Pouchkine - Contes

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Contes

Alexandre Pouchkine

( )

1799 1837CONTES

()

1835

Traduction de E. Vivier-Kousnetzoff, Paris, R. Kieffer, 1925.

TABLE

3Conte du Tzar Saltane et de la belle princesse Cygne

Conte de la princesse morte et des sept chevaliers27Conte du pope et de son serviteur Balda40Conte du pcheur et du petit poisson46Conte du coq dor52

Conte du Tzar Saltane et de la belle princesse Cygne

Trois jeunes filles, leur fentre, filaient un soir, tardivement.

Si jtais Tzarine, dit lune, moi seule je prparerais un festin pour le monde entier.

Si jtais Tzarine, dit sa sur, moi seule je tisserais une toile fine pour le monde entier.

Si jtais Tzarine, dit la troisime sur, jenfanterais un Bogatyr pour notre pre le Tzar.

peine eut-elle le temps de prononcer ces mots que la porte grina doucement sur ses gonds et que dans la chambre entra le Tzar, souverain de la contre. Il stait tenu cach, durant toute la conversation, derrire le mur. En tout, les paroles de la dernire lui avaient plu.

Bonjour, belle jeune fille! dit-il. Sois Tzarine, enfante un Bogatyr pour moi, la fin de septembre. Et vous, chres surs, sortez de la chambre. Partez ma suite et celle de votre sur. Que lune soit filandire et lautre cuisinire.

Le Tzar sortit dans lantichambre. En hte, tous partirent vers le palais. Le Tzar, sans longs prparatifs, se maria le soir mme.

Le Tzar Saltane et la jeune Tzarine prsidrent au festin dhonneur, puis les invits mirent les jeunes poux sur un lit divoire et les laissrent seuls.

La cuisinire rage dans sa cuisine. La filandire pleure devant son mtier. Toutes deux jalousent la femme du souverain.

La jeune Tzarine, selon sa promesse, conut cette nuit mme.

* * *On tait en guerre en ce temps-l. Le Tzar Saltane dit adieu sa femme; montant sur son bon cheval, il lui enjoignit de bien se garder par fidlit damour.

Cependant quau loin il combat longuement et prement, le temps approche de laccouchement. Dieu leur donne un fils, long dune aune. Comme une aigle sur son aiglon, la Tzarine veille sur son fils. Elle envoie au Tzar un messager portant une lettre annonant la grande joie.

Mais la filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, veulent perdre la Tzarine. Elles ordonnent darrter le messager. Elles en envoient un autre, portant ceci, mot pour mot:

Cette nuit, la Tzarine ne mit au monde ni un fils, ni une fille, ni une souris, ni une grenouille, mais un petit animal inconnu.

Quand le Tzar entendit ce que lui rapportait le messager, dans sa colre il vit rouge et voulut le faire pendre; mais sadoucissant pour cette fois, il lui donna lordre suivant:

Que lon attende le retour du Tzar pour dcider lgalement de laffaire.

Le messager part avec la lettre. Il arrive enfin; mais la filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, ordonnent de le dpouiller. On le fait boire jusqu ce quil tombe ivre-mort et dans sa giberne on glisse une autre lettre.

Ce jour-l, le messager ivre apporte lordre suivant:

Le Tzar ordonne ses boars de jeter dans labme des eaux, en secret et sans perdre de temps, la Tzarine et son enfant.

Il ny avait pas hsiter. Les boars, aprs stre affligs sur le sort de lempereur et de la jeune Tzarine, entrrent en foule dans sa chambre. Ils proclamrent la volont du Tzar, quel mauvais destin la frappait, elle et son fils, et lurent lordre haute voix. Et lon mit aussitt la Tzarine et son fils dans un tonneau que lon goudronna, que lon roula et que lon jeta dans lOcan.

Ainsi lordonna le Tzar Saltane.

* * *Les toiles scintillent au ciel bleu. Les vagues se jouent sur la mer bleue. Un nuage glisse dans le ciel. Le tonneau flotte sur la mer.

Telle une veuve inconsolable, la Tzarine pleure et se dbat.

Cependant lenfant grandit, non de jour en jour, mais dheure en heure.

Un jour passe. La Tzarine se lamente. Lenfant presse la vague:

Vague, ma vague! tu es libre et vagabonde, tu dferles ton gr. Tu aiguises les pierres de la mer, tu inondes les rivages, tu soulves les vaisseaux. Nabandonne pas nos mes, jette-nous sur la terre ferme.

La vague obit aussitt. Elle poussa le tonneau vers une grve et se retira doucement.

La mre et son petit sont sauvs. Elle sent la terre sous elle. Mais qui les sortira du tonneau? Dieu les dlaissera-t-il?

Lenfant se dresse sur ses petits pieds. Il appuie la tte contre le fond. Il pousse de toutes ses forces.

Comment, dit-il, percer ici une fentre sur le dehors? Il dfonce le tonneau et sort.

La mre et le fils sont maintenant en libert. Ils voient une colline slever au milieu dune vaste prairie, la mer bleue est lentour et sur la colline pousse un chne au vert feuillage.

Le fils pense, toutefois, quun bon dner leur serait ncessaire. Il casse une branche du chne et la plie en un arc rigide. Il prend le cordon de soie de sa croix baptismale, la tend sur larc de chne, cueille une mince baguette, la taille en flchette lgre, et sen va chercher du gibier, au bord du vallon, prs de la mer.

peine sest-il approch de la mer quil peroit comme une plainte... Sans doute la mer est-elle agite? Il regarde... Mauvaise affaire! Un cygne se dbat parmi les crtes des vagues. Un vautour plane au-dessus de lui. Le malheureux frappe leau de ses ailes, la trouble, la fait bouillonner. Le vautour a dj sorti ses griffes, il a tendu son bec sanglant...

ce moment une flche chante et se fiche au cou du vautour. Dans la mer le sang se rpand.

Le Tzarvitch baisse son arc et regarde. Dans la mer, le vautour senfonce. Il se plaint dun cri, qui nest pas dun vautour. ses cts nage le cygne. Il hte coups de bec sa mort toute proche. Il le frappe de laile. Dans la mer, il le noie.

En langue russe, il dit ensuite au Tzarvitch:

Tzarvitch, mon sauveur, mon puissant librateur, ne te chagrine pas si, par ma faute, tu restes trois jours sans manger; si, par ma faute, la flche sest perdue dans la mer. Cest un malheur et ce nen est pas un. Plus tard je te rcompenserai, je te rendrai service.

Ce nest pas un cygne que tu as dlivr, cest une jeune vierge que tu as laisse parmi les vivants. Ce nest pas un vautour que tu as tu, cest un magicien que tu as mis mort. Jamais je ne toublierai. Tu me trouveras partout. Et maintenant va, ne te chagrine pas et couche-toi.

Le cygne senvole. Le Tzarvitch et la Tzarine, aprs avoir pass tout le jour jeun, se dcident se coucher ainsi.

Voici que le Tzarvitch ouvre les yeux et chasse les rves de la nuit. merveill, il voit devant lui une grande ville. Par del de blanches murailles aux crneaux rapprochs, brillent les coupoles des glises et des saints monastres.

Il rveille bien vite la Tzarine. Celle-ci sexclame:

Aurais-je devin? dit-il. Je crois que cest mon cygne qui se divertit.

La mre et le fils se dirigent vers la ville. peine ont-ils franchi lenceinte que slve de tous cts un carillon tourdissant La foule se porte en masse au-devant deux. Le chur chante lglise les louanges de Dieu. En carrosses dors, une cour somptueuse vint leur rencontre. Tous leur rendent grand honneur. Ils couronnent le Tzarvitch dun chapeau de prince. Ils le proclament souverain. Au sein de sa capitale, du consentement de la Tzarine, ds ce jour il rgne sous le nom de prince Gvidone.

* * *Le vent se joue sur la mer et pousse le navire. Toutes voiles dehors, il slance dans les flots. Les navigateurs tonns se runissent sur le pont.

Sur lle bien connue, ils voient une merveille: une ville nouvelle aux coupoles dores, un fort avec une puissante muraille. Au fort, les canons tonnent, ordonnant au navire daccoster. Les marchands abordent la muraille. Le prince Gvidone les invite chez lui. Il leur donne manger, boire, et leur ordonne de rpondre ses questions:

De quoi trafiquez-vous, marchands? et o vous dirigez-vous maintenant?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru la mer en entier. Nous avons fait le commerce des zibelines et des renards noirs. Lheure est maintenant venue pour nous de nous en retourner droit vers lOrient, par le large de lle de Bouane, dans lempire de lillustre Tzar Saltane.

Le prince leur dit alors:

Bon voyage, messires, par les mers et par les ocans, jusque chez lillustre Tzar Saltane. Saluez-le de ma part.

Les marchands se remettent en route. Du rivage, le prince Gvidone, tout mlancolique, les regarde sloigner.

Voici que tout coup, sur les eaux mouvantes, un cygne blanc apparat.

Bonjour, mon beau prince, dit-il. Pourquoi es-tu silencieux comme un jour de malheur? De quoi te chagrines-tu?

Et tristement le prince lui rpond:

Un chagrin amer me ronge, il a bris ma force. Je voudrais voir mon pre.

Cest ce qui te tourmente? rplique le cygne au prince. Eh bien, coute. Veux-tu tenvoler par-dessus la mer la suite du navire? Sois donc, prince, un moustique.

Et il bat des ailes, fait jaillir leau avec bruit, en clabousse le prince des pieds la tte. Celui-ci se rapetisse aussitt jusqu ne plus tre quun point, il se transforme en moustique et senvole en susurrant. Il rattrape le navire en mer et sy pose lgrement.

* * *Le vent souffle joyeusement. Le navire file gaiement, au large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Et dj lon aperoit au loin la contre dsire.

Les marchands descendent terre. Le Tzar Saltane les invite chez lui. leur suite, notre audacieux pntre dans le palais.

Tout resplendissant dor, la couronne sur la tte et une pense mlancolique sur le visage, le Tzar Saltane est assis sur son trne.

La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, sont assises auprs du Tzar et le regardent dans les yeux. Le Tzar fait asseoir les marchands sa table et leur demande:

Et vous, messires les marchands, avez-vous voyag longtemps? Fait-il bon vivre par del les mers, ou non? Et quelle merveille y a-t-il de par le monde?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Il fait assez bon vivre par del les mers. Et voici quelle merveille il y a de par le monde: Il y avait en mer une le abrupte, inhospitalire, inhabite. Elle stendait en plaine dserte. Un seul chne croissait sur elle. Et maintenant on y voit une ville nouvelle, avec un palais, des glises aux coupoles dores, des palais et des jardins. Le prince Gvidone y rgne. Il tenvoie son salut.

Le Tzar Saltane, merveill, murmure:

Si je vis encore, jirai vers lle merveilleuse et rendrai visite Gvidone.

Mais la filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, ne veulent pas le laisser aller visiter lle merveilleuse.

Peuh! quelle raret, vraiment! dit la cuisinire, en clignant malicieusement de lil aux deux autres. Une ville slve au bord de la mer! Savez-vous, voici qui nest pas une bagatelle: Un sapin se dresse dans une fort. Au-dessous, un cureuil apprivois chantonne. Il casse des noisettes avec ses dents, non des noisettes ordinaires, mais des noisettes dor et dont les amandes sont de pures meraudes. Voil ce quon appelle une merveille!

Le Tzar Saltane stonne du prodige. Le moustique rage, rage... Il se pose sur lil droit de sa tante et la pique. La cuisinire plit, svanouit et devient borgne. Les serviteurs, la vieille mre et la sur, grands cris, cherchent saisir le moustique.

Maudite bestiole! sors-tu?... Mais lui, par la fentre, senvole tout tranquillement dans son apanage par del les mers.

* * *Le prince marche nouveau le long de la mer. Il ne dtache pas les yeux de la mer bleue. Voici que sur les eaux mouvantes apparat le cygne blanc.

Bonjour, mon beau prince, lui dit-il. Pourquoi es-tu silencieux comme un jour de malheur? De quoi te chagrines-tu?

Et le prince Gvidone de rpondre:

Un chagrin amer me ronge. Je voudrais possder une merveille tonnante. Quelque part dans une fort se dresse un sapin. Sous lui est un cureuil, une merveille vraiment, et non une bagatelle! Cet cureuil chantonne. Il casse des noisettes avec ses dents, non des noisettes ordinaires, mais des noisettes coques dor et dont les amandes sont de pures meraudes. Mais peut-tre nest-ce quun mensonge.

Le cygne rpond au prince:

Ce que lon conte de lcureuil est vrai. Je connais cette merveille. Allons, mon prince, ma chre me, ne te chagrine pas. Je suis heureux de pouvoir te rendre ce service en gage damiti.

Lme rconforte, le prince rentre chez lui. peine sest-il avanc dans la vaste cour quil aperoit, sous un haut sapin, un cureuil qui, devant tous, casse de ses dents une noisette dor, en retire lmeraude, ramasse les coques, les range en petits tas rguliers et chante en sifflotant:

Est-ce dans un jardin ou dans un potager...

Le prince Gvidone stonne.

Merci, murmure-t-il. Eh! quel cureuil! Dieu lui donne, ainsi qu moi, de la gaiet au cur!

Par la suite, le prince fit construire pour lcureuil une maison de cristal, mit une garde lentour, et chargea un secrtaire de tenir un compte exact des noisettes.

Grand profit pour le prince, tout honneur pour lcureuil.

* * *Le vent se joue sur la mer et pousse le navire. Toutes voiles dehors, il slance dans les flots, au large de lle abrupte, au large de la grande ville. Au port, les canons tonnent, ordonnant au navire daccoster. Les marchands abordent la muraille. Le prince Gvidone les invite chez lui. Il leur donne manger, boire, et leur ordonne de rpondre ses questions:

De quoi trafiquez-vous, marchands? et o vous dirigez-vous maintenant?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Nous avons fait le commerce des chevaux, uniquement des poulains du Don. Lheure est maintenant venue pour nous de nous en retourner par le large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Devant nous stend une longue route!

Le prince leur dit alors:

Bon voyage, messires, par les mers et par les ocans, jusque chez lillustre Tzar Saltane. Et dites-lui que le prince Gvidone lui envoie son salut.

Les marchands quittrent le prince, sortirent, et reprirent leur voyage.

Le prince se dirige vers la mer. Sur les vagues, dj, le cygne se joue.

Mon me est attire, elle est emporte, dit le prince.

Et de nouveau, en un instant, il lclabousse tout entier. Le prince se transforme en mouche. Il senvole et, sur le navire, entre le ciel et la mer, il se pose. Il se blottit dans une fente.

* * *Le vent souffle joyeusement. Le navire file gaiement, au large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Et dj lon aperoit au loin la contre dsire.

Les marchands descendent terre. Le Tzar Saltane les invite chez lui. leur suite, notre audacieux pntre dans le palais. Tout resplendissant dor, la couronne sur la tte, et une pense mlancolique sur le visage, le Tzar Saltane est assis sur son trne.

La filandire et Babarikla, ainsi que la cuisinire, sont assises auprs du Tzar et semblent de mchants crapauds.

Le Tzar fait asseoir les marchands sa table et leur demande:

Et vous, messires les marchands, avez-vous voyag longtemps? Fait-il bon vivre par del les mers, ou non? Et quelle merveille y a-t-il de par le monde?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Il fait assez bon vivre par del les mers. Et voici quelle merveille il y a de par le monde. Une le stend sur la mer, une ville se dresse sur cette le, avec des glises aux Coupoles dores, des palais et des jardins. Un sapin crot devant le palais. Sous lui srige une maison de cristal. L, vit un cureuil apprivois. Quel espigle! Il chantonne. Il casse des noisettes avec ses dents, non des noisettes ordinaires, mais des noisettes coques dor et dont les amandes sont de pures meraudes. Des serviteurs veillent sur lcureuil, le servent de toutes faons. Un secrtaire de chancellerie lui est prpos, avec lordre de tenir un compte exact des noisettes. Larme rend les honneurs lcureuil. Les coques sont coules en pices de monnaie que lon met en circulation par tout lunivers. Des jeunes filles mettent les meraudes en lieu sr dans des celliers. Tous sont riches dans cette le. Plus disbas, mais partout des palais. Le prince Gvidone y rgne. Il tenvoie son salut.

Le Tzar Saltane stonne du prodige.

Si je vis encore, dit-il, jirai voir lle merveilleuse et rendrai visite Gvidone.

Mais la filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, ne veulent pas le laisser aller visiter lle merveilleuse.

Sesclaffant sous cape, la filandire dit au Tzar:

Quy a-t-il de merveilleux l dedans? Voyons! un cureuil grignote de petites pierres, jette de lor et amoncelle des meraudes. Il faut plus que cela pour nous tonner. Que ceci soit vrai ou faux, il est au monde une autre merveille: La mer se soulve houleuse, bouillonne, hurle, dferle sur une grve dserte, se brise dans sa course fougueuse, et apparaissent sur la grve, tout couverts dcailles, tincelants comme le feu, trente-trois bogatyrs, tous jeunes, beaux, vaillants, gigantesques, dune stature identique. Leur gouverneur Tchernomore est avec eux. Cest une vraie merveille, on peut le dire en toute justice.

Sages, les marchands se taisent; ils ne veulent pas discuter avec elle.

Le Tzar Saltane smerveille. Gvidone rage, rage... Il bourdonne et se pose sur lil gauche de sa tante, et la filandire blmit.

Aie! et aussitt elle devient borgne. Tous clament:

Attrape! attrape! crase-la! crase-la!... Attends un peu, attends...

Mais le prince, par la fentre, senvole tout tranquillement dans son apanage, par del les mers.

Le prince marche le long de la mer bleue. Il ne dtache pas les yeux de la mer bleue.

Voici que sur les eaux mouvantes apparat le cygne blanc.

Bonjour, mon beau prince, lui dit-il. Pourquoi es-tu silencieux comme un jour de malheur? De quoi te chagrines-tu?

Et le prince Gvidone de rpondre:

Un chagrin amer me ronge, je voudrais avoir dans mon apanage une merveille tonnante.

Et quelle est cette merveille?

O lOcan se soulve houleux, hurle, dferle sur une grve dserte, se brise dans sa course fougueuse, apparaissent sur la grve, tout couverts dcailles, tincelants comme le feu, trente-trois bogatyrs, tous jeunes, beaux, vaillants, gigantesques, dune stature identique. Leur gouverneur Tchernomore est avec eux.

Cest ce qui te tourmente? rplique le cygne au prince. Ne te chagrine pas, mon me. Je connais cette merveille. Ces chevaliers de la mer, mais ce sont mes propres frres. Ne tattriste pas. Va, attends leur visite.

* * *Oubliant son chagrin, le prince sen alla, sassit sur le haut dune tour et se mit contempler la mer. Tout coup, la mer se soulve houleuse, se brise dans sa course fougueuse et laisse sur la grve trente-trois bogatyrs, tout couverts dcailles, tincelants comme le feu. Ils savancent deux par deux. Tchernomore aux cheveux dun gris dargent marche en avant et les mne vers la ville.

Le prince Gvidone descend prcipitamment de la tour, il marche la rencontre de ses chers invits. Le peuple accourt en hte. Tchernomore dit au prince:

Le Cygne nous envoie vers toi et nous donne lordre exprs de veiller sur ton illustre ville et de monter la garde lentour. Tous les jours, dsormais, sous tes hautes murailles, nous sortirons ensemble de londe marine. Ainsi nous nous reverrons bientt. Il est temps pour nous de nous en retourner dans la mer. Lair de la terre nous est lourd.

Tous se retirrent ensuite chez eux.

* * *Le vent se joue sur la mer et pousse le navire. Toutes voiles dehors, il slance dans les flots, au large de lle abrupte, au large de la grande ville. Au port, les canons tonnent, ordonnant au navire daccoster.

Les marchands abordent la muraille. Le prince Gvidone les invite chez lui. Il leur donne manger, boire, et leur ordonne de rpondre ses questions:

De quoi trafiquez-vous, marchands? Et o vous dirigez-vous maintenant?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Nous avons fait le commerce de lacier de Damas, de largent pur et de lor. Lheure est maintenant venue pour nous de nous en retourner par le large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Devant nous stend une longue route!

Le prince leur dit alors:

Bon voyage, messires, par les mers et par les ocans, jusque chez lillustre Tzar Saltane, et dites-lui que le prince Gvidone lui envoie son salut.

Les marchands quittrent le prince, sortirent et reprirent leur voyage.

Le prince se dirige vers la mer. Sur les vagues, dj, le cygne se joue; le prince lui dit encore:

Mon me est attire, elle est emporte...

Encore en un clin dil, il lclabousse tout entier. Le prince aussitt devient petit, petit... Il se transforme en bourdon et, bourdonnant, senvole. Il rattrape le navire en mer, et se pose doucement sur sa poupe. Il se blottit dans une fente.

* * *Le vent souffle joyeusement. Le navire file gaiement, au large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Et dj lon aperoit au loin la contre dsire.

Les marchands descendent terre. Le Tzar Saltane les invite chez lui. leur suite, notre audacieux pntre dans le palais.

Tout resplendissant dor, la couronne sur la tte et une pense mlancolique sur le visage, le Tzar Saltane est assis sur son trne.

La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, sont assises auprs du Tzar et le regardent de tous leurs yeux.

Le Tzar fait asseoir les marchands sa table et leur demande:

Et vous, messires les marchands, avez-vous voyag longtemps? Fait-il bon vivre par del les mers, ou non? et quelle merveille y a-t-il de par le monde?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Il fait assez bon vivre par del les mers. Et voici quelle merveille il y a de par le monde: Une le stend sur la mer, une ville se dresse sur cette le et tous les jours il sy passe ce prodige: la mer se soulve houleuse, bouillonne, hurle, dferle sur une grve dserte, se brise dans sa course fougueuse, et restent sur le rivage trente-trois bogatyrs, tout couverts dcailles, tincelants comme le feu, tous jeunes, beaux, vaillants, gigantesques, dune stature identique. Leur vieux gouverneur Tchernomore sort avec eux de la mer, il les fait avancer deux par deux, pour veiller sur lle et monter la garde lentour. Il nest pas de garde plus sre, ni plus courageuse, ni plus vigilante. Le prince Gvidone rgne l-bas. Il tenvoie son salut.

Le Tzar stonne du prodige.

Si je vis encore, dit-il, jirai voir lle merveilleuse et rendrai visite Gvidone.

La cuisinire et la filandire ne soufflent mot.

Mais Babarikla sesclaffe:

Qui nous tonnera avec a? dit-elle. Des hommes sortent de la mer. Ils errent en montant la garde! Que ce soit vrai ou faux, je ne vois l rien dextraordinaire. De ces merveilles le monde est plein! En toute vrit, voici ce que lon raconte: Il est, par del les mers, une princesse si belle que lon ne peut en dtacher les yeux. Le jour, elle clipse la lumire de Dieu. La nuit, elle claire la terre. Un croissant de lune brille sous sa tresse. Une toile resplendit sur son front. Elle-mme savance, majestueuse; sa dmarche est celle dune paonne. Ses paroles coulent comme le murmure dun ruisseau. On peut dire en toute justice que cest l une vraie merveille.

Sages, les marchands se taisent; ils ne veulent pas discuter avec la vieille femme. Le Tzar Saltane smerveille. Le Tsarvitch, malgr sa colre, a piti des yeux de sa vieille grandmre.

Il tourne en bourdonnant autour delle, se pose droit sur son nez, et le pique; une cloque surgit sur le nez.

Et de nouveau lalarme jete:

Au secours, au nom de Dieu! la garde! Attrape, Attrape! crase-le, crase-le... Attends un peu, attends!...

Mais le bourdon, par la fentre, senvole tout tranquillement dans son apanage par del les mers.

Le prince marche le long de la mer bleue. Il ne dtache pas les yeux de la mer bleue.

Voici que sur les eaux mouvantes apparat le cygne blanc.

Bonjour, mon beau prince, lui dit-il. Pourquoi es-tu silencieux comme un jour de malheur? De quoi te chagrines-tu?

Et le prince Gvidone de rpondre:

Un chagrin amer me ronge. Tous les hommes sont maris. Je vois que moi seul je ne le suis pas.

Et qui dsires-tu?

Il y a, dit-on, de par le monde, une princesse si belle que lon ne peut en dtacher les yeux. Le jour, elle clipse la lumire de Dieu. La nuit, elle claire la terre. Un croissant de lune brille sous sa tresse. Une toile resplendit sur son front. Elle-mme savance majestueuse, sa dmarche est celle dune paonne. Ses paroles coulent comme le murmure dun ruisseau. Mais quelle est la vrit?

Le prince attend la rponse avec anxit. Le cygne blanc se tait. Il rflchit et dit:

Oui! Il est une telle jeune fille. Mais une femme nest pas un gant. On ne peut la secouer de sa blanche main, on ne la passe pas dans sa ceinture. Je te donnerai ce conseil: rflchis tout ceci de peur de te repentir ensuite.

Le prince lui jure quil est temps pour lui de se marier, quil a dj rflchi tout cela, et que, dun cur passionn, il est prt partir la recherche de la belle princesse jusque dans la vingt-septime contre.

Poussant un profond soupir, le cygne dit alors:

Pourquoi si loin? Sache que ta destine est proche. Car cette princesse, cest moi.

Puis il battit des ailes, senvola au-dessus des vagues et du haut des airs descendit dans les buissons. L, il secoua ses ailes et se transforma en princesse.

Un croissant de lune brille sous sa tresse. Une toile resplendit sur son front. Elle savance majestueuse. Sa dmarche est celle dune paonne. Ses paroles coulent comme le murmure dun ruisseau.

Le prince embrasse la princesse, il la serre sur sa blanche poitrine. Bien vite il la mne auprs de sa mre. Il se jette ses pieds et limplore:

ma mre! Pour moi, jai choisi une femme; pour toi, une fille obissante. Nous te prions tous deux de nous donner ton consentement et ta bndiction. Bnis tes enfants, quils vivent dans lunion et dans lamour.

Sur leurs ttes soumises, la mre tient une icne miraculeuse. Elle pleure et leur dit:

Dieu vous rcompensera, mes enfants!

Sans faire de longs prparatifs, le prince pousa la princesse; et ils se mirent vivre au fil des jours dans lattente dun enfant.

* * *Le vent se joue sur la mer, et pousse le navire. Toutes voiles dehors, il slance dans les flots, au large de lle abrupte au large de la grande ville. Au port, les canons tonnent, ordonnant au navire daccoster.

Les marchands abordent la muraille. Le prince Gvidone les invite. Il leur donne manger, boire, et leur ordonne de rpondre ses questions:

De quoi trafiquez-vous, marchands? Et o vous dirigez-vous maintenant?

Les navigateurs de rpondre:

Nous avons parcouru le monde entier. Nous nous en retournons chez nous, vers lOrient, par le large de lle de Bouane, dans lempire de lillustre Saltane. Devant nous stend une longue route.

Le prince leur dit alors:

Bon voyage, messires, par les mers et par les ocans, jusque chez lillustre Tzar Saltane. Et rappelez votre empereur quil a promis de venir me rendre visite. Jusqu prsent il nest pas encore venu. Je lui envoie mon salut.

Les navigateurs reprirent leur voyage. Cette fois, le prince Gvidone resta chez lui, il ne quitta pas sa femme.

* * *Le vent souffle joyeusement. Le navire file gaiement, au large de lle de Bouane, vers lempire de lillustre Saltane. Et dj lon aperoit au loin la contre dsire.

Les marchands descendent terre. Le Tzar Saltane les invite chez lui.

Dans son palais, le Tzar trne, la couronne sur la tte. La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla sont assises auprs du Tzar et regardent de tous leurs yeux.

Le Tzar fait asseoir les marchands sa table et leur demande:

Et vous, messires les marchands, avez-vous voyag longtemps? Fait-il bon vivre par del les mers, ou non? et quelle merveille y a-t-il de par le monde?

Les navigateurs de rpondre:

Une le stend sur la mer, une ville se dresse sur cette le, avec des glises aux coupoles dores, des palais et des jardins. Un sapin crot devant le palais. Sous lui srige une maison de cristal. L, vit un cureuil apprivois. Quel espigle! Il chantonne. Il casse des noisettes avec ses dents, non des noisettes ordinaires, mais des noisettes coques dor et dont les amandes sont de pures meraudes. On chrit lcureuil, on le dorlote. Il est l-bas encore une autre merveille. La mer se soulve houleuse, bouillonne, hurle, dferle sur une grve dserte, se brise dans sa course fougueuse, et apparaissent sur la grve, tout couverts dcailles, tincelants comme le feu, trente-trois bogatyrs, tous jeunes, beaux, vaillants, gigantesques, dune stature identique. Leur gouverneur Tchernomore est avec eux. Il nest pas de garde plus sre, ni plus courageuse, ni plus vigilante. Le prince a une femme si belle que lon ne peut en dtacher les yeux. Le jour, elle clipse la lumire de Dieu. La nuit, elle claire la terre. Un croissant de lune brille sous sa tresse. Une toile resplendit sur son front. Le prince Gvidone gouverne cette ville. Tous le louent hautement. Il tenvoie son salut. Il te reproche davoir promis de venir le voir et de ne pas lavoir fait encore.

Le Tzar ny peut plus tenir. Il ordonne darmer une flotte.

La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, ne veulent pas le laisser aller visiter lle merveilleuse. Mais Saltane ne les coute pas. Il les fait taire.

Qui suis-je? Un Tzar ou un enfant? dit-il, et non pour plaisanter. Je partirai ce soir.

Puis il tapa des pieds et sortit en claquant des portes.

* * *Le prince Gvidone est assis la fentre. En silence il contemple la mer. Elle ne bruit ni ne dferle, elle tressaille peine. Dans les lointains azurs apparaissent des navires. Sur les plaines de lOcan glisse la flotte du Tzar Saltane. Le prince Gvidone sursaute alors, il scrie haute voix:

Ma mre! Ma jeune princesse! Regardez l-bas! Mon pre vient ici!

La flotte approche dj de lle. Le prince Gvidone prend sa lunette dapproche: le Tzar Saltane se tient sur le pont et le regarde avec une lunette. La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, sont avec lui; elles stonnent la vue de cette contre nouvelle.

Les canons tonnent lunisson. Les carillons sbranlent dans toutes les glises...

Gvidone lui-mme se rend au bord de la mer. Il y rencontre le Tzar, la filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla. Il les mne vers la ville sans mot dire.

* * *Tous se rendent maintenant au palais. la porte, des cuirasses tincellent. Devant le Tzar se tiennent trente-trois bogatyrs, tous jeunes, beaux, vaillants, gigantesques, dune stature identique. Leur gouverneur Tchernomore est avec eux.

Le Tzar savance dans la vaste cour. L, sous un haut sapin, un cureuil chantonne. De ses dents il casse une noisette dor, en retire lmeraude et la glisse dans un petit sac. Toute la vaste cour est parseme de coques dor.

Les invits approchent. Ils se htent de regarder. Et que voient-ils? Une merveilleuse princesse est devant eux. Une lune brille sous sa tresse. Une toile resplendit sur son front. Elle-mme savance, majestueuse; sa dmarche est celle dune paonne.

Elle mne sa belle-mre. Le Tzar regarde et reconnat... Son cur saute de joie!

Que vois-je? Quest-ce? Comment? et son souffle se suspend.

Le Tzar clate en sanglots. Il serre dans ses bras la Tzarine, son fils et la jeune femme.

Tous prennent place table et un joyeux festin commence.

La filandire et la cuisinire, ainsi que la vieille mre Babarikla, se cachrent dans les coins. grand-peine on les y trouva.

Alors, elles avourent toute la vrit, saccusrent, se mirent sangloter. Vu la grande joie, le Tzar les laissa toutes trois sen retourner chez elles.

Le jour prit fin. On coucha le Tzar Saltane demi saoul.

Jy tais. Je bus lhydromel et la bire, mais je ne fis quy tremper mes moustaches.

Conte de la princesse morte et des sept chevaliers

Le tzar a quitt la tzarine. Il sest quip pour la route. Seule, restant assise la fentre, la tzarine lattend. Elle attend, et attend, du matin la nuit. Si longuement elle contemple la plaine, de laube blanche jusquau soir, que de regarder ainsi les yeux lui font mal.

Elle ne voit pas son ami cher! Elle voit seulement la neige qui tourbillonne, la neige qui saccumule sur la plaine, la terre toute blanche.

Neuf mois se passent. Elle ne quitte pas des yeux la plaine. Et voici que la nuit mme de Nol, Dieu donne une fille la tzarine.

Le matin, de trs bonne heure, lhte jour et nuit dsir, si longuement attendu, le tzar, le pre, arrive enfin. Elle le regarde, pousse un soupir profond, ne peut supporter son ravissement et meurt lheure de la messe.

Longtemps le tzar fut inconsolable. Mais que faire? Lui aussi connaissait le pch.

Un an passa comme un songe creux, le tzar en pousa une autre.

vrai dire, la tzarine tait une fort belle femme, grande, lance, blanche, intelligente, trs doue, mais dautre part, orgueilleuse, hautaine, capricieuse et jalouse.

Elle avait reu pour dot un petit miroir. Ce petit miroir avait la proprit de parler. Avec lui seul, elle tait gaie, de bonne humeur. Avec lui seul elle plaisantait, et se composant le visage:

Miroir, ma lumire! lui disait-elle, reflte-moi bien la vrit. Suis-je au monde la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes?

Et le miroir de rpondre:

Sans conteste, tzarine, tu es la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes.

Et la tzarine se mettait rire, hausser les paules, cligner des yeux, claquer des doigts, se cambrer, les mains sur les hanches, en se contemplant orgueilleusement dans le miroir.

* * *Cependant, la jeune princesse spanouissait en silence. Elle grandissait, grandissait... elle slanait comme une fleur, trs blanche de visage, aux sourcils noirs, de caractre trs doux.

Il se trouva pour elle un fianc, le prince lyse. Lambassadeur arriva. Le tzar donna sa parole. La dot, dj prte, tait de sept villes marchandes et de cent quarante palais.

La tzarine se prpare la veille des noces. Devant son miroir, elle lui parle:

Suis-je, dis-moi, la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes?

Quelle ne fut la rponse du miroir!

Tu es belle, sans conteste, mais la princesse est la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes.

La tzarine de sursauter, de lever la main sur le miroir, de le frapper, de taper du pied.

Ah! maudite glace! tu mens pour me mettre en rage. Comment pourrait-elle rivaliser avec moi? Je la materai! Ah! cest ainsi quelle devint en grandissant! Quoi dtonnant ce quelle soit si blanche; lorsque sa mre la portait en son sein, elle restait toujours assise regarder la neige! Mais dis-moi. Comment peut-elle me surpasser en tout? Allons, avoue que je suis la plus belle des femmes. Tu peux parcourir notre empire, le monde entier, mme, tu nen trouveras pas de pareille moi, nest-ce pas?

Mais le miroir de rpondre:

Toutefois la princesse est plus belle, plus blanche et plus rose que toi.

Que faire? Remplie dune jalousie noire, elle jette le miroir sous un banc, fait venir sa fille de chambre, la Noiraude, et lui ordonne demmener la princesse tout au fin fond des bois, de la lier vivante au tronc dun sapin et de labandonner la merci des loups.

Le diable viendrait-il bout dune femme en colre?

Il ny avait pas discuter. La Noiraude partit dans la fort avec la princesse et la mena si loin que celle-ci devina. Mourant de peur, elle se mit implorer la servante.

Ma vie! dis-moi, en quoi suis-je coupable? Ne me perds pas, jeune fille! Quand je serai tzarine, je te rcompenserai.

La Noiraude, qui du fond du cur aimait la princesse, ne la tua pas, ne la ligota pas, mais la laissa partir en disant:

Ne te chagrine pas. Que Dieu te garde!

Elle revint la maison.

Eh bien! lui demanda la tzarine. Quas-tu fait de cette jeune beaut?

Elle se tient seule, l-bas, dans la fort, rpondit la servante, ses cordes sont fortement lies; ainsi, quand elle tombera dans les griffes dun fauve, elle aura moins souffrir et mourra plus facilement.

* * *Partout la renomme clame: La fille du tzar a disparu!

Le pauvre tzar se lamente.

Le prince lyse, ayant ardemment pri Dieu, se met en route aprs sa belle me, aprs sa jeune fiance.

* * *Cependant la jeune fiance, ayant, jusqu laube, err dans la fort, marchait toujours, lorsquelle se trouva soudain devant un manoir. Un chien courut sa rencontre en aboyant, puis il se tut et se mit jouer.

Elle franchit la porte. Dans la cour rgnait le silence. Le chien courait aprs elle en la caressant. La princesse, relevant sa robe, gravit le perron, prit et tourna lanneau.

La porte souvrit doucement. La princesse se trouva dans une chambre trs claire. Tout au long des murs, des bancs couverts de tapis. Sous les Icnes saintes, une table de chne, un pole revtu de carreaux de faence.

La jeune fille comprit que de bonnes gens habitaient l. Elle ny recevrait aucune offense. Cependant, ne voyant personne, la princesse parcourut toute la maison, mit tout en ordre, alluma les bougies devant les icnes, alluma le pole, monta dans la soupente et se coucha sans bruit.

Lheure approchait du souper. Un pitinement de chevaux se fit entendre dans la cour. Entrrent sept chevaliers, sept jeunes hommes, au teint fleuri, aux moustaches abondantes.

Quel prodige! sexclama lan. Tout est si propre et si beau! Pendant notre absence, quelquun, dans le manoir, a tout remis en ordre en attendant les htes. Qui est-ce donc? Sors et montre-toi, viens avec nous lier loyale amiti. Vieil homme, jamais tu nous seras un oncle; jeune homme au teint fleuri, notre frre dlection; vieille femme, nous tappellerons mre, respectueusement; jeune vierge, sois pour nous douce sur!

La princesse descendit vers eux, leur rendit honneur, les salua jusqu la ceinture, et, rougissant, sexcusa dtre venue chez eux sans avoir t invite.

Ils devinrent ses paroles quils avaient une princesse devant eux. Ils la firent asseoir dans le coin sous les saintes Icnes, apportrent un gteau, versrent un plein verre et la servirent sur un plateau.

Elle refusa la vodka, rompit seulement le gteau pour en manger un petit morceau et demanda quon la laisst se reposer de sa longue marche sur un lit.

Les chevaliers menrent la jeune fille en haut, dans une salle claire, et la laissrent seule, demi-somnolente.

* * *Rapidement passent jours aprs jours. La jeune fille, toujours, reste dans la fort. Elle ne sennuie pas chez les sept chevaliers.

Avant laube, sortent les frres, tous ensemble. Ils se promnent cheval, chassent le canard gris, exercent leur main droite en jetant bas de son cheval un Sarrasin, dans la prairie, en faisant voler loin de ses larges paules la tte dun Tatar, en chassant hors des bois un tcherkesse de Piatigorsk.

Cependant, elle demeure seule matresse du manoir. Elle ordonne et prpare les repas. Elle ne contredit pas les chevaliers. Ils ne la contredisent pas. Ainsi passent jours aprs jours.

Les frres se prirent damour pour la douce jeune fille. Une fois, ds quil fit jour, tous les sept entrrent dans sa chambre.

Ainsi parla lan:

Jeune fille, sais-tu que tous les sept nous taimons? Tu es pour nous tous une sur. Nous serions tous heureux de te prendre pour femme, mais cela ne se peut. Alors, au nom de Dieu, rconcilie-nous de quelque faon. Sois la femme de lun de nous. Sois une douce sur pour les autres. Pourquoi secoues-tu la tte? Nous refuserais-tu? La marchandise ne serait-elle pas pour les acheteurs?

mes braves jeunes gens, mes chers frres, leur dit la princesse, si je mens, Dieu fasse que je ne quitte pas vivante lendroit o je me trouve. Que faire? Je suis fiance. Vous tes tous gaux devant moi, tous vaillants, tous remplis dintelligence. Je vous aime tous de grande affection. Mais pour lternit, je suis donne un autre. Le prince lyse mest le plus cher.

Les frres se turent, et se grattant la nuque:

Une demande nest pas une faute; pardonne-nous, dit lan sinclinant. Sil en est ainsi, je nen parlerai plus.

Je ne me fche pas, dit-elle avec douceur, et mon refus nest pas une faute.

Les prtendants la salurent, se retirrent lentement et tous recommencrent vivre en paix.

Cependant, la cruelle tzarine, songeant la princesse, ne pouvait lui pardonner. Longtemps elle bouda son miroir; puis y pensant un jour, elle lalla qurir. Elle sassied devant lui. Elle oublie sa colre. Elle recommence se composer le visage et, toute souriante, lui dit:

Bonjour, mon petit miroir; dis-moi, et rapporte-moi bien toute la vrit: suis-je la plus charmante, la plus blanche et la plus rose du monde entier?

Et miroir de rpondre:

Tu es belle, sans conteste, mais parmi les chnes au vert feuillage, chez les sept chevaliers, vit obscurment celle qui, malgr tout, est plus belle que toi!

Tzarine de se jeter sur la Noiraude:

En quoi mas-tu trompe?

Lautre avoua. Ainsi et ainsi, cela stait pass.

La cruelle tzarine la menaa du bton, dcida de ne plus vivre ou de perdre la princesse.

* * *Un jour, la jeune princesse filait, assise la fentre, dans lattente de ses frres trs chers. Soudain, le chien hurla furieusement devant le perron. Elle aperut une nonne mendiante qui marchait dans la cour, essayant dcarter le chien avec sa bquille.

Attends, grandmre, attends, lui crie-t-elle par la fentre, je vais moi-mme gronder le chien et tapporter quelque chose.

ma petite, jeune fille! rpond la nonne, le maudit chien ma vaincue. Il ma dchire. Il me fera mourir. Regarde comme il se dmne, viens moi.

La princesse veut aller vers la mendiante. Elle a pris du pain pour le lui donner, mais peine descend-elle le perron que le chien se jette ses pieds, se roule en aboyant. Il ne la laisse pas approcher de la vieille. Celle-ci savance-t-elle, plus froce quune bte sauvage, il bondit. Quelle est cette extravagance?

Sans doute a-t-il mal dormi, dit la princesse; tiens, attrape!

Le pain vola. La petite vieille le saisit.

Merci, dit la vieille. Dieu te bnisse! Pour cela, tiens, attrape.

Une belle pomme, frache, dore, transparente, vole droit vers la princesse. Le chien bondit en hurlant. Des deux mains, la princesse saisit la pomme.

Mange cette pomme, ma toute belle, dit la petite vieille, cela chassera lennui. Merci pour le dner.

Puis de saluer et de disparatre.

* * *Avec la princesse, le chien monte le perron en courant. Il regarde anxieusement son visage. Il gronde de faon menaante comme si le cur lui faisait mal; comme sil voulait lui dire: Jette! Elle le caresse, le tapote de sa douce main.

Quas-tu, Sokolka? Que se passe-t-il donc? Couche!

Elle rentra doucement dans la chambre et dans lattente de ses htes, sassit son rouet prs de la fentre. Elle ne pouvait dtacher les yeux de la pomme. Celle-ci, pleine dune sve vivante, si frache, si parfume, si transparente, si dore, lui semblait gonfle de miel. Les ppins se voyaient au travers.

Elle voulut attendre jusquau dner, mais ne pouvant y tenir, elle prit la pomme; ses lvres vermeilles la porta, mordit doucement un petit morceau et lavala. Tout coup, la chre me, elle chancela, la respiration coupe, laissant tomber ses blanches mains, laissant rouler le fruit vermeil, elle svanouit et sabattit sous les icnes, la tte sous le banc, et demeura muette, immobile.

Cependant, les frres revenaient en bande dun hardi brigandage. Le chien se lance devant eux, hurlant, et les conduit vers la cour.

Mauvais prsage, murmurrent les frres, nous nchapperons pas au malheur!

Ils arrivrent au grand galop, entrrent, sexclamrent. Le chien courut se jeter sur la pomme en aboyant, lemporta, lavala, creva. Sans doute le fruit avait-il t nourri de poison.

Devant la princesse morte, les sept frres dsols baissrent la tte tristement.

Rcitant une prire sainte, ils la tirrent de sous le banc, lhabillrent, voulurent lenterrer, puis se ravisrent.

Comme sous laile du sommeil, elle tait tendue, si calme, si frache. On et dit seulement quelle ne respirait pas.

Ils attendirent trois jours, mais elle ne sveilla pas de son sommeil. Ayant accompli la crmonie funbre, ils mirent le corps de la princesse dans un cercueil de cristal et, tous ensemble, la portrent au creux dune montagne.

minuit, laide de chanes de fer, ils fixrent solidement le cercueil six piliers et lentourrent dune grille. Ils salurent jusqu terre leur sur morte et lan dit:

Dors dans ton cercueil. Ta beaut steignit tout coup sur la terre, victime de la haine; les cieux recevront ton me. Tu fus notre aime. Nous tavons garde pour laim. Nul te ta obtenue, si ce nest le cercueil.

* * *Ce mme jour, la cruelle tzarine, attendant la bonne nouvelle, prit en secret son miroir et posa la question:

Dis-moi, suis-je la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes?

Elle sentendit rpondre:

tzarine, tu es la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de la terre.

* * *Cependant, le prince lyse parcourt le monde la recherche de sa fiance. Il ne la trouve nulle part. Il pleure amrement. Sa question parat bizarre tous ceux quil interroge; les uns se moquent ouvertement de lui; les autres se dtournent bien vite.

Au beau soleil, enfin, sadressa le jeune homme.

Soleil, notre lumire! toi qui roules toute lanne dans le ciel, toi qui unis lhiver au printemps tide, tu nous vois tous au-dessous de toi. Refuseras-tu de me rpondre? Nas-tu pas vu quelque part sur la terre la jeune princesse? Je suis son fianc.

Ami trs cher, lui rpondit le beau soleil. Je nai pas vu la princesse. Sans doute nest-elle plus parmi les vivants, moins que le croissant de lune, ma voisine, ne lait rencontre quelque part ou nait remarqu sa trace.

Dans la dtresse, lyse attendit une nuit sombre. Ds que la lune apparut, il se mit sa poursuite, et la suppliant:

Croissant de lune, croissant de lune, de ma petite amie, corne dor! Tu te lves dans la nuit profonde avec ton visage rond, ton il clair. Les toiles te contemplent, elles aiment ton habitude. Refuseras-tu de me rpondre? Nas-tu pas vu quelque part dans le monde la jeune princesse? Je suis son fianc.

Mon petit frre, lui rpondit la lune claire, je nai pas vu la belle jeune fille. Je ne veille qu mon tour. La princesse est sans doute passe pendant mon absence.

Quel malheur! rpondit le jeune prince.

Attends! continua la lune claire, delle peut-tre le vent sait quelque chose. Il taidera. Va le trouver maintenant. Ne te chagrine pas. Adieu.

Esprant encore, lyse se jeta vers le vent et limplora:

Vent, vent! tu es puissant, tu chasses les troupeaux de nuages, tu troubles la mer bleue, tu souffles partout librement, tu ne crains personne que Dieu. Refuseras-tu de me rpondre? Quelque part dans le monde, nas-tu pas vu la jeune princesse? Je suis son fianc.

Attends, rpond le vent violent, l-bas, par del le cours tranquille du ruisseau, se dresse une haute montagne. Dans cette montagne se trouve une profonde caverne. Dans cette caverne, parmi la triste obscurit, se balance sur des chanes un cercueil de cristal entre des piliers. On ne distingue nulle trace autour de ce lieu dsert. Dans ce cercueil repose ta fiance!

Le vent senfuit au loin. Le prince se mit sangloter. Il sen alla vers le lieu dsert, contempler, ne ft-ce quune fois encore, sa douce fiance.

Il va. Devant lui se dresse une haute montagne. Alentour stend une contre dserte. Au pied souvre un passage obscur. Il entre htivement. Dans les tristes tnbres, un cercueil de cristal se balance. Dans le cercueil de cristal, la princesse dort dun sommeil de mort.

Contre le cercueil de sa fiance, il slana de toute sa force. Soudain le cercueil se brise, la vierge renat la vie. Elle regarde avec des yeux tonns. Se balanant sur les chanes, elle soupire et murmure:

Comme jai longtemps dormi!

Elle sort du cercueil. Tous deux clatent en sanglots. Il la saisit en ses bras et de lobscurit la porte vers la lumire.

Devisant gaiement, ils prennent le chemin du retour. Dj proclame la renomme que la fille du tzar est vivante!

* * *Cependant, la cruelle tzarine se trouvait inoccupe chez elle. Assise devant son miroir, elle lui disait:

Suis-je la plus charmante, la plus blanche et la plus rose de toutes?

Et dentendre cette rponse:

Tu es belle, sans conteste, mais la princesse est plus charmante, plus blanche et plus rose que toi.

Et la martre de sursauter, de briser le miroir contre terre, de se jeter droit la porte. Elle rencontre la princesse. Alors sempara delle un amer chagrin. La tzarine mourut.

Ds quon leut mise en terre, on clbra le mariage dlyse avec sa fiance, et depuis la naissance du monde, nul navait vu pareil festin.

Jy tais. Je bus lhydromel et la bire, mais je ne fis quy tremper mes moustaches.

Conte du pope et de son serviteur Balda

Il tait un pope, pope de peu de cervelle. Ce pope se rendait au march, pour acheter diffrentes choses.

Il rencontra Balda; allant o? Balda ne le savait lui-mme.

Pourquoi, pope, dit-il, ttre lev de si bonne heure? Que cherches-tu?

Et le pope de rpondre:

Je cherche un serviteur, qui, tout la fois cuisinier, cocher et charpentier, ne soit pas trop cher. O trouver pareil serviteur?

Balda de rpliquer:

Je te servirai bien, avec zle et trs exactement, pour trois chiquenaudes par an te donner sur le front. Quant la nourriture, sers-moi de lpeautre cuite.

Le pope de rflchir, de se gratter le front. Cest quil y a chiquenaude et chiquenaude... Mais Russe, il dcide de sen remettre au hasard.

Bien, dit le pope Balda, nous ny perdrons ni lun ni lautre. Viens vivre dans ma maison, montre ton zle et ton habilet.

Balda vit dans la maison du pope. Il dort sur la paille, mange pour quatre, travaille pour sept. Ds avant laube, tout entre en danse. Il attelle le cheval. Il laboure le champ. Il allume le pole, fait toutes les provisions et sil cuit un uf, lpluche en mme temps.

La femme du pope de se louer de Balda. La fille du pope de se soucier de Balda. Le fils du pope de lappeler Petit pre. Balda prend soin de lenfant, il prpare sa bouillie. Seul, le pope naime pas Balda, jamais il ne lui adresse de paroles amicales.

Souvent, il pense lchance. Le temps passe; lheure en est proche. Le pope ne mange, ni ne boit, ni ne dort des nuits et des nuits. lavance son front tressaille.

Et davouer tout sa femme:

Il en est ainsi... et ainsi... Que reste-t-il faire?

En ruses de toutes sortes, les femmes ont lesprit inventif, fertile.

Pour carter de nous cette calamit, je connais un moyen, dit la femme du pope. Ordonne Balda quelque travail quil ne puisse accomplir. Exige que point par point il lexcute. Tu mettras ton front labri du chtiment et tu laisseras Balda sans paiement.

Au cur du pope revint la gaiet. Avec aplomb, il regarde Balda et voici quil lui crie:

Eh l! viens ici, Balda, mon fidle serviteur. coute, les diables ont promis de me payer un tribut jusqu lheure de ma mort. Je naurais pas besoin de meilleur revenu, mais ils ont aprs eux trois ans darrrages. Ds que tu seras rassasi dpeautre, va lever tribut complet tous les diables.

Sans vainement discuter avec le pope, Balda de sen aller et de sasseoir au bord de la mer. L, il prit une corde et, trempant le bout dans la mer, la fit tourner entre ses doigts.

Voici que de la mer sortit un vieux diable.

Pourquoi te fourres-tu chez nous, Balda?

Eh bien, je veux rider la mer avec cette corde et faire se tordre votre race maudite.

Du vieux diable, alors, sempara la mlancolie.

Dis-moi, pourquoi pareille disgrce?

Comment! pourquoi? Vous ne payez pas le tribut. Vous oubliez les dlais assigns. Je me divertirai tout lheure de faon qui vous gnera fort, chiens que vous tes.

Mon cher petit Balda, attends, avant que de rider la mer. Tu recevras bientt un tribut complet. Attends, je vais tenvoyer mon petit-fils.

Il me sera facile de tromper celui-l, se dit Balda.

Le diablotin envoy sortit de leau et, comme un jeune chat affam, il se mit miauler.

Bonjour, Balda, mon petit moujik. Quel tribut te faut-il? Nous navons jamais entendu parler de tribut. Pareils ennuis nont encore frapp les diables. Mais daccord pour le tribut; cette condition, cependant, et de notre consentement commun, pour qu lavenir personne nait sujet de se plaindre: que celui de nous qui le plus vite fera le tour de la mer, lve un tribut complet. Pendant ce temps, l-bas on prparera le sac.

Malicieusement, Balda se prit rire:

Quas-tu donc imagin? Comment pourrais-tu te mesurer moi? moi, Balda lui-mme! Quel adversaire me fut envoy! Attends un peu mon petit frre!

Balda se rendit au bois le plus proche. Il attrapa deux lapins quil fourra dans un sac, puis sen retourna vers la mer et retrouva le diablotin.

Balda tenant par les oreilles lun des lapins:

Danse un peu au son de notre balalaka! Toi, diablotin, tu es encore trop jeune, trop faible pour te mesurer moi. Ce ne serait que temps perdu. Dpasse dabord mon petit frre. Un, deux, trois, rattrape-le!

Diablotin et lapin slancrent, le diablotin tout au long de la mer, le petit lapin vers son terrier, dans la fort.

Voici quayant parcouru tout le tour de la mer, le diablotin accourt, tirant la langue, levant son petit museau, tout essouffl, tout tremp, sessuyant avec ses pattes, croyant avoir vaincu Balda.

Mais, tiens! Balda caresse son petit frre!

Mon bien-aim petit frre! Tu es fatigu! Pauvre petit! repose-toi, mon chri!

Le diablotin resta muet. Serrant sa queue entre ses jambes, il se tint immobile et, lanant des regards sournois au petit frre:

Attends, dit-il, je cours chercher le tribut.

Il alla trouver son grand-pre et lui dit:

Malheur! le petit frre de Balda ma dpass la course.

Le vieux diable rflchit alors longuement; mais Balda fit un tel tintamarre que la mer entire en fut trouble, que les vagues se mirent danser. Le diablotin sortit.

Allons, assez, mon petit moujik! Nous allons tenvoyer tout le tribut. coute seulement. Vois-tu ce bton! Choisis nimporte quelle cible. Celui de nous qui jettera ce bton le plus loin emportera le tribut. Eh bien! As-tu peur de te disloquer le bras? Quattends-tu?

Jattends seulement que passe ce nuage, jy lancerai ton bton, et puis, avec vous, les diables, je commencerai la danse.

Le diablotin effray sen fut chez son grand-pre, conter la victoire de Balda. Balda de se remettre mener grand tapage la surface de la mer. Balda de menacer les diables de sa corde.

De nouveau, le diablotin sortit.

Pourquoi tagiter? Tu auras le tribut si tu veux...

Non, dit Balda. mon tour, maintenant. Jindiquerai moi-mme la condition. Mon petit ennemi, je vais te fixer une preuve. Voyons quelle est ta force. Vois-tu l-bas cette jument baie? Enlve-la donc et porte-la pendant une demi-verste. Si tu enlves la jument, le tribut te reviendra; si tu ne lenlves pas, il est moi.

Le malheureux diablotin se glissa sous la jument, se roidit, tendit toutes ses forces, la souleva, fit deux pas, et, de tout son long, stendit au troisime. Balba lui dit alors:

Sot petit diable que tu es! Quelles grimaces fais-tu derrire nous! Avec les mains tu nas pu lenlever! Eh bien, regarde, moi, je lenlve entre mes jambes.

Balda enfourcha la jument et parcourut une verste au grand galop, de telle sorte que la poussire slevait en colonnes. Effray, le diablotin sen fut trouver son grand-pre, lui conta une telle victoire. Il ny avait plus ruser. Les diables rassemblrent un tribut complet et chargrent le sac sur le dos de Balda.

* * *Balda savance haletant. Le pope, lapercevant, sursaute, se cache derrire sa femme, se tord de frayeur. Balda de le trouver l, de lui remettre le tribut, de rclamer son salaire. Le pauvre pope tendit le front.

la premire chiquenaude, au plafond le pope sauta; la seconde, le pope perdit lusage de la parole; la troisime, lesprit du vieillard dmnagea. Et dun ton de reproche, chacune des chiquenaudes, Balda rptait:

Pope! Pope! tu naurais pas d, toi, courir aprs de si bas prix!

Conte du pcheur et du petit poisson

Vivaient un vieux et sa vieille, tout au bord de la mer bleue. Vivaient dans une chaumire depuis trente et trois ans couls.

Il pchait en ses filets, elle filait sa quenouille. Il lana, certain beau jour, son filet loin dans la mer. Son filet ne revint que charg de vase.

Une autre fois encore il lana loin son filet, et le filet revint charg des algues marines. Une troisime fois il lana loin son filet, et le filet revint avec un petit poisson dor, qui dune voix trs humaine se mit supplier le pcheur.

toi, bon vieux, laisse-moi men retourner dans la mer. Je te donnerai ranon belle, pour me racheter. De moi tu peux obtenir tout ce que ds lors tu dsires.

Le vieillard stonna, seffraya. Depuis trente et trois ans couls quil pchait, il navait ou dire quun poisson parlt. Le poisson dor il relcha avec des paroles amnes.

Dieu soit avec toi, petit poisson dor! De ta ranon je nai nul besoin. Retourne dans la mer bleue, en elle promne-toi, librement.

* * *Le vieux revint prs de la vieille et lui conta le grand prodige.

Jai pris aujourdhui, dit-il, un merveilleux poisson dor, qui parlait bien tout comme nous, demandant que je le laisse retourner dans la mer bleue; et moffrant bonne ranon: pour rachat il donnait que soient combls nos dsirs. Et je nai pas os lui demander ranon. Je lai tout simplement rejet dans la mer.

Se mit alors la vieille gronder:

Imbcile que tu es, grand bent qui ne sait pas tirer ranon du poisson dor! Au moins tu aurais d lui demander une auge, tant la ntre est casse.

Voici le vieux qui sen vient tout au bord de la mer bleue. Il voit que sur la mer bleue une houle sest leve, lgre, et fort il appelle le petit poisson dor, qui vers lui nage et demande:

Que veux-tu de moi, bon vieux?

Avec un profond salut, le vieux lui rpondit alors:

Ayez piti de moi, Monseigneur le poisson. La vieille ma grond, la vieille ne me laisse plus de repos; il lui faut une auge neuve, tant la ntre est casse.

Ne te chagrine pas, lui rpond le poisson. Va, et que Dieu te garde! Vous aurez lauge neuve.

Le vieux revint prs de la vieille. Elle a maintenant lauge neuve.

Se mit alors la vieille le gronder plus fort.

Imbcile que tu es, grand bent qui ne sut obtenir quune auge! Y a-t-il grand profit dans une auge? Retourne auprs du poisson dor, salue-le, puis demande une isba.

* * *Voici le vieux qui sen va tout au bord de la mer bleue. Il voit que sur la mer bleue le trouble des eaux grandit. haute voix, il appelle le petit poisson dor, qui vers lui nage et demande:

Que veux-tu de moi, bon vieux?

Avec un profond salut, le vieux alors lui rpondit:

Ayez piti de moi, Monseigneur le poisson. La vieille gronde plus encore, la vieille ne me laisse plus de repos, la vieille veut une isba.

Ne te chagrine pas, lui rpond le poisson. Va, et que Dieu te garde! Quil en soit donc ainsi, vous aurez une isba!

Le vieux sen va vers la chaumire, mais de la chaumire il ne reste plus trace: devant lui se dresse lisba, lisba avec une chambre, une chemine de brique blanchie la chaux, une porte de chne.

La vieille, assise la fentre, injurie tant quelle le peut.

Imbcile que tu es, grand bent qui ne sut obtenir quune isba! Retourne saluer le poisson dor. Je ne veux plus tre simple paysanne, je veux tre noble dame!

Voici le vieux qui sen va tout au bord de la mer bleue. Sur la mer bleue, le calme nest plus. haute voix il appelle le petit poisson dor, qui vers lui nage et demande:

Que veux-tu de moi, bon vieux?

Avec un profond salut, le vieux alors lui rpondit:

Ayez piti de moi, Monseigneur le poisson! La vieille est encore plus folle, la vieille ne me laisse plus de repos. Elle ne veut plus tre simple paysanne, elle veut tre noble dame.

Ne te chagrine pas, lui rpondit le poisson. Va, et que Dieu te garde!

Le vieux revint prs de la vieille. Et que voit-il! Un grand manoir, et, sur le perron, la vieille richement vtue dun manteau de zibeline. Sa tte est coiffe de brocart, des perles ornent son cou; aux doigts, des bagues en or; aux pieds, des bottes rouges. Devant elle se pressent des serviteurs diligents. Elle les bat, les tire par les cheveux.

Et le vieux dit la vieille:

Salut toi, grande dame. Sans doute, maintenant ton me est satisfaite?

Mais la vieille lui jette pour toute rponse des injures, et lenvoie servir lcurie.

* * *Passe une semaine, puis une autre. La vieille devient plus folle encore.

De nouveau vers le poisson dor elle envoie le vieux.

Retourne saluer le poisson dor. Je ne veux plus tre noble dame, je veux tre libre tzarine.

Le vieux seffraie et la supplie.

Tes-tu, vieille, bourre de jusquiame? Comme il sied aux tzarines, sais-tu marcher et parler? Tout ton empire se moquera de toi.

La vieille gronde plus encore et le frappe la joue.

Comment! oser, moujik, discuter avec moi, avec moi qui suis noble dame? Va-ten au bord de la mer. Sur lhonneur! si tu ne veux, on ty tranera de force!

Le vieux sen va vers la mer. Noire est devenue la mer bleue. haute voix il appelle le petit poisson dor, qui vers lui nage et demande:

Que veux-tu de moi, bon vieux?

Avec un profond salut, le vieux alors lui rpondit:

Ayez piti de moi, Monseigneur le poisson! La vieille est encore rvolte. Dj plus ne veut-elle tre noble dame, mais libre tzarine.

Ne te chagrine pas, lui rpond le poisson. Va, et que Dieu soit avec toi! La vieille sera tzarine.

Le vieux revint prs de la vieille. Et devant lui se dresse un palais imprial. La vieille, en tzarine, est assise la table. Des boars et des nobles la servent, lui versent des vins doutre-mer. Elle boit, elle mange des pains pics. Autour delle, se tient sa garde menaante, la hache sur lpaule. Voyant cela, le vieux spouvante. Il sincline jusqu terre et dit la vieille:

Salut, tzarine terrible! Sans doute, maintenant ton me est satisfaite?

Mais la vieille vers lui ne tourne pas mme son regard. Elle ordonne simplement quon le chasse de ses yeux.

Accourent nobles et boars et poussent le vieux par les paules, et le bousculent, et de leur hache les gardes le frappent la porte.

Et la foule de se moquer:

Bien fait pour toi, vieux manant! lavenir, souviens-toi quil ne faut pas sasseoir dans le traneau qui ne vous appartient pas.

* * *Passe une semaine, puis une autre. La vieille oublie toute raison. Elle envoie ses courtisans rechercher son mari. On retrouve le vieux, on lamne auprs delle.

Retourne, lui dit la vieille, saluer le petit poisson. Je ne veux plus tre libre tzarine, mais souveraine de la mer, vivre dans la mer-ocane, et je veux que le petit poisson me serve et quil fasse mes commissions.

Le vieux nose point contredire, il nose profrer une parole l contre.

Voici le vieux qui sen va tout au bord de la mer bleue. Il voit une noire tempte se jouer sur la mer bleue. Courroucs, les flots vont et viennent et hurlent. haute voix il appelle le petit poisson dor, qui vers lui nage et demande:

Que veux-tu de moi, bon vieux?

Avec un profond salut; le vieux alors rpondit:

Ayez piti de moi, Monseigneur le poisson! Que puis-je faire avec ma maudite vieille? Qui ne veut tre tzarine, mais souveraine de la mer, vivre dans la mer ocane. Elle veut que vous-mme la serviez et fassiez ses commissions.

Le petit poisson, sans rpondre, frappe leau de sa queue et senfonce dans les profondeurs de la mer. Le vieux longtemps reste au bord; il attend une rponse, et, nen recevant pas, le vieux revient prs de la vieille. Mais devant lui que voit-il? Sa chaumire, et sur le seuil, la vieille assise, et devant elle une auge brise.

Conte du coq dor

Dans le vingt-septime royaume, dans le trentime empire, vivait je ne sais o lillustre tzar Dodone.

Terrible, dans sa jeunesse, follement tmraire, sans trve, il avait caus grand dommage ses voisins. Mais, quand il devint trs vieux, il dsira la trve des armes et la vie paisible. Alors ses voisins tentrent dinquiter le vieux tzar et de lui porter grand mal.

Pour protger ses frontires des incursions ennemies, il entretint une nombreuse arme. Les chefs ne dormaient pas, mais ils narrivaient plus suffire. Sils veillaient au sud, lennemi venait dorient. Sils le repoussaient l, survenaient de la mer daudacieux pillards.

Le tzar Dodone pleurait de rage et perdait le sommeil. Peu lui souriait de vivre en perptuelle angoisse.

Voici quil se dcide demander secours et dpche un messager vers lastrologue, sage et eunuque, pour le trouver, le saluer de sa part.

Devant Dodone voici le sage. De son sac il tire un coq dor.

Perche-le, dit-il au tzar, sur la flche dune haute tour. Il te gardera fidlement. Si tout reste calme lentour, immobile il se tiendra. Mais que, de quelque ct, te menace une guerre ou lincursion dune horde, ou quelque malheur sans nom, mon coq dor aussitt de relever la crte, de se mettre chanter et de battre des ailes, en regardant lhorizon do vient le danger.

Le tzar remercia leunuque, et dans son ravissement il lui promit merveilles et montagnes dor.

Pour reconnatre un service tel, lui dit-il, jaccomplirai ta premire volont aussi pleinement que la mienne.

* * *De la flche dune haute tour, le coq dor surveillait les frontires du tzar; et ds que survenait la menace dun danger, le fidle gardien, sagitant comme au sortir du sommeil, battait des ailes, et regardant lhorizon do menaait le danger:

Kiri-kou-kou! criait-il.

Alors les voisins du tzar redeviennent pacifiques, nosent plus guerroyer, tant leur inflige dchecs le tzar Dodone.

* * *Une anne, puis une autre scoulent dans la paix. Le coq dor se tient immobile. Voici quun jour un bruit terrible veilla le tzar Dodone.

Notre tzar! pre du peuple! clame le chef des armes. Empereur! rveille-toi! Le malheur est sur nous!

Quy a-t-il, messires? dit en billant Dodone. Quy a-t-il? Ah! quel malheur?

Le coq dor chante nouveau, rpond le chef des armes. Le tumulte et leffroi semparent de la capitale.

Le tzar se jette la fentre: sur la flche de la haute tour il voit le coq sbattre, tourn vers lorient. Il ny a plus dinstant perdre. Et vite, les hommes de sauter cheval.

Le tzar lance son arme vers lorient, son fils an chevauche la tte. Le coq alors se tut, le bruit sapaisa, le tzar sendormit.

* * *Voici que huit jours se passent et lon reste sans nouvelles de larme. Nul message ne parvint Dodone.

Le coq chante nouveau, le tzar lve une nouvelle arme, il envoie son fils cadet au secours de lan. De nouveau le coq se tut.

* * *Voici que huit jours se passent, et lon reste sans nouvelles de larme, et leffroi rgne dans la ville.

Le coq chante nouveau. Le tzar lve une nouvelle arme et la mne vers lorient, lui-mme ignore vers quel destin.

Larme marche jour et nuit, la fatigue commence la vaincre.

Dodone ne trouvant sur sa route ni champ de bataille, ni camp, ni tertre funraire, pense quelque nouveau prodige.

Dj prend fin le huitime jour, dj dans la montagne pntrent les armes du tzar. Entre de hautes cimes se dresse une tente de soie. Alentour rgne un surprenant silence. Dans un troit dfil gt une arme dtruite.

Le tzar Dodone se hte vers la tente. Quel spectacle deffroi! Devant lui ses deux fils sont tendus, morts, sans heaumes ni cuirasses. Ils se sont lun lautre transpercs. Leurs destriers errent au milieu du champ, sur lherbe foule, sur le gazon sanglant.

Le tzar se lamente grands cris:

Ah! mes enfants! malheur moi! Dans un filet mes deux faucons se sont laisss prendre. Malheur, ma mort est proche.

Avec Dodone, tous se lamentent. Le fond des valles retentit dun gmissement profond, le cur des montagnes tressaille.

Mais soudain la tente sentrouvre.

La tzarine de Shamakhane, vierge resplendissante comme laurore, savance doucement vers le tzar.

Et regardant ses yeux, tel un oiseau de nuit surpris par le soleil, le tzar se tait. Et devant elle il oublie la mort de ses deux fils. Elle sourit Dodone, le salue, lui prend la main, lemmne dans sa tente. L, elle le fait asseoir table et lui fait goter toutes sortes de mets. Elle le fait coucher sur un lit de brocart et prendre un long repos. Puis, durant une semaine, soumis lenchantement, le tzar Dodone festoie.

* * *Avec la vierge et son arme, il prend enfin le chemin du retour. La renomme le devance; rpandant le faux et le vrai. Aux portes de la capitale le peuple les reoit grand bruit. Le peuple court aprs le char, aprs Dodone et la tzarine. Le tzar Dodone les salue tous.

Tout coup, il aperoit dans la foule, la tte couverte dun chapeau blanc de Sarrasin et blancs aussi ses cheveux, son vieil ami leunuque.

Bonjour, mon pre, lui dit le tzar. Ah! Que me diras-tu? Oh! que mordonneras-tu? Approche-toi.

Tzar, lui rpondit le sage, rglons nos dettes enfin! Ten souviens-tu? Pour le service jadis rendu tu promis, en gage damiti, daccomplir comme la tienne ma premire volont. Eh bien! donne-moi cette vierge, la tzarine Shamakhane.

Quoi! dit alors au vieillard le tzar fort tonn, es-tu possd dun dmon? As-tu perdu la raison? Certes, jai promis, mais il est une limite tout. Et pourquoi veux-tu cette vierge? Voyons, cen est assez. Sais-tu bien qui je suis? Tu peux, si tu le veux, puiser au trsor, demander un titre de boar, un cheval des curies impriales, la moiti de mon empire.

De tout cela je ne veux rien. Donne-moi cette jeune vierge, la tzarine de Shamakhane, rpliqua le sage astrologue.

Le tzar en crache de dpit.

Non, tu ne recevras rien! Tu te tourmentes toi-mme, pcheur! Retire-toi, tant que tu es vif encore! Que lon carte le vieillard.

Le vieillard voulut discuter, mais avec certains hommes il nest pas bon de se quereller. Le tzar Dodone saisit son sceptre, en frappe le sage au front. Face contre terre, le sage tombe et rend le dernier soupir.

Toute la ville en frmit. Mais la jeune vierge de rire: Hi, hi, ha, ha, ha! ne craignant pas le pch.

Quoique troubl profondment, le tzar tendrement sourit.

* * *Voici quil entre dans la ville. Mais dans un frmissement, aux yeux de tous, le coq dor slance de la flche vers le char, il se pose sur la tte du tzar, lui donne un coup de bec, et tandis que le tzar tombe, pousse un soupir et meurt, il senvole. Et la tzarine disparat, comme si elle navait jamais exist.

* * *Cette histoire nest quune fiction. Mais ne contient-elle pas un symbole, une bonne leon pour qui veut entendre?

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Texte tabli par la Bibliothque russe et slave; dpos sur le site de la Bibliothque le 2 juin 2013.

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