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Policy Brief - ocppc.ma Brief - 15-26.pdf · 2 OCP Policy Center Policy Brief au sein de la supply chain. Cette stratégie était d’autant plus pertinente qu’elle permettait d’élever

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  • Policy Brief Decembre 2015PB-15/26Matires premires : une nouvelle reYves Jgourel

    RsumLa fin des stratgies dintgration verticale constitue le corollaire naturel de la baisse durable du prix de la quasi-totalit des produits de base observe depuis de nombreux mois. Sil apparait encore prmatur daffirmer avec prcision quelles seront les consquences de cette dconsolidation dans la chaine de valeur des matires premires, il est cependant probable que le rle stratgique du ngoce physique se renforce. Sous une telle hypothse, les stratgies industrielles des pays en dveloppement et exportateurs de produits de base pourraient devoir muter et dsormais favoriser en priorit loptimisation des circuits de distribution internationaux et la gestion du risque de prix.

    A quels niveaux seront les prix ptroliers dans un mois, six mois, un an ? Cette question, pour fondamentale et obsdante quelle soit, domine tort le traitement que les mdias et -probablement- les sphres acadmiques rservent dsormais aux matires premires sur le plan conomique. A tort car, avouons-le, cet exercice prdictif est trs largement alatoire, sinon impossible. A tort galement, car le problme se pose tout autant en termes de niveau de prix, que de volatilit de ces derniers, ce qui implique un traitement ncessairement technique de cette problmatique. A tort enfin, car ceci rduit de facto lespace rserv dautres sujets sur les matires premires, certes plus complexes et, en cela, considrs comme moins vendeurs , mais pour autant tout aussi fondamentaux. Cette (sur) exposition des dynamiques ptrolires, et dans une moindre mesure gazires, est bien sr comprhensible puisque les prix des nergies fossiles sont un des curseurs de la croissance conomique mondiale, mais galement parce quil ne sagit pas uniquement l que dconomie, loin sen faut. Les niveaux des prix ptroliers sont bien videmment le reflet -intermittent- des interactions politiques et gopolitiques entre pays producteurs, quils soient membres de lOPEP ou non, et le reste du monde. Le rcent accord sur le nuclaire iranien et le retour conscutif du brut de ce pays sur les marchs internationaux, ainsi que la question du ptrole libyen sont deux exemples rcents attestant de cette ralit.

    Pour autant, dautres dveloppements des marchs des produits de base se doivent dtre voqus. Parmi ceux-ci, la restructuration profonde de lorganisation des filires de matires premires, qui semble aujourdhui se dessiner dans le sillage de la baisse des cours, pourrait constituer un changement de paradigme dont on aurait peut-tre tort de sous-estimer les consquences conomiques, politiques et donc sociales.

    Parler du ptrole, cest en dfinitive sinterroger sur ltat du monde. Il sagit plus prcisment de considrer limpact de la baisse durable du prix des matires premires sur les stratgies conomiques et financires des entreprises de ce secteur, quelles soient, en amont de la filire, un groupe ptrolier ou minier ou, en aval, un utilisateur de ces matires.

    La conjonction dune hausse des prix dont on se demande dailleurs si certains ne la considraient pas comme ce point durable que le retournement du soi-disant super cycle navait pas tre anticip- et labondance de liquidits montaires sur les marchs internationaux, avaient conduit la plupart dentre elles sengager dans des stratgies dintgration verticale visant, pour les utilisateurs, scuriser leurs approvisionnements et, pour les producteurs, capter une plus grande part des marges dintermdiation et de la valeur ajoute existant

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    au sein de la supply chain. Cette stratgie tait dautant plus pertinente quelle permettait dlever les barrires lentre du(es) march(s) sur lesquels ces entreprises oprent et ainsi de limiter la concurrence potentielle. Ceci nest cependant pas la seule raison.

    La thorie conomique offre en effet, au-del des arguments prcdents, une explication complmentaire aux politiques dintgration verticale.Conformment la thorie dite des cots de transaction1, dveloppe par lconomiste et prix Nobel2 amricain Oliver Williamson, celles-ci ne se justifient pas uniquement par des vises stratgiques o des complmentarits technologiques pouvant apparatre entre entreprises dune mme industrie, mais galement par lexistence de dfaillances de march, au sens troit du terme, cest--dire impliquant des cots de transaction (Williamson, 1971, p. 114). Le prix Nobel en identifie plusieurs causes : lincertitude, la rationalit limite des agents et leur opportunisme, ainsi que la spcificit de certains actifs ncessaires cette transaction, quils soient matriels ou immatriels, humains, ou financiers. Lexistence dalas et lincapacit quont les acheteurs et vendeurs connatre lensemble des variables pouvant influencer les conditions dune transaction imposent en effet des cots ex ante de collecte et de traitement de linformation, mais galement de rdaction des contrats commerciaux. Quelle quen soit leur profondeur , ceux-ci ne pourront cependant tre quincomplets puisque tous les tats de la nature ne peuvent tre parfaitement anticips. Ex post, leur rengociation nest pas non plus sans cot, tout comme leur non-respect. Celui-ci, li notamment lopportunisme dun des co-contractants, lgitime en effet le recours des procdures arbitrales ou judiciaires pouvant savrer particulirement coteuses. La notion de spcificit des actifs fait quant elle rfrence lexistence dune interdpendance entre les parties prenantes lchange, consubstantielle la relation commerciale. En cas de divergence, ces dernires auront donc une incitation dautant plus grande rengocier leur contrat que toute rupture serait lourdement dommageable lune et lautre. Autant de raisons qui peuvent expliquer quune entreprise choisisse de sintgrer verticalement et ainsi de substituer une opration de march une transaction intra-firme, moins coteuse au regard des lments exposs prcdemment.

    Lapproche par les cots de transaction nest pas spcifique au secteur des matires premires, mais elle sy prte pleinement. Plusieurs exemples permettent ainsi de lillustrer. Lampleur des investissements productifs raliss lorsque les prix slvent impose en particulier

    aux producteurs de matires premires non renouvelables de rduire les incertitudes auxquelles ils devront faire face. Dans cette optique, la rdaction de contrats commerciaux protecteurs , aussi documents soient-ils, savre souvent tre une stratgie non seulement longue et onreuse, mais aussi largement imparfaite. Un contrat de long terme prix fixe permet certes en thorie de scuriser, pour un utilisateur, ses approvisionnements et, pour un producteur, dassurer lcoulement des quantits produites et ce, pour un niveau de cots/revenus donns. En thorie, mais pas toujours. La forte instabilit du prix des matires premires peut en effet, lorsque ceux-ci sont en dessous (au-dessus) du prix contractuel pousser lacheteur (le vendeur) ne pas respecter ses engagements, afin de profiter de ces conditions de march plus favorables. Une intgration verticale permet dviter ce comportement opportuniste. De la mme faon, largument de la spcificit des actifs rend bien compte, par exemple, de la proximit gographique, conomique et financire pouvant exister entre une centrale lectrique et une unit de production daluminium primaire, lune et lautre tant industriellement intimement lie.

    La fin de cette dynamique haussire change naturellement la donne et lheure nest plus aux stratgies dintgration, bien au contraire.

    Lampleur des investissements productifs raliss lorsque les prix slvent impose en particulier aux producteurs de matires premires non renouvelables de rduire les incertitudes auxquelles ils devront faire face.Les entreprises qui se sont endettes se trouvent dsormais dans lobligation dallger leur bilan, ce qui implique une stratgie de cession dactifs les moins rentables leur permettant de se concentrer sur leur core business , tandis que la ncessit de scurisation des approvisionnements pour les entreprises consommatrices tend se rduire. BHP Billiton, engag dans une catastrophe cologique de grande ampleur aprs la rupture dun barrage de dchets miniers au Brsil, a ainsi log dans une entit nouvelle, South 32, ses mines les moins rentables. Cette volont de dsendettement est dautant plus prgnante que certains investisseurs, guids par la morosit de la demande chinoise, dlaissent le secteur des matires premires. Fin septembre, un vent de panique la bourse de Londres et de Hong-Kong avait ainsi souffl sur le titre de lentreprise Glencore, jadis pur ngociant devenu groupe minier intgr avec lacquisition dXtrata, lorsque des rumeurs dinsolvabilit du groupe stait faite jour. La fermeture de la mine de Mopani en Zambie, la vente dune usine de ferronickel en Rpublique

    1. La notion de cots de transaction fut introduite lorigine par Ronald Coase en 1937.

    2. Oliver Williamson obtient le prix Nobel dconomie en 2009.

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    Dominicaine ou la cession dune partie de lactivit de production dargent de la mine dAntamina au Prou comptent parmi les actions entreprises rcemment par le groupe suisse pour rduire son niveau dendettement de 10 milliards de dollars dici la fin de lanne 2016. Plus en aval, le gant amricain Alcoa, large consommateur de bauxite pour alimenter son activit de production daluminium primaire, a choisi non seulement de rduire ses capacits de production dalumine, mais galement de se scinder en deux entits cotes afin de mieux faire face la rude et rcente concurrence des producteurs chinois sur les marchs exports et ainsi rpondre aux attentes de leurs actionnaires.

    Faut-il faire de ces diffrents exemples une vrit qui simposerait lensemble du monde des matires premires ? Probablement pas.Les liens conomiques qui unissent les entreprises aux diffrents stades dune filire sont dautant plus complexes que celle-ci se structure diffremment dun produit de base un autre. Il ny aurait en ralit gure de sens assimiler les filires agricoles celles des ressources non renouvelables, lindustrie mondiale de laluminium ou du minerai de fer celles de lnergie et, au sein de ces dernires, celle du ptrole celle du charbon. Des contre-exemples existent par ailleurs, limage du cacao. La filire sest en effet fortement intgre et laugmentation des prix, atypique dans le contexte actuel, ny est pas trangre (graphique 1). En octobre dernier, le groupe de ngoce singapourien Olam a finalis le rachat de la branche cacao dArchers Daniels Midlands (ADM) afin daccrotre sa capacit de transformation de la fve et de mieux simplanter sur les zones de consommation, tandis quen 2013 le suisse Barry Callebaut avait rachet Petra foods. Cargill, Barry Callebaut et Olam reprsentent dsormais eux seuls 60% de la transformation mondiale de cacao.

    Graphique 1 : volution du prix du cacao (en USD/kg)

    Source : The world bank (the pink sheet)

    Si la prudence simpose donc pour dessiner ce que serait la physionomie gnrale des filires de matires premires dans les prochaines annes, une analyse tant historique quconomique permet nanmoins den esquisser les contours. Il apparait en effet raisonnable de penser que la baisse durable des prix des produits de base devrait conduire rduire lampleur des comportements guids par des considrations politiques et stratgiques au profit dune stratgie (plus) simple doptimisation tarifaire o la mise en uvre des mcanismes concurrentiels prvaut. Puisque loffre est globalement excdentaire sur les marchs, les acheteurs peuvent dsormais chercher sapprovisionner au meilleur prix, tandis que les producteurs, contraints financirement, tentent de compenser la baisse des prix par une augmentation de leur volume de vente et donc de leurs dbouchs. Ceci devrait se traduire, en dautres termes, par un renforcement de la position des entreprises de ngoce international indpendantes des producteurs et des utilisateurs.

    La question de la volatilit des prix voque prcdemment, ainsi que celle de la structure de march (et de son instabilit) sont par ailleurs des lments essentiels de la dynamique de court terme des cours des matires premires.Or, la gestion des risques qui en dcoule est prcisment au cur de lactivit des ngociants. Ceci ne signifie cependant pas que ces entreprises connatront des lendemains par nature prospres alors mme que les prix des produits de base sont bas. Des marges rduites et la perspective dune rglementation plus stricte leur gard sont les deux signes patents que celles-ci nchappent pas la morosit que connait ce secteur. On se gardera par ailleurs daffirmer quun schma unique de dveloppement dune activit de ngoce international, au dtriment des filires intgres, est sur le point de simposer tant les ralits peuvent tre, elle aussi, diffrentes dune entreprise de trading une autre, certaines tant galement intgres en amont ou en aval (Jgourel, 2015a). Si cette tendance saffirme nanmoins, les stratgies industrielles menes par de nombreux pays en dveloppement et visant accrotre la part des matires premires transformes localement dans les exportations nationales3 pourraient devoir tre amendes, la faveur dune rflexion sur loptimisation des circuits de distribution commerciaux et de la gestion du risque de prix, et donc sur le dveloppement de structures de trading physique . On comprendra bien que les bnfices que lon pourrait en attendre en termes de dveloppement conomique et social ne peuvent en rien tre compars

    3. Et ainsi lutter contre la bien connue maldiction des matires premires

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    ceux quune stratgie dindustrialisation russie autorise. On comprendra galement que le dveloppement dune activit de ngoce impose un nombre important de prrequis, au premier rang desquels lexistence dun secteur bancaire solide ayant la possibilit de favoriser

    laccs aux marchs financiers internationaux de matires premires. Il nen reste pourtant pas moins que, dans un contexte de prix baissiers et fortement instables, cette stratgie se doit dtre envisage.

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    Bibliographie:

    Jgourel Y. (2015a), Les mutations du march des matires premires-partie 2 : quel rle pour les entreprises de ngoce international ? , Policy Brief, 15/05, OCP Policy Center.

    Jgourel Y. (2015b), Matires premires et politiques dintgration aval: les enjeux dune stratgie complexe , Policy Brief, 15/15, OCP Policy Center.

    Williamson 0. (1971), The vertical integration of production: market failure considerations , May 61, pp. 11223.

    Williamson O. (1981), The economics of organization, the transaction cost approach , American Journal of Sociology, 87(3), pp. 548-577.

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    About OCP Policy Center

    LOCP Policy Center est un think tank marocain qui a pour mission la promotion du partage de connaissances et la contribution une rflexion enrichie sur les questions conomiques et les relations internationales. A travers une perspective du Sud sur les questions critiques et les grands enjeux stratgiques rgionaux et mondiaux auxquels sont confronts les pays en dveloppement et mergents, lOCP Policy Center offre une relle valeur ajoute et vise contribuer significativement la prise de dcision stratgique travers ses quatre programmes de recherche: Agriculture, Environnement et Scurit Alimentaire, conomie et Dveloppement Social, Economies des matires premires et Finance, Gopolitique et Relations Internationales.

    A propos de lauteur, Yves Jgourel

    Dr Yves Jgourel is associate professor in finance at the Universi-ty of Bordeaux (France), affiliate professor at Toulouse Business School and a Senior Fellow at OCP Policy Center. Y. Jgourel conducts research in commodity economics and financial risk management. His most recent research examines the link between the volatility of the futures market, exchange rate uncertainty and the export of cereals. He is also the head of a master program fo-cused on banking, finance and international trading both at the University of Bordeaux and at Vietnam National University (Ha-noi, Vietnam).

    Dr. Jgourel has authored several books in the field of finance, including a work studying financial derivatives. He holds a BA from Middlesex University and a MsC and a PhD from the Uni-versity of Bordeaux, and is a former auditor with the Institute of Higher National Defence Studies (IHEDN).

    OCP Policy CenterRyad Business Center South, 4th Floor Mahaj Erryad - Rabat, MoroccoWebsite: www.ocppc.maEmail : [email protected] : +212 5 37 27 08 60 / Fax : +212 5 22 92 50 72

    Les opinions exprimes dans cette publication sont celles de lauteur.