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Politique africaine au miroir du roman: A Propos d'une lecture du Pleurer-Rire Author(s): Laurent Monnier Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 22, No. 2 (1988), pp. 301-309 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/485908 . Accessed: 12/06/2014 13:31 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.76.48 on Thu, 12 Jun 2014 13:31:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Politique africaine au miroir du roman: A Propos d'une lecture du Pleurer-Rire

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Politique africaine au miroir du roman: A Propos d'une lecture du Pleurer-RireAuthor(s): Laurent MonnierSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol.22, No. 2 (1988), pp. 301-309Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/485908 .

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Politique africaine au miroir du roman: A Propos d'une lecture du Pleurer-Rire

Laurent Monnier

Parce qu'en verite, toute civilisation est une rencontre syncritique de deux mondes au moins, barbares l'un pour l'autre, barbares l'un et I'autre. Et cela

produit de toute evidence un nouveau barbare si controverse en lui-meme que c'est forcement un etre tragique, fatal, parce qu'habite par deux morts, celles de deux mondes qui l'ont enfante (Tchicaya U Tam'Si I980, 8).

Bien que les creativitis negres se soient de maniere assez globale rendues, comme c'est souvent le cas chez les captifs, elles ont conserv4 ce qui chez l'etre humain est irriductible: la foi psycho-dramatique en l'existence, si vous voulez, la conscience d'etre. C'est ainsi qu'on a la curieuse impression que l'Africain se joue la comidie a vie. Cette comidie peut etre dramatique, tra-

gique ou comique. Le petit c6te spectacle de l'existence, comment voulez-vous que j'appelle la chose autrement? Et c'est bien sur ce petit c6te spectacle que nous 4pinglons notre etre. Notre etre tout entier, nous y inserons nos folies, nos espoirs, notre vision du monde. La vision du monde est avant tout metaphysique. L'espoir aussi. Toute idle de beau est mitaphysique. Et je ne sais si l'itranger qui nous voit miler de la mime maniere que la vie les mile rire, douleur, serieux, profondeur et surface, nous prend vraiment au serieux, surtout que nous le faisons sans logique apparente (Sony Labou Tansi 1983, 24).

Zeze Kalonji a propos6 r6cemment une lecture, exemplaire A plus d'un 6gard, du Pleurer-Rire. Entre le critique et le romancier y est instaur6 un dia- logue se d&roulant dans un contexte de connivence qui le fonde. Connivence r6gionale africaine '(d'ordre geo-linguistique), car elle implique non seule- ment l'6crivain et le critique, mais aussi avec eux tous les lecteurs r6els ou potentiels du Congo et des contrees environnantes qui, comme Lopes et Kalonji, savent de quoi ils parlent et comment on parle soit "le gros frangais" et le "petit negre," mais avant tout le lingala. Lopes lui-meme s'en explique:

... j'ai voulu trouver le ton qu'emploie le peuple lorsqu'il parle de sa vie quotidi- enne aujourd'hui en Afrique, et c'est ce ton-la que j'ai essay6 d'imiter.... Le Pleurer-Rire, qu'est-ce que ga veut dire? C'est presque du petit negre. C'est le

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frangais creolise avec la saveur que nos peuples savent y mettre. Et c'est la maniere de dire du peuple que j'ai essaye d'imiter. Le peuple, lorsqu'il se trouve dans des conditions difficiles dans nos pays, pr6fere utiliser l'humour ... L'humour ... C'est une philosophie que je tire de la culture de nos peuples. Toute la tradition orale, les contes jusqu'a "Radio-trottoir" en passant par le

chant, en est 6maill6e (Saivre 1982a, 121-122).

Kalonji transpose dans le langage des sciences sociales des fragments du texte de Lopes. Sa lecture temoigne de l'effort n6cessaire pour dire dans le

langage des sciences humaines une combinaison particulibre de relations entre des hommes et des femmes. Kalonji, "critique" mais aussi "compere," l'a saisie dans le roman, oui elle se dessine trbs naturellement au fil du recit. C'est cependant ia une v6ritable traduction que le critique doit proceder pour rendre accessible A tous des jeux de langues perceptibles par les seuls enfants du "pays." C'est en identifiant les noms des principaux personnages du roman comme "noms-programmes" que Kalonji pourra construire l'espace relationnel du systhme politique de la "dictature militaire." Ainsi par exem-

ple, le nom du Pr6sident: "Hannibal Ideloy Bwakamab6 na Sakkad6, fils de

Ngakoro, fils de Foulema, fils de Kirewa, dit Tonton, constitue un v6ritable

enonce-programme." Il s'agit li, nous dit Kalonji, "d'un syntagme verbal

compos6 issu du lingala...." Bwakamab6, c'est "seme le mal." Ce travail d'identification est etendu de la sorte A tous les personnages principaux du roman. Cette premiere hypothese de la lecture exemplaire de Kalonji suggere une approche "typologique" et "fonctionnelle" d'un genre assez par- ticulier.

Le "lire autrement" de Kalonji aurait alors valeur de manifeste. Si

j'accentue la dimension politique de sa lecture, c'est bien entendu parce qu'elle conforte mon impression que le roman africain, par la libert6 de

repr6sentation des discours qu'autorise la fiction, est le lieu oii se perqoivent le mieux actuellement les 616ments d'une theorie africaine de la politique en

Afrique. Les romanciers africains ne seraient-ils pas ces nouveaux penseurs de

l'Afrique moderne dont a r6cemment parl6 MacGaffey (1981, 261)? Rafael Pividal (1984, 33), bivalent romancier et sociologue, ne se propose-t-il pas "de montrer que d'une certaine fagon la litterature est science et qu'inversement la science est litt&rature dans le sens un peu pejoratif du terme? "

Des lors, les inqui6tudes de Mudimbe, livr6es en "coda" a son L'odeur du pere, quant A la liquidation de cette facilite que serait la "totalisation du sujet," pourraient etre apais6es, meme sans revolution. Cette "autre compr6hension de ce qu' '"tre autre' ou '^tre soi-meme' signifie en v6rit6; et naturellement, de ce que 'pourrait' alors etre une nouvelle pratique

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scientifique sur 1' 'un' et 'ses autres' " trouverait sa reponse dans la fiction, comme il l'a d'ailleurs lui-meme magistralement 6tabli avec L'Ecart

(Mudimbe 1982, 203 et 1979).

La distanciation: pluralisme et mise en scene La remise en cause du narrateur omniscient dans Le Pleurer-Rire serait-elle bien une caracteristique de la pensee africaine contemporaine telle qu'elle s'exprime dans le roman? R6pondant a Denyse de Saivre (1982b, I i8), Tchi-

caya disait bien des principaux personnages de son romanLes Meduses qu'ils s'6taient imposes a lui:

Quant a Luambu, on ne sait pas d'ou il vient. J'ai diu maintenir cette obscurite sur son pass6 parce qu'il le cache, et s'il le cache, je ne vais pas le d6voiler. J'essaie de le pousser dans ses derniers retranchements pour qu'il dise qui il est.

I1 ne le dit pas.... Tous ces personnages ont impose ' mon ecriture leur destin

personnel. Je n'ai pas fabriqu6 ces etres. Ce sont des etres de chair et de sang qui m'apportent leur histoire.

Dans L'Ecart de Mudimbe, on retrouve cette distanciation entre l'auteur et son personnage principal Ahmed Nara, dont il ne fait d'ailleurs que pub- lier le journal, precede d'un avertissement que l'on ferait bien de prendre a la lettre.

Th. Mpoyi-Bwatu (1983, 11 9) a analyse la solitude du personnage cr66 par Mudimbe:

La solitude de Nara n'est comprehensible que si on la situe dans les conditions historiques oui elle s'6cl6t. Et l'un des r6v61ateurs de ces conditions historiques est justement la politique. Nara a d6cret6 une fois pour toutes qu'il la haissait.... Nara rejette le monde ext6rieur et subordonne l'univers environnant a ses interrogations ... Si la chronologie s'embrouille, si les episodes de sa vie apparaissent dans le desordre ... c'est que la vraie structure de sa conscience est ailleurs. Elle est de l'ordre du desir.

Mais alors, Th. Mpoyi-Bwatu semble renoncer a la distanciation et au prin- cipe dialogique sur lequel il avait pourtant fonda sa lecture:

... dans L'Ecart, le "je" ruse avec ses masques. Dans cet ordre d'id6es, Mudimbe est, avec quelques autres jeunes auteurs africains, l'un de ceux qui tentent de renouveler la technique de narration dans le roman africain. Le point de vue auquel on se place pour raconter un r6cit recouvre toute son importance. R6fl6chir sur le point de vue, c'est poser les conditions de surgissement de la subjectivit6: on fait assumer A celui qui raconte la responsabilit6 de ses percep- tions ainsi que les jugements qu'il est amen6 a porter sur celles-ci. Le point de vue, c'est une prise de parole situde dans la conscience du personnage. Le per- sonnage est en proces (Mpoyi-Bwatu 1983).

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Pourquoi le personnage devrait-il ktre en proces? Le "moi" du Mudimbe de l'avertissement se distancie du "je" du journal de Nara. Le narrateur y manifeste l'impassibilite d'un editeur, et non l'indiff6rence. Et c'est son vieil ami Salim, qui lui a remis le journal, qui lui suggere la citation de Cioran ("que Nara fr6quentait avec ferveur"), avec laquelle il ponctue son avertisse- ment:

Lorsque la solitude s'accentue au point de constituer non pas tellement notre donnee que notre unique foi, nous cessons d'etre solidaires avec le tout: h&r6tiques de l'existence, nous sommes bannis de la communaute des vivants, dont la seule vertu est d'attendre, haletants, quelque chose qui ne soit pas la mort (Mudimbe 1979, 15).

Des lors, l'6chec de Nara, qui serait celui de "l'intellectuel" africain selon Mpoyi-Bwatu, et par extension de Mudimbe, procade d'un amalgame oub- lieux de la structure dialogique du roman. L'echec de Nara, son "refus du politique," trahit en effet "le refus de l'insertion dans le social." Mais Nara en est mort. Son existence a ete singuliere, nous dit d'ailleurs Mudimbe. Cette mort pourrait par ailleurs ktre mise en parallkle avec le coma de Luambu dansLes Meduses: "Avant de sombrer dans le coma, il entendit une voix sur laquelle il ne pouvait y avoir de doute. C'6tait la voix de Julienne qui disait: 'Avec la vie en face des yeux, personne ne perd la face.... Aime- la' " (Tchicaya U Tam'Si 1982, 265).

Enfin, chez Sony Labou Tansi, dans L'Etat honteux, la distanciation est 6galement marqu6e par un avertissement qui prend l'allure d'une preface a une 6tude de science politique engagee:

Le roman est parait-il une oeuvre d'imagination. Ii faut pourtant que cette imagination trouve sa place quelque part dans quelque realit6. J'6cris, ou je crie, un peu pour forcer le monde a venir au monde. Je n'aurai done jamais votre honte d'appeler les choses par leur nom.... L'Etat honteux, c'est le resume en quelques "maux" de la situation honteuse oh l'humanit6 s'est engagee (Sony Labou Tansi 1981, 5).

C'est sur le mode ludique que Lopes explique le dialogisme (Todorov 1984a, 163):

La vie est extremement complexe et nuancee. On se rend malheureux et sur- tout agagant a trop la caricaturer, A n'y voir qu'un certain aspect, A sch6matiser les autres dans les rapports qu'ils ont avec nous. La confrontation des points de vue correspond simplement au desir de l'6crivain de respecter les nuances et les contradictions d'oui surgit la vie.

Ainsi, dans le Pleurer-Rire, a c6t6 du narra-

teur, il y a ce personnage qui fait lui-meme partie du recit et qui en sort afin de donner son point de vue sur le manuscrit au fur et A mesure que celui-ci

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s'e1abore. I y a la un petit jeu auquel je me suis amuse, et qui se poursuit du d6but a la fin du roman.... Dans le Pleurer-Rire, le jeu consiste a maintenir une

ambiguite permanente entre la realite et l'imaginaire (Saivre 1982, 120).

Kalonji tire les consequences de cette disparition du narrateur omniscient:

Lopes livre ainsi un double subjectivisme, une double 6nonciation pour le meme recit. Il en resulte une intertextualit6 qui emprunte a la fois au modele romanesque ses modalit6s et au discours historique ses m6thodes et sa rigueur. La structure dialogique du roman s'6labore sous un double aspect: echange entre personnages d'un c6t6, et entretien entre le narrateur du recit et son cri- tique de l'autre (Kalonji 1984, 32-33).

Le pouvoir et le contre-pouvoir dans "Le Pleurer-Rire" Partant de l'hypothbse que "tous les personnages principaux ... semblent programm6s en fonction du projet qui les porte," Kalonji (1984, 3 ) suggere que "le remplissage semantique de ce projet commence par le processus de d6nomination des personnages." Il convient de suivre le critique lorsqu'il s'interroge sur la cause d'un tel programme. Bwakamabe "Same le mal!" est une forme imp6rative. "Bwakamabe n'est qu'un instrument executant et qui obtemphre" (Kalonji 1984, 35). La cause est fournie par le recit pour la periode anterieure a la fonction. Kalonji regroupe les 61ements de la biogra- phie de Bwakamabe en 3 volets: "fils de paysan attache aux croyances ances- trales, etudes limit6es, arm6e coloniale (tortionnaire en Indochine et en Algerie)" dont le dernier semble etre le pr6pond&rant.

Il apparait que Kalonji, en introduisant une idee de causalite, etablit un determinisme A un niveau de generalit6 que le recit, par sa forme meme, ne donne guere comme tel. On comprend alors ce que le discours sociologisant pourrait avoir de reducteur. Il est a la fois en deCq et au-dela du recit, c'est-A- dire que le recit en lui-meme est plus riche en virtualites que ce que laisse sugg6rer cette forme d'explication. De plus, celle-ci pourrait preter A confu- sion, car elle isole le "type" dans ses attributs, alors que c'est la mise en scene du personnage "social," "Bwakamab6 le dictateur," avec tous les autres personnages dans un espace social donn6 qui est porteur de sens. La mise en schne, rappelons-le, implique des jeux de forme et de style que seul le r6cit peut rendre comme significatifs. En ce qui concerne l'expression "obscurantisme paysan" - une des causes de la fonction selon Kalonji - on pourrait meme avoir de serieux doutes sur sa pertinence telle qu'elle est formul6e ("Tres attache aux traditions, il consulte regulierement ses "clair- voyants" et tient de son h6ritage ancestral son intolerabilit6 et ses ven- geances hom6riques" (Kalonji 1984, 35)).

La probl6matique fiction / science sociale est A nouveau en cause dans la mesure ohi Kalonji (1984, 42) suggere des fonctions (des types), des r6les

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("L'ensemble des fonctions se tisse dans un jeu de relations, de corr1lations et d'oppositions qui font l'unit6 du recit") restreignant ainsi le recit, pour des raisons analytiques, ia un espace intermediaire. II quitte l'espace du

roman, la vie, en direction de la science sociale (les concepts), pour s'arriter a mi-chemin au theatre (les r6les, la vie mise en scene). Suggererait-on ainsi la possibilit6 d'une certaine interchangeabili6 des individus, les r1les demeurant quant eux permanents? Mais le resum6 de contenu

n'implique-t-il pas n6cessairement une perte de substance, donc de sens?

I1 est interessant a ce point de considerer la position de Lopes sur le rap- port r6alite-imaginaire, telle qu'il l'a exprimee en reponse a une question de

Denyse de Saivre (I982a, 1z21)relative aux cl6s des personnages:

Si par hasard il advenait qu'un historien, plusieurs ann6es apres ma disparition, s'int6resse a cet ouvrage, il pourrait 6tablir une comparaison entre des

personnalit6s r6elles et celui que j'appelle Tonton. Mais il s'apercevrait alors

que j'ai 6t6 un chroniqueur infidele, que j'ai forc6 les traits de celui-ci, que j'ai adouci ceux de celui-la, que j'ai attribu6 les caracteres d'un seul homme a plusieurs, bref que j'ai transform6 la v6rit6. Mais on brouille les pistes en tant

que romancier. La satisfaction du romancier, c'est de cr6er des personnages typiques. J'entendrais par typique des personnages que l'on finit par prendre en

compte parmi les personnages africains de l'6poque oui nous vivons.

En rapprochant la demarche de Kalonji des &claircissements fournis par Lopes, on constate que l'approche dialogique de Kalonji, le dialogue avec

l'oeuvre, lui permet de mettre en evidence un aspect qui ne ressort pas immediatement du roman: le problkme de la causalite.

Dans le cadre de son analyse des noms-programmes, Kalonji 1labore les coules paradigmatiques Bwakamab6 / Pol6pole (l'ancien president civil

dechu) et leurs tribus respectives Libotama (famille de naissance en lingala) et

Djakissini ("les mesquins," soit la roture). Cependant, l'opposition s6mantique entre "Libotama" / famille de nais-

sance et "Djakissini" / la roture depasse la simple bipolarisation conflictuelle entre tribus g6ographiquement et culturellement 1loign6es. Cette opposition fait 6clater les clivages entre tribus et balayer les frontieres Est / Ouest pour connoter la confiscation du pouvoir par un petit clan de famille mi^ en classe

dirigeante au d6triment de tout le peuple consid6re comme roturier, ignorant et

dangereux (Kalonji 1984, 41).

Et Kalonji (1984, 40) de se reffrer A d'autres passages du roman de Lopes pour 'tayer son hypoth?se:

La notion de "tribu" apparait comme une perversion s6mantique extensive qui sert de paravent contre les tentatives de prise de pouvoir qui viendraient en dehors du cartel a la tate du pays. Et c'est a cette sch6matisation paresseuse et

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commode que l'Occident ramene toujours et pernicieusement tout conflit poli- tique en Afrique.

Et Kalonji de citer le passage oui Lopes (1982, 84) ironise sur la manidre dont le quotidien francais Le Monde relatait la prise du pouvoir:

Ii expliquait le coup d'Etat par 1'ethnologie, et divisait le pays en trois zones et autant de tribus principales. Notre histoire, selon lui et si j'ai bonne m6moire, n'6tait depuis l'ind6pendance qu'un affrontement entre ces trois groupes et la victoire de Bwakamab6 Na Sakkade n'en constituait qu'un episode.

Kalonji (1984, 40) construit en fait une probl6matique oui la "tribalite strategique" sert le cartel au pouvoir qui s'oppose a "la foule roturiere ind6finie et non r6ductible en tribus, a qui on refuse toute participation a la vie publique."

La partie la plus originale de la lecture de Kalonji, c'est bien 6videmment celle qui traite de la situation de diglossie, dans la mesure oui elle concerne directement le pouvoir dans sa praxis textuelle. En effet, il s'agit li de la representation concrete des "malentendus" que peuvent susciter les interf6rences entre cultures, en l'occurrence l'usage des termes "pouvoir" et "litassa" qui ne se recoupent que partiellement. La thdse de Kalonji est la suivante: "I1 resulte de la non superposition integrale des aires semantiques de ces deux termes, une source d'ignorance et de confusion" (Kalonji 1984, 48).

Pour Kalonji, le roman serait "l'accomplissement fidele de la litassa,"l alors que Lopes n'utilise le terme qu'a deux occasions, pour rendre compte de la nuit d'investiture et de la neutralisation des conjures lors du complot dejou6 contre le dictateur. "I1 avait suffi que le Chef regarde bien dans les yeux un des conjur6s et wah! la litassa avait agi" (Lopes 1982, 158).

Comme Lopes n'utilise partout ailleurs que le terme "pouvoir," Kalonji en d6duit en quelque sorte la permanence d'un "malentendu absolu entre les acteurs sociaux." Pour une partie de la population, dont Bwakamab6 lui- meme (le premier monde), il y aurait une "conviction profonde ... que le chef exerce la litassa, tout au moins la possede." Pour les autres (intellectuels, etc.), il s'agirait d'excentricit6s, non conformes A la d6mocratie. Or Kalonji estime qu'il y aurait "comme une tricherie" dans le roman a substituer le terme 6triqu6 "pouvoir" a celui de litassa. C'est aussi par r6ffrence a la litassa que le chef se sentirait investi "d'une veritable puissance paternelle" ("Tous les citoyens sont mes enfants").

Le critique ne serait-il pas ici prisonnier d'un desir de taxinomie propre a l'approche des sciences sociales? Car si conceptuellement personne ne con- teste le recours a la m6taphore des deux mondes, il n'en demeure pas moins

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que la force du Pleurer-Rire est precis6ment de montrer comment ils s'imbriquent dans ce monde-ci cet "etre tragique" dont parle Tchicaya U Tam'Si. L'espace du texte est bien celui d'un monde unique "habit6 par deux morts." Une multitude de petits d6tails dans le roman rendent sensibles ce "syncr6tisme" au sein duquel finalement tous les acteurs trouvent des accommodements, car ils n'ont pas le choix.

Enfin, le dernier apport de la lecture de "connivence" de Kalonji a trait a radio-trottoir auquel il attribue le statut de discours rapport6 "traversant de part en part" le recit. Identifi6 A la masse ind6finie de Moundie, quartier populaire de la capitale, apparaissant parfois comme le prolongement de la tradition orale, radio-trottoir c'est la rumeur en g6neral qui, dans le contexte d'interdiction de toute opposition politique, se pr6sente comme un "organe officiellement officieux" dont les fonctions sont analys6es par Kalonji avec les memes proc6d6s que ceux utilis6s pour les personnages du roman.

Parmi ces fonctions, il faudrait retenir celle de la contre-information, celle de r6tablir la v6rite travestie par la propagande officielle, et celle de fournir des informations tenues secretes, parce que genantes ou meme sca- breuses pour le dictateur. "Radio-trottoir exerce surtout une fonction psychoth6rapeutique qui permet a son public '6metteur-auditeur' de se

d61ecter des faiblesses et des 6normites de leurs gouvernants" (Kalonji 1984, 45). C'est par radio-trottoir que circulent toutes les histoires du couple pr6sidentiel et qu'est mis en evidence le r6le d6terminant jou6 par la pr6sidente Ma Mireille. Enfin, radio-trottoir est producteur de mythes alimentes et propag6s "par des fantasmes collectifs et des croyances popu- laires" (comme par exemple la mort "messianique" du capitaine Yabaka devant le peloton d'ex6cution, dont le nom-programme 6tabli par Kalonji s'6nonce "Le h6ros mythique dont on se souvient").

C'est alors que Kalonji s'interroge sur radio-trottoir (paroles du peuple?), comme lieu possible de surgissement d'un "contre-pouvoir," pour en quelque sorte disqualifier cette hypothese. En effet, non seulement radio- trottoir "a int6rioris6 le discours colonial ... car sa critique est profond6ment et psychologiquement marquee d'ethnologisme occidental" (Kalonji 1984, 44) (et Lopes semble lui donner un statut homologue A celui du Canard enchain6: "Gavroche aujourd'hui," dans Le Pleurer-Rire), mais encore l'ideologie qu'elle v6hicule n'est nullement revolutionnaire; par exemple, elle ne se d6marque nullement du phallocratisme ambiant. Elle peut meme servir le pouvoir, car elle admire aussi le dictateur, et se complait A fabuler sur ses "vertus surhumaines."

Kalonji conclut que radio-trottoir est le haut-lieu de l'amalgame. Elle a la conscience lourdement charg6e; elle a dig6r6 l'ali6nation et interioris6 ses modalit6s: n6grophobie, religion, croyances diverses, fetiches, 6cole y tour- nent en kaleidoscope vertigineux. Elle n'est pas d6positaire, elle est d6p6t: interpell6e, elle r6percute" (Kalonji 1984, 47).

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Note I. "Le mot litassa renferme plus de sens que le mot franqais pouvoir. C'est A la fois

le pouvoir de commandement, l'intelligence pour dominer les autres et la puissance aussi bien physique du taureau qu'extra-terrestre. Ainsi est-il possible d'agir grace A ces moyens auxquels les Oncles ne veulent pas croire et qui vous mettent a l'abri de l'ennemi. Qui a requ la litassa communique sans interm6diaire avec les ancktres. II lira dans toutes les consciences comme dans l'eau de la fontaine. Nulle femme ne lui r6sistera. II pourra marcher sur l'onde et voler par-dessus les montagnes. Il sera r6sistant A la morsure du serpent. Les balles changeront de chemin A l'approche de sa poitrine" (Lopes 1982, 47).

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