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POULENC NOTRE CONTEMPORAIN

Poulenc, notre contemporain

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Brochure anniversaire pour les 50 ans de la mort du compositeur Francis Poulenc

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  • Poulenc notre contemPorain

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  • 3le 30 janvier 1963, Poulenc dcdait Paris dans son appar-tement situ rue de Mdicis, face aux Jar-

    dins du Luxembourg dans le 6e arrondissement. Celui que certains commentateurs staient complus classer parmi les petits matres naura pas traverser de purgatoire. Cinquante ans aprs sa disparition, son uvre est toujours programme dans les concerts et abondamment enregistre. Il est reconnu comme lun des derniers, si ce nest le dernier, matres de la mlodie fran-aise ; Dialogues des Carmlites sont lun des rares ouvrages lyriques du xxe sicle tre entrs au grand rpertoire international des mai-sons dopra ; ses sonates pour flte, pour clarinette et pour hautbois font dsormais partie des pices classiques crites pour ces instru-ments ; messe a cappella, motets,

    pices profanes sur des pomes dluard et dApollinaire sont inter-prts par les plus grands churs et constituent lun des corpus les plus personnels, les plus originaux de la musique chorale de lpoque contem-poraine. Les dbats sur lavant-garde, le langage, linnovation ncessaire, ont t quelque peu dilus par le postmodernisme. Dans lincroyable diversit des musiques qui ont vu le jour au cours du xxe sicle, Poulenc continue faire entendre une note singulire. Il reste lun de nos contemporains.

    Francis Poulenc, Rgine

    Crespin, Georges Prtre

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  • 4Des interprtes comme Georges Prtre perptuent la tradition tan-dis que de nouvelles gnrations semparent de ses partitions. Lui qui avait le culte de lamiti autant que le culte de la musique a su de son vivant entretenir des rela-tions privilgies avec le milieu musical, directeurs de thtre, di-teurs, instrumentistes, chanteurs Excellent pianiste, accompagnateur

    exceptionnel, il a lui-mme dfendu ses uvres sur scne, notamment aux cts de Pierre Bernac et de Denise Duval. Au-del de la mort, un lien tonnant continue se nouer entre ses interprtes et sa person-nalit riche et contraste. Cest qu travers son art sexpriment une forme dhumanisme et un rapport particulier lmotion. Franois Le Roux lexprime trs bien : Sur le plan humain, amical, ctait

    quelquun dextrmement gn-reux ; il a marqu son entourage. Il faut voir Denise Duval parler de Poulenc ; encore aujourdhui, elle pleure en lvoquant. Quand il crit au dbut des Dialogues quil ddie son opra Debussy, Mon-teverdi, Verdi, Moussorgski... tous ces compositeurs quil cite sont des humains, des gens qui ont laiss dans leur musique leur humanit. Il

    est dans cette ligne, loppos des gens qui conoivent quelque chose de rhtorique ou de savant quasi dconnect de leur vie. Cest proba-blement ce qui fait sa force actuelle, parce quon a besoin aujourdhui dincarnation plutt que de dsincarnation. Cest fini le ct iconique des gens inatteignables et quon met sur un pidestal. On a besoin de voisins. Pour moi en tant quinterprte cest sr que Poulenc

    cest un voisin. Il a une humanit la fois tellement souffrante et heu-reuse et amusante une humanit complte.

    tre soi

    tous ses interprtes en font lexprience, Pou-lenc se dit travers sa musique. Mon pre-mier contact a t avec

    les mlodies, se souvient Stphane Denve. Je suis pianiste et, quand jtais adolescent, jai eu locca-sion de travailler avec un baryton et on a fait beaucoup de mlo-dies : Les Banalits que jadore, Les Chansons gaillardes, etc. Jai tout de suite trouv cette musique trs particulire, agrable jouer, trs mlodique. Et curieusement, il ma sembl faire la connaissance du compositeur. Mme si je ne lai

    Georges Prtre Franois Le Roux

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  • 5pas connu, cest clairement ce qui se passe quand on joue la musique de Poulenc : on a limpression de le rencontrer. Cest tellement sin-cre et a a lair de lui ressembler tellement quon a vraiment le senti-ment davoir un contact direct avec lhomme. Il a par ailleurs beaucoup de choses dire. Oui, jai vraiment limpression que cest un compa-gnon. Il a une telle richesse et il y a

    tant dmotions diffrentes dans sa musique quelle va maccompagner toute ma vie, jen suis sr. Pascal Rog trouve peu prs les mmes mots pour dfinir ce lien particulier : Je nai malheureusement pas rencontr Poulenc mais jai connu beaucoup de gens qui en taient trs proches, qui me lont dcrit. En le jouant, jai limpression de lavoir connu. Il est tellement dans sa musique, tout le temps. Pour

    Marc-Andr Hamelin, cette fami-liarit qui se noue entre linterprte et Poulenc vient de sa manie de reprendre des thmes dune parti-tion une autre : Cest peut-tre le compositeur qui se cite lui-mme le plus souvent personne dautre ne me vient lesprit dans ce sens l. Il le fait toujours si bien et chaque fois quil se rpte, cest comme sil nous rappelait quil tait un vieil ami. On

    reconnait que cest notre vieil ami et a, a me plait normment.

    le compositeur instaure une forme de prsence et promeut la force de lauthenticit contre la tentation de tout moder-

    nisme de mode. Son poque est rvolue, nous dit Eric Le Sage ; une forme de mondialisation musicale est passe par l. Dsormais, le

    Stphane Denve

  • 6Paris de Poulenc est presque aussi lointain que celui de Paris est une fte dHemingway ! Il nous dit cer-tainement quil ne sert rien dtre moderne si on nest pas soi-mme. Poulenc a travers les poques sans se dmoder car il a trouv son lan-gage. Et tant pis si celui-ci ntait pas rvolutionnaire ; Mozart, aprs tout non plus ntait pas rvolu-tionnaire dans son langage. Comme il lcrit trs bien dans une magni-

    fique lettre adresse Honegger la fin de sa vie, vois-tu, ce qui compte, cest lauthenticit, que ce soit celle dun Puccini ou dun Webern. Soyons indulgent pour les jeunes qui brlent comme nous avons brl et faisons leurs confiance. Cest en cela, insiste Yoel Levi, que Poulenc peut appor-ter une ouverture desprit de jeunes compositeurs : Cest vrai-ment un classique. Toutefois, ses harmonies inhabituelles, son expression particulire, son humour et aussi sa profondeur.

    Il peut combiner de nombreuses choses. Cest important pour de jeunes compositeurs de comprendre que lon nest pas coinc dans une petite bote. Il faut laisser limagination aller dans diffrentes directions et voir ensuite ce que lon peut raliser.

    Lexpression musicale passe par les potes, la culture, la vie person-nelle devenant matriau esthtique ; elle est, pour Poulenc, le reflet de ses gots et de sa diversit intime.

    Tout est dans la musique, explique Dame Felicity Lott ; Poulenc tait trs ami avec ses potes ; il les apprciait beaucoup, il

    lisait beaucoup de posie. Je lisais dernirement des textes quil a publis. Il y raconte ce quil aime, la musique quil aime et quil dfend. Jadore ! Cest quelquun qui avait beaucoup de culture videmment, et qui la rendait vivante. Jai lim-pression que jaurais bien aim passer du temps avec lui. Il tait drle et il sintressait beaucoup dautres choses que son art. Il tait ouvert toute forme de musique, dont ce quil appelait ladorable mauvaise musique. Il adorait Messager, Maurice Yvain et Cha-brier ; Satie, videmment plein de choses... Cette diversit des gots devient la marque de son style. La lgret et la tristesse se combinent avec grce, comme se combinent des influences extraordinaire-ment diverses et contrastes qui le rendent inclassable et ses matres sont tout autant Stravinsky que Chabrier. Ce dernier, insiste Pascal Rog, est particulirement impor-tant : Cet humour, cette lgret sans cette superficialit on est

    Pascal Rog

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  • 7toujours dans lambigut. On a assez reproch Poulenc dtre superficiel, ce qui est complte-ment faux, mais il nest pas profond non plus. Cest quelquun qui, sans jamais se prendre au srieux, crit une musique trs srieuse. a, a drange. a drange les musi-cologues de ne pas pouvoir le classifier. Il a crit des musiques de caf-concert, il a crit les Litanies la Vierge noire. Dans quelle cat-gorie le mettre ? Musique de caf ou musique religieuse ? Non, il est tout a la fois et a, je pense que cest drangeant. Il sintressait tout. Il a trs bien connu la musique de Boulez, il na pas essay dcrire comme Boulez. Il est rest lui-mme. Cest a pour moi le grand talent dun compositeur : cest de savoir tout ce qui se passe et de continuer dire ce quil a dire. Cest comme Richard Strauss, il fait partie de ces gens qui ont vcu des poques o tout passait, ou tout changeait, et ils disaient : oui, cest bien, mais jai quelque chose dire ! Je pense que quelquun qui se laisse influencer par chaque mou-vement, chaque cole, chaque mode finit par ne plus tre personne.

    Loriginalit de Poulenc tient dans sa manire de sexprimer partir dun langage ancien quil parvient personnaliser. Il a trouv un langage trs lui, insiste Marc-Andr Hamelin. Dailleurs, jy pensais rcemment, il y a une espce de mlange de la musique lgre et du tragique la fois. Quand vous regardez quelquun comme Jean Franaix par exemple, qui nest que lger, on voit que Poulenc a vraiment russi amal-gamer la lgret avec la gravit des domaines lyrique et religieux,

    cest a qui donne sa musique une certaine saveur quon ne retrouve vraiment nulle part. Il y a dans la musique de Poulenc un va-et-vient constant entre deux facettes oppo-ses de son tre. Ds mon premier contact, se souvient Franois Le Roux, jai relev cette espce de nostalgie, de mlancolie qui sex-plique assez bien quand on lit sa biographie. Mais aussi cette espce daller-retour continuel entre pass

    et prsent, cest--dire dune part les grandes formes polyphoniques, les grandes formes madrigalesques quil a su mler ce quil avait appris et totalement personnalis, dautre part Stravinsky et ce quil a appris durant ses tudes avec Kchlin. Il est donc trs difficile pour moi de dire aujourdhui ce qui est du pur apprentissage ou du vrai Poulenc parce que pour moi a fait tellement partie de lui. Il nest pas moderne au sens dinventeur il ny en a pas tant que a dans le monde de la musique mais il est inven-

    teur dans la mesure o il sinscrit dans un arbre gnalogique dont il est une pousse nouvelle. Une opinion que partage Kent Nagano : En tant que compositeur du xxe sicle, Poulenc a dvelopp un lan-gage qui lui est propre et un style personnel trs marqu. Les modles classiques jouent indubitablement un rle dans sa musique, mais il les emploie si intelligemment et avec tant de libert quil russit crer

    quelque chose de nouveau. A sa faon, il est presque no-classique. La musique de Poulenc se distancie clairement de lvolution de la scne musicale avant-gardiste. Poulenc reste toujours lui-mme, et cest ce qui constitue son importance au sein des conflits et des dvelop-pements de lart au xxe sicle. Jos van Immerseel affirme quant lui : Poulenc, cest du dbut jusqu la fin, tout le temps, tout mlang. Cest un aspect trs fort de son style. Mais il y a des gens qui consi-drent a comme une faiblesse.

    le fait de Pouvoir tre lger sans tresuPerficiel, de Pouvoirtransmettre des motions sans tre Prtentieux et Pdant

  • 8une certaine ide de lart franais

    La leon humaine de la musique de Poulenc, constate Pascal Rog, cest cette lgret, cest le fait de pouvoir tre

    lger sans tre superficiel, de pou-voir transmettre des motions sans tre prtentieux et pdant, cest de dire que tout peut se faire en dix mesures. On na pas besoin de six mouvements pour dire les choses, ce qui est trs franais aussi car

    toute la musique franaise a t faite de petites pices Dans le piano de Debussy, la pice la plus longue dure six minutes. Ce sont des personnes, ces grands com-positeurs, capables dcrire des chefs-duvre, un paysage, une atmosphre, une motion, pas avec peu de moyens, il y a normment de moyens, mais en les concentrant, sans avoir besoin de dveloppe-ment. Cest tout le contraste de la musique franaise et de la musique

    germanique ou russe. Chez les Franais, on dit sans sappesan-tir. On suggre. Cest une musique dlgance et de discrtion, une musique de pudeur. Cest toujours un mot que jai du mal traduire en anglais Le sens pudique a devient trs vite sexuel, a devient quelque chose de restrictif. Non ! La pudeur nest pas quelque chose de restrictif ; il sagit simplement de dire : usez de votre imagina-tion, tout est l, simplement cest vous de comprendre, ce nest pas moi de tout vous expliquer. Jaime ce ct de la musique franaise o on dit beaucoup de choses mais sans sappesantir. La musique de Poulenc a quelque chose darchty-pale ; elle renvoie tout un chacun une certaine ide de la France, des Franais et de lart franais. Elle est toujours trs apprcie, remarque Eric Le Sage ; elle repr-sente pour le public tranger le compositeur franais tel quil est quelquefois fantasm : lger, lgant avec un je ne sais quoi de mlan-colique ! Poulenc fait partie de ces compositeurs jugs avec un peu de condescendance par une certaine intelligentsia mais adors des musi-ciens et du public. Le chanter, cest un peu embrasser la culture franaise, confie Dame Felicity Lott : Dedans, il y a tout ce que jaime de la France, de Paris une nostalgie dans la musique, lamour de la langue.

    Il y a un ct Franoise Sagan chez Poulenc, ren-chrit Karen Vourch. Moi, jaime bien Fran-oise Sagan. Il y a ce ct

    libration le Paris que lon quitte pour partir dans le sud ; il y a tout

    la Prgnance de la ligne et de la voix nest Pas limite chezlui lart vocal. samusique est nourrie et Porte Par un sens mlodique excePtionnel

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  • 9le ct du Paris cultiv et du Paris de la chanson, ce Paris des annes 45-50 je trouve quil y a une mulsion comme a Satie aussi videmment ; et tout cela ne nuit pas la musique. Cest vrai que le fait dtre Franais ou de bien connaitre cette priode, daimer les arts de cette priode la posie, la peinture cest important. Tout a forme justement un tableau, un arrire-plan, par rapport tout ce qucrit Poulenc, sa manire de chanter. Le coup de foudre queut

    Graham Johnson pour la musique de Poulenc tient en partie ce monde parisien dont sa musique laisse percer lcho : La voix, la ligne vocale sont tout la fois modernes et traditionnelles ; il y a comme un folklore, quelque chose li Edith Piaf et Maurice Che-valier, cette sorte de France que les Anglais, quand ils sont fran-cophiles, adorent. Poulenc marche trs bien avec le public tranger, parce quil semble reprsenter

    quelque chose de la France ; il est accessible ; nombre de ses uvres, comme La Voix humaine, relvent de ce cinma noir typiquement franais que les Anglais aiment. Pour Kent Nagano, Poulenc pro-voque son audience, et cest ce que beaucoup aiment. Pour moi, lun des principaux aspects de la musique de Poulenc est sa ma-trise en matire de composition, labsence deffort, la joie et lesprit apparents dans son style ainsi que sa passion globale pour la composi-

    tion musicale en tant que pratique au sein de laquelle il faut traiter la lgret avec srieux.

    un matre de la mlodie

    durant toute sa car-rire Poulenc a perptu le genre de la mlodie, fond sur une relation

    troite entre le chant, le piano et un pome. Mais la prgnance de la ligne et de la voix nest pas limite

    Kent Nagano

    Eric Le Sage

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    chez lui lart vocal. Sa musique est nourrie et porte par un sens mlodique exceptionnel. Pour moi, nous dit Stphane Denve, il est lun des rares grands composi-teurs avoir un aspect mlodique absolument gnial. Il peut toujours emprunter des accords dautres, il reste lui-mme. On disait dail-leurs de Poulenc (jaime bien cette phrase) : Il utilise les accords des autres pour faire la musique de personne. On peut crire de belles harmonies, cest possible de

    trouver a, de travailler a. Les rythmes, cest aussi quelque chose qui sapprend qui se travaille, qui se perfectionne. Mais il y a le Saint Graal qui est la mlodie. a cest vraiment mystrieux, tout niveau dailleurs : une grande mlodie dune chanson des Beat-les ou de Mickael Jackson, ou une grande mlodie de Ravel, que je trouve peut-tre le plus grand mlodiste franais. Cest quelque chose de mystrieux, cest lessence mme du gnie. Poulenc a a en permanence. Effectivement, ce que jadore chez lui cest sa dimen-sion mlodique et quand je fais du Poulenc dailleurs, je narrte pas de chanter, mon cerveau est en permanence en train de chan-ter. Dans le cadre des pices pour voix et piano, la mlodie nait de la prosodie : Il y a un grand natu-rel chez Poulenc, ajoute Denve ; il ne fait aucune erreur de prosodie. Cest une prosodie qui est adap-te son style, avec des tournures mlodiques parfois particulires, avec des effets qui sont parfois lis son poque, certaines choses parfois un peu prcieuses ; il faut juste russir trouver le ton juste pour rester actuel. Dans les mlo-dies, par exemple, moi je suis un grand admirateur de Pierre Ber-nac. Cest vrai que le style vocal de Pierre Bernac et la manire de dire sont un peu dsuets. Ce style un peu pinc, un peu raffin dans llocution il faut juste essayer den conserver lessence, sans en donner des aspects trop caricatu-raux pour notre poque. Mais cest sr que la prosodie de Poulenc est naturelle. Dailleurs, elle permet de trs bien mmoriser. Je suis tonn de voir quel point, quand je chante

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    les Dialogues des Carmlites ou La Voix humaine, il y a un naturel par rapport la mlodie qui fait que je retiens ces phrases trs facilement.

    les mlodies de Poulenc sont particulirement remarquables sur trois plans : il y fixe une prosodie aux accents

    exceptionnellement justes, capte grce un sens visuel aigu les images qui animent le pome, tout en parvenant transmettre une photographie de sa personnalit anime doppositions. Avec lui, les pomes, parfois difficiles, trouvent une forme dvidence. Je pense que cest le contraste qui ma plu de suite dans sa musique, explique Dame Felicity Lott. a parait telle-ment simple et sa musique vhicule une forme de simplicit. La qualit mlodique est extraordinaire, avec des thmes merveilleux. Et il y a en mme temps ce contraste qui lanime le voyou, le moine Jai de suite ador cela ; je trouvais a mouvant et aussi, souvent, a me faisait rire, enfin pas toujours... Jaimais la posie quil mettait en musique. Cest trs difficile quand on tente de traduire ses mlodies. Quand on essaie de traduire la posie dApollinaire ou dluard, on est vite dpass : ce sont des images quil est difficile de trans-mettre dans une autre langue que le franais ; mais quand je le chante, Poulenc me fait croire que je com-prends un peu la posie. Cest exactement ce que relve Graham Johnson : Comme chez Schubert, Schumann, Debussy, Wolf cest la posie qui le motive, qui anime sa pense. Poulenc a un instinct littraire et un vrai amour de la

    posie. Il a le gnie de savoir que sa mlodie et son immdiatet sont contrebalances par quelque chose de plus exigeant au niveau de la posie. Il a compris que la rigueur et les difficults de cette posie dApollinaire, dluard particu-lirement, de Max Jacob, seraient dpasses par la mise en musique, comme si la musique ouvrait les pomes et les rendaient plus com-prhensibles. Cest un contact entre des mots difficiles et une musique plus accessible.

    Pour parvenir au naturel de la dclamation, lmotion et la sensualit du pome, il faut selon Poulenc avoir une relation au texte non pas intellectuelle mais dabord sensible puis, dans un second temps seulement, travailler avec ingniosit le dtail de lcriture pour relier tous les instants po-tiques, toutes les images, toutes les sensations. Ce qui est formidable en fait avec Poulenc, relve Karen Vourch, cest que, un peu comme chez Debussy, cest un amoureux du texte et de la posie ; pour quelquun qui aime la posie et le texte, cest un bonheur de le chanter parce quon sent vraiment trs bien que chaque mot, chaque inflexion, chaque changement de note est tu-di avec le texte, cest--dire quil y a vraiment un travail qui est fait en quelque sorte avec luard Dans la mlodie Tu vois le feu du soir, cest juste un pur moment de bonheur. Dailleurs, quand on lit sa corres-pondance, on voit quel point il a tudi la difficult du pome, qui tait un pome dnumration tu vois le feu du soir, tu vois tu vois tu vois Cest remarquable de constater quel point il a russi sextraire de ce ct rptitif pour

    il y a eu nombre de mise en musique du Bestiaire, mais La Carpe Par Poulenc,cest un chef-duvre de trente secondes

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    faire culminer la courbe potique et mlodique un certain point et vraiment apporter au pome, qui est dj une fin en soi, une dimen-sion supplmentaire. Cest vraiment quelque chose qui nous transcende. Il ny a qu voir sa relation dami-ti avec Bernac et avec Denise Duval, pour comprendre quel point ctait un amoureux de la voix, du chant. Vraiment, je trouve que a se ressent tout de suite. Je pense, renchrit Franois Le Roux, quil y a chez lui, ce qui est

    son norme qualit, et quil est le seul de sa gnration possder ce niveau, savoir une connais-sance de la posie exceptionnelle, une connaissance pour ainsi dire physique. On lentend dans ses mlodies : il sadapte au pote et du coup sa musique change. On peut toujours dire que lorthographe et la grammaire musicales ne changent pas fondamentalement, mais le Poulenc qui met en musique Max Jacob par rapport au Poulenc qui met en musique Paul luard, a na rien voir. Et je ne parle pas dApollinaire ni de Cocteau Pou-lenc est compltement au service

    de la posie. De ce ct l, on peut dire quil est debussyste puisque lauteur de Pellas est quand mme son grand matre. Mais sur le plan de la forme, il est la fois plus res-pectueux du vers quand se sont des vers, mme des vers libres. luard ce nest quasiment plus des vers mais cest strophique. Poulenc respecte a. Mais il y ajoute une matire cest pour a que je dis que cest physique. Il y ajoute une matire importante. Dans sa mise en musique dApollinaire, il y a

    un ct populaire vraiment proche de la chanson, avec des exceptions comme La Carpe, par exemple, qui est un objet rare. Il y a eu nombre de mise en musique du Bestiaire, mais La Carpe par Poulenc, cest un chef-duvre de trente secondes, cest hallucinant. Max Jacob, cest encore tout autre chose, avec une forme de mchancet, cette espce de ct assez amre, presque agres-sif et en mme temps drle. Quand je fais les cycles dluard, jai tou-jours limpression que cest minral. Cest--dire que la langue dluard devient minrale, coupante comme pourrait tre du diamant ou du

    a bien des gards, Poulenc se dPasse lui-mme en Prenant aPPui sur les Potes de Premier Plan quil met en musique

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    granite. Dune pice une autre, Poulenc cherche ce quil appelle la clef du pome, qui nest pas forc-ment au dbut du texte, une clef que lon peut entendre si lon est attentif. Jy suis habitu, recon-nat Franois Le Roux, je pourrais presque dire : il a commenc l.

    Tout en suivant le rythme des vers, des images, des mots, Pou-lenc brosse de faon trs subtile un tableau. Cest quasiment la construction dun paysage ou dune ambiance, continue Franois Le Roux. Je pense que Poulenc est un exceptionnel contextualiste de la musique. Il a une telle culture quil sait tre absolument dans son temps et dans le dtail. Ctait dailleurs sa grande force. Si on sait le suivre et le lire, on entend luard comme il faut quon lentende. Cest--dire jamais spar de ce qutait son poque. Ne parlons plus dluard mais prenons le pome C dAragon. Je ne crois pas quon puisse faire plus fort en musique sur ce qutait la ligne de dmarcation lors de la Seconde Guerre mondiale et ce qutait le dchirement de quitter la zone occupe pour la zone libre. Ca cest le pome dAragon, certes. Mais la manire dont Poulenc le met en musique, lui qui habite en plus sur la Loire, qui tait la zone de dmarcation, cest remarquable. Je suis toujours dchir quand jentends a. Ce qui est difficile aujourdhui, cest de faire com-prendre des jeunes chanteurs, de leur expliquer ce que a pouvait tre pour quelquun de se dire que la France tait coupe en deux. Et Poulenc lcrit dune manire Je dis toujours la fin, quand il fait ma France, ma dlaisse et quil met portando molto, ce qui est

    hallucinant en mlodie franaise, je dis que cest parce quon est au-del du chant. Il ne sagit pas de faire un portamento joli, il faut faire un portamento dchirant, parce quaprs, il reprend jai travers les Ponts de C, avec une espce de nudit qui est un accablement. Une nudit au sens vide de lintrieur. Cest justement avec cette mlodie, lune des plus clbres de Poulenc, que Graham Johnson se souvient

    avoir dcouvert la musique du compositeur : Ma premire ren-contre avec sa musique ctait un enregistrement par la cantatrice franaise Rgine Crespin accom-pagne par le pianiste Amricain John Rosemond ; elle chantait si simplement, Jai travers les ponts de C, la chanson dAra-gon ctait une combinaison de legato pour la ligne vocale, avec le charme de la mlodie, lharmonie, la nostalgie Tout cela provoqua un coup de foudre et je commenai

    travailler avec une jeune chan-teuse de lAcadmie de musique de Londres qui tait ses dbuts et qui maintenant est Dame Felicity Lott, lune des plus grandes inter-prtes de la musique de Poulenc.

    A bien des gards, Poulenc se dpasse lui-mme en prenant appui sur les potes de premier plan quil met en musique. Il tait inspir par le texte, insiste juste titre Pascal Rog. Il y a une espce dlvation par le texte. Il a choisi les plus beaux auteurs de la langue franaise et je crois que a linspirait. Quand jai fait toutes ses mlodies, jai dcouvert beau-coup de textes grce sa musique : on comprend le texte parce quon joue la musique. Il nest pas seu-lement au service des paroles, il rvle les paroles. Je crois que cest la femme dApollinaire qui a dit que jamais la musique navait t aussi prsente dans la posie. Pou-lenc avait un gnie particulier pour a. Il a dit une fois quelque chose comme : si on pouvait se souvenir de moi comme un compositeur de mlodies, a serait ma fiert et a cest vrai. Sil y avait une chose garder de Poulenc, ce serait cela. De ses mlodies, jai tout enregis-tr et je ne crois pas quil y en ait plus de deux qui soient mineures ; ce sont toutes des chefs-duvre.

    un compositeur-pianiste

    le rle du piano dans les mlodies est pri-mordial et dpasse aisment le simple accompagnement. Il

    est souvent trs prsent, constate Le Roux. Il est nourri, sauf peut-tre dans Priez pour paix ou des choses trs simples comme a, dans les

    Graham Johnson

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    mouvements lents qui sapparentent comme il la dit, aux mouvements lents des concertos de Mozart, et o il samuse faire de belles phrases mlodiques sur un accompagne-ment tout fait simple. Mais quand il sagit de mlodies, notamment celles que lon entend trs souvent par des sopranos, comme dans Fianailles pour rire le il vole, on se retrouve avec un piano dune volubilit incroyable, ce qui fait que les pianistes qui ne les connaissent pas se plantent, tandis que les chan-teuses narrivent pas comprendre comment le vers a t construit Il ne faut pas prendre ce que jappelle le dchiffrage pour la lecture. Le dchiffrage, cest ce quon entend au premier abord, mais cest en fait trs diffrent. Il faut bien regar-der car Poulenc est trs prcis. La voix peut tre lie laccompagne-ment, mais il place trs rarement la liaison au mme endroit dans la partie de piano et dans la partie de chant. Par contre, il met assez souvent des accents. Cest difficile den parler comme a sans avoir la partition devant les yeux mais la manire dcrire nest compr-hensible quavec un long voisinage avec Poulenc. Il a son vocabulaire, il a sa langue et cette langue parait beaucoup plus simple quelle nest en ralit. Il est trs exigeant pour le chanteur et le pianiste parce que justement a nest jamais install, cest toujours une interaction, et a ds le dbut de sa production. La plupart des pianistes, quand on leur dit : on va faire Les Gaillardes, rpondent : Oh il va falloir que je travaille !. Oui, il faut travailler, cest sr !

    Travailler les doigts, certes mais aussi comprendre le style et

    notamment ne pas sombrer dans le pathos. Si Poulenc aime souvent utiliser la pdale pour crer une atmosphre et une rsonnance, il dteste en revanche le flou dans le tempo et le rythme. Graham John-son est inflexible : Je dteste ce qui arrive dans certaines interpr-tations par des Amricains Ils se disent Oh, cest si merveilleux, faisons beaucoup de rubato [il chante Les Chemins de lamour]. Si vous entendez Yvonne Printemps le chanter, cest pourtant clair. Poulenc est li la tradition de Debussy, de Ravel, de Faur, qui a voir avec une forme de clart De plus, toute une part de la musique franaise, au moins depuis Lully, est relie la danse. Ainsi quand vous chantez ma chambre a la forme dune cage cest en fait une valse lente. a na rien voir avec cette manie des personnes qui prennent cette musique pour en faire du chewing gum juste parce quils la ressentent ainsi, parce que simplement ils se disent cest trs franais On croit que cest trs sentimental, sexy, trs extrieur mais quand on va lintrieur de cette musique, cest autre chose. Je dis mes tudiants, vous avez faire la patrie de Voltaire et des Lumires Il faut aussi tudier le solfge. Il ny a que les Franais parmi tous les musiciens du monde qui transforment les musiciens en mathmaticiens !

    Une grande partie du catalogue de Poulenc fait appel au piano, comme soliste ou comme accompa-gnateur, dans le concerto ou dans la musique de chambre. Dun genre lautre, linstrument change de fonction, son criture suit la grande tradition du xixe sicle ou sinspire

    de nouvelles tendances. Eric Le Sage a pu en mesurer la richesse trs tt : Ayant trs jeune pra-tiqu la musique de chambre, jai tout dabord connu le Poulenc des sonates pour instruments vent, du Sextuor. Puis un jeune pianiste et compositeur catalan, Alberto Gui-novart, me joua peu aprs la pice Mlancolie avec une jubilation gourmande qui me donna envie den savoir plus ; je dcouvris un peu plus tard LHistoire de Babar et les sonates pour cordes qui sont vraiment de belles russites. Une dcouverte en entrainant une autre, jai eu envie assez vite de raliser une intgrale de sa musique pour piano, le centenaire de sa naissance en 1999 permit de concrtiser ce projet avec BMG. Luvre plus spcifiquement pianistique de Poulenc est abondante mais cepen-dant trs ingale. Eric Le Sage en convient aisment : Elle est un peu cartele, entre les audaces de quelques pices modernistes comme les Promenades qui ont mal vieillies et les cycles trs inspirs des Nocturnes ou des Improvisa-tions. Poulenc lui-mme ntait pas tendre envers sa production pour piano, il tait mme un peu trop critique mon got. Il devait tre cras par la tradition pianistique quil connaissait trs bien et a rejet dune faon trs injuste une grosse partie de sa pro-duction. Notamment Les Soires de Nazelles qui sont pourtant des pices trs Poulenc, mlange de sophistication, dhumour et dun profond lyrisme. Ses partitions sont trs bien crites pour lins-trument. Poulenc tant lui-mme un bon pianiste, il connaissait les trucs (quil se reprochait quel- PHO

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    quefois dutiliser). Son criture pianistique est sensuelle, tactile avec des influences sonores du ct de Mozart, de Schumann, Prokofiev et Stravinsky, plutt que des Franais Debussy, Ravel ou Faur.

    marc-Andr Hame-lin confirme cette apprciation du piano de Poulenc : Lui-mme ayant

    t un trs bon pianiste, cest tou-jours un plaisir jouer. Cest unique comme criture, mais je ne peux pas vraiment citer dinnova-tions techniques ou dinnovations pianistiques. Cest une logique qui tombe toujours vraiment trs bien

    sous les doigts, et a tout pianiste lapprcie. Il y a quelques difficul-ts une fois de temps en temps mais je pense que la difficult majeure est de rendre lesprit plutt que la facture pianistique. Cest toujours extrmement vocal, mme dans la

    musique que lon dirait presque de cirque, parce que ses tempi les plus rapides sonnent souvent comme du musical. Mais mme dans ses rythmes les plus affols il y a tou-jours la ligne ; la ligne vocale est toujours l et cest toujours possible de faire chanter la musique.

    Cet art pianistique entre deux mondes peut apporter dans un rcital une couleur contrastante. Pascal Rog la expriment : Tous

    Marc-Andr Hamelin

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    mes programmes pour ainsi dire incluent du Poulenc. La dose dpend un peu du programme mais je ne fais pas un programme de musique franaise sans jouer du Poulenc. De l faire un rci-tal entirement Poulenc je lai fait une fois au Japon, ce nest pas au bnfice du compositeur. Le charme de cette musique, le ton, loriginalit smoussent : je ne dis pas quil se rpte, mais dans le rpertoire de piano cest difficile de le varier. On se retrouve tou-jours dans des petites pices avec

    le retour des mmes caractres. Jai donc abandonn le tout Poulenc, je pense que a ne fonctionne pas bien. Mais Poulenc, Ravel, Faur, a, je fais trs souvent. Je sais que Poulenc naimait pas son uvre pour piano, il la assez dit. videm-ment je ne suis pas daccord mais je peux comprendre, si lon com-pare aux mlodies que jai aussi enregistres et joues. Il ny a pas ce gnie total, cette espce dins-piration permanente quil a dans les mlodies ou dans la musique de chambre ou dans les uvres vocales. Cependant, il a une per-sonnalit trs part intressante

    dans un rcital. Cest le musicien franais qui, pour moi, se dtache de tous les autres par sa person-nalit : on entend deux notes de Poulenc on sait que cest Poulenc ! Sa personnalit on la trouve dans cette perptuelle dualit entre le moine et le voyou, comme disait Claude Rostand ; dans cette nostal-gie qui deux mesures aprs devient de lhumour ; dans cette drision quil avait de lui-mme ; dans cette sensibilit fleur de peau quil essayait toujours de cacher : au moment le plus sensible, il mettait

    surtout sans rubato parce quil sentait quon allait jouer du Rach-maninov et il ne voulait surtout pas que a devienne sentimental. Lhumour en musique est rare ; la joie de vivre, mme en musique franaise, cest rare et lui donne a. Il y a beaucoup dimprovisa-tion dans les Intermezzi, on sent la joie de vivre. Cest une musique qui met de bonne humeur. Je finis donc souvent la premire partie dun rcital avec du Poulenc pour laisser les gens sur une touche dhumour et de joie de vivre. Je pense que cest galement une des raisons pour lesquelles il na pas

    toujours t pris au srieux, cest quil arrivait cette forme dauto-drision. On ne lui a pas pardonn, surtout une poque o on voulait tre tant srieux et tant crbral. Je pense quau point de vue clavier, sa grande russite cest le Concerto pour deux pianos. En mme temps, cest un concerto qui emprunte Mozart et Stravinsky, mais cest Poulenc 100%. Cest a le gnie de Poulenc. On a souvent dit quil avait copi Prokofiev, Stravinsky, Satie, Chabrier. Il la dit lui-mme, il sest inspir de tous ces gens, il ne

    le renie pas. Mais il en fait du Pou-lenc ! Je crois que cest le signe dun grand compositeur, de quelquun qui a vraiment quelque chose dire, qui lui appartient en propre. Je pense que techniquement pour un pianiste de nos jours il ny a rien qui puisse tre insurmontable, loin de l. Mais stylistiquement, cest quelque chose de trs diffi-cile, car il y a tellement de facettes de Poulenc et il ne faut surtout pas les exagrer ni dans un sens ni dans lautre. tre trop sentimental nest pas bien. tre trop sec nest pas bien. Vouloir cacher lmotion nest pas bien. Vouloir ltaler PHO

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    toutes les mesures nest pas bien. Je sais que les lves qui jouent a pour moi ont souvent du mal sai-sir. Cest vrai quil y a des phrases, des harmonies qui donnent envie de staler parce que cest tellement beau, mais non. Il faut glisser des-sus, il faut faire sentir lmotion mais il ne faut surtout pas ltaler devant soi. Inversement, sils jouent a dune manire mcanique et froide, a ne passe plus. Cest trs subtil en fait. Il faut se mettre dans son monde, il faut lire les potes, il faut connatre Jean Cocteau. Tout

    ce mlange de mlancolie, de reli-giosit aussi, de joie de vivre, le ct truculent, le ct gaulois.

    luvre chorale

    religiosit, mlancolie, truculence, gauloiserie on ne peut mieux dfi-nir quelques-uns des grands axes expressifs

    de la musique chorale de Poulenc, qui passe avec le mme engage-ment et la mme vrit daccent des Quatre motets pour un temps de pnitence aux Chansons fran-aises, du discret Ave verum corpus pour chur de femmes a cappella

    limposante cantate pour double chur, Figure humaine, des Lita-nies la Vierge noire suppliantes au Gloria presque tapageur, dans lequel les anges clignent de lil et tirent la langue. Laurence Equil-bey se souvient avoir dcouvert professionnellement Poulenc en chantant la Messe Vienne pen-dant ses tudes : Que ce soient les Scandinaves, avec qui jai chant et que jai dirigs, ou les Autri-chiens, tous adoraient cette pice, vraiment, surtout le Sanctus ; ils adoraient cette pice trs virtuose,

    trs rythme, avec quand mme des profondeurs harmoniques qui leur parlent beaucoup. Lharmonie de Poulenc parle beaucoup aux pays germaniques et la Scandinavie, a ne leur est pas tranger du tout. En fait, je crois que Poulenc fait le trait dunion entre les Anglais et les germanophones, cest vraiment le compositeur franais qui fait le plus le trait dunion, plus quun Ravel par exemple, enfin dans la perception, la sensibilit quen a le chanteur. On a de la chance davoir au xxe sicle Poulenc pour le chur. Cest une ppite franaise magni-fique. Il ny a pas lquivalent dans

    aucun autre pays, enfin peut tre Britten. Une telle qualit sur len-semble des uvres, o presque tout est formidable. Cest quand mme unique dans lhistoire du chur de voir une uvre si intressante, si belle, tellement passionnante pour les groupes travailler, qui fait mme progresser. Pour Daniel Reuss, il ne fait aucun doute que pour le chur de chambre, sa musique est ce que lon peut ima-giner de mieux. Brahms est lui aussi trs bien, mais Poulenc a des couleurs, des harmonies qui vrai-

    ment sonnent, quand on les chante, avec des quintes, des sixtes ajou-tes qui apportent une brillance sonore unique. Cette particularit de la brillance du son choral est vraiment ce qui distingue Pou-lenc. Dans Figure humaine, on parvient de surcrot dans certains passages une amplitude sonore considrable. Le n7, La Menace sous le ciel rouge, souvre par un fugato sur une srie de douze sons, puis, sur La terre utile, effaa, commence une section qui est crite comme un passage dor-chestre. Il y a alors dans le chur une sorte de son ample proche dun

    lharmonie de Poulenc Parle beaucouP aux Pays germaniques et la scandinavie

    Laurence Equilbey

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    son dorchestre symphonique. Les octaves, qui sont interdites dans un contrepoint classique, permettent ce son magnifique ; on obtient une qualit trs spciale, une sorte de puissance hymnique.

    Leffet dimmdiatet, la puis-sance de limpact sonore ne doivent pas cependant dissimuler la diffi-cult de ralisation. Cest assez sec comme criture et, pour autant, les lignes mlodiques et lharmonie sont difficiles, explique pour sa part Laurence Equilbey. Souvent chez Poulenc, se sont les lignes intrieures qui sont difficiles ; dabord parce qutant pianiste, il crivait avec son piano. Le vri-table contrepoint horizontal ntait pas trop son propos et donc parfois on a vraiment des parties interm-diaires qui remplissent un peu. a, cest difficile. Il y a aussi la question de la matrise du langage harmo-nique. Il faut avoir travers tout le xixe sicle, tout le postromantisme pour pouvoir comprendre Poulenc, son langage harmonique, pour com-prendre les fonctions des notes et pourquoi on est l. Il y a parfois des accords qui sont compliqus faire sonner tout simplement pour des questions de culture de la part des chanteurs. Les orchestres jouent peut-tre davantage de rpertoires et ont les oreilles plus remplies, plus harmoniques. Le chanteur est assez monodique ; il a peu de culture verticale.

    Poulenc est trs difficile, confirme Daniel Reuss : cest trs ouvert et il y a des passages pas trop compliqus mais

    avec les enharmonies notamment, cest trs dlicat pour obtenir des

    accords clairs. a ncessite beau-coup de temps pour tudier les partitions. Il y a des choses qui au piano ne semblent pas si difficiles, mais chanter et en mme temps, cest si beau que tout le monde aime chanter cette musique enfin tout le monde parfois cest dif-ficile pour les sopranos, qui sont tendus dans laigu. Si Poulenc vivait encore, jaimerais travailler avec lui et lui demander dalterner les premiers et seconds sopranos. Il compose au piano, on peut le sen-tir et lentendre. Dans la dernire partie de Figure humaine, Libert, il y a des sections enchanant des accords chromatiquement faciles raliser au piano mais difficiles chanter.

    Figure humaine est en effet typique du pianisme de son cri-ture, qui rompt avec la conception contrapuntique et cre du coup des blocs harmoniques et des dplace-ments de voix qui font sonner le chur de faon trs personnelle. Cest extrmement dur faire, constate Laurence Equilbey, mais a chante continument, car il a un superius qui est magnifique, et cest solidement ancr, car Poulenc possde par ailleurs une technique de basse qui est incroyable Ce ct crit avec le piano lui per-met aussi un fort impact ; cest ce qui donne parfois le ct percussif de son criture chorale. Je crois par ailleurs que sa vie personnelle a contribu au faonnement de son style. Je pense notamment laven-ture de sa rvlation, son choc pour la foi, qui a fait quil a eu une ins-piration trs particulire pour une esthtique un peu romane, sche. Mais ce ct roman est contreba-lanc par sa personnalit qui fait

    tous les chefs de chur relvent sa mticu-losit dans lcritureet lexi-gencequilrclame dans son excution PHOTOs

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    quil y a quand mme cette gn-rosit, et aussi par son langage mlodique et harmonique qui est unique et quil parvient l syn-thtiser dans une forme pure. a a cr quelque chose dabsolument riche, dense, mais dans cette pure quil recherchait. Pour la musique sacre, il y a quelque chose das-sez merveilleux qui se dveloppe, que lon peut relier au fait quil a vraiment t trs impressionn par Mantegna, par lart roman. Sil avait t inspir par le baroque flamboyant, a aurait peut-tre t diffrent. Je dois dire que pour la musique sacre, ce ct un peu taill dans le roc et relativement sec, sans pathos, presque un peu Stravinskien parfois, tout en ayant un panchement quand mme, une petite sentimentalit ici ou l, a fait vraiment merveille.

    tous les chefs de chur relvent sa mticu-losit dans lcriture et lexigence quil rclame dans son ex-

    cution. Il est trs prcis, insiste Daniel Reuss ; il peut crire de petites notes pour tre certain que le texte soit bien coup entre les mots. Si vous le faites, vous expri-mez ce quil veut vraiment. Mais parfois, cest si extrme, particu-lirement dans les Quatre motets pour un temps de Nol, que si vous lexcutez avec trop dexactitude, a coupe toutes les phrases en trois. Je pense quil veut juste montrer comment la phrase est construite et non pas stopper le chant au milieu dune phrase ; il faut doser plus ou moins chaque partie sans interrompre la phrase par une res-piration. Quand on le chante,

    renchrit Laurence Equilbey, il faut tre trs prcis. Lide, cest que les rythmes et les phrases sont un peu taills la serpe ; cest quelque chose de trs dessin et en mme temps, vous pouvez avoir cette matire riche, qui sonne en mme temps il ny a pas trop dago-gique, pas trop de rubato ; cest quelque chose de trs sensible et en mme temps de trs organis. Son

    Daniel Reuss

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    criture chorale est assez unique. A quoi pourrait-on la comparer ? Il ny a pas grand monde avec qui comparer Poulenc pendant cette priode. Mme Britten cest autre chose. Poulenc a un langage harmo-nique et mlodique compltement personnel, inimitable, quon recon-nait au bout de dix secondes. Avec son gnie mlodique, son amour de la chanson populaire tout fusionne il y a une sorte de syn-crtisme de toutes sortes de styles dans son uvre. Si on le compare Strauss, on se rend compte quil y a beaucoup plus de notes tran-gres chez Poulenc et daccords qui devraient servir moduler mais qui finalement ne modulent pas, a va trs vite, comme des couleurs qui senchanent. Harmo-niquement, a va plus vite que chez Strauss. Et encore une fois, Strauss suit beaucoup plus la technique du contrepoint horizontale ; chaque ligne est trs soigne. Lorsque jai donn un programme Manoury / Poulenc, jai senti une sorte pas une continuation mais quelque chose de commun dans lnergie. Il y a une grande nergie dans la musique de Poulenc, les verticali-ts, ce ct un peu rocailleux aussi. Le texte est donn de faon assez directe. Enfin jai retrouv a dans Philippe Manoury. Le got pour le son, les -plats, des choses trs transparentes, trs diaphanes : ces diverses couleurs, ces oppositions-l, on les retrouve chez Manoury. Je me rappelle bien quand jai fait le programme Manoury / Poulenc, les deux se renforaient en fait.

    A lintonation parfaite doit se superposer une diction prcise. Poulenc, insiste Harry Christo-phers, est comme Monteverdi ; vous

    devez chanter comme vous parlez. Quand vous le faites, vous com-mencez ressentir sa musique. Au-del de la technique chorale trs exigeante, la musique de Poulenc ncessite une sensibilit particulire la posie ou au texte religieux, sensibilit qui ouvre sur limaginaire du compositeur. Cest cet imaginaire, sa pense intime comme sa foi trs personnelle qui animent sa musique. Cest pourquoi Harry Christophers rverait de

    pouvoir dialoguer avec le compo-siteur : Jaimerais le questionner sur ses penses quand il a mis ses motets en musique. Pourquoi a-t-il fait Vos fugam dans un carac-tre vif et inquiet ? Le passage est agressif. Jaimerais savoir sil pensait que le Christ tait agressif vis--vis de ses disciples o sil ne faisait que les rprimander. Jaime-rais savoir ce quil ressentait dans divers endroits, parce quil a une

    pense vraiment trs personnelle. Jaimerais aussi savoir ce quil ima-ginait pour chaque image, chaque ide des Litanies la Vierge noire, sa premire pice religieuse, ce qui la inspir, pourquoi il la crite uniquement pour voix leves. Christophers prend aussi lexemple de sa musique profane : Quand jen suis venu Figure humaine avec les Sixteen, jai ralis que ctait lune des pices a cappella les plus difficiles jamais crites. Cest aussi difficile quOrpheus behind the Wire de Henze, qui est pourtant sur le plan de lintonation des notes plus complexe. Mais avec Poulenc, il ne sagit pas simple-ment davoir les bonnes notes, il y a le langage, les pomes, qui sont incroyables. Pntrer la pense de ces pomes est quelque chose de fantastique. Pour moi, en tant que chef de chur anglais, compte aussi beaucoup la dimension his-torique de cette uvre, le fait que Poulenc lait crite en secret durant la guerre et que la premire eut lieu en Angleterre par les BBC Singers. Les pomes sont renversants. Il y a quelque chose qui tient de la foi, de sa foi catholique si personnelle, comme dans ses pices religieuses. Dans sa musique chorale, il y a un retour la Renaissance et on per-oit linfluence de compositeurs comme Vittoria. Poulenc a chang sa personnalit, trs hdoniste, en retournant au catholicisme. On sent sa personnalit travers le texte biblique. Cest la mme chose dans Figure humaine, avec sa foi totale dans la posie dluard. Ce quil a ralis l, avec sa musique chorale, est le meilleur de son uvre. Quand on chante cette musique, conclut Christophers, on

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    a limpression de se retrouver lintrieur des penses du composi-teur. On ressent vraiment les ides qui lont anim quand il tait en train dcrire ces pices Il y a tant de choses dans chaque mesure Il faut commencer par travailler dur une fois que lon a obtenu une ralisation impeccable, alors on peut ajouter lexpression et on parvient luvre en soi. Je pense que souvent les gens qui nappr-cient pas cette musique chorale ne comprennent pas Poulenc cela dure jusqu ce quils entendent une bonne interprtation.

    lcriture chorale de Poulenc ne se limite pas aux pices a cap-pella. Elle se combine lorchestre dans plu-

    sieurs grandes pices. Le Gloria et le Stabat Mater sont trs connus ; en revanche, Scheresses et les Sept Rpons des tnbres restent encore trs rarement jous. Jai toujours dsir enregistrer les Sept Rpons des Tnbres, nous confie Harry Christophers. Avec The Sixteen, nous avons un pupitre de femmes exceptionnel. Bien sr, Poulenc a crit cette partition pour le Lincoln Center et des enfants pour lexcu-tion. Je dois cependant enregistrer cette pice car son criture cho-rale est aussi saisissante que celle des motets et cest tout aussi dif-ficile. Son orchestre est un grand orchestre mais il lemploie sou-vent de faon clairseme. Dans un sens, il est assez proche de ce que pouvait faire Stravinsky. Pour un chur tel que les Sixteen, cest une uvre parfaite raliser ; nous navons pas besoin dun grand chur ; cest trs subtil, vraiment

    unique, avec des moments o le chur se retrouve a cappella, des passages avec les vents, mais pas tous ensemble Il orchestre en uti-lisant les timbres appropris pour accompagner le chur, crer une couleur spcifique, par touches. Par exemple, lutilisation de la harpe est incroyable, comme celle des notes leves dans les vents. A partir de son interprtation du texte, qui est lui-mme trs expressif, trs sug-gestif, il risque des ppp, des ff, des

    accents qui produisent un ensemble, une couleur globale incroyable. Le chef doit circuler dans tout cela et permettre la musique de respirer et alors a devient trs puissant.

    Poulenc et la scne

    lamour de la voix, le sens du texte, lapproche sensible, affective de la musique tout orientait Poulenc vers lopra. Ses

    trois uvres lyriques sont trois dfis travers trois genres quil a su

    Poulenc est comme monteverdi, vous devez chanter comme vous Parlez. quand vous le faites, vous commencez ressentir sa musique

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    ractualiser et faire sien : lopra bouffe avec Les Mamelles de Tirsias, le drame lyrique avec Dialogues des Carmlites, le mono-drame avec La Voix humaine. Si ces ouvrages fonctionnent si bien comme thtre lyrique, sils sont si

    apprcis des interprtes, cest que Poulenc a compris quun vritable opra, quelque soit le langage choisi, doit se fonder sur la voix chante et que le chanteur en est le centre. Le cas de La Voix humaine est en ce sens exemplaire. Il suffit dentendre La Voix humaine, fait remarquer Franois Le Roux, de dcouvrir la manire dont Denise Duval la incarne, cest

    hallucinant ! Je lai entendue par nombre dautres interprtes, mais Denise Duval, elle, tait la source. Bon on peut toujours dire que lon ne chante plus comme a mainte-nant, peut importe, cest vraiment tonnant. Limplication de linter-

    prte doit tre totale ; cest la force et la difficult de cet opra pour une voix. Dame Felicity Lott, qui a beaucoup aim le chanter, le recon-nat volontiers : Ca me rendait malade chaque jour, chaque fois quil fallait le donner parce que cest terrible de vivre cette histoire dchirante. Cest aussi trs difficile apprendre. Le tlphone sonne ce nest jamais tout fait pareil ; les

    allo, allo ne sont jamais tout fait pareils. Et puis personne ne vous donne de rplique ; cest toujours vous seule sur scne. Il faut imagi-ner ce quon dit lautre bout du fil et lincorporer dans le jeu, dans lmotion quon transmet. Il ne faut cependant pas donner totalement cette motion dans la voix, car il y a une retenue, qui est toute lide du mensonge. Cest extraordinaire jouer et trs difficile quilibrer avec lorchestre, qui est essentiel. Si le chef attend trop longtemps, pen-dant que lhomme parle lautre bout du fil, on ne peut pas mainte-nir la pression. Et si cest trop court, on na pas le temps de chan-ger dide. Je me souviens on avait beaucoup de travail la premire fois que je lai monte. On passait des heures et des heures. Le chef trou-vait que ctait aussi difficile que Tristan !

    avant dtre des op-ras, les ouvrages de Poulenc sont des textes de thtre extrmement forts,

    caractriss, marqus par une langue spcifique, un univers dauteur. Son talent est davoir su se glisser lin-trieur des mondes dApollinaire, de Bernanos et de Cocteau. Ludovic Lagarde voque son exprience avec La Voix humaine : Je ne suis pas un metteur en scne dopra, je suis un metteur en scne de thtre qui fait de temps en temps de lopra, ce nest pas tout fait pareil. Jaborde ce rpertoire comme un rpertoire contemporain ; cest cela qui est trs intressant. En travaillant sur La Voix humaine, je me suis rendu compte quel point ctait une uvre audacieuse pour son temps PHO

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    et quel point justement il y avait derrire lesprit du temps, lenvie dtre moderne, de faire effraction. Mettre cette histoire l sur un pla-teau pour lpoque ctait quand mme un acte de modernit trs important ; je pars de l et jessaie de retraduire luvre aujourdhui, dans notre monde contemporain. La pice dailleurs redevient trs la mode, en dehors de lopra. Je pense quil y a dedans une sorte de solitude moderne, qui fait que a revient sur scne. Lopra respecte le fil dramatique et cela mintresse car cest pour moi un exercice de style trs stimulant. On est un peu chez Hitchcock aussi ; il y a quelque chose qui est dans le suspense, dans le deuxime degr de lcriture et qui est donc trs intressant pour la scne. En travaillant, jai peru dans cet ouvrage une espce de sadomasochisme ; je ne sais pas si on peut appeler a comme a, mais toute cette uvre est construite ainsi. Finalement, la temporalit, le canevas de la pice, cest une manire de faire durer lamour. Il y a mille manires de faire durer lamour ce sont autant de motifs explorer Solitude, amour sachevant, personnage dsem-par, mensonge pour croire que tout est possible encore La Voix humaine rencontre un cho dans chaque individu. Aprs lavoir chante, rapporte Karen Vourch, je dois dire quil y a beaucoup de gens qui sont venus me voir, des hommes comme des femmes. Jai mme reu beaucoup de mails sur mon site ; a a fait tout dun coup beaucoup de rsonance avec lhis-toire personnelle des spectateurs ; presque tous se sont retrouvs un jour au tlphone avec quelquun

    Ludovic Lagarde

    je me suis rendu comPte quel Point ctait une uvre audacieuse Pour son temPs et quel Point justement il y avait derrire lesPrit du temPs, lenvie dtre moderne, de faire effraction

  • 24

    qui Je pense que cet effet est d aussi la musique. Le texte seul naurait peut-tre pas cr un tel effet. Les gens se sont aussi laisss avoir par la musique de la fin, je taime, je taime, qui est vraiment forte. Poulenc, ctait quelquun dune trs grande sensibilit. Et cest vrai quil peut avoir tendance se laisser compltement aller Pour trouver le ton, je crois que justement il ne faut pas tomber dans le pathos ; il faut tre digne dans tout a.

    avant mme dentrer dans la sphre du thtre lyrique, la musique de Poulenc contiendrait, selon

    Macha Makeeff, une vie interne trs particulire : Cest une musique qui ma accompagne. Jen ai mis dans des lectures trs sou-vent ; je mettais Les Biches, des choses comme a. Jaime profond-ment cette musique, comme celle de Milhaud. Je ne me pose mme pas la question du pourquoi ; cest un univers, cest trs inspirant, extr-mement inspirant. Pour moi cest trs rducteur, a va vous choquer cest de la musique de thtre, cest de la musique quon aime mettre en scne mon rve ce serait de mettre en scne la musique, avant mme le lyrique. Monter de la musique, mettre en scne de la musique sans les chanteurs me parat absolument naturel. La musique de Poulenc irait donc au devant de cette approche : cest extrmement structur et cest, jallais dire, htroclite. Poulenc je sens que a fonctionne comme un collage, comme un collage sur-raliste et alors, selon la faon dont

    vous le regardez, vous vous racon-tez une histoire. Si vous regardez dune autre faon, vous dcouvrez une autre histoire Il y a de nom-breuses histoires, de nombreuses pistes, cest extrmement moderne de ce point de vue l. Vous ntes pas dans un rcit, une narration ; vous chappez a. Vous avez plein dentres et ce qui est formidable et cest pour a que cest si ins-pirant cest que vous dplacez les lments, comme dans un col-lage gnial ; vous, avec vos images, vous pouvez le suivre. En mme temps, la marge de manuvre est plus rduite que ce que lon croit. Pour Franois Le Roux, la diver-sit de cette musique provient des oppositions qui animent la person-nalit de Poulenc : Je pense quil y a toujours ce ct mauvais garon qui trane chez Poulenc. On passe sans crier gare dune valse sublime au chant du Mari : ah cest fou les joies de la paternit. O a-t-il t chercher tout a ? Cest exactement comme Apollinaire qui samusait faire du no-cabaret en mlangeant du Ubu dautres ides. Poulenc fait la mme chose en mlangeant dans Les Mamelles de belles pices chorales, extrmement pures, des fantaisies ; il raconte des choses superbes et ct de a il y a des caractrisations qui sont purement physiques. Dans Les Mamelles jai chant notamment le rle du Direc-teur dans le Prologue, qui est un air tout fait classique, avec une par-tie arioso puis une partie cabaletta, puis encore un arioso. Mais je serais incapable de dire ce quil faut expri-mer puisquil sagit de dclamer.

    Sur le plan de la mise en scne, cette libert de ton est une richesse et un pige. Dans Les Mamelles

    Karen Vourch

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    de Tirsias, note Macha Makeeff, il ne faut pas faire nimporte quoi sinon a devient une pochade, a saffadie tout de suite et vous pas-sez ct de la brillance de cette musique. Si on en fait une nar-ration plate, cest insupportable. Cest plein dclats ; donc, en mise en scne, il faut rpondre par des clats. Quant au lyrisme, il suffit de ne pas lcraser par de lanecdote,

    de lobjet, du discours, de linten-tion Je crois quil ne faut pas tout le temps avoir des intentions avec cette musique l ; ce nest pas la peine de tout flcher tout le temps ; du fait que ce soit comme un col-lage, il y dj du sens. Et mme si on enlevait le texte, si on coutait juste les rptitions dorchestre sans les chanteurs, on entendrait le spectacle. Il faudrait commencer par a, commencer par avoir une

    lecture dorchestre, car l je vous assure a vous remet bien votre place. Il y a dj dans cette musique des plages, des moments lyriques Il suffit pour nous de ne pas tre redondant, de ne pas aplatir un moment lyrique, de ne pas lab-mer, de le laisser vivre. Au fond, une grande partie de la mise en scne, cest dcouter, ce nest pas la partie la plus dplaisante. Et trs

    souvent, quand on a trop dides, ce qui est un peu mon dfaut, je me dis que je nai pas assez cout. Mais ce que jaime chez Poulenc a va peut-tre vous faire hurler cest quon a limpression que ce gars-l na pas les mmes outils que les autres. Il est moins fort quun Debussy, quun Ravel ; il ne sait pas tenir toutes les rnes ; et alors, a lui donne une crativit, une jubila-tion. Au fond, ce sont peut-tre ces

    Macha Makeeff

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    artistes que je prfre ; ils ne sont pas dans la totale matrise, du coup ils bricolent un peu et l a devient du gnie ! Cest comme nous au thtre, quand on est un peu bon Alors que lon est dans le doute, on va bricoler et puis, tout dun coup, il y a un frmissement. Jai toujours senti a avec Poulenc.

    Outre son intrt sur le plan de la construction mosaque du spectacle, lopra bouffe de Poulenc apporte, sur le plan de la thmatique, une rflexion sur la question actuelle du genre. Dans Les Mamelles de Tirsias, continue Macha Makeeff, il nest question que de a : o est le fminin, o est le masculin ? O est le genre ? Il y a un dplacement des genres, comme dans un numro de Music Hall qui sappelait La Danse apache : il y a lhomme qui commence par frapper la femme, et la femme qui devient plus violente et qui finit par combattre lhomme ; mais en mme temps, cest un jeu amoureux formidable. Les Mamelles de Tirsias cest a ; on dplace les gens, on dplace les forces, mais aprs tout on se rend compte que ce ntait quun jeu. On est avec les Dadas, les Surralistes, on est dans lordre du spectacle ; tout est donn la reprsentation, que ce soit le rve, les choses les plus intimes, lcriture automatique. Cest un jeu qui est nourri par des sismes, des catas-trophes effroyables 14-18 quand Apollinaire crit sa pice, la Seconde Guerre Mondiale quand Poulenc en tire un opra. Dans le Prologue, le pote pose lnigme : jai donc vraiment fait venir Apollinaire sur scne, sorte de directeur de cirque. Cest ce type qui arrive de la guerre et qui reprend son boulot, mis part quil a un coup sur la tte et quil se

    met mlanger la cration artistique et la guerre. A un moment donn, il dit que lexplosion des corps cest beau comme lexplosion des mes et a fait le cosmos, a fait les toiles Cest une image qui nous poursuit tout le temps, chez les cinastes prsent mais aussi dans la socit du spectacle dans laquelle on est, quand on voit partout ces tours du 11 septembre qui scroulent. Dans le Prologue, les constellations, ce sont la fois toutes les uvres qui vont clairer le monde et en mme temps les clats dobus et forcment la mort des potes qui nauront pas le temps de prendre la parole. Cest trs puissant et cest extrmement iconoclaste au premier sens du terme, a ne se dit pas des choses comme a. Il ny a que les potes qui peuvent le dire. Allez dfendre a, allez dfendre que ce soit beau la guerre et quil y a une nigme derrire a Cest aussi lnigme de la cration : il faut dtruire pour que dautres gnrations de potes arrivent.

    aux antipodes de luni-vers burlesque des Mamelles de Tirsias, Poulenc se projette corps et me dans le

    drame intrieur des Carmlites de Compigne confrontes la Rvo-lution. Stphane Denve se souvient de son premier contact avec cette uvre : LOpra de Paris et le Fes-tival Saito Kinen mont demand dtre lassistant dOzawa et de diri-ger quelques reprsentations aprs lui. Cest comme a que a sest fait. Je me rappelle trs bien lt qui a prcd cette premire collabora-tion. Jai jou la partition au piano en chantant toutes les parties, en PHO

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    permanence, et a ma vraiment boulevers. Cest une uvre dont on ne revient pas indemne. Pou-lenc parvient lier intimement les exigences du texte de Bernanos et la force expressive de la voix chante. Je trouve, relve Karen Vourch, que souvent pour mettre en valeur une motion trs forte,

    une espce de gouffre dmotion, il cre justement un gouffre au niveau des notes. Cest--dire que dans le mot cl de la phrase qui va exprimer le doute, une grande tris-tesse, ou au contraire une grande volont, il manifeste cette motion par un grand cart de notes avec ce qui prcde. Blanche a a, Lidoine

    aussi, avec une ligne trs legato, ce qui est trs difficile : il faut obte-nir des notes gales, maintenir le grand legato et ne pas faire sen-tir la difficult vocale, leffort Simultanment cette exigence du beau chant, Poulenc pense thtralement. Il a une ide trs concrte de ce quil veut et il sait

    sadapter compltement linter-prte, la voix de linterprte et la sensibilit de linterprte, on le sent dans ses propos avec Denise Duval ou Pierre Bernac. Cest magnifique parce que a rend jus-tement la mlodie et le discours compltement vivants. Dans La Voix humaine, jai tout dabord

    appris ma partie trs, trs minu-tieusement, de faon solfgique. Puis certains moments, je me suis donne quelques liberts. Jai peut-tre la prtention de croire que a lui aurait plu, mais cest ce que jai fait, parce que je me dis que ctait juste dans lintention. Je pense que Poulenc tait quelquun telle-ment proche du texte, du thtre que, partir du moment o on est juste dans ce quon fait, a lui conviendrait enfin, cest ce que jaime penser.

    orchestre et ballet

    Poulenc a crit plusieurs ballets, Les Biches, Aubade, Les Animaux modles. Ils sont trop peu donns en tant

    que tels mais perdurent au concert. Pourtant, le chorgraphe Thierry Malandain tmoigne de limpact que peut avoir sur un public actuel un de ces ballets rinterprt : Jai chorgraphi Les Biches en 2002 la demande de Jean-Louis Pichon alors directeur de lOpra Thtre de Saint-Etienne. Le ballet tait donn avec Les Mamelles de Tirsias. Quelques annes aupara-vant, en 1995 exactement, javais mont un spectacle sur Fran-ois dAssise avec pour partitions une des Quatre Petites Prires, le Concerto pour piano et orchestre, le Concerto pour orgue, orchestre cordes et timbales et le Gloria. Francis Poulenc ne mtait donc pas tout fait inconnu. Par ailleurs, comme danseur au Ballet Thtre Franais de Nancy, javais eu loc-casion de travailler Les Biches dans la version de Bronislava Nijinska. Jai eu aussi plusieurs fois locca-sion de voir Voluntaries que Glen

    Thierry Malandain

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    Tetley rgla sur le Concerto pour orgue. Je pense quil y a une ques-tion de culture et de gnration ; cinquante ans, comme Franais, je fais encore partie de ceux qui ont pu danser ou mme tout sim-plement voir des uvres dessines sur ce type de partitions. Pour ma chorgraphie, jai pu reprendre comme surgissant du pass, cer-

    tains numros dans la chorgraphie de Bronislava Nijinska. Principa-lement, la belle inconnue, lhtesse et les deux jeunes filles clbrant la douceur du mois de mai. La facture du ballet associait donc le no-classicisme angulaire de Nijinska et le mien, qui est peut-tre plus charnel, plus sensuel. Les costumes attribus aux danseuses et aux dan-seurs taient identiques, de simples maillots verts, car je privilgie sou-vent une danse non-sexue. De plus mon intention ntait pas de faire revivre laspect ftes galantes de la version originale, mais plutt de proposer une pice abstraite.

    que ce soit dans le bal-let, dans le concerto, dans lopra ou dans les pices plus spcifi-quement symphoniques

    comme la Sinfonietta, lorchestre de Poulenc conserve une couleur personnelle. Toujours lavantage

    aux vents, indique Pascal Rog, parce que ctaient ses instruments prfrs. En gnral, les cordes ne linspiraient pas. Sans doute aimait-il le ct prcis, clair, sec, du hautbois, de la clarinette, de la flte. Quil ait crit trois chefs-duvre de sonates et que sa sonate pour violon soit moins russie ce nest pas le hasard, il le disait lui-

    mme. Je pense que mme dans son orchestration, ce sont toujours les vents qui donnent la couleur, qui donnent le thme et les cordes sont l un peu pour meubler. Yoel Levi nhsite pas dcrire Poulenc comme un orchestrateur brillant : Cest loin de lamateurisme ! Jamais je ne le dcrirais comme un amateur ! La manire dont il utilise les instruments est trs intelligente, unique, imaginative. Il utilise le grand orchestre, tous les instruments, mme des percus-sions pour des effets particuliers. Et tout ce quil fait est toujours juste. Il obtient les bons effets, les bonnes couleurs, la bonne expres-sion dramatique. Pour Jos van Immerseel, son style dorchestra-tion est trs proche de Stravinsky : Les couleurs, le ct anguleux par moments et surtout lemploi des vents. Cest bizarre, parce que Poulenc tait pianiste ; il tait pourtant trs intress par les vents,

    tout ce quil fait est toujours juste. il obtient les bons effets, les bonnes couleurs, la bonne exPression dramatique

    PHO

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    surtout les bois ; ma connais-sance, il na jamais dirig, mais il avait connaissance des possibilits des instruments. Mes musiciens taient aussi trs tonns quand on a fait ce projet Poulenc avec Anima Eterna. La plupart de mes coll-gues navaient presque jamais jou Poulenc et ils ont fait a avec des bois de facture franaise dentre les

    deux guerres et ils mont tous dit mais cest incroyablement bien crit pour linstrument !

    Chez Francis Poulenc, relve Georges Prtre, il y a beaucoup de choses qui passent mais il ne faut pas oublier lmotion du phras. a cest trs important. Mme quand il y a une petite phrase de rien du tout, il se passe toujours quelque chose. Parfois, on dit il faut que a sonne ! mais non justement !, il ne faut pas que a sonne trop. Il faut se

    Yoel Levi

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    Jos van Immerseel

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    la musique de Poulenc est unique Pour a ; elle change datmos-Phre et de senti-ment en un millime de seconde

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    Laurence Equilbey, Harry Christophers,

    Macha Makeeff raliss par Herv

    Lacombe et Eric Denut en 2011 et 2012

    Entretiens avec Stphane Denve,

    Marc-Andr Hamelin, Yoel Levi, Jos

    van Immerseel, Karen Vourch, Graham

    Johnson, Daniel Reuss, Ludovic Lagarde

    raliss par Eric Denut en 2011 et 2012

    Correspondances avec Eric Le Sage,

    Kent Nagano, Thierry Malandain en

    2011 et 2012

    retenir et cest beaucoup plus puis-sant. Si vous faites un pianissimo vraiment trs piano avec Poulenc, mais avec le son qui convient, avec surtout le phras quil faut, eh bien, la sensualit ressort beaucoup plus que si vous jouez fortissimo, ce qui efface la sensualit. Ce qui ma plu quand je lai dcouvert, cest latmosphre particulire qui se dgage de son uvre, lesprit Francis Poulenc. Lesprit de son criture, lesprit de sa sensibilit. Et lesprit aussi de son phras. Vous savez a compte beaucoup. Chaque grand artiste a un phras lui. Poulenc a le sien. Prenez par exemple la dernire phrase du Gloria Cest une phrase qui va vers le ciel. Alors si vous ne trou-vez pas le phras exact, vous ne serez quun chef dorchestre. Il faut tre un interprte et savoir chan-ter dans le juste phras avec votre orchestre.

    Poulenc notre contemporain ?

    stphane Denve rpond : On est dans une poque qui va trs vite o tout change trs rapi-dement, et la musique

    de Poulenc est unique pour a ; elle change datmosphre et de senti-ment en un millime de seconde. Il utilise ce ct un peu noclassique, des petites formules parfois trs courtes, des petites cellules, puis il les juxtapose les unes aprs les autres ; a devrait en toute logique faire une uvre de bric et de broc. Pourtant, il y a quelque chose de trs organique, qui fait que a continue et quon suit une ligne alors que cest trs vari. Jadore a, et a parle vraiment, a parle beau-coup aux enfants dailleurs. Jai une petite fille qui a trois ans et demi ; je lui mets de la musique de Poulenc et a passe dj merveilleusement ; il y a quelque chose de tellement joyeux, de tellement vari elle aime a. Je trouve que cest quelque chose qui est assez particulier chez Poulenc, le fait davoir pu construire des uvres avec un tel souffle, une telle organisation, et pourtant faite dmotions et de sentiments qui peuvent tre trs varis, passant de la mlancolie la plus noire la gat la plus lgre en un quart de seconde. Cest pour moi une chose qui fait que sa musique est universelle. Il y a plusieurs degrs et une certaine ambigut qui fait que, parfois, comme chez Mozart dailleurs, il a un sourire triste, il crit une musique qui semble lgre et qui pourtant sonne trs nostalgique, trs mlancolique. De la mme faon, il compose des pices trs religieuses et srieuses qui sont en mme temps pleines despoir, extatiques, et mme pleines de sensualit. Cest cette faon de mlanger les sentiments qui pour moi est quelque chose qui parle toutes les poques. Herv Lacombe

    Denise Duval