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Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 2 CHRONIQUES 6 EXPAT 9 CULTURE & HUMOUR 14 POLEMIQUE DU MOIS 10 Journal étudiant du département de Science Politique Le Polemique POLÉMIQUE DU MOIS POLITIQUES NATALISTES DOSSIER DÉSINFORMATION: ISLAMOPHOBIE EXPAT ARGENTINE

Polémique édition décembre 2014

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Page 1: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 2

CHRONIQUES6

EXPAT9

CULTURE & HUMOUR14

POLEMIQUE DU MOIS10

Journal étudiant du département de Science Politique

Le Polemique

POLÉMIQUE DU MOIS

POLITIQUES

NATALISTES

DOSSIER DÉSINFORMATION:

ISLAMOPHOBIE

EXPAT ARGENTINE

Page 2: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 22

EDITORIAL

Équipe du Journal

Rédaction en chef : Mohammad MerhiMise en page : Mohammad Merhi Coordonnateur à la correction: Alexia Ludwig Correction : Alexia Ludwig, Lara Bouvet, Kenza Bezzaz, Clara Déry, Camille Bertin, Mehdi Debagha, Clara Hdl Impression: Service d'impression de l'Université de MontréalIllustration : Lydia Képinski, Charles Justice Journalistes : Antony Marcoux, Jade Karim, Sihem Attalah, François Durand, Alexandre Petterson, Lara Bouvet, Alexis Guénel, Anaïs Boisdron, Nicolas Toutant, Céline Sottovia, Sami Chauvet, Isabelle Lemay

Pour nous joindre: [email protected]

La marchandisation de la culture s’inscrit dans une logique de production néo-li-bérale, qui se base sur la soif du profit.

On assiste à une normalisation et une subor-dination aux stéréotypes dominants du côté des médias, et à un abrutissement au sein de la population.

Pas nécessaire de chercher longtemps pour en trouver des preuves; ouvrez la télé, ça déborde. Plus récemment, durant l'affaire Michael Brown, tué par un policier, des médias insis-taient sur le fait que Brown avait consommé de la marijuana, tout comme durant l'affaire Trayvon Martin. Un autre jeune noir qui ne respecte pas les « normes sociales » et qui est typiquement agressif (aparamment, le pot rend très agressif après consommation). On nous distançait de la base; il y a eu un meurtre et une mort d'homme.

La stéréotypisation a pris une ampleur déme-surée ce dernier siècle. Les Américains en ont fait foi durant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’ils ont illustrés les Japonais comme des prédateurs sexuels qui sont un danger imminent pour la société américaine. Hide your kids, hide your wife. La pêche fut fruc-tueuse, car les masses ont mordu à l’hameçon. Quelques mois plus tard, 8945 kg de démocra-tie furent largués au Japon.

Aujourd’hui, cette lutte est menée contre les «towelheads»; la néo-menace à la société occidentale. Les sondages auprès du public montrent la tendance: les Arabes sont perçus comme «plus souvent délinquants que les autres».

Cette hostilité n'est toutefois pas récente. Les stéréotypes hérités des siècles précédents, dont les institutions continuent de renforcer

dans l'esprit populaire, continuent à influen-cer les illustrations de l’Arabe et de sa religion. En s’appropriant ces illustrations, les médias ne font que raviver des éléments susceptibles de renforcer une généralisation négative des «infidèles» d'antan.

Les pensées historiques, qui se sont succédés, participent activement au maintien et à l'évo-lution du discours négatif. Toutefois, l'acteur le plus influent, puisqu'il a la capacité d'influen-cer les mentalités collectives, reste le média. Sa catégorisation est si simple, réductrice et, malheureusement, facile à accepter. Les gou-vernements devraient plutôt être en campagne contre les baignoires qui clament 87 fois plus de vies que le terrorisme aux USA.

« La première victime d'une guerre, c'est la vérité ». Cette sagesse est une gracieuseté de l'écrivain britannique Rudyard Kipling.

* Il est à noter que le masculin est utilisé de façon générale afin d’alléger le texte, et qu'il relève du choix de l'auteur-e. Le féminin est, bien sûr, implicite.

DOSSIER

Mohammad MerhiLa vérité: première victime de la guerre

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3Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 2

DOSSIER

#NotInMyName, à reconsidérerSihem Attalah#Notinmyname est un mouvement de mobilisa-tion basé à Londres, qui a lancé une campagne de désolidarisation via les réseaux sociaux pour condamner les actions de l’État Islamique.

À écouter les médias occidentaux, l’Islam est devenu une menace inter-nationale, à tel point qu’on demande

aux musulmans de la planète se désolidariser de la cruauté d’un État islamique autopro-clamé. Les musulmans n’ont pas à jouer le jeu islamophobe des occidentaux, qui consiste à présenter comme coupable le suspect idéal. Il est inutile de les culpabiliser pour des actes dont ils ne sont pas responsables.

La logique qui se cache derrière ce raison-nement est questionnable, dans la mesure où elle présuppose que tous les musulmans seraient, par défaut, solidaires des actes ter-roristes, et qu’ils sont tous suspects d’actes criminels. Les musulmans doivent-ils se pro-noncer sur ce qui se passe au Moyen-Orient ? Sont-ils responsables (et au courant) de tout ce que fait un musulman, où qu’il soit dans le monde ? Je ne pense pas.

Cette injonction qui vise tous les musulmans, n’a d’ailleurs jamais cherché à les définir. Il ne faut pas oublier que l’Islam s’étend de l’Afrique jusqu’à l’Asie de l’Est, passant par l’Asie centrale et le Moyen Orient, traversant autant d’approches religieuses différentes que de pays. Un indonésien et un algérien n’au-ront pas nécessairement la même conception de l’Islam.

Si des musulmans se sentent concernés par ce qui se passe dans le monde musulman et qu’ils veulent réagir en tant que croyants, ils ont la liberté de le faire (ce droit leur a tou-tefois été brimé à plusieurs reprises, lors des manifestations contre les agressions à Gaza ; mais passons), mais cela ne sous-entend pas qu’ils constituent une communauté indisso-ciable. Cet amalgame nous emmène à nous demander ce qu’il faut dénoncer véritable-ment ; l’assassinat d’otages occidentaux ? Certes ce sont des actes impardonnables, mais cela fait des mois que l’EIIL met en scène des exécutions d’autres musulmans, notamment chiites, sans que les médias occidentaux ne le mentionnent. Et, surtout, peut-on dénoncer

aussi facilement les conflits en Irak et en Syrie sans rappeler l’invasion américaine de 2003, ni évoquer cette nouvelle guerre contre le ter-rorisme qui est lancée aujourd’hui ?

À ce rythme-là, la nouvelle croisade contre le terrorisme déclenchée en Irak et en Syrie, va non seulement rendre la région encore plus vulnérable, mais aussi répandre l’isla-mophobie à travers l’Occident et menacer des populations entières, considérées comme collectivement responsables de n’importe quelle action menée au nom de l’Islam.

Les médias, comme les politiciens, font com-plètement abstraction des conditions poli-tiques qui ont permis l’apparition de l’EIIL, à savoir les ambitions impérialistes de l’Occi-dent. Deux guerres du Golfe et un Moyen-Orient systématiquement déstabilisé à des fins géostratégiques par la suite…Si l’EIIL est un monstre, il est avant tout le monstre de l’OTAN, et non pas celui de l’islam.

Bref, nous n'avons pas demandé aux chrétiens de se désolidariser du Ku Klux Klan.

On nous surveille« Avant d’introduire une nouvelle législa-tion qui pourrait restreindre les libertés des Canadiens, le premier ministre ne devrait-il pas rétablir le financement des organisations canadiennes de sécurité » Thomas Mulcair

La guerre du XXIe siècle

Pour la plupart d'entre nous, notre par-cours académique s'est déroulé après les attentats du 11 septembre. Ces événe-

ments marquent un point de rupture qui fait entrer dans la conscience collective le « eux » en opposition au « nous », ce qui se relève par-ticulièrement dans l'univers médiatique. « Nos amis d'hier sont nos ennemis d'aujourd'hui ». Le terrorisme des islamistes radicaux semble être l'objet de la guerre du XXIe siècle. Il suffit de penser aux images provenant des véhicules militaires abattant des civils en Irak, elles ont été largement diffusées dans les médias géné-ralistes nord-américains. Ces images, dignes de jeux vidéo, sont purement sensationna-listes pour ne pas dire qu'elles relèvent du voyeurisme. Ces entreprises qui détiennent le quatrième pouvoir de la démocratie polarisent ou esquivent les débats de fond en matière de politique étrangère et de sécurité intérieure.

De la poudre aux yeux

La façon dont plusieurs médias traitent les nouvelles, particulièrement celles liées au ter-rorisme, relève du spectacle. Sans entrer dans les détails, beaucoup de médias privés sont concentrés horizontalement, et font passer leurs intérêts particuliers pour les intérêts de la population. L’opinion publique fortement influencée par les médias généralistes est évi-demment reprise par les parlementaires pour établir des politiques populaires. Par ailleurs, les calamités récentes d'Ottawa et de Saint-Jean-sur-Richelieu ont eu des répercussions médiatiques à l'international, même sur le vieux continent. La médiatisation sensation-naliste semble rendre la population hypocon-driaque, en plus de cultiver l’islamophobie.

Instrumentaliser des attentats

Les attentats d’octobre dernier ont justement eu une influence directe sur le moment de pro-poser un projet de loi au parlement d’Ottawa. En fait, le projet de loi C-44 a été déposé par le parti conservateur quelques jours après les at-tentats d’octobre. Il vise, entre autres. à élargir les pouvoirs de surveillance du SCRS (Service Canadien du Renseignement de Sécurité) en

matière de communication. Le commissaire de la GRC a affirmé que le seuil d'arrestation pour une menace de la sécurité nationale passera de « motif raisonnable de croire » à « motif raisonnable de soupçonner ». Le débat sur ce seuil est présent depuis les événements du 9/11. Les commissaires canadiens à l’infor-mation et à la protection de la vie privée ont récemment fait une déclaration qui s’adresse au gouvernement fédéral, le 29 octobre 2014, incitant à « adopter une démarche fondée sur des données factuelles quant au besoin de nouvelles mesures législatives qui accorde-raient des pouvoirs supplémentaires aux orga-nismes de renseignement et à ceux chargés de l’application de la loi ». Ce débat sur la collecte des données massive des individus par les États a été soulevé en 2013, lorsqu’Edward Snowden a dévoilé le programme PRISM de surveillance de la NSA. À ce moment, nous avons aussi appris que les entreprises de télé-communication et les États marchaient main dans la main. L’instrumentalisation des actes terroristes par les médias et les parlementaires soulèvent beaucoup de questions.

Sur ce, allons donc nous blottir dans notre drapeau canadien en achetant une flotte de F-35.

Antony Marcoux Gagnon

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Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 24

DOSSIER

Radicalisation: rôle occidental Jade Karim

Avant de parler du rôle joué par les pays occidentaux dans l’islamisation radicale de certains États musulmans,

il faut tout d’abord définir ce que l’on entend par radical, terme assujetti aux divergences subjectives. On qualifie une idéologie de radicale lorsque son ambition est de suppri-mer ou de diminuer les droits de certains groupes ethniques, sexuels ou politiques dif-férents. Dans le cas des musulmans radicaux, ils cherchent à affaiblir la présence féminine dans le processus décisionnel et à y maintenir la supériorité masculine.

Une autre caractéristique d’un mouvement radical est sa volonté d’instaurer un sys-tème juridique stricte qui impose des peines sévères. Le nom que donnent les Islamistes à leur système juridique est « la Charia », qui codifie la vie publique et privée d’un musul-man.

Distinction parmi les radicaux

Nous avons défini ce qu’est un musulman radical, mais peut-on mettre tous les extré-mistes islamistes dans la même catégorie ? NON. Il existe une différence importante entre les multiples groupes d’intégristes qui réside dans la façon dont ces groupes cherchent à instaurer leurs doctrines.

D’une part, il y a les Frères Musulmans qui pratiquent un prosélytisme de la non-violence et d’autre part, les Salafistes qui concluent que la violence est une meilleure stratégie pour obtenir le pouvoir. Le choix des Frères Musulmans de participer au processus politique semble leur être profitable au regard de leur réussite en Égypte, suite à l’élection de Mohammed Morsi à la présidence le 17 juin 2012. Ce dernier a été élu sous les couleurs du Parti Liberté et Justice qui a été fondé par les Frères Musulmans.

Le choix du recours à la violence ou à la démocratie dépend principalement de la nature même de ces organisations. En effet, un groupe salafiste tel qu’Al-Qaïda n’a aucune appartenance étatique ou nationaliste : il fait partie d’un nouveau mouvement transna-tional appelé le Jihad Mondial cherchant à établir un vaste État Islamiste qui s’étendrait du Maroc aux Philippines. Cette nature trans-frontalière est un danger à la sécurité inter-nationale justifiant donc les interventions des grandes puissances dans des pays tels que l’Afghanistan qui sont accusés de réfugier des membres d’Al-Qaïda.

Quelle est la cause du réveil d’un mouve-ment nationaliste islamiste?

La justification du soulèvement d’un mouve-ment nationaliste n’a jamais été simple, que ce soit pour le mouvement serbe, américain ou indien, pour ne nommer que ceux-là. Or, le mouvement islamiste est encore plus complexe, car il n’y a pas et il n’y a jamais eu de frontières musulmanes claires et précises. En effet, malgré la présence d’une grande diaspora musulmane dans plusieurs États tels que les Philippines, ils ne reconnaissent pas l’Islam comme une religion officielle. Il est donc difficile d’imaginer un vaste État isla-miste unifié tel que l’envisagent les Salafistes.

Dans l’histoire, il n’y a qu’un seul exemple d’État musulman qui se rapprocherait de ce-lui espéré par Al-Qaïda : l’Empire Ottoman. Cependant, même à son apogée, ce dernier ne s’étendait que de l’Afrique du Nord à l’Iran actuel. Il est donc délicat de conceptualiser l’idée d’une seule et unique autorité islamique qui s’étendrait de Rabat à Manille. Néan-moins, on peut relever une cause importante du réveil nationaliste : les intérêts des grandes puissances occidentales.

Faisons un peu d’histoire ! Suite à la Seconde Guerre Mondiale, le monde a été plongé dans un bipolarisme, et ce jusqu’à la dissolution de l’URSS en 1991. Les États-Unis et l’URSS se sont partagé le monde en fonction de leurs idéologies politiques et économiques : d’un côté les fervents défenseurs du libre marché, de l’autre les communistes. Les deux puissances ont essayé, par tous les moyens, d’étendre leur influence sur les pays neutres. De plus, il était dans l’intérêt des puissances occidentales de limiter l’expansion de l’idéo-logie communiste. C’est donc dans cette optique que ces dernières ont élaboré un stratagème qui repousserait la vague com-muniste des démographies majoritairement musulmanes. Il existe deux exemples de cette politique étrangère : l’Égypte et l’Afghanistan.

Dans le cas du pays du Nil, avec l’arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser, Le Caire s’est rapproché de Moscou, tout en refroidissant ses liens avec la France et le Royaume-Uni suite à la crise du Canal de Suez. Avec la mort de Nasser et la prise de pouvoir de son succes-seur, Anwar Sadat, on assiste à l’avènement du socialisme égyptien. L’Occident a profité de ce vent nouveau pour rétablir son influence sur le territoire égyptien et l’économie de marché. Sadat a entrepris des politiques qui ont favo-

risé le nationalisme islamique en Égypte : il a, entre autres, libéré des membres des Frères Musulmans qui avaient été emprisonnés auparavant par le régime de Nasser.

En ce qui a trait à l’Afghanistan, le pays a été plongé dans le communisme après un coup d’État orchestré par des militants afghans en 1978. Il va de soi que l’URSS tissera des liens avec son nouvel homologue étranger, la Répu-blique démocratique d’Afghanistan. Jugeant ces relations nuisibles à leurs intérêts, les États-Unis ont donc entrepris des démarches pour renverser le pouvoir communiste en Afghanistan.

Pour ce faire, ils ont financé et militarisé des « moudjahidines » qui avaient été expulsés du pays en raison de leurs croyances religieuses qualifiées d’extrémistes par le régime commu-niste. Les Américains étaient conscients de la radicalité idéologique des moudjahidines, surtout à l’égard des femmes afghanes. Néan-moins, c’était la meilleure option pour renver-ser le régime communiste, tout en évitant une intervention directe qui aurait certainement entrainé une guerre nucléaire contre l’URSS. Les conséquences de la politique étrangère des Occidentaux sont encore ressenties au-jourd’hui. En effet, les moudjahidines sont les « ancêtres » des Talibans actuels.

On entend souvent l’expression : « aux grands maux les grands moyens ». Dans le cas de la Guerre Froide, le danger était représenté par la montée du communisme dont le remède était, dans le monde musulman du moins, le réveil du nationalisme islamique. Les grandes puissances occidentales ont utilisé l’isla-misme radical comme un chien de garde à qui l’on a appris à montrer les crocs. Mais une fois leurs intérêts nationaux satisfaits, ils l’ont laissé dans un coin sans le nourrir. Eh bien mes amis, si vous oubliez de nourrir votre chien, ne soyez pas surpris qu’il vous morde.

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Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 25

Cet article s’appuie sur les constats énon-cés dans le livre « Global Governance, Civil Society and Participatory Democracy: A View from Below » publié par FIM – Forum pour une gouvernance démocratique mondiale, une ONG internationale dont le secrétariat est basé à Montréal depuis 1998. Nigel Martin, co-au-teur du livre et fondateur de FIM, présentait une conférence le 27 novembre dernier dans le cadre des activités du Comité des Affaires Internationales de l’UdeM (CAIUM).

À l’ère de la globalisation, marquée notamment par le déclin de l’État-nation, le système international se

caractérise par une multiplication des acteurs.

Ces transformations ont un effet direct sur les rapports qu’entretiennent les acteurs dans la gouvernance mondiale. Par exemple, les or-ganisations de la société civile (OSC) tentent désormais de faire entendre leurs revendica-tions auprès des institutions multilatérales telles l’ONU, le G-8 ou le BRICS. Cependant, elles se heurtent souvent à l'absence de méca-nismes démocratiques, d’imputabilité et de transparence : les institutions multilatérales sont pour la plupart composées de représen-tants non élus qui prennent des décisions af-fectant le quotidien de millions de personnes.

Les OSC, dont la voix arrive à se faire entendre auprès des grands acteurs, proviennent géné-ralement des pays du Nord (pensons à Oxfam international ou Greenpeace). Les OSC des

pays du Sud, petites timides reléguées au club-école, peinent ainsi à exercer une influence.

Dans cette situation déjà inégale, un groupe est particulièrement négligé sur la scène in-ternationale : les OSC musulmanes. L’absence de leur voix dans la gouvernance mondiale est d’autant plus criante considérant d’une part, la discrimination dont elles sont victimes et, d’autre part, l’important déficit démocra-tique auquel fait face l’organisation devant les représenter, l’Organisation de la coopération islamique (OIC).

Dans un premier temps, la discrimination à l’égard des OSC musulmanes se reflète dans les massives coupures de financement des bailleurs de fonds internationaux qu’elles subissent depuis les événements du 11 sep-tembre 2001 et l’invasion américaine de l’Irak en 2003. En effet, dans la foulée du Patriot Act de 2001, le gouvernement américain, allait même jusqu’à pénaliser les ONG qui entretiennent des liens avec la société civile musulmane. Cette dernière part donc de bien loin.

Dans un second temps, la société civile mu-sulmane n’a aucun autre moyen de faire en-tendre sa voix dans la sphère internationale. Le seul discours officiel des pays musulmans est celui des représentants gouvernementaux des 53 États membres de l’OIC. Cette orga-nisation internationale, une des plus opaques qui soient, est financée en grande partie par

les États monarchiques de la région du Golfe reconnus pour le faible appui financier qu’ils accordent aux OSC. Ainsi, la société civile musulmane est pénalisée et reste déplorable-ment absente de l’échiquier international.

En réponse à ce constat d’injustice, FIM a mis en place, en 2006, le programme Établir des ponts visant à promouvoir les revendications des OSC musulmanes sur la table des insti-tutions multilatérales. Ce projet regroupe des leaders de la société civile de plusieurs pays musulmans d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient afin de bâtir les capacités, le savoir et les réseaux nécessaires pour que cette voix manquante se fasse entendre. FIM a établi de nombreux partenariats depuis le lancement du programme ; on compte notamment le Center for Democracy and Development (Nigéria), le Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (Sénégal) et le South-East Asia Partnership (Pakistan).

En somme, FIM contribue à renforcer la société civile musulmane afin qu’elle puisse se tailler une place dans la gouvernance mon-diale. Une place qui, bien qu’encore petite, doit être valorisée pour accéder à un système international véritablement démocratique.

Place pour la société civile musulmane dans la gouvernance mondiale?

Marie-Catherine Rousseau

DOSSIER

Crédit photo: CAIUM

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Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 26

CHRONIQUES

Vous voulez rire jaune? Allez consul-ter le site créé par des Américains nommé le « Whiteness Project ». Ce

site fait office de forum pour permettre aux blancs américains de parler de leur soi-disant marginalisation au profit des gens de cou-leur; un exutoire pour tous ceux qui sentent de plus en plus l'Amérique s'éloigner de sa pureté originelle.

Comme si la société américaine n'était pas déjà façonnée par et pour les blancs. Le cas actuel de Ferguson n'en est qu'un triste rappel.

Cependant, à force d’y penser, cette organi-sation paraît plutôt comme l'incarnation d'un phénomène qui se manifeste trop souvent et pas uniquement aux États-Unis: la tendance qu'ont les individus issus des strates privilé-giées, ethniques ou économiques, de la socié-

té à se déclarer victime d'injustice lorsqu'ils sentent leurs acquis diminuer au profit de ceux qui en ont le plus besoin. Comme des-siner un carré blanc sur une toile blanche, ils exhortent les gouvernements à institutionna-liser leur présence alors que l'entièreté des lois et des moyens financiers leur permettent de passer par la porte arrière.

Un autre cas qui semble symptomatique de cette victimisation des privilégiés nous ra-mène deux ans auparavant, lors de l'élection du PQ. Une des pièces maîtresses de son pro-gramme électoral était l’augmentation du taux d'imposition de ceux qui gagnent plus de 130 000 dollars par année. Pour contester cette mesure, le président du Conseil du Patronat du Québec a écrit une lettre ouverte dans le journal La Presse affirmant qu'il n'existe aucun organisme représentant les riches au sein des institutions civiles. Un symptôme du

mépris envers les riches hérité de notre passé catholique disait-il.

Ou comment, suite à la crise, les fameuses banques dites too big to fail se mettaient sou-dainement à genoux devant le gouvernement américain afin que l'argent des contribuables les remette sur les rails financiers. Et pourtant, ce sont ces mêmes banques qui ont floué ces contribuables. Du darwinisme social inversé ou une social-démocratie qui louche?

Le « Whiteness project » n'est qu'un rappel de ces diverses tentatives de conserver le statu quo en faisant appel à la pitié, à la nos-talgie. Ainsi, les acteurs de la lutte pour le changement sont dépeints comme étant une nuisance, des ignorants qui vont, malgré eux, nous mener à la ruine.

Blanc sur fond blancFrançois Robert-Durand

Congrès du ZANUAlexis Guénel

La politique peut rapidement devenir une affaire de famille. Enfin, dans le cas du Zimbabwe, l’ancien ou l’instituteur

comme on dit au pays, fait preuve d’une belle longévité : 34 ans de pouvoir en 90 ans de bo-nification. Pourtant, son heure – comme celle de tout être humain de son âge – se rapproche et il va falloir faire des choix pour le pays. Et si ces nouvelles orientations intervenaient lors du prochain congrès du parti au pouvoir, le ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique), tenu les 17 et 18 décembre prochain ?

Alors que les sanctions économiques de l’Union européenne vieilles de deux ans ont été levées, le président Robert Mugabe et sa femme, Grace Mugabe, sont toujours interdit de voyage en Europe, tandis que leurs avoirs demeurent gelés. Ce revirement de l’Union européenne s'inscrit dans une vision de « nor-malisation des relations » avec le Zimbabwe. Pourtant, l’aide au développement offerte depuis plus d’une décennie continue d’affluer. Où ? L’éducation ou la santé sont des sec-teurs visés. Il est d’ailleurs à noter le fort taux d’alphabétisation (92%), cheval de bataille

de Mugabe depuis son entrée en fonction… en 1980, lors de l’indépendance. Également, au vu de la corruption du système politique, l’efficacité de l’aide peut être remise en cause. Mais, le congrès du ZANU-PF semble, selon les dirigeants du parti, être dirigé vers la lutte contre le néo-colonialisme, dénoncé par différents leaders politiques en Afrique et notamment Robert Mugabe. Aujourd’hui, le néo-colonialisme ou l’impérialisme sont illustrés par les interventions de plus en plus fréquentes des pays occidentaux en Afrique (Mali, Côte d’Ivoire, ou Centrafrique pour le côté militaire, et l’ensemble du continent pour ce qui est de l’impérialisme économique).

Il semble malgré tout que le congrès du ZA-NU-PF va plutôt ressembler à une officialisa-tion des querelles politiques entre les princi-paux concurrents à la course à la direction. Si le Parti Québécois s’illustre actuellement par son avalanche de candidatures, le ZANU-PF est plus restreint et voit s’affronter Grace Mu-gabe, femme du fameux dirigeant politique, à Joice Mujuru, vice-présidente du pays. Les attaques frontales sont nombreuses (la pre-mière accusant sa rivale d’extorsion d’argent

d’entreprises) tandis que la propagande offi-cielle parle d’un complot pour assassiner le président. Mais le lion Mugabe ne semble pas être enclin à laisser son pouvoir de sitôt, bien qu’il ait depuis longtemps préparé sa succes-sion auprès de sa femme. Quoiqu’il en soit, les soutiens de la vice-présidente s’amenuisent car ceux-ci sont progressivement écartés du parti, de manière à légitimer un peu plus la logique familiale qui verrait la femme du président reprendre le flambeau quand l’ins-tituteur national acceptera de pousser son dernier souffle.

Au final, ce congrès, plus important qu’à l’accoutumée, va plutôt mettre en exergue les « expériences mutines », pour reprendre l’expression d’un secrétaire du parti, que réellement essayer d’aborder une nouvelle ap-proche de gouverner dans ce pays qui reste un bastion dictatorial à tendance autrefois socia-liste. En tous cas, guère d’espoirs peuvent être placés dans ce congrès qui va principalement réunir les hauts dignitaires déjà très proches du pouvoir.

Page 7: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 27

CHRONIQUES

À partir des années soixante, la demande de main-d’œuvre peu qualifiée, flexible et à honoraires

avantageux a fortement cru au Canada. Cette tendance s’explique en partie par le désinté-rêt croissant et la réticence des Canadiens à travailler dans le secteur de l’agriculture pour une rémunération souvent jugée insuffisante et selon un horaire de travail instable. En réponse aux plaintes des producteurs maraî-chers canadiens, le gouvernement instaura le Programme de Travailleurs agricoles saison-niers (PTAS) pour faciliter le recrutement de main-d’œuvre étrangère.

En 1987, le gouvernement délégua la charge d’administrer les allées et venues des travail-leurs agricoles étrangers au secteur privé. Alors, la Fondation des entreprises de recru-tement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME) au Québec et l’organisation Foreign Agricultural Resource Management Services (FARMS) en Ontario, toutes deux gérées par des horticulteurs embauchant des travailleurs étrangers saisonniers, ont pris la relève quant à l’administration des déplacements et des logements des travailleurs agricoles tempo-raires.

De nos jours, les Mexicains sont les plus nombreux à œuvrer dans le secteur agricole canadien, mais, au Québec, le nombre de Guatémaltèques a surpassé celui des travail-leurs agricoles mexicains. Dorénavant, 50% des ouvriers agricoles au Québec sont d’ori-

gine guatémaltèque contre 48 % de Mexicain. Les producteurs maraîchers peuvent, par exemple, favoriser l’embauche d’une natio-nalité particulière si « l’empreinte nationale » laissée se révèle positive pour l’employeur.

En cas de tergiversation, ces travailleurs tem-poraires peu qualifiés peuvent être directe-ment renvoyés dans leur pays d’origine suite à quoi, leurs chances de réadmission à des pro-grammes de mobilité de main-d’œuvre sont fortement réduites. Le travailleur agricole temporaire n’est désormais plus qu’une unité de production facilement remplaçable dont la marchandisation façonne le fonctionnement de l’industrie agroalimentaire canadienne. De fait, grâce à l’identification des composantes identitaires du travailleur agricole type, la construction d’un cadre discursif a été pos-sible. De cette façon, les employeurs occi-dentaux accèdent à une catégorie spécifique de travailleurs immigrants enclins à travailler d’arrache-pied dans des conditions parfois pénibles, voire même à risque, pour ensuite retourner dans leur pays d’origine et revenir au Canada l’année suivante. Néanmoins, il est défendu pour les travailleurs agricoles étran-gers, selon les clauses du contrat qu’ils signent avec le gouvernement de leur pays d’origine, d’entamer les démarches en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne.

De nombreux chercheurs ont rapporté que les conditions de ces travailleurs restent très peu contrôlées et comportent d’importantes

lacunes au niveau de l’accès à des soins de santé appropriés. De plus, la salubrité des résidences partagées laisse parfois à dési-rer. Certains travailleurs de Saint-Rémy ont même déploré que l’eau, dans les logements collectifs, soit parfois contaminée par les pesticides répandus dans les champs. Donc, tous les travailleurs agricoles ne disposent pas nécessairement d’infrastructures adéquates pour se débarrasser des résidus de pesticides restés sur leur peau après une journée d’ou-vrage au champ et, au fil du temps, certains développent de graves maladies incurables.

Ce qui importe de souligner, ce sont les carences en termes d’accès à des ressources professionnelles pour éviter ce genre d’abus. Ces individus doivent endurer les conditions qui leur sont imposées et, contrairement aux citoyens canadiens, n’ont pas l’option de dépo-ser une plainte anonyme ou de dénoncer leur employeur à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) avec la garantie qu’ils conserveront leur emploi.

Bref, le manque de sécurité d’emploi, l’absence de droits adéquats garantissant l’accès à une juste représentation des travailleurs, l’exclu-sion sociale, le racisme, la discrimination et l’inexistence de systèmes pour changer d’employeur vulnérabilisent les travailleurs agricoles.

Alexandre Petterson

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Page 8: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 28

En 1959, l’Europe et le Canada signaient un traité de coopération nucléaire. De-puis ce traité, l’entente bilatérale entre ces

deux puissances n’a pas cessé de s’accroître et d’évoluer. En septembre dernier, l’apogée de la relation entre le Canada et l’Union européenne s’est traduit par la signature d’un accord de libre-échange connu sous le nom de l’Accord économique et commercial global (AECG) ou encore CETA (Canada-EU Trade Agreement).

Il a pris forme après 5 ans de négociations et 1500 pages et il est prêt à être examiné et voté par l’ensemble des pays de l’Union européenne. Pour le Canada, c’est l’accord de libre-échange le plus important depuis l’accord nord-amé-ricain (ALENA). D’après le Premier ministre canadien Stephen Harper, « il serait difficile de surestimer l’importance de cet événement ». Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a ajouté ceci : « c’est pro-bablement l’accord le plus avancé au monde aujourd’hui en termes d’intégration des mar-chés ».

Grâce à cette entente, le Canada aura un libre accès au plus grand marché mondial qui re-groupe 500 millions d’habitants et une activité économique annuelle de près de 18 billions de dollars. Afin d’améliorer sa compétitivité inter-nationale, le Canada est amené à se tourner vers l’Europe. En plus d’une grande proliféra-

tion d’accords commerciaux bilatéraux entre le Canada et l’Asie, les échanges du Canada avec la Chine augmentent plus rapidement que ceux avec l’Europe. Néanmoins, une intégration avec l’Union européenne semble plus réaliste et réalisable à moyen terme, d’autant plus que 60 % du produit intérieur brut canadien et un emploi sur cinq au Canada dépendent des exportations.

L’Union européenne a été instituée pour concurrencer la puissance américaine. Par exemple, la monnaie unique européenne, l’euro, a été créée pour faire face au dollar américain sur les marchés financiers. D’après le Fonds monétaire international, en avril 2013, l’Union européenne était l’économie la plus importante du monde devant les États-Unis. Son produit intérieur brut avec 24.1 millions de dollars canadiens était au moins 12 fois plus grand que celui du Canada. Grâce à l’AECG, l’Union européenne pourrait réduire sa dépen-dance à l'égard de l'économie américaine et trouver un nouveau moteur à sa croissance et sa compétitivité.

Les aires d’intégration régionale permettent d’augmenter les échanges et les flux commer-ciaux. L’AECG correspond à une zone de libre-échange sans droits de douane et sans quotas sur les produits non agricoles et sur la plupart des produits agricoles. Cet accord prend aussi

en compte la propriété intellectuelle, le déve-loppement durable, l’environnement, le travail ou encore l’investissement. En 2008, un rap-port conjoint de la Commission européenne et du Gouvernement du Canada démontre que l’AECG permettrait au Canada d’augmenter ses exportations de biens et services de 8,5 milliards d’euros en direction de l’Union euro-péenne, alors que l’Union européenne verrait ses exportations vers le Canada croître de 17 milliards d’euros.

Depuis le gouvernement de Pierre Elliott Tru-deau des années 70, le Canada souhaite réduire sa dépendance auprès des États-Unis. L’inté-gration économique entre le Canada et l’Union européenne créera une interdépendance qui aidera ces deux entités à faire face à la super-puissance américaine.

Harper et Barroso voient en l’AECG des avan-tages économiques, mais également une brèche leur permettant de se détacher de l’hégémonie américaine. Une signature pour une prospé-rité économique dans la conjoncture mondiale. Cependant, une zone de libre-échange transat-lantique entre l’Union européenne et les États-Unis (TAFTA) risque aussi de voir le jour.

Pourquoi Harper et Barroso ont signé?Sami Chauvet

CHRONIQUES

Crédit photo: CBC

Page 9: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 29

EXPAT

Chaque mois, Le Polémique vous présente un article à saveur politique d'un-e étudiant-e du département en échange dans une université étrangère. Cette édition-ci, nous vous proposons l'Argentine.

Las Malvinas son argentinas, peut-on lire sur des panneaux longeant toutes les routes nationales d’Argentine. Le conflit

qui opposa en 1982 l’Argentine sous dictature militaire à la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher se conclut par la flagrante défaite de l’Argentine et la perte d’environ 600 jeunes hommes, dont beaucoup de froid ou de faim, en plus d’être non formés et mal équipés face à l’une des plus grandes armées du monde. L’ob-jectif sous-jacent du gouvernement militaire de l’époque de conduire cette guerre perdue d’avance était de raviver la flamme nationaliste afin de redonner force au régime qui, avec une dette extérieure faramineuse et face aux accu-sations de plus en plus insistantes de génocide et de crime contre l’humanité, glissait dange-reusement sur la pente de la perte de légiti-mité. De cette guerre illégitime menée par un gouvernement militaire ne reste que 800 morts au total et des îles toujours britanniques, dont le nom officiellement reconnu reste « Falkland Islands».

« Plus qu’une religion, le soccer est un bien national »

Le symbole de la revendication des Malouines représente encore aujourd’hui l’une de ces nombreuses instrumentalisations du passé qu’utilise le gouvernement kirchnériste pour raviver cette facette de l’identité argentine construite par le premier gouvernement péro-niste des années 1950, basée sur un anti-impé-rialisme virulent. Aux yeux du gouvernement, la carte du complot mené par le terrible « yankee » impérialiste pour justifier la situation économique actuelle du pays (notamment dans l’affaire des « holdouts ») et conserver une crédibilité au sein de la population, fonctionne plutôt bien.

Ainsi, ce phénomène représente l’instrumen-talisation d’un symbole militaire, dans ce cas la guerre des Malvinas, à des fins politiques. Un petit air familier? Comme par exemple, le fait de ressortir du néant la guerre de 1816 pour raviver chez les Canadiens leur flamme militaire, ici encore à des fins politiques?

Mais revenons à l’Argentine. Cette propagande stratégique, typiquement populiste, ou plutôt péroniste, n’est pas présente que sur les bor-dures d’autoroutes. Le gouvernement kirch-nériste s’est aussi approprié une bannière bien particulière en Argentine, celle des défenseurs des droits humains lourdement bafoués durant les années de la dictature. C’est effectivement avec le gouvernement de « Nestor », le défunt époux de l’actuelle chef d’État et ex-Président de 2003 à 2007, qu’ont repris les procès d’ex-militaires reconnus coupables de torture, d’enlèvements, de séquestrations, et autres horreurs; c’est suite à l’invalidation, célèbre dans les précédents à échelle internationale en termes de droits humains, de deux lois créées dans les années 1980, qui permit la reprise des procédures judiciaires. Tandis que la première loi protégeait de toute responsabilité les offi-ciers de grades inférieurs sous le prétexte de l’obéissance, la seconde avait mis un terme à la « chasse aux militaires », suite à la condamna-tion des têtes les plus importantes, ou comme certains l’affirment, en réponse à la montée de tendances réactionnaires chez certains groupes de militaires.

Après le décès du Président Nestor Kirchner, Cristina Kirchner continua dans la même lancée au niveau des avancées pour les droits humains, avec l’amplification de l’espace public accordé aux Madres et Abuelas de la Plaza de Mayo qui œuvrent pour identifier les corps de

leurs enfants parmi les 6000 desaparecidos, ou pour retrouver leurs petits enfants qui, après leur naissance dans des lieux de détention, ont été « redistribués » dans des familles de mili-taires. Comme par magie, les liens d’affaires qui, selon plusieurs journalistes et critiques du gouvernement, unissaient le couple d’avo-cats aux militaires de la dictature n’ont laissé aucune trace.

Le culte du fútbol en est un autre exemple. Plus qu’une religion, le soccer est un bien national; l’exclusivité de la diffusion par la chaîne d’État du sport que certains qualifient de « natio-nalisé », permet la transmission exclusive de publicités de propagande de l’État, profitant des cotes d’écoute les plus élevées du réseau de télécommunications.

Ainsi, l’édification hégémonique d’un sport national, ici le soccer, permet de renforcer l’unité nationale et peut-être aussi de détour-ner l’attention des enjeux réels du pays.Encore une fois, ne voit-on pas un petit air familier? L’attitude générale du gouverne-ment conservateur face au hockey et « A Great Game », le livre écrit en 2013 par notre Premier ministre sur l’histoire du hockey au Canada, dans la construction de l’identité canadienne « nordique et forte » autour d’un sport, ne semblent-ils pas faire partie d’une stratégie similaire?

La désinformation, la manipulation historique et l’usage de symboles historiques forts à des fins politiques et sociales caractérisent bien le gouvernement de Cristina, comme on la sur-nomme ici. Et bien étranges sont les parallèles qui me semblent apparaître entre les politiques de notre Premier ministre Harper et celles du kirchnérisme.

Rose Chabot

Crédit photo: Taringa

Page 10: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 210

POLÉEMIQUE DU MOIS

Nicolas Toutant

Nuls ne peuvent nier aux « natalistes » de ce monde leurs nobles inten-tions. Face à un imminent déluge

démographique, auquel même Noé peinerait à préserver le génome humain, face à une vigne rampante d’âmes monopolisant peu à peu l’espace terrien, face à un espace pédos-phérique à l’offre de plus en plus restreinte, ces involontaires eugénistes prétendent limi-ter les dégâts de la surpopulation par une régulation de l’exercice procréatif.

Qu’il s’agisse d’encourager la contraception (moyennant compensations, osons espérer), d’imposer un certain moratoire sur les nais-sances ou encore d’enclencher un massif pro-cessus de stérilisations généralisées (l’auteur admet que cette dernière proposition tient d’abord et avant tout d’élucubrations théo-riques), tous les moyens sont bons pour stop-per l’inéluctable procession reproductive. Pourtant, ces mesures dites « antinatalistes » semblent réserver un rôle minime à une ac-trice pourtant primordiale; Gaia elle-même, mère Nature.

Voguons le temps d’une lubie en Europe. XIVe siècle. Le continent peine à contenir une marmite bouillante de populaces, dont la soupape menace d’éclater à tout moment. Pendant que d’innombrables marmailles se vautrent avec les rats dans une infecte marre boueuse, âmes de toutes confessions se cô-toient tant bien que mal et leurs « tolérances » mutuelles s’effritent à un rythme dégringo-lant. Carence de ressources, espace limité, manque d’harmonie, l’Europe tout entière est menacée d’étranglement. De surgir la Pro-vidence elle-même, en la forme d’un bacille

meurtrier : la Peste bubonique (ou Noire, pour les intimes). Issue d’une lie hygiénique transmise par les rats et accélérée par la famine, l’effet libérateur de la peste ne se fait pas attendre. Hécatombe babylonienne, des centaines de millions périssent, pogroms et inquisitions assouvissent momentanément (quelque peu brutalement) les querelles religieuses. Il suffit de quelques années pour qu’enfin, la poussière ne retombe; avec suffi-samment d’espace et de ressources, les élites et la population peuvent s’attarder à d’autres projets. Les arts, l’exploration, la conquête. La Renaissance ne saurait tarder.

Ce qui nous mène à aujourd’hui. À nouveau, le globe ne peut visiblement assurer les res-sources et l’espace adéquat en quantités suf-fisantes pour tous. Plus que jamais, disettes, famines, tensions, guerres, massacres. Pour-tant, il semble absurde d’imaginer que nous pourrions, en tant qu’espèce, exercer réalis-tement une quelconque influence sur cette situation.

D’abord, à qui de droit? À quel groupe pri-vilégié l’honneur de décider de nos us et coutumes reproductifs? Il apparaît inévitable qu’une grande majorité de parents s’avèreront réfractaires aux modalités déterminées. À quelle instance l’odieux d’imposer cette abs-tinence reproductive? Moult argumenteront que, face à un milliard et des poussières d’in-dividus, le gouvernement chinois parvient efficacement à faire respecter ses (douteuses) politiques antinatalistes. Mais l’auteur ose ici espérer que tout projet politique de notre part tirera une inspiration modérée, voire limitée (idéalement antithétique), des méthodes et

politiques du gouvernement chinois.

Existe-t-il un conciliabule possédant la sagesse de déterminer les limites exactes de l’activité nataliste, de choisir quels individus se verront imposer un moratoire procréatif? Pourquoi ne pas laisser la nature faire son œuvre? Il semble évident que les conditions de plus en plus déplorables du globe et l’exploitation malsaine que les êtres humains font de leur écosystème provoqueront suffi-samment de catastrophes et de pandémies, généreront des tensions et des haines en quantité industrielle, pour nous soulager du fardeau de la surpopulation.

D’ebola en choléra, d’une guerre territoriale à une autre, mère Nature et ses enfants sau-ront aérer le bassin de population mondiale. À force de surexploiter le fruit de la Terre, à force de bouleverser l’équilibre climatique de façon industrielle, à force de voir cohabiter difficilement peuples et régimes ennemis, le problème de la surpopulation saura se réguler lui-même, sans nécessiter une forme douce et acceptable d’eugénisme.

S’il est bien un point sur lequel l’être humain ne décevra jamais, c’est bien la pensée des-tructrice. Déjà en ces périodes troubles où ISIS menace le globe, où la famine est monnaie courante, où l’Afrique est décimée par une quantité de maladies mortelles non encore recensée, le spectre prometteur de la peste, messie des temps modernes, ressurgit en Chine. Vivement une nouvelle renais-sance.

ContreDeux journalistes, deux points de vues, un sujet. Faites entrer la polémique.Ce mois-ci:

pour ou contre les politiques natalistes?

Crédit photo: Wikipedia

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Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 211

Pour

Les politiques natalistes sont souvent mal perçues, considérées comme une ingérence de l'État dans la sphère privée. Le drame qui s'est déroulé en

Inde récemment, avec la mort d'une dizaine de femmes suite à une stérilisation de masse, a de quoi décrédibiliser les partisans d'une révolution démographique.

Largement médiatisées, les politiques anti-natalistes coercitives de l'Inde et la Chine entérinent la connotation péjorative de ce terme. Ces politiques ne doivent cependant pas devenir notre seule référence.

La facilitation de l'accès à la contraception et l'éducation sexuelle font partie des poli-tiques natalistes, de même que les allocations familiales, les campagnes de sensibilisation, l'amélioration de la conciliation travail-fa-mille, la valorisation pécuniaire ou sociale, l'augmentation de l'âge minimal du mariage... Inoffensif non?

Les politiques natalistes se targuent donc de réguler les variations démographiques d'une génération à l'autre afin de limiter les impacts économiques et sociaux, facteurs d'instabilité. Par exemple, le déclin démogra-phique engendre des problèmes tels qu'une main-d'oeuvre vieillissante, une pénurie imminente d'employés, une augmentation des dépenses publiques en soin de santé alors que la surpopulation génère une augmenta-tion du chômage, des problèmes de logement et sanitaires...

À l'heure où une grande majorité des pays du monde enregistrent un déclin démogra-phique – taux de fécondité du Québec de 1.7 enfant par femme au lieu de 2.1, le seuil de remplacement de la population [Institut de la statistique du Québec] – et à l'heure où certains pays orientaux souffrent de surpo-pulation – Chine: pays le plus peuplé, Inde: pays le plus densément peuplé – la nécessité économique d'un contrôle démographique s'impose de plus en plus.

Mais il ne s'agit pas ici d'employer la force, une révolution démographique rapide n'en-gendre rien de bon. Pensons à la Chine et le problème que va poser dans quelques années l'écart démographique entre les baby-boo-mers vieillissants et les plus jeunes, issus de la politique de l'enfant unique.

Une bonne politique nataliste se doit d'être progressive et donc axée sur l'éducation, la prévention et le soutien. Cela nécessite la mobilisation financière des États qui ne sont malheureusement pas toujours disposés à investir dans ces domaines, d'où l'emploi de méthodes peu conventionnelles par de nom-breux pays.

Politique nataliste et droit des femmes

C'est bien connu, le pro-natalisme est une tactique machiste visant à remettre la femme aux fourneaux! Et si le pro-natalisme deve-nait plutôt leur consécration en développant la conciliation travail/famille (multiplication

des crèches et des congés parentaux)? Ce fac-teur semble être le seul garant d'un épanouis-sement des femmes sur les deux plans et donc le seul remède au dépeuplement.

L'antinatalisme tend quant à lui à développer le droit des femmes. Il est néanmoins néces-saire pour l'État d'appuyer cette émancipation et donc d'encourager la parité s'il veut contrer le foeticide des filles. Notons que la Chine et l'Inde comptabilisent à elles seules un déficit de 80 millions de femmes.

Finalement, les politiques natalistes ne peuvent que renforcer le statut des femmes dans la société.

La question n'est plus alors pour ou contre les politiques natalistes, mais plutôt pour ou contre un investissement dans le futur? Pour ou contre une révolution culturelle?

À l'État de faire un calcul des plaisirs et des peines comme le dirait Épicure.

À la question de l'éthique je rétorquerai ceci: est-il éthique de léguer aux générations fu-tures un monde démographiquement dispro-portionné et donc économiquement et socia-lement instable? La question démographique n'est-elle pas à inclure dans le développement durable?

Nous serons 9.5 milliards d'individus en 2050. À quel prix?

Céline Sottovia

POLÉEMIQUE DU MOIS

Crédit photo: About

Page 12: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 212

CHRONIQUES

Afghanistan: le nouveau Cachemire négligé

Comment comprendre l’échec de l’OTAN en Afghanistan ? Comment espérer sortir de l’impasse dans lequel

le pays, tout comme l’Occident, sont confinés ? La dynamique propre au Pakistan dans la guerre en Afghanistan a souvent été écartée des analyses, alors que son rôle y est central.

Un rempart contre l’Inde

Avant le 11 septembre, Islamabad supportait activement les talibans. Le développement d’une alliance avec le Pakistan revêtit donc une grande importance pour Washington lors du déploiement de la guerre en Afghanis-tan. Si le Pakistan accepta un retournement aussi drastique de sa politique étrangère, c’est qu’il espérait ainsi assurer sa sécurité envers l’Inde. Le Pakistan redoutait en effet que les États-Unis ne se tournent vers New Delhi s’il rejetait leur appel ; il appréhendait également la destruction de ses forces militaires. Dès le départ, Washington et Islamabad se sont donc alliés pour des raisons totalement différentes.

Si Islamabad avait donné son appui à Wash-ington, il avait toutefois émis des conditions : l’Inde ne devait pas s’impliquer dans la guerre en Afghanistan, ni dans le régime qui suivrait celui des talibans. Islamabad craint grande-ment un gouvernement afghan pro-indien, car advenant une guerre indo-pakistanaise, il devrait alors combattre sur deux fronts. Toutefois, suite à l’invasion en Afghanistan,

l’alliance du Nord, soutenue notamment par l’Inde, accéda au pouvoir. L’Inde devenait alors un acteur significatif en Afghanistan. Avec la constitution de l’axe Kaboul-New Delhi, l’Afghanistan devenait ainsi le nouveau Cachemire.

La scission

Ne pouvant satisfaire ses intérêts que par lui-même, le Pakistan retourna donc à une politique de soutien aux talibans afghans. La résurgence des talibans après 2001 aurait été beaucoup plus hasardeuse, voire impossible sans la complaisance du Pakistan. Cette poli-tique fut nébuleuse et obscure, évidemment, puisque le Pakistan demeurait un partenaire officiel des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme.

Washington dut se rendre compte de ce double jeu. En réponse, il se mit à agir unilaté-ralement, éloignant davantage Islamabad des intérêts américains. Les attaques de drones américains perpétrées sur le territoire pakis-tanais sans autorisation, ou encore l’opération commando ayant abattu ben Laden, sont per-çues par le Pakistan comme des violations à son intégrité territoriale.

Un dialogue de sourds

Washington et Islamabad se nuisent donc mutuellement dès lors qu’ils considèrent que

leur alliance ne peut défendre leurs intérêts à elle-seule. S’ils concluent ainsi, somme toute véridiquement puisque la relation devient totalement contre-productive à leurs objec-tifs, c’est parce qu’aucun des deux ne se soucie des motivations de l’autre partie au sein de l’échange, bien qu’ils aient initialement besoin l’un de l’autre afin d’assurer leur sécurité.

Les relations américano-pakistanaises sont donc essentiellement fondées sur une dépen-dance mutuelle et non sur un respect mutuel. Elles s’apparentent davantage à un dialogue de sourds qu’à un exercice de véritable diplo-matie. Elles ne peuvent s’avérer qu’insatisfai-santes, sans confiance réciproque et fonda-mentalement instables.

En omettant de considérer les inquiétudes pakistanaises quant à l’Inde dans sa politique afghane, Washington ne pourra atteindre une relation fructueuse avec Islamabad. À long terme, c’est la stabilité de cette région qui pourrait être compromise, ce qui irait tout autant à l’encontre des intérêts américains. Un processus de dialogue sur la question du Ca-chemire, indispensable à la normalisation des relations indo-pakistanaises, se révèle donc étonnamment, mais tout à fait logiquement, nécessaire à toute tentative de stabilisation permanente en Afghanistan.

Isabelle Lemay

Crédit photo: Tribune

Page 13: Polémique édition décembre 2014

AESPEIUM

Party de fin de session!

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 213

L’AÉSPÉIUM organise un party de fin de session légendaire le 18 décembre au Club Lambi, 4465 rue St-Laurent. C'est l'occasion parfaite pour oublier

les tourments de la fin de session. Fini le cau-chemar, l'éternelle procrastination et les nuits à étudier.

La thématique s'inspire du film The Great Gatsby. C'est un retour aux années folles et à la prohibition. Replongez, le temps d'une soirée, dans le plaisir, l'euphorie et l'insouciance des années 20. En d'autres mots, sortez vos hab-its les plus chics. Pour une soirée, vous serez Bonnie et Clyde, Al Capone ou George Kelly. P.s.: nous vous conseillons tout de même de garder votre pistolet-mitrailleur à la maison.

Costards pour les garçons, noeuds papillon, cravates, chemises, la classe quoi. Les filles; robes droites ou à paillettes, voire en dentelles, colliers de perles, bandeaux ou même plumes dans les cheveux.

Cela dit, vous vous cherchez un moyen pour compenser toute cette ingurgitation démesu-rée d'alcool et de malbouffe durant ce temps des fêtes? Le carnaval de la FAECUM vous of-fre l'opportunité de pratiquer plusieurs sports contre différentes facultés de l'Université de Montréal, dès la rentrée en janvier. C'est 3 se-maines de compétition entre les associations et plusieurs défis loufoques. Au programme: défis photos, un défi vidéo, des tournois spor-

tifs sur neige au CEPSUM, une série de défis divers pour égayer votre hiver et plus encore!

Pour toutes informations supplémentaires sur les activités organisées par l'AESPEIUM, pas-sez au local C-2175. Il est ouvert du lundi au vendredi de 8h30 à 16h00.

Finalement, si vous appréciez l'ostentation, le Polémique se cherche toujours des personnes intéressées à s'impliquer dans la plateforme web. Il s'agit de faire des entrevues ou des mi-cro-trottoirs. N'hésitez pas à nous contacter si vous êtes un intellectuel fêlé, si vous aimez le montage vidéo, si vous voulez élargir votre ré-seau ou tout simplement si vous voulez vivre une expérience unique.

Camille Boulianne

Page 14: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 214

CULTURE

Après l’interdiction des spectacles de Dieudonné, les manifestations contre la pièce de Castelluci et les actes de

vandalismes sur le Piss Christ en Corse, l’année artistique 2014 aura été marquée par le rejet et les réactions violentes du public. Mais que serait un feu d’artifice sans son bouquet final ? Entre controverse et jugement hâtif le spec-tacle Exhibit B de l’artiste Brett Bailey s’érige au rang de spectacle-martyr et porte à s’interroger sur une des problématiques intrinsèque à l’art contemporain. Retour sur la polémique des limites de l’expression artistique.

B comme Bestialité

La scène s’est déroulée au cours du dernier week-end de novembre dans la ville de Saint-Denis en région parisienne. Alors que certains s’affairaient aux préparatifs de Thanksgiv-ing, ou s’adonnaient à un savant lèche-vitrine propice au black-friday, d’autres ont offert un étrange spectacle aux habitants de cette ville du « 9-3 », tristement plus réputée pour son effervescence sociale que pour sa scène artis-tique. Si la cause de l’agitation se trouvait à l’intérieur du théâtre Gérard Philipe, la come-dia d’el arte fut interprétée à l’extérieur, par des manifestants de la lutte envers le racisme venus s’insurger contre un spectacle… antiraciste.

Conflit d’intérêts

Des femmes et des hommes noirs, en cages, immobiles, inertes et muets, dans des tableaux figés qui rappellent l’horreur de l’esclavage, de la ségrégation, de l’apartheid, somme toute de la relation inégale que l’homme occidental, blanc, a entretenu et entretient encore avec son frère noire. Du moins c’est en ce sens que Brett Bailey a conçu son œuvre. C’est au nom des droits de l’homme, de la dénonciation des rap-ports encore trop inégaux et de la persistance

d’ignominies envers les personnes de couleur, que l’artiste s’est interrogé et s’est exprimé. L’installation-performance est choquante. Elle rappelle de façon crue la douleur d’une com-munauté, mais la glorifie également pour la ré-sistance dont elle a fait preuve en lui donnant l’immortalité propre à l’œuvre d’art. Voilà le travail de Brett Bailey, un artiste sud-africain, une ultime victime de l’art contemporain en raison de l’interprétation simpliste et superfi-cielle que font les manants de son œuvre. Mais plus encore dont le crime est d’être blanc et de s’être attribué le droit de parler de racisme.

Dégoût d’une œuvre ou de la réalité ?

Certes, Exhibit B est une de ces expositions qui ne fera jamais l’unanimité parmi les bien-pen-sants et le dèmos. De nos jours, seules des ré-trospectives de Monet, Gauguin ou Van Gogh sont aptes à ne pas s’attirer l’ire des foules et de la masse populaire, et encore, en France, il s’en trouvera toujours un pour râler. Com-ment, une œuvre dont la qualité est d’insuffler le dégoût du racisme s’est elle rendue coupable, selon certains, d’un crime qu’elle dénonce ? La polémique autour de l’installation de Bailey s’inscrit en réalité dans un plus grand ques-tionnement. Existe-t-il une limite aux mé-thodes d’expression artistique, et surtout quel est le but de l’art ?

« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme » Maleraux

Quel est le rôle de l’artiste ? En quoi l’art est-il nécessaire à une société ? Ce sont les ques-tions que j’aimerais poser aux personnes s’insurgeant continuellement contre les nou-velles performances, installations et autres œuvres à la Marcel Duchamps de type « urinoir ». Oui, l’art repousse les limites aujourd’hui et depuis toujours. Les libertés et les mœurs ont

évolué, certaines procédures artistiques peu-vent paraître déplacées, mais en ce qui con-cerne cette exposition et bien d’autres, l’art sert sa juste cause : le questionnement. Qu’est ce qu’une œuvre d’art qui plait à tous le monde ? C’est une merde. L’œuvre crée le débat, elle fait parler, elle ne fait pas consensus et parfois elle révèle, elle devient vérité. Ce qui est para-doxal dans l’action des opposants aux œuvres artistiques, c’est qu’en la critiquant ils lui don-nent une raison d’être. L’interdiction n’a jamais mené à l’oubli mais toujours à l’interrogation et souvent à la glorification. Plus subversive est l’œuvre, plus intéressante en est son histoire et les répercussions qu’elle entraine. Tous les mouvements artistiques sont nés dans le rejet et font pourtant à présent l’unanimité des con-sommateurs de musées du dimanche.

Critiquer de façon virulente l’intention d’une œuvre ce n’est pas nouveau, c’est même so 1863. À Paris, au salon des refusés, Le déjeun-er sur l’herbe de Manet fait scandale. Il avait pourtant pour simple prétention de vouloir représenter le réel.

Le propre de l’artiste n’est-il pas de parvenir à transfigurer le réel afin que nous, simples mortels, puissions le contempler sous un angle que nous n’aurions jamais pu concevoir ? Sec-ouer les esprits, faire apparaître les évidences, révéler ce que nous ne pourrions constater, faire comprendre par d’autres moyens que le discours ou la rhétorique, en utilisant les émotions plutôt que les mots, voilà le travail des artistes. Réveiller la masse populaire de l’endormissement provoqué par l’hypnotique danse à laquelle s’adonne les hommes poli-tiques et le monde des médias, joue contre joue, voilà l’objectif fixé. Et voilà le pari réussi d’une œuvre telle que celle d’Exhibit B.

Exhibit black par un blancAnaïs Boisdron

Bande dessinéeCharles Justices Rutikara

Page 15: Polémique édition décembre 2014

Décembre 2014 15 Volume 33 - Numéro 2

HUMOUR

C’est un calife ému, surchargé d’émotions qui nous parle au bout du fil. Son ton, habituellement inflammatoire, prompt

à la diatribe, camoufle à peine sa jubilation quasi-infantile. En effet, il vient tout juste d’être annoncé que l’État Islamique sera l’hôte de la prochaine édition des jeux paralympiques.

« C’est une occasion en or pour montrer au monde que la poursuite du Djihad peut co-exister avec un sain esprit de compétitivité », se félicite Sa Majesté. Il est certain que, depuis notre fondation, les relations ont été quelque peu tendues avec le monde occidental admet-il, mais nous croyons qu’un évènement aussi rassembleur saura désamorcer l’esprit de con-flit qui règne.

Le Comité d’Organisation mis sur pied par l’État Islamique, qui multiplie depuis des an-nées les démonstrations de force partout à travers le monde, est heureux du succès de ses opérations. Il est certain que quelques-unes de nos méthodes publicitaires ont été controver-sées, mal reçues, reconnaît-il, mais les résultats ne mentent pas. Après avoir hébergé pendant quelques années un ambassadeur du Comité Olympique, en la personne du fils du Directeur du Comité, la réponse positive de celui-ci est

accueillie avec enthousiasme (et soulagement) par les autorités de l’État Islamique.

Des défis organisationnels? Très peu, soulève le Comité d’Organisation. La cérémonie d’ouverture, qui se veut éclatante et spectacu-laire, ne sera pas des plus complexes à mettre en scène. En fait, quelques caméras seront braquées sur les régions qatariennes et iraki-ennes, où nombre de spectacles à saveur py-rotechnique se tiennent quotidiennement. On note d’ailleurs que des représentants et futurs athlètes des délégations s’y trouvent déjà.

Quant aux athlètes « spéciaux », il sera aisé d’assurer la présence de suffisamment de per-formeurs vigoureux malgré leurs handicaps. On note que les États-Unis et le Canada of-friront pléthore d’athlètes pour des com-pétitions unijambistes, voir complètement estropiés. D’ailleurs, des qualifications supplé-mentaires se tiendront, avec parties de soccer sur terrain miné pour permettre à certains de participer aux jeux paralympiques pour une première fois dans leur vie. «Il est sûr que certains pays disposent d’un avantage certain dans la tenue des compétitions, admet un re-sponsable. À titre d’exemple, celui-ci reconnaît que les compétitions de gymnastiques, qui

préconisent généralement la compétition en-tre jeunes enfants, seront à l’avantage de la Pal-estine, qui possède un bassin non-négligeable d’enfants potentiellement « paralympiques ».Les organisateurs se targuent également de la diversité sexuelle qui promet d’être de la partie, puisque les disciplines sportives réservées aux non-voyant(e)s bénéficieront d’une impor-tante présence féminine. La diversité ethnique et religieuse des divers éclopés constitue égale-ment un point de fierté.

Le Comité d’Organisation vise également un évènement où le recyclage et un comporte-ment de récupération seront mis de l’avant. Alors que les décapitations fréquentes per-mettront des matchs incessants de soccer, les rémanents d’obus et de champs minés per-mettront d’intéressantes variations sur des sports bien connus.

Bref, un programme qui s’annonce haut en couleur! Outre le lancer de l’obus, on antici-pe particulièrement les compétitions de luge frontalière, de course à relais (à témoin radio-actif) ainsi que les sports d’équipes (il semble que l’équipe américaine de ballon-chasseur soit particulièrement confiante).

L'État Islamique accueillera les Jeux paralym-piques de 2017

George Meilleur

Ça y est, c’est la fin de session. La fin de session, c’est comme une malédiction biannuelle qui s’abat sans pitié sur les

étudiants, une sorte de marâtre qui nous rap-pelle à l’ordre. Ou pas. Parce que s’il y a bien un moment où l’on distingue les bons étudi-ants des fainéants, c’est pendant la fin de ses-sion. Et soyons honnêtes, l’AÉSPÉIUM compte un nombre impressionnant d’individus ap-partenant à la seconde catégorie (excepté Toutankamon). On ne va pas se leurrer ; déjà qu’on n’a pas un avenir brillant devant nous, qu’est-ce qui nous prend de foutre en l’air nos études de cette façon ? J’ai ma petite théorie sur la chose : nous n’y sommes pour rien. Im-puissants devant l’Univers, mes chers amis.

Quiconque s’est déjà aventuré dans les rangées du 6e étage de la BLSH comprendra le para-

digme de l’étudiant plein de bonne volonté qui sombre malgré tout dans les dangereux aléas de la procrastination. Tout cela s’accentue évidemment en ces temps douloureux où la-dite BLSH nous héberge à toute heure du jour et de la nuit.

On pourra certes mettre ça sur le dos des murs vert-menthe de la bibliothèque, qui devaient probablement être hip en 1969, mais qui, en 2014, donnent franchement la nausée. Ou en-core sur les néons qui donnent l’impression d’être à la merci d’un tueur en série dans le dernier Kubrick.

Mais l’effroyable vérité est la suivante : nous sommes des victimes. Victimes de notre (manque de) volonté, victimes de notre so-ciété trop éduquée, mais surtout victimes de

l’Univers. Il existe, j’en suis maintenant cer-taine, un algorithme astral faisant en sorte de museler notre avancée vers le savoir. Je vous entends crier : «Nenni ! Tout cela n’est que mensonges et autres frivolités !» Et je vous répondrai ceci : «Nier, c’est encore affirmer.» dixit Alfred Capus.

Une fois cette machination dévoilée au grand jour, il ne me reste qu’à plancher sur les dé-tails mathématiques impliqués dans cet algo-rithme. Crayon gras à la main, vous me verrez dessiner des cercles contigus sur la Place Lau-rentienne dans l’espoir d’obtenir une bourse me permettant de payer ma (dette étudiante) procrastination.

Chronique estudiantineÉmilie Brisson

Page 16: Polémique édition décembre 2014

16Décembre 2014 Volume 33 - Numéro 2

DIVERTISSEMENT