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Pour la traduction française

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Pourlatraductionfrançaise:ÉditionsAlbinMichel,2012

ISBN:978-2-226-28029-9

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DumêmeauteurchezAlbinMichelWiz:

Humaine

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ÀRyanQuirk,sicourageux.

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Unantiqueparchemingîtenunlieuobscuretsacré.Sonemplacementestinconnu;sonauteur,anonyme.

C’estunelégende.Dessus,unrituel,inscritenlettresdesang.

Cerituelexigel’amourleplusprofond,lesacrificeultime:celuidelavie.Parlui,unvampirepeutredevenirhumain.

Rhode,monamour,s’estsoumisàcerituelpourmoi.Ilenestmort.

Jem’ysuissoumiseàmontour,ilyaquelquesjoursàpeine.Etj’aisurvécu.

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Chapitre1–Terevoilàcheztoi,meditJustinEnosenm’entraînantparlamainentreleshautspiliersencadrantleportaildu

lycéeprivéWickham.Prise d’une hésitation, jem’arrêtai dans l’allée principale avant d’arriver chezmoi, à SeekerHall. Au loin, les

hautsréverbèreséclairaientlabriquedesautresbâtimentsducampuscommeautantdepetitspharesdanslanuit.Seulementquatrejoursauparavant,j’étaiscertainequecemondeneseraitpluslemien.J’avaisaccomplilerituel

pourVicken,monami,monconfident,vampireluiaussi.Jem’yétaissoumisepourqu’ilredeviennehumain.–Jetiensdebout,tusais.Aumomentoùjeledisais,jetrébuchaietJustindutmesoutenir.Mescuissestremblaient,conséquencedutemps

que j’avaispassé inconsciente surun litd’hôpital.Quatre jours…donc,quatre jourségalementquemonmeilleurami,Tony,avaitététuédanslatourdesarts,etquejem’étaiscruemoiaussisurlepointdeperdrelavie.–Quellebellenuit,dis-jeenm’appuyantsurlebrasdeJustinpourmarcher.Ilajustasafouléeàmespasdefourmi.Ilportaitaussilesacquicontenaitmesaffaires.LapetitevilledeLoversBay,dansleMassachusetts,étaitunvraibouquetdefleursaumoisdejuin:partout,les

roses et les hortensias nous entouraient. Leur parfum floral se mêlait aux arômes de cuisine issus des cafés etrestaurantsquiflottaientjusqu’ànousdepuisMainStreet,laruecommerçantequilongeaitlelycée.L’airétaitemplidesenteursenivrantes,quemonhumanitérécemmentreconquisemepermettaitparfaitementdepercevoir.Maisavectoutcequiétaitarrivé,lecampusdeWickhammefaisaitunpeul’effetd’unlieuimaginaire,néàlafois

d’unrêveetd’uncauchemar.Lanuitétaitpaisible.Lesarbresondulaientparesseusementdanslabrisedejuinetjecontemplaislesélèvesqui

déambulaientdanslecampusendiscutantàmi-voix.Laluneapparutentre lesnuages.Enlevant lesyeuxpour lasaluer, je crus apercevoir, au bout du chemin qui menait à la plage, une silhouette qui bondissait vivement ets’enfonçaitdanslesbois.Desmèchesblondesvolaientderrièreelledanslevent.Tout d’abord, je ris sous cape en imaginant une élève faisant le mur pour aller retrouver un petit copain ou

chercherunbarplus intéressantque le foyerdesélèves.C’estensuitequequelquechose,danssesmouvements,retintmonattention.Cettefillesautaitavecl’aisanced’unedanseuse,maissemblaitpourchasserquelquechose.Elleétaitsvelteetvive.Tropsvelte…tropvive.Alarmée,jescrutaiattentivementlesenvirons.–Qu’est-cequ’ilya?s’enquitJustin.Jetâchaidegagnerdutemps.–Tuneveuxpasfaireuntouràlaplage?luidemandai-je.Ilallaconfiermonsacàlagardiennedemonbâtimenttandisquejel’attendaisseule,scrutanttoujoursl’allée.Si

l’inconnue ressortait des bois, ce serait bon : je saurais que ce n’était qu’une humaine ordinaire. Des élèvesmehélèrentenpassant:–Salut,Lenah!Commentçava?Mieux?Jegardailesyeuxfixésdevantmoi.–Lesnouvellesvontvite:toutlemondesaitdéjàquetuétaisàl’hôpital,memurmuraJustin,deretourprèsde

moi,enm’embrassantdanslecou.Nouspassâmesdevant le foyerdesélèveset lebâtimentQuartz,où logeait Justin.Sanspouvoirme l’expliquer,

j’étais convaincue que l’inconnue avait quelque chose d’anormal, que sa blondeur n’était pas humaine. Peut-êtren’était-cequ’unaccèsdeparanoïa…mais j’avaisdebonnesraisonsd’êtreparano!J’étaisuneex-vampireâgéede592ans:lesbizarreriesetlescréaturesétrangesavaientnaguèrefaitpartiedemonquotidien.Unefoissurlaplage,jeretiraimeschaussures,leslaissaiaupieddesmarchesetm’assissurlesablefrais.Là,

appuyée contre le torse tièdede Justin, àm’émerveillerde la splendeurde l’océan, je tâchaid’oublier l’éclair decheveuxblondsetl’agilitéexceptionnelledecettesilhouettebondissante.Justinpritmamain.Perdueavec luidans lacontemplationde labaie, jemerepassai le filmdenotrepremière

rencontre.C’étaitpendantmapremièresemained’humanitéretrouvée:ilétaitsortidel’eau,scintillantetdoré…Jeposailatêtesursonépaule,inspiraiprofondémentetécoutailesvagueletteslécherparesseusementlagrève.Saufque…Unecertitudehorriblem’envoyaunfrissondansl’échine.Jefrémis,etJustinbaissalesyeuxversmoi.–Çava?medemanda-t-il.Regardeàgauche…,medisaitmoninstinct.Justinaussilesentit.Ildétournalatête,enfonçalesdoigtsdanslesableetsedressasurlesgenoux.Lamortapproche,disaitunevoixdirectementdansmatête.Lavoixdelareinevampirequiétaitenmoi.Lavoix

delachasseressedesmultitudes.Tusaisquelemalheurestimminent,mesusurracettevoix.Lentement,jemetournaiversleboutdelaplage.–Tuvoiscequejevois?chuchotaJustin.Oui, je voyais.Mon cœur était une corde de violoncelle, un archet invisible le faisait vibrer, presque trembler.

Quelqu’uncouraitversnousdepuisl’autreextrémitédelaplage.Unefille:pasuneenfant,maispascomplètementunefemmenonplus.Uneélève?Sasilhouettemenuenecouraitpasenlignedroitemaiszigzaguaitcommeunlapinapeuré.Soudain,elles’effondra.Elletentaaussitôtdeserelever,maissesbrassedérobèrentetelleretomba.–Jecroisquec’est…,commençaJustin.Ellefinitparréussiràseleveretseremitàcourir.Lorsqu’elleretombadanslesablequelquespasplusloin,elle

poussauncri.Ouplutôt,unhurlementquisetransformaenlongueplainte,serpentantversnousàtraverslaplage,

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déversantsaterreurdansnosoreilles.Mesbrassecouvrirentdechairdepoule.Jeconnaissaisbiencegenredecris.–Elleabesoind’aide,ditJustinens’avançantverselle.–Attends!soufflai-je.Jel’arrêtaietplissailesyeuxpourmieuxyvoirdanslapénombre.–T’esfolle?Ellesouffre,protestaJustin.Qu’est-cequ’onattend,Lenah?Ma terreur augmenta encore. La bouche sèche. Lesmots coincés dans la gorge, prisonniers de la peur. Je ne

pouvaispasdétachermesyeuxdelascène.Carilyavaitquelqu’underrièreelle.Quelqu’unquimarchaitavecassurance,enondulantdeshanches.Unedémarchedemannequindepodium.La

fouléed’unefemmefatale.Celle-ciattrapalafilleparsaqueue-de-cheval.Ettirad’uncoupsec,animaletbrutal.Leventselevaentrelesarbres,quifrissonnèrentd’unemanièreinhabituelledanslabriseestivale.–Justin.Ilfautqu’onparte.Toutdesuite.–Mais,Lenah!Ilrépétamonnometjel’attiraiàmoipourluiparlerdetoutprès.–Silence.Ouonestmortstouslesdeux.Ilneréponditpas,maisunéclairdecompréhensionpassadanssespupilles.Il fallaitque jedemeurecalculatriceetposée. Jenepouvaispas laisser l’humaineenmoiprendre ledessus. Je

remontai les marches et bifurquai dans le bois qui longeait la plage. Mes jambes, affaiblies par mon séjour àl’hôpital,mefaisaientmal,etjem’appuyaisauxtroncsdesarbrespournepastomber.–Lenah!Ilfautqu’onaillechercherdusecours!chuchotaJustindansmondos.Jefisvolte-face.–Qu’est-cequejet’aidit?Silence.Etarrêtedeprononcermonnom,crachai-jeavecdureté.Jemelaissaitomberàgenouxetrampaijusqu’àl’oréedubois,làoùlaterrerencontraitlagrève.Delà,j’observai

lascène.Enreconnaissantlafille,j’étouffaiuncri.KatePierson,monamie.MembreduTrio, labandede fillesdeWickhamavecqui, contre touteattente, j’avais

sympathiséaucoursdel’annéeprécédente.Kateétaitlaplusjeuned’entrenous:seizeansàpeine.Innocente,belle,etcourantàprésentungravedanger.Voilàquichangeaittout.Impossibledelalaisseràsonsort.Jepassaiimmédiatementlessolutionsenrevue.Nousn’avionsniépéenidaguepourpoignarderlevampireenpleincœur.Ilfaudraitdoncl’effaroucherparune

démonstrationdeforce.Delaforce,Justinenavait.–Pitié!criaKateàsonassaillante.Nousétionsallongéssurleventre,etmesdoigtss’enfoncèrentdanslesolsablonneux.DerrièreKate,lafemmefoulait lesabled’unpiedléger,commepourunesimplepromenadenocturne.Elleétait

entièrementvêtuedenoir.Unesuperbechevelureblonde,abondante,ondoyaitderrièreelledanslevent.Ellesourit,laboucherougedesang.J’inspirailentement.–Jelaconnais,chuchotai-jeàJustin.Mademeured’Hathersage,enAngleterre,revintenvahirmespensées.L’escalierquimontaitaugrenier.Labonne.Lagentillebonneauxjouesroses.Désormais,elleétaitplusblanchequelemarbre,etempliedecolère.Àquelquespasdenous,Katetentaitdes’éloignerenrampant,maisàprésentquejedistinguaislagravitédeses

blessures,jecomprenaisqu’ilétaittroptard,bientroptard.Jedéglutistandisquelablondel’attrapaitparlecoletlamordaitaucreuxdel’épaule.Lajeunefillepoussaun

hurlementvidequejeconnaissaisbien.Laplaintefinale.Sapetitebouches’ouvritetsoncrirésonnadanslanuit.–Comment?soufflaJustin.Commentlaconnais-tu?Unfrissonmeparcourut.–Je…C’estmoiquil’aitransformée.Justin,avecunelenteurinfinie,reportasonregardsurlaplagesansriendire.Katelançaitencoredefaiblesruades,etsonsangcoaguléformaitdéjàunecroûtesurlesable.Ellesaignaitdes

brasetducou.Cetassassinatétaitunedémonstrationdeforce.Lamortdonnéeparunvampirepeutêtrebrèveetindolore,maiscelle-cirappelaitplutôtcelledeTony:unemiseàmortimpitoyable,accomplienonparfaim,parsoifouparnécessité,maispourlepouvoir.Pourlavolupté.Kateportasesdoigtsàsoncoupourtenterd’arrêterleflotdesang.Ungestevain.Quej’avaisvubientropsouvent.–Jeneveuxpasmourir,supplia-t-elle.Pitié…Moncœursedéchirait,maisl’anciennereinevampireenmoimedisaitquecetteconsœurblondeétaitpuissante.

Etquesondésirdesangétaitsansappel.ImpossibledefuirpourJustinetmoi.ImpossibledevolerausecoursdeKate.Aumoindrebruit,nousmourrions

souslescrocsdelacréature.Nousétionsimpuissants.Unedernièreplaintes’élevadelaplage.EtKatePiersons’éteignit.

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Chapitre2Unefoissortisdubois,nousnousarrêtâmessousunréverbère,dansl’allée.–Ilfautprévenirlessecours,ditJustin.–Non.Laseulechoseàfaireestderentrer.Ilfautquejeréfléchisse.D’une main, je massais mon ventre pour tenter de le dénouer. J’avais besoin d’aide, besoin de quelqu’un qui

comprennelesvampires.Rhode.C’estluiqu’ilm’auraitfallu,maisilétaitmort.–Onnepeutquandmêmepaslalaissercommeçasurlaplage!protestaJustin.Uneélèvedesecondeetunagentdesécuritépassèrentdevantnous,suivisdeprèsparMrsTate,professeurde

SVT.–Tudisquetuasentendudescris?demandaitlevigileàl’élève.–Deuxfois,monsieur.Parlà-bas.MrsTate,elle,nousemboîtalepasennousvoyant.–Lenah,c’estbondeterevoir,dit-elleenmetouchantlégèrementl’épaule.Auriez-vousentenduquelquechosedu

côtédelaplage,touslesdeux?Uneélèveditqu’elleaperçudeséclatsdevoix.Nousétionsprèsdelaserre:j’enprofitaipourglisserunpetitmensonge.–Non,répondis-je.Nousétionslà-dedans.Elle hocha la tête et rejoignit l’agent et la jeune fille pour les accompagner jusqu’à la plage. Les sirènes, je le

savais,n’allaientpastarderàretentir.Sousmoncrâne,unebataille faisait rage.Que faisaitunvampire ici, àLoversBay?Unvampirequiétaitmon

œuvre…LenomdeVickens’insinuaitdemanièreobsédantedansmespensées.Vicken. Mon fidèle Vicken. Que j’avais créé, dans des ténèbres et des douleurs si profondes. Il était mon

compatriote…maisj’avaisaccomplilerituel, jel’avaissoulagédesoninfiniesoifdesangpourlibérerl’humainenlui.Etsilerituelavaitéchoué?SiVickenétaittoujoursunvampireettravaillaitàprésentaveccetteblonde?–Lenah?Àquoipenses-tu?s’enquitJustin.Jebattisdespaupières,ettâchaidemeconcentrersurlui.–Vicken.Qu’est-ildevenuaprèslerituel?Unmuscletressaillitdanssamâchoireetilcroisalesbrassursontorse.–Jel’ailaissécheztoiquandjet’aiemmenéeàl’hôpital.J’ignoretotalements’ilestvivantoumort.Jenesuispas

retournévoir.L’idée d’unVickenmort en train de se décomposer surmon lit n’était pas franchement encourageante,mais il

fallaitquej’enaielecœurnet.NousdirigeâmesnospasversSeekerHallenfeignantdenepastremblerdetousnosmembres.Àl’instantoùj’allaismonterchezmoi,unevoituredepolicefitirruptionsurlecampus,sirènehurlante.Cen’étaitqueledébut.Lasirène laissadanssonsillageuneatmosphèredestressquim’enveloppade la têteauxpieds.Unecertitude

ancréedansmesos,pourlasecondefoisdelasoirée:j’étaisépiée.Jelesavais.Lablonde?Était-elleàmarecherche?Était-cepourcelaqu’elleavaittuéKate?Desdizainesd’élèvesdescendaientàprésentverslaplagepourvoircequisepassait.Monregardseportaau-delà

dufoyeretremontalalonguepented’unegrandebuttequimenaitauterraindetiràl’arc.Ausommetdelabutte,jedécouvrisalorsunesilhouettebienconnue,etunespoirfoumesubmergea.Luisaurait

toutm’expliquer.Suleen.Ledoyendesvampires.Ilétaittoutvêtudeblanc,etcoifféd’unturbanbienajusté.Illevalebraspourmefairesignedelesuivre,puis

tournalestalonsetdisparutdansl’ombre.Jemelançaiàsapoursuiteet,tâchantd’ignorerlafaiblessedemesjambes,attaquailacôte.Justinmesuivaitde

près.–Lenah,attends!Quesepasse-t-il?Toutencourant,jefislebilandesévénementsdelasoirée.L’assassinatdeKate,lavampireblonde,etmaintenant

laprésencedeSuleen…Toutcelaétaitforcémentlié.–Ilsepassequelquechosedegrave.Sinon,ilneseraitpaslà.–Commentça,quelquechosedegrave?C’estqui,lui?insistaJustin.Déjà,nousarrivionssurleplateau,ausommetdelabutte.Leclairdelunesoulignaitlecontourdesciblesdetir

alignéesauloin.Suleenn’étaitpasseul.Unesilhouetteindistinctesetenaitàcôtédeluiaumilieuduterraindetir.Pantalonnoir,bottesnoires,cheveuxnoirsenbataille.Jecrusdéfaillir.Lejeunehommepivota.Sesyeuxplongèrentdanslesmiens–bleus.Bleus…sibleus!Mamainseplaquatouteseulesurmapoitrineetjereculaientitubant.Rhode.MonRhode.Soncorpsentierétaitnimbéd’unhaloargenté.Lalumièrequiémanaitdesescheveuxnoirs,

desesyeuxbleus,descourbesdesonvisagen’étaitriencomparéeàlasplendeurqu’ilirradiaitdel’intérieur.Comment était-ce possible ? J’avais passémes doigts dans ses cendres scintillantes, le jour de mon arrivée à

Wickham.J’étaisabsolumentcertainequ’ilnerestaitriendelui.Mais bien sûr… je commençais lentement à comprendre. Si j’avais survécu au rituel accompli sur Vicken…

pourquoipaslui?Jeme précipitai dans sa direction. Il m’observait, absolument immobile. La stupéfaction de le voir envahissait

chaquecelluledemoncorps,etmoncœurdemortellebattaitlachamade.Voilà,jen’étaisplusqu’àunpasdelui,

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suffisammentprochepourletoucher…Etj’allaisletoucher!Sentirenfinsapeausousleboutdemesdoigtsquidésormaisétaientvivants,faitsdenerfs

et de sang.Mais soudain, Suleen s’interposa entre nous. Je fis un pas à gauche pour l’éviter,mais il suivitmonmouvement.Jefisunpasàdroite…Mêmechose.Rhodenemequittaitpasdesyeux,maisnefitpasungestepours’approcherdemoi.Jetendislamainverslui,lesdoigtstremblants.–Rhode…,dis-jedansunsouffle.Tun’espasmort.Tun’espasmort.Ilm’observaitenclignantdespaupières,d’unairréservé,étonné,commesij’avaisétéunecréatureinconnueou

unspécimend’oiseaurare.–Rhode?La panique commençait à remonter demon ventre versma gorge. La voix de Suleenm’arracha soudain àma

contemplationéperdue.–Lenah…Nousn’avonspasbeaucoupdetemps.–Maisenfin,Rhode,parle-moi!lançai-je,exaspérée.Ilbaissauninstantsespaupières.Ilsemblaitrassemblersesforcespourparleroubouger.Maisaulieudecela,il

prituneprofondeinspiration.Lorsqu’ilrouvritlesyeux,leurfroideurmanquademefairetomberàlarenverse.–Rhode?Sais-tuàquelpointj’airêvédecetinstant?Jet’aime!Aucuneréaction.Enrevanche,jesentisquelquechosequittermonbras.Justin.J’avaispresqueoubliésaprésence.Sesjouesétaient

maculéesdepoussière,etsesmainsencroûtéesdeboueetdesable.Cequimerappelanotreterreur,cequenousvenionsdevivre.EtlamortdeKatePierson.–C’estlui,Rhode?demanda-t-ildansunsouffle.L’étonnementetladouleurperceptiblesdanssavoixmedonnèrentenviedeplaquermesmainssurmesoreilles.Rhode l’observait avec la curiosité qu’il avait eue pourmoi : comme si nous avions été des animaux inconnus.

Justintenditunbrasdansmadirection.–Ilnefautpasresterici,Lenah.Àcesmots,Suleenvintseplacerentrenousdeux.–Qu’êtes-vous…,commençai-jeàdiretandisqu’ilouvraitsapaumefaceàJustin.Toutàcoup,unegrandebourrasquedeventnousenveloppa.Lesarbresfurentsiviolemmentsecouésqueleurs

branchesplièrentet craquèrent. Il y eutunedétonation sèche, sonore, aumomentoùSuleen lançait sonbras enavant. En un clin d’œil, un large disque d’eau apparut en tournoyant verticalement, nous séparant de Justin. Cebouclier liquide lévitait entre nous. Je tendis les doigts et les passai dans cette paroi liquide et suspendue. Ils ycreusèrentdepetitssillages.Jamais,jamaisjen’avaisvuunvampiredouéd’untelpouvoir.–Lenah,vite!ditSuleenenfrançaisderrièremoi.Il se retourna vers Rhode, laissant l’écran tourbillonner en l’air derrière nous, comme s’il s’était agi d’un

phénomènebanal.Justincriamonnom,tapadupoingdanslabarrièreliquideetrecula.Ilsehissasurlapointedespiedspourtenter

devoirpar-dessus,maiselle s’étira simplementvers lehautavec lui.Nos regardssecroisèrentà traverscemurd’eau,quidéformaitétrangementsestraits.Ilm’appelaune foisdeplus,et le sondesavoixbrisée formaunnœudaucentredemonplexussolaire. Jene

pouvaispaslaisserlesautrespourlerejoindre.Pasaprèstouscesévénements.Exaspérée,jemetournaiversSuleen.–Maisquesepasse-t-il,enfin?–Lenah,dit-ild’unevoixdouceenmetouchant,réchauffantinstantanémentmesdoigts.Enaccomplissantlerituel

pourVicken,tuasattirél’attentiondesAeris.–DesAeris?Jen’avaisvuleursnomsquedanslesancienstextesvampiriquesetlamythologieceltique.–Cequevousavezfaittousdeuxaveclerituel.Celadoitêtrejugé.–Jugé?Commedansunprocès?Rhode,lesbrascroisés,serefusaitàmeregarder.Lesmusclesdesesbrassecontractèrent,cequimefitbaisser

lesyeuxune fractiondeseconde.Et là, ilavalasasalive. Je l’observaisde tousmesyeux,ne fût-cequepourmeprouver qu’il était bien réel. Sa poitrine se soulevait sans effort. Nous avions tous deux accompli le rituel, nousavionstousdeuxeul’intentiondemourir,etpourtantnousétionsréunis…ettoutàfaitvivants.Humains,luietmoi.– Lenah, écoute-moi, poursuivit Suleen. Il faut que tu te concentres, tout de suite.Ceci vous affectera tous les

deux.(Ilposasesmainschaudessurmesépaules.)Àjamais.J’avaisenviedeleurparler,àluietàRhode,delafemmevampireblonde.DelamortdeKateetdel’horreurqui

s’étaitdéchaînéesurlecampusdeWickham.L’écran liquide flottait toujours en l’air, mais Justin n’était plus de l’autre côté. On ne voyait plus que les

ondulationsvertesdesarbresassombris,surlesquelslaluneposaitdeséclatsd’argent.Lenœudquej’avaisdanslapoitrineseresserraencorelorsqueSuleenseremitàparler.– Rhode doit expliquer aux Aeris pourquoi il a manipulé les éléments afin d’accomplir un rituel destiné à

transformerunvampireenhumain.Ildevraégalementleurexpliquerpourquoiilt’atransmiscetteinformationpourquetoiaussi,tuenfassesusage.–C’esttrèssimple.J’étaisentraindeperdrelatête.Desombrerdanslafolie.Dis-lui,Rhode.Cederniersoupira,etpritlaparolepourlapremièrefois.–Lenah…Cemot ne ressemblaitmêmeplus àmonnom, on aurait dit un juron, unmot pourri, craché commepour être

oubliéauplusvite.–Tunem’asjamaisditquecerituelfaisaitappelàlamagiedeséléments,plaidai-je.Lamagie des éléments était la seule raison possible à l’intervention des Aeris. Car ces entités incarnaient les

quatreélémentsdumondenaturel:laterre,l’air,l’eauetlefeu.Pasl’humain.Pasl’esprit.LesAerisexistaientdemêmequelaTerreexiste.–Ilfautenpasserparlà,Lenah,ditRhoded’unevoixcalme.Letempsestvenuderéparer.–Enfin!soufflaSuleen,quisedécidaàs’écarterd’entrenousdeux.Il regardaau loin, vers la verdure,maispourmapart jegardai les yeux rivés surRhode.Les longs troncsdes

arbresn’étaientplusqu’unetacheflouederrièrelui.Leslargesfeuillesd’été,unsombrelavisémeraude.–Tuneveuxmêmepasmeregarder?luidemandai-jeàmi-voix.Savais-tuquelesAerissemanifesteraienttôtou

tard?(Jen’osaispasm’approcherdelui.)Pourquoin’es-tupasrevenuplustôt?Unefoisdeplus,sonsilencefutsaseuleréponse.

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–Jenetecomprendspas,ajoutai-je.–Jenevoulaispasrevenir,lâcha-t-ilsèchement.Onm’yaobligé.(Ilrelevaenfinlesyeuxversmoi.)Pourceci.Cesmotsmetranspercèrentlapoitrine.Ilnevoulaitpasrevenir?C’est alors que je commençai à distinguer une lumière blanche et diffuse. Je connaissais cette lumière.C’était

celledusurnaturel.LesderniersmotsdeRhodedemeuraientsuspendusentrenous,cinglantscommeuncoupde fouet. J’avaisune

vasteétenduedeterraindevantmoi,etlesciblesdetiràl’arcs’alignaienttoutaufondduplateau.Lesangbattaitdansmagorgeserrée ; jeposai leboutdemesdoigtssurmapeaupourmieux lesentir.Aucentredu terrain, lalumièreblanchepritdel’ampleur,jusqu’àdeveniraussilongueetlargequeleterrainlui-même.Audébut,ilfutdifficiledediscernerquoiquecesoitdanstoutceblanc,maislesombresquilepeuplaientprirent

peuàpeuformehumaine.Quatrecorpsféminins.LesAeriss’avancèrentversnous.Les robes de ces créatures flottaient et semblaient tissées dans de l’eau pure. Les teintes de leurs voiles

changeaient presque à chaque seconde : bleu, puis indigo, puis rouge. Jeme demandai si c’était un simple effetd’optique. L’une des femmes avait des yeux d’un blanc impossible, et ses cheveux ondulaient autour de sa têtecommesielleavaitétéimmergéedansunlac.Celled’àcôtéavaitlevisageencadrédecourtesmèchesd’unrougeéclatant, qui vacillaient et crépitaient comme des flammes. Lorsqu’elleme regarda, sa robe flamboya d’une vivelumièreorangée.ElleétaitleFeu.DerrièrelesAeris,descentaines,non,desmilliersdesilhouettesévoquaientdespersonnesnormales.Lesquatrecréaturesparlèrentd’uneseulevoix.–NoussommeslesAeris.Leurlumièreoccupaitlatotalitéduciel,àprésent.–Quisontcesgens,derrièrevous?demandai-je.–«Cesgens»,commetudis,meréponditleFeuenlesembrassantdugeste,sonttesvictimes,etlesvictimesde

tesvictimes.Mesvictimes?Jesecouairapidementlatête.Impossible.Etpourtant, ilsétaientbienlà.Ilssetenaientmollement,amorphes, leursidentitéscachéesdanslalumière.Au

cœurde leurmasse on remarquait un êtreparticulièrement lumineux, haut deunmètre tout auplus.Un frissond’horreurmeparcourutl’échine.Uneenfant.Cellequej’avaistuéeplusieurssièclesplustôt.LeFeu,quiavaitjusque-làregardéRhode,tournalatêteversmoi.–Vousdeux.Vosviessontinextricablementliées,c’estvotredestinée.Lecoursdevosexistencesvousaamenés

ici–ensemble,enâmessœurs.–Etvousn’étiezjamaisintervenuesdansnosviesjusqu’àcesoir,soulignaRhode.–Toi,Rhode,tuauraisdûmourirlorsquetuasaccomplilerituelpourrendreàLenahsonhumanité.Cependant,

tonâmesœur t’a retenuattachéàcette terre.Lorsque tues sortidans la lumièredu soleil, il étaitprévuque tut’éteignesàjamais.Maistun’aspaspu.TunepouvaispaspartirsansLenah.–Etils’estpassélamêmechosepourmoi?demandai-je.Lorsquej’aiaccomplilerituelavecVicken?Elleacquiesça.–Noussommesvenuesdéfairecequevousavezcrééaveccerituel.Jem’efforçaisfrénétiquementdecomprendrecequ’ellevoulaitdire.LescheveuxduFeucrépitèrent.–Tunepeuxpasmanipulerlesélémentspourfairejaillirlaviedelamort.Passansconséquences.–Vousêtesdoncvenuesnouspunir?–Noussommesvenuesvousdemanderdescomptes.Pourillustrersonpropos,leFeumemontradugestelasilhouettefantomatiquedel’enfant.Iln’yavaitrienàdire.

Aucunejustification.–C’étaitdansnotrenature,alors,ditsimplementRhode.Tuer.–Nousnesommespasicipourvousreprochervosmeurtresinnombrables,sihideuxsoient-ils.LesAerisn’ensont

pas responsables, pas plus qu’elles ne sont la police du monde vampirique. Les vampires sont des morts. Desvagabondsnocturnes,deserrants surnaturels.Nousnepouvonspasvous tenirpour responsablesdesassassinatscommisdanscemonde-là,expliqualeFeuenfaisantlescentpasentrenous.Cequim’intéresse,c’estcequevousavez fait pour devenir humains.Manipuler les éléments est contraire aux lois de la nature. En accomplissant lerituel, vous êtes revenus par effraction dans le monde naturel. Une fois cela fait, vous relevez de notreresponsabilité.Vousserezdoncchâtiés.Rhode ne dit rien. De mon côté, j’étais incapable de détacher mes yeux des milliers de silhouettes massées

derrièrelesAeris.Touscesgens…LeFeujoignitsesmainsdevantsataille,puisleslaissaretomber.Sonregardseposasurmoi.Mesjambesétaient

sifaiblesqu’ellestremblaient,etjemedemandaisijen’allaispasm’effondrer.–Voicivotrechoix:soitvousretrouvezvotreétatnaturel,etRhoderetourneraen1348entantquechevalierdu

roiÉdouardIIItandisquetoi,Lenah,tuvivrastavieen1418,commetul’auraisdû.–Quandnousétionsencorehumains?soufflai-je,incrédule.–C’estl’étatnaturel:chacundevousavaitalorsuneâmepureetblanche.–Vouspouveznousrenvoyerdansletemps?s’étonnaRhode.LeFeujetaunregardàlafouledenosvictimespar-dessussonépaule.Unequestionmevintlentementàl’esprit.–Eteuxtous?–Lorsquevousregagnerezlemondemédiéval,cesâmesreprendrontellesaussilecoursnatureldeleurvie.–Jenecomprendspas.–Chacunedespersonnesquetuastuéesrevivra,ainsiquetoutescellesquifurenttuéesparlesvampiresquetu

ascréés.Ellesnecroiseront jamaistonchemin–puisquetunedeviendras jamaisunvampire.Vousnevousserezjamaisrencontrés,touslesdeux.Ellenousregardal’unetl’autre.En1348, lorsqu’ilétaitdevenuvampire,Rhodeavaitdix-septans. Jenedevaisnaîtrequecinquante-quatreans

plustard.S’ilétaitrestéhumain,ilauraitétémortàcemoment-là–ou,aumieux,trèsâgé.C’étaitleurintention.Nousrenvoyerenarrière,detellemanièrequenoussoyonsséparésàjamais.–C’estunéquilibre,Lenah.Lesquatreélémentsdumondenaturel,ensemble,créent l’équilibre.Tuesdevenue

vampirecontretavolonté.TueslavictimeoriginelledeRhode:ilterevientdoncdedéciderdesonsort.–Etquelestl’autrechoix?demandai-je.LeFeus’avançajusqu’àlalisièredelalumièreblanche.Sespupillesétaientrougevif,maisl’iris,autour,étaitd’un

blancluisantdeperle.Jeretinsmarespirationjusqu’àcequemesjouesetmoncorpsentiermepicotent.

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–Rhodeettoiavezdéclenchéuneréactionenchaînequinepourraêtrecontréequesivousêtesséparés.Vouspouvez soit retournerà l’époquemédiévale, soit rester ici.Si telleest votredécision, jamaisvousnedevrezvousengagerl’unenversl’autre.–Nousengager?s’enquitRhode.Qu’entendez-vousparlà?–L’engagementdansl’amourestunchoixprofondémentancrédansl’âme.Sivouschoisissezd’unirvosviesdans

cemonde,nousl’apprendrons.Pouvions-nousnous toucher?Nousparler ?Nousembrasser?Cesquestions sebousculèrentaussitôtdansma

tête.LeFeudevinamespensées.–Vouspouvezvousparler,discuter,échanger,maisvousn’êtespasautorisésàformerlecouplequevousavezété.–Maiscommentsaurons-noussinoussommesengagésl’unenversl’autre?Sinoussommeslecouplequenous

avonsété?Jenepeuxpascesserd’aimerRhode!– Tu as toujours, toujours, aimé qui tu voulais, quand tu le voulais. Rhode, Vicken, Heath, Gavin, Song et,

récemment,Justin.Maisquiemplissaittonâme?Enverscombiend’entreeuxt’es-turéellementengagée?Tun’aspaspartagétavie,tun’aspasgrandiaveceuxcommetul’asfaitavecRhode.C’estterminé,Lenah.TudoisagiravecRhodecommetul’asfaitaveclesautreshommesdonttuascroisélechemin.Gardertesdistancesaveclui.–Jenecomprendspas.C’esttoutcequejetrouvaiàdire,sachant,auplusprofonddemonâme,qu’elleavaitraisonsurtoutelaligne.Les

avais-jetousutilisés,toussaufRhode?Oui,n’est-cepas?LeFeufitunpasdeplusversmoi,etjesentislachaleurquiémanaitdesapersonne.–Tavieseracommelesableaveuglantd’uneplageinfinie.Tuvoudrasl’océan.Tuverrascetocéan.Maistune

pourrasjamaisretournert’ybaigner.Jamais.Jedéglutis,lagorgeserrée,incapabledeformulerlesmotsquej’auraisdésespérémentvouluprononcer.Jevoulais

laconvaincre.Serais-jecapabledegardermesdistancesavecRhode?De fairecommesinousnepartagionspasl’histoirequiétaitlanôtre?Lalumièred’argentquienglobaittoutesmesvictimespulsaitderrièrelatêteduFeu,merappelanttoutcequej’avaisfaitpourméritercetinstant,là,surleterraindetiràl’arc.–Eteux?demandai-jeavecuncoupdementondansleurdirection.Queleurarrivera-t-ilsijereste?–Tuvoiscettelumièreautourdemoi?J’acquiesçaiensilence.–Tesvictimesontl’âmeblanche.Etelleslagarderontainsi.J’imaginailamienne,noireetdure,telunmorceaudecharbon.–EtsijeretourneauMoyenÂge?Sicesgensretournentàleurvie?–Alorsilsferontleurspropreschoix.Lesortdeleurâmeleurappartiendra.J’avaisdéjàdécidédeleursort.Ilsétaientensécuritélàoùilsétaient,ensécuritédanscettelumière.Comment

aurais-jepulesrelâcherdansunpassédontj’ignoraistout?Était-cefairepreuved’égoïsme?Était-celeurâmequejevoulaispréserver,oulamienne?Jesavais,plusquetouteautrechoseaumonde,quesij’avaisuneâme,Rhodeetmoiétionsfaitsl’unpourl’autre.–Quelesttonchoix?medemandaleFeu.Je regardaiRhode. Il refusait toujoursde croisermon regard. J’avais envied’embrasser sabouche,mêmeà ce

moment-là,malgréledécretdesAeris,malgrél’interdictionqu’ellesnousimposaientdeformerànouveauuncouple.Leseulfaitdelevoirlà,desavoirqu’ilétaitprésent,toutprèsdemoi,alorsquej’avaisétésicertainedesamort…Non,jenevoulaispasrepartir.Quoiquenousayonsàaffronter,siRhodeétaitlà,mêmeàdistance,jeseraiscapabledetout.–Jechoisisderester,annonçai-jeenregardantdroitdanslespupillesécarlatesduFeu.Ici,àLoversBay.Dansmatête,unvergerdepommiersparfait,peintàgrandstraitsdecouleur,semitàsedissoudrecommeun

tableaulaissésouslapluie.–Etilsserontprotégés?demandai-jeenparlantdelafoulerassembléederrièrelesAeris.L’entiténeréponditpasàmaquestion.–Tudoislacombattre,Lenah,lâcha-t-ellesansmediredequielleparlait.Aprèsquoiellereculad’unpasdanslalumière,etsescontourscommencèrentàs’estomper.Lalumièreblanche

aussis’estompa,etSuleen,quisetenaitàcôtédenous,tenditunemainverslesAeris.Iltournasapaumeverslagauche,versladroite,etfermalepoing.Ilselivraitlààuneformedecommunicationquejenecomprenaispas.LeFeuimitaitchacundesesgestes.Paumeverslagauche,versladroite,poingserré.Sessœursetelleavaientdéjàpresquedisparu;ellessefondaientdanslepaysagecommesiellesn’avaientjamaisétélà.RhodeobservaitattentivementSuleen;quantàmoi,jedévoraisdesyeuxsontorserégulièrementsoulevéparson

souffle. Ce torse que j’avais regardé pendant des siècles en regrettant que nous ne soyons pas humains, pourrespireretvivreensemble.«Jamaisvousnedevrezvousengagerl’unenversl’autre»,avaitditleFeu.Soudain,jebondis,dépassaiSuleenet

meprécipitaiversl’Aerisquidisparaissait.–Attendez,hurlai-je.Attendez!Je jetai mes bras en avant dans la lumière, mais elle se volatilisa en ne laissant derrière elle que des toiles

d’araignéesperléesderosée.LesAerisétaientparties.LeFeuétaitparti.Rhodeembrassadesyeuxleterraindetiràl’arcànouveauplongédanslesténèbres.Ilyavaitlongtempsquele

soleils’étaitcouchésurlecampusdeWickham.–Ilfautfairequelquechose!criai-jeàSuleen.–Tuviensdelefaire,intervintRhode.Tuaschoisiderester.Ilyavaitdelatristessedanssavoix.Delacolère,aussi.Maisjenepouvaistoutsimplementpasmeséparerde

Rhode.JenepouvaispasretournerauMoyenÂgesanslui.L’herbeétaitgrisesousmespieds;leciel,noir.Jedéglutis:aufonddemagorge,uneboulemefaisaitmal.–Voscentainesd’annéesd’expériencesurcetteterredevrontàprésentguidervotreconscience.Restezàdistance

l’undel’autre,déclaraSuleen.Savoixsageetposéem’arrachaàmespensées.Rhode croisa mon regard, et une vibration presque douloureuse remonta dans mes jambes. J’avais besoin

d’empoignerquelquechosededur,deleserrerdansmonpoingetdelebrisernet,commeunebranchesèche.Soudain,j’eusuneterribleenviederetrouverlemondedanslequelj’existaisavantquelesAerisnesoientsorties

deleuruniversblancpourilluminerleplateau,ausommetdecettecolline.Justin.Jefisvolte-facepourregarderl’endroitoùSuleenavaitfaitapparaîtrelebouclierliquide.MaisJustinn’étaitplus

là. Je supposai que je ne pouvais pas lui en vouloir.Moi-même, je n’aurais pas souhaité qu’il s’attarde devant cespectacle.–Iln’yaplusrienàfaire,Rhode,ditSuleen.

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Rhode lui répondit en hindi, un idiome que je n’avais pas appris. Alors que je parlais couramment vingt-cinqlangues,ilenavaitchoisiunequejenecomprenaispas.Ilpassadevantmoietdescenditlacollinesansunregardenarrière.Ilpartait?Pourtoujours?!–Qu’est-cequ’iladit?Quoi?!Rhode!criai-jeenlesuivant.Suleenmerattrapaparlebras.–Non!hurlai-je.Jetentaidemedégager,maislapoignedudoyenétaitpuissanteetilmeretintsanseffort.Arrivéaupieddelabutte,Rhodetraversalapelouseàgrandesenjambées,puiss’engageadansl’allée.–Rhode!Rhode!Cedéchirementmerendaitmalade.Ilneseretournapas.Impossibledeluiparlerdelavampireblonde.Impossibleaussideluidire:«Reste,carjet’aime.Jet’aitoujours

aimé.Reste,etnousaffronteronstoutensemble.»Carsansunehésitation,sansunregard,ildisparut.

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Page 22: Pour la traduction française

Chapitre31730.Hampstead,Angleterre.Surlalande.Alorsquelesannéesdevampirismecommençaientàenchaînermonâmeàlafolie,jemelanguissaisduvergerde

mes parents. Les succulentes pommes rouges qui pendaient aux branches me manquaient atrocement. Durantpresque trois cents ans, je suppliai Rhode de m’accompagner en pèlerinage à Hampstead. Lorsque enfin nousentreprîmeslevoyage,jemevêtisdenoirpourl’occasion.Macheveluretombaitenlonguesvolutessurmesépaules,mes côtes étaient serrées dans un corset. Dans les années 1730, les paniers – ces larges anneaux attachés auxhanchesdes femmes sous leur robe – étaient en vogue.On attendait d’une femmequ’elle prennede la place, sedonne en spectacle, se fasse admirer. C’était une période d’opulence.Mon époque préférée, je dois dire, quimepermettaitdebrilleralorsquelesoleilnedardaitplussesrayonssurmoi.Quantauxhommes,beaucoupportaientlaperruque,généralementpoudréedeblanc.MaispasRhode.Ilavaitlescheveuxlongs,noirs,nouésdanslanuque.Lecuirdesesbottesnoiresluiremontaitpresqueauxgenoux.Nousétionsdeuxsublimesangesdelamort.–Troiscentsansquejen’aipasfoulécesterres,dis-jeenluijetantunbrefregard.–Toutcommemoi,répondit-il.Unsuperbecoucherdesoleildescendaitsurlalande,baignantlesprésd’unelueurmandarine.DerrièreRhode,

dansl’écrind’unpré,sedressaitlemonastèreoùj’avaispasséunegrandepartiedemonenfance.Lesderniersfeuxdusoirrougeoyaientsurleshautesherbes.Enmaqualitédevampire,j’étaissoulagéedesavoirquelejourmourraitbientôt.–Es-tucertainedevouloirvoir?medemandaRhode.J’acquiesçai tout en déplaçant mon regard vers le chemin qui s’ouvrait devant moi. Enfant, j’avais si souvent

arpentécesprés!Desimagesdeboueencroûtantmesorteils,demescheveuxvolantderrièremoidansleventetduricheterreaufertilebrûlaientdansmespensées.Leventeffleuraitànouveau lesbranches,etunefinecouchedefeuillesmortes couvrait le sol. La terre semblait frémir comme si elle avait eu conscience que quelque chose desurnaturelfoulaitsasurface.Rhodefitunpasetsonépéecliquetacontresacuisse.J’entrelaçaidoucementmesdoigtsaveclessiens.Bienque

presquechacunfûtornéd’unbijou,ilchoisitdepassersonpoucesurmabagued’onyx:lapierredelamort.Nouslongeâmes le long chemin creux en direction de la maison de ma famille. Lorsque nous passâmes devant lemonastère,mon regard s’attarda sur les pierres grises et le parc bien entretenu. Trois cents ans après, les lieuxétaienttoujoursempreintsdesainteté,inspirantlerespect.Était-ildoncpossiblequ’HenriVIIIaitépargnéceslieux?Qu’ilsaientéchappéàladissolutiondesmonastèresqui

avaitmarquéleXVIesiècle?–C’estunesimpleéglise,àprésent,meditRhode.Enregardantmieux,jeconstataieneffetquelemonastèredemonenfancen’enétaitplusun,mêmesilebâtiment

principaldemeuraitlemême.J’entendaislesbruitsd’unofficeàl’intérieur:deschants,desmurmures.Àneufans,j’avaisl’habitudedemecachersouslesfenêtres.Blottiecontrelemurdepierresrugueuses,j’écoutais

lescentainesdevoixobsédantesdesmoines.Leurbourdonnementdouxsedéployaitjusquedanslesprés,envoyantunevibrationdansmapoitrine.Unenuit,monpèrem’avaitditquelalumièredumonastèreétaitlaplusbelledumonde.«Lalueurdesciergesest

unpharequiguideleshommesversDieu.UnpeudeDieusurterre.»–Elleestjustelà,devantnous,meditRhode.Oui,elleétaitlà.Lamaisonduverger.Jelacontemplai.–Ellen’apaschangé,soufflai-je.Pareilleàmessouvenirs.Le même toit d’ardoise, les mêmes pierres régulièrement posées. Le même étage dominant les alignements

d’arbres fruitiers qui dessinaient des lignes droites à perte de vue. Ils étaient en fleur, ce jour-là. Le printempséclatait. Du vert, du vert partout, du vert acide, du vert d’eau, du vert sombre, et de longues herbes qui vouschatouillaientleschevilles.J’empoignailalourdeétoffedemarobeetrelevaimesjupespournepaslescrotter.–J’ail’impressionqu’iln’yapersonne,ditRhodeenobservantlacheminéequinefumaitpas.Pourmoi,celan’avaitaucuneimportance.J’appuyaimesdeuxmainscontrelescarreaux,enmedemandants’ils

étaientfrais,carjenesentaispaslatempératuredeschoses.Pluslesvampiresvieillissent,plusilsperdentlesensdu toucher. Les poutres du plafond avaient été renforcées au fil des ans,mais dans l’ensemble tout était commeavant.Àlavuedeceslieuxfamiliers,jefuscommebaignéederéconfort,etcesentimentterrassamomentanémentlacolère,ladouleuretlemalheurquimeharcelaientdepuisquejen’étaisplushumaine.C’étaitunebénédiction.–Lenah,regarde,ditRhodederrièremoi.Ilya…–Cinquantearpents,complétai-jeenmedétournantdelafenêtre.Ungrandcalmem’envahittandisquejeregardaisRhode.Jem’attendaisàcequ’ils’émerveilledevantlesvastes

étenduesdeterrain.–Non,dit-il.Despierrestombales.Cefutcommesionm’avaitplongéeentièrementdansdel’eauglacée.Lecalmequim’avaitenvahiefutremplacé

parcetteconstanteimpitoyablequejeconnaissaisbien:lechagrin.Lesentimentlepluscourantchezunvampire.Lapeine.Laperte.Ladouleur.Je restai unmoment sansbouger avant dem’approcher des tombes.Rhode, accroupi sur les talons, suivait du

doigtuneinscriptiongravéesurl’uned’entreelles.

Page 23: Pour la traduction française

Passant devant la fenêtre, j’aperçusmon reflet dans les carreaux. Tant d’années plus tôt, jem’étais vue ainsi,enfant,dansleverrebosselé.Etàprésent,danscemêmeverre,jevoyaislacascadedemeslongscheveux.Lenoirdemarobetranchaitsurlaricheverduredespommiersalignésderrièremoi.Jefisencoreunpasetpénétraidanslepetitcimetière.LedoigtdeRhodesuivaitleLdemonprénom.C’étaitmatombe.MonDieu,lapierreétaitabîmée;maismalgrétroiscentsannéespasséesdehors,exposéauxéléments,monnom

étaitencoreclairementgravé.Iln’yavaitpasd’épitaphe.

LENAHBEAUDONTE1402-1418

Ilyalongtemps,songeai-je.Ilyalongtempsdecela,jefaisaispartiedumonde.J’auraispufairebeaucouppourmafamille,pourmesvoisins,pourlesmoinesetpourmoi-même.–Àprésent,tusais,ditRhoded’unevoixdouceavantdeserelever.Ont’adonnéunedernièredemeure.C’étaiteneffetunedesnombreusesquestionsquejemeposaisàproposdemamorthumaine.–Jevoulaislavoir,confirmai-jeavecunhochementdetête.Mêmesiçafaitmal.–Tonpèret’asuiviedeprès,ajouta-t-il.Latombequijouxtaitlamienneindiquaitsimplementqu’AdenBeaudonteétaitdécédéen1419.Àcôtédelastèle,

unjasminétaitéclos.Sesfleursdélicatesformaientdespomponsblancs.«Faispousserdujasminsituasbesoindevivre,m’avait-on dit un jour. Pas seulement d’exister,mais de vivre.Fais pousser du jasmin pour ne jamais êtreseule.»Jefisunpas,mepenchaietcueillistroisgrappesdefleurs.Lorsquejemeretournaiverslatombedemonpère,Rhodeavaitdéjàavancédansl’alléeetsetenaitaubout,latêtebaisséeversuneautresépulture.Jedéposaiunpompondejasminsurlatombedemamère;elleétaitmorteseule,en1450.–Lenah…,murmuraRhode.Je relevai la tête vers lui. Sonmenton était pointé vers son torse, et ses yeux rivés sur une pierre tombale. À

nouveau, il s’accroupit. Jem’approchai et, une fois arrivée à ses côtés, lus un nom sur la tombe. J’agrippai sonépaule,reculaienchancelant.Jen’avaispasdesouffleàretenir,pasdecœurquipûttambouriner.Rienquelechocd’avoirvucenom.

GENEVIÈVEBEAUDONTEMèreetsœur1419-1472

–Tuaseuunesœur!constataRhode,ébloui.Elleestnéeunanaprèstadisparition.Unesœur.J’avaiseuunesœur?Jecontemplaislenom,pétrifiée,immobile.Sij’avaisconnusonexistence,j’aurais

puvenirlavoir,j’auraispul’observervivre.Brusquement,jefisdemi-touretrepartisencourantversleverger.Matraînevolaitderrièremoisurlesterresquiavaientétécellesdemonpère.–Lenah!Queluiavaient-ilsdit?Quesasœuravaitétéenlevéepardesdémons?Qu’elles’étaitvolatilisée?Genevièveavait

vécujusqu’àcinquante-cinqans,unâgeavancépourl’époque.Elleavaitsurvécuàmamère.Celle-cin’étaitdoncpasrestéeseule.Unefoisarrivéeauverger,jem’arrêtai.Unesœur.J’entendislespasdeRhodesurl’herbe:ils’immobilisajustederrièremoi.–Tuavaisraison.Ilfallaitquetuviennes.Ainsi,tusaiscequ’estdevenuetafamille,medit-ilgentiment.Le soleil avait presque entièrement disparu à l’horizon, et je savais qu’en observant le ciel je commencerais à

distinguerlaconstellationd’Andromède.Ceuxquivivaientdésormaischezmoiseraientbientôtderetour.Ilsétaienttrèsprobablementàlamessedusoir.LamaindeRhodeenlaçalamienne.Quanddeuxvampiress’aiment,leurcontactproduitunechaleur.Sansamour,

nousneressentonsrien.Maisencetinstant,sontoucherétaitlepluschauddessoleils.– Lenah, chacun de ceux qui ont une tombe dans ce cimetière porte le nom deBeaudonte. Ta famille vit ici…

aujourd’huiencore.JepassaimesbrasautourdeRhode, l’attiraicontremoi.Noscorpsétaientétroitementenlacésaumilieudece

chemin.Nous,lesdémonsdelasoifdesang,nousretenionsl’unàl’autre.–Promets-moi.Promets-moiquequoiqu’ilarrive,tuserastoujourslàpourmoi.Jemereculaipourregardertoutaufonddesesyeuxdevampire.Superbes,ilsavaientlacouleurd’uncield’été.

Monciel.–Nousignoronscequinousattend,maissijesaisquetueslàpourmoi,jepourraitoutsupporter.–Jetelepromets,medit-il.Quoiqu’ilarrive.Ilpritmamaindanslasienne.Avecundernierregardverslamaisonetlecimetière,deslarmesquinecouleraient

jamaisvinrentmebrûlerlesyeux.Alors,jelaissailaseulepersonnequirestaitdansmoncœurm’emporter.Tandisquel’obscuritédescendaitsur le longcheminquinousemmenaitau loin, j’entendisquelquesvoixchanterdans lepréderrièrelevieuxmonastère.Cesgensrentraientauverger,s’éloignantdenous.C’étaitmafamillequichantait.Mêmesidenombreusesgénérationsnousséparaient,ilsétaientdemonsang.J’agrippaiRhodeplusfort,etlelaissaim’emmenercommeill’avaitfaittroiscentsansplustôt:danslanuit.

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Page 25: Pour la traduction française

Chapitre4Aujourd’hui.Letempsnedéfilepaspourlesmorts.Unefoisquenoussommesdécédés,ilnouséchappeentièrement.Iln’estle

maîtrequedesvivants.Pourlemort,pourlevampire,letempsestunniddefrelons.Dangereux,àéviteràtoutprix–bourdonnantsanscesseàvosoreilles.

LorsqueRhodeavaitfuiloindemoiaprèsnotrerencontreavecSuleenetlesAeris,c’étaitlasecondefoisdenotrelongue histoire qu’il me quittait. La première s’était produite en 1740, alors que mon esprit commençait à sedéchirercommeunedentelle.Ilm’avaitdit«Jenetequitteraijamais»descentainesdefois,desmilliersdefois.Lesvampiresaimentcompter;ilsaimentcomptabiliserleurtristesse.

LapremièrefoisqueRhodem’avaitquittée, jem’étaismisedansunecolèrefolle.Etjem’étaiscrééunefamilled’ungenretoutdifférent.LapremièrefoisqueRhodem’avaitquittée…j’avaiscrééuncercledevampires.Cettefois,deboutdanscettealléedel’internatWickham,souslalunequifiltraitdansl’entrelacsdesbranches,jemejuraiquejenerevivraispascemalheur.Jeprislarésolutionderestermoi-même…quiquejefûs.

Mais où était-il parti, cette fois ?Retourné là où il s’était cachépendant toute l’annéeoù je l’avais crumort ?Qu’est-cequipouvaitêtreassezfortpourl’éloignerainsidemoi?

Sesparolesrevenaientmordillermespenséesdemanièreinsidieuse.«Jenevoulaispasrevenir,avait-ildit.Onm’yaobligé.»Rhodem’avaitpourtantpromisdenejamaismequitter.Ilmel’avaitdit,dessièclesauparavant,danslechemindu

vergerdemonpère.

Desagentsdesécuritésillonnaientlecampusdansleursfourgonnettes.Vigilesetagentsdepolicerassemblaientlesélèvesetleurintimaientl’ordrederentrerdanslesdortoirs.Lesarbresremuaient,lesétoilesscintillaientdansleurdanseparesseuse.

–Eh,toi!Je pivotai.Un surveillant que je n’avais jamais vu s’approcha demoi dans le noir. Son insigne brillait sous les

réverbères,dontlalumièresemblaitplusvivequed’habitude.–Lecouvre-feuestàvingtetuneheurescesoir,c’est-à-diredansunquartd’heure,m’informa-t-il.Montre-moites

papiers.Jeluitendismacarted’étudiante.Illevaunemainpourlaprendrepuissefigea,commefoudroyé.–Monsieur?Ilregardaitdanslelointain.Sansungeste.Auboutd’uninstant,ilsecouarapidementlatête,tournalestalonsets’enalladansl’allée.Jerestaisurplace,sansbiencomprendrecequivenaitd’arriver.Suleenmefitalorssursauterensedétachantdel’ombred’unbâtimentproche.–Marcheunpeuavecmoi,meproposa-t-il.–Commentavez-vousfaitça?luidemandai-jedansunsouffle.Ilneréponditrien.Nousavançâmesensilence,dépassantdesemployésd’entretienquitravaillaientbienquela

nuitsoittombée.Jenedistinguaipascequ’ilsfaisaient,maisdesétincellesfusaientenl’airtelsdeminusculesfeuxd’artifice.

–Ilschangentlesserrures,m’expliquaSuleen.Lesilenceretombaentrenouspendantquenoustraversionslecampuspourrejoindrelaplage.Lesmarchesquiy

descendaientétaientbarréesparunrubanjaunesurlequelonpouvaitlirePOLICENEPASDÉPASSER.Suleen le souleva, juste à côté d’un policier qui lisait quelque chose sur une écritoire. Rien dans son attitude

n’indiquaitqu’ilnousavaitvus,etnouspassâmessousleruban.LecorpsdeKateavaitdéjàétéenlevé,maissonsangmaculaittoujourslesable.Suleenetmoiétionsàprésentcôteàcôtedansleclairdelune.Leventd’étésoufflaitdoucementetj’admiraimon

protecteur silencieux. Jeme demandais pourquoi il s’était impliqué dansma vie pendant si longtemps. Et d’où iltenaituntelpouvoir.Celui-ciirradiaitdelui,aupointqu’onl’entendaitpresquebourdonner.

J’inhalai lasenteursaléede l’océan.À l’époqueoù j’étaisvampire,monodoratnepercevait riend’autreque lachairetlesang.Mavue,enrevanche,étaitillimitée:elleétaitnécessaireàlachasse,etm’avaitaidéeàcommettredesmeurtres innombrables : je distinguais les veines sous la peaudemes victimes, le flux de leur sang.Mais letoucher?Riendutout.Etlegoût?

–«Tunegoûterasquelesangetilseralefruitdetesténèbres.»C’estcequiestannoncédansleslivressurlevampirisme,dis-jeàvoixhaute.

–Lesvampiresadorentconsignerettransmettrelemalheurquilesfrappe.Pourcefaire,ilsutilisenttoutcequ’ilspeuvent trouver.Desdocumentsanciens, imprimésoumanuscrits, lespapiers lesplusvariés,de l’écorce, lapeauhumaine,réponditSuleen.

Jerestaimuetteuninstant.–LavampirequiatuéKatePiersonestmonœuvre,confessai-jeensuite.Ilhochalentementlatête.–Commetul’asvucesoir,déclara-t-il,notrepassén’estpasimmuable.Ilnousdéfinit,ilpeutdéfairenotreavenir.J’exhalaibruyamment.–CommentfontlesAerispouravoirtantdepouvoir?Sont-ellesréellementcapablesdevoyagerdansletemps?

Auraient-ellespumerenvoyerdanslepassé?–Oui,jelecrois.Vois-tu,parcedécretparticulier,elless’efforcentderéparerlesdommagesquevousavezcausés.

Page 26: Pour la traduction française

Suleensemblaréfléchirunmomentàsespropresparoles,puisajouta:–LesAerisnesontpashumaines.Ellesn’ontpasdedésirshumains,etnevousveulentaucunmal.–Pourtant,ellesmepunissentdelamanièrelapluscruellequisoit:enmeséparantdeRhode.Suleeninspiraprofondément,cequim’étonna.Jeleregardaiinhaleralorsmêmequ’iln’auraitjamaisbesoind’air.

Cet air, il l’inspira, et en l’exhalant il le souffla vers le sol ; les grains de sable en furent dérangés demanièreinfinitésimaleetformèrentdesmotifs.

Lorsqu’il eut terminé, le contour d’un corps se dessinait, presque imperceptible, à nos pieds. Tel un fantômeargenté,lecorpsdeKategisaitsurleflanc,labouchegrandeouverte,exactementcommeJustinetmoil’avionsvuepourladernièrefois.

Leventforcit,maisl’apparitionluisaittoujourssurlesable.–IlsdisentqueRhodeetmoipouvonsnousparleretnoustouchermaisquenousnepouvonspasnousengager

l’unenversl’autre.Lemot«engager»restasuspenduquelquessecondesenl’air.–Oui,ils’agitlàdel’uniondesâmessœurs.Sivouschoisissezdeformerunevieensemble,sivouscédezàvotre

amourendépitdeleuravertissement,turetournerasauXVesiècleetRhodeauXIVe.Mavuesebrouilla: l’océann’étaitplusqu’unfouillisdelignestremblantes–jen’osaispascroiserleregardde

Suleenetjeserraileslèvres,fort.Desimagesdemapremièreviehumaineflottèrentdevantmesyeux:uncimetièredetombesanciennes,unelumièreouatéetraversantdescarreauxdeverreépais,desmoineschantantdanslanuit.

Le corps brumeux de Kate miroitait dans le clair de lune. Si je retournais au XVe siècle, comme m’en avaitmenacée l’Aeris, je n’y retrouverais aucun de ceux que j’aimais dans cemonde-ci. Pas de Vicken. Pas de Justin.Wickhamneseraitmêmepasencoreconstruit–pasdelycée,pasdeMainStreetàLoversBay.

MaisKatevivrait.EtTonyaussi.–Soisl’êtrehumainquetuvoulaisêtre.Prends-ytoutleplaisirpossible,meditSuleen.–Commentpourrais-jeêtrecethumainalorsquec’estsidangereux,ici?(Jecroisaisonregard,puissoupirai.)La

vampireblondeestcertainementrevenuepoursevenger.Ellesemblaitenchantéed’elle-mêmeetdesonmeurtre.Ilmevintàl’idée,alors,queSuleendevaitrester.Ilpouvaitm’aider!–Restez,dis-jesimplement.Sivousêtesici,aucunvampiren’oseraattaquer.Ilarboraituneexpressionquej’avaisdéjàvue,ilyavaittrès,trèslongtemps.Unesortedesollicitudepaternelle.

Unevaguededouleurrouladansmapoitrine.JevisualisaimonpèreetmamèredanslalumièreblanchedesAeris.Jenepouvaisqu’imaginercequemadisparitionavaitfaitàleursvies.

– Ton père n’était pas une victime, déclaraSuleen, qui semblait lire dansmes émotions et peut-être dansmespensées.

Jetombaiàgenouxetilmerejoignitausol.–Tuasfaitunchoixsurleterraindetiràl’arc,Lenah.–Jesais.– Tu sais donc que tu as choisi de rester ici, dans ce monde-ci. Cela signifie que tu dois en affronter les

conséquences,mêmes’iltefautpourcelacombattrecevampire.Jenevoulaispas.Jenepouvaispas.Passeule.–EtlesAeris?Nepeuvent-ellesrienfaire?–Aucunêtresurnatureln’ajamaisaccomplicequeRhodeettoiavezfait.Demêmequ’ellesnesesontpasmêlées

detonhistoireavecRhode,lesAerisnepeuventinterféreraveccettecréature.Laculpabilitém’envahit.Monseulespoir,désormais,étaitqueSuleenresteàmescôtés.Unefoisdeplus,illutenmoicommedansunlivreouvert.–Jenepeuxpas.(IlhésitaunmomentencontemplantlecorpsdeKateavantdereprendrelaparole.)Veux-tuque

jetedisepourquoilamagiedesélémentsestsipuissante?PourquoitonrituelafaitapparaîtrelesAeris?J’acquiesçaiensilence.–Lamagiedesélémentsestlamagiedelavie.Nous,lesvampires,prenonslavie.Telestnotretristesort.Plusla

magieestpuissante,plusellenousattire.–Pourquoi?–Toutemagiedérivedes éléments.Nous, les êtres surnaturels, l’avons fait apparaître, l’avons crééeparnotre

seuleforce.C’estpourquoi,lorsqu’unsortestjeté,desvampirespeuventlesentirs’ilssetrouventàproximité.Nousavonssoifdecettemagiecommenousavonssoifdesang.Ellenousrappellelepeudecontrôlequ’ilnousrestesurcemondequiavancesansnous.

–J’ignoraislesconséquences.–Biensûrquetulesignorais.EnmêmetempsqueSuleenparlait,jecomprisqu’ilavaitraison.Surlemoment,jen’avaispassongéuninstantà

lapuissancedurituel.J’avaisfaitpassermesdésirségoïstesavanttout.– Et cette femme vampire qui est venue à Lovers Bay les ignore tout autant. Ce qui l’attire, c’est la magie,

uniquementlamagie,ajouta-t-il.–Sivousnepouvezrienpourmoi,pourquoimerévélertoutcela?–Noussommesbienplusliésquetunelecrois.Meslèvress’entrouvrirent.–Commentça?–Jetel’expliqueraiuneautrefois.Pourl’instant,sachequejetetrouverailorsquetuaurasleplusbesoindemoi.Il se remitdeboutet tendit sapaumeouverteau-dessusdeKate. Il semblacaresser l’air, et le sable reprit son

aspectinitial.Nousregagnâmeslecampus,etSuleens’arrêtaavecmoiàl’entréedeSeekerHall.–Jetesuggèrederentrer,medit-il.–Jerisquelamort.Il scruta un instantmes traits, puis les commissures de ses lèvres remontèrent imperceptiblement. Juste assez

pourqu’uneombredesourireviennedanserdanssesyeux.–Pasunefillecommetoi…Jebattisdespaupières.Ilnefallutriendeplus.Encettefractiondeseconde, jemeretrouvaiseule.Iln’yavait

plus personne dans l’allée. Personne ne m’appela depuis la pelouse. Je n’avais plus autour de moi que le bruitpénétrantdusilence.

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Chapitre5Je contemplaimon reflet dans les portes en verre demon bâtiment : une fille de seize ans. Presque dix-sept.

Commej’avaisrêvéd’enarriverlà!Cetteannée,j’allaisenfinvieillir.Maislehalld’entréen’avaitpaschangédepuisunan,etlagardiennehabituelleétaitassiseàsonbureau,dans

sonuniformebleu.Elleparlaitdansuntalkie-walkie.J’enregistraimonapparencedanslapénombrenocturne.Lemêmenezfin.Lesmêmescheveuxquim’arrivaienten

basdudos.Des jambes fineset longues,enbottesdecombatnoires.La lumièrechiche illuminaitmonhumanité.Auparavant,mapeaublancheetparfaitebrillaitdansleclairdelune.Elleseréparaitinstantanémentsiquelqu’unouquelquechoseosaitlameurtrir.Maisàprésent,mesmainsétaientcouvertesdegriffuresrouges.Tournantlatête,j’endécouvrisuneautre,pluspetite,surmajoue.C’étaientlespreuvesphysiquesqueJustinetmoiavionscouruàtraverslesroncesduboisdeWickhampendantlemeurtredeKate.

Justin.Jesoupirai.Toutes lesépreuvesde la soirée revenaient soudainpesersurmesépaules. J’allaisdevoirentreret

remonterchezmoi,seule.Jepoussailaporte.–LenahBeaudontevientd’arriver,annonçalagardiennedanssontalkie-walkieenbarrantmonnomsuruneliste.Alorsque j’approchaisde l’escalier,desvoixmeparvinrentducouloirdeschambresdurez-de-chaussée.Toutes

s’interrogeaientsurlaprésencedevéhiculesdepolicesurlecampus.«IlparaîtqueKatePiersonestmorte.»«D’abordTony,etmaintenantelle.»«Quelqu’unavuTracy?»J’écoutaicesmurmuresjusqu’audernierétage.Enouvrantlaportedemonappartement,jetrouvaiuncendrierde

verrenoirciparlesmégots,desassiettessalesdansl’évierettroisboîtesàpizzavidessurmatablebasse.Àcôté,uneflasqued’argentofferteàVickenparuncomtedanslesannées1890.Jelaramassaietl’ouvris,m’attendantàytrouver, comme d’habitude, une réserve de sang. Je flairai le goulot, mais au lieu de sentir l’odeur de rouillecaractéristique,jetombaisur…duwhisky?Jesecouailatêtesanspouvoirréprimerunsourire.

Pasdedoute,VickenCloughétaitbienredevenumortel.Jereposailaflasqueetmetournaiversmachambre;laporteétaitentrouverte.Jetraversailentement lesalon,

passant devant des piles de livres en désordre et un paquet de cigarettes vide. Lorsque je poussai la porte, songrincement résonnadans l’appartement.Là, sur le lit, où j’avaisun instanteupeurde trouverdescendresetdusang,iln’yavaitquedesdrapsfroissésetdeuxjeansenboule.Ressortantdelachambre,jeconstataiqueledécordusalonn’avaitpaschangédepuisquej’enétaispartie,quatrejoursplustôt.

Lalongueépéeaumur.Lecanapérouge.Leschandeliersdeferforgé,àmotifdebranchesépineuses.Uncoupfrappéà laporte!C’étaitsûrementJustin,revenuexigeruneexplicationaprèscequ’ilavaitvusur le

terraindetiràl’arc.Aumomentoùj’allaisouvrir,jeperçusducoindel’œilunmouvementsurlebalcon.–Uneseconde!criai-je.Jetraversaileparquetàpasdeloup.Mesorteilsserecourbèrentsurlabarredeseuilmétalliquedubalcon.Sur

lescarrelagesnoirs,desmilliersdefinesparticulesscintillaientdansleclairdelune.Etlà,aucentre,jedistinguaiencreuxlecontourd’uncorps.Moncorps.J’avaisdûmecoucherlàaprèsavoiraccomplilerituelpourVicken.Lesgrainsdoréss’étaientéparpilléstandisqu’onmesoulevaitetmeramenaitàl’intérieur.

Iln’existequetroisméthodespourtuerunvampire:lepieudanslecœur,ladécapitationetl’expositiondirecteauxrayonsdesoleil.Silamortsurvient,ilnelaissederrièreluiquelescendresdesaformesurnaturelle:c’étaientellesquejevoyaisdevantmoi,finesetcristallines.

Toctoc!–J’arrive!Jemeretournaivivementetallaiouvrir.Cen’étaitpasJustin.Unjeunehommeàlacheveluredelionetaumentonfiersepenchadansl’embrasure.–C’estpastroptôt!Tucroisquejen’aiqueçaàfaire,attendre?melança-t-il.Jeluisautaiaucou.–Vicken!–Oui,c’estcommeçaqu’onm’appelle.Ilmeserradanssesbras.J’eneuslachairdepoule:lesentirm’enlacer,l’entendrerespirerlemêmeairquemoi…

Cependant,jemedégageai.–MonDieu,Vicken!(Jeposailesdeuxmainssursesjoues.Sonfaroucheregardnoisetteseréchauffa.)Regarde-

toi!soupirai-je,admirative.Jepressaiunemaindanssondos, impatientedesentir sapoitrinesesouleveret retomber.Ce fut rapide,mais

indéniable:ilinhalavite,exhalatoutaussivite.Lerituelavaitfonctionné.Ilrespirait,pleinementhumain.Ilétaitofficiellementunex-vampire.–Bonjour,trèschère,dit-ilensereculantavecunsourire.Aprèsquoiilentrachezmoi,selaissatombersurmoncanapéetposasesbottesdecuirnoirsurlatablebasse.

Sescheveuxétaientvolontairementdécoiffés;ilserenversaenarrièredanslescoussinsetcroisalesmainsderrièresatête.C’étaittellementluiquej’eusànouveauenviedeleserrerdansmesbras.

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–Tuasunemine…dedéterrée,constata-t-il.J’observaistoujourssesfinesépaulesetsoncorpssvelte.IlmesemblaitinimaginablequelesAerispuissentnous

envouloir,àRhodeetàmoi,d’avoirfaitcedondevie.Àlevoir,l’accomplissementdurituelparaissaitabsolumentjustifié.JemedemandaifugacementsilesAerisluiétaientaussiapparues.Caraprèstout,luiaussiavaitregagnélemondenaturelsansleurconsentement.Peut-êtreétaient-ellesvenueslevoiretl’avaient-ellesmenacédelerenvoyerauXIXesiècle.

–Vicken,as-tuvulesAeris?Àcesmots,ilserembrunit.–Commentça,vulesAeris?Tuveuxdirequ’ellesexistentvraiment?Ainsi,Suleenavaitraison.LesAerisnesemanifestaientpasauxvampirespourleurreprocherleursforfaits.Elles

nes’étaientdéplacéesquepourRhodeetmoi.Ellesvoulaientfaireunexempleavecnous.JeracontaiàVickencequej’avaisvuetentendusurleterraindetiràl’arc.JeluidisaussiqueRhodes’étaitenfui

enlaissantmesquestionssansréponse.–Touts’explique,commentaVickenavecunricanementsarcastique.–Commentça?–J’étaisici,danstachambre,toutàl’heure.Rhodes’estpointé,aprissonsacetm’aditqu’ildevaitpartir.–T’a-t-ilditoùilallait?–Non.J’aivoululesuivre,maisquandjesuissorti,lecampusétaitsensdessusdessous.Desvoituresdepolice,

dessirènes,desambulances…Commejenesuispasencorevraimentautoriséàêtreici,jemesuisfaitdiscret.Ques’est-ilpassé?

Jemeredressai,embarrassée,etneluirépondispastoutdesuite.Lesquatrejourspendantlesquelsj’étaisrestéeàl’hôpital,Rhodelesauraitdoncpassésdansmachambre,alors

que je le croyais mort ? Pendant toute l’année qui venait de s’écouler, il avait bien existé quelque part dans lemonde…maissansmoi.

Jepoussaiungémissement.Commec’étaitétrangedemetenirlà,àprésent,àcontemplersonépéeetnosphotossansavoircegouffredechagrindansleventre…L’appartementétaitlemême,maistoutleresteavaitchangé.

–Oh,aufait!ditVicken,interrompantmespensées.Ilse levaetplongea lamaindans lapochedeson jean.Sesdoigtsserefermèrentsurquelquechoseque jene

voyaispas,aprèsquoiillesrouvrit.–C’estpourtoi.Unebaguetombadansmapaume.Mabagueenonyx.–Jel’aitrouvéesurlebalconaprès…aprèsmonréveil,précisaVicken.Tun’étaispluslà.D’aprèslalégende,l’onyxavaitlepouvoirderetenirlesespritslorsqu’ilserraientdansunmondequinevoulait

plusd’eux.JesongeaiimmédiatementàRhodemetenantlamainpendantnotrelonguepromenadedansmonverger,tantd’annéesauparavant.Jetentaidechasserdemespenséescequ’ilm’avaitditsurleterraindetiràl’arc,maissesparolesrevinrentnéanmoinss’insinuerdansmatête…«Jenevoulaispasrevenir.Onm’yaobligé.»

–Désoléedenepasavoirétélàpourtoi,dis-jeenmeraclantlagorgeetenpassantlabagueàmondoigt.Justinm’aamenéeàl’hôpitalaprèslerituel.

–C’estbienlesmortels,ça…,grommelaVicken.Alorsqu’ilt’auraitsuffid’unpeude…–…d’eaudelavande,complétai-jepourlui.Nous partageâmes un sourire. Je ne pouvais détacher les yeux de ma bague d’onyx. Je me concentrai sur sa

surfacelisseetnoire.Lapierren’avaitpasdefin,pasdecommencement,etpasunéclairdelumièreenelle.Rienquedunoir.

–Disdonc!ditVicken.Tuaslesmainsquitremblent.–Ahoui?Jem’assisdanslecanapéetposaimatêteentreelles.–Cen’estpasàcausedemoi,j’espère?continua-t-il.Jeviensderevenir,tunepeuxquandmêmepasdéjàm’en

vouloir.(Jerelevailesyeuxverslui.)Sérieusement…qu’est-cequetuas?–Toutcechaossurlecampus,c’estàcaused’unmeurtre.Uneélèveaétéassassinéecesoir.Parunvampire.–Quelqu’unqu’onconnaît?– Oui, je l’ai reconnue. Tu te souviens de la bonne d’Hathersage ? En 1910 ? Je n’arrive pas à retrouver son

prénom.–Elleétaitseule?–Àmaconnaissance,oui.Jen’aivupersonned’autre,entoutcas.Posantmescoudessurmesgenoux,jecherchaiuneréponsedanslesyeuxdeVicken.Luisauraitquoifaire.Ilavait

étéundesmeneursdemoncercle.Comme il ne proposait rien, je me levai et m’approchai de la porte-fenêtre donnant sur le balcon. Dehors, je

contemplai lescintillementde la lunesur lesrestesdemoncorpsdevampire…étrangedépouille,pouruneviesisombreetsivide.

JerepensaiàRhodes’enfuyant loindemoi,etunélancementdedouleurmetransperça.Malgrétout, j’espéraisqu’ilétaitensécurité,oùqu’ilfût.

Vickenvintmerejoindre.–Nousn’avonsavertipersonne.Personnedanslemondevampiriquenesavaitquenousvenionstechercher,dit-il

enparlantdemoncercle,arrivéquelquessemainesplustôtàWickham.MaislesparolesdeSuleenrésonnaientencoredansmatête.–Non,cen’estpasvotrefaute.C’estlerituelquiaattirécettefemmevampireici.Ilsetournaversmoi:visiblement,unepenséeprenaitformedanssatête.Jevoyaisl’enthousiasmemonterdans

sonregard.–Sic’estça,ellevasansdouteresterdanslesparages.Attendredevoirquiestl’auteurd’unetellemagie.–Tupeuxcompterlà-dessus.–Allons-y,lâcha-t-ilalorsenretraversantlapièce.–Commentça,«allons-y»?As-tulamoindreidéedecequej’aiendurécesoir?–Àd’autres!Allonslatrouver.Voyonsàquinousavonsaffaire.Etvoyonssielleestaccompagnée.–OK,tuesofficiellementdevenudingue.Lerituelt’adétruitlacervelle.–Unepetitepartiedechasse,c’esttout!Justepourvoircommentçaseprésente.–Maintenant?Cesoir?J’étais absolument épuisée, vraiment, mais quelque chose, dans l’idée de Vicken, envoyait tout de même des

déchargesd’adrénalinedansmesmuscles.–Etpourquoipas?demanda-t-il.Ellevientdetueruneélève.Tupréfèresresterlesbrascroisésenattendantla

suite?

Page 30: Pour la traduction française

Jedevaisreconnaîtrequ’iln’avaitpastort.Enrevanche,ilfallaitgarderlatêtefroideetaborderleproblèmeaveclogique.

–Nousn’avonspasSongniHeathavecnous.Pasdecercle.Noussommesdeshumains,sansrenfortsnipouvoirssurnaturels,dis-je.

–Faux.J’aitoujoursmavuevampiriqueetmesPES–mesperceptionsextrasensorielles.S’ilyadesvampiresdanslesparages,jelesentirai,etjecomprendraileursintentions.

Maisoui,c’étaitvrai!Vickenavaitencorequelquespouvoirsvampiriques,parcequesatransformationétaittouterécente.Ilyverraitaussibienqu’unvampireetpouvaitencorecomptersursonsixièmesens:ilsauraitpercevoirlesémotionsetlesintentionsd’autrui.

–Alorsc’estparti!lançai-jeensortantdel’appartement.–Disdonc,toi!Nefaispascommesic’étaittonidée,enplus!plaisanta-t-ilenfermantderrièrenous.

Dehors,prèsdelabibliothèque,unfourgondevigilesroulaitverslachapelle.Vickenm’indiquadugestelazoneboisée.–Go!chuchota-t-il.Etilfiladansl’ombre,surl’allée,enrestantprochedesbâtiments.Bifurquantàlahauteurdel’infirmerie,nous

courûmes sur toute sa longueur en direction des arbres qui s’élevaient derrière. Je ne distinguais pas le murd’enceinte,mais jesavaisqu’ilétait là.LespasdeVickenfaisaientéchoauxmiens,et lorsque je lui jetaiuncoupd’œil,unpetitsourirejouaitsurseslèvres.

–Toutcelat’amuseunpeutrop,grondai-jeentremesdents.Nous atteignîmes le mur, qui était aussi haut que Vicken. Celui-ci cala une de ses bottes entre les pierres

irrégulièresetsehissa,puismetiraderrièrelui.Noussautâmesdel’autrecôté,atterrissantdansMainStreet.Àprésentquej’étaisàdécouvert,horsducampus,l’opérationm’apparaissaitcommecomplètementidiote.Vicken

etmoin’avionspris aucuneprécaution.Nousaurionsaumoinspuprotégernotre couà l’aided’unpetit sort, ouessayertoutunéventaildesortilègespournousarmer.

J’inspiraiàfondenobservantMainStreetdanssalongueur.–Jepeuxyarriver,dis-jeentendantlamainàVicken.Jenemedébrouillepastropmalaucouteau.–Enfin,jeteretrouve!Sur ces mots, il se baissa vers sa botte, dont il sortit un poignard rangé dans son fourreau de cuir. Nous

poursuivîmesnotrecheminlelongdumur,laissantlelycéeetlescafésaniméspourrejoindrelecimetièredeLoversBay.

–Detoutemanière,ajoutaVicken,nousnesommeslàquepourvoircequ’elleveut.Pourobserver.Sinousrestonsdiscrets,nousn’auronspasànousbattre.

Jenepouvaispasavoirpeur,bienqu’ellesoitpluspuissantequenous.Nousn’étionspasdémunis.Lesvampiresn’avaientpasuneforceouunerapiditéexceptionnelles.Ilsétaientsimplementhypersensiblesàleurenvironnement:ilspouvaientflairerdelachairenuninstant,déchiffrerlespenséesetlesintentions,oumêmetraquerquelqu’unàdeskilomètres.Vickenetmoiserionscapablesdebattrel’und’entreeuxàlacoursesic’étaitsurunebrèvedistance,maislemanquedesoufflefiniraitfatalementparnousaffaiblir.Ilnousfallaitdoncdemeurerinvisiblesettoutfairepourqu’elleneserendepascomptedenotreprésence.

Jemesentaisdéjàmieux. J’avaisétéunevampiresouverainependantpresquesixcentsans : jeconnaissais lesvampires. J’en savais bien plus qu’elle, qui avait à peine un siècle d’âge. Les vampires étaient des solitaires denature.Engénéral, ilsnevoyageaientpasàplusdecinq : l’effectifd’uncercle.Tropdevampiresensemble,celarevenait à trop de vampires se disputant le pouvoir. Nous dépassâmes le cimetière et continuâmes sur lamêmeroute.Nousflairionsleparfumdel’océandevantnous.

–Tunesenspasquelquechose?demandai-jeàVicken.–Tatrouille!semoqua-t-ilavecunsouriredémoniaque.Maiscesouriredisparutaussitôt.Ilinhalaprofondément.Jel’imitai.Carquelquechoseavaitchangédansl’air.Unebriselégères’étaitlevée,apportantavecelleuneodeurde…–Musc.Nousavionsparléenmêmetemps.Lemuscétaitunefragrancetrèsparticulière,quientraitdanslacomposition

denombreuxsortilèges.–Çavientd’où?demandai-je.Ildésignaleboutdelarue.Unenouvellebourrasquepassasurnous:l’odeurétaitplusforte,cettefois.JetouchailebrasdeVicken.–Quellessontlesprobabilités?–Assezhautes,enfait.Tul’asdittoi-même,murmura-t-il.C’estbienlerituelquil’aattiréeici.J’inhalaiànouveaulaforteodeurmusquéeetlevailesyeuxversleciel.Justeau-dessusdenoussedéployaitune

constellationquejeconnaissaistrèsbien.–Pégase.Monvieilami.Lechevalailé. J’échangeaiavecVickenunregardentendu.Lesvampiresobservaientsaposition

danslecielpourévaluerletempsrestantavantleleverdusoleil.Ilétaitpresqueminuit,uneheurepuissantepourunecréaturejetantunsort.Bienquenousfussionsmortels,j’espéraisquelaconstellationnousdonneraitunpeudeforce.

Le parfum s’accompagnait à présent d’un relent de terre et de vanille. Il s’intensifia ; ce n’était pas unmuscordinaire,ilyavaitlàautrechose.J’avaisdéjàflairécemélange.

–Biensûr,dis-je,comprenantsoudain.Cemuscestchauffésurunfeu.Tunesenspaslebois?J’yavaisdéjàeurecoursavecHeath,Gavin,SongetVicken.Lesortd’annonciationétaitutilisépourcimenterun

cercle,pourliersesmembresàjamais.Àjamais.–Etildoitêtreaccompliavantminuitsuruneplage.Illeurfautdel’eaudemer.C’estavecunedéterminationrenouveléequejecourusversleboutdelarue.– C’est pour ça qu’elle a tuéKate. Elle avait besoin d’être rassasiée pour pouvoir partager son sang avec son

cercle,continuai-je,essoufflée.–Oui, jeme rappelle, répondit Vicken d’une voix inquiète enme suivant vers la grève. (L’odeur demusc était

presquesuffocante,àprésent.)Écoute,s’ilsnesontqu’unoudeux,onpourralespoignarderenpleincœur.Enfinirenvitesse.Sorstoncouteau.

Jelefisglisserdemabotte,etmesdoigtsserefermèrentsurlemanche.Vickenm’attrapalepoignetetm’attiradansl’ombre,aubordd’unpetitparking.

Sonprofilétaitsérieuxlorsqu’ilsetournaverslamer.–Viens,mesouffla-t-il.Jelesuivis,accroupie,ettraversaiavecluileparkingpourrejoindreladiguequinousséparaitdusable.

Page 31: Pour la traduction française

Vickensebaissaetsepenchaenavant.–Stop,chuchotai-je.Ilsvontsentirnotreprésence.–Pass’ilssontenpleinecérémonie.Ils’avançainsensiblementpourregarderpar-dessusladigue.Puisrestaparfaitementimmobile.Lesuspenseétait

insoutenable.–Alors?Ilserassitsursestalons.Dansleclairdelune,ilobservalesenvironsavantdeparlercalmement.–Ilssontcinq.Quatrehommesetlafemme.Sans le lâcher, jemeplaçaidemanièreàpouvoirregarder.Avecmapauvrevuehumaine, jenedistinguaisque

cinq silhouettes, comme l’avait annoncé Vicken. Un feu brûlait au centre du cercle et de minuscules étincelless’envolaientdanslesténèbres.Jehumaiuneodeurdemuscetd’encens.

C’étaitterminé.Elleavaituncercle.Sousmesyeux,elletournalatête;lafaiblelueurdelalunesoulignaitsonprofil.Elleavaitunpetitnezretroussé

et les clavicules saillantes, comme si elle avait été sous-alimentée avant de devenir vampire. Elle pivota sur sestalonspourmefaireface,etpointaledoigtdroitsurmoi.

–Cours!dis-jeenreculant,paniquée.Vicken,cours!

Jepoussai lescapacitésdemoncorpsà l’extrêmeenfonçantsurMainStreetpourrejoindre lacivilisation.Mesjambes,mespauvresjambes,tremblaientsifortquesansl’imagementaledubrasdelafemmevampiretenduversmoi, jemeseraiseffondréeausol.Cescheveuxblonds, lacourbefamilièredecenez…Commentavait-ellepumeretrouver?Ici,àLoversBay?

Cours,Lenah.Arrêtedepenseretcours.Si nous parvenions jusqu’à un lieu fréquenté, nous serions sauvés, dumoins provisoirement. Les vampires ne

s’exposaient pas aux masses humaines. Mais elle n’abandonnerait pas pour autant. Elle m’avait vue. Moi, sacréatrice.

Comments’appelait-elle,déjà?–Ici,ici!lançaVicken,s’arrêtantendérapantdansuneportiondelaruequin’avaitpourtantriendeparticulierà

premièrevue.Il entreprit d’escalader un mur de pierre, et je compris qu’il savait précisément où nous étions, grâce à la

persistancedesavuevampirique.Jevérifiaidenouveauquepersonnenenoussuivait.Parchance,larueétaitdéserte.Ilmetenditlamainetm’aidaàfranchirlemuraveclui.Unefoisretombéesurl’herbedeWickham,jemesentis

unpeurassérénée.Nousretraversâmesleboispourrejoindrelecampus,maisnousarrêtâmesunpeuavantl’alléeprincipale.

–Attends,meditVickenentendantunbraspourmeretenir.Unfourgondepolicepassa,nousincitantàreculerdansl’ombre.Unefoisquenousfûmesensécuritédanslenoir,

ilmedemanda:–Pourquoies-tupartieainsicommeuneflèche?Ilst’ontvue?Jetâchaistoujoursdereprendremonsouffle.–Évidemment!–Alorsrestonsàl’arrièredesbâtiments.Onyseramieuxcachés.NousnousrapprochionsdeSeekerHall.–Elles’appelaitAva,lâchasoudainVicken.Unefoisquetul’astransformée,ellen’estpasrestéelongtempsdans

lesparages.Elleestpartiepeuaprèsledébutdetonhibernation.Àmesurequenouscheminions,j’aperçusl’arrièredubâtimentCurie,puislaserre.–Ava?(Prononcétouthaut,ceprénomavaitquelquechosed’étrange,d’étranger.)Jenemesouvienspasdeça.Enrevanche,jemesouvenaisbiendesestraits.Jen’oubliaisjamaislevisagedeceuxquejetuais.–Sic’estbien lapuissancedu rituelqui l’aattiréeàLoversBay,alorselleest làpour trouvercettemagiedes

éléments.Ellelaveutpourelle-même.Jen’avaisnulbesoind’expliqueràVickenqu’elleavaitsoifdepouvoir.–Bah,nousn’avonspasl’intentionderefairedelamagieavantlongtemps:elles’enirapeut-êtreenconstatant

quel’occasionneseprésenteplus.J’espérais qu’il disait vrai, mais j’ignorais tout des intentions d’Ava. En revanche, planquée avec lui derrière

l’infirmerie, jesavaisunechose: laprioriténuméround’unvampire,c’est lesang.Ensecondsur la listevient lepouvoir.SiAvadésiraitdécouvrirlasourcedelamagiedurituel,c’estqu’elleavaitunplan.Lesvampiresenavaienttoujoursun.

Nousrejoignîmesencourant lebâtimentHopper,quiétaitprochedeSeekerHall.Noushésitâmespendantquedeux policiers municipaux patrouillaient devant nous. Je cherchai des yeux mon balcon, au troisième et dernierétage.Lebalconoùj’avaisconclulerituel.

Jem’efforçaisd’ignorercettevoixdansmatête,cellequimehantaitdepuisqu’Avaavaittenduledoigtpourmedésigner,surlaplageplongéedanslanuit.

Avareviendra.

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Page 33: Pour la traduction française

Chapitre6J’observailonguementl’épéeaccrochéeaumur.Puisjeposaimonvisageentremesmainsetm’assissurlecanapé,

lesjambesremontéessousmoi.J’analysailefinrefletdemoncorpsdanslemétaldelalonguelame.Combiendefoisavais-je interrogé du regard cette surface argentée, combien de fois lui avais-je demandé comment survivre sansmonRhode?Combiendefoisavais-jedûdétournerlesyeux,parcequec’étaittoutsimplementinsupportable?

Et puis j’avais rencontré Justin, qui m’avait aidée à remonter des profondeurs du désespoir et à retrouver lalumière.

Deuxjourss’étaientécoulésdepuisqueVickenetmoiavionsdécouvertlesvampiressurlaplage.Nousnenousaventurionsplushorsducampusàlanuittombée.Etj’avaisbeauétudiercettelongueépée,chercherdesréponsesdanssonmiroir insondable, jene trouvaisrien.PourquoiRhodeétait-il restési longtemps loindemoiaprèsavoirsurvécuaurituel?Unrituelqu’ilavaitaccomplipourmepermettred’êtrehumaine?

Maseulecertitudeétaitquenosâmesnousavaientrattachésàlaterre.Pendantdeuxjours,traumatiséeparsonnouvelabandon,j’avaisfaitjenesaiscombiend’allersetretoursentrele

terraindetiràl’arcetmonappartement.Jecherchaisdesindiceslàoùj’avaisvulesAeris.Maisj’avaisbeauresterdesheuresassisedansl’herbe,jen’apprenaisrien.Deuxjoursdurant,jem’étaisdemandé:Oùest-il?Oùs’était-ilcachépendantl’annéeoùjel’avaiscrumort?Jen’avaisaucuneréponse,etRhodenerevenaittoujourspas.

Deuxjoursdevinrentdeuxsemaines.

L’étépassaenunclind’œil.Pourtuerletemps,jem’étaisinscriteàdescoursd’été.Àprésentqueladatedela

rentréeapprochait, jemesurprenaisàbarrerles jourssurmoncalendrier.Le31août, jedécidaidefaireunpetitvoyage.Les internesdevaientreveniràWickhamlesurlendemain,et jen’avaispasvuJustinnises frèresdetoutl’été.

Pasunelettre.Pasune-mail.J’avaistentédelejoindreautéléphone,envain.Troisjoursavantlarentrée,jeprismavoitureauxauroresetmerendischezlesparentsdeJustin,dansleRhode

Island.J’avaislafermeintentiondem’expliquer.Illeméritait.Jerépétaimondiscourspendantl’heurederoute.Enm’engageantdanssarue,jebaissaimavitre.Unebrisefraîches’engouffradansl’habitacleetmecaressalesjoues.Les grosses demeures semblaient endormies en cette matinée de fin d’été. Les arroseuses n’étaient même pasencoreallumées.

Jedescendisdevoitureetobservailamaisondepuisl’alléed’accès.Ladernièrefoisquej’étaisvenue,c’étaitpourHalloween.Àprésent, lesarbresétaientcouvertsde feuillesvertsombre. J’associaiscettedemeureàdescookiessortantdufour,àdedélicieuxrepasmaison,etàdesmainsdoucessurmapeau.Àtoutinstant,jem’attendaisàvoirlafenêtredelacuisines’illuminer:lamèredeJustinselevaittôt.Savait-ellequenousn’avionspaséchangéunmotdetoutl’été?M’accueillerait-ellechezelle?

Commentexpliqueràquelpointjem’envoulais?Allez,encoreunerépétition.«Justin,medis-jeàvoixhaute.C’estunmalentendu.Quandj’aivuRhode,j’aiété…priseparsurprise.»Soudain,unverroucliqueta;laportes’ouvrit.Levantlementon,j’aperçusJustin,torsenu,enbasdesurvêtement

oùétaitmarquéWICKHAMsurlalongueurdelajambe.Ilplissalespaupières.Lemomentétaitvenu.J’allaistoutluidire.Illefallait.Ilsehissasurlapointedespiedspourtenterdemevoirpar-dessusunmassifd’hortensias.–Lenah?Jefispasserlepoidsdemoncorpsd’unpiedsurl’autre.Moncœurpeinaitàtrouverunrythmeconfortable.Jene

pouvais toutdemêmepascrier :«Désolée !»à travers lapelouse. Jecommençaiàremonter l’allée,maisce futinutile.

Laporteclaquaderrièrelui.

–Ilyaunechosequejenecomprendspas,meditVickenlelendemainsoir.Nous étions toujours soucieux de ne pas traîner inutilement dehors,mais il nous restait deux heures avant le

coucherdusoleil.Nousavionsorganisénosjournéesainsipendanttoutl’été.Sixheuresvenaientdesonneretnousétionschezl’herboristedeLoversBay,auboutdeMainStreet.

–Pourquoifaut-ilquenousrestionsici?Obligésdenousterrerlanuitpournepastombersurunvampirequetuascrééilyaplusd’unsiècle?Aucasoùtul’auraisoublié,nousavonsunchâteauàHathersage.D’ailleurs,nousavonstuédestasdegenslà-bas.

–Oui,etilyadeschancespourquenotredemeureaitétéenvahiepardesvampiresennotreabsence.–Nousavonsdel’argent.AllonsàParis!Histoiredeboiredubonvin,denousdétendreunpeu.–Tusaisbienpourquoijenepeuxpaspartir.Jesoulevaiunbocaldejasminséché.Çapeuttoujoursservir:j’enfistomberunpeudansunsachetenpapier.–Jenepeuxpasm’enalleralorsqueKateaététuée,continuai-je.Alorsquejemesensterriblementresponsable.–C’estpeut-êtreunesimplecoïncidence.Celafaitunboutdetemps,maintenant,quetuasaccomplilerituel.Si

çasetrouve,cesvampiressontarrivésenville,ontboulottétamalheureuseamieetsontrepartistoutdesuiteaprès.Tirons-nousd’ici,jetedis.OnpourraretrouverRhodeparnous-mêmes.Ilnepeutpasêtrebiendifficileàdébusquer.Yeuxbleus,sourcilsfroncés,airarrogant…

Page 34: Pour la traduction française

–Onreste.Jeposaimesarticlessur lecomptoir. JenementionnaipasàVickenquesi jenevoulaispasquitterLoversBay,

c’étaitparcequej’yavaisdesracines.J’yétaischezmoi,désormais.–Tusais,cen’estpasparcequetuasétéreinependantquelquescentainesd’annéesquetul’estoujours.L’herboristeavaitdisparuderrièreunrideaupourallermechercherunpeudepattesdetriton.Jeposaiunbillet

devingtdollarssurlecomptoirenattendantsonretour.Vicken examina des cristaux sur l’étagère la plus basse du meuble, puis se releva lentement en marmonnant

quelquechoseentresesdents.–Peaud’albâtre,délicate.Entantqu’humaine,elleestsifrêle…faciledeluibriserlecou.Unpicotement inquiétantm’envahitprogressivement. Je lui jetaiunrapidecoupd’œil. Ilregardait fixementau-

delàducomptoir,lesyeuxécarquillés.–Jeprendraimontempspourluipomperlesang,dit-il.Ses intonationsétaientnouvelles, féminines,presquereptiliennes.Ilparlaità laplacedequelqu’und’autre:un

phénomènequiseproduisaitlorsqu’untiersexploitaitlesperceptionsextrasensoriellesdesvampires.–Ceseraplusfaciled’avoirLenahsielleestseule,siffla-t-ilencore.Puisilreculad’unpas.–Lenah,melança-t-ildesonhabituellevoixrauque.Va-t’en.Toutdesuite.La femmequi réapparutderrière lecomptoiravaitde longuesbouclesblondes,quiserecourbaientdemanière

parfaitesursonchemisier.Cen’étaitpasl’herboriste.Sapeauétaitanormalementlisseetpâle.Sonregard,vitreux.Levertjadedesesirisn’étaitpasnaturel.

Ava.Ungrincementdéchirants’élevaducomptoir.Unemainblanche,auxongleseffiléscommedesrasoirs,sereferma

telleuneserresurmonbillet.C’étaientcesonglesécarlatesquigrinçaientsurleverreluisantdumeuble.Avaessuyaunegouttelettedesangaucoindesabouche.–Toutsepassebien?demanda-t-elle.Elleseléchaleslèvresetfitlagrimace.–Beuh.Elleétaitgrassecommeuncochon.Mevoilàrassasiéepourplusieursjours,déclara-t-elle.Et,d’ungestefluide,ellebonditsurlecomptoir.–Ehbien,ehbien…,ajouta-t-elleennousregardantdehaut.Serrantlesacenpapierdansmonpoing,jereculaiavecVickenverslaporte.–LenahBeaudonte.Lareine.Quireculedevantmoi?Dusanggouttaitdesonmentoncommeduvinsurlebordd’unecoupe.Vickendégainavivementsonpoignardets’interposadevantmoi.Avasautaausolàquelquescentimètresde la

lame.Sonregardallaitdeluiàmoi,demoiàlui.–Trèsbien,missBeaudonte.Jevoisquevotrerituelfonctionne.Unehumaineparfaite.Monsangmebattaitauxoreillesetdanslagorge.Vickenbrandissaittoujourssonpoignarddevantlui.J’entendis

alorsungémissementquimontaitdederrièrelecomptoir.L’herboristeétaittoujoursenvie.–Situveuxmourir,jet’enprie,approche,ditVickenàlafemmevampire.Elleinclinalatêtesurlecôtéetlegratifiad’unsourirelugubre.–J’aitoujoursadmirétamajesté,Lenah,dit-elleenléchantlesangsursonmenton.Ettonappétencepourlemal.Unebouleénormemebarraitlagorge.–Tonamie…Kate,c’estbiencela?Elleatentédefuirenrampantdevantmoi.Descris,dessuppliques…c’était

tellementamusant!VickenseprécipitasurAva,avançantsamainpourluienfoncersalameenpleincœur.Maiselledonnauncoupde

piedetlepoignards’envolaenarcdecercleavantdeclaquersurlesoldur.–BonDieu!crachaVickenensejetantparterrepourrattrapersonarme.Lavampire,mentonrentré,plongeasonregarddanslemien.Elleouvritlabouche,découvrantsescrocs.Lorsquelesmembresdemoncercleétaientvenusmechercher,desmoisplustôt,etlorsquejelesavaistuésdans

legymnase,jen’avaispascompris.C’estàcemomentprécis,tandisquelesangbouillonnaitdansmoncœur,quejepris pleinement conscience de ce qu’était l’humanité. J’en étais gorgée. Et elle avait besoin de sang. J’étais laprochainesurlaliste.Ellevoulaitmeviderdemaforcevitale;jeneconnaissaisquetropbiencesentiment.Commej’avaisdésiré,jadis,pomperlesangàtraverscesdeuxpetitstrous,l’aspireràgrandstraitstandisquelaviequittaitlentementmaproie!

Je laissaitomberparterremonsachetd’herbeset levai lesmains,prêteàmedéfendre.Jemetournaideprofilpournepasluioffrirunecibletroplarge.Ellecourutàmoi,sesgriffestenduesenavant,et,seplaçantdeface,mefrappa en plein plexus solaire. Je fus précipitée contre le mur derrière moi. Des fioles brunes et noires sefracassèrent au sol. Quelques-unes me tombèrent dessus et répandirent leur contenu, tandis que les autres sebrisaientenmillemorceaux.Laforcedesoncoupmelabouraitencorelapoitrine.

Ava entoura alors Vicken de son bras, le souleva du sol et l’immobilisa par le cou. Les yeux de mon amicherchèrentlesmiensetnelesquittèrentplus.Illançadesruadespourselibérer.Sesdeuxpoingsseserrèrent.Lepoignardgisaitausol,inutile.

Je bondis alors et agrippai les doigts d’Ava. Je tirai dessus, brutalement,mais impossible de les bouger. J’étaiscommeunenfantessayantd’ouvrirunétau.J’essayaiencore.D’oùtirait-elleunetelleforce?

Ellesourit,etsescrocss’allongèrent.–Qu’est-cequec’estqueça?balbutiai-je.–Quellequestion!Elleserraplusfort,etVickengrimaçadedouleur.Avamerepoussadesonautremain,cequimefit l’effetd’un

coupd’enclumedansl’estomac.Jetombaicontreuneétagèredeflaconsquisefracassèrentàmespieds.Jeheurtailesoletsecouailatêtepourm’éclaircirlesidées.

Lapuissancedesoncoupavaitramollimesmuscles.Lorsquejelestouchaiduboutdesdoigts, ilssecrispèrentdouloureusement.

–Lenah.Donne-moilerituel,toutdesuite,m’ordonna-t-elle.LevisagedeVickenprenaituneinquiétantecouleurrouge.Mesyeuxeurentunvifmouvementverslecouteau.Je

meremisdeboutàl’instantmêmeoùVickenlevaitundesesgenoux.Ilabattitviolemmentsabottesurlepiedd’Avaqui,desurprise,lelâcha.Ilsedégagead’unbondetseruasurle

poignard.Ava,aulieudechercheràlerattraper,griffal’airdansmadirection.Jemebaissaietréussisàesquiversesongleseffilés,maisglissaisurleshuilesrépanduesparlesflaconsbrisés,etretombaidurementsurlesol.

Elleposaunpiedsurmapoitrine.Et elle appuya. Elle allait me casser une côte. Je me sentais terriblement oppressée. Derrière elle, Vicken se

relevait.Elleappuyaencore,justesousmagorge.Incapablederespirer,jetoussai.Ilfallaitquejerespire!

Page 35: Pour la traduction française

Vickenramassasonpoignard.–Jevaistuertesamisunàun,cracha-t-elleentresesdentsserrées.PourKate,çan’apastraîné.Pourlesautres,

ceseralentetdouloureux.Vickenabattitsoncouteau,maislavampirefutplusrapide.D’unbond,ellefutdanslarue.Vickenselançaàsapoursuiteentrébuchant,poignardaupoing,maiselleétait

déjàloin.Jecherchaimonsouffle,inspiraiàlonguesgoulées.Lesmainsserréessurmontorse,jefrictionnaimapeaulàoùlabottel’avaitécrasée.

«PourKate,çan’apastraîné.Pourlesautres,ceseralentetdouloureux.»–Vicken!dis-jeentoussantetenroulantsurleventrepourreprendremonsachetd’herbes.Puis jeme relevai parmi les éclats de verre en inhalant unmélange d’odeurs aussi diverses que la figue et le

patchouli. Vicken s’élançadans la rue,mais il ne pouvait pas concurrencer un vampire qui n’avait pas besoin desoufflepourcourir.Lorsquejesortisd’unpasencorechancelant,ilétaitaumilieudelachaussée.Nousnevoyionsplusquelachevelureblondeetlasilhouetteminced’Avadisparaissantdanslecrépuscule.

J’allai rejoindre Vicken à pas lents. Il cligna des yeux, scrutant les alentours pour voir s’il y avait d’autresvampires.Leseulmouvementperceptibleétaitceluidesnuagesquipassaientrapidementau-dessusdenostêtes.Ilrenifladeuxoutroisfoisettournalatêteversmoi.

–Tupues.–Jem’enétaisaperçue,répliquai-je.Machemiseétaitimbibéed’huilesessentielles.–Nousdevrionsretournervoircommentval’herboriste,dis-je.Saufquesiquelqu’unentreetnoussurprendavant

sonréveil,onseraimpliqués.–Jevaisyaller,proposaVicken.L’idiotiedeshumainsnemefaitpaspeur.(Ilsebaissapourremettresonpoignard

danssabotte.)Cettevampireétaitsacrémentrapide.Mêmeenlançantlecouteau,jen’auraispaspul’avoir.Ilsemblaitvouloirsejustifiervis-à-visdemoi.–Ellenenousapastués,remarque.Ilsepritl’épauleetsecrispasousladouleur.–Non,ellenenousapastués.Maiselleaessayédem’emmeneravecelle.–Elleveutlerituel.–Ça,j’avaiscompris,dit-ilenmereniflantànouveau.Attends-moiici,làoùjepeuxtevoir.Ettesentir.

–Bon,refaislegeste,meditVickenentirantsursacigarette.NousétionssurlaplagedeWickhametj’imitaislesmouvementsdeSuleenlorsdenotrerencontre,plustôtdans

l’été.–Ilabougélamain,commeça,etlecorpsdeKateestapparu?Insista-t-il.–Pastoutàfait.C’étaitplutôtuncontour.Commeunfantôme,situveux.Àprésent,cemomentmesemblaitvieuxdeplusieursmilliersd’années.Lesrubansjaunesetlespoliciersn’étaient

pluslà.Quelqu’unavaitratissélesable.Ratissé,nettoyé,effacétoutetracedemeurtre.–Jetel’aidit,continuai-je,lesautresnenousontpasremarqués.Nousétionsinvisibles.Vicken se leva et laissa tomber sa cigarette dans le sable tandis qu’un véhicule de surveillance du lycée

s’approchaitdelaplage.Lavitredelavoituredescenditetunvigilenoushéladanslapénombre.–Couvre-feudansvingtminutes!nouscria-t-il.–Merci!Auboutd’unmoment,jereprismonrécit.–Elleavaitcetteexpression…,dis-jeenmerappelantlepaslégerd’Avasurlaplage.Cetairassoiffédepouvoir.

Tusais,quandlafoliecommencetoutjusteàprendreledessus.JecessaidefairelescentpasetVickenallumauneautrecigarette.Ilsetenaitfaceàl’océan,dosaucampus.Surlechemin,unautreagentdesurveillance,plutôtrepletetbarbu,noushéla.–Eh,lesjeunes!Couvre-feudansunquartd’heure!Personnedehorsaprèsvingtetuneheures!nousrappela-t-il.Lorsqu’ils arriveraient au lycéedans les jours à venir, les élèves allaient le trouverbien changé.En sortant ce

matin-là, nous avions vu une équipe d’ouvriers installer un épais portail métallique entre les deux hauts piliersgothiquesdel’entrée.

Etànotreretour,dansl’après-midi,unvigileétaitassisdanslaguéritedel’accueil.Guéritequiétaitrestéevidependanttoutel’annéequej’avaispasséeàWickham.

Etmaintenant,surlaplage,unautresurveillantmontaitlagarde.J’allairejoindreVickenauborddel’eau.–Commentallons-nousfairepournousprotégers’ilssontcinq?demandai-je.Jen’aipluslepouvoirdeprojeter

desrayonsdesoleil,moi!Vickengardalesilenceuninstantavantdemerépondre.–C’estça,justement,pasvrai?marmonna-t-ilcommepourlui-même.Ilfautseservirdesrayonsdusoleil.–Çadépend.Elleétaitassezfortepourtesoulever,tereteniretteparalyser.Nousneconnaissonspasl’étendue

desespouvoirs.Etelleétaitdehorsavantlanuit.– Le soleil allait se coucher. Et peut-être qu’elle est simplement très musclée. Nous ne connaissons pas ses

pouvoirs,eneffet : ilvadoncfalloir lapousseràsortir,histoiredesavoiràquinousavonsaffaire. Jevais fouinerpourrecueillirunpeuplusd’informations.

–Soisprudent.TesPESn’ontpasdutoutdisparu?J’espérais bien qu’il avait conservé quelques-unes de ses prérogatives vampiriquesmalgré la transformation. Il

secouanégativementlatête.Commelui,aprèslerituel,jen’avaisconservédemonexistencedevampirequemavueet mes perceptions. Impossible de dire quand tout cela s’estomperait chez lui, mais chez moi, en tout cas, jeconstatais que cela faiblissait de plus en plus. Plus longtemps il garderait ces facultés, plus décisif serait notreavantage.NousreprîmeslechemindeSeekerHall.

Vickenregagnasondortoir,etmoimachambre. J’allumaialorsunebougieblanchesurma tablebasse.Puis jem’étendis confortablement dans le canapé pour regarder la flamme danser et vaciller. La lumière devint un halodoré.Jeposaimatêtesurl’accoudoiretmelaissaibercerparcefeufollet.Alorsquejem’assoupissais,desimagesdeJustinclaquantdesportes,deJustinmecriantaprèsdevanttoutlemonde,s’attardèrentdansmespensées.Puisd’autres visions cauchemardesques apparurent : Justin faisant la course dans son hors-bord et fonçant avec surRhode,quigisaitsurlarive,incapabledesedéfendre.

Ensuite,d’autresimagesencore.Jemarchesuruncheminquejeconnais.JesuisàWickham.Ilyadesbâtimentsenbriquecouvertsdeneigesale.

Pasd’élèves.Lesfenêtressontcondamnées,lefoyerdésert.JeprendslechemindelaplagedeWickham.

Page 36: Pour la traduction française

Jedemandedanslevide:«Oùsuis-je?»,etsoudain,jenesuisplusseule.Suleenestapparuàmescôtés.Nousmarchonsdanslaneige,toujoursendirectiondelaplage.Surlesable,lesvestigescarbonisésd’unevieillebarqueoubliée.Les fenêtres dudortoirQuartz sont noires, abandonnées. Personnen’y entre ni n’en sort, personnene se hâte

d’allerencours,ungobeletdecaféàlamain.Wickhamestsombre,mort.Unevillefantôme.–Est-celefutur?–Ceciestl’avenirdeWickhamsijamaisAvaselivreaurituel,merépondSuleen.Unêtreaussimaléfiquenepeut

pasdéversersesintentionsdansunrituelsipuissantsansconséquencesnéfastes.Elledétruira…tout.Jem’arrêtenet,lesoufflecoupé,cingléeparl’airhivernal.Jemeredressaid’unseulcoupsurlecanapé,posailesmainssurmescuissesettâchaidecalmermarespiration

affolée.Jemefigeaiuninstant:leboutdemonnezétaitglacé.Commesijevenaisdemepromenerdehorsparunjourdeneige.

–Suleen?appelai-jetouthaut.Suleen?Jepivotaiàdroiteetàgauchepourlechercherdesyeux,maiscen’étaitqu’unrêve.Etjerestaiseule.

Page 37: Pour la traduction française
Page 38: Pour la traduction française

Chapitre7Unocéandenoir.Destee-shirtsnoirs.Desrobesnoires.Desjupesnoires.Desbottesnoires.Toutétaitnoir,danscettependerie.Jesavaisbienquejen’avaisportéquecelaaucoursdel’annéepassée,mais…–Jen’aipasunefringuequinesoitpasnoire?demandai-jeàmonplacard.Lesgensavaientdéjàbienassezderaisonsdemeregardercommeunebêtecurieuse:j’avaisdisparupendantsix

moisàlafindel’annéeprécédente;monmeilleurami,Tony,étaitmort;etj’étaisderetoursansexplication.QuevontdireTracyetClaudia?medemandai-je,unejupenoireàlamain.EllesallaientforcémentposerdesquestionsetvouloirparlerdeKate, la troisièmeduTrio,quin’étaitplusparminous. Je sortisunhautnoiretun jeannoirduplacard.Etcessaiuninstantderespirer.Tracyetmoiserions-nousamiescetteannée,àprésentqueTonyn’étaitpluslà?

Jesoupiraiettentaid’effacermonrêvedelanuit.Lerègned’Ava,sijamaiselleaccomplissaitlerituel,feraitdeWickhamunlieudedésolation.Unenfer,désertéparceuxquej’aimais,oùiln’yauraitplusniJustinniRhode.Bonjour,pensai-jeentenantlehautdevantmoi.Jem’appelleLenahBeaudonte.Jenem’habillequ’ennoir,toutle

temps,etiln’yaencorepassilongtemps,j’étaisunfunesteprésageàmoitouteseule.Jesoupiraiunefoisdeplusetallaimefaireducafé.

En sortant sur le campus, je chaussai des lunettes de soleil. Parfois, pendant un bref instant, j’imaginais que

j’allaisvoirTonym’attendantsur lebanc,commeil l’avaitsisouventfaitaucoursde l’annéeprécédente.Voirsesoreillespercéesdepartout,sesdoigtstachésdefusain,sacasquetteàl’envers.

Maisilétaitmort.Le lycée, en revanche, était animé malgré la nouvelle présence policière. Le campus grouillait d’élèves de

premièreetterminalepassantd’unbâtimentàl’autre.Certainssortaientdufoyerungobeletdecaféàlamain,lesautresavaientsouslebrasunpetitdéjeuneràemporterdanssaboîteencarton.Jemarchaistoujoursdansl’ombredesarbres,mêmesijeneredoutaispluslesoleil.Jeregardai,dansmespaumes,leslignesdeviequejeconnaissaissibien.Jemedemandaifugacement,mêmesijesavaisquejen’auraisjamaislaréponse,pourquoiunefois,aucoursdemasecondeviedevampire,desrayonsdesoleilétaientsortisdemesmains.Quiprenaitcesdécisionsdanslemonde,etpourquoicedonm’avait-ilétéaccordé?

Jeréfléchissaistoutenmerendantàlaréunionderentrée.Jesavaisquelorsquej’avaispuprojeterdelalumièresolaire, j’avais abrité en moi un pouvoir gigantesque. J’avalai mon café et m’arrêtai net : je venais de prendreconscienced’unechose.Sijen’étaispasredevenuehumaine,jeseraisencoreàl’heureactuelleundesêtreslespluspuissantsdumonde.Lafaimdepuissance,l’euphoriequej’avaisautrefoisressentieenqualitédevampirebattituninstanttoutaufonddemoi,puisdisparutprogressivement.

Jemeremisenmarche.Vickenselevad’unbanc,environdixpasplusloin.Levoirainsienlycéen,unsacàdospassésuruneépaule,mefitsourire.Auloin,leseauxduportscintillaientsouslesoleilmatinal.

–Jevaissécherlaréunion,m’annonça-t-il.–Tunepeuxpas.Ilsvontfairel’appel.–L’appel?–Ilsvérifientlaprésencedechacun,clarifiai-je.–Bonsang,jen’auraisjamaisdûlaisserRhodemepersuaderd’alleraulycée.Jem’arrêtainet,étonnéeparcespropos.Uneétincellevacillaitdansmoncœur.Rienqu’àentendresonprénom,

j’imaginaisdesscénariosleconcernant.RhodeàHathersage,arpentantlessallesvides,Rhodem’observantdeloin,meprotégeant.Sedemandait-ilsij’allaisbien?

–Alorscommeça,c’estluiquit’aconvaincudet’inscrireàWickham?–Convaincu, il faut ledirevite !Est-ceque tu te rendscompteque jen’aipasmis lespiedsdansunesallede

classedepuisl’époquedelalocomotionàcheval?–Quandas-tuparléaveclui?–Avantsondépart,jetel’aidit.Oui, mais je ne le croyais pas tout à fait. Soudain, je m’immobilisai. Droit devant nous, un petit groupe se

rassemblaità l’entréedubâtimentHopper :ClaudiaetTracy,Roy– le frèrede Justin–,plusquelques joueursdecrossequejeneconnaissaispas.Etaveceux,justeàcôtédesonfrangin:Justin.

–Qu’est-cequ’ilya?medemandaVickend’untonlégèrementalarmé,etvisiblementprêtàsortirsonpoignard.Ah,ça…,grogna-t-ilensuite,voyantquijeregardais.

Justin serra affectueusement Claudia dans ses bras. Lorsqu’il se recula, elle s’essuya les yeux et je vis qu’ellepleurait. Cette bande existait déjà avant mon arrivée au lycée, avant que je ne vienne assombrir ses jours. Et àprésentilssetenaientensemble,lesépaulesvoûtées.Curieusement,jelestrouvaisdiminués.Pasennombre,maisenénergie.

–J’aimaissonparfum,lerosedansunflaconvrillé,ditsoudainVicken.Ilavaitfermélesyeuxuninstantpourseconcentrer.Sonvisageétaitencadréparsacrinièredecheveuxfous.–Cetteodeurmemanquera,ajouta-t-il–maislesmotsqu’ilprononçaitn’étaientpaslessiens.–Quoi?demandai-jeàmi-voix.–TonamieTracy.Elleregrettel’absencedeKate.Parceque…parcequ’elleécoutaitmieuxqueClaudia.J’observailegroupependantunmoment.TracyregardaiteneffetClaudia,maisnedisaitrien.–Et tonautrecopineblonde,elle…Ellevoudraitavoirsonamieavecellepouraller fairedushopping,pourse

balader…saprésenceluimanque.Maisjenepigepas.Çafaitplusdedeuxmoisqu’elleestmorte.Ilestgrandtempsqu’ellessecalmentunpeu,non?

Page 39: Pour la traduction française

Jecomprenaisledeuilhumain.Vicken,pasencore.Kateallaitmemanquer,avecsamanièredeselaissertomberdansunsiègeàcôtédenous,denousproposerun

chewing-gumavanttoutechose.Mêmesamaniedesemêleràtoutboutdechampdemavieamoureuse,deposerdesquestions indiscrètes.Nousn’étions pas très proches, je le savais,mais samort laisserait tout demêmeunetracefantômedansmavie.

–Deuxmois,cen’estrien.Lechagrind’undécèspeutdurerdesannées,répondis-jeensongeantàTony.Contrairement à celle de Kate, sa disparition laissait dans mon cœur un trou béant qui, je le savais, ne se

refermeraitjamais.Lamortétaitsifacileàcomprendre,quandnousétionsvampires!Maislorsqu’onétaithumain,ledécèsd’unêtre

aimé demeurait à jamais une date historique. Un point fixe dans votre vie auquel on se référait sans cesse envieillissant.

Uneépineplantéedanslecœur.–Bon,alorsallonsnousfaireappeleretcommençonslescours,soupiraVicken.Jem’arrachaiàlacontemplationdeJustinetdesesamis.–Nousfaireappeler?–Benoui,tusais…Tuviensd’enparler…Tum’asditqu’ilyavaitunappel.Il sortit de sa poche unmorceau de papier tandis que je coulais un dernier regard vers le groupe que j’avais

considéré,àuneépoque,commemabande.–J’ailittératuredumondeenpremièreheure,dit-ilenétudiantsonemploidutemps.Àcemoment-là, Justins’approchadenousd’unairdécidéet jemepréparaiensecouantmescheveuxsurmes

épaules.Tuméritescequivatetomberdessus.Prends-le,accepte-le.Tuméritestoutcequ’ilvatedire.Ilaccéléra.Ouplutôt,sespiedsleportaientdeplusenplusvitedansnotredirection.Vickenrelevalesyeuxdesonpapierauderniermoment.

LorsquelecorpsdeJustinheurtaviolemmentlesien,Vickenfutprojetéenl’airetretombaàplatsurledos.Justins’agenouillaalorsau-dessusdeluiet,avecuneforcedévastatrice,luienvoyauncoupdepoingenpleinvisage.Maréaction fut instinctive : je lui balançai ungrand coupdepieddans la hanche, qui le désarçonna. Il s’éloignadeVicken.Unassezgrosattroupements’étaitdéjàformé,etjemebaissaipourtirerVickenparlebrasetl’aideràserelever.Ilchancelasursespiedsetsepalpal’œildroit.Endessous,lesangfaisaitbourgeonnerlapeau,quienflaitdéjà.

–Passe-moiunmiroir!exigea-t-il.–Drôledemomentpourêtrecoquet,répondis-je.–Jeveuxvoirça!insista-t-il,incrédule.Ilsecouaitlatête,commesic’étaitinconcevablequejenemerendepascomptedel’importancedumoment.IlsetournaensuiteversJustin.–Jolicoup,monpote.MrsTate,notreprofdeSVT,sortitencourantdubâtimentHopperetpointa ledoigtvers Justind’unairaffolé.

Apparemment,elleavaittoutvu.–Toi!cria-t-elle.Viensavecmoi.Justinsecouaitsamain:sesdoigtsdevaientluifairemal.–Ettoi,ajouta-t-elleàl’intentiondeJustin,fileàl’infirmerie.Elledésignauneélèvedepremière,Andrea,pourl’accompagner.Justin,ànouveau,serapprochadangereusementdeVickenetdemoi.Ilauraitfacilementpubalancerunsecond

coupdepoing.Jamaisjenel’avaisvusicalme…nisienragé.–Ça,dit-iltellementbasqueseulsVickenetmoipouvionsl’entendre,ça,répéta-t-il,c’étaitpourTony.IlsetournapoursuivreMrsTate,maissansquitterVickendesyeux.Les tripes serrées, j’attendis la réaction de ce dernier. Un muscle frémit dans sa mâchoire, mais ce fut tout.

MrsTatepointaànouveauledoigt,cettefoisverslebâtimentHopper.–Justin!s’écria-t-elle.Toutdesuite!Les yeux du garçon dérivèrent vers moi. À présent, ils étaient froids et distants, pleins de colère, emplis de

déception.Ilbrisacedernierlienenpivotantpoursuivreleprofesseur.Jeleregardaipartir,lecœurdéchiré.C’étaitune souffrance différente de celle que j’éprouvais pour Rhode. Je voulais retrouver l’ancien Justin. Celui qui mesouriait,metaquinait,quim’aidaitàcomprendrel’universdeshumains.

AndreasetenaitàcôtédeVicken,prêteàtraverserlapelouseavecluipourrejoindrel’infirmerie.EllelançaunregardàTracyetClaudia,commepourdemander:«C’estqui,celui-là?»

Vickensepenchaverselle.–Dis-moifranchement,çavireauviolet?Ouaurouge?Enfait,jemedemandais:tun’auraispasunmiroirde

poche,parhasard?ClaudiaetTracysedirigèrenttoutdroitversmoi.Ellesportaientdesrobesd’étémagnifiques;celledeClaudia

était jaune canari. L’espace d’une demi-seconde, je l’enviai d’être si radieuse – elles l’étaient toujours. Maislorsqu’elleserapprocha,jecomprisl’étenduedesonchagrin.Elleavaitlesyeuxrougesetenflésàforcedepleurer.

–Ehbien!lança-t-elle.Ilssebattentpourtoi.Ellesourit,cequiréchauffalapeinequel’onlisaitsursestraits.–Cen’étaitpasmoilesujet,répondis-je.–Biensûrquesi,affirmaTracyavecsérieux.Quiestcegarçon?demanda-t-elleensuiteenindiquantVickend’un

coupdementon.–Mon…moncousin,bredouillai-je.Vicken.–Mignon,commentaClaudia.C’étaitunvraisoulagementd’apercevoiruninstantlafilleinsouciantequ’elleavaitété.–Ilfautqu’onyaille,nousrappelaTracy.Laréunionvacommencer.Enlessuivant,jelançaidesregardsautourdemoi,cherchanttoujoursRhodesurlecampuspresquevide.C’était

inutile,jelesavaisbien.Ilneviendraitpas.IlprenaitausérieuxnotrepromesseauxAeris–etj’étaisconscientequej’auraisdûfairedemême.

DanslecouloirdubâtimentHopper,unmurmuregénéralémanaitdel’auditorium.Lesélèvesseretrouvaientetseracontaientleurétéavecanimation.Jefranchislaporte,puism’arrêtai.Toutcemonde!Unecentainedepersonnes,peut-être plus. Ce que j’avais appris sur le comportement humain se vérifiait en cet instant. Au moment où jepénétrai dans le vaste auditorium, le silence se fit. Les nouveaux arrivants, qui n’étaient au courant de rien,observaientsansriendire.Mescamaradesquiavaientconnulesévénementsdel’annéeprécédentecessèrentleursbavardagesetpivotèrentversmoi.

TracyetClaudias’étaientinstalléesautroisièmerang,àleursplaceshabituelles,bienquelesiègedeKatesoitàprésentvide.

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Involontairement,jeserrailespoings.Pourquoiavait-ilfalluqueJustinrouedecoupsmonseulallié?–Rhode…,dis-jepourm’encourager,maissonnomsetransformaengémissement.Je passai devant des élèves de première déjà ici l’année dernière, et constatai que mon assurance avait

apparemmentdisparuenmêmetempsquemescrocs.Jehaïssaislegoûtdeshumainspourlesragots.Aussitôtquejefuspassée,cesélèvesseremirentàjacasser.«C’estLenah.EllealarguéJustinEnos.Débile,non?»«Etcesdeux-là,là-bas,c’étaientlesmeilleurescopinesdeKatePierson.»«LenahétaitlameilleureamiedeTonySasaki.»«Ouais,benpourlarguerJustin,fautvraimentquecesoitlapireidiotedumonde.»–Vienst’asseoiravecnous,mehélaClaudiaenretirantsonsacdusiègevide.Jecoinçaimescheveuxderrièremonoreilleetmedirigeaiavecsoulagementvers lesdeuxfillesdont j’espérais

qu’ellesmeconserveraientleuramitié.Ellesn’étaientsurterrequedepuisseizepetitesannées.Maisellesavaientétégentillesavecmoiquand j’enavaiseubesoin,etàprésentellescontinuaient. Jem’installaietécoutaiClaudiaracontersonétédansunclubdevoile.

–Ettoi,Lenah?s’enquitTracy.TuesrentréeenAngleterrepourlesvacances?J’étais sur lepointde leur expliquerquenon,que j’étais restéeàWickham, lorsqueMrsWilliams, l’autoritaire

proviseurdulycée,tapotasurlemicro.

–…à la secondemêmeoù vousenvisagezde sortir.Vousdevez impérativement êtreauxmoinsdeux, assenaitMrsWilliams.Fautedequoivousperdrezvotreautorisationdesortie.

«J’aitoujoursadmirétamajesté,avaitsiffléAva.Ettonappétencepourlemal…»–Lasécuritéestplus importanteque jamais.Nousavonsperduunbon tiersd’inscriptionsà lasuitedesdécès

accidentels de Tony Sasaki et de Kate Pierson, continuait la proviseur d’un air sévère. Nous avons donc laresponsabilitéderassurerlacommunautésurnotrevigilanceetnoseffortspourvousprotégerdetoutdanger.

Tracybaissa la têteet s’essuya lesyeux,maispourmapart je restaidroite, feignantdenepas remarquerqueClaudialuiprenaitlamain.

–KatePierson,poursuivitMrsWilliams,atrouvélamortàl’extérieurducampus.C’estpourquoi,mêmesibiensûrellenousmanquerabeaucoup,jevousdemandedenepasinterpréterlesfaitsàtort.Cesdeuxincidentsnesontpasliés,nidirigésspécifiquementcontrelesélèvesdel’établissement.Parprécaution,nousmaintiendronstoutefoislesnouvellesmesuresdesécurité.Lesmortelssontdécidémentprêtsàtouslesmensongespourseprotéger,pensai-je.Jesoupiraiettâchaideneplusl’entendre.Jefaisaistournermachinalementmabagueenonyx,demanièreque

l’anneaud’argentfrottecontremapeau.Enl’absencedeRhode,Vickenetmoin’avionsaucunechancedetenirtêteà plus d’un vampire à la fois, deux à la rigueur. Il nous fallait Rhode. Ses années d’expérience nous auraientréellementbeaucoupaidés.Etj’avaisbeaucroirebienleconnaître,ilétaitclairqu’ilyavaittoutautantdechosesquej’ignoraissurlui.Tantdechosesqu’ilsavaitcacher.Qu’ilmecachait.Non,pensai-jeenrepoussantmescheveuxderrièremonépaule.Neprendspascechemin.Celuidel’apitoiement,

celuioùturuminestoutcequ’ilt’afait.Ilestparti.Ilestparti,ettoutcequ’ilteresteàfaire,c’estattendresonretour.

Maisilétaitenvie.Etcetteidéetournaitenrondsousmoncrâne.Oùétait-ildonc?Dès la finde laréunion, lesbavardagesreprirent.Laplupartdesgenscommentaient lenouveaurèglementqui

obligeait chacunàdemander l’autorisationavantde sortir, etmontraientdudoigt les vigilespostésà laportedel’auditorium.

–Jesuistropcontentequetusoisrevenue!s’écriaClaudiaenmeserrantchaleureusementdanssesbras.J’inhalaiunesenteurdesavonfraisetunparfumépicé.Jenepusm’empêcherderegarderTracypar-dessusson

épaule, Tracy qui nous observait avec une dernière larme dans l’œil. Claudia se recula : ses yeux aussi étaienthumides.

–SurtoutaveccequiestarrivéàKate,tusais?poursuivit-elle.Etmaintenant,promets-nousunechose.Tunevaspasrepartir,hein?Tunevaspasencoretevolatilisercommel’andernier?

Ellepritmesdeuxmainsdanslessiennes.–Non,jerestepourdebon.Sesmainsétaientchaudessur lesmiennes.Si j’avaisencoreétévampire,cetteproximitéauraitété idéalepour

quejeluiponctionnelagorged’unsimplegeste.Jejetaiunrapidecoupd’œilàsespoignets.Pourétudiersesveines.C’étaittellementstupéfiantquej’aieencore

ceréflexe!J’enfushorrifiée.Jeretiraiimmédiatementmesmains.Ilfautquejem’éloigned’elle,pensai-je.Lesvieilleshabitudesontlaviedure,dit-on.N’est-cepasuneexpression?Ce sentiment passa et je me baissai pour ramasser mon sac. J’étais mortelle. Je n’étais plus une vampire.

ContrairementàAva.Jesuivismesamiesendirectiondesportes.Retourne-toi,chuchotaalorsunevoixdansmatête.Peut-êtreétait-cemonintuition,oucelledelareinevampire

quisecachaitauplusprofonddemoi.Retourne-toi,Lenah.Regardederrièretoi.Lentement,jepivotai,etjerestaipétrifiée.Deboutenhautdesmarches,toutaufonddelasalle…setenaitRhode.Uneprofondebalafre,croûteuseetnoircie,barraithorizontalementson front.Uneautrecicatrice traversaitses

belles lèvres, si sombreque jemedemandai si le sangen suintait encore.Sonœildroit et sa jouedroiteétaientterriblementenflés.

Mabouches’ouvrittouteseule.–Allezviens,Lenah!melançaClaudiadepuislaporte.Mais jenepouvaispasdétourner les yeux.Deux secondespassèrent, puisRhodebrisa le charmepourmoi : il

rejoignitlasortiedesecoursetdisparut.

–Rhode!criai-jeencourantverslaportedufond.Claudiam’appelaàsontour,maisjenel’écoutaipasetm’élançaisurlapelouse.–Rhode!Cettefois,j’avaishurlésonnom.Ilseretournavivement;sesyeuxétaientcachéspardeslunettesnoires.Jevis

monexpressionhorrifiéedansleursverresbrillants.Desiprès,jepusréellementvoirlesdégâts.Unhématomeviolacécouvraitl’arêteépaissiedesonnez.Lateinte

noirciedesapeauluidonnaitl’airmaladif.Souslaracinedesescheveuxcouraitunecoupureprofonde,quiauraitsans doute eu besoin d’être suturée, mais il était bien trop tard pour cela. Des croûtes s’étaient formées, et ilgarderaitcertainementunecicatrice.Seslèvres,seslèvressomptueuses,étaientfenduesparlemilieuetbruniesparlesangséché.

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Je levaiunemainpour lui toucher le front,mais il se recula.Unesouffranceaiguëmedéchira lapoitrineet jebaissailamain.Dansseslunettesnoires,jevismaproprebouchetournéeverslebas,etmespaupières,plisséesàcausedusoleil.

–Quet’est-ilarrivé?luidemandai-je.–Rien.J’aiditàlaproviseurquej’avaiseuunaccidentdevoiture.Son œil droit était si violet et enflé que je ne pus m’empêcher d’approcher mes doigts de la peau mutilée. À

nouveau,ileutunmouvementderecul.–Cequis’estpasséneteregardepas,ajouta-t-il.Ilfautquej’ailleenclasse.Ilpritladirectiondeslabosdesciences.Avecunpeudechance,nousallionsnousretrouverdanslemêmecours.

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Chapitre8Unelonguefiled’élèvesattendaitdanslecouloir,devantlelabo.Lagéologieétaituneoptiontrèsdemandéechez

lesterminales: ilyenavaittroisclassesentières,auxquellessemêlaientquelquesélèvesdepremièretriéssurlevolet. Je me haussai sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir Rhode devant moi dans la queue, mais jen’entrevisquesescheveuxcourts.Moncœurpalpitaausouvenirdesa longuecheveluretombantsursesépaulescommeunrideaudesoienoire.J’avaistantaiméseschapeauxhautsdeformeetl’angledesescrocs…Àl’époque,lescrocsfaisaientpartieintégrantedenotrephysique.Penserauxpointesacéréesdeceuxd’Avamefitpressermesdoigtscontremoncou,commepourleprotéger.–Ah,Lenah,tueslà,ditMrsTate.Jelaissairetombermamain.Oh.Visiblement,j’étaisarrivéeàlaportedulabo.Rhodeétaitdéjàassisaupremierrang.Lementonbaissé,ilécrivaitdansuncarnet.MrsTatepritsalisted’élèves

etpointaunstylodanssadirection.–RhodeLewin,vousallezresterlà.Vousaurezcommevoisin…JustinEnos.(Elleattribuaitlesplacespourtoute

l’année.)Ilvousaideraàvousmettredanslebain.Très,trèsmauvaiseidée.L’enseignantetenditàRhodeunefeuilledepapier.–Onm’amiseaucourantpourvotreaccidentdevoiture.Commentvoussentez-vous?–Mieux,jevousremercie.Ilposasonstyloetpritlafeuille,lesdoigtstremblants.Sesdeuxmainsétaiententouréesd’épaisbandages:un

autour du poignet, l’autre autour des phalanges. Jem’immobilisai lorsqu’il leva les yeux. Sous lesmeurtrissuresnoirâtres et violacées se trouvaient les yeux bleus que j’avais connus et aimés pendant un demi-millénaire.Monventreseserra,jerespiraisavecdifficulté.Nosyeuxnesequittèrentpasetsonregardquis’attardaitsurmoisuffitàmefairetournerlatête.Àmagrandeconfusion,ilsoupira,fermalesyeuxetrompitlecharmeunefoisdeplus.– Lenah, ditMrs Tate, vous gardez votre ancienne place. Une élève de première va venir nous rejoindre, elle

s’installeraàcôtédevous.J’opinaiettâchaideregagnermapaillassesansregarderversRhode.Je haïssais cette chaise vide à côté de la mienne. Celle de Tony. J’étais sur le point de m’asseoir lorsque le

professeurrepritlaparole.–Oh.Hmm.Justinetdeuxautresélèvesvenaientd’entrerdanslasalle.MrsTateregardasaliste.–Àlaréflexion,Justin,prenezplaceàcôtédeLenah.EtMargot,enfait,nousallonsregrouperlesdeuxnouveaux,

venezrejoindreRhode.Caroline,tuirasdanslefond,àcôtéde…Jecessaid’écouterceméli-mélodenoms.Justin,quiévitaitmonregard,s’assit,etlorsqu’ilposaseslivressurla

table je remarquai que ses doigts, à lui aussi, étaient bandés. Il serrait son cahier, et son genou était agité detressautements,tremblantpeut-êtredenervosité,derage,oud’unexcèsdecaféine.Jedéglutis,désarçonnéeparsonsilence.Jefisànouveautournerlabagued’onyx,encoreetencore,etfinalement,

lorsquej’ouvrislabouchepourluiparler,MrsTateréclamal’attentiondelaclasse.–Bien,passonsauplanducoursd’aujourd’hui.Nousallonsrevoirquelquesbases.Justinregardaitostensiblementdroitdevantlui.Celamefaisaitsouffriràunpointquim’étonna.Pourquoirefusait-

il de s’adresser àmoi, oumêmedeme regarder ? Pendant unmoment, je continuai dem’attendre à ce qu’ilmetouchecommed’habitude,àsentirsamainchaudesurmongenououdanslebasdemondos.–NousallonsanalyserlepHdediverséchantillonsd’eauprélevéeàLoversBay.Jesais,jesais,c’estélémentaire,

maisc’estimportantavantd’avancerdansnotreprocessusd’expérimentation.Denouveau,jetournailatêteversJustin.–Quoi?lâcha-t-ilfroidement.Ilmefallutunmomentpourcomprendrequec’étaitadresséàmoi.–Ah,euh…rien.(Jebaissailesyeuxversmoncahier.)Je…–Quoi?répéta-t-il,cettefoisentournantlentementlatêteversmoi.(Levertdesesyeuxétaitdur,froid.)Tuveux

encorem’humilier?–T’humilier?Jejetaiuncoupd’œilàMrsTate,quiécrivaitquelquechoseautableau.–Tonpetitcopainestaupremierrang.Tudevraisêtreplacéeàcôtédelui,mecracha-t-ilentresesdents.–Jeveuxjuste…–Lenah,situmeparlesencoreunefoisd’autrechosequedegéologie,jequittelasalle.

–Passe-moilepapierpH.LavoixdeJustinétaitglaciale.Ensilence,j’obéis.–Sept,constata-t-il.Queditletien?J’observailacolorationdupapier,puisnotainosrésultats.Lorsquecefutterminé,ilrassemblalematériel,flanqua

notretravailcommunsurlebureaudeMrsTateetfiladehors.Àl’avantdelaclasse,Rhoderangeadoucementsatrousseetsoncahier.Lamâchoireserrée,ilsecrispalorsqu’ilpritsonsacsursonépaule.Jesortisderrièrelui.–Rhode,l’appelai-jeàmi-voixlorsqu’ileutfaitquelquespasdanslecouloir.Rhode!Ils’éloignaitrapidement.Jecommençaisàenavoirassezd’êtretraitéecommelaFemmeinvisible.–Situneteretournespastoutdesuite,jehurle!Iltournalestalonsetmeregarda.

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–Ilyavaitunevampireàl’herboristerie,commençai-je.Ici,àLoversBay.EllevivaitàHathersage.Labonnequej’ai tuée avant d’entrer en hibernation. Elle est au courant pour le rituel. (Jeme tenais à environ un pas de lui,observantsaréaction.)Vickenetmoivoulionst’enparlerplustôt,maistuétaisinjoignable.Ilnebougeapas,ledosdroit,lesbrascroisés.–Tuasétéblessée?–Elleadéjàtuéunedemesamies.Elleaditqu’ellereviendraitpourlerituel.OnauraitditqueRhodeseprêtaitàcetteconversationàcontrecœur.IlrespectaitledécretdesAeris,d’accord,

maistoutdemême,personneneluiavaitinterditdemeparler,quejesache.–Elleataillésesonglesrougesenpointe.(Jedéglutisenimaginantmachairs’ouvrantsoussesgriffures.Rhode

levaunemainbandéeverssonmenton,hochalatêteetgardalesyeuxrivéssurmespieds.)Elleacrééuncercle.Vickenetmoiavonsvulacérémoniedenosyeux.–Cinq?s’enquitRhode.Jefissignequeoui,maisc’étaitplusfortquemoi:ilfallaitquejesache.–Qu’est-cequit’estarrivé?Tuasunemineterrible.Dansquellebagarret’es-tufourré?Est-ceàcausedurituel?–Non,etjet’aidéjàditquecen’étaitrien.–Tumemens,crachai-je,dégoûtée.–Ilfautquej’yaille.Maisavantdemetournercomplètementledos,ilajoutaquelquechose.–Retrouvons-nouscesoir.Pourparlerdececercle.Vickentediraoùetquand.Ilfitquelquespas,quej’écoutairésonnersurlesol.Unebulledecolèreenflaitenmoi.–Tusaistout,criai-jedanssondos,justeunpeuplusfortquemavoixnormale.Çaatoujoursétécommeça.Ils’arrêta,toujoursdosàmoi.Nousétionsdenouveauseuls,maintenantquel’intercoursétaitterminé.–Pendantdessiècles,tuastoutcontrôlépendantquemoi,jenesavaisrien.Ilseretourna,cettefois,etnousnousretrouvâmeslesyeuxdanslesyeux.– C’est vrai, ajoutai-je d’une voix plus faible. J’avais d’autres distractions,mais c’était toujours toi qui avais le

pouvoir.Seulement,commejet’aimais,çan’avaitpasd’importance.Ilserapprochapourseretrouveràquelquescentimètresdemoi.Desiprès,jevoyaislespetitspoilsdebarbequi

poussaientsursonmentonetunemeurtrissurelelongdesamâchoire–deshématomesquejen’avaispasencoreremarqués.– Je me fiche complètement du pouvoir, souffla-t-il, visiblement en proie à une colère rentrée. Toujours, en

permanence,mespenséesontétéavectoi.Jedécidaidelepousserdanssesretranchements.–Tum’aslaisséedanslenoir.Peut-êtrequesij’avaisconnulesparticularitésdurituel,j’auraisput’aider.Onne

seraitpasdanscetteimpasse,mauditsparlesAeris,sanspouvoirêtreensemble.Aufonddemoi, jemedemandaistoujourspourquoiRhodeavaitditqu’ilneserait jamaisrevenudelui-mêmeà

Wickham,etrefuséderévéleroùilavaitpassél’annéeprécédente.Celametracassaitsansrelâche.Quelleraisonpouvaitêtreassezfortepourl’éloignerainsidemoi?Encoreunsecret,encoreunevéritéqu’ilmecachait.–Jetel’aidit,j’ignoraisquenousaurionsàaffrontercegenredeconséquences.–Tum’asditbeaucoupdechoses,Rhode.Tum’asfaitdespromessesquetun’aspastenues.Uneimagedelatombedemasœur,ornéedefleursdejasmin,mepassafugacementdanslatête.–Parexemple?–Jen’aipasbesoindetelerappeler.L’important,c’estquesitum’avaisassociéeaurituel,situm’avaisexpliqué

ce que tu étais en train de faire, on aurait peut-être trouvé une autre voie. On aurait peut-être fait les chosesdifféremment.Tun’auraispaseuàfeindrelamort,osai-jeconclure.–Ilfautvraimentquej’yaille.Ilregardaitmeslèvres,etmacolèresedissipa.Commeelles’évaporaitrapidement!Nousétionssiprèsl’unde

l’autre…Auborddubaiser.Moncorpsledésiraittellementquej’enavaismaldanslesmuscles.Sesyeux,cernésdechairmeurtrie,nemelâchaientpas.Nousnenousétionsjamaistouchés.Jamaisentantquemortels.Ilauraitsuffiqu’ilsepencheuntoutpetitpeuenavantpourm’embrasser.Lèvrescontrelèvres,peaucontrepeau.

Etnousaurionsenfinsucequecelafaisaitquedesetoucher.Avecdessensationshumaines.Cequinousavaittantmanquépendantdessiècles.LesAerisnes’enformaliseraientpas,n’est-cepas?Ellesn’allaientquandmêmepassefâcherpourunsimplebaiser?–Tunesenspasça?soufflai-je.Jegardaismesyeuxplongésdanslessiens.Jemedemandaissisesblessureslefaisaientencoresouffrir.–Tunelesenspas?répétai-je.Au creux de mon ventre se déchaînait une tornade de sensations qui tournoyaient, tourbillonnaient et me

poussaient vers lui. Je continuai de le dévorer des yeux.Mes pieds étaient enracinés au sol, maismon corps sebalançaittrèslégèrement.Moncorpsétaitenfeu,etsentirmonsangcourirdansmesveinesetdansmoncœurétaitmerveilleux.Jetendislamainetlevisfairedemême.Sapeau,sidifférentedel’épidermelisseetfroiddesvampires,appartenait désormais à la main calleuse d’un humain. Nous restâmes ainsi un instant, nous touchant presque,heureuxdel’électricitéquipassaitentrenous.Jelaissaichacundemespores,chacunedemescelluleséprouversachaleur.–Si,jelesens,répondit-ilenfinenlaissantretombersamain.Çanepeutpasêtrecommeçapourtoutlemonde,pensai-je.Toutlemondeneressentpasl’amourainsi.Jefisenfinuntoutpetitpasverslui,maisilm’arrêta.–Onnepeutpas,trancha-t-il.«Jenevoulaispasrevenir.Onm’yaobligé.»Cesdeuxcourtesphrasesm’obsédaient.Jedétachaimesyeuxdelui,

etl’espaces’ouvritentrenous.–Tudevraispartir.Partirpourdebon,répondis-jeenregardantparterreavantdereculerd’unpas.Sic’estuntel

tourmentd’êtreprèsdemoi.Situnevoulaismêmepasrevenir,commetul’asdit,alorsva-t’en.Jesavaisquejen’étaispassincère.EtRhodenetombaitpassifacilementdanslepanneau.Ilclignalentementdes

paupières.–Tusaisquejenepeuxpas.Surtoutmaintenant.Ma colère se remit à bouillonner, et Rhode se rapprocha insensiblement. J’inhalai son odeur : du savon, du

déodorant,etaussisapeau.Ilsentaitbon,ilsentaitl’humain.Ilserralesdentscommepourretenirdeslarmes,etjevissoudainquesesyeuxétaient…embués.–Lenah.Jeresteparcequ’ilyaunmondededifférenceentrepenseràtoiettevoirenchairetenos.Jerestepour

apercevoirtonseulsouriredelajournée.Oupourteregarderpasserlamaindanstescheveux.Parcequ’ilfaut,ilfaut…ilfautquejesoisprèsdetoi,detouteslesmanièrespossibles.

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J’étaissansvoix.J’auraisvouludirequelquechose,n’importequoi.Luidirequej’éprouvaisexactementlesmêmessentiments…Maisjen’euspasletempsdel’arrêter:déjàils’étaitdétournédemoi.Etlà…Uneforteodeurdepommesmûresmesubmergea.Despommespartout.Commesijem’étaistrouvéeau-dessus

d’un tonneaudepommes rougesetbrillantesde la récoltede septembre. Je vouluschasser cette sensation,maisl’odeurétaitsiprégnanteque jemesentispousséeà fermer lesyeuxafind’yéchapperun instant.Des imagessedéversèrentalorsentorrentdansmatête.Unflotdesouvenirsdemavied’avant,impossibleàarrêter.Rhodeetmoinousembrassonssurlacolline,aupieddenotremanoir.Jeporteunegranderobenoireà longue

traîne.Lesoleilvabientôtselever.Noussommesdesvampires.Sesmainsappuientdansmondos,m’attirentcontrelui.Mapeauestdeporcelaine.Meslèvressontrosesetjevoislespointesacéréesdemescrocs.Commentpuis-jemevoirmoi-même?Unemaintientunecanne.Jeconnaiscettecanneetsatêtedehibouenonyx.Je rouvris les yeux, secouai la tête et me concentrai sur mon souffle. Inspire, expire, Lenah. Inspire, expire.

Inspire,expire.Lentement,lesimagessedissipèrent,ainsiquel’odeurdepommes.LebruitdeRhodes’éloignantmeramenaauprésent.«Ilfautquejesoisprèsdetoi.»J’enavaislesoufflecoupé.Rhodes’éloignaitdans lecouloir.Sesmotsrésonnaientdansmatête,etunfaibleparfumfruités’attardaitdans

l’atmosphère.

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Chapitre9–Noussommesle3septembre.Ilnousrestevingt-septjoursavantledébutdumoisdelaNuitRouge,expliqua

Rhodecesoir-là.Commepromis,Vickenm’avaitfaitvenirdanslabibliothèqueaprèsdîner.Jemetenaisdevantlavitred’unboxde

travail,aufond,avecvuesurlacollineduterraindetiràl’arc.Jem’efforçaisdenepassuivredesyeuxsespentes,d’autantquej’avaisbienl’intentiondenejamaisremontersurleplateau.Jedoutaisqu’unvampirepûtnousobserverdelà-haut:c’étaitàmonavistropexposé.Iln’yavaitpasd’arbresderrièrelesquelssecacher,pasd’ombresdanslesquellesdisparaître.Lesvampiresaimaientàobserveretàétudierleursfuturesvictimes.Identifierleursfaiblessesleurpermettaitensuitedelestuersanseffort.Jelaissaimoncorpspesercontrelavitrerafraîchissante.J’avaispriscettehabitudelorsquej’étaisvampire,pourm’assurerqu’ilmerestaitencoreunsemblantdesensdutoucher.

Jemeretournaiensuiteverslesdeuxhommesvenusdemonpassé.Vickenétaitadosséaumur,lesbrascroisés.L’airsoucieux,ilnequittaitpasRhodedesyeux.Cedernier,assisàunetable,avaitposésonpoignetbandésurunbureau.

–PourquoilaNuitRougeest-elleimportante?demandaVicken.–C’est lemomentoù laconnexionentre lemondemortelet lemondesurnaturelest leplus faible,expliquai-je,

conscienteduregarddeRhodesurmoi.C’estpourquoinotrefêtedelaNuitRougeatoujoursétéparticulièrementsanglante.Tunet’esjamaissentiplusfort,cesnuits-là?Plus…animal?

Vickenréfléchit.–Si…Tuassansdouteraison.–D’iciau1eroctobre,ilyapeuderisquesqu’Avaparvienneàattaquersurlecampus,ditRhode.–Elleaattaquésurlaplage,précisaVicken.–Officiellement,laplagenefaitpaspartiedulycée.Lerituelaétéaccomplisurlecampusplusd’unefois.Celaa

pu l’attirer à l’origine, mais cela peut aussi nous offrir une protection. L’énergie résiduelle peut faire office debouclier.Dumoinsjusqu’au1eroctobre,oùlaNuitRougeluiconféreradenouveauxpouvoirs.

–Génial.Etenattendant,onestprisonniersdecetasiledefous,soupiraVicken.Jepassailamaindansmescheveuxetmemassailecrânepourallégerunpeulatension.Enfin,jecroisaileregard

deRhode:celam’envoyaunchocdanslapoitrine,commes’ilavaittouchéquelquechoseenmoi,toutprèsducœur.JevoulaisluiparlerdelamortdeTonyetdelamanièredontJustinm’avaitdéfendue.Jevoulaisluiexpliquerce

quej’avaisressentilorsquej’avaispuprojeterdesrayonsdesoleil.MaisRhoden’avaitposéaucunequestionsurlecercle. Il n’avait pas demandé commentmes anciens alliés étaientmorts. Jeme remémorai une fois de plus quej’ignoraistotalementcequ’ilavaitfabriquépendanttoutel’annéeprécédente.Iln’avaitrienrévélé.

–Partons,voulez-vous?proposa-t-il.Jecroisquenousavonstoutvu.Iléteignitlalumière,mettantfinànotrepetiteréunion.Etmelançaunregardaumomentoùnoussortions.Àcetinstant,jem’arrêtainet,denouveaufrappéeparl’odeurdepommes.Maiselleétaitdifférente,cettefois.À

présent, c’était exactement celle demonenfance. Je portai unemain àmes yeux, les frottai, et sentis s’élever leparfumentêtantducidreenhiver.Aufonddematête,jerevislasalledegéologiedecematin.

Jesuisdanslelabodegéologie,assiseàlapaillassedeRhodeaupremierrang.Jelèvelesyeuxverslaporteetmoncœurseserre.Jemevoisentrerdanslasalle.Jesuistoutennoir,mescheveuxbrunslâchéssurlesépaules.

Comment puis-je entrer dans la classe et être assise au premier rang en même temps ? C’est la vision dequelqu’und’autre.Jesuisdanslatêted’unautre!

«Qu’elleestbelle…»,ditunevoix.Unevoixgrave,unevoixd’homme.Quelqu’unmeregarde.Jesuisconsciented’unedouleurdansmesmains,demapeauquicraquechaquefoisquejebougemeslèvres.Jemesuisbattu.

« Ça en valait la peine », pense cette personne. Son corps entier est endolori. Mais il y a aussi autre chose.Lorsque je passe devant elle, la personne inhale profondément, dans l’espoir de capter une odeur familière. Elleagrippe son cahier pour se retenir de me toucher. Elle a mal rien qu’à me regarder. C’est une souffrance. « Cetamour,pensel’individu,estsiprofondqu’ilnepourrajamaisêtrevaincu.»

Etsoudain,jecomprends:jesuisdanslatêtedeRhode.CesontlespenséesdeRhode!Je battis des paupières et respirai les odeurs ordinaires du campus : la cantine, le gazon coupé et, bien sûr,

l’océan. L’odeur de pommes avait complètement disparu, comme si elle n’avait jamais été là. Je pris le temps derepasserlavisiondansmatête.Jem’étaisvueengéologieexactementcommeRhodem’avaitvue.Jesourisàl’herbeverte,àmespieds.Ilm’atrouvéebelle.Cetamourestsiprofondqu’ilnepourrajamaisêtrevaincu.

Lecrissementd’unbriquet,unpanachedefuméedecigarette,etVickenmetiraparlecoude.Ilnecraignaitpasde me toucher, contrairement à Rhode. Une nouvelle bouffée de bonheur m’envahit : Rhode avait envie de metoucher,mais il résistait. J’avais perçu ce conflit intérieur pendant la vision. Je reprenais espoir, comme dans lecouloir.

«Jeresteparcequ’ilyaunmondededifférenceentrepenseràtoiettevoirenchairetenos.Parcequ’ilfaut,ilfautquejesoisprèsdetoi,detouteslesmanièrespossibles.»

–Nousnousaimeronstoujours,dis-jeàvoixhaute.–Oh,c’estpasvrai!Allez,partons,grognaVicken.–Onvaoù?demandai-jeenlesuivant.–Àlatourdel’observatoire,enhautdubâtimentCurie.C’étaitlenomofficieldubâtimentdeslabosdesciences.Vickentirasursacigarettependantqu’unebandedefillesdepremièrepassaitdevantnous.–Eh,Vicken!lehélal’uned’ellesd’untonenjouéetcoquet.Tudevraisarrêterdefumer!Elleconclutparunpetitrireencascade.

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Ilsemitàmarcheràreculonspourresterfaceàelle.–Ilparaîtqueçapeutmetuer,répondit-ilavecunsourireénigmatique.Nouveauxgloussementsderire.Jesoupirai.NousapprochionsdubâtimentCurie.–L’uned’entreellesestjalouse,ellecroitquejecraquetotalementpourtoi,m’informaVicken–cequimefitlever

lesyeuxauciel.–Bon,tulafinis,cetteclope?Iltiraunenouvellebouffée.–J’aimeprofiterjusqu’auboutdecequiestmauvaispourmoi.–Tusais,contrairementàquandtuétaisvampire,cettesaletépeutvraimenttetuer,dis-jetandisqu’ilsoufflaitun

derniernuagedefumée.Ilexhalaavechumeuretécrasasonmégotcontrelemurdebrique.–TonpoteJustinaussi,ilafaillimetuer.Tusaisqueçafaitmal?(Ilmontraitdudoigtsonœilaubeurrenoir.)Je

n’arrêtepasdeletripoter.Onoublietropfacilementladouleurphysiquequandonnel’apasressentiependantplusdecentans.Merveilleux.(Ilapprochademoisapommetteenflée.)Vas-y,touche!Jemedemandesiçafaitlemêmeeffetquandc’estquelqu’und’autrequiappuiedessus.

–T’esdingue,dis-jeenpassant lecode-barresdemacarted’étudiantedevant le lecteur–unedesnombreusesprécautionsprisesparl’administrationdepuislesdécèsdeTonyetdeKate.

–Moi,dingue?repritVickenenmesuivantàl’intérieur.Dois-jeterappelerlafoisoùtuastuéàtoiseuletouslesinvitésd’unegarden-party?(Nousattaquâmesl’escalier.)Maisnemefaispasdirecequejen’aipasdit,haleta-t-ilentredeuxétages.C’étaitformidable.

Une heure plus tard, la lune argentée projetait une lumière laiteuse sur le sol à travers la verrière del’observatoire.Nousouvrîmeslesfenêtresduplafondet,aulieud’utiliserl’énormetélescope,admirâmeslepassagedesconstellationsàl’œilnu,allongéssurledos.Bienquelesoleilsoitcouchédepuisdeuxheures,àchaqueinstantlecieldevenaitplussombreetdenouvellesétoiless’allumaientdanslanuit.

–Tusais, jedisçacommeça,maisRhodeabienpusebattreici,meditVicken.PasàHathersagecommetulecrois.

–D’accord.AlorspourquoiAvan’a-t-ellepasparlédeluichezl’herboriste?Visiblement,ellen’estpasaucourantqu’ilasurvécu.

–Tuinterprètes.Tun’ensaisrien.–Ettoi,qu’est-cequitefaitdirequ’ilyaunrapportentresaprésenceetcelledeRhode?Ellen’auraitpasdit

quelquechose?Ellel’auraitaumoinsmentionné,tunecroispas?Uneétoilefilantetraversaleciel.Jepointailedoigt,etVickenfitdemême.Nouscomptâmesàl’unisson,enlatin.–Unus,duo,tres…Nousattendîmes…attendîmes…etunenouvelleétoilezébralescieux.L’euphoriecauséeparcettevisiondisparut

rapidement,tandisquelesparolesdesAerismerevenaiententête.«Vousêtesdesâmessœurs.Vosviessontinextricablementliées.»–Laisse-moim’occuperdetout,ditVicken.Jedécouvriraicequis’estpassé.J’aiétésoldat,bonsang.Cenesera

pasbiendurdefouinerunpeu.OnpeutdifficilementraterTête-en-Compote,encemoment.J’éclataiderire.–Tête-en-Compote?–’Zactement.–Tuesplusdrôlesousformehumaine.Vickenattenditunmoment,puissouritjusqu’auxoreilles.–Tuveuxtouchermesbleus?–Maisarrêteavecça!Ilsetournasurlecôtéettenditsatêteversmoi,telunbébéphoque.–Allez,Lenah.Touchemonbleu.–Non!Ilétaitsiprochequejesentaisl’odeurdutabacsursapeau.–Vas-y,fais-le.T’aspeur?Alors,jeluidonnaicarrémentunebaffe.–Peuh,mêmepasmal!s’exclama-t-il.Etnousétionsenpleinfourirelorsquej’entendisunrired’untoutautregenredansl’escalier.Jemefigeai.Les

gloussementsetlesexclamationsd’unefille,suivisd’unevoixquejereconnus.Jem’assisetmetournaiverslaporte.Justinentradansl’observatoire,accompagnéd’uneélèvedepremière.Andrea.

–Tiens,maisc’estmonescorte!lançaVickenavecunsourirediabolique.Andrealuisourit.JustinregardaVicken,puismoi.–Partons,Andrea.Laplaceestprise,dit-il.–Non,non,pasdutout!m’écriai-jeenmehâtantdemelever.Vickenreculacontrelemuretallumaunenouvellecigarette.–Oh,laisse-lespartir.C’estuncrétin,dit-ilderrièremoiencroisantleschevilles,jambesallongéesdevantlui.Au

fait,ilestentréicipourladéshabiller.Jelefusillaiduregard.–PES,lâcha-t-ilavecunhaussementd’épaules.–Éteinscettecigarette.Ilsétaientdéjàdansl’escalier.Jem’yengouffraiàmontour.DéjàqueJustinmedétestait,etvoilàqu’ilmecroyait

avecVicken,maintenant!–Attends!luicriai-jeendéboulantsurlapelouse.AndreaetJustinétaientàcôtédelaporte.Lafillesemblaitavoirenviedem’étrangler.–J’enaipouruneseconde,luidis-je.Tupermets?ElleregardaJustin,lesyeuxécarquillés,attendantqu’ilrefuse.Commeiln’enfaisaitrien,ellesemitàbouder.–Lamentable,lâcha-t-elleavecunprofondméprisavantdes’enaller.Illarappela,maiselleétaitdéjàentraindesejoindreàd’autresélèves.Etl’extinctiondesfeuxn’allaitpastarder.Justinfitminedelasuivre.–Tupeuxm’accorderuninstant,jeteprie?insistai-je.Ilseretournaversmoiavecungrossoupir.–JenesuispasavecVicken.–J’aiditquetul’étais?répondit-il,cinglant.–Non.Eneffet,non.

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– Sur le terrain de tir à l’arc, tum’as quitté pourRhode.Mais aussi bien, tu pourrais t’êtremise avecVickendepuis.C’estdurdetenirlecompte,avectoi.

Jen’euspaslecœurdeluidirequelebonordrechronologiqueétait,enréalité:Rhode,Vicken,etluiensuite.–Onestjusteamis,luietmoi.–Unamiassassin.IlaaidétoncercleàtuerTony!–C’estpluscompliquéqueça.–Jenevoispascequ’ilyadecompliqué.Bon,fautquej’yaille.Décidément,c’étaitlaphraseàlamode,cesdernierstemps.MaisJustinnepartitpas.Ilregardaparterre,puisrelevalatêteversmoi.–Qu’attends-tudemoi?EtRhode?Vousn’êtespasdesâmessœurs?Despartenairesde rituel,ou jenesais

quoi?Unsilence.–JenesuispasavecRhode.JenesuispasavecVicken.Jenesuisavecpersonne.Sesnarinespalpitèrentet ses joues rougirent. Il clignaplusieurs foisdesyeux ; j’avaisdumalàdéchiffrerson

expression.–Maisjecroyaisquetul’aimais…Rhode?–Leschosesontchangé,dis-jeensecouantlatête.Etc’étaitvrai.Rhodemeconsumaitde l’intérieuret je l’aimeraisà jamais,mais toutavaitchangé. Ilme fallait

tournerlapage.–Çam’al’airplutôtduràchanger,quandmême,dit-il.Nous laissâmes résonner les bruits du campus. Des élèves bavardaient, riaient. Des téléphones portables

sonnaientet,nonloindenous,desvoiturespassaientdansunerue.–Écoute,repris-je.Jeneveuxpasquetumedétestes.Jesaisquejelemérite,mais…–Jenetedétestepas.Simplement,jeneveuxplusavoiraffaireàtoi.Jeveuxvivremaviesansrituels,sanscercles

devampiressanguinairestuantmesamis.J’aimemieuxsortiravecdesfillesqui…quirestentenvie,tuvois.Cetterépliquemecoupalesjambes.Jeneressentiraisdoncplusjamaislajoieetleréconfortd’êtredanssesbras!

Jemerappelaislapuissancedesachaleur,aprèsdessièclesdefroid.Chaleur,toucher,tendresse…c’étaitJustin.Unrappeldemacapacitéàvivreetàaimer.Ilm’avaitaidéeàavancer,l’annéeprécédente.Àprésent, jevoulaisqu’ilm’aideencore.Qu’ilm’aidedelaseulemanièrepossible.

MaisilsedétournaetpartitrejoindreAndrea.–Attends.S’ilteplaît!Ils’arrêtaàcôtéd’unréverbère,maisrestadosàmoi.–Quoi?J’hésitai.Jechoisissaismesmotsdansmatête,maisaucunnemesemblaitconvenir.–Jesuisdésolée.Pourtout,dis-jemalgrétout.Ilsecoualatête,maisseretournapourmefaireface.–Jeregrette,Lenah,maisçanesuffitpas.Jefisunpasversluietluitendismesmains,commepourdire:«Reste.»–Jeveuxsimplementquetusaches…non,jerecommence.Jeveuxquetuessaiesd’imaginerquelqu’un,dansta

vie,quetuastoujoursconnu.DisonsRoy,tonpetitfrère.Ilfronçalessourcils,maishochalementon.–Etpuisimaginequ’unjour,ilnesoitpluslà.Désormais,samanièredetenirsoncafé,derireoudesetoucherla

jouen’existeplusquedanstessouvenirs.Envoléàjamais,toutça.Jeveuxquetuessaiesd’imaginercechagrin.–Tonyestmort,Lenah.Kateestmorte.Jesaiscequec’estquelechagrin.Jem’enhardisnéanmoinsàfaireencoreunpas.–Leshumainspeuventapprendreàrevivreaprèsundeuil,maispourlevampire,cechagrinestconstant.C’estce

qui nous rend si dangereux. Et quandRhode estmort, ou que je l’ai crumort, tu étais là, aumoment où j’étaishumainepourlapremièrefois.Tum’assortiedecettemalédiction.Tum’asguérie.

Ilregardaitauloinpourévitermonregard.J’attendisuneréaction,qu’ildisequ’ilétaittouché,qu’ilcomprenait.Maisilsecontentadesoupireretdefourrersesmainsdanssespoches.

–Jesaisquetum’asentendueparleràRhodel’autre jour,sur leterraindetir. J’étaissurprisede letrouver là,tentai-jed’expliquer.

–Jem’endoute,tupenses.–Jenepeuxpasdirequeje…Àcesmots,iltournavivementlesyeuxversmoi.–…quejenet’aimepas,terminai-je.Il soutintmonregardmaisneréponditpas.Neditpas :«Moiaussi, je t’aime.» Je lui laissaiencorequelques

secondes.–Trèsbien.Jetournailestalonsetpartisàlahâte.–Attends!Lenah,attends!Maisjen’attendispas.Jecontinuaiàavancer,deplusenplusnoyéepardesvaguessuccessivesdehonte.Jen’en

revienspas:jeluidévoilemessentiments,etilneréagitpas.Rien,aucuneréaction!Celaneluiressemblaitpasdutout.J’avançai,avançai,jusqu’àmeretrouverpresquedevantSeekerHall.

Jem’arrêtaiàcôtédelabibliothèque,saisieparunpuissantdésird’yentrer.Ilrestaituneheureavantl’extinctiondes feux. Je voulaisme rendre dans la salle d’écoute, où ilme suffirait d’appuyer sur un bouton pour écouter lamusique de mon choix. Et où je pourrais être seule. Je mettrais peut-être du Mozart. Je l’avais vu en concertplusieursfois.Quatre,pourêtreexacte.

J’avais fui les paroles de Justin. J’espérais à présent que la salle d’écoute m’aiderait à oublier son regard. Jepénétraidanslabibliothèqueetremontail’alléecentralepourrejoindrelespetitespièces,aufond.J’avaistravaillélàl’annéeprécédente, je connaissaisbien les lieux. Je jetaiun regardpar la lucarnede la salled’écoute : elle étaitdéserte.J’entrai.

Iln’yavaitplusdeCD.Àleurplace,unordinateurétaitposésurunpetitbureau.J’avaispassél’annéeàapprendreàmeservird’unordi.Jem’assisetcliquaisuruneicônemarquéeNOUVEAUXMORCEAUX.Quelqu’unlesavaitclassésparcatégorie:romantique,classique,NewAge,deathmetal…Deathmetal?

Je feuilletai les morceaux pendant un moment, en m’émerveillant des milliers de choix qui s’offraient à moi.Soudain,unemainpassaau-dessusdemonépaule.Jesursautailégèrementtandisqu’elleeffleuraitdoucementmesdoigtsetseposaitsurlasouris.Jen’avaismêmepasentendulaporte.Lamainétaitchaudeetbronzée.

–Metsça,meditJustintranquillement.Ildouble-cliquasuruneballade,unechansontrèsdoucechantéeparunefemme.

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–Qu’est-cequetufais?luidemandai-jetandisqu’ilmefaisaitleverdemachaise.–Jedanseavectoi.L’imagedeluifourrantsesmainsaufonddesespochesmerevintentête.–Maisjecroyaisquetum’envoulais.Sesbrasfortsm’attirèrentdoucementcontrelui,etilmepritlesépaulesdesesmainsfermes.Sapaumereposait

aumilieudemondosetjelevailementonverslui.Souslecoldesachemisedépassaituncordondecuirnoir,etunpendentifenargentmiroitaun instant lorsqu’ilbougea,mais ilmeserraplus fort. Jemedemandaiquelgenredebijou c’était, et ce qui avait encore changé pendant l’été. Le son d’une guitare emplit la pièce, et les notesmélancoliques du pianome traversèrent de part en part.Nos regards se rencontrèrent, et l’expression douce deJustinm’incitaàdirequelquechose.

–Jesuisvraiment,sincèrementdésolée.PourRhode,pour…(Là,j’hésitai.C’étaitbizarredes’excuserd’avoirfaillimourirpendantunrituel.)Ehbien,commejel’aidit,jesuisnavrée.Pourtout.

Ilmefittendrementtaireetnichasonnezdanslecreuxdemonépaule.Nouscommençâmesàtourner.–ÀproposdeTony…–Chhhut,souffla-t-il.Cettefois,jefermailesyeux.J’étaisderetouraubald’hiveraveclui,dansantsousleslumièresétincelantes.Dans

cemondemoderne,lesgensdansaientd’unemanièresiintime!Aucorpsàcorps,aucœuràcœur.Jepercevaisledésirde Justindans lachaleurquimontaitentrenousdeux.Desiprès, lamusiquemerendaitconscientedesonenvie.Le vampireenmoi se languissaitdubattementde soncœur.Et lorsque je fermai les yeuxpourécouter lachanson…cefutmoiquimelanguis.

Imagine,sic’étaitRhode.Quedirait-ildesdansesmodernes?Iln’yavaitpasdemouvementschorégraphiéscommeautrefois.Rienquedeuxcorpssemouvantà l’unisson.Si

cela avait été Rhode, ses mains seraient remontées dans mon dos pour me saisir la nuque. Celles de Justin seglissèrent sous mes bras. Ma peau se couvrit de chair de poule. Il me serra plus fort encore, et mes lèvresembrassèrentlabasedesoncou.

Oui,ilestlà.Rhodeestlà.Cen’estpasJustin,c’estRhode.Rhodeaccentua sonétreintependantque la sérénadecontinuait. Jedéglutisnerveusement tout enme laissant

alleràmonfantasme.Rhodeetmoitournionsdanscettepièce,sesdoigtsgracieuxmontantetdescendantlelongdemoncorps.Sachaleur,sachaleurhumaine,m’écrasaitpresque.Iln’yavaitpluslamoindredistanceentrenous.Ilm’embrassadanslecou,envoyantdesfrissonsdanstoutmoncorps.

L’«amour».Quelmotétrange. Infini.Comme ilavaitdéfini toutesmesconvictionspendant si longtemps !Carnousavionsparcourudesdizainesetdesdizainesdedécennies,maindanslamain,toujours,toujours,déambulantsouslalune.Nousnousétionsréjouisdetouslescouchersdesoleildumonde.

–Jet’aimetant…,chuchotai-je.–Moiaussi,jet’aime,meréponditunevoixétrangère.L’accentaméricainm’arrachaàmarêverie.Jeclignaidesyeuxplusieursfois,meraccrochantauxderniersvestiges

demonrêve,maissachantdéjà,enrelevantlementon,quemesyeuxrencontreraientceuxdeJustinetnonceuxdeRhode.

Nouscontinuâmesdedanser,bienquelecharme,pourmoi,fûtbriséenmillemorceaux.–J’aicru,quandtuasvuRhode,quetoutétaitterminéentrenous.JenepeuxpasavoirRhode.Jamaisplusjenetoucheraisamain.C’estfini.–Jepensaisqueceseraitplusfaciledet’envouloir,poursuivit-il.–Jenesuispashabituéeàtevoirencolère.–Jenepeuxpascesserdet’aimer,Lenah,jenepeuxvraimentpas.J’essaie,j’essaie.Maisjen’yarrivepas.Jeleregardaiaufonddesyeuxtandisquerésonnaientlesderniersaccordsdelachanson.Jepeuxyarriver,n’est-cepas?Justinetmoi?C’était tellement plus facile que les rejets sans fin deRhode…Rien de surnaturel n’avait décrété que nous ne

pouvionspasêtreensemble.Riennesedressaitentrenous.Justin prit ma joue dans sa paume et passa son pouce sur ma pommette. Je cherchais son regard. Était-ce

seulementdel’amour?L’amour,c’étaitdelachaleur,duréconfort.L’amour,c’étaitpour lesvivants.Justinpouvaitm’aideràmesentirànouveauenvie.Jelesavais.Jel’avaisressentil’annéepassée.

Ilsepenchapourm’embrassersurleboutdunez.–Tuveuxqu’ons’enaille?medemanda-t-il.Ilresteunedemi-heureavantlecouvre-feudébileinstauréparWilliams.Iléteignitleslumièresetmevolaundernierbaiseravantmetendrelamainpourmeraccompagnerchezmoi.

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Chapitre10Ilavaitpluaupetitmatin,et l’herbeenétait toute luisante.Ellemechatouilla lesdoigtsdepied tandisque je

tournaisaucoindubâtimentCurie.MrsTatearrivaenmêmetempsquemoi,l’airpressé.–Lenah,dit-elleens’arrêtantdevantmoi.Jesuisbiencontentedetetrouver.Il fautquenousdiscutionsdeton

projetdetravauxpratiquespourlesemestre.Elle déblatéra pendant un moment sur Justin et moi et sur l’importance du travail d’équipe. Je pris quelques

papierssurletasqu’elleavaitdanslesbrasetlestinspourelle.–Ah,merci,medit-elleenpoursuivantsonlaïus.Jel’écoutaiencoreunpeu,maisleventmedéconcentrait.Ilétaitplusfortqu’unesimplebrise.L’airquiserpentait

entrelesarbresetsoulevaitmescheveuxétaitcommemûparunevolontépropre,dirigéparuneintention.Jelissairapidementdelamainmesmèchesdécoiffées.LavoixdeMrsTates’estompaetjemedésintéressaitotalementdecequ’elleracontait.

Au-dessusdenous, lesfeuillagesseremirentàfrémir.Lemurmuredelafontaines’assourditcurieusement.Pasbesoindeperceptionsvampiriquespourcomprendre.J’avaistoujourscetteintuitionenmoi.

Jelesentaisdansl’air:quelqu’unm’observait.Jefouillai lesombresduregard,prêteàmecontenterdumoindreindice.Unfinsourire,oudesyeuximmobiles

commelamort.–D’accord,Lenah?conclutMrsTate.–Oui,biensûr.Ellesourit,mêmesij’ignoraistotalementcequejevenaisd’accepter.Jescrutaisleparc,devantmoi,maissansma

vue vampirique, je ne pouvais pas espérer voir jusqu’à l’autre bout du campus. En pivotant pour la suivre àl’intérieur, jeprisconscienceque lesboisquiencerclaient le lycéesetrouvaient justederrièrenous, toutprès. Ilsétaientparfaitspourdissimulerunepersonneépiantunevictimeinnocente.

–Lenah,jeveuxquetumerendesleplandecedevoirdèsaujourd’hui,meditMrsTatedepuislehalld’entrée.Monregards’attardasurlesarbresetsurlesoleilmatinalquifiltraitentrelesbranchages.Jen’avaispasletemps

dechercherunespion.Lorsquej’entraienfin,cefutavecunecertitudeabsolue.J’étaistraquée.

JemeglissaisurmachaiseàcôtédeJustin,tâchantdefairedisparaîtrelachairdepoulequis’attardaitsurma

peau.Justinavaittoujourslamainbandée,etjerepensaiuninstantàsesbrasautourdemoi,danslasalled’écoute.–Jenepeuxpasmesortirhiersoirdelatête,meconfia-t-il.Souslapaillasse,ilmepressalegenou.Jeluisouris.Peut-êtrequeceneseraitpassidur,d’êtreaveclui?Ilsavait

commentm’apaiser.Lafilledel’andernierexistaitpeut-êtreencore,cellequivoulaitêtrehumaine,quiavaitbesoindeJustinpoursesentirtelle.PascommeRhode.Rhode,quiétaitbienplusfortquemoipourobéirauxAeris.

–Ehbien,elleneperdpasdetemps,commentaJustin.HierlestestsdepH,aujourd’huilasédimentationjenesaisquoi.Jen’arrivemêmepasàprononcerl’autremot.

Eneffet,l’expérienceétaitcompliquée,trèscompliquée.Lorsquenousnouslevâmespourallerchercherlesujetdudevoir, jeprissoind’éviterderegarderRhode.Jenetournaimêmepaslatêtedanssadirection; ilauraitsuffiquejelefassepourressentiruneconnexionétrangeetincontrôlable.Jenesavaistoujourspasprécisémentcequiavaitprovoquél’odeurdepommes,l’affluxdesouvenirsetcetaperçudesespensées.

–Onpourraitpeut-êtredînerensemble,meproposaJustin.–Ah…Jem’en voulus de regretter que cette proposition ne vienne pas de Rhode. Dansma tête, je voyais une pièce

éclairéeauxchandelles ;Rhodeetmoi,assisàune longuetabledechêne, levionsdescoupesempliesdesang.Jen’avaisjamaispartagéunvrairepasaveclui.Jemedemandaiquelsétaientsesplatspréférésdanslemonderéel.

–Lenah?Alors,pizzacesoir?–D’ac!JesongeaialorsauxtablesenFormicaetauxcouvertsenplastique.Àlacuisinegraisseuseetauxserviettesen

papierdelacafèt’.Cettecafétériaoùnousavionsdînéensemblel’annéeprécédente,desdizainesdefois.Je sentais physiquement le vide qui séparaitma chaise de celle deRhode. Je savais très bien que les bougies,

cellesdemasalleàmangerd’Hathersage,étaientconsuméesdepuislongtemps.J’auraispuparierqueRhodedétestaitlespizzasdel’époquemoderne.Cen’étaitpasassezraffinépourlui.Justinprituneboîtede lamellesdeverrepour lemicroscope.Lorsqu’il tendit lebras, jerevis lecordondecuir

qu’ilportaitautourducou.Jemegrandispourmieuxvoirlependentif.–Andreamefaitlatête,dit-ilavecl’ombred’unsourire.Ellenemeparleplus.–Désolée,répondis-jeenretournantavecluiversnotrepaillasse.Justinmetenditunepipetteetdelateintured’iode.–Moipas,mesouffla-t-ilavecunclind’œil.Dansl’après-midi,j’essayaidefaireunesieste,maisdessirènesdéchirantlecalmeducampusm’enempêchèrent.

Jerejetaimesdrapsetcourusàlafenêtre:desagentsdesécuritéfaisaientdégagerlesélèvesdesallées.Del’autrecôté de la pelouse, des professeurs semblaient faire évacuer le bâtimentHopper et diriger tout lemonde vers lefoyer.

Le bruit d’une autre sirène me parvint par vagues, enflant à mesure que la voiture se rapprochait avant des’arrêterdevantHopper.Jem’efforçai,envain,denepaspenseràlamortdeTony,danscetédificemême.J’aperçus

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alorsVickenetRhode,justeàcôté.LeregarddeRhodeaccrochalemien.D’unsimplehochementdetête,ilmefitsignededescendre.Jesuivisimmédiatementsonordre.Jen’avaisjamais

suluidirenon.

–Ques’est-ilpassé?demandai-je.Ilyavaitdescentainesd’élèvessurlapelouse.Danslefoyer,lesgenssepressaientcontrelesvitrescirculaires.–Ilfautquej’ailleàl’atelierd’art,disaituneélèveàunpolicier,uncartonàdessinssouslebras.Jedoisrendre

monportraitdemain.–LebâtimentHoppervaêtrefermépendantenvirondeuxheures,luiréponditl’hommetoutenfaisantunpasde

côtépourlaisserpasserunvigile.–Est-cequ’ilyaencoreunmort?demandaquelqu’un.–Rentrezdansvosdortoirs,s’ilvousplaît.–Alorsc’estvrai,quelqu’unestmort!Toutlemondecommençaitàsortirsontéléphone.Un troisième véhicule de police arriva. Sa sirène était éteinte, mais les gyrophares bleus tournaient sans fin.

Vickenmetiraparlamancheets’éloignaavecmoidutumulteambiant.–Unefenêtreestouverteàl’arrièredugymnase,m’informa-t-il.LegymnaseétaitattenantaubâtimentHopper,etl’arrièredonnaitsurlepieddelagrandebutteduchampdetir

àl’arc.–Allons-y,ditRhode.–Maisnenousfaisonspasremarquer,précisaVicken,quipensaittoujoursensoldat.Marchezlentement.Unparun,nousfîmesletourdubâtimentHopper.Unefoissouslesfenêtresdugymnase,jereprislaparole.–Ava.C’estforcémentelle.Ellenousaavertis,àl’herboristerie.Elleabienditqu’ellereviendrait.Etj’aisentisa

présencecematin.–Tuassentisaprésence?s’étonnaRhode.–J’aisentiqu’onm’épiait.Jesupposequec’étaitelle.–Ehbieniln’yaqu’unmoyendelesavoir.Ilnousfautdespreuves.Desindices.–Desindices,répétai-jecommeunperroquet,toutenpassantlesmainssurleborddesfenêtres.Celles-ci, qui s’ouvraient à plus de unmètre de haut, étaient d’étroits rectangles horizontaux. Je pourraism’y

glisserfacilement,maisVickenetRhodedevraientattendrequejevienneleurouvriruneporte.Passantlamainparlafenêtreentrouverte,jeparvinsàatteindrelapoignée,ouvrirengrandetmeglisserdansle

gymnase.Àl’intérieur,ilfaisaitsombre.Jefisquelquespas,puisregardailesgarçonsparlafenêtre.–Vas-y,mechuchotaRhode.–Ellenedevraitpasyallerseule,s’inquiétaVicken.–Pasdeproblème,lerassurai-je.Etjem’approchaisansbruitdesgrandesportesdugymnase.Jepoussaiundesbattants,àpeine,justeassezpour

jeter un œil dans le couloir. Personne. Une fois passé le coin, je me retrouverais dans l’aile administrative dubâtimentHopper.Lebureaudelaproviseurétaitlà,ainsiqueceluidesinscriptions.Jem’engageaidanslecorridoretentendisdesvoixquivenaientdesbureaux.

Lorsqu’onestvampire,gardersonassuranceestcrucial.Aufildesans,onacquiertdeplusenplusdeconfianceensoi.Àprésent,simpleêtrehumain,j’avaisdumalàlaretrouver.Jetâchaidenepasfairelemoindrebruitmalgrémeslourdesbottes,etm’approchaiainsidesvoix,auboutducouloir.Moncorpsn’étaitplusaussiagilequ’autrefois;àprésent,mesorganesétaientremplisdesangquicirculait.Jem’arrêtaienfinderrièrelaportedubureau.

–Morte.Ensommes-nouscertains?demandaMrsWilliams.–J’enaibienpeur.Depuisaumoinsunedemi-heure,réponditquelqu’unquejen’identifiaipas.–Quevais-jedireauxélèves?s’enquitfaiblementladirectrice.–Noshommesvontdevoirenquêterenprofondeur,madame.LemieuxseraitquevousremplaciezMrsTateetque

vousdéplacieztemporairementsesbureauxdansunautrebâtiment.Mamainretombadumur;jenem’étaispasrenducomptequej’avaislepoingserré.MrsTate?Maprofdesciences?–Maisjenecomprendspas,ditMrsWilliamsd’unevoixbrisée.Ilyeutunsilence,puisquelqu’unsouffladansunmouchoir.Lesbruitsdepasserassemblèrentprèsdelaporteet

laproviseurrepritlaparoled’unevoixétranglée.–Pourquoiavoirlaissécemotsurlecorps?Quesignifie-t-il?–C’estcommeunedevinette,réponditquelqu’un.–Nousl’emporteronsaveclesautrespiècesàconviction.–Lesquelles?Vousavezditqu’iln’yavaitpasd’empreintes.–Ilsemblequ’elleaitététuéeexactementcommelesdeuxautres.Plaiesouvertes,importantepertedesang.Nous

allonsdevoirphotographierlecorpsetlaisserlesmédecinslégistesl’expertiser.–Àvousentendre,onsecroiraitdansunfilmd’horreur,inspecteur.–Celaarrivedetempsentemps,eneffet:uncingléquiatropregardéDracula…Ànouveau,despas.Oh,non!Ilsallaientsortirdubureau.Jecherchaiuneissue.Avisaiuneportedanslecouloir.

Jecourus,l’ouvrisetm’engouffraidansunpetitplacardàbalais.Jemelaissaiglisserausol,ledoscontrelemurdeciment,lesgenouxremontéscontrelapoitrine,retenantmonsouffle,lesangmebattantauxoreilles.

–MrsWilliams,ilvafalloirquevousinterdisiezl’accèsàcettezone.Nouslafermeronsavecdurubanetlaferonssurveillertoutelanuit.

–Etelleestvraimentrentréejusqu’aucampusenvoiture?Alorsqu’ellesevidaitdesonsang?insistaWilliams.–Ilyadusangpleinlavoiture,maisnousneconnaissonspasencorelesdétails,madame.Ilfallaitquejevoielecorps,pourêtresûre.J’espéraisqu’ilsn’allaientpasl’enlevertoutdesuite.Lesvoixs’éloignèrentdanslecouloiretquittèrentlebâtiment.Jegardaismonbrasserrécontremoi,afindene

pasrenverserunbalaiposéenéquilibreprécaire.J’entrouvrislaporte,justeàpeine,etjetaiunœildanslecouloir.Unpolicierétaitrestéenfactiondevantlebureau,sansdoutepourgarderlecorps.Ilallaitfalloirquejemeglissedanslapièceparlaportecommunicantedubureauvoisin.

L’agentsetenaitdanslapositionréglementaire,lespiedsàlargeurdeshanches,lesmainsdansledos.Ilfallaitjustequ’il regardeailleursun instant.Qu’il soitdistraitparquelquechose,n’importequoi. J’attendis.Pendant cetemps, je savais que Rhode et Vicken allaient finir par perdre patience et venir à ma recherche. Allez, regardeailleurs,crétin!

Dehors, une fille poussa un cri strident. L’agent pivota vivement pour regarder par la fenêtre. Parfait ! Lehurlementsetransformaenrirependantquejerampaishorsduplacardàbalais.Jeduslaisserlaporteentrouverte

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derrièremoi.Jetraversailecouloiràquatrepattesetmeglissaidanslebureaud’àcôté.Puisjemelevai,attendisencoreunpeuetm’adossaiàlaportedecommunication.Jetâchaidecalmermarespiration,etattendisdevoirsileflicm’avaitentendue.ContrairementàAva,j’avaisdesempreintesdigitales.Donc,jeprisànouveausoindegardermesmainsserréescontremoi.Jesavaismedéplacerensilence,enfaisantportermonpoidssurtoutelaplantedemonpied,demanièrerégulière.Ilfallaitquej’entredanslebureau.Quejevérifiesiouiounonc’étaitbienAvaquiavaittuéMrsTate.

Jeretiraimabotteetmachaussette,etmeservisdecettedernièrepour faire tournersansbruit lapoignéedeporte.Jeremismabotteet,àquatrepattes,entraidanslebureaugardéparlepolicierrestésurleseuilcôtécouloir.

Jamaisjen’auraispeurdesmorts.Jamais.JevisenpremierlestalonsdeMrsTate.Ellegisaitausol,surleflanc.Elleétaitrevenueenvoiturepourmouririci,danscebureau.

Unemorsuredevampirecontinuedesuinterpendantdesheuresaprèslamortdelavictime.Enm’agenouillantàcôtéducorps,jesentisqu’ilétaitfroidsansavoiràletoucher.Uncorpsvivantdégagedelachaleur.Celui-ciétaitcommedumarbre.Etvoilà, je les trouvai :deuxpiqûresdanssoncou,crachantencoreun liquideépais.Cequ’ilrestaitdusangdeMrsTate.L’écoulements’arrêteraitbientôt,sansaucundoute:plusletempspassait,pluslesangs’épaississait.

Sesyeuxétaientclos,quelqu’unavaitdûfermersespaupières.Etsurlesol,àcôtéducadavre,ilyavaitunpetitpapierblanc.LemessagementionnéparMrsWilliams.

Jolimentcalligraphiéàlamain,àl’ancienne,onpouvaitlire:Lamortpeutêtrerapide,vivecommelaflamme,Oulente,lente,DelapointeducouteauSansfinSurlapeau.

Jeréprimaidifficilementuncrid’horreur.Enbasdelafeuilleétaitécriteencoreuneligne.

Tusaiscequejeveux.

–C’estcommeunpetitpoème!commentaVicken.Charmant.Enfin,quandonaimelespoèmesmenaçantssurle

meurtreetlamort.–Ellelefaitexprès,soulignaRhode.–Évidemmentqu’ellelefaitexprès.C’estexactementcequej’auraisfaitàsaplace.C’estimmonde.–Unparun,ellevaocciretousceuxqu’ellesaitprochesdetoi,Lenah,poursuivit-il.Celadoitfairedesjoursetdes

joursqu’ellenousépie.Jemarchaisdelongenlargedevantlafenêtredugymnase.–Lepoèmeannonced’autresmorts.Destorturesprolongées.Ellenerenoncerajamais,ditencoreRhode.Vickencroisalesbras.–Alors,qu’est-cequ’onfait?Onnepeutquandmêmepasluidonnerlerituel!–Biensûrquenon,répondis-jeimmédiatement.Penseunpeuauxconséquences…Cesconséquencesquej’avaisvuesdanslerêveenvoyéparSuleen.–Pourl’instant,laseulechoseàfaireestderejoindrelesautresélèves,indiquaRhode.Williamsaconvoquéune

réunionaufoyer.Encore un décès. À ce rythme, le lycée ne tarderait pas à fermer. Ce serait certainement obligatoire. Le seul

endroitoùnouspuissionsnousrendreétaitHathersage.IlmefaudraitquitterLoversBay.Ennouséloignantdugymnase,nouspassâmesdevantlavoituredeMrsTate.Unagentdelapolicecriminellela

prenaitenphoto.Lesvigilesdirigeaientdéjàlesélèvesverslefoyer.TracyetClaudiamarchaientcôteàcôte,àlatêted’unvastegroupe.– Je pense à quelque chose, dit soudain Vicken en s’arrêtant à côté de l’auto.Mrs Tate n’a pas été tuée dans

l’enceinteducampus.Lenah,tuasditqu’elleétaitrevenueauvolant,ensang.Elleaéchappéàsonagresseur.–Ouonl’alaisséepartir,précisaRhode.–Quoiqu’ilensoit,laforcedurituelesttoujourslà.Avanepeutpass’introduiredanslecampus.Pasencore.–Parici,jevousprie,intervintunvigile.Nousentrâmesdanslefoyeret,parlamêmeoccasion,dansunchaosabsolu.

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Chapitre11– Je répète,cetaccidents’estproduitendehorsde l’établissement.Endehors, j’insiste. Iln’yapasderapport

entrel’accidentdeMrsTateetlasécuritédulycée.Etmaintenant,poursuivons.Ilyeutuntumultegénéral,maisMrsWilliamsélevalavoixdanslemicro.–Silence!Àpartirdemaintenant,seulslesélèvesdeterminaleserontautorisésàsortirducampus,etilsdevront

signalertoutesortieettouteentrée.Etnesortezjamaisseuls,toujourspardeuxouplus.CequiestarrivéàMrsTates’est déroulé à l’extérieur et semble indépendant des deux autres malheureux événements. Néanmoins, nousinsistons fermementsurunsystèmed’accompagnement,oùquevousalliez.L’enceintedeWickhamdemeure,plusquejamais,l’environnementleplussûrpourlesélèves.Ilyeutuneexplosiondevoixetdequestions.–Pourquoiest-ellerevenuemouririci?criaquelqu’un.–Ducalme,s’ilvousplaît.Jen’ensaisrien.MrsWilliamslevalesdeuxmainsetlesilencerevint.Lesfenêtresétaientfermées;dansceréfectoire,nousétions

entourésdecomptoirsetdeconteneursmétalliquesvides.–LoversBay,Massachusetts,n’avaitjamaisconnuunteldegrédeviolenceetjesuiscertainequecetincidentest

ledernier.–S’ils’agitd’unaccident,pourquoidevons-nousnousdéplacerpardeux?demandaquelqu’undansl’assistance,

soulevantunenouvelleavalanchedecrisetdequestions.–Jeveuxdesréponses!lançauneélèvedesecondeavantdefondreenlarmes.–Taisez-vous!tonnaMrsWilliamsdanslemicro,sifortquecertainssecouvrirentlesoreilles.Lesdéplacements

de groupe sont lameilleure solution pour assurer la sécurité des élèves sur n’importe quel campus, àWickhamcommeailleurs.Regardantautourdemoi,jefinisparrepérerJustin.Ilétaitdel’autrecôtédelasalleavecsonéquipedecrosse.–Cetétablissementestl’endroitleplusprotégéoùvouspuissiezvoustrouver,insistaWilliams.–Fautcroirequenon!commentaquelqu’un.– Je comprends que quelques-uns d’entre vous aient envie de rentrer chez eux, et nous ne pouvons vous en

empêcher.Maiscommenousl’avonsrépétéàvosfamilles,l’accidentdevoituredeMrsTate,survenuàl’extérieur,n’étaitquecela:unaccident.–Ellement,chuchotai-jeàVicken.–Toutlemondelesent,merépondit-il.Àunpointimpressionnant,d’ailleurs.–Queressens-tud’autre?s’enquitRhode.–Ehbien…Ilsvoientbienqu’elleestbouleversée.Laplupartd’entreeuxsontencolère.Ilssaventqu’ilyaunlien

entrecesévénements.Ilssesententtrahisdansleurconfiance.–Tun’éprouveraispaslamêmechose?soufflaRhode.La réunion s’acheva, et la plupart des élèves restèrent sur place pour parler deMrsTate.Certains pleuraient,

d’autresdemandaientcequ’il enétaitde leursdevoirsà rendre.Quelques-unsvoulurent savoirquiassurerait lescoursdesciences.Jenepouvaispaspleurer.Jen’enavaispasenvie.J’avaisvulamarquedelamort.Jedemeuraislà,àattendrederessentirquelquechose,uneoncedechagrin.Maisjen’arrivaisàéprouverquede

lacolère.Delacolèreetdelaragecontremoi-même.ContreAva.ContreRhodeetcontrelessouvenirspartagésquejenecomprenaispas.–Lenah!Jerelevaivivementlatête.Rhodeétaitdevantmoi.–Quoi?D’unbrefhochementdumenton,ilm’indiquaClaudiaetTracy,quisetenaientnonloindemoi.Visiblement,ily

avaitunmomentqu’ellestentaientd’attirermonattention.–Commenttesens-tu?medemandaClaudia.Jehaussailesépaules.–Çapeutaller.Jemepoussaipourleurfairedelaplace,maisClaudias’assitàcôtédeVickenetjemedemandaisiellelefaisait

exprès.Elledégageaitunparfumsucré,prochedeceluidelavanille.–Tusensbon,luidis-je.Jeconnaiscetteodeur.–C’estl’ancienparfumdeKate.Jem’intéressaiimmédiatementauFormicadelatable.–Oh.Voilàtoutcequej’arrivaiàrépondre.–TuétaisprochedeMrsTate,non?demandaalorsTracy.Elleposaitsurmoiunregardinterrogateur,etjecomprissoudainqu’elles’adressaitàmoi.–Pasvraiment.Jeréfléchisàl’annéepassée.Non,onnepouvaitpasdirequej’étaisprochedeMrsTate,maiselleétaittoutde

mêmelepremieradulteavecqui j’avaispassédutempsdepuismesparents.C’est-à-diredepuiscinqcentquatre-vingt-douzeans.–C’estlatroisièmevictime,lâchaClaudia.–Ontientdescomptes,maintenant?fitTracyenprenantunegorgéedesoda.

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–Ondevraitpeut-être.–Unecoïncidence,tranchaRhodequiselevaets’enalla.Tracylesuivitdesyeuxjusqu’àlaportedelasalle.–Tunedispasgrand-chose,fitremarquerClaudiaàVicken.–Jenesuispasd’untempéramentinquiet,répliqua-t-il.Claudiapoussaunlongsoupiretsecoualatête.–Jen’aipasenviedevoirMrsTatequandilsvont…(Ellefrissonna.)Quandilsvontlasortirdubâtiment.–Moinonplus.Jemeremémorailespectacledesoncorpssansvie,lestalonsdeseschaussures.–Tuveuxvenirfaireuntourenvilleavecnous?meproposaTracy.Elleselevaetlissaledevantdesontee-shirtbleu.J’admirail’harmonieentrelacouleuretsapeau.–Maintenant?–Oui,maintenant,s’impatientaClaudia.Jeveuxallerquelquepartoùilyaitdumonde.Aucinéma,parexemple.Mauvaiseidée.Danslenoir.–Oualorsunebaladeenvoiture?suggéraTracy.Claudiaselevaetcroisalesbras.–Jen’enrevienspasqueturestesaussicalme,dit-elleàVicken.Ilselevaàsontour.–Queveux-tuquejefasse,belleblonde?Quejecourepartoutenhurlant?(Ilpritunecigaretteentreseslèvres.)

Lamortnousarriveàtous.Elleenfrappecertainsplustôtqued’autres,voilàtout.Ilsortitdufoyerenlaissantl’odeurdesacigarettederrièrelui.Justinvintalorsnousrejoindreetmepritimmédiatementparlamain.Jeleserraicontremoietrespiraidansle

cotonrassurantdesachemise.Jem’attardaiunmomentainsi,prenantletempsdelaissersaforcerechargermesbatteries.–Tu veux venir avecnous ? lui demandaClaudia.On va faireun tour en voiture.Histoirede sortir unpeudu

campus.Justinserembrunit.–Jenepeuxpas.L’entraîneurveutréunirl’équipedecrosse.Jemedégageaietilmeregardadanslesyeux.Jesentaisqu’ilavaitunequestionentête,maisqu’ilnepouvaitpas

melaposerenprésencedeClaudiaetTracy.Avaest-ellederrièretoutcela?Ungroupedepom-pomgirlspassadevantnous.Toutessetenaientparlesbras,parlesépaules,ouparlamain.

Aumilieu,l’uned’entreellespleuraitàchaudeslarmes.Claudiametiraparlamanche.–Jen’enpeuxplus.Tirons-nousd’ici.–Faisattentionàtoi,meditJustinenm’embrassantrapidement.–T’inquiète.J’ailalumièredujouravecmoi.

JesavaisqueRhoden’aimeraitpasmesavoiràl’extérieuraprèsl’assassinatdeMrsTate,maisallermepromener

dansunlieupublicnemesemblaitpasdangereux.Etmêmesinousfaisionsjusteuntourenvoiture,nousserionsdanscelledeClaudia;siellesvoulaients’arrêterquelquepart,jeleursuggéreraisunlieufréquenté.–Ilfautjustequejepasseprendremonportefeuille,dis-jeenmedirigeantavecellesversSeekerHall.Tout enmontant avec les filles, jeme rendis comptequ’ellesn’étaient jamais venues chezmoi,mêmependant

l’annéeprécédente,à l’époqueoùTonyvivaitencore.Tracysetenait justederrièremoi,siprèsque je l’entendaisrespirer.–J’arrivetoutdesuite,dis-je.–Onnepeutpasentrer?medemanda-t-elle.Tuesagentsecret,Lenah,ouquoi?Hum.J’auraisdûm’yattendre.–Si,biensûr,entrez!Jetournai laclédans laserrure.Mesrameauxderomarinetde lavandeétaientaccrochéssur laporte,comme

d’habitude.–Mignon,commentaClaudiaenleseffleurantduboutdesdoigts.Moiaussi,quandonm’offreunbouquet,jele

faistoujourssécher.J’ouvrislaporteetellesentrèrent.Ellespoussèrentdes«oh»etdes«ah»endécouvrantl’épée,monmobilieret

toutl’espacedontjedisposais.CefutTracyquilevaledoigtpourtoucherl’épée.–Àtaplace,j’éviterais,luidis-je.Elleesttrèsaiguisée.–Pourquoias-tuuneépéecheztoi?–C’estunhéritage.Ilfautvraimentqu’onsorted’ici,medis-je.–Qu’est-cequiestécritdessus?Ita-fert…–Itafertcordevoluntas.C’estdulatin.Çaveutdire:«Ellesuitlavolontéducœur.»–Ellesuitlavolontéducœur,répétaTracyauboutd’uninstant.Çameplaît.Nousobservâmesensemblelalongueépéeàlaquellej’étaissihabituée.Jesupposaisqu’eneffetelledevaitêtre

assezimpressionnantepourquilavoyaitpourlapremièrefois.–Qu’est-cequ’ilyasurtonbalcon?medemandasoudainClaudia.Tutravaillessurunprojetartistique?Jemeretournai.Lesmainspresséescontrelaporte-fenêtre,ellelevaitlementonpourmieuxvoir.Mes cendres de vampires s’obstinaient à rester collées au carrelage. L’essentiel avait été balayé par les pluies

orageusesdel’été,maisilenrestaitquiscintillaientausoleildemidi.Jedécidaiquelemieuxétaitencoredejouerlesidiotes.–Non,jenesaispasd’oùçavient.Bon,onyva?Et nous voilà parties. Je baissai la vitre de la BMW de Claudia pour sentir l’air de la fin d’été s’engouffrer à

l’arrièreetdérangermescheveux.–Joie,joieetbonheur.NepaspenseràMrsTate.C’estlajoiiiiiiie!clamaClaudiaenmettantdelamusiqueeten

montantlevolume.Une forte explosion de guitares, de synthés et de voix multiples résonna à mes oreilles. La chanteuse parlait

d’amouretdechewing-gum.Onétait loindeMozart. JenotaiqueTracyétaitexceptionnellementsilencieuse.Elleregardaitparlafenêtre.–Quepensez-vousducentrecommercial?demandaClaudiaauboutd’unmoment.Onpourraitallery faireun

tour.Oui.Malin.Pleindelumière.Pleindegens.

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Celapeutparaîtreidiotaveclerecul,maissurlemoment,c’étaitbondesortirducampusenseptembre,tantquejepouvaisencorealler fairedushoppingcommeuneadolescenteordinaire.C’est-à-direavant ledébutde laNuitRouge.Claudiapritunvirageserréetlemoteurvrombit:nousentrionssurl’autoroute.Jedusmereteniràl’accoudoir

centralpournepasêtreprojetéecontrelaportière.–Alors,melançaClaudiadebutenblanc.Parle-moideVicken.Jem’agrippaideplusbelleàl’accoudoirtandisqu’elleprenaituneautrebretelle.–Joli,sonœilaubeurrenoir,semoquaTracy.C’étaientlespremiersmotsqu’elleprononçaitdepuisqu’elleétaitmontéeenvoiture.–J’aitoutletempsenviedeletoucher!affirmaClaudia.Maiscequel’onentendaitdanssavoixn’étaitpasdudégoût.C’étaitplutôt,disons…del’excitation?–C’estdeVickenqu’onparle,là?demandai-je,étonnée.Sanguinaire.Excellentàl’épée.Tuauraisfaitunparfaitcasse-croûtepourlui.–Ilestécossais?s’enquitencoreClaudia.–Oui,ilvientdeGirvan,surlacôte.–C’esttoncousingermain,c’estça?–Exactement,mentis-je.Lefilsdufrèredemamère.–Allez,vas-y,demande-lui,s’impatientaTracy.Ilaunecopine?–Je…Jenecroispas,répondis-je,légèrementhorrifiéeàl’idéedeClaudiaetVickenensemble.Elletournasibrutalementdansleparkingducentrecommercialquejenouscrusbonnespourunaccident.Mais

parmiracle,elleévitalesautresvoitures.D’ailleurs,toutesdeuxétaientdéjàdescenduesletempsquejereprennemonsouffle.Elles me faisaient l’effet de parler une langue étrangère : elles comparaient des tendances auxquelles je ne

comprenaisgoutte.«Hippiechic.Robetrapèze.»«Etlesplatformshoes,c’estencoretendance?»«Plutôtdescompensées?»C’étaitRhodequim’avaitfournilaplupartdemesvêtementsl’anpassé.Jemecontentaisdelesportersansme

poser de questions. Je nem’étais pas intéressée à lamode depuis l’époque victorienne. J’avais acquis un peu desavoir,maisj’étaistoujoursnullelorsqu’ils’agissaitdefaireunchoix.Claudiametiraparlebraspourmefaireentrerdansuneboutique.–Lenah,ilfautquetuessaiesceci.Cettecouleurt’iraittellementbien!Ellememontraitunmannequindanslavitrine.Vêtud’untopmandarineflottantau-dessusd’unjean.L’étoffeétait

douceetaérienne;lacouleurmerappelaunsouvenir.Unesoiréeàl’Opéra,unesublimerobeorangée.Entantquereinevampire,lemoyenleplussimpled’attirermesvictimesavaitétédelestenteràl’aided’objetsexquis.Aussitôtqu’ellesm’approchaientpourmecomplimentersurmatoilette,ehbien…Claudiatrouvalemêmetoporangesuruncintreetmelefourradanslesmains.Peuaprès,nousentrionschacune

dansunecabine,desvêtementspleinlesbras.ClaudiaetTracyessayaientlesfringuesàlachaîne,sortantdanslesalond’essayagepour s’observer sous tous lesanglesdans laglaceet échangerdescommentaires. Jenem’étaisjamais montrée à quiconque dans des vêtements modernes autres que mes frusques noires. Demander uneapprobationsemblaitidiot,maisapparemmentc’étaitlachoseàfaire.–Lenah!Jeveuxvoircetop!s’écriaClaudia.Gênéecommetout,jesortisvêtuedutopenquestionetmetournaipourlemontrerauxfilles.Claudiaenrestabouchebée.–Oh!Tuessplendide!souffla-t-elle.Ilfautquetuleprennes!–Lacouleurtevatrèsbien,approuvaTracy.Surlemoment,danscecentrecommercial,j’auraispresquepuoublierlalettred’Ava.LamortdeMrsTateetcelle

deKateaussi.Envisagerd’acheterdesvêtementsauraitpumedistraire.Jepouvaismêmem’imaginerrentrantaulycéepourlesarborerdevantRhode.J’enfilai ensuiteune robemoulante rose, très contemporaine, à largesbretelles, courte et décolletée. J’adorais.

J’espéraisqu’elleplairaitaussiauxfilles.J’auraisvouluquelesdamesdesannées1900,avecleurscorsetsetleurstournures,mevoientencemoment.Jesortisdelacabine;mesamiesétaiententraind’admirerdesrobesnoiressemblablesàlarosequej’avaissurledos.Justinallaitl’adorer,parcequ’elleétaitprèsducorps.Ilremarqueraitquejeportais autre chosequedunoir, etmediraitque j’étaisbelle. Ilme rappelait combienc’était importantque jeparticipeàcemondemoderne,commeSuleenm’avaitconseillédelefaire.Rhodenem’avaitjamaisvueainsivêtue.Jen’étaismêmepassûrequ’ilremarquaitencoremoncorps,maintenant

quecelui-cin’étaitplusserréparuncorsetnimodeléparunetournure.Pendantce temps,une femmedehaute tailleadmirait sonrefletdansunmiroirà trois faces,auboutdusalon

d’essayage.De longs cheveux blonds tombaient demanière parfaite dans son dos. Elle s’adressa à elle-mêmeunsouriresatisfait,etpassalamainsursonventrepourlisserlarobe.

Oh,non.Sapeauétaitimpeccable.Trop.Cescheveuxblonds.Cesonglesrouges.Horriblementtaillésenpointe.Ava.Jebattis aussitôt en retraitedansmacabined’essayage, etplaquaiunemain surmabouchepour réprimerun

hurlement.Jetremblaisdetousmesmembres, incapabled’empêchermoncorpsderéagirainsi.Commentétait-cepossible ? Comment faisait-elle pour supporter la lumière vive de la mi-journée ? Je reculai involontairement etbaissai la tête :une longue jambegalbées’insinuaitdans l’espaceouvertsous lepanneaudeséparationentre lescabines.Féline,lafemmes’aplatitausoletseglissadanslamienne.Enuninstant,ellefutjustedevantmoi.Acculéecontrelaglace,jem’entendaisrespireràpetitscoupsrapides.Saboucheformaalorsunrictusgoguenard,tachéderougeàlèvres.–Allez,sors,Lenah!melançaClaudiadepuislesalond’essayage.Mesamies…–J’arrivetoutdesuite!Avafitunpasdansmadirection.Souslesnéons,sapeauluisaitcommedumarbre.Elleressemblaitàunestatue

mouvante.Elleinclinalatêtesurlecôté.– Surprise deme voir, Lenah ? Tu te croyais en sécurité dans la lumière ? Tupensais que tu ne risquais rien,

entouréed’humains?Lejournemefaitpaspeur.Paslemoinsdumonde.Elleplaquabrusquementunemaincontrelemiroir,justeàcôtédematête.–C’étaitquoi,cebruit?s’exclamaTracy.–Ilestcommentsurmesfesses?luidemandaClaudia,quidevaitêtreentraind’essayerunpantalon.

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–Parfait.Jedemeurai ledoscontre lemur.Laseulemanièredem’échapperauraitétéd’ouvrir lacabineetdepartiren

courant,maisAvapouvaittrèsbientuerTracyetClaudiaenunclind’œil.–Tunemefaispaspeur,mentis-je.Avasourit,maispaslongtemps.Sesdentsblanchesbrillèrentuninstantsouslalumière,aprèsquoisescanines

s’allongèrent,pointuesetacérées.Lafaimvampiriquequifaisaitsortirlescrocsprenaitledessus.Ellefitminedesejetersurmoi,puisrit toutbasensereculant.Lamusiquedefondcouvritsonrire,etpendantcetemps,TracyetClaudias’extasiaientsurunchemisier.–LagrandeLenahBeaudonte.Commej’aiattenducemoment!Combienj’espéraisêtrelapremièreàtesaigner!

Sais-tuquej’aidanséavecHeath?Cegrandtypedetoncerclequineparlaitqu’en latin?Oui…dans lesannées1920.Elleapprochasabouchedemonoreille.–Pendantquetudormaissixpiedssousterre,ajouta-t-elledansunsouffle.Jefrémis.Telunanimal,elleeutunnouveaumouvementversmoi,abattantcettefoissesmainsdesdeuxcôtésdematête.

Puiselleinspiraprofondémentenpassantleboutdunezsurmagorge.–Mmm.Àl’odeur,jediraisquetonsangpourraitbienm’illuminer,moiaussi.J’inspiraibrièvement.L’illuminer?Qu’est-cequ’elleracontait?–Nefaispassemblantdenepascomprendre,dit-elleenvoyantmatête.Lerituelpermetdeprojeterdesrayons

desoleil.C’estainsiquetuastuétoncercle.–Faux!Cen’estpascequis’estpassé.–Chhhut,fitAva,melaissantrevoirlespointesdesescrocs.Tesmensongesn’ontpasdroitdecité,ici.Maisàune

époque,c’étaittoilapuissantevampire,non?Devinequic’est,maintenant?Ellepointaundesesonglesenlamederasoirverslecieletmeregardaducoindel’œil.–Biensûr,onnem’appelaitpasAvalorsquej’étaishumaine.Tutesouviensdemoi?Tuastuémamère,monpère

etmonamoureux.DesimagesdesvictimesmasséesderrièrelesAerismebombardèrentsoudain.Samère,sonpèreetsonamoureux

setrouvaientdanscettemasse.J’auraisvoululuidirequ’ilsétaientensécuritéetleseraientàjamais:plusjamaisvictimes,plusjamaissoumisàlapeuretàl’horreur.Ilsavaientàprésentl’âmeblanchecommeneige.Elleplaquaànouveausesdeuxmainscontrelemur,àl’instantprécisoùClaudiaéclataitbruyammentderirede

l’autrecôtédelaporte.J’adoraisleriredeClaudia.Ilfallaitquejelaprotège.Vite,réfléchiràunplan.Jemeconcentraisurlesongleseffilés.Sij’appelaisàl’aide,jemettraisClaudiaetTracy

en danger. Si j’ouvrais la porte de la cabine d’un coup de pied, je pourrais partir en courant, mais elle merattraperait.–Lenah!Tudorslà-dedans,ouquoi?s’impatientaClaudia.Unrapidemouvementdepoignet,uncrissementdéchirantdansmonoreille.Machair.Avam’avaitcoupée,etle

sangcoulaitsurmonépaule.L’estafiladen’étaitpasprofonde,maislapeauétaitnettemententaillée.Celamebrûlaitetmepicotait.Ellesepenchapourmechuchoterquelquechoseàl’oreille,desiprèsquejeperçuslafroideurdeseslèvres.–Lablondeidiote.Puislaprof.Tusaiscequejeveux.Ellemepritalorsparlagorgeetmesoulevadusol,contrelemiroir.Jepouvaisàpeinerespirer.Jetoussaietelle

desserrasonétreintepourmelaisserparler.–Jeveuxcerituel,insista-t-elleentresesdents.Au-dessusdelaclavicule,machairsaignait.–Ilneterendrapastonhumanité,croassai-je.Unrictusgranditsursonvisage,luidonnantl’aird’unclownétrangeetmenaçant.Sesnarinespalpitèrentetelle

chuchota:–Parcequetucroisquec’estçaquejeveux?Tunem’aspasentendue?J’aipristaplace.Sonregardsedurcit.Alors,jevislavérité,toutaufonddesesyeux.Ce fut une sensation indescriptible, tant je reconnaissais ce que je découvrais, comme une vue familière sur

l’océanouunchampquej’avaisaimé.Àl’intérieurdeceregardsetrouvaitunejeunefemmeterrifiée,bientroptôtarrachéeàlavie.Jeparvinsàpeineàbalbutier,toutenmeforçantàsoutenirsonregardd’unvertdérangeant.–C’estletourment,n’est-cepas?Letourmentsansfin.Elletressaillitcommesionl’avaitgiflée.–Quoi?–Situdéversestesémotionsdanscesort,tun’apporterasqueruineetdévastation.Tulibérerasunemagienoire

quetun’aurasjamaisappeléedetesvœux.Jevoisbientonbesoindepouvoir.Lepouvoirsoulageladouleur,n’est-cepas?LavoixdeClaudiapassapar-dessuslaporte.–Onvavoirs’ilsonttataille,Lenah.Tufaisducombien?–Réponds-lui,m’ordonnaAva.D’unemain,ellemetenaitcontre lemiroir.De l’autre,ellerecueillitunepetite flaquedesangsurmonépaule,

qu’elleléchasursesdoigts.–TailleM!criai-jeavecunspasmedenauséeenregardantAvaavalermonsang.–Jecroisquej’enaivuparlà-bas,ditClaudia.Jelesentendissortirtoutesdeuxdusalond’essayage.Avame plaqua de nouveau contre lemiroir.Mamain cogna contre le verre et des taches de lumière blanche

explosèrentdevantmesyeux.–Donne-le-moimaintenant.Sinon,quandtescopinesreviendrontdanscettepièce,tuserasdéjàmorte.Jetentaidedéglutir,maismemisàtousser.J’allaismourir.Ceneseraitpaslapremièrefois.Alorsqu’uneautredécharged’éclairsblancsm’aveuglait,uneimagem’apparut.Rhodeetmoidanslevergerde

mesparents.Pastelsquenousétionsalors,maistelsquenousapparaissionsmaintenant,danslemondemoderne.Maindanslamain,marchantverslamaison.Lacheminéefumait.Unepommedansl’autremaindeRhode.Était-cepossible?Était-cel’avenir?Jem’efforçaisderespirerd’unsoufflerauque,maisunsilenceirréelcommençaànoyerlerestedumonde.–D’accord!croassai-je.Elleme libéra immédiatementet jem’effondraimollementausol.Mesmainsheurtèrent lamoquetteet lebruit

s’engouffraentorrentdansmesoreilles.Justeaumêmemoment,j’entendisTracyetClaudiarevenir.–Écris-le,m’ordonnaAva.

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Jetrouvaiunvieuxmorceaudepapierdansmonportefeuilleetluiobéis.Tuesentraindeluidonnerlerituel.Tuesentraindeleluidonner.Jen’arrêtaispasdemelerépéter,carjesavaisqu’ellelisaitdansmatête.Ceciest lerituel.Jenevoulaispasteledonner,maisjelefaisquandmême.Jetentaid’enfouirlemensongeleplusprofondémentpossibleenmoi.Ilfallaitabsolumentqu’ellesoitconvaincue.–Lenah,tiens!mehélaClaudia,etunetuniquebleuepassapar-dessuslaporte.Avalarattrapaetlatintcoquettementcontreelle.Jeterminaid’écrireetluitendislafeuille.Ceciestvrai,vrai,vrai.Jenepensaisàriend’autre.Avantderegagnersacabineenpassantsouslacloison,ellemelançaunregardentendu,inoubliable.–Jecomprendspourquoiilt’aime,dit-elleavecuneinclinaisonanimaledelatête.Sifragile…Et sur ces mots, elle regagna sa cabine. Je regardai ses pieds bouger tandis qu’elle rassemblait des affaires.

Écoutaisespaslégerslorsqu’elleouvritlaporteets’éloignaentrelesportants.Épuisée,jemelaissaiglisserjusqu’àmeretrouverassise,ledoscontrelemiroir.–Disdonc,t’esmorteouquoi?plaisantaClaudia.–Non,jemerhabille.Monrefletn’étaitpasbeauàvoir.Lasueurcollaitmescheveuxsurmonfront,etl’entaillehorizontalequibarrait

labasedemagorgeétait rougeetàvif. Jenesaignaisplus,mais lesangétaitencorepoisseuxdans la fente.Ceseraittoutefoisfacileàcouvriravecmonchemisier.CommeauraitditVicken,elleétait«sacrémentdouée»!Jenepouvaisqu’admirersonstyle.Envérité,Avaaurait

étéunerivaledequalité si j’avaisencoreétévampire. Il fallaitque jemeremettedebout.Que jem’habille. Ilnefallaitpasquelesfillesmevoientainsi.Lesmainstremblantes,jem’appuyaicontrelamoquettepourmelever.J’ignoraiscombiendetempsilmerestaitavantqu’ellenes’aperçoivequejeluiavaisdonnéunfauxrituel.Celase

comptait-ilenjours?Ensemaines?Unefoisdebout,jelissaimescheveuxdemonmieuxetsortisdemacabine,encoretremblante.J’évitailemiroirà

troisfaces.Maiscen’étaitpasnécessaire:Avaétaitpartie.–J’aifaim,annonçaClaudia.–Onn’aqu’àmangerici,proposaTracy.Jenesuispaspresséederetrouverlacantine.Nouspayâmesnosarticlesetjelessuivishorsdelaboutiquesansriendire.Jetâchaisdenepasbougerlebras

droit, parce que ma coupure m’élançait. Aussitôt que nous eûmes retrouvé l’éclairage violent de la galeriecommerciale,mestremblementss’apaisèrent–trèslégèrement.Jecommandaimachinalementmondéjeuner,maisintérieurementjerevivaisenbouclecequivenaitdesepasser

dans la cabined’essayage.Les vampires telsqu’Ava,quipouvaient s’exposerau soleil, necouraientpas les rues.C’étaitunsignecertaindesapuissance.Maiscomment?Commentavait-ellepuacquérir si rapidementune telleforce?Avadisaitque j’avaistuésafamille,mais j’avaistuédestasdegens. Je l’avaismêmetuée,elle,brisant lecontratdesaviehumaine.Commemel’avaientrappelélesAeris.Pendantnotredéjeuner,jenepusm’empêcherdescruterlesvisagesdetouslespassants.Toutechevelureblonde

retenaitmon attention. Cette femme vampire n’était sûrement pas seule. Elle était puissante. Elle se faisait unegloiredemeremplacer.–Qu’est-ilarrivéàRhode?s’enquitClaudia.Lamentiondesonnommeramenabrutalementàlaréalité.Meconcentrantànouveausurmonrepas,jegrignotai

unefeuilledesalade.–Quiétaitentortdanssonaccidentdevoiture?Ilaunetêteàfairepeur,continuamonamie.–C’estletypeleplussecretdumonde,commentaTracy.J’aibienessayédeluienparlerencoursdemaths,mais

ilm’aenvoyéebouler.–Iln’apasvoulum’enparlernonplus,dis-je,détestantquecesoitsivrai.J’avaistoujourseul’habitudedetoutsavoirsurlui,maiscen’étaitpluslecas.–JenesuispasaussiprochedeluiquejelesuisdeVicken,ajoutai-je.–MaisilenaparléàVicken,objectaClaudia.Ilssonttoujoursensembleàtableaudîner.– Je m’étonnemême qu’il ait survécu, ajouta Tracy, qui parlait toujours de l’accident de Rhode. (Elle dégusta

délicatementunefourchetéedesaladegrecque.)Ilaencoredesbleus.–Iladesyeuxincroyables,fitremarquerClaudia.J’observaiuninstantuneblondeàqueue-de-cheval,puismedétendis.Cen’étaitqu’unejeunefillequifaisaitdu

shopping.Tracymedonnauncoupdecoude.–Pardon,soufflai-jeenmordantdansmonsandwich.Oui,ilssonttrèsbleus.Jemesentisridiculeenledisant.–…tun’espasbienbavarde,meglissaTracy.–Jesuisjusteunpeufatiguée.–Bon,alors,qu’est-cequisepasseentreJustinettoi?J’ouvrislabouchepourmejoindreàlaconversation,et…Là.Elleétaitlà.Avas’avançait sur la longueurde lagalerie,parallèlementà la cafétéria.Mamainqui tenait le sandwich resta

suspendue en l’air. Je la fixais sans pouvoir m’en empêcher. Même si elle portait une casquette de base-ballmasculineenfoncéesurlesyeux,seslongscheveuxblondsluitombaientdansledos.Elleétaitsuperbe.Sabeautésurpassaitcelledelaplupartdeshumains,maisjesavaispourquoielleabritaitsonvisagedestubesaunéon:celaauraitsoulignélateinteétrangedesapeauetsespupillesdilatées.Elletournalatêteversmoi.Sesyeuxglissèrentsurlesclientsdelacafétéria,directement,volontairement–jusqu’àplongerdanslesmiens.Sa

bouche s’ouvrit toute seule, ses yeux tombèrent sur mon sandwich. Et là, recourbant ses lèves d’une manièrehorrifique,ellesourit.Et……mefitunclind’œil.

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Chapitre12–Vicken!Jetapaitroisfoissursaporte.Auquatrièmecoup,leresponsabledel’étagesortitlatêtedesachambre;c’était

unjeuneprofesseurassistantquienseignaitlaphotographie.–Ilyadesgensquirévisent,ici,Lenah,râla-t-ilavantdeclaquersaporte.Devantmoi,lebattants’ouvritlentementetVickenapparut,bâillantetsegrattantlatête.–Ilestsixheuresdusoir,dis-je.Tudormais?–J’aiquelquessièclesdesommeilàrattraper,siçanetedérangepas.J’entrai,aprèsquoiilprituneserviettesursonbureauetlatassadanslafentesoussaporte.Puisilouvritune

fenêtre,mitenmarcheunventilateuretallumaunecigarette.Jefaisaislescentpassurlamoquettedesachambre.–Avam’aagressée,l’informai-je.Vickentournasivivementlatêtequesescheveuxluitombèrentdanslesyeux.–Où?– Au centre commercial. J’étais avec les filles, dans une boutique de fringues, et je l’ai trouvée là, en train

d’essayerunerobedecocktail.Vicken…(Jepassai lamaindansmescheveuxetenagrippai lesracines.) Je luiaidonnéunfauxrituel.–Tuasfaitquoi?–Jen’aipaseulechoix.Elleallaitmetuer.Vickentiraunebouffée,medévisageaàtraverslafumée,puisécrasasacigaretteàpeineentaméesurl’appuide

lafenêtreavantdelalaissertomberdansunecanettevide.–OK,onyva,dit-il.Ilsortitavecmoi.Jem’attendaisàcequenousdescendionsl’escalier,peut-êtrepourrejoindreunautredortoir.Je

nem’étais jamais demandé où logeait Rhode sur le campus. Au bout du couloir se trouvait la chambre 429, unepiaule individuelle semblable à celle de Vicken. C’était ça, la chambre de Rhode. Il y avait quelque chosed’étrangementcomiqueàl’imaginervivantdansundortoird’étudiantsaprèsavoirservicommechevaliersousleroiÉdouardIII.Vicken frappa et, pendant que nous attendions, m’encouragea d’un clin d’œil. Nous entendîmes quelques pas

derrièrelaporte,etRhodevintouvrir.Ilnousregardatouràtour.Sesbleusetsesbossesrendaientsonœildroitpluspetitquel’autre.–Qu’est-cequisepasse?–Unechosedontonnepeutpasvraimentparleravecletout-venant,monami,réponditVickenenmontrantles

autreschambres.Rhodenousfitentrer.Jesupposequejem’attendaisàduluxe,àcequesonexistenceàWickhamsoitàlahauteur

denotrevieàHathersage.Maiscommentaurait-ceétépossible?Iln’yavaitlànibuffetsd’apothicairenimeublesd’époque.Nousétionsincognito.Àl’exceptiond’untélescopepointéverslafenêtreetdesagarde-robe,lachambredeRhoden’étaitriendeplusqu’unlieuoùposersatêtepourdormir.AumomentoùVickenrefermaderrièrenous,j’aperçusduromarinetdelalavandepunaiséssurlaporte.

Biensûr.Certaineschosesnechangenttoutdemêmepas.Ils’assitàsonbureau.–Avas’estattaquéeàmoi.Jeluiaidonnéunfauxrituel.Avecdesingrédientsbiensophistiqués.Illuifaudrades

jourspourdécouvrirlasupercherie.Jemesuiscreusélatête.DelafèvedeSaint-Ignace,duboisdenaja,cegenredechoses.–Deschoixjudicieux.Cesingrédientssontinoffensifs.Mêmeaveclespiresintentions,ellenepourraitpasentirer

grand-chose.L’approbationdeRhodemefitfrémird’amour;j’enavaismêmedespicotementsdanslapoitrine.Lorsqu’illevales

yeuxversmoi, jegoûtaisur leboutdema langue lespommescroquanteset leriche terreaududomainedemonpère.Jereculaienchancelant,m’efforçantderomprececontact.Sijeregardaisailleurs,peut-êtreneserais-jepassubmergéeparlessouvenirs.J’inspiraiàfond,maissentisencoreplusfortl’odeurdepommes,ainsiqu’unparfumdefeudebois.Leboiscraquantetfumant,lasenteurdelapluie.Enreculant,jemarchaisurlepieddeVicken.–Eh!Attention!s’écria-t-il.Unebouchedevampire.Lèvresentrouvertes,prêteàtuer.Àl’emplacementdescrocs,deuxtrousnoirs,béants.

Unvampiresanscrocs?Jevoudraism’enfuir,maisjesaisquecen’estpaspossible.Vickenmerattrapaparlebras.–Lenah?Çava?–Ellem’asoulevéeparlagorge!soufflai-je,désemparée.Etellem’agriffée.Jebaissailecoldemontee-shirtpourleurmontrerlablessure.–Ilfaudraquetunettoiesça,commentaRhode.Jeremarquaiqu’ilserraitdetoutessesforcesledossierdelachaisesurlaquelleilétaitappuyé.– Bon, j’imagine que quand elle comprendra que les ingrédients sont fantaisistes, sa riposte ne traînera pas,

déclarai-je.Maiselleaditautrechose…Elleaditqu’ellecomprenaitpourquoiilm’aimait.Lesouvenird’Avamefitfrémirdelatêteauxpieds.Rhodesetournaverslebureauetportasamainblesséeàsonmenton.–Quiça,«il»?–Unmembredesoncercle?hasardaVickenens’adossantaumur.–Tunousasfaitgagnerdutemps,maisnousn’avonstoujourspasdesolution,ditRhode.

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J’essayaidenepasmevexer,maissaremarquefaisaitmal.–Aucasoùtuauraisratéquelquechosequandjel’airacontélapremièrefois,elleétaitsurlepointdemetuer!L’imagequejevenaisdepiocherdanslamémoiredeRhode,celledelabouchebéanteetprivéedecrocs,revint

s’insinuerdansmatête.J’ajoutaiautrechoseavantqu’ilmeréponde.–Elleveutdupouvoir,c’estlaseulechosequisoulagesafolie.Lepouvoirestsonseuldésir.Rhode appuya son bras contre le dossier de la chaise ; un bleu circulaire marquait son poignet. Cela ne

ressemblaitpasàunemorsuredevampire : ilyauraiteudes trous.Lorsqu’il s’aperçutque je leregardais, ilmecachasonbras.–Ellenerecherchepasl’humanité,poursuivis-je.Elleveutaccomplirleritueldansl’espoirqu’illuidonneencore

plusdepouvoir.Lepouvoirderégnersurleséléments.Siellepossédaitunepuissancepareille,ellepourraitattirerlesmonstresàelle,contrôlerlesêtresplusfaibles.Ellepourrait…Jemeremémoraiànouveaumonrêve.JerevisWickhamabandonné,lespierresdescellées,laplagedéserte.–…ellepourraitfairetoutcequ’elleveut.–Onnepeutrientantqu’ellenesemontrerapas,enchaînaRhode.Etellefiniraparlefaire.Enattendant,nous

pourrionsêtreunecible.CommetouslesprochesdeLenah.Sij’étaistoi,Vicken,jegarderaisenpermanencemonpoignardsurmoi.Vicken leva la jambe,posa sabotte sur lebureau, etRhode regardaà l’intérieur. Je supposaiqu’il observait le

couteau.–Ettoi,faispareil,medit-il.–Qu’est-cequitefaitpenserqu’unsimplepoignardserviraitàquelquechose?Je levai lementon. Il contrôlait tellement tout,medisant quoi faire,medisant qu’ilm’aimaitmais gardant ses

distances…C’étaitexaspérant.–Jenepeuxpasmebaladertoutelajournéeavecuneépéeaucôté,n’est-cepas?lâcha-t-ilfroidement.Ettune

peuxplusfairesortirlesoleildetesmains.Lacolèremontaitenmoi.Lesoleil.Ilétaitdoncaucourantdemonexploitpassé.–D’accord, jeporteraiunpoignard,cédai-jeenposant lamainsur lapoignéede laporte.Et jevaisdescendre

cettefichueépéedumur,histoirededécapiterleprochainvampirequis’approcherademoi.– Voilà, ça c’est parler ! triompha Vicken en nous regardant tout à tour. Enfin, étant donné les circonstances,

marmonna-t-ilensuiteentresesdents.JefusillaiRhodeduregard.–Pourquoies-tutellementencolère?medemanda-t-il.–Parcequetunouscachestoutcequetusais.Dis-moi,Rhode:tuétaisicil’andernier,ouiounon?Tutetenais

dansl’ombreàm’observer,pendantquejemebattaispoursauvermapeau?TuasregardémonmeilleuramiTonymourirdelamainducerclequej’aicréélorsquetuesparti?Partir…Ça,c’estunechosequetuconnaisbien,pasvrai?Sabouches’entrouvrit,maisilrestacoi.Jetournailestalonsetm’enallai.Jen’enrevenaispasduplaisirquej’avaisprisàluidiresesquatrevérités.Ilse

comportaitengrandprofessionnelchevronné,avectoussessecretsetsesbleus.Maismoi, j’ignoraistoujoursparquiouparquoiils’étaitfaittabasser.–Lenah,attends!Jemeretournaifaceàluietcroisailesbras.–Tutecomportescommesitoutcequivientdem’arrivern’étaitrien!éclatai-je.Justeunpetitdésagrément,alors

quej’aidûsauvermapeaudansunecabined’essayage.Maisnet’enfaispas,Rhode.J’ouvrirai l’œil,ajoutai-jeensingeantsontoncondescendant.Jeseraiunebonnefille,jeporteraiunpoignard.Sonexpressionsedurcit.–Jenetecomprendspas,dit-ilensecouantlatête.J’avaisenviequ’ilmeprennedanssesbras,commeil l’avait faitpendantdessiècles.Dansmatête,pendantun

instant,nousfûmesàl’Opéra,danslesannées1700.Saboucheeffleuraitmoncou,sesmainsremontaientlentementsurmonventre.Maisjenepouvaisriendiredetoutcelaàvoixhaute.Jefermailesyeuxpourchassercesouvenir.–Jesaiscequej’aiàfaire.Surcesmots, jequittai lapièce.Mafureurenflaittoujourslorsquejedévalai l’escalier.Jen’avaispasbesoinde

poignard.Plusjamaisjen’auraispeurdansunecabined’essayage.Personnenemediraitcommentvivreniquellesarmesporter,etsurtoutpaslui.«Vousêtesdesâmessœurs.Inextricablementliées.»Jenevoulaispasêtresonâmesœurdanscesconditions.J’avaisbesoindeprendrelecontrôle.Surn’importequoi.

N’importequoipourqu’Avanem’approchepas. J’allaisdoncmeprotégeràmamanière,enpréparantunsortdebarrage.–Attends!entendis-jederrièremoi.Jem’arrêtaiàl’entréedemonbâtimentetmeretournai.Vickencouraitpourmerattraper.–Nefaispasça,medit-il,encoreessoufflé.Surtoutpasdemagie.Ilposasesmainssursescuisses.–Situarrêtaisdefumer,tuauraismoinsdemalàretrouvertonsouffle.Enseredressant,ilvitquelquechosedanssonreflet,derrièremoi.–Bonsang!jura-t-ilens’approchantdelaportevitrée.Ildiminue.–Qu’est-cequidiminue?Ilsetournaversmoi.–Moncoquard!Ilouvritlaporteet,aprèsavoirmontrénospiècesd’identité,nousmontâmeschezmoi.Jesecouailatête.–Depuisquandes-tulepetitmessagerdeRhode?Etpourquoipasdesorts,d’abord?–Situlancesunsortilège,m’expliqua-t-ilensetournantdeprofilpouréviteruncouplequidescendaitl’escalier…

Je veuxdire,UNFLORILÈGE, lança-t-il d’une voix forte pour ne pas nous trahir. (Nousmontions toujours.) Si tulancesunsortilège,reprit-il toutbas, lamagiepourrait libérersuffisammentd’énergiepourattirerencoreplus devampires.Ilslesentent,tut’ensouviens?Jemerappelaiscequ’avaitditSuleensurlamagie,maissiRhodeavaitraisonetquenousjouissionsd’unesorte

deprotectionjusqu’audébutdelaNuitRouge,alorsnousétionsensûretéàl’intérieurducampus.CequejedisàVicken.–Quoiqu’ilarrive,continuai-je,jecomptefairequelquechosed’unpeuspécialcesoir.Unsortdebarrage.

Page 64: Pour la traduction française

Unefoisentréeavecluidansl’appartement,jefilaitoutdroitàlacuisine.Mesdoigtss’attardèrentsurlesboîtesd’herbesetd’épicesqueRhodem’avaitlaisséestoutaudébutdemavied’humaineàWickham.Jenelereconnaissaisplus,àprésent.Maisàsadécharge,iln’avaitfaitqueseplierauxinjonctions.Gardersesdistancesavecmoi.De retour dans le salon, je m’agenouillai devant mon vieux coffre de voyage ; les serrures cliquetèrent et je

soulevailecouvercle.Àl’intérieurétaientcachésquelquesarticlesdontj’auraisbesoinpourréalisermonsort.Mesdoigtsvoletèrentau-dessusd’unpetitcoupondesatin.Jelemisdecôté,ainsiqued’anciennesboulesdecristal,desdaguesaufourreausertidepierresprécieusesetautresbabiolesdemaviedevampire.Desprofondeursdelamalle,jesortisl’undesrareslivresqueRhodem’avaitlaissés.Ildataitde1808etétaitsimplementintituléIncantato.Jel’ouvrisetfeuilletailespagesépaissesjusqu’àtrouverlabonne.–Sortdebarrage,dis-jeàvoixhautetoutenmarchant.J’allaiposerlelivresurlecomptoirdelacuisine.JesaisislasaugeetunevieillecoquilleSaint-Jacques,assezgrandepourcontenirmonmélanged’herbes.Après

avoirvérifiélarecette,jedisposaidupissenlit,duthym,delasauge,delalavandeetunepomme.Toutentenantlelivredanslecreuxdemonbras,jerépandislesherbesséchéessurtoutlepérimètredelapièce.Vickenm’observaitdepuisleseuildelacuisine,lesbrascroiséssursonlargetorse.–Connais-tul’originedumythed’Invitation?luidemandai-jesanscesserdedispersermesherbes.–Quoi?L’histoireselonlaquellelesvampiresdoiventêtreinvitéspourpénétrerdansunemaison?(Ils’assitdans

lecanapé.)Unevasteblague.L’arôme des herbes frappait mes narines par vagues de thym piquant et de douce lavande. Quelques miettes

tombèrentsurlespagesouvertesdugrimoire.–Passe-moitonpoignard,luidis-je.Ils’exécuta.Jecoupailapommehorizontalementparlemilieuetlaposaifaceenhaut.Quandoncoupecefruiten

deux,lecœurdessineunpentacle,uneétoileàcinqbranches.Lepentacleestconnu,danslemondesurnaturel,pourdonnerdupouvoiràceuxquiprofèrentuneincantation.Ilpouvaitaussireprésenterlesquatreéléments:laterre,l’eau, l’airet le feu, lacinquièmepointe symbolisant lacombinaisondu tout –ceque l’onappelleparfois l’esprit.PenseràcepentaclemerappelaitlesAeris,leurpuissance.Jeletournaifaceàlapièce.– Ce sont les vampires qui ont inventé lemythe d’Invitation, poursuivis-je, pour éloigner lesmonstres les plus

terribles.Lesmétamorphes,leshommes-animaux,lesvilainsdetoutpoil.Tuboisunpeudeleursang,etsoudaintuesunindividudelapireespèce!(Jeluidécochaiunsourireentendu.)Car,oui,ilexistedescréaturespiresquelesvampires.Descréaturesquientrentchezvousparunefenêtreouvertepourvousvolervotresouffle.Descréaturesquivousbrisentledos…pourleplaisir.Je dénichai une chandelle grise dans la malle et l’allumai. Le gris n’est utilisé que dans des occasions très

particulières:c’estunecouleuràmi-cheminentrelebienetlemal.Lacouleurdel’intermédiaire,del’entre-deux.Ilnefautpasfairen’importequoiavecleschandellesgrises.La flammevacillaet, le livreouvertdevantmoi, je lus l’enchantementd’unevoixposée. Jedéversai toutesmes

intentionsdanscetacte.Detoutmoncœur,jevoulaisnousprotéger.–Danscetespace,jesuisprotégéedudanger.Jerépétail’incantationetposailelivresurlatable.Puisjeprislabougiegriseentremespaumesetfisànouveau

letourdelapièce.–Danscetteenceinte,jesuisprotégéedudanger.Parlesangquicouledansmesveines,parl’interventiondeces

herbes,quenulvampirenicréaturemonstrueusenefranchissecetteporte.Danscetteenceinte,jesuisprotégéedudanger.Jefiscinqfoisletourdelapièce.Lorsquej’eusterminé,jeposailabougiesurlatablebasse.Jetâchaidenepas

remarquerl’élancementdansmaclavicule.– Il faut laisser brûler la chandelle, dis-je. Et tu ne peux pas partir tant que ce n’est pas fait. Il ne faut pas

perturberlesénergies.–Nousnesommesplusdesvampires.Commentsavoirsinouspouvonsactivercegenredemagie?Jeregardaislafuméedelabougies’éleverdansl’atmosphère.–Ehbienjesupposequ’ilfautattendrepourlesavoir.Siçamarche…J’hésitai,etVickenattenditpatiemmentlasuite.–Siçamarche,onpourraessayerencoreautrechose.–Autrechose?Jejetaiuncoupd’œilàmonlivre.Combiendefoisyavais-jeeurecoursàHathersage?Desmilliers?D’accord,

c’étaitgénéralementpourattirerunennemiàmoi,paslecontraire.–Tusaiscequejeveuxdire.Siçamarche,onpourraitessayerdessortspluspuissants.–Etpourquoifaire?JesongeaiàlamiseengardedeSuleensurlaplage.Pluslongtempsjedemeuraismortelle,plusmesliensavecle

mondesurnaturels’affaiblissaient.–Onnesaurapassiçafonctionnetantquedesvampiresn’essaierontpasd’entrericipourtetuer,ajouta-t-il.–Eneffet,c’estleseulmoyend’êtrefixés.Etsurcesmots,jem’emparaidelatélécommande.

Lentement.Peaucontrepeau.Lafaiblelueurd’unelanterne.Deuxcorpsensemble.Unecuissereposecontrela

mienne…deslèvreschuchotentàmonoreille.Lesvampiresaimentplusavecleurâmequ’avecleurcorps.Leurconditionlesprivedesensationsphysiques.Leur

sensdutouchers’estompe,nelaissantrienquel’enveloppehumaine.Àl’intérieur,cetengourdissementpoussel’âmetorturée jusqu’à la folie. Et lorsque deux vampires s’unissent, deux vampires qui aiment, leurs âmes peuventréellementsetoucher.

Maispasdanscerêve.Rhodeetmoisommesétendussurunepaillasse.Lesvitressontanciennes, laflammedelachandellesereflète

dansleurverreépais.Leboisestsisombrequ’ilestpresquenoir.LamaindeRhodemetientlatête,seslèvreseffleurentlesmiennes.Danscerêve…jelesensàlamanièred’unemortelle.Noscorpsproduisentdelachaleurdanscettevieillepièce.Unfeuronfledansl’âtreetfaittranspirermapeau.

« Rhode », dis-je tout bas, et il s’éloigne de mon oreille. Il me regarde dans les yeux – le bleu de ses iris est sicaptivantquej’oublie,pendantunefractiondeseconde,àquelpointnoussommesproches.

–J’aimeraispouvoirtesentirphysiquement,dis-je.– Tu ne peux donc pas ? souffle-t-il en approchant son visage du mien. Jamais, chuchote-t-il. Jamais plus je ne

pourraiêtreséparédetoi.Lemot«toi»résonneenécho.Unetoutepetitesyllabe.

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Toi,toi,toi…etl’imagesombredanslesténèbres.Lematelasdepailleet lachaleurducorpsdeRhodecontre lemiens’éloignent.Soudain, l’espaces’ouvreet je

m’élèvedanslesairs…ilmesemblequejelévite:jeflotteau-dessusdulit.–Vousnecomprenezdoncpas.La voix de Rhode. Je redescends lentement vers le sol, l’air soutient mon corps comme si j’étais un oiseau. Je

descends plus bas encore : me voici à présent sous un plafond noir. Debout dans une pièce. Ceci n’est pas lachambre,jesuisailleurs.Rhodeestàgenoux,têtebaissée.

– Vous ne comprenez donc pas, dit-il à quelqu’un dans la pièce. Je ne peux pas le faire. Je ne peux pas. Vosexigencessonttropextrêmes.

Jepivotepourregarderàquiils’adresse,maisjen’aiquedel’ombredevantlesyeux.–C’esttrop,ditencoreRhode.Jesuisàprésentconscientedemoncorpsdemortellecouchédansunlit.Lelitdepaille?Non.C’estplusdoux.Je

dorsdansmonlitaulycéeWickham.Je veux me réveiller. Réveille-toi, Lenah. La lumière blanche des Aeris luit devant mes yeux. Là… encore cette

bouchedevampire,cellequin’apasdecrocs.Destrousbéantslesremplacent.Réveille-toi,Lenah!Réveille-toi!Mesyeuxs’ouvrirentd’uncoup.Jehoquetai,etdel’airfraiss’engouffradansmagorge.Parlaporteouvertedemachambre,jevisquelatélévision

donnait lesnouvellesdumatin.Lachandellegriseétaitdepuis longtempsconsumée.Vickens’étaitendormi, jenevoyaisquesesbottesdemotoquipendaientauboutducanapé.Ilronflaitsurunrythmerégulier.Jereprismonsouffleetm’assis.Unpetitfiletdesueurcoulaitsurmonfront.Jel’essuyaietpassaiunemainsur

mescheveux,lecœurbattant.Lacoupuresurmaclaviculemebrûlait;jetouchailaplaiesensible.Rhode,disaitmoncœur.Rhode.Maisilétaitdel’autrecôtéducampus,sansmoi.Jesortisdemonlitparcequejevoulaisletrouver,jevoulaissesyeuxbrûlantsdanslesmiens.Malheureusement,

ceque je voulais et cedont j’avaisbesoin étaientdevenusdeux choses radicalementdifférentes. Jem’arrêtai, unchemisier à la main. Malgré la chaleur et la proximité que j’avais ressenties avec Rhode dans ce rêve, il merejetterait si j’allais le surprendre dans sa chambre. Ce qu’il me fallait, c’était quelqu’un qui soit prêt à meréconforter.Quisoitprêtàaccepterquejeletouche.J’avaisbesoindeJustin.

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Chapitre13Desnuagesbleusombreetnoirss’amoncelaientdanslecielgris.Lesoleilnetarderaitpasàselever,dansune

heureauplus.Jesavaisquejen’étaispascenséemedéplacerseulesurlecampus.Ensortant,jesentismacoupurem’élancer,commepourmerappelerquej’avaistortd’enfreindrelerèglement.J’yportai lesdoigts: lesangséchéformaitunecroûteirrégulière.

Jevérifiaiqu’iln’yavaitpersonnesurlechemindelaplage,puisjetaiuncoupd’œilauparkingderrièremoi.Àcôtédelaguéritedugarde,iln’yavaitqu’unmonospace,garélelongdubâtimentHopper.Aprèsundernierregardcirculaire,jefilaienveillantàrestersurlebordduchemin,dansl’ombredesbâtimentsetdesarbres.

JesavaisqueJustinavaitchangédechambreàlarentréeenterminaleetqu’ilvivaitdésormaisaurez-de-chausséedubâtimentQuartz,faceauxboiset,au-delà,àl’océan.Leventchuchotaitdanslesarbres,secouantleursfeuillesjaunies.Enarrivantauchemin,jefrissonnai:uninstant,j’avaisimaginéSuleenm’attendantsurlaplage.Maistoutétaitdésert.

Quandcomptait-ilsemanifester?Ilavaitlaisséunvampireassoifféquasimentmetuer…Pourtant,ilm’avaitditqu’ilviendraitaumomentoùj’auraisleplusbesoindelui.Pourquoipasmaintenant,parexemple?

Unevoiturepassa surMainStreet.Unebourrasquedebrisemarine soulevames cheveux.Non.Cen’était paspossible.Personnenem’observaitencemoment.Avaetsoncercledevaientêtreoccupésàpréparermonfauxrituel.

Cours,Lenah…Jenevoulaispasregarderderrièremoi,endirectiondeSeekerHall.Ets’ilyavaitunmembredesoncercledans

cesombres?Quelqu’unqu’elleauraitchargédem’épier?Jem’exhortaiàmarcherplusvite.S’ilyavaitquelqu’underrièremoi, ilallaitm’attraperpar lesépaules.Allez,unpeuplusvite. Jecommençaisàavoirdumalàrespirer.J’arrivaisàproximitédufoyer.

Plusvite,Lenah,ilspeuventtetomberdessusàtoutmoment.Jecontournailaserre,lebâtimentdessciences,etc’estseulementalorsquej’osaimeretournerverslechemin.Si

unsurveillantm’attrapait,jeperdraisledroitdesortir;or,ilmefallaitleplusdelibertépossible,vulasituationavecAva.

Jepartisencourantvers lebâtimentQuartz, fis letouretmeplaquaicontre lemur.Danslesbois,unelumièrejaunetombaitenlongsrayonssurl’écorcedesarbres.Lesfenêtresdurez-de-chaussées’alignaientsurlebâtiment.

LachambredeJustin.Laquelleétait-ce?Oui.Voilà.Touteslesfenêtresétaientidentiques,maissesrideauxàluiétaientouverts.Parlavitre,onvoyaitdumatérieldesportendésordre.Unpiedpendaitauboutdulit.

Jefrappaideuxfoisaucarreau,toutenrestantsurlecôtédelafenêtrepournepasl’effrayer.Àl’intérieur,ilyeutunmouvementetunfaiblegrognement.Jecognaiànouveau.

–BonDieu,c’estpasvrai!J’entendisquelquespas.Lafenêtres’ouvritavecunpetitgrincement.Jem’avançaialors.Justinétaitébourifféet

ensommeillé.Ilétaittorsenu,enbasdesurvêtement.Mêmeàcetteheurematinale,ilétaitmignonàtomber.Absolumentàtomber.–Euh…,fis-jeenreculantd’unpasdansl’herbe.Ilsepenchaparlafenêtre.–Lenah?Qu’est-cequetufaislà?medemanda-t-ild’unevoixtendre,heureuse.Dans la lumière de l’aube, je baissai le col demon tee-shirt pour luimontrer la longuebalafre qui courait au-

dessusdemaclavicule.–Oh,lavache!Entrevite.J’agrippailerebord,mehissaisurlafenêtre.Àcausedeceteffort,laplaiesemitàmelanceretjefaillisretomber

dehors.Justinm’attrapaàtempsetmetiraàl’intérieur.–Assieds-toi,assieds-toi,dit-ilenmeguidantjusqu’àsonlit.Des imagesdenoscorpsentremêléssoussesdraps, l’annéeprécédente,surgirentdansmatête. Il s’agenouilla

devantmoiuninstant,ettirasurletee-shirtpourexaminerlacoupuredeplusprès.–Aïe,souffla-t-il,çadoitfairemal.Tudevraisretirertontee-shirtetmelaissernettoyerça.–Montee-shirt?Ilseleva,sibienquemesyeuxseposèrentsursonventremusclé.Puisilsremontèrentverssontorse,etjevis,

danslalumièrematinale,lependentif.Undisqueargenté.Jeconnaissaiscesymbole.–Unerunedusavoir!dis-jeenmelevantàmontour.Jetouchailebijouduboutdesdoigts.–Ouais,j’aiachetéçal’autrejour.–Pourquoi?–Jel’aitrouvéenville.C’étaitcensém’aideràtoutdébrouiller.Quandletypeauturbanafaitsonbouclierd’eau,

là…Je…Jenesaispas.Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.–Moi?–Toi,lerituel,Rhode…Pourquoituesencoresipleinedevie…alors,quoiquetuaiesfaitaveccerituel,jeveux…

(Ilselevaetsedirigeaverslefonddelapièce.)Enfinbref, j’aiunetroussedepremierssecoursdansmonsacdecrosse.

Touchéeparsongeste,jen’insistaipas.Justinavaitvolontairementrecherchéunobjetcapabledeleconnecteràmonuniverssombreet inquiétant.J’eus lacertitude,alors,que j’avaisfait lebonchoixenvenant levoir. Il faisaittoutcequ’ilpouvaitpourmecomprendre.

Pendantqu’ilfarfouillaitdanslecoindelachambre,jeregardailesboisparlafenêtre.Danslapénombre,entrelesarbres,jemevissousmaformevampirique.M’approchantdudortoird’unpasinsouciant,engigantesquerobe

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écarlate,meslongscheveuxlâchéssurlesépaules.Mescrocsdégoulinantdesang.–Lenah,tontee-shirt!ditJustinens’agenouillantdevantmoi.Lorsquejeregardaiànouveauparlafenêtre,lefantômedemonpassén’étaitpluslà.–Ah,oui.Jesoulevailevêtement,exposantmonsoutien-gorge.Justintapotalaplaieavecunecompresse.Jefislagrimace.Il

soufflaalorssurmapeau,puiscontinua.–Tuveuxquej’arrête?medemanda-t-il.–Non,çapiqueunpeu,c’esttout.Nous demeurâmes un moment ainsi ; Justin se redressa sur son genou. Ses lèvres se rapprochèrent, se

rapprochèrent, et soudain elles furent sur les miennes. Mon cœur s’emballa : je ne voulais pas qu’il cesse dem’embrasser.Jevoulaisfairecommesijen’avaisjamaisétécemonstrequej’avaisvudanslesbois.Ilgrimpasurlelitetjem’étendis.Maisalorsquesoncorpscommençaitàpesersurlemien,ilsedégagea.Jeportailesdoigtsàmeslèvres,étonnée,puisdéglutis.

Notreélanpassionnés’étaitévanouiaussivitequ’ilétaitvenu.–Tacoupure,dit-il.C’estmoche.Laisse-moiessayerautrechose.Ilfouilladenouveaudanslesac.Jedescendisdulitetm’assisparterre,faceàlui.Ilouvritunautreflacon,etje

flairaiuneodeurquejeconnaissaisbien.Jeposailamainsursonpoignet,etilmemontralabouteille.–C’estmamèrequifaitça,dit-il.Jeluiprisleflacondesmainspourmieuxlerenifler.–C’est…delalavandeetdel’aloevera.UnmélangequiremonteauMoyenÂge.–Alorsçadoitêtreefficace.Il se remit à tamponnermaplaie. Je vis deminuscules écailles de sang séché sur la compresse, qu’il jeta à la

corbeille.–Quandonétaitpetits,mesfranginsetmoi,ons’écorchaittoutletemps.Mamannouspréparaitceremède.J’en

aiemportéaulycée,pourlesblessuresdesport.Ensuite,ilplongeadeuxdoigtsdansunonguenthuileuxetlespassasurmabalafre.–Unantibactérien.Pourqueçanes’infectepas.Quelquesminutesplustard,ilavaitposéunpansementsurmablessure.–Jenevaispastedemandercommenttut’esfaitça,dit-ilenmeportantsurlelitavantdem’yrejoindre.–Tulesaisdéjà.Tul’asvuetuerKatesurlaplage.Etjen’aipasputeledirependantlaréunionaufoyer,mais

c’estelleaussiquiatuéMrsTate.Laquellem’avaitparlépeuavant,derrièrelebâtimentCurie.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjelesrefoulaid’unbattementdepaupières.Mavoixsebrisa.–Ellet’aprobablementvuavecmoi,cequifaitdetoiunecible,etje…–Ellenemefaitpaspeur,déclaraJustin.Vraimentpas.Siellemecherche,ellemetrouvera.–Ilfallaitquejetevoie.Jesavaisquetucomprendrais.Ilm’attiracontreluietjeposailajouesursapoitrine.Dehors,uncraquementdetonnerreéclata,cequinousfitsursautertouslesdeux.Ilsedépêchad’allerfermerla

fenêtre.–Queveut-elle,aujuste?Ellet’observedepuistoutcetemps?Jeferaisbienderesterprèsdetoienpermanence,

aucasoùellereviendrait…Justincontinuadeparler,maispourmapartjefermailesyeux.J’auraisvoululuidécrirel’impressionétrangeque

j’avaisressentieendiscutantavecMrsTate,maisjedevaisêtreépuisée.Jemesouviensjustedesachaleur.Ilmetenaitcontrelui,etlorsquejerouvrislesyeuxunpeuplustard,j’avaislenezdanssoncou.Sonsouffleétaitlentetrégulier.Jel’écoutairespirerjusqu’àmetrouverauborddusommeil.Etlà,jerêvai…

Unchampdelavandeauparfummerveilleux,fraisetapaisant.Jetiensdansmesmainsl’étoffenoired’unegranderobe.Ledécorchange.Cecin’estpaslechampdelavande.Jesuisailleurs.Unemainmasculineaupoucemeurtris’accrocheaubordd’unlavabo.Elleserreplusfort,aupointquel’avant-brasentremble.Qu’estdevenulechampdelavande?

Lesmainstremblentets’élèvent,etdanslerefletdumiroirdelasalledebains,ellesencadrentunvisage–celuideRhode.

–Est-cequetul’aimes?demande-t-ilàlafaïence.C’estunesalledebainsdeWickham,jereconnaislescarrelagesbleusetblancsausol.–Tun’aspasbesoind’elle,ditRhodeenrelevantlesyeuxverssonreflet,puisenlesdétournantvivement.Danscetteconnexion, je ressenssondégoûtcommesi je levivaismoi-même. Jesens lemalheuret lahaine lui

déchirerleventreendeux.Cettehainen’estpasdirigéecontremoi,maiscontre…lui-même.Rhodelèvelamaindroite.Ilaretirélebandage,etdelonguesgriffuressontvisiblessursesphalanges.– Tu n’as pas besoin d’elle, répète-t-il, en insistant cette fois sur le mot « besoin ». Tu peux faire ce qu’ils te

demandent,ajoute-t-ilenscrutantsonreflet.Puis,baissantlesyeux,ilajoute:–Non,tunepeuxpas.Leursexigencessonttropextrêmes.Vifcomme la foudre, ildonneuncoupdepoingdans lemiroir,qui se fendillecommeunkaléidoscope.Dans le

refletéclaboussédesang,sesyeuxbleussontmouchetésdegouttelettesécarlates.–Jenepeuxpas,jenepeuxpas,jenepeuxpas,répèteRhode,encoreetencore.Jemeréveillaietm’assisensursaut,lesoufflecourt.Àcôtédemoi,pluspersonne.Ilyavaitdanslachambreun

placard ouvert, plein de casques de crosse et de chemises masculines, où j’aperçus aussi un ballon de footballaméricain.Ahoui,c’estvrai.J’étaissurlelitdeJustin.Sursatabledenuit,unpetitmot:Entraînementpartouslestemps,qu’ilpleuveouqu’ilvente!

Je me levai, enfilai mon tee-shirt et remis mes chaussures. Lorsque je me baissai pour nouer mes lacets, lepansementposéparJustintirasurmapeau.Jeletouchaiparréflexe.J’hésitaidevantlafenêtreetregardailapluietambourinersurl’herbeetsurlesarbres.CesrêvesdeRhodedevenaientsiréalistes…Danscelui-ci,ilyavaitmêmelescarrelagesdesalledebainsdeWickham!Jetournailapoignéedelafenêtreet,justeaumomentoùjeposaislesmainssurlerebord,laréalitémefrappacommeuncoupdepoingàl’estomac.Jereculaientitubant,carsoudainjesavais.C’étaitpeut-êtreparcequenousétionsdesâmessœurs,commel’avaientdit lesAeris,maisentoutcas, jen’avaisplusaucundoute.

Monrêven’enétaitpasun.C’étaitlaréalité.C’étaitbienunesalledebainsdeWickham,etc’étaitlevraiRhode,devant le lavabo. Ce n’étaient pas des souvenirs auxquels j’avais accès, mais ce qui se passait dans sa tête aumomentprésent. Jepassaiunemaindansmescheveuxet fixaiduregard lesgouttesdepluiequis’écrasaientsurl’appuidelafenêtre.Donc,nousétionsdesâmessœursquin’avaientplusledroitd’êtreensemble,maisj’avaisunaccèsprivilégiéàsespensées?Celameparaissait inutilementcruel.Et jenepouvais riencontre ladécisiondes

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Aeris:siprochesquenoussoyonsdansnoscœurs,nosviesdevaientresterséparées.Inutilementcruel,décidément,c’étaitlemot.Jegrimpaisurl’appuidelafenêtreetsortisdanslatempête.

Au fil de la journée, la pluie s’intensifia.Quelquesheuresplus tard, assise seule à l’unedes longues tablesduréfectoire,jedressaiencoreuneliste.

Souvenirsdupassé.PenséesprésentesdeRhode.Pourquoiest-cequejelesreçois,etdeplusenplusfréquemmentchaquejour?

Lapluiefouettaitlesgrandesbaiesvitrées.Devantmoi,unepartdetarteaucitronmeringuéegisaitintactesur

une assiette. J’étais en train de raturer une autre théorie à propos de Rhode et de notre connexion, lorsquequelqu’un appuya un parapluie trempé contrema table. Je posai doucementmon cahier, haussai les sourcils, etVickenmorditdansmapartdetartetoutenpoussantunjournalpliédevantmoi.C’étaitlejournalbritanniqueTheTimes.

HATHERSAGE,DERBYSHIREUNEDEMEUREHISTORIQUERAVAGÉEPARUNINCENDIE

Et là, sur la page : unephotodemon sublime château.Desdizainesd’hommeset de femmesgrouillant sur lagrandepelouse.Desdéménageursportantunlargebureau–celuidemachambre.Lesfenêtresdurez-de-chausséenoircies, défoncées. Des éclats de verre hérissant les châssis. Deux rideaux flottant à l’extérieur, comme pours’évader.

Vickenrepritunebouchéedetarte.–Oùas-tueuça?luidemandai-jeenposantlesdoigtssurlefinpapier.–Jet’avaisditquej’allaisfouinerunpeu.JereçoisleTimesdepuisquelquessemaines.Etj’aibeaurâleràpropos

decebahut,jesuisquandmêmealléàlabibliothèque.(Ilretournalejournalverslui.)«Le31août,lut-il,unterribleincendieadévorélademeurehistoriqued’Hathersage,quidataitdudébutduXVIIesiècle.Desmilliersd’objetsd’unerareté extrême ont pu être sauvés des flammes. Aucune victime n’est à déplorer, et l’on pense que le château –réputédanslarégionpourêtrehanté–étaitvidelorsquel’incendies’estdéclaré.Lefeuaconsumétoutlerez-de-chausséeetdétruitunetapisseriequiavaitappartenuàÉlisabethIre.»

–Plusexactementàsamère,AnneBoleyn.Jel’avaisfaitrestaurerplusieursfois.Maissij’avaislecœurserré,c’étaitpouruneautreraison.Lejournalisteavaitécritquelechâteauétaitvide.Ilne

l’étaitpasdutout.Ilétaitemplidemonhistoire,demonpassé,etpresquetoutcelaétaitpartienfumée.Vickenpoursuivitsalecture.– « Les historiens locaux ont identifié sur place des dagues précieuses, des herbes insolites et d’étranges

amulettes.Certainssontd’avisquelesobjetsprésentsdanslademeuresontdenatureocculte.Danslesétages,denombreusespiècesdemobilierontétéépargnées,telcelitàbaldaquinduXIXesiècle,ainsiqu’unportraitanonymedatantdelamêmeépoque.

L’expertDavidGuilmain,duGroupementderecherchesoccultesdeLondres,aététrèsimpressionnéparlasalled’armes.Ilyavaitlàdesétoilesninja,unegigantesquecollectiondepoignards,etlesépéesbâtardeslesplusraresqu’ilait jamaisvues.L’uned’ellesavaitunepoignéeenoshumain.Guilmainaégalementdécouvertdesélémentstout à fait étranges dans cette salle. Il s’est déclaré abasourdi par l’arsenal pharmaceutique ancien et par demystérieuxappareilsquiévoquaientdesinstrumentsdetorture.»

–C’enétait,commentai-je.Vickenpoursuivit.– « Il semble que la demeure soit restée dans la même famille depuis l’époque élisabéthaine. Les autorités

s’efforcent en ce moment de contacter les propriétaires actuels, dont l’identité n’a pas été révélée. Les objetsrécupérésserontcataloguéssouslasupervisionduBritishMuseum,quicoordonnelesopérationsencollaborationavecl’associationEnglishHeritage.»

Vickens’anima,toutsonvisages’illuminaetilsourit.–Tuasentenduça?LeBritishMuseum!Lejournalétaitdatédu31août.Nousétionsle5septembre.Le31août?RhodeétaitréapparuàWickhamle3septembre;ilpouvaitdonctrèsbiens’êtretrouvéàHathersage

aumomentdel’incendie.Jeremismeslivresdansmonsac,fourrailapagedujournaldansmapocheetmelevai.–Oùest-il?demandai-jeavecautorité.Vickenneréponditpas.–Où?hurlai-jeentapantduplatdelamainsurlatable.D’autresélèves,quirévisaienttoutenmangeant,m’observèrentavecdesyeuxronds.–Danssachambre,lâchaVickenavecunsoupir.Jejetaimonsacdelivressursesgenouxetregardailapluieparlafenêtre.Retroussantrageusementleslèvres,je

luidemandai:–Dequelcôtées-tu?Surquoijesortisencoupdeventsouslapluie.

Rhoden’étaitpasdanssachambre.Aprèsavoirtambourinéàsaporte,jeressortis;enquelquesminutes,montee-

shirt s’était fait tremper,etmon jeanpesait lourd surmescuisses. J’avais l’intentionde rentrerchezmoi lorsqueRhode, toutvêtudenoir, traversa l’alléeàquelquedistancedevantmoi. Ilgardait lementonpointévers lesoletportaitungrossacdesportsur l’épaule.Voilàquiétaitcurieux. Jem’écartaide l’alléepourcourirmedissimulerderrièreunestatuedufondateurdel’établissement,ThomasWickham.Rhodedisparutau-delàdelaserre.Oùallait-ilainsi?N’étions-nouspasconvenusqu’ilétaitdangereuxdesortirseul?

Jepartisencourant,m’arrêtaiderrièreungroschênequipoussaità côtéde la serre,puispoursuivis.Lorsquej’arrivaiauboutdel’édifice,Rhodeétaitdéjàentrédanslesbois.J’aperçusunbandageneufautourdesesdoigts.Lagazeblanchecontrastaitavecsachemiseetsonjeannoirs.Audébutdenotrehistoirecommune,ilm’avaitapprisàsuivrequelqu’unsansêtrevu,prédateursuivantsaproie.

Peut-êtresadestinationm’indiquerait-elleoùils’étaitcachépendanttoutel’année–cequ’ilnemediraitjamais,mêmesijeleluidemandaismillefois.Quoiqu’ilensoit,ilavaitsûrementuneraisonbienprécisedesortirdulycéesansprévenirVickennimoi–etcetteraison,jevoulaislaconnaître.

Jechassailapluiedemesyeux,etunepenséeagaçantemefithésiter:ilsaitbienqu’iln’estpascensésortirseul,

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etillefaitquandmême.Commeleprouvaitmabalafre,Avanecraignaitpaslalumièredujour.Enoutre,lesheuresmatinales étaient plus dangereuses que celles de l’après-midi ; quoi qu’il en soit, elle avait prouvé qu’elle étaitcapabledesupporterlesrayonsdusoleil.

Jefisencoreunpasetleregardailouvoyerentrelesarbres.Jeposaiunemaincontreleverretièdedelaserre.Rhode s’approchait dumur d’enceinte. S’il sautait par-dessus, il me faudrait faire demême pour savoir où il serendait.

Vas-y,Lenah.Vas-y!Jeveillaiàgardermesdistancesenlesuivant.Uneseulefois,iljetauncoupd’œilderrièrelui.Jebondism’abriter

derrièreunbouquetd’érablesetplaquaimondoscontrel’écorce.Jelesuivaisdetropprès,c’étaitimprudent.Allez,justequelquessecondes.Jepouvaisbienattendrequelquessecondes!D’impatience,jesautillaissurmesorteils.Ets’ilavaitdéjàfranchi lemur?Jecoulaiunregardau-delàdesarbres: ildisparaissaitdel’autrecôtédumurpourredescendredansMainStreet.

J’escaladaiaussitôtlemuret,lorsquemesbottestouchèrentletrottoir,demeuraidansl’ombredeRhode,commesicelle-cipouvaitmeprotégerdesonregardperçant.Ilmarchaittoujours,balançantlesacdesportàboutdebras.Ildépassaainsi labibliothèquepubliquedeLoversBay, l’herboristerie,puis lederniermagasindeMainStreet,ets’enfonçadanslequartierrésidentielquisetrouvaitau-delà.

Arrivédevantl’entréeducimetière,ilhésita.Jemetapisdansl’ombreenécoutantlapluietombersurletrottoir.J’attendis que Rhode ait franchi le portail. Il entrait dans le cimetière. Pourquoi ? Était-ce encore un indiceconcernantlaviequ’ilavaitmenéel’annéeprécédente?

Jelesuivisàdistance,justeassezloinpournepasleperdreentrelessépulturesdegranitetlesarbres.Ilsemblaittrouversoncheminsansdifficulté.Ilnes’arrêtaitpaspourconsulterunplan,unecarte.Iln’enavaitnulbesoin.Ilsavaitprécisémentoùilallait.

Jetrouvaidevantmoiunendroitoùm’arrêterdiscrètementafinderassemblermespensées:ungrandmausoléedepierregrisequis’élevaitaucentreducimetière.NonloindelàsetrouvaitlatombedeRhode,cellequej’avaisfait ériger à samémoire l’annéepassée, le croyantmort.Mais il passadevant sans s’arrêter. Jem’aplatis encoredavantagecontrelapierrefroidedumausolée.

IltournadanslarangéedetombesoùTonyétaitinhumé.Jen’étaispasalléeàsonenterrement:jen’auraispassupportédevoirlechagrindesesparents,connaissantma

partderesponsabilitédanssondécès.Maisjesavaisoùsesituaitsatombe.Évidemment.Lacuriositémeserrait l’estomac.«Allez,Lenah,rentreaulycée»,chuchotai-jepourmoi-même,mais ilm’était

impossibledefairedemi-tour.Mesbottesémirentdesbruitsdesuccionsurlesoldétrempétandisquejecouraissurl’herbe.Ilfallaitquejemerepliepouréviterqu’ilnem’entende.

Rhode se tenaitdosàmoi, la têtebaisséevers cequi était trèsprobablement la tombedeTony.Deux rangéesderrièrelui,jememisàgenouxetavançaiàquatrepattes.Laterremouilléesentaitl’herbefraîchementtondue.Jerestaiprochedusol,carjenevoyaispasd’autresolution.Sijemelevais,ilmeverraitforcémentducoindel’œil.

Jerampaidoncentrelestombes.Levantuninstantlatête,jelevisouvrirsonsacdesport.Ilensortitsonépée.Jeretinsmonsouffle.Cequ’ilfitensuiteétaitextrêmementcalculé.Dubouteffilédel’épée,iltraçauncercleautourdelasépulturedeTony,entaillantprofondémentlaterreboueuse.

Rhodeavaitpresqueterminédetraceruncerclecomplet.Àmaconnaissance,cen’étaitpasunsort.Illeval’épéehautenl’airetlaplongeadanslaterre.Imprégnéedemagie,imbibéedesesintentionspourjenesaisquelleraison,elle s’enfonça facilement dans le sol détrempé.Dans les ténèbres demon esprit, j’imaginai la lame traversant laterre,lapointebrisantlesmottesquiprotégeaientmonamietatteignantleboisdesoncercueil.

Rhode tomba à genoux et serra unemain sur la poignée de l’épée, puis posa l’autremain à plat sur la pierretombale.Lementonàlapoitrine, lesyeuxfermés, ilsemblaitplongédansuneméditationsilencieuse.Silencieuse,jusqu’aumomentoùilsemitàmurmurerrapidement.

–Honnisoitquimalypense,répétait-il,encoreetencore,commeunepsalmodie.C’était la devise de l’ordre de la Jarretière. Rhode accomplissait une cérémonie datant de l’époque où il était

chevalier. Jene l’avais jamaisvurien fairedetel. Jedemeurai immobile,commeparalysée, incapablededétachermesyeuxdecespectacle.

Rhodeserassitsursestalonsetportalesdeuxmainsàsonvisage.Pourquoi?PourquoilatombedeTony?Jen’ycomprenaisrien.J’avaisenviedelehéler,maisjesavaisbienqu’ilnevalaitmieuxpasl’interrompreenun

instantsisacré.Ilselaissaensuitetomberenavant,tendantunbrasdevantluipourserattraperausommetdelastèledepierre.

Le pansement qui entourait ses doigts était trempé de pluie.Mes yeux se fixèrent sur une tache rouge sang quitraversait lagaze.Commeelleétaitrouge,danscejourgris!Ilavaitfracassélemiroiravecsonpoing,commejel’avaisvuenrêve.

Maisattendez.Ilparlaitànouveau.Quedisait-il?Jeretinsmarespirationpourdistinguersesparoles.Etréprimaiuncriétouffé,cartoutcequej’entendis,toutcequitraversal’airjusqu’àmoi,moiquiétaiscouchée,lajouedansl’herbemouillée,futceci:

–Pardonne-moi.

Je ne pouvais pas assister à cela plus longtemps sans rien dire. C’était une trahison. Je me levai dans l’alléederrièreRhode.Ilfallaitquejefasseunbruit.Lemouvementdemoncorpsluisuffiraitd’ailleurspourdevinermaprésence.

Jemarchaivolontairementdansuneflaquepourqu’ilm’entende.Ilsortitl’épéedelaterre,lafittournoyerenl’airet la pointa droit surmoi. La férocité de son regardme frappa. Je vis ensuite qu’ilme reconnaissait, et il laissaretomberl’armelelongdesoncorps.

–Tuasétéàbonneécoleavecmoi,dit-il.–Bellejournéepourunevisiteaucimetière.Qu’est-cequetufaislà?– Jesuisvenuhonorerquelqu’un,merépondit-ilens’accroupissant,enveloppant l’épéedansunefeuilledecuir

avantdelaremettredanslesac.–Monami?Ilsemitenmarchepoursortirducimetière.Jelesuivis.Il avançait à grands pas dans les allées détrempées, retournant vers la zone moins boisée. Nous repassâmes

devantlemausolée.–Tudisaisquenousnedevionspassortirseuls,etpourtanttevoilà.J’essayaisdeleprovoquerpourqu’ilmeparle.Ils’arrêtapourmeregarder.–Jenesuispasdésarmé,lâcha-t-ild’untonsansappel.

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–Tupeuxm’expliquercela?demandai-jeensortantdemapoche lapagedu journal.C’estdans leTimes, bonsang!Lechâteaud’Hathersageabrûlé.Ilestremplid’historiens,maintenant!Toutestpartienfumée!

Leseulfaitdeledirem’envoyaunedéchargededouleurdanslecorps.Illançauncoupd’œilaujournalmaisneditrien.Jejetailepapierdétrempéparterre.–Çasuffit,lespetitsjeux.Explique-toi.C’estdatédu31août.–Pourquoifais-tucela?medemandaRhode.Lapluiecontinuaitd’alourdirl’airentrenous:jelevoyaisàpeine.–Tuasassistéàl’incendie?Ilposalesacparterreetlaissalapluienousmouillertouslesdeux.–Oui,répondit-ilenfin.J’aivulechâteaubrûler.Lechagrinmedéchiralecœur.–Commentas-tupulaisserfaire?Ilgardalesilence.C’étaitexaspérant.–Trèsbien,continuai-je.Donc,tunetecontentespasdementiràtoutlemondeavectonhistoired’accidentde

voiture.Tumemensaussi,àmoi.Jet’aidemandésituavaisétéàHathersage.Tunem’asjamaisrépondu.–Ilfaudraitquejeraconteàtoutlemondequej’aiététabassépresqueàmort?Queleseulmoyenquej’avaisde

m’ensortirétaitdemettrelefeu?–C’esttoiquiasmislefeu?répétai-je,horrifiée.Lapluietombaitsifortquelesgouttesfroidesmefaisaientmalaunezetauxjoues.Auboutd’unmoment,ilrepritlaparole.–Desvampiressontvenusànotrerecherche.Jedevaisincendierleslieuxpourlestueretbrûlertoutetracedema

survie.Alors,jel’aifait.Jepassailamaindansmescheveuxtrempés.Mesdoigtsseprirentdansleursnœudsimbibésd’eau.–Quit’aattaqué?Ava,n’est-cepas?Ilsebaissa,ramassalesacetsedirigeaànouveauverslasortie.–Quandlesvampiresm’ontvuetsesontrenducomptequej’étaismortel,ilss’ensontprisàmoi.Jenepouvais

quefuir.Rhode,monRhodequineconnaissaitpaslapeur,frissonnasouscettehorribleaverse.–Jenepensaispasm’ensortir.–Tuauraispumourir,dis-je.–Qu’est-cequeçapeuttefaire?Tum’ascrumortpendanttouteuneannée.–Ettucroisquejepourraissurvivreànouveauàça?Quejenem’inquiètepaspourtoichaquejour?Àchaque

minute?(Ilmefallutplusieursessais,maisjefinispartrouverlesmots.)Dis-moi.M’observais-tu,l’annéepassée?Savais-tucequejefaisais?

Ilbaissalementonverssapoitrine.Ilparutréfléchiruninstant.–Oui,jetevoyais.AprèslamortdetonamiTony,jen’aipaspuveniràtoi.Surlemoment,celasemblaitstérile.Uneexplosiondesoulagementserépanditenmoi.Enfin,quelquechose.–Maistusavaisquelecercleétaitàmestrousses.Ettun’asrienfait?Sesyeuxétaientrivéssurmoncou.Ilnemeréponditpas.–Rhode?Ilfitunpasversmoietlevalamain.Allait-ilmetoucher?Moncœurfitunbond.Maisnon.Ilsaisitlecoldemon

tee-shirtmouilléetfroidentrelepouceetl’indexetledescenditunpeupourexposermapeau.Lepansementavaitglissé avec la pluie, découvrant la plaie. Il l’examina quelques instants puis lâcha le tissu, tout en évitantsoigneusementdemetoucher.

– Il y a eu unmoment, le jour où nous avons découvert que j’avais une sœur, où tu as juré que nous serionsensembleàjamais,chuchotai-je.

Jefisunpasverslui.Jecomptaisprendresamaindanslamienne.Rhodebonditenarrièreetjevisdelapeur,unepeurauthentique,passerdanssesyeux.Jeretiraimamain,blesséeetgênéedecenouveaurejet.

–Jenepeuxpas!s’écria-t-ilavantdesefiger.Jenetequitteraijamais,Lenah,maisjenepeuxplust’aimer.Pasdecettemanière.

Sonregardétaitpleindepeine,commes’ilétaitenproieàunconflit.Auboutd’uninstantdesilenceuniquementbriséparletambourinementdelapluiesurl’herbe,ilajouta:–Notresituationestdudomainedel’absolu.Iln’yapasdedemi-mesure.Notresituation.–Notrechâteau.Nosportraits.Notrebibliothèque,m’enhardis-jeàrépondre.Toutcelan’estplus.C’estcommesi

oneffaçaitnotrehistoire.Ettouscesbeauxlivres…Jeportailamainàmoncœur.L’eaudétrempaitmontee-shirtetmesdoigts.–C’estcequit’inquiète,leslivresquenousavonslaisséslà-bas?s’exclama-t-il,sesyeuxbleusperçantl’airgriset

brumeux. Tu devrais plutôt te soucier des squelettes de ceux que nous avons emmurés, ou des coupes de sangoubliées sur les tables. Ils vont analyser le contenu des vieilles coupes. Mais cela ne nous concerne plus. C’estterminé,Lenah.N’es-tupassoulagée?Contentedepouvoirlaissertoutceladerrièretoi?

Jem’écartaidelui.Toutesmespossessions.Touteslesvieillesphotographies,lesbijoux.Lesvastessallesoùnousprenionslaviesivolontiersétaientàprésentvides,enruine.

CequeleFeunousavaitditsurleterraindetiràl’arcmerevintenmémoire.«Lesvampiressontdesmorts.Desvagabondsnocturnes,deserrantssurnaturels.Nousnepouvonspasvoustenir

pourresponsablesdesassassinatscommisdanscemonde-là.»Rhodeavaitraison.J’étaisheureusequelesannéesdedestructionetdetristessesoientterminées.Etàcemoment-là…lapluieredoubladeviolence.Ellepilonnaitl’herbeetjeduslachasserdemesyeuxàdeux

mains.–Toutaétédétruit.Celan’aplusd’importance,reprit-il.Noussommeshumains,désormais.Ilramassaànouveaulesacetfitquelquespasverslasortie.–N’est-cepascequetuvoulais?demandai-je.–Pourtoi,si,merépondit-ilgentiment.MaismonmerveilleuxRhodemecachaitencorequelquechose.Jelevoyaisàlacourbedesondosetàsonregard

tournéverslesol.–SilesAerisnes’enétaientpasmêlées,serais-tuheureuxd’êtremortel?Oùquetusois?demandai-jeencore,

espérantquecelalepousseraitàmerévélercequ’ilavaitfaitl’anpassé.Ilseretournaversmoi,hautesilhouettenoiredanscettetempêtedepluie.–Jenesuispasréellementunmortel.Jesuisfaitdechairetdesang,maisjesuisautrechose.Coincé.

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–Qu’es-tu,alors?–Quelquechosed’oublié.D’archaïque.Bonàmettresouscléderrièreunevitrine.–Tunecroispasréellementàcequetudis,n’est-cepas?–Cequejecrois,c’estquej’airencontréunefillesouslapluie.Unejeunefillequiavaitperdulaboucled’oreille

desamère.Etjel’aituée.Maintenant,jemeretrouvedansuneépoqueàlaquellejeneconnaisrien.J’aivumourirdes rois bien plus puissants que n’importe quel homme vivant aujourd’hui. Et je suis encore là, dit-il, la bouchebrillantedepluie,sesyeuxbleusmetransperçantdanslagrisailledel’orage.

L’imaged’unepaired’anneauxanciensenorapparutdansmatête.Rhodesoutintmonregardentreles longueslignesdelapluie.Jelecomprenais;nousnouscomprenionstotalement.

–Lesbouclesd’oreillesdemamère,dis-je,étaientdanslechâteau.Ilréfléchitàsaréponse.–Ainsiquelesfantômesdetoutnotrepassé.Lapluies’abattaitsurlesacquiabritaitl’épée.Rhodemeregarda.–Toutcelaenvalait-illapeine?medemanda-t-ilenfrançais.Toutcelapourretrouverlesensdutoucher?Ilsedétournademoietsortitalorsducimetière.Iln’avaitpasbesoindemediredelesuivre:noussavionsl’un

commel’autrequenousnedevionspasresterseuls.Deretouraucampus, jem’arrêtaichezmoi.Rhodedisparutdans la fouledesélèves.En le regardantpartir, je

comprisenfinpourquoilechevalierduroiÉdouardIIIs’étaitrendusurlatombedemonmeilleurami,TonySasaki.Ilsesentaitresponsable.

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Chapitre14Plustarddanslajournée,jeressortisdeSeekerHall.Lesoleilperçaentrelesnuagesgris,etj’étaisencoreéblouie

lorsqueVickenmehéla.–Jemontaisjustementcheztoi!Ilmepritensuiteparlamain.–Allons-y!–Qu’est-cequetufais?luidemandai-jealorsquesapoignem’entraînaitdéjàdansl’allée.Qu’est-cequiteprend?–Ilnousfautunmaxdemonde.Onvaaufoyer,c’esttout.Ilyabeaucoupdegenslà-bas,engénéral.–Tuesdevenufou?–Là!Desmassesdemonde.Ildésignaitleterraindecrosse,derrièrelebâtimentHopper.Nous avions réussi à nousmêler à unebanded’élèves de première et de terminale qui assistaient à unmatch

d’entraînement. Lamoitié de l’équipe était enmaillot blanc, l’autre en bleu foncé. Vicken se fichait pasmal dumatch;ilm’entraînasurlecôtédesgradinsnoirsdemondeetmelâchalamain.

–Toi!Toi,là-bas!cria-t-il.Ilpointaledoigtsurunetoutepetiteélèvedetroisièmequiserraitunsacdecourscontresapoitrine.Elletrembla

devantsonindextendu.–Regarde-moi.Regarde-moidanslesyeux.(Ilattendituninstant.)Oh,etpuiszut!cracha-t-ilensuite.Jel’attrapaiparledosdesontee-shirt.–Maisarrête,enfin!LafillesedétournaetfilaàtouteallureverslebâtimentHopper.Touslesquelquespas,Vickenarrêtaitdesgens.–Toi!Oui,toi!Qu’est-cequetucrois?Reviensicitoutdesuite!Neparspasencourantquandjet’appelle!–Qu’est-cequetufais?luisoufflai-jeentremesdents.Tuesdevenucomplètementdingue.–Ahoui?J’aiperdumesfoutuesperceptionsextrasensorielles,voilàcequim’arrive.J’aipasséplusdecentans

avec,etd’uncoup,pouf!C’estparti.–Parti?répétai-jecommeunperroquet.Voilàquinejouaitpasennotrefaveur.–Parti.PlusdePES!brailla-t-ilenplaquantlesmainssursescuisses.–Maischut!fis-jeendésignantlesgradinsderrièrenous.Tracy etClaudia, assises tout enhaut, regardaient lematch.Claudiame fit signe et je lui souris. Je sentais le

regarddeTracyposésurmoi,mêmes’ilétaitcachéderrièreseslunettesnoires.–Oh,parcequetucroisquelesgenscomprennentdequoijeparle?(Iltenditlesbras.)PES!PES!cria-t-ilversle

ciel.D’unetape,jeluifisbaisserlesbras.Cefutcommes’ilavaitsoudainconscienced’oùilsetrouvait.Ilsetournaversleterraindesport.–Qu’est-cequec’estqueça?medemanda-t-ilavecundédainnondissimulé.–C’estunerencontresportive.–Merci,j’avaiscompris.Maisqu’est-cequ’ilsfabriquent?–Ças’appellelacrosse.Unsilence,puis:–Ehben,jenevaispasresterregardercesconneries.Ons’arrache.Alorsqu’ilsetournaitpourpartir,desacclamationséclatèrentautourdenousetj’entendisTracyetClaudiacrier

aveclesautres:–Jus-tin!Jus-tin!Sur le terrain, Justinarrachasoncasque, le jetaausolets’approchad’unautre joueur. Ilpointa ledoigtsur le

visagedutypeetbraillaquelquechosequejenecomprispas.Jeposai lamainsur lebrasdeVicken.Celui-cis’arrêtaetnousrestâmesaupieddesgradinspourassisteraux

événements.Vickenserapprochademoipourmeparlertoutbas.–Alorsparcequetueshumaine,tevoilàfandesport?–Non…JenepouvaispasdétachermesyeuxdeJustin.–Attends.Vickensoupira.–Çasuffit,Enos,c’estmondernieravertissement!crial’arbitre.Justinramassasoncasqueetrejoignitsescoéquipiers.Jem’assissur lesgradins.Vickensoupira,s’assitàcôtédemoietcroisasesbottesdemotol’unesur l’autre.Il

appuyasescoudessurlamarchederrièrelui.Sur le terrain, un des joueurs frappa de sa crosse celle de Justin, et la balle blanche s’envola dans les airs.

Lorsqu’ileutcomprisquiavaitlaballe,Justinabattitsacrossecontrecelledel’autre,sifortquecelui-cireculaentitubant.Justincontinuadefrapper,encoreetencore,jusqu’àcequel’arbitreseremetteàsiffler.

–C’estquoi,leproblème?aboyaJustinàl’arbitre.–Jenetelerediraipas,Enos.Encoreunefois,ettusors!Le sifflet résonna : lematch recommençait. Les joueurs se rassemblèrent et, immédiatement, Justin se remit à

frapperlacrossedesonadversaire,envoyantlaballeenl’air,quiretombadanssonfilet.

Page 75: Pour la traduction française

Justintraversaleterrainencourantàunetelleallurequepersonneneputlerattraper.Ilheurtalesautresjoueurssiviolemmentqu’ilsemblaitvouloirlesjeterausol.Lorsqu’undéfenseurdel’autrecampfitsauterlaballedesonfilet,ilarrachasoncasque,lejetaauloin,etenvoyaaujoueuruncoupdepoingenpleinestomac.

–Jenel’aijamaisvujouercommeça,dis-je.–Commequoi?–Commes’ilvoulaitsevenger,oujenesaisquoi.Autourdenous,lesacclamationsfusèrentànouveau.–Jus-tin!Jus-tin!Encoreuncoupdesifflet.L’arbitre désigna le bancde touche. Justin s’inclina face à la foule et sortit du terrain. Il passa alors devant le

défenseurquil’avaitprivédelaballeetseruasurluicommes’ilallaitlefrapper.L’autrerecula:Justinrenversalatêteenarrièreetéclataderire.Puisilselaissatombersurlebancets’ébrouapourchasserlasueurdesonvisage.Souslesacclamationsdelafoulequicontinuaient,ilsetournaverslesgradinsetposalesyeuxsurmoi.

Ilpassalalanguesurseslèvres,etl’étincellequiallumaitsonregardmerappelanotrepremièrerencontre.C’étaitjuste après que Rhode avait pratiqué le rituel pour moi, et j’étais humaine pour la première fois. Je l’avais vumarchantsur laplage,maindans lamainavecTracySutton,bienavantqu’ilne l’aitquittéepourmoi.Là, sur leterraindecrosse,ildétournalesyeuxdemoipourseconcentrerànouveausurlematch.

–Siquelqu’unaperdulaboule,c’estlui,pasmoi,observaVickenlorsquelematchfutterminé.Nousdescendionsdesgradinsaveclesautresélèves.–Salut,Vicken!lancèrentunepoignéedefilles,presqueparfaitementàl’unisson.Il leuradressaunsignedetête,sourcilsfroncés,lesmainsenfoncéesdanslespoches.Iln’avaitpasdetempsà

consacreràlabagatelleencemoment,apparemment.–J’aibeauavoirperdumesperceptions,jepeuxquandmêmetedirequecetypeaquelquechosequinetourne

pasrond.Justins’attardaitsurleterrain,entourédesescoéquipiersetaussidequelquesfilles,ycomprisAndrea,celleavec

qui il étaitmonté l’autre soir à l’observatoire. Laplupart étaient habilléespour l’automne, bien trop chaudementpourunesibellejournée.Enm’approchant,jeregardaileshortquejeportais.Mesjambesétaientlonguesetbientropblanches,comparéesaubronzageartificieldesfillesquientouraientJustin.Jem’arrêtai,etlaragemebrûlalesjoues. Je détestais cela. Cette gênemortelle. Si seulement… non. Jeme retins. Je ne voulais pas souhaiter cela.Jamaisjenem’autoriseraisàregrettermespouvoirsdevampire.

–Quoi?fitVicken.TuneveuxpasallerparleràMisterAgressif?Non, pas tant qu’il se comporterait ainsi. Ce matin encore, il avait été si tendre… Si ouvert, comme avant…

CouchéecontreluiàrêverdeRhode,j’auraispuêtrederetourl’annéeprécédente.Mêmesicen’étaitplustoutàfaitlamêmechose.Nousétionsensemblecommel’andernier,allongés l’uncontre l’autre,etRhode,commetoujours,m’étaitinaccessible.

Justincaptamonregardpar-dessus l’épauledequelqu’unetcontournadesélèvespourmerejoindre.Ils’arrêtaavantd’êtrearrivéàmoi,lesyeuxfixéssurVicken.

Royrejoignitalorssonfrèreet,luiaussi,dévisageamonami,lespaupièresplissées.Bientôt,deuxautresjoueursde crosse, couverts de protections rembourrées, vinrent se placer à sa droite et à sa gauche. Vicken glissa unecigaretteentreseslèvres.LesintentionsdeJustinnesemblaientpascordiales.

–Est-cequejet’aiditqu’ilm’afaitunœilaubeurrenoir?plaisantaVicken.Ilclignadel’œildemanièreexagérée,pourmettreenrelieflalégèreombrejaunequiledécoraitencore.Puisil

tournalestalonsetpartitàtraverslecampusaveclesautresélèves,laissantderrièreluiunetraînéedefuméedecigarette.

Justinseséparadugroupepoursedirigerversmoi.Jel’attendis,parcourued’ungrandfrisson.J’inspirai un petit coup, déglutis et regardai par terre.Onm’épiait encore. J’en étais sûre.Cette sensationme

pétrifiait. Où étaient-ils ? Je tournai imperceptiblement la tête à droite, guidée par l’impression désagréable quirampaitsurtoutemapeau.Ava.C’étaitsûrementelle.Jecontinuaidetournerjusqu’àmeretrouverfaceàlapelousequimeséparaitdubâtimentQuartz.

Lesélèvessedirigeaientparpetitsgroupesverslefoyeroulabibliothèque.Ilspassaientdevantlesvigilesetleséquipesd’entretienquiinstallaientdestéléphonesd’urgencejaunefluoàtouslescarrefoursoupresque.MonregardfutattiréparuneombrequisetenaitaupieddeQuartz,etmonsoufflerestacoincédansmapoitrine.

Rhode était là, qui m’observait. J’aimerais ces yeux bleus à jamais. Leur regard, lorsque je m’étais éveilléehumaine,unanplustôt!J’avaisenvied’allerlerejoindre,deresteraveclui.Etjesavais,commetouslesvampires,quesil’onestobservé,c’estqu’onestdésiré.

–Lenah,ditunevoixderrièremoi.Jesursautaietmeretournai.Justinétaitdésormaisseuldevantmoi,etépongeaitsonfrontensueur.Lescontours

ciselésdesesbicepsattirèrentmonregard.–Pardon,souffla-t-il.Jenevoulaispastefairepeur.–Tunem’aspasfaitpeur,mentis-je.Ilmesouritànouveau.–Tuestrèsbelle.Jetel’aidéjàdit?Jenesusquerépondreàcela.–Oh.Ehbien…non,fis-je,lesjouessoudainenfeu.Unfrémissementdejoiemepassaaucreuxduventre.JejetaiunnouveauregardversQuartzetl’ombreprojetée

parlebâtiment,maisRhoden’étaitpluslà.Jemesurprisàconstaterquej’étaisheureused’êtreseuleavecJustin.–C’était…intéressant,cematch,dis-jeenleregardantdanslesyeux,sanstropsavoircequej’allaisbienpouvoir

ajouter.–Çat’aplu?Jetressaillis:jenecomprenaispasoùilvoulaitenvenir.–Quoidonc?Ilbombaletorseetpassalalanguesurseslèvres,puism’adressaunsouriregoguenard.–Lenah,allez.Jeteplais.Ils’approchademoi,siprèsquejeperçussursapeauuneodeurdecrèmesolaireetdesueur.Oui,ilmeplaisait.

Jene faisaispassemblant.Sesmanièresétaientsi typiquesduXXIe siècle !Mêmesonpetit coupde têtepour sedébarrasserdelasueurquiroulaitsursapeauétaitungestetotalementétrangeràRhode.Lesmessieursdutempspassés’épongeaientlefrontavecunmouchoir.LesmouvementsdeJustinétaientvifs,rapides.Nousnoustrouvionsdans un monde de messageries instantanées, de communications et d’interactions immédiates. Les gens

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s’adressaientlesunsauxautressanschichis,enemployantdesformulesabrégées.J’étaispeut-êtrenéeàl’époquemédiévale,maisj’étaisrevenueàlavieauXXIesiècle.C’étaitmonunivers,àprésent.LemondedeJustin.

–Tusaiscequej’éprouvepourtoi,medit-ild’unevoixdouceavantquej’aieeuletempsderéfléchir.Safaçondeparlermedonnaitlefrisson.Deminusculesgouttelettesdesueurperlaientsursalèvresupérieure.À

mesyeux, il brillait, et brillerait toujours. Il dégageait une force vitaleque j’avais adoréedès ledébutdemaviehumaine,etmêmeàprésentj’avaistoujoursenvied’ygoûter.

Ilchassaencorelasueurdesesyeuxetlevalamainpourpasserlégèrementlesdoigtssurmacoupure.Cequimefittrembler.

–Tonpansementesttombé,constata-t-il.Unevivechaleurenvahitmesjoues.–Ilfaudrapeut-êtrequetulerefasses.–Jeleferai.(Ilfitencoreunpasversmoi,soudainsérieux.)Tuasrevulablonde?Jefisnondelatête.–Enos!criaquelqu’underrièrenous.Justinserecula, laissanttombersamain.Làoù ilm’avait touchée, lachaleurdesesdoigtscéda laplaceàune

sensationdefraîcheur.Soudain,ilcessadereculeretmefitsigneenbrandissantsoncasque.–Eh,j’allaisoublier!melança-t-il.Bonanniversaire!Mabouches’ouvrittouteseule.Onétaitvraimentle6septembre?–Maisoui,biensûr!C’estaujourd’hui,n’est-cepas?–Tuavaisoubliétonanniversaire?s’étonna-t-il.C’estque,vois-tu,monâmesœurdepuissixcentsanshabite ici,au lycée,mais jenepeuxpasresteraveccet

hommeparcequ’uneforcesurnaturellenousaordonnédenousséparer.Tuesmagnifiqueàtoutpointdevue,surlefondcommesurlaforme,maisj’aisansdoutegâchétoutesmeschancesavectoi.Monmeilleurami,Tony,estmortetc’estmonautreami,Vicken,quil’atué.Maisrassurons-nous:cen’estplusunfoudangereux.

–J’aieubeaucoupdechosesentête,cesdernierstemps.–Bon,jedonneunefêtecesoir,dit-ilenjetantuncoupd’œilàsespotes.Aucampingdelaville.Jevoulaistele

direplustôt,maisjenet’aipastrouvée.Lemomentpassédanslasalled’écoutemerevintenmémoire.Sesbrasdansmondosetsurmesépaulespendant

quenousdansions.–Cesourire,çaveutdirequetuviendras?Jesouriaisdonc?Celamesemblaitimpossible,aprèstoutcequis’étaitpassédepuisdeuxjours.–Bien.Onseretrouveàseptheures.Emplacement404.CampingdeLoversBay.TupeuxamenerVicken,tusais,

surtoutqu’il fautsedéplacerdeuxpardeux.C’estàenviron troiskilomètresensuivantMainStreet. Ilyauradumonde,ajouta-t-ilavantquejepuissedirenon.Ilfautêtreaumoinsdixpourréserverlà-bas.

Unefoisqu’ileutditcela,unepartiedemoi,lapartiefutile,n’eutplusaucuneenviederefuser,mêmesijesavaisàquelpointl’idéeétaitmauvaise.Justinramassasonsacdesport,etlorsqu’illepassasursonépaule,sonpendentifaccrochaunrayondesoleil.

Ilsedétournapourrejoindresonéquipeetlegymnase.J’allaism’enallerlorsqu’ilmedécochaunderniersourire,éblouissant.

Ilm’avaittoujoursainsi.Lorsqu’ilentraitdansunepièce,ilfaisaitaussitôtlaconquêtedetoutlemonde.Chacunvoulaitvoir lespetitesridesquisecreusaientautourdesabouchequandilsouriait.Sescheveuxblondcendréenbataille.C’étaitplusfortquemoi,j’avaisenvied’yaller.J’avaisenvied’êtreheureuse,nefût-cequeletempsd’unesoirée.

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Chapitre15Tantquelasécuritéétaitassuréesurlecampus,MrsWilliamssefichaitdecequipouvaitsepasseràl’extérieur.

Cepoint,enparticulier,mettaitsanscesseVickenenrage,luiquipensaitquel’extérieurn’étaitabsolumentpassûr.Quoiqu’ilenfût,jetrouvaisqu’ilvalaitmieuxalleràlafête.Ouplutôt,j’avaisenvied’yaller.Dumomentquenoussortionsengroupe,celanedevraitpasêtredangereux.Avanes’étaitpasmanifestée.Lefauxritueldevaitencorelateniroccupée,etjedoutaisqu’ellefîtuneapparitionparmitantdemonde.JedevinaiscependantqueRhodeauraitétéfurieuxs’ilavaitsuquej’avaisdécidédesortirsanssasupervision.Ce soir-là, jeme regardai dans la glace accrochée à côté demonbureau.Mes yeux semblaient d’un bleu plus

sombrequed’ordinaire,commesi j’étais incapabledemasquermonanxiété.Je lissaiquelquesmèchesfolles,puistournailesyeuxverslaphotodeRhodeetmoiquiétaitposéesurlebureau.ElleavaitretrouvésaplaceaprèsqueTonyl’avaitvoléel’annéepasséepourtenterdedécouvrirmonhistoire.Danslaglace,jevisaussilefourreauquiprotégeaitl’épéedeRhodedepuisdeuxcentsans.Ilétaitvide,commeje

m’yattendais.Parterre,jevérifiaiquelesherbesdemonsortétaienttoujourslà,commejelefaisaischaquejour.Lorsqu’unsort

debarrageentreenaction,lesherbess’enflammentetnelaissentdel’intrusqu’untasdecendres.Tantqueceuxquientraientdanslapièceétaientlesbienvenus,ellesresteraientinertesetinoffensives.Jemeretournaiversmonrefletetcommençaiàmettreunepairedepetitesbouclesd’oreillesenorque j’avais

achetéesaudébutduXXesiècle.Ellesétaientdansmoncoffretàbijoux,presqueoubliées,maisàprésentquecellesdemamèreétaientperdues,qu’ellesavaientdisparudansl’incendied’Hathersage,j’avaisdécidédeportercelles-ci.J’enenfonçaiunedansmonlobe.Uneviolenteodeurdepommesexplosalittéralementdanslapièce.Jeplaquailesdeuxmainscontrelemuretmelaissaitomberenavant,toutmoncorpsengloutiparcettepuanteur.

Jemepris le ventre à deuxmains, car il était en proie à des spasmes de nausée.Une fausse odeur de pommes.Commentpouvait-onpartird’unparfumsidélicieuxetlerendresiatroce?Siécœurant?Saforcemefittomberàgenoux,etlesbouclesd’oreillesroulèrentsurleparquet.Justeaumomentoùmesmainsfrappaientlesol…«Ilfautl’isolerpourquepersonnenelaretrouve.»C’estlavoixdeSuleenquej’entendsenpremier.JesuisànouveaudanslatêtedeRhode.Suleen et Rhode se tiennent tous les deux à côté d’une tombe, dans le cimetière qui jouxte mon château, à

Hathersage.Quatreoucinqstèlessontdresséesensemblesurunpetitterrainentouréd’uneclôtureenferforgé.Voicimapierretombale.Pasd’épitaphe,pasdenom.UnsimpleLgravédanslapierre.Rhodem’a inhumée en 1910 etm’a déterrée cent ans plus tard pour accomplir le rituel quime rendraitmon

humanité.Étantdonnésonapparence,ils’agitlàduRhodemoderne,celuiquej’aivulorsquejemesuisréveilléeaulycéeWickham.Ilm’adéterréeensecret,sansquemoncercleensoitinformé,sansqueVickenensoitinformé.Jereconnaisaussil’apparencecontemporainedeSuleen.Ilestvêtudeblancetportesonturbantraditionnel.–Es-tusûrdecequetuvasfaire,Rhode?Cedernieropinedelatête,maisl’expressiondeSuleendemeuresombre.Rhodepivotesurlui-même,seregarde

danslavitred’unemaison.Danscesouvenir,lesyeuxdemarbredeRhodesontplusfroidsqueceuxdesapersonnehumaine.C’estdifficileàcroire,maisjemesuishabituéeàsonvisagedemortel.–Ceseraplusfacileainsi.Jenefaispasconfianceàsoncercle.As-turemarquéàquelpointilssontpuissants?

Vicken,Heath,Song,Gavin.Elle lesa choisisunparunpour leur forceet leur intelligence. Il fautprocéder tantqu’ilsnesontpaslà.–Cen’estpascequejevoulaisdire.Cerituel?Tesacrifier?demandeSuleen.Lesoleilestpresquecouché.Au-dessus,lapleineluneillumineleciel.–Tamortnem’apporteraaucuneconsolation,Rhode.–CerituelestleseulmoyendesauverlaviedeLenah.LesÉvidéslaprotégeront.Ilsveillerontàcequ’ilnelui

arriveaucunmalaprèsmondépart.–LesÉvidésnetiendrontleurpromessequesitumeurs.Nulnepeutprévoircequisepasserasitusurvis.Onne

peutpassefieràeux,Rhode.Rhodecontemplelescollines,saupoudréesd’orparlecouchant.–Etsonâme?demande-t-ilàSuleen.–Quoi,sonâme?–Commentsavoir? (Il regarderapidementSuleen,puissereplongedans lacontemplationdesprés.)Comment

savoirsisonâmen’estpasendommagée?Si,entantqu’humaine,ellenesuccomberapasdenouveauàsasoifdepouvoir?Mêmemoi…(Ilsetaituninstant,commepourchoisirsesmots.)Elleatuéuneenfant,Suleen.–Douterais-tudetonpardon?C’estpourtantlaclédusacrifice.–Jedoutedesonincarnationhumaine.Peut-elleencoreaimer,alorsqu’elleaétécapabled’untelcrime?– Je ne peux pas répondre à cela pour toi. (Suleen regarde le ciel.) Si tu veux l’exhumer, tu dois le faire

maintenant.–Dis-moi, Suleen.Une personne qui a fait tant demal peut-elle vraiment revenir ? Ses horreurs ont surpassé

cellesdetouslesvampiresquej’aiconnus.–Toutdesuite,Rhode!Tudoiscommenceravantquelesoleilnesoitentièrementcouché.–Etsijen’arrivejamaisàluipardonner?Lavéritése fait jour,enfin. Ilnem’apaspardonnéd’avoir tuéuneenfant.D’avoirsombrédans la folie lorsque

j’étaisvampire.

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–Toutdesuite!crieSuleen.Alors,Rhodesoulèveunepelleetl’enfoncedanslaterre.

–Arrêtez-le!Arrêtez-le!hurlai-je.Quelqu’unmetenaitparlesépaulesetmesecouaitpourmeréveiller.Leboisduplancherétaitfraissousmondos,

etjebattisdespaupières.–Lenah!Eh,Lenah!C’étaitVickenquiprononçaitmonprénom.Ilétaitpenchésurmoi,etsescheveuxfousluiretombaientdansles

yeux.Ilhaussalessourcils.–Tut’esendormieparterre.Alorsquetuasuncanapé,unfauteuilmoelleuxetunlit,maisbon!Cen’estpasmoi

quicritiqueraitespetiteshabitudes.Jem’assis,déglutisetpassailamaindansmescheveux.Jerestaiainsiuninstant,àregarderfixementlabasede

monbureau.J’observaissespiedsdeboissculptés,lafinessedesmotifs.Vickenvints’asseoiràcôtédemoi.–Dois-jeendéduirequec’estuneurgence?Faut-ilquej’appellequelqu’unpourt’aider?Jemeconcentraisurleparquetetsesligneshorizontales.–Je…Jenesaispas.Cen’étaitpasqueRhodenepouvaitplusm’aimer,commeilmel’avaitditdanslesboisaprèslavisitesurlatombe

deTony.C’étaitqu’àunmomentilnel’avaitplusvoulu.Parcequejeneleméritaispas.C’étaitpeut-êtrepourcelaqu’iln’étaitpasrevenul’anpassé.Ilnevoulaitpasrevenirversunepersonnesanscœurcommemoi.–QuisontlesÉvidés?demandai-je.Vickenplissalefront.–LesÉvidés?Jamaisentenduparler.–Aide-moiàmelever.Jeluitendisunemain.Sesdoigtstièdessaisirentlesmiensetmetirèrentverslehaut.Jem’approchaidumuret

m’yadossai.Vickenm’observait,lesbrascroisés.LesouvenirdeRhodetournoyaitdansmatête.–JevoisdanslespenséesdeRhode,annonçai-jedebutenblanc.(Vicken,intrigué,plissalespaupières.)Jevois

sespensées,parfoissessouvenirs.Ilcherchasescigarettesdanssapocheetenallumaune.–Commentça?Lespensées…Jemelaissaiànouveauglisserausoletpassailesbrasautourdemesgenoux.– Je le vois dansma tête, mais c’est comme si j’étais dans la sienne. Je l’ai vérifié. J’ai rêvé que je le voyais

fracasserunmiroirdesonpoing.Etpeuaprès,quandjel’aivuenpersonne,ilavaitunpansementtoutfraisautourdelamain.–Etpourquoipouvait-ilbiencognercontreunmiroir?–Ilnesupportaitpasdesevoirdedans.Vickensecoualatête.–Bizarre.Jesoufflailonguementenregardantparlaporte-fenêtre.Dehors,toutétaitnoir.Laluneéclairaitlégèrementlesol

dubalconetmescendresdevampirescintillaienttoujours.C’étaitbondedirelavéritéàquelqu’un.–Pourquoipuis-je liredanssespenséesmaintenant? Jesuiscomplètementmortelle. Jen’aiplusniPESnivue

vampirique.Etcelanem’estjamaisarrivédetoutemonexistencedevampire,quandj’étaisavecluiavant…avantqu’ilneparte,avantqueje…(J’avaisdumalàtrouverlesmots.)Avantl’époqueoùjet’airencontré.Vickenréfléchituninstant,puisrelevabrusquementlatête.–TuterappellescettehistoirequeRhoderacontait?Celleduvampirequiaimaitunehumaine?Çasepassait

pendantl’épidémie…La…–L’AnamCara?JemesouvenaisdeRhoderacontantcettehistoireaucoindufeu.J’avaisoubliél’expressionjusqu’àmaintenant.–Oui.Levampireétaitplusprochedecettemortellequedequiconque.Àtelpointqu’ilpercevaitsespensées,et

passeulementsesintentions.Illuicachaitsanaturedevampire,etlorsqu’elleaattrapélapeste…–Ill’alaisséemourir.Jemesouvenaisdel’histoire,àprésent.–Oui!Vicken s’approcha de la malle qui était poussée contre le mur, sousmes chandeliers de fer forgé. Il fouilla à

l’intérieur.–Trèsinhabituelpourunvampire,nousquisommessifondamentalementégoïstes,dit-il.Lafuméedesacigarettes’élevaitetrestaitsuspendueau-dessusdesatête.Ilsortitundemesgrimoires.LeLivre

delamagieceltique.–Illuiauraitétéfaciledelaguérir,enfaisantd’elleunvampireàjamais.Maisillalaissamourir,commelevoulait

lanature.Unemortdésagréable,maiselleétaitmaladeets’éteignitcommelefontleshumains.J’aimaisbeaucoupcettehistoireetjem’ensouvenaisbien.EllemerappelaitmessentimentspourRhode.Saufque

luinem’avaitpaslaisséepartir…Vickenouvritlelivredemagieceltique.–Voilà,c’est là.AnamCara.Uneâmechère, un esprit ami. Lorsqu’on trouve sonAnamCara, la connexion est

indéniable. Indestructible. C’est un lien de lumière blanche qui relie deux âmes à travers le temps et l’espace.CertainspensentquelesAnamCarapartagentunespritunique.Unespritremontantàunpassécommunsirichequelespenséespeuventêtrepartagées.Ilrelevalesyeuxversmoietpritunedernièreboufféedesacigarette,quiétaitpresqueentièrementconsumée.–Donc,lesâmessœurspartagentleurspensées?Et là, celame frappadenouveau : lavoixdeRhodesedemandants’ilpourraitmepardonnerd’avoir tuécette

enfantet formécecercle.Ladéceptionmesubmergeaune foisdeplus. Je ramassaimesbouclesd’oreillesetmelevai, faceàmon reflet. Je lissai ànouveaumescheveux,dérangésparmachute.Àquoi servaitdepartagernospenséessiRhodenepouvaitplusm’aimer?Simonâmeétaitcorrompue?–Alorsc’esttout?selamentaVicken.Tuignoresmonéclairdegénieetturecommencesàtepréparerpourta

soirée,commesiderienn’était?Ilreposalegrimoiredanslamalle,dontilrefermalecouverclepours’asseoirdessus.«Etsijeneluipardonnejamais?»Jemislesbouclesd’oreillesetm’étudiaidanslaglace.Mescheveuxmetombaientdansledospar-dessusl’étoffe

légèredutopmandarinequej’avaisachetéaucentrecommercial.J’auraisvouluquelesbouclessoientcellesdemamère,lesanneauxperdusdansl’incendie.Malheureusement,cen’étaitpaspossible.Jevismesnarinespalpiteretmesmâchoiresseserrer.

Page 80: Pour la traduction française

–AnamCara,dis-jeàvoixhaute,commepourfaireroulerl’expressionsurmalangue.Vickenappuyalesmainssursescuissesetseleva.–Bien!Jesupposequetuveuxquandmêmealleràcettefête,malgrécesinterférencesentrevosesprits.–Unpeu,quej’yvais!–Bon.Illaissatomberdeuxpoignardsdanssesbottes,undanschaque.Ilenglissaensuiteunautredansunesanglede

cuircachéesoussamanchedechemise.–Onseprépare?fis-je.–Tavieaétémenacéepardeuxfoisettuveuxencorelarisquer?Écoute,j’aiuneidée.Situtiensvraimentàfaire

lafêteautourd’unfeudecamp,j’enallumeunsurtonbalconetjetechanteJoyeuxanniversaire!–Jesaisquec’estbizarredevouloirs’amuserdansunmomentpareil.–Non,cen’estpasbizarre,c’estcarrémentridicule.Maisjenevaispastelaisseryallerseule.Jet’enchaînerais

aumursicen’étaitpasinterditparlerèglementdulycée.J’ouvrislaporte.Ilmesuivit.–Tun’espasobligédeparticiperàlafête,dis-je,toutensachantquebiensûr,illeferait.–Ça,c’estsûr.Aveccettebandededébiles?Lesconnaissant,ilsvontseperdreetilfaudraallerleschercherdans

lesbois–çavaêtremortel.–Alorsoùseras-tu?– Jepatrouillerai sur tout lepérimètre.Histoired’être sûrqu’aucun individuauxdents longuesn’entredans le

camping.–Ilyaurabientropdegenspourçaautourdemoi.Tunecroispasqu’ilssontinoffensifsquandilssontinférieurs

ennombre?Moi,jen’auraispasattaquédanscescirconstances.–Peut-être…,concédaVickenendescendantl’escalierderrièremoi.–Etpuis,c’estmonanniversaire!Tuterendscompte?Çaveutdirequejevieillis,pourdevrai!–Ahoui?Etçatefaitquelâge,aujuste?metaquina-t-ilavecunfinsourire.–Dix-septans.–Tiensdonc.Tufaisbeaucoupplusvieille.Jel’auraisgiflésicen’avaitétélui!Peuaprès,nousétionsdansMainStreet,enrouteverslecamping.J’écoutaislesconversationsdanslarue.Une

femmequipromenaitsonchienpassaentrenous,nousobligeantànousséparer.–Peut-êtrequeRhodeaussipeutliredanstespensées,fitremarquerVicken.–Impossibledelesavoir.Ilrefusedemetoucheretc’estàpeines’ilmeparle.Tusais,ilyad’autreschoses,des

chosesétrangesquej’aivuesendehorsdesessouvenirs.Jevoisaussisespensées.Unedélicieuseodeurdecafé flottaversnous. Je tournai la têteen longeantune terrasseanimée. J’aurais bien

aimépasserunesoiréeentièreàboiredescafésenbavardantavecVicken.UnesoiréeàoublierAva,Rhodeettoutcequim’attendaitencore.SuivanttoujoursMainStreet,jeluiexpliquailecomportementétrangedeRhodelorsqu’ilavaitbrisé lemiroiravec sonpoing.Mais lorsque j’ouvris labouchepourparlerdeTony, je jetaiuncoupd’œil àVickenetmeravisai.–Jet’assure,ilaenvoyéuncoupdepoingdanslemiroiretrépété«Jenepeuxpas»,jenesaiscombiendefois.–Rhode?Rhodedevenantfou?Cen’estpaspossible.Sesyeuxnequittaientpasleslignesdutrottoir.–Jecroisquec’estprofondémentenracinéenlui.Ilnepensepasméritersonhumanité,quelquechosecommeça.

Jetel’aidit.Iln’arrêtaitpasderépéter:«Jenepeuxpas.»Vickenlaissacetteinformationsuspendueentrenous,puisdemanda:–Ilnepeutpasquoi?–Jen’ensaisrien,jevoudraisjustearrangerleschoses.Et je connaissais unmoyen d’alléger la douleur deRhode.Depuis des jours, j’avais envie de le faire : appeler

Suleen à l’aide. Ou bien peut-être pourrions-nous appeler les Aeris. Appeler quelqu’un, n’importe qui, à notresecours.Peut-êtreRhodesouffrait-il parcequenousnepouvionspasêtreensemble?Oualors –et jen’avaispasenviedel’admettrecarjenevoulaispasquecesoitvrai–,peut-êtreRhodenepensait-ilpasmériterd’avoirsurvécuauritueletd’êtrehumain.Ilavaitprévudemourir–etmoiaussi.C’étaitnotre liend’âmessœursquinoustenaitrattachésàcemonde.J’enavaislamigraine.Nousarrivâmesaucamping.–Net’enfaispaspourRhode,meditVickentandisquenousmarchionstoujoursdansl’airvifdusoir.Essaiede

t’amuseravecces…cettebandedefousfurieux,c’estcommeçaqu’ondit?Ilglissaunecigaretteentreseslèvres.–Exactement.J’entendisd’abord lamusique.Desguitares électriques,unemélodie légère. Jeme remémorai les centainesde

fois,surdescentainesd’années,oùj’avaispiétinédesbranches,écartédesfeuillagesettraversédesbois.Jamais,pasuneseulefois,desinstrumentsélectroniquesn’avaientrésonnéàmesoreillesparmilesarbresetlestaillis.Devantmoi brillait la lueur orangée d’un grand feu. En voyant deux ou trois voitures garées dans le camp, je

compris.Lamusiqueémanaitdu4×4grismétallisédeJustin.ClaudiaetTracyétaientassisesàcôtédufeuavecquelquescamaradesetbuvaientdansdegrandsgobeletsrouges.Tracysemblaittrèsproched’untypedel’équipedecrossequejeneconnaissaispas.Justin,quiétaitentraindedéballerdessteakspourhamburgersetunpetitgrilàcharbon,levalatête.Claudiabonditsursespiedsenmevoyant.–Bonanniversaire!s’écria-t-elleenmesautantaucou.Elledutsehaussersurlapointedespiedspourm’embrasser,aprèsquoiellesortitdesavestelégèreunepetite

cartedansuneenveloppeviolette.–Pourtoi,medit-elle.–Claudia,ilnefallaitpas!–Biensûrquesi,affirma-t-elleavecunhochementdetête.–Merci.J’étaissincèrementtouchée.Jeprislacarte.–C’estmoiquiaieul’idéedecettefête.NelaissepasJustintefairecroirelecontraire.Çavientdemoi!Elleluiadressaunsourireenjoué.J’ouvrismoncadeau.Jenemerappelaismêmepasladernièrefoisqu’onm’enavaitfaitun.Dumoinsunquine

soitpasvouéàêtre immédiatementvidédesonsang. Jesoulevai lerabat.Dans l’enveloppe, je trouvaiunepetitecarte,delatailled’unecartedecrédit,surlaquelleilétaitécrit:GaleriecommercialedeCapeCod.

Page 81: Pour la traduction française

–Unbond’achat,m’expliquaClaudia.Tuaseul’airdebient’amuserquandonestalléesfairedushopping.Ettuasmistontopmandarine!Uncadeau?Pourmoi?Jetournaisetretournaislacarteentremesdoigts,m’émerveillantdecepetitprésentdans

lalumièrevacillantedufeudecamp.–Merci,dis-jeàClaudiadontleregardétaitsichaleureux.Tracyrelevalatêteàsontouretm’adressaundemi-sourire,commesiellen’ymettaitpastoutsoncœur.Elleétait

entraindefairegrillerunmarshmallowsurunelonguebaguette:lafriandiseavaitl’airmerveilleusementfondante.Sescheveuxbrillaientdans la lueurdes flammesetses traitsanguleuxmeparurentplusprononcésquequelquesjoursplustôt.Jeneleremarquaisquemaintenant,maisellemesemblaitavoirperdubeaucoupdepoidsenpeudetemps.Jeglissailacartedansmapocherevolver.Tandisquejeregardaislemarshmallowfondredanslachaleurdufeu,

uneautrebanded’élèvesdeWickhamarriva.L’assortimenthabituel:dessportifs,desintellos,unebandedegaminsbien décidés à s’amuser. Mais à mieux y regarder, j’eus un mouvement de recul et battis des paupières pourm’assurerquej’avaistoutematête.Venais-jeréellementde…deprendreundeceslycéens…pourRhode?Non,c’étaitbienlui,quitraînaitderrièrelesautres.–Héhé!criaquelqu’unàl’avantdugroupeenbrandissantdessacsenpapier.–Monschnapsàlapêcheestlà-dedans!s’exclamaClaudia.Rhodeétaitentièrementvêtudenoir,etjenepouvaisdétachermesyeuxdelui.Commentavait-ilsuoùj’étais?

L’espace d’un instant, je me sentis dans la peau d’une enfant prise à désobéir, puis je relevai le menton avecinsolence.Claudiafitvolte-faceeteutunpetithoquet.–Ouh!Rhodeestlà,memurmura-t-elle.Amusez-vousbien…SurquoielleallarejoindreTracy.Jemelevai.Rhodes’avançaàgrandesenjambéesets’arrêtapiledevantmoi.Ilplongeaunemaindanssapoche.

Bienquej’aietoujoursentêtesonimageenvampire,jeremarquailespetitsdétailshumains:leslèvresboudeuses,lebesoind’inhaler,unpeudesueursursonfront.Ilenfonçaencorelamaindanssapocheetenressortitunpetitsachetnoir.Puisilhochalatêteendirectiondesbois.–Jepeuxteparleruninstant?–Biensûr,répondis-jeleplusnaturellementpossible.Il n’était pas là parcequ’il avait changéd’avis, je savais aumoins cela. Il avait été clair enmedisant qu’il ne

pouvaitplusm’aimer.Jelesuivissurunpetitsentier,jusqu’àcequelefeuetlesbavardagessoientassezlointainspourquepluspersonnenepuissenousentendre.Ilregardalecielparuntrouentrelesbranches.Delongsnuageseffilochéspassaientdevantlalune.–Lunededentelle,dit-ilavantquej’aiepuledire.Etlorsqueleventchassalesnuages,ilajouta:–Tutesouviensdelapremièrefoisqu’onavuça?Jefisouidelatêteetsouris.–Biensûr.Tumel’asmontréen1604,pendantlecarnavaldeVenise.Noussavionsl’uncommel’autrequelalunededentelleannonçaitunchangement.Quelquechosesepréparait.Rhodefitunpasversmoi,maiscettefoisjereculai,incapablededéchiffrersesintentions.–Tumecrains,àprésent?s’étonna-t-il.–Jamaisjenepourraistecraindre.«Etsijen’arrivejamaisàluipardonner?»avait-ilpourtantdemandéàSuleen.La douleur provoquée par ces mots me serra à nouveau les tripes. J’avais envie de lui demander s’il m’avait

finalementpardonné,s’ilavaitréussiàvoirau-delàdeshorreursdupassé.–Situn’aspaspeurdemoi,ouvretamain.Jem’exécutai.Jeluiprésentaimapaumecommesij’avaisattenduqu’ilyposesoncœur.Lecontenudupetitsachetdeveloursnoirs’ydéversa.AnamCara.Jeneregardaipas,pasencore.Moncœurbattait lachamade.Mesdoigtsserefermèrentsurdeuxpetitsobjets.

Métalliques.Ilsétaientfraisautoucher.Jebaissailesyeux…Lesbouclesd’oreillesdemamère!Illesavaitsauvéesdel’incendie.–Lenah!?C’étaitlavoixdeJustin,quirésonnaentrenous.–Lenah,reviens!Onmange!–Joyeuxanniversaire,memurmuraRhode.Sonregardtristeetcalmeaimantalemien,maisilneputmeregarderplusdequelquessecondes.–Rhode…Jetendislamainverslui.Ilreculadedeuxpas.Jeretinsmarespiration.Leslarmesmepiquaientlesyeux.Jevoulaistantletoucherquej’enavaismalpartout.La

douleurdumanquecouraitdansmesbras,jusqu’auboutdemesdoigts,etirradiaitauplusprofonddemonâme.–C’esttoutcequej’aipusauver.Jen’aieuqu’uninstant.J’aisautéparlafenêtredetachambre.Enfracassantles

carreaux.Jemesouvinsdemonrêve,desonpoingfracassantlemiroir,lebrisantenmillefragmentslumineux.–Maisjemesuisservid’unechaise,clarifia-t-il.Ses yeux scrutaient mon visage. Il fronça les sourcils, et une ride verticale se creusa entre ses yeux. Bleus.

L’océan.Leciel.L’amourdemavie.–Joyeuxdix-septièmeanniversaire,sehâta-t-ild’ajouteravantdetournerlestalons.Etildisparutrapidementdanslesbois,endirectiondeMainStreet.–Attends,lerappelai-jeàmi-voix.Ilseretourna,éclairéuniquementparlefaibleclairdelunequifiltraitentrelesnuages,puiss’enfonçaplusloin

parmi les arbres. La douleur quime poignardait le cœur était encore plus profonde que tout ce que j’aurais puimaginer.–Rhode,tuvasteperdre!luicriai-jed’unevoixquisebrisa.C’estdangereux!Illevalatêteverslecieletlalunededentelle.–Quit’aapprisàretrouvertoncheminenteguidantsurlesétoiles?medemanda-t-il.Iln’étaitplusqu’unesilhouettenoire.J’auraisvoulumarcheràsescôtés,rentreraveclui,luiparleretletoucher–

peaucontrepeau.J’auraisvouluquequelqu’unmeserredanssesbrasetmedisequetoutiraitbien.Medisequelesoleil,laluneet

les étoiles n’étaient pas gouvernés par des forces invisibles. Je voulais croire que j’étais libre et que j’avais une

Page 82: Pour la traduction française

volontépropre.Mais,aufond,jeconnaissaislavérité:Rhodeetmoin’étionspaslibres.Etilnepouvaitplusm’aimer.Je le regardai s’enfoncer dans la forêt sombre, jusqu’à ce qu’il ne se distingue plus des arbres. Je savais que

Vickenpatrouilleraittoutelanuit.Peut-êtreRhodeaussi.Etc’étaitsansdouteégoïstedemapart,maisj’étaisbien,danscesbois,aveclesfantômesdemonpasséincarnéspardeuxbouclesd’oreillescachéesaucreuxdemamain.Soupirant lourdement, jerepartisvers la fête,enécoutant les feuillesmortescrissersousmespas. Jeconstatai

quelaplupartdesterminalesétaientlà.Ilyavaitencorebienplusdegobeletsrougesquequandj’étaispartie,etbienplusdegensdanstouslescoins.Jerestaiuninstantàl’oréedusentier.Jeregardaiderrièremoi,sachantqueRhodeétaitdéjàloin–maissachant

aussiquecemomentetcetendroitoùilavaitdéposélesbouclesd’oreillesdansmamainseraientànousdeuxpourtoujours.–Joyeuxanni-ver-saire,joyeuxanni-ver-saiiiire!semitàbraillerungroupe.Uneminusculeflammes’approchaitdemoidanslenoir.Justin latenditàClaudia,quivintversmoiavecTracy.

Ellesportaientuncupcakeaudécorexquis.Leglaçageauchocolatformaitdesvolutesextravagantes,etaucentrebrillaitlapetitebougied’anniversaire.C’étaitJustinquichantaitleplusfort,etj’auraisaimé,oh,commej’auraisaimé,queTonysoitlà.LaflammevacillaetjecroisaileregarddeJustinpar-dessuslabougie.–Bien,dit-ilensepenchantàmonoreille.Faisunvœu.–Unvœu?Quepourrais-jesouhaiter?–Toutcequetuveux.Ilfourrasonnezdansmoncou.Moncorpsréagitparunaccèsdechairdepoule.–Toutcequetuveux,répéta-t-il,pourtonanniversaire.Alors,jefermailesyeux,soufflaimabougieetfismonvœu.Jefaisd’abordunvœupournotresécurité.Àtous.CelledeVicken,celledeRhode,celledeJustinetlamienne.Et

aussipourWickham.Maismoncœursouhaitequeladouleurs’enaille.Jeformelevœuquequelqu’unmedisequetoutvabien.Quecequej’aifaitestpardonné.Quejesuispardonnée.Lorsque je rouvris les yeux,mes vœux tournoyant encore dansma tête, la bouille ravie de Justinm’accueillit.

C’étaitdoncvrai,ilavaitorganisécettefêterienquepourmoi!–Joyeuxanniversaire.Ilmepritparlamainetcaressamapeau.Quelqu’unplaçaungobeletdansmonautremain.Jeprisunegorgée,etlaliqueurdepêche,épaisseetforte,me

descenditdans legosier.Tenant toujoursmamain, Justinm’entraîna jusqu’à sa voiture. Il avaitmontéunepetitetenteàcôté.Ilmepritmonverreetleposaparterre,puisplaçasesdeuxmainsautourdemonvisage.Jepensaistoujours à Rhode et aux boucles d’oreilles qu’il m’avait offertes, ce qui me mit mal à l’aise. En plus, si Vickenarpentaitlepérimètre,ilpourraitvoircequejefaisais.–JesaisquetuaimesRhode.Ilyasixcentsansquetul’aimes,meditJustin,dontlachaleurcorporelleirradiait

jusqu’àmoi.Jenepeuxpaslutter.–Quoi?balbutiai-je.Ilcomprenaittout,etcelamecoupaitlesouffle.Danslenoir,sonexpressionsemblaitféroce.Ilsepenchaversmoipourmechuchoteràl’oreille,d’unevoixbasse

etgrondante:–Maisilneteconnaîtabsolumentpasentantqu’humaine.Contrairementàmoi.–Justin…Uneonded’étonnementmeparcourut,descendantlelongdemondosjusqu’auboutdemesorteils.Ilrefermasamainsurmanuque.–Non.Jeveuxêtreceluiquitemontreracequec’estquedesurvivreàunrituel,Lenah.Cequec’estquedevivre.

Ilneteconnaîtpascommemoi.Sasincéritémetransperçait.Ilparlaitvrai,jelevoyaisàl’intensitédesonregard,àlahâtedesesparolesetàla

crispationdesamâchoire.–Ouvre-toiàmoi,Lenah,gronda-t-il.Ouvre-toi.Il rapprochamon visagedu sien et s’inclinapourm’embrasser. Il gémissait commeune créature affamée.Mes

épaulessedétendirent.Mapoitrinesedesserra.Car jevoulaisêtretouchée, jevoulaisde lachaleur, jevoulaisceque jen’avaispaspuavoir lorsque j’étaisvampire. Ils’écartademoi, le tempsquenousreprenionsnotresouffle.Ouah!J’aiadorésonbaiser.Jevisalorslaruneargentéeaccrochéeàsoncou.«Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.»Je revécus cemoment, dans la chambre de Justin, où il avait délicatement nettoyéma blessure. Je touchai le

pendentifduboutdesdoigts.Ilm’enlaçadenouveau,m’attiracontresoncorps.Jesentaislapassionquiémanaitdelui.–J’aibesoindetoi,dit-ild’untonfarouche,sansbouger.Alorstucomprends,cequetuaspufaireaveccerituelne

comptepaspourmoi.Jeveux…Toutàcoup,Claudiaapparutàcôtéde latente. Jemerendisbientôtcomptequ’ellen’étaitpasseule :Tracy la

suivait,l’aircontrarié.Commesionl’avaitforcéeàvenir.–Allez,Justin,tunepeuxpasgarderLenahpourtoitoutseulcesoir!Ellemetiraparlamain,etjemeretrouvaibientôtprèsdufeuaveclesautres.Pendanttoutlerestedelasoirée,je

dansai,busduschnapspêcheetmefondisdanslachaleurducorpsdeJustin.Eneffet, ilnelâchapasmonbras,paradantavecmoidanslafêtecommesinousavionsétéuncoupleroyal.Je

n’avaispluspeurdelaforêt.Jen’avaispluspeurdesvampires.LacompagniedeslycéensdeWickhammerassurait.Commemoi,ilspleuraientMrsTate,KateetTony,ettâchaientd’oubliertoutecetteviolence.L’humanitédetoutcelaétaitunvraisoulagement. Je laissais lecontactdeJustinm’enracinerdans la terre.Lorsquenousnoustouchions,lorsque sa peau était contre la mienne, je savais quelle version de Lenah Beaudonte je devais être. Je pouvaissourire.Jepouvaisêtrehumaine.Iln’yeutaucuneodeurbizarredepommes.Jen’étaispasunereinevampirefolleet impardonnable.J’étaisune

jeune fille de dix-sept ans qui fêtait son anniversaire, rien d’autre. Adossés au large tronc d’un chêne, nousregardionsunpetit cercle se former.Claudia semit àdanseraumilieu, ondulantde tout son corps et riant avecd’autresterminales.Tracy,unpeuenretrait,observaitlascène.Ellenesouriaitpas,dumoinspascommelesautres.Sonsouriren’étaitqu’unparesseuxmouvementducoindeslèvres.Àmesurequelanuitsedéroulait,legestedeRhodemedonnantlesbouclesd’oreillesdevintdeplusenplusfacile

àoublier.Ellesétaientaufonddemapoche,troploinpourquejepuisselestoucher.Jepouvais,enrevanche,passermesdoigtssurlapeaudeJustin.Heureaprèsheure.

Page 83: Pour la traduction française

Verreaprèsverre.Celanecomptaitplusvraiment…n’est-cepas?C’étaitsifaciled’oublier,parunenuittiède,avecdesamis.Avec

Justinetsesmainsdouces.Ilmechuchotaitdesmotsàl’oreille.«Tum’astellementmanqué.»«Neretournepasaucampus.»Cegenredemotsquimenaientà…AuxbrasdeJustinautourdemoi.Àunsacdecouchage…Dansunetente.Derrièremespaupièresbaissées,ilyavaitdeshortensiasbleus,dontlespétalesétaientdessymbolesd’amouret

d’espoir.D’amouretd’espoir.D’amouretd’espoir.–Jet’aime,ditlavoixgrave.Commedanslasalled’écoute,ellen’avaitpasl’accentanglais.Justinrépétamonnom,encoreetencore…jusqu’à

cequenoussoyonsendormis.

Page 84: Pour la traduction française
Page 85: Pour la traduction française

Chapitre16Moncrâneétaitcommeremplidesable.Quellecurieusesensation.J’avaislesyeuxfermés,maisjesavaisquema

têtereposaitsurunoreiller.J’ouvrisunœil…tropdelumière.Çafaitmal!Était-cedoncunelumièredémoniaque,pourcausertantdedouleur?J’avaisentendudirequel’enferdesdémonsétaitéblouissantaupointd’aveuglerlescréaturesnormales.Lesoiseauxnechantentpasdansl’enferdesdémons.J’allaisme rendormir, j’avais bien chaud.Étais-je dansmon lit ? J’inspirai profondément : une odeur boisée de

cendres.Defeudecamp.Ah,biensûr!J’étaisaucampingdeLoversBay.J’osairouvrirmespaupières.LesoleilquifiltraitàtraversunplafonddeNylonbleurendaitmonsacdecouchagetrèschaud.J’étaisdanslatentedeJustin…Ilreposaitendormisurledos,levisagetournéversmoi.J’admiraiseslèvrespleinesetsonnezeffilé,sonmenton

pasrasé.Ilremuadanssonsommeil.–Lenah…,murmura-t-il.Lesévénementsdelanuitmerevinrentd’unseulcoup.Lenah,espèced’idiote!Pirequ’uneidiote.Imbécile.Imbécileidiote.Ilfallaitquejetrouvecommentsortirdela

tente sans le réveiller.Oh,non ! Et si Rhodem’avait vue avec Justin ? S’il n’était jamais sorti des bois ? Il étaitsûrementrestépoursurveiller,avectouscesvampiresquirôdaientauxalentours.Ducalme,Lenah.Lève-toilentement.Oùsontteshabits?Lapressiondemonsangenvoyadesélancementsdansmatêtequandjetentaidemelever.Lentement,medis-je

enmedégageantprudemmentduduvet.Unspasmedenauséemesubmergea.Etpasparcequejeregrettaisd’avoirpassélanuitsouslatenteavecJustin.Maisparcequ’unepartiedemoineleregrettaitpas.Jeleregardaidormirencoreuninstant.Laruneargentéereposaitsursontorseetbrillaitdanslalumièredupetit

matin.«Jenesaispas,avait-ilditàproposdecebijou.Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.»Ils’étaitmisenquêtedecetterunedesavoirpourpouvoirmecomprendre,moietmespouvoirssurnaturels.Mais

cequiétaitarrivépendantlanuitn’avaitriendesurnaturel.J’avaiseubesoinqu’ilmetouche,qu’ilmerappellecequec’étaitqu’êtremortelle.De savoirquemêmemoi, jepouvais êtrepardonnée.Pardonnéepar Justin,quim’enavaittantvouluetquiavaittrouvélaforcedem’accueillirànouveau.Jesortisde la tente leplussilencieusementque je lepus.Ungrosbuissonmecachaitduresteducamping. Je

m’habillairapidement.Nous étions loin dans les bois, mais je voyais le 4 × 4 de Justin à côté du feu de camp. De petites tentes

silencieusesétaientdisposéestoutautour,etdesreliefsdelafêtejonchaientlesol.Il fallaitquejerentreaucampus,etapparemment, j’allaisdevoir lefaireseule.J’allaisaussidevoirtrouverune

rusepour justifier le faitque jen’étaispasaccompagnée. Jesavaisquec’étaitunemauvaise idéedemedéplacerseule,maisj’étaisbienobligéedeprendrelerisque.Une fois habillée, jeme dirigeai vers les bois enmarchant sur l’herbe craquante, et j’hésitai en entendant un

mouvementdanslatente.Justindevaitêtreentraindeseréveiller.Je me mis en marche tout en réfléchissant à mes options. Je n’osais pas repasser devant le feu de camp, où

dormaientClaudiaetTracy.Jefisquelquespasverslasortie,maism’arrêtai.Une silhouette vêtue de noir émergea de la forêt et s’engagea sur le chemin, devantmoi.Mon cœur cessa de

battre.J’inspiraidifficilement.Unefois.Deuxfois.Lasilhouetteétaithauteetsetenaitdansl’ombred’ungrosarbre.La lumièrematinale ne faisait encore qu’effleurer le sommet des frondaisons. L’homme fit encore un pas, etmagorgeseserra.Unvampire?Jepouvaispartirencourantdanslesboisettenterdelesemer.Oualors, jepouvaisréveillertoutlecamp.Mais…Minute.Cevampirefumaitunecigarette.Vicken.

J’enfonçaimesmainsdansmespocheslorsquejesortisenfinducampingpourrejoindreMainStreet.–Tuesd’unestupiditémonstrueuse, tu le sais,ça? rouspétaitVicken.PasbesoindePESpour lecomprendre.

CetteClaudiam’aditdenepastedéranger.J’aidormiledoscontreunarbre,bonsang.–Vicken…Jeparlaisd’untonrepentant,toutenmarchantdumêmepasquelui.Danslachaleurdelapochedemonjean,lesbouclesd’oreillesdemamèrememordaientleboutdesdoigts.Ma

gueuledeboissecalmaitpeuàpeu.LesoleillevantembrassalesédificesdeMainStreet.–J’étaiscenséteprotéger,grondaencoreVicken.–Épargne-moitesreproches.Maisuneboulederemordsmenoualeventre.Nousmarchionstoujours,deplusenplusvite,danslepetitmatin.Dépassantlesboutiquesetlemarché,jusqu’à

atteindreleportailducampus.–Vosnoms?nousdemandalevigileàl’entrée.Nousluimontrâmesnoscartesd’étudiant,etlaportepourpiétonss’ouvrit.–Vicken.IlfautquetumepromettesdeneriendireàRhode.–Tepromettre!Ilpatrouillaitaussi,figure-toi!

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Nesachantpasaujustecequecelavoulaitdire,jememordislajoue.L’expressionsombredeVickens’adoucit.–Pourquoituasfaitça?medemanda-t-il.Jenerépondispas.–Laissetomber,montons,enchaîna-t-il.J’aibienbesoind’unboncafé.Pasàpas,nousmontâmesl’escalierdechezmoi.Nousavionspresqueatteintmonétagelorsque…Despommes,encore.Unepuanteurécœurante.Despommespourries.Despommesenpleinefermentationdans

un tonneaudebois fendu. Je les voyaisdansma tête.Une imagesortiedemonpassé :despommes restées troplongtempsausoleil,brunies,semblablesàducuir.–Non!criai-jeenplaquantunemaincontrelepapierpeintàmotifsnautiquesdelacaged’escalier.Rhodeestdeboutaumilieudesachambre.Ilramassel’épéeparterre.Jevoissontorse:ilrespirerapidement.

Puisilabatl’épéesurletélescope,envoyantvolerdespiècesnoires.Ilfracassesalampe,etdeséclatsdeverresontprojetésdanstoutelapièce.Sarage…–Non!criai-jeànouveauentombantàgenoux.Desportess’ouvrirentquelquepartendessousdemoi,avecdescliquetismétalliques.–Çava,là-haut?criaquelqu’un.–Oui,toutvabien!répliquaVicken.Je rouvris les yeux, tâchai de me concentrer sur lui. Mais à ses cheveux fous se mêlait ma vision de Rhode

saccageantsachambre.Jeréprimaiunhurlementhorrifié.LacolèredeRhodebattaitenmoicommeuncœuremballé.Jetentaideretenir

cesimagesdelui,fermailesyeuxpourlevoir.Saragemetraversaitenbouquetsd’étincellesquiexplosaientdanstoutmoncorps.Ilsavaitquej’avaispassélanuitavecJustinsouscettetente.–Qu’est-cequetuasvu,cettefois?medemandaVicken.C’étaitencoreunevisiondeRhode,pasvrai?Jem’aperçusalorsqu’ilmetenaitlamain.–Ilestencolère.C’estsûrqu’ilm’avuehiersoir.Vickenm’aida àme relever. Je flairai une senteur de pin dans ses vêtements et de tabac sur sa peau. Pas de

pommes,parchance.La dernière volée de marches me parut incroyablement difficile à gravir. Mais je réussis. J’étais impatiente

d’entrerchezmoi,defermerlaporte,derejoindremachambreetdem’écroulerdansmonlit.« Est-ce que tu me pardonnes ? » avais-je demandé à Justin. Et il avait dit oui. Je comprenais seulement

maintenantquejen’avaispasposélaquestionàlabonnepersonne.J’avaisespéré, tandisqu’il touchaitmes larmessalées,qu’ilneserendaitpascompteque jepleuraisparceque

j’auraisvouluqueRhodesoitàsaplace.N’aurais-jepasdûêtreheureuse,enlacéeparquelqu’unquim’aimaittant?Euphorique,même,commel’andernier,lorsquenousétionsensembleetquej’étaisfolledejoieàl’idéedemesavoiraimée?–Situcontinuesdehoquetersansmedirecequisepasse,jet’enfermejusqu’àcequetucracheslemorceau,me

ditsoudainVicken.–Jepensaisjusteàlanuitdernière,répondis-jeentendantlamainverslapoignéedemaporte.Mesdoigtsserefermèrentsurlemétal.Etunedouleurdéchirantesedéchaînadanstoutmoncorps.Mestripesseserrèrentenunnœudsiétroitqueje

mepliaiendeux.Mesgenouxheurtèrentlamoquetterâpeuse,quimebrûlalapeau.Jeposaiunemainàplatparterre,laboucheenvahiedesalive.Lesortdebarragefonctionnait!–C’estridicule,commentaVicken.Tuétaiscapabledeboiredeslitresdesang,avant.Tuétaisunepuissantereine

vampire.Illevaunemainpourtoucherlapoignée.–Non!Non!Jevoulustendrelebrasverslui,maismamainétaitunpoidsmortetelleretombaparterre.–Lesortdebarrageaflambé.Monmalaiseétaituneréactiondesimplemortelleàunepuissantemagie.C’était lapreuvequ’unvampireavait

tentédes’introduirechezmoi.S’ils’agissaitd’Ava,elleétaitréduiteàuntasdecendres.Quiquecefût,ilavaitététuéinstantanément.Vickens’assitsursestalonsetobservalaported’unairébahi.–Alorsçayest,ilssesontaperçusquetonrituelétaitbidon.Lamagieprésentedansl’airindiquaitquetouteslesherbesquej’avaisrépanduess’étaientenflammées,diffusant

desénergiesdanstoutelapièce.Cesénergiesnousrendaientmalades,nous,leshumains.Jelevaiunemainouverteethésitaidevantlaporte.Ilfallaitquejesachesielleétaitfroideouchaude.Sielleétaitchaude,lesortétaitrécent;froide,ilremontaitàplusieursheures.Vicken,quiavaiteulamêmeidée,posalamainsurlebattant.Sesphalangesblanchirentetsamainretombaen

cognantsacuisse.–Chaud,annonça-t-ild’untongrave.Ilsviennentdepasser,àmonavis.J’essayaiàmontourdetoucherlaporte,etretiraiaussitôtmamain,commeil l’avaitfait.L’énergiedusortilège

m’envoyait des chocs électriques jusqu’en haut des bras. Vicken fermait et rouvrait ses doigts. Nous nousaccrochâmes l’unà l’autrepournous relever, aprèsquoi j’hésitai en tenant la clédevant la serrure.Enfin, jemedécidaiàlaglisserdedans,tournai,etlaportes’ouvrit.–Hunclocumbonisominibusprosequi,dis-je.«Bénissezceslieux»,enlatin.Mesmainsmepicotaienttoujours,commeengourdies.Jeserrailespoingspourréveillermessensations.–Entrons,lâchaVicken.Lebattantpivotalentementengrinçant.Nousrestâmesuninstantsurplace,àattendre.Unétrangebruitblanc

résonnait,commesidescentainesdegensavaienthurlétoutauboutd’untrèslongtunnel.C’étaientleséchosdescrisdesvampires.Unefinepoudregrisemarquaitàprésenttoutlepourtourdusalon,àlaplacedesherbes.Etaucentredelapièce,ilyavaituntasdecendresnoires.Jem’enapprochai,maisquelquechoseaccrochamonregardsur lebalcon.Quelqu’unbougeait. Ilme fallutun

momentpour lareconnaître.Ava.Elleroulasur le flancetsesbouclesblondes luiretombèrentsur levisage.Elleessayaitdeselever.Je bondis par-dessus le tas de cendres, sortis sur le balcon,maismon adversaire était déjà debout.Vickenme

dépassaet lapoussa.Elleretombaparterre,assise,et jevisqu’ellesouffrait.Sonbrasétaitcouvertdesang,sesdoigtsàvif, sesonglescassés.Parfait.Blessée.Nouspourrionspeut-être l’avoir, en jouant sur l’effetde surprise.

Page 87: Pour la traduction française

Vicken sebaissa vers sabottepour yprendreunpoignard,maisAva roula sur ledoset lança sesdeuxpiedsenavant.Elleleheurtaetildutreculer.Bonsang,aupiredesmoments,pourquoiRhodeavait-ilprisl’épée?!Avacourutlelongdemonbalcon.–Vas-y!criai-jeenrepoussantVickenverselle.Maiselleétaitbientroprapide.Commesaforce,savélocitéétaitsupérieureàcelled’unvampireordinaire.Jeme

penchaipar-dessuslegarde-corps,jetaimesmainsenavantettentaidelarattraperparlajambedesonpantalon.Mesdoigtsfrôlèrentletissuetellesejetadanslesairs.Ellesautasurletoitdubâtimentadjacentaumien.Jem’attendaisàlavoiratterrircommeunchat,sursespieds,

avec agilité.Mais elle trébucha et dut faire desmoulinets des bras pour garder son équilibre avant de tomber àgenoux.Vickenlevaunejambepourmontersurleparapet.Ilallaittenterdesauter!Entantqu’humain,iln’avaitaucunechanced’yarriversansseblessergravement.Jel’agrippaiparlebrasetle

tiraienarrièresurlebalcon.Noustombâmesensemblesurlecarrelage.–Non,soufflai-je.Jenevaispasteperdreunefoisdeplus.Ilsoutintuninstantmonregard,etlefeuquianimaitsesyeuxs’adoucit.Ilsoupiraetm’aidaàmerelever.–Descendons,finis-jepardireenletirantparlamanche.JecomptaisintercepterAvaaupieddubâtimentoùelleavaitsauté.Àdeuxcontreun,nousavionspeut-êtreune

chance.Àconditionqu’ellenenousprennepasdevitesse.–Attends,meditVickend’unairsombre.Surletoitd’enface,Avavoulutserelever,maissesbrascédèrentsouselleetellesecognadurementlescoudes.–Qu’est-ceque…,souffla-t-il.Regarde!Elleessayaencore,etcettefoisseredressatoutedroite.Elles’approchaduborddutoitetlevalesbrasau-dessus

desatête.JeserraiinvolontairementlebrasdeVickenenlaregardantsauterets’enfuirauloin.–Commenta-t-ellefaitça?s’interrogea-t-il.–Etsesbras!Elleaguériinstantanément.Tulesasvusquandellelesalevésau-dessusdesatête?Plusdesang.– Ce qui m’inquiète encore davantage, c’est qu’elle ait pu pénétrer dans l’enceinte du campus. Et avant le

1eroctobre.Laprotectiondurituelnefonctionneplus.Lescendresd’unautrevampire,qui, lui,n’avaitpassurvécuàmonappartement,étaient toujoursentasséesen

pleinmilieudusalon.MaisAva…sesplaiesensanglantéess’étaientreferméesenquelquesminutes.Jen’avaisjamaisconnudevampire

capabledeguérirsirapidement.Décidément,elledémentaittoutcequejesavaissurlesvampires.NousrentrâmesdansmonappartementetVickensepenchasurlescendresduvampiremort.Ilsortitunegrosse

montreenargentdupetittas.Elleoscillaauboutdesondoigt.–Unemontred’homme,constata-t-il.Avaestvraimentsanspitié:elleasacrifiésansvergogneunmembredeson

cercle.Ellesedoutaitquetuélèveraisunebarrière.Enétudiant lesherbescarboniséestoutautourdenous, jeperçusque l’énergiede lapièceavaitchangé.Toute

créaturesurnaturellequientreraitsauraitàprésentquelesortilègem’avaitprotégée.Lepremiervampireavaitsansdouteété incinéréaussitôtqu’il avaitpénétrédanscetespace ;quantàAva, seuls sesdoigtset sonavant-brasyétaiententrésavantqu’elleserendecomptedecequisepassait.Quoiqu’ilenfût,c’étaitdésormaismonespace,saintetsacré.Rhodel’avaittoujoursdit:l’énergielaisseunetrace

indélébile.Àprésent,lescheveuxemplisdel’odeurdufeudecampetlatêtepleined’imagesdeRhodesaccageantsa chambre, je savais ce que j’avais à faire.Nous avions besoin d’aide. Besoin de protection. Je ne pouvais pluslaisserAvaetsesacolytesnousdominer.– Jevais lancerun sortdeconvocation,annonçai-jeàVicken. Jenevaispas rester lesbrasballantsàattendre

qu’ellemecontrôle.–Ahoui,vraiment?lâcha-t-ilsuruntonsarcastique.–Quoiquetuendises,Rhodeestentraindeperdrelaraison,etj’aibesoindetonaide.Surtoutmaintenantqu’Ava

sebaladesurlecampus.–Tuveuxquejem’inclinedevanttoi,ouun«bond’accord»tesuffira-t-il?s’enquitVicken,uneépauleappuyée

contrelemur.–NousallonsfairevenirSuleen.Ilneréponditrien,maiscontinuademedévisagersanssedépartirdesonpetitairsupérieur,unecigaretteintacte

pendantentreseslèvres.–Tunevaspasessayerdem’endissuader?demandai-je,incrédule.–Jenegagneraispas,n’est-cepas?Tuaslancélesortdebarrage.Jenepensaispasqueçamarcherait,etçaa

marché.–Essayonsàl’aurore.Aumomentoùlaluneetlesoleilsepartagerontleciel.C’estletempsleplusspiritueldela

journée.–Dois-jevousappeler«majesté»?–Arrête.–Ou«maîtresse»?Ou«déesse»?–Elle a perduunmembrede son cercle, ils ne sont plusquequatre.Et nous savonsqu’elle se remet vite.Au

moins,onestfixéslà-dessus.–Cen’estpastoutcequenoussavons,trèschère,ajouta-t-ilenallumantsacigarette.(Ilinhalaprofondémentet

seremitàparlerenexhalant.)Nousavonsdécouvertunautreélémentd’uneimportancecapitale,cematin.–Quoidonc?–Elleesttombéeenatterrissantsurletoit.Elleestaffaibliequandellesaigne.

SiAvaétaitaffaibliequandelle saignait,alors il faudrait lablesseraucouteau,pour finirpar lapoignarderen

pleincœur.C’étaitleseulmoyendel’abattredéfinitivement.Entre-temps,nousavionsbesoind’aide.Vickenetmoine perdîmes pas de temps. Tôt le lendemainmatin, je posaima tête contre le siège passager, les yeux clos, lescheveuxagitésparlevent.S’iln’yavaiteulebruitdumoteur,nousaurionspuêtredansunattelagerapide…maiscen’était pas le cas.Vicken était au volant demapetite voiture bleue. Il conduisait commeun fou, et un virageabruptme projeta contre la portière. Jeme retins à l’accoudoir et rouvris les yeux. Lorsque nous nous garâmesdevantlaplagedeLoversBay,laluneétaitsuspendueau-dessusduport,dessinantsurl’eaudeslignesondulantesdelumièregris-bleu.Lesoleilallaitbientôtselever.Jelesentaisdansmoncœur,dansmesos.Peut-être,commeunsixièmesens,serais-jetoujourscapabledepercevoirlesoleiletsapuissance.Ledangerqu’ilrecelait.Nousrestâmesassisensilenceàcontemplerl’océan.

Page 88: Pour la traduction française

–Elletiresaforcedequelquepart,dis-je,lesyeuxdanslelointain.Unsortilège,sansdoute,jenesaispas.C’estlaseuleexplicationaufaitqu’elleserégénèresivite.–Nenousinquiétonspasdeça.Concentre-toisurlesort.–Ilfautquelesquatreélémentssoientreprésentés.Aumomentoùjeledisais,lesAerisseprésentèrentàmonesprit.SurtoutleFeuetsachevelurecrépitante.Je pris sur la banquette arrière mon sac de magie, qui contenait notre matériel et le livre de sorts. Nous

descendîmesdevoiture,et lorsque jeprispiedsur lapetiteplage, lesables’enfonçasousmesbottes.Lesétoilesscintillaient faiblement au-dessus de nous, dans une lumière grise et brumeuse.Cela s’appelait « la Ligne ». Lesvampiresconsidéraientcetteheuredumatincommesacrée.Lemomentdessorts,oùlemonden’estpassûrdelui-même,oùcen’estpluslanuitetpasencorelejour.Jescrutailazonequis’étendaitdevantleparking.–Descendonslà,àl’abridesregards,proposai-je,soucieusedenepasêtrerepéréeparlecommundesmortels.Il

nousfautcesboutsdeboisflottés,là,onlesempilerasurlagrève.Jedésignais,aupiedd’unbouquetd’arbres,untasdevieuxboisblanchiparlessaisons.–Tuesbienautoritairepourquelqu’unquivaprobablementnousfairetuertouslesdeux,rouspétaVicken.Pendant que je descendais sur la plage pour rassembler ce qui nous manquait encore, il déplaça plusieurs

morceaux de bois. Jeme tins au bord de l’eau et regardai les vaguelettes lécher le sable et les cailloux. Le sortagiraitcommeunpharedanslanuit,unappel.UnvampireaussipuissantqueSuleenpouvaitcertainementéviterd’êtrecontactés’ilnesouhaitaitpasl’être.Maissicelan’étaitpasunmomentoùj’avaisbesoindelui,jenesavaispascequec’était.Jeplongeailamaindansmonsacetensortisunpetitflaconvide.J’yrecueillisunpeud’eaudelabaieetallairejoindreVicken,quim’attendaitàcôtédesontasdebois.Le jasmin était crucial pour la réussite du sort de convocation. Dans le sac, je pris une petite boîte de résine

d’ambre, un peu de jasmin et des allumettes, puis tendis la fiole d’eau de mer à Vicken. Lorsque ses doigtstouchèrentlesmiens,jesourislégèrementenregardantmonvieilami.Notreamour,celuiquiavaitexistéentreluietmoicentsoixanteansplustôt,étaitàprésentrévolu,remplacéparlatendressedel’amitié.– Allons-y avant qu’Ava ne décide de se pointer, dit-il dans un soupir. Çame picote de partout. Je déteste ce

sentimentd’anticipation,c’estintensémenthumain.–Tudevraiscommencer.Tuasétéledernierconnectéaumondesurnaturel,indiquai-jeàVicken.C’est-à-direqu’ilétaitledernierd’entrenousàavoirretrouvésonhumanité.Jesortisalorsdusacmonlourdgrimoirereliédecuir.Mesbottess’enfoncèrentplusprofondémentdanslesable

lorsquejem’avançaipourleluitendre.Sontitreenlettresd’or,Incantato,miroitasouslespremiersrayonsdusoleilquivenaientpeuàpeucouronnerl’horizon.Vickenl’ouvritàlapagemarquéeparunpetitrubanrougeetrelevalesyeuxversmoi.–Prête?Dessineuneportedanslesable…,meditunevoixsortiedemamémoire.J’avaispresqueoublié.Unjour,ilyavait

bienlongtemps,Rhodem’avaitracontéqu’ilavaitlancéuntelsort.J’observaiattentivementletasdeboisflottéetlazonequil’encerclait,aprèsquoij’enfonçaimonindexdanslesablefraisettraçailecontourd’uneporteautourdufoyer.JecroisaileregarddeVickenpourmerassurer,etluirépétaicequeRhodem’avaitditdessièclesauparavant.–Aussilongtempsqu’ilyaeudesportes,ilyaeudessortsdeconvocation.Desentrées.Despassages.Jem’écartaidemondessin.–Alors,onconvoqueSuleenetilnousaideraàcombattrecesvampires?EtàprotégerRhode.–C’estl’idée.Jefrottaiuneallumette,quiflambaentremesdoigts.Puisjelapropulsaid’unepichenette,etelledessinaungrand

arcdecercleavantd’atterrirsur letasdebois.Embraséparsaflammeetpar les ingrédientssurnaturels, leboissiffla,cracha,souffladelafuméeversleciel.Ouvrantlaboîte,jeprisunepincéederésined’ambreentremonpouceetmonindexpourlasaupoudrersurlefeu.Deminusculesflammesorangéess’élevèrentengrésillant.–Commence,ordonnai-jedoucementàVicken.Ilbaissalesyeuxverslegrimoire.–Jefaisappelàtoi,Suleen.Jetedemanded’apparaîtredevantmoidanscetespacesacré,déclama-t-ilenlatin.Jedévissaiensuite lebouchonduflaconetrépandis l’eausalée,cequifitencoresiffler lefeu.L’eauglissaitsur

mesmainsavantdelâcherdanslesflammessespetitesperlesliquides.Ilyeutalorsuncraquementanormal,etlesflammesgrandirentbrusquement.Surprise,jefisunbondenarrière.–Ouah!C’étaitpuissant.C’estnormalquelesflammesaientexplosécommeça?medemandai-je.Jem’agenouillai,prisunepoignéedesabledansmamainet,tendantlebrasenavant,jelesaupoudraisurlefeu

fumant.Vickenn’eutpasbesoindemetendrelegrimoire.Jemesouvenaisdusort.–Jetedonnelaterreetl’eau.Jefaisappelàtoi,Suleen.–Lenah…,commençaVickend’untond’avertissement.Lui aussi avait remarqué l’étrangeté des flammes. Je ne l’écoutai pas, soucieusede rester concentrée surmon

énergieetsurmesintentions.–Jeteconvoque,Suleen,jetedemandedeteprésenterànous,carnousavonsbesoindetoi.Jelaissaitomberlesfleursdejasmindanslesflammesorangées.Lecontourdelaportequej’avaisdessinéedans

lesablesemitàbrillerd’unelumièrebleuvif,commelecielmatinal.Celafonctionnait-il?Ilfallaitquej’aideRhode.Ilfallaitquejel’empêchedefracasserlesmiroirsetd’accomplirlesrituelsdel’ordredelaJarretièresurlatombedemonmeilleur ami. Je voulais l’empêcher d’éprouver la douleur deme voir avec Justin. J’avais besoin de tant dechoses…ilfallaitquequelqu’unnousvienneenaide.–Jeteconvoque!hurlai-je.Jeteconvoque,Suleen!Soudain,lefeuexplosaenhautesflammesrouges.Leboissautaenl’air,propulséparunaffluxd’énergieviolent

commel’enfer.Jefusmoi-mêmeviolemmentprojetéeenarrière,avantd’atterrirsurledosdanslesable.Etlà…Monbras.Desflammesmeremontaientjusqu’aucoude.–C’estpasvrai!s’écriaVickenenjetantdesbrasséesdesabledessus.Jeroulaisurlecôtépourlesétouffer,puismerassis.Jemebalançaisd’avantenarrière,etc’estalorsseulement

quejem’enrendiscompte:jemetenaislepoignetethurlaisàpleinspoumons.Jen’avaispasentendumapropreterreur.Cesflammesavaientsurgidenullepart.Ellesn’auraientjamaisdûmontersihaut.Vickensaisitlegrimoireetmetraînaverslavoiture,mêmesijeglissaisettrébuchaissanscessesurlapentesableuse.Jejetaiuncoupd’œilàlaportedessinéeetautasdebois,quiavaitcessédeflamber:c’estàpeines’ilfumottaitencore.

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Laporte.Elleavaitdisparu!Monbrasmefaisaitunmaldechienetjefislagrimace.–Qu’est-cequi s’estpassé ?Çaa raté ?demandai-je avecungémissementdedouleur, serrantànouveaumon

poignet.Vickenm’ouvritlaportepassageretjemeglissaisurlesiège.Nousétionsàprésentsurlaroute,etlescahotsmedonnaientmalaucœur.–Oùestl’hôpital?criaVickend’unevoixpaniquée.–L’infirmerie.Conduis-nousàl’infirmeriedeWickham.Ilfautquejesoisprèsdemachambre.Lesortdebarrage!

criai-jeàmontour,sansosertouchermonavant-bras.Sionafaitvenirquiquecesoitaveccesortdeconvocation,ilfautsemettreàl’abri.Mapeaumebrûlaithorriblement,j’avaisenviedeplongerlebrasdansunseaudeglace.J’appuyailefrontsurla

vitre,espérantmerafraîchir.Nousprenionslesviragessurleschapeauxderoue,etchaquefoisqueVickentournaitlevolanttropvite,celam’envoyaitunélancementdedouleur.–Tudevraiséviterdeleregarder,trèschère,meditVicken.Çan’arrangerien,aucontraire.Encoreunvirageserré,etmonépauleheurtalavitre,diffusantànouveauladouleurdanstoutmonbras.–C’esttoiquiaseucetteidéegéniale!s’énervaVicken.ConvoquerSuleen!Etenutilisantlamagiedeséléments,

enplus!Quit’aditdenepast’enmêler?LeFeu,l’élémentlui-même,t’aordonnéenpersonnedenepasjoueravecça.Maisnon!LenahBeaudontenevaquandmêmepasécouterlesAeris,vouspensez!–Tupourraisgardertescritiquespourtoi,s’teplaît?râlai-jeentremesdents,serrantmonpoignetencoreplus

fort.C’étaitvrai,j’auraismieuxfaitdenepasregardermonbras,etmonestomaceutunspasme.Lapeauformaitdes

cloques,rouges,àvif,horribles.Aumomentoùjecroyaisquejen’allaisplussupporterlesmouvementsdelavoiture,celle-cifranchitleportaildulycéeetlevigilepostéàl’entréenousfitsignedepasser.Leslieuxétaientanimés,pourunsamedimatin.Lesexternesn’étaientpaslà,maisilrestaitdesdizainesd’élèvesquirévisaientousedétendaientsurlespelouses.Lavoiturestoppadansungrandcrissementdepneus.Vickenenfitletourencourant,ouvritmaportière,etsonbraspasséautourdemesépaulesmeréconfortaunpeu.Ilm’aidaàmelever.Desvoix.Ladouleurdansmonbras…ettantdevoix.«Lenah.»«Çava?»«AllezchercherJustin,quelqu’un!»Non sansmal, Vicken etmoi arrivâmes à la porte de l’infirmerie. J’étais certaine quemes jambes allaientme

lâcher.J’avaisenviedehurler,depleurer.Jedétestaisladouleur.Celle-ciétaittellementintensequej’étaiscertainedegarderdescicatricesàvie.Vickenouvritlaportedel’infirmerieengrandetentraavecmoi,quitenaisàpeinedebout.Uneinfirmièresurgit

dederrièrelecomptoirdel’accueil;ellecriaaumédecindevenir.Jem’appuyaissurVicken,lamaintoujoursserréesur mon poignet. Des larmes involontaires me montaient aux yeux. La sensation de brûlure et les vagues desouffrance m’écrasaient littéralement. Lorsqu’une femme en blouse blanche arriva en courant, je comprisintensémentlesoulagementtrèshumainqueprovoquel’apparitiond’unmédecin.Jeluitombaidanslesbrasetvomisparterre.

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Chapitre17–Commentas-turéussiàtefaireça?medemandauneinfirmièreuneheureplustard.Unépaisbandagem’entouraittoutl’avant-bras,dupoignetaucoude.–Enfaisantcuiredesbrochettessurunfeudecamp.Mensongeflagrantmaisnécessaire.Pourquoilesortilègea-t-iléchoué?medemandai-jepourlamillièmefois.– Eh bien tu as eu de la chance,me dit l’infirmièreWarner. Une flamme nue peut provoquer des brûlures au

troisièmedegré.Lestiennesnesontqu’audeuxièmedegré.Àl’avenir,contente-toidemangeràlacantine!Vicken,quinem’avaitpasquittéeuninstant,s’adossaaumur,enfacedemonlit.–Bienvenueauclub,medit-ilendésignantsonœil,quiétaitpresquerevenuà lanormale(lapeauautourétait

encorelégèrementjaune,maisc’étaittout).LevisagemassacrédeRhodepassauninstantdansmatête.Puisc’estJustinquientraencoupdeventetvintse

posteràmonchevet.–Lenah!Maisqu’est-cequit’estarrivé?Tuasfilécematinavantquejepuisse…Ilsetutlorsquel’infirmièrerevint.–Seulementquelquesminutes,Justin,dit-elle.Jenepeuxpasaccueillirtouteuneménagerieici.–Ouimadame.Ilpritmamainintactedanslasienneetembrassamesdoigts.–Ohlàlà,pitié,jevaisvomir!soupiraVickenavecmalice.Justin lui décocha un regardmeurtrier, et l’infirmière s’en alla enmeprévenant qu’elle allait revenir avec des

antalgiques.Aussitôtqu’ellefutsortie,Justinmesoufflaunequestion.–C’estAvaquit’afaitça?Vickenfronçalessourcilsmaisneditrien.–Non,pasAva.Vickenetmoiavonstentéunsortdeconvocation.–Deconvocation?–PourappelerSuleen.–Etçanes’estpaspassécommetuvoulais?–T’astoutcompris,monpote,fitVickenensedétachantdumur.Jemelaissaiglisserdulit,etlorsquemespiedstouchèrentlesol,iltintmesdoigtsducôtéendommagétandisque

Justinmesoutenaitpar l’autrebras. Jesoupirai : j’avais justeenviederesterallongée.L’infirmièrerentradans lapièceenexaminantl’étiquetted’unflaconmédicalmarronqu’elletenaitentresesdoigts.

–Vicken,tudevraisraccompagnerLenahàsachambre,dit-elleenlevantlatêtepourregardertouràtourlesdeuxgarçons.OuJustin.Débrouillez-vousentrevous.

–Justinestpressé,ilaunentraînementdecrosse,ricanaVicken.–Arrête,luicrachai-jeentremesdents.L’infirmièreluitenditleflacondecomprimés.–Lesinstructionssontsurl’étiquette,Lenah,jetesuggèredelessuivre.–Etsijet’apportaisàmangercesoir?proposaJustinenmelâchanttandisqueVickenm’entraînaitverslaporte.–Super!C’estparfaitcommeça.Pendantquenoussortionstousdelasalle, je lançaisanscessedescoupsd’œilvers laportedel’infirmerie: je

m’attendaisàvoirRhodeentreràtoutinstant.Non,Lenah.C’estdansl’ordredeschoses.C’estJustinquiestlàpourtoi.PasRhode.–Ilfaudraquetugardestonpansementencoredeuxoutroisjours,etsurtoutnetouchepaslescloques.Laisse-les

tranquilles. Reviens vendredi, on défera le bandage et on verra où tu en es, me dit l’infirmière en nous suivantjusqu’àlaporte.

–Jel’accompagnerai,précisaJustinavecuncoupd’œilàVicken.Ilsmefirentprendreunantalgiqueavantdepartir,etm’avertirentque lemédicamentmerendraitsomnolente.

Justinm’embrassaencoreunefois,aprèsquoiVickenm’accompagnaendirectiondeSeekerHall.Dormir,oui,ceseraitbon,pensai-jetandisquemonamirépétaitenbouclelespireshorreurssurJustin.Dormir…Dormirm’empêcherait deme demander pourquoi Suleen n’était pas venu à notre secours.Dormir entraînerait

peut-êtredesrêvessusceptiblesdem’expliquerpourquoilesorts’étaitretournécontremoi.Pourquoi,aprèstoutcequenousavionstraversé,Suleenn’étaitpasapparupoursauverRhode.

–N’oubliepas:quandtuprendsunedouche,ilfautquetuprotègestonpansement,quetul’emballesdansunsacenplastiquepournepaslemouiller…Tum’écoutes,aumoins?medemandaVicken.

Affaléesurlecanapé,jecontemplaisleventilateurauplafond.Iltournait,tournait,tournait.Lespales?Queleurétait-ilarrivé?Entournant,ellesformaientunetacheflouesurleplafond.

–Tiens…quiarepeintleplafond?demandai-je,complètementhébétée.Vickenregardaenl’air,puisbaissalesyeuxversmoi,lamineconsternée.–Pourquoinem’est-ilpasapparu?PourquoiSuleenn’est-ilpasvenu?Est-ceparcequeRhodenemepardonne

pas?Jetel’aidit,ça?Ilpensequ’aprèstousmescrimesj’ail’âmetropnoire.–Ilt’aditça?–Non,pastoutàfait.

Page 92: Pour la traduction française

Mespaupièresétaientlourdes,ellesretombaientsanscessesurmesyeux.MonDieu,qu’ellesétaientlourdes.–Bon…Ilesttempsquetudormes.Jecroisquecesantalgiquesfontenfineffet.–J’adoredormir,répondis-jed’unevoixsomnolente.Tucroisqu’onvamourir?Qu’Avavanoustuer?–Demieuxenmieux!soupiraVicken,quidéployaunecouverturesurmoietlabordaautourdemoncorps:un

gestequ’ilconnaissaitbien,maintenant.Onenreparleraquandtuaurastoutetatête.–Toutematête?– Il fautque je file.Mais je reviendraiauxnouvelles toutà l’heure.Etque jene te reprenneplusà lancerdes

sorts!Des sorts, pensai-je en regardant le ventilateur.Des sorts qui nemarchent pas. Des sorts quime fontmal. Et

lentement…jem’endormis.Jesuisaucentredugymnase,seule.Ilestdécoréd’étoilesblanches,defloconsdeneigescintillants,depaillettes

étincelantes.J’aidéjàvucela: lasalleestdécoréecommepourlebald’hiverdel’andernier.Jebaisselesyeuxettouchelasoied’unelonguerobedusoir.Cellequejeportaislorsdubal!Au-dessusdemoi,lesspotsfixésauplafondclignotentenbleuetrouge,bleuetrouge,bleuetrouge,etsereflètentausol.Lamusiqueestunslow,maisiln’yapersonnedanslacabineduDJ.Lesonestfort,aupointdefairevibrerleplancherdéserté.Oùsont-ilstouspassés?Jevaispourfaireunpas,maisreculemonpied…Qu’est-cequec’estqueça?J’aifailli

marcher surquelque chose.Un collier ? Jemebaisse et ramasseun cordonde cuir. Lependentif de Justin y estaccroché.Jeregardetoutautourdemoi.Iln’apaspuleperdreparinadvertance.Pasaprèstoutcequ’ilm’adit.Etilytient.Ilfautquejeleluirende.

–Justin?!crié-jedanslasallevide,àpleinspoumons,pourcouvrirlamusique.Justin!–J’aitoujoursaimécetterobe,faitalorsunevoixquejeconnais.Jemeretourned’uncoupverslaported’entrée.Tonys’approchedemoi,vêtud’unsmoking,exactementcommelorsdecebal.Vivantetenbonnesanté.–Cesontlesfillesquil’ontchoisie,dis-je.Tonyestdevantmoi,lesmainsdanslespoches.Sespiercingsetsonsouriresolairesontexactementtelsquejeles

aivusladernièrefois.–J’aiperduJustin.Jeneleretrouvepas,dis-jeencore,encontemplantlegymnasedésolé.–Ilreviendra,meditcalmementTony.Tuveuxdanseravecmoi?–Oui.Jeleprendsdansmesbrasetnoustournonsdanscegymnase,monmeilleuramietmoi.–Jedonneraisn’importequoipourterevoir,ajouté-jeencontemplantsestraitsagréables.–Celaarrivera.–Quand?Ilmefaitpirouetterafinquemajupetourneautourdemoi.Maislorsquejemeretrouveànouveaufaceàlui,c’est

Avaquisetientlà.Noussommesvêtuesdemanièreidentique.Jeréprimeuncridesurpriseetrecule.Sescheveuxsontlongsetraidessursesépaules.Elleessuiedusangsursabouche.–C’estluiquiavaitlemeilleurgoût,déclare-t-elle.

Le lendemain matin, en m’habillant, je flairai une senteur de tabac dans l’air. Vicken avait dû venir me voir

pendantlanuit.«C’estluiquiavaitlemeilleurgoût.»Cettephrased’AvacontinuaitàmerésonnerauxoreilleslorsquejesortisdeSeekerHallpourtraverserlecampus.

Oui,Avapouvaits’exposeràlalumièredujour.Maismoiaussi.J’avaisdesgensautourdemoiquim’aimaientetdesgensprêtsàm’aidersij’enavaisbesoin.Etaprèscerêve,ilfallaitquejevoieleportraitdeTony.Jenel’avaispasvoulujusque-là.Jen’étaispasremontéedanslatourdesartsdepuissamort,maisàprésent,lemomentétaitvenu.

Jemarchaiseninhalantprofondémentl’airmatinalpourtenterdem’éclaircirlesidées.Desélèvesmehélaient.«Salut,Lenah!Commentvatonbras?»«Lenah,qu’est-cequetut’esfait?»Jetâchaidechasserlesouvenirobsédantdemonrêve,delefairefondresouslevifsoleil,parmilafouledemes

camarades.Despicotementscirculaientdansmesbras,descendaientdansmesjambes,jusqu’àmesdoigtsdepied.Jedétestaiscescomprimésblancsquimedonnaientl’impressiond’avoirprisunedoubledosed’opiacésetd’absinthe–unmélangequejeconsommaisfréquemmentlorsquej’étaisvampire.Jemarchaistoujours,maisj’avaisdumalànepasagrippermonbrasbrûlé ;moncœurenvoyaitdusangdanscebras,cequi faisaitbattre ladouleurdansmesdoigts.Jeplissailespaupières,éblouieparlesoleil,etm’abritailesyeuxenplaçantmamainabîméeenvisière.Lapeaubrûléebattait aumême rythmequemon cœur. Je dépassai le foyer et la pelousenoire demondedevant lebâtimentQuartz.Pendantunbref instant, au coursde lanuit, j’avais vumonmeilleur ami en vie.Commec’étaitcrueldel’avoirlà,prèsdemoi,puisqu’ilmesoitenlevéaumatin!Maisjevoulaissonréconfort,mêmedanslamort,etjemedirigeaisversleseulendroitoùjemesentiraisprochedelui,oùnousserionsensemble.

MaintenantquelebâtimentHopperavaitenfinrouvert,lesélèvesensortaientavecdeschevaletsetdescartonsàdessins. Je regardai leursmains, lapeintureséchéesur leursdoigts, le fusainsous leursongles.CelamerappelaTony,sonvisagemaculédetachesdecouleuretsongrandsourire.J’étaistellementperduedansmespenséesquejefaillisheurterJustindepleinfouet.

– Lève la tête, me dit-il avec son adorable sourire nonchalant. J’allais justement chez toi pour prendre de tesnouvelles.J’aifrappédeuxfoishiersoir,maispasderéponse.

–Oh…Cespetitespilulesqu’onm’adonnéesm’ontassommée,jenet’aipasentendu.Ilfitunpasversmoi.–Jemesuisfaitdusoucipourtoi,hier.D’abordcettecoupureinfligéeparAva,etlamortdeMrsTate,etàprésent

cesortdeconvocationettabrûlure…L’intensitédesonregardmeforçaàm’arrêter.Unepetitegênes’installaentrenous.Celamerappelalesoirde

monanniversaire.–Jetrouvequejeprendstoutçademanièreplutôtcool,continua-t-il.Jeveuxt’aider,tusais.Parcequeaprèston

anniversaire,jecroyaisqu’onétait…Jecroyaisquetuétaisavecmoi.–Onl’est,dis-je.Jeveuxdire,jesuisavectoi.–Bien.Ilmepassalamainsurl’épaule.–Écoute,onpeutreparlerdeçaplustard?Jecomptaismonteruninstantdanslatourdesarts.Sijen’yvaispas

maintenant,jeneleferaijamais.Tuvoiscequejeveuxdire?LedosdeJustinseraidit.

Page 93: Pour la traduction française

–Tuvasvoirleportrait?Pourtouteréponse,jehochailatête.Sesyeuxs’agrandirent.Desamainlibre,ilattrapasonpendentifetlefrottanerveusement.–Vas-y,moijenepeuxpasmonterlà-haut,finit-ilparmedireenmelâchantl’épaule.Jevisqueseslèvresétaientagitéesdeticsnerveuxtandisqu’ils’efforçaitdetrouverlemotjuste.Ilsecoualatête

etfronçalessourcils,puiss’exprimasansciller.–Jenesuispasprêt.Jenedispasquenousétionsamis,Tonyetmoi,maisensuiteilestmort…Etj’aivucequej’ai

vu…Savoixs’éteignit.Clairement,ilétaittoujourstraumatiséd’avoirassistéàlamortdeTony,danstoutesonhorreur.

Justinetmoiétionsarrivéstroptardsurplace.–Jecomprends.Desélèvescontinuaientdesortirautourdenous.Ilfitquelquespassurlapelouse,maissansmequitteruninstant

desyeux.–Passeàmachambreaprès,medit-il.–D’accord,répondis-jeavecunpetitsourire.Promis.Ens’éloignant,ilserrasonsacdecourscontresapoitrine.Jepromenaimonregardsurlecampus,observantlesélèvesquiprofitaientdecettebellejournée.Maiscequeje

voulais,c’étaitêtredanslatourdesarts,mêmes’ilyavaitdesélèvesentraindetravaillerlà-haut.Ilsn’avaientpasbesoindesavoircequejefaisais.Laportevitréesefermaderrièremoiavecunpetitchocsourd.Unemarcheaprèsl’autre,toutengravissant l’escalierencolimaçonquimontaitdanslatour, jerespiraideplusenplusàfond,avecsoulagement.Enfait,jemesentaismieux,sansaucundoute.C’étaitbiencequ’ilmefallait.

Engrimpant,jecroisaiquelquesélèvesquidescendaient.Ilsdurentsetournerdeprofilpournepasmeheurteravecleursgrandscartonsàdessins.Jemontaiencore,etm’arrêtaiàmafenêtrehabituelle,celleparlaquellej’avaisregardélorsdemonarrivéeàWickham.Mesdoigtseffleurèrentlespierres,etj’hésitaienvoyantJustinentrerdanslebâtimentQuartz.

Arrivéeàladernièremarche,jepassailaporte…etjemevis,moi.Tonyavaitvoulupeindreceportraitaussitôtque nous nous étions connus. Il s’était inspiré d’une photo prise par lui un jour où nous étions allés faire de laplongéeavecmasqueettuba.Jemeregardaipeintesurlatoile:onm’yvoyaitdedos,àpartirdelataille,latêtetournéedeprofil.Mescheveuxétaientrepousséssurlecôtépourrévélerletatouagequejeportesurl’omoplate,ladevisedemoncercle:Honnisoitquimalypense.

Jene le remarquaipas immédiatement,maisClaudiaétaitdans lapièce, sous leportrait.Elleétaitbaissée,entraindefermeruncartonàdessins,etlorsqu’ellesereleva,elleregardad’abordletableau,puismoi.

–Personnen’apuserésoudreàl’enlever.Onaccrochesimplementnosœuvresautour,medit-elle.–Jenesavaispasquetupeignais.Elletirasescheveuxblondsenqueue-de-cheval.–Ohnon.J’aijusteprisdessinenoption.Nouscontemplâmesmonportraitensemblependantunmoment:monprofil,lacourbedemonsourire.–J’ail’impressiondemevoiràuneautreépoque.Dansuneautrevie.–Lenah,tuasdix-septans.Nesoispassimélodramatique!–Tuasraison,dis-je.Àcemoment-là,onentenditclaquerunelourdeporte.–C’estla…?commençaClaudia.Mais ce n’était pas la peine. Je sus immédiatement. La porte de l’atelier était ancienne, en chênemassif. Elle

restaittoujoursouverte.Etquelqu’unvenaitdelafermer.JemeretournaienmêmetempsqueClaudia.Ava.En la voyant, je fus horrifiée un instant, mais l’horreur fut aussitôt remplacée par autre chose. Mes joues

brûlaient.Lacolèreexplosadansmonventre,accompagnéedeladéterminationquiavaitcaractérisémonexistencedereinevampire.

Lescheveuxparfaitementcoiffésd’Avatombaientsursonchemisierenbouclesdélicates.Sesyeuxvertsombreseposèrent sur moi et un large sourire vint étirer ses lèvres. Elle osait se présenter devant moi ? ici ? Je sentaispresquelavampireenmoimontrerlescrocs.

–Claudia,abrite-toiderrièremoi.Ellem’obéit.Jesentissarespirationhachéedansmoncou.– Vois-tu, je ne crains plus rien des humains,me dit Ava. Je cours plus vite que n’importe lequel d’entre eux,

désormais.–Tuastort.Tudevraismecraindre,moi.Sonregardflottajusqu’àmonportrait.–Joli,n’est-cepas?fit-elleensouriant.C’estdommage,cequiestarrivéàcegarçon.Claudialâchaunpetitcri.–Tucroyaisquejenem’enrendraispascompte?Lavoixd’Avaétaitcassante.Elleparlaitdurituel.–Ehbien,oui.Jenetecroispastrèsmaligne.Elleressemblaitàunestatue.Ellesetenaitdroite,lespiedslégèrementécartés.Enjeanettoprouge,elleétait

superbe.–Lenah…,mechuchotaClaudia.Quiest-ce?–Chhhut…JenequittaispasAvadesyeux.–Tunepensesquandmêmepasquej’aiessayécesortridicule,si?–Si.Jepensequetul’asessayé.Jepensequetum’ascrueassezbêtepourteledonner.Soisforte,Lenah.Ellefitletourdelapiècepourallers’arrêterjustesousletableau.J’agrippailepoignetdeClaudiaetlamaintins

derrièremoitoutenpivotantpourresterfaceàl’ennemie.Claudiapressaitsesdoigtsfinscontrelesmiens.Sij’arrivaisàfairesaignerAva,nousaurionsletempsd’essayerderouvrirlaporte.Ilfallaitquejel’affaiblisseet

quejegagnedutemps.Net’arrêtepasdeparler.–Tuasessayécesortdesjoursaprèsl’avoirreçu,pasvrai?dis-jed’untongoguenard.Tuasenvoyéteshommesà

larecherchedesingrédientsridiculementraresquej’avaismissurlaliste.Lecristalnoirdelacôteafricaine,parexemple.

Avamontasurunpetittabouretposéprèsdumur.Ellelevaunemainetlarecourbacommeuneserred’aigle.Puisellesehaussasurlapointedespiedspourquesamainseretrouvedevantmonportrait.

Page 94: Pour la traduction française

Ilyeutunbruithorriblelorsqu’ellepassasesonglessurlatoile,enpleinmilieu.J’eusl’impressionquec’étaitmoiqu’elledéchiquetait,enregardantleslambeauxdel’œuvredeTonytomberausol.

–Maisqu’est-cequisepasse?chevrotaClaudia.Jeserrailesdents.Avaseremitenmarche.JetenaistoujourslepoignetdeClaudia,etjenouséloignaisd’elle.Nousnousdéplaçâmes

encerclependantunmoment.Nous n’avions pas d’autre choix que reculer. Mes doigts effleurèrent le bois de la porte au passage. Claudia

tremblaitet toutsoncorpsvibraitcontre lemienchaquefoisqu’elle frissonnait.Là,sous letableau, ilyavaitdescasiers où j’avais repéré une boîte de cutters. Parfait ! Une lame si petite entrant dans son cœur ne suffiraitprobablementpasàlatuer,maiscelamedonneraitpeut-êtreunpeudetemps.

–Claudia,soufflai-jeentremesdents,essaied’ouvrirlaporte.Ava,mettantfinànotrelentevalse-hésitation,traversalapiècepoursedirigerdirectementversnous.Enunclin

d’œil, elle me prit par le cou et me souleva. Mon occiput heurta le mur de casiers en bois. Les ongles d’Avas’enfoncèrentdansmapeau,provoquantuneéruptiondedouleurbrûlante.

Mesmainsbattaientl’airderrièremoipourserattraperauxcasiers,cherchantuncutteràl’aveuglette–envain.Je voulais ouvrir la bouche et croasser à Claudia dem’en passer un, mais celle-ci avait reculé jusqu’à la porte,terrifiée.Avameserraitlagorgeencorebienplusfortqu’ellenel’avaitfaitdanslacabined’essayage.Jelevailesgenouxversmapoitrineetlançaimespiedsenavant,directementdanssonventre.Elletitubaenarrièreetjetalesbrassurlescôtés.Ellerepritensuitesonéquilibre,maissonexpressiondesurpriseétaitdéjàunepetitevictoire.

Jetombaienavantsurlesgenoux.Jen’étaispasidiote,j’avaisapprisàmedéfendre.Unmembredemoncercle,Song,m’avaitapprisdes tactiquesutiles.Avaallaitcontre-attaquer,etvite.Lorsque jevoulusm’appuyersurmonbraspourmerelever,jem’effondrai,anéantieparladouleurdemabrûlure.

–Sais-tucequiarriveralorsquejeseraienpossessiondecerituel?J’auraitoutsimplementlecerclelepuissantdumonde,déclaraAvaentraversantlentementlapièce.

Cen’étaitpasversmoiqu’ellesedirigeait.Oh,non…Claudia tiraitsur lapoignéede laporte, lasecouait,pantelante.Saqueue-de-chevalblondeétaitagitéeparses

effortsdésespérés,maisvains.–JevoulaisteprendreàpartsansVickenniRhode.Etc’estcequej’aifait,maisjenepeuxpastetuer!Çanete

rendpasfolle,toi,cegenredeparadoxes?grinçaAvaenlaissantretombersesmainssursescuisses.Rhoden’estjamaisseulsansarme.Crétindemortel.Ilsedéplacetoujoursavecd’autres,ouresteàparlerauxprofesseurs.Maistoi.L’arroganteLenah.Tuchoisisderesterseuleavecunefillehumaine.

AvatiraClaudiaparsaqueue-de-cheval,commeellel’avaitfaitavecKate.Puiselleluiserralecousoussonbrasdroit.Celamerappelacequ’elleavaittentédefaireàVickenchezl’herboriste.Ellenepouvaitpasenlevermonamieenpleinjour,maisellepouvaitlatuer.

Lementondecettedernièretremblait.–Lenah…,gémit-elle.Sonvisagemouilléde larmeset son regardperplexemehanteraientà jamais.Ava tiraencore sur ses cheveux

pourexposersoncou.–Pitié,bredouillaClaudiad’unevoixpâteuse.«Pitié.J’aiunefamille.J’aimemavie.Jeneveuxpasmourir.»J’auraispuproférercesphrasesendouzelangues

aumoins.Onmelesavaitditestantdefois!LorsqueAvamorditdanslecoudeClaudia,lasaliveenvahitmaboucheetunevaguedenauséemesubmergea.

Quelquepart,toutaufonddemoi,jedésiraislegoûtmétalliquedusang.LesgenouxdeClaudiasedérobèrent.Enfin,mesdoigtsserefermèrentsurunbouquetdecutters.JemeprécipitaialorssurAvaetlesluiplongeaidans

lacuisse.Ilyeutunbruitdesuccion.Avarelevalatête.Claudia,àpeineconsciente,étaitinertedanssesbras.Avaeutun

riredémentetunfiletdesangcouladanslecoudemonamie,tachantsonchemisier.–Tucroyaismefairemalaveccespetiteslamesridicules?EllesaisitClaudiaparlesoreilles,medécochaunsourirenarquois,etluibrisalanuqued’uncoupsecavantdela

laisser tomber par terre. Son corps se recroquevilla instantanément, et ses membres heurtèrent le sol avec uncraquementsinistre.

Ellenebougeaitplus.Morte.Lescuttersquejetenaisdansl’autremaintombèrentparterre,etmoncœurdégringolaavec.Non.Ellen’étaitpasmorte. Jenepouvaispas laisser faire. Jerampai jusqu’àelleetprissapetitemaindans la

mienne. Elle étaitmolle et immobile, encore tiède. Ses cheveux s’étaient déployés en éventail par terre, doux etlégerscommedesplumes.

–Debout!m’intimaAvaenmetirantbrutalementparlescheveux.Elle avait toujours plusieurs cutters plantés dans la cuisse. Je lâchaiClaudia etme levai. Ava serrait dans son

poingunegrossemèchedemescheveux,etmegrognaquelquechoseàl’oreille.–Chaquejourquipasse,jedeviensplusforte.(Elleapprochasonvisagedumien,etjeflairaiunremugledesang

pourrissant.)JenepeuxpasattendrelaNuitRouge.(Ellelâchamatêtepouratteindreunrayonnagedelivres.)Etcommejenepeuxpasnonplustefaireenfermerdansuneoubliette…

Avecunrictusabominable,ellesaisitlabibliothèqueàdeuxmainsetlaprécipitasurlecorpssansviedeClaudia,lebroyantdéfinitivement.

Jebondiscommeundiabledesaboîte,traversantlapièced’unetraite.–C’estça,cours!semoqua-t-elle.Etavecunsourireassuré,terrifiant,elleouvritlaportecommesicelle-cin’avaitpasétépluslourdequ’unefeuille

d’arbre.Ellem’adressaunriresec,arrachalescuttersdesacuisseetlesjetaausol.–Reinevampire!ricana-t-elleavantdedescendre.

LesabledelaplagedeWickhammeglaçaitlesjambes.Avecunfrisson,j’ouvrislesdoigts,etlescutterspropres

cliquetèrent en tombant. J’avais été obligéede les emporter avecmoi.MaintenantqueClaudia étaitmorte, je nepouvaispaslaisserd’indices.

J’observaifixementlesondulationsdusable,conscientequ’àuneépoquepassiéloignée,j’auraispuendistinguerlesdétailsinfinitésimaux.Maisjenemeconcentraispas,pasvraiment.Mondosfrémissaitàchaquerespiration.Jem’attendaisàpleurer,cequiauraitétéuneréactionhumainenormale.Maislà,agenouilléesurcetteplage,jen’entrouvaispaslacapacitéenmoi.Jefixaissimplementlesable,ettoutmoncorpstremblait.

Ilyeutunbruitdeclésderrièremoi,puisdespasquiapprochaient.

Page 95: Pour la traduction française

FaitesquecesoitAva.Faitesqu’ellem’enlève,unebonnefoispourtoutes.Maisducoindel’œildroit, jevisunepairedebottesdecombatnoiress’arrêteràcôtédemoi.Ducoindel’œil

gauche,uneautrepairedebottes,usées,dontlecuirbâillait.JelevailesyeuxversRhode.L’étatdecesbottesétaitencoreunepetitepreuvesupplémentairequ’ilétaitbienenviel’annéeprécédente.Qu’il

avaitétémorteletavaitarpentélemonde.Iltombaàgenouxmaisnemetouchapas.–ClaudiaHawthorneestmorte,m’annonça-t-il.–Jesuisdescenduequelquesminutes…non,quelquessecondesavantquelesvigilesnemontent,soufflai-je.Jen’arrivaispasàm’empêcherdehaleter.Jeregardaislesvaguesrouleretsebriserdevantmoi.–Tantmieux, intervintVicken.Tuteseraisretrouvéedansdesinterrogatoiresetdesproblèmesjudiciairessans

fin,avecleshumains.(Ils’agenouillaàcôtédemoi.)Lapoliceattribuedéjàsamortàunaccident.Jesecouailatêteavecincrédulité.Vickenobservaattentivementlescuttersetlespritdanssamain.–Elleauneforceincroyable.Jenesaispascommentelles’yprend.Pascommenous,entoutcas,dis-jeàRhode.Ilfronçalessourcilsenregardantmonbrasbandé,puislesable.–Notreforcen’ajamaisétéaugmentéeparnotrestatutdevampires.Etellepeutsortirenpleinjour,aumilieude

toutlemonde.Ellenecraintpaslafoule.–Allez,meditVickenenmetirantparlecoude.Ilfautqu’onenparle.Maispasici,pasàdécouvert.–Jesuisd’accord,conclutRhode.Ilregardaderrièreluilesarbresquilongeaientlaplage.N’importequiauraitpusecacherdansl’ombredesbois.

Page 96: Pour la traduction française
Page 97: Pour la traduction française

Chapitre18Cesoir-là, tout le lycéeneparlaitquedudécèsdeClaudia. Jen’auraissudirequellesrumeursétaient lesplus

ridicules:elleavaitétéassassinéeparungangvenuvolerdumatérieltechnique; latourdesartsétaithantéeetc’étaitunpoltergeistquil’avaittuée;oualors,quelqu’unavaitvolontairementdévissélabibliothèquedumurpourqu’elle lui tombedessus. Jesupposequeriende toutcelan’avaitdesenspourunhumainnormal, forcément.Onavaitappeléd’autresagentsdesurveillanceenrenfort,etlescoursétaientannuléspourlesdeuxjoursàvenir.Aprèsunenouvelleréuniond’urgenceimposéeàtouslesélèves,Rhode,Vicken,Justinetmoinousretrouvâmes

chezmoi.Lesdeuxpremierssetenaientprèsdelaporte-fenêtredonnantsurlebalcon,lesbrascroisés,tandisqueJustinétaitassisàcôtédemoidanslecanapé.–Bon,vousallezmeracontercequis’estvraimentpassé,n’est-cepas?dit-ilenmeregardant.Ilposalescoudessursesgenouxetsepenchaenavant.–Parcequej’aivuLenahjusteavant…(Ilbaissalatêteuneseconde.)…Justeavantd’apprendrelanouvelle.–Unàun,l’unaprèsl’autre.Voilàcequivasepasser.Dèsl’instantoùonbaissenotregarde,dis-jeenregardant

RhodeetVicken,pétriederemords.Jenecomprendspasd’oùelletientunetellepuissance.Àmoinsdelasaigner,nousn’avonsaucunmoyendenousdéfendre.Surtoutvulavitesseàlaquelleellepompelesang.Commentfait-ellepourl’extrairesirapidement?J’avaisl’impressiond’êtretropserréedansmapeau.J’avaisétésiégoïstedemonterdanslatourdesarts!Non,

j’avais été égoïste et idiote. Son pouvoir surpassait de loin celui qui avait été lemien,même au sommet demasplendeur. Lorsqu’elle était venue au centre commercial, encore, elle avait pu y entrer par les caves ou rester àcouvertdansunevoiture.Ilyavaittoujoursmoyend’éviterlalumièredirectedusoleil.Etelles’étaitarrangéepourêtreseuleavecmoi.Alorsquecettefois,elleavaittraverséuncampusgrouillantdemonde.Croisédescentainesdegens.Elleétaitentraindedevenirbientropforte.–Ilnousfautunestratégie,ditVicken.–Onpeutcompterlesunssurlesautres,répondis-je.–Onnepeutcomptersurriendutout.Dis-luidonccequ’onafait,Lenah.–Mercibien,Vicken,lâchai-jeenespérantqu’ilcomprendraitàquelpointj’étaissarcastique.–Medirequoi?s’enquitRhode.Jemelevaiducanapéetcroisailesbrassurmapoitrine.–J’aitentédeconvoquerSuleen.Pourqu’ilnousaide.Maisj’aiéchoué.–Commentça,tuastentédeconvoquerSuleen?Vickenseraclalagorge.–Ehbienvois-tu,nousavonslancéunsort.–Vousavezquoi?s’exclamaRhodeensedécollantdumuretenlevantlesbrasauciel.Vicken…Tun’aspascru

bondemeraconterça?–Pourquoi,c’esttonespion?intervins-je.–Çaauraitpuêtreutile!sejustifiaVicken.–Maisvousn’avezriendanslecrâne?Ondiraitquevousn’avezjamaisétéimmortels,touslesdeux.Jem’étonne

qu’ellenevousaitpastrouvésetpoignardésenpleincœur,bonDieu,pendantquevousétiezentrainde jetercefichusort.–Parfois,çavautlapeined’essayer,répliquai-je.Lesbrastoujourscroisés,jem’appuyaicontrelaportedemachambre.–Qu’est-cequivalaitlapeine?Tebousillerlebras?C’estlàquec’estarrivé,n’est-cepas?(Jenerépondisrienet

RhodesetournaversVicken.)Ettoi,tul’aslaisséefaire?–Commesij’avaispul’arrêter!–Suleenalepouvoirdenousprotéger,plaidai-je.–Neparlezpasdeceschosesdevantlui!ajoutaalorsRhodeenmontrantJustindugeste.Ilnecomprendpas.Justineutunsouriremauvais.–Jecomprendstrèsbien.MaisRhode,apparemment,nel’entenditpascarilcontinuasursalancéesansmequitterdesyeux.–Tunecroispasquej’aiessayémoi-même?J’aiappeléSuleenquandtum’asditavoirvuAvaàl’herboristerie.En

vain.Tuaschoisi,auchampdetiràl’arc…Ilseforçaalorsàsetairepourréfléchiràlasuite,puisinspiraunpetitcoup.–Personnenenousviendraenaide.J’avais toujours cruque si l’und’entrenousétait capabledecontacterSuleen, c’étaitbienRhode.Etaprès les

souvenirsquej’avaisvusdanssatête,j’auraiscruqueledoyenviendrait.–QueveutAva?demandasoudainJustin.–ElleveutêtreLenah,ditVicken.–Elleveutlerituel,ajoutaRhode.–Pourquoinepassimplementleluidonner,etéviterd’autresdécès?Vickeneutunrirecruelquidéchiral’atmosphère.–Ehbienquoi,qu’est-cequeçapeutfaire?insistaJustinennousregardanttouràtour.–Cequeçapeutfaire?répétaVicken.Rhodesoupira.

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–Sidescréaturessurnaturellesdéversentleursintentionsdansunsortaussipuissant,expliqua-t-il,celareviendranousexploserauvisage.LerituelpourraitconféreràAvadespouvoirs inimaginables. Ilpourrait libérer lemaletattireràLoversBaydescréaturesquinesenourrissentpasdesang…maisdirectementdesâmes.Voilàcequeçapeutfaire.Lerêvedanslequelj’avaisvuWickhamabandonnéetLoversBayenruinerefitsurfacedansmonesprit.Ilyeutalorsunsilencedeplomb.Vickenfutlepremieràlebriser.–Onnepeutquandmêmepaséleverunsortdebarrageautourdetoutlecampus.Rhodepoussaungrossoupir.–Quevoulez-vousqu’onfasse?Semettredel’aildanslescheveux?Descrucifixautourducou?–IlnousfautSuleen,insistai-je.Oualors,onpourraitappelerlesAeris.Ellessontpluspuissantesquen’importe

quelvampire.–Non, on ne peut pas les appeler, gronda Rhode. Tu viens d’échouer à convoquer Suleen, et tu envisages de

recommenceravecdesentitésencorepluspuissantes?–Etpourquoipas?Ilnousrestepeudetemps.LaNuitRougecommencedansdeuxsemaines.Labarrièreentre

notremondeetlemondesurnaturels’affaiblitdéjà.–Lenah,tuasfaillinepassortirvivantedecettetour,merappelaRhode.–Alorsqu’est-cequ’onfait?Onresteenfermésdansnoschambrespourl’éternité?–Non, il faut qu’on se prépare. Nous savons qu’Ava est affaiblie lorsqu’elle saigne. Il suffit de trouver le bon

momentpourl’attaquerparleseulmoyenqu’ilnousreste.Leseulmoyen.Biensûr…Ilyeutencoreunsilence,aprèsquoijedistouthautcequeVickenetRhodepensaienttoutbas.–Desarmes.JecroisaileregarddeJustin.Rhodehochaunefoislatête.Nousyétions.Notreseuletuniqueespoir:quatrecorpshumainsquinefaisaientpaslepoidsfaceàAvaetses

pouvoirsexceptionnels.–Voicicequ’onvafaire,repritRhode.Nejamaisresterseuls.(Ilmeregarda.)Nejamaisresterdésarmés.C’est

trèssimple.Nousnoustiendronssurnosgardesenpermanence.Toujoursarmésd’unpoignard,ettoujoursbienenvue,auxyeuxdetous.(SonregardparcourutlapiècepourfinirparseposersurJustin.)C’estcommeça,quandonestlaproie.LesobsèquesdeClaudiaHawthorneeurentlieule1eroctobre,àlapleinelunedel’équinoxed’automne,premier

jourdumoisdelaNuitRouge.Ilyavaitunegrandemaréeexceptionnelle,dujamaisvudansl’histoire:lesvaguesmontèrentdequatremètressurlaplagedeLoversBay.Lacérémoniefutbrève,etjegardailesyeuxrivéssurlesolducimetière.Lorsquelesélèvesremontèrentdanslescarspourrentreraucampus,Rhodelaissaunefleurdejasminsurlecercueil.S’ilsavaientsupourquoi!S’ilsavaientsupourquoinousnoussentionssiresponsables…Surlecheminduretour,Tracymarcharapidement.Ellesehâtaitàpetitspasvifs,sestalonscliquetantsurlesol

del’alléelorsqu’ellerejoignitsondortoir.Je la regardaipartir.MaintenantqueClaudiaetKateétaientmortes,TracySuttonétait tout cequ’il restaitdu

Trio.Jen’auraispasétéétonnéequ’ellequitteceslieuxmaudits,qu’ellecourechezellesefaireréconforterparsesparents.Unedouzained’élèvesdesecondeetdepremièreétaientdéjàpartisdéfinitivement.Aufildesjours,quelques-unsdenoscamaradescontinuèrentàs’habillerennoir,maislacouleurrefitpeuàpeu

sonapparition,ainsiquel’enthousiasmepourlebald’Halloweenquis’annonçait.C’étaitladernièrechosequipuissesouleverunpeud’impatiencesurlecampus.Entredeuxdébatssurlescharsdecarnavaletlesdéguisementspourlebal, ladirectionannonçaqu’ellesouhaitaitplanterunarbreenmémoiredeClaudiaprèsdubâtimentHopper.Cesmortels ignoraientdoncque lespinsplantésartificiellementn’apporteraientque tristesseàceuxqui s’assoiraientdessous?Ilsnesavaientpasquec’étaientleschênesquiapportaientlapaix?Non,ilstenaientàplanterunpin,etjenepouvaispasvraimentleurexpliquermesobjections.Jemedemandais siClaudia avait déjà atteint la lumièreblanchedesAeris. Le fait de la savoir là-bas,morte à

causedemoi,victimed’unvampirecrééparmoi,m’encourageaitàlaissertombermonpoignarddansmabottetouslesmatinsaprèsm’êtrebrossélesdents.Chaquefoisquej’envisageaisdelelaisserchezmoi,jerepensaisauxfinscheveuxblondsdeClaudiadéployésautourdesoncorpssansvie.Quelquesjoursaprèsl’enterrement,Vickenetmoiallâmesprendrelepetitdéjeuneraufoyer.Nousregardionsdes

terminalesapporterdesguirlandesetdessquelettesencartonpourdécorerlegymnaseoùdevaitavoirlieulebald’Halloweenàlafindumois,le31octobre–dernièreetpluspuissantenuitdelaNuitRouge.Del’autrecôtédelapelouse,derrièrelebâtimentQuartz,Tracysortitdupetitdortoirdesfillesdeterminale.Je

fusobligéed’yregarderàdeuxfoispourêtresûrequec’étaitbienelle.Elleavaitteintsescheveuxenbrunfoncé,etsespommettesétaientsisaillantesqu’elleneseressemblaitplus.Elleétaitmaigreetcreuse,trèsdifférentedelafillerayonnanteetdébordantdevitalitédel’annéepassée,cellequineportaitquedestenuesassortiesdelatêteauxpiedspourparader sur tout le campus, celle qui semaquillait pour les coursde sport, et tenait à avoir lemêmepyjamaquesescopines.Copinestoutesdeuxdécédées,àprésent.Unecertaineforceémanaitd’elledésormais, laduretédequelqu’unquiatenulamaindelamort.Jeneluiauraispassouhaitécelasitôtdanssavie.Elleavaitunsacàdossurl’épauleetétaitvêtuecommedurantlessemainespassées,toutennoir.Ellesedirigeaitverslazonedesboisquin’étaitpassurveillée.–Oùva-t-elle,àtonavis?medemandaVicken.Tracyjetaunregardenarrièrepourvoirsiellen’étaitpassuivieetremontalabretelledesonsacsursonépaule.–Jevaislasuivre,annonçai-je.–Non,Lenah.Ilmeretintparlebras.Jemedégageaid’ungestebrusque.–Tusaiscequivasepasseraussitôtqu’elleseraseule.Vickenmedévisagea.–Justement.–Laisse-moiunelongueurd’avance.JetraversailapelouseaupasdecoursepourrejoindreTracy,quipassaitàcemoment-làdevantlabibliothèque.–Eh,Tracy!Attends-moi!Elleseretourna.Jem’attendaisàlavoirmesourire,maisaucontraire,ellem’envoyapromener.–Non,Lenah.Net’approchepasdemoi.Jemeretrouvaitoutebête.Sacheveluresombrefaisaitétonnammentressortirlebleudesesyeux.–Moi?Tuneveuxpasquejem’approchedetoi?Elles’appuyasurl’autrejambeetquelquechosetintadanssonsacàdos.Unobjetmétallique.

Page 99: Pour la traduction française

–Oùvas-tucommeça,Tracy?–Nullepart.Elleserenfrogna,l’airbuté.Encoreuntintement.–C’estridicule,insistai-je.Derrièreelle,surlecôtédelabibliothèque,Vickenserapprochaitdiscrètementdenous.Ilallumaunecigaretteet

fit semblant d’être simplement en train de faire une petite pause clope, dos au mur, un pied appuyé contre lesbriques.–Ilfautquej’yaille,meditTracy,quitournalestalonsetfitdeuxpasendirectiondesbois.–Non,Tracy.C’estdangereux.Lesmotsn’avaientpasplustôtquittémeslèvresquejelesregrettai.Ellepartitencourant.Vickenvintmerejoindre.–Elleestarmée,dis-je.–Quelgenred’arme?Nousavionscommencéàcourirsursestraces.ElleétaitdéjàdansMainStreet.–Jen’ensaisrien.–Ellet’aditoùelleallait?–Non,maisj’aimapetiteidée.

Vicken etmoi veillâmes, comme toujours, à rester dans l’ombre. Le soleil de la fin d’après-midi traversait les

branchesnuesetmesbottesnoirescrissaientsurlesfeuillesmortes,superbementcolorées,quijonchaientlesol.–Jen’aiqu’unpoignard,chuchotai-jeaumomentoùnousentrâmesdanslecimetière.–J’enaideux,meréponditVicken.–Combiendetempsavantl’arrivéed’Ava,àtonavis?–Pasplusdequelquesminutes,prédit-ild’untonlugubre.Ilfallaitsanscessequejemerépètequec’étaitTracyquej’avaisdevantmoi.Sescheveuxtombaientmaintenant

enlonguesbouclesbrunchocolat.Lesmainsserréessurlessanglesdesonsac,elletourna,commejem’yattendais,danslarangéedetombesoùsetrouvaitcelledeTony.–Qu’est-cequ’ellefabrique?murmuraVicken.–Viens.Nous remontâmes furtivement le chemin pour la rejoindre. Jem’arrêtai, et sursautai en arrivant en vue de la

tombedeTony.Tracy,quiavaitposésonsac,étaitàgenouxdansl’herbe.Ellepassalesdoigtssurl’étrangecercledeterreretournéequeRhodeavaittracétoutautour.J’attrapai le bras de Vicken. Nous reculâmes dans l’ombre d’un chêne et je fis ce à quoi j’avais été entraînée

pendantdessiècles.J’épiai.Elles’assitsurlahancheet,appuyéesurunemain,tenditl’autrebrasdevantlapierretombale.Ellescrutaitlesolmeuble.Sonpoingserefermasurlaterre,satêteretombaetellefonditenlarmes.Sonbrascédasoussonpoidsetelle

s’effondra sur la sépulture, le visage caché dans le creux de son coude. Son dos était secoué par des sanglotsirréguliers.Ellepleuraitsansréserve,commeonlefaitquandonsecroitseul.Lalumièredujours’accrochaitencoredansleciel,maislaNuitRougeétaitcommencée:lesoleilnefournissait

doncaucuneprotection.L’attaquepouvaitsedéclareràtout instant.Jemepenchaienavant,guettant lesboisquientouraient lecimetière.Lesoiseauxpépiaientens’installantpour lesoir.Unebrise légèrenousapportait l’odeurmusquéedelaterre.Enmaqualitéd’ancienneprédatrice,jem’immobilisaietprisletempsd’écouter.Unchasseurguette à l’oreille toutmouvement anormal de l’air.Carmême l’air bouge.Pour l’instant, ilme semblait quenousétionsseuls.Jem’avançailelongdestombes,Vickensurmestalons.Tracyrelevabrusquementlatête,lesyeuxrougisparles

larmes.Ellesortituncrucifixdesonsac.–N’approchezpas!hurla-t-elle.Vickenreculad’unbondetdégainaundesespoignards.Sonbrasretombadèsqu’ilvitqu’ellenebrandissaitrien

dedangereux.– Tu te fiches de moi, pas vrai ? dit-il. D’abord, ces croix n’ont jamais marché, et, en plus, on n’est pas des

vampires.–Voussavezquiafaitça!mecriaTracy.–Faitquoi?demandaVicken.–QuiatuéClaudia.(Ellemeregardaittoujours.)Justinm’aditquetuétaislà-basavecelle.Danslatourdesarts.–Jen’aipastouchéClaudia.–Alorsc’est toi,peut-être?cracha-t-elleàVicken.Onsait tousdequoi tuescapable.La tourdesartsest ton

endroitpréféré.Elle se leva au-dessus de la stèle arrondie de Tony. Tout ce que je voyais, gravé dans le granit, était le mot

«artiste».Ellemecachaitlerestedel’épitaphe.–Tracy,calme-toi.Cen’estpasnous,dis-je.–C’estmoiquiaiaccompagnéTonydanstachambrel’annéedernière,merévéla-t-elle.J’aivulaphotodeRhode

ettoisurtonbureau,cettephotoquidoitavoiraumoinscentans.Tuarrivesaulycée,etdevinequimeurt?Tony.Etensuitemesdeuxmeilleuresamies,KateetClaudia.Est-cequejesuislaprochainesurlaliste,Lenah?Hein?Ellefinitparcraquer,terrasséeparlessanglots,etlaissatomberlecrucifixdansl’herbe.J’échangeai un regard avec Vicken, puis m’approchai de Tracy et la pris dans mes bras. Elle pleura sur mon

épaule,latrempantdelarmes.Ilyeutunbruitsec.Unesalvedeclaquements.Quelqu’unapplaudissait?–Alorscommeça, lamortellesaitquevousêtesdesex-vampires?se rengorgeaAvaenapparaissantentre les

arbres.Siseulementellesavaitavecquelplaisirvousavezassassinédesenfants!Cettefois,j’étaispréparée.Unsouvenirdelatourdesartsmerevintcommeunflash.–Cache-toiderrière,moi,Tracy.Jemebaissaivivementetsortisdemabottemonpoignard,quejebrandisdevantmoi.Lecœur.Lecœur.Viselecœur.Avamontrasescrocs.LesdoigtsdeTracys’enfoncèrentdansmesépaules.Avas’approchadenousetVicken,mon

merveilleux Vicken, se précipita sur elle, son couteau en avant. Ava s’en prit d’abord à lui. Le saisissant par lepoignet,elleleprojetaauloin,commes’iln’avaitrienpesé.Soncorpss’envolaàtroismètresavantd’allers’écrouleraupiedd’unarbre.

Page 100: Pour la traduction française

Ilnebougeaitplus.Monventreseserra,maisilfallaitquejeresteconcentrée.Jen’avaispaslechoix.Jen’échoueraispasavecTracycommejel’avaisfaitavecClaudia.Pascettefois.Jetinstêteàl’ennemieettendismonpoignarddevantmoi.–Tun’asdoncrienappris?Pourquoisors-tuducampussanstonprécieuxRhode?fitAvaengriffantl’airdevant

moi.Jebondisenarrière;elleratamapoitrinedejustesse.–Tracy,sauve-toi!Avaétait si rapidequ’ellene futplusqu’une tache floue,noiretmiel.Mais j’avaisanticipé sa réaction. Jepris

Tracypar lesépauleset la jetaiausol.Avame laboura lapoitrinedesesongles,quidéchirèrentmachemise. Jepoussaiuncridedouleur.Avaéclataderire,puislançauncoupd’œilmalveillantàTracy.Jesavaiscequej’avaisàfairepourlaprotéger;je

donnaitoutcequej’avais.Pendantqu’elleseriaitdemasouffrance,jepoignardailavampireàl’avant-bras.Lalames’enfonçadans sapeau lisse.Cen’étaitpasunminablecutter, cette fois.Mongestearrêta son rire.Elle regardafixementsablessure,commeabasourdiequej’aieosé.–C’estlesangd’unpêcheurenparfaitesantéquisuintedemonbras,cracha-t-elle.Àsespieds,Tracytiradesonsacunegrandelameargentéequimiroitadanslesrayonsducouchant,maisAvane

semblapaslavoir.Avecunrictusmalsain,elles’avançaversmoi,biendécidéeàriposter.Jelevaimonarme,prêteàfrapperdenouveau.Avanefaisaitabsolumentpasattentionàl’humainecouchéeàsespieds.Àquoibon?Unpeud’espoirs’insinuaen

moi lorsqueTracydonnaungrandcoupdecouteauenpleincentredesachaussure.Avacriaettombaenarrièredansl’herbe.–Va-t’en!hurlai-jeencroisantleregardnoyédemonamie.Cettefois,elleobéit.Ellepartitencourantdansledédaled’arbresetdetombes.Soudain,jemesentisdéséquilibrée.Avaavaitpassé

sonpiedintactderrièremesjambespourmefairetomber.Jepartisenarrièreettouchaidurement lesolàplatsur ledos,cequiréveilla ladouleurdemescoupuresà la

poitrine.J’eneuslesoufflecoupé.Respire,Lenah.Uncoupdepiedvintmeheurterleflancdroit.Unautre,leflancgauche.Lesbouclesd’Ava,quimesemblaientàprésenthorribles,jaunepissenlit,pendaientdevantmesyeux.Sonsouriredémoniaquesetroublalorsqueleslarmesm’aveuglèrent.– Ta petite copine croyait peut-être qu’un coup de couteau dans le pied allaitm’arrêter ? Tu ne vois donc pas

commejesuispuissante?(Jeluttaistoujourspourretrouvermonsouffle.)Etjesuisvouéeàledevenirdeplusenplus,dejourenjour.Oh,chérie,tuasdumalàrespirer?Elles’accroupitau-dessusdemoiet leva l’indexpourmemontrerunenouvelle foissesonglesaiguisés,comme

elle l’avait fait dans la cabine d’essayage. Lentement, je parvins à inspirer un peu d’air : mes poumons figéscommençaientàsedégeler.Elledésignamonbrasbandé.

Neme…nemepoignardepas.– Bien sûr que si, je vais te poignarder, dit-elle, lisant à livre ouvert dans mes émotions. Je croyais t’avoir

prévenue,maisjesupposequetun’écoutesrien.Enex-reinequetues,tucroistoujoursquec’esttoiquidécides.Maisc’estfini,toutça.Elleremuaseslongsonglesrougesau-dessusdemonbrasbrûlé.–Donne-moilerituel.–Jamais.Alors,elles’enpritàmonbras.Sesonglestranchantscommedesrasoirstailladèrentlepansementetatteignirent

lapeauàvif.Unbruitdetissuquisedéchire,unedouleurinsoutenable.Jepoussaiunhurlementsiviolentquejemecassai lavoix.Lasouffrance intensefitremonterunebileamère jusquedansmabouche.Vicken,qu’est-cequetufabriques?–Alors,reinedetouslesvampires?Pourquoitiens-tuautantàterendrelaviesidifficile?«Reinedetouslesvampires.»Tandis qu’elleme regardait dehaut, avec sa peaudeporcelaine et sa bouche ensanglantée, le tempsparut se

ralentir.Nosregardsentrèrentenconnexion.Mesyeuxbleus,sesyeuxverts.Ensemble.Oui.Danssespupilles, jemevoyaisenvampire,renversantlatêteenarrière,labouchegrandeouverte,riantdanslanuit.Je connaissais bien ce désir étourdissant de ressentir à nouveau. Nous ne voulions qu’une chose : avoir des

sensations.Engourdie.Aucunesensationdansmesdoigtsnidansmesmains.Soulager ladouleur.Besoindesangcoulantdansmaboucheetd’énergieserépandantdansmoncorps.J’éprouvais cettedualité enmoi-même, en cemomentmême.J’étaisànouveaulareinedesvampires.Lesprendreparsurprise.Ungrandspectaclepublic.PourHalloween.C’étaientlespenséesd’Ava.Jeconnaissaissonplanparcequ’àcetinstant,lorsquesesyeuxd’unvertartificielde

jadeavaientplongédanslesmiens,jel’avaisvu.Àsaplace,jenel’auraispasformuléautrement.Elle allait chercher àme tuer lors du bal d’Halloween, lorsque je serais trop occupée à tenter de protéger les

humainsautourdemoi. Jevoyais lesdécorations, jevoyais lescorpsdeVickenetdeRhode,mortsetcouvertsdesangsurlesoldugymnase.Etaveccetaperçudemaperversitédevampireremontèrentdessouvenirsoubliésdepuismatransformationen

humaine.Lemeurtred’Ava,lorsquejel’avaisvampirisée.–Jemerappellelejouroùtuaschangé,soufflai-jed’unevoixtremblante.Cen’étaitquequelquesheuresavant

monhibernation. J’aiproposéàVickende temordre,mais ilne l’apas fait.Moi, jevoulais labrusqueboufféedeplaisir,l’euphoried’offriraumondeunnouveauvagabondnocturne.Ellesereculaetsesdoigtssefléchirent,unefractiondesecondeàpeine.Ladouleurseréveilladansmonbraset

m’envoyadeslarmesdanslesyeux.Cequej’avaisàdireétaitplusfacileàavouersijenelavoyaispasclairement.–Pardon,dis-je.Pardonpourcequejet’aifait.Ellerefermalesmainssurmesépaules,mesoulevatrèslégèrement,puis,d’unepoussée,merejetaausol.–N’essaiepasdefairediversion!cria-t-elle.Ladouleurlancinanteremontajusqu’àlaracinedemescheveux.–J’aiattaquéRhodeàHathersageafind’obtenirlerituel,maistoutcequ’ilatrouvéàfaire,c’estmettrelefeuàla

baraque.Vousêtespluslâchesl’unquel’autre.Jevaist’emmeneravecmoicesoir.Jevaist’emmeneravecmoi,etensuite…(Ellegrimaça.)…quandRhodeviendratechercherettetrouveramorte,enchaînéeaumur,ilmerévéleralerituel.–Cerituelneteserviraàrien,crachai-je.Tun’aspaslapuissancesuffisantepourfaireapparaîtrelanoirceurque

turecherches.

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Jem’efforçaideplongerànouveaumonregarddanslesien,derecréerlaconnexion,maisenvain.–Tunesaisriendemapuissance,répliqua-t-elleenlevantsesgriffes,prêteàfrapperunenouvellefois.Jemecrispaienattendantlecoupfatal.Mais soudain, elle sembla s’affaisser. Il y eut un choc sourd, écœurant, et unbruit de chair qui sedéchire. Le

poignard de Vicken dépassait de son cou. Elle tomba, les mains sur la gorge, et roula sur le dos, cherchantdésespérémentàattraperlemancheducouteau.Vicken apparut à côté de moi, les cheveux plus fous que jamais, la joue griffée. Il leva sa botte et appuya

légèrementsurleventredelajeunevampire,quimontrasesdentsetsiffla.–Allons,allons,gentille!dit-il.Maisjelemisengarde.–Elleesttrèsforte.–C’estpourquoi je l’aipoignardée, trèschère,meconfiaVickenducoindes lèvres.Maintenant,dis-nous,d’où

tiens-tutaforceexceptionnelle?luidemanda-t-il,lepiedtoujoursposésonventre.–J’aiaccomplidessortsdontvousn’avezmêmepasidée,grinça-t-elle.Pourdevenirchaquefoisplusrapide,plus

forte,plusrusée.Maisàprésent,jevoyaisdelapeurdanssesyeux.Dusangs’écoulaitdesoncouettombaitsursonépauleavant

d’êtrebuparlaterre.Elletentadeserelevermaisretombalourdement,toujourssouslabottedeVicken.–Lenah,ilvamefalloirunautrecouteau,dit-ilentendantlamainversceluideTracy,quiétaitrestéparterreà

côtédelatombedeTony.Avasedébattaitsoussabotteetmontraitlesdentstelunanimal.Oui,jel’avaistransforméeenvampire,maispasdanslegreniercommej’enavaiseul’intentionaudépart.J’avais

redescendu la pauvrette au rez-de-chaussée. Elle s’était dissimulée derrière mes meubles anciens. Ses yeux, àl’époque,étaientverts,magnifiques,désespérés.Lapremièrefoisquej’avaistentédelatuer,ellem’avaiteueparlaruse,s’étaitenfuiedugrenieretavaitretrouvésafamilleàcôtédesécuries,danslesjardins.–Lenah!Couteau!mecriaVicken.Sonpèrem’avaitsuppliée.Naturellement,jel’avaistuéenpremier.Jeregardaisfixementparterre.SonprénomdenaissanceétaitOdette.«J’aiunevieàvivre»,m’avait-ellesuppliée.«Ahoui?»avais-jeréponduavecunrireimpitoyable.Quelquepartauloin,j’entendaislavoixdeVicken:–Lecouteau!Ellecicatrise!«Non, lamentableenfant,avais-jecontinué.Moi, j’aiunevieàvivre,et jenepeuxpasentrerenhibernationà

moinsd’êtrerassasiée.Toi,tuesjeuneetenpleinesanté.»Jehaïssaismavoixdevampire.Pitié…,répétaitlavoixhumained’Avadansmatête.Suiviedumêmeriremort.Commej’avaisripendantqu’elleimploraitmapitiéetmesuppliaitdeluilaisserlavie

sauve!–Lenah!criaVicken,plusfort.Sortantdemarêverie,jevisAvarefermerlesdoigtssurlemanchequidépassaitdesoncou.Jenepouvaispasbouger.Unécœurementprofondmetraversaitdepartenpart.Reconnaissableentre tous,et

indéniable.Ava arracha le poignard sanglant de son cou. Elle bondit sur ses pieds et envoya un puissant coup de pied à

Vicken,quifutdéséquilibré.Letempsqu’ilseremette,elles’enfuyaitdéjàdanslesbois.–Qu’est-cequit’apris?mecria-t-il.Tracysurgitdenullepart,repritlecouteausurlatombedeTonyetrepartitencourantentrelesarbres.–Hé,lafolle!larappelaVicken.Reviensicitoutdesuite!Elles’arrêtaàl’oréedubois,lecouteaupendanttoujourslelongdesoncorps.QuantàAva,elles’étaitvolatilisée.Vickenlongeal’alignementdepierrestombalesets’arrêtaàcôtédeTracy.Illuiprésentasamainouverte.Ellefit

minedeluitendrelecouteau,maisilsecoualatête.Elleleregardaalorsdanslesyeux,puisconsidéradenouveausapaume.Celasuffitàmebriserlecœur.Ellelaissatomberlecouteaudansl’herbeetluipritlamain.

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Page 103: Pour la traduction française

Chapitre19–D’oùviens-tucommeça?luidemanda-t-il.Jetecroyaisdéjàloinducimetière.–Non,jem’étaiscachéedanslemausolée.Quandjel’aivuepartir,jenesaispas,j’aieuuninstantdebravoure.Jepressaissonsweat-shirtcontremonbrasblessétandisquenousretournionsverslecampusetpassionsdevant

le vigile de l’entrée. Le vêtement absorbait une partie du sangqui suintait dema coupure,mais la douleur étaitsupportable.–Jesuisdésolée,dis-je.Désoléedenepasavoir…–Çava,çava,mecoupaVicken.–Non,çanevapas.J’étaiscommeparalysée.Tracyavaitl’airpensive.–Ilm’afallutoutl’étépouraccepterlamortdeTony.Vickeninclinaunpeulatête.Elleleregarda.–Est-cequetul’astuéparcequetuétaisunvampire?–Nousfaisionsbeaucoupdechoses,entantquevampires,quenousneferionsjamaissousnotreformehumaine,

répondit-ilavecdouceur.–C’estellequiatuéKateetClaudia,n’est-cepas?Sesyeuxbrillaientdanslebleuspectralducrépuscule.J’acquiesçai.–J’aipassél’étéàétudiercommenttuerlesvampires.Jesaispourquoituasuneépéeaumur,cheztoi.Pourquoi

tu accroches des herbes à ta porte. La lavande est là pour protéger ton foyer. Et le romarin… c’est pour lessouvenirs,dit-elleenpassantlamaindanssescheveux.Elle tira un pendentif de sous son tee-shirt. C’était unmédaillon d’argent, qu’elle ouvrit : il contenait un petit

rameauderomarin.J’étaisfascinée,incapabled’endétacherlesyeux.–Tony aussi a fait des recherches sur vous.C’est pour çaque tuportais ces cendresbrillantes à ton cou, l’an

dernier.Commecellesquej’aivuessurtonbalcon.Ensuite,Justinmel’aconfirmé.Quetuétais…(Elles’arrêtapourbienmeregarderdanslesyeux.)…quetuétaisunvampire.Jen’auraisjamaiscruTracysiperspicace.Peut-êtrel’avais-jetoujourssous-estimée.–J’aimaisénormémentTony,dis-je.Ilétaitmonmeilleurami.Aucentredemapoitrine,unedouleurdéchirantemefaisaitoubliercelledemonbras.– Je ne vais rien dire, déclara Tracy. Au sujet de vous deux. Il m’a déjà fallu tout l’été pour accepter que les

rumeurspuissentêtrefondées.Etpuis,Justinl’aconfirmé.(Ellepassaunefoisdepluslamaindanssescheveux.)Bon,enfin,c’estsurtoutquejeneluiaipaslaissélechoix.–Commentça?Àmesurequ’elleparlait,monsoupçondetrahisonsedissipa.– Je l’ai menacé d’exploser les phares de sa voiture. Comme ça nemarchait pas, je lui ai montré toutes mes

recherches.Toutcequej’avaistrouvé.Jeluiaiparlédesphotos.Ilafiniparm’avouerlavérité.–Vousvousressemblezplusquejenelecroyais,Tonyettoi.Saténacitémerappelaiteneffetleseffortsdemonamipourdécouvrirparlui-mêmetousmessecrets.– Jeveuxsavoir.Un jour.Pasaujourd’hui,maisun jour jeveuxsavoircequiestarrivéàTony,affirma-t-elleen

regardantVicken.C’esttout.Tupeuxmelepromettre?–Oui,répondit-il.Jetelepromets.Nous commençâmes à nousmêler à la foule des élèves, qui se déplaçaient par deux ou trois pour rejoindre le

foyer,labibliothèqueoulesdortoirs.–Qu’est-cequ’onfaitpourlebald’Halloween?s’enquitTracy.–Netemontrepas,trèschère,luiconseillaVickenenallumantunecigarette.–Sivousavezbesoindemoi,jevousaiderai,dit-elleenremontantsonsacsursonépaule.Detouteslesmanières

possibles.Cesoir-là,Rhode,VickenetJustinmerejoignirentàmonappartement.Jesortissurmonbalconpourobservermes

cendresdevampire.C’estseulementquandjebougeaisquej’enapercevaisencoreunedernièreétincelle.Plongeantlamaindansmapoche,jetâtailacartequeClaudiam’avaitoffertepourmonanniversaire.–Alorscommeça,tuaseul’impressionderetrouvertesperceptionsextrasensorielles?ditRhode.–Oui.CequevoulaitAvam’estapparutrèsclairement.J’aiperçusesdésirslesplusprofonds.J’aivudesimages

desesprojetspourlesoird’Halloween.–Qu’est-cequiapulesfairerevenir?s’enquitJustin.LaseuleexplicationquejepuisseimaginerétaitqueleliencrééentreAvaetmoiparcettesombrejournée,cent

ansplustôt,m’attachaitéternellementàsonâme.–C’estmoiquil’aitransformée.C’estlaseuleexplication.J’aicomprissesmotivations,bieninvolontairement.–Pourquoinel’as-tupastuéealorsquetuenavaisl’occasion?s’enquitRhode.Jeleregardaifermement,lamâchoireserrée.Moncœurbattaitcommeuntambour.Jedétestaisrepenseràmoi-

mêmeàcemoment-là,incapabledepasseràVickenlecouteauàportéedemamain.J’ignoraiscommentrépondreàcela.Jeconnaissaiscettefemme.Elleétaitseuleeteffrayée,etmoij’avaisaspirésavie.Jel’avaistuée.Pire,j’avaiscréé lemonstrequ’elleétaitdevenue.Samort tournaitenboucledansmatête : lesouvenirdesatiédeur,desestremblementsdeterreuretdemajoiequandjeluiavaisprissachaleuretsavie.JecroisaileregarddeRhode.

Page 104: Pour la traduction française

–Parcequejel’aidéjàtuéeunefois.Désolée,maisc’estlavérité.Çam’aparalysée.Silence.Vickenfinitparparler.–Àpropos,c’estl’heuredudîner,annonça-t-il.Lorsqu’il se leva, il y eut un tintement dans sa botte. Je tournai à nouveau le dos au salon pour faire face au

balcon. Jesavaiscequim’attendaitdansquelques jours,et jen’auraisqu’unevieilleépéeetdeuxpoignardspourabattreAva.J’ignoraissijepourraism’yrésoudre.–Çava?medemandaJustinàl’oreilleenposantunemainsurmonépaule.LaporteserefermaetjemerendiscomptequeVickenetRhodeétaientpartissansdireaurevoir.AussiJustinet

moinousretrouvâmesseulsensemblepourlapremièrefoisdepuislanuitdemonanniversaire.Jem’adossaiàlaporte-fenêtreetcontemplaisonpendentif.Meconcentraidessus.Ill’avaitmisàl’envers:lebijou

étaitretourné.Jecroisaisonregard.Justinm’embrassasurlefrontet,lorsqu’ilreculasatête,mesourit.Sesyeuxs’attardèrent

danslesmiens.Jerepensaiàluicejour-là,lejouroùjem’étaissoumiseaurituelpourrendreàVickensonhumanité.Justinétaittombéàgenouxlorsquej’étaissortiesurlebalcon.J’étaistellementprêteàtoutlaisserderrièremoi,àcemoment-là…–C’estleplusdifficile,luiavais-jedit.Lesingrédientssontimportants,biensûr,maislesacrifice,l’intention,c’est

cequicompteleplusdansunrituel.Toujours.L’intention…Des imagesdusortdeconvocationrevinrent flotterdansmonesprit : les flammesbondissantsoudain, laporte

brillantdanslesable.Mesintentionsavaient-ellesétépures?Lesavais-jebiencanaliséesdanslesortilège,afinqu’ilm’apportecequejedésirais?–Biensûr!m’exclamai-jesoudain.Biensûr!Lesorts’étaitretournécontremoiparcequemesintentionsétaient impures.Pourqu’ilréussisse, ilaurait fallu

qu’ellessoienttoutestournéesdanslamêmedirection,maisellesétaientpartagées.Jevoulaisêtreprotégéed’Ava,maisenréalité,c’étaitpourRhodequej’appelaisSuleenàmoi.Jesavaiscequej’avaisàfaire,àprésent!Monmoralremontaconsidérablement.–J’aibesoindetonaide,dis-jeàJustin.–D’accord…Uneétincellebienveillantebrillaitdanssesyeux.Ellemerappelapourquoij’avaisdormisoussatentelanuitde

monanniversaire. Pourquoi j’avais laissé ses caressesme ramener l’annéedernière, à l’époque où je croyais quevivre en tant qu’humaine serait simple.Que je pouvais êtreune jeune fille amoureuse, libéréedes échosdemonpassé.Maisnousdevonstoujourspayerpournosatrocités.C’estpourcelaquel’intentionquisous-tendlessortilègesest

siimportante.–Lenah?demandaJustin.–Jevaislerefaire.–Quoi?Lesortdeconvocation?–Oui.Lefeuétaitderetourdansmonventre.Oui.Oui.Jerecommencerais,avecdes intentionspures,et j’appellerais

Suleen.Cettefois,ilviendrait!–Allons-y.Aprèsavoirpris legrimoire,un flaconpour l’eaudemeret tous les ingrédientsdont j’auraisbesoin, jedévalai

l’escaliersansprêterattentionauxélancementsdemabrûlure.Jedépassaiencourantdesélèvesinstallésdanslecouloir,quimettaientladernièretoucheàleurscostumesd’Halloween.–Eh,attends-moi!m’appelaJustin.–Non,cours!JesortisdubâtimentettrouvaiVickensurlebancd’enface,unecigaretteàlamain.–Minute!lança-t-illorsqu’ilserenditcomptequejen’allaispasm’arrêterpourbavarder.Oùvas-tucommeça?–Jevaisrefairelesortdeconvocation.–Ah,d’accord,lâcha-t-ilenm’emboîtantlepas.Çayest,tuesofficiellementzinzin.Jepoursuivis.Jemefichaistotalementdecequ’ilpouvaitpenser.Justinnousrejoignitsurleparking.–Qu’est-cequ’ilfaitlà,lui?Oùva-t-on?demanda-t-il.–Onretourneàlaplage.Jedéverrouillailesportesdemavoiture.–T’escomplètementcinglée,bonsang,tulesais?Jen’arrivemêmepasàfumertellementjesuisfurax,s’énerva

Vicken.J’ouvrislaportièreetjetaimonsacdemagieainsiquelegrimoiredansl’auto.–Danscecas,cetteexpéditionestdéjàunsuccès.J’allaismeglissersurlesiègepassagerlorsqu’ilm’arrêtaenmeprenantparl’épaule.–Lenah.Turisquestavie,là.Tun’esmêmepasguériedetadernièretentative.(Iljetauncoupd’œilàmonbras

bandé.)Est-cequ’onn’apasapprisuneleçonladernièrefoisquenoussommessortisducampus?–SiLenahestdécidée,elleleferaavecousanstoi,intervintJustindepuislesiègepassager.–Monjeuneami,tunesaispasdequoituparles.Sorsdecettevoitureetferme-la.Justincontournalecapotsivitequejedescendispourm’interposerentreeux.–Toiaussi,tupeuxyrester,ditVickenàJustinentresesdents.–Jevaislefairequoiqu’ilarrive,affirmai-je,lesmainspresséescontresontorsenerveux.Etnousnoussommes

seulementpromisdenepassortirducampusseuls.Tuvois?Jenesuispasseule,conclus-jeenmontrantJustin.–Alors je viens aussi. À trois, on est plus forts, grondaVickend’un airmauvais avant de reculer d’un pas. Le

trianglesymbolisel’infini.Çapourrait…mieuxmarchercommeça.–Trèsbien.Sivousmejurezdenepasvousdisputer.Ilfautquejeresteconcentrée.–Jeveuxbien,répliquaJustin,s’ilprometdenepass’approcherdemoi.Jenesuispasfanadesassassins.Jefisvolte-face,enproieàunecolèrenoire.–Alorstun’espasfanademoinonplus.Ilenrestaabasourdi.Bouchebée.–Jene…Jeveuxdire…–Envoiture.Touslesdeux.

Page 105: Pour la traduction française

Lorsque jedessinai lecontourde laporte, lesablemerafraîchit ledoigt.La luneétaitsuspendueau-dessusdel’horizon.Cettefois,nousjetionslesortàlatombéedelanuit.–Prête?Tuessûre?medemandaVicken.Justinobservaitlaporteavecdegrandsyeux.Etbizarrement,ilsouriaitpresque.Lorsqu’ilcroisamonregard,il

changearapidementd’expressionetsaboucheseréduisitàuneligne.–Pardon,c’estjuste…tusais…c’estlapremièrefoisquej’assisteàunrituel,sejustifia-t-il.Jedébouchaileflacond’eaudemeretlajetaisurlesflammes.–Jeteconvoque,Suleen,danscetespacesacré.(Mesyeuxselevèrentverslalune,bassedansleciel.)Jet’appelle

icipourquetunousprotègesd’undangerimminent.Etj’étaissincère.Jevoulaisprotégernosvies,nosâmes.L’ambresuccédaà l’eau,et lorsque larésinepoisseuserencontra les flammes, lecontourde laporte,commela

dernièrefois,semitàbrillerd’unéclatdoré.VickenetJustinétaientfascinés.–Jeteconvoque,répétai-je.Le feu crépita,mais les flammes restèrent plus calmes que la dernière fois. Bien !Oui ! Cette fois, cela allait

fonctionner!Leventfouettaitmescheveuxetunegrandeexplosionsurgitànouveau.Jefisunbondenarrière.Jem’attendaisàvoiruneflammedetroismètress’éleverversleciel.Maisnon.Lefoyer

s’éteignitcomplètement,nelaissantqueduboisnoircietcarbonisé.Uneminusculebouledelumièrebleuesetrouvaitaucentredutasdebois,àlaplacedesflammes.L’orbelévita

au-dessusdes cendres, brillaplus fort, puis s’allongeaverticalement, devenantplusoblongà chaque secondequipassait.–Qu’est-ceque…,fitJustin.–Chhhut!L’orbebleugrandit jusqu’à la taille de la porte que j’avais dessinéedans le sable. Il brilla encoreunpeu et je

m’attendisàcequeSuleen,l’hommequej’avaisapprisàtantapprécier,franchisseleseuil.J’avaishâtederevoirsonvêtementblancetsonturbanfamilier.Laportenes’ouvritpas.Aulieudecela,elles’animacommeunvieuxfilmetprojetalesimagesvacillantesd’une

salledebal,dansunchâteaucheràmoncœur.Lalumièrebleueétaitdeplusenplusvive,deplusenplusvaste.–Oh,non,soufflaVicken.Unbattementdecœur–unepulsation.L’orbeenvahitpresquetoutleciel.Immense…unportailversunautremonde?Non…Uneexplosiondelumièrebleue,etpuis…

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Hathersage,1740Vicken,Justinetmoi,deboutsurlecôtédelasalle,faisionspartieintégrantedelascènequisedéroulaitdevant

nous.–NoussommesàHathersage,constataVicken,émerveillé.–Chhhut,soufflai-jeenagitantunemaindevantmoicommepourdissiperlaperturbationcrééeparsavoix.Justin,lui,nedisaitrien.Ilobservait,laboucheouverte,assomméparl’incrédulité,lapeuroulesdeux.Descoupesempliesdesangs’entrechoquaient.Unpetitorchestredevampires jouaitdansunanglede lasalle.

Lesbavardagesdedizainesdenoscongénèresrésonnaientdansmagrandesalledebanquet.–Lenah,qu’est-cequec’estqueça?medemandaVicken.Jenereconnaispascesgens.–Ilsdatentdebienavanttonépoque.Jesavais,moi,cequec’était.C’étaitlanuitd’épouvantequim’avaitassuréunemacabreréputationdanslemonde

entier.C’étaitlanuitoùj’avaistuéuneenfant.Nous,lestroismortels,étionsinvisiblesauxyeuxdesconvives.J’euslesoufflecoupéenmevoyantmoi-même,vampire,tournoyerdanslasalle,unecoupeàlamain.Lacouleur

était à lamode dans les années 1740, et pourtant jem’étais volontairement vêtue de noir… La soie dema robecorsetéeétaitentièrementbrodéederosesdejaisetdeperlesnoires.–Saviez-vous,ditmonincarnationvampirique,quelaNuitRougeestlemoisdurantlequelnousavonsaccèsàla

magienoire?Lecorsetm’écrasalescôtesquandjeris,enjambantd’unsautlégerlecorpsd’unhommeentuniqueblancheet

culottesnoires.Unfermierdesenvirons,saignéàblanc.–Cesoir,c’estAllHallowsEve1!Lesvampiresquim’entouraientlevèrentleurcoupedesang.Destorchesvivesjetaientdanslasalleunelumièreorangéepresqueonirique.UnRhodevampiriquefranchitlagrandeportedelasalle,vêtudelasoielaplusfine.Ilétait,commetoujours,tout

ennoir,lescheveuxlissésenarrière,etsesyeuxturquoiseétaientsaseuletouchedecouleur.Ilpassalamainsursaboucheettraversalasalleencourant,pourrejoindrelecorpsdel’enfantqu’ilavaitpourtantmiseenterrequelquesheuresplustôt.Ellegisaitàprésentdanslecoindelapièce,oùj’avaistenuàcequ’onl’installe.Justepourlasoirée.–Jel’aidéterrée!Àmainsnues!criai-jeàRhodeenriantetenbuvantunegrandegouléedemacoupedesang.Ondansadeplusbelleaucentredelapièce,touslesvampiressautillantsurunairentraînant.–N’est-ce pasmagnifique ? ajoutai-je tandis que Rhode s’agenouillait auprès du cadavre de la petite. Elleme

ressembleunpeu,tunetrouvespas?Ellepourraitêtremapetitesœur.Lesfleursquidécoraientleslieuxvibraient,remuéespardesdizainesdepiedssautantsurleparquet.Desroses,

delalavande,desmarguerites,desorchidées,uneabondanceodorante.LenahlavampirepritquelquesmargueritesetdesrosesdansunvaseetlesapportaàRhode,quiétaittoujoursàgenoux,leregardrivésurl’enfant.Jeposaisursesyeuxdestêtesdemarguerite.Lespétalesatteignaientfacilementlessourcils,surcepetitvisage.–Jeluidonneraiunenterrementdepremièreclasse,dis-jegaiement.J’aiinvitétousnosamisduDerbyshire.Tout en parlant, je dansais en cercle autour deRhode, tenantma jupe pour pouvoirme faufiler entre lui et la

petite.Ilrépanditdescorollessurlecorps.–Etcette jeunedemoiselle !«Voiciunepâquerette. Jevousauraisbiendonnédesviolettes,maisellessesont

toutesfanées,quandmonpèreestmort.Onditqu’ilafaitunebonnefin2.»Rhodeselevaalors.Enregardant,jesusimmédiatementcequiallaitsuivre.–Oh,allons,n’aimes-tudoncplusShakespeareleBarde?letaquinai-je.Mais Rhode contemplait les autres corps éparpillés au sol. Ses yeux rencontrèrent les miens – ceux de mon

incarnationvampirique.Quisoutintlonguementsonregard.–Pourquoi?dit-il.–Pourquoi?Sonsangestdespluspurs!Elleretournaverslepetitcadavreenrobeblancheetrépanditencoregaiementunepluiedefleursdessus.–Assez!criaRhode.Ilmepritparlesépaulesetmepoussaviolemmentcontrelemur.–Lenah,qu’es-tudevenue?Jemerisdesonregardsérieux.–Net’inquiètepasainsi,jelaferaienterrerànouveauquandlafêteseraterminée!Ilgrogna,etcefutpresqueunrugissement: lecridedouleurd’unvampirequivoudraitpleurer.Ilm’agrippaà

nouveauetmesecouasidurementquemesdentsclaquèrent.Jedétestaismevoirainsi.–Pourquoinepeux-tupastecontenterdemonamour?demanda-t-il,lesdentsserrées.–Parcequejesuisàbout.Etquelepouvoirestmonseulrempartcontreladouleur.Lepouvoir.Pasl’amour.Ilmelâchaalorsetfitvolte-facepours’engouffrerdanslecouloirsombre.Jeregardai laversionvampiriquede

moi-mêmeluicouriraprèsauloinetlasuivis,entraînantJustinetVickendansmonsillage.–Qu’est-cequiteprend?s’écria-t-elle.Rhode!Maisilneréponditpas.Ilcontinuademarcherjusqu’augrandvestibuleduchâteau.Àcôtédelaporteétaitposé

unpetitsacdecuirnoir,qu’ilsaisitavantd’ouvrirlevantail.Lesoleilcouchant,quiembrasaitleciel,mebrûlalesyeux.LavampireLenahlevainstinctivementlesmainsdevantsonvisage,maisnousétionsen1740:aprèstroiscentvingt-deuxans,ellen’avaitplusrienàcraindre.–Rhode!

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–Tuescomplètementirresponsable,crachacedernierenseretournantbrusquement.Lepouvoirnetesauverapas.Ilneferaqu’accélérerl’altérationdetonesprit.Il sortitet s’éloignade lademeurepour rejoindre lescollinesqui sedéployaientà l’infini.Lenah lavampire fit

quelquespasàsasuite.–Jesaiscequejefais!lança-t-elleenredressantlementonavecinsolence.Vicken,Justinetmoil’observionsdepuislaporte.Rhodes’arrêtaetseretournaànouveauverselle.– Ah oui ? (Il se rapprocha jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son visage. Ses crocs apparurent

lorsqu’ilchuchota.)Tusaiscequetufais,vraiment?Tuastuéuneenfant.Uneenfant,Lenah.–Tudisaistoujoursquelesangdespetitsétaitleplusdoux.Lepluspur.Rhodereculapeuàpeu,l’airhorrifié.– Je l’ai dit comme un fait, pas comme une invitation à y goûter. Tu as changé. Tu n’es plus la jeune fille en

chemisedenuitblanchequej’aiaiméedanslevergerdesonpère.Sonregardétaitembruméet,mêmeensouvenir,jevoyaisqu’ilcherchaitsoigneusementlesmotsjustes.–Jet’avaisditdeteconcentrersurmoicesoir.Jet’avaisditquesituteconcentraissurtonamourpourmoi,tu

pourraistelibérer.Maistuenesincapable,jelevoisàprésent.Jemevisessayerdeparler,maisilcontinuaavantquej’yparvienne.– Tu l’as constaté toi-même chez les autres. À ton âge, les vampires commencent à perdre la tête. La plupart

choisissent le feu ou un pieu dans le cœur pour trouver lamort, afin d’éviter une longue chute dans la folie. Laperspectivede l’éternité leurest insupportable.Quantà toi, c’est lavieque tuasperduequi te rend folle. L’idéed’arpentercetteterreàjamaisaenvoyétonespritenunlieuoùjenepeuxplust’atteindre.–Jenesuispasunefolle,Rhode.Jesuisunvampire.–Tumefaisregrettercequej’aifaitdansceverger,conclut-iltristementencommençantàdescendrelacolline.–Turegrettesdem’avoirprise?–Trouve-toi,Lenah.Quandceserafait,jereviendrai.Ma personne humaine se souvenait si clairement de ce moment… À l’époque, j’aurais pu suivre des yeux sa

silhouettejusqu’àcequ’ilnesoitplusvisible,maiscettefois-ci,ladouleurétaittropgrande.Jevoulaissortirdecettelumièrebleue,sortirdecesouvenir.Mais jeregardaimonmoivampiriquefairedemi-touretregagnerlevestibulevivementéclairé.Delamusiquesortaitdelasalledebal,maispourmoic’étaitunautremonde.LaLenahvampireposaunemainsurlemurdepierre.Jemesouvinsquelespierresn’avaientpasdetempérature,pasplusquejenesentaisleursurfacerugueusesousmesdoigts.

Rien…Rien…Rien…–Jeveuxsortirdelà!criai-jeentombantàgenoux.Lamaisonn’étaitplus.MavieétaitàWickham,désormais.–Sortez-moidelà!hurlai-jeàpleinspoumons.Ilyeutunéclairbleu,etlesablefroiddelaplagedeLoversBayfrappamesgenoux.Jetombaiausol,levisage

danslesmains.Unesortedesanglotsortitdemoitelleunevague.Uneimmensepousséedetristesse.Jedusretenirmarespiration ; je flairais leselde lameret larésined’ambresurmesmains. Jepleuraiavecdesgémissementseffroyables.Meslarmestrempèrentmesmainset,touteninhalantdifficilementl’airmarin,jelaissail’horreurdecesouvenirmesubmergerdegêneetdehonte.JustinetVickenétaientcois.Je n’avais pas fait apparaître Suleen. Ce que j’avais convoqué, c’était la vérité, un rappel de celle que j’étais

vraiment.Unetueuse.Etjeneméritaisaucuneaide.

1-Nomanciend’Halloween.

2-CitationdeHamlet,traductionFrançois-VictorHugo.

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Chapitre20JepartisencourantdetoutesmesjambeslelongdeMainStreet,dansladirectionopposéeàlaplage.Viensmechercher,Ava.Mespoumonsétaienten feu.Despasclaquantsur le sol résonnaientenéchoderrière

moi.–Lenah!Lenah,c’estdangereux!LavoixdeJustin.Jenerépondispas.Leventfroidmemordaitlesjoues.Unmoteurdevoiturevrombit,puishurlaavantdes’arrêter

devantmoi.Lespharesdemonautobleue tournèrentbrusquementet levéhiculemebarra laroute. Jereculaietenfonçailestalonsdemesmainsdansmesyeux.Uneportièreclaqua.LesbottesdeVickens’approchèrentdemoisurleciment.SuiviesdubruitdespasdeJustin.–Nemetouchezpas!hurlai-je.Cesmotsmebrûlèrentlagorge.Jeregardaidansmespaumes.Mondosfrémittandisquedeslarmessefrayaient

uncheminderrièremespaupièresavantderoulersurmesjoues.–Combiendesangavons-nousversé,Vicken?Réponds-moi.Jelepoussaiàdeuxmains,sibienqu’ilreculadequelquespas.–Jenepeuxpas,repris-je.Jenepeuxpaslatuer.J’aiessayé,jenepeuxpas.Vickenvintàmoietmepritdanssesbrassansriendire.Jepleuraicontresapoitrine,jusqu’àcequesachemise

soittrempée.–Tupeuxlefaire.Ont’aidera.Justinetluiéchangèrentunregardquisignifiait:«Oui,nousallonstraversercetteépreuveensemble.»J’ignore comment, je retournai à la voiture ; j’ignore comment, je montai dedans, consciente que, sans savoir

encorecommentm’yprendre,j’allaisdevoirtrouverunefoisdepluslatueusequej’avaisenmoiafind’acheverAva.SurlecheminduretouràWickham,lamainposéesurlavitre,jegardailesilence.Unenuancedebleus’attardait

dansleciel,semblableaubleudel’orbequim’avaitmontrémonpassé.Monhorriblepassé.Vickenétaitauvolantàcôtédemoi,etjenepouvaisquedevinersespensées.Jeluiavaisexpliquétantdefois…maisàprésent,ilavaiteuunaperçudirectdemavieavant1850,avantqu’ilaitrejointmafolie.Justin,assisàl’arrière,lebombardaitdequestions.–Qu’est-cequec’étaitqueça?–Jenesaispas,grommelaVicken.–Maispourquoionl’avu?–J’ensaisrien.–Maison…–Écoute,monpote,tulafermesetc’esttout,d’accord?Ànotrearrivéesurlecampus,toutlemondeétaitenpleinepréparationdelaparadeetdubald’Halloween.En

descendant de voiture, je humai un parfum de cannelle et de cidre en provenance du foyer. Jem’engageai dansl’allée principale.Comme c’est étrange, me dis-je en sortant du parking pour marcher dans l’herbe. Les pas deVickenetdeJustinsonnaientderrièremoi.Maisilsrésonnaientcommedestamboursàmesoreilles.Commec’estétrange, pensai-je encore en voyant les citrouilles orangées et les banderoles noires se fondre dans les couleursd’octobre.OndiraituntableaudeMonet.Toutcelan’étaitqu’unmouchetisdecouleursquejenecomprenaispas.Lesélèvesenroulaientdesguirlandesnoiresautourdesréverbères.Uneéquiped’hommesetdefemmesinstallait

deschapiteauxetdesstandsauloin,surleterraindecrosse.Ilsneressemblaientpasàdeslycéens.Ouc’étaitpeut-êtremoi.Peut-êtrequejenesavaisplusquij’étais.–Attends,m’appeladoucementJustin.Jeneralentispas.J’entendisVickenluirépondre.–Laisse-latranquille.Je passai devant Seeker Hall, devant le bâtiment Curie où, un jour, j’avais été incapable de disséquer une

grenouille parce que je ne supportais plus de détruire une seule créature. Je poursuivis, dépassant le bâtimentHopper.Unlieumauditoùjenepouvaismêmeplusjeteruncoupd’œilàlatourdesartsparcequemesdeuxamisétaientmortsentresesmurs.–Lenah!Cette fois, c’étaitTracyquim’appelait alorsque jepassaisdevant lebâtimentQuartz.Elleétait assise surune

couverture, seule, avec un livre. Comme j’aurais été incapable d’expliquer ce qui s’était passé, je l’ignorai. Jebifurquai vers la serreet ouvris laporte.L’airhumideetbrumeuxm’enveloppaet jepressai lepas, arrachantaupassagedesroses,delasaugeetdelalavandedanslespots.Jelesserraifortdansmespoings.Lespétalesfurentbroyéssousmesdoigts.Jemelaissaitomberausol.

Cetteenfant…Laportegrinçaderrièremoi.Deschaussuresdesportcrissèrentsurlecimentmouillé.Lasoudaineboufféed’air

frais apporta avec elle l’odeur humide de la serre, mélangée à la fumée d’un sort de convocation qui avait maltourné.Justinselaissatomberàgenouxàcôtédemoi.Samainchaudeglissasurmapaumeetserecourbasurlespétales,accrochantmesdoigts.–Désoléequetuaiesvutoutça,murmurai-je.C’étaittoutcequej’étaiscapablededire.–Alorsc’estvrai,commença-t-il.Tuétaisréellementtrèspuissante.Jerelevailentementlesyeuxverslui.Ilsepenchaversmoietsoutintmonregard.

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–C’estçaquetuasretenu?demandai-je.Lepouvoir?Ilouvrit labouchepourparler,maisneputquebredouillerun faible«non»avantde lâcherbrusquementma

main.–Cen’estpascequejevoulaisdire,clarifia-t-il.Maistu…tun’avaispeurderien,àl’époque.Tuétais…–Complètementfolle.Niplusnimoins.–C’estvrai,c’étaitdelafolie.Mais…Lorsque jerencontraiànouveausonregard,même levertdesesyeuxétaitchangé.Ses irisnemerappelaient

pluslesarbresagitésparleventdanslaruedesesparents.JenevispasnonpluslesfeuillagespersistantsdesboisquientouraientlepensionnatWickham.Endépitdetoussesefforts,ilnemecomprendraitjamais.Ilétaitimpossiblequ’ilsachecequec’étaitdevivreaprèsavoirétésilongtempsmorte.D’avoirconnulebaiserdelamortetsurvécupourleraconter.Ilrepritmamain.Sachaleurm’enracinaitdanslaserre.Jebattisdespaupièrespourchasserl’imagedelapetite

fille.Jepréféraimeconcentrersurleronronnementdesbrumisateursetlesrefletsdesbannièresorangeetnoiràl’extérieur.Danscetespace,aumilieudesfleursetdesherbes,j’étaistranquilleetmonespritparvenaitàadoucirquelquepeu l’atrocitéde ceque j’avais commis. Justin frottaitmesmainsentre les siennes.L’annéepassée, avectoutesabeauté,sonbonheuretseshorreurs,avaitfaitdemoiuneautrepersonne.Jen’auraispasdûsurvivreàcerituel,etpourtantjel’avaisfait.AinsiqueRhode.CeneseraitplusjamaiscommeavantentreJustinetmoi.Tropdechosesavaientchangé.J’avaischangé.Jen’aimeraisjamaisJustin.Jepourraisexécutertouslesgestes,porterlesvêtementsappropriés,leparfumqu’ilfallait,etdirecequ’ilfallait

dire.Maisjamaisjen’auraisdûvivredanscemondemoderne.Jen’étaispasfaitepourcela.JevivraismaviepourRhode,mêmesicelasignifiaitquejedevaisexistersanslui.Ilétaitleseul.Monâmesœur.

Monamour.Mêmes’ilnemepardonnaitjamais.Mêmesitoutétaitterminé.

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Chapitre21Unjour,ilyabienlongtemps,jetraversaisencourantunvergerpoudrédeneige.Lefroidmemordaitleboutdu

nez.Lesbrastendusdevantmoi,jecourais,courais,etleventsoufflaitentremesdoigtsetdansmescheveux.–Lenah!Lenah!mecriamamèredepuislaportedelamaison.Ellemesouriaitlorsquejetournailestalonsetm’enfuisdanslesprofondeursduverger.C’étaitauXVesiècle,et

nousfaisionsdufeuàlongueurdejournée.Sansfeu,nousserionsmortsdefroid.Jem’arrêtaiàl’extrémitéd’unlongalignementdepommiers.Lefroidglacialmeléchaitlenezetjelesentaisdans

l’air,pascommeunvampire,maiscommeuneenfantdumondemédiéval:leprintempsarrivait,laneigequitombaitétaitlourde,presquecommedelapluie.Jemetenaisauborddesterresdemonpèreetregardaislemondeimmensequi s’ouvrait au-delà. Les bois étaientmon lieu depromenadepréféré à cemoment de l’année, avec leurs beauxarbrescouvertsd’argentetdediamantsdeglace.J’inhalaisdegrandesgouléesd’airfrais.Etjeplongeaisleregarddanscesbois,sanslamoindrepeurdumondeau-delà.

–Donc,Rhodeirachercherlescostumes?demandaJustin.Commeça,onpourracacherlesarmes.J’étaisdansleboxd’étudeenverredelabibliothèque,encetteveilled’Halloween,dosàlavitre.Justin,Rhodeet

VickenétaientassisàlatableetregardaientunplandugymnasedessinéparRhode.–Toutlemondeconnaîtsaposition?demandacedernierenlevantlesyeuxdesondessin.Lenah?J’avaisdéjàétudiécecroquisplusdedixfois.Jesavaisprécisémentcequej’auraisàfaire,j’espéraissimplement

quej’enseraiscapable.–Revoyonstoutunedernièrefois.Jesoupiraietrécitainotreplanpourlamillionièmefois–c’estdumoinscequ’ilmesemblait.–Onisolelesmembresdesoncerclepourquejepuissefrapperproprement.Unseulcoup,dis-je,croisantenfin

sonregard.Uncoupdepoignarddanslecœur.

Cettenuit-là,jerêvaidevampiresdénuésdecrocs.C’étaientdesdémonssansvisage;pasd’yeux,pasdenez,rienqu’une bouche avec deux trous béants dans le palais. Le sang coulait de leurs bouches grimaçantes sur leursmentons.

J’eusdumalàchassercesimageslorsquejemeréveillailematind’Halloween.Cequim’aidafutquelecampusavaitsubiunemétamorphosetotale.DesbannièresproclamaientJOYEUXHALLOWEEN!,ilyavaitdescitrouillestoutlelongdesallées,etlesentréesdenombreuxbâtimentsétaiententièrementdécorées.Iln’yavaitpascourscejour-là.LorsqueRhodefutrevenuaveclescostumesqu’ilavaitloués,nousdécidâmesquelemieuxseraitquenousnousmêlions aux autres élèves toute la journée. J’avais frappé deux fois à la porte de Justin, mais il ne m’avait pasrépondu.Jesupposaisqu’ilétaitdéjàentraindes’affaireravecdescamarades.Jem’étonnaitoutdemêmeunpeuqu’ilneprennepasdemesnouvellesaprèslesévénementsdelaveille.

Surlapelouse,jem’arrêtaipourcontemplerunstandgarnidedizainesdebocauxàpoissonsrouges.–Allez,tentetachance!meditVicken.Faisonsunepartieen l’honneurde laNuitRouge.Etpource jeu-là, tu

n’auras besoin d’assassiner personne. (Il me fit un clin d’œil.) C’est totalement inoffensif de gagner un poissonrouge.

Sij’arrivaisàlancerunepetiteballedansunbocal,jelerapporteraischezmoietgarderaislepoisson.Jebalayail’idéed’unriredédaigneux.Moi?Garderquelquechose…envie?

AumomentoùVickens’adossaitaustand,desbassesrythmiques,boumboumboum,semirentàrésonner.–Oh,non,lesvoilà…encore!gémit-il.Pourlaquatrièmefoisdel’après-midi,lafanfaredulycéepassaentapantsursesgrossescaissesettraversaen

ordredemarcheleterraindefootballpourrejoindreledéfilédecarnaval.Avecleursuniformes,onauraitditungrosnuagedelaineblanche.Ilsportaientdeschapeauxabsurdessurmontésd’unegrandeplumejauned’or,auxcouleursdulycée.Autourdenous,denombreuxélèvess’interrompirentdansleursjeuxpourcourirversleterraindefootball.Vickenagitalebrasdansleurdirectionavecdégoût.

Ilpuisaunecigarettedanslapochedesaveste,puispalpatoutessespochesàlarecherched’unbriquet.Ilyeutuncliquetismétallique,suivid’unpanachedefumée.

–Toutcequejedis,c’estquequandonfaitquelquechoseautantlefairejusqu’aubout.–VickenClough!Éteins-moiçatoutdesuite!MrsWarner,l’infirmièrescolaire,fonçaitàbrasraccourcissurlui,l’indexpointétoutdroitverssontorse.Vicken

lâchalacigaretteetl’écrasasoussabotte.–MachèreMrsWarner!Vousêtesravissanteaujourd’hui.–Combiendefoisdevrai-jeteledire,Vicken?Ilestinterditdefumersurlecampus.Etenplus,tun’aspasdix-

huitans,c’estillégal!Donne-moiça.–Vousdonnerquoi?–Lepaquet.Vickensoupira.–Nerâlepasaprèsmoi,Vicken.Allez,donne!Abandonnantmonéventuelpoissonàpluscompétentquemoi,jereposaimaballe.–Tunevaspasessayer?medemandaleresponsabledustand.–Pasaujourd’hui!Enm’éloignantdeVickenetdeMrsWarner, je repensaiàcespoissonsrouges.À lavieentièrequ’ilsmenaient

danscettepetitebulledeverre,ànager,monter,redescendreettournerenronddansleurmondeminiature.

Page 114: Pour la traduction française

Devantmoi,jevisquel’équiped’avironavaittransformésonlocalenmaisonhantée.Defaussestoilesd’araignéeseffilochéespendaientparesseusementauxfenêtres.Quelqu’unavaitsuspenduunrideaunoir,sibienquejenevoyaispas à l’intérieur. La porte s’ouvrit en grand et un élève revêtu d’un drap blanc poussa dehors deux élèves detroisièmeoudeseconde.Lecouplesortitavecungrandsourireaux lèvresetpartitencourantvers le terraindefootball.

–C’estvraiqueçafaisaitunpeupeur!ditlafilleavecunpetitrire.Lefantômemelorgnaitparlesdeuxtrouspercésdanssondrap.–Entrez,sivousl’osez…JeregardaiderrièremoisiVickensuivait,maislafouleétaittropdense.Desélèvescouraientdestandenstandet

la fanfare se rassembla tout aubout du terrain pour entamerunemarche synchronisée. Soudain,Rhode apparutdanslafouleetjemefigeai.Ilmesourit,justeunpeu,avecunseulcôtédelabouche.

Cefutunpetitinstantpartagé,maiscelapassatropvite.–Allez,entredonc!m’encourageaMrsWilliamsenindiquantlamaisonhantée.–Dansuneminute,dis-jeàl’infirmière,quiétaitdéguiséeenchat,avecdesoreillesnoiresetvelues,unequeueet

toutettout.Rhodes’arrêtaprèsdemoietj’attendisunpeuavantd’essayerdeluiparler.Vickenapparutàsontourenapportant,apparemment,unassortimentd’absolumenttouteslesfriandisesenventeaucarnaval.

–Quoi?mefit-il,unepommed’amourentrelesdents.–Jevoisquetuesterrifiéàl’idéedecequivasepassercesoir,commentaRhode.–Siçanetefaitrien,j’aienvied’unpeudesucréavantdemebattrepourmapeau.–Lenah!Vicken!noushélaalorsTracy.Elleavaituntondevoixbizarreetuneridecreuséeentresessourcils.Sapeausemblaitencoreplusdélicate,par

contrasteavecsescheveuxteintsenbrun.–Toutvabien?luidemandaVickenalorsqued’autresélèvesnousdoublaientpourentrerdanslamaisonhantée.–C’est Justin. Il ne s’est pasprésenté au responsabled’étagehier soir.Onne l’a pas vu aujourd’hui nonplus.

L’écoleaappelélesflics.Rhode, Vicken etmoi échangeâmes des coups d’œil inquiets.Mon cœur tressaillit. Je ne paniquerais pas. Pas

encore.Cen’étaitpascomplètementimpossiblequeJustinsesoitéchappépourunaprès-midiavecsesamisousonfrère.

–Quandl’as-tuvupourladernièrefois?medemandaTracy.–Hieraprès-midi.–Est-cequ’ils’estpasséquelquechose?Unincidentdangereuxpourlui?insista-t-elle,et jecomprisàsonton

qu’ellepensaitàAva.–Non,c’étaitdanslaserre.Ensécuritésurlecampus.–Àquelleheure?Sesyeuxs’étaientallumés.Apparemment,jeluiavaisdonnéuneinfonouvelleetintéressante.–Verslesoir.Six,septheures,parlà.–OK,merci,souffla-t-elleenreculantavecunpetitsourirepleind’espoir.C’estdéjàquelquechose.Super.Elletournalestalonsetparcourutencourantlalongueurdesstands.–Justin,disparu?dis-je.Jenel’avaispasvudelajournée,c’étaitvrai.Celaexpliquaitaussiqu’ilnem’aitpasouvertquandj’avaisfrappéà

saporteaprèslepetitdéjeuner.–SiJustinétaitréellementintrouvable,uneréuniongénéraleauraitpeut-êtreétéconvoquée,non?Tunecroispas

quelaparadeauraitétéannulée?Nousévitionstouslesdeuxl’évidence.Noussavionsparfaitementqu’Avapouvaitêtrederrièrecetteabsence.–Jevaislechercherdemoncôté,ditVicken.Jetetiendraiaucourant.Iljetasapommed’amourentaméeetpartitdanslafoule.–Ondevraitaussifaireuntour,ditRhode.Jenepigeaispas.PourquoinepascroirequeJustinavaitpusimplementlaissertomber,étantdonnétoutcequ’il

avaitvu?Ilavaittrèsbienpuseraviseraprèsavoirassistéausortdeconvocation,non?Rhodeetmoipassâmesdevantunstanddetiretunjeud’anneaux.Certainsstandsétaienttenuspardeslycéens,

et d’autres appartenaient à une entreprise engagée par le lycée. Ainsi, un grand chapiteau blanc de locationannonçaitunpalaisdesmiroirs.

–Onentrelà-dedans?proposaRhode.Sansrépondre,jelesuivisàl’intérieur.JesavaisbienqueJustinn’yseraitpas,maisj’avaisenvied’yentrerquandmême.Jevoulaiscontinueràrepousser

l’idéequ’ilsoitréellementendanger.Oupire,mort.Non,Lenah.Arrête.Jetournaià lapremièrebifurcation.Desmiroirsdéformantsétaientaccrochésauxmurs.Certainsmerendaient

longueetmaigre.Unautremecompressatotalementlevisage.Rhodemesuivaitdeprès,réglantsonpassurlemien.–JecroyaisquetuauraisvouluaccompagnerVicken,dis-je.Ilsecoualatête.–Jeveuxjusteenfiniravectoutça.Nousnousarrêtâmesdevant lemêmemiroir,sibienquenosrefletsse fondirent l’unen l’autre.Monbrasétait

celuideRhode.Montorse,lesien.–Tesmensongessontaccablants,dis-jeenmetournantverslui.Avam’aracontéquec’étaitellequiavaitattaqué

lechâteaud’Hathersage.Nousrestâmeslàunmoment,contrelemur.–Oui,Avaestarrivéelapremièreauchâteau,concéda-t-il.Pourcommencer,jenesavaispascequ’ellecherchait.

Ellesemblaitcordialedansl’ensemble,maiscelaavitetournéàl’horreur.J’aitentédecontre-attaquer,maiscommetul’asvu,elleestextrêmementdouée.Cependant,ellen’avaitpasunerapiditésurnaturelleàl’époque,etj’aidoncpum’échapper.Cedonparticulierestrécent.

–Pourquoiest-cequetunemel’aspasdit,toutsimplement?Tun’aspasbesoindemecacherleschoses.Ils’inclinaversmoi.–Parcequejecroyaispouvoirteprotéger.JecroyaispouvoirappelerSuleenouréglerleschosesmoi-même.–Ettul’asfait?–Jen’ysuispasarrivétoutseul,avoua-t-il.Commetoujours,jesuismeilleuravectoi.Plusfort.Etnousétionsànouveauproches,debout l’unprèsde l’autre, séparésparquelquescentimètresseulement.Sa

peaun’étaitplusmeurtrie,elleétaitredevenuelisse,commecelled’unjeunehommequiatoutesaviedevantlui.–Pourquoicrains-tudemetoucher?murmurai-je.

Page 115: Pour la traduction française

–Jenelecrainspas,répondit-ilavecunprofondsoupir.Çan’ajamaisétélaquestion.Jenesavaispasbiencommentréagiràcela.–Ilyadesmoisquetunem’aspaslaisséet’approcher.–Lenah,dit-ild’unevoixdouce.Jecrainsseulementcedontjesuiscapablequandj’ailecœurquibat.Cecontre

quoilesAerisnousontmisengarde.Jenepeuxpaspromettredemecontrôler.–Situmetouches?Pitié,suppliai-je,faitesquepersonnenenousdérangemaintenant.Illevalamainpourmelaisservoirsapaume.Il

meregardait,avecdesyeuxbrillants,mais laboucheserrée, sérieuse. Il tendit samain, lapaumeenavant,et laposa au centre demapoitrine, juste au-dessousdemagorge, là oùAva avait posé sonpieddans la boutiquedel’herboriste.

Sa peau, la douceur de cette peau : en cette seconde, jamais de ma vie je n’avais désiré quoi que ce soitdavantage. Notre monde avait été envahi par la soif de sang. Nous avions infligé la douleur, et là, nous noustouchionsréellementpourlapremièrefois,enhumains.Jelevailamainpourtouchersajoueetjesentismoncœurtambourinercontresapeau.J’avaisenviedelerespirer,deflairersonodeur,devoirchacundesporesdesapeau,desentirbattresoncœur.

Jefrissonnai.Rhodegardaitlesyeuxrivéssursamainpresséecontremachair.–Toi…,soufflai-je.Tudonnesunsensàchaque instantqu’ilmerestesurterre.Mêmesi jedoist’aimerde loin

jusqu’àlafindemesjours.Salèvreinférieuretremblait,etlamienneaussi.Jedéglutis,lagorgeserrée.Des larmesroulèrentsurses jouestandisqu’ilregardaitsamainsesouleverenrythmeavecmonsouffle. Jene

pouvaispasleregarderdanslesyeuxtantqu’ilpleuraitsurmoi.Des pommes ! Non ! Pas maintenant ! Des pommes. Partout. L’odeur me submergea. Une lumière blanche

m’aveugla.Rhodeestaucentred’unevastebibliothèque.Jamaisdemaviejen’enaivudepareille.D’immensesrayonnages

deboismontentjusqu’àunplafonddécoréd’unefresquedestyleitalien.Maisjenepeuxpasmeconcentrersurleschérubinsnisurlesnuagesblancspeintslà-haut.

Rhodealescheveuxcourts.Ilestdebout,lesmainsderrièreledos,encostumetroispiècesnoir.Ondoitêtreen1910,parlà.

–Elleestenhibernation,explique-t-ilàdesgensquejenevoispas.Souslamaisond’Hathersage.–Souhaitez-vousl’amenerici?demandeunevoixgravedel’autrecôtédelapièce.–Jesouhaitenégocier.–LenahBeaudonteàLoversBay?demandelavoixavecunrirerauque.Lareinevampireenpersonne?–Ellevivraenmortelle,monsieur,ditRhode.–Fascinant!Parlonsencoredecetaccord.Unéclair de lumièreblanche traversemon champde vision et la bibliothèquedisparaît.Oùest passéRhode ?

Rhode ?Me voilà de retour dans cette pièce que je vois depuis desmois. Bien qu’il fasse sombre, il apparaît…lentement.UnRhodemoderne,unRhodehumain,tombeàgenoux.

–Jenepeuxpas!crie-t-il.Jecomprendslesconséquences.Jeconnaislesrisques.Lesimagessesuccèdentcommedesballesdemitraillette.Uneroutecôtièrebordéedehautesfalaises.L’océan,quis’étendàl’infinidanslelointain.Unegrandemaison,unmanoirgothique,retiré,àl’écartdelacôte.Lenuméro42gravésuruneplaquedemarbreàl’extérieur.Jesusimmédiatementquecettedemeureétaitunlieud’épouvante.Lesièged’unpouvoirobscur.Ilfallaitquejela

trouve.Dans lepalaisdesglaces,Rhodemetouchait toujours. J’inspiraiàgrandesgoulées laborieuses,et jereculaien

titubantjusqu’àmecogneraumiroiraccrochéderrièremoi,quitintasursesgonds.Jefermailesyeuxpourtenterderetenirlesimages.

–Que…Qu’est-cequec’étaitqueça?Cettemaison?demandai-je.Ils’essuyarapidementlesyeuxetregardaparterre.Mapeaubattaittoujourslàoùsamains’étaitposée.–Cettemaison.Qu’est-cequetuasfaitlà-bas?–Tuaseuunevision?Ils’avança,unbrastenduversmoi.Rhodeavaitnégociéavecquelqu’undanscettedemeure.Avecquelqu’undepuissantquimeconnaissait etqui

savaitprécisémentcequej’avaisfaitdanslepassé.Etcetinconnu,j’allaisletrouver.Jesortisrapidementdupalaisdesmiroirsetmeretrouvaisouslesoleil.–Lenah,ditRhodeenmepoursuivant.Desétudiantspassaientautourdenousenparlantdeleursdéguisementspourlebaldusoir.–Ilfautquejeparte,dis-jed’untonneutre.–Lenah!Il me courut après,mais jemarchais vite dans l’allée, dépassant de nombreux stands, jusqu’aumoment où je

m’arrêtainet.RoyEnosetd’autresjoueursdecrosseétaiententourésd’unepetitecourtrèsprocheetintime.Royarboraitunairsombre,laminechiffonnée,lesépaulesvoûtées.Iln’yapasdeproblème,medis-jeàmoi-même.Iln’yaaucunproblèmeavecJustin.Jevaisarrangerça.Ilfallaitquej’ailledanscettemaison.Quelquechoseenmoimedisaitquec’étaitd’uneimportancecruciale.Quecesgenspouvaientm’aideràcombattreAva.

LavoixdeRhodeéclatadenouveau.–Lenah!Lenah!Ilétaitjustederrièremoi.Jefisvolte-face.–Non,Rhode.Quoiqu’ilyaitlà-bas…Jeconnaiscetteroute.Cettemaison.Etjevaisyaller.–Non!Pourunefois,jet’enprie,n’enfaispasqu’àtatête.Nousétionsaubordduterraindesport.–Tunepeuxpasm’arrêter,dis-je.Illevaunpiedpours’approcherdemoi,lorsquesoudain…Dansungrandfracasdecymbales,lafanfarechargeajoyeusementsurleterraindepuislecôtédugymnase,pour

la cinquième fois de l’après-midi. La laine blanche et les chapeaux ridicules des costumes des musiciens nousséparèrent. Je regardaiRhode tenterdes’engouffrerdansunespace libre,mais la fanfareétait imperturbable. Jesaisisl’occasionpourtournerlestalonsetfiler.

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Chapitre22Cettemaisonétaitlaclé.Jelesavais.Quelqu’unlà-basm’aiderait.Nousaiderait.NouspourrionscombattreAvaet

triompherd’elle.JetrouvaiVickenàcôtédulocalduclubd’aviron,entraindeconsidérerRoyetsabande.–J’aibesoinquetuviennesavecmoiquelquepart,dis-je.Tantqu’ilfaitencorejour.–Non.–J’aieuencoreunevision.J’aivuunlieudanslatêtedeRhode.–Quellieu?Qu’est-cequiteprenddefaireconfianceàsesvisions?–Jenepeuxpast’expliquerçamaintenant.J’aibesoinquetum’accompagnes.Dansunemaison.–Jecroismesouvenirquejet’aidéjàditnon.Finilessorts,finilesconvocations.Iljetasonmégotdansl’herbeetsoupira,croisantànouveaumonregard.–Qu’est-cequeçavanousrapporter,d’allervoircettemaison?Encoredesbrûlures?Çavauttapeau?Tonâme?–Trèsbien.Commetuvoudras.Jeretraversailapelouseenlaissantlaparadederrièremoi.Puisquec’étaitcommeça,j’allaisprendremavoiture

et y aller toute seule. Je connaissais cette route. Elle passait devant la plagemunicipale et rejoignait NickersonSummit,oùj’avaisfaitdusautàl’élastiquel’annéeprécédente.

Ilfallaitquejefassevite,avantqueRhodenem’arrête.–BonDieu,Lenah!soupiraVicken.Tusaisbienquejevaist’aider.Maiscettemaison,cettevision…çapourrait

êtren’importequellemaison.–Ehnon.C’étaitunemaisondepierreetj’aidéjàprislaroutequiymène.Jel’aireconnue.Nousapprochionsdelavoiture.–Cen’estpasbiend’yallerseuls,objectaVicken.Jem’installaiauvolant.–Làoùnousallons,nousneseronspasseuls.Nousallonstrouverdel’aide.

Je savais que nous étions proches du but. La route, de plus en plus escarpée, s’élevait toujours plus haut.

ExactementcommedanslesouvenirdeRhode,l’océansedéployaitàl’est,au-delàd’unevasteétenduederavinsetdedunes.

–Ilfautrentreràtempspourlebal,Lenah,merappelaVicken.Ellevabientôtcommenceràsemerlechaos,là-bas.

–Onserarentrés.Onvachercherdel’aide.–C’estcequeturépètessanscesse.–Voilà,c’estlà!m’écriai-je.J’écrasai lapédaledu frein, faisant crisser lespneus.Surunepetiteplaquedepierre fixéeàunpoteauà côté

d’unelonguealléequis’enfonçaitentrelesarbres,enretraitdelamer,setrouvaitlenuméro42.Noussuivîmeslesméandresdel’alléed’accèssurunkilomètreetdemioudeux.Lorsquenousatteignîmesenfinle

domaine,ilfallutnousarrêterparcequ’unebarrièremécaniqueprotégeaitl’entréeduparcquientouraituneénormebâtissedepierregrise.Ilyavaitdehautestoursàlagaucheetàl’arrièredelamaison.Lafaçaden’étaitpercéequededeuxfenêtres.Absolumentnoires.

Vickensoupirafortement.–Jenesaispascequetuenpenses,maiscettemaisonmedit:«Entresituveuxmourir.»Jedescendislavitre.Ilyavaituninterphonesurlepilier,avecunboutonmarquéSONNERPOURENTRER.Alorsquemondoigthésitaitau-dessus,unevoixgravedotéed’unaccentétrangeetnonidentifiés’adressaàmoi

danslemicro.–Tueslabienvenueici,LenahBeaudonte.–Ehbien,voilàquiestrassurant,commentaVicken.Jeravalaimapeur.Ilfallaitcontinuercoûtequecoûte.Jemegaraisuruneplacedeparkingtouteprochedelaported’entrée.L’avantdemavoiturefaisaitfaceauxbois,

mais dans mon rétroviseur latéral, je voyais toujours la monstruosité architecturale. Tout comme ma demeured’Hathersage,elleétaitentièrementenpierre,avectrèspeud’ouvertures.

Vickenétaitassisàcôtédemoi. J’aimaissachevelure léonineetsesyeuxpensifsquimeregardaientdepuis lesiègepassager,attendantquejedisecequenousallionsfaireetpourquoinousétionsvenus.

–Jesuisheureusequetusoislà.–Jen’auraissurtoutpasvouluraterça,répondit-ilendébouclantsaceinturedesécurité.Ilm’arrêtaalorsquej’allaisdescendredevoiture.–Tusaisqu’onrisquevraimentdelaissernotrepeau,là-dedans,medit-ilavecunsérieuxabsolu.Jecontemplaiànouveausescheveuxfousetlalignedesamâchoire.Ilétaitlesoldatdemavie.–Jenet’envoudraipassitudécidesdem’attendreici.C’estpourmoi-mêmequejefaisça.Ilsortitduvéhiculesansajouterunmot.Nospas firentcrisser lesminusculescoquillagesqui formaient le solde l’allée. Jeprisalorsconsciencequece

domaineétaitentretenuavecungrandsoin.Desstatuesdemarbresecachaiententrelesmassifsdefleurs;auboutdulongédifice,onapercevaitlaverrièred’uneserre.Cen’étaitpasunesimplemaison.C’étaittoutuncomplexe.

Nousavançâmesjusqu’àlaported’entréepourattendreensembledevantlelourdbattantdechênenoir.Lamainau-dessusdumarteaudeporte, j’imaginai un instant queVickenetmoi nous rendions àundîner chezdes amis.Nousétionsdesgensnormaux,etpasd’anciensvampires.Rienquedespersonnes.Desimplesadolescentsdésireuxdevivreleurvie.J’allaisfrapperànouveaulorsquelaportes’ouvrit.

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Àl’instantoùjereconnusceluiquim’ouvrait,moncœurfitunpetitbond.C’étaitl’individudemavision,saufqu’ilétaitvêtud’unpullencotonetd’unpantalonmarrontoutàfaitconventionnels.Ilauraitpuêtreenseignant,àvoirseslunettesetsatenue.Ilnousobservaittouràtour.

–Ahtrèsbien,dit-ilavecunsoupirdesoulagement.Vousnevoussentirezpasseuls,touslesdeux.Etsurungestefluidedesesmains,toutesatenuesemuaenunebrumedecouleurs,commes’iln’avaitétéfait

quedepoussièrecolorée.L’hommefutsoudainhabilléd’unpantalondecérémonienoirsousunetogenoire.Voilàl’accoutrementdanslequeljel’avaisvu!

–Passeuls?repritVicken.–Vousêtestousdeuxd’anciensvampiresdamnés.Vousêteslesbienvenusici.Etilnousouvritlaporteduvestibule.Commenousfranchissionsleseuil,jejetaiundernierregardàl’extérieur.

Lagrosseporteserefermaavecunchocsourd.Nousnousretrouvâmesmomentanémentdanslenoirtotal.Vickenretintsarespiration.Ilétaitprêtàtoutpourmedéfendre,jelesavais.–Inutiled’envisagerdestactiquesderapiditéetdeforce,VickenClough.Ellesseraienttoutàfaitinefficacesici,

ditlevampire.Surunclaquementdesesdoigts,leschandelless’allumèrentd’uncoupetleurclartéaugmenta.Ilyenavaitdans

des appliques de verre aumur, d’autres qui vacillaient auxquatre coins de la pièce.Au-dessusdenous, unpetitlustre.Cinqbobèches,cinqbougies:unpentacle.Cettepiècerecelaitbeaucoupdepuissance.

–JesuisRayken,LenahBeaudonte,dit-ilenmetendantlamain.C’était en effet un vampire, sans aucun doute, car sesmains étaient glacées et les pupilles de ses yeux bruns

étaientlargesetnoires.Raykensoutintmonregardetunpetitsourirejouaauxcommissuresdeseslèvresserrées.–Tuestiède,dit-ilenmelâchantlamain.Fascinant.(Ilreculad’unpas.)Tupeuxattendreici,jevaisprévenirmes

frèresdetonarrivée.Illongealecorridorettournaversladroite.JerestaiseuledanslevestibuleavecVicken,quipivotaetposaune

mainsurlaporte.Iln’yavaitpasdepoignée.–Onestenfermés,chuchota-t-ilavantdeleverlatête.Ouah!Leplafondestenonyx,s’émerveilla-t-il.Lacouleurnoiredel’onyxrévèlel’âmeoriginelle.Etlà,luisantau-dessusdemoi,flottaitlerefletvéritabledela

mienne. Dans mon reflet, suspendu au-dessus de mon cœur, flottait un orbe. Lorsque je me déplaçais dans levestibule,ilmesuivait.Baissantànouveaulatête,jetentaideletoucherdevantmoi,maisc’étaitimpossible:jenele voyais que dans le plafond. Cette sphère fumeuse flottait en face de l’endroit où mon cœur battait dans mapoitrine.

–Qu’est-cequec’estqueça?demandamoncompagnonenpointantledoigtversmonreflet.–Je…Jecroisquec’estmonâme.Maisremarque,jenemesuisjamaisvuedansdel’onyx,alorsjenepeuxpas

êtresûre.–Onnepeutpass’yrefléter.Entantquevampires.J’acquiesçai,éblouieparcetteétrangebouledelumière.Vickenaussienavaitune.C’étaitunnuagesphériquegris

àrefletsargentés,suspendudevantsoncœur.Nousétionstousdeuxmortels,c’estpourcelaquenouspouvionsnousvoirdansleplafondenonyx;lesvampiresnesevoientpasparcequ’iln’yapasd’âmeàrefléter.L’onyxabritaitunpouvoir énorme. Un pouvoir sombre. Plus sombre est l’âme, plus sombre est son image dans la pierre. Celle-ciabsorbaitl’énergienégative.

–Parici,jevousprie,ditunevoixissuedel’obscuritéducouloir.Tout comme Vicken, je volai une dernière image de nous dans le plafond avant dem’engager dans le couloir

derrièreRayken.Noustournicotâmesdansundédaledecorridors,jusqu’àatteindreunpassagevoûtéenbois.Deuxbattantsdeportesétaientdécorésdesculpturesreprésentantdescentainesdecorpstordusetpeints,dotésd’unelongue langue serpentine et d’yeuxglobuleux. Je détournai la tête.Ces êtres étaient si grotesques que c’en étaitgênant.

Levampiretenditlamainversunepoignéedeporteenformededague.J’enavaisdesemblablesdansmamaisond’Hathersage.FaçonnéesparlesvampiresLinardid’Italie.Desartisansvirtuoses–jem’ensouvenaisbien,carj’enavaisoccisungrandnombreauxalentoursdel’an1500.

–Bonnechance,ditlevampireenouvrantlaporte.Je jetai un coupd’œil enarrière àVicken,qui pritmamaindans la sienne.Nousentrâmesdansune immense

bibliothèque.CelledelavisiondeRhode!Touslesmursétaientcouvertsdelivres,dusolauplafond.Au-dessusdemoi,lafresquerecréaituncielradieuxparunesuperbejournéed’été.

Uncraquementmefitbaisser lesyeux :uneénormecheminéeoccupait lamoitiédumurdu fond.Les flammesdansaient et projetaient une lumière orangée dans la pièce. Devant l’âtre, trois vampires étaient assis dans desfauteuilsmoelleux,chacununlivreàlamain.

CeluidumilieuétaitRayken,quipourtantétaitdanslecouloirdeuxsecondesplustôt.Jetâchaideconservermoncalme.

–Bienvenue,LenahBeaudonteetVickenClough.C’estungrandplaisirdevoirqueleritueldeRhodeafonctionné,àdeuxreprises.

–Vousêtesimpressionnant,répondis-je.Quellerapidité!– Je ne cherche pas à impressionner, mademoiselle.Mon pouvoir réside dansmon savoir. Les vampires ne se

déplacentpasplusvitequel’humainlambda.S’ilconnaissaitAva,ilnediraitpasça!pensai-je.IlétaitévidentqueRaykenavaitatteintsonsiègebienavantque

Vickenoumoiayonsfranchileseuil.Quoiqu’ilenfût,jenelecroyaispas.J’avaisvudequoiSuleenetAvaétaientcapables.

–Vousconnaisseznosnoms,jepensequenousdevrionsconnaîtrelesvôtres,dis-je.Ceseraitpluséquitable.Raykenregardalevampireassisàsagauche.–Laerte,seprésentacedernier.–CommedansHamlet ! commentaVickenderrièremoi, l’air contentde lui,avantde toussoteravecembarras.

Enfin,sivouslisezcegenredechoses,ajouta-t-ilfaiblement.LesouriredeLaertelevampirefutassezchaleureuxpourluidonnerl’airhumain.–Fascinant,ditletroisième.Luiaussisourit,franchement,laboucheouverte;etc’estlàquejevisqu’iln’avaitpasdecrocs.Rienquedeux

trousbéants,làoùilsauraientdûêtre.Commedansmoncauchemar!–Ellevoitbienquenoussommesparticuliers,constataLaerteenposantunemainsurlegenoudeRayken.Jelevoyais,oui,maisjevoyaisaussileurpuissance.Jevoulaisqu’ilsm’aidentàcombattreAva,maisavant,ilme

fallaitdesréponses.–MissBeaudonte,vousconnaissezdéjàRayken.Etàmadroite,voiciLevi.Noussommes…–LesÉvidés,complétai-je.LeshommesdelavisiondeRhode.Ilsinclinèrentlatêteàl’unisson.

Page 119: Pour la traduction française

–LesÉvidés?répétaVicken.–J’ensaistrèspeusurvous,avouai-jemaladroitement.Maisj’aientenduparlerdevous.–VotreamiRhodenevousapasdécritnotrespécialité?demandaLevi.Sesgrandsplisdepeauetlesridesprofondesquientouraientsesyeuxindiquaientqu’ilavaitdûêtrevampirisé

tarddanssavie.–Jesaisqu’ilestvenuici.Jel’aivudansmatête.(Jem’enhardisàfaireunpasverseux.)J’aieuunevisiondans

laquellevousparliezavecRhode.Ilvoussuppliaitd’épargnersavie.Ilvousimplorait.–Épargnersavie?ditRayken.RhodeLewinnenousajamaisdemandéd’épargnersavie.Ahnon?–Hmm.Hmm…LesÉvidéséchangèrentdesregardssoucieux.–Vousditesquevousl’avezvuenesprit?meredemandaLaerte.J’acquiesçai.–Intéressant.Commentsefait-ilquevousayezeuunaccèsprivilégiéàsespensées?s’enquitRaykenenpliantles

mainssursesgenoux.–Nous sommesdes âmes sœurs.Depuis que lesAeris ont décrétéquenousnepouvionspas être ensemble, il

refusedemetoucher.Pourtant,ilsembleraitquej’aieuneconnexionavecsespensées.Parfois,sessouvenirs.Laerte,RaykenetLevi se regardèrentet conférèrentdansun idiomeétrange,àvoixbasse. J’entendis lesmots

AnamCara.PuislenomdeSuleen.– Les véritables âmes sœurs, celles dont l’essence vitale est inextricablement liée, trouvent toujours unmoyen

d’entrerencontact,mêmequandellesnepeuventpasêtreensemblephysiquement,m’expliquaLaerte.Cesvampiresmeconnaissaient,ilssavaientlesatrocitésquej’avaiscommises.Cettefois,jen’avaisbesoindenul

sort de convocation. J’avais besoin de leur force pourm’aider à affronter Ava. La compréhension dumystère deRhodepouvaitencoreattendre.Ilfallaitquejemeconcentresurmatâche.

–JesuisvenuevousdemanderunefaveurdifférentedecellequeRhodevousademandée.–Nousn’accordonspasdefaveurs,protestaRayken.–C’estvrai,ajoutaLaerteavecunsourire.Lesavoir,rienquelesavoir.Rhodeacherchénotreprotection,cequi

nepouvaitêtrefaitqu’enpassantunmarché.Jesavaisquecemarché,quelqu’ilfût,étaitdangereux.Possiblementfatalpourmoi.–Qu’anégociéRhode?demandai-je.–L’amour,m’informaLaerte.–Comment?soufflai-je.Çan’avaitaucunsens.–C’estpourcelaqu’ilétaitlà.L’accordqu’ilnousaproposéétaitlesuivant:s’ilnousdonnaitsacapacitéd’aimer,

commeobjetd’étude,nousvousprotégerionspendantlerestedevotreviemortelle.–Commentpouvez-vousfaireça?s’étonnaVicken.–Nouspouvonsfairebeaucoupdechoses.–Maispasaimer,missBeaudonte,ajoutaLaerte.–Lesvampiressontpourtantcapablesd’amour.–Nous nous sommes débarrassés de cette capacité il y a longtemps, car cela aurait diminué notre capacité à

apprendre.–Alorsvousdeviezprendresonamourpourmoi?Pourquoia-t-ilfaitça?J’étaissihorrifiéequej’arrivaisàpeineàparler.Jerepensaiàtouteslesvisions.Aujourd’hui,danslepalaisdes

glaces,ilm’avaittouchée.Etilavaitpleuré.Jecrussuffoquerlorsquejecomprissoudain.Quelleidiotej’avaisété!MoiquiavaiscruqueRhodeavaitdumalà

affrontersamortalité.Maisc’étaitbienplusquecela.Ilavaitdûenvisagerderenonceràsonamourpourassurermasécurité!C’étaitdonccela,lasourcedesontourment?

–Ilaéchoué,ajoutaRayken.Iln’apaspu.–Quelestvotredésir,missBeaudonte?–Rhoden’apaspurenonceràsonamourpourmoi?Jevoulaisuneconfirmationavantdedemanderàêtreprotégéed’Ava.–Eneffet,confirmaRayken. Iln’apaspuabandonnersacapacitéàvousaimer,malgrévotresituationavec les

Aeris.C’étaitsûrementvrai.Sinon,commentauraient-ilsétéaucourantpourlesAeris?Rhoden’avaitpaspurenonceràsonamour.Ill’avaitditdanssavision:«Vosexigencessonttropextrêmes.»Et

aujourd’hui, dans le palais des glaces, il avait enfin cédé à son tourment. Quoi qu’il arrive, jamais nous neparviendrionsàresterséparés l’unde l’autre. Il reviendraitencoreet toujoursàcet instant-là. Jepouvaisappelercelacommejelevoulais:AnamCara,âmessœurs,l’amourdemavie…ilétaitmonRhode.

Àjamais.MaisRhoden’étaitpasleseulencause.Desimagesflottaientdansmatêteetunecompréhensiondifférentedel’amourm’apparut lentement.Cen’était

passeulementmonamourpourRhode…c’étaitautrechose.Tracymedisantqu’ellem’aiderait,quoiqu’ilarrive.LeportraitdeTonyenlambeaux.LesyeuxclosdeMrsTate,commeendormie.Unmotposésursapoitrine.LevisagetrempédelarmesdeClaudia,justeavantsamort.Tout cela, était-ce la vie ? Était-ce donc ce que j’avais imploré pendant les jours de folie pure passés à

Hathersage?Moncœurbrûlaitdansmapoitrinequandjemerevoyaisrépandantdesfleurs,telleunefurie,surledallageduchâteau.

JerelevailatêtepourregarderlesÉvidés.Jesavaiscequejevoulais,désormais,etcen’étaitplusleurprotection.Cequej’avaisàfaire,j’auraisdûlefairedesmoisplustôt.C’étaitleseulmoyendelaisserderrièremoiAvaetmavied’Hathersage.Sijen’étaispluslemonstrequej’avaisété,celuiquipouvaittuersansraison,alorsilfallaitaussiquejerenonceàmaviehumaineàWickham.Jesavaiscequ’il fallaitque j’accomplisse,et jesavaispourquoi tous lesévénementsdel’annéem’avaientamenéeàcemomentdevantlesÉvidés.

–Jesuisprêteàfaireunéchange,dis-je.J’ignorecequevouspourriezvouloirdemoi,maisjesuisprêteàvousledonner.

–Maisenfin,Lenah!s’exclamaVicken,stupéfait.Ilfallaitquej’aillejusqu’aubout.–J’étaisvenueicivousdemanderdem’aideràcombattreunvampirequienveutàmesjours.Maiscen’estplusce

quejesouhaite.C’estquelquechosedebienplusimportantqu’ilmefaut.

Page 120: Pour la traduction française

Cedésirgrandissaitenmoidesecondeenseconde.–JeveuxquevousappeliezlesAerispourmoi.J’allaisretourneràl’époquemédiévale,commemel’avaitproposéleFeuaudépart.Laertem’observauninstant.–Vousêtesquelqu’undetrèscurieux,missBeaudonte.–Etd’inconscient,peut-être. Jesaisque jenepeuxpasrenonceràmacapacitéd’aimer.Rhodeetmoisommes

identiques,decepointdevue.Laerteattendituninstantavantderépondre.–Votresangnoussuffiraenéchange.–Monsang?Jelevailementon.Vickens’avançaàcôtédemoi.–Non,protesta-t-ild’untondur.–Nousvousaiderons.Votrerituelesttrèsintrigant,toutcommel’histoiredevotrecapacitéàprojeterlalumière

dusoleil.Nousn’avonsjamaisvudesangporteurdecepouvoir.PasmêmeceluidevotreRhode.Lesdeuxautresmurmurèrentleurapprobation.–Non,répétaVicken.C’estuncomplotstupidepourtetuer.–Votregardeducorpsdevragarderlesilenceouattendredehors,ditLaerte.Toutenmeparlant,ilregardaitdansunepetiteboîte.Ilyeutuncliquetisdemétaletdeverre.–Lenah,non,insistaVickenenposantlesmainssurmesépaules.Jetesupplied’entendreraison.Jeleregardaiaufonddesyeux,maisjesusquejefaisaiscequ’ilfallait.Jedévisageaimonvieilami,pleinement

conscientequejen’auraisjamaisdûl’enleveràlamaisondesonpère.ToutcommeRhodenerenonceraitjamaisàsonamourpourmoi, je savaisque jenepourrais jamais vivreuneexistencedans laquelle tous ceuxque j’aimaisétaientmenacésenpermanencepardesvampiressanguinaires.Toutescessouffrances,rienquepourassurermapropre humanité ! Désormais, tout m’apparaissait clairement. Pour Rhode et aussi pour moi. Nous pouvionscontinuerànousdétruire,continueràchercherdesmoyensd’êtreensemblesansenfreindrel’impossibledécret…

…maiscen’étaitpasunevie.Ilfallaitquejeregagnelemondemédiéval,commej’auraisdûl’avoirfaitdessemainesplustôt.Laertes’approchademoiàlonguesenjambées,sagranderobeflottantderrièrelui,soulevantdesvaguesdevent

qui firent vaciller les flammes des chandelles. Les deux autres Évidés restèrent assis. Vicken recula lorsque levampirefutprèsdemoi.

–Jevaisvousviderdepresquetoutvotresang,missBeaudonte.Lorsquevousvouséveillerez,vousserezdansunepetitepièce.Justelà.

Il pointa le doigt vers un passage voûté qui s’étaitmatérialisé à côté de la cheminée.Une large porte de boissombre.Elleétaitdécoréedevolutesargentéesquiressemblaientàd’étrangesfleursexotiques.

–Vousserezdansunepiècenue.Nevousretournezpas.NerevenezpasicitantquevotreentretienaveclesAerisneserapasterminé.

–Commentsavoirquevousn’allezpasmetuersansm’accordercetentretien?demandai-je,lecœurbattant.Laertetenaitdanssamainunpetitcouteau,unelameminuscule.Àcettecourtedistance,jevisqueluiaussiavait

arrachésescrocsetn’avaitplusquedeuxtrous.–Elledoityallerseule,dit-ilenregardantVickenpar-dessusmonépaule.Je me tournai pour regarder mon ami, et nos yeux se parlèrent en silence. Les mains de Vicken pendaient

mollement le longdesoncorps. Ildéglutitmaisnedit rien. J’ignorais si je faisaisbiende le laisserainsi.Mais ilfallaitquejeprennelerisque.

– Je trouve intéressant,missBeaudonte, de savoirqu’à vingt-deuxheures tapantes ce soir, vous combattrezuncercledevampires.Lanouvellereinedesvampiresetsoncercle,pourêtreprécis.Etpourtant,vouschoisissezderenoncerànotreprotection.VouspréférezrencontrerlesAeris.Pourquoi?

Ilinclinalatêtesurlecôté,avecunsourirepresqueimperceptible.–Parcequejepensepouvoirremportercecombat.–Etsivousmourezdeceprélèvementdesang,celan’auraplusd’importance.–Oh,quesi.Ilfautqu’elletombeavecmoi.Pourtouteréponse,Laertesecontentad’unsourireédenté.Jeluioffrismonpoignet.

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Chapitre23Vickendutêtreretenupardeuxhommesennoirquiétaiententrésdanslasalle.Jeneregardaipasmonsangse

déverser dans le grand récipient de verre. Je tâchai d’ignorer les battements de mon cœur dans mes veinestranchées.Matêtecommençaitàtourner,mesjambesàcéder,lorsquesoudaintoutviraaunoir.

J’essayaideclignerdesyeuxunefoisoudeux,maismespaupièresétaientcollées.J’auraisvoululeverlesbras.Ehbienfais-le!Lèvelesbras,Lenah.J’essayai,maisenvain.Jefisunenouvelletentativeengémissant,maismesmainsétaientsilourdes…Jetâchaidemeconcentrer…toutn’étaitqueténèbres.Laertesepenchaau-dessusdemoipourscrutermonvisage.Oh,Seigneur.Ilvoulaitmetuer.Ill’afait.Ilm’apiégée.–Peuxpas,soufflai-je,etcefuttoutcequejeparvinsàdire.Laerteextirpaunpetit flacondesplisde sonvêtement.Unminuscule tubedeverreemplid’un liquidebleu. Il

soulevamamaindusol,etellesemblaflotterenl’airdanslasienne.Unsombrefiletdesangcoulaitdemonpoignet,lelongdemonavant-bras.Illaissatomberdessusdeuxpetitesgouttesdeliquidebleu.Celui-cimebrûlacommedufeu,maissansmefairedemal.Lapeaucicatrisaimmédiatement.

Enquelquessecondes,lesangquicoulaitsurmonbrassemblasefondredansmapeau,neplusfairequ’unavecmachair.Peuaprès,mesmainsetmesdoigtssemirentàmepicoter.

–Votresangvaserégénérertrèsrapidement.Nevouslevezpastantquevousnepourrezpasbougerlesorteils.Bonnechance.

Etenquelquespas,ildisparut.Jegisaisimmobileausol.Latempératureétaitfraîchederrièrematête.Lepoidsdemoncorpssemblaitsefondre

dansledallageglacéendessousdemoi.Attendez…Jepercevaisbienlatempérature.Jetentaid’appuyersurlesolavecmespaumes.C’étaitfaisable.Mesdoigtsse

replièrent et je cherchai àme relever. Je retombai aussitôt enme cognant le crâne par terre. Je gémis, essayaiencore.Poussesurtesbras!Lesmusclesdemonventreentremblaient.Pousseencore,Lenah!Jem’assis,soufflaietregardaidevantmoi.Iln’yavaitlàqu’unmurdepierre.Pasdefenêtre.Jecontemplaileplafond,lespiedsencoreengourdis.Ilétaitenonyxnoir,etbienqu’iln’yaitnifenêtresnichandelles,j’arrivaistoutdemêmeàyvoir.Derrièremoi, une porte en bois à poignée noire. Un rai de lumière dorée passait en dessous. La seule issue.Mais je nepouvaispaspartir,Laertemel’avaitdit.Pastantquejen’auraispasfinideparleraveclesAeris.

Lesjambestenduesdroitdevantmoi,jemetordislecoupourobserverlefonddelapièce.Laportecommençaàbrillercommesiunelampeavaitétédirigéedessus.Faisantlentementpivotermeshanches,

jeme plaçai face aumur de pierre. J’utilisaimesmains, qui étaient de plus en plus fortes à chaque instant quipassait, afin de me hisser pour faire face à la lumière. Mes jambes, lourdes comme une queue de sirène, mepicotaient.

Exactementcommesur le terraindetirà l’arc,une lumièreblanchesemitàcroîtreàpartird’uneétincelleaucentre de la pièce. Elle grandit encore et encore, jusqu’à ce que toute la salle soit baignée d’une luminositéaveuglante. À l’intérieur de cette lumière se dessinaient les contours de centaines de corps. Et même la petitesilhouetteenfantine.

LesquatreAerissematérialisèrentdevantcetocéandecorps,s’avançantàl’unissoncommeellesl’avaientfaitsurlacolline.LeFeuouvraitlamarchedevantlestroisautres.

L’êtrebaissalesyeuxversmesjambes.Lespicotementss’étaientcalmés,jesavaisqu’ilsallaientbientôtcesser.–Pardonnez-moi,dis-je.J’aimeraismelever,maisj’ensuisincapable.LeFeusepencha,sibienquesarobe,pendantsursesgenoux,flottaau-dessusdusol.LestroisautresAerisle

rejoignirent àmes pieds. Ensemble, elles empilèrent leursmains les unes sur les autres et les posèrent surmeschevilles. Leur pression me fut douce comme une pluie de pétales ; ces créatures étaient si légères, mêmelorsqu’ellespesaientsurmoidetoutleurpoids!

Ellesenvoyèrentquelquechoseenmoi,unjaillissementdelumière,unesourcevived’amour,devie…jenesavaispasau juste. J’inspiraiunegrandeboufféed’airet serrai lespoings.Puis jepassai lespaumessurmescuissesetsentisladouceurdemapeausousmesvêtements.

JemelevaisanseffortdevantleFeu,tandisquelestroisautresseretranchaientderrière.–Merci,répétai-jeàchacunedesentités.Touràtour,ellesinclinèrentlatête.–Tufaispreuved’ungrandcourage,meditleFeu.Jerépondisaprèsunehésitation.–Jeregrettedenepasavoircomprisplustôt.–Pourquoinousas-tufaitappeler?– Je reconnais qu’unepartie demoi voudrait vous implorer.Vous supplier d’annuler le décret qui nous sépare,

Rhodeetmoi.Jen’aipaspluscherdésiraumonde.–Mais…,m’encouragealeFeu.Lacréatureportaitsarobevermillon,etsachevelurecrépitait:desbouclesdeflammesrougesquicrachaientune

lumièremandarineetor.–Jemesuisbrûlée,jetéedanslesbrasdumalpourdévieruneattaquedevampire.Je levaimon poignet pourmontrer au Feu le pansement qui protégeait encorema brûlure,mais celui-ci avait

disparulorsquelesAerism’avaientguérie.Jelaissairetombermonbras.

Page 123: Pour la traduction française

–LesÉvidésvoulaientétudiermonsang.IlsontdemandéàRhodederenonceràsonamourpourmoi.LesyeuxrougesduFeumehérissaientlapeau.Lacréaturem’adressaunsourirecompréhensifetpresquefier.–Etaprèstoutcela,savez-vouscequejesouhaite?demandai-je.–Dis-le-moi.Sapeausemblait luirede l’intérieur,commesideminusculesoragesavaientéclatéendessous. Jecherchai les

motslesplusprofondémentenfouisdansmoncerveauetdansmonâmehumaine.Jechuchotaimaconfessionlaplussincère,uneconfessionquejen’avaisfaitequ’unefoisdansmavie,àTony,avantsamort.

–J’aimeraisn’êtrejamaisentréedanslevergercesoir-là.JevoudraisêtremorteauXVesiècle,commelevoulaitl’ordrenatureldeschoses.

Mavoixsebrisa.J’avaislesyeuxbrûlantsdelarmes.LeFeu,sanscesserdemeregarder,hochaunefoislatête,lentement.Lacréaturefitensuiteunpasdecôtéetje

metournaiverslalumièreblanche.Unesilhouettesedétachadesformesindistinctes.Celled’unjeunehommevintseposterprèsduFeuetseprécisa,peuàpeu,jusqu’aumomentoùjecomprisdequiils’agissait.Despiercingsdanslesoreilles,unsourirechaleureux,lesmainsdanslespoches.

Tony.Reconnaissableentretous,danssescouleursetdanssavie.Uneexplosiondechaleurirradiademapoitrinejusquedansmesmains.

Ilmeregardadanslesyeux,maisneditrien.–Tumemanques,mehâtai-jedechuchoter.Ilrecula,unsourireauxlèvres,etdisparutdanslalumière.Lederniertraitclairetdistinctquejevis,cefurent

sesjouesenpommed’apilorsqu’ilsourit.LeFeuinclinalatête.–Parfois,c’estladécisionlaplusdifficilequinouslibère,ditlacréature.Je tentai de retrouver Tony, mais le contour de ses épaules et ses mains d’artiste n’étaient plus qu’un rayon

lumineux.Jerespiraiàfond.–Jeveux…,commençai-jeenregardantleFeudanslesyeux,etàpartirdelàchacundemesmotsfutsincère.Je

veuxcequevousm’avezproposésur lechampde tirà l’arc.RetournerauXVe siècle.Mais seule. (Je reprismonsouffle.) JesaisqueRhodeétaitdéjàvampireà l’époqueetqueleseulmoyenpourquenoussoyonsensembleestqu’ilm’yrejoigne.Latentationseraittropforte.C’estpourquoijevousdemandequ’ilresteici,autempsprésent.

–Qu’ilreste?–Ilestmortpourmoi,oudumoinsilaessayé.Jeveuxqu’ilvive.S’ilsesouvientdesonpassé,ildeviendrafou.

Donc,jevousdemandeaussid’effacersamémoire.Qu’ilviveetaitunefamille,qu’ilsoitlibre.–EtVicken?Situretournesdanslepassé,ilretourneraauXIXesiècle.Ilnedeviendrajamaisvampire.Unsouvenirmesubmergeamomentanément.Vickenenuniformebleudesoldat.Ildansesurunetable,lanceses

jambesenavant,sourit.Ilestensueur.Ilesthumain…etilestheureux.–Iln’auraitjamaisdûvivrejusqu’àcetteépoque-ci.LeFeus’approchademoi,sortantdela lumièrepourentrerdanslapénombredelapièce.Lacréatures’arrêta

pilesurlalignededémarcation.Lalignequiséparaitsonuniversdelumièreblancheetlemien,faitd’ombreetdelumière, lemondedesmortels.Elleme regarda, inclina la tête sur le côtéetm’adressaunnouveaupetit sourirepincé.

–Toutcycledoitallerjusqu’àsonterme.Lesoleilquiselèvelematindoitsecoucherlesoirvenu.L’étincellequiéclairelemondedoits’éteindre.Achèvecequetuascommencé.Briselecycledurituel,etceserachosefaite.

–Alorssitôtquej’auraivaincuAva,vousmerenverrezdanslepassé,commejelesouhaite?LeFeuhochalatête.–Etmesvictimesserontlibres?Ettousceuxquiontététuésparlesvampiresquej’aicréés?Lamasseblanchedesâmes,derrièrelesAeris,ondulaetpalpita,commeagitéeparunebriselégère.–Touteslesâmesserontlibérées.–Maisceneserontplusdesâmesblanches?–Ellesferontleurproprechemin,commeellesauraientdû.Etcommeill’avaitfaitsurleterraindetir,leFeucommençaàs’estomper;déjàj’apercevaislemurdepierreà

traverssoncorps.–Quandceseraterminé,tumonterassurleterraindetir.Auprochainleverdusoleil,tuserasrenvoyée.–Etlecombat?Sijemeurs?L’Eau,laTerreetl’Airs’effacèrentdanslalumière,tandisqueleFeubrillaitànouveaud’unelumièreplusviveque

jamais.L’êtres’approchademoietpritmesmainsdanslasienne.Sapeauétaitdoucecommedusatin.–Jemefieàtoipourtriompher,Lenah.–Pasmoi.L’entitéfitunpasversmoietmesoufflad’untongrave:–Lesavoirseralaclé.–Lesavoir?Maisque…Jemetus,carelleregardaitlamassedegenss’effacerderrièreelle.–Lesmorts,reprit-elle,nesemontrentpasauxvivants,àmoinsqu’ilsneleméritent,àmoinsqu’ilsn’aientune

âmeblanche.–Maismonâmen’étaitpasblanche.Jel’aivuedansleplafondd’onyx.Elleétaitgrise.LeFeus’éloignaverslesfinslambeauxdelumière.–Tusais.Mabouches’entrouvritetpourlapremièrefoisdepuis,mesemblait-il,uneéternité,jesouris.–Attendez!m’écriai-jeenfaisantunpasversl’apparition,quivacilladevantmoicommeunechandelleentrainde

s’éteindre.Rhode.Sera-t-ilheureux?LeFeusouritets’évanouitdanslenéant.

Jepivotaialorsverslaporteettournailapoignée.Jem’attendaisàmeretrouverdanslabibliothèque.Aulieude

cela,jesortisdirectementsurleperrondelamaison,danslesoleildelafind’après-midi,etdescendissurl’alléedebrisuresdecoquillages.J’abritaimesyeuxdelalumière.Vickenselevad’uncoup.Ilm’avaitattendueassissurlamarchedubas,faceaulongchemin,enfumant.

Ilmepritaussitôtdanssesbras,et jem’accrochaiàsesépaulesminces. Il sentait le tabacet lacitronnelle. Jerestailàunmoment,àprofiteraumaximumdesaprésence.

–En fait, j’ai vraiment eumal au cœur, dit-il – et j’écoutai sa voix grave vibrer dans son torse.Maintenant, jecomprendscescrétinsd’humainsquandilsdisentqu’ilssontmaladesd’inquiétude.

–Toutvabien,dis-jeenmereculant.

Page 124: Pour la traduction française

–Vingt-deuxheures,cen’estquedanssixheures,Lenah.Ilfautqu’onparte.Jecherchailesclésdansmapocheetlesluitendis.Maisaulieudecouriràlavoiture,ilmeposaunequestion.–Alors?Onsebat?–LeFeum’aditquequoiqu’ilarrive,ilfallaitvaincreAvaavanttoutechose.Celabriseralecycledurituel.–Briserlecycle?–SinousdétruisonsAva,lemondeserapurgédurituel,situveux.–Excellent.Est-cequel’ÉdentéouMissTout-Feu-Tout-Flammet’aditcequisepasserasiongagne?Cela,jenepouvaispasleluirévéler.Ilauraittentédemeconvaincrederesteràcetteépoque-ci,d’insisterpour

quenousrestionsensemble,parcequec’étaittoutcequ’ilavaitconnudepuiscentsoixanteans.Maisilfallaitquejelerenvoiedanslemondeoùilavaitsaplace.

Jesecouailatêteetparvinsàsouriretandisqu’uncalmeétrangemesaisissait.Nousremontâmesenvoiture.Enchemin, détendue contre mon appui-tête, j’écoutai le ronronnement du moteur. Le moteur, la radio, le levier devitesses.Jeregardaisdéfilerlesréverbères.Jedévoraistoutdesyeux.Toutcequin’existaitpasen1418.

En entrant dans mon appartement, je m’attendais à m’y retrouver seule, mais quelqu’un était assis sur moncanapé.Grandcorpsvoûté,cheveuxnoirsenbataille.Lorsquej’avaisretrouvémonhumanitéetqu’ilétaitsortisurlebalcon,ilétaitsûretcertainqu’ilallaitmourir.Rhodesetenaitlatêteentrelesmains.Illarelevaenm’entendantarriver.

–Qu’est-cequetufabriquais?medemanda-t-il.Jem’assisàcôtédelui.Ilmedévisageaitavecdegrandsyeux.–Pendantdesmois,j’aicruquetuvoulaistefairedumal,quetutepunissais,luiavouai-je.Quetunepensaispas

méritertonhumanité,oujenesaisquoi.–Qu’est-cequitefaisaitcroireça?– Depuis ton retour d’Hathersage, j’ai eu des connexions avec toi. J’ai lu dans tes pensées. Parfois dans tes

souvenirs.Etj’aimalinterprététadouleur.C’estcequim’estarrivédanslepalaisdesglaces.–Desconnexions?–Jecroyaistevoirperdrepiedalorsquecequejevoyais,c’étaittalutteaveclesÉvidés.C’étaittonincapacitéà

renonceràtonamourpourmoi.Rhodeserembrunitetselevaducanapé.–Jevois.Tuasdoncdécouvertmarelationaveceux,dit-ilens’approchantdemonbureau.Il posa lesmains dessus et baissa lementon sur sa poitrine. Je regardai lesmuscles puissants de son dos se

contracteràtraverssonfintee-shirtpendantqu’ilparlait.– Quand je me suis éveillé après le rituel, tu étais sur le canapé, endormie. J’ai simplement continué de te

regarder.Humaineenfin,enfin,toiquil’avaisvoulusifort.Ilsetournaversmoiets’appuyaaubureau.J’avaistroppeurpourprononcerunmot.Peurque,sij’interrompais

sespensées,ilcessedemedirecequej’avaissilongtempsattendud’entendre.–Jen’aipum’empêcherd’êtreébloui. J’étais fier,dit-ilensecouantrapidement latête.Deceque j’avaisréussi

avec le rituel. C’était une première, c’était inouï. Une simple combinaison d’herbes et d’incantations… maisl’intention–l’ingrédientcrucialetleplusvariable–avaitétél’élémentleplusdifficileàtrouver.Carnousdevionstousdeuxlatrouverennous-mêmes.

Rhodefaisaitàprésentlescentpasdevantmoi.– J’avais donc deux possibilités. Soit je te réveillais et nous pouvions commencer notre vie commune, soit je

pouvais te laisser vivre une vie dans laquelle je n’intervenais pas. J’avais une telle dette à régler… Une detteconsidérableenversSuleen…Jeluiétaisredevable.

Ilcaptamonregardet,mêmesijenecomprenaispastout,jesentisquenousyétions,aubord,toutauborddelavérité.

–J’avaisaussiunedetteenverstoi,poursuivit-il.Jetedevaisunechanced’êtrehumainesansquej’interfère.J’aichoisidepayermesdettes,croyantquetupourraist’acclimateràtaviehumaineetquesitoietmoidevionsnousremettreensembleunjour,jepourraist’expliquercelaplustard,avecletemps.JesuisdoncallévoirlesÉvidés.Ilsm’ontpromisdeteprotégerpourtouteladuréedetaviehumaine,àconditionquetu…(Ilhésita.J’étaissuspendueàseslèvres.)Ilsm’ontimposéunetâcheimpossible,Lenah.Ilscomptaientsurmoipourleurlivrerl’amour.L’amourvéritable.Sijeparvenaisàlecapturer,sijetrouvaisdesincantationsoudessortsquipuissentmel’enleverpourquejeleleurdonne,ilsteprotégeraient.Tuseraislibéréedesténèbresquit’enveloppaientdepuisdessiècles.

Ilpritunephotodemoisurlebureauetjemedemandaimomentanéments’ilallaitlajeteràtraverslapièce.–J’aiéchoué,dit-ild’unevoixàpeineaudible.EtjemesuisretrouvéendettéenverslesÉvidés.Taprotectionaété

levée.Vickenestarrivé,etj’aitroptardéàtesortirdeLoversBay.Jegardailesilence,lesyeuxrivéssurmesmains.JenepouvaisimaginerRhodeéchouantàquoiquecesoit.–Oùes-tuallé?demandai-jed’unevoixrauque.–Jesuisrepartienquête.Jusqu’auxcoinslespluséloignésdelaterre.Ànouveau,j’aiéchoué.(Iltombaàgenoux

devantmoietposalesmainssurmescuisses.)Unefoisqu’onenlèvel’amouràquelqu’unparlamagie, ilnepeutplus jamais aimer. Il n’est pasmauvais, il n’est pas en colère, il est creux et vide, ce qui est presquepire. Je nepouvaispassiphonnerlavied’unautre.Jel’avaisfaitpendantdessièclesenpompantlesangd’autrui.

L’idéedeRhodefaisantcelamedonnalachairdepoule.– Jenepeuxpascomprendrecetypedemaléfice.Àmonretour…(Ildéglutit,etmitunmomentàseressaisir.)

LorsquejesuisrevenuàLoversBaypourledireauxÉvidés,onm’aapprisquetuavaisétéretransformée.Ilagrippamesgenouxetjevoulusleretenircontremoi.Jevoulaisluidirequecen’étaitpasgrave.– J’ai vu ta vie commeun orbe doré suspendu devantmoi.M’attirant comme le plus brillant des soleils. Je ne

craignaispastalumière.–Maistun’aspaspurenonceràtonamourpourmoi.–Jen’aipaspu,répondit-ilàmi-voix.Jenelevoulaispas.Ilétaittempsquejeluidiselavéritéenretour.–J’aipasséunmarchéaveclesÉvidés,Rhode.Jeleuraidemandéd’appelerlesAeris.Sonregardremontavivementversmonvisage.Ilretirasesmainsdemesjambesetl’atmosphèredelapiècese

modifiaconsidérablement.–Ilsnefontjamaisrienpourrien.Qu’est-cequetu…?–Enéchangedemonsang,lesangd’unvampirequiasuforgerlalumièredusoleiletsurvécudeuxfoisaurituel,

ilsontappelélesAerispourmoi.Jedéglutis,luttantpourgarderlecontrôlesurmesémotions.Rhodeselevaetdonnauncoupdepieddanslatablebasse,envoyantdeslivresetdesstylosvolerdanslesairs.Je

tressaillisetdétournailesyeux.

Page 125: Pour la traduction française

–Commentas-tupu?Onnepeutpas leur faireconfiance,Lenah.Tunepeuxpasprévoir lesconséquencesdecettetransactiondanslesannéesàvenir.Ilsaurontcesang.Ilsontcettemagie.(Ilpassalamaindanssescheveux.)Tuauraispuêtretuée.

–Jenesuispasmorte,Rhode,lâchai-jed’unevoixépuisée.Jecontemplailacourbedesanuque,lapetitebandedepeauquidépassaitdesontee-shirtnoir.J’auraisvoulula

touchertantqu’ilétaitencoretemps.–Etpourquoias-tufaitvenirlesAeris?Pourêtreprotégéedesvampirescesoir?Lenah,ilenviendratoujours

d’autres.Leuras-tudemandéd’annulerleurdécret?–Non!m’écriai-jeetilsoupirasansrienajouter.Tumesous-estimestellement!Tumeprendstoujourspourune

petiteégoïste.Tesouviens-tudecequ’avaitdit l’Aeris?Quenousétionsdesâmessœursetqu’ellesnepouvaientriencontrecela?

Rhodehochalatêteunefois.–Pendanttoutcetemps,j’aipenséàmoi.Àtoi,àmoi,àcequenousnepouvonspasavoir.Jenem’étaisjamais

souciéedesgensquiméritaientvraimentlajustice.–Lenah…–Non,lecoupai-je.Plusdemanières.IlnousfautbattreAva.LeFeul’abienspécifié.Unefoisquenousl’aurons

tuée,auleverdusoleil,jeretourneraiauXVesiècleetleFeuannuleratouteslesatrocitésquenousavonscommises.Nosforfaitsseronteffacés.

–Quoi!?– Pourquoi ne nous sommes-nous jamais souciés des gens qui se tenaient dans la lumière blanche derrière les

Aeris?DeTonyoudeKate,ouencoredeClaudia?MêmedeJustin?Dieusaitoùilestencemoment,etmêmes’ilestencoreenvie.

–Lemondemédiéval…,commençaRhodeavecunsoupir.–Mavieserabrève.Jememarieraijeune,mourraijeune.Maisj’auraiunevie,Rhode.Etnousépargneronscelle

detousceuxquenousavonstués.Ilsemblaréfléchiràquelquechose,puissemitàparler.–Maisjenepeuxvivresanspouvoirt’aimer,dit-il–cequimedéchiralecœur.Jeseraidéjàvampirequandviendra

leXVesiècle,etjet’observerai.Jet’attendrai.J’avalaimasalive,rassemblantmesforces.Maisjefusincapabledeleregarderpourluirépondre.–J’aitravailléaussi là-dessus.LorsquejeretourneraiauMoyenÂge,turesterasici,sansaucunsouvenirdeton

passé.TuserasunRhodededix-septans,avecunefamille.Unjeunehommeavectoutelaviedevantlui.–Non,Lenah.Cen’estpasjuste.Tunem’aspaslaissélechoix.Jem’avançaibrusquementverslui,ledoigtpointéenavant,l’obligeantàreculerjusqu’aubureau.–Non !m’écriai-je.Non.C’estmoi qui n’ai jamais eu le choix.C’est toi qui es entré dansmon verger etm’as

vampirisée.Toutcequiadécoulédecetévénementseraannuléparmadécision.Jereprismonsouffledansl’instantdesilencequisuivit.–M’as-tujamaispardonné?demanda-t-ilalorstranquillement.–Et toi ? Je t’ai vu.Tuasdit àSuleenque tun’étaispas sûrdepouvoir le faire.Quecen’étaitpeut-êtreplus

possibledemepardonneraprès…aprèscequej’avaisfait.Mavoixsebrisa,c’étaitplusfortquemoi.Rhodeetmoin’étionsséparésqueparquelquescentimètres.Jelussursonvisageque,soudain,ilcomprenaitque

jesavais.–C’estunsouvenirquej’aieuilyaquelquesmois.J’airegrettécesproposparlasuite.–Donc,tonsouvenirétait…–Unepenséequim’estvenuesurlemoment.Maisalors,tuétaisbienconnectéeavecmonesprit!Jeprisletempsdedigérerl’information.–Alorstum’aspardonné?demandai-jeàvoixbasse.Jemepenchaiversluietapprochaimeslèvresàquelquesmillimètresdessiennes.Ilbaissalatêteversmoi…nous

aurionspunousembrassersifacilement!Sonsouffleétaitsidouxsurmabouche…–N’est-cepascequejet’aitoujoursdit,Lenah?Tuesmonseulespoir.Ils’inclina,justeunpeu,etnoslèvress’effleurèrent.J’étaissurlepointdedonneràRhodeunbaiserdemortelle,

pourlapremièrefoisdemavie.–Jet’aime,Lenah,souffla-t-il.J’étaisperduedanslapossibilitédeslèvresdeRhodecaressantlesmiennes.Moncœurchantait,chacundespores

demapeauréclamaitsacaresse.Jevoulaisnefairequ’unavecsonâme.Bam!Onfrappabrutalementàlaportedemonappartement.Nousnousséparâmesd’unbond.–Jevaisouvrir,ditRhode.Lorsqu’ils’éloigna,l’airentrenousmeparutétrangementsouillé.Vickenétaitdanslecouloir,toutdenoirvêtu,lescheveuxplaquésenarrière,cequiaccentuaitlestraitsdeson

visage.Ilsouriait,lèvresfermées,d’unairmystérieux.Puissonsourires’élargitetdeuxcrocstrèsfins,trèsblancs,miroitèrent.

–Ouah!fitRhodeenreculant,etmonmoralremontalorsqu’ilsemitàrire.–Tuesdéguiséenvampire?lançai-je.Rhodesecoualatêteetseremitàpouffer.–Quoi?fitVickenenhaussantlesépaules,commesiçaavaitétélachoselaplusnormaledumonde.–Magnifique!commentaRhode.Ilouvritsonsacdesportetensortitsonépée.Lalameargentéeaccrochalalumièreetprojetadecourtsrayons

surlesol.– F’est ironique, expliqua Vicken, que ses fausses dents empêchaient de fermer complètement la bouche.

Vegardez-vous,fouslesdeux.Lamenfable!Oùfontvoscoftumes?Funepeuxpasfepointeraubalavecuneépéefurledosetriend’autre!

Rhodeindiqualesacouvertparterre.–Jemesuisoccupédeça.(Ilretournalesac,etcinqpoignardsentombèrent.)Allez,aidez-moi.

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Chapitre24Desdentellesblanchescousuessurdestissusbonmarché;desvisagespeintspourévoquerdesdémonsoudes

anges.PartoutsurlecampusdeWickham,lesélèvesétaientcostuméspourcettenuitdubald’Halloween,l’ultimesoiréedelaNuitRouge.Lesdécorationsétaient soulignéespardesgyrophares rougesetbleus : il yavaitdesvéhiculesdesurveillance

pleinlesallées.C’étaituntoutnouveauWickhamquejevoyaislà.UnWickhamapeuré.UnWickhamsouilléparlasoifdesangdesvampires.JecherchaidesyeuxlahautesilhouettedeJustin,maisnelevisnullepart.Rhode,Vickenetmoiétionsdansl’alléequipassaitdevantSeekerHalletregardionsnoscamaradestraverserla

pelouseendirectiondubâtimentHopper,quiabritaitlegymnase.Jeresserraisurmondosmonbaudrier,c’est-à-direunesangledecuirquiretenaitl’épéecontremoi.Elleglissaitàchacundemesmouvements.–Redis-moiunpeufequet’aditleFeu?medemandaVickenpourladixièmefois.–«Lesavoirseralaclé.»–Laisseztomber lesmessagescryptiquesdesAeris. Il fautresterconcentrés,grommelaRhodesansquitterdes

yeuxlecampusplongédanslanuit.–Laerteadit:vingt-deuxheures,luirappelai-je.–Alorsf’estfacile!intervintVicken.Onattendqu’ilfoitdixheures,etlàonfrappe.– Mais on ne peut pas laisser tout le monde là-dedans sans surveillance, objecta Rhode. On va au bal, et au

moindredétail sortant de l’ordinaire, on se bat.N’oubliez pas qu’il faut isolerAvade son cercle pour queLenahpuisseluitranspercerlecœur.C’estcapitalqu’elleréussisse.–Oui,ditVickenens’efforçantderentrersondentierpourfermer labouche.Maistuoubliesquelquechosede

trèsimportant.–Oui?–Ilyauradescentainesd’élèvesdanslasalle.Nousallonsdevoirnousrévélerdevanteux,enpublic.Rhodem’envoyaun regardentendu.Nousconnaissions tousdeux les changementsqui surviendraientà l’aube.

Nousdevionstriompher–fautedequoinousresterionscoincéslà,soumisaudécretdesAerisetauxvampiresquicherchaientlerituel.–Allons-y,décidaRhode.Je n’avais pas parlé à Vicken de mon choix de retourner auMoyen Âge. Il méritait de savoir, certes, mais je

n’auraissucommentluiexpliquermadécision.–Onvousadéjàditquevousétiezmagnifiques?repritVickenennoustoisant,Rhodeetmoi,delatêteauxpieds.–C’étaientlesseulscostumescompatiblesavecl’épéedeLenahetmesflèches,sejustifiaRhode.NousétionsdéguisésenVikings.Dansd’autrescirconstances,j’auraisriàgorgedéployéeetpeut-êtredemandéà

êtrepriseenphoto.Lesseulsbalscostumésoùnoussoyons jamaisalléss’étaienttenusauxXVIIeetXVIIIesiècles.Ceciétait toutdifférent.Moncostumeserésumaitàunmaillotdecorps,unshortetdesbottesgarniesdefaussefourrure.Celui deRhode se composait d’unkilt etd’undébardeurnoir. Je tentaisd’ailleursdenepasme laisserdistraireparlescourbesdesesbicepsetdesondosmusclé.Si,moi,j’avaisunbaudrier,Rhode,lui,portaitsurledosuncarquoisgarnideflèches.Lesplumesdépassaientau-

dessus.Iltenaitàlamainsonarc,unearmenoireetprofiléed’aspectmoderne.–Porte-la,toi,m’avait-ilditenattachantl’épéedansmondos,toutàl’heuredansmonappartement.–Maiselleestàtoi,avais-jeprotestétandisquelessanglesseresserraientetquel’armepesaitsurmesépaules.–Non,jen’aifaitquetel’emprunter.(C’étaitlàuneallusionaujouroùils’étaitrendusurlatombedeTony.)Sije

tel’aidonnée,cen’estpaspourrien.Il s’était alors forcé à me faire un demi-sourire triste. Je ne l’avais jamais questionné sur sa cérémonie au

cimetière.En route pour le gymnase, je fus obligée d’admirer les efforts de la direction du lycée pour les décorations

d’Halloween.Enfin,toutétaitterminé.Desguirlandesnoiress’enroulaientautourdesarbreslelongdesallées,desguirlandeslumineusesorangeclignotaientcommedesluciolessurtouslessupportspossibles.Wickhams’efforçaitderéunirtoussesélèvesdansunemêmecélébration…CelaauraitpluàTony.Lesgensétantemmitouflésdansleursmanteauxd’automne,onn’apercevaitquedesbribesdecostumescolorés.

Pourmapart,j’avaischaud–sansdouteunexcèsd’adrénaline.Vicken,Rhodeetmoimarchionsdumêmepas,enéquipe,commedessoldats, chacunportant sesarmes.Nous

étionsàprésentdansl’alléequimenaitàHopper,justedevantlacollineduterraindetiràl’arc.CequimerappelaSuleen, lequelnes’étaitpasmanifestédepuisplusieursmois.Mêmequandj’avaiseuterriblementbesoindelui, iln’étaitpasvenu.Vestigesducarnavaldel’après-midi,lesstandsdesélèvesétaientencoredebout.Enrevanche,lesprofessionnelsengagéspourl’animationavaientremballéleurpalaisdesglaces.Nousmarchionsderrièredescamaradesdeclasse.J’aspiraisdelonguesgouléesd’airfrais;lesodeursducampus

m’éclaircissaientlesidées.Herbemouillée,airpropre,etleparfumdel’océantoutproche.Jem’efforçaisdenepasdire«aurevoir»,maisjesavaisque,d’unecertainemanière,j’étaisdéjàentraindepartir.Droitdevant,nousavionsunevuedégagéesurlecampus,ycomprissurlesboisquis’étendaientderrièreHopper.Lorsque les portes s’ouvrirent juste devant nous, il y eut des clameurs de joie, et unemusique tonitruante se

déversajusquedansl’allée.Pendantcetemps,jem’exhortaisànepasoublierquel’électricitépouvaitilluminerles

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ténèbres;quelecafépouvaitcoulerinstantanémentdansunetasse;quelamusiquecommecellequipassaitencemomentdanslegymnasedevraitrestercachéeaufonddemoncœur,oùj’espéraisl’entendreàjamais.–Lenah!JemeretournaietdécouvrisTracy,enjeanetmanteaunoir.Ellecourutversnous.Lorsqu’ellenouseutrattrapés,

jevisqu’elleavaitlesyeuxrouges.–Jevousaicherchéspartout,dit-elle.–Qu’ya-t-il?–Justin.–Desnouvelles?demandai-jed’unevoixpaniquée.–Toujoursintrouvable.Sadisparitionestofficielle,maintenant.–Ettoi,tutienslecoup?– Jenesaispas. J’espère justequ’il vabien. (Mais son regardparlait clairement : ellecraignaitqu’ilne soit la

nouvellevictimed’Ava.Elleentremblait.)Royestrentréchezsesparents.Lesflicsn’ontaucunepiste.Ilsn’ontpastrouvédemot,paslemoindreindice.Etvous,vousavezquelquechose?Pourlapremièrefois,ellenousregardavraiment.Jenepusm’empêcherdevoirsesyeuxpasserdemonépéeà

l’arcetauxflèchesdeRhode.ElleterminaparVicken.–Tues…Tuesdéguiséenvampire?demanda-t-elle,médusée.Jedéglutisnerveusement.Vicken,espèced’andouille!MaisunfaiblesourireapparutsurlevisagedeTracy.–T’esunpeutordu,toi.Ilouvritlabouchepourrépliquer,maisMrsWilliamsnousinterrompit.–Allez,venezdonc!dit-elleennoustenantouvertelaportedugymnase.Elleportaitundéguisementdesourisetavaitdessinédesmoustachessoussonnez.Alorsquej’entrais,elleposa

unemaindoucesurmonépaule.–Ilslecherchent,chérie,medit-ellepourmerassurer.J’auraisdûêtreplus inquiète,maisquelquechose, loinaufonddemoi,medisaitcequiallaitsepasser.C’était

peut-êtreunsixièmesens,venuduvampireenmoiquiavaitétésipuissantautrefoisetavaitrégnénonpassurdescentainesmais surdesmilliersd’immortels.Cettepuissantepartiedemoiquimedisaitqu’Avadétenait Justinetqu’il joueraitunrôledanssaluttepourlepouvoir.Celasignifiaitqu’ilsepréparaitànousjouerunsaletour,qu’iln’étaitpasredevenulegarçonquiaimaitlescoursesenhors-bord,etqu’iln’allaitpassurgiraubalflanquédesonfrèreRoy, souriant et riant aux éclats. Énoncer tout cela à voix haute aurait rendu la réalité trop présente, tropdifficileàsupporter.C’étaitau-dessusdemesforces.Mêmel’expliquerdiscrètementàTracyauraitététropdurpourmoi.–Jel’aime,tusais,medit-elleens’arrêtantentrelesportes.Pascommeavant.Ilestmonami,maintenant.Jeposaiunemainsursonépaule.–Jesais.Jeferailenécessaire.Ava allait l’utiliser comme appât. Un appât pour nous faire venir à elle et nous obliger à combattre. J’y étais

préparée.Mêmesijen’étaisplusamoureusedeJustin,j’étaisdéterminéeàlesauver.Nosbottessemêlèrentbientôtauxescarpinsetauxchaussuresdesdiversdéguisements.Tracymejetaundernier

coupd’œilavantd’entrerdanslegymnase,etjevistoutelaforceprésentesoussoninquiétude.Seuleunehumainetrèsparticulièrepouvaitserendredansuncimetièrepourcombattreunvampire.Rhodeetmoiallâmesnousplacerdanslaqueuesansriendire.Tracyretrouvad’autresélèvesdeterminaleassis

aufonddelasalle.J’avaistressémescheveux,quitombaientdansmondosenunelonguenatte.Jenevoulaispaslesavoirdansles

yeuxlorsquejeplongeraismonépéedanslecœurd’Ava.–Bon,soufflaRhode.Encorevingtminutes.–Onfaitletourdupérimètre?s’enquitVicken.Rhodesecouanégativementlatête.–Non,onseplacechacundansunangleetonguettetoutcequipeutsortirdel’ordinaire.J’étaisd’accord.Encouvranttouslescoins,nousaurionschacununeperspectiveégalequellequesoitlaportepar

laquelle les vampires entreraient. À côté de moi se trouvaient trois buffets couverts de nourriture, ce qui fitgargouillermonestomac.Sij’avaisraisonetsiAvaavaitprisJustinenotage,impossiblededirecommentellel’utiliseraitdanscescénario.

Allait-elleme faire sortir seule dans le couloir ? Se donner en spectacle ? Je rajustai le baudrier dansmon dos,serrantl’épéedeRhodecontremoi.Vickenetmoinoustenionsdans le fonddugymnase,dansdeuxcoinsopposés,devant lesgradinsempilés.Son

armeétait dissimuléedans sa botte, et je savais qu’il avait encore deuxpoignards supplémentaires sur lui.Nousfaisions semblantdebiennousamuser.ÀmonarrivéeàWickham, j’avaisespéré réussiràêtreune fillenormale,capable d’oublier les annéespassées àmanipuler les autres et àmenourrir de la joie provoquéepar leur peine.J’étaisextérieureàcemonde-ci,etc’étaitJustinquim’avaitinvitéeàl’intérieur.Plusjamaisjen’enferaispartie.Jetâchaidem’intéresserdemonmieuxà lasoirée.Lesdéguisementsauraientétéréellementamusantssinous

avionseulatêteàcela:deslapins,dessuper-héros,deschats,deschevaliersdelaTableronde.Lesfillesétaientdécolletées et court vêtues, si bien que je neme sentais pas gênée parmon propre costumequi n’était pas trèscouvrant.Legymnaseétaitpleind’élèvesquidansaienttorsecontretorse,siprochesqueleurshanchessetouchaient.Des

gouttelettesdesueurapparaissaientsurlesfrontsetroulaientsurlesjoues.Vickenetmoiétionsauxdeuxboutsdesgradins,l’œilauxaguets.Rhode,enfacedenous,surveillaitl’entrée.Detempsentemps,jelevoyaisdiscuteravecun professeur,mais il trouvait toujours lemoyen de s’excuser rapidement et de retournermonter la garde dansl’ombre.Jejetaiunœilàlagrandependuleaccrochéeaumur.SiLaerteavaitditvrai,Avaavaitdeuxminutesderetard.

Rhodesetenaitdosaumur,lesbrascroisés.Ilcroisamonregardetlesoutintlonguement.Jemeperdraistoujoursdanstoutcebleu.Bleucommelesmilliersdecieuxquej’avaisvusquandj’étaisvampire.Vicken,accompagnéd’unfumetdetabac,vintmerejoindre.Iltournavivementlatêteversladroiteetfixal’autre

côtédelasalle.–Voilàquiestintéressant,dit-ilsimplementd’untongrave.Jesuivissonregard.Cequejevisalorsallaitmechoquerpourlerestantdemaviedemortelle.Jenepouvaisplus

bouger.Jesavaisquejedevaisprotégertousceuxquisetrouvaientdanscettesalle,maismespiedsetmesmainsme

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faisaient l’effet d’être détachés demon corps.Mon souffle s’arrêta et je battis des paupières pour tenter demeressaisir.Puisleshurlementscommencèrent.CarJustinétaitlà,maissoncostumen’enétaitpasun.Sonvisageétaitparfaitementglabre,etsesporescomme

gommés.Sesyeuxquim’avaientcontempléeavectantdedouceur,quim’avaientditcombienilm’aimait,étaientàprésentvitreux.Durs.Iln’yavaitpasd’erreurpossible.JustinEnosétaitdésormaisunvampire.

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Chapitre25Deuxagentsdesécuritégisaientsansvieausol.Leurscousétaientpliésàunanglebizarre,commedésarticulés.

Morts sur le coup. Avaient-ils eu le temps d’appeler des renforts ? Avaient-ils tenté d’utiliser leur technologiemodernepoursauverleurpeau?Sioui,ilsavaientéchoué.

Justin,àlaporte,tenditunemainenarrièredanslecouloiretintroduisitAvadanslegymnase.Ill’enlaçaparlataille,sepenchaafinde larenversercommepourdanser le tangoet l’embrassaprofondément. J’enrestaibouchebée.Ensemble,ilss’avancèrentd’unpaslent,accompagnésdetroisautresvampires.Justinportaitlepolobleuvifquej’avaisvudescentainesdefoissursondos.

Illuisuffitdefléchirlégèrementlesgenouxpourbondirsurunetabledebuffet.Ilenvoyavolerd’uncoupdepiedlesbolsdechipsetlespetitsfours.

–Bienvenue!cria-t-ilenpointantdudoigtleDJ,quibaissalevolumedelasono.Bienvenueaubald’Halloween.Voussavez,j’avaishâted’êtreàcesoir.

Ils’accroupitettenditunemainafind’aiderAvaàmonteràcôtédeluisurlatable.Justin est devenuun vampire. L’horreurm’écrasa commeun rouleau compresseur.Avaagagné. Elle avait volé

Justinàl’humanité,prissabellechaleuretsavieetl’avaittransforméenvampireglacialdépourvud’âme.Tousdeux,surlatable,serégalaientdelaterreurqu’ilsrépandaient.Laplupartdesgensseblottissaientlesuns

contrelesautrestandisqued’autresétaientparalyséscontrelemur.Unélèvedepremièreavecquij’étaisencoursdesciencesl’annéeprécédentetenditlamainversuncouteau,surlatabledesdesserts.Avantqu’ilaitpulesaisir,Avalongealatablejusqu’àlui,arrachalecouteaudugâteaudanslequel ilétaitplantéetentransperçalecoudugarçon.D’autreshurlementsrésonnèrentdanstoutlegymnaseetunetroupedegensseprécipitaverslasortie.

Lesanggiclaitenungrandarcdecercleetlegarçonagrippalemancheducouteaupourtenter,sanssuccès,des’endébarrasser.Jedusdétournerlesyeux.Jenevoulaispasassisteràsamort,etsesgémissementsmedonnaientlanausée.L’élèvetombasansviesurleparquet.Avaseredressacommesiellen’avaitfaitquechasserunemouche.

–Leprochainquienvisagedes’attaqueràmoimourraaussi,déclara-t-elleavecunsouriremalsain.Personneneseraépargné,sauftoi,moncher.

Je ne pouvais pas détacher les yeux de Justin. Comme il était étrange en vampire ! Il était effroyablementsouverain,etsi fort!Duret sculptural.Lematinoù j’étaisallée frapperà sa fenêtre, il étaitpourtant sidoux, sigentil…SiJustin…Etàprésent,iln’étaitplusrien.Rienqu’uneenveloppenerecelantquecolèreetmort.

Je déglutis avec difficulté. Il fallait que je bouge – mon âme était envahie par ma rage intérieure. Il fallaitabsolumentquejetueAva.Alors,jepourraisréparerleschoses.Justinneseraitplusunvampire.Mesamisvivraient,loindudanger.Toutreviendraitàlanormaleauleverdusoleil.

–Noussommesicicesoircarnousavonsunerequêtetrèsparticulière,annonça-t-elle.DeuxvampiressetenaientauxpiedsdeJustin,montantlagarde.Monestomacseretournalorsquejesongeaià

celuiquej’avaistuéaveclesortdebarrage.Justinétaitsonremplaçant.Avasedétournasoudaindelui,sautaausolets’approchavivementdel’entréedugymnase.Lafouledesélèves

s’ouvraitdevantelleàmesurequ’elleavançait.Tracysetenaitfermementdeboutdevantdesgradinsempilésprèsdumur.Elle adressa un souriremauvais àAva.Ellemijotait visiblement quelque chose.Elle fit un pas en avant,brandissantunobjetquejenevoyaispas.

Ava,d’ungestevif, l’attrapaparsaqueue-de-chevalettirabrutalementdessus.Unéclairargenté,et jecomprisquec’étaituncouteauqueTracyavaitàlamain.Iltombabruyammentausol.Ilfallaitquejelarejoigne.

Alorsquejefaisaislepremierpas,Justinsautadelatable,détournantmonregarddeTracy.–Jeprendslesdeuxautres,mesoufflaVickenenmedépassant.Jenepouvaispasregarder,carmesyeuxétaientrivéssurlesyeuxartificielsdeJustin,quiressemblaientàdeux

billes.Jecherchais,envain,unetracedugarçonhumainquej’avaisaimé.Ilyeutungrandfracasprèsdelaporte.Rhoden’étaitplusàsonposte.Avaavaitprécipitédanslesgradinsun

garçon costumé en footballeur américain, tout en gardant le poignet de Tracy serré de l’autre main. Le garçons’effondramollementausol.

–LecélèbreRhodeLewin!l’entendis-jedire,etcelamedéchiraendeux.Jevouluscouriràtraverslapièce,maisJustinsedirigeaitversmoiàgrandesenjambéeslentes.L’instinctmefitreculer,malgrélefaitqueseulementvingt-quatreheuresplustôt,ilmetenaitencorelamain.Je

retrouvaimon sang-froid et unpeude réconfort en resserrant le baudrier contremoi.MrsWilliamset les autresprofesseurstâchaientd’évacuerlesélèvesparunefenêtredufond.Allez,leFeu,medis-jeenmoi-même.Quelestmonsavoir?Oùestlaclé?Justineutunsourirenarquois,etcefutpourmoicommeunsignal.Jetirail’épéedubaudrieretlatinsdevantmoi.–Lenah!criaRhodejenesaisoù.–Toutvabien!luirépondis-jed’unevoixforte.–J’aitoujoursadmirécetteépée,meditJustinens’arrêtantàquelquespasdemoi.Moncorpsréagissait,maismonespritn’enrevenaittoujourspas.DerrièreJustin,unvampirepoussaitungroupe

d’élèvesdansuncoin.Ilstremblaientdeterreur,etleurmaquillageleurcoulaitsurlesjoues.–Tuvasmedonnerlerituel,dit-ilpendantqued’autresjeunescouraientverslesfenêtresouvertes.Tendant le bras, il attrapa une fille par le dos de son costume. Il la tint devant lui etme sourit avec ses yeux

étrangesetfroids.Sescrocsdescendirent.C’étaitpeut-êtredûaulienparticulierquiexistaitentreRhodeetmoi,maisentoutcasjepercevaissaprésenceà

proximité.Jesentaissonpouvoir,saconcentration.Jen’avaispasbesoinderegarderpoursavoiroùilétait:grâceà

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monaccèsdirectàsespensées, jesavaismaintenantqu’ilétaitentraindeleveruncoude,prêtàtireruneflèchedanslecœurdeJustin.Jevoyaisdansmatêtelapointedelaflèche,dirigéedroitsurlui.

JevoyaisaussilevisagedeJustin,mouchetédegouttelettesdesangetdesueur.–Non,dis-jedansmatête.Rhode,tunepeuxpastuerJustin.Jefisunpasdecôtéafindem’interposerentreeux.Rhodenepouvaitplusluitirerdessussansm’atteindre.Illaissaretomberl’arcetlaflèchelelongdesoncorps.–Donne-moilerituel,Lenah,ditJustinenresserrantsapoignesurl’élève.Sinon,jelatue.Non,attends.Encore

mieux.Jelavampirise.Je tenaismonépéedevantmoi.Àcemoment-làseulement, jemerendiscompteque l’élèvequ’ilavaitpriseau

colletétaitAndrea,celleavecquiilavaitflirtéencorerécemment.Elleétaitenlarmes.–Lâche-la,dis-jed’unevoixégale.Jemeforçaiàoublierlegarçonquim’avaitdonnétantdechaleuretd’humanité.Jemeconcentraisurladuretéde

sonregard.–Lâche-la,répétai-jeavecinsistance.Jenesavaispasquoi faire.Toutautourdenous,onentendaitduverresebriser,etunesirèned’alarmehurlait

quelquepartdanslebâtiment.QuedevenaitTracypendantcetemps?JustinprojetaAndreaenavant;elletombasurlesgenouxetrampasecacherderrièremoi.

–Justin.Jesaisquecen’estpastoi.Parfois,l’humainintérieursesouvient.–Jemesouviensdetapuissance,Lenah.Cellequej’aivuel’autrejoursurlaplage.Jemesouviensdetapuissance

devampire.Etj’aitoujoursvoulumel’approprier.Ilallait se jetersurmoi, je le savais.Sesyeuxverts,maintenantsiétrangers, sibizarres, sevrillèrentdans les

miens.J’étaispluspetiteque lui,mais ilmesuffisaitdechoisirunepartieducorps,unesimplepetitepartieducorps,

pourledésarmer.J’avaislechoixentreplusieurstechniquespourbrisersaconcentration,aprèsquoiilmefaudraitlepoignarderenpleincœurouledécapiter.

C’étaitinenvisageable.Ilbalançasamainenavant,arméd’unedaguequejen’avaispasvue,prêtàl’enfoncerenmoi,maisjefisunbonddecôté.

–Vas-y!Vas-y!m’encourageaVicken.Lesondesavoixmerassura:ilétaitencoreenvie.MaisoùétaitAva?EtoùétaitRhode?Justinetmoinenousquittionspasdesyeux.J’étaisprête.Jelevaimonarmeetbondisenavant,enfaisantporter

lepoidsdemoncorpssurlajambegauche.Jeprécipitail’épéeversluimaisleratai:elledécrivitunarcdecercleetlapointe seplantadans leparquet.Uneviolente vibration la secouaet remonta jusquedansmesbras. Je vouluscrier,tantcelametiraitsurlesdoigts.

–J’auraispusimplementacheterunflingue,mefitremarquerJustinenesquivantgracieusementmoncoup.Jegardailespiedsfermementcampésausol,lesgenouxtoujoursfléchis,etarrachail’épéedusol.–Tun’auraispasratécetteoccasiondetefaireremarquer,persiflai-je.–Nem’as-tupasditunjourquej’auraisfaitungrandvampire?Jeretinsmonsouffle.J’avaisbienditça,n’est-cepas?Etlepire…c’estquec’étaitvrai.–Tuespeut-être faitedechairetdesangàprésent,maistuestoujoursunetueuse,mereprocha-t-il.Tonyest

mortpartafaute.–TuadoraisTony…,dis-je–etmavoixsebrisa.Jeregardai lesol,couvertdeserpentinspiétinés.Justinétaittournéversmoi.Jerelevai l’épéeau-dessusdema

tête et, au moment où il bondit vers moi pour me poignarder, fis un pas à gauche pour l’éviter. Il se retournavivementversmoi.

–Toutlemondevampiriqueconnaîtl’existencedetonrituel,dit-ilsansmequitterdesyeux.Donne-le-moi.Jepeuxteprotégerenéchange.

–Plutôtmourir.–J’auraisdûlaisserAvat’attraperbienlongtempsavantl’autrejour,danslatourdesarts.Jepensaisquetuaurais

compris,àl’heurequ’ilest.–Qu’est-cequeturacontes?Dequoiparles-tu?Nous tournions en rond, face à face,moi l’épée au-dessus de la tête, lui le poignard sorti. Pour quelqu’un qui

n’avaitaucuneexpérienceducombataucouteau,ilétaittrèsagile.Maislà…sesparolesmerevinrententête.«Toi,lerituel,Rhode…Pourquoituesencoresipleinedevie…alorsquoiquetuaiesfaitaveccerituel,çan’apas

d’importancepourmoi.Jeveux…»C’étaitdurituelqu’ilparlaitdepuisledébut.Depuiscettenuit-là.Je serrai les dents pour ravaler mes paroles, mais c’était plus fort quemoi. Ainsi, il était demèche avec ces

vampiresdepuisdessemaines!–Depuisquand?luidemandai-je.Depuiscombiendetempstecontrôle-t-elle?–J’aivraimentsuquituétais,Lenah,lesoirdetonanniversaire.Tucroyaisquejen’avaispastoutmijoté?J’avais

toutprévupourgagnertaconfiance.Ilavaitpassécettenuit-làavecmoiuniquementpourlerituel?Derrièrelui,undesesacolytesbonditsurVicken.Ledosdecederniers’arronditlorsquel’ennemileheurtaavant

des’écroulerlourdement.Vickenfitvolte-face,poignardtoujoursenmain.Ilnefallaitpasquejemelaissedistraire.Justincessademe tournerautouret fitunpasdansmadirection. J’étais toutprèsde lui,plusprèsqu’ilne le

fallaitpourletranspercerdel’épée.Jemeconcentraisurl’espacesituéjusteentresonbrasetsonplexussolaire.J’allaisfrapper…pourledésarmer.Oui,justelà,àmi-chemindubrasetduplexus.Mamaindroiteseresserrasurmonarme.

Jemeruaisurlui,maisilfutplusrapideetm’envoyaausold’uncoupdepied.L’épéedeRhodetombaparterreàgrand fracas.Mon ventre, sous le choc, se tétanisa. Je le serrai à deuxmains, juste à temps pour voir Justin seprépareràmeporterlecoupfatal.Jemeretournaicommeunecrêpeetrattrapaimonépée.Puis,d’uncoupdepied,jefissauterlecouteaudelamaindeJustin.Ilgrognacommeunanimal,levalepiedetl’abattitsurmonventreavantque je puisse m’écarter en roulant. Ma main lâcha l’épée et mes poumons se vidèrent d’un coup. Je toussaisèchement,alorsquej’avaisdéjàlagorgeàvif.Respire,Lenah.Impossible.Mapoitrineseresserra.J’étaissurlesoldugymnaseetpourtant,soudain,lesparoles

prononcéesparAva,ilyavaitlongtemps,danslacabined’essayage,merevinrent.«Jecomprendspourquoiilt’aime.»C’étaitdeJustinqu’elleparlait!Commeilétaitpenchésurmoi,larunequ’il

portaitaucousebalançaitjusteau-dessusdemesyeux.«Lesavoir,avaitditleFeu.Lesavoirestlaclé.»J’avaisbesoindecomprendrecequ’avaitvouludirel’entité.J’avaisaussibesoindel’épée.Jetentaidereprendremonsouffle.Respire,Lenah!hurlai-jedansmatête.–Mortelle,donne-moilerituel!gronda-t-ilensoulevantunpeusonpied.

Page 133: Pour la traduction française

Soudain,unénormevacarmeattiradenouveaunotreattention sur la salle.Une flèchedépassaitde lapoitrined’undesvampiresducercled’Ava.Ens’effondrant,ilrenversaunesériedechaisesetlatabledesboissons.

Letempssemblaseralentirencoredavantage.Aupieddesgradins,jevisAva.Lecouallongéau-dessusdeTracy,elles’abreuvaitàsagorge.Monamieavaitlesyeuxfermésetlaboucheouverteetmolle,commeClaudiaavantelle.Rhode,soudain,surgitduchaosetbalançaàAvauncoupdepiedquiluifitperdrel’équilibreetl’écartadeTracy.Ellefitlagrimaceetavantqu’elleaitpurassemblersesforcespourcontre-attaquer,avantqu’elleaitpuprendrelecouteauqu’elleavaitcertainementsurelle,elleregardaJustinàtraverslapièce.Sacolèresemuaensurprise,puisenrictusmenaçant.

Ladouleur rayonnaitparvaguessuccessivesdemonéchine jusqu’àmesbras. Justinmedominaitencoredesahauteuretjeleregardaiànouveau.Ilapprochademoisonbeauvisage–encoreplusbeauàprésentquesesporesétaient scellés. Il tenait sonépéede lamaindroite ; il leva lebras juste assezhautpourpointer la lame surmapoitrine.Alorsqu’ils’apprêtaitàm’embrocher,jeroulaisurmoi-mêmeenlevantlepied,etlefrappaienpleintorse.Sesbrass’écartèrentvivementetilchutaenlaissanttomberl’épée.Jelarattrapaietlatinspointéeverslesol.

Je laissai pendre l’arme entre nous. Jeme revis, des siècles plus tôt, claquant des doigts pour ordonner à descentainesdevampiresd’assassinerunefemmehollandaise.Jemerevisbuvantdepleinescoupesdesang.LesbalsmortelsdelaNuitRouge.

–Fais-le,Lenah!hurlaVickenderrièremoiavantdesortirdugymnaseenselançantauxtroussesd’unvampirequis’étaitéchappé.

UnsourirecruelpassasurlabouchedeJustinetilsemitàrire.–Jet’arracheraileritueld’unemanièreoud’uneautre,dit-il.Jejetail’épéeausolpourlesurprendreet,commejel’espérais,sesyeuxsuivirentsonmouvement.Laruneétaitlà,poséecontresontorse.Larunedusavoir.Biensûr.J’ignoraisdepuiscombiendetempscetterunelecontrôlait.Lesrunesconsacrées,desobjets imbibésdemagie,

avaient le pouvoir de contrôler l’esprit dequelqu’und’affaibli, de frappéde chagrin, quelqu’unqui avait le cœurbrisé.

–Justin,tonpendentif!criaAvaenserapprochant.Protègelarune!La blonde maléfique se tenait devant moi. Elle utilisait son corps comme bouclier entre Justin et moi. J’avais

besoind’espacepourluiarracherlebijou.Ce n’était pas seulement en la saignant que l’on pouvait affaiblir Ava. Lui prendre le pendentif fonctionnerait

aussi.Carcetteruneétait laconnexionentreJustinetAva.Cettedernièreavaitpeut-êtreaccumuléuneforceénorme

grâceàdessortsetdesincantations,maislaruneétaitlaclé!Commej’avaisétéaveugle!Cetterunedusavoirétaitcequicanalisaitcetteforce,cequilaliaitàelle,cequiluidonnaitsarapiditésurnaturelle.Avapuisaitsonénergiedansl’âmedeJustin!

« C’est l’intention qui compte. L’intention dans l’âme, dans l’esprit. L’esprit dominant la matière, appelez celacommevousvoulez.L’espritesttoujoursplusfortquelecorps.»

Lesymbolereprésentéparlarune,celuidusavoir,portéàl’envers,peutêtreutilisédansdessortsd’illusionetdemanipulation.

«Lesavoirestlaclé.»LeFeumel’avaitdit.Uneflèchevoladanslesairsetallaseplanterdansl’épauledeJustin.Ilpoussauncriets’effondraausol,battant

desbrasetdesjambes,serrantlesmainssurlaflèche.Avaempoignamondébardeurettentadem’immobiliserenmetenantcontreelle.Elleserraplusfortlorsqueje

bougeai.Jetoussaietmedébattispourrespirer.J’avaisl’impressionquemespoumonsallaientexploser.Ilmefallaitcetterune.C’étaitleseulmoyendel’affaiblir.Ellemeserradeplusbelle,opprimantencoreplusma

respiration.Justinrestasansmouvementpendantunefractiondeseconde,lamainserréesurlaflèche.Çayétait,c’étaitmaseulechance.

Jeme tendis vers l’avant. Juste un peu plus loin. Puismamain… J’y étais presque. J’étiraimes doigts, qui serefermèrentsurlecordonnetdecuir.Jel’arrachaiducoudeJustin.Immédiatement,Avamelâcha.Jem’éloignaientitubant.Larunesebalançaitauboutdemesdoigts.Jefisvivementvolte-face:ilfallaitquejegardeAvaàl’œil.

–Jevaisladétruire,menaçai-jeentenantlaruneenl’air.Avalevaunpied,menaçadesautermaiss’arrêta.Sesyeuxpassèrentdubijouàmoi.Letempsd’unbattementde

cœur,ellesemblaréfléchiràseschoix.Ellebonditalorsdansmadirection,brandissantsesonglestranchantsdevantmonvisage.Jemebaissai,maisvis

lesgriffesrougesducoinde l’œil.Maintenantou jamais,Lenah.Ellese retourna faceàmoi.C’est lemoment. JelevailamaindroiteetjefiscequeVickenm’avaitentraînéeàfairecentcinquanteansauparavant.

J’enfonçaimoncouteaudanssapoitrinemortedevampire.–Non!cria-t-elle–maisc’étaituncricreux,animal.Elles’effondraausol,unemainenavant.Avaregardait lecouteaucommesiellenepouvaitpascroirequej’avaisfaitcela.Quej’avaisétélaplushabile.

Elleserecroquevillasursesgenoux.Ellelevalatêteversmoi,etseslèvress’entrouvrirent.Sescrocsdescendirent,maisilsnefaisaientpluspeur,ilsétaienttristes.Onauraitdituneversionsaccagéedelajeunefemmequ’elleavaitétéautrefois.

Elles’écroulasansvie.Unebellefemme,transforméeenvampire,etquiétaitmortetropjeune.Aupointdujour,elledeviendraituntasdecendres.Etj’étaissûrequ’ellenerejoindraitpaslalumièredesAeris,maisqu’ellefiniraitparreprendrelecoursnatureldesavie.

Quantàmoi,monvœuseraitexaucé.Auleverdusoleil,toutceciseraitterminéetnousretournerionsàuntempsd’avant les morts illégitimes, d’avant la tristesse vide. Je regagnerais le monde médiéval. Je fus intensémentsoulagée,maispouruninstantseulement,carJustinportalamainàsoncou.Ilsecoualatêtecommepours’éclaircirlesidées,etsebalançad’avantenarrièredevantmoi.Ilavaitarrachélaflèchedesonépaule.Jeposailaruneparterreetm’agenouillaidevant.

Rhodevintmerejoindretandisquelehurlementdessirènesrésonnaitauloin.–Ilfautquetulabrises,dit-il.L’espritdeJustinyesttoujoursattaché,mêmesiAvaestmorte.Il me tendit son poignard, et nous posâmes un dernier regard sur Justin. Celui-ci agrippait toujours son cou,

désormaisdénudé.J’utilisailaforcedemesbraspourabattrelalamesurcetteruneargentée,sifortqu’elleexplosaavecunbruitsec.Unnuagedefuméeblancheenjaillit.Justinportalamainàsatête.Sapoitrineétaitexposée,justedevantmoi.

J’auraispulepoignarderenpleincœuretenfiniraveclui.Mettrefinàsaviehumaineetàsaviedevampire.Laruneétaitbriséeparterre.

–Frappe,Lenah!mecriaVicken.

Page 134: Pour la traduction française

Lessirènesserapprochaient.Legymnaseétaitpresquevide.Ilfallaitpartir.Justin secoua la tête comme pour faire le point, ajuster sa vision. Dans cemonde-ci, ses yeux n’auraient plus

besoindelefaire.Ilétaitàprésentducôtédesimmortels.Vickenme répéta de poignarder Justin.Mais je n’allais pas faire ça. Je n’allais pas transpercer la poitrine sur

laquellej’avaisposématête,mêmesitoutdevaitchangeraumatin.Non,jeneleferaispas.ÀcauseduJustinquej’avaisvuunjoursouslapluie,lorsquejel’avaisconnu.Àcausede

Justindansl’entréedechezsesparents,lanuitoùj’avaisdormilà-bas.Àcausedesonamourdelavieetàcausedel’époque,passilointaine,oùilm’avaitmontrécommentêtrehumaineetoùjel’avaisaimé.

Ilclignalespaupièresplusieursfois,encoresouslechoc,etsesyeuxdemarbreverteurentunregardétrange.Sesbeauxcilsbattirent;ilsecouadenouveaulatête,commeaveuglé.

Rhodeselevaet,ensemble,nousregardâmesJustinquitenaitsadaguedanssamain.Ilbaissalesyeuxversellecommes’iln’avaitpasbiensucequ’ilfaisaitaveccetobjet.

–Bonretourparminous,luiditRhode.Legymnaseétaitàprésentvide,àpartnousetVicken,quisaignaitdelatempeàlamâchoire.–Qu’est-cequetum’asfait?medemandaJustin.–Jet’ailibéréducontrôlementald’Ava…parlebiaisdecetterune.–Unerune?–Cetterune,ditRhodeenramassantlesmorceaux.Illesluimontradanslapaumedesamain.–Tuesunvampire,Justin.Celui-ciportalamainàsaboucheetlapalpaàlarecherchedesescrocs,quidescendaientàvolonté.Ilretirasa

mainlorsquel’unedesesdentsluipiqual’index,faisantperlerunegouttelettedesang.–Nelegâchepas,luiconseillaRhode.Tuaurasbesoindetoutlesangpossible,vampire.–Jesaiscequejesuis!criaJustinquireculaendirectiondesportesdugymnase.Jesais.Vousn’avezpasbesoin

demelerépéter!Réactioncourantechezlesvampires.L’hubris.Uneincapacitéflagranteàêtreprisentort.Lesjeunesvampiresne

selanguissentpastoutdesuitedeleurhumanité.Ilssontd’abordattirésparlesavoir.Parlepouvoir.Souvent,danslespremierstemps,ilssontenthousiasmésparleurimmortalitétouteneuve.

Maisenréalité,ilnesavaitpas.Ilnecomprenaitpasencorecequiluiétaitarrivé.Etça,c’étaitpeut-êtrepirequetout.La rune l’avaitempêchédeprendreconsciencedecequi sepassait.Nonseulementelleavait conféréde laforce à Ava,mais elle avait embrumé l’esprit de Justin. Elle avait pris le dessus. Elle avait fait de lui quelqu’und’autre.

Il franchit lesportesdugymnaseetposa lamainsursonépaule, làoùRhodel’avaitatteintavec laflèche.Il laregarda,cherchantdusang,maiscommejem’yattendais,ilcicatrisaitvite.Sesyeuxs’attardèrentsurmoiavantdetombersurAva,parterre.Àlavuedesoncorpseffondré,iltournalestalonsetpartitencourant.

Ilnefallaitpasqu’ils’échappe.Jemelançaiàsapoursuite.–Lenah!merappelaRhode.JemehâtaidesortiretdesuivrelesillagedeJustin.Maisc’étaitunathlète,bienplusrapidequemoi.Ildépassa

lesarbres,lesgens.Jecourusaussi,maisdirectementdanslafoule.«Lenah?»«Est-cequeçava?»Delàoùj’étais,prèsdugrandchênequipoussaitaucentreducampus,jepivotaipourregarderverslacollineoù,

ilyavaitsilongtempsmesemblait-il,surleterraindetiràl’arc,SuleenavaitdresséentreJustinetmoisonbouclierliquide.Justinétaitàprésentaupieddecettecollineetilseretournaversmoi.Nosyeuxserencontrèrent.Audébutdelaviedevampire,onpeutencoresesouvenirdubonheuretdel’inquiétude.Cequejelusdanssonregardfutduregret.Maisl’instantfuttrèsfugace.Ilpartitencourantdanslesboisets’enfonçadanslesténèbres.

Quelques minutes plus tard, j’étais enveloppée par des mains et des visages inquiets encore barbouillés demaquillaged’Halloween.Ungroupem’encerclait,etonm’emmena.

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Page 136: Pour la traduction française

Chapitre26LesnouvellesconcernantJustinserépandirentcommedesmilliersdeplumesvoletantauvent.«Queluiest-ilarrivé?»«Ilaétérecrutéparungang?»«Ilétaitavecqui?»Toutes sortes de questions lancées dans le campus se massaient ensemble comme mille chuchotements.

Comment?Quoi?Pourquoi?Qui?Desquestionsdevictimes.Desquestionsquinetrouveraientjamaisderéponse.Vicken,Rhodeetmoinousassîmesaupiedd’unarbre, attendantquoi ? Jene le savais trop.Rhodemeprit la

main.Celam’étonna,carjen’avaisplusl’habitudequ’ilmetouche.Vickentenaituntee-shirtensanglantécontresatête.Nousnedisionspasgrand-chose.–Çavaaller,nousditgentimentunefemmepompier.Çavas’arranger.Elleconsolaitungroupedefillesenpleurs,quis’étaientregroupéesàcôtédubâtimentHopper.D’autrespompiers

etunpolicierpassèrentencourantdevantnousetentrèrentdanslegymnase.Ilsavaientdeshachesetdeslancesàincendie, des armes à feu et des sacs demorgue. Je ne voulais pas y penser, je ne voulais pas savoir. LagrandehorlogedubâtimentHopper indiquaitqu’il étaitquatreheuresetdemiedumatin.Plusquedeuxheuresavant leleverdusoleil.J’entendisunfragmentdeconversationentreMrsWilliamsetunpolicier.–Vousêtessûrequ’ilfaitpartied’ungang?demandal’enquêteurenprenantdesnotesdansuncalepin.–Oui,sansaucundoute.Ungangviolent.–Nousallonsdevoirinterrogercesjeunes.Commencezàappelerlesparents,ordonnal’hommealorsqu’ilpassait

devantmoi.Vicken,Rhode etmoi nous regardâmesmutuellement sans dire unmot.Un sauveteur équipé d’une trousse de

premierssecourss’approchadenous.IlsebaissaetexaminalablessuredeVicken,lesyeuxplissés.–Viensavecmoi,luidit-il.Ilvatefalloirdespointsdesuture.Vickenécartaletee-shirtdesoncrâne,etunpetitfiletdesangcoulajusqu’àsalèvresupérieure.Pourlapremière

foisdenotrelonguehistoire,ilnelaléchapas.–Pourriez-vousm’expliquerlaformedecetteblessureàlatête?s’enquitVickenensuivantlemédecin.Rhode etmoi étions toujours assis le dos contre le tronc du chêne, nos poignards, arc, flèches et épée cachés

derrièrelemurdubâtimentHopper.J’appuyaimatêtecontrel’écorceetregardaiRhode.Iln’étaitplusdéguisé:leseulvestigedesoncostumeétaitledébardeurnoir.Ilavaitdéjàtroquésonkiltcontreunjeannoir.Simoderne.Etlà,uneidéemefrappa…luiaussivieillirait.Maisjeneleverraisjamais.Ilmepressalamain,cequifitaccélérermoncœur.Commec’estjuste,pensai-jeaumilieuduchaosambiant,que

maintenant,aprèstoutcela,ilfassebattremoncœursifort.J’avaisattenducelasilongtemps.–C’esttrèscourageux,cequetuasfait,medit-il.Jesoufflai,meperdantdansladouceurdesesyeuxbleus.–Çanem’apassembléspécialementcourageux.Çam’afaitl’effetd’être…lafin.Lavoixdupolicierdétournamonattention.IlinterrogeaittoujoursMrsWilliams.–Combienétaient-ils?–Quatreoucinq,ilmesemble.–Crois-tu, chuchotai-je àRhode, qu’au lever du soleil Justin sera toujours un vampire ? Je veuxdire, quand je

retourneraiauXVesiècle?– Je pense que le Feu tiendra sa promesse. (Il fit paresseusement rouler sa tête pour me regarder.) Justin

redeviendraJustin,jesuppose.–Oùcrois-tuqu’ilsoitallé?–Chercherd’autresvampires.Çaneluiprendrapasbienlongtemps.Tadécisionestpeut-êtrelameilleurepour

toutlemonde.Ilnemeregardapasendisantcela.Illâchaensuitemamainpourfouillerdanssapoche.Puismetenditlarune

briséedanssapaumeouverte.Jenelaprispas.JenevoulaispasjoueràdevinerquandAvaavaitréussiàenrôlerJustin.Maissoudain,Rhodefronçalessourcils.–Dis…Oùesttabagued’onyx?Jetendislesmainsdevantmoienécartantlesdoigts.Mabague!Ellen’étaitpluslà!–J’aidûlaperdreenmebattant,soufflai-jeavecincrédulité.Jevaisallerlachercher,ajoutai-jeencommençantà

meleverpourrejoindrelegymnase.– Bah, laisse tomber. C’est une pierre maudite, de toute manière. Elle pousse les gens à s’accrocher trop

longtemps.Lesâmesaussi.Ellelielesgensàleurpassédansunmondequineveutplusd’eux.J’acquiesçai…conscientequequelquepartsurlesoldugymnase,mabague,cellequiavaitliémesdifférentesvies

entreelles,d’humaineàvampire,devampireàhumaine,traînait,solitaire,sousdesdécorationsd’Halloweenetdescotillons.Rhodemeprésentaunefoisdepluslarunebrisée.Cettefois,jelaprisetgardailesdeuxmoitiésposéesdansma

paume, fraîches contrema peau. Alors, je compris. Avec quelle facilité j’avais cru Justin sur parole. Avec quellefacilité je l’avais écouté me dire qu’il portait la rune parce qu’il se souciait de moi, parce qu’il voulait mecomprendre.Chaquefoisqu’ilétaitseulavecmoi,ilmequestionnaitàproposdurituel.Etavecquelenthousiasmeilavaitvouluvenirmevoirjeterlesortdeconvocation!Siintéresséparlepouvoir.

Page 137: Pour la traduction française

–Tunepouvaispassavoir,meditRhode.–Quand…quand lui etmoi… (Jem’arrêtai pour choisir soigneusementmesmots.) Cette nuit-là. Celle demon

anniversaire.Ilm’aditdanslegymnase…qu’iln’étaitpaslui-mêmeàcemoment-là.– Il a sansdoute été approché il y a unmomentdéjà. Je nepensepasqu’il ait fait tout celade sonpleingré,

soupiraRhode.Entoutcas,c’estterminé,conclut-ilàmi-voix.Ilsepenchaenavantetrepoussaunemèchedemescheveuxderrièremonoreille.Justinavaiteulemêmegeste

avecmoi,maislàc’étaitRhode,etsesdoigtseffleurantmapeaufaisaientbattremoncœurplusvite.–Tutesouviensdel’histoirequeturacontaisàproposdeSuleen?Celledel’AnamCara?Ilfitouidelatêteettintmajouedanssamainavecamour.– Crois-tu que nous soyons ainsi ? lui demandai-je. Ou est-ce réservé uniquement aux vampires très puissants

commeSuleen?–JecroisqueSuleendiraitquel’amourquinouslieestplusfortquetout.Ilneretirapassamaindemonvisage,etsachaleurmerappelatouslesmomentsfroidsdemavie.Durantces

longues années, son contact m’avait réconfortée. Oui, j’étais humaine à présent, et la sensation était différente,j’avaisdesterminaisonsnerveuses,etdessensétaientreliésàcettemain.Maisl’amourétaitlemême.–Lenah…,fitsoudainunevoixfaible.Jepivotaipourcherchersasource.Toutlemondeétaitencoredéguisé,lesyeuxrehaussésdepaillettes,leslèvres

et les nez peints ou garnis de fourrure. Derrière les groupes d’élèves retournant vers le bâtiment Quartz, deuxsecouristesportaientquelqu’unsurunecivière.Lorsqu’ilspassèrent,Tracytournalentementlatêteversmoi.–Lenah!dit-elleunefoisencore.Jeme levai d’un bondmais gémis, arrêtée net par une douleur fulgurante dans le bras. J’agrippaimon épaule

droite;jen’avaispaseubesoindetantdeforceladernièrefoisquej’avaismaniéuneépée.JepassaidevantdesélèvesquiparlaientdeJustinetdesatransformationphysique.Ilstrouvaientdesdizainesde

raisons : ladrogue, l’adrénaline,peut-être l’influenced’ungang.Rienquedesmotsetdesexpressionsque j’avaisappris au cours de mon année humaine. Ce n’étaient que des excuses que trouvaient les gens pour expliquerl’inexplicable.–Vouspouvezattendreuninstant?demandai-jeauxsauveteursenm’approchantdeTracy.Unelarmeroulasursajoue.Ellel’essuyaetmeregarda.–J’aiessayé,medit-elle.J’aiapportéuncouteau,maisellel’afaitsauterd’uncoupdepied.–Jen’aipaspuarriverjusqu’àtoi,répondis-jeenm’accroupissantpourêtreàsahauteur.–Est-cequetousceuxquej’aimevontmourir?demanda-t-elled’unevoixtremblante.Jeneveuxpasrentrerchez

moi,Lenah,maislelycéevafermer.–C’esttemporaire.–Est-cequ’ilvarevenirtousnoustuer?– C’est un vampire, soufflai-je à voix très basse pour qu’elle soit la seule àm’entendre.Mais je pense que tu

n’aurasplusàlecraindre.Ellesefrottalesyeux.–Cequetuasfait.Cesoir.C’étaitincroyable,medit-elle.–C’estmafautesituasdûassisteràceshorreurs.Dansleclairdelune,jevoyaisclairementsapeine.Je luipris lamain. J’avais l’habituded’enlacer Justin,ouVicken,quiétaientdesgarçonsvigoureuxauxépaules

largesetaudosmusclé;maisTracyn’étaitqu’unejeunefemme–commej’auraisdûl’être,moiaussi.Samainmeparutfrêle,commecelled’unpetitenfant.–Jen’arrivepasàcroirequ’ilsannulentlescours,poursuivit-elleenmelâchantpouressuyerencoredeslarmes.Les hommes qui portaient la civière se remirent enmarche en direction d’un groupe d’ambulances garées au

centredelapelouse.Devantcesambulancesétaientalignéssixcorps.Quatrevampires,dontAva,etdeuxélèves.Aumomentoùjemedétournai,quelqu’unannonçaquelapresseétaitenchemin.–Àbientôt,Lenah,meditTracy.Etellefutemportéeparmilessauveteursetlesgyrophares.–Oui,àbientôt,répondis-je,mêmesijesavaisquejen’étais,aucontraire,pasprèsdelarevoir.Lorsquejemeretournaipourfairefaceauchaosquirégnaitsurlecampus,lapoliceétaitentrainderegrouper

lesélèvesparniveaux.Tousétaientpendusàleurtéléphoneportable.MrsWilliamsenchassaquelques-unsverslesdortoirs.Jecroisai le regarddeRhode,deboutàcôtéduchêne.Vickenavaitunbandageblancautourducrâne,et tous

deuxparlaientavecuneassurancetranquille.IlyavaitdéjàplusieursheuresqueJustinétaitpartidanslesboisetc’étaitseulementmaintenant,longtempsaprèsminuit,quelespoliciersetlespompiersfaisaientrentrerlesélèves.Lesdépositionsavaientétéenregistrées,ilétaittempsd’essayerdeprendreunpeuderepospendantcequ’ilrestaitdenuit.Jesoufflai lentement.Unventfraisbalayait lecampuset faisait frissonner lesfeuillages.Jesavaisqu’unfrisson

étaitunsigne.Unsentimentdereconnaissancefamiliermetraversa.Jeregardaiau-delàdesélèves,endirectiondelacolline,etausommet…enfin,enfin,Suleenétaitlà.Jem’approchaideVickenetdeRhode.Enchemin,jefusarrêtéeparMrsWilliamsquiseplantadevantmoi.Son

maquillagedesouriss’étaiteffacé:ilnerestaitquequelquestracesdemoustachessursesjoues.–J’attendaisdetetrouverseule,meconfia-t-elle.Sesyeuxgris-bleupénétraientlesmiensencettefindenuit.–Qu’est-cequetuasfait?medemanda-t-elle.Commentsaviez-vous?Toi,VickenetRhode?–MrsWilliams,ilfautquejeparte.–Ceshommes.EtJustin…,commença-t-elle.Je la touchai sur l’épaulecommeelle l’aurait faitpourmoi, commeunparent toucheunenfant.Caren réalité,

j’étaisbienplusâgéequ’elleneleseraitjamais.–Toutestterminé,luidis-je,répétantlesmotsqueRhodem’avaitdits,etjem’éloignaiendirectionduchêne,en

tâchantdenepasl’écouterquim’appelaitencore.–Lenah,attends.Jenecomprendspas.Jenecompr…Enarrivantàl’arbre,jevisquelebandagedeVickens’étiraitdesessourcilsàlalignedesescheveux.–Tuvasbien?luidemandai-je.–Unesimpleégratignure,trèschère.Ilpartageaavecmoiunsourirefatigué.Ausommetdelacolline,derrièrelui,sedressaitlegrandvêtementblanc

deSuleen. Ilme rappelait l’orbegris qui avait flotté devantmon cœurdans le reflet du plafondd’onyx, chez lesÉvidés.

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Jemeretournaipourregarderlafouleencoreprésentederrièrenous.Personnenefaisaitattentionànousninenous demandait de rentrer. Je savais que c’était grâce à Suleen. Il nous rendait invisibles afin de faciliter notredépart.Cela me donnait aussi le temps d’embrasser une dernière fois les lieux du regard. Et c’est ce que je fis. Je

contemplai tout le campus de bout en bout, m’arrêtant, bien sûr, sur Seeker Hall. Sa structure de brique étaitencadréedetroisarbresauxfeuillesjauneetorange,éclatantes.J’avaisdelapeine.–Ilesttempsd’yaller,dis-jeàVickenavantdememettreàgravirlacolline.–D’yaller?D’alleroù?–Viens,insistai-jedoucementenluiprenantlamain.–Maisqu’est-cequisepasse?Je l’entraînai sur la colline.Rhode serraitmonautremain. Il étaitd’uncôtédemoi,Vickende l’autre, etnous

montionstouslestrois.Troisgénérationsd’assassinsmontantversleurrédemption.Etcettefois,c’étaitentièrementmonœuvre.Lorsquenousarrivâmesausommet,Suleennousattendait,silencieuxetéthéré.J’auraisvouluéprouverdelarancune.J’auraisvoulusavoirpourquoiiln’étaitpasvenulorsquejel’avaisappelé

aveclessortsdeconvocation.Maisàlavérité,jeconnaissaisdéjàlaréponse.Iln’étaitpasvenuparcequejeneleméritaispas.Parcequevenir

poursauverRhoden’auraitrienréglé.J’auraissimplementtrouvéunautremoyendetenterd’enfreindreledécret,etdepratiquerlamagiequ’onm’avaitexpressémentdemandédenepasutiliser.EnapprochantdeSuleenentremesdeuxamis,jeretinsmonsouffle.L’automneétaitenfinarrivéàWickham.Alors

quenousgravissionslesderniersmètresdedénivelé,nouspouvionsvoirnotrehaleinedansl’air.–Suleen,s’extasiaVicken,aussisurprisqu’émerveillé.Iln’avaitjamaisvulevampireauparavant,nel’avaitjamaisapprochéenpersonne.–Vousêtesvenu,ajouta-t-il.Etonn’amêmepaseuàsebrûler.Suleensouritgentiment,maistournaensuitesonregardversmoi.–Jesuisfierdetoi,medit-il.Rhodesetenaitfermementàmoncôté,etleregarddeSuleenglissaverslui.–Etjesuisencoreplusfierdeceàquoitun’aspaspurenoncer.Rhodehochalatête.–Etmaintenant,faisonscorrectementlesprésentations.IlsedétournadeRhodeetdemoi.–VickenClough,du57erégiment,dit-il.Vickenbombaletorse.Suleen tendit la main et le prit par l’avant-bras. Vicken lui prit le bras de la mêmemanière : une salutation

répandueentrevampires,conçueàl’originepourprotégerlepoignet.LeregarddeVickens’illumina,plusquejenel’avaisjamaisvudepuisqu’ilétaitmortel.Cedevaitêtreunmoment

trèsimportantpourlui.–Ilnesaitpas,dis-jeàSuleen.Celui-cireculad’unpas,etàcemoment-làseulement,jemerendiscomptequelecieln’étaitplusnoirmaisgris,

bientôtlavande,avantl’orangebrûlantduleverdujour.Lesoleil,annonciateurduchangement.–Jenesaispasquoi?Quesepasse-t-il?s’inquiétaVicken.JelançaiunregardàSuleen.–Ilmerestecombiendetemps?–Quelquesminutesàpeine,réponditnotredoyend’unevoixdouce.JepivotaiversVickenetposailesmainssursesjoues.Jetrouvaisonregardetleretins.Ilsemblaitavoirdumalà

soutenirlemien;sesnarinespalpitèrentunpeu.Ilallaitpleurer,etjen’étaismêmepassûrequ’ilaitcompriscequiluiarrivait.Àmoinsqu’ilnesoitentrainderefoulerses larmes. Je leregardaiserappeler, lentement, laréactionhumainequiseproduitlorsquelecorpspleure.Jeplongeaileregarddanssesyeuxbruns.–Sais-tupourquoijet’aisauvé,toutàl’heure,augymnase?Ilsecouanégativementlatête.–Parcequelesoiroùjet’airencontré,tudansaisetchantaissurlestables.Tuadoraislemonde,etj’aifaitdetoi

unspectateur.–Lenah?fit-ildoucement.–Tuneserasplusunspectateur.–Jenetecomprendspas,trèschère.–JeretourneauXVesiècle,luiannonçai-je.–Non!cria-t-il.Jelaissairetombermesmains.–Ettoi,tuvasretrouverlamaisondetonpère.Àl’aube,tuserasderetourdanslanuitoùjet’aivolétonâmeet

oùj’aifaitdetoiundémon.Tuseraslenavigateurquej’avaisrencontré,avecdescartesaccrochéesauxmursdetachambreetdeschaussettessuspenduesau-dessusd’unebassine.Lecielétaitàprésentmauve,etlesoleilallaitbientôtfranchirlesommetdelacolline.Lespremiersscintillements

dorésembrasèrentlacrête.–Lenah,non!s’écriadenouveauVicken,maisjemedétournaiquandmême.Qu’est-cequeçaveutdire?Suleen,

qu’est-cequeçaveutdire?JepivotaiversRhode,dontlesyeuxétaientrivésausol.Sesbraspendaientlelongdesoncorps;ilauraitpuêtre

unestatuedestempsmodernes,tantilétaitimmobile.Jem’approchaietm’arrêtaiàquelquescentimètresdelui,commejelefaisaisdepuisdesmois.–Jevaist’embrasser,maintenant,luichuchotai-je.–J’espéraisquetudiraiscela,mesouffla-t-ilenretour,cequinousfitsourire.Lenah,queferai-jesanstoi?dit-il

encore,etjesentislachaleurcorporellequiémanaitdelui.Unmotuniquemetraversa,etjefrémis.–Vivre.Nos lèvres se rencontrèrent… la sublimepressionde sabouchecontre lamienne.Lachaleurde sabouche, sa

saveuràlui.Jesuivislesmouvementsdeseslèvresetladoucecaressedesalangue.Sesmainsremontantdansmondosm’envoyèrentdespicotementsjusqu’enhautdesbras.C’étaitmeilleurquetoutcequej’avaisimaginé.MonRhodeembrassaitavecdouceur.Ilpritmoncrânedanssa

mainets’insinuaplusloindansmabouche.Nemequittepas.L’odeurdepommesquim’avaithantéetoutel’annéemesubmergeaànouveau,maiscettefoiselleétaitassociéeà

lalumièreblanchedesAeris.LesimagesquimevinrententêtemontraientdésormaisdesmilliersdesouvenirsdemonpasséavecRhode.Undiaporamadenosannéescommunes.

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Desbouclesd’oreillesenorsouslapluie.Desbalsetdesdanses.Desriressouslesétoiles.Rhodeetmoisurunlitdepaille.Rhoderiantd’unedemesplaisanteriesdevantunfeudebois.Cen’avaitpasétéquedouleuretmort,n’est-cepas?Ilyavaiteudel’amour,aussi.Ils’écartademoietl’airentrenousdemeuratiède,mêmesilafroideurdel’atmosphèrememordaitlesoreilles.

Sesyeuxplongeaientdanslesmiens.–Prêteàpartiràl’aventure?mechuchota-t-ilavecundemi-sourire.Ilm’avaitrépétécettephrasedescentaines,desmilliersdefois.Moncœurenfladejoie.–AnamCara,chuchotai-je.Ilm’adressaunpetitsourire,etcelamesuffit.Jen’avaispasàluiexpliquercequejevoulaisdire.Carc’étaitun

mondenouveau,unmondeoùnoshistoiresn’avaientplusd’importanceetoùnousserionslibres.–Lenah…,ditSuleen,etjevisunelumièred’ormonterau-dessusdel’horizon.Peut-êtreétait-ceparcequelesAerism’avaientprévenue,peut-êtreparcequejesavaisquelesoleilétaitleFeuen

personne,maisjesus.Jedevaismarcherverscesoleillevant.Jesavaisqu’ilmeramèneraitchezmoi.LebleudesyeuxdeRhodeétaitintense,commetoujours.Ilm’aimait.Jepouvaisrentreràmonépoqueensachant,

pour une fois, que j’avais vraiment aimé et été aimée. Rhode prit mon visage entre ses mains et m’embrassatendrementsurlesdeuxjoues,surlefront,puiseffleurameslèvres.Jefisunpasenarrière,lecorpsentierparcourudefrissons.LorsquejetournailatêteversVicken,deslarmes,de

magnifiquesgrosseslarmes,roulaientsursesjoues.Illesessuyaetcontemplasesdoigtshumides,momentanémentstupéfiéparlepouvoird’unpleur.Plusdecentansqu’ilattendaitcela!Suleentenditsamain,et,commejel’avaisvufairel’annéeprécédente,replialebrasetlatintau-dessusdeson

cœur.L’éclatdorédusoleilmeréchauffait, toutmondosétaitenglobédanssachaleur. Jem’enallais.LesarbresderrièreRhode,VickenetSuleendevenaientdestachesfloues,rougesetorange,contreleciel.Enfin, je regardai Rhode. Je voulais qu’il soit ma dernière vision de ce monde. Ses lèvres étaient encore

entrouvertes.Nousaurionspunousdirebiendeschoses.Mais jepartaisvite.JenevoyaispresqueplusVicken, ilétaittoutblancdelumière.Jecrusflairerunparfumdepommes.EntreRhodeetmoi,lesmotsnesuffiraientjamais.Alors,jeposaimamainsurmonsein,làoùjesentaismoncœur

battant.Ilétaitmortpourquececœurbatte,pourquejepuisserespireretvivre.Jelalaissailàetnequittaipluslebleudesesyeux.Cesyeuxquej’aimaisplusquel’amourn’auraitpul’expliquer.

Jet’aime.Jet’aime.Jet’aime.Lalumièreétaitpartoutautourdemoi,àprésent.Ellemeprenaitenelle.Cemondeallaitendevenirunautre.UnmondesansLenahBeaudonte.Etcommeça,simplement,danscettelumièrequin’étaitplusqu’oretargent……jenefuspluslà.Toutesnoserreursrestent-elleslogéesdansnoscœurs?Pouvons-nousjamaislâcherprise?Cequiestgravédans

lapierrepeuttoujoursêtreeffacé.Carlapierren’apasd’emprise.Mêmelapierrepeutêtrebrisée.

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Chapitre271418Despommes.Degrosorbesrougesétincelantdanslesoleilmatinal.–Lenah!Quelqu’unm’appelle.Despommesrondespendentàunebranchede l’autrecôtéde la fenêtre. Jeconnaiscette

vue. Jeconnaiscetteodeurcrue : lapailledemonmatelas. Jesuisparmi lesmiens,dans lamaisonduverger.Lesoleilquientreparlafenêtreinondeleplancherdelumièrejaune.Descoqschantentdehors:ilss’éveillentauleverdujour.Jemesouviensdeça!

–Lenah!Monpère!Lajoieéclatedansmoncœur.–Petitedormeuse!Es-tudoncmalade?!Lavoixdemonpèrerésonne,etjenel’aipasentenduedepuissilongtemps!Jemelèved’unbondet,uninstant,

je touche le carreau épais d’une fenêtre à meneaux. La lumière est filtrée par le verre grossier et pleind’imperfections.

Jemefichebienquemalonguechemisedenuitmecouvrelespieds,jelarelèvepourdévalerl’escalierquatreàquatre.Monpèreest là,avecsagrossebarbeetsesvêtementsdetravail.Mamèreestdevantl’âtre,penchéesurunebassined’eauetdulingesale.Jereconnaiscertainesdemesrobes.Jemesouviens!

Jemependsaucoudemonpère.Sabarbepiqueetilyaunsoupçondelavandesursapeau:ilvientdeselaver.Ilsedégagedemonétreinte.

–As-tuencorevolélestomatesdesmoines?Jel’embrassesurlesdeuxjoues.–Non,dis-jeavecunsourire.Donne-moideuxsecondes.Jefaisminederetournerversl’escalier.–Quedis-tu?demandemonpère.Oh bien sûr ! « Deux secondes » est une expression dumondemoderne, unemesuremoderne du temps.Ma

famillenepeutpasmesurerlessecondes!Monpèresuitsimplementlesmouvementsdusoleil.–Jevienstoutdesuite.–Hâte-toiunpeu!Jejetteunregardparlafenêtre,etprêtel’oreilleaubruitdemamèrefaisantlalessive.J’avaisoublié,aucoursde

malonguehistoire,combienlemondemédiévalétaitcalme.Larécolteestpasséedepuislongtemps;laplupartdesarbres sont nus. J’observe les alentours : je reconnais exactement cette scène. La famille des Médicis a achetél’essentieldenotrerécolteetleresteestalléauxmoinessurlapropriétédesquelsnousvivons.Pourfaireducidreetdespommesdetable.

Aujourd’hui,c’estjourdegrandnettoyage.Aprèslarécolte,ilnousfautdégagerlesalléespourpréparerl’hiverquivient.

Jepensesavoirqueljournoussommes,maisjeneveuxpasycroire–pasencore.J’enauraiconfirmationounoncesoir,quandjeregarderaileciel.

Jepassel’après-mididanslevergeravecmonpère.Ilm’amanquépendantsilongtempsquejemesurprendsàmecacher derrière un arbre pour le regarder ratisser en fredonnant. Pendant un bref instant, j’ai envie que nouspuissionsappuyersurunbouton.J’aivudesouvriers,àWickham,utiliserdessouffleusesàfeuilles,etjemedisquecelasoulageraitbienlesmainscalleusesdemonpère.J’aimeraisaussiquenouspuissionsécouterdelamusiqueet,biensûr,jepenseauxterrainsdesportdeWickham.Auxentraînementsauxquelsj’assistais,surfonddemusiqueàpleinvolumepourpasserletemps.

Lacrosse.Jeclignedesyeuxdanslesoleiletgrattelaterresouscetarbrenu,duboutdupied.J’espèrequeJustin,oùqu’il

soitmaintenant,estheureux.Ethumain.J’épongelasueurdemonfront,regardelesoleilsedéplacerlentementdansleciel.Danscemonde,iln’yapasde

voitures,pasdemédicaments,pasdecrèmeglacéeauxnoixdemacadamia.JesourisausouvenirdesmainsdeTonyplongeantunpinceaudansunpotdepeinturebleucéruléen.JesouffriraidelapertedemesamisetdeRhode,maislemondemodernememanqueraluiaussi.

J’aienviedetoutraconteràmonpère.Maisc’estimpossible.Iln’yapaslamoindrechancepourqu’ilcomprenneunjour.Jem’accroupisaupiedd’unarbreetpassemesdoigtsdanslerichehumus.Cettehabitudem’estrevenuetout de suite. Je me rappelle si bien comment tailler les branches pour que les pommes reviennent, fortes etodorantes.

Degrosnuagesnoirss’amoncellentau-dessusdecheznous.Monpèrem’appelle.Jeremontel’ourletdemajupepourmarcherplusfacilement.Lapoussièrecouvremesmains,etnousrejoignonstousdeuxlamaison.

«Nousdevonsalleràl’église»,meditmamèrependantledîner.Jem’enréjouisàl’avance.VoirlepèreSimonetl’entendreparlerdeDieuetdereligion.Unjour,ilyatrèslongtemps,cesofficesdonnaientunsensàmavie:servirDieu,sepréparerici-basàlavieéternelle.C’étaientdesidéesmédiévales.Jen’auraisjamaisimaginéavoirunjourmespropresidéessurlareligion,surDieu,surl’étheretlavieavantetaprèslamort.

Mamèremesouritàtraverslatable.–Tuasl’airheureuse,medit-elle.–Lerepasestbon.

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Cen’estqu’unsimpleragoût,etellemeledit.Jemeremémorequelanourriture,ici,estcequel’oncuisinesoi-même.Ontuesongibier,ouonl’achèteàquelqu’unquil’afait.Lesrepassontpréparésàlamain,pasfabriquésenusine.

Rhodem’aditunjour,ilyalongtemps,quel’amourétaituneémotionexistantbienau-delàducadreétroitdelaconditionhumaine.Ilpeuts’éleverjusqu’auxsommetslesplushauts,m’avait-ilexpliqué.Mêmeauxcieux,l’amourcirculeets’étendentrelesétoiles.Ici,assiseenfacedemesparents,jecroisàcettevérité.

– Tu es bien silencieuse, me fait remarquer ma mère tandis qu’un roulement de tonnerre fait vibrer notremaisonnette.

–Vayavoirencoredelapluie,soupiremonpère.–Larécolteestterminée.Réjouis-toidonc,ditmamèreenl’embrassantsurlatête.Lapluiequis’annonceseraundéluge,jelesaisdéjà.Lorsqu’elles’abatenfin,jeconnaissontambourinementsurletoitaussibienquejeconnaismonâme.Ceciestlesoiroùjesuismorte.CettenuitestcelleoùRhodeafaitdemoiunvampire.Les heures passent, et le feu est presque éteint dans la cheminée. Les boucles d’oreilles de ma mère sont

sagementrangées:jenelesluiaipasdemandéesaujourd’hui.Etjenelesaipasperduesdansleverger.LesAerism’ont renvoyéeàce jourprécisafindemerappelermonchoix. Jem’approchede l’escalier,vaisà la

fenêtrequisetrouveau-dessusdelahuitièmemarche.C’estunemanieenfantinechezmoidelescompter,maisjelefaisquandmême.

Jeposeunemainsurlescarreauxfroids.Mesdoigtslesréchauffentetunhalodebuéenaîtdemachaleur.C’estdelacondensation.Maviemodernem’aappristantdechoses.Ellem’aapprisquelasciencechange,quelamusiquechange,quelesgenspeuventvivrebiendesannées.

J’aipassécinqcentsansàdevenirunmonstre,àmenourrirdesautres,à leur injectermonmalheur.Mais j’aiaussivulesusagesdumonde.Jemeconcentresurlesalléesduverger.Jen’envoispaslebout,maisunefois,dansunmondedifférent,Rhodem’aattenduelà-bas.Justelà.

Iln’yapasdeRhodeauboutdel’allée,jelesais.Jel’aisauvé.Ilestensécurité.JesaisaussiquejenerencontreraijamaisJustin…niTony.Wickham n’existera pas avant des centaines d’années, quand j’aurai disparu depuis longtemps, disparu de ce

monde.Je laissemamain sur le carreau.Mamâchoire se serre. C’est douloureux d’être là en sachant ce que je sais,

connaissanttoutcequim’attenddanscemonde,savastitudeetsabeauté.Mêmes’ilnemeregardepas,jelefaispourl’histoire.Pourlesâmesquiontétésauvéesenuninstant.Jechuchote

lesmots:–Jet’aimeraiàjamais.Jeposemamainsurmoncœur,etleslarmesmemontentauxyeux.Moncorpssecouvredefrissonsetbientôtmes

larmescoulent.Jeprononcealorslesmotsqueseulslesvampirespartagent:–Avancedanslesténèbrescommedanslalumière.Je ravale mes larmes, me détourne de la fenêtre, et monte jusqu’au seuil de la chambre de mes parents. Ils

dorment,dosàdos,ensemble,proches.Jemedemandesijevivrailerestedemesjoursdanscettemaison.Sijevaistombermaladeou si les vaccinsque j’ai reçusdans lemondemoderneprolongerontmavie. Jepourrai peut-êtremêmetrouverunhommegentildanscemondeetl’épouser.Unechosequejesais,c’estquecettefois,jeconnaîtraimasœur,Geneviève.J’assisteraiàsanaissanceetlaverraigrandir.

Jemepencheplusloindanslachambrepourcontemplerencoremesparents.Jeconnaislanuit,lesmaréesetlescourantsdesheures, je les senspasser surmoi.Lepassageducieldunoiraubleu,dubleuàunmauve lavandeteintéderose.Unefoiscertainequelesoleilselèvera,etpasavant,j’oseenfinmecoucherdansmonlit.

Plusdesoifdesang.Plusdemortsinutiles.Unedernièrepenséeéclotdansmatêteavantquejenesombre…Oh,commeilvamemanquer.

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Épilogue

RhodeChère…Jeneconnaismêmepastonnom,machère.Jenepeuxpas lecouchersurcepapier.Car ilm’échappe.Chaque

jour je l’ai sur le bout de la langue, comme un bonbon. Je le goûte pendant le plus bref des instants, et puis ildisparaît,avantquej’aiepulereteniretl’avaler.

Jemeconsumepourtoi.Il y a un halo de buée sur cette fenêtre donnant sur un campus qui s’accroche aux derniers vestiges de l’été.

L’automneserabientôtlà.Hierencore,j’airêvédetoi.Tuavaislescheveuxremontésettuportaisunelonguerobe.Unerobecommeonn’entrouvepasdanslemonded’aujourd’hui.Elleétaitcorsetéeettutetenaissurunehautecollinequidominaitunvastepaysage.

Tucommencesàhanteraussimesjournées.Celapeutarriveràn’importequelmoment,pendantqu’onmeparle:tonvisage,avec tesyeuxbleusombreet tonsourirecomplice, s’insinuedansmespensées.Toujours, toujours,cesavoirjoueauborddeteslèvres.

Quelesttonnom?Pourquoiviens-tumetourmenter?Pourquoiai-jeenviedetedirequedesélèvesdisparaissentdecelycée?Nousensommesàtrois.Lepremierest

toujours porté disparu, il s’appelle Justin. La deuxième sera enterrée aujourd’hui, et la troisième a disparu hiermatin.

LecorpsdeJaneHamlinaétédécouvertprèsdelaplage.Elleavaitdeuxtrousdanslagorgeetétaitvidéedesonsang.Pourquoitonvisagea-t-ilsurgidansmatêtequandonm’aapprislanouvelle?

Toi,avectagrâcedeporcelaineettapeauirréelle.Jet’appelleraisenhurlantsitupouvaism’entendre.Jebrûleraisceslieuxsicelapouvaittepermettredevoirla

fumée.Jet’aime,voilàunechosequejesais.Etpourtant,jen’arrivepasàmerappelerquitues.Ilmefautrefermerlespagesdecejournal.Jesuisencostume,prêtàmerendreauxobsèquesdeJaneHamlin.On

adéjà frappéàmaporte.Tout le lycéeWickhamyva.Bizarre.À l’instant,alorsque j’allaisposermonstylo,unephrasem’estvenueentête,commeréveilléed’untrèslongsommeil.Jemedemandesimesparentsmel’ontappriseavantleurmort,j’étaistroppetitpourm’ensouvenir.

Honnisoitquimalypense.Sais-tucequ’ellesignifie?C’estpeut-êtreunindice.Unmoyendedécouvrirquitues.Honnisoitquimalypense.Celuiquituecesélèvesdevraitécouterceconseil.Dansl’attente,Rhode.

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