé des souvenirs très vifs de cette ville meurtrie, dont les ruines sont à mon sens magnifiques. Les postes de douane abandonnés à nos frontières, relèvent de ce même intérêt pour ce qui est détruit ou abandonné et qui, de fait, acquiert une force supplémentaire qui attire mon œil comme un aimant. En voyant défiler sur la toile des photos de postes de douanes abandonnées dans toutes l’Europe suite aux accords de Schengen 3 j’ai pris conscience que ces éléments d’archi-tecture étaient voués à disparaitre, inutilisables, pour certains, du fait de leur plan mono-fonctionnel ou de leur situation géographique contraignante.Pourtant ils racontent une histoire, ils sont les marqueurs d’un système, d’une époque.

Je vois dans ce sujet une occasion de me plonger dans des archives spécialisées, mais aussi de réaliser un véritable travail de terrain. Je souhaite que ce mémoire soit documen-té de façon juste tout en étant vivant et empreint d’une réalité de terrain, observable et quantifiable et qu’il s’inscrive ainsi comme une trace écrite, photographique, dessinée et datée d’un phénomène étonnant qu’est la disparition d’un programme architectural.

C’est avec une vague idée de mon sujet que je me suis rendue à Bordeaux, au musée national des Douanes. Il comprend un centre documentaire composé d’une sélection d’archives ainsi que d’un fonds de bibliothèque. Je n’avais alors pas d’axe de recherche précis et j’ai naturellement cherché à voir une carte de France répertoriant l’ensemble des postes de douanes, pour avoir une vision globale, un visuel sur lequel m’appuyer. Or, cette carte n’existe pas. A aucune époque, semble-t-il, elle n’a existé. En revanche, les archives parlent, les clichés, les cartes postales annotées, les annales des douanes.Serait-ce possible à partir de ces documents de réaliser une carte? Très vite, en parlant avec Blandine Faure, documentaliste au musée national des Douanes, je me rend compte de l’ampleur de la tâche. Comme je l’avais pressenti, il est primordial de choisir une aire d’étude plus resserrée. Ce sera donc la frontière franco-italienne.

En consultant les Annales des douanes, je riais. Je riais des tournures d’époque, et des questions improbables posées par les citoyens, équivalents de nos « questions des lec-

3. Regarder notamment les travaux des photographes Nicolas Fussler, le long de la ligne et Josef Schulz, Übergang

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teurs »  d’aujourd’hui, qui s’inquiétaient de la taxe appliquées sur les vêtements bretons4.Je découvrais un contexte, une époque, en même temps que des données utiles à la rédac-tion propre à ce mémoire.Sur place, je reste trois jours, j’ai ainsi le temps de consulter plusieurs ouvrages, et no-tamment quelques numéros des Annales des douanes, périodique édité de 1903 à 1945 re-censant une grande partie de l’activité douanière (Lois, décrets et avis publiés au journal officiel, modifications apportées au tarif des douanes, de petites chroniques…). Je consulte aussi plusieurs numéros de La Vie de la douane, édités de 1950 à 1989 et qui prend plus l’apparence d’une revue, à dossier thématique tels : les douanes suisses, l’énergie, La douane de 1950-1975, etc…Je constate rapidement qu’être douanier n’est pas simplement une profession mais comme une façon de vivre, un cercle fermé d’hommes et de femmes, partageant un même lieu de vie (la caserne), une équipe d’intervention, une zone d’intervention, et parfois des activités liées au métier telles des compétitions de ski de haut niveau. Toute cette effer-vescence autour de ce que l’on pourrait croire être un simple métier de garde frontière est surprenante. Pour ce qui est de l’architecture, quelques plans de casernes et plusieurs carnets d’ex-positions sont consultables mais aussi une iconographie principalement constituée de cartes postales représentant les postes frontières tout au long du XXe siècle, et un fond d’archives photographiques.De retour à Paris, je décide de me lancer dans l’aventure pour faire un inventaire de cette frontière et de ses postes de douane, sorte de panorama d’un patrimoine franco-italien dont l’existence est remise en question et dont ce mémoire serait une trace écrite pour une « génération Schengen ».5

4. Dans les Annales des Douanes, 1930, on peut ainsi lire page 23 « Vêtements bretons et costumes régionaux- Monsieur Desgranges demande à monsieur le ministre des Finances quelle est la situa-tion des vêtements bretons (chapeaux, coiffes, tabliers, gilets, capots) au point de vue de la taxe sur le chiffre d’affaires. Réponse- Les différentes pièces constiuant les costums bretons - et d’une ma-nière généréale tous les costumes régionaux- sont passible de 12% de la taxe sur le chiffre d’affaires dans les mêmes conditions que les articles similaires du costume de ville (décret du 19 Novembre 1926). Seul les tabliers supportent, quel que soit leur prix, le taux normal de 2% »

5. Expression utilisée par Marion MICHAUT dans un article dédié à Nicolas FUSSLER, intitulé «  poste de douanes », revue Images, n°64, 2013, page 10.

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INTRODUCTION

Une frontière s’inscrit dans un contexte territorial mais aussi plus largement politique et sociétal. Son tracé est corrélatif aux grands évènements internationaux (telles les guerres et conflits), ses points de passage dépendent de décisions supranationales (creusement de tunnel internationaux, création de lignes de chemin de fer, implantation d’aéroports…), qui elles-mêmes sont étroitement liées au développement technologique (transport ferro-viaire et aérien, voiture motorisée,…), et à des avancées sociétales (congés payés et déve-loppement des stations de ski, développement des techniques de production d’électricité hydraulique et multiplication des barrages, avancées des accords de libre-circulation eu-ropéens…). Tous ces événements modifient le paysage frontalier, et par couche succes-sives viennent former un territoire à part entière. La frontière est un espace conatif du territoire car elle en est la possibilité d’existence. La notion de frontière est, à mon sens, très liée à celle de propriété, puisque de part et d’autre d’une frontière il y a deux propriétaires. D’après Jean-Jacques Rousseau la pro-priété serait née avec l’agriculture et la métallurgie.6 Nous voyons qu’il est question de « l’autre » quand Rousseau parle de propriété, et c’est le cas aussi quand nous parlons de frontière. Tout est question d’appartenance soit d’un jardin pour un homme, soit d’un territoire pour une nation. Cette idée se profilait déjà dans une territorialité primitive, telle que décrite par Pierre Clastres :

« La localité du local, c’est donc son territoire, comme réserve naturelle de ressources matérielles certes, mais surtout comme espace exclusif d’exercice des communau-taires. L’exclusivité dans l’usage du territoire implique un mouvement d’exclusion, et ici apparaît avec clarté la dimension proprement politique de la société primi-tive comme communauté incluant son rapport essentiel au territoire : l’existence de l’Autre est d’emblée posée dans l’acte qui exclut, c’est contre les autres communautés que chaque société affirme son droit exclusif sur un territoire déterminé, la relation politique avec les groupes voisins est immédiatement donné. »7

Dans ce mémoire, il est question de la frontière entre la France et l’Italie. Une frontière dont l’histoire est longue, puisqu’elle rejoint celle de la traversée des Alpes. Son histoire est empreinte d’héroïsme:

6 . « Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquil-lages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pécheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vé-curent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes fo-rêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métal-lurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution.  » Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1754)

7 . Pierre CLASTRES, Archéologie de la violence : la guerre dans les sociétés primitives, L’Aube, 2013– page 20. (première publication en 1977 dans la revue Libre).

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11 | Introduction

Ainsi Hannibal et ses éléphants au col du Mont-Cenis.Les armées de François 1er empruntèrent la route des Alpes, par le col d’Argentière, élar-gie à coups d’explosifs, ce qui surprit les Suisses qui attendaient les Français au Mont-Ce-nis et contribua à la victoire française de Marignan en 1515. La victoire acquise, le duché de Milan passa sous domination française. Napoléon Bonaparte, ayant lui aussi traversé les Alpes8, aurait souhaité y installer un cénotaphe.9 La conquête des Alpes est presque une question d’honneur, une fierté nationale, un sym-bole.

Franchir les Alpes à l’heure des déplacements à pied, ce n’est pas rien. Les refuges et maisons cantonnières régulièrement placées sur les routes napoléoniennes, mais aussi les hospices de montagne sont la preuve maçonnée de la gageure de cette traversée. La traversée a été révolutionnée par l’arrivée du chemin de fer et des premiers tunnels entre la France et l’Italie. Les points de passage, aujourd’hui encore, sont très peu nombreux face à la puissance de la montagne. Les Alpes sont à 27,2 % Italiennes, et à 21,4% Françaises (le reste de la chaine alpine se partage entre l’Autriche, la Suisse, l’Allemagne, La Slovénie, le Liechtenstein et un résidu à Monaco).10 Les phénomènes de transfert culturels de l’Italie vers la France et vice versa sont nom-breux, un rapprochement auxquelles les fusions et annexions de territoire entre Savoie, France et Italie ne sont certainement pas étrangères. Les guerres d’Italie (du début du XVe au milieu du XVIe siècle) contribuent à diffuser la culture italienne en France, dont une des manifestations architecturales les plus remarquables est certainement celle des châteaux de la Loire. Le journal du voyage de Montaigne en Italie peut nous éclairer sur les étonnements, déceptions et admirations que pouvait ressentir un intellectuel français à la découverte de l’Italie.11 L’étude de cette frontière sera abordée sous l’angle de l’administration des Douanes fran-çaises. Ce choix s’est imposé de manière évidente, « sur » la frontière, ce sont très souvent les seuls objets architecturaux présents. Ils sont organisés en réseau et répondent à un même programme, une même politique. En cela ils peuvent donc être répertoriés, voire comparés. Ce sont aussi des marqueurs du positionnement de la frontière, qui comme nous l’avons déjà dit, tend aujourd’hui à s’effacer. Enfin, il s’agit là d’un patrimoine commun, peu publié et qu’il nous semblait important de montrer avant une disparition chaque jour un peu plus avérée. L’enjeu de ce mémoire est de comprendre comment cette disparition est survenue. Quels ont été les liens de cause à effet entre l’Europe et la frontière Sud-Est de notre pays ? Et, surtout, quel est cet effet, que voit-on à la frontière entre la France et l’Italie aujourd’hui ? que signifie traverser la frontière ? Sommes nous fonder à parler de disparition d’un patrimoine ? Ce sont ces questions qui ont piqué notre curiosité et auxquelles ce mémoire apportera des pistes de réponses et de réflexion.Nous n’avons pas cherché à apporter quoi que ce soit de neuf sur la formation de l’unité

8.En témoignent les cinq tableaux peints par David, entre 1801 et 1804

9. Voir images en Annexe 1

10. La convention Alpine, permanent Secretariat of the Alpine convention, Innsbruck, Autriche 2009 [en ligne] http://www.alpconv.org (consulté le 15.12.2015).

11.Michel de MONTAIGNE, journal de voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne en 1580 et 1581, Rome et Paris, Meusnier de Querlon, Le Jay, 1774. (rééd. PUF, 1992.)

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française et sur le dessin de l’hexagone, nos connaissances en la matière ne légitimant pas une telle approche. Nous avons repris de sources diverses les informations connues et traditionnellement admises pour reconstituer des cartes lisibles. Nous avons accompa-gnées nos propos d’informations volontairement concises reprenant les principaux évè-nements ayant conduit aux modifications du tracé de la ligne frontière. Il ne sera pas non plus question de frontière culturelle, ou encore de frontière linguis-tique, sociale, innombrables, et pouvant n’être absolument pas liées aux questions de « frontières territoriales » qui nous intéressent ici. Il manque certainement à cette étude des précisions d’ordre architectural, notamment quant à la politique adoptée par l’administration pour le positionnement et la construc-tion des postes de douanes. Il nous a été difficile de trouver des documents à ce sujet. Nos recherches auraient pu être poursuivies auprès du bureau B3 des services de la Direc-tion générale des douanes et droits indirects (achats politiques immobilières et services centraux), que nous avons contacté mais pas pur rencontrer faute de temps. D’autres pistes seraient à envisager aussi du côté du ministère des affaires étrangères, et peut-être au niveau des services d’archives départementaux de Chamonix et de Nice. Nous avons rencontré des difficultés à identifier les sources possibles et éparses dont pourrait se nourrir notre étude. Ce mémoire n’épuise probablement pas les sources existantes mais propose un premier « défrichage » du sujet et soumet des pistes d’approfondissement.

La première partie de ce mémoire sera consacrée aux précisions historiques et territo-riales nous permettant de comprendre les contextes qui ont conduit aux différents tracés de la frontière. Pour cette première partie, nous nous appuierons à la fois sur les élé-ments de la grande histoire et ceux plus particuliers de l’histoire de l’administration des douanes et qui seront mis en corrélation avec une série de cartes représentant la frontière franco-italienne aux différentes époques.En amont, le Haut-Moyen-Age, où une nappe brumeuse sur fond de guerres couvre les questions territoriales. En Aval, l’ouverture des frontières par la mise en application des accords de Schengen, 1995 pour la France.

La deuxième partie de ce mémoire s’intéressera à cette même frontière aux XXe et XXIe siècles et aux postes de douanes qui la ponctuent, en tant que marqueurs d’une politique de contrôle et d’échanges encouragée par la construction européenne. Nous nous appuie-rons sur des photographies d’époque et des cartes postales mises en relation avec nos propres photos afin de relever les typologies architecturales et repérer les destructions et transformations de l’après Schengen.Les sources utilisées ici seront celles de l’administration françaises, les textes repris et cités seront pour la plupart français. L’iconographie représentera principalement le côté français de la frontière. Non qu’il n’eût été utile de recourir à des sources italiennes, sa-voyardes ou niçoises, mais la tâche eût été hors de portée dans le temps imparti.

Dans un troisième temps, nous élargirons le sujet pour voir comment les décisions po-litiques influencent un territoire, en nous basant toujours sur l’exemple de la frontière franco-italienne, développé dans les parties précédentes. Nous regarderons les traités européens, et les stratégies mises en place sur le terrain afin d’établir, ou non, des liens de causalité, entre politiques nationales, voire supra nationales et réponses architecturales. La période actuelle et les débats qui lui sont attachés sur le sujet viendront conclure et élargir nos champs de recherches.

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1. La frontière, concentré d’histoire

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Sur la notion de frontière

Revenons un temps sur la notion de frontière que nous avons ébauchée en introduction.«L’alternative commode» entre le mot frontière et celui de limite, dont nous usons dans ce mémoire, a envahi la littérature comme le souligne Daniel Nordman 12. En fait, le terme frontière au sens où nous l’employons aujourd’hui serait relativement récent et utilisé couramment qu’à partir du XIXe. Daniel Nordman interroge deux possibilités, la fusion de ces deux mots dans le langage courant pourrait être liée à la « totale militarisation de la nation », encouragée dès 1798 avec la conscription, et définitivement mise en place sous Napoléon ; mais ce pourrait être aussi l’inverse, « en un moment où prévaut la paix des limites, n’est-ce pas là frontière qui s’assagit ? ». Toujours est-il que les deux notions sont venues à se confondre, pour aujourd’hui tantôt désigner une ligne de partage, tantôt une ligne de séparation.

Comme il est d’usage et toujours utile de consulter la définition du dictionnaire d’une notion étudiée, voici les définitions qu’il est possible de trouver dans la première édition du petit Larousse de 1906 et la définition la plus actuelle, consultable en ligne sur le site de l’éditeur.13

« Frontière n.f. Limite qui sépare deux Etats  : la frontière franco-espagnole suit la crête des Pyrénées. Frontière naturelle, celle qui suit un accident géographique, ri-vière, montagne etc. Frontière artificielle ou conventionnelle, celle qui est tracée sans tenir compte de la topographie. Adjectiv. Qui est limitrophe : place frontière. » Edition de 1906.

« Frontière, nom féminin (de front) : Limite du territoire d’un État et de l’exercice de la compétence territoriale. Limite séparant deux zones, deux régions caractérisées par des phénomènes physiques ou humains différents : Frontière entre le quartier blanc et le quartier noir. Délimitation, limite entre deux choses différentes  : Quelle est la frontière entre l’autorité et l’autoritarisme ?S’emploie en apposition pour indiquer que quelque chose est situé à la frontière : Les villes frontières.Linguistique :Synonyme de joncture.Au figuré  : Territoire à découvrir ou à conquérir  : Le marché des pays émergents, nouvelle frontière des entreprises européennes ; étape inédite de la connaissance et du savoir-faire de l’homme : La génomique est l’ultime frontière des chercheurs.Mathématiques : Ensemble des points frontières d’un ensemble A, noté parfois A* ou Fr(A). » version 2015 en ligne.

Afin de ne pas s’attacher à une seule définition, nous avons consulté deux éditions du dictionnaire de l’Académie Française, celle de 1694 -première édition complète publiée- et

12. Daniel NORDMAN, Frontières de France, De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, Galli-mard, collection Bibliothèque Illustrée des Histoires,1998, Page 23.

13. Petit Larousse Illustré, nouveau dictionnaire encyclopédique, sous la direction de Claude AUGÉ, Paris, Librairie Larousse, 1906 Larousse, dictionnaire de français, [en ligne]: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-mono-lingue (consulté le 23.12..2015).

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17 | La frontière, concentré d’histoire

la dernière édition publiée, c’est à dire le Tome 2 de l’édition de 2005 pour le mot fron-tière1415.

« Frontière, adj. f. Qui est limitrophe. Qui est sur les limites d’un autre pays. Ville frontière, place frontière, province frontière.Il est aussi subs.t & sign. Les limites, les confins d’un pays, d’un Etat. L’armée étaiit sur la frontière. La frontière est bien garnie, reculer les frontières d’un Etat. » 16

En version actuelle voilà ce que nous pouvons lire dans le dictionnaire de l’Académie :« FRONTIÈRE n. f. XIIIe siècle. Dérivé de front, au sens militaire.1. Ligne conventionnelle marquant la limite d’un État, séparant les territoires de deux États limitrophes. Tracer une frontière. Frontière naturelle, marquée par un cours d’eau, une ligne de crête, etc. La frontière franco-belge. Franchir, passer la frontière. Assurer la défense des frontières. Regrouper des troupes près des frontières, sur les frontières. Incident de frontière. Violer les frontières d’un pays, les franchir par la force. Fermer les frontières, en interdire le franchissement. Contester une frontière. Rectification de frontière. En apposition. Ville frontière, située sur une frontière ou à proximité immédiate d’une frontière. Bâle, Genève, Hendaye sont des villes frontière ou des villes frontières. Poste frontière, lieu où le passage de la frontière est contrôlé. Gare frontière, située à proximité d’une frontière et où sont contrôlés voyageurs et marchandises. -Par ext. Limite entre deux régions, deux contrées voisines. Le Couesnon marque la frontière entre la Normandie et la Bretagne. Aux frontières du Sahara, à ses confins. Spécialt. Frontière linguistique.   2. Fig. Ce qui constitue le terme extrême ; ce qui marque la fin d’une chose et le début d’une autre. Les frontières du savoir humain. Faire reculer les frontières de la sottise, du mauvais goût. La frontière entre le vrai et le faux. »

Dans les deux exemples traités, on ne peut que constater l’élargissement de la définition et l’accroissement des notions incluses. Le mot frontière serait ainsi devenu polysémique assez tardivement.Dans la dernière édition du dictionnaire de l’Académie des exemples étonnants sont cités tels « Assurer la défense des frontières » et « Fermer les frontières ». Or, dans la préface à la neuvième édition, nous pouvons lire :

« Des expressions nées de la dernière pluie s’en iront avec la sécheresse suivante. Des vocables inventés une année seront désuets l’an d’après. Il faut attendre pour recon-naître ceux qui continuent d’avoir « cours public « parce que répondant à un besoin véritable, de même qu’il faut être attentif à ce que les termes apparus soient de for-mation correcte, afin d’empêcher que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne. C’est à quoi s’emploient ces « gens éclairés « ou supposés tels qui composent, aujourd’hui comme jadis, l’Académie. »

14 La neuvième édition du dictionnaire de l’Académie française n’est à ce jour pas encore achevée.

15. Le dictionnaire de l’Académie française, dédié au Roy. T. 1. Paris, Coignard, 1694 Dictionnaire de l’Académie Française, 9ème édition [en ligne de A à Renommer] http://atilf.atilf.fr/academie9.htm (consulté le 23.12.2015)

16. Nous nous sommes permis de transcrire cette définition en français actuel.

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Au XVIIe siècle, la frontière est liée à la limite, à des lieux (places, villes, provinces), au pays, à l’armée. Les définitions apportées par le dictionnaire de l’Académie se réfère donc aux usages. S’il n’est pas fait allusion a la fermeture des frontières dans l’édition de 1694 c’est très probablement que cette notion n’existe pas.Aux vues de la préface de l’Académie, nous pouvons affirmer qu’au XXe siècle, on parle de délimitation, de frontière artificielle, de frontière naturelle, d’État, de séparation, de défense, de contrôle.

Serait-on passé d’une frontière militarisée, ligne de front marquant à un instant t l’avan-cement des troupes armées et dessinant le pays, à une ligne de défense instaurant une limite contrôlée et dont le franchissement serait soumis à des règles ? La frontière du passé regarderait vers l’extérieur -reculer les frontières d’un Etat- là où la frontière actuelle serait tournée vers l’intérieur -fermer les frontières, violer les fron-tières- ?

Si la frontière demeure associée dans sa définition et son étymologie à ses origines mi-litaires il convient maintenant de se pencher sur le basculement de cette notion dans le champ civil. La frontière militaire est devenue frontière économique dès qu’il a été question d’imposer un système fiscal dépendant de ce tracé. Nous pouvons retenir 1664, comme étant la date du premier véritable tarif national des douanes. Pour la première fois dans l’histoire de France un système unique est appliqué à l’ensemble du territoire. Il faudra toutefois attendre la révolution, pour que soient abolies les douanes intérieures et une année de plus pour que la régie nationale des douanes et le code des douanes soient créées (1791), bases de l’administration que l’on connaît aujourd’hui.La frontière prend alors un statut nouveau, elle est désormais ouvertement dépendante de la politique intérieure de l’État dans un souci nationaliste, là où elle était la résultante d’une politique extérieure de conquête, dans une vision plutôt colonisatrice. Une politique d’import-export est rigoureusement appliquée, principalement sur le blé et le sel. Les zones frontières deviennent le terrain par excellence des échanges de marchan-dises, des relations commerciales, définies en amont par l’État centralisateur. Déjà en 1754 Jean-François Melon considère que la force d’une nation « doit être dans le lieu de la domination. »17 Ce serait les limites du territoire qui seraient garantes de la puissance de l’État et de l’exercice de son pouvoir.

Nous venons de préciser la définition du terme de frontière, à laquelle nous avons associé les notions d’économie, d’État et de territoire. Dans les pages qui suivent nous nous attacherons à comprendre chronologiquement le tracé de la frontière entre la France et l’Italie, à la lumière des décisions, décrets et lois re-levant des politiques étatiques. Nous rappellerons pour chaque modification de frontière les évènements de la « Grande histoire », ainsi que les accords législatifs scellant des mo-difications du tracé et ceux relatifs à l’administration des douanes. Des cartes juxtaposées viendront compléter et imager nos propos.

17 .. MELON Jean-François, essai politique sur le commerce, 1736, page 37

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Nous informons le lecteur qui souhaiterait d’un seul coup d’œil prendre connaissance des principaux changements de tracés de la frontière qu’une planche contact de l’ensemble des cartes se trouve en annexe18 à la fin de ce mémoire.Nous tenons aussi à préciser que les dates retenues pour les cartes ne sont pas à mettre en relation avec un moment précis, mais avec une suite d’événements et qu’elles sont aussi fonc-tion des données cartographiques que nous avons pu rassembler.

18 Voir Annexe n° 2

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Les Alpes, une barrière naturelle

Dans l’Antiquité, traversée les Alpes était une prouesse, la traversée d’Hannibal est d’ail-leurs vue aujourd’hui comme un véritable mythe emprunt d’héroïsme. Fortia d’Urban a repris l’histoire de cette traversée dans la dissertation sur le passage du Rhône et des Alpes, dans le chapitre intitulé marche d’Annibal depuis Briançon jusqu’à Turin il cite Polybe :

« Les soldats, consternés par le ressentiment des maux qu’ils avaient soufferts, et ne se figurant qu’avec effroi ceux qu’ils avaient encore à essuyer, semblaient perdre cou-rage. Annibal les assemble ; et comme du haut des Alpes, qui semblent être la citadelle de l’Italie, on voit à découvert toutes ces vastes plaines que le Pô arrose de ses eaux, il se servit de ce beau spectacle l’unique ressource qui lui restait, pour remettre les troupes de leur frayeur. »

Devant le paysage des cimes des Alpes, quoi de plus normal que de perdre courage en imaginant devoir les franchir à pied ? Un peu plus loin, nous pouvons lire :

« A la vérité, hors quelques voleurs qui s’étaient embusqués, il n’eut point là d’en-nemis à repousser : mais l’âpreté des lieux et la neige lui firent perdre presqu’autant de monde qu’il en avait perdu en montant. La descente était étroite, roide et couverte de neige. Pour peu qu’on manquât le vrai chemin, on tombait dans des précipices affreux ».19

Cet extrait nous rappelle la barrière quasiment infranchissable que représentaient les Alpes depuis toujours. Le passage entre la France et l’Italie ne se faisait que par quelques points précis, chemins percés dans une montagne hostile.

«La frontière s’appuie en effet sur des lieux, sur des points forts isolés, châteaux, for-teresses, places tenues par des garnisons. De ces positions clairsemées dépend le plat pays. La frontière, en somme, est un espace granulaire, discontinu, sans structure fixe, dissociée par des trouées où passent et repassent les armées. » 20

Dans l’Antiquité, l’empire romain élabore un système de fortifications, le limes, le long de certaines de ses frontières avec le monde « barbare », qui ne connaît ni le grec ni le latin. Le limes est discontinu et plus ou moins élaboré (du simple chemin, au mur d’Hadrien). Les portoria de Rome, où sont appréciées et imposées les marchandises aux frontières de l’empire et dans les ports, témoignent déjà d’une préoccupation fiscale, qui plus est, centralisée, à Lugdunum (Lyon).

19. Histoire de Polybe, Tome a, Livre III, Chapitre II, p64. traduction française de 1974 in Disserta-tion sur le passage du Rhône et des Alpes par Annibal, Agricol FORTIA d’URBAN, Paris, Lebègue, 1821, p.96.

20. Daniel NORDMAN, Frontières de France, De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, Galli-mard, collection Bibliothèque Illustrée des Histoires, 1998. Page 45

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Diviser pour mieux taxer ?

Jean-Pierrre Bois, professeur d’histoire moderne à l’université de Nantes, nous éclaire sur la notion de frontière au Moyen-Age :

« Au reste, toute terre est bordée par une limite, de fait ou contractuelle. Toute prin-cipauté, toute seigneurie, toute communauté installée sur un territoire éprouve la nécessité d’en fixer les contours par une ligne fictive, à laquelle est assignée une fonc-tion à la fois de bornage et de contact. Elle est un lieu de distinction d’une autorité administrative, un lieu d’échange et de passage. Mais, cette ligne, qui ne délimite pas encore au Moyen Age des Etats, est plutôt comprise comme une donnée variable d’influence ou de puissance, parfois une ligne de partage de fiscalité royale ou de redevances seigneuriales, de justice et de coutumes constitutives d’un horizon fami-lier, parfois l’affirmation d’une spécificité culturelle qui maintient l’homogénéité d’un groupe, mais elle n’est pas encore le lieu où se concrétise le rapport politique, encore moins militaire, entre vassaux, suzerains ou souverains. »21

Au Moyen-Age, les limites géographiques du royaume n’étaient pas encore confondues avec ses limites administratives. Il n’en demeurait pas moins une fascination pour la fron-tière, le mur, le bornage, très présents à l’échelle du domaine, ou de la ville moyenâgeuse étudiée entre autre par Viollet-le-Duc. 22 On peut ici considérer qu’il s’agit des prémices des frontières. Selon Daniel Nordman, qui s’appuie sur les écrits d’historiens médiévistes, les fron-tières au Moyen-Age « n’étaient ni incertaines (beaucoup étaient connues et acceptées), ni toutes approximatives, discontinues, ininterrompues par des enclaves (nombreuses étaient celles qui, linéaires, suivaient un cours d’eau ou étaient marquées par des bornes), ni toutes fluctuantes dans le temps (beaucoup ont traversé des siècles). »23

Relevons toutefois l’utilisation de « toutes », ce qui signifie que certaines étaient approxi-matives.Il conclut finalement qu’elles sont un « lacis effroyablement compliqué » compte tenu de la non-correspondance des limites d’un type de circonscription à un autre.

21. Jean-Pierre BOIS , Jean-Pierre Bois, La naissance historique des frontières, de la féodalité aux nationalités introduction de l’ouvrage Sécurité européenne : frontières, glacis et zones d’in uence, sous la di- rection de Frédéric Dessberg et Frédéric Thébault, éd. Presses Universitaires de Rennes, 2007

22. Si nous consultons la définition d’enceinte écrite par Viollet-Le-Duc dans son dictionnaire raisonné de l’architecture française, au mot enceinte nous trouvons :ENCEINTE, s. f. Murs en palissades entourant une ville, un bourg ou un camp. […] Comme les armées romaines, les armées occidentales du moyen âge faisaient des enceintes autour de leurs camps, lorsqu’elles voulaient tenir une contrée sous leur obéissance ou posséder une base d’opéra-tions. […]Dans les villes, on trouvait souvent plusieurs enceintes contiguës. Les abbayes possédaient leurs enceintes particulières, ainsi que la plupart des cloîtres des cathédrales ; les châteaux, les palais et même certains quartiers étaient clos de murs, et leurs portes se fermaient la nuit Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècleÉdition BANCE — MOREL de 1854 à 1868, tome 5

23. Daniel NORDMAN op. cit., Frontières de France p. 71

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« Mais aux évêques, aux subdélégués, aux receveurs, à tous les administrateurs et hommes de terrain, il suffisait de connaître exactement l’aire de leurs seules circons-criptions : ils s’y employaient, et les documents qui subsistent montrent qu’ils y par-venaient. Si toutes les limites, réunies sur une carte unique, sont effectivement enche-vêtrées, elles ont chacune une spécificité et une réalité.24

Les frontières étaient néanmoins les témoins de la ligne d’avancée des armées, elles bou-geaient au gré des conquêtes, accords et mariages entre les lignées. C’est sur fond de guerre de Cent Ans (1337-1553) que le Dauphiné fut rattaché à la France ; que le comté de Nice fut dédié à la Savoie ; que le duché de Savoie obtint son statut et par là une certaine indépendance vis à vis du Saint Empire auquel il était rattaché. Ces modi-fications territoriales donnèrent une nouvelle forme au duché de Savoie qui fut le voisin de la France pendant plus de trois siècles. (fig1)Le royaume de France s’inscrivait alors dans un système décentralisé, divisé en provinces gouvernées par des seigneurs, ducs et comtes. Notre seconde carte,(fig.2), rappelle un fait décisif pour les frontières françaises. En effet, en 1481, la Provence fut léguée à la France qui élargit ainsi considérablement son accès à la Méditerranée. Dans les années qui suivirent, la frontière fut le théâtre d’une succession de guerres (guerres d’Italie de 1494 à 1559) au terme desquelles les troupes françaises furent contraintes de se retirer et de renoncer à leur prétention sur les territoires de Savoie, de Gênes et du Milanais. Au cours des conflits la Savoie acquit Dolceaqua, Asti, Ceva, Che-rasco et dans les années qui suivirent, le comté de Tende, Oneille et Impero. La France ac-quit le comté de Saluces. Elle échangea ce territoire contre ceux du Buguey, de la Bressse, du Gex et du Valromey lors du traité de Lyon de 1601 qui mit fin à la guerre franco-Sa-voyarde. (fig 3.)La fin du Moyen-Age fut aussi le temps des grands voyages et premiers  «  tours du monde », on pense à ceux de Marco-Paulo, de Magellan, et de fait, à l’établissement des premières cartes du monde25. Cette science sera ensuite enrichie au fil des siècles, mais elle contribua, déjà à la fin du Moyen-Age, à l’élaboration d’un tracé des frontières ter-restres qui révélait la forme du territoire. Bien que relativement imprécis, ce tracé donnait pour la première fois une limite dessinée aux continents, une image du territoire.

Si des prémices de douanes naquirent plus tôt, c’est véritablement avec l’arrivée de Sully comme conseiller d’Henri IV (1589-1610) qu’un système centralisé vit le jour. En 1584, il établit les « cinq grosses fermes », un système qui visait à simplifier le prélève-ment des impôts indirects par le roi en confiant à une seule ferme (convention entre l’Etat et un particulier pour le prélèvement des taxes) au lieu de cinq la perception des droits. Le territoire fût pour cela divisé en trois zones d’imposition : -La province des cinq grosses fermes, la plus importantes. La circulation dans cette zone était libre, les produits étaient taxés à l’importation et surtout à l’exportation. L’étendue était formée de douze provinces : la Normandie, la Picarde, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, le Bourbonnais, le Berry, le Poitou, l’Aunis, l’Anjou, le Maine, Ainsi que le Perche, l’Ile-de-France, le Nivernais et l’Orléanais.

24. Ibid, p.74

25. Regarder par exemple la carte circulaire du cosmographe de Fra Mauro, réalisée au milieu du XVe siècle

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- Les provinces réputées étrangères, devaient s’acquitter de droits sur les marchandises lors de leurs échanges avec les cinq fermes, avec les pays étrangers, mais aussi entre-elles.- Enfin, les provinces traitées comme pays étrangers n’avaient pas d’impératif quant à leurs échanges avec l’étranger, mais pour leur commerce avec la France elles étaient trai-tées comme des pays étrangers.Nous voyons ici que les territoires d’action des douanes étaient multiples et les règles non unifiées sur l’ensemble du royaume. Si les frontières avaient un sens en matière de fiscalité elles étaient aussi presque aussi importantes à l’intérieur même du pays qu’à sa périphérie. 26

Sully tenta en vain de rassembler les autres provinces sous le régime des 5 grosses fermes.

26. Pour ce chapitre, de manière générale les éléments relatifs à l’histoire de la douane française ont été rassemblés depuis plusieurs sources dont :Histoire de la douane par l’administration des douanes [en ligne] : http://www.douane.gouv.fr/articles/a11085-histoire-de-la-douane (site officiel de la douane française)Histoire de la douane par la Société Française des finances publiques [en ligne] : http://www.sffp.asso.fr/dictionnaire/index.php/Douanes_-_Histoire Fabrice JACOB, « Les douaniers Français aux frontières de la sécurité intérieure », Déviance et société, année 1995, Volume 19, Numéro 4, pages 339-354Luc THEVENON, Frontières du comté de Nice, Nice, Serre, 2005Dictionnaire de l’histoire de France, Larousse, Paris, 2005. «Douane», page 370.

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Légende des cartes des pages qui suivent :

Mer Méditerranée France Savoie puis Italie Site Vauban (Blanc) Frontière actuelle entre la France et l’Italie (Blanc) Frontière à la date de la carte entre la France et l’Italie (Noir) Limite de département Villes préfectures actuelles Places fortes et ouvrages de 1e catégorie du système de Séré de Rivières Ligne Maginot, Fronts fortifiés avec artillerie

fig. 1. carte de 1453 >

0 150km

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fig. 2. carte 1494 >

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fig. 3. carte 1601 >

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Un territoire spatialement défini pour un pouvoir centralisé

Louis XIV (1638-1715), monarque absolu et de droit divin, mena une politique réfor-matrice et élabora un système centralisateur. Lequel résonna jusqu’aux frontières du royaume où s’échafaudèrent les travaux de grande ampleur du réseau défensif et ration-nel du commissaire des fortifications, Vauban. C’est aussi sous l’impulsion de Louis XIV que la première carte exacte du royaume, carte de Cassini, fut présentée en 1682.L’emprise de la zone d’influence du roi se précisait au moyen de frontières clairement définies.

« A la fin du règne du Roi-Soleil, en 1715, l’œuvre de Vauban contribue à opposer de plus en plus nettement deux France. Celle des frontières et du littoral apparaît héris-sée de villes anciennes aux murailles repensées, ou de cités-places fortes nouvelles construites de manière géométrique, autour d’une place carrée, la place d’armes, des-tinée aux revues et aux rassemblements de troupes. […] Au contraire, la France de l’intérieur tend de plus en plus à devenir un espace civil où les remparts des villes sont peu à peu transformés en promenades, à l’image de Paris, dès les années 1670. »27

Vauban, par son œuvre et son concept de pré carré, a contribué à renforcer l’image des frontières défensives inscrites dans le paysage. Il «jeta le coup d’œil de l’aigle sur l’en-semble des frontières de ce royaume, et donna à chacune d’elles, en places de guerre, le complément de ce qui lui manquait en fortifications naturelles »28 En 1692, les troupes de Victor Amédée II de Savoie envahirent le Dauphiné en passant par le col de Larche, puis le col du Vars. Le duc tomba malade, les troupes se heurtèrent à une vive résistance côté français et furent finalement contraintes de faire marche ar-rière. Cette invasion indésirable fut à l’origine de la construction de la ville fortifiée de Mont-Dauphin dès 1693 et de nombreux projets d’amélioration des fortifications alpines, par Vauban. En effet, dès sa prise de fonction en 1678, Vauban élabore des programmes de construc-tion et modification profonde des anciens ouvrages fortifiés, dont certains ont déjà su-bit une multitude de transformations depuis l’époque romaine. Au total, une quinzaine d’ouvrages fortifiés sont créés ou renforcés par Vauban dans le secteur Sud des Alpes. Du Nord au Sud  : Fort l’Ecluse, Fort Barraux, Grenoble, Briançon, Château Queyras, Mont-Dauphin, Embrun, Saint-Vincent-les-Forts, Seyne, Sisteron (un peu en retrait), Col-mars, Entrevaux et jusqu’à la cote avec les fortifications de Saint-Paul-de-Vence, Nice, Antibes, et le fort de Sainte-Marguerite.Beaucoup de projets de Vauban ne furent jamais achevés, faute de financements suffi-sants à la fin du règne de Louis XIV.29

A considérer l’alignement des fortifications, il est parfaitement clair que les sites Vauban participent au contrôle de la frontière Sud-Est du royaume. Le génie de Vauban a consisté à associer les contraintes naturelles à l’architecture des forteresses pour établir une ligne de défense face à l’Italie.

27. Joël CORNETTE, « La ceinture de fer », L’Histoire, n°321, juin 2007, page 74

28. Henri Jean-baptiste de BOUSMARD, Essai général de fortifications, et d’attaques et défense des places…Berlin, Deckert, 1799. , t.III, pp. 135-136

29. Cet inventaire est à découvrir en détail [en ligne] http://www.sites-vauban.org/Les-fortifica-tions-de-Vauban, qui propose notamment une bibliographie par thème très pertinente.

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Au même moment, les politiques commerciales et économiques conduites par Jean-Bap-tiste Colbert, contrôleur général des finances, armèrent le royaume d’une série de lois et codes permettant la levée régulière et légale de l’impôt. En 1664, Colbert imposa le tarif unique, tarif douanier destiné à unifier les droits de douane 30 et à protéger la pro-duction française en encourageant l’exportation, non sans un certain mercantilisme. Le tarif douanier de Colbert visait à rééquilibrer la balance commerciale entre exportations et importations avec les Pays-Bas, l’Angleterre et l’Italie. Ce premier tarif a été modifié 3 ans plus tard par un nouveau tarif plus protectionniste et dont le changement majeur résidait dans ses limites d’application  : le tarif ne s’appliquait plus seulement au cinq grosses fermes, mais à tout le royaume sans distinction. Ces textes sont à la base du sys-tème contemporain.En 1726, toutes les fermes existantes furent rassemblées en un bail unique, que l’on appe-la Ferme Générale. Il n’y avait plus qu’un adjudicataire cautionné par une quarantaine de fermiers pour l’ensemble du territoire.

Soit un texte écrit par Alexandre Le Maître, protestant exilé et quartier-maître ingénieur général de l’électeur de Brandebourg, au milieu du XVII et qui illustre bien l’idée d’un pouvoir centralisateur en insistant sur l’importance de la capitale sur l’influence territo-riale :

« La capitale doit être l’ornement même du territoire. Mais ça doit être aussi un rap-port politique en ceci que les ordonnances et les lois doivent avoir dans un territoire une sorte d’implantation, [telle] qu’aucun petit coin du royaume n’échappe à ce ré-seau général des lois et ordonnances du souverain. La capitale doit aussi avoir un rôle moral et diffuser jusqu’au bout du territoire tout ce qu’il est nécessaire d’imposer aux gens quant à leur conduite et leurs manières de faire ».31

En somme, le monarque absolu change le rapport entre l’État et son territoire, en met-tant ce dernier entièrement sous le joug du pouvoir royal. Il fait alors sens de parler de royaume de France unifié, et donc de frontières extérieures. La notion de frontière telle qu’on l’entend aujourd’hui est née avec cet « État moderne », c’est à dire avec l’établisse-ment d’un pouvoir centralisé et vertical.

Durant la guerre de la ligue d’Augsbourg, Louis XIV s’empara du comté de Nice en 1691, qu’il rendit en 1696 à la Savoie. La guerre de succession d’Espagne (1701-1714), dont l’enjeu était pour les grandes puis-sances européennes d’installer un nouveau monarque sur le trône, amèna de nouveau à redéfinir le tracé de la frontière. À nouvelle guerre, nouveau traité : le traité d’Utrecht de 1713 vint redéfinir le partage du

30. D’après ASUKARA Hironori dans L’histoire mondiale de la douane et des tarifs douaniers, Bruxelles, Organisation mondiale des douanes, 2003 - 19 droits de douane distincts, certains ad valorem d’autres spécifiques, coexistaient dans la limite des cinq grosses fermes avant le premier tarif de Colbert.

31. Alexandre LE MAITRE, La Métropolitée, ou De l’établissement des villes Capitales, et de leur Utilité passive & active, de l’Union de leurs parties & de leur anatomie, de leur commerce, etc ., Ams-terdam, B.Bockholt, 1682 ; réed. Editions d’histoire sociale, 1973.In «Sécurité, territoire, population», cours au Collège de France (1977-1978) Leçon du 11 Janvier 1978 par Michel FOUCAULT, Gallimard et le Seuil, coll. «Hautes Etudes».

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territoire à la fin des combats. La vallée de l’Ubaye (région de Barcelonette) est rattachée à la France qui céda le val de Suse (Clavière, Bardonnecchian le mont-cenis), Casteldelfino et d’autres forts au duc de Savoie, devenu Roi de Sicile (qu’il céda ensuite pour le trône de Sardaigne). En 1718, la convention de Paris vint donner des précisions quant à l’ap-plication du précédent traité, mais les possessions françaises dans les Alpes demeurèrent globalement inchangées. Le traité de Turin (1760) rectifia une nouvelle fois la frontière, en temps de paix, fait suffi-samment rare pour être souligné. Il visait simplement à simplifier le tracé, et émana d’un accord entre les deux parties. Les remous qui ont marqué la frontière Alpine au XVIIe ont entre autre permis le ratta-chement définitif de la Franche-Comté au royaume de France. (fig.4)

Le règne de Louis XVI fut mouvementé. L’État était en banqueroute, les critiques contre le système fiscal fusaient32, ce qui poussa le roi à convoquer les Etats Généraux en 1789. Cela aboutit brièvement à l’instauration de la monarchie constitutionnelle et finalement à la proclamation de la République.

« A la fin du XVIIIe siècle, la Ferme Générale fait figure de bouc émissaire. Autant que l’institution, ce sont les hommes qui la dirigent que, l’on condamne au nom de la mo-rale et parce que les fermiers, hommes nouveaux, aux fortunes immenses et subites, semblent le produit d’une perversion de l’ordre social. » précise l’administration des douanes sur son site internet.

L’assemblée lança de grandes réformes administratives dont les changements majeurs, pour les questions qui nous intéressent, furent la fin des douanes intérieures, remplacées par la régie nationale des douanes (c’est la naissance de l’administration nationale des douanes françaises) qui se dote du « code des douanes » et d’un nouveau tarif national pour les entrées et sorties de France, la création des départements et à la nationalisation des biens du clergé. Les souverains étrangers menacés par les idées révolutionnaires formèrent une coalition qui regroupait la Grande-Bretagne, l’Autriche, Prusse et l’Espagne. Les guerres révolu-tionnaires s’étendirent de 1792 à 1802, suivies des guerres Napoléoniennes. Dès 1992, les troupes françaises occupèrent le comté de Nice, qui fut cédé dans son ensemble à la France, par décret de la convention du 31 Janvier 1793, confirmé par le traité de Paris en 1796. La cession de San Remo viendra compléter le département des Alpes-Maritimes en 1805. (fig.5)

32. Le feu fut mis aux barrières d’octroi de Paris, symbole du système répressif de fiscalité, en Juillet 1789,

fig. 4. carte 1720 >

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fig. 5. carte 1793 >

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De la France des 130 départements au rattachement de la Savoie 1796-1860

En 1796, Bonaparte fût officiellement nommé général en chef de l’armée d’Italie. Les cam-pagnes napoléoniennes menées en Italie s’étendirent jusqu’en 1800.

« Bonaparte se trouvait, depuis le 8 mai, dans cette dernière ville ; il fit reconnaître le mont Saint-Bernard par le général de génie Marescot : « Peut-on passer ? lui dit-il au retour de son exploration. – Oui, général, mais avec peine. –Eh bein ! partons !… » 33

L’auteur précise ensuite que l’ascension se fit au « milieu d’amas de neige crevassées par le dégel ». La brillante campagne d’Italie menée par Bonaparte le propulse au pouvoir. Un véritable mythe se créé, mis en peinture par David. (fig.6)

Sous l’Empire, les échelles à considérer sont tout autres. Il ne s’agit plus de conquérir ou d’acquérir un territoire longtemps attendu mais d’occuper et d’annexer des provinces entières. On passe à une échelle macroscopique. La France qui comptait 83 départements en 1790 en compte 130 vingt ans plus tard, dont certains sont situés en Allemagne, au Pays-Bas, en Espagne ou en Italie actuelles.Ce nombre repassa précipitamment à 86 après la chute de Napoléon en 1814.Notre carte (fig.7) semble de ce fait ne pas suffire à représenter le territoire impérial, le format étant pourtant adapté à représenter la frontière depuis le Moyen-Age jusqu’à au-jourd’hui : la période Napoléonienne fait bel et bien exception. Ce territoire, malgré son ampleur n’échappe pas pour autant à l’État, bien au contraire, des instruments permet-tant le contrôle étatique, tel le corps d’armée des douanes, furent créés pour renforcer le pouvoir central :

« Dès 1791, les douaniers sont utilisés ponctuellement comme force d’appoint par l’État lors des tensions avec les royalistes, contre les Pays-Bas ou les Chouans, lorsque l’exercice normal de leurs fonctions est impossible. Durant les conquêtes napoléo-niennes, ils sont assimilés à des unités militaires avançant pour prendre possession de nouvelles lignes. » 34

33. Napoléon GALLOIS, Les armées françaises en Italie, 1494-1849, Paris, A. Bourdilliat 1859, p. 371

34. Musée national des Douane, Douaniers dans la grande guerre, livret d’exposition (2 Avril 2014-4Janvier 2015), Bordeaux , musée national des Douanes, 2014

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fig. 6. Napoléon franchissant le Grand Saint-Bernard, portait équestre de Jacques-Louis David, 1801

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Napoléon instaura une douane militaire, désormais reconnaissable à son uniforme. Les brigades de douanes suivaient l’armée et installaient au fur et à mesure des conquêtes des nouvelles lignes de douanes, frontières fiscales, aux confins de l’empire. Napoléon mena une politique économique fondée sur la prohibition et le protectionnisme ce qui assura à l’empire une ligne unique de croissance pour son territoire réel et fiscal.

« L’’expansionnisme français crée un immense empire de 130 départements aux li-mites duquel veillent 35 000 douaniers. L’importance de la douane croît au même rythme que la rigueur de la politique douanière. »35 (fig.7)

Face à la coalition (Russie, Prusse, Autriche) qui s’est soldée par la défaite de Liepzig (1813), Napoléon abdiqua une première fois et après son retour d’exil à l’île d’Elbe, le désastre de Waterloo l’accule à une abdication définitive le 22 Juin 1815.Le second traité de Paris de 1815 fixa les frontières de la France de « l’après Bonaparte ». Les pays alliés contre la France (Royaume Unis, Prusse, Suède, Portugal, Autriche, Russie) conviennent d’un retour aux frontières d’avant la révolution française. (fig.8)

Après 1815 le protectionnisme continua de triompher en France.. La douane fut organisée en deux services, le service sédentaire (agents des bureaux) et le service actif (agents des brigades) et la surveillance aux frontières fut renforcée.

Les relations entre la France et l’Italie prirent une tournure différente dans la 2nde moi-tié du XIX, en effet, l’immigration Italienne en France se transforma en phénomène de masse, pour des raisons essentiellement économiques, et nous pouvons ajouter qu’elle fut probablement facilité car il s’agissait de deux civilisations sœurs, entremêlées par des années d’histoire. C’est cette réunion des deux cultures qu’illustre le projet de pont entre la France et l’Italie, dessiné par Henri Labrouste, alors pensionnaire à la villa Médicis, en 1829. (fig.9 & 10)

35. «Histoire de la douane»[en ligne] http://www.douane.gouv.fr/articles/a11085-histoire-de-la-douane

fig. 7. carte 1811>

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fig. 8. carte 1815>

fig. 9. Henri Labrouste, projet d’un monument que l’on suppose placé aux frontières de la France et de l’Italie, coupes et détails

fig. 10. Henri Labrouste, projet d’un monument que l’on sup-pose placé aux frontières de la France et de l’Italie, élévation

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Un nouveau voisin, l’Italie1860-1928

En France, la fin du XIXe siècle fut marqué par le développement industriel du pays. Pour le duché de Piémont-Sardaigne, cette période fut marquée par les conflits avec l’Em-pire d’Autriche, qui menèrent à la création du royaume d’Italie (1860). Nice et la Savoie (à l’exception des communes de Tende, la Brigue, Pigna, et du marquisat de Dolceaqua) furent de nouveau, et définitivement, rattachée à la France –après plébis-cite-, en échange de l’aide militaire apportée par Napoléon III à l’unification italienne, une décision entérinée par le traité de Turin du 24 Mars 1860.(fig.11)

A la suite de la guerre franco-Allemande de 1870-1871, la décision fut prise par le gou-vernement de moderniser les fortifications sur la frontière Est. Un comité de Défense fut créé et en 1873, le général Séré de Rivières en devint le secrétaire avant d’être nommé à la tête du service du génie national. Le projet du général pour la défense des frontières fut mis en œuvre dès 1874.

«  La notion d’ouvrages isolés autonomes est définitivement abandonnée au profit d’un système cohérent et global combinant fortification permanente et action des armées en campagne. Il s’agit non seulement de mettre le pays à l’abri d’une attaque brusquée et de lui donner des délais pour mobiliser et concentrer les forces, mais également protéger les régions économiques vitales et les axes majeurs de communi-cation. Il est donc établi sur des sites favorables, au plus près des frontières. » 36

L’essentiel du système fut achevé en 1885.Quelques années plus tard, les réseaux ferrés et routiers se développèrent et les Alpes furent percées à plusieurs reprises: inauguration du tunnel ferroviaire international du Fréjus en 1871, Inauguration du tunnel routier de Tende en 1882 (alors entièrement situé en Italie), ouverture du tunnel ferroviaire du col de Tende en 1898 (lui aussi Italien). Les Alpes étaient percées, certes, mais avant tout, fortifiées.(fig.12)

A l’aune du XXe siècle, Le réseau routier se modernisa considérablement parallèlement à la production d’automobiles en série dans la première décennie du XXe, d’abord outre At-lantique avec la Ford T (1908), et une dizaine d’années plus tard, en France, avec la sortie d’usine des premiers modèles en série de chez Citroën. Au même moment, l’aéroport de Paris-le-Bourget s’ouvrit aux premiers vols commerciaux (1919) et peu de temps après au premier service de transport de voyageur entre Paris et Londres, par avion.

« Qu’est-ce que l’aéroscaphe dirigé ? C’est la suppression immédiate, absolue, instan-tanée, universelle, partout à la fois, à jamais de la frontière. Le douanier d’Erquelinnes crie : « Arrêtez, c’est la douane ! » Le ballon est déjà à une lieue plus loin. C’est toute la borne abolie. C’est toute la séparation détruite. C’est le vieux nœud gordien lâchant

36. Fiche intitulée Le redressement militaire de la France s’accompagne du renouveau de la fortifi-cation permanente, Le système Séré de Rivières, Angers, Musée du Génie. [en ligne] http://www.musee-du-genie-angers.fr/doc-fiche-8.pdf

fig. 11. carte 1860>

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fig. 12. carte 1889>

prise. C’est toute la tyrannie sans raison d’être. C’est l’évanouissement des armées, des chocs, des guerres, des exploitations, des asservissements, des haines. C’est la colossale révolution pacifique. C’est brusquement, soudain, et comme par un coup d’aurore, l’ouverture de la vieille cage des siècles. C’est l’immense mise en liberté du genre humain. » 37

Cet extrait de la lettre de Victor Hugo à Nadar, artiste aux multiples facettes et aé-ronaute, préfigure le sort qui fut par la suite réservé aux frontières européennes du XXème siècle et nous montre l’envolée de liberté que permit l’aviation en soulevant la question relative à l’adaptation des douanes pour les années à venir…La première guerre mondiale, nous le savons aujourd’hui, participa à cette effervescence technologique en matière de transport que ce soit pour l’aviation, le ferré ou la route. En revanche, « le premier conflit mondial n’eut aucune incidence sur le tracé de la fron-tière italo-française ». 38

Durant cette période, les douaniers effectuèrent des missions de repérage, de sabotage, de renseignements. Les brigades de douanes servirent de renfort et d’éclaireurs à l’ar-mée.Parallèlement aux actions de terrain, la douane mena ce que Roland Grigoire, vice-pré-sident de l’Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes, appelle «  la guerre économique ». L’enjeu était ici de préserver l’économie française au détriment de celle de ses adversaires. Roland Grigoire souligne les deux mesures importantes prises par l’administration des douanes, conjointement à d’autres administrations françaises. D’une part, l’interdiction de commercer avec l’ennemi, qui fut mise en pratique par une loi de 1915 ; et d’autre part « l’édiction de prohibitions et de restrictions quantitatives ».

Après la guerre, le rôle des douanes aux frontières fut amplifié du fait du développement du réseau routier. La douane dut alors s’adapter aux nouveaux modes de transports, et aux nouvelles formes prises par la contrebande.

« Les fraudeurs ont bien compris que les véhicules motorisés constituent des vec-teurs efficaces pour transporter les marchandises au-delà de la frontière. La grande contrebande change de visage et devient de fait beaucoup plus visible : si certains continuent à utiliser les voies « champêtres », de plus en plus de fraudeurs, que l’on appellera plus tard les « briseurs de frontières », n’hésitent plus à attaquer directe-ment les postes de douanes en défonçant les barrières »39

La Société des Nations, introduite par le traité de Versailles à l’issu de la première guerre mondiale le 28 de 1919 fût créée avec pour objectif de préserver la paix entre pays eu-ropéens. Un objectif manqué, puisque les pays se réarmèrent avant de s’affronter de nouveau lors du second conflit mondial.

37. Victor HUGO, Lettre adressée à Nadar, en Janvier 1864, et qui devait devenir la préface de la publication du Manifeste de l’autolocomotion aérienne de Nadar (parue dans La Presse le 31 Juillet 1864). [Publiée (extraits) pour la première fois dans François PEYREY, L’idée aérienne-Les oiseaux artificiels, Dunod et Pinat éditeurs, 1909],

38. Serge CARRERE, «La Frontière italienne», Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects, Association pour l’histoire de l’administration des douanes françaises, n°16, Juillet 1995, p.39

39. Images du 20e siècle : Douane et modernité de 1950 à 1993, carnet d’exposition ( 5 Octobre 2010-27 Mars 2011), Bordeaux, Musée National des Douanes, 2008

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La ligne Maginot, frontière de la France1928-1947

Au lendemain de la première guerre mondiale, la France se préparait déjà à de nouveaux conflits et imaginait la défense de son territoire. Les réalisations successives de la ligne Maginot débutèrent en 1928 par l’arc Alpin, divisé en 3 secteurs (Savoie, Dauphiné et Alpes-Maritimes). Le gros ouvrage du Rimplas, fig 13., (Secteur des Alpes-Maritimes, sous secteur de l’Authion) est communément considéré comme le premier ouvrage réali-sé de la ligne Maginot, Les premiers travaux furent effectués par le Génie Alpin des forteresses, au sein duquel furent créés des compagnies mixtes composées d’électromécaniciens, de sapeurs mineurs ou encore de télégraphistes pour s’atteler à la construction d’un front continu sur la li-mite Est du pays.En 1930, face à la montée de l’irrédentisme italien (mouvement d’opinion qui voulait inclure les provinces italophones à l’Italie, notamment le comté de Nice, il fut dès 1924 manipulé par le fascisme) , des compagnies du 7eme régiment du génie furent détachées d’urgence depuis Avignon pour accélérer les travaux à la frontière, entre Menton et Sos-pel. 40

« La mise en alerte de la future armée des Alpes (1930) se traduit sur le terrain par de petits avant-postes doublant la ligne de résistance au plus près de la frontière poli-tique. Autorisé d’abord à construire, sous forme expérimentale, deux ou trois avant-postes, le général Degoutte passe en force et réussit à imposer ses vues et à créer une ligne quasiment continue entre la mer et l’Authion. »41

La mission de la ligne Maginot était uniquement défensive, il fallait « sauvegarder au maximum l’intégrité du territoire national » face à deux grandes voies de pénétration, l’axe Turin, Briançon, Grenoble par le col de Montgenèvre et l’axe Coni, Barcelonnette, Gap par le col de Larche.

« S’étendant sur plus de cent kilomètres depuis la région de Restefond – Les Fourches jusqu’à la Méditerranée, le secteur fortifié des Alpes-Maritimes présente une impor-tance capitale dans la défense des Alpes. En effet, il couvre Nice et son comté, reven-dication irrédentiste de l’Italie fasciste »42

L’Italie se réarma dès 1937 et quitta la Société des Nations la même année. L’entrée en guerre de l’Italie fut annoncée par Mussolini, le 10 Juin 1940. Les fortifications résistèrent, défendues par l’armée des Alpes, les assaillants n’arrivèrent pas à déboucher. La bataille des Alpes prit fin avec l’armistice de Villa Incisa, le 24 Juin 1940, entre la France et l’Italie. La moitié Nord de la France est à genou face aux Allemands qui ont pris Paris et enva-hissent déjà le Sud de la Loire.

40. « Sur le territoire de la 15e RM, le 7e RG, détache à partir de 1929 des éléments employés à des travaux de fortification sur la frontière des Alpes (secteur des Alpes-Maritimes) et en Corse. » Jean-Yves MARY, Alain HOHNADEL et jacques SICARD, Hommes et ouvrages de La ligne Maginot, Tome 5, pp 74-75

41. Ibid. p.45

42. Id. p.45

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fig. 13. Fort du Rimplas, 1er ouvrage de la ligne Ma-ginot des Alpes

fig. 14. Ouvrage de Roc-quebrune-Cap-Martin en cours de construction- 1930

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En Savoie, la défense s’appuyait en partie sur des ouvrages de la génération précédente, le secteur étant considéré comme secondaire.

« Si les Allemands se sont bien gardés d’attaquer de front la ligne fortifiée, il n’en est pas de même des Italiens qui, pour voler au secours de la victoire, n’ont d’autre alternative que d’attaquer par les axes praticables et se trouver de ce fait, face à des organisations puissantes [note, Les points de passage entre les deux pays se limitent en effet à trois voies ferrées, six lignes de communication routière et une vingtaine de sentiers muletiers] »43

Bien que non battue dans les Alpes, l’armée française fut contrainte d’approuver la ligne d’armistice qui délimitait la première zone d’occupation italienne. (fig. 14)Selon la formule de Jean-Louis Panicacci, Menton prend alors le rôle de « vitrine de l’im-périalisme fasciste »44

Au début de la guerre, les bataillons douaniers effectuèrent des missions de maintien de l’ordre et se virent parfois confier la garde des localités dont la population avait été éva-cuée préventivement. 45 Le corps militaire des douanes fut dissout suite à l’armistice de 1940, mais les douaniers ne furent pas pour autant levés de leur fonction.Certains douaniers s’engagèrent dans la résistance, d’autres remplirent leurs fonctions sur la ligne de démarcation ou comme gardes dans des camps d’internement mêlés à des agents de la gendarmerie, de l’armée, de la police…

Le 11 Novembre 1942 marqua l’invasion de la zone libre par les Allemands. Les troupes italiennes prirent une partie du Sud-Est français, notamment les villes de Menton, Nice et Grenoble, après des accords stratégiques passés avec l’Allemagne nazie. (fig.15)L’armistice de Cassibile fut signé secrètement entre l’Italie et les Alliés Américains et An-glais le 3 Septembre 194346, et rendu public le 8. L’armée italienne fut mise à la disposition des alliés, mais la zone d’occupation fut immédiatement reprise par les Allemands qui avaient anticipé la situation par le désarmement des forces italiennes (opération Achse).

43. Ibid. p. 90

44. Jean-Louis PANICACCI, L’occupation italienne. Sud-Est de la France, juin 1940 - septembre 1943, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

45. Images de la douane, trésors photographiques du musée des douanes ( 7 Octobre 2008-4Janvier 2009), carnet d’exposition, Musée National des Douanes, Bordeaux, 2008

46. « Mais voilà que, précisément, les alliés anglo-américains s’arrangent pour signer à eux-seuls, le 3 septembre 1943, l’acte de capitulation italienne sans en aviser en son temps le gouvernement gaulliste. » Marc LANGEREAU, Le général de Gaulle, la vallée d’Aoste et la frontière italienne des Alpes, Musumeci, ed.Aoste, 1980, p.23

fig. 15. carte après l’armistice de Juin 1940 >

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fig. 16. carte après le 11 Novembre1942 >

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fig. 16. carte après le 11 Novembre1942 >

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Issues de guerre 1943-1947

En Mars et Avril 1945, la campagne de détachement de l’armée des Alpes fut lancée, pour dégager la région des dernières troupes ennemies retranchées sur les cols, et se traduisit par de multiples percées en territoire italien :

« Les opérations militaires sérieuses commencent le 23 mars dans le secteur du Roc Noir, de la Redoute Ruinée et du col des Embrasures, c’est à dire au Sud et au Sud-Est du col du Petit Saint-Bernard. Elle se poursuivent début avril à proximité du col du Mont Cenis, au Mont Froid, lequel est enlevé pour finir au prix de combats sévères, au Pic de Bellecombe où les succès initiaux sont également faibles, mais qui est aussi conquis. »47

Le D.A.A prit par la suite le col de Larche, le massif de l’Authion, la moyenne vallée de la Roya, Fontan, Saorge, Vintimille puis Tende, le col de la Lombarde, Claviere, Suse…A travers cette occupation, c’est l’honneur de la France qui est en jeu pour le général de Gaulle. Le général Doyen, dirigeant le D.A.A, avait reçu des instructions précises de De Gaulle dont celle de « veilleur au prestige de la France en territoire occupé (par exemple en nommant un gouverneur français de la ville d’Aoste, en faisant représenter la France à Turin »48

Dans un télégramme adressé au général Doyen, de Gaulle dit « il y a urgence à occuper le Val d’Aoste entièrement »49, et entend bien que ce soit la France et personne d’autre qui s’en charge:

« J’approuve entièrement la réponse que vous avez adressée au commandement allié en ce qui concerne la prétention de l’A.M.G.O.T de s’implanter sur les territoires pris et tenus par nos troupes.Si les alliés passaient à l’exécution, vous devriez les en empêcher par tous les moyens nécessaires sans exception. »50

Les missions des forces sur le terrain consistaient en la réalisation de sondages auprès de la population locale (renseignement quant aux sentiments vis à vis des forces en pré-sence), à de la propagande (tract, affiches…) et à l’organisation de « consultations popu-laires » pour vérifier les volontés de rattachement des peuples à la France.51 Au traité de paix de Paris du 10 Février 1947, et dans la suite logique des évènements précédemment cités, des rectifications de frontières sont accordées à l’avantage de la France qui récupéra les plateaux du col du mont Cenis et du petit Saint-Benard, la vallée Etroite au dessus de Bardonnecchia, le fort du Chaberton de Briançon, les communes de Tende et la Brigue, les hameaux de Libre et Piene (après plébiscite), non sans une certaine tension avec l’Italie.

47. Op.cit. Marc LANGEREAU, Le général de Gaulle… p.39

48. Ibid. p.45. L’auteur tient ces précisions des notes du général Doyen du 22 mai 1945.

49. Télégramme personnel du général de Gaulle au général Doyen, du 4 mai 1945.

50. Télégramme personnel du général de Gaulle au général Doyen, 1er Juin 1945.

51. Op.cit. Marc LANGEREAU, Le général de Gaulle…. p.49.

fig. 17. carte après le traité de Paris de 1947 >

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fig. 17. carte après le traité de Paris de 1947 >

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La construction européenne 1945-1995

Entre la fin de la seconde guerre mondiale et les prémices de l’Union européenne, très peu de temps s’écoula, les frontières étaient tout juste abornées que déjà les gouvernements prévoyaient leur abolition. Désireuses d’accroître leurs échanges, la France et l’Italie pro-jetèrent le tunnel sous le mont-blanc dès 1949. Avant la naissance de la communauté Economique Européenne, une convention fut signée entre les deux pays et l’initiative fut définitivement saluée le 16 Juillet 1965 par l’inauguration du tunnel qui annonce «la fin des Alpes » 52

En 1950, Robert Schuman, alors ministre des affaires étrangères, appela à la mise en com-mun des productions de charbon et d’acier de la France, de l’Allemagne et des autres pays européens résolus à éviter à l’avenir un autre conflit.

« La mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes. La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement im-possible. L’établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu’elle rassem-blera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique. » 53

Les évènements s’enchaînèrent alors, les Etats européens poursuivant une même quête pacifiste, la Communauté Economique Européenne fut officiellement créée le 25 mars 1957. A ce propos, il est utile et amusant de regarder un extrait des actualités françaises du 23 Janvier 1957, intitulé « le marché commun 160 millions de clients » qui illustre par-faitement les enjeux de la création Européenne et rappelle en préambule que « l’Europe dans son compartimentage actuel n’est plus à l’échelle du monde ».54

N’oublions pas que les frontières de l’après-guerre ne sont pas devenues de simples lignes de passage grâce à l’unique volonté européenne, mais aussi parce que la France s’est do-tée d’une arme dissuasive à la puissance inégalée: le nucléaire. Le nucléaire permettait à la France de retrouver son indépendance nationale, sa grandeur et sa fierté.

« Ne nous y trompons, cependant pas. Ce qui change fondamentalement la donne, dans les années soixante, c’est la force de frappe et la dissuasion. Il n’est plus ques-

52. « L’inauguration du Mont-Blanc, Les actualités Françaises, 21 juillet 1965, 1’6min [en ligne] : http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01828/l-inauguration-du-tunnel-du-mont-blanc.html

53. Robert SCHUMAN, déclaration du 9 Mai 1950, salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, Paris, 1950.

54. «Le marché commun, 160 millions de clients» Les Actualités Françaises, 23 Janvier 1957, 02’15min. [en ligne] : http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu00061/le-marche-commun-160-millions-de-clients.html

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tion, dès ces années là, de politique « navale », ou de l’armement terrestre, ou bien encore aérienne dans l’esprit du général de Gaulle, mais d’une seule et unique poli-tique de défense, arrêtée au plus haut niveau de l’Etat par son Chef. Le nucléaire, c’est la dernière des armes, aux mains du premier des Français. C’est la sacralisation de la frontière ».55

S’ensuivit une période de croissance globalisée qui courut jusqu’au choc pétrolier de 1973 : la reconstruction battait son plein, les villes s’étendaient, le niveau de vie des mé-nages augmentait, la construction européenne se renforçait. Les traités et conventions se multiplièrent.Dans l’après guerre, la Direction Générale des Douanes, renommée Direction Générale des Douanes et Droits Indirects, fut profondément réorganisée :

« Pour accélérer les opérations de dédouanement de nouvelles méthodes de travail voient le jour ; les procédures sont simplifiées. La création de bureaux à contrôles juxtaposés, l’ouverture de bureaux à l’intérieur du territoire, le traitement des opéra-tions de dédouanement par informatique sont des étapes importantes de l’adaptation de la douane à son nouvel environnement.[…] Le développement spectaculaire et la diversification du commerce extérieur de la France, la complexité des réglementations à mettre en œuvre, les aléas de la construction européenne conduisent la douane à adapter constamment son organisation, ses procédures et ses méthodes d’interven-tion. »56

Une union douanière ne tarda pas à entrer en vigueur, en 1968, les droits de douanes entre les six membres de la Communauté Economique Européenne furent tout simplement supprimés, et un tarif commun adopté pour les frontières extérieures.L’Europe prenait forme, et plus elle prenait forme, plus elle se déformait pourrions nous dire… En 1985 la décision fut prise à Schengen : les Européens et les marchandises pour-raient circuler librement d’un pays à l’autre, les frontières intérieures s’effaçaient

« C’était il y a trente ans, en juin 1985. Les secrétaires d’État aux affaires étrangères de la France, de l’Allemagne de l’Ouest et des trois pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) viennent, sans le réaliser, de permettre à l’Europe d’amorcer un virage qui changera son visage : la libre circulation est en marche. » 57

L’entrée en vigueur de la convention fut fixée au 1er Janvier 1995 et appliquée définitive-ment en 1996 en France (son report fut décidée par Jaques Chirac suite aux attentats de Paris de l’été 1995). Bien que globalement définie, l’abornement de la frontière décidée en 1947 ne fut achevé qu’en 1989 par le rattachement de Colle Longue à la commune fran-çaise d’Isola. En cinquante ans, à peine, la frontière entre la France et l’Italie migra d’un schéma de zone fortifiée à une ouverture généralisée à peine surveillée.

55. « De la défense des frontières à la défense sans frontières. La défense de la France dans l’après Guerre froide » in « Enseigner la défense » numéro spécial d’Historiens-géographes (sept2013)

56. Remarque de l’administration des douanes sur sa propre histoire résumée en ligne : http://www.douane.gouv.fr/articles/a11085-histoire-de-la-douane

57. Louise COUVELAIRE, «Il y a trente ans, ils signaient Schengen». Le Monde 27.11.2015 [en ligne] http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/11/27/il-y-a-trente-ans-ils-signaient-schen-gen_4818618_4497186.html

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fig. 18. Signature du traité de Rome, le 25 Mars 1957. Avec au premier rang, de gauche à droite, en troisième et quatrième position Christian Pineau et Maurice Faure pour la France, suivent Konrad Adenauer et Wal-ter Hallstein pour la RFA et en 7eme position, Antonio Segni pour l’Italie. Union Européenne. En ligne, http://www.cvce.eu

fig. 19. Signature des Accords de Schengen, le 14 Juin 1985, au centre Catherine Lalumière signataire pour la France. Le Monde

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S’il semble intangible, le tracé de la frontière est pourtant régulièrement mis à jour par une commission mixte, coopération entre la guardia di finanza,l’istituto Geographico Militare Italiens et le Service géodésique et topographique de l’Institut National Géogra-phique français. Cette commission chargée de l’entretien de la frontière doit se réunir une fois par an. Un « mécanisme bilatéral de validation » a été mis en place afin d’établir une frontière numérique pour l’horizon 2018. Cette frontière doit, pour chaque point dessiné sur la carte, être l’aboutissement de 5 étapes : - Propositions (aspects diplomatiques et financiers)-Décisions diplomatiques-Mise en accords techniques (travail de terrain, mesure de bornes, visite des points de désaccord-Travail de bureau, restitution de la ligne, documentation-Expertise (comparaison des lignes)-Validation des représentations numériques de la frontière 58

Des « différences d’interprétation » subsistent malgré tout, tel le Clochermerle du Mont-Blanc : Français comme Italiens apprennent que le mont est le plus haut de leur pays…59

Petit à petit, un paradoxe se crée  ; les tracés se précisent au centimètre près grâce à des technologies sophistiquées et sur le terrain la frontière disparaît. Dans le cadre fixé par l’Union Européenne, les frontières deviennent des limites administratives que ne marquent même plus les postes douaniers. Nous voyons dans l’histoire, ici résumée, de la frontière entre la France et l’Italie, que les choix politiques engagés par l’Union euro-péenne rendent pour la première fois caduc le rôle des postes de douanes aux frontières. Les fonctions qui leur étaient attribuées disparaissent de manière définitive puisque les contrôles fixes aux frontières sont désormais interdits par la législation européenne, sauf cas de force majeure, cas encadré par l’article 2.2 de la convention de l’accord de Schen-gen60, celui là même cité maintes fois aux suites des attentats de Paris du 13 Novembre 2015.

La frontière n’a plus de rôle à jouer en matière de contrôle et de surveillance du territoire, elle redevient à priori un paysage comme un autre. Et pourtant, le territoire garde des traces des étapes successives de sa formation, et si les postes de douane implantés en 1947 n’accueillent plus l’activité douanière ils n’ont pas forcément disparu du paysage. C’est à ce point que notre enquête commence.

58. Procès-verbal de la XXVème réunion de la Commission mixte franco-italienne pour l’entretien des bornes et de la frontière, Nice, à la Préfecture des Alpes Maritimes, les 8 et 9 avril 2015.

59. « Le litige porte sur une interprétation différente du texte de la convention du 26 floréal an IV, toujours en vigeur, qui stipule que la limite passe par le point le plus élevé du Mont-Blanc vu du côté de Courmayeur. La France officiellement se base sur le fait que de Courmayeur, on ne voit pas le sommet du Mont-Blanc mais un autre sommet dénommée « Mont-Blanc de Courmayeur » situé à 700 mètres au Sud-Est du sommet principal sur le versant oriental, pour considérer que le sommet le plus élevé de l’hexagone est bien français ». Cahier d’histoire des douanes et des droits indircets, N°16, Juillet 1995, page 39

60. Article 2.2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, version du 19 Juin 1990, Titre II, Chapitre 1.

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fig. 20. carte actuelle, 1er Janvier 2016>

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fig. 21. Vue sur la vallée depuis le Col de la Lombarde, Italiefig. 22. Col de la Lombard, La vallée depuis un Blockhaus Ita-lien, Francefig. 23. Borne frontière sur le colle de la Maddalena (col de Larche), Francefig. 24. Lac artificiel du Mont-Cenis, Francefig. 25. Fort italien de Ronce, achevé en 1880, Francefig. 26. Caserne cantonnière sur la route du Petit-Saint-Bernard, Italiefig. 27. Rez-de-chaussée d’une maison abandonnée au hameau de Grand’Croix

La frontière France-ItalieLes Alpes françaises

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Enquête

Si nous pouvons parler d’enquête pour cette partie c’est que l’étude de nos questions ré-unit des observations de terrain, des témoignages, des expériences et des documents, ce qui se fie de près à la définition d’enquête fournie par le Larousse.Nous nous sommes assez peu documentés avant notre départ sur le terrain, nous vou-lions nous confronter au territoire en question sans chercher une réponse précise à une question donnée mais en nous ouvrant plutôt aux imprévus et heureuses coïncidences. C’est dans l’idée de transmettre au lecteur une bribe de nos trouvailles et émerveillements que nous avons entamé ce chapitre par une série de photos issues du paysage frontalier à la lisière de la France.Après cette série d’images vous laissant, nous l’espérons, rêveurs, revenons au sujet cen-tral de ce mémoire. Les postes de douane comme patrimoine frontalier de l’avant Schen-gen. A quoi ressemblaient-il ? peut-on parler d’une typologie « poste de douane »? Sont-ils construits pour durer ou plutôt éphémères ? sont-ils représentatifs de l’administration douanière ? Et enfin, que sont-ils devenus presque 20 ans après la mise en application des accords de Schengen ?

L’objectif de l’administration douanière a été de tout temps d’assurer des recettes à l’État et de lui offrir un regard sur les marchandises entrantes et sortantes. Pour rappel, les missions de la douane sont  : le soutien à la compétitivité économique des entreprises, la lutte contre la fraude et les trafics internationaux, la fiscalité indirecte. Ces missions poursuivent un objectif unique de protection et de sécurité publique en matière d’écono-mie, d’environnement et de santé publique. Nous avons consulté plusieurs publications internes de l’administration des douanes, notamment les résultats 2014 de la douane61, un document qui donne le pouls de l’administration. Nous renvoyons le lecteur à ce do-cument pour une consultation détaillée des missions et exercices de l’administration des douanes. Nous avons toutefois reporté brièvement quelques informations relatives à la douane aux frontières.

Dans une zone comprise entre la frontière terrestre et 20 kilomètres au-delà (où jusqu’au premier péage pour les autoroutes), ainsi que dans les gares routières et ferroviaires, ports et aéroports les douaniers contrôlent les bagages et marchandises, les moyens de transport et les personnes, et si besoin, les identités. Les agents de la douane ont, pour l’exercice de leur fonction, droit au port d’arme.Le code douanier précise le rayon des douanes et souligne par l’article 4362, loi du 3 janvier 1964, que « l’action du service des douanes s’exerce sur l’ensemble du territoire doua-nier » mais « qu’une zone de surveillance spéciale est organisée le long des frontières terrestres et maritimes », il s’agit du rayon des douanes. Nous voyons ici que ce nous considérions jusqu’alors comme une ligne est en fait une aire frontière, une épaisseur

61. Douane, résultats 2014, Ministère des finances et des comptes publics[en ligne] http://www.douane.gouv.fr/articles/a12367-resultats-2014-de-la-douane-francaise

62. Article 43 du Code des douanes, Version consolidée au 31 décembre 2015.Le code des douanes est consultable en ligne à l’adresse suivante  : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=555C80E22E32E55648C6CAC18A462796.tpdila12v_3?cidTexte=LE-GITEXT000006071570&dateTexte=20160103

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parsemée de points de passage. A ces points sont présents, par intermittence, deux autres administrations, la police aux frontières et la gendarmerie. Les brigades de surveillance des douanes aux frontières dépendent d’une direction régio-nale, elle-même dépendante de la direction interrégionale (au nombre de 12 aujourd’hui). La zone frontalière que regarde ce mémoire est gérée par la Direction Interrégionale de Marseille (Directions Régionales de Nice, et de Provence) et la DI de Lyon (DR de Cham-béry et du Léman).

Pour répondre à ses fonctions, la douane dispose d’un parc immobilier, propriété de l’Etat français.

« Les bâtiments qui le composent se signalent par des particularités qui renforcent l’originalité de cette administration. C’est tout d’abord le nombre et la variété des unités immobilières  : quelque deux mille bâtiments qui se déclinent en catégories échappant à la standardisation des immeubles à usage de bureaux. A côté de ces der-niers, en effet, la douane déploie un luxe de constructions diverses et spécifiques dont rend compte la terminologie qui emprunte tant au génie de la langue – aubette, corps de garde- qu’au néologisme authentique (le bureau à contrôles nationaux juxtaposés, ou BCNJ par exemple). Partagé entre tradition et modernité, le vocabulaire évolue prudemment ». 63

Parmi ces « unités immobilières », Julien Chauvet, qui a effectué une première étude du fond photographique des archives du musée national des Douanes, répertorie 35 bâ-timents douaniers aux fonctions différentes 64. Nous observons que certaines fonctions se recoupent (abri saisonnier, baraque et abri de haute montagne par exemple) et que la liste comprend les immeubles relatifs aux douanes maritimes, il n’en reste pas moins, selon notre analyse, une petite dizaine de bâtiments à usages différents pour les uni-tés des douanes terrestres: des abris, des aubettes, des bureaux divers, des casernes, des écoles (école de ski, école nationale des douanes), des hôtels des douanes, des recettes, des postes frontières.

Aux brigades de surveillance sont assignés certains de ces objets architecturaux :- Les abris servent momentanément aux douaniers en service, dans des conditions météo-rologiques ou topologiques difficiles, ils relèvent de la cabane ou du refuge.- Les aubettes sont ces petites loges, souvent placées en milieu de route elles signalent au loin la présence des douanes, et offre aux brigadiers une visibilité accrue sur la route. A l’intérieur on y trouve un ou deux bureaux. - Les postes de douane aux frontières sont en réalité des postes de surveillance avancés qui permettent aux brigades de surveiller les frontières « en direct ». Sur la frontière franco-italienne, ils sont situés à quelques dizaines de mètres du tracé.

« Certaines constructions revêtent également un caractère particulier en raison du contexte paysager et de la situation dans laquelle elles sont implantées. Il s’agit des

63. Direction Générale des Douanes et Droits Indirects, Aubettes, Bureaux, Casernes, aspects du parc immobilier de la Douane avant la réalisation du marché unique (1er Janvier 1993), Paris, presses typographique et phototypie de l’Imprimerie nationale, Juin 1994

64. Julien CHAUVET, Première étude du fonds photographique «Bâtiments douaniers», Bordeaux, Musée National des Douanes, 2002.

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postes frontaliers et aubettes qui, à l’intersection d’une route et sur une frontière, concilient visibilité et présence symbolique de ce passage d’un pays à l’autre. Ces postes se détachent du paysage en barrant visuellement et matériellement les zones transfrontalières. » 31

Le poste de douane renferme aussi un aspect symbolique. Les drapeaux que l’on trouve de part et d’autre, la barrière qui se lève, le marquage du stop au sol, le panneau qui an-nonce les douanes, contribuent à créer un imaginaire collectif. « La plupart des peuples […] entretiennent avec leurs limites un rapport émotionnel et quasiment sacré » formule Régis Debray.65

Le poste de douane est l’image, bien réelle, de cette émotion.

A la frontière, les douaniers sont affectés à un poste de douane, qui dépend d’une pen-thière, terme désignant dans le vocabulaire douanier le territoire dévolu à une brigade. Du poste, ou des bureaux de la vallée, des douaniers partent en embuscade pour pincer les contrebandiers. Pendant la nuit, ou sur certains chemins peu fréquentés, la surveil-lance n’est pas abandonnée mais elle prend parfois des formes étonnantes, comme nous le montre les photos de ces « barrages douaniers », herse, hérisson ou chausse-trappe disposés sur la chaussée.( fig.27)

Avant de nous pencher sur ces objets que l’on trouve à la frontière entre la France et l’Italie, il convient de les situer sur une carte. (fig.28)La frontière coupe 3 fois des autoroutes au niveau des deux tunnels (A40 au Mont-blanc, A43 au Fréjus) et de Menton (A8), 1 fois seulement une route nationale française (la N94 au niveau de Montgenèvre), 10 fois des départementales (D1090, D1006, D900, M97, D2005T, D6204 à deux reprises, D93, D124 et la D6327) . Des dizaines de chemins se des-sinent sur les flancs de la montagne. Nous n’en avons pas tenu compte dans notre exer-cice, innombrables, ils sont pour la plupart impraticables dès le mois de Septembre. S’ils

65. Regis Debray, Eloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010 collection nrf p.31

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fig. 28. Dispositifs de barrages routiers, tirages argentiques 1965 ©Musée National des douane

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peuvent être la cible de la douane volante, ou des douaniers skieurs, brigades mobiles en partance des bureaux de la même penthière, il est très peu probable qu’un véritable poste de douane y soit établi du fait de la faible fréquentation du passage.Nous comptons au total 15 points de passage éparpillés sur 515 kilomètres de frontière :

- Tunnel du Mont-Blanc- Col du petit Saint-Bernard- Col du Mont-Cenis- Tunnel du Fréjus- Névache (Bardonnechia)- Col de Montgenèvre- Col Agnel- Colle de la Maddalena (col de Larche)- Col de la Lombarde- Col de tende- Piene Haute (Fanghetto)- Breil-sur-Roya (Olivetta)- Menton autoroute- Menton Garavan, pont saint Louis (route haute)- Menton Saint Ludovic (route du bord de mer)

Légende :

Mer MéditerranéePoint de passage routier et/ou férré entre le France et l’Italie(Blanc) Frontière actuelle entre la France et l’Italie(Noir) Limite et nom de départementVilles préfecturesNice

Mont-Blanc

Var

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Le poste de douane posté

Dans une petite commune, à l’image du bureau des PTT, le poste de douane est un repère. Bien que dans les Alpes il soit souvent en altitude, il est généralement relié à des bureaux ou à une caserne dans la vallée. Cela amène une activité, des familles, c’est une aubaine pour la commune.

« Le village de Montgenèvre, bâti sur le col du Mont-Genèvre, à 1800 mètres d’alti-tude, comptait alors 125 habitants  : le jour où les douaniers, leurs femmes et leurs enfants, au nombre de 55 descendirent à La Vachette, il n’en resta plus que 7. D’autre part, le receveur et les agents de la brigade, lieutenant compris, touchaient annuel-lement 22 000 francs, qu’ils dépensaient, bien entendu, intégralement dans le village de Montgenèvre. Désormais, ces 22,000 francs ne devaient profiter qu’à La Vachette. Dans ce pays déshérité, où l’argent est si rare, c’était de toute façon la ruine complète pour les habitants de Montgenèvre ». 66

La douane présente donc un intérêt économique pour la commune et ses habitants. Comme nous l’avons déjà dit, elle participe d’un imaginaire collectif qui est aussi celui des vacances, du lointain, de l’exotisme en quelque sorte. Cela est a fortiori vrai au début du XXème siècle, où l’aviation civile est peu développée et où les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus n’existent pas encore. Franchir la limite du territoire n’est pas si simple, et les points de passage très peu nombreux. La frontière intrigue et le poste de douane en est l’image, reconnaissable par tous. Dans ce contexte, il est assez aisé de comprendre la profusion de cartes postales qui montrent la frontière et ses postes de douane, et mettent ainsi en exergue la conscience et l’intérêt de la population pour les limites de son pays. Cet engouement pour la « carte postale frontalière » n’est pas anodin, et bien entendu corrélatif au développement de ce nouvel art de la communication né à la fin du XIXème.

« Dès 1903, l’illustration envahit la totalité du recto, le verso étant réservé à la fois au texte et à l’adresse. Le succès de cet outil de communication est immédiat. Trois ans plus tard on en vend déjà 600 millions d’exemplaires. Et c’est à ce titre qu’elle présente pour nous autant d’intérêt, matérialisant rêves, symboles, croyances ou, plus simple-ment, réalités de la vie quotidienne. »67

Nous avons rassemblé quelques cartes postales des années 1900 jusqu’aux années 1970, qui donnent à voir les postes de douane en fonction, mais aussi l’atmosphère de la fron-tière entre France et Italie .(fig30-fig36)« Une frontière c’est la rencontre et la limite de deux tabous, pour être admis de l’auttre-côté, il faut faire ses preuves, subir un examen de passage »68

Cet examen, c’est le passage devant le douanier…

66. Mémoires de Jean dit Lucius PALOC, directeur des Douanes (1837-1922), «une tournée du directeur des douanes dans les Hautes-Alpes», cahier d’histoire des douanes françaises, n°1, Octobre 1984.

67. Pascal ROMAN, «A travers la carte postale», Monuments Historiques, numéro 184, «Les Postes», Novembre-Décembre 1992,

68. «Les frontières», Le monde en quarante minutes, Office national de radiodiffusion télévision française, 09 juin 1966 , 42’55min, ina

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fig. 30. « L’entente cordiale au petit Saint-Bernard  », douaniers Français et Ita-liens, difficilement identi-fiables, attablés à la fron-tière vers 1910, Annecy, Edit. Pittierfig. 31. Col du Petit Saint-Bernard, Le passage de la douane française dans les années 1970. Nous pou-vons voir, au centre l’au-bette de tourisme, petit bâ-timent dans lequel s’insère un bureau où deux doua-niers peuvent contrôler les accès dans les deux sens. A droite les bureaux et loge-ments de la douane et de la gendarmerie française, au sous-sol des geôles, au rez-de-chaussée surélevé les bureaux de déclaration. Le toit est extrèmement pentu en raison des importantes chutes de neige (le col est à 2188m). La photo est prise depuis la France.

Le Petit Saint-Bernard

Le Mont-Cenis

fig. 29. Levée de barrière au Mont-Cenis, vers 1950, ed. CAP compagnie des arts photomécaniques. Le pas-sage de la douane se fait au pied des habitations et au croisement des routes. Les bureaux de la douane occupent le bâtiment de droite. Aucun signe distinc-tif ne permet de le recon-naître, si ce n’est probable-ment un encart au dessus de la porte d’entrée princi-pale. La photo est prise côté italien.

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fig. 32. Col de Larche, omni-bus automobile de barcelo-nette à La Condamine, 1910. L’omnibus est stoppé le temps pour ses passagers de prendre la photo sou-venir en haut du col. Le «  touriste  » s’est appliqué a dessiner la frontière sur la maison internationale, qui fait office de poste de douane.fig. 33. Col de Larche, douaniers Français et italiens, années 1960. Une voiture vient de fran-chir la barrière en direc-tion de l’Italie, le chauffeur est abordé par un douanier français, reconnaissable à son pantalon orné d’une bande. Au premier plan un douanier italien se dirige vers la guérite des douanes françaises. A L’arrière plan en hauteur, la maison inter-nationale qui s’est agrandie.

Le Col de Larche

Col de Montgenèvre

fig. 34. Claviere douanier français, vers 1970, photo de Giovanni Trimboli. Une touriste se fait controler par un douanier français, à droite la cabane en bois des douanes françaises, à gauche l’abri un peu plus solide (fondations et mur en pierre) des italiens. Le panneau nous informe de la présence de la police ita-lienne. La barrière a éton-namment pris les couleurs de l’Italie…

fig. 35. Le poste frontière à Piene-Basse, ed.CAP com-pagnie des arts photomé-caniques, vers 1950-1960. Les douaniers français comme les touristes se re-trouvent sous l’avancée en béton portant l’inscription douanes françaises. Le bâ-timent de pierre aligné à la route comprend des bu-reaux au rez-de-chaussée et des logements au premier et deuxième étage pour les douaniers.

fig. 36. Menton, douaniers Français et Italiens à la fron-tière, ed. Léon et Levy, vers 1910. La frontière est un lieu d’activité comme un autre… De simples petites construc-tions de pierre couvertes de tuiles trônent sur la route en terre et signalent, l’arrivée en France tandis que dans le sens inverse, le drapeau italien marque la ligne.fig. 37. Menton, les 2 postes frontière, compa-gnie des arts photoméca-niques de Strasbourg, 1955. Au premier plan une file de voiture s’avance vers le poste centrale de la douane française, un bâtiment neuf, à l’allure moderne, entière-ment en béton et qui sur-plombe la mer. Le second poste de douane de Menton n’existe pas encore et les touristes doivent s’armer de patience… A l’arrière plan les Alpes s’évanouissent dans la mer Méditerranée.

Piene

Menton

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La douane, vue par la douane

Nous sommes maintenant assurés de l’intérêt porté à cette frontière, à ses doua-niers et à ses barrières, par les Français comme par les Italiens qui envoient à travers le pays ces images comme marque de sympathie.Penchons-nous maintenant sur le regard porté par l’administration des douanes sur son propre patrimoine. Les nombreux articles publiés dans la Vie de la douane  (mensuel interne édité de 1950 à 1989), et ceux des annales des douanes (équivalent plus ancien) montrent, images à l’appui, l’inauguration des nouveaux bâtiments, les logements du per-sonnel etc… et illustrent sans conteste la conscience qu’a la douane de son patri-moine, ce qui est confirmé dans un numéro spécial de 1980 consacré au sujet.69

Dans cette veine, les postes de douane ont été photographiés par les douaniers eux-mêmes, comme simple souvenir ou à la demande de leur direction. L’ensemble du patrimoine douanier fit même l’objet d’une campagne photogra-phique menée en 1975 par le bureau B3, service en charge de la gestion du pa-trimoine douanier. Certains clichés ont été pris par des professionnels, mais là encore beaucoup ont été réalisés par des douaniers amateurs.

«  Tout d’abord, faire appel à un professionnel pour «  enregistrer mécanique-ment » un bâti est coûteux, alors qu’à cette époque (les années 1950, 1960, 1970) l’appareil photographique s’est déjà largement démocratisé, permettant à la po-pulation d’avoir accès à un certain nombre de boîtiers, tel l’Instamatic de Kodak (1963) par exemple. Appuyer sur un bouton est à la portée de tout le monde et tout le monde est photographe ». 70

Nous avons eu accès à une soixantaine de clichés originaux issus du fond pho-tographique du musée national des douanes et classés par localité. Nous avons consulté ceux concernant les villes frontières, à savoir, Chamonix , Isola ,Larche, Menton, Modane, Le Mont-Blanc, Montgenèvre, Olivetta, Tende, Piene et Sospel. Parmi ces derniers, nous en avons sélectionnés 8, qui nous semblaient pertinents pour notre étude.71 Tous représentent des lieux que nous avons visités. (fig.37-fig.45)

69. La vie de la douane, n°185, Le patrimoine, Octobre 1980

70. Op. Cit. Julien CHAUVET, Première étude du fond photographique…

71. Non qu’il eut été judicieux d’en conserver plus, mais le service étant payant nous avons concentré nos efforts sur quelques clichés.

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fig. 38. fig. Aubette du pont Saint-Ludovic, 1969. A la frontière se mélangent les fiat 500 et les 4L, direction Vintimille, sous l’aubette métallique toute neuve des douanes françaises.

fig. 39. fig. Le bureau est placé surélevé sur une plateforme goudronnée rappelant un trottoir. On distingue nettement les touristes qui affluent pour visiter les douaniers.

fig. 40. Aubette du pont Saint-Ludovic, Menton, 1969. Sur ce cliché, nous voyons comment la couver-ture se soulève du côté de la mer, créant un profil qui rappelle un oiseau.

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fig. 41. Poste frontière du Pont Saint-Louis, Menton Garavan, 1969. Le poste de douane, qui nous l’avons vu fait office de bureau de change, est aussi un centre d’information de tourisme. fig. 42. Poste frontière du Pont Saint-Louis, Menton Garavan, 1969. L’intérieur du poste de douane rap-pelle étrangement celui d’un aéroport, avec ses guichets et ses bureaux de changes. Le hall est spacieux et lumineux, les hauteurs sous plafonds gé-néreuses. Les douanes fran-

çaises semblent défendre ici une image de marque moderne pour l’entrée en France.fig. 43. Les deux poste-frontières, Menton, non daté en haut on distingue le pont Saint Louis et le long bâtiment des douanes italiennes, en bas l’aile de l’aubette du pont Saint-Lu-dovic. Au loin, le début des Alpes italiennes et la côté de Vintimille.

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fig. 44. Poste frontière du Mont-Cenis, Lansle-bourg-Mont-Cenis, 1976 Le poste de douane s’ins-crit dans un plan carré, au centre d’un carrefour, qui n’en est pas vraiment un puisqu’à droite la route est bloquée par le barrage du Mont-Cenis.Le bâtiment en arrière plan abritait les ou-vriers lors de la construc-tion du barrage.

fig. 45. Poste frontière de Sospel-Olivetta, Breil-sur-Roya, 1976 Ce poste, qui relève plus du mobil home, est bien le bureau des douaniers à sur les hauteurs de Menton.

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A travers ces cartes postales et clichés nous pouvons remarquer combien, des années 1900 à aujourd’hui, les décors ont changé, le bâti a été détruit, modifié, reconstruit mais la fonction est restée inchangée.Au vu de ces premiers objets architecturaux, nous ne pouvons que constater l’incohé-rence de l’ensemble : il n’y a pas de similarité apparente entre les édifices, pas de typo-logie architecturale à part entière. Les postes de douane se caractérisent plutôt par leur diversité.

«  Jusque dans la première moitié du 20ème siècle, les postes aux frontières ne ré-pondent à aucune prérogative esthétique particulière. Une grande diversité existe alors, et les postes, souvent installés dans des constructions anciennes, prennent des formes variées car l’administration a installé ses bureaux dans les bâtiments qu’elle a eu l’opportunité d’acheter ou de louer. Les postes de douane correspondent donc généralement aux styles architecturaux régionaux ».72

C’est seulement après la seconde guerre mondiale qu’une certaine rationalité s’applique lors d’une campagne de rénovation. Les nouveaux postes montrent une administration à la pointe de la modernité, le béton devient le matériau de prédilection.Ainsi, Le Corbusier se fera architecte des douanes au débouché du canal entre le Rhône et le Rhin : il dessinera les plans des deux bâtiments pour l’écluse de Kembs-Niffer, une tour de commande et le bureau des douanes inaugurés en 1961. (Fig.46)

« Le poste de commande, original et fonctionnel mais à la silhouette un peu insolite, domine l’ensemble et attire tout d’abord le regard des visiteurs qui, de plus en plus nombreux, sont intéressés par ces réalisations. Le bâtiment administratif comporte la toiture en P.F. – le fameux « paraboloïde-hyperbolique »- qui allie l’architecture aux mathématiques et symbolise un peu cette collaboration « architecte »-connaissance des hommes- et « ingénieurs »-connaissance des lois physiques, souvent mis en va-leur par LE CORBUSIER .Ces deux constructions adoucissent l’aspect un peu sévère que pourrait présenter la grande écluse qui constitue la porte fluviale de la liaison Rhin-Rhône ». 73

Paul Andreu sera aussi de l’aventure, pour le poste de Saint-Louis-Bâle à la frontière fran-co-Suisse, mis en service en 1989. (fig.47)Sur la frontière franco-italienne, les exemples de cette modernité sont plus rares. Nous pouvons néanmoins citer les deux postes frontières de Menton dont les photos sont mon-trées dans les pages précédentes :- Le poste haut de Menton Saint Louis a été inauguré le 10 Janvier 1953.- Le poste bas du pont Saint Ludovic, « l’aile » de l’architecte Paul Bellissent a été inau-gurée en 1969. Le petit bâtiment qui abrite les bureaux est couvert par un grand auvent métallique, elle se soulève vers la France pour dégager la perspective. Son envergure de 31 mètres permet d’abriter les agents lors de la fouille des véhicules.

72. Musée national des Douanes, Nicolas Fussler: Postes de douanes, Carnet d’exposition, Musée National des Douanes, 6 Octobre 2009, 28 Mars 2010.

73. «Douane et Architecture», dans La Vie de la Douane, journal de la formation professionnelle, n°126, Novembre-Décembre 1965.

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fig. 46. Le Corbusier Bâtiments de l’écluse, Kembs-Niffer Photo : Alain Tavès © FLC/ADAGP

fig. 47. Paul Andreu, Poste de douane à Saint-Louis-Bâle, Suisse ©paul-andreu.com

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En ce qui concerne les postes frontières des Alpes il y a bel et bien une profusion de styles architecturaux ! Quoique, dans certains cas, nous l’avons vu, il semble difficile de parler d’architecture. L’administration des douanes françaises semblerait avoir concentré ses efforts sur les points de passage les plus importants, et donc les plus visibles, (nous pou-vons compter parmi eux Menton, le Mont-Cenis, et le petit-Saint Bernard) en délaissant les autres.La guérite avancée du poste haut de Menton indique en lettres bleues sur fond blanc « Menton, premier sourire de la France ». Les postes méditerranées ont sans conteste bénéficiés d’une attention spéciale, en tant que portes d’entrée privilégiées du pays, au détriment des postes retirés dans la montagne.

Les cartes postales participent, avec le cinéma à créer un monde autour du douanier, des barrières et du poste-frontière : on se souvient du délicat passage de la douane de Louis de Funès dans Le Corniaud ou encore de Fernandel dans la loi, c’est la loi, deux films qui prennent pour toile de fond la frontière franco-italienne.Mais, que reste-il aujourd’hui de ces postes-frontière  ? Moins de cinquante ans après l’inauguration des plus récents, la question peut paraître saugrenue. Sauf qu’entre-temps, la donne a changé, les frontières se sont ouvertes…

Note 1 :Après avoir établi de manière objective ce qu’étaient les postes de douane avant 1993, et ce qu’ils représentaient pour les Français à cette époque nous allons maintenant faire part au lecteur de notre propre expérience quant aux situations actuelles à travers un récit à la première personne. Ce choix stylistique a été fait pour que le lecteur différencie parfaitement les éléments objectifs apportés par l’histoire et ceux plus subjectif apportés par l’observation du présent.

Note 2: Ce « voyage » a été pensé en amont, en partie grâce aux conseils de Nicolas Fussler, photographe d’architecture. 74 Dans un premier temps, c’est avec cette application que je me suis rendue virtuellement sur le terrain, épluchant avec minutie chaque route menant à la frontière à travers le regard du fameux personnage orange connu de tous. S’ensuit la préparation d’un parcours, je répertorie pour chaque étape (correspondant toute à un fran-chissement de la frontière) quelle route je dois emprunter, je note à quel endroit je pourrai facilement me stationner, je note aussi s’il y a un poste de douane côté français, côté italien ou des deux côtés. Je note encore quelques éléments distinctifs pour chaque poste de douane que je devrai, à priori, trouver sur mon chemin. Enfin, avec une panoplie de cartes routières, j’établis mon itinéraire en essayant d’optimiser mes déplacements, empruntant au choix les routes françaises ou les routes italiennes. Mon périple prend finalement la forme d’une couture qui suit la frontière, un point français ré-pondant, le plus souvent, à un point italien.

Le récit qui suit est le récit de ce voyage, rapporté dans l’ordre de visite qui adopte une lo-gique simplissime : Départ à Chamonix au Nord, arrivée à Menton au Sud.Les photos sont les miennes, réalisées lors du voyage. Pour accompagner au mieux le récit, elles ne sont pas issues d’un mode opératoire systématique et n’ont pas vocation à être com-parées entre elles.

74 . Voir Annexe n°3 entretien avec Nicolas FUSSLER

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fig. 48. Voitures de la douane, sur le qui-vive. Entrée du tun-

nel du Mont-Blanc, Chamonix-Mont-Blanc, France

Récit de voyage

Départ de Paris le mardi 22 Septembre 2015.

A Chamonix-Mont-Blanc il fait froid, les températures sont négatives la nuit, même en Septembre. C’est ici que mon enquête commence, dans cette ville qui accueille l’un des deux derniers postes de douane encore en fonctionnement entre la France et l’Italie. L’autre, c’est celui du tunnel du Fréjus. C’est incroyable comme l’espace semble dilaté sur cette ligne imaginaire. J’ai l’impression d’être au milieu de nulle part, les montagnes m’entourent, les cols sont enneigés, je vois même des coulées de glace. Le poste de douane est en aval du péage. Du côté droit de la route, il ressemble à un chalet qui se détache de la montagne. Il est minuscule. D’ailleurs, je passe à côté une première fois sans le voir, il est caché par un camion. Je m’arrête fina-lement sur le parking et m’aligne aux voitures de la douane. Elles sont prêtes à partir. (fig. 48) A l’intérieur, une petite dizaine de douaniers en uniforme s’activent. Le chef de bri-gade m’explique qu’ils ont pour mission de surveiller et contrôler le passage des camions qui transportent des matières dangereuses. Leurs collègues italiens doivent effectuer la même action de l’autre côté du tunnel. Depuis les accords de Schengen, il n’est plus dans leurs prérogatives de fouiller les véhicules et leurs occupants, bien qu’ils en aient tou-jours l’autorisation. J’entre dans le tunnel, je roule. « Bienvenue en Italie » scande le GPS entre deux lignes blanches.

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Après plusieurs minutes passées dans le tunnel, la lumière italienne m’éblouit. De ce côté-ci les infrastructures sont plus importantes. Ce sont d’immenses treillis métalliques peints en jaune qui surplombent les carrosseries. Sur la droite, quelques mètres après la sortie, un belvédère échappe à cette infrastructure. Je peux y contempler la cime des Alpes.Une route unique s’enfonce en Italie. Dans l’habitacle je ne capte plus que la Rai, signe manifeste que je suis en Italie. Quelques kilomètres plus loin, je bifurque en direction de La Thuile. Je cherche déjà à rejoindre la frontière pour passer le col du petit St Bernard. La Thuile est une commune italienne, malgré sa consonance plutôt française. L’anecdote est courante dans la région.Je suis sur la strada statale 26. Elle est parsemée de casemates construites sous ordre de Napoléon Ier.L’ancien poste des douanes italiennes du petit St Bernard se distingue très nettement sur la route quasi vide. (fig.49) Le bâtiment est très imposant : les fenêtres sont nombreuses et consciencieusement réparties symétriquement sur un mur recouvert de crépis. Il y a, devant, une petite aubette abandonnée au milieu de la route déserte. Quelques dizaines de mètres plus loin le schéma se répète. C’est le bâtiment des douanes françaises.Face au poste Italien, j’avise un bar restaurant. Je gravis les marches couvertes de neige, j’entre. Le patron m’accueille chaleureusement. Me voilà attablée à ces côtés. Il me conte l’histoire du col, de la douane, de la frontière, son histoire à lui aussi. J’écoute, je pose des questions, je note. Il m’explique les mouvements de frontières, s’amusant que son tracé soit aujourd’hui encore remis en question : quelques jours avant mon passage, une commission composée de trois experts français et trois Italiens sont venus sur place pour reconsidérer les points de passage de la frontière. Ce qui paraît être une farce à mon interlocuteur me paraît incroyable. François, c’est ainsi qu’il se nomme, me montre de vieilles cartes postales du col. Au fil de ses paroles, je comprend l’atmosphère qui régnait ici, au petit Saint-Bernard, du temps de la douane…

fig. 49. Poste frontière italien du Petit Saint-Bernard, bureaux des carabiniers et de la douane. Au premier plan à gauche, l’aubette. La Thuile, Italie

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Extrait d’entretien avec François O., le 23.09.2015Bar Ristorante San Bernardo, col du Petit Saint-Bernard

Caroline Pirotais : Le bâtiment, juste devant, il s’agit bien de l’ancien poste frontière italien n’est-ce pas?

François Ottoz : Oui, oui, enfin avant la douane italienne était à l’Hospice, juste avant la statue de St Bernard. Et puis, je ne sais pas vraiment pourquoi mais les Français ont décalé tout ça de 2km, en 1952. Et la douane française, elle était juste à côté, dans un petit bâtiment qui faisait tout: bar, restaurant, et tabac.

C’est incroyable, cette histoire de frontière qui se décale de 2km après le traité de 1947...

Ah oui, c’est sûr. Mais, il y a pire que ça : il y a 15 jours, une patrouille est venue. Je ne sais pas trop si c’est l’IGN chez vous, ou l’institut militaire chez nous…Je ne sais pas s’ils sont payés pour faire ça mais c’est incroyable, ils viennent à 6, trois de chez vous, 3 de chez nous, pour pinailler des bouts de frontières! Alors ils regardent, ils discutent, ils se baladent…Ils sont venus au moins 3 jours, ils prenaient leur café ici, et puis dans la journée ils se chamaillent un bout de frontière, ils relèvent les bornes, à vrai dire je me demande bien ce qu’ils font !Non mais des fois c’est carrément embêtant, moi par exemple, je voulais rénover un peu mon bâtiment, le bazar, et bien si je le casse un peu pour le refaire, je dois le raccourcir de plusieurs mètres ! Parce ce qu’à la frontière il y a une zone inconstructible des deux cotés, 200 mètres ou quelque chose comme ça. Et comme ils ont bougé la frontière, il faudrait que je bouge mon bâtiment. Alors du coup je n’y touche pas.

Et, ce poste de douane, quand a-t-il été abandonné?

De notre côté il y avait le contrôle des passeports encore jusqu’en 1996.Le bâtiment que vous voyez il était séparé en deux, d’un coté la Police aux frontières, enfin les carabiniers chez nous, et de l’autre les douaniers.La douane, elle, elle est partie en 1992.Et, celui qui est plus bas, dans le même style, il a été construit en 1947, par les Italiens. Sauf que, tout de suite après il a été occupé par les douanes françaises vu que les Français ont modifiés la frontière ! Chez nous en Italie, tous les bâtiments qui abritent des fonctions d’état sont construits par le génie civil et sont attribués ensuite aux administrations. Le génie civil a ses propres ingénieurs et architectes.Avant 1965, et le tunnel du mont-blanc, c’était une douane de 1ère classe ici !

C’est à dire, il y a avait beaucoup de passage? Des équipes administratives importantes?

Oui, je dirais 17/18 douaniers, autant de carabiniers et là même chose côté français. A cette époque on échangeait du riz contre du sel, vous n’aviez pas du bon riz de votre

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côté. Ça fait rire aujourd’hui mais à l’époque c’était ça la contrebande.Après 1900 le tourisme s’est développé, le lieu est devenu très réputé, et en bas, dans la bâtisse qui servait aussi de chambres aux douaniers, il y avait un tabac et un café…Et puis en 1947 il y a eu le tracé selon le partage des eaux. Sauf que ça n’a aucun sens, la frontière est bien là, mais les terrains continuent d’appartenir à la Thuile [commune italienne]. Alors, le coup des 2 kilomètres ça n’a vraiment aucun intérêt…

Et la frontière de la Roya ! Je vais vous dire la vraie raison de la modification de la fron-tière : la Roya alimente toute l’eau potable de Nice. Il y a au moins 4 ou 5 barrages…Tout est devenu français! Vous voyez pourquoi…Soit-disant que le comté de Saorge aurait été donné en cadeau à Louis XIV. Mais juste-ment, à Louis XIV, pas à la France, nuance. Tout est redevenu italien ensuite, jusqu’en 1947. Mais, De Gaulle a voulu tout récupérer « puisque cela avait été donné à Louis XIV ».Je vais vous montrer quelques chose. [Il sort un instant et revient avec quatre cadres de vieilles cartes postales]

Savez-vous pourquoi il y a autant de cartes postales des postes de douane et de la frontière?

Même aujourd’hui vous savez, quand on est sur la frontière, on veut aller voir de l’autre côté. C’est comme ça on veut toujours voir au-delà.Et puis après vous voyez c’est la décadence, il y a eu le tunnel. D’ailleurs les cabanes de cantonniers que vous avez vu en montant, elles sont abandonnées. Avant il y avait une étable au sous-sol et des chambres au premier étage. Ca a été instauré par Napoléon, pour que les gens puissent s’arrêter sur la route à l’époque où l’on traversait le col à pied. Et aujourd’hui, elles s’écroulent. Il n’y en a plus qu’une qu’on voit encore. Vous voyez ces bâtiments [il me montre une image des bâtiments que nous voyons au dehors], ils ont un style très italien. Nous on ne met pas du plâtre, mais un autre chose pour recouvrir.

De l’enduit ?

Oui, c’est ça, systématiquement on met de l’enduit. Alors que vous pas trop, il y a autant de pierre que d’enduit, ou alors c’est que du béton. Alors forcément ça se construit plus vite hein ! Je ne sais pas qui à raison… »

Un espresso plus tard me voilà de nouveau dehors, sous la neige. J’ai compris entre temps pourquoi les postes de douane français et italien avaient une architecture si semblable.Quelques mètres plus bas, sur la droite, se trouve l’Hospice. Puis, à gauche, un ancien jardin botanique. Je suis maintenant sur la D1090, c’est amusant, une route nationale italienne qui se transforme en route départementale française. Le goudron est le même, le paysage ininterrompu.

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fig. 50. Le poste de douane français et son aubette, Séez, France.

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Pour rejoindre le Mont-Cenis, 3ème halte de mon itinéraire, je passe le col de Liseran. A plus de 2700 mètres d’altitude la neige s’est amoncelée. Le verglas a pris place dans les virages pourtant à double sens de circulation.

A mi-chemin entre Lanslebourg et le Col du Mont-Cenis je peux voir les stigmates de l’ancienne frontière, une borne qui date de 1860 et un bar-refuge. Je pousse la porte. Je salue le patron et lui présente mon sujet d’étude. Il me redirige instantanément vers sa femme, Simone G. , très bavarde selon lui.Simone est passionnée par l’histoire du mont Cenis. Elle m’expose l’histoire du col de-puis le passage d’Hannibal jusqu’à aujourd’hui, dans les moindres détails, romancée et agrémentée d’anecdotes rocambolesques bien entendu. Elle me montre quelques photos et documents qu’elle a récoltés et accrochés aux murs de la grande salle.Je repars sur la route, et m’arrête quelques centaines de mètres plus loin pour contempler le lac magnifique du Mont-Cenis. Sur ma gauche, je distingue nettement le fort de Ronce de l’armée italienne, aujourd’hui sur le sol français. Il est particulièrement attirant avec sa forme de soucoupe volante. De l’autre côté du lac, sur la rive Ouest, je vois d’autres fortifications bien plus anciennes. Je poursuis ma route. Je passe de l’autre côté du barrage. Au détour d’un lacet, dos au bar-rage, j’avise le chalet des douanes, sombre, droit et fier. Il est en excellent état, le panneau « douanes et droits indirects » flambant neuf. Juste derrière, il y a une église, et un pâté de maisons, ou plutôt un pâté d’église et de maisons : tout est en ruines. Je suis au hameau de Grand’Croix que m’a décrit Simone quelques minutes plus tôt. Le chalet des douanes est fermé. (fig.51) La barrière rouge et

fig. 51. Châlet de la douane française, Lanslebourg-Mont-Cenis, France.

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blanche est levée, au sol il y a encore le marquage du stop. La route vers l’Italie est libre.Je croise plusieurs maisons cantonnières, reconnaissables à leur façade rouge. Il y a un porte drapeau rouillé devant l’une d’entre elle sur la SS25 et une petite aubette dans le sens de la descente. C’est l’ancien poste de douane italien. Il n’y a plus que des trous en place des portes et fenêtres. J’entre, mes pieds se posent sur un parquet défoncé. A l’in-térieur il y a trois pièces et au fond une cuisine et des toilettes. Depuis la grande pièce j’ai une vue dégagée sur la montagne italienne. Dans l’entrée, je ne vois que la route tortueuse.

Je ne passe pas pas par le tunnel du Fréjus, le voyage serait long et coûteux.Je coupe plutôt la frontière entre Claviere et Montgenèvre. Je m’arrête au poste frontière de Claviere, côté italien. (fig 52) Je passe sous le portique de l’aubette et je me stationne. Formidable : la porte est ouverte. Je découvre des bureaux déserts avec le revêtement de sol Nora reconnaissable à ses pastilles de caoutchouc. En bas, une série de bureaux. A l’étage une suite de pièces, comme un grand appartement. En sortant je compte 6 son-nettes. Côté français il y a une aubette au milieu de la route (fig.53) et, sur le bas côté, les anciens bureaux, dans un petit pavillon aujourd’hui occupé par la police aux frontières.

fig. 52. Poste frontière italien, Au premier plan l’aubette. Col de Montge-nèvre, Claviere, Italie.

fig. 53. Dans l’aubette du poste français, Col de Montgenèvre, Montgenèvre, France.

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Après une montée en ligne droite et une descente très tortueuse j’arrive à Pian del Colle. Dans la descente, une borne de 1947 m’indique que je viens de passer la frontière, je la vois à l’instant même ou le GPS chantonne son désormais fidèle « bienvenu en Italie ». Du côté italien, la cabane des douanes est toujours là. La porte est clouée mais la fenêtre de devant est ouverte. De nouveau je me faufile. Un bureau et une chaise renversée occupent la pièce principale. Derrière, des toilettes et les restes d’un coin cuisine. Côté français je n’ai repéré aucun trace d’un quelconque poste frontière.Au col de Larche la réverbération du soleil sur la route réchauffe le bitume. Je vois ici un schéma territorial que je commence à connaître. En Italie comme en France, il y a un petit village dans la vallée et puis en altitude, là où passe la frontière, un vide architectural, mais un paysage habité. Je dis habité car il est percé par une route où s’entremêlent mo-tards, cyclistes et automobilistes. Comme toujours, le col est le lieu privilégier de la pause contemplative, au grand air. En haut, un bar-restaurant-chambres, comme c’était déjà le cas au petit Saint-Bernard et au Mont-Cenis. Mais ici, le bar est plus qu’un simple bar, c’est la « maison internationale » La frontière coupe la maison en deux. (fig.54)Je questionne le propriétaire sur l’histoire du lieu. Je n’ai malheureusement pas de ré-ponse. Il me montre du doigt une photo de la maison au début du siècle. Elle est négligem-ment accrochée dans l’entrée. Je n’en saurai pas plus.Je repars, direction Isola.

fig. 54. Le col de Larche et la maison internationale, la frontière passe au milieu. Sur les dunes d’herbe on trouve des bornes

frontières clairsemées. Argentera, Italie.

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Sur la Strada Provinciale 225 qui mène au col de la Lombarde la vue est dégagée. En haut le panorama est majestueux, je suis à 2350 mètres d’altitude. Au milieu du rectangle de gravier qui sert de parking, une borne frontière de 1947. Et en contrebas, sur le versant français j’aperçois un blockhaus tagué. J’entre. A l’intérieur c’est le noir complet, je res-sors et m’équipe d’une lampe frontale. Une série de pièces hermétiques défilent sous mes yeux. Je monte une échelle d’égoutier et me trouve dans une salle d’observation et de tir. La pièce est ronde avec 3 fenêtres en partie haute. Larges à l’intérieur elles s’amincissent vers le dehors. A l’extérieur le grillage auquel s’accrochaient des roches est éventré. Les pierres sont tombées au sol et laissent le béton à découvert.

A 3 kilomètres du col, côté français, un poste de douane au style improbable s’offre à moi : je me trouve ici face à un chalet aux lattes de bois noires, coincé entre les méandres de la route, il relève presque du registre du parc d’attraction. (fig.55) Je suis mi-amusée mi- insurgée par la qualité architecturale des locaux de la douane française, décidément très disparates. Il est fermé. Autour, les premiers immeubles de la station de sport d’hiver se dressent.

fig. 55. Le poste frontière posé détour d’une route, Isola, France.

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La prochaine route qui croise la frontière est celle du col de Tende, elle est à plus de 160 kilomètres. J’emprunte la route de la Vésubie, parallèle à la frontière d’avant 1947. Au col de Tende il y a une file de véhicule à l’arrêt. Comme tout le monde je coupe le moteur et attend. Une dizaine de minutes plus tard la situation se décoince. Les voitures repartent. Les travaux de percement d’un second tunnel routier obligent une circulation alternée. L’ancien poste frontière est caché derrière des filets de sécurité et des plots en béton, quelques mètres avant l’entrée du tunnel. (fig.56) Je me stationne tant bien que mal et me présente au poste, aujourd’hui occupé par les pompiers. L’intérieur du bâtiment a été complètement refait. La capitaine m’explique : avant, au sous-sol, c’était des geôles ; au rez-de-chaussée les bureaux et les chambres. Le poste frontière des douanes françaises ressemble à une maison pavillonnaire des années 1960. De l’autre côté, je ne verrai rien, les travaux ont pris le dessus. Je fais demi-tour.A l’entrée de la ville de Tende, l’ancien bureau des douanes, repeint en blanc, est mécon-naissable. C’est désormais une annexe du Musée des Merveilles.

Sur la même route, la D6204, j’avise l’ancien bureau des douanes de Fontan. Ici seule la trace laissée par l’inscription « FONTAN » sur la façade laisse penser qu’il s’agissait d’un bâtiment administratif. Aujourd’hui c’est simplement une grande maison d’entrée de vil-lage, abimée par le temps.

fig. 56. Poste frontière à l’entrée du tunnel de Tende, Tende, France.

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Je prends la D6204 en direction de la frontière. J’arrive à Piene basse. Ici on peut parler d’architecture douanière ! Sur ma gauche, le long de la Roya, la caserne des douanes à la façade immense longe la route. Je passe sous la gare croulante de Piene et quelques mètres plus loin je décrouvre l’immeuble des douanes françaises. (fig.57) On pourrait parler ici d’un village des douanes puisque quasiment toutes les constructions sont à destination de l’administration doua-nière. Les bâtiments trouvent leurs fondations dans les accotements du lit de la Roya. Le rez-de-chaussée est au niveau de la route mais indépendant de celle-ci. Ils sont reliés par des « ponts-terrasses ».De nouveau je pousse la porte. Elle est ouverte ! Derrière, une étrange atmosphère se dégage. Tout est abimé mais intact, le grand escalier central est bien en place. Je compte 5 pièces, plus une cuisine, une salle de bain et des WC au rez-de-chaussée. Au sous-sol, 4 chambres avec des barreaux aux fenêtres, une salle de bain, des WC et une chaufferie.Au premier, un pallier dessert deux appartements dont l’un est équipé d’une série de placards.Au second, deux autres appartements. Les pièces sont carrelées au sol, les murs sont peints ou parfois recouverts de tapisseries fortement datée années 70. A chaque porte d’entrée est associée une sonnette. (fig.58)En façade, sur l’auvent je peux encore deviner l’inscription « douanes françaises ».Plus loin, toujours sur la même route, décidément fournis en bâtiments douaniers, il y

fig. 57. Au centre, le poste frontière de la douane française, Piène basse, Breil-sur-Roya France.

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fig. 58. Cuisine d’un logement doua-nier, poste frontière de Piène basse, Breil-sur Roya, France.

a un petit bâtiment sur un terre-plein surélevé. Un encart bleu, blanc, rouge, collé sur la façade annonce « Police Nationale ; Douane Française » (Fig.59). Le jardin est couvert de ronces qui commencent à s’attaquer à la véranda. A l’intérieur un bureau à gauche et un à droite, symétriques. Au centre dans l’entrée, un escalier avec une porte à mi hauteur qui mènent aux pièces plus intimes, chambres, salles de douche.

Plus bas, le poste Italien (fig.60). Quatre niveaux de bureaux et de logements surplombent la rivière à l’image de celui de Piene-Basse (italien avant 1947). Les accès principaux ont été murés, et des tags décorent les murs préalablement couverts par un enduit orange qui rend le poste visible au loin.Je prends la route qui relie Sospel à la commune d’Olivetta San Michel en Italie. Assez peu fréquentée elle a néanmoins ses propres postes frontières français et Italiens. Ou, devrais-je dire, ses « cabanes » frontières… Le poste français se résume à un petit mo-bil-home posé sur des parpaings (fig.61), le poste italien est un vulgaire préfabriqué posé sur une dalle mais avec une toiture soignée. Ce n’est apparemment pas ici que la douane française a concentré son budget.

fig. 59. Poste frontière français, douanes et police nationale, Breil-sur-Roya, France.

fig. 60. Poste frontière italien, Fanghetto, Italie

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Je poursuis ma descente vers Vintimille. Au niveau du poste frontière du pont Saint-Louis, côté italien, le centre de coordination policière et douanière (CCPD) des corps d’armes français et italiens, est en service. Les drapeaux des deux pays flottent au vent. Côté français, à Menton, les douaniers ne sont plus là. En revanche la police aux fron-tières est bien présente et les bureaux sont en partie occupés. Tout est prévu pour arrêté les véhicules. A l’avant, sur le côté et à l’arrière du poste fron-tière des places de parking attendent les contrebandiers ou touristes mal intentionnés. Impossible de passer à côté sans le voir, sa façade longue d’une vingtaine de mètres est entièrement peinte en jaune.Le panneau « Halte douanes » a été remplacé par un « halte police » paradoxalement situé en dessous de l’inscription « bureau des douanes françaises ». (fig.63) Le versant Sud comporte l’inscription « contrôle des passeports ». C’est la première fois depuis le début de mon voyage que je me heurte à la réalité physique et politique de la frontière.Au poste bas de Menton, le poste Saint Ludovic, je croise une autre brigade. Les véhicules passent au ralenti devant les gendarmes attentifs. (fig.62)

Le poste frontière est au centre de la promenade qui longe la mer. Promenade qui à cet endroit n’en est plus vraiment une, les files de voitures sont doublées pour former une 2x2 voies, au centre desquelles trône le bureau des douanes. Ici aussi des places de sta-tionnement sont prévues de tous les côtés. L’aubette rappelle une aile d’avion. Légère et métallique elle couvre amplement le petit bâtiment qui abrite les bureaux. A Menton la frontière prend une forme matérielle : police, gendarmes, douanes, drapeaux, contrôles, tout est là ! Sauf peut-être les installations pérennes, qui en dehors du CCPD ne sont plus véritablement autorisées par la convention de Schengen. Au large, la mer, ultime frontière.

fig. 61. Le mobil home de la douane fran-çaise sur la D93, Breil-Sur-Roya, France.

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fig. 62. Poste frontière de Menton pont saint Ludovic, occupée par la gendarmerie natio-nale, Menton, France

fig. 63. Poste frontière de Menton Pont Saint louis, occupée par la police aux frontières, Menton, France

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Nous pouvons dresser un bilan sur l’état général des postes de douane à la frontière fran-co-italienne. Notre étude concerne 14 points de passage, les postes de douanes « visités » sont répertoriés dans des fiches. Cet inventaire se trouve en annexe n°4. En premier lieu nous pouvons constater qu’à tous ces points, sauf un, nous avons trouvé un poste fron-tière en place.75 Le patrimoine alpin de la frontière des alpes a donc dans son ensemble été conservé. Un seul poste a subi un changement de fonction, il s’agit de la maison internationale du de Larche. Les reconversions restent marginales.Nous comptons un poste encore utilisé uniquement par la douane, et quatre utilisés par d’autres administrations. Enfin, six postes de douanes sont laissés à l’abandon, dont deux laissés en « libre accès ».

Nous voyons là une réelle volonté de la part des administrations françaises de mettre à profit les installations existantes ou, une réelle volonté du gouvernement de poursuivre une politique de contrôle des frontières, qui nécessiterait la réutilisation des locaux pré-existants. In fine, ces bâtiments sont occupés.Les 4 postes de douane encore utilisés aujourd’hui sont proches de la ville ou répondent à un besoin précis (Entrée du tunnel du Mont-Blanc), ils sont à des altitudes relativement basses et tournés vers une autoroute ou une route nationale76 .Tous les postes situés sur des routes départementales tortueuses ont été abandonnés.

Les Alpes, leur relief et les complications d’accès qu’elles impliquent ont certainement ac-céléré le processus d’abandon de ces objets d’architecture. Et nous parlons bien d’objets, car coupés du peu de contexte qui les rattachaient au monde métropolitain, les postes de douane à l’abandon sont aujourd’hui posés dans un espace vide, suspendus à une époque révolue.Mais la chaine alpine a certainement permis, pour les mêmes raisons, une certaine conser-vation « dans leur jus » des lieux. Les bâtiments qui pourraient être squattés ou vandali-sés ne le sont pas parce que loin de tout, ils n’intéressent personne.Ainsi, si Bruno Hamon, directeur de services douaniers, écrit :« Les dernières barrières mises en place et armées par la douane aux frontières de notre territoire ont disparu entre 1970 et 1975. Elles ont été vendues pour la plupart à des ferrailleurs locaux, au prix du métal, au kilo, comme les instructions administratives le prévoyaient. Démantelées, broyées et fondues, elles ont disparu en toute discrétion. » 77

ce n’est pas valable pour le poste du Mont Cenis, où la barrière, levée, est bien là.Notons pour conclure ces lignes que l’Italie s’est révélée moins conservatrice, le poste de douanes de Vintimille, construit en 1966, a été démantelé au début de l’année 2009 par

75. Nous ne sommes pas parvenus à trouver le poste frontalier français de Névache, à Bar-donecchia nous avons vu un petit chalet des douanes, à priori italien. Nous n’avons pu recueillir que très peu d’information sur ce poste. Rien ne nous permet de dire s’il a été détruit ou s’il nous a simplement échappé.

76. Pour le cas du tunnel de Tende, la route départementale française était une route nationale, déclassée en 2004, elle se transforme en route nationale côté italien.

77. Bruno HAMON in op.cit. musée national des Douanes, Images du 20e siècle, carnet d’exposition

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une pince géante découpant l’acier, un véritable spectacle78 , tandis que le poste du col de Tende a été rasé il y a quelques mois pour laisser place à l’élargissement du tunnel.

Dès 1993, « Le code du Domaine de l’État impose à l’administration la remise des bâti-ments reconnus définitivement inutiles au service de France-Domaine. Celui-ci est alors le seul décisionnaire, et suivant les situations, ces biens immobiliers sont parfois détruits, réemployés ou revendus à des propriétaires privés. Ainsi d’anciens postes de douane connaissent-ils aujourd’hui des reconversions diverses, du restaurant routier au magasin de chocolats en passant par le monument commémoratif comme à Oost-Capel en Bel-gique. »79

Chacun est aujourd’hui libre d’acheter le poste de douane de Menton au pont Saint Louis, cession prévue en 2017!80

78. « Demolita la dogana di Ventimiglia, patrizia mazzarello », Article du journal il secolo XIX, Imperia, 11 Février 2009. « Voir le bulldozer géant, équipé d’un bras de 9 mètres avec tenaille et pince, qui cisaille l’acier comme le papier, était un spectacle. » [notre traduction depuis l’italien]

79. Op.Cit. musée national des douanes, Nicolas FUSSLER, : postes de douanes, carnet d’exposition

80. Le poste est répertorié sous le titre « Bureaux, poste frontière, pont Saint-Ludovic, promenade Reine Aristide – AS 149 – 06500 Menton »

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3. La frontière, un débat politique, législatif et territorial

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La dislocation d’un patrimoine

Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, ces postes de douanes tombent aujourd’hui en désuétude, oubliés de tous. Personne n’en veut. Ni vraiment Italiens, ni vraiment Français, ils sont à cheval sur une frontière que les politiques européennes mettent du cœur à effacer, à coups de traités et conventions. Leurs silhouettes si parti-culières n’ont aujourd’hui plus de sens, ni d’allure. C’est la conséquence logique et pro-bablement inévitable de ce type de programme monofonctionnel, et implanté dans un territoire rude.Nous pouvons souligner ici que la frontière Franco-Italienne, sans faire complètement exception, est un cas un peu spécifique. Les séries de clichés pris par Nicolas Fussler nous montrent que sur la frontière Franco-Belge, par exemple, les initiatives privées, comme publiques, ont abouti à des solutions de réhabilitations, parfois étonnantes. (fig.64).Mais, sur la frontière italienne, leur état nous indique qu’ils sont apparemment voués à disparaître. Notre enquête nous montre une dislocation d’un patrimoine qui faisait sens par son ampleur et sa continuité. Les postes de douane, comme les fortifications, n’étaient utiles que parce qu’ils étaient nombreux et soigneusement répartis sur l’ensemble de la frontière. Aujourd’hui, à chaque poste de douane répond une action isolée, dont la sup-pression est celle qui va le plus à l’encontre de la lisibilité du «cordon douanier» initial. Les campagnes de rénovation, les réhabilitations et suppressions sont faites à tâtons, au cas par cas.Les postes de douane sont petit à petit devenus des souvenirs d’architecture isolés dans un contexte labile. C’est un fait, observé et quantifié.

Ce phénomène d’abandon de bâtiments aux frontières n’est pas nouveau. Il est même récurrent dans l’histoire : aux vieux forts de défense des Alpes succèdent les fortifications bastionnées de Vauban elles-mêmes supplantées par les ouvrages de Séré de Rivières puis par la ligne Maginot des Alpes. Sur ce territoire meurtri, les postes de douane sont de petits éléments légers, amusants, laissant néanmoins apparaître les vestiges des années de conflits. Alors, après tout, pourquoi s’inquiéter ? Ce n’est là qu’une couche supplé-mentaire !Eh bien, non, ce n’est pas exactement cela, et nous allons voir pourquoi.Chaque étape était jusqu’à présent l’occasion de reconstruire, à côté ou sur l’existant. Chaque décision majeure de l’histoire des fortifications alpines passait par le secrétaire d’Etat à la guerre ou après la révolution par le ministère de la guerre. Dans la seconde moitié du XXe siècle, il n’est plus question de conflit armé, on entre dans le siècle de l’économie, de la consommation, des accords internationaux, de la diplomatie. La réponse architecturale à la frontière italienne est une arme économique et fiscale  : le poste de douane. La main est passée au ministère des finances, et aujourd’hui aux autorités euro-péennes.

L’Europe s’imposerait comme un moteur de paix dans un monde tourmenté, c’est en tout cas ce qu’insinue le prix Nobel qu’elle a reçu en 2012 pour son rôle dans la transformation « d’un continent de guerre en un continent de paix ». Cette paix a été entendue et voulue comme un outil d’ouverture, de mise en commun des richesses des pays membres, au sein

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fig. 64. Bureau de douane, transformé en magasin de chocolats. France, Charrière-Bray-Dunes. ©Nicolas Fussler

de laquelle les frontières matérialisées n’ont plus leur place. Mais, la question frontalière est épineuse y compris en temps de paix. Et pour l’instant, à la frontière entre la France et l’Italie, la seule marque de l’Europe c’est l’absence, l’inertie.Ce chapitre propose un retour sur ce qui a conduit à l’abandon des postes de douanes, par l’analyse du triple mécanisme « politique-législatif-territorial ».

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fig. 65. L’aérogare de fret de l’aéroport d’Orly. Image en couverture du n°11 de La Vie de la Douane, mai-juin 1963.

La société motrice de changement

Dans l’après guerre l’ouverture des frontières est déjà sous-entendue mais loin d’être clairement définie, et ce sont d’autres évènements qui conduisent à modifier le statut des postes de douane.Les technologies se développent de façon exponentielle, l’économie se porte bien. L’ap-parition du conteneur en 1956 permet des transbordements bien plus faciles, les charge-ments et déchargements sont rapides, on transporte plus et plus vite. Le transport routier européen est en plein essor. La douane est submergée par son activité, le dédouanement en frontière génère des files de véhicules et des mécontentements, elle doit s’adapter.

« Des procédures accélérées de dédouanement sont mises en place, mais elle se révèlent rapidement insuffisantes. C’est pourquoi une politique d’orientation du trafic est mise en place à plusieurs niveaux. […] La douane crée des bureaux intérieurs, puis des Centres ré-gionaux de Dédouanement dont le premier ouvre à Grenoble le 1er Juin 1960. Le complé-ment réglementaire indispensable est la publication de l’arrêté du 5 août 1964 qui modifie les attributions et la compétence des bureaux de douane, afin de déplacer les opérations

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de dédouanement de la frontière vers les CRD. » 81

La construction des aéroports du Bourget, d’Orly et enfin de Roissy vient de nouveau bousculer l’organisation douanière, des bureaux de douanes sont implantés sur le site même des aéroports. Les technologies aéronautiques croissent à une vitesse remarquable, les avions s’équipent de soutes plus vastes, les réacteurs prennent en puissance et per-mettent le transport de chargement de plus en plus volumineux.

« En raison de la vigueur confirmée du transport aérien des marchandises, l’Aéroport de Paris a eu en effet le souci de prévoir en temps opportun le remplacement des anciennes installations de fret désuètes et insuffisantes par une Aérogare moderne, rationnelle, claire, très bien desservie, d’une architecture fonctionnelle, aux aména-gements et aux équipement spécialement étudiés et qui en font une des plus belles réalisations du genre en Europe. »82

La gare de fret a été conçu par l’architecte Henri Vicariot (1910-1986),, au même titre que la première aérogare de l’aéroport d’Orly. Le bâtiment fait 208mètres de long et 74 de large. (fig.65)Cet exemple illustre parfaitement l’ampleur du changement auxquelles l’administration des douanes a du s’adapter face aux nouveaux acteurs de la communication que sont entre autres la SNCF (1937) et aéroports de paris (1945).La décentralisation des services du fait de l’évolution des vecteurs de communication est un premier coup porté à la frontière et à ses postes de douanes. Sans pour autant être abandonnés, ils sont de fait relayés au second plan puisqu’ils concernent désormais une toute petite partie des échanges d’import-export. L’informatique et les systèmes automa-tisés viennent achever ce processus par les premiers dédouanements « à domicile » pour les entreprises dans les années 1960.

81. Musée national des douanes, Images du 20e siècle : Douane et modernité de 1950 à 1993 ( 7 Oc-tobre 2008-4Janvier 2009), carnet d’exposition, Musée National des Douanes, Bordeaux, 2008

82 . « Orly nouvel aérogare de fret », La Vie de la Douane n°111, Juin 1963, page 3

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L’effet Europe 93

Si l’Europe n’est pas l’unique responsable du fléau qui s’abattit sur les postes de douanes, elle se construisit parallèlement à leur déclin, et vint symboliquement y mettre un terme en 1993.

« Le 1er janvier 1993, la douane vit son grand traumatisme : du fait de l’ouverture des frontières en Europe, il n’y a plus de déclaration en douane entre les pays de l’union »83

Aussi, nous avons relevé plusieurs articles de la convention des accords de Schengen84, signés en 1990 et pertinents pour notre analyse car ils conditionnent l’ouverture des frontières intérieures :

Art 2.1 « Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué. »Art. 120.1. « Les Parties contractantes veilleront en commun à ce que leurs disposi-tions législatives, règlementaires ou administratives n’entravent pas, de manière non justifiée, la circulation des marchandises aux frontières intérieures. »Art. 120.2. «  Les Parties contractantes facilitent la circulation des marchan-dises aux frontières intérieures en effectuant les formalités liées à des inter-dictions et restrictions lors du dédouanement des marchandises pour la mise à la consommation. Au choix de l’intéressé, ce dédouanement peut être effec-tué soit à l’intérieur du pays, soit à la frontière intérieure. Les Parties contrac-tantes s’efforceront de promouvoir le dédouanement à l’intérieur du pays.  » Art.124 « Le nombre et l’intensité des contrôles des marchandises dans la circulation des voyageurs aux frontières intérieures sont ramenés au niveau le plus bas possible. »

Le poste de douane n’est en rien interdit mais il devient obsolète puisque les fonctions qui lui donnaient son sens sont soient supprimées, soient reportées en d’autres lieux. La convention de Schengen est directive mais pas intransigeante, elle laisse un flou interpré-table par les Etats. Le choix de l’organisation à adopter pour les administrations internes revient donc aux gouvernements, lesquels en bons économistes décident de ne pas perdre énergie et moyen à sauvegarder quelques petits postes frontières qui n’ont plus de raison d’être. C’est aussi l’occasion de redéployer le personnel là où il manque, et ce n’est cer-tainement pas à la frontière.

« Sans frontière à garder, l’essentiel de la raison d’exister de la Douane s’effondre et sa présence doit être remise en cause. Les bureaux frontières perdent tout leur trafic de

83 . Images du 20e siècle : Douane et modernité de 1950 à 1993 ( 7 Octobre 2008-4Janvier 2009), carnet d’exposition, Musée National des Douanes, Bordeaux, 2008

84 . Convention d’application de l’accord de Schengen, signée le 19 Juin 1990 par la France, à Schengen, Luxembourg.

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passage et doivent se contenter des échanges à l’arrivée et au départ de leur secteur géographique ; les voilà ravalés au rang de bureaux de l’intérieur. »85

L’Europe est une aventure, avec ses pionniers, ses nostalgiques et ses situations incon-grues qui agacent certains, inhérentes à tous les corps administratifs. A Godewaersvelde, frontière franco-belge, on assiste ainsi à l’avortement du Bureau à contrôle nationaux juxtaposés, « défunt avant d’avoir fonctionné » :

« Bref, le temps passait. Les agents souffraient toujours de conditions de travail in-dignes et, comme sœur Anne, n’apercevaient sur la route que de lourds camions de marchandises, sans qu’aucun n’apportât les matériaux pour la construction du bureau neuf tant attendu. Après de longues tergiversations, tous les accords furent enfin scel-lés. La construction pouvait commencer dès la pose de la première pierre, le 26 avril 1985. A mon arrivée, un an et demi après, le chantier commençait péniblement à dé-marrer : à cette allure, nous vîmes rapidement se profiler l’ouverture totale des fron-tières avec, sans aucun doute, la remise en cause d’une telle structure. Pourtant, tel un bateau sur son erre, rien ne pouvait plus arrêter cette réalisation, qui en d’autres temps avait correspondu à une nécessité, satisfaite avec un tel retard : elle n’en était plus une. […] nous fêtions le dernier bureau à contrôles nationaux juxtaposés, de toute la Communauté européenne ».86

Preuve que la politique européenne ne fait pas d’exception. Pourtant, il aura bien fallu dix ans. Dix ans pour mettre en place les accords signés à Schengen, dix ans pour mettre K.O. les postes de douane. Sauf que, cette fois-ci, la frontière des Alpes attend et ne voit rien venir pour redorer son blason. Plus personne ne s’en occupe, elle n’existe plus vraiment. C’est la première fois dans l’histoire de la frontière franco-italienne que la réponse archi-tecturale aux échanges internationaux est la non-architecture. Rien ne se passe, on utilise le vide pour combler ce dont on ne sait quoi faire, l’abandon pour forcer l’oubli. Loin de tout les postes de douanes attendent paisiblement leur cession définitive à un étran-ger de passage, et à terme peut-être leur destruction. Car si les ouvrages de guerre rap-pellent des temps difficiles mais dont la France est sortie grandie, bien qu’éprouvée, les postes de douane n’ont pas cet attribut et marquent plutôt les années de méfiance et de contrôle au sein même des pays de l’union. Ils seraient donc les témoins indésirables de l’avant-Schengen, « sentinelles fantomatiques d’un passé orageux »87 Plus, aujourd’hui ils sont ceux qui nous rappellent que le processus européen n’est pas au point puisque certains sont momentanément réoccupés.

85 . Michèle POULAIN, De la penthière aux nouvelles frontières, récits autobiographiques de doua-niers, 1937-1996, citation autobiographique d’Henry DHUMEAU, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, ministère de l’économie, des Finances et du commerce extérieur, 2012. p.540

86. Ibid. Citation autobiographique d’Albert LAOT, p. 538. Le poste de douane en question a été inauguré le 3 Juin 1988, 3 ans après les accords de Schengen, 5 ans avant leur mise en application définitive.

87. « Les frontières », Le monde en quarante minutes, Office national de radiodiffusion télévision française, 09 juin 1966 , 42’55min, [en ligne] http://www.ina.fr/video/CPF86626917/les-frontieres-premiere-partie-video.html

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Traverser la frontière ?

Cette frontière sans projet nous amène à reconsidérer notre question initiale « que signi-fie traverser la frontière France Italie aujourd’hui ? ». Nous l’avons vu et c’est indéniable, la frontière physique s’efface, c’est là la suite logique de la modernisation et la technolo-gisation de la société dans son ensemble sur laquelle l’Europe n’a fait que rebondir. A ce propos, Robert Schuman parlait de dévaluation de la frontière, «  Les frontières politiques sont nées d’une évolution historique et éthique respectable, d’un long effort d’unification nationale ; on ne saurait songer à les effacer. A d’autres époques, on les dé-plaçait par des conquêtes violentes ou par des mariages fructueux. Aujourd’hui il suffira de les dévaluer ». 88

Et c’est exactement cela, elle a perdu une partie de sa valeur. Valeur symbolique, valeur juridique et administrative, valeur urbaine enfin.

« La disparition des douaniers aux frontières avec la construction de l’Europe a facili-té les échanges, mais contrairement à ce que l’on aurait pu croire, on a pu remarquer chez les usagers une certaine nostalgie. Pour beaucoup, le douanier restait la première personne qui les accueillait en arrivant en France. Au-delà du contrôle, il pouvait y avoir certains renseignements, un mot d’accueil, et pourquoi pas, un sourire ! C’est cet aspect que j’ai essayé de privilégier tout au long de ma carrière de « concierge de la nation ». 89

Aux confins de la France ce n’était déjà pas évident de maintenir un semblant d’activité du temps des douanes, mais aujourd’hui, plus personne ne doit s’arrêter et les douaniers sont partis, la frontière se dépeuple. Peut-être, prend-elle toutefois un peu de valeur pa-trimoniale.

En réalité, l’abandon de cette frontière, et des autres de l’UE, se fait en parallèle au ren-forcement des frontières extérieures, inutile d’attendre les barbelés de Ceuta pour le com-prendre. Tout est déjà dit dans la convention de Schengen.

En préambule, on définit les frontières extérieures comme étant «les fron-tières terrestres et maritimes, ainsi que les aéroports et ports maritimes des Par-ties contractantes, pour autant qu’ils ne sont pas frontières intérieures  [en-tendre frontière avec les pays tiers, aéroports et gare internationaux]». Ensuite, la convention nous dit :

Art 3.1 «  Les frontières extérieures ne peuvent en principe être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées. »Art. 6.2.a « Le contrôle des personnes comprend non seulement la vérification des documents de voyage et des autres conditions d’entrée, de séjour, de travail et de sor-tie, mais encore la recherche et la prévention de menaces pour la sécurité nationale et l’ordre public des Parties contractantes. Ce contrôle porte aussi sur les véhicules et les

88. Robert SCHUMAN, Pour l’Europe, Paris, .Nagel, 1963

89. Op.cit. Michèle POULAIN, De la penthière aux nouvelles frontières …Citation autobiographique de Pierre PRAGNERE p 547.

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objets en possession des personnes franchissant la frontière. Il est effectué par chaque Partie contractante en conformité avec sa législation, notamment pour la fouille »Art.6.3 « Les autorités compétentes surveillent par unités mobiles les intervalles des frontières extérieures entre les points de passage frontaliers ; il en est de même pour les points de passage frontaliers en dehors de leurs heures normales d’ouverture. Ce contrôle est effectué de manière à ne pas inciter les personnes à éviter le contrôle aux points de passage. »

Inutile d’en savoir plus. On voit déjà se dessiner de nouvelles frontières, aux contrôles largement aussi attentifs que ceux de l’avant Schengen. Elle est là, la nouvelle architec-ture - de paix - de l’Europe, elle n’est pas dans les Alpes.

« Le territoire de l’Europe communautaire s’élargit et parallèlement ses frontières changent de morphologie afin de s’adapter à leur nouveau rôle. Une simple ligne ne suffit plus à les représenter. Elles cherchent des formes supplémentaires. On tente, depuis les accords de Schengen, d’effacer les barrières au cœur du territoire alors que la périphérie voit ses limites renforcées et sa surveillance accrue »90

Les modèles architecturaux adoptés pour cette macro-frontière surveillée sont loin des postes de douanes que nous connaissons, on voit désormais fleurir des barbelés, des murs, des miradors accompagnés de leurs ornements  -caméras thermiques, détecteurs infrarouges, projecteurs-.

Tout ces mécanismes de contrôle et de surveillance sont renvoyés aux confins de l’Union européenne, et la frontière entre la France et l’Italie se voit soulagée de ce rôle défensif. Aujourd’hui elle est qualifiée de passoire par ses détraqueurs, ce à quoi Régis Debray répond, « c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer », par opposition au mur qui « interdit le passage ». 91

Le trafic est plus fluide et plus rapide, nul besoin de s’arrêter. Pourtant, d’innocents ralen-tissements et parkings se forment aux sommets de l’Union pour contempler le paysage. Avec ou sans poste de douanes la frontière résiste par les stigmates apparents de son passé et par son paysage hors-pair, puisque les Alpes, comme la mer, restent des limites sur lesquelles viennent s’échouer le regard.

« Je découvre en même temps les bunkers, ces architectures cryptiques, ces temples abandonnés à jamais en attente d’un événement qui aura eu lieu ailleurs. Je prends alors la mesure de l’infini marin, l’endroit où se rejoignent les trois éléments de la biosphère : l’atmosphère, la fin de la lithosphère et le début de l’hydrosphère. Les trois limites, la frontière même, bref un endroit exceptionnel ».92

90. Marion MICHAULT, face à face ? dans, Le long de la ligne, de Nicolas FUSSLER, Madrid, Slovento, 2006

91. Op.cit. Regis DEBRAY, l’éloge des frontières

92. Paul VIRILIO, le littoral, la dernière frontière. Entretien avec Jean-Louis Violeau, 6 mai 2010. Paris, Ed. Sens&tonka, 2013.

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Quel projet pour la frontière? Conclusion

« Il n’existe donc pas d’architecture douanière à proprement parler, mais plutôt une architecture frontalière qui témoigne à travers différentes constructions de cette po-sition géographique particulière. L’histoire de cette administration et son évolution constante au rythme des bouleversements politiques ont engendré la constitution d’un parc immobilier vaste et très varié. Depuis l’ouverture des frontières européennes, le poste de douane a souvent changé de physionomie, s’adaptant aux impératifs de la modernité. Du plus modeste au plus monumental, les postes de douane représentent toujours un point de passage. Conciliant visibilité symbolique et fluidité du trafic, ils décrivent l’histoire d’une administration ancestrale. »93

Nous avions indiqué dans le titre de ce mémoire, vouloir réaliser une « enquête ». Nous tenons à souligner que ces si ces objets architecturaux semblent un peu fébriles pour certains, le type «poste de douane» était bien un programme architectural à part entière, encore donné comme sujet de projet à des étudiants quelques dizaines d’années en arrière.94 Nous avons essayé de maintenir une certaine objectivité au fil de ce mémoire, y compris pour le récit qui ne transmet qu’une série de faits, ressentis certes, mais qui en rien ne sont à prendre comme une vérité absolue. Il n’est pas non plus question d’en tirer une quelconque morale. Une enquête reste une enquête, elle donne des pistes, s’appuie sur des preuves, trouve des indices. La nôtre a eu pour terrain d’étude la frontière entre la France et l’Italie, pour angle d’approche la douane française, comme thermomètre de l’activité frontalière. Pour preuves, les images « d’avant et d’après » ; et pour indices enfin, les postes de douanes, éparpillés sur cette limite. Enquêter sur l’histoire de cette frontière, c’est mesurer ce qui a échoué, ce qui a été main-tenu ou transformé et que l’on retrouve aujourd’hui dans le grand paysage ; c’est tenter de comprendre grâce au contexte ce qui a mené à la situation actuelle ; c’est faire le lien entre les décisions supranationales et les applications locales.

Ces premières recherches pourraient être complétées par le fonds intitulé « limites » 95 du ministère des Affaires étrangères qui renferment, d’après Daniel Nordman96, tous les discours sur les limites qui fournissent « le tempo », « rythme du processus frontalier ». Un rapprochement avec le bureau B3, Achats, politique immobilière et services centraux

93. op.cit. Nicolas FUSSLER, Postes de douanes, carnet d’exposition.

94. Voir [en annexe 5] par exemple «Concours d’architecture, esquisse, un poste de douane» par Marc roman, in: Marc Roman, Anne-Marie CHATEKET, Franck STORNE (dir.), Des Beaux-Arts à l’Université Enseigner l’architecture à Strasbourg, Strasbourg, Co-édition Recherches / École natio-nale supérieure d’architecture de Strasbourg , Volume 2 : Dessins pp.66-67

95. Nous nous sommes renseignés auprès du centre des archives diplomatiques de la Courneuve, pour la frontière France-Italie, il s’agit des sous-séries 277QO, 287QO et 292QO.

96. op.cit. Daniel NORDMAN, Frontières de France

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du service des douanes serait aussi à envisager pour affiner nos recherches. Nous voyons dans ces hypothèses d’approfondissement toute la difficulté et l’ampleur d’un tel sujet, où se mêlent des questions assurément politiques, mais aussi territoriales, architecturales, administratives. Les fonds que nous pourrions consulter sont à l’image des problématiques soulevées par la frontière Franco-italiennes, remis en question en permanence, variés et binationaux. C’est à la fois pour ne pas nous égarer et par manque de temps que nous nous sommes consacrés à l’étude d’un corpus restreint, composé principalement des documents et ar-chives du Musée National des Douanes.

Nous nous sommes dans ce mémoire concentré sur la frontière Franco-Italienne. L’écart formidable que nous avions, d’entrée, perçu entre l’épaisseur historique de cette fron-tière, et son état actuel d’abandon nous avait profondément questionné. D’autant plus que ce phénomène se répète dans toute l’Europe. Nicolas Fussler a réalisé une très belle série de photographies qui montrent de manière systématique de nom-breux postes frontières abandonnés ou reconvertis. 97 Nos encourageons volontiers le lecteur à consulter son site internet, ainsi que celui de Josef Schulz qui dans un style plus grandiloquent a réalisé une série de clichés sur le même sujet.98 Un des prolongements possible pour ce mémoire serait d’élargir notre étude aux autres limites de l’hexagone, à ses frontières maritimes, ou peut-être même aériennes. Mais alors peut-être nous risque-rions l’involution – la multiplication des exemples ferait basculer l’étude du spécifique au global, rendant banals ces espaces si uniques.

Mais, au terme de ce mémoire, nous pourrions nous demander en quoi, finalement, cela traite d’architecture, en quoi ce phénomène nous concerne-t-il, nous, architectes. D’au-tant que dans ce mémoire nous n’avons nommé que très peu d’architectes, pas par choix mais devant un état de fait : il nous a été quasiment impossible de trouver les traces du nom de ces architectes à l’origine des postes de douane aux frontières. Difficile donc de parler d’architecture devant de petits objets en cours de démembrement et dont la publi-cation ne tient quasiment qu’à l’administration des douanes elle-même. Mais c’est dans ce sens peut-être que nous souhaiterions inviter le lecteur à réfléchir.Ces dernières années ont été particulièrement mouvementées en terme de relations in-ternationales. Ces frontières en sont l’écho construit. « Aujourd’hui, plus d’une cinquan-taine de murs-frontières dans le monde illustrent le besoin de certains Etats de réaffirmer leur souveraineté avec force » nous dit une cimaise de l’exposition Frontières99.

Cela nous amène à reconsidérer nos propres frontières, celles aménagées par Schengen, celles là-même dont nous venons de voir l’exemple de tristes abandons.

Si, comme nous venons de le voir, à une politique étatique correspond une nouvelle morphologie frontalière, et que les deux sont par là intimement liées, pourquoi ne pour-rions-nous pas envisager le principe inverse où un discours architectural donné viendrait créer une nouvelle lecture politique du territoire ? Est-il envisageable de projeter des

97. Nicolas FUSSLER, long de la ligne, postes de douanes. [En ligne] : www.nicolasfussler.com

98. Josef SCHULZ, Übergang, [en ligne] www.josefschulz.de

99. Exposition «Frontières», musée de l’histoire de l’immigration, 10.11.2015 - 29.05. 2016.

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architectures frontalières qui ne font référence ni à un discours guerrier, ni à celui de la surveillance, mais à un nouveau registre binational à inventer ? Certains s’y sont essayés sur les frontières Belges et Allemandes (voir entre autre fig.63). Cependant, il ne s’agit pas ici à proprement parler d’architecture, et nous ne sommes pas, non plus, sur les cols alpins, fermés la moitié de l’année et exposés à des températures extrêmes.

Alors, sauna français, jardin italien, parcours de santé international ? Tout est encore possible, tout reste à définir. Il y a ici selon nous des projets à imaginer pour réinventer notre frontière et donner une suite et par là même un sens, aux postes de douanes oubliés de l’espace Schengen.

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Patrimoine

C’est une architecture étonnante. A2 100 mètres d’altitude, la pyramidedu Mont-Cenis se détache face auxfortifications militaires et aux eauxturquoise du lac. Une pyramide aucœur des alpages ? L’idée paraîtimprobable mais cet édifice qui abriteun musée et une chapelle est pour-tant le lointain héritier d’un concoursd’architecture lancé par… NapoléonBonaparte.

Le 13 mai 1813, après sa victoire surla Russie et la Prusse, Napoléon émetun décret qui ordonne la constructiond'un monument au Mont-Cenis. Unconcours est lancé et des architectes

de tout l’empire peuvent proposerdes projets. Un budget de 25 millionsde francs était prévu pour la réalisa-tion, une somme énorme pourl’époque qui montre l’attachement del’Empereur pour le Mont Cenis. Unsite stratégique qu’il a rapidementmis en valeur. C’est par exemple luiqui a fait tracer la route actuelle. Sonbut était notamment de faciliter lepassage des troupes entre France etItalie. Il a également fait construireun immense hospice pouvantaccueillir 2 000 soldats et 250 che-vaux et accordé au site le statut decommune indépendante. Sur ce pla-teau d’altitude, il voulait tout simple-ment installer un bourg de5 000 habitants.

Ce n’est donc pas un hasard siNapoléon pense au Mont-Cenis pourun monument. Un édifice qui devaitnon seulement célébrer ses victoiresde Lützen et de Wurschen mais sur-tout illustrer l'alliance franco-italienne.

En juin 1813, une commission del’Institut impérial est créée. Elleregroupe des architectes, dontP ierre-Franço is-LéonardFontaine, 1er architecte deFrance, mais aussi desreprésentants desBeaux-Arts, des litté-raires et des histo-riens. Cette com-mission était char-gée de lister les

différents projets reçus mais aussi defournir les éléments nécessaires auxcandidats. Un mathématicien et unarchéologue ont donc été envoyés surplace pour réaliser une maquette etun plan détaillé du site.

La mode des pyramides

Alors que l’Europe est un vastechamp de bataille, organiser unconcours d’architecture pour unimmense monument au Mont-Cenispeut sembler incongru. Mais le projetétait aussi pensé comme un stimulantdans le contexte politique très diffici-le pour Napoléon. Une architecture depropagande au service de l’empire. Leministre de l'intérieur Montalivetpressait d’ailleurs l’Institut impériald'aller vite et les participantsn’avaient que jusqu’au 1er novembrepour faire parvenir leur offre à la

commission.

Malgré ces délaisextrêmement courts,

les projets se sontrapidement accu-

mulés. Desa r c h i t e c t e s

français, ita-liens et

h o l l a n -d a i s

o n t

planché sur le Mont-Cenis pour pro-poser des monuments aussi variésqu’extravagants. On retrouve notam-ment plusieurs projets de pyramides,un monument à la mode à l’époquequi rappelle la campagne d’Egypte deNapoléon. Une pyramide avait parexemple été envisagée à Montmartrequelques années plus tôt avec unestatue équestre de l’Empereur à sonsommet. Une autre pyramide, rondecelle-là, devait également êtreconstruite à Paris en l’honneur de laGrande Armée…

Pour le Mont-Cenis, on peut citer leprojet d’un monsieur Balzac “chefdivisionnaire des vivres de la guerre”de la ville de Tours, qui souhaitaitbâtir une pyramide monumentalecouronnée par une statue de10 mètres de haut représentant un“Hercule Pacificateur” avec une mainqui s’appuie sur une massue pendantque l’autre tient un rameau d’olivier.Louis Combes, une figure à l’époquepuisqu’il avait gagné le prix d’archi-tecture de Rome en 1781, proposaitlui une pyramide en escalier d’unecentaine de mètres de haut, construi-te avec le matériel récupéré en creu-sant la montagne. Au sommet, il vou-lait placer une statue de Napoléon de20m de haut. Toujours dans le mêmeesprit mégalo, Giannantonio Selva,de l’académie de Bologne, proposaitlui aussi une pyramide de 100 mètresde haut. Couronné par une Victoire,l’édifice devait être agrémenté par

Les pyramides de NapolEAu Mont CenisOn peut y voir une idée folle et mégalo. Ou un projet grandiose à la hauteur de l’Empereur.En 1813, Napoléon Bonaparte a lancé un concours d’architecture pour un monument au Mont-Cenis afin de célébrer l’alliance franco-italienne. Immenses pyramides, statues gigantesques,temples… les architectes voyaient les choses en grand et ne reculaient devant rien. Maisavec les défaites militaires et la fin de l’empire, le monument resta à l’idée de projet.

La pyramide proposée par le hollandais Abraham Van der Hart. L’intérieur devait être composé de 5 étages. Les 2 premiers devaient être sertis de colonnes rondes et les 2 derniers devaient avoir une grande coupole à la place du plafond.

“Plan du monument à élever sur le Mont-Cenisen conformité du décret rendu sur le champ debataille de Wurschen par Sa Majesté,l’Empereur et Roi”. Le projet de Jean-BaptisteFerréol Mignon, professeur d’écriture et dedessin à Nîmes, était un édifice monastiquerenforcé avec comme fondation une étoile à5 branches de 125m de long. Le long desmurs, l’implantation de 60 habitations desti-nées aux moines était prévue.

ANNEXE1

Page 127: Points de passage

Patrimoine

C’est une architecture étonnante. A2 100 mètres d’altitude, la pyramidedu Mont-Cenis se détache face auxfortifications militaires et aux eauxturquoise du lac. Une pyramide aucœur des alpages ? L’idée paraîtimprobable mais cet édifice qui abriteun musée et une chapelle est pour-tant le lointain héritier d’un concoursd’architecture lancé par… NapoléonBonaparte.

Le 13 mai 1813, après sa victoire surla Russie et la Prusse, Napoléon émetun décret qui ordonne la constructiond'un monument au Mont-Cenis. Unconcours est lancé et des architectes

de tout l’empire peuvent proposerdes projets. Un budget de 25 millionsde francs était prévu pour la réalisa-tion, une somme énorme pourl’époque qui montre l’attachement del’Empereur pour le Mont Cenis. Unsite stratégique qu’il a rapidementmis en valeur. C’est par exemple luiqui a fait tracer la route actuelle. Sonbut était notamment de faciliter lepassage des troupes entre France etItalie. Il a également fait construireun immense hospice pouvantaccueillir 2 000 soldats et 250 che-vaux et accordé au site le statut decommune indépendante. Sur ce pla-teau d’altitude, il voulait tout simple-ment installer un bourg de5 000 habitants.

Ce n’est donc pas un hasard siNapoléon pense au Mont-Cenis pourun monument. Un édifice qui devaitnon seulement célébrer ses victoiresde Lützen et de Wurschen mais sur-tout illustrer l'alliance franco-italienne.

En juin 1813, une commission del’Institut impérial est créée. Elleregroupe des architectes, dontP ierre-Franço is-LéonardFontaine, 1er architecte deFrance, mais aussi desreprésentants desBeaux-Arts, des litté-raires et des histo-riens. Cette com-mission était char-gée de lister les

différents projets reçus mais aussi defournir les éléments nécessaires auxcandidats. Un mathématicien et unarchéologue ont donc été envoyés surplace pour réaliser une maquette etun plan détaillé du site.

La mode des pyramides

Alors que l’Europe est un vastechamp de bataille, organiser unconcours d’architecture pour unimmense monument au Mont-Cenispeut sembler incongru. Mais le projetétait aussi pensé comme un stimulantdans le contexte politique très diffici-le pour Napoléon. Une architecture depropagande au service de l’empire. Leministre de l'intérieur Montalivetpressait d’ailleurs l’Institut impériald'aller vite et les participantsn’avaient que jusqu’au 1er novembrepour faire parvenir leur offre à la

commission.

Malgré ces délaisextrêmement courts,

les projets se sontrapidement accu-

mulés. Desa r c h i t e c t e s

français, ita-liens et

h o l l a n -d a i s

o n t

planché sur le Mont-Cenis pour pro-poser des monuments aussi variésqu’extravagants. On retrouve notam-ment plusieurs projets de pyramides,un monument à la mode à l’époquequi rappelle la campagne d’Egypte deNapoléon. Une pyramide avait parexemple été envisagée à Montmartrequelques années plus tôt avec unestatue équestre de l’Empereur à sonsommet. Une autre pyramide, rondecelle-là, devait également êtreconstruite à Paris en l’honneur de laGrande Armée…

Pour le Mont-Cenis, on peut citer leprojet d’un monsieur Balzac “chefdivisionnaire des vivres de la guerre”de la ville de Tours, qui souhaitaitbâtir une pyramide monumentalecouronnée par une statue de10 mètres de haut représentant un“Hercule Pacificateur” avec une mainqui s’appuie sur une massue pendantque l’autre tient un rameau d’olivier.Louis Combes, une figure à l’époquepuisqu’il avait gagné le prix d’archi-tecture de Rome en 1781, proposaitlui une pyramide en escalier d’unecentaine de mètres de haut, construi-te avec le matériel récupéré en creu-sant la montagne. Au sommet, il vou-lait placer une statue de Napoléon de20m de haut. Toujours dans le mêmeesprit mégalo, Giannantonio Selva,de l’académie de Bologne, proposaitlui aussi une pyramide de 100 mètresde haut. Couronné par une Victoire,l’édifice devait être agrémenté par

Les pyramides de NapolEAu Mont CenisOn peut y voir une idée folle et mégalo. Ou un projet grandiose à la hauteur de l’Empereur.En 1813, Napoléon Bonaparte a lancé un concours d’architecture pour un monument au Mont-Cenis afin de célébrer l’alliance franco-italienne. Immenses pyramides, statues gigantesques,temples… les architectes voyaient les choses en grand et ne reculaient devant rien. Maisavec les défaites militaires et la fin de l’empire, le monument resta à l’idée de projet.

La pyramide proposée par le hollandais Abraham Van der Hart. L’intérieur devait être composé de 5 étages. Les 2 premiers devaient être sertis de colonnes rondes et les 2 derniers devaient avoir une grande coupole à la place du plafond.

“Plan du monument à élever sur le Mont-Cenisen conformité du décret rendu sur le champ debataille de Wurschen par Sa Majesté,l’Empereur et Roi”. Le projet de Jean-BaptisteFerréol Mignon, professeur d’écriture et dedessin à Nîmes, était un édifice monastiquerenforcé avec comme fondation une étoile à5 branches de 125m de long. Le long desmurs, l’implantation de 60 habitations desti-nées aux moines était prévue.

des portiques copiés sur ceux duParthénon d’Athènes et l’intérieuraurait ressemblé au Panthéon deParis. L’Egypte, la Grèce et la Franceréunie dans un même monumentdessiné par un Italien ! Un projet depyramide pour le Mont Cenis est aussivenu de l’académie d’Amsterdam :l’architecte Van der Hart propose unmonument entouré de colonnes. Luiaussi propose un portique antiquemais à l’intérieur, il dispose uneimmense coupole.

Aigle géant, sphinx et obélisque

Parmi les projets farfelus reçus parl’Institut impérial on ne trouve pasque des pyramides. GiuseppeManetti, architecte de l’académie deFlorence proposait très sérieusement

de faire sculpter un aigle de 200m dehaut. Guglielmo de Goury envisageaitplutôt un obélisque géant bâti sur unefondation de 4 sphinx avec une basede 30x30m et une hauteur de…190 mètres ! Un monument “utile”puisqu’il devait servir en tant qu’ob-servatoire astronomique avec à sabase une forteresse gardée. Rienn’est trop beau, ni trop haut, pourl’Empereur et certains architectes selaissent aller à toutes les fantaisies :Giovanni Antolini, de l’académie deBologne veut sculpter un monumentde 400 mètres à même la montagneet, pour faire bonne mesure, il propo-se de rajouter au-dessus un dé de600 mètres de haut avec des repré-sentations du Pô et du Rhône. Enfin,comment ne pas citer l’extravagantprojet de Carmine Lippi, de l’acadé-mie des sciences de Turin, qui voulaitcarrément faire passer par le Mont-Cenis un canal navigable reliantl'Adriatique, la Méditerranée etl'Atlantique.

D’autres architectes ont des projetsplus réalistes, et plus concrets.Plusieurs proposent des hospices.Certes rehaussés de statues, d’archeset d’architectures monumentales,mais ces bâtiments restent dans l’es-prit du Mont-Cenis puisque un hospi-ce existait sur le site dès 825.Guiseppe Vernazza, de l’académie deTurin, proposa lui une "maison d'ins-truction gratuite dans les domainesde l'art et des manufactures" où de

jeunes enfants français et italienspourraient apprendre la lecture etêtre formés aux différents métiersmanuels. Un autre architecte italien,Giuseppe Pistocchi, voulait carrémentconstruire une académie militairepouvant accueillir 14 500 personnesdans un bâtiment circulaire de6 étages. Comment cette populationaurait pu passer l’interminable hiverdu Mont-Cenis, l’architecte ne le ditpas… D’ailleurs, il faut égalementciter le projet d’un Mauriennais, l’undes premiers à avoir candidaté.Monsieur Gastaud, “garde magasindes vivres de la guerre de Saint-Jean-de-Maurienne”, bien conscient desdifficultés pour franchir le Mont-Cenisquand la neige est là, voulait profiterdes 25 millions pour construire unegalerie couverte de 5,5 km de longavec 2 voies de circulation entreLa Ramasse et la plaine Saint-Nicolas.Un tunnel pratique et utile, même sisa réalisation à la poudre à canon età la barre à mine risquait de prendrequelques années.

Et des années, Napoléon n’en avaitpas. En octobre 1813, sa défaite à labataille de Leipzig, où il perd60 000 hommes, l’oblige à se replierau-delà du Rhin. La fin est prochepour l’Empereur et il n’est plus ques-tion d’un quelconque monument auMont-Cenis. La commission chargéed’organiser le concours d’architecturearrête ses travaux.

Le monument napoléonien devantcélébrer l’alliance franco-italiennetombe dans l’oubli et, ironie del’Histoire, quelques dizaines d’annéesplus tard le Mont Cenis se couvre defortifications, de bunkers et de barbe-lés, symboles des tensions qui mon-tent entre les deux pays. Après laSeconde Guerre mondiale, le MontCenis a cependant retrouvé son rôlede trait d’union entre France et Italie.Les vacanciers venus des deux payspassent le col et découvrent l’éton-nante pyramide de béton. Une pyra-mide qui abrite la mémoire du sitemais qui rappelle aussi les projetsfous des architectes de Napoléon.

Eon

La Pyramide du Mont-Cenis. Construite en1967, elle conserve lamémoire du plateau duMont-Cenis et de sesouvrages noyés sous leseaux du barrage EDF. Avec ses 23,50 mètres dehaut, elle est divisée en3 volumes. Avec à sabase le musée du Mont-Cenis, au centre le pres-bytère et une chapelledans la partie supérieure .

Musée ouvert tous les joursde 10h à 12h30 et de13h30 à 18h. Tarifs : 3,50€(2,50€ - de 18 ans). Tél. :04 79 64 08 48

Une pyramide de 100 mètres de haut proposée par

Giannantonio Selva. Pour lui, la pyramide est un symbole

de force et de fermeté. Pourcontrer l’idée de monument

aux morts lié à l’imagedes pyramides, il ajoute

les mêmes portiquesqu’au Parthénon à

Athènes.

Remerciements à l’association des Amis du Mont-Cenis pour la documentation nécessaire à la réalisation de cet article.

La pyramide proposée par l’architectehollandais Bartholomeus Ziensis.

Ci-dessus, le projet de Giuseppe Manetti. Unaigle de 200 mètres de haut tenant une lance en

forme d’éclair dans ses serres. Le socle devaitfaire 60 mètres de côté.

Dans la veine antique, plusieurs architectes ontégalement proposé des temples pour célébrerNapoléon et l’amitié franco-italienne.

Un dessin de Fernandino Bonsignore, un grand architecte turinois.L’édifice devait servir en tant qu'hospice ou de caserne. Le bâtimentcentral est surmonté par un petit génie ailé qui porte 2 couronnes de

laurier. Ces couronnes sont disposées sur 2 personnages assisreprésentant la France et l'Italie.

125 | Annexes

Page 128: Points de passage

126 | Points de passage

1453 1494

18601815 1889

ANNEXE 2CARTES

Déplacement de la frontière franco-italienne au fil des siècles

0 150km

1601

1940

Page 129: Points de passage

127 | Annexes

1601 1720 1793 1811

1940 1942 1947 2015

Page 130: Points de passage

128 | Points de passage

ANNEXE 4 INVENTAIRE

Les postes de douane français à la frontière franco-italienne

Les postes frontière ont été redessi-né à la même échelle par nos soins.Les facades montrées sont celles vues par les voyageurs, elles sont face à la route. Pour la façade du poste de Menton Saint-Ludovic il s’agit de la façade vue lors de l’en-trée en France.Les numéros sont ceux déjà attri-bués sur notre itinéraire (page 91). Le point de passage de Névache n’est pas représenté puisque nous n’avons pas trouvé de poste fron-tière français.Pour ce travail, nous avons utilisé nos relevés, nos photos, et le site Géoportail (mesure de distance et surface, coordonnées, altitude).

0 10 mètres

Page 131: Points de passage

129 | Annexes

Page 132: Points de passage

130 | Points de passage

2. Petit-Saint Bernard

Coordonnées géographiques : 6°52’58.3’’E ; 45°40’46.5’’NAltitude : 2189mType : Bâtiment administratif maçonné, 3 niveauxSurface au sol : environ 300m2Route contrôlée : D1090Col / Accès : Col du Pe-tit-Saint-BernardDate : 1947, construit par le gé-nie civile italienFonction d’origine : poste fron-tière, bureaux et logements de la douane et des carabiniers italiensStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Décomposition, protégé par un filet de sécurité

1. Chamonix

Coordonnées géographiques : Lat : 6° 51’ 26.1 E ; 45° 54’ 01.3’’N Altitude : 1258mType : Chalet de plein piedSurface au sol : 90m2Route contrôlée : N205Col / Accès : Entrée du tunnel du mont-blancDate : probabilité de construc-tion en 2001, lors de la réouver-ture du tunnel après l’incendie de 1999 et la mise en place du groupement d’intérêt écono-mique Franco-Italien qui gère l’ensemble du tunnel. Fonction d’origine : bureaux de la douaneStatut actuel : en service, occu-pé par les douanesEtat actuel : Le poste de douane du Mont-Blanc est l’un des seuls qui fonctionne normalement, avec celui du Fréjus. Bien que très modeste et d’une architec-ture sans intérêt, il est entretenu.

ANNEXE 4 INVENTAIRE

Page 133: Points de passage

5. Montgenèvre

Coordonnées géographiques : 6°44’02.0’’E ; 44°56’01.6’’ NAltitude : 1841mType : Maison-Châlet Surface au sol : environ 200m2, 2 étages, 1 rdc surrélevéRoute contrôlée : N94Col / Accès : Col de Montge-nèvreDate : inconnue Fonction d’origine : poste fron-tière, bureaux de la douaneStatut actuel : occupé par la police nationaleEtat actuel : Bon état général

3. Mont-Cenis

Coordonnées géographiques : 6°57’25.2’’E ; 45°13’07.6’’ NAltitude : 1872mType : Châlet en bois, 1 étageSurface au sol : 90m2Route contrôlée : D1006Col / Accès : Col du Mont-CenisDate : Le châlet actuel est posté-rieur à 1976Fonction d’origine : poste frontièreStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Bon état général

131 | Annexes

Page 134: Points de passage

132 | Points de passage

6. Larche

Coordonnées géographiques : 6°53’53.4’’E ; 44°25’17.5’’ NAltitude : 1988mType : Maison longue, 1 étage+combles habités, rdc sur-rélevéSurface au sol : environ 250m2Route contrôlée : D900Col / Accès : Col de Larche / Colle dela MaddalenaDate : Restaurations successives, le corps de bâtiment central exis-tait avant 1900.Fonction d’origine : poste fron-tière, abri de montagne pour les douaniersStatut actuel : Bar restaurantEtat actuel : Très bon état

7. Isola 2000

Coordonnées géographiques : 7°09’34.5’’E ; 44°11’20.9’’NAltitude : 2088mType : chalet à étageSurface au sol : 65m2Route : M87Col / Accès : Col de la LombardeDate : Inconnue, mais nous pouvons dire avec certitude que le poste date d’après la création de la station de ski par Michel Renaud arch. en 1971Fonction d’origine : poste frontièreStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Bon état extérieur

ANNEXE 4 INVENTAIRE

Page 135: Points de passage

8. Col de Tende

Coordonnées géographiques : 7°34’12.6’’E ; 44°08’20.0’’NAltitude : 1279mType : Pavillon individuel rdc surrélevé, 1 sous-solSurface au sol : 250m2Route : D6204Col / Accès: tunnel routier du col de TendeDate : Inconnue, mais le pavillon présente une architecture ty-pique des années 70Fonction d’origine : poste frontièreStatut actuel : occupé par les sapeurs pompiersEtat actuel : Bon état extérieur et intérieur (locaux refaits à neufs il y a moins de 10ans).

9. Piene basse

Coordonnées géographiques :7°31’’13.7’’E ; 43°54’38.9’’NAltitude : 208mType : Batiment administratif en pierre, 3 niveaux + 1 sous-solSurface au sol : 330m2Route : D6204Col/accès: route de Vintimille Date : Construction probable dans les années 1920, la gare de Piene basse, du même style, a été inauguré en 1927.Fonction d’origine : Bureaux de la douane et poste frontière italienStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Abimé, mais les murs et la toiture sont relative-ment intacts. L’intérieur est en piteux état (carrelage arraché, vitres cassées, crépis détaché, volets tombés…)

133 | Annexes

Page 136: Points de passage

134 | Points de passage

10. Breil-Sur-Roya/Fanghetto

Coordonnées géographiques :7°31’48.8’’E ; 43°53’27.4’’NAltitude : 175mType : Pavillon à 1 étage Surface au sol : 95m2Route : D6204Col/accès: route de Vintimille Date : Construction probable à la fin des années 1980, compte tenu d’un article du journal officiel du 2 Décembre 1985, http://archives.assemblee-nationale.fr/7/qst/7-qst-1985-12-02.pdf, page 5472.Fonction d’origine : Poste fron-tière, douanes et police françaisesStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Gros oeuvre en bon état

12. Menton Pont Saint-Louis

Coordonnées géographiques :7°31’43’’E ; 43°47’09.4’’ NAltitude : 37mType : Bâtiment administratif moderne en béton, sans étageSurface au sol : 440m2Route : D124Col/accès: route haute pour aller à VintimilleDate : construit en 1953Fonction d’origine : Poste fron-tière et bureaux de la douaneStatut actuel : occupé par la po-lice aux frontièresEtat actuel : Bon état général intérieur et extérieur

ANNEXE 4 INVENTAIRE

Page 137: Points de passage

11. Breil-Sur-Roya/Olivetta

Coordonnées géographiques :7°30’42.2’’ E ; 43°53’0.1’’NAltitude : 374mType : MobilhomeSurface au sol : 5M2Route : D93Col/accès: route entre Sopsle et FanghettoDate : déjà présent en 1976Fonction d’origine : Poste frontièreStatut actuel : abandonnéEtat actuel : Taggué

13. Menton Pont Saint-Ludovic

Coordonnées géographiques : 7°31’45.7’’E ; 43°47’04.0’’ NAltitude : 4mType : Aubette métallique de plein piedSurface au sol : environ 150m2Route : D6327Col/accès: route basse pour aller à VintimilleDate : construit en 1969 par Paul Bellissent arch.Fonction d’origine : Poste fron-tière Statut actuel : temporairement occupé par la gendarmerieEtat actuel : Bon état général intérieur et extérieur

135 | Annexes

Page 138: Points de passage

136 | Points de passage

Volume 1Histoire et mémoires

L’histoire débute par trois articles retraçant la vie de l’École régionale (1921-1968), sa « refondation » autour de 1968 et son « indépendance » depuis 1975. Elle se poursuit par des essais thématiques évoquant ses locaux, ses élèves, ses enseignants et ses directeurs ainsi que le milieu professionnel régional.Ce que l’on lira de l’École de Strasbourg, ses heurs et ses malheurs, est une histoire d’autant plus éclairante sur les débats actuels qu’elle est large-ment partagée.

1 HISTOIREÔ L’École en trois tempsÔ Lieux et enseignementsÔ Architecte en Alsace

2 MÉMOIRESÔ Souvenirs d’élèves de 1924 à 1981Ô Souvenirs d’enseignants de 1967 à 2005Ô Souvenirs de directeurs de 1949 à 2003

DICTIONNAIRE des élèves et étudiants

CATALOGUE Ouvrages du fonds ancien

Volume 2Dessins

1 ADMISSION Compositions d’architecture Dessins d’une tête ou d’un ornement

2 2de CLASSE Études de dessin et de modelage Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

3 1re CLASSE Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

4 DIPLÔMES ET PRIX DE ROME

5 APRÈS 68 Exercices Diplômes

13MARIE-jEANNE DUMONT

contexte national –, mais d’un genre particulier, cultivant comme un mythe fondateur ses ascendances académiques et un élitisme dont aucune grande école d’ingénieurs ne pourrait donner l’idée. Alors qu’elle a officiellement été créée sous l’Empire, en 1806-1807, elle n’hésite pas à fêter en 1848 son « bicentenaire » et réitère la provocation en 1948 pour son « tricentenaire » ! Impossible d’afficher plus clairement son attachement aux plus nobles origines de l’enseignement artistique en France, remontant au système académique dont elle fut l’une des pierres angulaires. L’année prétendument fondatrice de 1648 marque en effet la création non d’une école mais de l’Académie royale de peinture et de sculpture, suivie une vingtaine d’années plus tard (1671) par l’Académie royale d’architecture : deux instances qui s’étaient dotées assez vite d’une forme d’enseignement, d’abord libre et limitée, pour l’architecture, à des leçons de théorie données une fois par semaine par François Blondel. Petit à petit cependant, au cours du xviiie siècle, cet enseignement s’était développé et enrichi, d’abord par des exercices pratiques, puis par le statut accordé aux élèves inscrits, enfin et surtout par l’organisation d’un concours annuel – le grand prix – destiné à détecter les meilleurs éléments, qui étaient récompensés par un séjour de plusieurs années à Rome, avant d’être consacrés par une carrière prestigieuse au service des Bâtiments du roi 1.Refondées, comme tout le système académique, après la Révolution, les deux anciennes Écoles avaient fusionné en une seule, dont l’intitulé – École impériale et spéciale des beaux-arts – reprenait celui de sa nouvelle et désormais unique autorité de tutelle : l’Académie des beaux-arts. Celle-ci inventa des cursus aussi parallèles que possible pour toutes les disciplines artistiques, une sorte de tronc commun, limitant au minimum les spécificités accordées à la technicité de l’architecture. S’agissant de cette dernière discipline, l’enseignement s’était organisé en deux puis en trois temps : une préparation au concours d’entrée, puis deux classes successives en tant qu’élève de l’École. On commençait donc par être « aspirant », puis élève de seconde et enfin de première classe. Chaque classe était rythmée par des épreuves et notamment par les « concours d’émulation » mensuels, dont le programme, identique pour tous, était donné par le professeur de théorie, dont « l’esquisse » se faisait « en loge » en un temps limité (généralement de 12 heures) puis le « rendu » en atelier en quelques semaines (ill. 1). Esquisses ou projets rendus étaient jugés en l’absence des élèves, par un jury composé de professeurs et d’académiciens, qui attribuait non pas des notes à tous, mais uniquement des récompenses aux meilleurs. Et seule l’accumulation de récompenses – ces « valeurs » se décomposant en « médailles » et en « mentions » – permettait de progresser dans ce cursus honorum si particulier : il fallait un certain nombre de médailles pour passer d’une classe à l’autre, puis autant encore pour pouvoir prétendre se présenter aux

L’École d’architecture de Strasbourg occupe une place à part dans le paysage des Écoles régionales françaises (Era). Fondée dans l’euphorie de la Victoire, voulue et imposée par Paris dans le cadre d’une politique culturelle de refrancisation de l’Alsace, l’Eras n’a pas partagé avec les autres Écoles régionales la longue et difficile gestation qui venait de leur être infligée. Elle n’a pas été longuement désirée, et attendue durant des décennies par sa ville maternelle ; elle n’a pas fait l’objet de tous ces rapports, débats, tergiversations et négociations qui ont si profondément marqué la première vague de décentralisation de l’enseignement de l’architecture, dans les décennies qui ont précédé la Grande Guerre. Elle ne pouvait donc, comme les autres, prétendre représenter une émancipation par rapport à la capitale ; bien au contraire. Mais insérée dans un cadre établi depuis peu, tout juste opérationnel en réalité, elle s’y est coulée si naturellement qu’elle n’a plus été distinguée des autres. L’Alsace s’est incorporée bon gré mal gré à un système d’enseignement artistique et de formation professionnelle bien différent du système allemand, à la fois très ancien, très prestigieux, très élitiste et très centralisé, celui de l’École des beaux-arts de Paris. C’est pourquoi un retour en arrière sur la logique de ce système et sur les combats menés au xixe siècle pour le faire évoluer dans le sens de la démocratisation, de la professionnalisation et de la décentralisation est nécessaire pour bien en comprendre les principes fondamentaux, le code génétique en quelque sorte, avec lequel l’école de Strasbourg est née et avec lequel elle a dû composer dans ses évolutions ultérieures.

L’école des beaux-arts et l’héritage académiqueVue du dehors, à la lumière ingrate de son long déclin et face à l’aura des pédagogies de l’architecture moderne, l’École des beaux-arts, après la Première Guerre mondiale, semble avoir présenté un immobilisme, un conservatisme, une résistance au changement aussi spectaculaires qu’incompréhensibles ; comme pouvait paraître incompréhensible l’attachement persistant que lui portaient les générations successives d’élèves, jusqu’à son éclatement, après les événements de Mai-68. Vues du dedans et dans la longue durée d’une histoire bicentenaire, les choses apparaissent bien différentes : à défaut de susciter la sympathie ou l’adhésion intellectuelle, l’histoire de l’École des beaux-arts permet d’éclairer certains blocages de l’enseignement de l’architecture en France au xxe siècle, et notamment son ultra-élitisme, freinant la croissance normale des effectifs de la profession en dépit des besoins criants du pays, ou son centralisme exacerbé et la situation de dépendance faite par voie de conséquence aux Écoles régionales.L’École des beaux-arts était en effet une grande école – au sens historique que l’on peut donner à cette expression dans le

L’école des beaux arts et la création des écoles régionalesMarie-jeanne Dumont

1. L’atelier Guadet, 1894 (cliché anonyme. CNAM / SIAF / CAPa / Archives d’architecture du xxe siècle / Auguste Perret / UFSE / SAIF / 2013)

L’éCOLE EN TROIS TEMPS

1

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57DIEGO PEVERELLI

L’histoire des vingt-cinq ans ici considérés ne reflète pas la vie de l’École d’architecture de Strasbourg dans tous ses différents aspects, sous forme d’une chronique des faits, des événements, des personnes et des lieux qui ont marqué une période récente de l’indépendance de l’École, acquise après 1968. Ces vingt-cinq ans sont ici retranscrits et présentés par une succession d’extraits de programmes d’enseignement, de comptes rendus de débat et de prises de position sur les orientations pédagogiques ainsi que de propositions d’enseignements. Ces éléments ont été choisis en consultant les archives de l’École, avec l’intention d’offrir un fil conducteur traversant une histoire des évolutions pédagogiques de l’École, confrontée aux trois réformes ministérielles de l’enseignement de l’architecture entreprises durant cette période : en 1978, en 1984 et en 1998.En 1975, sept ans après l’entrée en vigueur du décret gouvernemental qui a permis leur création, les Unités pédagogiques d’architecture (Upa) confirment leur développement dynamique par l’élaboration d’un nouveau système pédagogique renouvelant profondément l’enseignement de l’architecture en France. Émerge alors une variété considérable de concepts pédagogiques et de modalités de développement des connaissances témoignant de la richesse du milieu de l’enseignement. Celle-ci résulte d’une part des idées avancées par les protagonistes qui ont joué un rôle dans les mouvements de 1968 et d’autre part de l’installation de nouvelles équipes d’enseignants affirmant leurs positions sur la conception de l’architecture et sa production, par rapport aux contextes politiques, économiques et culturels des années 1960 et du début de 1970.

I. Le programme pédagogique 1974-1975À l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (Iaus) – nouvelle appellation de l’établissement strasbourgeois jusqu’à l’introduction par le ministère de tutelle de la dénomination École d’architecture – le programme pédagogique mis en place à partir de l’année 1974-1975 constitue le cadre de l’évolution ultérieure des enseignements. Il tient compte d’un constat, supposé fondamental pour toute réflexion à débattre, celui de « [...] la reconnaissance des changements profonds qui affectent la production de l’habitat et de la ville 1 ». La reconnaissance de ce constat engendre deux orientations :« Pour certains, ces changements se situent essentiellement dans la modification de la commande et de l’exercice professionnel ; il convient alors d’infléchir la formation en augmentant les connaissances annexes, en révisant le découpage du processus de projetage entre les spécialistes, en s’emparant de méthodologies nouvelles.« Pour d’autres, ces changements témoignent d’une crise du mode de production et c’est l’intervention architecturale

L’indépendance (1975-2000)Diego Peverelli

1, 2. Diplôme de Georges Heintz, « Interventions dans l’îlot Austerlitz à Strasbourg », 1984 ; directeur d’études Diego Peverelli.Le projet développe de façon schizophrénique les deux interventions typologiques majeures du xxe siècle, la barre et la tour, sur deux sites urbains denses situés dans l’îlot Austerlitz. Avec une approche très pragmatique pour la barre, comme relecture critique du cœur d’îlot et tous ses dispositifs complémentaires (morphologie, extension, restructuration, perméabilité urbaine...), et une approche plus onirique de la tour sur une dent creuse minuscule et circoncise de 142 mètres de hauteur.

L’éCOLE EN TROIS TEMPS 56

1

His

toir

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66

CONCOURS D’ARCHITECTURE, ESqUISSEUN POSTE DE DOUANE

Marc Roman, atelier Stoskopf-Madeline24/03/1954Mention

A quelque distance de la limite de deux États, sur une voie peu fréquentée, il a été décidé de construire un poste de douane. Situé légèrement en dehors de la voie afin de laisser un espace pour le stationnement, ce petit poste se composerait :1o De l’entrée avec son poste et son auvent ;2o Du bureau de contrôle avec sa banque derrière laquelle siège le préposé ;3o Du poste de police avec ses trois lits de camp ;4o Des services d’hygiène.Cet ensemble, légèrement surélevé afin d’avoir une vue très dégagée sur la route, occupe un espace de 10m sur 10.On fera : Sur une feuille demi-grand aigle, le plan et la coupe à 0,001 p. m. et une perspective rendant compte de l’aspect de l’édifice tel qu’il se présente aux voyageurs étrangers.André Gutton

D’après le sujet distribué aux élèves (voir ci-contre, archives Ensas), le sujet n’ayant pas été publié dans Les concours d’architecture...

67

Seco

nde c

lass

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2

Sommaire

éditions Recherches [email protected]

pour commanderwww.editions-recherches.com

Volume 1Histoire et mémoires

L’histoire débute par trois articles retraçant la vie de l’École régionale (1921-1968), sa « refondation » autour de 1968 et son « indépendance » depuis 1975. Elle se poursuit par des essais thématiques évoquant ses locaux, ses élèves, ses enseignants et ses directeurs ainsi que le milieu professionnel régional.Ce que l’on lira de l’École de Strasbourg, ses heurs et ses malheurs, est une histoire d’autant plus éclairante sur les débats actuels qu’elle est large-ment partagée.

1 HISTOIREÔ L’École en trois tempsÔ Lieux et enseignementsÔ Architecte en Alsace

2 MÉMOIRESÔ Souvenirs d’élèves de 1924 à 1981Ô Souvenirs d’enseignants de 1967 à 2005Ô Souvenirs de directeurs de 1949 à 2003

DICTIONNAIRE des élèves et étudiants

CATALOGUE Ouvrages du fonds ancien

Volume 2Dessins

1 ADMISSION Compositions d’architecture Dessins d’une tête ou d’un ornement

2 2de CLASSE Études de dessin et de modelage Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

3 1re CLASSE Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

4 DIPLÔMES ET PRIX DE ROME

5 APRÈS 68 Exercices Diplômes

13MARIE-jEANNE DUMONT

contexte national –, mais d’un genre particulier, cultivant comme un mythe fondateur ses ascendances académiques et un élitisme dont aucune grande école d’ingénieurs ne pourrait donner l’idée. Alors qu’elle a officiellement été créée sous l’Empire, en 1806-1807, elle n’hésite pas à fêter en 1848 son « bicentenaire » et réitère la provocation en 1948 pour son « tricentenaire » ! Impossible d’afficher plus clairement son attachement aux plus nobles origines de l’enseignement artistique en France, remontant au système académique dont elle fut l’une des pierres angulaires. L’année prétendument fondatrice de 1648 marque en effet la création non d’une école mais de l’Académie royale de peinture et de sculpture, suivie une vingtaine d’années plus tard (1671) par l’Académie royale d’architecture : deux instances qui s’étaient dotées assez vite d’une forme d’enseignement, d’abord libre et limitée, pour l’architecture, à des leçons de théorie données une fois par semaine par François Blondel. Petit à petit cependant, au cours du xviiie siècle, cet enseignement s’était développé et enrichi, d’abord par des exercices pratiques, puis par le statut accordé aux élèves inscrits, enfin et surtout par l’organisation d’un concours annuel – le grand prix – destiné à détecter les meilleurs éléments, qui étaient récompensés par un séjour de plusieurs années à Rome, avant d’être consacrés par une carrière prestigieuse au service des Bâtiments du roi 1.Refondées, comme tout le système académique, après la Révolution, les deux anciennes Écoles avaient fusionné en une seule, dont l’intitulé – École impériale et spéciale des beaux-arts – reprenait celui de sa nouvelle et désormais unique autorité de tutelle : l’Académie des beaux-arts. Celle-ci inventa des cursus aussi parallèles que possible pour toutes les disciplines artistiques, une sorte de tronc commun, limitant au minimum les spécificités accordées à la technicité de l’architecture. S’agissant de cette dernière discipline, l’enseignement s’était organisé en deux puis en trois temps : une préparation au concours d’entrée, puis deux classes successives en tant qu’élève de l’École. On commençait donc par être « aspirant », puis élève de seconde et enfin de première classe. Chaque classe était rythmée par des épreuves et notamment par les « concours d’émulation » mensuels, dont le programme, identique pour tous, était donné par le professeur de théorie, dont « l’esquisse » se faisait « en loge » en un temps limité (généralement de 12 heures) puis le « rendu » en atelier en quelques semaines (ill. 1). Esquisses ou projets rendus étaient jugés en l’absence des élèves, par un jury composé de professeurs et d’académiciens, qui attribuait non pas des notes à tous, mais uniquement des récompenses aux meilleurs. Et seule l’accumulation de récompenses – ces « valeurs » se décomposant en « médailles » et en « mentions » – permettait de progresser dans ce cursus honorum si particulier : il fallait un certain nombre de médailles pour passer d’une classe à l’autre, puis autant encore pour pouvoir prétendre se présenter aux

L’École d’architecture de Strasbourg occupe une place à part dans le paysage des Écoles régionales françaises (Era). Fondée dans l’euphorie de la Victoire, voulue et imposée par Paris dans le cadre d’une politique culturelle de refrancisation de l’Alsace, l’Eras n’a pas partagé avec les autres Écoles régionales la longue et difficile gestation qui venait de leur être infligée. Elle n’a pas été longuement désirée, et attendue durant des décennies par sa ville maternelle ; elle n’a pas fait l’objet de tous ces rapports, débats, tergiversations et négociations qui ont si profondément marqué la première vague de décentralisation de l’enseignement de l’architecture, dans les décennies qui ont précédé la Grande Guerre. Elle ne pouvait donc, comme les autres, prétendre représenter une émancipation par rapport à la capitale ; bien au contraire. Mais insérée dans un cadre établi depuis peu, tout juste opérationnel en réalité, elle s’y est coulée si naturellement qu’elle n’a plus été distinguée des autres. L’Alsace s’est incorporée bon gré mal gré à un système d’enseignement artistique et de formation professionnelle bien différent du système allemand, à la fois très ancien, très prestigieux, très élitiste et très centralisé, celui de l’École des beaux-arts de Paris. C’est pourquoi un retour en arrière sur la logique de ce système et sur les combats menés au xixe siècle pour le faire évoluer dans le sens de la démocratisation, de la professionnalisation et de la décentralisation est nécessaire pour bien en comprendre les principes fondamentaux, le code génétique en quelque sorte, avec lequel l’école de Strasbourg est née et avec lequel elle a dû composer dans ses évolutions ultérieures.

L’école des beaux-arts et l’héritage académiqueVue du dehors, à la lumière ingrate de son long déclin et face à l’aura des pédagogies de l’architecture moderne, l’École des beaux-arts, après la Première Guerre mondiale, semble avoir présenté un immobilisme, un conservatisme, une résistance au changement aussi spectaculaires qu’incompréhensibles ; comme pouvait paraître incompréhensible l’attachement persistant que lui portaient les générations successives d’élèves, jusqu’à son éclatement, après les événements de Mai-68. Vues du dedans et dans la longue durée d’une histoire bicentenaire, les choses apparaissent bien différentes : à défaut de susciter la sympathie ou l’adhésion intellectuelle, l’histoire de l’École des beaux-arts permet d’éclairer certains blocages de l’enseignement de l’architecture en France au xxe siècle, et notamment son ultra-élitisme, freinant la croissance normale des effectifs de la profession en dépit des besoins criants du pays, ou son centralisme exacerbé et la situation de dépendance faite par voie de conséquence aux Écoles régionales.L’École des beaux-arts était en effet une grande école – au sens historique que l’on peut donner à cette expression dans le

L’école des beaux arts et la création des écoles régionalesMarie-jeanne Dumont

1. L’atelier Guadet, 1894 (cliché anonyme. CNAM / SIAF / CAPa / Archives d’architecture du xxe siècle / Auguste Perret / UFSE / SAIF / 2013)

L’éCOLE EN TROIS TEMPS

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57DIEGO PEVERELLI

L’histoire des vingt-cinq ans ici considérés ne reflète pas la vie de l’École d’architecture de Strasbourg dans tous ses différents aspects, sous forme d’une chronique des faits, des événements, des personnes et des lieux qui ont marqué une période récente de l’indépendance de l’École, acquise après 1968. Ces vingt-cinq ans sont ici retranscrits et présentés par une succession d’extraits de programmes d’enseignement, de comptes rendus de débat et de prises de position sur les orientations pédagogiques ainsi que de propositions d’enseignements. Ces éléments ont été choisis en consultant les archives de l’École, avec l’intention d’offrir un fil conducteur traversant une histoire des évolutions pédagogiques de l’École, confrontée aux trois réformes ministérielles de l’enseignement de l’architecture entreprises durant cette période : en 1978, en 1984 et en 1998.En 1975, sept ans après l’entrée en vigueur du décret gouvernemental qui a permis leur création, les Unités pédagogiques d’architecture (Upa) confirment leur développement dynamique par l’élaboration d’un nouveau système pédagogique renouvelant profondément l’enseignement de l’architecture en France. Émerge alors une variété considérable de concepts pédagogiques et de modalités de développement des connaissances témoignant de la richesse du milieu de l’enseignement. Celle-ci résulte d’une part des idées avancées par les protagonistes qui ont joué un rôle dans les mouvements de 1968 et d’autre part de l’installation de nouvelles équipes d’enseignants affirmant leurs positions sur la conception de l’architecture et sa production, par rapport aux contextes politiques, économiques et culturels des années 1960 et du début de 1970.

I. Le programme pédagogique 1974-1975À l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (Iaus) – nouvelle appellation de l’établissement strasbourgeois jusqu’à l’introduction par le ministère de tutelle de la dénomination École d’architecture – le programme pédagogique mis en place à partir de l’année 1974-1975 constitue le cadre de l’évolution ultérieure des enseignements. Il tient compte d’un constat, supposé fondamental pour toute réflexion à débattre, celui de « [...] la reconnaissance des changements profonds qui affectent la production de l’habitat et de la ville 1 ». La reconnaissance de ce constat engendre deux orientations :« Pour certains, ces changements se situent essentiellement dans la modification de la commande et de l’exercice professionnel ; il convient alors d’infléchir la formation en augmentant les connaissances annexes, en révisant le découpage du processus de projetage entre les spécialistes, en s’emparant de méthodologies nouvelles.« Pour d’autres, ces changements témoignent d’une crise du mode de production et c’est l’intervention architecturale

L’indépendance (1975-2000)Diego Peverelli

1, 2. Diplôme de Georges Heintz, « Interventions dans l’îlot Austerlitz à Strasbourg », 1984 ; directeur d’études Diego Peverelli.Le projet développe de façon schizophrénique les deux interventions typologiques majeures du xxe siècle, la barre et la tour, sur deux sites urbains denses situés dans l’îlot Austerlitz. Avec une approche très pragmatique pour la barre, comme relecture critique du cœur d’îlot et tous ses dispositifs complémentaires (morphologie, extension, restructuration, perméabilité urbaine...), et une approche plus onirique de la tour sur une dent creuse minuscule et circoncise de 142 mètres de hauteur.

L’éCOLE EN TROIS TEMPS 56

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CONCOURS D’ARCHITECTURE, ESqUISSEUN POSTE DE DOUANE

Marc Roman, atelier Stoskopf-Madeline24/03/1954Mention

A quelque distance de la limite de deux États, sur une voie peu fréquentée, il a été décidé de construire un poste de douane. Situé légèrement en dehors de la voie afin de laisser un espace pour le stationnement, ce petit poste se composerait :1o De l’entrée avec son poste et son auvent ;2o Du bureau de contrôle avec sa banque derrière laquelle siège le préposé ;3o Du poste de police avec ses trois lits de camp ;4o Des services d’hygiène.Cet ensemble, légèrement surélevé afin d’avoir une vue très dégagée sur la route, occupe un espace de 10m sur 10.On fera : Sur une feuille demi-grand aigle, le plan et la coupe à 0,001 p. m. et une perspective rendant compte de l’aspect de l’édifice tel qu’il se présente aux voyageurs étrangers.André Gutton

D’après le sujet distribué aux élèves (voir ci-contre, archives Ensas), le sujet n’ayant pas été publié dans Les concours d’architecture...

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Sommaire

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pour commanderwww.editions-recherches.com

Volume 1Histoire et mémoires

L’histoire débute par trois articles retraçant la vie de l’École régionale (1921-1968), sa « refondation » autour de 1968 et son « indépendance » depuis 1975. Elle se poursuit par des essais thématiques évoquant ses locaux, ses élèves, ses enseignants et ses directeurs ainsi que le milieu professionnel régional.Ce que l’on lira de l’École de Strasbourg, ses heurs et ses malheurs, est une histoire d’autant plus éclairante sur les débats actuels qu’elle est large-ment partagée.

1 HISTOIREÔ L’École en trois tempsÔ Lieux et enseignementsÔ Architecte en Alsace

2 MÉMOIRESÔ Souvenirs d’élèves de 1924 à 1981Ô Souvenirs d’enseignants de 1967 à 2005Ô Souvenirs de directeurs de 1949 à 2003

DICTIONNAIRE des élèves et étudiants

CATALOGUE Ouvrages du fonds ancien

Volume 2Dessins

1 ADMISSION Compositions d’architecture Dessins d’une tête ou d’un ornement

2 2de CLASSE Études de dessin et de modelage Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

3 1re CLASSE Concours sur les matières de l’enseignement scientifique Concours d’architecture

4 DIPLÔMES ET PRIX DE ROME

5 APRÈS 68 Exercices Diplômes

13MARIE-jEANNE DUMONT

contexte national –, mais d’un genre particulier, cultivant comme un mythe fondateur ses ascendances académiques et un élitisme dont aucune grande école d’ingénieurs ne pourrait donner l’idée. Alors qu’elle a officiellement été créée sous l’Empire, en 1806-1807, elle n’hésite pas à fêter en 1848 son « bicentenaire » et réitère la provocation en 1948 pour son « tricentenaire » ! Impossible d’afficher plus clairement son attachement aux plus nobles origines de l’enseignement artistique en France, remontant au système académique dont elle fut l’une des pierres angulaires. L’année prétendument fondatrice de 1648 marque en effet la création non d’une école mais de l’Académie royale de peinture et de sculpture, suivie une vingtaine d’années plus tard (1671) par l’Académie royale d’architecture : deux instances qui s’étaient dotées assez vite d’une forme d’enseignement, d’abord libre et limitée, pour l’architecture, à des leçons de théorie données une fois par semaine par François Blondel. Petit à petit cependant, au cours du xviiie siècle, cet enseignement s’était développé et enrichi, d’abord par des exercices pratiques, puis par le statut accordé aux élèves inscrits, enfin et surtout par l’organisation d’un concours annuel – le grand prix – destiné à détecter les meilleurs éléments, qui étaient récompensés par un séjour de plusieurs années à Rome, avant d’être consacrés par une carrière prestigieuse au service des Bâtiments du roi 1.Refondées, comme tout le système académique, après la Révolution, les deux anciennes Écoles avaient fusionné en une seule, dont l’intitulé – École impériale et spéciale des beaux-arts – reprenait celui de sa nouvelle et désormais unique autorité de tutelle : l’Académie des beaux-arts. Celle-ci inventa des cursus aussi parallèles que possible pour toutes les disciplines artistiques, une sorte de tronc commun, limitant au minimum les spécificités accordées à la technicité de l’architecture. S’agissant de cette dernière discipline, l’enseignement s’était organisé en deux puis en trois temps : une préparation au concours d’entrée, puis deux classes successives en tant qu’élève de l’École. On commençait donc par être « aspirant », puis élève de seconde et enfin de première classe. Chaque classe était rythmée par des épreuves et notamment par les « concours d’émulation » mensuels, dont le programme, identique pour tous, était donné par le professeur de théorie, dont « l’esquisse » se faisait « en loge » en un temps limité (généralement de 12 heures) puis le « rendu » en atelier en quelques semaines (ill. 1). Esquisses ou projets rendus étaient jugés en l’absence des élèves, par un jury composé de professeurs et d’académiciens, qui attribuait non pas des notes à tous, mais uniquement des récompenses aux meilleurs. Et seule l’accumulation de récompenses – ces « valeurs » se décomposant en « médailles » et en « mentions » – permettait de progresser dans ce cursus honorum si particulier : il fallait un certain nombre de médailles pour passer d’une classe à l’autre, puis autant encore pour pouvoir prétendre se présenter aux

L’École d’architecture de Strasbourg occupe une place à part dans le paysage des Écoles régionales françaises (Era). Fondée dans l’euphorie de la Victoire, voulue et imposée par Paris dans le cadre d’une politique culturelle de refrancisation de l’Alsace, l’Eras n’a pas partagé avec les autres Écoles régionales la longue et difficile gestation qui venait de leur être infligée. Elle n’a pas été longuement désirée, et attendue durant des décennies par sa ville maternelle ; elle n’a pas fait l’objet de tous ces rapports, débats, tergiversations et négociations qui ont si profondément marqué la première vague de décentralisation de l’enseignement de l’architecture, dans les décennies qui ont précédé la Grande Guerre. Elle ne pouvait donc, comme les autres, prétendre représenter une émancipation par rapport à la capitale ; bien au contraire. Mais insérée dans un cadre établi depuis peu, tout juste opérationnel en réalité, elle s’y est coulée si naturellement qu’elle n’a plus été distinguée des autres. L’Alsace s’est incorporée bon gré mal gré à un système d’enseignement artistique et de formation professionnelle bien différent du système allemand, à la fois très ancien, très prestigieux, très élitiste et très centralisé, celui de l’École des beaux-arts de Paris. C’est pourquoi un retour en arrière sur la logique de ce système et sur les combats menés au xixe siècle pour le faire évoluer dans le sens de la démocratisation, de la professionnalisation et de la décentralisation est nécessaire pour bien en comprendre les principes fondamentaux, le code génétique en quelque sorte, avec lequel l’école de Strasbourg est née et avec lequel elle a dû composer dans ses évolutions ultérieures.

L’école des beaux-arts et l’héritage académiqueVue du dehors, à la lumière ingrate de son long déclin et face à l’aura des pédagogies de l’architecture moderne, l’École des beaux-arts, après la Première Guerre mondiale, semble avoir présenté un immobilisme, un conservatisme, une résistance au changement aussi spectaculaires qu’incompréhensibles ; comme pouvait paraître incompréhensible l’attachement persistant que lui portaient les générations successives d’élèves, jusqu’à son éclatement, après les événements de Mai-68. Vues du dedans et dans la longue durée d’une histoire bicentenaire, les choses apparaissent bien différentes : à défaut de susciter la sympathie ou l’adhésion intellectuelle, l’histoire de l’École des beaux-arts permet d’éclairer certains blocages de l’enseignement de l’architecture en France au xxe siècle, et notamment son ultra-élitisme, freinant la croissance normale des effectifs de la profession en dépit des besoins criants du pays, ou son centralisme exacerbé et la situation de dépendance faite par voie de conséquence aux Écoles régionales.L’École des beaux-arts était en effet une grande école – au sens historique que l’on peut donner à cette expression dans le

L’école des beaux arts et la création des écoles régionalesMarie-jeanne Dumont

1. L’atelier Guadet, 1894 (cliché anonyme. CNAM / SIAF / CAPa / Archives d’architecture du xxe siècle / Auguste Perret / UFSE / SAIF / 2013)

L’éCOLE EN TROIS TEMPS

1

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57DIEGO PEVERELLI

L’histoire des vingt-cinq ans ici considérés ne reflète pas la vie de l’École d’architecture de Strasbourg dans tous ses différents aspects, sous forme d’une chronique des faits, des événements, des personnes et des lieux qui ont marqué une période récente de l’indépendance de l’École, acquise après 1968. Ces vingt-cinq ans sont ici retranscrits et présentés par une succession d’extraits de programmes d’enseignement, de comptes rendus de débat et de prises de position sur les orientations pédagogiques ainsi que de propositions d’enseignements. Ces éléments ont été choisis en consultant les archives de l’École, avec l’intention d’offrir un fil conducteur traversant une histoire des évolutions pédagogiques de l’École, confrontée aux trois réformes ministérielles de l’enseignement de l’architecture entreprises durant cette période : en 1978, en 1984 et en 1998.En 1975, sept ans après l’entrée en vigueur du décret gouvernemental qui a permis leur création, les Unités pédagogiques d’architecture (Upa) confirment leur développement dynamique par l’élaboration d’un nouveau système pédagogique renouvelant profondément l’enseignement de l’architecture en France. Émerge alors une variété considérable de concepts pédagogiques et de modalités de développement des connaissances témoignant de la richesse du milieu de l’enseignement. Celle-ci résulte d’une part des idées avancées par les protagonistes qui ont joué un rôle dans les mouvements de 1968 et d’autre part de l’installation de nouvelles équipes d’enseignants affirmant leurs positions sur la conception de l’architecture et sa production, par rapport aux contextes politiques, économiques et culturels des années 1960 et du début de 1970.

I. Le programme pédagogique 1974-1975À l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (Iaus) – nouvelle appellation de l’établissement strasbourgeois jusqu’à l’introduction par le ministère de tutelle de la dénomination École d’architecture – le programme pédagogique mis en place à partir de l’année 1974-1975 constitue le cadre de l’évolution ultérieure des enseignements. Il tient compte d’un constat, supposé fondamental pour toute réflexion à débattre, celui de « [...] la reconnaissance des changements profonds qui affectent la production de l’habitat et de la ville 1 ». La reconnaissance de ce constat engendre deux orientations :« Pour certains, ces changements se situent essentiellement dans la modification de la commande et de l’exercice professionnel ; il convient alors d’infléchir la formation en augmentant les connaissances annexes, en révisant le découpage du processus de projetage entre les spécialistes, en s’emparant de méthodologies nouvelles.« Pour d’autres, ces changements témoignent d’une crise du mode de production et c’est l’intervention architecturale

L’indépendance (1975-2000)Diego Peverelli

1, 2. Diplôme de Georges Heintz, « Interventions dans l’îlot Austerlitz à Strasbourg », 1984 ; directeur d’études Diego Peverelli.Le projet développe de façon schizophrénique les deux interventions typologiques majeures du xxe siècle, la barre et la tour, sur deux sites urbains denses situés dans l’îlot Austerlitz. Avec une approche très pragmatique pour la barre, comme relecture critique du cœur d’îlot et tous ses dispositifs complémentaires (morphologie, extension, restructuration, perméabilité urbaine...), et une approche plus onirique de la tour sur une dent creuse minuscule et circoncise de 142 mètres de hauteur.

L’éCOLE EN TROIS TEMPS 56

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CONCOURS D’ARCHITECTURE, ESqUISSEUN POSTE DE DOUANE

Marc Roman, atelier Stoskopf-Madeline24/03/1954Mention

A quelque distance de la limite de deux États, sur une voie peu fréquentée, il a été décidé de construire un poste de douane. Situé légèrement en dehors de la voie afin de laisser un espace pour le stationnement, ce petit poste se composerait :1o De l’entrée avec son poste et son auvent ;2o Du bureau de contrôle avec sa banque derrière laquelle siège le préposé ;3o Du poste de police avec ses trois lits de camp ;4o Des services d’hygiène.Cet ensemble, légèrement surélevé afin d’avoir une vue très dégagée sur la route, occupe un espace de 10m sur 10.On fera : Sur une feuille demi-grand aigle, le plan et la coupe à 0,001 p. m. et une perspective rendant compte de l’aspect de l’édifice tel qu’il se présente aux voyageurs étrangers.André Gutton

D’après le sujet distribué aux élèves (voir ci-contre, archives Ensas), le sujet n’ayant pas été publié dans Les concours d’architecture...

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ANNEXE 5Le poste de douane,

un projet d’architecture

Page 139: Points de passage

137 | Annexes

Page 140: Points de passage

138 | Points de passage

Centre de documentation historique du musée national des Douanes, archives de la Direction Interrégionale des Douanes et Droits Indirects, Bordeaux :

La Vie de la Douane, Journal de la formation professionnelle:

N°27, Mars 1953, «La porte de la France de la Riviera» , pp.22 N°29, Mai 1953, «reconstruction de l’équipement dans la direction de Strasbourg»,pp. I-VII, N°49, Juillet-Aout 1955, «journées d’étude», pp 25-32 N°52, Novembre-Décembre 1955, «la douane en haute montagne», «le poste du petit St Bernard» pp 21-24, N°55, Mars 1956, «le logement du personnel sur les frontières du Sud-Est et de la Médi-terranée» pp I-IV, N°57, Juin 1956, «modernisation des installations», pp 34-38 N°81, Janvier-Février 1959, «La douane en haute montagne», pp 41-43 N°85, Juin-Juillet 1959, «le problème de la surveillance des frontières» pp 13-18, «La circulation aux frontières métropolitaines», pp 19-20 N°111, Mai-Juin 1963, «Orly nouvel aérogare de fret», pp 1-18 N°124, Juillet-Aout 1965, «Les douaniers corsaires», « la mer frontière de l’Europe», pp 69-70 N°125, Septembre Octobre 1965, «Inauguration du tunnel sous le Mont-Blanc», pp 45-46 , «voyage d’étude en France de la guarda di finanza», pp 65-66N°126, Novembre-Décembre 1965, «Douane et architecture», pp 9-10 N°154, Juillet-Aout 1973, «l’autoport du Mont-Blanc», pages 45 à 48 N°157, Janvier-Février 1974, pourquoi des controles ? Pages 66-67N°159, Mai-Juin 1974, «Quelques aspects de la contrebande à travers les âges», XI-XXII N°160, Juillet-Aout 1974, «De Paris Sud à Paris Aéroport, Roissy panorama», pp30-58 N°163, Mars 1975, «la direction des douanes de Chambéry», pp 28-32n°164, Juillet 1975, « Le service de surveillance, un objectif constant, des méthodes nou-velles »,pp 38-41 N°178, Décembre 1978, «Dogana, douane», pp 9 à 43N°185, Octobre 1980, «Le patrimoine»

Association Montagne et Traditions, Patrimoines du Haut Pays, «Bévéra, Roya, Tinée, Vésubie, Terres de Marche» - n°8/2007. / L4.6

Association pour l’histoire de l’administration des douanes, Les cahiers d’histoire des douanes françaises, N°1, Octobre 1984

BIBLIOGRAPHIE

Page 141: Points de passage

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Association pour l’histoire de l’administration des douanes, Les cahiers d’histoire des douanes et des droits indirects, N°16, Juillet 1995, «la frontière italienne» pp 36-51

Association pour l’histoire de l’administration des douanes, Les cahiers d’histoire des douanes et des droits indirects, N°30, deuxième semestre 2004, «Les bureaux doua-niers», pp 14-18

CHAUVET Julien, Première étude du fonds photographique «Bâtiments douaniers» / mu-sée national des Douanes, Bordeaux, 2002. /RAP-03

Direction Générale des Douanes et Droits Indirects, Aubettes, Bureaux, Ca-sernes, aspects du parc immobilier de la Douane avant la réalisation du marché unique (1er Janvier 1993), Paris, presses typographique et phototypie de l’Imprimerie nationale, 1994 / L4.47

HAMON Bruno, la douane des frontières de terre, il y a cent ans, Volume 1: « les mission civiles et militaires des douaniers », Volume 2: « Une organisation: De Deunkerque à Nancy. Des personnels : le service actif »Neuilly sur Seine, Association pour l’histoire de l’administration des douanes, 2009

Musée national des Douanes, Nicolas Fussler: Postes de douanes, (6 Octobre 2009 au 28 Mars 2010), Bordeaux, musée national des Douanes, 2009

Musée national des Douanes, Douaniers dans la grande guerre (2 Avril 2014-4Janvier 2015), carnet d’exposition, Bordeaux, musée national des Douanes, 2014

Musée national des Douanes, Images de la douane, trésors photographiques du musée des douanes ( 7 Octobre 2008-4Janvier 2009), carnet d’exposition, Bordeaux, musée natio-nal des Douanes, 2008

Musée national des Douanes, Images du 20e siècle : Douane et modernité de 1950 à 1993 ( 7 Octobre 2008-4Janvier 2009), carnet d’exposition, Bordeaux, musée national des Douanes, 2008

Au centre historique de la défense, Archives du ministère de la défense, château de Vincennes :

Boite GR 28 P2 97, Renseignements sur les papiers d’identité, les zones interdites, la ligne de démarcation, les frontières, la circulation sur le territoire français : notes, bulle-tins de renseignement, circulaires, comptes rendus d’interrogatoires, coupures de presse. 1942-1944

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Ouvrages généraux :

ASUKARA Hironori, L’histoire mondiale de la douane et des tarifs douaniers, Bruxelles, Organisation mondiale des douanes, 2003

de BOUSMARD Henri Jean-baptiste, Essai général de fortifications, et d’attaques et défense des places…Berlin, Deckert, 1799.

DEBRAY Régis Eloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010

DEGRYSE Christophe, Dictionnaire de l’union européenn, Bruxelles, Editions de Boeck université, 2007 (3eme edition)

FUSSLER Nicolas, Le long de la ligne, Madrid, Slovento, 2006

FORTIA d’URBAN Agricol, Dissertation sur le passage du Rhône et des Alpes, Paris Le-bégue, 1821

FOUCAULT Michel, Surveiller ou punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 2011 (première édition 1975, Gallimard)

FOUCAULT Michel «Sécurité, territoire, population», cours au Collège de France (1977-1978) Leçon du 11 Janvier 1978, Paris, Gallimard et le Seuil

FOUCHER Michel, l’invention des frontières, Paris, Fondation pour les Études de Dé-fense Nationale, 1986

FOUCHER Michel, Fronts et Frontières, Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991 (première edition 1970)

GALLOIS Napoléon, Les armées françaises en Italie, 1494-1849, Paris, A. Bourdilliat 1859, p. 371

LENGEREAU, Marc, Le général de Gaulle, La vallée d’Aoste et la frontière italienne des Alpes1943-1945, Aoste, Musumeci, 1980.

MARY Jean-Yves , HOHNADEL Alain, SICARD Jacques, Hommes et ouvrages de La ligne Maginot, tome 5, Paris, Histoire et Collections, 2005

NORDMAN, Daniel Frontières de France, De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1998

PANICACCI Jean-Louis, L’occupation italienne. Sud-Est de la France, juin 1940  - sep-tembre 1943, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010

VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, tome 5, Paris, Bance-Morel, de 1854 à 1868

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141 |

THEVENON Luc, Frontières du comté de Nice, à la recherche des bornes perdues sur l’an-cienne limite des royaume de France et de Piémont-Sardaigne, Nice, Serre, 2005.

VOULQUIN Gustave, Frontières françaises, tome 1, Paris, Bibliothèque Larousse 1909

VIRILIO, Paul, Le littoral, la dernière frontière, entretien menée par Jean-Louis Violeau, Paris, sens&tonka, 2010.

//

Ministère de l’économie et des finances, Code des douanes, 31 décembre 2015

Etats membres de l’Union Européenne Convention d’application de l’accord de Schen-gen, 19 Juin 1990

Articles:

BOIS, Jean-Pierre, «La naissance historique des frontières, de la féodalité aux nationali-tés», introduction de l’ouvrage  Sécurité européenne : frontières, glacis et zones d’influence, de Frédéric Dessberg et Frédéric Thébault, Presses Universitaires de Rennes, 2007

Joël CORNETTE, « La ceinture de fer », L’Histoire, n°321, juin 2007, page 74

MARCIANO Catherine « Au poste de police à Menton, les migrants renvoyés à la case départ » Le point, 16.06.15

BAUMARD Maryline , « Migrants : et si ouvrir les frontières générait de la richesse ? » Le Monde des idées, 25.06.2015

GAUCHON, Pascal « Indestructibles ! », Conflits, n°5, Avril-Mai-Juin 2015, pp 60-61

GIORDINI, Didier « Les frontières naturelles, le cas de l’Italie », Conflits, n°5, Avril-Mai-Juin 2015, pp 60-61

Hermès, La Revue n°63 « Murs et frontières », Paris, CNRS éditions, 2012

LECOQ Tristan «De la défense des frontières à la défense sans frontières. La défense de la France dans l’après Guerre froide », Historiens et géographes, Dossier: Enseigner la Défense N° 423 juillet-août 2013, p.71

LOUIS, Florian « La frontière vue par les géopoliticiens », Conflits, n°5, Avril-Mai-Juin 2015, pp 48-49

POSTEL-VINAY Karoline, «La frontière ou l’invention des relations internationales», Ceriscope Frontières, 2011, [en ligne] : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part1/la-frontiere-ou-linvention-des-relations-internationales

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142 | Points de passage

Tables des figures

1860

Carte d’Etat Major, levées effectuées par les Officiers de l’Etat Major entre 1860 et 1864, Dépôt de la guerre, Première édition avec le comté de Nice 1878, 273 planches, échelle 1:80 000En ligne http://www.geoportail.gouv.fr/accueil

The Unification of Italy 1815-1870, dans « The Historical Atlas » William R. SHEPHERD, Ed. Henry Holt and Company, New-York, 1926 (première édition 1911)

1942La France de l’armistice, en ligne : atlas-historique.net, 2003

Cartes IGN : 1980, carte touristique n°115, provence côte d’azur1979, carte touristique n°112, savoie dauphiné1978, carte topographique 3742 Est de Menton 2015, carte nationale routière2015 cartes départementales 04, 05, 06, 73, 74.

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Première et dernière de Couverture : La cime des Alpes depuis l’entrée du tunnel du Mont-Blanc © Caroline Pirotais

fig. 1. Carte de 1453, réalisée à partir des cartes suivantes : France in 1453, dans « The Historical Atlas » William R. SHEPHERD, Ed. Henry Holt and Company, New-York, 1926 (première édition 1911)Italy about 1494, dans « The Historical Atlas » William R. SHEPHERD, Ed. Henry Holt and Company, New-York, 1926 (première édition 1911)[en ligne] www.lib.utexas.edu/maps/

fig. 2. Carte 1494, réalisée à partir de : France 1461-1494, dans « The Historical Atlas » William R. SHEPHERD, Ed. Henry Holt and Company, New-York, 1926 (première édition 1911)[en ligne] http://www.lib.utexas.edu/maps/

fig. 3. Carte 1601, réalisée à partir de : Savoy in 1601, dans «The Cambridge Modern History Atlas » édité par BENIANS Ernest Alfred, Stanley Mordaunt LEATHES, Georges Walter PROTHERO, Adolphus William WARD, Cambridge University Press; London. 1912[en ligne] http://www.lib.utexas.edu/maps/

fig. 4. carte 1720 réalisée à partir de :Extension of the French Frontier 1601-1766, dans « The Historical Atlas » William R. SHEPHERD, Ed. Henry Holt and Company, New-York, 1926 (première édition 1911)[en ligne] http://www.lib.utexas.edu/maps/Carta generale de stati di Sua Altezza reale, BORGINIO Giovanni Tommaso, éditée en 1680, 12 feuilles couleur. Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, CPL GE DD-2987 (5023

BIS,1-13 B)

fig. 5. carte 1793 réalisée à partir de :« Carte de France divisée en 98 départements… par Belleyme ingénieur géographe. An VI «.© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie [en ligne] http://www.histoire-image.org/pleincadre/index.php?i=342

fig. 6. Napoléon franchissant le Grand Saint-Bernard, portait équestre de Jacques-Louis David, 1801.Dimensions : Hauteur 259 cm - Largeur 221 cm. Technique et autres indications : Huile sur toileLieu de Conservation : Musée national du Château de Malmaison, © Agence photographique de la Réu-nion des musées nationaux

fig. 7. carte 1811 réalisée à partir de :Empire Français divisé en 130 départements, par dans l’Atlas Universel Et Classique De Geographie An-cienne, Romaine - Du Moyen Age, Moderne Et Contemporaine, édition Librairie Classique Eugène Belin, 1866, Claude Joseph DRIOUX et Charles LEROY [en ligne] http://cartotecadigital.icc.cat/cdm/singleitem/collection/europa/id/1682/rec/5

fig. 9. Henri Labrouste, projet d’un monument que l’on suppose placé aux frontières de la France et de l’Italie, coupes et détails, Envoi de Rome de 5e année, crayon , encre , aquarelle , papier. H. 0.65 ; L. 0.97 m. Fonds Henri Labrouste, ©Musée d’Orsay

fig. 10. Henri Labrouste, projet d’un monument que l’on suppose placé aux frontières de la France et de l’Italie, élévation.plume, crayon et lavis, H. 0.655 ; L. 0.97Fonds Henri Labrouste, ©Musée d’Orsay.

fig. 8. Carte 1815 réalisée à partir de :Carte du Royaume de France divisé en départemens, d’après les nouvelles limites fixées par le traité du 30 mai 1814 / par Edme MENTELLE et Pierre Gilles CHANLAIRE, Paris, 1814

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> Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-9048 fig. 11. carte 1860, réalisée à partir de :Carte d’Etat Major, levées effectuées par les Officiers de l’Etat Major entre 1860 et 1864, Dépôt de la guerre, Première édition avec le comté de Nice 1878, 273 planches, échelle 1:80 000

[en ligne] http://www.geoportail.gouv.fr/accueil

fig. 12. carte 1889 réalisée à partir de :Carte de la répartition des fortifications du système Séré de Rivières[en ligne] http://www.fortiffsere.fr/index_fichiers/Page385.htm

fig. 14. Ouvrage de Rocquebrune-Cap-Martin en cours de construction- 1930[en ligne] http://sudwall.superforum.fr/t2241p15-construction-de-la-ligne-maginot

fig. 13. Fort du Rimplas, 1er ouvrage de la ligne Maginot des Alpes[en ligne] http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/ouvrage-de-rimplas

fig. 15. carte après l’armistice de Juin 1940 réalisée à partir de :

[en ligne]atlas-historique.net, 2003

fig. 16. carte après le 11 Novembre1942 réalisée à partir de :[en ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_démarcation

fig. 17. carte après le traité de Paris de 1947 réalisée à partir de

fig. 18. Signature du traité de Rome, le 25 Mars 1957. [en ligne] http://www.cvce.eu/obj/signature_des_traites_cee_et_ceea_rome_25_mars_1957-fr-de84b2af-d58a-4d9d-b355-f65af-

0c823be.html

fig. 19. Signature des Accords de Schengen, le 14 Juin 1985,[en ligne] http://images.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Fs2.lemde.fr%2Fimage%2F2015%2F11%2F27%2F534x0%2F4818609_3_3b3d_signature-de-l-accord-de-schengen-le-14-juin_9e138093f362cce7a23ec2cd4cef9615.jpg&imgrefur-l=http%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr%2Fm-actu%2Farticle%2F2015%2F11%2F27%2Fil-y-a-trente-ans-ils-signaient-schen-gen_4818618_4497186.html&h=267&w=534&tbnid=E2jH-QBdjxpa1M%3A&docid=rtzwrSFsAbl_pM&ei=7SWhVvjTL-4H5aMObpdgE&tbm=isch&client=safari&iact=rc&uact=3&dur=735&page=1&start=0&ndsp=22&ved=0ahUKEwi4_v3nxr-vKAhWBPBoKHcNNCUsQrQMIITAA

fig. 20. carte actuelle, 1er Janvier 2016fig. 21. Vue sur la vallée depuis le Col de la Lombarde, Italie © Caroline Pirotais fig. 22. Col de la Lombard, La vallée depuis un Blockhaus Italien, France © Caroline Pirotais fig. 23. Borne frontière sur le colle de la Maddalena (col de Larche), France © Caroline Pirotais fig. 24. Lac artificiel du Mont-Cenis, France ©Caroline Pirotaisfig. 25. Fort italien de Ronce, achevé en 1880, France © Caroline Pirotaisfig. 26. Caserne cantonnière sur la route du Petit-Saint-Bernard, Italie © Caroline Pirotaisfig. 27. Rez-de-chaussée d’une maison abandonnée au hameau de Grand’Croix © Caroline Pirotaisfig. 28. Dispositifs de barrages routiers, tirages argentiques 1965 ©Musée National des douane

fig. 30. « L’entente cordiale au petit Saint-Bernard », Annecy, Edit. Pittier fig. 31. Col du Petit Saint-Bernard

fig. 29. Levée de barrière au Mont-Cenis, vers 1950, ed. CAP compagnie des arts photomécaniques. fig. 32. Col de Larche

fig. 33. Col de Larchefig. 34. Claviere douanier français, vers 1970, photo de Giovanni Trimboli

fig. 35. Le poste frontière à Piene-Basse, ed.CAP compagnie des arts photomécaniquesfig. 36. Menton, douaniers Français et Italiens à la frontière, ed. Léon et Levyfig. 37. Menton, les 2 postes frontière, compagnie des arts photomécaniques de Strasbourg

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fig. 39. Aubette du pont Saint-Ludovic, Menton ©musée national des douanes

fig. 40. Aubette du pont Saint-Ludovic, Menton, 1969.©musée national des douanesfig. 38. fig. Aubette du pont Saint-Ludovic, 1969. ©musée national des douanes

fig. 41. Poste frontière du Pont Saint-Louis, Menton Garavan, 1969. ©musée national des douanes

fig. 42. Poste frontière du Pont Saint-Louis, Menton Garavan, 1969. ©A. Chenier

fig. 43. Les deux poste-frontières, Menton, non daté ©Aimé Pommier, photographe des douanes fig. 44. Poste frontière du Mont-Cenis, Lanslebourg-Mont-Cenis, 1976 ©musée national des douanes

fig. 45. Poste frontière de Sospel-Olivetta, Breil-sur-Roya, 1976 ©musée national des douanes fig. 46. Le Corbusier Bâtiments de l’écluse, Kembs-Niffer, Alain Tavès © FLC/ADAGP

fig. 47. Paul Andreu, Poste de douane à Saint-Louis-Bâle, Suisse [en ligne] paul-andreu.com fig. 48. Voitures de la douane, sur le qui-vive. © Caroline Pirotaisfig. 49. Poste frontière italien du Petit Saint-Bernard,© Caroline Pirotais

fig. 50. Le poste de douane français et son aubette, © Caroline Pirotaisfig. 51. Châlet de la douane française, © Caroline Pirotaisfig. 53. Dans l’aubette du poste français, © Caroline Pirotaisfig. 52. Poste frontière italien, Au premier plan l’aubette. © Caroline Pirotaisfig. 54. Le col de Larche et la maison internationale© Caroline Pirotaisfig. 55. Le poste frontière posé détour d’une route,© Caroline Pirotaisfig. 56. Poste frontière à l’entrée du tunnel de Tende, © Caroline Pirotaisfig. 57. Au centre, le poste frontière de la douane française, © Caroline Pirotaisfig. 58. Cuisine d’un logement douanier © Caroline Pirotaisfig. 59. Poste frontière français, douanes et police nationale© Caroline Pirotaisfig. 60. Poste frontière italien© Caroline Pirotaisfig. 61. Le mobil home de la douane française sur la D93© Caroline Pirotaisfig. 62. Poste frontière de Menton pont saint Ludovic© Caroline Pirotais fig. 63. Poste frontière de Menton Pont Saint louis© Caroline Pirotaisfig. 64. Bureau de douane, transformé en magasin de chocolats. © Nicolas Fusslerfig. 65. L’aérogare de fret de l’aéroport d’Orly. Image en couverture du n°11 de La Vie de la Douane, mai-juin 1963.

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