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Pourlatraductionfrançaise:ÉditionsAlbinMichel,2012
ISBN:978-2-226-28029-9
DumêmeauteurchezAlbinMichelWiz:
Humaine
ÀRyanQuirk,sicourageux.
Unantiqueparchemingîtenunlieuobscuretsacré.Sonemplacementestinconnu;sonauteur,anonyme.
C’estunelégende.Dessus,unrituel,inscritenlettresdesang.
Cerituelexigel’amourleplusprofond,lesacrificeultime:celuidelavie.Parlui,unvampirepeutredevenirhumain.
Rhode,monamour,s’estsoumisàcerituelpourmoi.Ilenestmort.
Jem’ysuissoumiseàmontour,ilyaquelquesjoursàpeine.Etj’aisurvécu.
Chapitre1–Terevoilàcheztoi,meditJustinEnosenm’entraînantparlamainentreleshautspiliersencadrantleportaildu
lycéeprivéWickham.Prise d’une hésitation, jem’arrêtai dans l’allée principale avant d’arriver chezmoi, à SeekerHall. Au loin, les
hautsréverbèreséclairaientlabriquedesautresbâtimentsducampuscommeautantdepetitspharesdanslanuit.Seulementquatrejoursauparavant,j’étaiscertainequecemondeneseraitpluslemien.J’avaisaccomplilerituel
pourVicken,monami,monconfident,vampireluiaussi.Jem’yétaissoumisepourqu’ilredeviennehumain.–Jetiensdebout,tusais.Aumomentoùjeledisais,jetrébuchaietJustindutmesoutenir.Mescuissestremblaient,conséquencedutemps
que j’avaispassé inconsciente surun litd’hôpital.Quatre jours…donc,quatre jourségalementquemonmeilleurami,Tony,avaitététuédanslatourdesarts,etquejem’étaiscruemoiaussisurlepointdeperdrelavie.–Quellebellenuit,dis-jeenm’appuyantsurlebrasdeJustinpourmarcher.Ilajustasafouléeàmespasdefourmi.Ilportaitaussilesacquicontenaitmesaffaires.LapetitevilledeLoversBay,dansleMassachusetts,étaitunvraibouquetdefleursaumoisdejuin:partout,les
roses et les hortensias nous entouraient. Leur parfum floral se mêlait aux arômes de cuisine issus des cafés etrestaurantsquiflottaientjusqu’ànousdepuisMainStreet,laruecommerçantequilongeaitlelycée.L’airétaitemplidesenteursenivrantes,quemonhumanitérécemmentreconquisemepermettaitparfaitementdepercevoir.Maisavectoutcequiétaitarrivé,lecampusdeWickhammefaisaitunpeul’effetd’unlieuimaginaire,néàlafois
d’unrêveetd’uncauchemar.Lanuitétaitpaisible.Lesarbresondulaientparesseusementdanslabrisedejuinetjecontemplaislesélèvesqui
déambulaientdanslecampusendiscutantàmi-voix.Laluneapparutentre lesnuages.Enlevant lesyeuxpour lasaluer, je crus apercevoir, au bout du chemin qui menait à la plage, une silhouette qui bondissait vivement ets’enfonçaitdanslesbois.Desmèchesblondesvolaientderrièreelledanslevent.Tout d’abord, je ris sous cape en imaginant une élève faisant le mur pour aller retrouver un petit copain ou
chercherunbarplus intéressantque le foyerdesélèves.C’estensuitequequelquechose,danssesmouvements,retintmonattention.Cettefillesautaitavecl’aisanced’unedanseuse,maissemblaitpourchasserquelquechose.Elleétaitsvelteetvive.Tropsvelte…tropvive.Alarmée,jescrutaiattentivementlesenvirons.–Qu’est-cequ’ilya?s’enquitJustin.Jetâchaidegagnerdutemps.–Tuneveuxpasfaireuntouràlaplage?luidemandai-je.Ilallaconfiermonsacàlagardiennedemonbâtimenttandisquejel’attendaisseule,scrutanttoujoursl’allée.Si
l’inconnue ressortait des bois, ce serait bon : je saurais que ce n’était qu’une humaine ordinaire. Des élèvesmehélèrentenpassant:–Salut,Lenah!Commentçava?Mieux?Jegardailesyeuxfixésdevantmoi.–Lesnouvellesvontvite:toutlemondesaitdéjàquetuétaisàl’hôpital,memurmuraJustin,deretourprèsde
moi,enm’embrassantdanslecou.Nouspassâmesdevant le foyerdesélèveset lebâtimentQuartz,où logeait Justin.Sanspouvoirme l’expliquer,
j’étais convaincue que l’inconnue avait quelque chose d’anormal, que sa blondeur n’était pas humaine. Peut-êtren’était-cequ’unaccèsdeparanoïa…mais j’avaisdebonnesraisonsd’êtreparano!J’étaisuneex-vampireâgéede592ans:lesbizarreriesetlescréaturesétrangesavaientnaguèrefaitpartiedemonquotidien.Unefoissurlaplage,jeretiraimeschaussures,leslaissaiaupieddesmarchesetm’assissurlesablefrais.Là,
appuyée contre le torse tièdede Justin, àm’émerveillerde la splendeurde l’océan, je tâchaid’oublier l’éclair decheveuxblondsetl’agilitéexceptionnelledecettesilhouettebondissante.Justinpritmamain.Perdueavec luidans lacontemplationde labaie, jemerepassai le filmdenotrepremière
rencontre.C’étaitpendantmapremièresemained’humanitéretrouvée:ilétaitsortidel’eau,scintillantetdoré…Jeposailatêtesursonépaule,inspiraiprofondémentetécoutailesvagueletteslécherparesseusementlagrève.Saufque…Unecertitudehorriblem’envoyaunfrissondansl’échine.Jefrémis,etJustinbaissalesyeuxversmoi.–Çava?medemanda-t-il.Regardeàgauche…,medisaitmoninstinct.Justinaussilesentit.Ildétournalatête,enfonçalesdoigtsdanslesableetsedressasurlesgenoux.Lamortapproche,disaitunevoixdirectementdansmatête.Lavoixdelareinevampirequiétaitenmoi.Lavoix
delachasseressedesmultitudes.Tusaisquelemalheurestimminent,mesusurracettevoix.Lentement,jemetournaiversleboutdelaplage.–Tuvoiscequejevois?chuchotaJustin.Oui, je voyais.Mon cœur était une corde de violoncelle, un archet invisible le faisait vibrer, presque trembler.
Quelqu’uncouraitversnousdepuisl’autreextrémitédelaplage.Unefille:pasuneenfant,maispascomplètementunefemmenonplus.Uneélève?Sasilhouettemenuenecouraitpasenlignedroitemaiszigzaguaitcommeunlapinapeuré.Soudain,elles’effondra.Elletentaaussitôtdeserelever,maissesbrassedérobèrentetelleretomba.–Jecroisquec’est…,commençaJustin.Ellefinitparréussiràseleveretseremitàcourir.Lorsqu’elleretombadanslesablequelquespasplusloin,elle
poussauncri.Ouplutôt,unhurlementquisetransformaenlongueplainte,serpentantversnousàtraverslaplage,
déversantsaterreurdansnosoreilles.Mesbrassecouvrirentdechairdepoule.Jeconnaissaisbiencegenredecris.–Elleabesoind’aide,ditJustinens’avançantverselle.–Attends!soufflai-je.Jel’arrêtaietplissailesyeuxpourmieuxyvoirdanslapénombre.–T’esfolle?Ellesouffre,protestaJustin.Qu’est-cequ’onattend,Lenah?Ma terreur augmenta encore. La bouche sèche. Lesmots coincés dans la gorge, prisonniers de la peur. Je ne
pouvaispasdétachermesyeuxdelascène.Carilyavaitquelqu’underrièreelle.Quelqu’unquimarchaitavecassurance,enondulantdeshanches.Unedémarchedemannequindepodium.La
fouléed’unefemmefatale.Celle-ciattrapalafilleparsaqueue-de-cheval.Ettirad’uncoupsec,animaletbrutal.Leventselevaentrelesarbres,quifrissonnèrentd’unemanièreinhabituelledanslabriseestivale.–Justin.Ilfautqu’onparte.Toutdesuite.–Mais,Lenah!Ilrépétamonnometjel’attiraiàmoipourluiparlerdetoutprès.–Silence.Ouonestmortstouslesdeux.Ilneréponditpas,maisunéclairdecompréhensionpassadanssespupilles.Il fallaitque jedemeurecalculatriceetposée. Jenepouvaispas laisser l’humaineenmoiprendre ledessus. Je
remontai les marches et bifurquai dans le bois qui longeait la plage. Mes jambes, affaiblies par mon séjour àl’hôpital,mefaisaientmal,etjem’appuyaisauxtroncsdesarbrespournepastomber.–Lenah!Ilfautqu’onaillechercherdusecours!chuchotaJustindansmondos.Jefisvolte-face.–Qu’est-cequejet’aidit?Silence.Etarrêtedeprononcermonnom,crachai-jeavecdureté.Jemelaissaitomberàgenouxetrampaijusqu’àl’oréedubois,làoùlaterrerencontraitlagrève.Delà,j’observai
lascène.Enreconnaissantlafille,j’étouffaiuncri.KatePierson,monamie.MembreduTrio, labandede fillesdeWickhamavecqui, contre touteattente, j’avais
sympathiséaucoursdel’annéeprécédente.Kateétaitlaplusjeuned’entrenous:seizeansàpeine.Innocente,belle,etcourantàprésentungravedanger.Voilàquichangeaittout.Impossibledelalaisseràsonsort.Jepassaiimmédiatementlessolutionsenrevue.Nousn’avionsniépéenidaguepourpoignarderlevampireenpleincœur.Ilfaudraitdoncl’effaroucherparune
démonstrationdeforce.Delaforce,Justinenavait.–Pitié!criaKateàsonassaillante.Nousétionsallongéssurleventre,etmesdoigtss’enfoncèrentdanslesolsablonneux.DerrièreKate,lafemmefoulait lesabled’unpiedléger,commepourunesimplepromenadenocturne.Elleétait
entièrementvêtuedenoir.Unesuperbechevelureblonde,abondante,ondoyaitderrièreelledanslevent.Ellesourit,laboucherougedesang.J’inspirailentement.–Jelaconnais,chuchotai-jeàJustin.Mademeured’Hathersage,enAngleterre,revintenvahirmespensées.L’escalierquimontaitaugrenier.Labonne.Lagentillebonneauxjouesroses.Désormais,elleétaitplusblanchequelemarbre,etempliedecolère.Àquelquespasdenous,Katetentaitdes’éloignerenrampant,maisàprésentquejedistinguaislagravitédeses
blessures,jecomprenaisqu’ilétaittroptard,bientroptard.Jedéglutistandisquelablondel’attrapaitparlecoletlamordaitaucreuxdel’épaule.Lajeunefillepoussaun
hurlementvidequejeconnaissaisbien.Laplaintefinale.Sapetitebouches’ouvritetsoncrirésonnadanslanuit.–Comment?soufflaJustin.Commentlaconnais-tu?Unfrissonmeparcourut.–Je…C’estmoiquil’aitransformée.Justin,avecunelenteurinfinie,reportasonregardsurlaplagesansriendire.Katelançaitencoredefaiblesruades,etsonsangcoaguléformaitdéjàunecroûtesurlesable.Ellesaignaitdes
brasetducou.Cetassassinatétaitunedémonstrationdeforce.Lamortdonnéeparunvampirepeutêtrebrèveetindolore,maiscelle-cirappelaitplutôtcelledeTony:unemiseàmortimpitoyable,accomplienonparfaim,parsoifouparnécessité,maispourlepouvoir.Pourlavolupté.Kateportasesdoigtsàsoncoupourtenterd’arrêterleflotdesang.Ungestevain.Quej’avaisvubientropsouvent.–Jeneveuxpasmourir,supplia-t-elle.Pitié…Moncœursedéchirait,maisl’anciennereinevampireenmoimedisaitquecetteconsœurblondeétaitpuissante.
Etquesondésirdesangétaitsansappel.ImpossibledefuirpourJustinetmoi.ImpossibledevolerausecoursdeKate.Aumoindrebruit,nousmourrions
souslescrocsdelacréature.Nousétionsimpuissants.Unedernièreplaintes’élevadelaplage.EtKatePiersons’éteignit.
Chapitre2Unefoissortisdubois,nousnousarrêtâmessousunréverbère,dansl’allée.–Ilfautprévenirlessecours,ditJustin.–Non.Laseulechoseàfaireestderentrer.Ilfautquejeréfléchisse.D’une main, je massais mon ventre pour tenter de le dénouer. J’avais besoin d’aide, besoin de quelqu’un qui
comprennelesvampires.Rhode.C’estluiqu’ilm’auraitfallu,maisilétaitmort.–Onnepeutquandmêmepaslalaissercommeçasurlaplage!protestaJustin.Uneélèvedesecondeetunagentdesécuritépassèrentdevantnous,suivisdeprèsparMrsTate,professeurde
SVT.–Tudisquetuasentendudescris?demandaitlevigileàl’élève.–Deuxfois,monsieur.Parlà-bas.MrsTate,elle,nousemboîtalepasennousvoyant.–Lenah,c’estbondeterevoir,dit-elleenmetouchantlégèrementl’épaule.Auriez-vousentenduquelquechosedu
côtédelaplage,touslesdeux?Uneélèveditqu’elleaperçudeséclatsdevoix.Nousétionsprèsdelaserre:j’enprofitaipourglisserunpetitmensonge.–Non,répondis-je.Nousétionslà-dedans.Elle hocha la tête et rejoignit l’agent et la jeune fille pour les accompagner jusqu’à la plage. Les sirènes, je le
savais,n’allaientpastarderàretentir.Sousmoncrâne,unebataille faisait rage.Que faisaitunvampire ici, àLoversBay?Unvampirequiétaitmon
œuvre…LenomdeVickens’insinuaitdemanièreobsédantedansmespensées.Vicken. Mon fidèle Vicken. Que j’avais créé, dans des ténèbres et des douleurs si profondes. Il était mon
compatriote…maisj’avaisaccomplilerituel, jel’avaissoulagédesoninfiniesoifdesangpourlibérerl’humainenlui.Etsilerituelavaitéchoué?SiVickenétaittoujoursunvampireettravaillaitàprésentaveccetteblonde?–Lenah?Àquoipenses-tu?s’enquitJustin.Jebattisdespaupières,ettâchaidemeconcentrersurlui.–Vicken.Qu’est-ildevenuaprèslerituel?Unmuscletressaillitdanssamâchoireetilcroisalesbrassursontorse.–Jel’ailaissécheztoiquandjet’aiemmenéeàl’hôpital.J’ignoretotalements’ilestvivantoumort.Jenesuispas
retournévoir.L’idée d’unVickenmort en train de se décomposer surmon lit n’était pas franchement encourageante,mais il
fallaitquej’enaielecœurnet.NousdirigeâmesnospasversSeekerHallenfeignantdenepastremblerdetousnosmembres.Àl’instantoùj’allaismonterchezmoi,unevoituredepolicefitirruptionsurlecampus,sirènehurlante.Cen’étaitqueledébut.Lasirène laissadanssonsillageuneatmosphèredestressquim’enveloppade la têteauxpieds.Unecertitude
ancréedansmesos,pourlasecondefoisdelasoirée:j’étaisépiée.Jelesavais.Lablonde?Était-elleàmarecherche?Était-cepourcelaqu’elleavaittuéKate?Desdizainesd’élèvesdescendaientàprésentverslaplagepourvoircequisepassait.Monregardseportaau-delà
dufoyeretremontalalonguepented’unegrandebuttequimenaitauterraindetiràl’arc.Ausommetdelabutte,jedécouvrisalorsunesilhouettebienconnue,etunespoirfoumesubmergea.Luisaurait
toutm’expliquer.Suleen.Ledoyendesvampires.Ilétaittoutvêtudeblanc,etcoifféd’unturbanbienajusté.Illevalebraspourmefairesignedelesuivre,puis
tournalestalonsetdisparutdansl’ombre.Jemelançaiàsapoursuiteet,tâchantd’ignorerlafaiblessedemesjambes,attaquailacôte.Justinmesuivaitde
près.–Lenah,attends!Quesepasse-t-il?Toutencourant,jefislebilandesévénementsdelasoirée.L’assassinatdeKate,lavampireblonde,etmaintenant
laprésencedeSuleen…Toutcelaétaitforcémentlié.–Ilsepassequelquechosedegrave.Sinon,ilneseraitpaslà.–Commentça,quelquechosedegrave?C’estqui,lui?insistaJustin.Déjà,nousarrivionssurleplateau,ausommetdelabutte.Leclairdelunesoulignaitlecontourdesciblesdetir
alignéesauloin.Suleenn’étaitpasseul.Unesilhouetteindistinctesetenaitàcôtédeluiaumilieuduterraindetir.Pantalonnoir,bottesnoires,cheveuxnoirsenbataille.Jecrusdéfaillir.Lejeunehommepivota.Sesyeuxplongèrentdanslesmiens–bleus.Bleus…sibleus!Mamainseplaquatouteseulesurmapoitrineetjereculaientitubant.Rhode.MonRhode.Soncorpsentierétaitnimbéd’unhaloargenté.Lalumièrequiémanaitdesescheveuxnoirs,
desesyeuxbleus,descourbesdesonvisagen’étaitriencomparéeàlasplendeurqu’ilirradiaitdel’intérieur.Comment était-ce possible ? J’avais passémes doigts dans ses cendres scintillantes, le jour de mon arrivée à
Wickham.J’étaisabsolumentcertainequ’ilnerestaitriendelui.Mais bien sûr… je commençais lentement à comprendre. Si j’avais survécu au rituel accompli sur Vicken…
pourquoipaslui?Jeme précipitai dans sa direction. Il m’observait, absolument immobile. La stupéfaction de le voir envahissait
chaquecelluledemoncorps,etmoncœurdemortellebattaitlachamade.Voilà,jen’étaisplusqu’àunpasdelui,
suffisammentprochepourletoucher…Etj’allaisletoucher!Sentirenfinsapeausousleboutdemesdoigtsquidésormaisétaientvivants,faitsdenerfs
et de sang.Mais soudain, Suleen s’interposa entre nous. Je fis un pas à gauche pour l’éviter,mais il suivitmonmouvement.Jefisunpasàdroite…Mêmechose.Rhodenemequittaitpasdesyeux,maisnefitpasungestepours’approcherdemoi.Jetendislamainverslui,lesdoigtstremblants.–Rhode…,dis-jedansunsouffle.Tun’espasmort.Tun’espasmort.Ilm’observaitenclignantdespaupières,d’unairréservé,étonné,commesij’avaisétéunecréatureinconnueou
unspécimend’oiseaurare.–Rhode?La panique commençait à remonter demon ventre versma gorge. La voix de Suleenm’arracha soudain àma
contemplationéperdue.–Lenah…Nousn’avonspasbeaucoupdetemps.–Maisenfin,Rhode,parle-moi!lançai-je,exaspérée.Ilbaissauninstantsespaupières.Ilsemblaitrassemblersesforcespourparleroubouger.Maisaulieudecela,il
prituneprofondeinspiration.Lorsqu’ilrouvritlesyeux,leurfroideurmanquademefairetomberàlarenverse.–Rhode?Sais-tuàquelpointj’airêvédecetinstant?Jet’aime!Aucuneréaction.Enrevanche,jesentisquelquechosequittermonbras.Justin.J’avaispresqueoubliésaprésence.Sesjouesétaient
maculéesdepoussière,etsesmainsencroûtéesdeboueetdesable.Cequimerappelanotreterreur,cequenousvenionsdevivre.EtlamortdeKatePierson.–C’estlui,Rhode?demanda-t-ildansunsouffle.L’étonnementetladouleurperceptiblesdanssavoixmedonnèrentenviedeplaquermesmainssurmesoreilles.Rhode l’observait avec la curiosité qu’il avait eue pourmoi : comme si nous avions été des animaux inconnus.
Justintenditunbrasdansmadirection.–Ilnefautpasresterici,Lenah.Àcesmots,Suleenvintseplacerentrenousdeux.–Qu’êtes-vous…,commençai-jeàdiretandisqu’ilouvraitsapaumefaceàJustin.Toutàcoup,unegrandebourrasquedeventnousenveloppa.Lesarbresfurentsiviolemmentsecouésqueleurs
branchesplièrentet craquèrent. Il y eutunedétonation sèche, sonore, aumomentoùSuleen lançait sonbras enavant. En un clin d’œil, un large disque d’eau apparut en tournoyant verticalement, nous séparant de Justin. Cebouclier liquide lévitait entre nous. Je tendis les doigts et les passai dans cette paroi liquide et suspendue. Ils ycreusèrentdepetitssillages.Jamais,jamaisjen’avaisvuunvampiredouéd’untelpouvoir.–Lenah,vite!ditSuleenenfrançaisderrièremoi.Il se retourna vers Rhode, laissant l’écran tourbillonner en l’air derrière nous, comme s’il s’était agi d’un
phénomènebanal.Justincriamonnom,tapadupoingdanslabarrièreliquideetrecula.Ilsehissasurlapointedespiedspourtenter
devoirpar-dessus,maiselle s’étira simplementvers lehautavec lui.Nos regardssecroisèrentà traverscemurd’eau,quidéformaitétrangementsestraits.Ilm’appelaune foisdeplus,et le sondesavoixbrisée formaunnœudaucentredemonplexussolaire. Jene
pouvaispaslaisserlesautrespourlerejoindre.Pasaprèstouscesévénements.Exaspérée,jemetournaiversSuleen.–Maisquesepasse-t-il,enfin?–Lenah,dit-ild’unevoixdouceenmetouchant,réchauffantinstantanémentmesdoigts.Enaccomplissantlerituel
pourVicken,tuasattirél’attentiondesAeris.–DesAeris?Jen’avaisvuleursnomsquedanslesancienstextesvampiriquesetlamythologieceltique.–Cequevousavezfaittousdeuxaveclerituel.Celadoitêtrejugé.–Jugé?Commedansunprocès?Rhode,lesbrascroisés,serefusaitàmeregarder.Lesmusclesdesesbrassecontractèrent,cequimefitbaisser
lesyeuxune fractiondeseconde.Et là, ilavalasasalive. Je l’observaisde tousmesyeux,ne fût-cequepourmeprouver qu’il était bien réel. Sa poitrine se soulevait sans effort. Nous avions tous deux accompli le rituel, nousavionstousdeuxeul’intentiondemourir,etpourtantnousétionsréunis…ettoutàfaitvivants.Humains,luietmoi.– Lenah, écoute-moi, poursuivit Suleen. Il faut que tu te concentres, tout de suite.Ceci vous affectera tous les
deux.(Ilposasesmainschaudessurmesépaules.)Àjamais.J’avaisenviedeleurparler,àluietàRhode,delafemmevampireblonde.DelamortdeKateetdel’horreurqui
s’étaitdéchaînéesurlecampusdeWickham.L’écran liquide flottait toujours en l’air, mais Justin n’était plus de l’autre côté. On ne voyait plus que les
ondulationsvertesdesarbresassombris,surlesquelslaluneposaitdeséclatsd’argent.Lenœudquej’avaisdanslapoitrineseresserraencorelorsqueSuleenseremitàparler.– Rhode doit expliquer aux Aeris pourquoi il a manipulé les éléments afin d’accomplir un rituel destiné à
transformerunvampireenhumain.Ildevraégalementleurexpliquerpourquoiilt’atransmiscetteinformationpourquetoiaussi,tuenfassesusage.–C’esttrèssimple.J’étaisentraindeperdrelatête.Desombrerdanslafolie.Dis-lui,Rhode.Cederniersoupira,etpritlaparolepourlapremièrefois.–Lenah…Cemot ne ressemblaitmêmeplus àmonnom, on aurait dit un juron, unmot pourri, craché commepour être
oubliéauplusvite.–Tunem’asjamaisditquecerituelfaisaitappelàlamagiedeséléments,plaidai-je.Lamagie des éléments était la seule raison possible à l’intervention des Aeris. Car ces entités incarnaient les
quatreélémentsdumondenaturel:laterre,l’air,l’eauetlefeu.Pasl’humain.Pasl’esprit.LesAerisexistaientdemêmequelaTerreexiste.–Ilfautenpasserparlà,Lenah,ditRhoded’unevoixcalme.Letempsestvenuderéparer.–Enfin!soufflaSuleen,quisedécidaàs’écarterd’entrenousdeux.Il regardaau loin, vers la verdure,maispourmapart jegardai les yeux rivés surRhode.Les longs troncsdes
arbresn’étaientplusqu’unetacheflouederrièrelui.Leslargesfeuillesd’été,unsombrelavisémeraude.–Tuneveuxmêmepasmeregarder?luidemandai-jeàmi-voix.Savais-tuquelesAerissemanifesteraienttôtou
tard?(Jen’osaispasm’approcherdelui.)Pourquoin’es-tupasrevenuplustôt?Unefoisdeplus,sonsilencefutsaseuleréponse.
–Jenetecomprendspas,ajoutai-je.–Jenevoulaispasrevenir,lâcha-t-ilsèchement.Onm’yaobligé.(Ilrelevaenfinlesyeuxversmoi.)Pourceci.Cesmotsmetranspercèrentlapoitrine.Ilnevoulaitpasrevenir?C’est alors que je commençai à distinguer une lumière blanche et diffuse. Je connaissais cette lumière.C’était
celledusurnaturel.LesderniersmotsdeRhodedemeuraientsuspendusentrenous,cinglantscommeuncoupde fouet. J’avaisune
vasteétenduedeterraindevantmoi,etlesciblesdetiràl’arcs’alignaienttoutaufondduplateau.Lesangbattaitdansmagorgeserrée ; jeposai leboutdemesdoigtssurmapeaupourmieux lesentir.Aucentredu terrain, lalumièreblanchepritdel’ampleur,jusqu’àdeveniraussilongueetlargequeleterrainlui-même.Audébut,ilfutdifficiledediscernerquoiquecesoitdanstoutceblanc,maislesombresquilepeuplaientprirent
peuàpeuformehumaine.Quatrecorpsféminins.LesAeriss’avancèrentversnous.Les robes de ces créatures flottaient et semblaient tissées dans de l’eau pure. Les teintes de leurs voiles
changeaient presque à chaque seconde : bleu, puis indigo, puis rouge. Jeme demandai si c’était un simple effetd’optique. L’une des femmes avait des yeux d’un blanc impossible, et ses cheveux ondulaient autour de sa têtecommesielleavaitétéimmergéedansunlac.Celled’àcôtéavaitlevisageencadrédecourtesmèchesd’unrougeéclatant, qui vacillaient et crépitaient comme des flammes. Lorsqu’elleme regarda, sa robe flamboya d’une vivelumièreorangée.ElleétaitleFeu.DerrièrelesAeris,descentaines,non,desmilliersdesilhouettesévoquaientdespersonnesnormales.Lesquatrecréaturesparlèrentd’uneseulevoix.–NoussommeslesAeris.Leurlumièreoccupaitlatotalitéduciel,àprésent.–Quisontcesgens,derrièrevous?demandai-je.–«Cesgens»,commetudis,meréponditleFeuenlesembrassantdugeste,sonttesvictimes,etlesvictimesde
tesvictimes.Mesvictimes?Jesecouairapidementlatête.Impossible.Etpourtant, ilsétaientbienlà.Ilssetenaientmollement,amorphes, leursidentitéscachéesdanslalumière.Au
cœurde leurmasse on remarquait un êtreparticulièrement lumineux, haut deunmètre tout auplus.Un frissond’horreurmeparcourutl’échine.Uneenfant.Cellequej’avaistuéeplusieurssièclesplustôt.LeFeu,quiavaitjusque-làregardéRhode,tournalatêteversmoi.–Vousdeux.Vosviessontinextricablementliées,c’estvotredestinée.Lecoursdevosexistencesvousaamenés
ici–ensemble,enâmessœurs.–Etvousn’étiezjamaisintervenuesdansnosviesjusqu’àcesoir,soulignaRhode.–Toi,Rhode,tuauraisdûmourirlorsquetuasaccomplilerituelpourrendreàLenahsonhumanité.Cependant,
tonâmesœur t’a retenuattachéàcette terre.Lorsque tues sortidans la lumièredu soleil, il étaitprévuque tut’éteignesàjamais.Maistun’aspaspu.TunepouvaispaspartirsansLenah.–Etils’estpassélamêmechosepourmoi?demandai-je.Lorsquej’aiaccomplilerituelavecVicken?Elleacquiesça.–Noussommesvenuesdéfairecequevousavezcrééaveccerituel.Jem’efforçaisfrénétiquementdecomprendrecequ’ellevoulaitdire.LescheveuxduFeucrépitèrent.–Tunepeuxpasmanipulerlesélémentspourfairejaillirlaviedelamort.Passansconséquences.–Vousêtesdoncvenuesnouspunir?–Noussommesvenuesvousdemanderdescomptes.Pourillustrersonpropos,leFeumemontradugestelasilhouettefantomatiquedel’enfant.Iln’yavaitrienàdire.
Aucunejustification.–C’étaitdansnotrenature,alors,ditsimplementRhode.Tuer.–Nousnesommespasicipourvousreprochervosmeurtresinnombrables,sihideuxsoient-ils.LesAerisn’ensont
pas responsables, pas plus qu’elles ne sont la police du monde vampirique. Les vampires sont des morts. Desvagabondsnocturnes,deserrants surnaturels.Nousnepouvonspasvous tenirpour responsablesdesassassinatscommisdanscemonde-là,expliqualeFeuenfaisantlescentpasentrenous.Cequim’intéresse,c’estcequevousavez fait pour devenir humains.Manipuler les éléments est contraire aux lois de la nature. En accomplissant lerituel, vous êtes revenus par effraction dans le monde naturel. Une fois cela fait, vous relevez de notreresponsabilité.Vousserezdoncchâtiés.Rhode ne dit rien. De mon côté, j’étais incapable de détacher mes yeux des milliers de silhouettes massées
derrièrelesAeris.Touscesgens…LeFeujoignitsesmainsdevantsataille,puisleslaissaretomber.Sonregardseposasurmoi.Mesjambesétaient
sifaiblesqu’ellestremblaient,etjemedemandaisijen’allaispasm’effondrer.–Voicivotrechoix:soitvousretrouvezvotreétatnaturel,etRhoderetourneraen1348entantquechevalierdu
roiÉdouardIIItandisquetoi,Lenah,tuvivrastavieen1418,commetul’auraisdû.–Quandnousétionsencorehumains?soufflai-je,incrédule.–C’estl’étatnaturel:chacundevousavaitalorsuneâmepureetblanche.–Vouspouveznousrenvoyerdansletemps?s’étonnaRhode.LeFeujetaunregardàlafouledenosvictimespar-dessussonépaule.Unequestionmevintlentementàl’esprit.–Eteuxtous?–Lorsquevousregagnerezlemondemédiéval,cesâmesreprendrontellesaussilecoursnatureldeleurvie.–Jenecomprendspas.–Chacunedespersonnesquetuastuéesrevivra,ainsiquetoutescellesquifurenttuéesparlesvampiresquetu
ascréés.Ellesnecroiseront jamaistonchemin–puisquetunedeviendras jamaisunvampire.Vousnevousserezjamaisrencontrés,touslesdeux.Ellenousregardal’unetl’autre.En1348, lorsqu’ilétaitdevenuvampire,Rhodeavaitdix-septans. Jenedevaisnaîtrequecinquante-quatreans
plustard.S’ilétaitrestéhumain,ilauraitétémortàcemoment-là–ou,aumieux,trèsâgé.C’étaitleurintention.Nousrenvoyerenarrière,detellemanièrequenoussoyonsséparésàjamais.–C’estunéquilibre,Lenah.Lesquatreélémentsdumondenaturel,ensemble,créent l’équilibre.Tuesdevenue
vampirecontretavolonté.TueslavictimeoriginelledeRhode:ilterevientdoncdedéciderdesonsort.–Etquelestl’autrechoix?demandai-je.LeFeus’avançajusqu’àlalisièredelalumièreblanche.Sespupillesétaientrougevif,maisl’iris,autour,étaitd’un
blancluisantdeperle.Jeretinsmarespirationjusqu’àcequemesjouesetmoncorpsentiermepicotent.
–Rhodeettoiavezdéclenchéuneréactionenchaînequinepourraêtrecontréequesivousêtesséparés.Vouspouvez soit retournerà l’époquemédiévale, soit rester ici.Si telleest votredécision, jamaisvousnedevrezvousengagerl’unenversl’autre.–Nousengager?s’enquitRhode.Qu’entendez-vousparlà?–L’engagementdansl’amourestunchoixprofondémentancrédansl’âme.Sivouschoisissezd’unirvosviesdans
cemonde,nousl’apprendrons.Pouvions-nousnous toucher?Nousparler ?Nousembrasser?Cesquestions sebousculèrentaussitôtdansma
tête.LeFeudevinamespensées.–Vouspouvezvousparler,discuter,échanger,maisvousn’êtespasautorisésàformerlecouplequevousavezété.–Maiscommentsaurons-noussinoussommesengagésl’unenversl’autre?Sinoussommeslecouplequenous
avonsété?Jenepeuxpascesserd’aimerRhode!– Tu as toujours, toujours, aimé qui tu voulais, quand tu le voulais. Rhode, Vicken, Heath, Gavin, Song et,
récemment,Justin.Maisquiemplissaittonâme?Enverscombiend’entreeuxt’es-turéellementengagée?Tun’aspaspartagétavie,tun’aspasgrandiaveceuxcommetul’asfaitavecRhode.C’estterminé,Lenah.TudoisagiravecRhodecommetul’asfaitaveclesautreshommesdonttuascroisélechemin.Gardertesdistancesaveclui.–Jenecomprendspas.C’esttoutcequejetrouvaiàdire,sachant,auplusprofonddemonâme,qu’elleavaitraisonsurtoutelaligne.Les
avais-jetousutilisés,toussaufRhode?Oui,n’est-cepas?LeFeufitunpasdeplusversmoi,etjesentislachaleurquiémanaitdesapersonne.–Tavieseracommelesableaveuglantd’uneplageinfinie.Tuvoudrasl’océan.Tuverrascetocéan.Maistune
pourrasjamaisretournert’ybaigner.Jamais.Jedéglutis,lagorgeserrée,incapabledeformulerlesmotsquej’auraisdésespérémentvouluprononcer.Jevoulais
laconvaincre.Serais-jecapabledegardermesdistancesavecRhode?De fairecommesinousnepartagionspasl’histoirequiétaitlanôtre?Lalumièred’argentquienglobaittoutesmesvictimespulsaitderrièrelatêteduFeu,merappelanttoutcequej’avaisfaitpourméritercetinstant,là,surleterraindetiràl’arc.–Eteux?demandai-jeavecuncoupdementondansleurdirection.Queleurarrivera-t-ilsijereste?–Tuvoiscettelumièreautourdemoi?J’acquiesçaiensilence.–Tesvictimesontl’âmeblanche.Etelleslagarderontainsi.J’imaginailamienne,noireetdure,telunmorceaudecharbon.–EtsijeretourneauMoyenÂge?Sicesgensretournentàleurvie?–Alorsilsferontleurspropreschoix.Lesortdeleurâmeleurappartiendra.J’avaisdéjàdécidédeleursort.Ilsétaientensécuritélàoùilsétaient,ensécuritédanscettelumière.Comment
aurais-jepulesrelâcherdansunpassédontj’ignoraistout?Était-cefairepreuved’égoïsme?Était-celeurâmequejevoulaispréserver,oulamienne?Jesavais,plusquetouteautrechoseaumonde,quesij’avaisuneâme,Rhodeetmoiétionsfaitsl’unpourl’autre.–Quelesttonchoix?medemandaleFeu.Je regardaiRhode. Il refusait toujoursde croisermon regard. J’avais envied’embrasser sabouche,mêmeà ce
moment-là,malgréledécretdesAeris,malgrél’interdictionqu’ellesnousimposaientdeformerànouveauuncouple.Leseulfaitdelevoirlà,desavoirqu’ilétaitprésent,toutprèsdemoi,alorsquej’avaisétésicertainedesamort…Non,jenevoulaispasrepartir.Quoiquenousayonsàaffronter,siRhodeétaitlà,mêmeàdistance,jeseraiscapabledetout.–Jechoisisderester,annonçai-jeenregardantdroitdanslespupillesécarlatesduFeu.Ici,àLoversBay.Dansmatête,unvergerdepommiersparfait,peintàgrandstraitsdecouleur,semitàsedissoudrecommeun
tableaulaissésouslapluie.–Etilsserontprotégés?demandai-jeenparlantdelafoulerassembléederrièrelesAeris.L’entiténeréponditpasàmaquestion.–Tudoislacombattre,Lenah,lâcha-t-ellesansmediredequielleparlait.Aprèsquoiellereculad’unpasdanslalumière,etsescontourscommencèrentàs’estomper.Lalumièreblanche
aussis’estompa,etSuleen,quisetenaitàcôtédenous,tenditunemainverslesAeris.Iltournasapaumeverslagauche,versladroite,etfermalepoing.Ilselivraitlààuneformedecommunicationquejenecomprenaispas.LeFeuimitaitchacundesesgestes.Paumeverslagauche,versladroite,poingserré.Sessœursetelleavaientdéjàpresquedisparu;ellessefondaientdanslepaysagecommesiellesn’avaientjamaisétélà.RhodeobservaitattentivementSuleen;quantàmoi,jedévoraisdesyeuxsontorserégulièrementsoulevéparson
souffle. Ce torse que j’avais regardé pendant des siècles en regrettant que nous ne soyons pas humains, pourrespireretvivreensemble.«Jamaisvousnedevrezvousengagerl’unenversl’autre»,avaitditleFeu.Soudain,jebondis,dépassaiSuleenet
meprécipitaiversl’Aerisquidisparaissait.–Attendez,hurlai-je.Attendez!Je jetai mes bras en avant dans la lumière, mais elle se volatilisa en ne laissant derrière elle que des toiles
d’araignéesperléesderosée.LesAerisétaientparties.LeFeuétaitparti.Rhodeembrassadesyeuxleterraindetiràl’arcànouveauplongédanslesténèbres.Ilyavaitlongtempsquele
soleils’étaitcouchésurlecampusdeWickham.–Ilfautfairequelquechose!criai-jeàSuleen.–Tuviensdelefaire,intervintRhode.Tuaschoisiderester.Ilyavaitdelatristessedanssavoix.Delacolère,aussi.Maisjenepouvaistoutsimplementpasmeséparerde
Rhode.JenepouvaispasretournerauMoyenÂgesanslui.L’herbeétaitgrisesousmespieds;leciel,noir.Jedéglutis:aufonddemagorge,uneboulemefaisaitmal.–Voscentainesd’annéesd’expériencesurcetteterredevrontàprésentguidervotreconscience.Restezàdistance
l’undel’autre,déclaraSuleen.Savoixsageetposéem’arrachaàmespensées.Rhode croisa mon regard, et une vibration presque douloureuse remonta dans mes jambes. J’avais besoin
d’empoignerquelquechosededur,deleserrerdansmonpoingetdelebrisernet,commeunebranchesèche.Soudain,j’eusuneterribleenviederetrouverlemondedanslequelj’existaisavantquelesAerisnesoientsorties
deleuruniversblancpourilluminerleplateau,ausommetdecettecolline.Justin.Jefisvolte-facepourregarderl’endroitoùSuleenavaitfaitapparaîtrelebouclierliquide.MaisJustinn’étaitplus
là. Je supposai que je ne pouvais pas lui en vouloir.Moi-même, je n’aurais pas souhaité qu’il s’attarde devant cespectacle.–Iln’yaplusrienàfaire,Rhode,ditSuleen.
Rhode lui répondit en hindi, un idiome que je n’avais pas appris. Alors que je parlais couramment vingt-cinqlangues,ilenavaitchoisiunequejenecomprenaispas.Ilpassadevantmoietdescenditlacollinesansunregardenarrière.Ilpartait?Pourtoujours?!–Qu’est-cequ’iladit?Quoi?!Rhode!criai-jeenlesuivant.Suleenmerattrapaparlebras.–Non!hurlai-je.Jetentaidemedégager,maislapoignedudoyenétaitpuissanteetilmeretintsanseffort.Arrivéaupieddelabutte,Rhodetraversalapelouseàgrandesenjambées,puiss’engageadansl’allée.–Rhode!Rhode!Cedéchirementmerendaitmalade.Ilneseretournapas.Impossibledeluiparlerdelavampireblonde.Impossibleaussideluidire:«Reste,carjet’aime.Jet’aitoujours
aimé.Reste,etnousaffronteronstoutensemble.»Carsansunehésitation,sansunregard,ildisparut.
Chapitre31730.Hampstead,Angleterre.Surlalande.Alorsquelesannéesdevampirismecommençaientàenchaînermonâmeàlafolie,jemelanguissaisduvergerde
mes parents. Les succulentes pommes rouges qui pendaient aux branches me manquaient atrocement. Durantpresque trois cents ans, je suppliai Rhode de m’accompagner en pèlerinage à Hampstead. Lorsque enfin nousentreprîmeslevoyage,jemevêtisdenoirpourl’occasion.Macheveluretombaitenlonguesvolutessurmesépaules,mes côtes étaient serrées dans un corset. Dans les années 1730, les paniers – ces larges anneaux attachés auxhanchesdes femmes sous leur robe – étaient en vogue.On attendait d’une femmequ’elle prennede la place, sedonne en spectacle, se fasse admirer. C’était une période d’opulence.Mon époque préférée, je dois dire, quimepermettaitdebrilleralorsquelesoleilnedardaitplussesrayonssurmoi.Quantauxhommes,beaucoupportaientlaperruque,généralementpoudréedeblanc.MaispasRhode.Ilavaitlescheveuxlongs,noirs,nouésdanslanuque.Lecuirdesesbottesnoiresluiremontaitpresqueauxgenoux.Nousétionsdeuxsublimesangesdelamort.–Troiscentsansquejen’aipasfoulécesterres,dis-jeenluijetantunbrefregard.–Toutcommemoi,répondit-il.Unsuperbecoucherdesoleildescendaitsurlalande,baignantlesprésd’unelueurmandarine.DerrièreRhode,
dansl’écrind’unpré,sedressaitlemonastèreoùj’avaispasséunegrandepartiedemonenfance.Lesderniersfeuxdusoirrougeoyaientsurleshautesherbes.Enmaqualitédevampire,j’étaissoulagéedesavoirquelejourmourraitbientôt.–Es-tucertainedevouloirvoir?medemandaRhode.J’acquiesçai tout en déplaçant mon regard vers le chemin qui s’ouvrait devant moi. Enfant, j’avais si souvent
arpentécesprés!Desimagesdeboueencroûtantmesorteils,demescheveuxvolantderrièremoidansleventetduricheterreaufertilebrûlaientdansmespensées.Leventeffleuraitànouveau lesbranches,etunefinecouchedefeuillesmortes couvrait le sol. La terre semblait frémir comme si elle avait eu conscience que quelque chose desurnaturelfoulaitsasurface.Rhodefitunpasetsonépéecliquetacontresacuisse.J’entrelaçaidoucementmesdoigtsaveclessiens.Bienque
presquechacunfûtornéd’unbijou,ilchoisitdepassersonpoucesurmabagued’onyx:lapierredelamort.Nouslongeâmes le long chemin creux en direction de la maison de ma famille. Lorsque nous passâmes devant lemonastère,mon regard s’attarda sur les pierres grises et le parc bien entretenu. Trois cents ans après, les lieuxétaienttoujoursempreintsdesainteté,inspirantlerespect.Était-ildoncpossiblequ’HenriVIIIaitépargnéceslieux?Qu’ilsaientéchappéàladissolutiondesmonastèresqui
avaitmarquéleXVIesiècle?–C’estunesimpleéglise,àprésent,meditRhode.Enregardantmieux,jeconstataieneffetquelemonastèredemonenfancen’enétaitplusun,mêmesilebâtiment
principaldemeuraitlemême.J’entendaislesbruitsd’unofficeàl’intérieur:deschants,desmurmures.Àneufans,j’avaisl’habitudedemecachersouslesfenêtres.Blottiecontrelemurdepierresrugueuses,j’écoutais
lescentainesdevoixobsédantesdesmoines.Leurbourdonnementdouxsedéployaitjusquedanslesprés,envoyantunevibrationdansmapoitrine.Unenuit,monpèrem’avaitditquelalumièredumonastèreétaitlaplusbelledumonde.«Lalueurdesciergesest
unpharequiguideleshommesversDieu.UnpeudeDieusurterre.»–Elleestjustelà,devantnous,meditRhode.Oui,elleétaitlà.Lamaisonduverger.Jelacontemplai.–Ellen’apaschangé,soufflai-je.Pareilleàmessouvenirs.Le même toit d’ardoise, les mêmes pierres régulièrement posées. Le même étage dominant les alignements
d’arbres fruitiers qui dessinaient des lignes droites à perte de vue. Ils étaient en fleur, ce jour-là. Le printempséclatait. Du vert, du vert partout, du vert acide, du vert d’eau, du vert sombre, et de longues herbes qui vouschatouillaientleschevilles.J’empoignailalourdeétoffedemarobeetrelevaimesjupespournepaslescrotter.–J’ail’impressionqu’iln’yapersonne,ditRhodeenobservantlacheminéequinefumaitpas.Pourmoi,celan’avaitaucuneimportance.J’appuyaimesdeuxmainscontrelescarreaux,enmedemandants’ils
étaientfrais,carjenesentaispaslatempératuredeschoses.Pluslesvampiresvieillissent,plusilsperdentlesensdu toucher. Les poutres du plafond avaient été renforcées au fil des ans,mais dans l’ensemble tout était commeavant.Àlavuedeceslieuxfamiliers,jefuscommebaignéederéconfort,etcesentimentterrassamomentanémentlacolère,ladouleuretlemalheurquimeharcelaientdepuisquejen’étaisplushumaine.C’étaitunebénédiction.–Lenah,regarde,ditRhodederrièremoi.Ilya…–Cinquantearpents,complétai-jeenmedétournantdelafenêtre.Ungrandcalmem’envahittandisquejeregardaisRhode.Jem’attendaisàcequ’ils’émerveilledevantlesvastes
étenduesdeterrain.–Non,dit-il.Despierrestombales.Cefutcommesionm’avaitplongéeentièrementdansdel’eauglacée.Lecalmequim’avaitenvahiefutremplacé
parcetteconstanteimpitoyablequejeconnaissaisbien:lechagrin.Lesentimentlepluscourantchezunvampire.Lapeine.Laperte.Ladouleur.Je restai unmoment sansbouger avant dem’approcher des tombes.Rhode, accroupi sur les talons, suivait du
doigtuneinscriptiongravéesurl’uned’entreelles.
Passant devant la fenêtre, j’aperçusmon reflet dans les carreaux. Tant d’années plus tôt, jem’étais vue ainsi,enfant,dansleverrebosselé.Etàprésent,danscemêmeverre,jevoyaislacascadedemeslongscheveux.Lenoirdemarobetranchaitsurlaricheverduredespommiersalignésderrièremoi.Jefisencoreunpasetpénétraidanslepetitcimetière.LedoigtdeRhodesuivaitleLdemonprénom.C’étaitmatombe.MonDieu,lapierreétaitabîmée;maismalgrétroiscentsannéespasséesdehors,exposéauxéléments,monnom
étaitencoreclairementgravé.Iln’yavaitpasd’épitaphe.
LENAHBEAUDONTE1402-1418
Ilyalongtemps,songeai-je.Ilyalongtempsdecela,jefaisaispartiedumonde.J’auraispufairebeaucouppourmafamille,pourmesvoisins,pourlesmoinesetpourmoi-même.–Àprésent,tusais,ditRhoded’unevoixdouceavantdeserelever.Ont’adonnéunedernièredemeure.C’étaiteneffetunedesnombreusesquestionsquejemeposaisàproposdemamorthumaine.–Jevoulaislavoir,confirmai-jeavecunhochementdetête.Mêmesiçafaitmal.–Tonpèret’asuiviedeprès,ajouta-t-il.Latombequijouxtaitlamienneindiquaitsimplementqu’AdenBeaudonteétaitdécédéen1419.Àcôtédelastèle,
unjasminétaitéclos.Sesfleursdélicatesformaientdespomponsblancs.«Faispousserdujasminsituasbesoindevivre,m’avait-on dit un jour. Pas seulement d’exister,mais de vivre.Fais pousser du jasmin pour ne jamais êtreseule.»Jefisunpas,mepenchaietcueillistroisgrappesdefleurs.Lorsquejemeretournaiverslatombedemonpère,Rhodeavaitdéjàavancédansl’alléeetsetenaitaubout,latêtebaisséeversuneautresépulture.Jedéposaiunpompondejasminsurlatombedemamère;elleétaitmorteseule,en1450.–Lenah…,murmuraRhode.Je relevai la tête vers lui. Sonmenton était pointé vers son torse, et ses yeux rivés sur une pierre tombale. À
nouveau, il s’accroupit. Jem’approchai et, une fois arrivée à ses côtés, lus un nom sur la tombe. J’agrippai sonépaule,reculaienchancelant.Jen’avaispasdesouffleàretenir,pasdecœurquipûttambouriner.Rienquelechocd’avoirvucenom.
GENEVIÈVEBEAUDONTEMèreetsœur1419-1472
–Tuaseuunesœur!constataRhode,ébloui.Elleestnéeunanaprèstadisparition.Unesœur.J’avaiseuunesœur?Jecontemplaislenom,pétrifiée,immobile.Sij’avaisconnusonexistence,j’aurais
puvenirlavoir,j’auraispul’observervivre.Brusquement,jefisdemi-touretrepartisencourantversleverger.Matraînevolaitderrièremoisurlesterresquiavaientétécellesdemonpère.–Lenah!Queluiavaient-ilsdit?Quesasœuravaitétéenlevéepardesdémons?Qu’elles’étaitvolatilisée?Genevièveavait
vécujusqu’àcinquante-cinqans,unâgeavancépourl’époque.Elleavaitsurvécuàmamère.Celle-cin’étaitdoncpasrestéeseule.Unefoisarrivéeauverger,jem’arrêtai.Unesœur.J’entendislespasdeRhodesurl’herbe:ils’immobilisajustederrièremoi.–Tuavaisraison.Ilfallaitquetuviennes.Ainsi,tusaiscequ’estdevenuetafamille,medit-ilgentiment.Le soleil avait presque entièrement disparu à l’horizon, et je savais qu’en observant le ciel je commencerais à
distinguerlaconstellationd’Andromède.Ceuxquivivaientdésormaischezmoiseraientbientôtderetour.Ilsétaienttrèsprobablementàlamessedusoir.LamaindeRhodeenlaçalamienne.Quanddeuxvampiress’aiment,leurcontactproduitunechaleur.Sansamour,
nousneressentonsrien.Maisencetinstant,sontoucherétaitlepluschauddessoleils.– Lenah, chacun de ceux qui ont une tombe dans ce cimetière porte le nom deBeaudonte. Ta famille vit ici…
aujourd’huiencore.JepassaimesbrasautourdeRhode, l’attiraicontremoi.Noscorpsétaientétroitementenlacésaumilieudece
chemin.Nous,lesdémonsdelasoifdesang,nousretenionsl’unàl’autre.–Promets-moi.Promets-moiquequoiqu’ilarrive,tuserastoujourslàpourmoi.Jemereculaipourregardertoutaufonddesesyeuxdevampire.Superbes,ilsavaientlacouleurd’uncield’été.
Monciel.–Nousignoronscequinousattend,maissijesaisquetueslàpourmoi,jepourraitoutsupporter.–Jetelepromets,medit-il.Quoiqu’ilarrive.Ilpritmamaindanslasienne.Avecundernierregardverslamaisonetlecimetière,deslarmesquinecouleraient
jamaisvinrentmebrûlerlesyeux.Alors,jelaissailaseulepersonnequirestaitdansmoncœurm’emporter.Tandisquel’obscuritédescendaitsur le longcheminquinousemmenaitau loin, j’entendisquelquesvoixchanterdans lepréderrièrelevieuxmonastère.Cesgensrentraientauverger,s’éloignantdenous.C’étaitmafamillequichantait.Mêmesidenombreusesgénérationsnousséparaient,ilsétaientdemonsang.J’agrippaiRhodeplusfort,etlelaissaim’emmenercommeill’avaitfaittroiscentsansplustôt:danslanuit.
Chapitre4Aujourd’hui.Letempsnedéfilepaspourlesmorts.Unefoisquenoussommesdécédés,ilnouséchappeentièrement.Iln’estle
maîtrequedesvivants.Pourlemort,pourlevampire,letempsestunniddefrelons.Dangereux,àéviteràtoutprix–bourdonnantsanscesseàvosoreilles.
LorsqueRhodeavaitfuiloindemoiaprèsnotrerencontreavecSuleenetlesAeris,c’étaitlasecondefoisdenotrelongue histoire qu’il me quittait. La première s’était produite en 1740, alors que mon esprit commençait à sedéchirercommeunedentelle.Ilm’avaitdit«Jenetequitteraijamais»descentainesdefois,desmilliersdefois.Lesvampiresaimentcompter;ilsaimentcomptabiliserleurtristesse.
LapremièrefoisqueRhodem’avaitquittée, jem’étaismisedansunecolèrefolle.Etjem’étaiscrééunefamilled’ungenretoutdifférent.LapremièrefoisqueRhodem’avaitquittée…j’avaiscrééuncercledevampires.Cettefois,deboutdanscettealléedel’internatWickham,souslalunequifiltraitdansl’entrelacsdesbranches,jemejuraiquejenerevivraispascemalheur.Jeprislarésolutionderestermoi-même…quiquejefûs.
Mais où était-il parti, cette fois ?Retourné là où il s’était cachépendant toute l’annéeoù je l’avais crumort ?Qu’est-cequipouvaitêtreassezfortpourl’éloignerainsidemoi?
Sesparolesrevenaientmordillermespenséesdemanièreinsidieuse.«Jenevoulaispasrevenir,avait-ildit.Onm’yaobligé.»Rhodem’avaitpourtantpromisdenejamaismequitter.Ilmel’avaitdit,dessièclesauparavant,danslechemindu
vergerdemonpère.
Desagentsdesécuritésillonnaientlecampusdansleursfourgonnettes.Vigilesetagentsdepolicerassemblaientlesélèvesetleurintimaientl’ordrederentrerdanslesdortoirs.Lesarbresremuaient,lesétoilesscintillaientdansleurdanseparesseuse.
–Eh,toi!Je pivotai.Un surveillant que je n’avais jamais vu s’approcha demoi dans le noir. Son insigne brillait sous les
réverbères,dontlalumièresemblaitplusvivequed’habitude.–Lecouvre-feuestàvingtetuneheurescesoir,c’est-à-diredansunquartd’heure,m’informa-t-il.Montre-moites
papiers.Jeluitendismacarted’étudiante.Illevaunemainpourlaprendrepuissefigea,commefoudroyé.–Monsieur?Ilregardaitdanslelointain.Sansungeste.Auboutd’uninstant,ilsecouarapidementlatête,tournalestalonsets’enalladansl’allée.Jerestaisurplace,sansbiencomprendrecequivenaitd’arriver.Suleenmefitalorssursauterensedétachantdel’ombred’unbâtimentproche.–Marcheunpeuavecmoi,meproposa-t-il.–Commentavez-vousfaitça?luidemandai-jedansunsouffle.Ilneréponditrien.Nousavançâmesensilence,dépassantdesemployésd’entretienquitravaillaientbienquela
nuitsoittombée.Jenedistinguaipascequ’ilsfaisaient,maisdesétincellesfusaientenl’airtelsdeminusculesfeuxd’artifice.
–Ilschangentlesserrures,m’expliquaSuleen.Lesilenceretombaentrenouspendantquenoustraversionslecampuspourrejoindrelaplage.Lesmarchesquiy
descendaientétaientbarréesparunrubanjaunesurlequelonpouvaitlirePOLICENEPASDÉPASSER.Suleen le souleva, juste à côté d’un policier qui lisait quelque chose sur une écritoire. Rien dans son attitude
n’indiquaitqu’ilnousavaitvus,etnouspassâmessousleruban.LecorpsdeKateavaitdéjàétéenlevé,maissonsangmaculaittoujourslesable.Suleenetmoiétionsàprésentcôteàcôtedansleclairdelune.Leventd’étésoufflaitdoucementetj’admiraimon
protecteur silencieux. Jeme demandais pourquoi il s’était impliqué dansma vie pendant si longtemps. Et d’où iltenaituntelpouvoir.Celui-ciirradiaitdelui,aupointqu’onl’entendaitpresquebourdonner.
J’inhalai lasenteursaléede l’océan.À l’époqueoù j’étaisvampire,monodoratnepercevait riend’autreque lachairetlesang.Mavue,enrevanche,étaitillimitée:elleétaitnécessaireàlachasse,etm’avaitaidéeàcommettredesmeurtres innombrables : je distinguais les veines sous la peaudemes victimes, le flux de leur sang.Mais letoucher?Riendutout.Etlegoût?
–«Tunegoûterasquelesangetilseralefruitdetesténèbres.»C’estcequiestannoncédansleslivressurlevampirisme,dis-jeàvoixhaute.
–Lesvampiresadorentconsignerettransmettrelemalheurquilesfrappe.Pourcefaire,ilsutilisenttoutcequ’ilspeuvent trouver.Desdocumentsanciens, imprimésoumanuscrits, lespapiers lesplusvariés,de l’écorce, lapeauhumaine,réponditSuleen.
Jerestaimuetteuninstant.–LavampirequiatuéKatePiersonestmonœuvre,confessai-jeensuite.Ilhochalentementlatête.–Commetul’asvucesoir,déclara-t-il,notrepassén’estpasimmuable.Ilnousdéfinit,ilpeutdéfairenotreavenir.J’exhalaibruyamment.–CommentfontlesAerispouravoirtantdepouvoir?Sont-ellesréellementcapablesdevoyagerdansletemps?
Auraient-ellespumerenvoyerdanslepassé?–Oui,jelecrois.Vois-tu,parcedécretparticulier,elless’efforcentderéparerlesdommagesquevousavezcausés.
Suleensemblaréfléchirunmomentàsespropresparoles,puisajouta:–LesAerisnesontpashumaines.Ellesn’ontpasdedésirshumains,etnevousveulentaucunmal.–Pourtant,ellesmepunissentdelamanièrelapluscruellequisoit:enmeséparantdeRhode.Suleeninspiraprofondément,cequim’étonna.Jeleregardaiinhaleralorsmêmequ’iln’auraitjamaisbesoind’air.
Cet air, il l’inspira, et en l’exhalant il le souffla vers le sol ; les grains de sable en furent dérangés demanièreinfinitésimaleetformèrentdesmotifs.
Lorsqu’il eut terminé, le contour d’un corps se dessinait, presque imperceptible, à nos pieds. Tel un fantômeargenté,lecorpsdeKategisaitsurleflanc,labouchegrandeouverte,exactementcommeJustinetmoil’avionsvuepourladernièrefois.
Leventforcit,maisl’apparitionluisaittoujourssurlesable.–IlsdisentqueRhodeetmoipouvonsnousparleretnoustouchermaisquenousnepouvonspasnousengager
l’unenversl’autre.Lemot«engager»restasuspenduquelquessecondesenl’air.–Oui,ils’agitlàdel’uniondesâmessœurs.Sivouschoisissezdeformerunevieensemble,sivouscédezàvotre
amourendépitdeleuravertissement,turetournerasauXVesiècleetRhodeauXIVe.Mavuesebrouilla: l’océann’étaitplusqu’unfouillisdelignestremblantes–jen’osaispascroiserleregardde
Suleenetjeserraileslèvres,fort.Desimagesdemapremièreviehumaineflottèrentdevantmesyeux:uncimetièredetombesanciennes,unelumièreouatéetraversantdescarreauxdeverreépais,desmoineschantantdanslanuit.
Le corps brumeux de Kate miroitait dans le clair de lune. Si je retournais au XVe siècle, comme m’en avaitmenacée l’Aeris, je n’y retrouverais aucun de ceux que j’aimais dans cemonde-ci. Pas de Vicken. Pas de Justin.Wickhamneseraitmêmepasencoreconstruit–pasdelycée,pasdeMainStreetàLoversBay.
MaisKatevivrait.EtTonyaussi.–Soisl’êtrehumainquetuvoulaisêtre.Prends-ytoutleplaisirpossible,meditSuleen.–Commentpourrais-jeêtrecethumainalorsquec’estsidangereux,ici?(Jecroisaisonregard,puissoupirai.)La
vampireblondeestcertainementrevenuepoursevenger.Ellesemblaitenchantéed’elle-mêmeetdesonmeurtre.Ilmevintàl’idée,alors,queSuleendevaitrester.Ilpouvaitm’aider!–Restez,dis-jesimplement.Sivousêtesici,aucunvampiren’oseraattaquer.Ilarboraituneexpressionquej’avaisdéjàvue,ilyavaittrès,trèslongtemps.Unesortedesollicitudepaternelle.
Unevaguededouleurrouladansmapoitrine.JevisualisaimonpèreetmamèredanslalumièreblanchedesAeris.Jenepouvaisqu’imaginercequemadisparitionavaitfaitàleursvies.
– Ton père n’était pas une victime, déclaraSuleen, qui semblait lire dansmes émotions et peut-être dansmespensées.
Jetombaiàgenouxetilmerejoignitausol.–Tuasfaitunchoixsurleterraindetiràl’arc,Lenah.–Jesais.– Tu sais donc que tu as choisi de rester ici, dans ce monde-ci. Cela signifie que tu dois en affronter les
conséquences,mêmes’iltefautpourcelacombattrecevampire.Jenevoulaispas.Jenepouvaispas.Passeule.–EtlesAeris?Nepeuvent-ellesrienfaire?–Aucunêtresurnatureln’ajamaisaccomplicequeRhodeettoiavezfait.Demêmequ’ellesnesesontpasmêlées
detonhistoireavecRhode,lesAerisnepeuventinterféreraveccettecréature.Laculpabilitém’envahit.Monseulespoir,désormais,étaitqueSuleenresteàmescôtés.Unefoisdeplus,illutenmoicommedansunlivreouvert.–Jenepeuxpas.(IlhésitaunmomentencontemplantlecorpsdeKateavantdereprendrelaparole.)Veux-tuque
jetedisepourquoilamagiedesélémentsestsipuissante?PourquoitonrituelafaitapparaîtrelesAeris?J’acquiesçaiensilence.–Lamagiedesélémentsestlamagiedelavie.Nous,lesvampires,prenonslavie.Telestnotretristesort.Plusla
magieestpuissante,plusellenousattire.–Pourquoi?–Toutemagiedérivedes éléments.Nous, les êtres surnaturels, l’avons fait apparaître, l’avons crééeparnotre
seuleforce.C’estpourquoi,lorsqu’unsortestjeté,desvampirespeuventlesentirs’ilssetrouventàproximité.Nousavonssoifdecettemagiecommenousavonssoifdesang.Ellenousrappellelepeudecontrôlequ’ilnousrestesurcemondequiavancesansnous.
–J’ignoraislesconséquences.–Biensûrquetulesignorais.EnmêmetempsqueSuleenparlait,jecomprisqu’ilavaitraison.Surlemoment,jen’avaispassongéuninstantà
lapuissancedurituel.J’avaisfaitpassermesdésirségoïstesavanttout.– Et cette femme vampire qui est venue à Lovers Bay les ignore tout autant. Ce qui l’attire, c’est la magie,
uniquementlamagie,ajouta-t-il.–Sivousnepouvezrienpourmoi,pourquoimerévélertoutcela?–Noussommesbienplusliésquetunelecrois.Meslèvress’entrouvrirent.–Commentça?–Jetel’expliqueraiuneautrefois.Pourl’instant,sachequejetetrouverailorsquetuaurasleplusbesoindemoi.Il se remitdeboutet tendit sapaumeouverteau-dessusdeKate. Il semblacaresser l’air, et le sable reprit son
aspectinitial.Nousregagnâmeslecampus,etSuleens’arrêtaavecmoiàl’entréedeSeekerHall.–Jetesuggèrederentrer,medit-il.–Jerisquelamort.Il scruta un instantmes traits, puis les commissures de ses lèvres remontèrent imperceptiblement. Juste assez
pourqu’uneombredesourireviennedanserdanssesyeux.–Pasunefillecommetoi…Jebattisdespaupières.Ilnefallutriendeplus.Encettefractiondeseconde, jemeretrouvaiseule.Iln’yavait
plus personne dans l’allée. Personne ne m’appela depuis la pelouse. Je n’avais plus autour de moi que le bruitpénétrantdusilence.
Chapitre5Je contemplaimon reflet dans les portes en verre demon bâtiment : une fille de seize ans. Presque dix-sept.
Commej’avaisrêvéd’enarriverlà!Cetteannée,j’allaisenfinvieillir.Maislehalld’entréen’avaitpaschangédepuisunan,etlagardiennehabituelleétaitassiseàsonbureau,dans
sonuniformebleu.Elleparlaitdansuntalkie-walkie.J’enregistraimonapparencedanslapénombrenocturne.Lemêmenezfin.Lesmêmescheveuxquim’arrivaienten
basdudos.Des jambes fineset longues,enbottesdecombatnoires.La lumièrechiche illuminaitmonhumanité.Auparavant,mapeaublancheetparfaitebrillaitdansleclairdelune.Elleseréparaitinstantanémentsiquelqu’unouquelquechoseosaitlameurtrir.Maisàprésent,mesmainsétaientcouvertesdegriffuresrouges.Tournantlatête,j’endécouvrisuneautre,pluspetite,surmajoue.C’étaientlespreuvesphysiquesqueJustinetmoiavionscouruàtraverslesroncesduboisdeWickhampendantlemeurtredeKate.
Justin.Jesoupirai.Toutes lesépreuvesde la soirée revenaient soudainpesersurmesépaules. J’allaisdevoirentreret
remonterchezmoi,seule.Jepoussailaporte.–LenahBeaudontevientd’arriver,annonçalagardiennedanssontalkie-walkieenbarrantmonnomsuruneliste.Alorsque j’approchaisde l’escalier,desvoixmeparvinrentducouloirdeschambresdurez-de-chaussée.Toutes
s’interrogeaientsurlaprésencedevéhiculesdepolicesurlecampus.«IlparaîtqueKatePiersonestmorte.»«D’abordTony,etmaintenantelle.»«Quelqu’unavuTracy?»J’écoutaicesmurmuresjusqu’audernierétage.Enouvrantlaportedemonappartement,jetrouvaiuncendrierde
verrenoirciparlesmégots,desassiettessalesdansl’évierettroisboîtesàpizzavidessurmatablebasse.Àcôté,uneflasqued’argentofferteàVickenparuncomtedanslesannées1890.Jelaramassaietl’ouvris,m’attendantàytrouver, comme d’habitude, une réserve de sang. Je flairai le goulot, mais au lieu de sentir l’odeur de rouillecaractéristique,jetombaisur…duwhisky?Jesecouailatêtesanspouvoirréprimerunsourire.
Pasdedoute,VickenCloughétaitbienredevenumortel.Jereposailaflasqueetmetournaiversmachambre;laporteétaitentrouverte.Jetraversailentement lesalon,
passant devant des piles de livres en désordre et un paquet de cigarettes vide. Lorsque je poussai la porte, songrincement résonnadans l’appartement.Là, sur le lit, où j’avaisun instanteupeurde trouverdescendresetdusang,iln’yavaitquedesdrapsfroissésetdeuxjeansenboule.Ressortantdelachambre,jeconstataiqueledécordusalonn’avaitpaschangédepuisquej’enétaispartie,quatrejoursplustôt.
Lalongueépéeaumur.Lecanapérouge.Leschandeliersdeferforgé,àmotifdebranchesépineuses.Uncoupfrappéà laporte!C’étaitsûrementJustin,revenuexigeruneexplicationaprèscequ’ilavaitvusur le
terraindetiràl’arc.Aumomentoùj’allaisouvrir,jeperçusducoindel’œilunmouvementsurlebalcon.–Uneseconde!criai-je.Jetraversaileparquetàpasdeloup.Mesorteilsserecourbèrentsurlabarredeseuilmétalliquedubalcon.Sur
lescarrelagesnoirs,desmilliersdefinesparticulesscintillaientdansleclairdelune.Etlà,aucentre,jedistinguaiencreuxlecontourd’uncorps.Moncorps.J’avaisdûmecoucherlàaprèsavoiraccomplilerituelpourVicken.Lesgrainsdoréss’étaientéparpilléstandisqu’onmesoulevaitetmeramenaitàl’intérieur.
Iln’existequetroisméthodespourtuerunvampire:lepieudanslecœur,ladécapitationetl’expositiondirecteauxrayonsdesoleil.Silamortsurvient,ilnelaissederrièreluiquelescendresdesaformesurnaturelle:c’étaientellesquejevoyaisdevantmoi,finesetcristallines.
Toctoc!–J’arrive!Jemeretournaivivementetallaiouvrir.Cen’étaitpasJustin.Unjeunehommeàlacheveluredelionetaumentonfiersepenchadansl’embrasure.–C’estpastroptôt!Tucroisquejen’aiqueçaàfaire,attendre?melança-t-il.Jeluisautaiaucou.–Vicken!–Oui,c’estcommeçaqu’onm’appelle.Ilmeserradanssesbras.J’eneuslachairdepoule:lesentirm’enlacer,l’entendrerespirerlemêmeairquemoi…
Cependant,jemedégageai.–MonDieu,Vicken!(Jeposailesdeuxmainssursesjoues.Sonfaroucheregardnoisetteseréchauffa.)Regarde-
toi!soupirai-je,admirative.Jepressaiunemaindanssondos, impatientedesentir sapoitrinesesouleveret retomber.Ce fut rapide,mais
indéniable:ilinhalavite,exhalatoutaussivite.Lerituelavaitfonctionné.Ilrespirait,pleinementhumain.Ilétaitofficiellementunex-vampire.–Bonjour,trèschère,dit-ilensereculantavecunsourire.Aprèsquoiilentrachezmoi,selaissatombersurmoncanapéetposasesbottesdecuirnoirsurlatablebasse.
Sescheveuxétaientvolontairementdécoiffés;ilserenversaenarrièredanslescoussinsetcroisalesmainsderrièresatête.C’étaittellementluiquej’eusànouveauenviedeleserrerdansmesbras.
–Tuasunemine…dedéterrée,constata-t-il.J’observaistoujourssesfinesépaulesetsoncorpssvelte.IlmesemblaitinimaginablequelesAerispuissentnous
envouloir,àRhodeetàmoi,d’avoirfaitcedondevie.Àlevoir,l’accomplissementdurituelparaissaitabsolumentjustifié.JemedemandaifugacementsilesAerisluiétaientaussiapparues.Caraprèstout,luiaussiavaitregagnélemondenaturelsansleurconsentement.Peut-êtreétaient-ellesvenueslevoiretl’avaient-ellesmenacédelerenvoyerauXIXesiècle.
–Vicken,as-tuvulesAeris?Àcesmots,ilserembrunit.–Commentça,vulesAeris?Tuveuxdirequ’ellesexistentvraiment?Ainsi,Suleenavaitraison.LesAerisnesemanifestaientpasauxvampirespourleurreprocherleursforfaits.Elles
nes’étaientdéplacéesquepourRhodeetmoi.Ellesvoulaientfaireunexempleavecnous.JeracontaiàVickencequej’avaisvuetentendusurleterraindetiràl’arc.JeluidisaussiqueRhodes’étaitenfui
enlaissantmesquestionssansréponse.–Touts’explique,commentaVickenavecunricanementsarcastique.–Commentça?–J’étaisici,danstachambre,toutàl’heure.Rhodes’estpointé,aprissonsacetm’aditqu’ildevaitpartir.–T’a-t-ilditoùilallait?–Non.J’aivoululesuivre,maisquandjesuissorti,lecampusétaitsensdessusdessous.Desvoituresdepolice,
dessirènes,desambulances…Commejenesuispasencorevraimentautoriséàêtreici,jemesuisfaitdiscret.Ques’est-ilpassé?
Jemeredressai,embarrassée,etneluirépondispastoutdesuite.Lesquatrejourspendantlesquelsj’étaisrestéeàl’hôpital,Rhodelesauraitdoncpassésdansmachambre,alors
que je le croyais mort ? Pendant toute l’année qui venait de s’écouler, il avait bien existé quelque part dans lemonde…maissansmoi.
Jepoussaiungémissement.Commec’étaitétrangedemetenirlà,àprésent,àcontemplersonépéeetnosphotossansavoircegouffredechagrindansleventre…L’appartementétaitlemême,maistoutleresteavaitchangé.
–Oh,aufait!ditVicken,interrompantmespensées.Ilse levaetplongea lamaindans lapochedeson jean.Sesdoigtsserefermèrentsurquelquechoseque jene
voyaispas,aprèsquoiillesrouvrit.–C’estpourtoi.Unebaguetombadansmapaume.Mabagueenonyx.–Jel’aitrouvéesurlebalconaprès…aprèsmonréveil,précisaVicken.Tun’étaispluslà.D’aprèslalégende,l’onyxavaitlepouvoirderetenirlesespritslorsqu’ilserraientdansunmondequinevoulait
plusd’eux.JesongeaiimmédiatementàRhodemetenantlamainpendantnotrelonguepromenadedansmonverger,tantd’annéesauparavant.Jetentaidechasserdemespenséescequ’ilm’avaitditsurleterraindetiràl’arc,maissesparolesrevinrentnéanmoinss’insinuerdansmatête…«Jenevoulaispasrevenir.Onm’yaobligé.»
–Désoléedenepasavoirétélàpourtoi,dis-jeenmeraclantlagorgeetenpassantlabagueàmondoigt.Justinm’aamenéeàl’hôpitalaprèslerituel.
–C’estbienlesmortels,ça…,grommelaVicken.Alorsqu’ilt’auraitsuffid’unpeude…–…d’eaudelavande,complétai-jepourlui.Nous partageâmes un sourire. Je ne pouvais détacher les yeux de ma bague d’onyx. Je me concentrai sur sa
surfacelisseetnoire.Lapierren’avaitpasdefin,pasdecommencement,etpasunéclairdelumièreenelle.Rienquedunoir.
–Disdonc!ditVicken.Tuaslesmainsquitremblent.–Ahoui?Jem’assisdanslecanapéetposaimatêteentreelles.–Cen’estpasàcausedemoi,j’espère?continua-t-il.Jeviensderevenir,tunepeuxquandmêmepasdéjàm’en
vouloir.(Jerelevailesyeuxverslui.)Sérieusement…qu’est-cequetuas?–Toutcechaossurlecampus,c’estàcaused’unmeurtre.Uneélèveaétéassassinéecesoir.Parunvampire.–Quelqu’unqu’onconnaît?– Oui, je l’ai reconnue. Tu te souviens de la bonne d’Hathersage ? En 1910 ? Je n’arrive pas à retrouver son
prénom.–Elleétaitseule?–Àmaconnaissance,oui.Jen’aivupersonned’autre,entoutcas.Posantmescoudessurmesgenoux,jecherchaiuneréponsedanslesyeuxdeVicken.Luisauraitquoifaire.Ilavait
étéundesmeneursdemoncercle.Comme il ne proposait rien, je me levai et m’approchai de la porte-fenêtre donnant sur le balcon. Dehors, je
contemplai lescintillementde la lunesur lesrestesdemoncorpsdevampire…étrangedépouille,pouruneviesisombreetsivide.
JerepensaiàRhodes’enfuyant loindemoi,etunélancementdedouleurmetransperça.Malgrétout, j’espéraisqu’ilétaitensécurité,oùqu’ilfût.
Vickenvintmerejoindre.–Nousn’avonsavertipersonne.Personnedanslemondevampiriquenesavaitquenousvenionstechercher,dit-il
enparlantdemoncercle,arrivéquelquessemainesplustôtàWickham.MaislesparolesdeSuleenrésonnaientencoredansmatête.–Non,cen’estpasvotrefaute.C’estlerituelquiaattirécettefemmevampireici.Ilsetournaversmoi:visiblement,unepenséeprenaitformedanssatête.Jevoyaisl’enthousiasmemonterdans
sonregard.–Sic’estça,ellevasansdouteresterdanslesparages.Attendredevoirquiestl’auteurd’unetellemagie.–Tupeuxcompterlà-dessus.–Allons-y,lâcha-t-ilalorsenretraversantlapièce.–Commentça,«allons-y»?As-tulamoindreidéedecequej’aiendurécesoir?–Àd’autres!Allonslatrouver.Voyonsàquinousavonsaffaire.Etvoyonssielleestaccompagnée.–OK,tuesofficiellementdevenudingue.Lerituelt’adétruitlacervelle.–Unepetitepartiedechasse,c’esttout!Justepourvoircommentçaseprésente.–Maintenant?Cesoir?J’étais absolument épuisée, vraiment, mais quelque chose, dans l’idée de Vicken, envoyait tout de même des
déchargesd’adrénalinedansmesmuscles.–Etpourquoipas?demanda-t-il.Ellevientdetueruneélève.Tupréfèresresterlesbrascroisésenattendantla
suite?
Jedevaisreconnaîtrequ’iln’avaitpastort.Enrevanche,ilfallaitgarderlatêtefroideetaborderleproblèmeaveclogique.
–Nousn’avonspasSongniHeathavecnous.Pasdecercle.Noussommesdeshumains,sansrenfortsnipouvoirssurnaturels,dis-je.
–Faux.J’aitoujoursmavuevampiriqueetmesPES–mesperceptionsextrasensorielles.S’ilyadesvampiresdanslesparages,jelesentirai,etjecomprendraileursintentions.
Maisoui,c’étaitvrai!Vickenavaitencorequelquespouvoirsvampiriques,parcequesatransformationétaittouterécente.Ilyverraitaussibienqu’unvampireetpouvaitencorecomptersursonsixièmesens:ilsauraitpercevoirlesémotionsetlesintentionsd’autrui.
–Alorsc’estparti!lançai-jeensortantdel’appartement.–Disdonc,toi!Nefaispascommesic’étaittonidée,enplus!plaisanta-t-ilenfermantderrièrenous.
Dehors,prèsdelabibliothèque,unfourgondevigilesroulaitverslachapelle.Vickenm’indiquadugestelazoneboisée.–Go!chuchota-t-il.Etilfiladansl’ombre,surl’allée,enrestantprochedesbâtiments.Bifurquantàlahauteurdel’infirmerie,nous
courûmes sur toute sa longueur en direction des arbres qui s’élevaient derrière. Je ne distinguais pas le murd’enceinte,mais jesavaisqu’ilétait là.LespasdeVickenfaisaientéchoauxmiens,et lorsque je lui jetaiuncoupd’œil,unpetitsourirejouaitsurseslèvres.
–Toutcelat’amuseunpeutrop,grondai-jeentremesdents.Nous atteignîmes le mur, qui était aussi haut que Vicken. Celui-ci cala une de ses bottes entre les pierres
irrégulièresetsehissa,puismetiraderrièrelui.Noussautâmesdel’autrecôté,atterrissantdansMainStreet.Àprésentquej’étaisàdécouvert,horsducampus,l’opérationm’apparaissaitcommecomplètementidiote.Vicken
etmoin’avionspris aucuneprécaution.Nousaurionsaumoinspuprotégernotre couà l’aided’unpetit sort, ouessayertoutunéventaildesortilègespournousarmer.
J’inspiraiàfondenobservantMainStreetdanssalongueur.–Jepeuxyarriver,dis-jeentendantlamainàVicken.Jenemedébrouillepastropmalaucouteau.–Enfin,jeteretrouve!Sur ces mots, il se baissa vers sa botte, dont il sortit un poignard rangé dans son fourreau de cuir. Nous
poursuivîmesnotrecheminlelongdumur,laissantlelycéeetlescafésaniméspourrejoindrelecimetièredeLoversBay.
–Detoutemanière,ajoutaVicken,nousnesommeslàquepourvoircequ’elleveut.Pourobserver.Sinousrestonsdiscrets,nousn’auronspasànousbattre.
Jenepouvaispasavoirpeur,bienqu’ellesoitpluspuissantequenous.Nousn’étionspasdémunis.Lesvampiresn’avaientpasuneforceouunerapiditéexceptionnelles.Ilsétaientsimplementhypersensiblesàleurenvironnement:ilspouvaientflairerdelachairenuninstant,déchiffrerlespenséesetlesintentions,oumêmetraquerquelqu’unàdeskilomètres.Vickenetmoiserionscapablesdebattrel’und’entreeuxàlacoursesic’étaitsurunebrèvedistance,maislemanquedesoufflefiniraitfatalementparnousaffaiblir.Ilnousfallaitdoncdemeurerinvisiblesettoutfairepourqu’elleneserendepascomptedenotreprésence.
Jemesentaisdéjàmieux. J’avaisétéunevampiresouverainependantpresquesixcentsans : jeconnaissais lesvampires. J’en savais bien plus qu’elle, qui avait à peine un siècle d’âge. Les vampires étaient des solitaires denature.Engénéral, ilsnevoyageaientpasàplusdecinq : l’effectifd’uncercle.Tropdevampiresensemble,celarevenait à trop de vampires se disputant le pouvoir. Nous dépassâmes le cimetière et continuâmes sur lamêmeroute.Nousflairionsleparfumdel’océandevantnous.
–Tunesenspasquelquechose?demandai-jeàVicken.–Tatrouille!semoqua-t-ilavecunsouriredémoniaque.Maiscesouriredisparutaussitôt.Ilinhalaprofondément.Jel’imitai.Carquelquechoseavaitchangédansl’air.Unebriselégères’étaitlevée,apportantavecelleuneodeurde…–Musc.Nousavionsparléenmêmetemps.Lemuscétaitunefragrancetrèsparticulière,quientraitdanslacomposition
denombreuxsortilèges.–Çavientd’où?demandai-je.Ildésignaleboutdelarue.Unenouvellebourrasquepassasurnous:l’odeurétaitplusforte,cettefois.JetouchailebrasdeVicken.–Quellessontlesprobabilités?–Assezhautes,enfait.Tul’asdittoi-même,murmura-t-il.C’estbienlerituelquil’aattiréeici.J’inhalaiànouveaulaforteodeurmusquéeetlevailesyeuxversleciel.Justeau-dessusdenoussedéployaitune
constellationquejeconnaissaistrèsbien.–Pégase.Monvieilami.Lechevalailé. J’échangeaiavecVickenunregardentendu.Lesvampiresobservaientsaposition
danslecielpourévaluerletempsrestantavantleleverdusoleil.Ilétaitpresqueminuit,uneheurepuissantepourunecréaturejetantunsort.Bienquenousfussionsmortels,j’espéraisquelaconstellationnousdonneraitunpeudeforce.
Le parfum s’accompagnait à présent d’un relent de terre et de vanille. Il s’intensifia ; ce n’était pas unmuscordinaire,ilyavaitlàautrechose.J’avaisdéjàflairécemélange.
–Biensûr,dis-je,comprenantsoudain.Cemuscestchauffésurunfeu.Tunesenspaslebois?J’yavaisdéjàeurecoursavecHeath,Gavin,SongetVicken.Lesortd’annonciationétaitutilisépourcimenterun
cercle,pourliersesmembresàjamais.Àjamais.–Etildoitêtreaccompliavantminuitsuruneplage.Illeurfautdel’eaudemer.C’estavecunedéterminationrenouveléequejecourusversleboutdelarue.– C’est pour ça qu’elle a tuéKate. Elle avait besoin d’être rassasiée pour pouvoir partager son sang avec son
cercle,continuai-je,essoufflée.–Oui, jeme rappelle, répondit Vicken d’une voix inquiète enme suivant vers la grève. (L’odeur demusc était
presquesuffocante,àprésent.)Écoute,s’ilsnesontqu’unoudeux,onpourralespoignarderenpleincœur.Enfinirenvitesse.Sorstoncouteau.
Jelefisglisserdemabotte,etmesdoigtsserefermèrentsurlemanche.Vickenm’attrapalepoignetetm’attiradansl’ombre,aubordd’unpetitparking.
Sonprofilétaitsérieuxlorsqu’ilsetournaverslamer.–Viens,mesouffla-t-il.Jelesuivis,accroupie,ettraversaiavecluileparkingpourrejoindreladiguequinousséparaitdusable.
Vickensebaissaetsepenchaenavant.–Stop,chuchotai-je.Ilsvontsentirnotreprésence.–Pass’ilssontenpleinecérémonie.Ils’avançainsensiblementpourregarderpar-dessusladigue.Puisrestaparfaitementimmobile.Lesuspenseétait
insoutenable.–Alors?Ilserassitsursestalons.Dansleclairdelune,ilobservalesenvironsavantdeparlercalmement.–Ilssontcinq.Quatrehommesetlafemme.Sans le lâcher, jemeplaçaidemanièreàpouvoirregarder.Avecmapauvrevuehumaine, jenedistinguaisque
cinq silhouettes, comme l’avait annoncé Vicken. Un feu brûlait au centre du cercle et de minuscules étincelless’envolaientdanslesténèbres.Jehumaiuneodeurdemuscetd’encens.
C’étaitterminé.Elleavaituncercle.Sousmesyeux,elletournalatête;lafaiblelueurdelalunesoulignaitsonprofil.Elleavaitunpetitnezretroussé
et les clavicules saillantes, comme si elle avait été sous-alimentée avant de devenir vampire. Elle pivota sur sestalonspourmefaireface,etpointaledoigtdroitsurmoi.
–Cours!dis-jeenreculant,paniquée.Vicken,cours!
Jepoussai lescapacitésdemoncorpsà l’extrêmeenfonçantsurMainStreetpourrejoindre lacivilisation.Mesjambes,mespauvresjambes,tremblaientsifortquesansl’imagementaledubrasdelafemmevampiretenduversmoi, jemeseraiseffondréeausol.Cescheveuxblonds, lacourbefamilièredecenez…Commentavait-ellepumeretrouver?Ici,àLoversBay?
Cours,Lenah.Arrêtedepenseretcours.Si nous parvenions jusqu’à un lieu fréquenté, nous serions sauvés, dumoins provisoirement. Les vampires ne
s’exposaient pas aux masses humaines. Mais elle n’abandonnerait pas pour autant. Elle m’avait vue. Moi, sacréatrice.
Comments’appelait-elle,déjà?–Ici,ici!lançaVicken,s’arrêtantendérapantdansuneportiondelaruequin’avaitpourtantriendeparticulierà
premièrevue.Il entreprit d’escalader un mur de pierre, et je compris qu’il savait précisément où nous étions, grâce à la
persistancedesavuevampirique.Jevérifiaidenouveauquepersonnenenoussuivait.Parchance,larueétaitdéserte.Ilmetenditlamainetm’aidaàfranchirlemuraveclui.Unefoisretombéesurl’herbedeWickham,jemesentis
unpeurassérénée.Nousretraversâmesleboispourrejoindrelecampus,maisnousarrêtâmesunpeuavantl’alléeprincipale.
–Attends,meditVickenentendantunbraspourmeretenir.Unfourgondepolicepassa,nousincitantàreculerdansl’ombre.Unefoisquenousfûmesensécuritédanslenoir,
ilmedemanda:–Pourquoies-tupartieainsicommeuneflèche?Ilst’ontvue?Jetâchaistoujoursdereprendremonsouffle.–Évidemment!–Alorsrestonsàl’arrièredesbâtiments.Onyseramieuxcachés.NousnousrapprochionsdeSeekerHall.–Elles’appelaitAva,lâchasoudainVicken.Unefoisquetul’astransformée,ellen’estpasrestéelongtempsdans
lesparages.Elleestpartiepeuaprèsledébutdetonhibernation.Àmesurequenouscheminions,j’aperçusl’arrièredubâtimentCurie,puislaserre.–Ava?(Prononcétouthaut,ceprénomavaitquelquechosed’étrange,d’étranger.)Jenemesouvienspasdeça.Enrevanche,jemesouvenaisbiendesestraits.Jen’oubliaisjamaislevisagedeceuxquejetuais.–Sic’estbien lapuissancedu rituelqui l’aattiréeàLoversBay,alorselleest làpour trouvercettemagiedes
éléments.Ellelaveutpourelle-même.Jen’avaisnulbesoind’expliqueràVickenqu’elleavaitsoifdepouvoir.–Bah,nousn’avonspasl’intentionderefairedelamagieavantlongtemps:elles’enirapeut-êtreenconstatant
quel’occasionneseprésenteplus.J’espérais qu’il disait vrai, mais j’ignorais tout des intentions d’Ava. En revanche, planquée avec lui derrière
l’infirmerie, jesavaisunechose: laprioriténuméround’unvampire,c’est lesang.Ensecondsur la listevient lepouvoir.SiAvadésiraitdécouvrirlasourcedelamagiedurituel,c’estqu’elleavaitunplan.Lesvampiresenavaienttoujoursun.
Nousrejoignîmesencourant lebâtimentHopper,quiétaitprochedeSeekerHall.Noushésitâmespendantquedeux policiers municipaux patrouillaient devant nous. Je cherchai des yeux mon balcon, au troisième et dernierétage.Lebalconoùj’avaisconclulerituel.
Jem’efforçaisd’ignorercettevoixdansmatête,cellequimehantaitdepuisqu’Avaavaittenduledoigtpourmedésigner,surlaplageplongéedanslanuit.
Avareviendra.
Chapitre6J’observailonguementl’épéeaccrochéeaumur.Puisjeposaimonvisageentremesmainsetm’assissurlecanapé,
lesjambesremontéessousmoi.J’analysailefinrefletdemoncorpsdanslemétaldelalonguelame.Combiendefoisavais-je interrogé du regard cette surface argentée, combien de fois lui avais-je demandé comment survivre sansmonRhode?Combiendefoisavais-jedûdétournerlesyeux,parcequec’étaittoutsimplementinsupportable?
Et puis j’avais rencontré Justin, qui m’avait aidée à remonter des profondeurs du désespoir et à retrouver lalumière.
Deuxjourss’étaientécoulésdepuisqueVickenetmoiavionsdécouvertlesvampiressurlaplage.Nousnenousaventurionsplushorsducampusàlanuittombée.Etj’avaisbeauétudiercettelongueépée,chercherdesréponsesdanssonmiroir insondable, jene trouvaisrien.PourquoiRhodeétait-il restési longtemps loindemoiaprèsavoirsurvécuaurituel?Unrituelqu’ilavaitaccomplipourmepermettred’êtrehumaine?
Maseulecertitudeétaitquenosâmesnousavaientrattachésàlaterre.Pendantdeuxjours,traumatiséeparsonnouvelabandon,j’avaisfaitjenesaiscombiend’allersetretoursentrele
terraindetiràl’arcetmonappartement.Jecherchaisdesindiceslàoùj’avaisvulesAeris.Maisj’avaisbeauresterdesheuresassisedansl’herbe,jen’apprenaisrien.Deuxjoursdurant,jem’étaisdemandé:Oùest-il?Oùs’était-ilcachépendantl’annéeoùjel’avaiscrumort?Jen’avaisaucuneréponse,etRhodenerevenaittoujourspas.
Deuxjoursdevinrentdeuxsemaines.
L’étépassaenunclind’œil.Pourtuerletemps,jem’étaisinscriteàdescoursd’été.Àprésentqueladatedela
rentréeapprochait, jemesurprenaisàbarrerles jourssurmoncalendrier.Le31août, jedécidaidefaireunpetitvoyage.Les internesdevaientreveniràWickhamlesurlendemain,et jen’avaispasvuJustinnises frèresdetoutl’été.
Pasunelettre.Pasune-mail.J’avaistentédelejoindreautéléphone,envain.Troisjoursavantlarentrée,jeprismavoitureauxauroresetmerendischezlesparentsdeJustin,dansleRhode
Island.J’avaislafermeintentiondem’expliquer.Illeméritait.Jerépétaimondiscourspendantl’heurederoute.Enm’engageantdanssarue,jebaissaimavitre.Unebrisefraîches’engouffradansl’habitacleetmecaressalesjoues.Les grosses demeures semblaient endormies en cette matinée de fin d’été. Les arroseuses n’étaient même pasencoreallumées.
Jedescendisdevoitureetobservailamaisondepuisl’alléed’accès.Ladernièrefoisquej’étaisvenue,c’étaitpourHalloween.Àprésent, lesarbresétaientcouvertsde feuillesvertsombre. J’associaiscettedemeureàdescookiessortantdufour,àdedélicieuxrepasmaison,etàdesmainsdoucessurmapeau.Àtoutinstant,jem’attendaisàvoirlafenêtredelacuisines’illuminer:lamèredeJustinselevaittôt.Savait-ellequenousn’avionspaséchangéunmotdetoutl’été?M’accueillerait-ellechezelle?
Commentexpliqueràquelpointjem’envoulais?Allez,encoreunerépétition.«Justin,medis-jeàvoixhaute.C’estunmalentendu.Quandj’aivuRhode,j’aiété…priseparsurprise.»Soudain,unverroucliqueta;laportes’ouvrit.Levantlementon,j’aperçusJustin,torsenu,enbasdesurvêtement
oùétaitmarquéWICKHAMsurlalongueurdelajambe.Ilplissalespaupières.Lemomentétaitvenu.J’allaistoutluidire.Illefallait.Ilsehissasurlapointedespiedspourtenterdemevoirpar-dessusunmassifd’hortensias.–Lenah?Jefispasserlepoidsdemoncorpsd’unpiedsurl’autre.Moncœurpeinaitàtrouverunrythmeconfortable.Jene
pouvais toutdemêmepascrier :«Désolée !»à travers lapelouse. Jecommençaiàremonter l’allée,maisce futinutile.
Laporteclaquaderrièrelui.
–Ilyaunechosequejenecomprendspas,meditVickenlelendemainsoir.Nous étions toujours soucieux de ne pas traîner inutilement dehors,mais il nous restait deux heures avant le
coucherdusoleil.Nousavionsorganisénosjournéesainsipendanttoutl’été.Sixheuresvenaientdesonneretnousétionschezl’herboristedeLoversBay,auboutdeMainStreet.
–Pourquoifaut-ilquenousrestionsici?Obligésdenousterrerlanuitpournepastombersurunvampirequetuascrééilyaplusd’unsiècle?Aucasoùtul’auraisoublié,nousavonsunchâteauàHathersage.D’ailleurs,nousavonstuédestasdegenslà-bas.
–Oui,etilyadeschancespourquenotredemeureaitétéenvahiepardesvampiresennotreabsence.–Nousavonsdel’argent.AllonsàParis!Histoiredeboiredubonvin,denousdétendreunpeu.–Tusaisbienpourquoijenepeuxpaspartir.Jesoulevaiunbocaldejasminséché.Çapeuttoujoursservir:j’enfistomberunpeudansunsachetenpapier.–Jenepeuxpasm’enalleralorsqueKateaététuée,continuai-je.Alorsquejemesensterriblementresponsable.–C’estpeut-êtreunesimplecoïncidence.Celafaitunboutdetemps,maintenant,quetuasaccomplilerituel.Si
çasetrouve,cesvampiressontarrivésenville,ontboulottétamalheureuseamieetsontrepartistoutdesuiteaprès.Tirons-nousd’ici,jetedis.OnpourraretrouverRhodeparnous-mêmes.Ilnepeutpasêtrebiendifficileàdébusquer.Yeuxbleus,sourcilsfroncés,airarrogant…
–Onreste.Jeposaimesarticlessur lecomptoir. JenementionnaipasàVickenquesi jenevoulaispasquitterLoversBay,
c’étaitparcequej’yavaisdesracines.J’yétaischezmoi,désormais.–Tusais,cen’estpasparcequetuasétéreinependantquelquescentainesd’annéesquetul’estoujours.L’herboristeavaitdisparuderrièreunrideaupourallermechercherunpeudepattesdetriton.Jeposaiunbillet
devingtdollarssurlecomptoirenattendantsonretour.Vicken examina des cristaux sur l’étagère la plus basse du meuble, puis se releva lentement en marmonnant
quelquechoseentresesdents.–Peaud’albâtre,délicate.Entantqu’humaine,elleestsifrêle…faciledeluibriserlecou.Unpicotement inquiétantm’envahitprogressivement. Je lui jetaiunrapidecoupd’œil. Ilregardait fixementau-
delàducomptoir,lesyeuxécarquillés.–Jeprendraimontempspourluipomperlesang,dit-il.Ses intonationsétaientnouvelles, féminines,presquereptiliennes.Ilparlaità laplacedequelqu’und’autre:un
phénomènequiseproduisaitlorsqu’untiersexploitaitlesperceptionsextrasensoriellesdesvampires.–Ceseraplusfaciled’avoirLenahsielleestseule,siffla-t-ilencore.Puisilreculad’unpas.–Lenah,melança-t-ildesonhabituellevoixrauque.Va-t’en.Toutdesuite.La femmequi réapparutderrière lecomptoiravaitde longuesbouclesblondes,quiserecourbaientdemanière
parfaitesursonchemisier.Cen’étaitpasl’herboriste.Sapeauétaitanormalementlisseetpâle.Sonregard,vitreux.Levertjadedesesirisn’étaitpasnaturel.
Ava.Ungrincementdéchirants’élevaducomptoir.Unemainblanche,auxongleseffiléscommedesrasoirs,sereferma
telleuneserresurmonbillet.C’étaientcesonglesécarlatesquigrinçaientsurleverreluisantdumeuble.Avaessuyaunegouttelettedesangaucoindesabouche.–Toutsepassebien?demanda-t-elle.Elleseléchaleslèvresetfitlagrimace.–Beuh.Elleétaitgrassecommeuncochon.Mevoilàrassasiéepourplusieursjours,déclara-t-elle.Et,d’ungestefluide,ellebonditsurlecomptoir.–Ehbien,ehbien…,ajouta-t-elleennousregardantdehaut.Serrantlesacenpapierdansmonpoing,jereculaiavecVickenverslaporte.–LenahBeaudonte.Lareine.Quireculedevantmoi?Dusanggouttaitdesonmentoncommeduvinsurlebordd’unecoupe.Vickendégainavivementsonpoignardets’interposadevantmoi.Avasautaausolàquelquescentimètresde la
lame.Sonregardallaitdeluiàmoi,demoiàlui.–Trèsbien,missBeaudonte.Jevoisquevotrerituelfonctionne.Unehumaineparfaite.Monsangmebattaitauxoreillesetdanslagorge.Vickenbrandissaittoujourssonpoignarddevantlui.J’entendis
alorsungémissementquimontaitdederrièrelecomptoir.L’herboristeétaittoujoursenvie.–Situveuxmourir,jet’enprie,approche,ditVickenàlafemmevampire.Elleinclinalatêtesurlecôtéetlegratifiad’unsourirelugubre.–J’aitoujoursadmirétamajesté,Lenah,dit-elleenléchantlesangsursonmenton.Ettonappétencepourlemal.Unebouleénormemebarraitlagorge.–Tonamie…Kate,c’estbiencela?Elleatentédefuirenrampantdevantmoi.Descris,dessuppliques…c’était
tellementamusant!VickenseprécipitasurAva,avançantsamainpourluienfoncersalameenpleincœur.Maiselledonnauncoupde
piedetlepoignards’envolaenarcdecercleavantdeclaquersurlesoldur.–BonDieu!crachaVickenensejetantparterrepourrattrapersonarme.Lavampire,mentonrentré,plongeasonregarddanslemien.Elleouvritlabouche,découvrantsescrocs.Lorsquelesmembresdemoncercleétaientvenusmechercher,desmoisplustôt,etlorsquejelesavaistuésdans
legymnase,jen’avaispascompris.C’estàcemomentprécis,tandisquelesangbouillonnaitdansmoncœur,quejepris pleinement conscience de ce qu’était l’humanité. J’en étais gorgée. Et elle avait besoin de sang. J’étais laprochainesurlaliste.Ellevoulaitmeviderdemaforcevitale;jeneconnaissaisquetropbiencesentiment.Commej’avaisdésiré,jadis,pomperlesangàtraverscesdeuxpetitstrous,l’aspireràgrandstraitstandisquelaviequittaitlentementmaproie!
Je laissaitomberparterremonsachetd’herbeset levai lesmains,prêteàmedéfendre.Jemetournaideprofilpournepasluioffrirunecibletroplarge.Ellecourutàmoi,sesgriffestenduesenavant,et,seplaçantdeface,mefrappa en plein plexus solaire. Je fus précipitée contre le mur derrière moi. Des fioles brunes et noires sefracassèrent au sol. Quelques-unes me tombèrent dessus et répandirent leur contenu, tandis que les autres sebrisaientenmillemorceaux.Laforcedesoncoupmelabouraitencorelapoitrine.
Ava entoura alors Vicken de son bras, le souleva du sol et l’immobilisa par le cou. Les yeux de mon amicherchèrentlesmiensetnelesquittèrentplus.Illançadesruadespourselibérer.Sesdeuxpoingsseserrèrent.Lepoignardgisaitausol,inutile.
Je bondis alors et agrippai les doigts d’Ava. Je tirai dessus, brutalement,mais impossible de les bouger. J’étaiscommeunenfantessayantd’ouvrirunétau.J’essayaiencore.D’oùtirait-elleunetelleforce?
Ellesourit,etsescrocss’allongèrent.–Qu’est-cequec’estqueça?balbutiai-je.–Quellequestion!Elleserraplusfort,etVickengrimaçadedouleur.Avamerepoussadesonautremain,cequimefit l’effetd’un
coupd’enclumedansl’estomac.Jetombaicontreuneétagèredeflaconsquisefracassèrentàmespieds.Jeheurtailesoletsecouailatêtepourm’éclaircirlesidées.
Lapuissancedesoncoupavaitramollimesmuscles.Lorsquejelestouchaiduboutdesdoigts, ilssecrispèrentdouloureusement.
–Lenah.Donne-moilerituel,toutdesuite,m’ordonna-t-elle.LevisagedeVickenprenaituneinquiétantecouleurrouge.Mesyeuxeurentunvifmouvementverslecouteau.Je
meremisdeboutàl’instantmêmeoùVickenlevaitundesesgenoux.Ilabattitviolemmentsabottesurlepiedd’Avaqui,desurprise,lelâcha.Ilsedégagead’unbondetseruasurle
poignard.Ava,aulieudechercheràlerattraper,griffal’airdansmadirection.Jemebaissaietréussisàesquiversesongleseffilés,maisglissaisurleshuilesrépanduesparlesflaconsbrisés,etretombaidurementsurlesol.
Elleposaunpiedsurmapoitrine.Et elle appuya. Elle allait me casser une côte. Je me sentais terriblement oppressée. Derrière elle, Vicken se
relevait.Elleappuyaencore,justesousmagorge.Incapablederespirer,jetoussai.Ilfallaitquejerespire!
Vickenramassasonpoignard.–Jevaistuertesamisunàun,cracha-t-elleentresesdentsserrées.PourKate,çan’apastraîné.Pourlesautres,
ceseralentetdouloureux.Vickenabattitsoncouteau,maislavampirefutplusrapide.D’unbond,ellefutdanslarue.Vickenselançaàsapoursuiteentrébuchant,poignardaupoing,maiselleétait
déjàloin.Jecherchaimonsouffle,inspiraiàlonguesgoulées.Lesmainsserréessurmontorse,jefrictionnaimapeaulàoùlabottel’avaitécrasée.
«PourKate,çan’apastraîné.Pourlesautres,ceseralentetdouloureux.»–Vicken!dis-jeentoussantetenroulantsurleventrepourreprendremonsachetd’herbes.Puis jeme relevai parmi les éclats de verre en inhalant unmélange d’odeurs aussi diverses que la figue et le
patchouli. Vicken s’élançadans la rue,mais il ne pouvait pas concurrencer un vampire qui n’avait pas besoin desoufflepourcourir.Lorsquejesortisd’unpasencorechancelant,ilétaitaumilieudelachaussée.Nousnevoyionsplusquelachevelureblondeetlasilhouetteminced’Avadisparaissantdanslecrépuscule.
J’allai rejoindre Vicken à pas lents. Il cligna des yeux, scrutant les alentours pour voir s’il y avait d’autresvampires.Leseulmouvementperceptibleétaitceluidesnuagesquipassaientrapidementau-dessusdenostêtes.Ilrenifladeuxoutroisfoisettournalatêteversmoi.
–Tupues.–Jem’enétaisaperçue,répliquai-je.Machemiseétaitimbibéed’huilesessentielles.–Nousdevrionsretournervoircommentval’herboriste,dis-je.Saufquesiquelqu’unentreetnoussurprendavant
sonréveil,onseraimpliqués.–Jevaisyaller,proposaVicken.L’idiotiedeshumainsnemefaitpaspeur.(Ilsebaissapourremettresonpoignard
danssabotte.)Cettevampireétaitsacrémentrapide.Mêmeenlançantlecouteau,jen’auraispaspul’avoir.Ilsemblaitvouloirsejustifiervis-à-visdemoi.–Ellenenousapastués,remarque.Ilsepritl’épauleetsecrispasousladouleur.–Non,ellenenousapastués.Maiselleaessayédem’emmeneravecelle.–Elleveutlerituel.–Ça,j’avaiscompris,dit-ilenmereniflantànouveau.Attends-moiici,làoùjepeuxtevoir.Ettesentir.
–Bon,refaislegeste,meditVickenentirantsursacigarette.NousétionssurlaplagedeWickhametj’imitaislesmouvementsdeSuleenlorsdenotrerencontre,plustôtdans
l’été.–Ilabougélamain,commeça,etlecorpsdeKateestapparu?Insista-t-il.–Pastoutàfait.C’étaitplutôtuncontour.Commeunfantôme,situveux.Àprésent,cemomentmesemblaitvieuxdeplusieursmilliersd’années.Lesrubansjaunesetlespoliciersn’étaient
pluslà.Quelqu’unavaitratissélesable.Ratissé,nettoyé,effacétoutetracedemeurtre.–Jetel’aidit,continuai-je,lesautresnenousontpasremarqués.Nousétionsinvisibles.Vicken se leva et laissa tomber sa cigarette dans le sable tandis qu’un véhicule de surveillance du lycée
s’approchaitdelaplage.Lavitredelavoituredescenditetunvigilenoushéladanslapénombre.–Couvre-feudansvingtminutes!nouscria-t-il.–Merci!Auboutd’unmoment,jereprismonrécit.–Elleavaitcetteexpression…,dis-jeenmerappelantlepaslégerd’Avasurlaplage.Cetairassoiffédepouvoir.
Tusais,quandlafoliecommencetoutjusteàprendreledessus.JecessaidefairelescentpasetVickenallumauneautrecigarette.Ilsetenaitfaceàl’océan,dosaucampus.Surlechemin,unautreagentdesurveillance,plutôtrepletetbarbu,noushéla.–Eh,lesjeunes!Couvre-feudansunquartd’heure!Personnedehorsaprèsvingtetuneheures!nousrappela-t-il.Lorsqu’ils arriveraient au lycéedans les jours à venir, les élèves allaient le trouverbien changé.En sortant ce
matin-là, nous avions vu une équipe d’ouvriers installer un épais portail métallique entre les deux hauts piliersgothiquesdel’entrée.
Etànotreretour,dansl’après-midi,unvigileétaitassisdanslaguéritedel’accueil.Guéritequiétaitrestéevidependanttoutel’annéequej’avaispasséeàWickham.
Etmaintenant,surlaplage,unautresurveillantmontaitlagarde.J’allairejoindreVickenauborddel’eau.–Commentallons-nousfairepournousprotégers’ilssontcinq?demandai-je.Jen’aipluslepouvoirdeprojeter
desrayonsdesoleil,moi!Vickengardalesilenceuninstantavantdemerépondre.–C’estça,justement,pasvrai?marmonna-t-ilcommepourlui-même.Ilfautseservirdesrayonsdusoleil.–Çadépend.Elleétaitassezfortepourtesoulever,tereteniretteparalyser.Nousneconnaissonspasl’étendue
desespouvoirs.Etelleétaitdehorsavantlanuit.– Le soleil allait se coucher. Et peut-être qu’elle est simplement très musclée. Nous ne connaissons pas ses
pouvoirs,eneffet : ilvadoncfalloir lapousseràsortir,histoiredesavoiràquinousavonsaffaire. Jevais fouinerpourrecueillirunpeuplusd’informations.
–Soisprudent.TesPESn’ontpasdutoutdisparu?J’espérais bien qu’il avait conservé quelques-unes de ses prérogatives vampiriquesmalgré la transformation. Il
secouanégativementlatête.Commelui,aprèslerituel,jen’avaisconservédemonexistencedevampirequemavueet mes perceptions. Impossible de dire quand tout cela s’estomperait chez lui, mais chez moi, en tout cas, jeconstatais que cela faiblissait de plus en plus. Plus longtemps il garderait ces facultés, plus décisif serait notreavantage.NousreprîmeslechemindeSeekerHall.
Vickenregagnasondortoir,etmoimachambre. J’allumaialorsunebougieblanchesurma tablebasse.Puis jem’étendis confortablement dans le canapé pour regarder la flamme danser et vaciller. La lumière devint un halodoré.Jeposaimatêtesurl’accoudoiretmelaissaibercerparcefeufollet.Alorsquejem’assoupissais,desimagesdeJustinclaquantdesportes,deJustinmecriantaprèsdevanttoutlemonde,s’attardèrentdansmespensées.Puisd’autres visions cauchemardesques apparurent : Justin faisant la course dans son hors-bord et fonçant avec surRhode,quigisaitsurlarive,incapabledesedéfendre.
Ensuite,d’autresimagesencore.Jemarchesuruncheminquejeconnais.JesuisàWickham.Ilyadesbâtimentsenbriquecouvertsdeneigesale.
Pasd’élèves.Lesfenêtressontcondamnées,lefoyerdésert.JeprendslechemindelaplagedeWickham.
Jedemandedanslevide:«Oùsuis-je?»,etsoudain,jenesuisplusseule.Suleenestapparuàmescôtés.Nousmarchonsdanslaneige,toujoursendirectiondelaplage.Surlesable,lesvestigescarbonisésd’unevieillebarqueoubliée.Les fenêtres dudortoirQuartz sont noires, abandonnées. Personnen’y entre ni n’en sort, personnene se hâte
d’allerencours,ungobeletdecaféàlamain.Wickhamestsombre,mort.Unevillefantôme.–Est-celefutur?–Ceciestl’avenirdeWickhamsijamaisAvaselivreaurituel,merépondSuleen.Unêtreaussimaléfiquenepeut
pasdéversersesintentionsdansunrituelsipuissantsansconséquencesnéfastes.Elledétruira…tout.Jem’arrêtenet,lesoufflecoupé,cingléeparl’airhivernal.Jemeredressaid’unseulcoupsurlecanapé,posailesmainssurmescuissesettâchaidecalmermarespiration
affolée.Jemefigeaiuninstant:leboutdemonnezétaitglacé.Commesijevenaisdemepromenerdehorsparunjourdeneige.
–Suleen?appelai-jetouthaut.Suleen?Jepivotaiàdroiteetàgauchepourlechercherdesyeux,maiscen’étaitqu’unrêve.Etjerestaiseule.
Chapitre7Unocéandenoir.Destee-shirtsnoirs.Desrobesnoires.Desjupesnoires.Desbottesnoires.Toutétaitnoir,danscettependerie.Jesavaisbienquejen’avaisportéquecelaaucoursdel’annéepassée,mais…–Jen’aipasunefringuequinesoitpasnoire?demandai-jeàmonplacard.Lesgensavaientdéjàbienassezderaisonsdemeregardercommeunebêtecurieuse:j’avaisdisparupendantsix
moisàlafindel’annéeprécédente;monmeilleurami,Tony,étaitmort;etj’étaisderetoursansexplication.QuevontdireTracyetClaudia?medemandai-je,unejupenoireàlamain.EllesallaientforcémentposerdesquestionsetvouloirparlerdeKate, la troisièmeduTrio,quin’étaitplusparminous. Je sortisunhautnoiretun jeannoirduplacard.Etcessaiuninstantderespirer.Tracyetmoiserions-nousamiescetteannée,àprésentqueTonyn’étaitpluslà?
Jesoupiraiettentaid’effacermonrêvedelanuit.Lerègned’Ava,sijamaiselleaccomplissaitlerituel,feraitdeWickhamunlieudedésolation.Unenfer,désertéparceuxquej’aimais,oùiln’yauraitplusniJustinniRhode.Bonjour,pensai-jeentenantlehautdevantmoi.Jem’appelleLenahBeaudonte.Jenem’habillequ’ennoir,toutle
temps,etiln’yaencorepassilongtemps,j’étaisunfunesteprésageàmoitouteseule.Jesoupiraiunefoisdeplusetallaimefaireducafé.
En sortant sur le campus, je chaussai des lunettes de soleil. Parfois, pendant un bref instant, j’imaginais que
j’allaisvoirTonym’attendantsur lebanc,commeil l’avaitsisouventfaitaucoursde l’annéeprécédente.Voirsesoreillespercéesdepartout,sesdoigtstachésdefusain,sacasquetteàl’envers.
Maisilétaitmort.Le lycée, en revanche, était animé malgré la nouvelle présence policière. Le campus grouillait d’élèves de
premièreetterminalepassantd’unbâtimentàl’autre.Certainssortaientdufoyerungobeletdecaféàlamain,lesautresavaientsouslebrasunpetitdéjeuneràemporterdanssaboîteencarton.Jemarchaistoujoursdansl’ombredesarbres,mêmesijeneredoutaispluslesoleil.Jeregardai,dansmespaumes,leslignesdeviequejeconnaissaissibien.Jemedemandaifugacement,mêmesijesavaisquejen’auraisjamaislaréponse,pourquoiunefois,aucoursdemasecondeviedevampire,desrayonsdesoleilétaientsortisdemesmains.Quiprenaitcesdécisionsdanslemonde,etpourquoicedonm’avait-ilétéaccordé?
Jeréfléchissaistoutenmerendantàlaréunionderentrée.Jesavaisquelorsquej’avaispuprojeterdelalumièresolaire, j’avais abrité en moi un pouvoir gigantesque. J’avalai mon café et m’arrêtai net : je venais de prendreconscienced’unechose.Sijen’étaispasredevenuehumaine,jeseraisencoreàl’heureactuelleundesêtreslespluspuissantsdumonde.Lafaimdepuissance,l’euphoriequej’avaisautrefoisressentieenqualitédevampirebattituninstanttoutaufonddemoi,puisdisparutprogressivement.
Jemeremisenmarche.Vickenselevad’unbanc,environdixpasplusloin.Levoirainsienlycéen,unsacàdospassésuruneépaule,mefitsourire.Auloin,leseauxduportscintillaientsouslesoleilmatinal.
–Jevaissécherlaréunion,m’annonça-t-il.–Tunepeuxpas.Ilsvontfairel’appel.–L’appel?–Ilsvérifientlaprésencedechacun,clarifiai-je.–Bonsang,jen’auraisjamaisdûlaisserRhodemepersuaderd’alleraulycée.Jem’arrêtainet,étonnéeparcespropos.Uneétincellevacillaitdansmoncœur.Rienqu’àentendresonprénom,
j’imaginaisdesscénariosleconcernant.RhodeàHathersage,arpentantlessallesvides,Rhodem’observantdeloin,meprotégeant.Sedemandait-ilsij’allaisbien?
–Alorscommeça,c’estluiquit’aconvaincudet’inscrireàWickham?–Convaincu, il faut ledirevite !Est-ceque tu te rendscompteque jen’aipasmis lespiedsdansunesallede
classedepuisl’époquedelalocomotionàcheval?–Quandas-tuparléaveclui?–Avantsondépart,jetel’aidit.Oui, mais je ne le croyais pas tout à fait. Soudain, je m’immobilisai. Droit devant nous, un petit groupe se
rassemblaità l’entréedubâtimentHopper :ClaudiaetTracy,Roy– le frèrede Justin–,plusquelques joueursdecrossequejeneconnaissaispas.Etaveceux,justeàcôtédesonfrangin:Justin.
–Qu’est-cequ’ilya?medemandaVickend’untonlégèrementalarmé,etvisiblementprêtàsortirsonpoignard.Ah,ça…,grogna-t-ilensuite,voyantquijeregardais.
Justin serra affectueusement Claudia dans ses bras. Lorsqu’il se recula, elle s’essuya les yeux et je vis qu’ellepleurait. Cette bande existait déjà avant mon arrivée au lycée, avant que je ne vienne assombrir ses jours. Et àprésentilssetenaientensemble,lesépaulesvoûtées.Curieusement,jelestrouvaisdiminués.Pasennombre,maisenénergie.
–J’aimaissonparfum,lerosedansunflaconvrillé,ditsoudainVicken.Ilavaitfermélesyeuxuninstantpourseconcentrer.Sonvisageétaitencadréparsacrinièredecheveuxfous.–Cetteodeurmemanquera,ajouta-t-il–maislesmotsqu’ilprononçaitn’étaientpaslessiens.–Quoi?demandai-jeàmi-voix.–TonamieTracy.Elleregrettel’absencedeKate.Parceque…parcequ’elleécoutaitmieuxqueClaudia.J’observailegroupependantunmoment.TracyregardaiteneffetClaudia,maisnedisaitrien.–Et tonautrecopineblonde,elle…Ellevoudraitavoirsonamieavecellepouraller fairedushopping,pourse
balader…saprésenceluimanque.Maisjenepigepas.Çafaitplusdedeuxmoisqu’elleestmorte.Ilestgrandtempsqu’ellessecalmentunpeu,non?
Jecomprenaisledeuilhumain.Vicken,pasencore.Kateallaitmemanquer,avecsamanièredeselaissertomberdansunsiègeàcôtédenous,denousproposerun
chewing-gumavanttoutechose.Mêmesamaniedesemêleràtoutboutdechampdemavieamoureuse,deposerdesquestions indiscrètes.Nousn’étions pas très proches, je le savais,mais samort laisserait tout demêmeunetracefantômedansmavie.
–Deuxmois,cen’estrien.Lechagrind’undécèspeutdurerdesannées,répondis-jeensongeantàTony.Contrairement à celle de Kate, sa disparition laissait dans mon cœur un trou béant qui, je le savais, ne se
refermeraitjamais.Lamortétaitsifacileàcomprendre,quandnousétionsvampires!Maislorsqu’onétaithumain,ledécèsd’unêtre
aimé demeurait à jamais une date historique. Un point fixe dans votre vie auquel on se référait sans cesse envieillissant.
Uneépineplantéedanslecœur.–Bon,alorsallonsnousfaireappeleretcommençonslescours,soupiraVicken.Jem’arrachaiàlacontemplationdeJustinetdesesamis.–Nousfaireappeler?–Benoui,tusais…Tuviensd’enparler…Tum’asditqu’ilyavaitunappel.Il sortit de sa poche unmorceau de papier tandis que je coulais un dernier regard vers le groupe que j’avais
considéré,àuneépoque,commemabande.–J’ailittératuredumondeenpremièreheure,dit-ilenétudiantsonemploidutemps.Àcemoment-là, Justins’approchadenousd’unairdécidéet jemepréparaiensecouantmescheveuxsurmes
épaules.Tuméritescequivatetomberdessus.Prends-le,accepte-le.Tuméritestoutcequ’ilvatedire.Ilaccéléra.Ouplutôt,sespiedsleportaientdeplusenplusvitedansnotredirection.Vickenrelevalesyeuxdesonpapierauderniermoment.
LorsquelecorpsdeJustinheurtaviolemmentlesien,Vickenfutprojetéenl’airetretombaàplatsurledos.Justins’agenouillaalorsau-dessusdeluiet,avecuneforcedévastatrice,luienvoyauncoupdepoingenpleinvisage.Maréaction fut instinctive : je lui balançai ungrand coupdepieddans la hanche, qui le désarçonna. Il s’éloignadeVicken.Unassezgrosattroupements’étaitdéjàformé,etjemebaissaipourtirerVickenparlebrasetl’aideràserelever.Ilchancelasursespiedsetsepalpal’œildroit.Endessous,lesangfaisaitbourgeonnerlapeau,quienflaitdéjà.
–Passe-moiunmiroir!exigea-t-il.–Drôledemomentpourêtrecoquet,répondis-je.–Jeveuxvoirça!insista-t-il,incrédule.Ilsecouaitlatête,commesic’étaitinconcevablequejenemerendepascomptedel’importancedumoment.IlsetournaensuiteversJustin.–Jolicoup,monpote.MrsTate,notreprofdeSVT,sortitencourantdubâtimentHopperetpointa ledoigtvers Justind’unairaffolé.
Apparemment,elleavaittoutvu.–Toi!cria-t-elle.Viensavecmoi.Justinsecouaitsamain:sesdoigtsdevaientluifairemal.–Ettoi,ajouta-t-elleàl’intentiondeJustin,fileàl’infirmerie.Elledésignauneélèvedepremière,Andrea,pourl’accompagner.Justin,ànouveau,serapprochadangereusementdeVickenetdemoi.Ilauraitfacilementpubalancerunsecond
coupdepoing.Jamaisjenel’avaisvusicalme…nisienragé.–Ça,dit-iltellementbasqueseulsVickenetmoipouvionsl’entendre,ça,répéta-t-il,c’étaitpourTony.IlsetournapoursuivreMrsTate,maissansquitterVickendesyeux.Les tripes serrées, j’attendis la réaction de ce dernier. Un muscle frémit dans sa mâchoire, mais ce fut tout.
MrsTatepointaànouveauledoigt,cettefoisverslebâtimentHopper.–Justin!s’écria-t-elle.Toutdesuite!Les yeux du garçon dérivèrent vers moi. À présent, ils étaient froids et distants, pleins de colère, emplis de
déception.Ilbrisacedernierlienenpivotantpoursuivreleprofesseur.Jeleregardaipartir,lecœurdéchiré.C’étaitune souffrance différente de celle que j’éprouvais pour Rhode. Je voulais retrouver l’ancien Justin. Celui qui mesouriait,metaquinait,quim’aidaitàcomprendrel’universdeshumains.
AndreasetenaitàcôtédeVicken,prêteàtraverserlapelouseavecluipourrejoindrel’infirmerie.EllelançaunregardàTracyetClaudia,commepourdemander:«C’estqui,celui-là?»
Vickensepenchaverselle.–Dis-moifranchement,çavireauviolet?Ouaurouge?Enfait,jemedemandais:tun’auraispasunmiroirde
poche,parhasard?ClaudiaetTracysedirigèrenttoutdroitversmoi.Ellesportaientdesrobesd’étémagnifiques;celledeClaudia
était jaune canari. L’espace d’une demi-seconde, je l’enviai d’être si radieuse – elles l’étaient toujours. Maislorsqu’elleserapprocha,jecomprisl’étenduedesonchagrin.Elleavaitlesyeuxrougesetenflésàforcedepleurer.
–Ehbien!lança-t-elle.Ilssebattentpourtoi.Ellesourit,cequiréchauffalapeinequel’onlisaitsursestraits.–Cen’étaitpasmoilesujet,répondis-je.–Biensûrquesi,affirmaTracyavecsérieux.Quiestcegarçon?demanda-t-elleensuiteenindiquantVickend’un
coupdementon.–Mon…moncousin,bredouillai-je.Vicken.–Mignon,commentaClaudia.C’étaitunvraisoulagementd’apercevoiruninstantlafilleinsouciantequ’elleavaitété.–Ilfautqu’onyaille,nousrappelaTracy.Laréunionvacommencer.Enlessuivant,jelançaidesregardsautourdemoi,cherchanttoujoursRhodesurlecampuspresquevide.C’était
inutile,jelesavaisbien.Ilneviendraitpas.IlprenaitausérieuxnotrepromesseauxAeris–etj’étaisconscientequej’auraisdûfairedemême.
DanslecouloirdubâtimentHopper,unmurmuregénéralémanaitdel’auditorium.Lesélèvesseretrouvaientetseracontaientleurétéavecanimation.Jefranchislaporte,puism’arrêtai.Toutcemonde!Unecentainedepersonnes,peut-être plus. Ce que j’avais appris sur le comportement humain se vérifiait en cet instant. Au moment où jepénétrai dans le vaste auditorium, le silence se fit. Les nouveaux arrivants, qui n’étaient au courant de rien,observaientsansriendire.Mescamaradesquiavaientconnulesévénementsdel’annéeprécédentecessèrentleursbavardagesetpivotèrentversmoi.
TracyetClaudias’étaientinstalléesautroisièmerang,àleursplaceshabituelles,bienquelesiègedeKatesoitàprésentvide.
Involontairement,jeserrailespoings.Pourquoiavait-ilfalluqueJustinrouedecoupsmonseulallié?–Rhode…,dis-jepourm’encourager,maissonnomsetransformaengémissement.Je passai devant des élèves de première déjà ici l’année dernière, et constatai que mon assurance avait
apparemmentdisparuenmêmetempsquemescrocs.Jehaïssaislegoûtdeshumainspourlesragots.Aussitôtquejefuspassée,cesélèvesseremirentàjacasser.«C’estLenah.EllealarguéJustinEnos.Débile,non?»«Etcesdeux-là,là-bas,c’étaientlesmeilleurescopinesdeKatePierson.»«LenahétaitlameilleureamiedeTonySasaki.»«Ouais,benpourlarguerJustin,fautvraimentquecesoitlapireidiotedumonde.»–Vienst’asseoiravecnous,mehélaClaudiaenretirantsonsacdusiègevide.Jecoinçaimescheveuxderrièremonoreilleetmedirigeaiavecsoulagementvers lesdeuxfillesdont j’espérais
qu’ellesmeconserveraientleuramitié.Ellesn’étaientsurterrequedepuisseizepetitesannées.Maisellesavaientétégentillesavecmoiquand j’enavaiseubesoin,etàprésentellescontinuaient. Jem’installaietécoutaiClaudiaracontersonétédansunclubdevoile.
–Ettoi,Lenah?s’enquitTracy.TuesrentréeenAngleterrepourlesvacances?J’étais sur lepointde leur expliquerquenon,que j’étais restéeàWickham, lorsqueMrsWilliams, l’autoritaire
proviseurdulycée,tapotasurlemicro.
–…à la secondemêmeoù vousenvisagezde sortir.Vousdevez impérativement êtreauxmoinsdeux, assenaitMrsWilliams.Fautedequoivousperdrezvotreautorisationdesortie.
«J’aitoujoursadmirétamajesté,avaitsiffléAva.Ettonappétencepourlemal…»–Lasécuritéestplus importanteque jamais.Nousavonsperduunbon tiersd’inscriptionsà lasuitedesdécès
accidentels de Tony Sasaki et de Kate Pierson, continuait la proviseur d’un air sévère. Nous avons donc laresponsabilitéderassurerlacommunautésurnotrevigilanceetnoseffortspourvousprotégerdetoutdanger.
Tracybaissa la têteet s’essuya lesyeux,maispourmapart je restaidroite, feignantdenepas remarquerqueClaudialuiprenaitlamain.
–KatePierson,poursuivitMrsWilliams,atrouvélamortàl’extérieurducampus.C’estpourquoi,mêmesibiensûrellenousmanquerabeaucoup,jevousdemandedenepasinterpréterlesfaitsàtort.Cesdeuxincidentsnesontpasliés,nidirigésspécifiquementcontrelesélèvesdel’établissement.Parprécaution,nousmaintiendronstoutefoislesnouvellesmesuresdesécurité.Lesmortelssontdécidémentprêtsàtouslesmensongespourseprotéger,pensai-je.Jesoupiraiettâchaideneplusl’entendre.Jefaisaistournermachinalementmabagueenonyx,demanièreque
l’anneaud’argentfrottecontremapeau.Enl’absencedeRhode,Vickenetmoin’avionsaucunechancedetenirtêteà plus d’un vampire à la fois, deux à la rigueur. Il nous fallait Rhode. Ses années d’expérience nous auraientréellementbeaucoupaidés.Etj’avaisbeaucroirebienleconnaître,ilétaitclairqu’ilyavaittoutautantdechosesquej’ignoraissurlui.Tantdechosesqu’ilsavaitcacher.Qu’ilmecachait.Non,pensai-jeenrepoussantmescheveuxderrièremonépaule.Neprendspascechemin.Celuidel’apitoiement,
celuioùturuminestoutcequ’ilt’afait.Ilestparti.Ilestparti,ettoutcequ’ilteresteàfaire,c’estattendresonretour.
Maisilétaitenvie.Etcetteidéetournaitenrondsousmoncrâne.Oùétait-ildonc?Dès la finde laréunion, lesbavardagesreprirent.Laplupartdesgenscommentaient lenouveaurèglementqui
obligeait chacunàdemander l’autorisationavantde sortir, etmontraientdudoigt les vigilespostésà laportedel’auditorium.
–Jesuistropcontentequetusoisrevenue!s’écriaClaudiaenmeserrantchaleureusementdanssesbras.J’inhalaiunesenteurdesavonfraisetunparfumépicé.Jenepusm’empêcherderegarderTracypar-dessusson
épaule, Tracy qui nous observait avec une dernière larme dans l’œil. Claudia se recula : ses yeux aussi étaienthumides.
–SurtoutaveccequiestarrivéàKate,tusais?poursuivit-elle.Etmaintenant,promets-nousunechose.Tunevaspasrepartir,hein?Tunevaspasencoretevolatilisercommel’andernier?
Ellepritmesdeuxmainsdanslessiennes.–Non,jerestepourdebon.Sesmainsétaientchaudessur lesmiennes.Si j’avaisencoreétévampire,cetteproximitéauraitété idéalepour
quejeluiponctionnelagorged’unsimplegeste.Jejetaiunrapidecoupd’œilàsespoignets.Pourétudiersesveines.C’étaittellementstupéfiantquej’aieencore
ceréflexe!J’enfushorrifiée.Jeretiraiimmédiatementmesmains.Ilfautquejem’éloigned’elle,pensai-je.Lesvieilleshabitudesontlaviedure,dit-on.N’est-cepasuneexpression?Ce sentiment passa et je me baissai pour ramasser mon sac. J’étais mortelle. Je n’étais plus une vampire.
ContrairementàAva.Jesuivismesamiesendirectiondesportes.Retourne-toi,chuchotaalorsunevoixdansmatête.Peut-êtreétait-cemonintuition,oucelledelareinevampire
quisecachaitauplusprofonddemoi.Retourne-toi,Lenah.Regardederrièretoi.Lentement,jepivotai,etjerestaipétrifiée.Deboutenhautdesmarches,toutaufonddelasalle…setenaitRhode.Uneprofondebalafre,croûteuseetnoircie,barraithorizontalementson front.Uneautrecicatrice traversaitses
belles lèvres, si sombreque jemedemandai si le sangen suintait encore.Sonœildroit et sa jouedroiteétaientterriblementenflés.
Mabouches’ouvrittouteseule.–Allezviens,Lenah!melançaClaudiadepuislaporte.Mais jenepouvaispasdétourner les yeux.Deux secondespassèrent, puisRhodebrisa le charmepourmoi : il
rejoignitlasortiedesecoursetdisparut.
–Rhode!criai-jeencourantverslaportedufond.Claudiam’appelaàsontour,maisjenel’écoutaipasetm’élançaisurlapelouse.–Rhode!Cettefois,j’avaishurlésonnom.Ilseretournavivement;sesyeuxétaientcachéspardeslunettesnoires.Jevis
monexpressionhorrifiéedansleursverresbrillants.Desiprès,jepusréellementvoirlesdégâts.Unhématomeviolacécouvraitl’arêteépaissiedesonnez.Lateinte
noirciedesapeauluidonnaitl’airmaladif.Souslaracinedesescheveuxcouraitunecoupureprofonde,quiauraitsans doute eu besoin d’être suturée, mais il était bien trop tard pour cela. Des croûtes s’étaient formées, et ilgarderaitcertainementunecicatrice.Seslèvres,seslèvressomptueuses,étaientfenduesparlemilieuetbruniesparlesangséché.
Je levaiunemainpour lui toucher le front,mais il se recula.Unesouffranceaiguëmedéchira lapoitrineet jebaissailamain.Dansseslunettesnoires,jevismaproprebouchetournéeverslebas,etmespaupières,plisséesàcausedusoleil.
–Quet’est-ilarrivé?luidemandai-je.–Rien.J’aiditàlaproviseurquej’avaiseuunaccidentdevoiture.Son œil droit était si violet et enflé que je ne pus m’empêcher d’approcher mes doigts de la peau mutilée. À
nouveau,ileutunmouvementderecul.–Cequis’estpasséneteregardepas,ajouta-t-il.Ilfautquej’ailleenclasse.Ilpritladirectiondeslabosdesciences.Avecunpeudechance,nousallionsnousretrouverdanslemêmecours.
Chapitre8Unelonguefiled’élèvesattendaitdanslecouloir,devantlelabo.Lagéologieétaituneoptiontrèsdemandéechez
lesterminales: ilyenavaittroisclassesentières,auxquellessemêlaientquelquesélèvesdepremièretriéssurlevolet. Je me haussai sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir Rhode devant moi dans la queue, mais jen’entrevisquesescheveuxcourts.Moncœurpalpitaausouvenirdesa longuecheveluretombantsursesépaulescommeunrideaudesoienoire.J’avaistantaiméseschapeauxhautsdeformeetl’angledesescrocs…Àl’époque,lescrocsfaisaientpartieintégrantedenotrephysique.Penserauxpointesacéréesdeceuxd’Avamefitpressermesdoigtscontremoncou,commepourleprotéger.–Ah,Lenah,tueslà,ditMrsTate.Jelaissairetombermamain.Oh.Visiblement,j’étaisarrivéeàlaportedulabo.Rhodeétaitdéjàassisaupremierrang.Lementonbaissé,ilécrivaitdansuncarnet.MrsTatepritsalisted’élèves
etpointaunstylodanssadirection.–RhodeLewin,vousallezresterlà.Vousaurezcommevoisin…JustinEnos.(Elleattribuaitlesplacespourtoute
l’année.)Ilvousaideraàvousmettredanslebain.Très,trèsmauvaiseidée.L’enseignantetenditàRhodeunefeuilledepapier.–Onm’amiseaucourantpourvotreaccidentdevoiture.Commentvoussentez-vous?–Mieux,jevousremercie.Ilposasonstyloetpritlafeuille,lesdoigtstremblants.Sesdeuxmainsétaiententouréesd’épaisbandages:un
autour du poignet, l’autre autour des phalanges. Jem’immobilisai lorsqu’il leva les yeux. Sous lesmeurtrissuresnoirâtres et violacées se trouvaient les yeux bleus que j’avais connus et aimés pendant un demi-millénaire.Monventreseserra,jerespiraisavecdifficulté.Nosyeuxnesequittèrentpasetsonregardquis’attardaitsurmoisuffitàmefairetournerlatête.Àmagrandeconfusion,ilsoupira,fermalesyeuxetrompitlecharmeunefoisdeplus.– Lenah, ditMrs Tate, vous gardez votre ancienne place. Une élève de première va venir nous rejoindre, elle
s’installeraàcôtédevous.J’opinaiettâchaideregagnermapaillassesansregarderversRhode.Je haïssais cette chaise vide à côté de la mienne. Celle de Tony. J’étais sur le point de m’asseoir lorsque le
professeurrepritlaparole.–Oh.Hmm.Justinetdeuxautresélèvesvenaientd’entrerdanslasalle.MrsTateregardasaliste.–Àlaréflexion,Justin,prenezplaceàcôtédeLenah.EtMargot,enfait,nousallonsregrouperlesdeuxnouveaux,
venezrejoindreRhode.Caroline,tuirasdanslefond,àcôtéde…Jecessaid’écouterceméli-mélodenoms.Justin,quiévitaitmonregard,s’assit,etlorsqu’ilposaseslivressurla
table je remarquai que ses doigts, à lui aussi, étaient bandés. Il serrait son cahier, et son genou était agité detressautements,tremblantpeut-êtredenervosité,derage,oud’unexcèsdecaféine.Jedéglutis,désarçonnéeparsonsilence.Jefisànouveautournerlabagued’onyx,encoreetencore,etfinalement,
lorsquej’ouvrislabouchepourluiparler,MrsTateréclamal’attentiondelaclasse.–Bien,passonsauplanducoursd’aujourd’hui.Nousallonsrevoirquelquesbases.Justinregardaitostensiblementdroitdevantlui.Celamefaisaitsouffriràunpointquim’étonna.Pourquoirefusait-
il de s’adresser àmoi, oumêmedeme regarder ? Pendant unmoment, je continuai dem’attendre à ce qu’ilmetouchecommed’habitude,àsentirsamainchaudesurmongenououdanslebasdemondos.–NousallonsanalyserlepHdediverséchantillonsd’eauprélevéeàLoversBay.Jesais,jesais,c’estélémentaire,
maisc’estimportantavantd’avancerdansnotreprocessusd’expérimentation.Denouveau,jetournailatêteversJustin.–Quoi?lâcha-t-ilfroidement.Ilmefallutunmomentpourcomprendrequec’étaitadresséàmoi.–Ah,euh…rien.(Jebaissailesyeuxversmoncahier.)Je…–Quoi?répéta-t-il,cettefoisentournantlentementlatêteversmoi.(Levertdesesyeuxétaitdur,froid.)Tuveux
encorem’humilier?–T’humilier?Jejetaiuncoupd’œilàMrsTate,quiécrivaitquelquechoseautableau.–Tonpetitcopainestaupremierrang.Tudevraisêtreplacéeàcôtédelui,mecracha-t-ilentresesdents.–Jeveuxjuste…–Lenah,situmeparlesencoreunefoisd’autrechosequedegéologie,jequittelasalle.
–Passe-moilepapierpH.LavoixdeJustinétaitglaciale.Ensilence,j’obéis.–Sept,constata-t-il.Queditletien?J’observailacolorationdupapier,puisnotainosrésultats.Lorsquecefutterminé,ilrassemblalematériel,flanqua
notretravailcommunsurlebureaudeMrsTateetfiladehors.Àl’avantdelaclasse,Rhoderangeadoucementsatrousseetsoncahier.Lamâchoireserrée,ilsecrispalorsqu’ilpritsonsacsursonépaule.Jesortisderrièrelui.–Rhode,l’appelai-jeàmi-voixlorsqu’ileutfaitquelquespasdanslecouloir.Rhode!Ils’éloignaitrapidement.Jecommençaisàenavoirassezd’êtretraitéecommelaFemmeinvisible.–Situneteretournespastoutdesuite,jehurle!Iltournalestalonsetmeregarda.
–Ilyavaitunevampireàl’herboristerie,commençai-je.Ici,àLoversBay.EllevivaitàHathersage.Labonnequej’ai tuée avant d’entrer en hibernation. Elle est au courant pour le rituel. (Jeme tenais à environ un pas de lui,observantsaréaction.)Vickenetmoivoulionst’enparlerplustôt,maistuétaisinjoignable.Ilnebougeapas,ledosdroit,lesbrascroisés.–Tuasétéblessée?–Elleadéjàtuéunedemesamies.Elleaditqu’ellereviendraitpourlerituel.OnauraitditqueRhodeseprêtaitàcetteconversationàcontrecœur.IlrespectaitledécretdesAeris,d’accord,
maistoutdemême,personneneluiavaitinterditdemeparler,quejesache.–Elleataillésesonglesrougesenpointe.(Jedéglutisenimaginantmachairs’ouvrantsoussesgriffures.Rhode
levaunemainbandéeverssonmenton,hochalatêteetgardalesyeuxrivéssurmespieds.)Elleacrééuncercle.Vickenetmoiavonsvulacérémoniedenosyeux.–Cinq?s’enquitRhode.Jefissignequeoui,maisc’étaitplusfortquemoi:ilfallaitquejesache.–Qu’est-cequit’estarrivé?Tuasunemineterrible.Dansquellebagarret’es-tufourré?Est-ceàcausedurituel?–Non,etjet’aidéjàditquecen’étaitrien.–Tumemens,crachai-je,dégoûtée.–Ilfautquej’yaille.Maisavantdemetournercomplètementledos,ilajoutaquelquechose.–Retrouvons-nouscesoir.Pourparlerdececercle.Vickentediraoùetquand.Ilfitquelquespas,quej’écoutairésonnersurlesol.Unebulledecolèreenflaitenmoi.–Tusaistout,criai-jedanssondos,justeunpeuplusfortquemavoixnormale.Çaatoujoursétécommeça.Ils’arrêta,toujoursdosàmoi.Nousétionsdenouveauseuls,maintenantquel’intercoursétaitterminé.–Pendantdessiècles,tuastoutcontrôlépendantquemoi,jenesavaisrien.Ilseretourna,cettefois,etnousnousretrouvâmeslesyeuxdanslesyeux.– C’est vrai, ajoutai-je d’une voix plus faible. J’avais d’autres distractions,mais c’était toujours toi qui avais le
pouvoir.Seulement,commejet’aimais,çan’avaitpasd’importance.Ilserapprochapourseretrouveràquelquescentimètresdemoi.Desiprès,jevoyaislespetitspoilsdebarbequi
poussaientsursonmentonetunemeurtrissurelelongdesamâchoire–deshématomesquejen’avaispasencoreremarqués.– Je me fiche complètement du pouvoir, souffla-t-il, visiblement en proie à une colère rentrée. Toujours, en
permanence,mespenséesontétéavectoi.Jedécidaidelepousserdanssesretranchements.–Tum’aslaisséedanslenoir.Peut-êtrequesij’avaisconnulesparticularitésdurituel,j’auraisput’aider.Onne
seraitpasdanscetteimpasse,mauditsparlesAeris,sanspouvoirêtreensemble.Aufonddemoi, jemedemandaistoujourspourquoiRhodeavaitditqu’ilneserait jamaisrevenudelui-mêmeà
Wickham,etrefuséderévéleroùilavaitpassél’annéeprécédente.Celametracassaitsansrelâche.Quelleraisonpouvaitêtreassezfortepourl’éloignerainsidemoi?Encoreunsecret,encoreunevéritéqu’ilmecachait.–Jetel’aidit,j’ignoraisquenousaurionsàaffrontercegenredeconséquences.–Tum’asditbeaucoupdechoses,Rhode.Tum’asfaitdespromessesquetun’aspastenues.Uneimagedelatombedemasœur,ornéedefleursdejasmin,mepassafugacementdanslatête.–Parexemple?–Jen’aipasbesoindetelerappeler.L’important,c’estquesitum’avaisassociéeaurituel,situm’avaisexpliqué
ce que tu étais en train de faire, on aurait peut-être trouvé une autre voie. On aurait peut-être fait les chosesdifféremment.Tun’auraispaseuàfeindrelamort,osai-jeconclure.–Ilfautvraimentquej’yaille.Ilregardaitmeslèvres,etmacolèresedissipa.Commeelles’évaporaitrapidement!Nousétionssiprèsl’unde
l’autre…Auborddubaiser.Moncorpsledésiraittellementquej’enavaismaldanslesmuscles.Sesyeux,cernésdechairmeurtrie,nemelâchaientpas.Nousnenousétionsjamaistouchés.Jamaisentantquemortels.Ilauraitsuffiqu’ilsepencheuntoutpetitpeuenavantpourm’embrasser.Lèvrescontrelèvres,peaucontrepeau.
Etnousaurionsenfinsucequecelafaisaitquedesetoucher.Avecdessensationshumaines.Cequinousavaittantmanquépendantdessiècles.LesAerisnes’enformaliseraientpas,n’est-cepas?Ellesn’allaientquandmêmepassefâcherpourunsimplebaiser?–Tunesenspasça?soufflai-je.Jegardaismesyeuxplongésdanslessiens.Jemedemandaissisesblessureslefaisaientencoresouffrir.–Tunelesenspas?répétai-je.Au creux de mon ventre se déchaînait une tornade de sensations qui tournoyaient, tourbillonnaient et me
poussaient vers lui. Je continuai de le dévorer des yeux.Mes pieds étaient enracinés au sol, maismon corps sebalançaittrèslégèrement.Moncorpsétaitenfeu,etsentirmonsangcourirdansmesveinesetdansmoncœurétaitmerveilleux.Jetendislamainetlevisfairedemême.Sapeau,sidifférentedel’épidermelisseetfroiddesvampires,appartenait désormais à la main calleuse d’un humain. Nous restâmes ainsi un instant, nous touchant presque,heureuxdel’électricitéquipassaitentrenous.Jelaissaichacundemespores,chacunedemescelluleséprouversachaleur.–Si,jelesens,répondit-ilenfinenlaissantretombersamain.Çanepeutpasêtrecommeçapourtoutlemonde,pensai-je.Toutlemondeneressentpasl’amourainsi.Jefisenfinuntoutpetitpasverslui,maisilm’arrêta.–Onnepeutpas,trancha-t-il.«Jenevoulaispasrevenir.Onm’yaobligé.»Cesdeuxcourtesphrasesm’obsédaient.Jedétachaimesyeuxdelui,
etl’espaces’ouvritentrenous.–Tudevraispartir.Partirpourdebon,répondis-jeenregardantparterreavantdereculerd’unpas.Sic’estuntel
tourmentd’êtreprèsdemoi.Situnevoulaismêmepasrevenir,commetul’asdit,alorsva-t’en.Jesavaisquejen’étaispassincère.EtRhodenetombaitpassifacilementdanslepanneau.Ilclignalentementdes
paupières.–Tusaisquejenepeuxpas.Surtoutmaintenant.Ma colère se remit à bouillonner, et Rhode se rapprocha insensiblement. J’inhalai son odeur : du savon, du
déodorant,etaussisapeau.Ilsentaitbon,ilsentaitl’humain.Ilserralesdentscommepourretenirdeslarmes,etjevissoudainquesesyeuxétaient…embués.–Lenah.Jeresteparcequ’ilyaunmondededifférenceentrepenseràtoiettevoirenchairetenos.Jerestepour
apercevoirtonseulsouriredelajournée.Oupourteregarderpasserlamaindanstescheveux.Parcequ’ilfaut,ilfaut…ilfautquejesoisprèsdetoi,detouteslesmanièrespossibles.
J’étaissansvoix.J’auraisvouludirequelquechose,n’importequoi.Luidirequej’éprouvaisexactementlesmêmessentiments…Maisjen’euspasletempsdel’arrêter:déjàils’étaitdétournédemoi.Etlà…Uneforteodeurdepommesmûresmesubmergea.Despommespartout.Commesijem’étaistrouvéeau-dessus
d’un tonneaudepommes rougesetbrillantesde la récoltede septembre. Je vouluschasser cette sensation,maisl’odeurétaitsiprégnanteque jemesentispousséeà fermer lesyeuxafind’yéchapperun instant.Des imagessedéversèrentalorsentorrentdansmatête.Unflotdesouvenirsdemavied’avant,impossibleàarrêter.Rhodeetmoinousembrassonssurlacolline,aupieddenotremanoir.Jeporteunegranderobenoireà longue
traîne.Lesoleilvabientôtselever.Noussommesdesvampires.Sesmainsappuientdansmondos,m’attirentcontrelui.Mapeauestdeporcelaine.Meslèvressontrosesetjevoislespointesacéréesdemescrocs.Commentpuis-jemevoirmoi-même?Unemaintientunecanne.Jeconnaiscettecanneetsatêtedehibouenonyx.Je rouvris les yeux, secouai la tête et me concentrai sur mon souffle. Inspire, expire, Lenah. Inspire, expire.
Inspire,expire.Lentement,lesimagessedissipèrent,ainsiquel’odeurdepommes.LebruitdeRhodes’éloignantmeramenaauprésent.«Ilfautquejesoisprèsdetoi.»J’enavaislesoufflecoupé.Rhodes’éloignaitdans lecouloir.Sesmotsrésonnaientdansmatête,etunfaibleparfumfruités’attardaitdans
l’atmosphère.
Chapitre9–Noussommesle3septembre.Ilnousrestevingt-septjoursavantledébutdumoisdelaNuitRouge,expliqua
Rhodecesoir-là.Commepromis,Vickenm’avaitfaitvenirdanslabibliothèqueaprèsdîner.Jemetenaisdevantlavitred’unboxde
travail,aufond,avecvuesurlacollineduterraindetiràl’arc.Jem’efforçaisdenepassuivredesyeuxsespentes,d’autantquej’avaisbienl’intentiondenejamaisremontersurleplateau.Jedoutaisqu’unvampirepûtnousobserverdelà-haut:c’étaitàmonavistropexposé.Iln’yavaitpasd’arbresderrièrelesquelssecacher,pasd’ombresdanslesquellesdisparaître.Lesvampiresaimaientàobserveretàétudierleursfuturesvictimes.Identifierleursfaiblessesleurpermettaitensuitedelestuersanseffort.Jelaissaimoncorpspesercontrelavitrerafraîchissante.J’avaispriscettehabitudelorsquej’étaisvampire,pourm’assurerqu’ilmerestaitencoreunsemblantdesensdutoucher.
Jemeretournaiensuiteverslesdeuxhommesvenusdemonpassé.Vickenétaitadosséaumur,lesbrascroisés.L’airsoucieux,ilnequittaitpasRhodedesyeux.Cedernier,assisàunetable,avaitposésonpoignetbandésurunbureau.
–PourquoilaNuitRougeest-elleimportante?demandaVicken.–C’est lemomentoù laconnexionentre lemondemortelet lemondesurnaturelest leplus faible,expliquai-je,
conscienteduregarddeRhodesurmoi.C’estpourquoinotrefêtedelaNuitRougeatoujoursétéparticulièrementsanglante.Tunet’esjamaissentiplusfort,cesnuits-là?Plus…animal?
Vickenréfléchit.–Si…Tuassansdouteraison.–D’iciau1eroctobre,ilyapeuderisquesqu’Avaparvienneàattaquersurlecampus,ditRhode.–Elleaattaquésurlaplage,précisaVicken.–Officiellement,laplagenefaitpaspartiedulycée.Lerituelaétéaccomplisurlecampusplusd’unefois.Celaa
pu l’attirer à l’origine, mais cela peut aussi nous offrir une protection. L’énergie résiduelle peut faire office debouclier.Dumoinsjusqu’au1eroctobre,oùlaNuitRougeluiconféreradenouveauxpouvoirs.
–Génial.Etenattendant,onestprisonniersdecetasiledefous,soupiraVicken.Jepassailamaindansmescheveuxetmemassailecrânepourallégerunpeulatension.Enfin,jecroisaileregard
deRhode:celam’envoyaunchocdanslapoitrine,commes’ilavaittouchéquelquechoseenmoi,toutprèsducœur.JevoulaisluiparlerdelamortdeTonyetdelamanièredontJustinm’avaitdéfendue.Jevoulaisluiexpliquerce
quej’avaisressentilorsquej’avaispuprojeterdesrayonsdesoleil.MaisRhoden’avaitposéaucunequestionsurlecercle. Il n’avait pas demandé commentmes anciens alliés étaientmorts. Jeme remémorai une fois de plus quej’ignoraistotalementcequ’ilavaitfabriquépendanttoutel’annéeprécédente.Iln’avaitrienrévélé.
–Partons,voulez-vous?proposa-t-il.Jecroisquenousavonstoutvu.Iléteignitlalumière,mettantfinànotrepetiteréunion.Etmelançaunregardaumomentoùnoussortions.Àcetinstant,jem’arrêtainet,denouveaufrappéeparl’odeurdepommes.Maiselleétaitdifférente,cettefois.À
présent, c’était exactement celle demonenfance. Je portai unemain àmes yeux, les frottai, et sentis s’élever leparfumentêtantducidreenhiver.Aufonddematête,jerevislasalledegéologiedecematin.
Jesuisdanslelabodegéologie,assiseàlapaillassedeRhodeaupremierrang.Jelèvelesyeuxverslaporteetmoncœurseserre.Jemevoisentrerdanslasalle.Jesuistoutennoir,mescheveuxbrunslâchéssurlesépaules.
Comment puis-je entrer dans la classe et être assise au premier rang en même temps ? C’est la vision dequelqu’und’autre.Jesuisdanslatêted’unautre!
«Qu’elleestbelle…»,ditunevoix.Unevoixgrave,unevoixd’homme.Quelqu’unmeregarde.Jesuisconsciented’unedouleurdansmesmains,demapeauquicraquechaquefoisquejebougemeslèvres.Jemesuisbattu.
« Ça en valait la peine », pense cette personne. Son corps entier est endolori. Mais il y a aussi autre chose.Lorsque je passe devant elle, la personne inhale profondément, dans l’espoir de capter une odeur familière. Elleagrippe son cahier pour se retenir de me toucher. Elle a mal rien qu’à me regarder. C’est une souffrance. « Cetamour,pensel’individu,estsiprofondqu’ilnepourrajamaisêtrevaincu.»
Etsoudain,jecomprends:jesuisdanslatêtedeRhode.CesontlespenséesdeRhode!Je battis des paupières et respirai les odeurs ordinaires du campus : la cantine, le gazon coupé et, bien sûr,
l’océan. L’odeur de pommes avait complètement disparu, comme si elle n’avait jamais été là. Je pris le temps derepasserlavisiondansmatête.Jem’étaisvueengéologieexactementcommeRhodem’avaitvue.Jesourisàl’herbeverte,àmespieds.Ilm’atrouvéebelle.Cetamourestsiprofondqu’ilnepourrajamaisêtrevaincu.
Lecrissementd’unbriquet,unpanachedefuméedecigarette,etVickenmetiraparlecoude.Ilnecraignaitpasde me toucher, contrairement à Rhode. Une nouvelle bouffée de bonheur m’envahit : Rhode avait envie de metoucher,mais il résistait. J’avais perçu ce conflit intérieur pendant la vision. Je reprenais espoir, comme dans lecouloir.
«Jeresteparcequ’ilyaunmondededifférenceentrepenseràtoiettevoirenchairetenos.Parcequ’ilfaut,ilfautquejesoisprèsdetoi,detouteslesmanièrespossibles.»
–Nousnousaimeronstoujours,dis-jeàvoixhaute.–Oh,c’estpasvrai!Allez,partons,grognaVicken.–Onvaoù?demandai-jeenlesuivant.–Àlatourdel’observatoire,enhautdubâtimentCurie.C’étaitlenomofficieldubâtimentdeslabosdesciences.Vickentirasursacigarettependantqu’unebandedefillesdepremièrepassaitdevantnous.–Eh,Vicken!lehélal’uned’ellesd’untonenjouéetcoquet.Tudevraisarrêterdefumer!Elleconclutparunpetitrireencascade.
Ilsemitàmarcheràreculonspourresterfaceàelle.–Ilparaîtqueçapeutmetuer,répondit-ilavecunsourireénigmatique.Nouveauxgloussementsderire.Jesoupirai.NousapprochionsdubâtimentCurie.–L’uned’entreellesestjalouse,ellecroitquejecraquetotalementpourtoi,m’informaVicken–cequimefitlever
lesyeuxauciel.–Bon,tulafinis,cetteclope?Iltiraunenouvellebouffée.–J’aimeprofiterjusqu’auboutdecequiestmauvaispourmoi.–Tusais,contrairementàquandtuétaisvampire,cettesaletépeutvraimenttetuer,dis-jetandisqu’ilsoufflaitun
derniernuagedefumée.Ilexhalaavechumeuretécrasasonmégotcontrelemurdebrique.–TonpoteJustinaussi,ilafaillimetuer.Tusaisqueçafaitmal?(Ilmontraitdudoigtsonœilaubeurrenoir.)Je
n’arrêtepasdeletripoter.Onoublietropfacilementladouleurphysiquequandonnel’apasressentiependantplusdecentans.Merveilleux.(Ilapprochademoisapommetteenflée.)Vas-y,touche!Jemedemandesiçafaitlemêmeeffetquandc’estquelqu’und’autrequiappuiedessus.
–T’esdingue,dis-jeenpassant lecode-barresdemacarted’étudiantedevant le lecteur–unedesnombreusesprécautionsprisesparl’administrationdepuislesdécèsdeTonyetdeKate.
–Moi,dingue?repritVickenenmesuivantàl’intérieur.Dois-jeterappelerlafoisoùtuastuéàtoiseuletouslesinvitésd’unegarden-party?(Nousattaquâmesl’escalier.)Maisnemefaispasdirecequejen’aipasdit,haleta-t-ilentredeuxétages.C’étaitformidable.
Une heure plus tard, la lune argentée projetait une lumière laiteuse sur le sol à travers la verrière del’observatoire.Nousouvrîmeslesfenêtresduplafondet,aulieud’utiliserl’énormetélescope,admirâmeslepassagedesconstellationsàl’œilnu,allongéssurledos.Bienquelesoleilsoitcouchédepuisdeuxheures,àchaqueinstantlecieldevenaitplussombreetdenouvellesétoiless’allumaientdanslanuit.
–Tusais, jedisçacommeça,maisRhodeabienpusebattreici,meditVicken.PasàHathersagecommetulecrois.
–D’accord.AlorspourquoiAvan’a-t-ellepasparlédeluichezl’herboriste?Visiblement,ellen’estpasaucourantqu’ilasurvécu.
–Tuinterprètes.Tun’ensaisrien.–Ettoi,qu’est-cequitefaitdirequ’ilyaunrapportentresaprésenceetcelledeRhode?Ellen’auraitpasdit
quelquechose?Ellel’auraitaumoinsmentionné,tunecroispas?Uneétoilefilantetraversaleciel.Jepointailedoigt,etVickenfitdemême.Nouscomptâmesàl’unisson,enlatin.–Unus,duo,tres…Nousattendîmes…attendîmes…etunenouvelleétoilezébralescieux.L’euphoriecauséeparcettevisiondisparut
rapidement,tandisquelesparolesdesAerismerevenaiententête.«Vousêtesdesâmessœurs.Vosviessontinextricablementliées.»–Laisse-moim’occuperdetout,ditVicken.Jedécouvriraicequis’estpassé.J’aiétésoldat,bonsang.Cenesera
pasbiendurdefouinerunpeu.OnpeutdifficilementraterTête-en-Compote,encemoment.J’éclataiderire.–Tête-en-Compote?–’Zactement.–Tuesplusdrôlesousformehumaine.Vickenattenditunmoment,puissouritjusqu’auxoreilles.–Tuveuxtouchermesbleus?–Maisarrêteavecça!Ilsetournasurlecôtéettenditsatêteversmoi,telunbébéphoque.–Allez,Lenah.Touchemonbleu.–Non!Ilétaitsiprochequejesentaisl’odeurdutabacsursapeau.–Vas-y,fais-le.T’aspeur?Alors,jeluidonnaicarrémentunebaffe.–Peuh,mêmepasmal!s’exclama-t-il.Etnousétionsenpleinfourirelorsquej’entendisunrired’untoutautregenredansl’escalier.Jemefigeai.Les
gloussementsetlesexclamationsd’unefille,suivisd’unevoixquejereconnus.Jem’assisetmetournaiverslaporte.Justinentradansl’observatoire,accompagnéd’uneélèvedepremière.Andrea.
–Tiens,maisc’estmonescorte!lançaVickenavecunsourirediabolique.Andrealuisourit.JustinregardaVicken,puismoi.–Partons,Andrea.Laplaceestprise,dit-il.–Non,non,pasdutout!m’écriai-jeenmehâtantdemelever.Vickenreculacontrelemuretallumaunenouvellecigarette.–Oh,laisse-lespartir.C’estuncrétin,dit-ilderrièremoiencroisantleschevilles,jambesallongéesdevantlui.Au
fait,ilestentréicipourladéshabiller.Jelefusillaiduregard.–PES,lâcha-t-ilavecunhaussementd’épaules.–Éteinscettecigarette.Ilsétaientdéjàdansl’escalier.Jem’yengouffraiàmontour.DéjàqueJustinmedétestait,etvoilàqu’ilmecroyait
avecVicken,maintenant!–Attends!luicriai-jeendéboulantsurlapelouse.AndreaetJustinétaientàcôtédelaporte.Lafillesemblaitavoirenviedem’étrangler.–J’enaipouruneseconde,luidis-je.Tupermets?ElleregardaJustin,lesyeuxécarquillés,attendantqu’ilrefuse.Commeiln’enfaisaitrien,ellesemitàbouder.–Lamentable,lâcha-t-elleavecunprofondméprisavantdes’enaller.Illarappela,maiselleétaitdéjàentraindesejoindreàd’autresélèves.Etl’extinctiondesfeuxn’allaitpastarder.Justinfitminedelasuivre.–Tupeuxm’accorderuninstant,jeteprie?insistai-je.Ilseretournaversmoiavecungrossoupir.–JenesuispasavecVicken.–J’aiditquetul’étais?répondit-il,cinglant.–Non.Eneffet,non.
– Sur le terrain de tir à l’arc, tum’as quitté pourRhode.Mais aussi bien, tu pourrais t’êtremise avecVickendepuis.C’estdurdetenirlecompte,avectoi.
Jen’euspaslecœurdeluidirequelebonordrechronologiqueétait,enréalité:Rhode,Vicken,etluiensuite.–Onestjusteamis,luietmoi.–Unamiassassin.IlaaidétoncercleàtuerTony!–C’estpluscompliquéqueça.–Jenevoispascequ’ilyadecompliqué.Bon,fautquej’yaille.Décidément,c’étaitlaphraseàlamode,cesdernierstemps.MaisJustinnepartitpas.Ilregardaparterre,puisrelevalatêteversmoi.–Qu’attends-tudemoi?EtRhode?Vousn’êtespasdesâmessœurs?Despartenairesde rituel,ou jenesais
quoi?Unsilence.–JenesuispasavecRhode.JenesuispasavecVicken.Jenesuisavecpersonne.Sesnarinespalpitèrentet ses joues rougirent. Il clignaplusieurs foisdesyeux ; j’avaisdumalàdéchiffrerson
expression.–Maisjecroyaisquetul’aimais…Rhode?–Leschosesontchangé,dis-jeensecouantlatête.Etc’étaitvrai.Rhodemeconsumaitde l’intérieuret je l’aimeraisà jamais,mais toutavaitchangé. Ilme fallait
tournerlapage.–Çam’al’airplutôtduràchanger,quandmême,dit-il.Nous laissâmes résonner les bruits du campus. Des élèves bavardaient, riaient. Des téléphones portables
sonnaientet,nonloindenous,desvoiturespassaientdansunerue.–Écoute,repris-je.Jeneveuxpasquetumedétestes.Jesaisquejelemérite,mais…–Jenetedétestepas.Simplement,jeneveuxplusavoiraffaireàtoi.Jeveuxvivremaviesansrituels,sanscercles
devampiressanguinairestuantmesamis.J’aimemieuxsortiravecdesfillesqui…quirestentenvie,tuvois.Cetterépliquemecoupalesjambes.Jeneressentiraisdoncplusjamaislajoieetleréconfortd’êtredanssesbras!
Jemerappelaislapuissancedesachaleur,aprèsdessièclesdefroid.Chaleur,toucher,tendresse…c’étaitJustin.Unrappeldemacapacitéàvivreetàaimer.Ilm’avaitaidéeàavancer,l’annéeprécédente.Àprésent, jevoulaisqu’ilm’aideencore.Qu’ilm’aidedelaseulemanièrepossible.
MaisilsedétournaetpartitrejoindreAndrea.–Attends.S’ilteplaît!Ils’arrêtaàcôtéd’unréverbère,maisrestadosàmoi.–Quoi?J’hésitai.Jechoisissaismesmotsdansmatête,maisaucunnemesemblaitconvenir.–Jesuisdésolée.Pourtout,dis-jemalgrétout.Ilsecoualatête,maisseretournapourmefaireface.–Jeregrette,Lenah,maisçanesuffitpas.Jefisunpasversluietluitendismesmains,commepourdire:«Reste.»–Jeveuxsimplementquetusaches…non,jerecommence.Jeveuxquetuessaiesd’imaginerquelqu’un,dansta
vie,quetuastoujoursconnu.DisonsRoy,tonpetitfrère.Ilfronçalessourcils,maishochalementon.–Etpuisimaginequ’unjour,ilnesoitpluslà.Désormais,samanièredetenirsoncafé,derireoudesetoucherla
jouen’existeplusquedanstessouvenirs.Envoléàjamais,toutça.Jeveuxquetuessaiesd’imaginercechagrin.–Tonyestmort,Lenah.Kateestmorte.Jesaiscequec’estquelechagrin.Jem’enhardisnéanmoinsàfaireencoreunpas.–Leshumainspeuventapprendreàrevivreaprèsundeuil,maispourlevampire,cechagrinestconstant.C’estce
qui nous rend si dangereux. Et quandRhode estmort, ou que je l’ai crumort, tu étais là, aumoment où j’étaishumainepourlapremièrefois.Tum’assortiedecettemalédiction.Tum’asguérie.
Ilregardaitauloinpourévitermonregard.J’attendisuneréaction,qu’ildisequ’ilétaittouché,qu’ilcomprenait.Maisilsecontentadesoupireretdefourrersesmainsdanssespoches.
–Jesaisquetum’asentendueparleràRhodel’autre jour,sur leterraindetir. J’étaissurprisede letrouver là,tentai-jed’expliquer.
–Jem’endoute,tupenses.–Jenepeuxpasdirequeje…Àcesmots,iltournavivementlesyeuxversmoi.–…quejenet’aimepas,terminai-je.Il soutintmonregardmaisneréponditpas.Neditpas :«Moiaussi, je t’aime.» Je lui laissaiencorequelques
secondes.–Trèsbien.Jetournailestalonsetpartisàlahâte.–Attends!Lenah,attends!Maisjen’attendispas.Jecontinuaiàavancer,deplusenplusnoyéepardesvaguessuccessivesdehonte.Jen’en
revienspas:jeluidévoilemessentiments,etilneréagitpas.Rien,aucuneréaction!Celaneluiressemblaitpasdutout.J’avançai,avançai,jusqu’àmeretrouverpresquedevantSeekerHall.
Jem’arrêtaiàcôtédelabibliothèque,saisieparunpuissantdésird’yentrer.Ilrestaituneheureavantl’extinctiondes feux. Je voulaisme rendre dans la salle d’écoute, où ilme suffirait d’appuyer sur un bouton pour écouter lamusique de mon choix. Et où je pourrais être seule. Je mettrais peut-être du Mozart. Je l’avais vu en concertplusieursfois.Quatre,pourêtreexacte.
J’avais fui les paroles de Justin. J’espérais à présent que la salle d’écoute m’aiderait à oublier son regard. Jepénétraidanslabibliothèqueetremontail’alléecentralepourrejoindrelespetitespièces,aufond.J’avaistravaillélàl’annéeprécédente, je connaissaisbien les lieux. Je jetaiun regardpar la lucarnede la salled’écoute : elle étaitdéserte.J’entrai.
Iln’yavaitplusdeCD.Àleurplace,unordinateurétaitposésurunpetitbureau.J’avaispassél’annéeàapprendreàmeservird’unordi.Jem’assisetcliquaisuruneicônemarquéeNOUVEAUXMORCEAUX.Quelqu’unlesavaitclassésparcatégorie:romantique,classique,NewAge,deathmetal…Deathmetal?
Je feuilletai les morceaux pendant un moment, en m’émerveillant des milliers de choix qui s’offraient à moi.Soudain,unemainpassaau-dessusdemonépaule.Jesursautailégèrementtandisqu’elleeffleuraitdoucementmesdoigtsetseposaitsurlasouris.Jen’avaismêmepasentendulaporte.Lamainétaitchaudeetbronzée.
–Metsça,meditJustintranquillement.Ildouble-cliquasuruneballade,unechansontrèsdoucechantéeparunefemme.
–Qu’est-cequetufais?luidemandai-jetandisqu’ilmefaisaitleverdemachaise.–Jedanseavectoi.L’imagedeluifourrantsesmainsaufonddesespochesmerevintentête.–Maisjecroyaisquetum’envoulais.Sesbrasfortsm’attirèrentdoucementcontrelui,etilmepritlesépaulesdesesmainsfermes.Sapaumereposait
aumilieudemondosetjelevailementonverslui.Souslecoldesachemisedépassaituncordondecuirnoir,etunpendentifenargentmiroitaun instant lorsqu’ilbougea,mais ilmeserraplus fort. Jemedemandaiquelgenredebijou c’était, et ce qui avait encore changé pendant l’été. Le son d’une guitare emplit la pièce, et les notesmélancoliques du pianome traversèrent de part en part.Nos regards se rencontrèrent, et l’expression douce deJustinm’incitaàdirequelquechose.
–Jesuisvraiment,sincèrementdésolée.PourRhode,pour…(Là,j’hésitai.C’étaitbizarredes’excuserd’avoirfaillimourirpendantunrituel.)Ehbien,commejel’aidit,jesuisnavrée.Pourtout.
Ilmefittendrementtaireetnichasonnezdanslecreuxdemonépaule.Nouscommençâmesàtourner.–ÀproposdeTony…–Chhhut,souffla-t-il.Cettefois,jefermailesyeux.J’étaisderetouraubald’hiveraveclui,dansantsousleslumièresétincelantes.Dans
cemondemoderne,lesgensdansaientd’unemanièresiintime!Aucorpsàcorps,aucœuràcœur.Jepercevaisledésirde Justindans lachaleurquimontaitentrenousdeux.Desiprès, lamusiquemerendaitconscientedesonenvie.Le vampireenmoi se languissaitdubattementde soncœur.Et lorsque je fermai les yeuxpourécouter lachanson…cefutmoiquimelanguis.
Imagine,sic’étaitRhode.Quedirait-ildesdansesmodernes?Iln’yavaitpasdemouvementschorégraphiéscommeautrefois.Rienquedeuxcorpssemouvantà l’unisson.Si
cela avait été Rhode, ses mains seraient remontées dans mon dos pour me saisir la nuque. Celles de Justin seglissèrent sous mes bras. Ma peau se couvrit de chair de poule. Il me serra plus fort encore, et mes lèvresembrassèrentlabasedesoncou.
Oui,ilestlà.Rhodeestlà.Cen’estpasJustin,c’estRhode.Rhodeaccentua sonétreintependantque la sérénadecontinuait. Jedéglutisnerveusement tout enme laissant
alleràmonfantasme.Rhodeetmoitournionsdanscettepièce,sesdoigtsgracieuxmontantetdescendantlelongdemoncorps.Sachaleur,sachaleurhumaine,m’écrasaitpresque.Iln’yavaitpluslamoindredistanceentrenous.Ilm’embrassadanslecou,envoyantdesfrissonsdanstoutmoncorps.
L’«amour».Quelmotétrange. Infini.Comme ilavaitdéfini toutesmesconvictionspendant si longtemps !Carnousavionsparcourudesdizainesetdesdizainesdedécennies,maindanslamain,toujours,toujours,déambulantsouslalune.Nousnousétionsréjouisdetouslescouchersdesoleildumonde.
–Jet’aimetant…,chuchotai-je.–Moiaussi,jet’aime,meréponditunevoixétrangère.L’accentaméricainm’arrachaàmarêverie.Jeclignaidesyeuxplusieursfois,meraccrochantauxderniersvestiges
demonrêve,maissachantdéjà,enrelevantlementon,quemesyeuxrencontreraientceuxdeJustinetnonceuxdeRhode.
Nouscontinuâmesdedanser,bienquelecharme,pourmoi,fûtbriséenmillemorceaux.–J’aicru,quandtuasvuRhode,quetoutétaitterminéentrenous.JenepeuxpasavoirRhode.Jamaisplusjenetoucheraisamain.C’estfini.–Jepensaisqueceseraitplusfaciledet’envouloir,poursuivit-il.–Jenesuispashabituéeàtevoirencolère.–Jenepeuxpascesserdet’aimer,Lenah,jenepeuxvraimentpas.J’essaie,j’essaie.Maisjen’yarrivepas.Jeleregardaiaufonddesyeuxtandisquerésonnaientlesderniersaccordsdelachanson.Jepeuxyarriver,n’est-cepas?Justinetmoi?C’était tellement plus facile que les rejets sans fin deRhode…Rien de surnaturel n’avait décrété que nous ne
pouvionspasêtreensemble.Riennesedressaitentrenous.Justin prit ma joue dans sa paume et passa son pouce sur ma pommette. Je cherchais son regard. Était-ce
seulementdel’amour?L’amour,c’étaitdelachaleur,duréconfort.L’amour,c’étaitpour lesvivants.Justinpouvaitm’aideràmesentirànouveauenvie.Jelesavais.Jel’avaisressentil’annéepassée.
Ilsepenchapourm’embrassersurleboutdunez.–Tuveuxqu’ons’enaille?medemanda-t-il.Ilresteunedemi-heureavantlecouvre-feudébileinstauréparWilliams.Iléteignitleslumièresetmevolaundernierbaiseravantmetendrelamainpourmeraccompagnerchezmoi.
Chapitre10Ilavaitpluaupetitmatin,et l’herbeenétait toute luisante.Ellemechatouilla lesdoigtsdepied tandisque je
tournaisaucoindubâtimentCurie.MrsTatearrivaenmêmetempsquemoi,l’airpressé.–Lenah,dit-elleens’arrêtantdevantmoi.Jesuisbiencontentedetetrouver.Il fautquenousdiscutionsdeton
projetdetravauxpratiquespourlesemestre.Elle déblatéra pendant un moment sur Justin et moi et sur l’importance du travail d’équipe. Je pris quelques
papierssurletasqu’elleavaitdanslesbrasetlestinspourelle.–Ah,merci,medit-elleenpoursuivantsonlaïus.Jel’écoutaiencoreunpeu,maisleventmedéconcentrait.Ilétaitplusfortqu’unesimplebrise.L’airquiserpentait
entrelesarbresetsoulevaitmescheveuxétaitcommemûparunevolontépropre,dirigéparuneintention.Jelissairapidementdelamainmesmèchesdécoiffées.LavoixdeMrsTates’estompaetjemedésintéressaitotalementdecequ’elleracontait.
Au-dessusdenous, lesfeuillagesseremirentàfrémir.Lemurmuredelafontaines’assourditcurieusement.Pasbesoindeperceptionsvampiriquespourcomprendre.J’avaistoujourscetteintuitionenmoi.
Jelesentaisdansl’air:quelqu’unm’observait.Jefouillai lesombresduregard,prêteàmecontenterdumoindreindice.Unfinsourire,oudesyeuximmobiles
commelamort.–D’accord,Lenah?conclutMrsTate.–Oui,biensûr.Ellesourit,mêmesij’ignoraistotalementcequejevenaisd’accepter.Jescrutaisleparc,devantmoi,maissansma
vue vampirique, je ne pouvais pas espérer voir jusqu’à l’autre bout du campus. En pivotant pour la suivre àl’intérieur, jeprisconscienceque lesboisquiencerclaient le lycéesetrouvaient justederrièrenous, toutprès. Ilsétaientparfaitspourdissimulerunepersonneépiantunevictimeinnocente.
–Lenah,jeveuxquetumerendesleplandecedevoirdèsaujourd’hui,meditMrsTatedepuislehalld’entrée.Monregards’attardasurlesarbresetsurlesoleilmatinalquifiltraitentrelesbranchages.Jen’avaispasletemps
dechercherunespion.Lorsquej’entraienfin,cefutavecunecertitudeabsolue.J’étaistraquée.
JemeglissaisurmachaiseàcôtédeJustin,tâchantdefairedisparaîtrelachairdepoulequis’attardaitsurma
peau.Justinavaittoujourslamainbandée,etjerepensaiuninstantàsesbrasautourdemoi,danslasalled’écoute.–Jenepeuxpasmesortirhiersoirdelatête,meconfia-t-il.Souslapaillasse,ilmepressalegenou.Jeluisouris.Peut-êtrequeceneseraitpassidur,d’êtreaveclui?Ilsavait
commentm’apaiser.Lafilledel’andernierexistaitpeut-êtreencore,cellequivoulaitêtrehumaine,quiavaitbesoindeJustinpoursesentirtelle.PascommeRhode.Rhode,quiétaitbienplusfortquemoipourobéirauxAeris.
–Ehbien,elleneperdpasdetemps,commentaJustin.HierlestestsdepH,aujourd’huilasédimentationjenesaisquoi.Jen’arrivemêmepasàprononcerl’autremot.
Eneffet,l’expérienceétaitcompliquée,trèscompliquée.Lorsquenousnouslevâmespourallerchercherlesujetdudevoir, jeprissoind’éviterderegarderRhode.Jenetournaimêmepaslatêtedanssadirection; ilauraitsuffiquejelefassepourressentiruneconnexionétrangeetincontrôlable.Jenesavaistoujourspasprécisémentcequiavaitprovoquél’odeurdepommes,l’affluxdesouvenirsetcetaperçudesespensées.
–Onpourraitpeut-êtredînerensemble,meproposaJustin.–Ah…Jem’en voulus de regretter que cette proposition ne vienne pas de Rhode. Dansma tête, je voyais une pièce
éclairéeauxchandelles ;Rhodeetmoi,assisàune longuetabledechêne, levionsdescoupesempliesdesang.Jen’avaisjamaispartagéunvrairepasaveclui.Jemedemandaiquelsétaientsesplatspréférésdanslemonderéel.
–Lenah?Alors,pizzacesoir?–D’ac!JesongeaialorsauxtablesenFormicaetauxcouvertsenplastique.Àlacuisinegraisseuseetauxserviettesen
papierdelacafèt’.Cettecafétériaoùnousavionsdînéensemblel’annéeprécédente,desdizainesdefois.Je sentais physiquement le vide qui séparaitma chaise de celle deRhode. Je savais très bien que les bougies,
cellesdemasalleàmangerd’Hathersage,étaientconsuméesdepuislongtemps.J’auraispuparierqueRhodedétestaitlespizzasdel’époquemoderne.Cen’étaitpasassezraffinépourlui.Justinprituneboîtede lamellesdeverrepour lemicroscope.Lorsqu’il tendit lebras, jerevis lecordondecuir
qu’ilportaitautourducou.Jemegrandispourmieuxvoirlependentif.–Andreamefaitlatête,dit-ilavecl’ombred’unsourire.Ellenemeparleplus.–Désolée,répondis-jeenretournantavecluiversnotrepaillasse.Justinmetenditunepipetteetdelateintured’iode.–Moipas,mesouffla-t-ilavecunclind’œil.Dansl’après-midi,j’essayaidefaireunesieste,maisdessirènesdéchirantlecalmeducampusm’enempêchèrent.
Jerejetaimesdrapsetcourusàlafenêtre:desagentsdesécuritéfaisaientdégagerlesélèvesdesallées.Del’autrecôté de la pelouse, des professeurs semblaient faire évacuer le bâtimentHopper et diriger tout lemonde vers lefoyer.
Le bruit d’une autre sirène me parvint par vagues, enflant à mesure que la voiture se rapprochait avant des’arrêterdevantHopper.Jem’efforçai,envain,denepaspenseràlamortdeTony,danscetédificemême.J’aperçus
alorsVickenetRhode,justeàcôté.LeregarddeRhodeaccrochalemien.D’unsimplehochementdetête,ilmefitsignededescendre.Jesuivisimmédiatementsonordre.Jen’avaisjamais
suluidirenon.
–Ques’est-ilpassé?demandai-je.Ilyavaitdescentainesd’élèvessurlapelouse.Danslefoyer,lesgenssepressaientcontrelesvitrescirculaires.–Ilfautquej’ailleàl’atelierd’art,disaituneélèveàunpolicier,uncartonàdessinssouslebras.Jedoisrendre
monportraitdemain.–LebâtimentHoppervaêtrefermépendantenvirondeuxheures,luiréponditl’hommetoutenfaisantunpasde
côtépourlaisserpasserunvigile.–Est-cequ’ilyaencoreunmort?demandaquelqu’un.–Rentrezdansvosdortoirs,s’ilvousplaît.–Alorsc’estvrai,quelqu’unestmort!Toutlemondecommençaitàsortirsontéléphone.Un troisième véhicule de police arriva. Sa sirène était éteinte, mais les gyrophares bleus tournaient sans fin.
Vickenmetiraparlamancheets’éloignaavecmoidutumulteambiant.–Unefenêtreestouverteàl’arrièredugymnase,m’informa-t-il.LegymnaseétaitattenantaubâtimentHopper,etl’arrièredonnaitsurlepieddelagrandebutteduchampdetir
àl’arc.–Allons-y,ditRhode.–Maisnenousfaisonspasremarquer,précisaVicken,quipensaittoujoursensoldat.Marchezlentement.Unparun,nousfîmesletourdubâtimentHopper.Unefoissouslesfenêtresdugymnase,jereprislaparole.–Ava.C’estforcémentelle.Ellenousaavertis,àl’herboristerie.Elleabienditqu’ellereviendrait.Etj’aisentisa
présencecematin.–Tuassentisaprésence?s’étonnaRhode.–J’aisentiqu’onm’épiait.Jesupposequec’étaitelle.–Ehbieniln’yaqu’unmoyendelesavoir.Ilnousfautdespreuves.Desindices.–Desindices,répétai-jecommeunperroquet,toutenpassantlesmainssurleborddesfenêtres.Celles-ci, qui s’ouvraient à plus de unmètre de haut, étaient d’étroits rectangles horizontaux. Je pourraism’y
glisserfacilement,maisVickenetRhodedevraientattendrequejevienneleurouvriruneporte.Passantlamainparlafenêtreentrouverte,jeparvinsàatteindrelapoignée,ouvrirengrandetmeglisserdansle
gymnase.Àl’intérieur,ilfaisaitsombre.Jefisquelquespas,puisregardailesgarçonsparlafenêtre.–Vas-y,mechuchotaRhode.–Ellenedevraitpasyallerseule,s’inquiétaVicken.–Pasdeproblème,lerassurai-je.Etjem’approchaisansbruitdesgrandesportesdugymnase.Jepoussaiundesbattants,àpeine,justeassezpour
jeter un œil dans le couloir. Personne. Une fois passé le coin, je me retrouverais dans l’aile administrative dubâtimentHopper.Lebureaudelaproviseurétaitlà,ainsiqueceluidesinscriptions.Jem’engageaidanslecorridoretentendisdesvoixquivenaientdesbureaux.
Lorsqu’onestvampire,gardersonassuranceestcrucial.Aufildesans,onacquiertdeplusenplusdeconfianceensoi.Àprésent,simpleêtrehumain,j’avaisdumalàlaretrouver.Jetâchaidenepasfairelemoindrebruitmalgrémeslourdesbottes,etm’approchaiainsidesvoix,auboutducouloir.Moncorpsn’étaitplusaussiagilequ’autrefois;àprésent,mesorganesétaientremplisdesangquicirculait.Jem’arrêtaienfinderrièrelaportedubureau.
–Morte.Ensommes-nouscertains?demandaMrsWilliams.–J’enaibienpeur.Depuisaumoinsunedemi-heure,réponditquelqu’unquejen’identifiaipas.–Quevais-jedireauxélèves?s’enquitfaiblementladirectrice.–Noshommesvontdevoirenquêterenprofondeur,madame.LemieuxseraitquevousremplaciezMrsTateetque
vousdéplacieztemporairementsesbureauxdansunautrebâtiment.Mamainretombadumur;jenem’étaispasrenducomptequej’avaislepoingserré.MrsTate?Maprofdesciences?–Maisjenecomprendspas,ditMrsWilliamsd’unevoixbrisée.Ilyeutunsilence,puisquelqu’unsouffladansunmouchoir.Lesbruitsdepasserassemblèrentprèsdelaporteet
laproviseurrepritlaparoled’unevoixétranglée.–Pourquoiavoirlaissécemotsurlecorps?Quesignifie-t-il?–C’estcommeunedevinette,réponditquelqu’un.–Nousl’emporteronsaveclesautrespiècesàconviction.–Lesquelles?Vousavezditqu’iln’yavaitpasd’empreintes.–Ilsemblequ’elleaitététuéeexactementcommelesdeuxautres.Plaiesouvertes,importantepertedesang.Nous
allonsdevoirphotographierlecorpsetlaisserlesmédecinslégistesl’expertiser.–Àvousentendre,onsecroiraitdansunfilmd’horreur,inspecteur.–Celaarrivedetempsentemps,eneffet:uncingléquiatropregardéDracula…Ànouveau,despas.Oh,non!Ilsallaientsortirdubureau.Jecherchaiuneissue.Avisaiuneportedanslecouloir.
Jecourus,l’ouvrisetm’engouffraidansunpetitplacardàbalais.Jemelaissaiglisserausol,ledoscontrelemurdeciment,lesgenouxremontéscontrelapoitrine,retenantmonsouffle,lesangmebattantauxoreilles.
–MrsWilliams,ilvafalloirquevousinterdisiezl’accèsàcettezone.Nouslafermeronsavecdurubanetlaferonssurveillertoutelanuit.
–Etelleestvraimentrentréejusqu’aucampusenvoiture?Alorsqu’ellesevidaitdesonsang?insistaWilliams.–Ilyadusangpleinlavoiture,maisnousneconnaissonspasencorelesdétails,madame.Ilfallaitquejevoielecorps,pourêtresûre.J’espéraisqu’ilsn’allaientpasl’enlevertoutdesuite.Lesvoixs’éloignèrentdanslecouloiretquittèrentlebâtiment.Jegardaismonbrasserrécontremoi,afindene
pasrenverserunbalaiposéenéquilibreprécaire.J’entrouvrislaporte,justeàpeine,etjetaiunœildanslecouloir.Unpolicierétaitrestéenfactiondevantlebureau,sansdoutepourgarderlecorps.Ilallaitfalloirquejemeglissedanslapièceparlaportecommunicantedubureauvoisin.
L’agentsetenaitdanslapositionréglementaire,lespiedsàlargeurdeshanches,lesmainsdansledos.Ilfallaitjustequ’il regardeailleursun instant.Qu’il soitdistraitparquelquechose,n’importequoi. J’attendis.Pendant cetemps, je savais que Rhode et Vicken allaient finir par perdre patience et venir à ma recherche. Allez, regardeailleurs,crétin!
Dehors, une fille poussa un cri strident. L’agent pivota vivement pour regarder par la fenêtre. Parfait ! Lehurlementsetransformaenrirependantquejerampaishorsduplacardàbalais.Jeduslaisserlaporteentrouverte
derrièremoi.Jetraversailecouloiràquatrepattesetmeglissaidanslebureaud’àcôté.Puisjemelevai,attendisencoreunpeuetm’adossaiàlaportedecommunication.Jetâchaidecalmermarespiration,etattendisdevoirsileflicm’avaitentendue.ContrairementàAva,j’avaisdesempreintesdigitales.Donc,jeprisànouveausoindegardermesmainsserréescontremoi.Jesavaismedéplacerensilence,enfaisantportermonpoidssurtoutelaplantedemonpied,demanièrerégulière.Ilfallaitquej’entredanslebureau.Quejevérifiesiouiounonc’étaitbienAvaquiavaittuéMrsTate.
Jeretiraimabotteetmachaussette,etmeservisdecettedernièrepour faire tournersansbruit lapoignéedeporte.Jeremismabotteet,àquatrepattes,entraidanslebureaugardéparlepolicierrestésurleseuilcôtécouloir.
Jamaisjen’auraispeurdesmorts.Jamais.JevisenpremierlestalonsdeMrsTate.Ellegisaitausol,surleflanc.Elleétaitrevenueenvoiturepourmouririci,danscebureau.
Unemorsuredevampirecontinuedesuinterpendantdesheuresaprèslamortdelavictime.Enm’agenouillantàcôtéducorps,jesentisqu’ilétaitfroidsansavoiràletoucher.Uncorpsvivantdégagedelachaleur.Celui-ciétaitcommedumarbre.Etvoilà, je les trouvai :deuxpiqûresdanssoncou,crachantencoreun liquideépais.Cequ’ilrestaitdusangdeMrsTate.L’écoulements’arrêteraitbientôt,sansaucundoute:plusletempspassait,pluslesangs’épaississait.
Sesyeuxétaientclos,quelqu’unavaitdûfermersespaupières.Etsurlesol,àcôtéducadavre,ilyavaitunpetitpapierblanc.LemessagementionnéparMrsWilliams.
Jolimentcalligraphiéàlamain,àl’ancienne,onpouvaitlire:Lamortpeutêtrerapide,vivecommelaflamme,Oulente,lente,DelapointeducouteauSansfinSurlapeau.
Jeréprimaidifficilementuncrid’horreur.Enbasdelafeuilleétaitécriteencoreuneligne.
Tusaiscequejeveux.
–C’estcommeunpetitpoème!commentaVicken.Charmant.Enfin,quandonaimelespoèmesmenaçantssurle
meurtreetlamort.–Ellelefaitexprès,soulignaRhode.–Évidemmentqu’ellelefaitexprès.C’estexactementcequej’auraisfaitàsaplace.C’estimmonde.–Unparun,ellevaocciretousceuxqu’ellesaitprochesdetoi,Lenah,poursuivit-il.Celadoitfairedesjoursetdes
joursqu’ellenousépie.Jemarchaisdelongenlargedevantlafenêtredugymnase.–Lepoèmeannonced’autresmorts.Destorturesprolongées.Ellenerenoncerajamais,ditencoreRhode.Vickencroisalesbras.–Alors,qu’est-cequ’onfait?Onnepeutquandmêmepasluidonnerlerituel!–Biensûrquenon,répondis-jeimmédiatement.Penseunpeuauxconséquences…Cesconséquencesquej’avaisvuesdanslerêveenvoyéparSuleen.–Pourl’instant,laseulechoseàfaireestderejoindrelesautresélèves,indiquaRhode.Williamsaconvoquéune
réunionaufoyer.Encore un décès. À ce rythme, le lycée ne tarderait pas à fermer. Ce serait certainement obligatoire. Le seul
endroitoùnouspuissionsnousrendreétaitHathersage.IlmefaudraitquitterLoversBay.Ennouséloignantdugymnase,nouspassâmesdevantlavoituredeMrsTate.Unagentdelapolicecriminellela
prenaitenphoto.Lesvigilesdirigeaientdéjàlesélèvesverslefoyer.TracyetClaudiamarchaientcôteàcôte,àlatêted’unvastegroupe.– Je pense à quelque chose, dit soudain Vicken en s’arrêtant à côté de l’auto.Mrs Tate n’a pas été tuée dans
l’enceinteducampus.Lenah,tuasditqu’elleétaitrevenueauvolant,ensang.Elleaéchappéàsonagresseur.–Ouonl’alaisséepartir,précisaRhode.–Quoiqu’ilensoit,laforcedurituelesttoujourslà.Avanepeutpass’introduiredanslecampus.Pasencore.–Parici,jevousprie,intervintunvigile.Nousentrâmesdanslefoyeret,parlamêmeoccasion,dansunchaosabsolu.
Chapitre11– Je répète,cetaccidents’estproduitendehorsde l’établissement.Endehors, j’insiste. Iln’yapasderapport
entrel’accidentdeMrsTateetlasécuritédulycée.Etmaintenant,poursuivons.Ilyeutuntumultegénéral,maisMrsWilliamsélevalavoixdanslemicro.–Silence!Àpartirdemaintenant,seulslesélèvesdeterminaleserontautorisésàsortirducampus,etilsdevront
signalertoutesortieettouteentrée.Etnesortezjamaisseuls,toujourspardeuxouplus.CequiestarrivéàMrsTates’est déroulé à l’extérieur et semble indépendant des deux autres malheureux événements. Néanmoins, nousinsistons fermementsurunsystèmed’accompagnement,oùquevousalliez.L’enceintedeWickhamdemeure,plusquejamais,l’environnementleplussûrpourlesélèves.Ilyeutuneexplosiondevoixetdequestions.–Pourquoiest-ellerevenuemouririci?criaquelqu’un.–Ducalme,s’ilvousplaît.Jen’ensaisrien.MrsWilliamslevalesdeuxmainsetlesilencerevint.Lesfenêtresétaientfermées;dansceréfectoire,nousétions
entourésdecomptoirsetdeconteneursmétalliquesvides.–LoversBay,Massachusetts,n’avaitjamaisconnuunteldegrédeviolenceetjesuiscertainequecetincidentest
ledernier.–S’ils’agitd’unaccident,pourquoidevons-nousnousdéplacerpardeux?demandaquelqu’undansl’assistance,
soulevantunenouvelleavalanchedecrisetdequestions.–Jeveuxdesréponses!lançauneélèvedesecondeavantdefondreenlarmes.–Taisez-vous!tonnaMrsWilliamsdanslemicro,sifortquecertainssecouvrirentlesoreilles.Lesdéplacements
de groupe sont lameilleure solution pour assurer la sécurité des élèves sur n’importe quel campus, àWickhamcommeailleurs.Regardantautourdemoi,jefinisparrepérerJustin.Ilétaitdel’autrecôtédelasalleavecsonéquipedecrosse.–Cetétablissementestl’endroitleplusprotégéoùvouspuissiezvoustrouver,insistaWilliams.–Fautcroirequenon!commentaquelqu’un.– Je comprends que quelques-uns d’entre vous aient envie de rentrer chez eux, et nous ne pouvons vous en
empêcher.Maiscommenousl’avonsrépétéàvosfamilles,l’accidentdevoituredeMrsTate,survenuàl’extérieur,n’étaitquecela:unaccident.–Ellement,chuchotai-jeàVicken.–Toutlemondelesent,merépondit-il.Àunpointimpressionnant,d’ailleurs.–Queressens-tud’autre?s’enquitRhode.–Ehbien…Ilsvoientbienqu’elleestbouleversée.Laplupartd’entreeuxsontencolère.Ilssaventqu’ilyaunlien
entrecesévénements.Ilssesententtrahisdansleurconfiance.–Tun’éprouveraispaslamêmechose?soufflaRhode.La réunion s’acheva, et la plupart des élèves restèrent sur place pour parler deMrsTate.Certains pleuraient,
d’autresdemandaientcequ’il enétaitde leursdevoirsà rendre.Quelques-unsvoulurent savoirquiassurerait lescoursdesciences.Jenepouvaispaspleurer.Jen’enavaispasenvie.J’avaisvulamarquedelamort.Jedemeuraislà,àattendrederessentirquelquechose,uneoncedechagrin.Maisjen’arrivaisàéprouverquede
lacolère.Delacolèreetdelaragecontremoi-même.ContreAva.ContreRhodeetcontrelessouvenirspartagésquejenecomprenaispas.–Lenah!Jerelevaivivementlatête.Rhodeétaitdevantmoi.–Quoi?D’unbrefhochementdumenton,ilm’indiquaClaudiaetTracy,quisetenaientnonloindemoi.Visiblement,ily
avaitunmomentqu’ellestentaientd’attirermonattention.–Commenttesens-tu?medemandaClaudia.Jehaussailesépaules.–Çapeutaller.Jemepoussaipourleurfairedelaplace,maisClaudias’assitàcôtédeVickenetjemedemandaisiellelefaisait
exprès.Elledégageaitunparfumsucré,prochedeceluidelavanille.–Tusensbon,luidis-je.Jeconnaiscetteodeur.–C’estl’ancienparfumdeKate.Jem’intéressaiimmédiatementauFormicadelatable.–Oh.Voilàtoutcequej’arrivaiàrépondre.–TuétaisprochedeMrsTate,non?demandaalorsTracy.Elleposaitsurmoiunregardinterrogateur,etjecomprissoudainqu’elles’adressaitàmoi.–Pasvraiment.Jeréfléchisàl’annéepassée.Non,onnepouvaitpasdirequej’étaisprochedeMrsTate,maiselleétaittoutde
mêmelepremieradulteavecqui j’avaispassédutempsdepuismesparents.C’est-à-diredepuiscinqcentquatre-vingt-douzeans.–C’estlatroisièmevictime,lâchaClaudia.–Ontientdescomptes,maintenant?fitTracyenprenantunegorgéedesoda.
–Ondevraitpeut-être.–Unecoïncidence,tranchaRhodequiselevaets’enalla.Tracylesuivitdesyeuxjusqu’àlaportedelasalle.–Tunedispasgrand-chose,fitremarquerClaudiaàVicken.–Jenesuispasd’untempéramentinquiet,répliqua-t-il.Claudiapoussaunlongsoupiretsecoualatête.–Jen’aipasenviedevoirMrsTatequandilsvont…(Ellefrissonna.)Quandilsvontlasortirdubâtiment.–Moinonplus.Jemeremémorailespectacledesoncorpssansvie,lestalonsdeseschaussures.–Tuveuxvenirfaireuntourenvilleavecnous?meproposaTracy.Elleselevaetlissaledevantdesontee-shirtbleu.J’admirail’harmonieentrelacouleuretsapeau.–Maintenant?–Oui,maintenant,s’impatientaClaudia.Jeveuxallerquelquepartoùilyaitdumonde.Aucinéma,parexemple.Mauvaiseidée.Danslenoir.–Oualorsunebaladeenvoiture?suggéraTracy.Claudiaselevaetcroisalesbras.–Jen’enrevienspasqueturestesaussicalme,dit-elleàVicken.Ilselevaàsontour.–Queveux-tuquejefasse,belleblonde?Quejecourepartoutenhurlant?(Ilpritunecigaretteentreseslèvres.)
Lamortnousarriveàtous.Elleenfrappecertainsplustôtqued’autres,voilàtout.Ilsortitdufoyerenlaissantl’odeurdesacigarettederrièrelui.Justinvintalorsnousrejoindreetmepritimmédiatementparlamain.Jeleserraicontremoietrespiraidansle
cotonrassurantdesachemise.Jem’attardaiunmomentainsi,prenantletempsdelaissersaforcerechargermesbatteries.–Tu veux venir avecnous ? lui demandaClaudia.On va faireun tour en voiture.Histoirede sortir unpeudu
campus.Justinserembrunit.–Jenepeuxpas.L’entraîneurveutréunirl’équipedecrosse.Jemedégageaietilmeregardadanslesyeux.Jesentaisqu’ilavaitunequestionentête,maisqu’ilnepouvaitpas
melaposerenprésencedeClaudiaetTracy.Avaest-ellederrièretoutcela?Ungroupedepom-pomgirlspassadevantnous.Toutessetenaientparlesbras,parlesépaules,ouparlamain.
Aumilieu,l’uned’entreellespleuraitàchaudeslarmes.Claudiametiraparlamanche.–Jen’enpeuxplus.Tirons-nousd’ici.–Faisattentionàtoi,meditJustinenm’embrassantrapidement.–T’inquiète.J’ailalumièredujouravecmoi.
JesavaisqueRhoden’aimeraitpasmesavoiràl’extérieuraprèsl’assassinatdeMrsTate,maisallermepromener
dansunlieupublicnemesemblaitpasdangereux.Etmêmesinousfaisionsjusteuntourenvoiture,nousserionsdanscelledeClaudia;siellesvoulaients’arrêterquelquepart,jeleursuggéreraisunlieufréquenté.–Ilfautjustequejepasseprendremonportefeuille,dis-jeenmedirigeantavecellesversSeekerHall.Tout enmontant avec les filles, jeme rendis comptequ’ellesn’étaient jamais venues chezmoi,mêmependant
l’annéeprécédente,à l’époqueoùTonyvivaitencore.Tracysetenait justederrièremoi,siprèsque je l’entendaisrespirer.–J’arrivetoutdesuite,dis-je.–Onnepeutpasentrer?medemanda-t-elle.Tuesagentsecret,Lenah,ouquoi?Hum.J’auraisdûm’yattendre.–Si,biensûr,entrez!Jetournai laclédans laserrure.Mesrameauxderomarinetde lavandeétaientaccrochéssur laporte,comme
d’habitude.–Mignon,commentaClaudiaenleseffleurantduboutdesdoigts.Moiaussi,quandonm’offreunbouquet,jele
faistoujourssécher.J’ouvrislaporteetellesentrèrent.Ellespoussèrentdes«oh»etdes«ah»endécouvrantl’épée,monmobilieret
toutl’espacedontjedisposais.CefutTracyquilevaledoigtpourtoucherl’épée.–Àtaplace,j’éviterais,luidis-je.Elleesttrèsaiguisée.–Pourquoias-tuuneépéecheztoi?–C’estunhéritage.Ilfautvraimentqu’onsorted’ici,medis-je.–Qu’est-cequiestécritdessus?Ita-fert…–Itafertcordevoluntas.C’estdulatin.Çaveutdire:«Ellesuitlavolontéducœur.»–Ellesuitlavolontéducœur,répétaTracyauboutd’uninstant.Çameplaît.Nousobservâmesensemblelalongueépéeàlaquellej’étaissihabituée.Jesupposaisqu’eneffetelledevaitêtre
assezimpressionnantepourquilavoyaitpourlapremièrefois.–Qu’est-cequ’ilyasurtonbalcon?medemandasoudainClaudia.Tutravaillessurunprojetartistique?Jemeretournai.Lesmainspresséescontrelaporte-fenêtre,ellelevaitlementonpourmieuxvoir.Mes cendres de vampires s’obstinaient à rester collées au carrelage. L’essentiel avait été balayé par les pluies
orageusesdel’été,maisilenrestaitquiscintillaientausoleildemidi.Jedécidaiquelemieuxétaitencoredejouerlesidiotes.–Non,jenesaispasd’oùçavient.Bon,onyva?Et nous voilà parties. Je baissai la vitre de la BMW de Claudia pour sentir l’air de la fin d’été s’engouffrer à
l’arrièreetdérangermescheveux.–Joie,joieetbonheur.NepaspenseràMrsTate.C’estlajoiiiiiiie!clamaClaudiaenmettantdelamusiqueeten
montantlevolume.Une forte explosion de guitares, de synthés et de voix multiples résonna à mes oreilles. La chanteuse parlait
d’amouretdechewing-gum.Onétait loindeMozart. JenotaiqueTracyétaitexceptionnellementsilencieuse.Elleregardaitparlafenêtre.–Quepensez-vousducentrecommercial?demandaClaudiaauboutd’unmoment.Onpourraitallery faireun
tour.Oui.Malin.Pleindelumière.Pleindegens.
Celapeutparaîtreidiotaveclerecul,maissurlemoment,c’étaitbondesortirducampusenseptembre,tantquejepouvaisencorealler fairedushoppingcommeuneadolescenteordinaire.C’est-à-direavant ledébutde laNuitRouge.Claudiapritunvirageserréetlemoteurvrombit:nousentrionssurl’autoroute.Jedusmereteniràl’accoudoir
centralpournepasêtreprojetéecontrelaportière.–Alors,melançaClaudiadebutenblanc.Parle-moideVicken.Jem’agrippaideplusbelleàl’accoudoirtandisqu’elleprenaituneautrebretelle.–Joli,sonœilaubeurrenoir,semoquaTracy.C’étaientlespremiersmotsqu’elleprononçaitdepuisqu’elleétaitmontéeenvoiture.–J’aitoutletempsenviedeletoucher!affirmaClaudia.Maiscequel’onentendaitdanssavoixn’étaitpasdudégoût.C’étaitplutôt,disons…del’excitation?–C’estdeVickenqu’onparle,là?demandai-je,étonnée.Sanguinaire.Excellentàl’épée.Tuauraisfaitunparfaitcasse-croûtepourlui.–Ilestécossais?s’enquitencoreClaudia.–Oui,ilvientdeGirvan,surlacôte.–C’esttoncousingermain,c’estça?–Exactement,mentis-je.Lefilsdufrèredemamère.–Allez,vas-y,demande-lui,s’impatientaTracy.Ilaunecopine?–Je…Jenecroispas,répondis-je,légèrementhorrifiéeàl’idéedeClaudiaetVickenensemble.Elletournasibrutalementdansleparkingducentrecommercialquejenouscrusbonnespourunaccident.Mais
parmiracle,elleévitalesautresvoitures.D’ailleurs,toutesdeuxétaientdéjàdescenduesletempsquejereprennemonsouffle.Elles me faisaient l’effet de parler une langue étrangère : elles comparaient des tendances auxquelles je ne
comprenaisgoutte.«Hippiechic.Robetrapèze.»«Etlesplatformshoes,c’estencoretendance?»«Plutôtdescompensées?»C’étaitRhodequim’avaitfournilaplupartdemesvêtementsl’anpassé.Jemecontentaisdelesportersansme
poser de questions. Je nem’étais pas intéressée à lamode depuis l’époque victorienne. J’avais acquis un peu desavoir,maisj’étaistoujoursnullelorsqu’ils’agissaitdefaireunchoix.Claudiametiraparlebraspourmefaireentrerdansuneboutique.–Lenah,ilfautquetuessaiesceci.Cettecouleurt’iraittellementbien!Ellememontraitunmannequindanslavitrine.Vêtud’untopmandarineflottantau-dessusd’unjean.L’étoffeétait
douceetaérienne;lacouleurmerappelaunsouvenir.Unesoiréeàl’Opéra,unesublimerobeorangée.Entantquereinevampire,lemoyenleplussimpled’attirermesvictimesavaitétédelestenteràl’aided’objetsexquis.Aussitôtqu’ellesm’approchaientpourmecomplimentersurmatoilette,ehbien…Claudiatrouvalemêmetoporangesuruncintreetmelefourradanslesmains.Peuaprès,nousentrionschacune
dansunecabine,desvêtementspleinlesbras.ClaudiaetTracyessayaientlesfringuesàlachaîne,sortantdanslesalond’essayagepour s’observer sous tous lesanglesdans laglaceet échangerdescommentaires. Jenem’étaisjamais montrée à quiconque dans des vêtements modernes autres que mes frusques noires. Demander uneapprobationsemblaitidiot,maisapparemmentc’étaitlachoseàfaire.–Lenah!Jeveuxvoircetop!s’écriaClaudia.Gênéecommetout,jesortisvêtuedutopenquestionetmetournaipourlemontrerauxfilles.Claudiaenrestabouchebée.–Oh!Tuessplendide!souffla-t-elle.Ilfautquetuleprennes!–Lacouleurtevatrèsbien,approuvaTracy.Surlemoment,danscecentrecommercial,j’auraispresquepuoublierlalettred’Ava.LamortdeMrsTateetcelle
deKateaussi.Envisagerd’acheterdesvêtementsauraitpumedistraire.Jepouvaismêmem’imaginerrentrantaulycéepourlesarborerdevantRhode.J’enfilai ensuiteune robemoulante rose, très contemporaine, à largesbretelles, courte et décolletée. J’adorais.
J’espéraisqu’elleplairaitaussiauxfilles.J’auraisvouluquelesdamesdesannées1900,avecleurscorsetsetleurstournures,mevoientencemoment.Jesortisdelacabine;mesamiesétaiententraind’admirerdesrobesnoiressemblablesàlarosequej’avaissurledos.Justinallaitl’adorer,parcequ’elleétaitprèsducorps.Ilremarqueraitquejeportais autre chosequedunoir, etmediraitque j’étaisbelle. Ilme rappelait combienc’était importantque jeparticipeàcemondemoderne,commeSuleenm’avaitconseillédelefaire.Rhodenem’avaitjamaisvueainsivêtue.Jen’étaismêmepassûrequ’ilremarquaitencoremoncorps,maintenant
quecelui-cin’étaitplusserréparuncorsetnimodeléparunetournure.Pendantce temps,une femmedehaute tailleadmirait sonrefletdansunmiroirà trois faces,auboutdusalon
d’essayage.De longs cheveux blonds tombaient demanière parfaite dans son dos. Elle s’adressa à elle-mêmeunsouriresatisfait,etpassalamainsursonventrepourlisserlarobe.
Oh,non.Sapeauétaitimpeccable.Trop.Cescheveuxblonds.Cesonglesrouges.Horriblementtaillésenpointe.Ava.Jebattis aussitôt en retraitedansmacabined’essayage, etplaquaiunemain surmabouchepour réprimerun
hurlement.Jetremblaisdetousmesmembres, incapabled’empêchermoncorpsderéagirainsi.Commentétait-cepossible ? Comment faisait-elle pour supporter la lumière vive de la mi-journée ? Je reculai involontairement etbaissai la tête :une longue jambegalbées’insinuaitdans l’espaceouvertsous lepanneaudeséparationentre lescabines.Féline,lafemmes’aplatitausoletseglissadanslamienne.Enuninstant,ellefutjustedevantmoi.Acculéecontrelaglace,jem’entendaisrespireràpetitscoupsrapides.Saboucheformaalorsunrictusgoguenard,tachéderougeàlèvres.–Allez,sors,Lenah!melançaClaudiadepuislesalond’essayage.Mesamies…–J’arrivetoutdesuite!Avafitunpasdansmadirection.Souslesnéons,sapeauluisaitcommedumarbre.Elleressemblaitàunestatue
mouvante.Elleinclinalatêtesurlecôté.– Surprise deme voir, Lenah ? Tu te croyais en sécurité dans la lumière ? Tupensais que tu ne risquais rien,
entouréed’humains?Lejournemefaitpaspeur.Paslemoinsdumonde.Elleplaquabrusquementunemaincontrelemiroir,justeàcôtédematête.–C’étaitquoi,cebruit?s’exclamaTracy.–Ilestcommentsurmesfesses?luidemandaClaudia,quidevaitêtreentraind’essayerunpantalon.
–Parfait.Jedemeurai ledoscontre lemur.Laseulemanièredem’échapperauraitétéd’ouvrir lacabineetdepartiren
courant,maisAvapouvaittrèsbientuerTracyetClaudiaenunclind’œil.–Tunemefaispaspeur,mentis-je.Avasourit,maispaslongtemps.Sesdentsblanchesbrillèrentuninstantsouslalumière,aprèsquoisescanines
s’allongèrent,pointuesetacérées.Lafaimvampiriquequifaisaitsortirlescrocsprenaitledessus.Ellefitminedesejetersurmoi,puisrit toutbasensereculant.Lamusiquedefondcouvritsonrire,etpendantcetemps,TracyetClaudias’extasiaientsurunchemisier.–LagrandeLenahBeaudonte.Commej’aiattenducemoment!Combienj’espéraisêtrelapremièreàtesaigner!
Sais-tuquej’aidanséavecHeath?Cegrandtypedetoncerclequineparlaitqu’en latin?Oui…dans lesannées1920.Elleapprochasabouchedemonoreille.–Pendantquetudormaissixpiedssousterre,ajouta-t-elledansunsouffle.Jefrémis.Telunanimal,elleeutunnouveaumouvementversmoi,abattantcettefoissesmainsdesdeuxcôtésdematête.
Puiselleinspiraprofondémentenpassantleboutdunezsurmagorge.–Mmm.Àl’odeur,jediraisquetonsangpourraitbienm’illuminer,moiaussi.J’inspiraibrièvement.L’illuminer?Qu’est-cequ’elleracontait?–Nefaispassemblantdenepascomprendre,dit-elleenvoyantmatête.Lerituelpermetdeprojeterdesrayons
desoleil.C’estainsiquetuastuétoncercle.–Faux!Cen’estpascequis’estpassé.–Chhhut,fitAva,melaissantrevoirlespointesdesescrocs.Tesmensongesn’ontpasdroitdecité,ici.Maisàune
époque,c’étaittoilapuissantevampire,non?Devinequic’est,maintenant?Ellepointaundesesonglesenlamederasoirverslecieletmeregardaducoindel’œil.–Biensûr,onnem’appelaitpasAvalorsquej’étaishumaine.Tutesouviensdemoi?Tuastuémamère,monpère
etmonamoureux.DesimagesdesvictimesmasséesderrièrelesAerismebombardèrentsoudain.Samère,sonpèreetsonamoureux
setrouvaientdanscettemasse.J’auraisvoululuidirequ’ilsétaientensécuritéetleseraientàjamais:plusjamaisvictimes,plusjamaissoumisàlapeuretàl’horreur.Ilsavaientàprésentl’âmeblanchecommeneige.Elleplaquaànouveausesdeuxmainscontrelemur,àl’instantprécisoùClaudiaéclataitbruyammentderirede
l’autrecôtédelaporte.J’adoraisleriredeClaudia.Ilfallaitquejelaprotège.Vite,réfléchiràunplan.Jemeconcentraisurlesongleseffilés.Sij’appelaisàl’aide,jemettraisClaudiaetTracy
en danger. Si j’ouvrais la porte de la cabine d’un coup de pied, je pourrais partir en courant, mais elle merattraperait.–Lenah!Tudorslà-dedans,ouquoi?s’impatientaClaudia.Unrapidemouvementdepoignet,uncrissementdéchirantdansmonoreille.Machair.Avam’avaitcoupée,etle
sangcoulaitsurmonépaule.L’estafiladen’étaitpasprofonde,maislapeauétaitnettemententaillée.Celamebrûlaitetmepicotait.Ellesepenchapourmechuchoterquelquechoseàl’oreille,desiprèsquejeperçuslafroideurdeseslèvres.–Lablondeidiote.Puislaprof.Tusaiscequejeveux.Ellemepritalorsparlagorgeetmesoulevadusol,contrelemiroir.Jepouvaisàpeinerespirer.Jetoussaietelle
desserrasonétreintepourmelaisserparler.–Jeveuxcerituel,insista-t-elleentresesdents.Au-dessusdelaclavicule,machairsaignait.–Ilneterendrapastonhumanité,croassai-je.Unrictusgranditsursonvisage,luidonnantl’aird’unclownétrangeetmenaçant.Sesnarinespalpitèrentetelle
chuchota:–Parcequetucroisquec’estçaquejeveux?Tunem’aspasentendue?J’aipristaplace.Sonregardsedurcit.Alors,jevislavérité,toutaufonddesesyeux.Ce fut une sensation indescriptible, tant je reconnaissais ce que je découvrais, comme une vue familière sur
l’océanouunchampquej’avaisaimé.Àl’intérieurdeceregardsetrouvaitunejeunefemmeterrifiée,bientroptôtarrachéeàlavie.Jeparvinsàpeineàbalbutier,toutenmeforçantàsoutenirsonregardd’unvertdérangeant.–C’estletourment,n’est-cepas?Letourmentsansfin.Elletressaillitcommesionl’avaitgiflée.–Quoi?–Situdéversestesémotionsdanscesort,tun’apporterasqueruineetdévastation.Tulibérerasunemagienoire
quetun’aurasjamaisappeléedetesvœux.Jevoisbientonbesoindepouvoir.Lepouvoirsoulageladouleur,n’est-cepas?LavoixdeClaudiapassapar-dessuslaporte.–Onvavoirs’ilsonttataille,Lenah.Tufaisducombien?–Réponds-lui,m’ordonnaAva.D’unemain,ellemetenaitcontre lemiroir.De l’autre,ellerecueillitunepetite flaquedesangsurmonépaule,
qu’elleléchasursesdoigts.–TailleM!criai-jeavecunspasmedenauséeenregardantAvaavalermonsang.–Jecroisquej’enaivuparlà-bas,ditClaudia.Jelesentendissortirtoutesdeuxdusalond’essayage.Avame plaqua de nouveau contre lemiroir.Mamain cogna contre le verre et des taches de lumière blanche
explosèrentdevantmesyeux.–Donne-le-moimaintenant.Sinon,quandtescopinesreviendrontdanscettepièce,tuserasdéjàmorte.Jetentaidedéglutir,maismemisàtousser.J’allaismourir.Ceneseraitpaslapremièrefois.Alorsqu’uneautredécharged’éclairsblancsm’aveuglait,uneimagem’apparut.Rhodeetmoidanslevergerde
mesparents.Pastelsquenousétionsalors,maistelsquenousapparaissionsmaintenant,danslemondemoderne.Maindanslamain,marchantverslamaison.Lacheminéefumait.Unepommedansl’autremaindeRhode.Était-cepossible?Était-cel’avenir?Jem’efforçaisderespirerd’unsoufflerauque,maisunsilenceirréelcommençaànoyerlerestedumonde.–D’accord!croassai-je.Elleme libéra immédiatementet jem’effondraimollementausol.Mesmainsheurtèrent lamoquetteet lebruit
s’engouffraentorrentdansmesoreilles.Justeaumêmemoment,j’entendisTracyetClaudiarevenir.–Écris-le,m’ordonnaAva.
Jetrouvaiunvieuxmorceaudepapierdansmonportefeuilleetluiobéis.Tuesentraindeluidonnerlerituel.Tuesentraindeleluidonner.Jen’arrêtaispasdemelerépéter,carjesavaisqu’ellelisaitdansmatête.Ceciest lerituel.Jenevoulaispasteledonner,maisjelefaisquandmême.Jetentaid’enfouirlemensongeleplusprofondémentpossibleenmoi.Ilfallaitabsolumentqu’ellesoitconvaincue.–Lenah,tiens!mehélaClaudia,etunetuniquebleuepassapar-dessuslaporte.Avalarattrapaetlatintcoquettementcontreelle.Jeterminaid’écrireetluitendislafeuille.Ceciestvrai,vrai,vrai.Jenepensaisàriend’autre.Avantderegagnersacabineenpassantsouslacloison,ellemelançaunregardentendu,inoubliable.–Jecomprendspourquoiilt’aime,dit-elleavecuneinclinaisonanimaledelatête.Sifragile…Et sur ces mots, elle regagna sa cabine. Je regardai ses pieds bouger tandis qu’elle rassemblait des affaires.
Écoutaisespaslégerslorsqu’elleouvritlaporteets’éloignaentrelesportants.Épuisée,jemelaissaiglisserjusqu’àmeretrouverassise,ledoscontrelemiroir.–Disdonc,t’esmorteouquoi?plaisantaClaudia.–Non,jemerhabille.Monrefletn’étaitpasbeauàvoir.Lasueurcollaitmescheveuxsurmonfront,etl’entaillehorizontalequibarrait
labasedemagorgeétait rougeetàvif. Jenesaignaisplus,mais lesangétaitencorepoisseuxdans la fente.Ceseraittoutefoisfacileàcouvriravecmonchemisier.CommeauraitditVicken,elleétait«sacrémentdouée»!Jenepouvaisqu’admirersonstyle.Envérité,Avaaurait
étéunerivaledequalité si j’avaisencoreétévampire. Il fallaitque jemeremettedebout.Que jem’habille. Ilnefallaitpasquelesfillesmevoientainsi.Lesmainstremblantes,jem’appuyaicontrelamoquettepourmelever.J’ignoraiscombiendetempsilmerestaitavantqu’ellenes’aperçoivequejeluiavaisdonnéunfauxrituel.Celase
comptait-ilenjours?Ensemaines?Unefoisdebout,jelissaimescheveuxdemonmieuxetsortisdemacabine,encoretremblante.J’évitailemiroirà
troisfaces.Maiscen’étaitpasnécessaire:Avaétaitpartie.–J’aifaim,annonçaClaudia.–Onn’aqu’àmangerici,proposaTracy.Jenesuispaspresséederetrouverlacantine.Nouspayâmesnosarticlesetjelessuivishorsdelaboutiquesansriendire.Jetâchaisdenepasbougerlebras
droit, parce que ma coupure m’élançait. Aussitôt que nous eûmes retrouvé l’éclairage violent de la galeriecommerciale,mestremblementss’apaisèrent–trèslégèrement.Jecommandaimachinalementmondéjeuner,maisintérieurementjerevivaisenbouclecequivenaitdesepasser
dans la cabined’essayage.Les vampires telsqu’Ava,quipouvaient s’exposerau soleil, necouraientpas les rues.C’étaitunsignecertaindesapuissance.Maiscomment?Commentavait-ellepuacquérir si rapidementune telleforce?Avadisaitque j’avaistuésafamille,mais j’avaistuédestasdegens. Je l’avaismêmetuée,elle,brisant lecontratdesaviehumaine.Commemel’avaientrappelélesAeris.Pendantnotredéjeuner,jenepusm’empêcherdescruterlesvisagesdetouslespassants.Toutechevelureblonde
retenaitmon attention. Cette femme vampire n’était sûrement pas seule. Elle était puissante. Elle se faisait unegloiredemeremplacer.–Qu’est-ilarrivéàRhode?s’enquitClaudia.Lamentiondesonnommeramenabrutalementàlaréalité.Meconcentrantànouveausurmonrepas,jegrignotai
unefeuilledesalade.–Quiétaitentortdanssonaccidentdevoiture?Ilaunetêteàfairepeur,continuamonamie.–C’estletypeleplussecretdumonde,commentaTracy.J’aibienessayédeluienparlerencoursdemaths,mais
ilm’aenvoyéebouler.–Iln’apasvoulum’enparlernonplus,dis-je,détestantquecesoitsivrai.J’avaistoujourseul’habitudedetoutsavoirsurlui,maiscen’étaitpluslecas.–JenesuispasaussiprochedeluiquejelesuisdeVicken,ajoutai-je.–MaisilenaparléàVicken,objectaClaudia.Ilssonttoujoursensembleàtableaudîner.– Je m’étonnemême qu’il ait survécu, ajouta Tracy, qui parlait toujours de l’accident de Rhode. (Elle dégusta
délicatementunefourchetéedesaladegrecque.)Ilaencoredesbleus.–Iladesyeuxincroyables,fitremarquerClaudia.J’observaiuninstantuneblondeàqueue-de-cheval,puismedétendis.Cen’étaitqu’unejeunefillequifaisaitdu
shopping.Tracymedonnauncoupdecoude.–Pardon,soufflai-jeenmordantdansmonsandwich.Oui,ilssonttrèsbleus.Jemesentisridiculeenledisant.–…tun’espasbienbavarde,meglissaTracy.–Jesuisjusteunpeufatiguée.–Bon,alors,qu’est-cequisepasseentreJustinettoi?J’ouvrislabouchepourmejoindreàlaconversation,et…Là.Elleétaitlà.Avas’avançait sur la longueurde lagalerie,parallèlementà la cafétéria.Mamainqui tenait le sandwich resta
suspendue en l’air. Je la fixais sans pouvoir m’en empêcher. Même si elle portait une casquette de base-ballmasculineenfoncéesurlesyeux,seslongscheveuxblondsluitombaientdansledos.Elleétaitsuperbe.Sabeautésurpassaitcelledelaplupartdeshumains,maisjesavaispourquoielleabritaitsonvisagedestubesaunéon:celaauraitsoulignélateinteétrangedesapeauetsespupillesdilatées.Elletournalatêteversmoi.Sesyeuxglissèrentsurlesclientsdelacafétéria,directement,volontairement–jusqu’àplongerdanslesmiens.Sa
bouche s’ouvrit toute seule, ses yeux tombèrent sur mon sandwich. Et là, recourbant ses lèves d’une manièrehorrifique,ellesourit.Et……mefitunclind’œil.
Chapitre12–Vicken!Jetapaitroisfoissursaporte.Auquatrièmecoup,leresponsabledel’étagesortitlatêtedesachambre;c’était
unjeuneprofesseurassistantquienseignaitlaphotographie.–Ilyadesgensquirévisent,ici,Lenah,râla-t-ilavantdeclaquersaporte.Devantmoi,lebattants’ouvritlentementetVickenapparut,bâillantetsegrattantlatête.–Ilestsixheuresdusoir,dis-je.Tudormais?–J’aiquelquessièclesdesommeilàrattraper,siçanetedérangepas.J’entrai,aprèsquoiilprituneserviettesursonbureauetlatassadanslafentesoussaporte.Puisilouvritune
fenêtre,mitenmarcheunventilateuretallumaunecigarette.Jefaisaislescentpassurlamoquettedesachambre.–Avam’aagressée,l’informai-je.Vickentournasivivementlatêtequesescheveuxluitombèrentdanslesyeux.–Où?– Au centre commercial. J’étais avec les filles, dans une boutique de fringues, et je l’ai trouvée là, en train
d’essayerunerobedecocktail.Vicken…(Jepassai lamaindansmescheveuxetenagrippai lesracines.) Je luiaidonnéunfauxrituel.–Tuasfaitquoi?–Jen’aipaseulechoix.Elleallaitmetuer.Vickentiraunebouffée,medévisageaàtraverslafumée,puisécrasasacigaretteàpeineentaméesurl’appuide
lafenêtreavantdelalaissertomberdansunecanettevide.–OK,onyva,dit-il.Ilsortitavecmoi.Jem’attendaisàcequenousdescendionsl’escalier,peut-êtrepourrejoindreunautredortoir.Je
nem’étais jamais demandé où logeait Rhode sur le campus. Au bout du couloir se trouvait la chambre 429, unepiaule individuelle semblable à celle de Vicken. C’était ça, la chambre de Rhode. Il y avait quelque chosed’étrangementcomiqueàl’imaginervivantdansundortoird’étudiantsaprèsavoirservicommechevaliersousleroiÉdouardIII.Vicken frappa et, pendant que nous attendions, m’encouragea d’un clin d’œil. Nous entendîmes quelques pas
derrièrelaporte,etRhodevintouvrir.Ilnousregardatouràtour.Sesbleusetsesbossesrendaientsonœildroitpluspetitquel’autre.–Qu’est-cequisepasse?–Unechosedontonnepeutpasvraimentparleravecletout-venant,monami,réponditVickenenmontrantles
autreschambres.Rhodenousfitentrer.Jesupposequejem’attendaisàduluxe,àcequesonexistenceàWickhamsoitàlahauteur
denotrevieàHathersage.Maiscommentaurait-ceétépossible?Iln’yavaitlànibuffetsd’apothicairenimeublesd’époque.Nousétionsincognito.Àl’exceptiond’untélescopepointéverslafenêtreetdesagarde-robe,lachambredeRhoden’étaitriendeplusqu’unlieuoùposersatêtepourdormir.AumomentoùVickenrefermaderrièrenous,j’aperçusduromarinetdelalavandepunaiséssurlaporte.
Biensûr.Certaineschosesnechangenttoutdemêmepas.Ils’assitàsonbureau.–Avas’estattaquéeàmoi.Jeluiaidonnéunfauxrituel.Avecdesingrédientsbiensophistiqués.Illuifaudrades
jourspourdécouvrirlasupercherie.Jemesuiscreusélatête.DelafèvedeSaint-Ignace,duboisdenaja,cegenredechoses.–Deschoixjudicieux.Cesingrédientssontinoffensifs.Mêmeaveclespiresintentions,ellenepourraitpasentirer
grand-chose.L’approbationdeRhodemefitfrémird’amour;j’enavaismêmedespicotementsdanslapoitrine.Lorsqu’illevales
yeuxversmoi, jegoûtaisur leboutdema langue lespommescroquanteset leriche terreaududomainedemonpère.Jereculaienchancelant,m’efforçantderomprececontact.Sijeregardaisailleurs,peut-êtreneserais-jepassubmergéeparlessouvenirs.J’inspiraiàfond,maissentisencoreplusfortl’odeurdepommes,ainsiqu’unparfumdefeudebois.Leboiscraquantetfumant,lasenteurdelapluie.Enreculant,jemarchaisurlepieddeVicken.–Eh!Attention!s’écria-t-il.Unebouchedevampire.Lèvresentrouvertes,prêteàtuer.Àl’emplacementdescrocs,deuxtrousnoirs,béants.
Unvampiresanscrocs?Jevoudraism’enfuir,maisjesaisquecen’estpaspossible.Vickenmerattrapaparlebras.–Lenah?Çava?–Ellem’asoulevéeparlagorge!soufflai-je,désemparée.Etellem’agriffée.Jebaissailecoldemontee-shirtpourleurmontrerlablessure.–Ilfaudraquetunettoiesça,commentaRhode.Jeremarquaiqu’ilserraitdetoutessesforcesledossierdelachaisesurlaquelleilétaitappuyé.– Bon, j’imagine que quand elle comprendra que les ingrédients sont fantaisistes, sa riposte ne traînera pas,
déclarai-je.Maiselleaditautrechose…Elleaditqu’ellecomprenaitpourquoiilm’aimait.Lesouvenird’Avamefitfrémirdelatêteauxpieds.Rhodesetournaverslebureauetportasamainblesséeàsonmenton.–Quiça,«il»?–Unmembredesoncercle?hasardaVickenens’adossantaumur.–Tunousasfaitgagnerdutemps,maisnousn’avonstoujourspasdesolution,ditRhode.
J’essayaidenepasmevexer,maissaremarquefaisaitmal.–Aucasoùtuauraisratéquelquechosequandjel’airacontélapremièrefois,elleétaitsurlepointdemetuer!L’imagequejevenaisdepiocherdanslamémoiredeRhode,celledelabouchebéanteetprivéedecrocs,revint
s’insinuerdansmatête.J’ajoutaiautrechoseavantqu’ilmeréponde.–Elleveutdupouvoir,c’estlaseulechosequisoulagesafolie.Lepouvoirestsonseuldésir.Rhode appuya son bras contre le dossier de la chaise ; un bleu circulaire marquait son poignet. Cela ne
ressemblaitpasàunemorsuredevampire : ilyauraiteudes trous.Lorsqu’il s’aperçutque je leregardais, ilmecachasonbras.–Ellenerecherchepasl’humanité,poursuivis-je.Elleveutaccomplirleritueldansl’espoirqu’illuidonneencore
plusdepouvoir.Lepouvoirderégnersurleséléments.Siellepossédaitunepuissancepareille,ellepourraitattirerlesmonstresàelle,contrôlerlesêtresplusfaibles.Ellepourrait…Jemeremémoraiànouveaumonrêve.JerevisWickhamabandonné,lespierresdescellées,laplagedéserte.–…ellepourraitfairetoutcequ’elleveut.–Onnepeutrientantqu’ellenesemontrerapas,enchaînaRhode.Etellefiniraparlefaire.Enattendant,nous
pourrionsêtreunecible.CommetouslesprochesdeLenah.Sij’étaistoi,Vicken,jegarderaisenpermanencemonpoignardsurmoi.Vicken leva la jambe,posa sabotte sur lebureau, etRhode regardaà l’intérieur. Je supposaiqu’il observait le
couteau.–Ettoi,faispareil,medit-il.–Qu’est-cequitefaitpenserqu’unsimplepoignardserviraitàquelquechose?Je levai lementon. Il contrôlait tellement tout,medisant quoi faire,medisant qu’ilm’aimaitmais gardant ses
distances…C’étaitexaspérant.–Jenepeuxpasmebaladertoutelajournéeavecuneépéeaucôté,n’est-cepas?lâcha-t-ilfroidement.Ettune
peuxplusfairesortirlesoleildetesmains.Lacolèremontaitenmoi.Lesoleil.Ilétaitdoncaucourantdemonexploitpassé.–D’accord, jeporteraiunpoignard,cédai-jeenposant lamainsur lapoignéede laporte.Et jevaisdescendre
cettefichueépéedumur,histoirededécapiterleprochainvampirequis’approcherademoi.– Voilà, ça c’est parler ! triompha Vicken en nous regardant tout à tour. Enfin, étant donné les circonstances,
marmonna-t-ilensuiteentresesdents.JefusillaiRhodeduregard.–Pourquoies-tutellementencolère?medemanda-t-il.–Parcequetunouscachestoutcequetusais.Dis-moi,Rhode:tuétaisicil’andernier,ouiounon?Tutetenais
dansl’ombreàm’observer,pendantquejemebattaispoursauvermapeau?TuasregardémonmeilleuramiTonymourirdelamainducerclequej’aicréélorsquetuesparti?Partir…Ça,c’estunechosequetuconnaisbien,pasvrai?Sabouches’entrouvrit,maisilrestacoi.Jetournailestalonsetm’enallai.Jen’enrevenaispasduplaisirquej’avaisprisàluidiresesquatrevérités.Ilse
comportaitengrandprofessionnelchevronné,avectoussessecretsetsesbleus.Maismoi, j’ignoraistoujoursparquiouparquoiils’étaitfaittabasser.–Lenah,attends!Jemeretournaifaceàluietcroisailesbras.–Tutecomportescommesitoutcequivientdem’arrivern’étaitrien!éclatai-je.Justeunpetitdésagrément,alors
quej’aidûsauvermapeaudansunecabined’essayage.Maisnet’enfaispas,Rhode.J’ouvrirai l’œil,ajoutai-jeensingeantsontoncondescendant.Jeseraiunebonnefille,jeporteraiunpoignard.Sonexpressionsedurcit.–Jenetecomprendspas,dit-ilensecouantlatête.J’avaisenviequ’ilmeprennedanssesbras,commeil l’avait faitpendantdessiècles.Dansmatête,pendantun
instant,nousfûmesàl’Opéra,danslesannées1700.Saboucheeffleuraitmoncou,sesmainsremontaientlentementsurmonventre.Maisjenepouvaisriendiredetoutcelaàvoixhaute.Jefermailesyeuxpourchassercesouvenir.–Jesaiscequej’aiàfaire.Surcesmots, jequittai lapièce.Mafureurenflaittoujourslorsquejedévalai l’escalier.Jen’avaispasbesoinde
poignard.Plusjamaisjen’auraispeurdansunecabined’essayage.Personnenemediraitcommentvivreniquellesarmesporter,etsurtoutpaslui.«Vousêtesdesâmessœurs.Inextricablementliées.»Jenevoulaispasêtresonâmesœurdanscesconditions.J’avaisbesoindeprendrelecontrôle.Surn’importequoi.
N’importequoipourqu’Avanem’approchepas. J’allaisdoncmeprotégeràmamanière,enpréparantunsortdebarrage.–Attends!entendis-jederrièremoi.Jem’arrêtaiàl’entréedemonbâtimentetmeretournai.Vickencouraitpourmerattraper.–Nefaispasça,medit-il,encoreessoufflé.Surtoutpasdemagie.Ilposasesmainssursescuisses.–Situarrêtaisdefumer,tuauraismoinsdemalàretrouvertonsouffle.Enseredressant,ilvitquelquechosedanssonreflet,derrièremoi.–Bonsang!jura-t-ilens’approchantdelaportevitrée.Ildiminue.–Qu’est-cequidiminue?Ilsetournaversmoi.–Moncoquard!Ilouvritlaporteet,aprèsavoirmontrénospiècesd’identité,nousmontâmeschezmoi.Jesecouailatête.–Depuisquandes-tulepetitmessagerdeRhode?Etpourquoipasdesorts,d’abord?–Situlancesunsortilège,m’expliqua-t-ilensetournantdeprofilpouréviteruncouplequidescendaitl’escalier…
Je veuxdire,UNFLORILÈGE, lança-t-il d’une voix forte pour ne pas nous trahir. (Nousmontions toujours.) Si tulancesunsortilège,reprit-il toutbas, lamagiepourrait libérersuffisammentd’énergiepourattirerencoreplus devampires.Ilslesentent,tut’ensouviens?Jemerappelaiscequ’avaitditSuleensurlamagie,maissiRhodeavaitraisonetquenousjouissionsd’unesorte
deprotectionjusqu’audébutdelaNuitRouge,alorsnousétionsensûretéàl’intérieurducampus.CequejedisàVicken.–Quoiqu’ilarrive,continuai-je,jecomptefairequelquechosed’unpeuspécialcesoir.Unsortdebarrage.
Unefoisentréeavecluidansl’appartement,jefilaitoutdroitàlacuisine.Mesdoigtss’attardèrentsurlesboîtesd’herbesetd’épicesqueRhodem’avaitlaisséestoutaudébutdemavied’humaineàWickham.Jenelereconnaissaisplus,àprésent.Maisàsadécharge,iln’avaitfaitqueseplierauxinjonctions.Gardersesdistancesavecmoi.De retour dans le salon, je m’agenouillai devant mon vieux coffre de voyage ; les serrures cliquetèrent et je
soulevailecouvercle.Àl’intérieurétaientcachésquelquesarticlesdontj’auraisbesoinpourréalisermonsort.Mesdoigtsvoletèrentau-dessusd’unpetitcoupondesatin.Jelemisdecôté,ainsiqued’anciennesboulesdecristal,desdaguesaufourreausertidepierresprécieusesetautresbabiolesdemaviedevampire.Desprofondeursdelamalle,jesortisl’undesrareslivresqueRhodem’avaitlaissés.Ildataitde1808etétaitsimplementintituléIncantato.Jel’ouvrisetfeuilletailespagesépaissesjusqu’àtrouverlabonne.–Sortdebarrage,dis-jeàvoixhautetoutenmarchant.J’allaiposerlelivresurlecomptoirdelacuisine.JesaisislasaugeetunevieillecoquilleSaint-Jacques,assezgrandepourcontenirmonmélanged’herbes.Après
avoirvérifiélarecette,jedisposaidupissenlit,duthym,delasauge,delalavandeetunepomme.Toutentenantlelivredanslecreuxdemonbras,jerépandislesherbesséchéessurtoutlepérimètredelapièce.Vickenm’observaitdepuisleseuildelacuisine,lesbrascroiséssursonlargetorse.–Connais-tul’originedumythed’Invitation?luidemandai-jesanscesserdedispersermesherbes.–Quoi?L’histoireselonlaquellelesvampiresdoiventêtreinvitéspourpénétrerdansunemaison?(Ils’assitdans
lecanapé.)Unevasteblague.L’arôme des herbes frappait mes narines par vagues de thym piquant et de douce lavande. Quelques miettes
tombèrentsurlespagesouvertesdugrimoire.–Passe-moitonpoignard,luidis-je.Ils’exécuta.Jecoupailapommehorizontalementparlemilieuetlaposaifaceenhaut.Quandoncoupecefruiten
deux,lecœurdessineunpentacle,uneétoileàcinqbranches.Lepentacleestconnu,danslemondesurnaturel,pourdonnerdupouvoiràceuxquiprofèrentuneincantation.Ilpouvaitaussireprésenterlesquatreéléments:laterre,l’eau, l’airet le feu, lacinquièmepointe symbolisant lacombinaisondu tout –ceque l’onappelleparfois l’esprit.PenseràcepentaclemerappelaitlesAeris,leurpuissance.Jeletournaifaceàlapièce.– Ce sont les vampires qui ont inventé lemythe d’Invitation, poursuivis-je, pour éloigner lesmonstres les plus
terribles.Lesmétamorphes,leshommes-animaux,lesvilainsdetoutpoil.Tuboisunpeudeleursang,etsoudaintuesunindividudelapireespèce!(Jeluidécochaiunsourireentendu.)Car,oui,ilexistedescréaturespiresquelesvampires.Descréaturesquientrentchezvousparunefenêtreouvertepourvousvolervotresouffle.Descréaturesquivousbrisentledos…pourleplaisir.Je dénichai une chandelle grise dans la malle et l’allumai. Le gris n’est utilisé que dans des occasions très
particulières:c’estunecouleuràmi-cheminentrelebienetlemal.Lacouleurdel’intermédiaire,del’entre-deux.Ilnefautpasfairen’importequoiavecleschandellesgrises.La flammevacillaet, le livreouvertdevantmoi, je lus l’enchantementd’unevoixposée. Jedéversai toutesmes
intentionsdanscetacte.Detoutmoncœur,jevoulaisnousprotéger.–Danscetespace,jesuisprotégéedudanger.Jerépétail’incantationetposailelivresurlatable.Puisjeprislabougiegriseentremespaumesetfisànouveau
letourdelapièce.–Danscetteenceinte,jesuisprotégéedudanger.Parlesangquicouledansmesveines,parl’interventiondeces
herbes,quenulvampirenicréaturemonstrueusenefranchissecetteporte.Danscetteenceinte,jesuisprotégéedudanger.Jefiscinqfoisletourdelapièce.Lorsquej’eusterminé,jeposailabougiesurlatablebasse.Jetâchaidenepas
remarquerl’élancementdansmaclavicule.– Il faut laisser brûler la chandelle, dis-je. Et tu ne peux pas partir tant que ce n’est pas fait. Il ne faut pas
perturberlesénergies.–Nousnesommesplusdesvampires.Commentsavoirsinouspouvonsactivercegenredemagie?Jeregardaislafuméedelabougies’éleverdansl’atmosphère.–Ehbienjesupposequ’ilfautattendrepourlesavoir.Siçamarche…J’hésitai,etVickenattenditpatiemmentlasuite.–Siçamarche,onpourraessayerencoreautrechose.–Autrechose?Jejetaiuncoupd’œilàmonlivre.Combiendefoisyavais-jeeurecoursàHathersage?Desmilliers?D’accord,
c’étaitgénéralementpourattirerunennemiàmoi,paslecontraire.–Tusaiscequejeveuxdire.Siçamarche,onpourraitessayerdessortspluspuissants.–Etpourquoifaire?JesongeaiàlamiseengardedeSuleensurlaplage.Pluslongtempsjedemeuraismortelle,plusmesliensavecle
mondesurnaturels’affaiblissaient.–Onnesaurapassiçafonctionnetantquedesvampiresn’essaierontpasd’entrericipourtetuer,ajouta-t-il.–Eneffet,c’estleseulmoyend’êtrefixés.Etsurcesmots,jem’emparaidelatélécommande.
Lentement.Peaucontrepeau.Lafaiblelueurd’unelanterne.Deuxcorpsensemble.Unecuissereposecontrela
mienne…deslèvreschuchotentàmonoreille.Lesvampiresaimentplusavecleurâmequ’avecleurcorps.Leurconditionlesprivedesensationsphysiques.Leur
sensdutouchers’estompe,nelaissantrienquel’enveloppehumaine.Àl’intérieur,cetengourdissementpoussel’âmetorturée jusqu’à la folie. Et lorsque deux vampires s’unissent, deux vampires qui aiment, leurs âmes peuventréellementsetoucher.
Maispasdanscerêve.Rhodeetmoisommesétendussurunepaillasse.Lesvitressontanciennes, laflammedelachandellesereflète
dansleurverreépais.Leboisestsisombrequ’ilestpresquenoir.LamaindeRhodemetientlatête,seslèvreseffleurentlesmiennes.Danscerêve…jelesensàlamanièred’unemortelle.Noscorpsproduisentdelachaleurdanscettevieillepièce.Unfeuronfledansl’âtreetfaittranspirermapeau.
« Rhode », dis-je tout bas, et il s’éloigne de mon oreille. Il me regarde dans les yeux – le bleu de ses iris est sicaptivantquej’oublie,pendantunefractiondeseconde,àquelpointnoussommesproches.
–J’aimeraispouvoirtesentirphysiquement,dis-je.– Tu ne peux donc pas ? souffle-t-il en approchant son visage du mien. Jamais, chuchote-t-il. Jamais plus je ne
pourraiêtreséparédetoi.Lemot«toi»résonneenécho.Unetoutepetitesyllabe.
Toi,toi,toi…etl’imagesombredanslesténèbres.Lematelasdepailleet lachaleurducorpsdeRhodecontre lemiens’éloignent.Soudain, l’espaces’ouvreet je
m’élèvedanslesairs…ilmesemblequejelévite:jeflotteau-dessusdulit.–Vousnecomprenezdoncpas.La voix de Rhode. Je redescends lentement vers le sol, l’air soutient mon corps comme si j’étais un oiseau. Je
descends plus bas encore : me voici à présent sous un plafond noir. Debout dans une pièce. Ceci n’est pas lachambre,jesuisailleurs.Rhodeestàgenoux,têtebaissée.
– Vous ne comprenez donc pas, dit-il à quelqu’un dans la pièce. Je ne peux pas le faire. Je ne peux pas. Vosexigencessonttropextrêmes.
Jepivotepourregarderàquiils’adresse,maisjen’aiquedel’ombredevantlesyeux.–C’esttrop,ditencoreRhode.Jesuisàprésentconscientedemoncorpsdemortellecouchédansunlit.Lelitdepaille?Non.C’estplusdoux.Je
dorsdansmonlitaulycéeWickham.Je veux me réveiller. Réveille-toi, Lenah. La lumière blanche des Aeris luit devant mes yeux. Là… encore cette
bouchedevampire,cellequin’apasdecrocs.Destrousbéantslesremplacent.Réveille-toi,Lenah!Réveille-toi!Mesyeuxs’ouvrirentd’uncoup.Jehoquetai,etdel’airfraiss’engouffradansmagorge.Parlaporteouvertedemachambre,jevisquelatélévision
donnait lesnouvellesdumatin.Lachandellegriseétaitdepuis longtempsconsumée.Vickens’étaitendormi, jenevoyaisquesesbottesdemotoquipendaientauboutducanapé.Ilronflaitsurunrythmerégulier.Jereprismonsouffleetm’assis.Unpetitfiletdesueurcoulaitsurmonfront.Jel’essuyaietpassaiunemainsur
mescheveux,lecœurbattant.Lacoupuresurmaclaviculemebrûlait;jetouchailaplaiesensible.Rhode,disaitmoncœur.Rhode.Maisilétaitdel’autrecôtéducampus,sansmoi.Jesortisdemonlitparcequejevoulaisletrouver,jevoulaissesyeuxbrûlantsdanslesmiens.Malheureusement,
ceque je voulais et cedont j’avaisbesoin étaientdevenusdeux choses radicalementdifférentes. Jem’arrêtai, unchemisier à la main. Malgré la chaleur et la proximité que j’avais ressenties avec Rhode dans ce rêve, il merejetterait si j’allais le surprendre dans sa chambre. Ce qu’il me fallait, c’était quelqu’un qui soit prêt à meréconforter.Quisoitprêtàaccepterquejeletouche.J’avaisbesoindeJustin.
Chapitre13Desnuagesbleusombreetnoirss’amoncelaientdanslecielgris.Lesoleilnetarderaitpasàselever,dansune
heureauplus.Jesavaisquejen’étaispascenséemedéplacerseulesurlecampus.Ensortant,jesentismacoupurem’élancer,commepourmerappelerquej’avaistortd’enfreindrelerèglement.J’yportai lesdoigts: lesangséchéformaitunecroûteirrégulière.
Jevérifiaiqu’iln’yavaitpersonnesurlechemindelaplage,puisjetaiuncoupd’œilauparkingderrièremoi.Àcôtédelaguéritedugarde,iln’yavaitqu’unmonospace,garélelongdubâtimentHopper.Aprèsundernierregardcirculaire,jefilaienveillantàrestersurlebordduchemin,dansl’ombredesbâtimentsetdesarbres.
JesavaisqueJustinavaitchangédechambreàlarentréeenterminaleetqu’ilvivaitdésormaisaurez-de-chausséedubâtimentQuartz,faceauxboiset,au-delà,àl’océan.Leventchuchotaitdanslesarbres,secouantleursfeuillesjaunies.Enarrivantauchemin,jefrissonnai:uninstant,j’avaisimaginéSuleenm’attendantsurlaplage.Maistoutétaitdésert.
Quandcomptait-ilsemanifester?Ilavaitlaisséunvampireassoifféquasimentmetuer…Pourtant,ilm’avaitditqu’ilviendraitaumomentoùj’auraisleplusbesoindelui.Pourquoipasmaintenant,parexemple?
Unevoiturepassa surMainStreet.Unebourrasquedebrisemarine soulevames cheveux.Non.Cen’était paspossible.Personnenem’observaitencemoment.Avaetsoncercledevaientêtreoccupésàpréparermonfauxrituel.
Cours,Lenah…Jenevoulaispasregarderderrièremoi,endirectiondeSeekerHall.Ets’ilyavaitunmembredesoncercledans
cesombres?Quelqu’unqu’elleauraitchargédem’épier?Jem’exhortaiàmarcherplusvite.S’ilyavaitquelqu’underrièremoi, ilallaitm’attraperpar lesépaules.Allez,unpeuplusvite. Jecommençaisàavoirdumalàrespirer.J’arrivaisàproximitédufoyer.
Plusvite,Lenah,ilspeuventtetomberdessusàtoutmoment.Jecontournailaserre,lebâtimentdessciences,etc’estseulementalorsquej’osaimeretournerverslechemin.Si
unsurveillantm’attrapait,jeperdraisledroitdesortir;or,ilmefallaitleplusdelibertépossible,vulasituationavecAva.
Jepartisencourantvers lebâtimentQuartz, fis letouretmeplaquaicontre lemur.Danslesbois,unelumièrejaunetombaitenlongsrayonssurl’écorcedesarbres.Lesfenêtresdurez-de-chaussées’alignaientsurlebâtiment.
LachambredeJustin.Laquelleétait-ce?Oui.Voilà.Touteslesfenêtresétaientidentiques,maissesrideauxàluiétaientouverts.Parlavitre,onvoyaitdumatérieldesportendésordre.Unpiedpendaitauboutdulit.
Jefrappaideuxfoisaucarreau,toutenrestantsurlecôtédelafenêtrepournepasl’effrayer.Àl’intérieur,ilyeutunmouvementetunfaiblegrognement.Jecognaiànouveau.
–BonDieu,c’estpasvrai!J’entendisquelquespas.Lafenêtres’ouvritavecunpetitgrincement.Jem’avançaialors.Justinétaitébourifféet
ensommeillé.Ilétaittorsenu,enbasdesurvêtement.Mêmeàcetteheurematinale,ilétaitmignonàtomber.Absolumentàtomber.–Euh…,fis-jeenreculantd’unpasdansl’herbe.Ilsepenchaparlafenêtre.–Lenah?Qu’est-cequetufaislà?medemanda-t-ild’unevoixtendre,heureuse.Dans la lumière de l’aube, je baissai le col demon tee-shirt pour luimontrer la longuebalafre qui courait au-
dessusdemaclavicule.–Oh,lavache!Entrevite.J’agrippailerebord,mehissaisurlafenêtre.Àcausedeceteffort,laplaiesemitàmelanceretjefaillisretomber
dehors.Justinm’attrapaàtempsetmetiraàl’intérieur.–Assieds-toi,assieds-toi,dit-ilenmeguidantjusqu’àsonlit.Des imagesdenoscorpsentremêléssoussesdraps, l’annéeprécédente,surgirentdansmatête. Il s’agenouilla
devantmoiuninstant,ettirasurletee-shirtpourexaminerlacoupuredeplusprès.–Aïe,souffla-t-il,çadoitfairemal.Tudevraisretirertontee-shirtetmelaissernettoyerça.–Montee-shirt?Ilseleva,sibienquemesyeuxseposèrentsursonventremusclé.Puisilsremontèrentverssontorse,etjevis,
danslalumièrematinale,lependentif.Undisqueargenté.Jeconnaissaiscesymbole.–Unerunedusavoir!dis-jeenmelevantàmontour.Jetouchailebijouduboutdesdoigts.–Ouais,j’aiachetéçal’autrejour.–Pourquoi?–Jel’aitrouvéenville.C’étaitcensém’aideràtoutdébrouiller.Quandletypeauturbanafaitsonbouclierd’eau,
là…Je…Jenesaispas.Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.–Moi?–Toi,lerituel,Rhode…Pourquoituesencoresipleinedevie…alors,quoiquetuaiesfaitaveccerituel,jeveux…
(Ilselevaetsedirigeaverslefonddelapièce.)Enfinbref, j’aiunetroussedepremierssecoursdansmonsacdecrosse.
Touchéeparsongeste,jen’insistaipas.Justinavaitvolontairementrecherchéunobjetcapabledeleconnecteràmonuniverssombreet inquiétant.J’eus lacertitude,alors,que j’avaisfait lebonchoixenvenant levoir. Il faisaittoutcequ’ilpouvaitpourmecomprendre.
Pendantqu’ilfarfouillaitdanslecoindelachambre,jeregardailesboisparlafenêtre.Danslapénombre,entrelesarbres,jemevissousmaformevampirique.M’approchantdudortoird’unpasinsouciant,engigantesquerobe
écarlate,meslongscheveuxlâchéssurlesépaules.Mescrocsdégoulinantdesang.–Lenah,tontee-shirt!ditJustinens’agenouillantdevantmoi.Lorsquejeregardaiànouveauparlafenêtre,lefantômedemonpassén’étaitpluslà.–Ah,oui.Jesoulevailevêtement,exposantmonsoutien-gorge.Justintapotalaplaieavecunecompresse.Jefislagrimace.Il
soufflaalorssurmapeau,puiscontinua.–Tuveuxquej’arrête?medemanda-t-il.–Non,çapiqueunpeu,c’esttout.Nous demeurâmes un moment ainsi ; Justin se redressa sur son genou. Ses lèvres se rapprochèrent, se
rapprochèrent, et soudain elles furent sur les miennes. Mon cœur s’emballa : je ne voulais pas qu’il cesse dem’embrasser.Jevoulaisfairecommesijen’avaisjamaisétécemonstrequej’avaisvudanslesbois.Ilgrimpasurlelitetjem’étendis.Maisalorsquesoncorpscommençaitàpesersurlemien,ilsedégagea.Jeportailesdoigtsàmeslèvres,étonnée,puisdéglutis.
Notreélanpassionnés’étaitévanouiaussivitequ’ilétaitvenu.–Tacoupure,dit-il.C’estmoche.Laisse-moiessayerautrechose.Ilfouilladenouveaudanslesac.Jedescendisdulitetm’assisparterre,faceàlui.Ilouvritunautreflacon,etje
flairaiuneodeurquejeconnaissaisbien.Jeposailamainsursonpoignet,etilmemontralabouteille.–C’estmamèrequifaitça,dit-il.Jeluiprisleflacondesmainspourmieuxlerenifler.–C’est…delalavandeetdel’aloevera.UnmélangequiremonteauMoyenÂge.–Alorsçadoitêtreefficace.Il se remit à tamponnermaplaie. Je vis deminuscules écailles de sang séché sur la compresse, qu’il jeta à la
corbeille.–Quandonétaitpetits,mesfranginsetmoi,ons’écorchaittoutletemps.Mamannouspréparaitceremède.J’en
aiemportéaulycée,pourlesblessuresdesport.Ensuite,ilplongeadeuxdoigtsdansunonguenthuileuxetlespassasurmabalafre.–Unantibactérien.Pourqueçanes’infectepas.Quelquesminutesplustard,ilavaitposéunpansementsurmablessure.–Jenevaispastedemandercommenttut’esfaitça,dit-ilenmeportantsurlelitavantdem’yrejoindre.–Tulesaisdéjà.Tul’asvuetuerKatesurlaplage.Etjen’aipasputeledirependantlaréunionaufoyer,mais
c’estelleaussiquiatuéMrsTate.Laquellem’avaitparlépeuavant,derrièrelebâtimentCurie.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjelesrefoulaid’unbattementdepaupières.Mavoixsebrisa.–Ellet’aprobablementvuavecmoi,cequifaitdetoiunecible,etje…–Ellenemefaitpaspeur,déclaraJustin.Vraimentpas.Siellemecherche,ellemetrouvera.–Ilfallaitquejetevoie.Jesavaisquetucomprendrais.Ilm’attiracontreluietjeposailajouesursapoitrine.Dehors,uncraquementdetonnerreéclata,cequinousfitsursautertouslesdeux.Ilsedépêchad’allerfermerla
fenêtre.–Queveut-elle,aujuste?Ellet’observedepuistoutcetemps?Jeferaisbienderesterprèsdetoienpermanence,
aucasoùellereviendrait…Justincontinuadeparler,maispourmapartjefermailesyeux.J’auraisvoululuidécrirel’impressionétrangeque
j’avaisressentieendiscutantavecMrsTate,maisjedevaisêtreépuisée.Jemesouviensjustedesachaleur.Ilmetenaitcontrelui,etlorsquejerouvrislesyeuxunpeuplustard,j’avaislenezdanssoncou.Sonsouffleétaitlentetrégulier.Jel’écoutairespirerjusqu’àmetrouverauborddusommeil.Etlà,jerêvai…
Unchampdelavandeauparfummerveilleux,fraisetapaisant.Jetiensdansmesmainsl’étoffenoired’unegranderobe.Ledécorchange.Cecin’estpaslechampdelavande.Jesuisailleurs.Unemainmasculineaupoucemeurtris’accrocheaubordd’unlavabo.Elleserreplusfort,aupointquel’avant-brasentremble.Qu’estdevenulechampdelavande?
Lesmainstremblentets’élèvent,etdanslerefletdumiroirdelasalledebains,ellesencadrentunvisage–celuideRhode.
–Est-cequetul’aimes?demande-t-ilàlafaïence.C’estunesalledebainsdeWickham,jereconnaislescarrelagesbleusetblancsausol.–Tun’aspasbesoind’elle,ditRhodeenrelevantlesyeuxverssonreflet,puisenlesdétournantvivement.Danscetteconnexion, je ressenssondégoûtcommesi je levivaismoi-même. Jesens lemalheuret lahaine lui
déchirerleventreendeux.Cettehainen’estpasdirigéecontremoi,maiscontre…lui-même.Rhodelèvelamaindroite.Ilaretirélebandage,etdelonguesgriffuressontvisiblessursesphalanges.– Tu n’as pas besoin d’elle, répète-t-il, en insistant cette fois sur le mot « besoin ». Tu peux faire ce qu’ils te
demandent,ajoute-t-ilenscrutantsonreflet.Puis,baissantlesyeux,ilajoute:–Non,tunepeuxpas.Leursexigencessonttropextrêmes.Vifcomme la foudre, ildonneuncoupdepoingdans lemiroir,qui se fendillecommeunkaléidoscope.Dans le
refletéclaboussédesang,sesyeuxbleussontmouchetésdegouttelettesécarlates.–Jenepeuxpas,jenepeuxpas,jenepeuxpas,répèteRhode,encoreetencore.Jemeréveillaietm’assisensursaut,lesoufflecourt.Àcôtédemoi,pluspersonne.Ilyavaitdanslachambreun
placard ouvert, plein de casques de crosse et de chemises masculines, où j’aperçus aussi un ballon de footballaméricain.Ahoui,c’estvrai.J’étaissurlelitdeJustin.Sursatabledenuit,unpetitmot:Entraînementpartouslestemps,qu’ilpleuveouqu’ilvente!
Je me levai, enfilai mon tee-shirt et remis mes chaussures. Lorsque je me baissai pour nouer mes lacets, lepansementposéparJustintirasurmapeau.Jeletouchaiparréflexe.J’hésitaidevantlafenêtreetregardailapluietambourinersurl’herbeetsurlesarbres.CesrêvesdeRhodedevenaientsiréalistes…Danscelui-ci,ilyavaitmêmelescarrelagesdesalledebainsdeWickham!Jetournailapoignéedelafenêtreet,justeaumomentoùjeposaislesmainssurlerebord,laréalitémefrappacommeuncoupdepoingàl’estomac.Jereculaientitubant,carsoudainjesavais.C’étaitpeut-êtreparcequenousétionsdesâmessœurs,commel’avaientdit lesAeris,maisentoutcas, jen’avaisplusaucundoute.
Monrêven’enétaitpasun.C’étaitlaréalité.C’étaitbienunesalledebainsdeWickham,etc’étaitlevraiRhode,devant le lavabo. Ce n’étaient pas des souvenirs auxquels j’avais accès, mais ce qui se passait dans sa tête aumomentprésent. Jepassaiunemaindansmescheveuxet fixaiduregard lesgouttesdepluiequis’écrasaientsurl’appuidelafenêtre.Donc,nousétionsdesâmessœursquin’avaientplusledroitd’êtreensemble,maisj’avaisunaccèsprivilégiéàsespensées?Celameparaissait inutilementcruel.Et jenepouvais riencontre ladécisiondes
Aeris:siprochesquenoussoyonsdansnoscœurs,nosviesdevaientresterséparées.Inutilementcruel,décidément,c’étaitlemot.Jegrimpaisurl’appuidelafenêtreetsortisdanslatempête.
Au fil de la journée, la pluie s’intensifia.Quelquesheuresplus tard, assise seule à l’unedes longues tablesduréfectoire,jedressaiencoreuneliste.
Souvenirsdupassé.PenséesprésentesdeRhode.Pourquoiest-cequejelesreçois,etdeplusenplusfréquemmentchaquejour?
Lapluiefouettaitlesgrandesbaiesvitrées.Devantmoi,unepartdetarteaucitronmeringuéegisaitintactesur
une assiette. J’étais en train de raturer une autre théorie à propos de Rhode et de notre connexion, lorsquequelqu’un appuya un parapluie trempé contrema table. Je posai doucementmon cahier, haussai les sourcils, etVickenmorditdansmapartdetartetoutenpoussantunjournalpliédevantmoi.C’étaitlejournalbritanniqueTheTimes.
HATHERSAGE,DERBYSHIREUNEDEMEUREHISTORIQUERAVAGÉEPARUNINCENDIE
Et là, sur la page : unephotodemon sublime château.Desdizainesd’hommeset de femmesgrouillant sur lagrandepelouse.Desdéménageursportantunlargebureau–celuidemachambre.Lesfenêtresdurez-de-chausséenoircies, défoncées. Des éclats de verre hérissant les châssis. Deux rideaux flottant à l’extérieur, comme pours’évader.
Vickenrepritunebouchéedetarte.–Oùas-tueuça?luidemandai-jeenposantlesdoigtssurlefinpapier.–Jet’avaisditquej’allaisfouinerunpeu.JereçoisleTimesdepuisquelquessemaines.Etj’aibeaurâleràpropos
decebahut,jesuisquandmêmealléàlabibliothèque.(Ilretournalejournalverslui.)«Le31août,lut-il,unterribleincendieadévorélademeurehistoriqued’Hathersage,quidataitdudébutduXVIIesiècle.Desmilliersd’objetsd’unerareté extrême ont pu être sauvés des flammes. Aucune victime n’est à déplorer, et l’on pense que le château –réputédanslarégionpourêtrehanté–étaitvidelorsquel’incendies’estdéclaré.Lefeuaconsumétoutlerez-de-chausséeetdétruitunetapisseriequiavaitappartenuàÉlisabethIre.»
–Plusexactementàsamère,AnneBoleyn.Jel’avaisfaitrestaurerplusieursfois.Maissij’avaislecœurserré,c’étaitpouruneautreraison.Lejournalisteavaitécritquelechâteauétaitvide.Ilne
l’étaitpasdutout.Ilétaitemplidemonhistoire,demonpassé,etpresquetoutcelaétaitpartienfumée.Vickenpoursuivitsalecture.– « Les historiens locaux ont identifié sur place des dagues précieuses, des herbes insolites et d’étranges
amulettes.Certainssontd’avisquelesobjetsprésentsdanslademeuresontdenatureocculte.Danslesétages,denombreusespiècesdemobilierontétéépargnées,telcelitàbaldaquinduXIXesiècle,ainsiqu’unportraitanonymedatantdelamêmeépoque.
L’expertDavidGuilmain,duGroupementderecherchesoccultesdeLondres,aététrèsimpressionnéparlasalled’armes.Ilyavaitlàdesétoilesninja,unegigantesquecollectiondepoignards,etlesépéesbâtardeslesplusraresqu’ilait jamaisvues.L’uned’ellesavaitunepoignéeenoshumain.Guilmainaégalementdécouvertdesélémentstout à fait étranges dans cette salle. Il s’est déclaré abasourdi par l’arsenal pharmaceutique ancien et par demystérieuxappareilsquiévoquaientdesinstrumentsdetorture.»
–C’enétait,commentai-je.Vickenpoursuivit.– « Il semble que la demeure soit restée dans la même famille depuis l’époque élisabéthaine. Les autorités
s’efforcent en ce moment de contacter les propriétaires actuels, dont l’identité n’a pas été révélée. Les objetsrécupérésserontcataloguéssouslasupervisionduBritishMuseum,quicoordonnelesopérationsencollaborationavecl’associationEnglishHeritage.»
Vickens’anima,toutsonvisages’illuminaetilsourit.–Tuasentenduça?LeBritishMuseum!Lejournalétaitdatédu31août.Nousétionsle5septembre.Le31août?RhodeétaitréapparuàWickhamle3septembre;ilpouvaitdonctrèsbiens’êtretrouvéàHathersage
aumomentdel’incendie.Jeremismeslivresdansmonsac,fourrailapagedujournaldansmapocheetmelevai.–Oùest-il?demandai-jeavecautorité.Vickenneréponditpas.–Où?hurlai-jeentapantduplatdelamainsurlatable.D’autresélèves,quirévisaienttoutenmangeant,m’observèrentavecdesyeuxronds.–Danssachambre,lâchaVickenavecunsoupir.Jejetaimonsacdelivressursesgenouxetregardailapluieparlafenêtre.Retroussantrageusementleslèvres,je
luidemandai:–Dequelcôtées-tu?Surquoijesortisencoupdeventsouslapluie.
Rhoden’étaitpasdanssachambre.Aprèsavoirtambourinéàsaporte,jeressortis;enquelquesminutes,montee-
shirt s’était fait tremper,etmon jeanpesait lourd surmescuisses. J’avais l’intentionde rentrerchezmoi lorsqueRhode, toutvêtudenoir, traversa l’alléeàquelquedistancedevantmoi. Ilgardait lementonpointévers lesoletportaitungrossacdesportsur l’épaule.Voilàquiétaitcurieux. Jem’écartaide l’alléepourcourirmedissimulerderrièreunestatuedufondateurdel’établissement,ThomasWickham.Rhodedisparutau-delàdelaserre.Oùallait-ilainsi?N’étions-nouspasconvenusqu’ilétaitdangereuxdesortirseul?
Jepartisencourant,m’arrêtaiderrièreungroschênequipoussaità côtéde la serre,puispoursuivis.Lorsquej’arrivaiauboutdel’édifice,Rhodeétaitdéjàentrédanslesbois.J’aperçusunbandageneufautourdesesdoigts.Lagazeblanchecontrastaitavecsachemiseetsonjeannoirs.Audébutdenotrehistoirecommune,ilm’avaitapprisàsuivrequelqu’unsansêtrevu,prédateursuivantsaproie.
Peut-êtresadestinationm’indiquerait-elleoùils’étaitcachépendanttoutel’année–cequ’ilnemediraitjamais,mêmesijeleluidemandaismillefois.Quoiqu’ilensoit,ilavaitsûrementuneraisonbienprécisedesortirdulycéesansprévenirVickennimoi–etcetteraison,jevoulaislaconnaître.
Jechassailapluiedemesyeux,etunepenséeagaçantemefithésiter:ilsaitbienqu’iln’estpascensésortirseul,
etillefaitquandmême.Commeleprouvaitmabalafre,Avanecraignaitpaslalumièredujour.Enoutre,lesheuresmatinales étaient plus dangereuses que celles de l’après-midi ; quoi qu’il en soit, elle avait prouvé qu’elle étaitcapabledesupporterlesrayonsdusoleil.
Jefisencoreunpasetleregardailouvoyerentrelesarbres.Jeposaiunemaincontreleverretièdedelaserre.Rhode s’approchait dumur d’enceinte. S’il sautait par-dessus, il me faudrait faire demême pour savoir où il serendait.
Vas-y,Lenah.Vas-y!Jeveillaiàgardermesdistancesenlesuivant.Uneseulefois,iljetauncoupd’œilderrièrelui.Jebondism’abriter
derrièreunbouquetd’érablesetplaquaimondoscontrel’écorce.Jelesuivaisdetropprès,c’étaitimprudent.Allez,justequelquessecondes.Jepouvaisbienattendrequelquessecondes!D’impatience,jesautillaissurmesorteils.Ets’ilavaitdéjàfranchi lemur?Jecoulaiunregardau-delàdesarbres: ildisparaissaitdel’autrecôtédumurpourredescendredansMainStreet.
J’escaladaiaussitôtlemuret,lorsquemesbottestouchèrentletrottoir,demeuraidansl’ombredeRhode,commesicelle-cipouvaitmeprotégerdesonregardperçant.Ilmarchaittoujours,balançantlesacdesportàboutdebras.Ildépassaainsi labibliothèquepubliquedeLoversBay, l’herboristerie,puis lederniermagasindeMainStreet,ets’enfonçadanslequartierrésidentielquisetrouvaitau-delà.
Arrivédevantl’entréeducimetière,ilhésita.Jemetapisdansl’ombreenécoutantlapluietombersurletrottoir.J’attendis que Rhode ait franchi le portail. Il entrait dans le cimetière. Pourquoi ? Était-ce encore un indiceconcernantlaviequ’ilavaitmenéel’annéeprécédente?
Jelesuivisàdistance,justeassezloinpournepasleperdreentrelessépulturesdegranitetlesarbres.Ilsemblaittrouversoncheminsansdifficulté.Ilnes’arrêtaitpaspourconsulterunplan,unecarte.Iln’enavaitnulbesoin.Ilsavaitprécisémentoùilallait.
Jetrouvaidevantmoiunendroitoùm’arrêterdiscrètementafinderassemblermespensées:ungrandmausoléedepierregrisequis’élevaitaucentreducimetière.NonloindelàsetrouvaitlatombedeRhode,cellequej’avaisfait ériger à samémoire l’annéepassée, le croyantmort.Mais il passadevant sans s’arrêter. Jem’aplatis encoredavantagecontrelapierrefroidedumausolée.
IltournadanslarangéedetombesoùTonyétaitinhumé.Jen’étaispasalléeàsonenterrement:jen’auraispassupportédevoirlechagrindesesparents,connaissantma
partderesponsabilitédanssondécès.Maisjesavaisoùsesituaitsatombe.Évidemment.Lacuriositémeserrait l’estomac.«Allez,Lenah,rentreaulycée»,chuchotai-jepourmoi-même,mais ilm’était
impossibledefairedemi-tour.Mesbottesémirentdesbruitsdesuccionsurlesoldétrempétandisquejecouraissurl’herbe.Ilfallaitquejemerepliepouréviterqu’ilnem’entende.
Rhode se tenaitdosàmoi, la têtebaisséevers cequi était trèsprobablement la tombedeTony.Deux rangéesderrièrelui,jememisàgenouxetavançaiàquatrepattes.Laterremouilléesentaitl’herbefraîchementtondue.Jerestaiprochedusol,carjenevoyaispasd’autresolution.Sijemelevais,ilmeverraitforcémentducoindel’œil.
Jerampaidoncentrelestombes.Levantuninstantlatête,jelevisouvrirsonsacdesport.Ilensortitsonépée.Jeretinsmonsouffle.Cequ’ilfitensuiteétaitextrêmementcalculé.Dubouteffilédel’épée,iltraçauncercleautourdelasépulturedeTony,entaillantprofondémentlaterreboueuse.
Rhodeavaitpresqueterminédetraceruncerclecomplet.Àmaconnaissance,cen’étaitpasunsort.Illeval’épéehautenl’airetlaplongeadanslaterre.Imprégnéedemagie,imbibéedesesintentionspourjenesaisquelleraison,elle s’enfonça facilement dans le sol détrempé.Dans les ténèbres demon esprit, j’imaginai la lame traversant laterre,lapointebrisantlesmottesquiprotégeaientmonamietatteignantleboisdesoncercueil.
Rhode tomba à genoux et serra unemain sur la poignée de l’épée, puis posa l’autremain à plat sur la pierretombale.Lementonàlapoitrine, lesyeuxfermés, ilsemblaitplongédansuneméditationsilencieuse.Silencieuse,jusqu’aumomentoùilsemitàmurmurerrapidement.
–Honnisoitquimalypense,répétait-il,encoreetencore,commeunepsalmodie.C’était la devise de l’ordre de la Jarretière. Rhode accomplissait une cérémonie datant de l’époque où il était
chevalier. Jene l’avais jamaisvurien fairedetel. Jedemeurai immobile,commeparalysée, incapablededétachermesyeuxdecespectacle.
Rhodeserassitsursestalonsetportalesdeuxmainsàsonvisage.Pourquoi?PourquoilatombedeTony?Jen’ycomprenaisrien.J’avaisenviedelehéler,maisjesavaisbienqu’ilnevalaitmieuxpasl’interrompreenun
instantsisacré.Ilselaissaensuitetomberenavant,tendantunbrasdevantluipourserattraperausommetdelastèledepierre.
Le pansement qui entourait ses doigts était trempé de pluie.Mes yeux se fixèrent sur une tache rouge sang quitraversait lagaze.Commeelleétaitrouge,danscejourgris!Ilavaitfracassélemiroiravecsonpoing,commejel’avaisvuenrêve.
Maisattendez.Ilparlaitànouveau.Quedisait-il?Jeretinsmarespirationpourdistinguersesparoles.Etréprimaiuncriétouffé,cartoutcequej’entendis,toutcequitraversal’airjusqu’àmoi,moiquiétaiscouchée,lajouedansl’herbemouillée,futceci:
–Pardonne-moi.
Je ne pouvais pas assister à cela plus longtemps sans rien dire. C’était une trahison. Je me levai dans l’alléederrièreRhode.Ilfallaitquejefasseunbruit.Lemouvementdemoncorpsluisuffiraitd’ailleurspourdevinermaprésence.
Jemarchaivolontairementdansuneflaquepourqu’ilm’entende.Ilsortitl’épéedelaterre,lafittournoyerenl’airet la pointa droit surmoi. La férocité de son regardme frappa. Je vis ensuite qu’ilme reconnaissait, et il laissaretomberl’armelelongdesoncorps.
–Tuasétéàbonneécoleavecmoi,dit-il.–Bellejournéepourunevisiteaucimetière.Qu’est-cequetufaislà?– Jesuisvenuhonorerquelqu’un,merépondit-ilens’accroupissant,enveloppant l’épéedansunefeuilledecuir
avantdelaremettredanslesac.–Monami?Ilsemitenmarchepoursortirducimetière.Jelesuivis.Il avançait à grands pas dans les allées détrempées, retournant vers la zone moins boisée. Nous repassâmes
devantlemausolée.–Tudisaisquenousnedevionspassortirseuls,etpourtanttevoilà.J’essayaisdeleprovoquerpourqu’ilmeparle.Ils’arrêtapourmeregarder.–Jenesuispasdésarmé,lâcha-t-ild’untonsansappel.
–Tupeuxm’expliquercela?demandai-jeensortantdemapoche lapagedu journal.C’estdans leTimes, bonsang!Lechâteaud’Hathersageabrûlé.Ilestremplid’historiens,maintenant!Toutestpartienfumée!
Leseulfaitdeledirem’envoyaunedéchargededouleurdanslecorps.Illançauncoupd’œilaujournalmaisneditrien.Jejetailepapierdétrempéparterre.–Çasuffit,lespetitsjeux.Explique-toi.C’estdatédu31août.–Pourquoifais-tucela?medemandaRhode.Lapluiecontinuaitd’alourdirl’airentrenous:jelevoyaisàpeine.–Tuasassistéàl’incendie?Ilposalesacparterreetlaissalapluienousmouillertouslesdeux.–Oui,répondit-ilenfin.J’aivulechâteaubrûler.Lechagrinmedéchiralecœur.–Commentas-tupulaisserfaire?Ilgardalesilence.C’étaitexaspérant.–Trèsbien,continuai-je.Donc,tunetecontentespasdementiràtoutlemondeavectonhistoired’accidentde
voiture.Tumemensaussi,àmoi.Jet’aidemandésituavaisétéàHathersage.Tunem’asjamaisrépondu.–Ilfaudraitquejeraconteàtoutlemondequej’aiététabassépresqueàmort?Queleseulmoyenquej’avaisde
m’ensortirétaitdemettrelefeu?–C’esttoiquiasmislefeu?répétai-je,horrifiée.Lapluietombaitsifortquelesgouttesfroidesmefaisaientmalaunezetauxjoues.Auboutd’unmoment,ilrepritlaparole.–Desvampiressontvenusànotrerecherche.Jedevaisincendierleslieuxpourlestueretbrûlertoutetracedema
survie.Alors,jel’aifait.Jepassailamaindansmescheveuxtrempés.Mesdoigtsseprirentdansleursnœudsimbibésd’eau.–Quit’aattaqué?Ava,n’est-cepas?Ilsebaissa,ramassalesacetsedirigeaànouveauverslasortie.–Quandlesvampiresm’ontvuetsesontrenducomptequej’étaismortel,ilss’ensontprisàmoi.Jenepouvais
quefuir.Rhode,monRhodequineconnaissaitpaslapeur,frissonnasouscettehorribleaverse.–Jenepensaispasm’ensortir.–Tuauraispumourir,dis-je.–Qu’est-cequeçapeuttefaire?Tum’ascrumortpendanttouteuneannée.–Ettucroisquejepourraissurvivreànouveauàça?Quejenem’inquiètepaspourtoichaquejour?Àchaque
minute?(Ilmefallutplusieursessais,maisjefinispartrouverlesmots.)Dis-moi.M’observais-tu,l’annéepassée?Savais-tucequejefaisais?
Ilbaissalementonverssapoitrine.Ilparutréfléchiruninstant.–Oui,jetevoyais.AprèslamortdetonamiTony,jen’aipaspuveniràtoi.Surlemoment,celasemblaitstérile.Uneexplosiondesoulagementserépanditenmoi.Enfin,quelquechose.–Maistusavaisquelecercleétaitàmestrousses.Ettun’asrienfait?Sesyeuxétaientrivéssurmoncou.Ilnemeréponditpas.–Rhode?Ilfitunpasversmoietlevalamain.Allait-ilmetoucher?Moncœurfitunbond.Maisnon.Ilsaisitlecoldemon
tee-shirtmouilléetfroidentrelepouceetl’indexetledescenditunpeupourexposermapeau.Lepansementavaitglissé avec la pluie, découvrant la plaie. Il l’examina quelques instants puis lâcha le tissu, tout en évitantsoigneusementdemetoucher.
– Il y a eu unmoment, le jour où nous avons découvert que j’avais une sœur, où tu as juré que nous serionsensembleàjamais,chuchotai-je.
Jefisunpasverslui.Jecomptaisprendresamaindanslamienne.Rhodebonditenarrièreetjevisdelapeur,unepeurauthentique,passerdanssesyeux.Jeretiraimamain,blesséeetgênéedecenouveaurejet.
–Jenepeuxpas!s’écria-t-ilavantdesefiger.Jenetequitteraijamais,Lenah,maisjenepeuxplust’aimer.Pasdecettemanière.
Sonregardétaitpleindepeine,commes’ilétaitenproieàunconflit.Auboutd’uninstantdesilenceuniquementbriséparletambourinementdelapluiesurl’herbe,ilajouta:–Notresituationestdudomainedel’absolu.Iln’yapasdedemi-mesure.Notresituation.–Notrechâteau.Nosportraits.Notrebibliothèque,m’enhardis-jeàrépondre.Toutcelan’estplus.C’estcommesi
oneffaçaitnotrehistoire.Ettouscesbeauxlivres…Jeportailamainàmoncœur.L’eaudétrempaitmontee-shirtetmesdoigts.–C’estcequit’inquiète,leslivresquenousavonslaisséslà-bas?s’exclama-t-il,sesyeuxbleusperçantl’airgriset
brumeux. Tu devrais plutôt te soucier des squelettes de ceux que nous avons emmurés, ou des coupes de sangoubliées sur les tables. Ils vont analyser le contenu des vieilles coupes. Mais cela ne nous concerne plus. C’estterminé,Lenah.N’es-tupassoulagée?Contentedepouvoirlaissertoutceladerrièretoi?
Jem’écartaidelui.Toutesmespossessions.Touteslesvieillesphotographies,lesbijoux.Lesvastessallesoùnousprenionslaviesivolontiersétaientàprésentvides,enruine.
CequeleFeunousavaitditsurleterraindetiràl’arcmerevintenmémoire.«Lesvampiressontdesmorts.Desvagabondsnocturnes,deserrantssurnaturels.Nousnepouvonspasvoustenir
pourresponsablesdesassassinatscommisdanscemonde-là.»Rhodeavaitraison.J’étaisheureusequelesannéesdedestructionetdetristessesoientterminées.Etàcemoment-là…lapluieredoubladeviolence.Ellepilonnaitl’herbeetjeduslachasserdemesyeuxàdeux
mains.–Toutaétédétruit.Celan’aplusd’importance,reprit-il.Noussommeshumains,désormais.Ilramassaànouveaulesacetfitquelquespasverslasortie.–N’est-cepascequetuvoulais?demandai-je.–Pourtoi,si,merépondit-ilgentiment.MaismonmerveilleuxRhodemecachaitencorequelquechose.Jelevoyaisàlacourbedesondosetàsonregard
tournéverslesol.–SilesAerisnes’enétaientpasmêlées,serais-tuheureuxd’êtremortel?Oùquetusois?demandai-jeencore,
espérantquecelalepousseraitàmerévélercequ’ilavaitfaitl’anpassé.Ilseretournaversmoi,hautesilhouettenoiredanscettetempêtedepluie.–Jenesuispasréellementunmortel.Jesuisfaitdechairetdesang,maisjesuisautrechose.Coincé.
–Qu’es-tu,alors?–Quelquechosed’oublié.D’archaïque.Bonàmettresouscléderrièreunevitrine.–Tunecroispasréellementàcequetudis,n’est-cepas?–Cequejecrois,c’estquej’airencontréunefillesouslapluie.Unejeunefillequiavaitperdulaboucled’oreille
desamère.Etjel’aituée.Maintenant,jemeretrouvedansuneépoqueàlaquellejeneconnaisrien.J’aivumourirdes rois bien plus puissants que n’importe quel homme vivant aujourd’hui. Et je suis encore là, dit-il, la bouchebrillantedepluie,sesyeuxbleusmetransperçantdanslagrisailledel’orage.
L’imaged’unepaired’anneauxanciensenorapparutdansmatête.Rhodesoutintmonregardentreles longueslignesdelapluie.Jelecomprenais;nousnouscomprenionstotalement.
–Lesbouclesd’oreillesdemamère,dis-je,étaientdanslechâteau.Ilréfléchitàsaréponse.–Ainsiquelesfantômesdetoutnotrepassé.Lapluies’abattaitsurlesacquiabritaitl’épée.Rhodemeregarda.–Toutcelaenvalait-illapeine?medemanda-t-ilenfrançais.Toutcelapourretrouverlesensdutoucher?Ilsedétournademoietsortitalorsducimetière.Iln’avaitpasbesoindemediredelesuivre:noussavionsl’un
commel’autrequenousnedevionspasresterseuls.Deretouraucampus, jem’arrêtaichezmoi.Rhodedisparutdans la fouledesélèves.En le regardantpartir, je
comprisenfinpourquoilechevalierduroiÉdouardIIIs’étaitrendusurlatombedemonmeilleurami,TonySasaki.Ilsesentaitresponsable.
Chapitre14Plustarddanslajournée,jeressortisdeSeekerHall.Lesoleilperçaentrelesnuagesgris,etj’étaisencoreéblouie
lorsqueVickenmehéla.–Jemontaisjustementcheztoi!Ilmepritensuiteparlamain.–Allons-y!–Qu’est-cequetufais?luidemandai-jealorsquesapoignem’entraînaitdéjàdansl’allée.Qu’est-cequiteprend?–Ilnousfautunmaxdemonde.Onvaaufoyer,c’esttout.Ilyabeaucoupdegenslà-bas,engénéral.–Tuesdevenufou?–Là!Desmassesdemonde.Ildésignaitleterraindecrosse,derrièrelebâtimentHopper.Nous avions réussi à nousmêler à unebanded’élèves de première et de terminale qui assistaient à unmatch
d’entraînement. Lamoitié de l’équipe était enmaillot blanc, l’autre en bleu foncé. Vicken se fichait pasmal dumatch;ilm’entraînasurlecôtédesgradinsnoirsdemondeetmelâchalamain.
–Toi!Toi,là-bas!cria-t-il.Ilpointaledoigtsurunetoutepetiteélèvedetroisièmequiserraitunsacdecourscontresapoitrine.Elletrembla
devantsonindextendu.–Regarde-moi.Regarde-moidanslesyeux.(Ilattendituninstant.)Oh,etpuiszut!cracha-t-ilensuite.Jel’attrapaiparledosdesontee-shirt.–Maisarrête,enfin!LafillesedétournaetfilaàtouteallureverslebâtimentHopper.Touslesquelquespas,Vickenarrêtaitdesgens.–Toi!Oui,toi!Qu’est-cequetucrois?Reviensicitoutdesuite!Neparspasencourantquandjet’appelle!–Qu’est-cequetufais?luisoufflai-jeentremesdents.Tuesdevenucomplètementdingue.–Ahoui?J’aiperdumesfoutuesperceptionsextrasensorielles,voilàcequim’arrive.J’aipasséplusdecentans
avec,etd’uncoup,pouf!C’estparti.–Parti?répétai-jecommeunperroquet.Voilàquinejouaitpasennotrefaveur.–Parti.PlusdePES!brailla-t-ilenplaquantlesmainssursescuisses.–Maischut!fis-jeendésignantlesgradinsderrièrenous.Tracy etClaudia, assises tout enhaut, regardaient lematch.Claudiame fit signe et je lui souris. Je sentais le
regarddeTracyposésurmoi,mêmes’ilétaitcachéderrièreseslunettesnoires.–Oh,parcequetucroisquelesgenscomprennentdequoijeparle?(Iltenditlesbras.)PES!PES!cria-t-ilversle
ciel.D’unetape,jeluifisbaisserlesbras.Cefutcommes’ilavaitsoudainconscienced’oùilsetrouvait.Ilsetournaversleterraindesport.–Qu’est-cequec’estqueça?medemanda-t-ilavecundédainnondissimulé.–C’estunerencontresportive.–Merci,j’avaiscompris.Maisqu’est-cequ’ilsfabriquent?–Ças’appellelacrosse.Unsilence,puis:–Ehben,jenevaispasresterregardercesconneries.Ons’arrache.Alorsqu’ilsetournaitpourpartir,desacclamationséclatèrentautourdenousetj’entendisTracyetClaudiacrier
aveclesautres:–Jus-tin!Jus-tin!Sur le terrain, Justinarrachasoncasque, le jetaausolets’approchad’unautre joueur. Ilpointa ledoigtsur le
visagedutypeetbraillaquelquechosequejenecomprispas.Jeposai lamainsur lebrasdeVicken.Celui-cis’arrêtaetnousrestâmesaupieddesgradinspourassisteraux
événements.Vickenserapprochademoipourmeparlertoutbas.–Alorsparcequetueshumaine,tevoilàfandesport?–Non…JenepouvaispasdétachermesyeuxdeJustin.–Attends.Vickensoupira.–Çasuffit,Enos,c’estmondernieravertissement!crial’arbitre.Justinramassasoncasqueetrejoignitsescoéquipiers.Jem’assissur lesgradins.Vickensoupira,s’assitàcôtédemoietcroisasesbottesdemotol’unesur l’autre.Il
appuyasescoudessurlamarchederrièrelui.Sur le terrain, un des joueurs frappa de sa crosse celle de Justin, et la balle blanche s’envola dans les airs.
Lorsqu’ileutcomprisquiavaitlaballe,Justinabattitsacrossecontrecelledel’autre,sifortquecelui-cireculaentitubant.Justincontinuadefrapper,encoreetencore,jusqu’àcequel’arbitreseremetteàsiffler.
–C’estquoi,leproblème?aboyaJustinàl’arbitre.–Jenetelerediraipas,Enos.Encoreunefois,ettusors!Le sifflet résonna : lematch recommençait. Les joueurs se rassemblèrent et, immédiatement, Justin se remit à
frapperlacrossedesonadversaire,envoyantlaballeenl’air,quiretombadanssonfilet.
Justintraversaleterrainencourantàunetelleallurequepersonneneputlerattraper.Ilheurtalesautresjoueurssiviolemmentqu’ilsemblaitvouloirlesjeterausol.Lorsqu’undéfenseurdel’autrecampfitsauterlaballedesonfilet,ilarrachasoncasque,lejetaauloin,etenvoyaaujoueuruncoupdepoingenpleinestomac.
–Jenel’aijamaisvujouercommeça,dis-je.–Commequoi?–Commes’ilvoulaitsevenger,oujenesaisquoi.Autourdenous,lesacclamationsfusèrentànouveau.–Jus-tin!Jus-tin!Encoreuncoupdesifflet.L’arbitre désigna le bancde touche. Justin s’inclina face à la foule et sortit du terrain. Il passa alors devant le
défenseurquil’avaitprivédelaballeetseruasurluicommes’ilallaitlefrapper.L’autrerecula:Justinrenversalatêteenarrièreetéclataderire.Puisilselaissatombersurlebancets’ébrouapourchasserlasueurdesonvisage.Souslesacclamationsdelafoulequicontinuaient,ilsetournaverslesgradinsetposalesyeuxsurmoi.
Ilpassalalanguesurseslèvres,etl’étincellequiallumaitsonregardmerappelanotrepremièrerencontre.C’étaitjuste après que Rhode avait pratiqué le rituel pour moi, et j’étais humaine pour la première fois. Je l’avais vumarchantsur laplage,maindans lamainavecTracySutton,bienavantqu’ilne l’aitquittéepourmoi.Là, sur leterraindecrosse,ildétournalesyeuxdemoipourseconcentrerànouveausurlematch.
–Siquelqu’unaperdulaboule,c’estlui,pasmoi,observaVickenlorsquelematchfutterminé.Nousdescendionsdesgradinsaveclesautresélèves.–Salut,Vicken!lancèrentunepoignéedefilles,presqueparfaitementàl’unisson.Il leuradressaunsignedetête,sourcilsfroncés,lesmainsenfoncéesdanslespoches.Iln’avaitpasdetempsà
consacreràlabagatelleencemoment,apparemment.–J’aibeauavoirperdumesperceptions,jepeuxquandmêmetedirequecetypeaquelquechosequinetourne
pasrond.Justins’attardaitsurleterrain,entourédesescoéquipiersetaussidequelquesfilles,ycomprisAndrea,celleavec
qui il étaitmonté l’autre soir à l’observatoire. Laplupart étaient habilléespour l’automne, bien trop chaudementpourunesibellejournée.Enm’approchant,jeregardaileshortquejeportais.Mesjambesétaientlonguesetbientropblanches,comparéesaubronzageartificieldesfillesquientouraientJustin.Jem’arrêtai,etlaragemebrûlalesjoues. Je détestais cela. Cette gênemortelle. Si seulement… non. Jeme retins. Je ne voulais pas souhaiter cela.Jamaisjenem’autoriseraisàregrettermespouvoirsdevampire.
–Quoi?fitVicken.TuneveuxpasallerparleràMisterAgressif?Non, pas tant qu’il se comporterait ainsi. Ce matin encore, il avait été si tendre… Si ouvert, comme avant…
CouchéecontreluiàrêverdeRhode,j’auraispuêtrederetourl’annéeprécédente.Mêmesicen’étaitplustoutàfaitlamêmechose.Nousétionsensemblecommel’andernier,allongés l’uncontre l’autre,etRhode,commetoujours,m’étaitinaccessible.
Justincaptamonregardpar-dessus l’épauledequelqu’unetcontournadesélèvespourmerejoindre.Ils’arrêtaavantd’êtrearrivéàmoi,lesyeuxfixéssurVicken.
Royrejoignitalorssonfrèreet,luiaussi,dévisageamonami,lespaupièresplissées.Bientôt,deuxautresjoueursde crosse, couverts de protections rembourrées, vinrent se placer à sa droite et à sa gauche. Vicken glissa unecigaretteentreseslèvres.LesintentionsdeJustinnesemblaientpascordiales.
–Est-cequejet’aiditqu’ilm’afaitunœilaubeurrenoir?plaisantaVicken.Ilclignadel’œildemanièreexagérée,pourmettreenrelieflalégèreombrejaunequiledécoraitencore.Puisil
tournalestalonsetpartitàtraverslecampusaveclesautresélèves,laissantderrièreluiunetraînéedefuméedecigarette.
Justinseséparadugroupepoursedirigerversmoi.Jel’attendis,parcourued’ungrandfrisson.J’inspirai un petit coup, déglutis et regardai par terre.Onm’épiait encore. J’en étais sûre.Cette sensationme
pétrifiait. Où étaient-ils ? Je tournai imperceptiblement la tête à droite, guidée par l’impression désagréable quirampaitsurtoutemapeau.Ava.C’étaitsûrementelle.Jecontinuaidetournerjusqu’àmeretrouverfaceàlapelousequimeséparaitdubâtimentQuartz.
Lesélèvessedirigeaientparpetitsgroupesverslefoyeroulabibliothèque.Ilspassaientdevantlesvigilesetleséquipesd’entretienquiinstallaientdestéléphonesd’urgencejaunefluoàtouslescarrefoursoupresque.MonregardfutattiréparuneombrequisetenaitaupieddeQuartz,etmonsoufflerestacoincédansmapoitrine.
Rhode était là, qui m’observait. J’aimerais ces yeux bleus à jamais. Leur regard, lorsque je m’étais éveilléehumaine,unanplustôt!J’avaisenvied’allerlerejoindre,deresteraveclui.Etjesavais,commetouslesvampires,quesil’onestobservé,c’estqu’onestdésiré.
–Lenah,ditunevoixderrièremoi.Jesursautaietmeretournai.Justinétaitdésormaisseuldevantmoi,etépongeaitsonfrontensueur.Lescontours
ciselésdesesbicepsattirèrentmonregard.–Pardon,souffla-t-il.Jenevoulaispastefairepeur.–Tunem’aspasfaitpeur,mentis-je.Ilmesouritànouveau.–Tuestrèsbelle.Jetel’aidéjàdit?Jenesusquerépondreàcela.–Oh.Ehbien…non,fis-je,lesjouessoudainenfeu.Unfrémissementdejoiemepassaaucreuxduventre.JejetaiunnouveauregardversQuartzetl’ombreprojetée
parlebâtiment,maisRhoden’étaitpluslà.Jemesurprisàconstaterquej’étaisheureused’êtreseuleavecJustin.–C’était…intéressant,cematch,dis-jeenleregardantdanslesyeux,sanstropsavoircequej’allaisbienpouvoir
ajouter.–Çat’aplu?Jetressaillis:jenecomprenaispasoùilvoulaitenvenir.–Quoidonc?Ilbombaletorseetpassalalanguesurseslèvres,puism’adressaunsouriregoguenard.–Lenah,allez.Jeteplais.Ils’approchademoi,siprèsquejeperçussursapeauuneodeurdecrèmesolaireetdesueur.Oui,ilmeplaisait.
Jene faisaispassemblant.Sesmanièresétaientsi typiquesduXXIe siècle !Mêmesonpetit coupde têtepour sedébarrasserdelasueurquiroulaitsursapeauétaitungestetotalementétrangeràRhode.Lesmessieursdutempspassés’épongeaientlefrontavecunmouchoir.LesmouvementsdeJustinétaientvifs,rapides.Nousnoustrouvionsdans un monde de messageries instantanées, de communications et d’interactions immédiates. Les gens
s’adressaientlesunsauxautressanschichis,enemployantdesformulesabrégées.J’étaispeut-êtrenéeàl’époquemédiévale,maisj’étaisrevenueàlavieauXXIesiècle.C’étaitmonunivers,àprésent.LemondedeJustin.
–Tusaiscequej’éprouvepourtoi,medit-ild’unevoixdouceavantquej’aieeuletempsderéfléchir.Safaçondeparlermedonnaitlefrisson.Deminusculesgouttelettesdesueurperlaientsursalèvresupérieure.À
mesyeux, il brillait, et brillerait toujours. Il dégageait une force vitaleque j’avais adoréedès ledébutdemaviehumaine,etmêmeàprésentj’avaistoujoursenvied’ygoûter.
Ilchassaencorelasueurdesesyeuxetlevalamainpourpasserlégèrementlesdoigtssurmacoupure.Cequimefittrembler.
–Tonpansementesttombé,constata-t-il.Unevivechaleurenvahitmesjoues.–Ilfaudrapeut-êtrequetulerefasses.–Jeleferai.(Ilfitencoreunpasversmoi,soudainsérieux.)Tuasrevulablonde?Jefisnondelatête.–Enos!criaquelqu’underrièrenous.Justinserecula, laissanttombersamain.Làoù ilm’avait touchée, lachaleurdesesdoigtscéda laplaceàune
sensationdefraîcheur.Soudain,ilcessadereculeretmefitsigneenbrandissantsoncasque.–Eh,j’allaisoublier!melança-t-il.Bonanniversaire!Mabouches’ouvrittouteseule.Onétaitvraimentle6septembre?–Maisoui,biensûr!C’estaujourd’hui,n’est-cepas?–Tuavaisoubliétonanniversaire?s’étonna-t-il.C’estque,vois-tu,monâmesœurdepuissixcentsanshabite ici,au lycée,mais jenepeuxpasresteraveccet
hommeparcequ’uneforcesurnaturellenousaordonnédenousséparer.Tuesmagnifiqueàtoutpointdevue,surlefondcommesurlaforme,maisj’aisansdoutegâchétoutesmeschancesavectoi.Monmeilleurami,Tony,estmortetc’estmonautreami,Vicken,quil’atué.Maisrassurons-nous:cen’estplusunfoudangereux.
–J’aieubeaucoupdechosesentête,cesdernierstemps.–Bon,jedonneunefêtecesoir,dit-ilenjetantuncoupd’œilàsespotes.Aucampingdelaville.Jevoulaistele
direplustôt,maisjenet’aipastrouvée.Lemomentpassédanslasalled’écoutemerevintenmémoire.Sesbrasdansmondosetsurmesépaulespendant
quenousdansions.–Cesourire,çaveutdirequetuviendras?Jesouriaisdonc?Celamesemblaitimpossible,aprèstoutcequis’étaitpassédepuisdeuxjours.–Bien.Onseretrouveàseptheures.Emplacement404.CampingdeLoversBay.TupeuxamenerVicken,tusais,
surtoutqu’il fautsedéplacerdeuxpardeux.C’estàenviron troiskilomètresensuivantMainStreet. Ilyauradumonde,ajouta-t-ilavantquejepuissedirenon.Ilfautêtreaumoinsdixpourréserverlà-bas.
Unefoisqu’ileutditcela,unepartiedemoi,lapartiefutile,n’eutplusaucuneenviederefuser,mêmesijesavaisàquelpointl’idéeétaitmauvaise.Justinramassasonsacdesport,etlorsqu’illepassasursonépaule,sonpendentifaccrochaunrayondesoleil.
Ilsedétournapourrejoindresonéquipeetlegymnase.J’allaism’enallerlorsqu’ilmedécochaunderniersourire,éblouissant.
Ilm’avaittoujoursainsi.Lorsqu’ilentraitdansunepièce,ilfaisaitaussitôtlaconquêtedetoutlemonde.Chacunvoulaitvoir lespetitesridesquisecreusaientautourdesabouchequandilsouriait.Sescheveuxblondcendréenbataille.C’étaitplusfortquemoi,j’avaisenvied’yaller.J’avaisenvied’êtreheureuse,nefût-cequeletempsd’unesoirée.
Chapitre15Tantquelasécuritéétaitassuréesurlecampus,MrsWilliamssefichaitdecequipouvaitsepasseràl’extérieur.
Cepoint,enparticulier,mettaitsanscesseVickenenrage,luiquipensaitquel’extérieurn’étaitabsolumentpassûr.Quoiqu’ilenfût,jetrouvaisqu’ilvalaitmieuxalleràlafête.Ouplutôt,j’avaisenvied’yaller.Dumomentquenoussortionsengroupe,celanedevraitpasêtredangereux.Avanes’étaitpasmanifestée.Lefauxritueldevaitencorelateniroccupée,etjedoutaisqu’ellefîtuneapparitionparmitantdemonde.JedevinaiscependantqueRhodeauraitétéfurieuxs’ilavaitsuquej’avaisdécidédesortirsanssasupervision.Ce soir-là, jeme regardai dans la glace accrochée à côté demonbureau.Mes yeux semblaient d’un bleu plus
sombrequed’ordinaire,commesi j’étais incapabledemasquermonanxiété.Je lissaiquelquesmèchesfolles,puistournailesyeuxverslaphotodeRhodeetmoiquiétaitposéesurlebureau.ElleavaitretrouvésaplaceaprèsqueTonyl’avaitvoléel’annéepasséepourtenterdedécouvrirmonhistoire.Danslaglace,jevisaussilefourreauquiprotégeaitl’épéedeRhodedepuisdeuxcentsans.Ilétaitvide,commeje
m’yattendais.Parterre,jevérifiaiquelesherbesdemonsortétaienttoujourslà,commejelefaisaischaquejour.Lorsqu’unsort
debarrageentreenaction,lesherbess’enflammentetnelaissentdel’intrusqu’untasdecendres.Tantqueceuxquientraientdanslapièceétaientlesbienvenus,ellesresteraientinertesetinoffensives.Jemeretournaiversmonrefletetcommençaiàmettreunepairedepetitesbouclesd’oreillesenorque j’avais
achetéesaudébutduXXesiècle.Ellesétaientdansmoncoffretàbijoux,presqueoubliées,maisàprésentquecellesdemamèreétaientperdues,qu’ellesavaientdisparudansl’incendied’Hathersage,j’avaisdécidédeportercelles-ci.J’enenfonçaiunedansmonlobe.Uneviolenteodeurdepommesexplosalittéralementdanslapièce.Jeplaquailesdeuxmainscontrelemuretmelaissaitomberenavant,toutmoncorpsengloutiparcettepuanteur.
Jemepris le ventre à deuxmains, car il était en proie à des spasmes de nausée.Une fausse odeur de pommes.Commentpouvait-onpartird’unparfumsidélicieuxetlerendresiatroce?Siécœurant?Saforcemefittomberàgenoux,etlesbouclesd’oreillesroulèrentsurleparquet.Justeaumomentoùmesmainsfrappaientlesol…«Ilfautl’isolerpourquepersonnenelaretrouve.»C’estlavoixdeSuleenquej’entendsenpremier.JesuisànouveaudanslatêtedeRhode.Suleen et Rhode se tiennent tous les deux à côté d’une tombe, dans le cimetière qui jouxte mon château, à
Hathersage.Quatreoucinqstèlessontdresséesensemblesurunpetitterrainentouréd’uneclôtureenferforgé.Voicimapierretombale.Pasd’épitaphe,pasdenom.UnsimpleLgravédanslapierre.Rhodem’a inhumée en 1910 etm’a déterrée cent ans plus tard pour accomplir le rituel quime rendraitmon
humanité.Étantdonnésonapparence,ils’agitlàduRhodemoderne,celuiquej’aivulorsquejemesuisréveilléeaulycéeWickham.Ilm’adéterréeensecret,sansquemoncercleensoitinformé,sansqueVickenensoitinformé.Jereconnaisaussil’apparencecontemporainedeSuleen.Ilestvêtudeblancetportesonturbantraditionnel.–Es-tusûrdecequetuvasfaire,Rhode?Cedernieropinedelatête,maisl’expressiondeSuleendemeuresombre.Rhodepivotesurlui-même,seregarde
danslavitred’unemaison.Danscesouvenir,lesyeuxdemarbredeRhodesontplusfroidsqueceuxdesapersonnehumaine.C’estdifficileàcroire,maisjemesuishabituéeàsonvisagedemortel.–Ceseraplusfacileainsi.Jenefaispasconfianceàsoncercle.As-turemarquéàquelpointilssontpuissants?
Vicken,Heath,Song,Gavin.Elle lesa choisisunparunpour leur forceet leur intelligence. Il fautprocéder tantqu’ilsnesontpaslà.–Cen’estpascequejevoulaisdire.Cerituel?Tesacrifier?demandeSuleen.Lesoleilestpresquecouché.Au-dessus,lapleineluneillumineleciel.–Tamortnem’apporteraaucuneconsolation,Rhode.–CerituelestleseulmoyendesauverlaviedeLenah.LesÉvidéslaprotégeront.Ilsveillerontàcequ’ilnelui
arriveaucunmalaprèsmondépart.–LesÉvidésnetiendrontleurpromessequesitumeurs.Nulnepeutprévoircequisepasserasitusurvis.Onne
peutpassefieràeux,Rhode.Rhodecontemplelescollines,saupoudréesd’orparlecouchant.–Etsonâme?demande-t-ilàSuleen.–Quoi,sonâme?–Commentsavoir? (Il regarderapidementSuleen,puissereplongedans lacontemplationdesprés.)Comment
savoirsisonâmen’estpasendommagée?Si,entantqu’humaine,ellenesuccomberapasdenouveauàsasoifdepouvoir?Mêmemoi…(Ilsetaituninstant,commepourchoisirsesmots.)Elleatuéuneenfant,Suleen.–Douterais-tudetonpardon?C’estpourtantlaclédusacrifice.–Jedoutedesonincarnationhumaine.Peut-elleencoreaimer,alorsqu’elleaétécapabled’untelcrime?– Je ne peux pas répondre à cela pour toi. (Suleen regarde le ciel.) Si tu veux l’exhumer, tu dois le faire
maintenant.–Dis-moi, Suleen.Une personne qui a fait tant demal peut-elle vraiment revenir ? Ses horreurs ont surpassé
cellesdetouslesvampiresquej’aiconnus.–Toutdesuite,Rhode!Tudoiscommenceravantquelesoleilnesoitentièrementcouché.–Etsijen’arrivejamaisàluipardonner?Lavéritése fait jour,enfin. Ilnem’apaspardonnéd’avoir tuéuneenfant.D’avoirsombrédans la folie lorsque
j’étaisvampire.
–Toutdesuite!crieSuleen.Alors,Rhodesoulèveunepelleetl’enfoncedanslaterre.
–Arrêtez-le!Arrêtez-le!hurlai-je.Quelqu’unmetenaitparlesépaulesetmesecouaitpourmeréveiller.Leboisduplancherétaitfraissousmondos,
etjebattisdespaupières.–Lenah!Eh,Lenah!C’étaitVickenquiprononçaitmonprénom.Ilétaitpenchésurmoi,etsescheveuxfousluiretombaientdansles
yeux.Ilhaussalessourcils.–Tut’esendormieparterre.Alorsquetuasuncanapé,unfauteuilmoelleuxetunlit,maisbon!Cen’estpasmoi
quicritiqueraitespetiteshabitudes.Jem’assis,déglutisetpassailamaindansmescheveux.Jerestaiainsiuninstant,àregarderfixementlabasede
monbureau.J’observaissespiedsdeboissculptés,lafinessedesmotifs.Vickenvints’asseoiràcôtédemoi.–Dois-jeendéduirequec’estuneurgence?Faut-ilquej’appellequelqu’unpourt’aider?Jemeconcentraisurleparquetetsesligneshorizontales.–Je…Jenesaispas.Cen’étaitpasqueRhodenepouvaitplusm’aimer,commeilmel’avaitditdanslesboisaprèslavisitesurlatombe
deTony.C’étaitqu’àunmomentilnel’avaitplusvoulu.Parcequejeneleméritaispas.C’étaitpeut-êtrepourcelaqu’iln’étaitpasrevenul’anpassé.Ilnevoulaitpasrevenirversunepersonnesanscœurcommemoi.–QuisontlesÉvidés?demandai-je.Vickenplissalefront.–LesÉvidés?Jamaisentenduparler.–Aide-moiàmelever.Jeluitendisunemain.Sesdoigtstièdessaisirentlesmiensetmetirèrentverslehaut.Jem’approchaidumuret
m’yadossai.Vickenm’observait,lesbrascroisés.LesouvenirdeRhodetournoyaitdansmatête.–JevoisdanslespenséesdeRhode,annonçai-jedebutenblanc.(Vicken,intrigué,plissalespaupières.)Jevois
sespensées,parfoissessouvenirs.Ilcherchasescigarettesdanssapocheetenallumaune.–Commentça?Lespensées…Jemelaissaiànouveauglisserausoletpassailesbrasautourdemesgenoux.– Je le vois dansma tête, mais c’est comme si j’étais dans la sienne. Je l’ai vérifié. J’ai rêvé que je le voyais
fracasserunmiroirdesonpoing.Etpeuaprès,quandjel’aivuenpersonne,ilavaitunpansementtoutfraisautourdelamain.–Etpourquoipouvait-ilbiencognercontreunmiroir?–Ilnesupportaitpasdesevoirdedans.Vickensecoualatête.–Bizarre.Jesoufflailonguementenregardantparlaporte-fenêtre.Dehors,toutétaitnoir.Laluneéclairaitlégèrementlesol
dubalconetmescendresdevampirescintillaienttoujours.C’étaitbondedirelavéritéàquelqu’un.–Pourquoipuis-je liredanssespenséesmaintenant? Jesuiscomplètementmortelle. Jen’aiplusniPESnivue
vampirique.Etcelanem’estjamaisarrivédetoutemonexistencedevampire,quandj’étaisavecluiavant…avantqu’ilneparte,avantqueje…(J’avaisdumalàtrouverlesmots.)Avantl’époqueoùjet’airencontré.Vickenréfléchituninstant,puisrelevabrusquementlatête.–TuterappellescettehistoirequeRhoderacontait?Celleduvampirequiaimaitunehumaine?Çasepassait
pendantl’épidémie…La…–L’AnamCara?JemesouvenaisdeRhoderacontantcettehistoireaucoindufeu.J’avaisoubliél’expressionjusqu’àmaintenant.–Oui.Levampireétaitplusprochedecettemortellequedequiconque.Àtelpointqu’ilpercevaitsespensées,et
passeulementsesintentions.Illuicachaitsanaturedevampire,etlorsqu’elleaattrapélapeste…–Ill’alaisséemourir.Jemesouvenaisdel’histoire,àprésent.–Oui!Vicken s’approcha de la malle qui était poussée contre le mur, sousmes chandeliers de fer forgé. Il fouilla à
l’intérieur.–Trèsinhabituelpourunvampire,nousquisommessifondamentalementégoïstes,dit-il.Lafuméedesacigarettes’élevaitetrestaitsuspendueau-dessusdesatête.Ilsortitundemesgrimoires.LeLivre
delamagieceltique.–Illuiauraitétéfaciledelaguérir,enfaisantd’elleunvampireàjamais.Maisillalaissamourir,commelevoulait
lanature.Unemortdésagréable,maiselleétaitmaladeets’éteignitcommelefontleshumains.J’aimaisbeaucoupcettehistoireetjem’ensouvenaisbien.EllemerappelaitmessentimentspourRhode.Saufque
luinem’avaitpaslaisséepartir…Vickenouvritlelivredemagieceltique.–Voilà,c’est là.AnamCara.Uneâmechère, un esprit ami. Lorsqu’on trouve sonAnamCara, la connexion est
indéniable. Indestructible. C’est un lien de lumière blanche qui relie deux âmes à travers le temps et l’espace.CertainspensentquelesAnamCarapartagentunespritunique.Unespritremontantàunpassécommunsirichequelespenséespeuventêtrepartagées.Ilrelevalesyeuxversmoietpritunedernièreboufféedesacigarette,quiétaitpresqueentièrementconsumée.–Donc,lesâmessœurspartagentleurspensées?Et là, celame frappadenouveau : lavoixdeRhodesedemandants’ilpourraitmepardonnerd’avoir tuécette
enfantet formécecercle.Ladéceptionmesubmergeaune foisdeplus. Je ramassaimesbouclesd’oreillesetmelevai, faceàmon reflet. Je lissai ànouveaumescheveux,dérangésparmachute.Àquoi servaitdepartagernospenséessiRhodenepouvaitplusm’aimer?Simonâmeétaitcorrompue?–Alorsc’esttout?selamentaVicken.Tuignoresmonéclairdegénieetturecommencesàtepréparerpourta
soirée,commesiderienn’était?Ilreposalegrimoiredanslamalle,dontilrefermalecouverclepours’asseoirdessus.«Etsijeneluipardonnejamais?»Jemislesbouclesd’oreillesetm’étudiaidanslaglace.Mescheveuxmetombaientdansledospar-dessusl’étoffe
légèredutopmandarinequej’avaisachetéaucentrecommercial.J’auraisvouluquelesbouclessoientcellesdemamère,lesanneauxperdusdansl’incendie.Malheureusement,cen’étaitpaspossible.Jevismesnarinespalpiteretmesmâchoiresseserrer.
–AnamCara,dis-jeàvoixhaute,commepourfaireroulerl’expressionsurmalangue.Vickenappuyalesmainssursescuissesetseleva.–Bien!Jesupposequetuveuxquandmêmealleràcettefête,malgrécesinterférencesentrevosesprits.–Unpeu,quej’yvais!–Bon.Illaissatomberdeuxpoignardsdanssesbottes,undanschaque.Ilenglissaensuiteunautredansunesanglede
cuircachéesoussamanchedechemise.–Onseprépare?fis-je.–Tavieaétémenacéepardeuxfoisettuveuxencorelarisquer?Écoute,j’aiuneidée.Situtiensvraimentàfaire
lafêteautourd’unfeudecamp,j’enallumeunsurtonbalconetjetechanteJoyeuxanniversaire!–Jesaisquec’estbizarredevouloirs’amuserdansunmomentpareil.–Non,cen’estpasbizarre,c’estcarrémentridicule.Maisjenevaispastelaisseryallerseule.Jet’enchaînerais
aumursicen’étaitpasinterditparlerèglementdulycée.J’ouvrislaporte.Ilmesuivit.–Tun’espasobligédeparticiperàlafête,dis-je,toutensachantquebiensûr,illeferait.–Ça,c’estsûr.Aveccettebandededébiles?Lesconnaissant,ilsvontseperdreetilfaudraallerleschercherdans
lesbois–çavaêtremortel.–Alorsoùseras-tu?– Jepatrouillerai sur tout lepérimètre.Histoired’être sûrqu’aucun individuauxdents longuesn’entredans le
camping.–Ilyaurabientropdegenspourçaautourdemoi.Tunecroispasqu’ilssontinoffensifsquandilssontinférieurs
ennombre?Moi,jen’auraispasattaquédanscescirconstances.–Peut-être…,concédaVickenendescendantl’escalierderrièremoi.–Etpuis,c’estmonanniversaire!Tuterendscompte?Çaveutdirequejevieillis,pourdevrai!–Ahoui?Etçatefaitquelâge,aujuste?metaquina-t-ilavecunfinsourire.–Dix-septans.–Tiensdonc.Tufaisbeaucoupplusvieille.Jel’auraisgiflésicen’avaitétélui!Peuaprès,nousétionsdansMainStreet,enrouteverslecamping.J’écoutaislesconversationsdanslarue.Une
femmequipromenaitsonchienpassaentrenous,nousobligeantànousséparer.–Peut-êtrequeRhodeaussipeutliredanstespensées,fitremarquerVicken.–Impossibledelesavoir.Ilrefusedemetoucheretc’estàpeines’ilmeparle.Tusais,ilyad’autreschoses,des
chosesétrangesquej’aivuesendehorsdesessouvenirs.Jevoisaussisespensées.Unedélicieuseodeurdecafé flottaversnous. Je tournai la têteen longeantune terrasseanimée. J’aurais bien
aimépasserunesoiréeentièreàboiredescafésenbavardantavecVicken.UnesoiréeàoublierAva,Rhodeettoutcequim’attendaitencore.SuivanttoujoursMainStreet,jeluiexpliquailecomportementétrangedeRhodelorsqu’ilavaitbrisé lemiroiravec sonpoing.Mais lorsque j’ouvris labouchepourparlerdeTony, je jetaiuncoupd’œil àVickenetmeravisai.–Jet’assure,ilaenvoyéuncoupdepoingdanslemiroiretrépété«Jenepeuxpas»,jenesaiscombiendefois.–Rhode?Rhodedevenantfou?Cen’estpaspossible.Sesyeuxnequittaientpasleslignesdutrottoir.–Jecroisquec’estprofondémentenracinéenlui.Ilnepensepasméritersonhumanité,quelquechosecommeça.
Jetel’aidit.Iln’arrêtaitpasderépéter:«Jenepeuxpas.»Vickenlaissacetteinformationsuspendueentrenous,puisdemanda:–Ilnepeutpasquoi?–Jen’ensaisrien,jevoudraisjustearrangerleschoses.Et je connaissais unmoyen d’alléger la douleur deRhode.Depuis des jours, j’avais envie de le faire : appeler
Suleen à l’aide. Ou bien peut-être pourrions-nous appeler les Aeris. Appeler quelqu’un, n’importe qui, à notresecours.Peut-êtreRhodesouffrait-il parcequenousnepouvionspasêtreensemble?Oualors –et jen’avaispasenviedel’admettrecarjenevoulaispasquecesoitvrai–,peut-êtreRhodenepensait-ilpasmériterd’avoirsurvécuauritueletd’êtrehumain.Ilavaitprévudemourir–etmoiaussi.C’étaitnotre liend’âmessœursquinoustenaitrattachésàcemonde.J’enavaislamigraine.Nousarrivâmesaucamping.–Net’enfaispaspourRhode,meditVickentandisquenousmarchionstoujoursdansl’airvifdusoir.Essaiede
t’amuseravecces…cettebandedefousfurieux,c’estcommeçaqu’ondit?Ilglissaunecigaretteentreseslèvres.–Exactement.J’entendisd’abord lamusique.Desguitares électriques,unemélodie légère. Jeme remémorai les centainesde
fois,surdescentainesd’années,oùj’avaispiétinédesbranches,écartédesfeuillagesettraversédesbois.Jamais,pasuneseulefois,desinstrumentsélectroniquesn’avaientrésonnéàmesoreillesparmilesarbresetlestaillis.Devantmoi brillait la lueur orangée d’un grand feu. En voyant deux ou trois voitures garées dans le camp, je
compris.Lamusiqueémanaitdu4×4grismétallisédeJustin.ClaudiaetTracyétaientassisesàcôtédufeuavecquelquescamaradesetbuvaientdansdegrandsgobeletsrouges.Tracysemblaittrèsproched’untypedel’équipedecrossequejeneconnaissaispas.Justin,quiétaitentraindedéballerdessteakspourhamburgersetunpetitgrilàcharbon,levalatête.Claudiabonditsursespiedsenmevoyant.–Bonanniversaire!s’écria-t-elleenmesautantaucou.Elledutsehaussersurlapointedespiedspourm’embrasser,aprèsquoiellesortitdesavestelégèreunepetite
cartedansuneenveloppeviolette.–Pourtoi,medit-elle.–Claudia,ilnefallaitpas!–Biensûrquesi,affirma-t-elleavecunhochementdetête.–Merci.J’étaissincèrementtouchée.Jeprislacarte.–C’estmoiquiaieul’idéedecettefête.NelaissepasJustintefairecroirelecontraire.Çavientdemoi!Elleluiadressaunsourireenjoué.J’ouvrismoncadeau.Jenemerappelaismêmepasladernièrefoisqu’onm’enavaitfaitun.Dumoinsunquine
soitpasvouéàêtre immédiatementvidédesonsang. Jesoulevai lerabat.Dans l’enveloppe, je trouvaiunepetitecarte,delatailled’unecartedecrédit,surlaquelleilétaitécrit:GaleriecommercialedeCapeCod.
–Unbond’achat,m’expliquaClaudia.Tuaseul’airdebient’amuserquandonestalléesfairedushopping.Ettuasmistontopmandarine!Uncadeau?Pourmoi?Jetournaisetretournaislacarteentremesdoigts,m’émerveillantdecepetitprésentdans
lalumièrevacillantedufeudecamp.–Merci,dis-jeàClaudiadontleregardétaitsichaleureux.Tracyrelevalatêteàsontouretm’adressaundemi-sourire,commesiellen’ymettaitpastoutsoncœur.Elleétait
entraindefairegrillerunmarshmallowsurunelonguebaguette:lafriandiseavaitl’airmerveilleusementfondante.Sescheveuxbrillaientdans la lueurdes flammesetses traitsanguleuxmeparurentplusprononcésquequelquesjoursplustôt.Jeneleremarquaisquemaintenant,maisellemesemblaitavoirperdubeaucoupdepoidsenpeudetemps.Jeglissailacartedansmapocherevolver.Tandisquejeregardaislemarshmallowfondredanslachaleurdufeu,
uneautrebanded’élèvesdeWickhamarriva.L’assortimenthabituel:dessportifs,desintellos,unebandedegaminsbien décidés à s’amuser. Mais à mieux y regarder, j’eus un mouvement de recul et battis des paupières pourm’assurerquej’avaistoutematête.Venais-jeréellementde…deprendreundeceslycéens…pourRhode?Non,c’étaitbienlui,quitraînaitderrièrelesautres.–Héhé!criaquelqu’unàl’avantdugroupeenbrandissantdessacsenpapier.–Monschnapsàlapêcheestlà-dedans!s’exclamaClaudia.Rhodeétaitentièrementvêtudenoir,etjenepouvaisdétachermesyeuxdelui.Commentavait-ilsuoùj’étais?
L’espace d’un instant, je me sentis dans la peau d’une enfant prise à désobéir, puis je relevai le menton avecinsolence.Claudiafitvolte-faceeteutunpetithoquet.–Ouh!Rhodeestlà,memurmura-t-elle.Amusez-vousbien…SurquoielleallarejoindreTracy.Jemelevai.Rhodes’avançaàgrandesenjambéesets’arrêtapiledevantmoi.Ilplongeaunemaindanssapoche.
Bienquej’aietoujoursentêtesonimageenvampire,jeremarquailespetitsdétailshumains:leslèvresboudeuses,lebesoind’inhaler,unpeudesueursursonfront.Ilenfonçaencorelamaindanssapocheetenressortitunpetitsachetnoir.Puisilhochalatêteendirectiondesbois.–Jepeuxteparleruninstant?–Biensûr,répondis-jeleplusnaturellementpossible.Il n’était pas là parcequ’il avait changéd’avis, je savais aumoins cela. Il avait été clair enmedisant qu’il ne
pouvaitplusm’aimer.Jelesuivissurunpetitsentier,jusqu’àcequelefeuetlesbavardagessoientassezlointainspourquepluspersonnenepuissenousentendre.Ilregardalecielparuntrouentrelesbranches.Delongsnuageseffilochéspassaientdevantlalune.–Lunededentelle,dit-ilavantquej’aiepuledire.Etlorsqueleventchassalesnuages,ilajouta:–Tutesouviensdelapremièrefoisqu’onavuça?Jefisouidelatêteetsouris.–Biensûr.Tumel’asmontréen1604,pendantlecarnavaldeVenise.Noussavionsl’uncommel’autrequelalunededentelleannonçaitunchangement.Quelquechosesepréparait.Rhodefitunpasversmoi,maiscettefoisjereculai,incapablededéchiffrersesintentions.–Tumecrains,àprésent?s’étonna-t-il.–Jamaisjenepourraistecraindre.«Etsijen’arrivejamaisàluipardonner?»avait-ilpourtantdemandéàSuleen.La douleur provoquée par ces mots me serra à nouveau les tripes. J’avais envie de lui demander s’il m’avait
finalementpardonné,s’ilavaitréussiàvoirau-delàdeshorreursdupassé.–Situn’aspaspeurdemoi,ouvretamain.Jem’exécutai.Jeluiprésentaimapaumecommesij’avaisattenduqu’ilyposesoncœur.Lecontenudupetitsachetdeveloursnoirs’ydéversa.AnamCara.Jeneregardaipas,pasencore.Moncœurbattait lachamade.Mesdoigtsserefermèrentsurdeuxpetitsobjets.
Métalliques.Ilsétaientfraisautoucher.Jebaissailesyeux…Lesbouclesd’oreillesdemamère!Illesavaitsauvéesdel’incendie.–Lenah!?C’étaitlavoixdeJustin,quirésonnaentrenous.–Lenah,reviens!Onmange!–Joyeuxanniversaire,memurmuraRhode.Sonregardtristeetcalmeaimantalemien,maisilneputmeregarderplusdequelquessecondes.–Rhode…Jetendislamainverslui.Ilreculadedeuxpas.Jeretinsmarespiration.Leslarmesmepiquaientlesyeux.Jevoulaistantletoucherquej’enavaismalpartout.La
douleurdumanquecouraitdansmesbras,jusqu’auboutdemesdoigts,etirradiaitauplusprofonddemonâme.–C’esttoutcequej’aipusauver.Jen’aieuqu’uninstant.J’aisautéparlafenêtredetachambre.Enfracassantles
carreaux.Jemesouvinsdemonrêve,desonpoingfracassantlemiroir,lebrisantenmillefragmentslumineux.–Maisjemesuisservid’unechaise,clarifia-t-il.Ses yeux scrutaient mon visage. Il fronça les sourcils, et une ride verticale se creusa entre ses yeux. Bleus.
L’océan.Leciel.L’amourdemavie.–Joyeuxdix-septièmeanniversaire,sehâta-t-ild’ajouteravantdetournerlestalons.Etildisparutrapidementdanslesbois,endirectiondeMainStreet.–Attends,lerappelai-jeàmi-voix.Ilseretourna,éclairéuniquementparlefaibleclairdelunequifiltraitentrelesnuages,puiss’enfonçaplusloin
parmi les arbres. La douleur quime poignardait le cœur était encore plus profonde que tout ce que j’aurais puimaginer.–Rhode,tuvasteperdre!luicriai-jed’unevoixquisebrisa.C’estdangereux!Illevalatêteverslecieletlalunededentelle.–Quit’aapprisàretrouvertoncheminenteguidantsurlesétoiles?medemanda-t-il.Iln’étaitplusqu’unesilhouettenoire.J’auraisvoulumarcheràsescôtés,rentreraveclui,luiparleretletoucher–
peaucontrepeau.J’auraisvouluquequelqu’unmeserredanssesbrasetmedisequetoutiraitbien.Medisequelesoleil,laluneet
les étoiles n’étaient pas gouvernés par des forces invisibles. Je voulais croire que j’étais libre et que j’avais une
volontépropre.Mais,aufond,jeconnaissaislavérité:Rhodeetmoin’étionspaslibres.Etilnepouvaitplusm’aimer.Je le regardai s’enfoncer dans la forêt sombre, jusqu’à ce qu’il ne se distingue plus des arbres. Je savais que
Vickenpatrouilleraittoutelanuit.Peut-êtreRhodeaussi.Etc’étaitsansdouteégoïstedemapart,maisj’étaisbien,danscesbois,aveclesfantômesdemonpasséincarnéspardeuxbouclesd’oreillescachéesaucreuxdemamain.Soupirant lourdement, jerepartisvers la fête,enécoutant les feuillesmortescrissersousmespas. Jeconstatai
quelaplupartdesterminalesétaientlà.Ilyavaitencorebienplusdegobeletsrougesquequandj’étaispartie,etbienplusdegensdanstouslescoins.Jerestaiuninstantàl’oréedusentier.Jeregardaiderrièremoi,sachantqueRhodeétaitdéjàloin–maissachant
aussiquecemomentetcetendroitoùilavaitdéposélesbouclesd’oreillesdansmamainseraientànousdeuxpourtoujours.–Joyeuxanni-ver-saire,joyeuxanni-ver-saiiiire!semitàbraillerungroupe.Uneminusculeflammes’approchaitdemoidanslenoir.Justin latenditàClaudia,quivintversmoiavecTracy.
Ellesportaientuncupcakeaudécorexquis.Leglaçageauchocolatformaitdesvolutesextravagantes,etaucentrebrillaitlapetitebougied’anniversaire.C’étaitJustinquichantaitleplusfort,etj’auraisaimé,oh,commej’auraisaimé,queTonysoitlà.LaflammevacillaetjecroisaileregarddeJustinpar-dessuslabougie.–Bien,dit-ilensepenchantàmonoreille.Faisunvœu.–Unvœu?Quepourrais-jesouhaiter?–Toutcequetuveux.Ilfourrasonnezdansmoncou.Moncorpsréagitparunaccèsdechairdepoule.–Toutcequetuveux,répéta-t-il,pourtonanniversaire.Alors,jefermailesyeux,soufflaimabougieetfismonvœu.Jefaisd’abordunvœupournotresécurité.Àtous.CelledeVicken,celledeRhode,celledeJustinetlamienne.Et
aussipourWickham.Maismoncœursouhaitequeladouleurs’enaille.Jeformelevœuquequelqu’unmedisequetoutvabien.Quecequej’aifaitestpardonné.Quejesuispardonnée.Lorsque je rouvris les yeux,mes vœux tournoyant encore dansma tête, la bouille ravie de Justinm’accueillit.
C’étaitdoncvrai,ilavaitorganisécettefêterienquepourmoi!–Joyeuxanniversaire.Ilmepritparlamainetcaressamapeau.Quelqu’unplaçaungobeletdansmonautremain.Jeprisunegorgée,etlaliqueurdepêche,épaisseetforte,me
descenditdans legosier.Tenant toujoursmamain, Justinm’entraîna jusqu’à sa voiture. Il avaitmontéunepetitetenteàcôté.Ilmepritmonverreetleposaparterre,puisplaçasesdeuxmainsautourdemonvisage.Jepensaistoujours à Rhode et aux boucles d’oreilles qu’il m’avait offertes, ce qui me mit mal à l’aise. En plus, si Vickenarpentaitlepérimètre,ilpourraitvoircequejefaisais.–JesaisquetuaimesRhode.Ilyasixcentsansquetul’aimes,meditJustin,dontlachaleurcorporelleirradiait
jusqu’àmoi.Jenepeuxpaslutter.–Quoi?balbutiai-je.Ilcomprenaittout,etcelamecoupaitlesouffle.Danslenoir,sonexpressionsemblaitféroce.Ilsepenchaversmoipourmechuchoteràl’oreille,d’unevoixbasse
etgrondante:–Maisilneteconnaîtabsolumentpasentantqu’humaine.Contrairementàmoi.–Justin…Uneonded’étonnementmeparcourut,descendantlelongdemondosjusqu’auboutdemesorteils.Ilrefermasamainsurmanuque.–Non.Jeveuxêtreceluiquitemontreracequec’estquedesurvivreàunrituel,Lenah.Cequec’estquedevivre.
Ilneteconnaîtpascommemoi.Sasincéritémetransperçait.Ilparlaitvrai,jelevoyaisàl’intensitédesonregard,àlahâtedesesparolesetàla
crispationdesamâchoire.–Ouvre-toiàmoi,Lenah,gronda-t-il.Ouvre-toi.Il rapprochamon visagedu sien et s’inclinapourm’embrasser. Il gémissait commeune créature affamée.Mes
épaulessedétendirent.Mapoitrinesedesserra.Car jevoulaisêtretouchée, jevoulaisde lachaleur, jevoulaisceque jen’avaispaspuavoir lorsque j’étaisvampire. Ils’écartademoi, le tempsquenousreprenionsnotresouffle.Ouah!J’aiadorésonbaiser.Jevisalorslaruneargentéeaccrochéeàsoncou.«Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.»Je revécus cemoment, dans la chambre de Justin, où il avait délicatement nettoyéma blessure. Je touchai le
pendentifduboutdesdoigts.Ilm’enlaçadenouveau,m’attiracontresoncorps.Jesentaislapassionquiémanaitdelui.–J’aibesoindetoi,dit-ild’untonfarouche,sansbouger.Alorstucomprends,cequetuaspufaireaveccerituelne
comptepaspourmoi.Jeveux…Toutàcoup,Claudiaapparutàcôtéde latente. Jemerendisbientôtcomptequ’ellen’étaitpasseule :Tracy la
suivait,l’aircontrarié.Commesionl’avaitforcéeàvenir.–Allez,Justin,tunepeuxpasgarderLenahpourtoitoutseulcesoir!Ellemetiraparlamain,etjemeretrouvaibientôtprèsdufeuaveclesautres.Pendanttoutlerestedelasoirée,je
dansai,busduschnapspêcheetmefondisdanslachaleurducorpsdeJustin.Eneffet, ilnelâchapasmonbras,paradantavecmoidanslafêtecommesinousavionsétéuncoupleroyal.Je
n’avaispluspeurdelaforêt.Jen’avaispluspeurdesvampires.LacompagniedeslycéensdeWickhammerassurait.Commemoi,ilspleuraientMrsTate,KateetTony,ettâchaientd’oubliertoutecetteviolence.L’humanitédetoutcelaétaitunvraisoulagement. Je laissais lecontactdeJustinm’enracinerdans la terre.Lorsquenousnoustouchions,lorsque sa peau était contre la mienne, je savais quelle version de Lenah Beaudonte je devais être. Je pouvaissourire.Jepouvaisêtrehumaine.Iln’yeutaucuneodeurbizarredepommes.Jen’étaispasunereinevampirefolleet impardonnable.J’étaisune
jeune fille de dix-sept ans qui fêtait son anniversaire, rien d’autre. Adossés au large tronc d’un chêne, nousregardionsunpetit cercle se former.Claudia semit àdanseraumilieu, ondulantde tout son corps et riant avecd’autresterminales.Tracy,unpeuenretrait,observaitlascène.Ellenesouriaitpas,dumoinspascommelesautres.Sonsouriren’étaitqu’unparesseuxmouvementducoindeslèvres.Àmesurequelanuitsedéroulait,legestedeRhodemedonnantlesbouclesd’oreillesdevintdeplusenplusfacile
àoublier.Ellesétaientaufonddemapoche,troploinpourquejepuisselestoucher.Jepouvais,enrevanche,passermesdoigtssurlapeaudeJustin.Heureaprèsheure.
Verreaprèsverre.Celanecomptaitplusvraiment…n’est-cepas?C’étaitsifaciled’oublier,parunenuittiède,avecdesamis.Avec
Justinetsesmainsdouces.Ilmechuchotaitdesmotsàl’oreille.«Tum’astellementmanqué.»«Neretournepasaucampus.»Cegenredemotsquimenaientà…AuxbrasdeJustinautourdemoi.Àunsacdecouchage…Dansunetente.Derrièremespaupièresbaissées,ilyavaitdeshortensiasbleus,dontlespétalesétaientdessymbolesd’amouret
d’espoir.D’amouretd’espoir.D’amouretd’espoir.–Jet’aime,ditlavoixgrave.Commedanslasalled’écoute,ellen’avaitpasl’accentanglais.Justinrépétamonnom,encoreetencore…jusqu’à
cequenoussoyonsendormis.
Chapitre16Moncrâneétaitcommeremplidesable.Quellecurieusesensation.J’avaislesyeuxfermés,maisjesavaisquema
têtereposaitsurunoreiller.J’ouvrisunœil…tropdelumière.Çafaitmal!Était-cedoncunelumièredémoniaque,pourcausertantdedouleur?J’avaisentendudirequel’enferdesdémonsétaitéblouissantaupointd’aveuglerlescréaturesnormales.Lesoiseauxnechantentpasdansl’enferdesdémons.J’allaisme rendormir, j’avais bien chaud.Étais-je dansmon lit ? J’inspirai profondément : une odeur boisée de
cendres.Defeudecamp.Ah,biensûr!J’étaisaucampingdeLoversBay.J’osairouvrirmespaupières.LesoleilquifiltraitàtraversunplafonddeNylonbleurendaitmonsacdecouchagetrèschaud.J’étaisdanslatentedeJustin…Ilreposaitendormisurledos,levisagetournéversmoi.J’admiraiseslèvrespleinesetsonnezeffilé,sonmenton
pasrasé.Ilremuadanssonsommeil.–Lenah…,murmura-t-il.Lesévénementsdelanuitmerevinrentd’unseulcoup.Lenah,espèced’idiote!Pirequ’uneidiote.Imbécile.Imbécileidiote.Ilfallaitquejetrouvecommentsortirdela
tente sans le réveiller.Oh,non ! Et si Rhodem’avait vue avec Justin ? S’il n’était jamais sorti des bois ? Il étaitsûrementrestépoursurveiller,avectouscesvampiresquirôdaientauxalentours.Ducalme,Lenah.Lève-toilentement.Oùsontteshabits?Lapressiondemonsangenvoyadesélancementsdansmatêtequandjetentaidemelever.Lentement,medis-je
enmedégageantprudemmentduduvet.Unspasmedenauséemesubmergea.Etpasparcequejeregrettaisd’avoirpassélanuitsouslatenteavecJustin.Maisparcequ’unepartiedemoineleregrettaitpas.Jeleregardaidormirencoreuninstant.Laruneargentéereposaitsursontorseetbrillaitdanslalumièredupetit
matin.«Jenesaispas,avait-ilditàproposdecebijou.Ilfallaitquejecomprenne.Quejetecomprenne,toi.»Ils’étaitmisenquêtedecetterunedesavoirpourpouvoirmecomprendre,moietmespouvoirssurnaturels.Mais
cequiétaitarrivépendantlanuitn’avaitriendesurnaturel.J’avaiseubesoinqu’ilmetouche,qu’ilmerappellecequec’étaitqu’êtremortelle.De savoirquemêmemoi, jepouvais êtrepardonnée.Pardonnéepar Justin,quim’enavaittantvouluetquiavaittrouvélaforcedem’accueillirànouveau.Jesortisde la tente leplussilencieusementque je lepus.Ungrosbuissonmecachaitduresteducamping. Je
m’habillairapidement.Nous étions loin dans les bois, mais je voyais le 4 × 4 de Justin à côté du feu de camp. De petites tentes
silencieusesétaientdisposéestoutautour,etdesreliefsdelafêtejonchaientlesol.Il fallaitquejerentreaucampus,etapparemment, j’allaisdevoir lefaireseule.J’allaisaussidevoirtrouverune
rusepour justifier le faitque jen’étaispasaccompagnée. Jesavaisquec’étaitunemauvaise idéedemedéplacerseule,maisj’étaisbienobligéedeprendrelerisque.Une fois habillée, jeme dirigeai vers les bois enmarchant sur l’herbe craquante, et j’hésitai en entendant un
mouvementdanslatente.Justindevaitêtreentraindeseréveiller.Je me mis en marche tout en réfléchissant à mes options. Je n’osais pas repasser devant le feu de camp, où
dormaientClaudiaetTracy.Jefisquelquespasverslasortie,maism’arrêtai.Une silhouette vêtue de noir émergea de la forêt et s’engagea sur le chemin, devantmoi.Mon cœur cessa de
battre.J’inspiraidifficilement.Unefois.Deuxfois.Lasilhouetteétaithauteetsetenaitdansl’ombred’ungrosarbre.La lumièrematinale ne faisait encore qu’effleurer le sommet des frondaisons. L’homme fit encore un pas, etmagorgeseserra.Unvampire?Jepouvaispartirencourantdanslesboisettenterdelesemer.Oualors, jepouvaisréveillertoutlecamp.Mais…Minute.Cevampirefumaitunecigarette.Vicken.
J’enfonçaimesmainsdansmespocheslorsquejesortisenfinducampingpourrejoindreMainStreet.–Tuesd’unestupiditémonstrueuse, tu le sais,ça? rouspétaitVicken.PasbesoindePESpour lecomprendre.
CetteClaudiam’aditdenepastedéranger.J’aidormiledoscontreunarbre,bonsang.–Vicken…Jeparlaisd’untonrepentant,toutenmarchantdumêmepasquelui.Danslachaleurdelapochedemonjean,lesbouclesd’oreillesdemamèrememordaientleboutdesdoigts.Ma
gueuledeboissecalmaitpeuàpeu.LesoleillevantembrassalesédificesdeMainStreet.–J’étaiscenséteprotéger,grondaencoreVicken.–Épargne-moitesreproches.Maisuneboulederemordsmenoualeventre.Nousmarchionstoujours,deplusenplusvite,danslepetitmatin.Dépassantlesboutiquesetlemarché,jusqu’à
atteindreleportailducampus.–Vosnoms?nousdemandalevigileàl’entrée.Nousluimontrâmesnoscartesd’étudiant,etlaportepourpiétonss’ouvrit.–Vicken.IlfautquetumepromettesdeneriendireàRhode.–Tepromettre!Ilpatrouillaitaussi,figure-toi!
Nesachantpasaujustecequecelavoulaitdire,jememordislajoue.L’expressionsombredeVickens’adoucit.–Pourquoituasfaitça?medemanda-t-il.Jenerépondispas.–Laissetomber,montons,enchaîna-t-il.J’aibienbesoind’unboncafé.Pasàpas,nousmontâmesl’escalierdechezmoi.Nousavionspresqueatteintmonétagelorsque…Despommes,encore.Unepuanteurécœurante.Despommespourries.Despommesenpleinefermentationdans
un tonneaudebois fendu. Je les voyaisdansma tête.Une imagesortiedemonpassé :despommes restées troplongtempsausoleil,brunies,semblablesàducuir.–Non!criai-jeenplaquantunemaincontrelepapierpeintàmotifsnautiquesdelacaged’escalier.Rhodeestdeboutaumilieudesachambre.Ilramassel’épéeparterre.Jevoissontorse:ilrespirerapidement.
Puisilabatl’épéesurletélescope,envoyantvolerdespiècesnoires.Ilfracassesalampe,etdeséclatsdeverresontprojetésdanstoutelapièce.Sarage…–Non!criai-jeànouveauentombantàgenoux.Desportess’ouvrirentquelquepartendessousdemoi,avecdescliquetismétalliques.–Çava,là-haut?criaquelqu’un.–Oui,toutvabien!répliquaVicken.Je rouvris les yeux, tâchai de me concentrer sur lui. Mais à ses cheveux fous se mêlait ma vision de Rhode
saccageantsachambre.Jeréprimaiunhurlementhorrifié.LacolèredeRhodebattaitenmoicommeuncœuremballé.Jetentaideretenir
cesimagesdelui,fermailesyeuxpourlevoir.Saragemetraversaitenbouquetsd’étincellesquiexplosaientdanstoutmoncorps.Ilsavaitquej’avaispassélanuitavecJustinsouscettetente.–Qu’est-cequetuasvu,cettefois?medemandaVicken.C’étaitencoreunevisiondeRhode,pasvrai?Jem’aperçusalorsqu’ilmetenaitlamain.–Ilestencolère.C’estsûrqu’ilm’avuehiersoir.Vickenm’aida àme relever. Je flairai une senteur de pin dans ses vêtements et de tabac sur sa peau. Pas de
pommes,parchance.La dernière volée de marches me parut incroyablement difficile à gravir. Mais je réussis. J’étais impatiente
d’entrerchezmoi,defermerlaporte,derejoindremachambreetdem’écroulerdansmonlit.« Est-ce que tu me pardonnes ? » avais-je demandé à Justin. Et il avait dit oui. Je comprenais seulement
maintenantquejen’avaispasposélaquestionàlabonnepersonne.J’avaisespéré, tandisqu’il touchaitmes larmessalées,qu’ilneserendaitpascompteque jepleuraisparceque
j’auraisvouluqueRhodesoitàsaplace.N’aurais-jepasdûêtreheureuse,enlacéeparquelqu’unquim’aimaittant?Euphorique,même,commel’andernier,lorsquenousétionsensembleetquej’étaisfolledejoieàl’idéedemesavoiraimée?–Situcontinuesdehoquetersansmedirecequisepasse,jet’enfermejusqu’àcequetucracheslemorceau,me
ditsoudainVicken.–Jepensaisjusteàlanuitdernière,répondis-jeentendantlamainverslapoignéedemaporte.Mesdoigtsserefermèrentsurlemétal.Etunedouleurdéchirantesedéchaînadanstoutmoncorps.Mestripesseserrèrentenunnœudsiétroitqueje
mepliaiendeux.Mesgenouxheurtèrentlamoquetterâpeuse,quimebrûlalapeau.Jeposaiunemainàplatparterre,laboucheenvahiedesalive.Lesortdebarragefonctionnait!–C’estridicule,commentaVicken.Tuétaiscapabledeboiredeslitresdesang,avant.Tuétaisunepuissantereine
vampire.Illevaunemainpourtoucherlapoignée.–Non!Non!Jevoulustendrelebrasverslui,maismamainétaitunpoidsmortetelleretombaparterre.–Lesortdebarrageaflambé.Monmalaiseétaituneréactiondesimplemortelleàunepuissantemagie.C’était lapreuvequ’unvampireavait
tentédes’introduirechezmoi.S’ils’agissaitd’Ava,elleétaitréduiteàuntasdecendres.Quiquecefût,ilavaitététuéinstantanément.Vickens’assitsursestalonsetobservalaported’unairébahi.–Alorsçayest,ilssesontaperçusquetonrituelétaitbidon.Lamagieprésentedansl’airindiquaitquetouteslesherbesquej’avaisrépanduess’étaientenflammées,diffusant
desénergiesdanstoutelapièce.Cesénergiesnousrendaientmalades,nous,leshumains.Jelevaiunemainouverteethésitaidevantlaporte.Ilfallaitquejesachesielleétaitfroideouchaude.Sielleétaitchaude,lesortétaitrécent;froide,ilremontaitàplusieursheures.Vicken,quiavaiteulamêmeidée,posalamainsurlebattant.Sesphalangesblanchirentetsamainretombaen
cognantsacuisse.–Chaud,annonça-t-ild’untongrave.Ilsviennentdepasser,àmonavis.J’essayaiàmontourdetoucherlaporte,etretiraiaussitôtmamain,commeil l’avaitfait.L’énergiedusortilège
m’envoyait des chocs électriques jusqu’en haut des bras. Vicken fermait et rouvrait ses doigts. Nous nousaccrochâmes l’unà l’autrepournous relever, aprèsquoi j’hésitai en tenant la clédevant la serrure.Enfin, jemedécidaiàlaglisserdedans,tournai,etlaportes’ouvrit.–Hunclocumbonisominibusprosequi,dis-je.«Bénissezceslieux»,enlatin.Mesmainsmepicotaienttoujours,commeengourdies.Jeserrailespoingspourréveillermessensations.–Entrons,lâchaVicken.Lebattantpivotalentementengrinçant.Nousrestâmesuninstantsurplace,àattendre.Unétrangebruitblanc
résonnait,commesidescentainesdegensavaienthurlétoutauboutd’untrèslongtunnel.C’étaientleséchosdescrisdesvampires.Unefinepoudregrisemarquaitàprésenttoutlepourtourdusalon,àlaplacedesherbes.Etaucentredelapièce,ilyavaituntasdecendresnoires.Jem’enapprochai,maisquelquechoseaccrochamonregardsur lebalcon.Quelqu’unbougeait. Ilme fallutun
momentpour lareconnaître.Ava.Elleroulasur le flancetsesbouclesblondes luiretombèrentsur levisage.Elleessayaitdeselever.Je bondis par-dessus le tas de cendres, sortis sur le balcon,maismon adversaire était déjà debout.Vickenme
dépassaet lapoussa.Elleretombaparterre,assise,et jevisqu’ellesouffrait.Sonbrasétaitcouvertdesang,sesdoigtsàvif, sesonglescassés.Parfait.Blessée.Nouspourrionspeut-être l’avoir, en jouant sur l’effetde surprise.
Vicken sebaissa vers sabottepour yprendreunpoignard,maisAva roula sur ledoset lança sesdeuxpiedsenavant.Elleleheurtaetildutreculer.Bonsang,aupiredesmoments,pourquoiRhodeavait-ilprisl’épée?!Avacourutlelongdemonbalcon.–Vas-y!criai-jeenrepoussantVickenverselle.Maiselleétaitbientroprapide.Commesaforce,savélocitéétaitsupérieureàcelled’unvampireordinaire.Jeme
penchaipar-dessuslegarde-corps,jetaimesmainsenavantettentaidelarattraperparlajambedesonpantalon.Mesdoigtsfrôlèrentletissuetellesejetadanslesairs.Ellesautasurletoitdubâtimentadjacentaumien.Jem’attendaisàlavoiratterrircommeunchat,sursespieds,
avec agilité.Mais elle trébucha et dut faire desmoulinets des bras pour garder son équilibre avant de tomber àgenoux.Vickenlevaunejambepourmontersurleparapet.Ilallaittenterdesauter!Entantqu’humain,iln’avaitaucunechanced’yarriversansseblessergravement.Jel’agrippaiparlebrasetle
tiraienarrièresurlebalcon.Noustombâmesensemblesurlecarrelage.–Non,soufflai-je.Jenevaispasteperdreunefoisdeplus.Ilsoutintuninstantmonregard,etlefeuquianimaitsesyeuxs’adoucit.Ilsoupiraetm’aidaàmerelever.–Descendons,finis-jepardireenletirantparlamanche.JecomptaisintercepterAvaaupieddubâtimentoùelleavaitsauté.Àdeuxcontreun,nousavionspeut-êtreune
chance.Àconditionqu’ellenenousprennepasdevitesse.–Attends,meditVickend’unairsombre.Surletoitd’enface,Avavoulutserelever,maissesbrascédèrentsouselleetellesecognadurementlescoudes.–Qu’est-ceque…,souffla-t-il.Regarde!Elleessayaencore,etcettefoisseredressatoutedroite.Elles’approchaduborddutoitetlevalesbrasau-dessus
desatête.JeserraiinvolontairementlebrasdeVickenenlaregardantsauterets’enfuirauloin.–Commenta-t-ellefaitça?s’interrogea-t-il.–Etsesbras!Elleaguériinstantanément.Tulesasvusquandellelesalevésau-dessusdesatête?Plusdesang.– Ce qui m’inquiète encore davantage, c’est qu’elle ait pu pénétrer dans l’enceinte du campus. Et avant le
1eroctobre.Laprotectiondurituelnefonctionneplus.Lescendresd’unautrevampire,qui, lui,n’avaitpassurvécuàmonappartement,étaient toujoursentasséesen
pleinmilieudusalon.MaisAva…sesplaiesensanglantéess’étaientreferméesenquelquesminutes.Jen’avaisjamaisconnudevampire
capabledeguérirsirapidement.Décidément,elledémentaittoutcequejesavaissurlesvampires.NousrentrâmesdansmonappartementetVickensepenchasurlescendresduvampiremort.Ilsortitunegrosse
montreenargentdupetittas.Elleoscillaauboutdesondoigt.–Unemontred’homme,constata-t-il.Avaestvraimentsanspitié:elleasacrifiésansvergogneunmembredeson
cercle.Ellesedoutaitquetuélèveraisunebarrière.Enétudiant lesherbescarboniséestoutautourdenous, jeperçusque l’énergiede lapièceavaitchangé.Toute
créaturesurnaturellequientreraitsauraitàprésentquelesortilègem’avaitprotégée.Lepremiervampireavaitsansdouteété incinéréaussitôtqu’il avaitpénétrédanscetespace ;quantàAva, seuls sesdoigtset sonavant-brasyétaiententrésavantqu’elleserendecomptedecequisepassait.Quoiqu’ilenfût,c’étaitdésormaismonespace,saintetsacré.Rhodel’avaittoujoursdit:l’énergielaisseunetrace
indélébile.Àprésent,lescheveuxemplisdel’odeurdufeudecampetlatêtepleined’imagesdeRhodesaccageantsa chambre, je savais ce que j’avais à faire.Nous avions besoin d’aide. Besoin de protection. Je ne pouvais pluslaisserAvaetsesacolytesnousdominer.– Jevais lancerun sortdeconvocation,annonçai-jeàVicken. Jenevaispas rester lesbrasballantsàattendre
qu’ellemecontrôle.–Ahoui,vraiment?lâcha-t-ilsuruntonsarcastique.–Quoiquetuendises,Rhodeestentraindeperdrelaraison,etj’aibesoindetonaide.Surtoutmaintenantqu’Ava
sebaladesurlecampus.–Tuveuxquejem’inclinedevanttoi,ouun«bond’accord»tesuffira-t-il?s’enquitVicken,uneépauleappuyée
contrelemur.–NousallonsfairevenirSuleen.Ilneréponditrien,maiscontinuademedévisagersanssedépartirdesonpetitairsupérieur,unecigaretteintacte
pendantentreseslèvres.–Tunevaspasessayerdem’endissuader?demandai-je,incrédule.–Jenegagneraispas,n’est-cepas?Tuaslancélesortdebarrage.Jenepensaispasqueçamarcherait,etçaa
marché.–Essayonsàl’aurore.Aumomentoùlaluneetlesoleilsepartagerontleciel.C’estletempsleplusspiritueldela
journée.–Dois-jevousappeler«majesté»?–Arrête.–Ou«maîtresse»?Ou«déesse»?–Elle a perduunmembrede son cercle, ils ne sont plusquequatre.Et nous savonsqu’elle se remet vite.Au
moins,onestfixéslà-dessus.–Cen’estpastoutcequenoussavons,trèschère,ajouta-t-ilenallumantsacigarette.(Ilinhalaprofondémentet
seremitàparlerenexhalant.)Nousavonsdécouvertunautreélémentd’uneimportancecapitale,cematin.–Quoidonc?–Elleesttombéeenatterrissantsurletoit.Elleestaffaibliequandellesaigne.
SiAvaétaitaffaibliequandelle saignait,alors il faudrait lablesseraucouteau,pour finirpar lapoignarderen
pleincœur.C’étaitleseulmoyendel’abattredéfinitivement.Entre-temps,nousavionsbesoind’aide.Vickenetmoine perdîmes pas de temps. Tôt le lendemainmatin, je posaima tête contre le siège passager, les yeux clos, lescheveuxagitésparlevent.S’iln’yavaiteulebruitdumoteur,nousaurionspuêtredansunattelagerapide…maiscen’était pas le cas.Vicken était au volant demapetite voiture bleue. Il conduisait commeun fou, et un virageabruptme projeta contre la portière. Jeme retins à l’accoudoir et rouvris les yeux. Lorsque nous nous garâmesdevantlaplagedeLoversBay,laluneétaitsuspendueau-dessusduport,dessinantsurl’eaudeslignesondulantesdelumièregris-bleu.Lesoleilallaitbientôtselever.Jelesentaisdansmoncœur,dansmesos.Peut-être,commeunsixièmesens,serais-jetoujourscapabledepercevoirlesoleiletsapuissance.Ledangerqu’ilrecelait.Nousrestâmesassisensilenceàcontemplerl’océan.
–Elletiresaforcedequelquepart,dis-je,lesyeuxdanslelointain.Unsortilège,sansdoute,jenesaispas.C’estlaseuleexplicationaufaitqu’elleserégénèresivite.–Nenousinquiétonspasdeça.Concentre-toisurlesort.–Ilfautquelesquatreélémentssoientreprésentés.Aumomentoùjeledisais,lesAerisseprésentèrentàmonesprit.SurtoutleFeuetsachevelurecrépitante.Je pris sur la banquette arrière mon sac de magie, qui contenait notre matériel et le livre de sorts. Nous
descendîmesdevoiture,et lorsque jeprispiedsur lapetiteplage, lesables’enfonçasousmesbottes.Lesétoilesscintillaient faiblement au-dessus de nous, dans une lumière grise et brumeuse.Cela s’appelait « la Ligne ». Lesvampiresconsidéraientcetteheuredumatincommesacrée.Lemomentdessorts,oùlemonden’estpassûrdelui-même,oùcen’estpluslanuitetpasencorelejour.Jescrutailazonequis’étendaitdevantleparking.–Descendonslà,àl’abridesregards,proposai-je,soucieusedenepasêtrerepéréeparlecommundesmortels.Il
nousfautcesboutsdeboisflottés,là,onlesempilerasurlagrève.Jedésignais,aupiedd’unbouquetd’arbres,untasdevieuxboisblanchiparlessaisons.–Tuesbienautoritairepourquelqu’unquivaprobablementnousfairetuertouslesdeux,rouspétaVicken.Pendant que je descendais sur la plage pour rassembler ce qui nous manquait encore, il déplaça plusieurs
morceaux de bois. Jeme tins au bord de l’eau et regardai les vaguelettes lécher le sable et les cailloux. Le sortagiraitcommeunpharedanslanuit,unappel.UnvampireaussipuissantqueSuleenpouvaitcertainementéviterd’êtrecontactés’ilnesouhaitaitpasl’être.Maissicelan’étaitpasunmomentoùj’avaisbesoindelui,jenesavaispascequec’était.Jeplongeailamaindansmonsacetensortisunpetitflaconvide.J’yrecueillisunpeud’eaudelabaieetallairejoindreVicken,quim’attendaitàcôtédesontasdebois.Le jasmin était crucial pour la réussite du sort de convocation. Dans le sac, je pris une petite boîte de résine
d’ambre, un peu de jasmin et des allumettes, puis tendis la fiole d’eau de mer à Vicken. Lorsque ses doigtstouchèrentlesmiens,jesourislégèrementenregardantmonvieilami.Notreamour,celuiquiavaitexistéentreluietmoicentsoixanteansplustôt,étaitàprésentrévolu,remplacéparlatendressedel’amitié.– Allons-y avant qu’Ava ne décide de se pointer, dit-il dans un soupir. Çame picote de partout. Je déteste ce
sentimentd’anticipation,c’estintensémenthumain.–Tudevraiscommencer.Tuasétéledernierconnectéaumondesurnaturel,indiquai-jeàVicken.C’est-à-direqu’ilétaitledernierd’entrenousàavoirretrouvésonhumanité.Jesortisalorsdusacmonlourdgrimoirereliédecuir.Mesbottess’enfoncèrentplusprofondémentdanslesable
lorsquejem’avançaipourleluitendre.Sontitreenlettresd’or,Incantato,miroitasouslespremiersrayonsdusoleilquivenaientpeuàpeucouronnerl’horizon.Vickenl’ouvritàlapagemarquéeparunpetitrubanrougeetrelevalesyeuxversmoi.–Prête?Dessineuneportedanslesable…,meditunevoixsortiedemamémoire.J’avaispresqueoublié.Unjour,ilyavait
bienlongtemps,Rhodem’avaitracontéqu’ilavaitlancéuntelsort.J’observaiattentivementletasdeboisflottéetlazonequil’encerclait,aprèsquoij’enfonçaimonindexdanslesablefraisettraçailecontourd’uneporteautourdufoyer.JecroisaileregarddeVickenpourmerassurer,etluirépétaicequeRhodem’avaitditdessièclesauparavant.–Aussilongtempsqu’ilyaeudesportes,ilyaeudessortsdeconvocation.Desentrées.Despassages.Jem’écartaidemondessin.–Alors,onconvoqueSuleenetilnousaideraàcombattrecesvampires?EtàprotégerRhode.–C’estl’idée.Jefrottaiuneallumette,quiflambaentremesdoigts.Puisjelapropulsaid’unepichenette,etelledessinaungrand
arcdecercleavantd’atterrirsur letasdebois.Embraséparsaflammeetpar les ingrédientssurnaturels, leboissiffla,cracha,souffladelafuméeversleciel.Ouvrantlaboîte,jeprisunepincéederésined’ambreentremonpouceetmonindexpourlasaupoudrersurlefeu.Deminusculesflammesorangéess’élevèrentengrésillant.–Commence,ordonnai-jedoucementàVicken.Ilbaissalesyeuxverslegrimoire.–Jefaisappelàtoi,Suleen.Jetedemanded’apparaîtredevantmoidanscetespacesacré,déclama-t-ilenlatin.Jedévissaiensuite lebouchonduflaconetrépandis l’eausalée,cequifitencoresiffler lefeu.L’eauglissaitsur
mesmainsavantdelâcherdanslesflammessespetitesperlesliquides.Ilyeutalorsuncraquementanormal,etlesflammesgrandirentbrusquement.Surprise,jefisunbondenarrière.–Ouah!C’étaitpuissant.C’estnormalquelesflammesaientexplosécommeça?medemandai-je.Jem’agenouillai,prisunepoignéedesabledansmamainet,tendantlebrasenavant,jelesaupoudraisurlefeu
fumant.Vickenn’eutpasbesoindemetendrelegrimoire.Jemesouvenaisdusort.–Jetedonnelaterreetl’eau.Jefaisappelàtoi,Suleen.–Lenah…,commençaVickend’untond’avertissement.Lui aussi avait remarqué l’étrangeté des flammes. Je ne l’écoutai pas, soucieusede rester concentrée surmon
énergieetsurmesintentions.–Jeteconvoque,Suleen,jetedemandedeteprésenterànous,carnousavonsbesoindetoi.Jelaissaitomberlesfleursdejasmindanslesflammesorangées.Lecontourdelaportequej’avaisdessinéedans
lesablesemitàbrillerd’unelumièrebleuvif,commelecielmatinal.Celafonctionnait-il?Ilfallaitquej’aideRhode.Ilfallaitquejel’empêchedefracasserlesmiroirsetd’accomplirlesrituelsdel’ordredelaJarretièresurlatombedemonmeilleur ami. Je voulais l’empêcher d’éprouver la douleur deme voir avec Justin. J’avais besoin de tant dechoses…ilfallaitquequelqu’unnousvienneenaide.–Jeteconvoque!hurlai-je.Jeteconvoque,Suleen!Soudain,lefeuexplosaenhautesflammesrouges.Leboissautaenl’air,propulséparunaffluxd’énergieviolent
commel’enfer.Jefusmoi-mêmeviolemmentprojetéeenarrière,avantd’atterrirsurledosdanslesable.Etlà…Monbras.Desflammesmeremontaientjusqu’aucoude.–C’estpasvrai!s’écriaVickenenjetantdesbrasséesdesabledessus.Jeroulaisurlecôtépourlesétouffer,puismerassis.Jemebalançaisd’avantenarrière,etc’estalorsseulement
quejem’enrendiscompte:jemetenaislepoignetethurlaisàpleinspoumons.Jen’avaispasentendumapropreterreur.Cesflammesavaientsurgidenullepart.Ellesn’auraientjamaisdûmontersihaut.Vickensaisitlegrimoireetmetraînaverslavoiture,mêmesijeglissaisettrébuchaissanscessesurlapentesableuse.Jejetaiuncoupd’œilàlaportedessinéeetautasdebois,quiavaitcessédeflamber:c’estàpeines’ilfumottaitencore.
Laporte.Elleavaitdisparu!Monbrasmefaisaitunmaldechienetjefislagrimace.–Qu’est-cequi s’estpassé ?Çaa raté ?demandai-je avecungémissementdedouleur, serrantànouveaumon
poignet.Vickenm’ouvritlaportepassageretjemeglissaisurlesiège.Nousétionsàprésentsurlaroute,etlescahotsmedonnaientmalaucœur.–Oùestl’hôpital?criaVickend’unevoixpaniquée.–L’infirmerie.Conduis-nousàl’infirmeriedeWickham.Ilfautquejesoisprèsdemachambre.Lesortdebarrage!
criai-jeàmontour,sansosertouchermonavant-bras.Sionafaitvenirquiquecesoitaveccesortdeconvocation,ilfautsemettreàl’abri.Mapeaumebrûlaithorriblement,j’avaisenviedeplongerlebrasdansunseaudeglace.J’appuyailefrontsurla
vitre,espérantmerafraîchir.Nousprenionslesviragessurleschapeauxderoue,etchaquefoisqueVickentournaitlevolanttropvite,celam’envoyaitunélancementdedouleur.–Tudevraiséviterdeleregarder,trèschère,meditVicken.Çan’arrangerien,aucontraire.Encoreunvirageserré,etmonépauleheurtalavitre,diffusantànouveauladouleurdanstoutmonbras.–C’esttoiquiaseucetteidéegéniale!s’énervaVicken.ConvoquerSuleen!Etenutilisantlamagiedeséléments,
enplus!Quit’aditdenepast’enmêler?LeFeu,l’élémentlui-même,t’aordonnéenpersonnedenepasjoueravecça.Maisnon!LenahBeaudontenevaquandmêmepasécouterlesAeris,vouspensez!–Tupourraisgardertescritiquespourtoi,s’teplaît?râlai-jeentremesdents,serrantmonpoignetencoreplus
fort.C’étaitvrai,j’auraismieuxfaitdenepasregardermonbras,etmonestomaceutunspasme.Lapeauformaitdes
cloques,rouges,àvif,horribles.Aumomentoùjecroyaisquejen’allaisplussupporterlesmouvementsdelavoiture,celle-cifranchitleportaildulycéeetlevigilepostéàl’entréenousfitsignedepasser.Leslieuxétaientanimés,pourunsamedimatin.Lesexternesn’étaientpaslà,maisilrestaitdesdizainesd’élèvesquirévisaientousedétendaientsurlespelouses.Lavoiturestoppadansungrandcrissementdepneus.Vickenenfitletourencourant,ouvritmaportière,etsonbraspasséautourdemesépaulesmeréconfortaunpeu.Ilm’aidaàmelever.Desvoix.Ladouleurdansmonbras…ettantdevoix.«Lenah.»«Çava?»«AllezchercherJustin,quelqu’un!»Non sansmal, Vicken etmoi arrivâmes à la porte de l’infirmerie. J’étais certaine quemes jambes allaientme
lâcher.J’avaisenviedehurler,depleurer.Jedétestaisladouleur.Celle-ciétaittellementintensequej’étaiscertainedegarderdescicatricesàvie.Vickenouvritlaportedel’infirmerieengrandetentraavecmoi,quitenaisàpeinedebout.Uneinfirmièresurgit
dederrièrelecomptoirdel’accueil;ellecriaaumédecindevenir.Jem’appuyaissurVicken,lamaintoujoursserréesur mon poignet. Des larmes involontaires me montaient aux yeux. La sensation de brûlure et les vagues desouffrance m’écrasaient littéralement. Lorsqu’une femme en blouse blanche arriva en courant, je comprisintensémentlesoulagementtrèshumainqueprovoquel’apparitiond’unmédecin.Jeluitombaidanslesbrasetvomisparterre.
Chapitre17–Commentas-turéussiàtefaireça?medemandauneinfirmièreuneheureplustard.Unépaisbandagem’entouraittoutl’avant-bras,dupoignetaucoude.–Enfaisantcuiredesbrochettessurunfeudecamp.Mensongeflagrantmaisnécessaire.Pourquoilesortilègea-t-iléchoué?medemandai-jepourlamillièmefois.– Eh bien tu as eu de la chance,me dit l’infirmièreWarner. Une flamme nue peut provoquer des brûlures au
troisièmedegré.Lestiennesnesontqu’audeuxièmedegré.Àl’avenir,contente-toidemangeràlacantine!Vicken,quinem’avaitpasquittéeuninstant,s’adossaaumur,enfacedemonlit.–Bienvenueauclub,medit-ilendésignantsonœil,quiétaitpresquerevenuà lanormale(lapeauautourétait
encorelégèrementjaune,maisc’étaittout).LevisagemassacrédeRhodepassauninstantdansmatête.Puisc’estJustinquientraencoupdeventetvintse
posteràmonchevet.–Lenah!Maisqu’est-cequit’estarrivé?Tuasfilécematinavantquejepuisse…Ilsetutlorsquel’infirmièrerevint.–Seulementquelquesminutes,Justin,dit-elle.Jenepeuxpasaccueillirtouteuneménagerieici.–Ouimadame.Ilpritmamainintactedanslasienneetembrassamesdoigts.–Ohlàlà,pitié,jevaisvomir!soupiraVickenavecmalice.Justin lui décocha un regardmeurtrier, et l’infirmière s’en alla enmeprévenant qu’elle allait revenir avec des
antalgiques.Aussitôtqu’ellefutsortie,Justinmesoufflaunequestion.–C’estAvaquit’afaitça?Vickenfronçalessourcilsmaisneditrien.–Non,pasAva.Vickenetmoiavonstentéunsortdeconvocation.–Deconvocation?–PourappelerSuleen.–Etçanes’estpaspassécommetuvoulais?–T’astoutcompris,monpote,fitVickenensedétachantdumur.Jemelaissaiglisserdulit,etlorsquemespiedstouchèrentlesol,iltintmesdoigtsducôtéendommagétandisque
Justinmesoutenaitpar l’autrebras. Jesoupirai : j’avais justeenviederesterallongée.L’infirmièrerentradans lapièceenexaminantl’étiquetted’unflaconmédicalmarronqu’elletenaitentresesdoigts.
–Vicken,tudevraisraccompagnerLenahàsachambre,dit-elleenlevantlatêtepourregardertouràtourlesdeuxgarçons.OuJustin.Débrouillez-vousentrevous.
–Justinestpressé,ilaunentraînementdecrosse,ricanaVicken.–Arrête,luicrachai-jeentremesdents.L’infirmièreluitenditleflacondecomprimés.–Lesinstructionssontsurl’étiquette,Lenah,jetesuggèredelessuivre.–Etsijet’apportaisàmangercesoir?proposaJustinenmelâchanttandisqueVickenm’entraînaitverslaporte.–Super!C’estparfaitcommeça.Pendantquenoussortionstousdelasalle, je lançaisanscessedescoupsd’œilvers laportedel’infirmerie: je
m’attendaisàvoirRhodeentreràtoutinstant.Non,Lenah.C’estdansl’ordredeschoses.C’estJustinquiestlàpourtoi.PasRhode.–Ilfaudraquetugardestonpansementencoredeuxoutroisjours,etsurtoutnetouchepaslescloques.Laisse-les
tranquilles. Reviens vendredi, on défera le bandage et on verra où tu en es, me dit l’infirmière en nous suivantjusqu’àlaporte.
–Jel’accompagnerai,précisaJustinavecuncoupd’œilàVicken.Ilsmefirentprendreunantalgiqueavantdepartir,etm’avertirentque lemédicamentmerendraitsomnolente.
Justinm’embrassaencoreunefois,aprèsquoiVickenm’accompagnaendirectiondeSeekerHall.Dormir,oui,ceseraitbon,pensai-jetandisquemonamirépétaitenbouclelespireshorreurssurJustin.Dormir…Dormirm’empêcherait deme demander pourquoi Suleen n’était pas venu à notre secours.Dormir entraînerait
peut-êtredesrêvessusceptiblesdem’expliquerpourquoilesorts’étaitretournécontremoi.Pourquoi,aprèstoutcequenousavionstraversé,Suleenn’étaitpasapparupoursauverRhode.
–N’oubliepas:quandtuprendsunedouche,ilfautquetuprotègestonpansement,quetul’emballesdansunsacenplastiquepournepaslemouiller…Tum’écoutes,aumoins?medemandaVicken.
Affaléesurlecanapé,jecontemplaisleventilateurauplafond.Iltournait,tournait,tournait.Lespales?Queleurétait-ilarrivé?Entournant,ellesformaientunetacheflouesurleplafond.
–Tiens…quiarepeintleplafond?demandai-je,complètementhébétée.Vickenregardaenl’air,puisbaissalesyeuxversmoi,lamineconsternée.–Pourquoinem’est-ilpasapparu?PourquoiSuleenn’est-ilpasvenu?Est-ceparcequeRhodenemepardonne
pas?Jetel’aidit,ça?Ilpensequ’aprèstousmescrimesj’ail’âmetropnoire.–Ilt’aditça?–Non,pastoutàfait.
Mespaupièresétaientlourdes,ellesretombaientsanscessesurmesyeux.MonDieu,qu’ellesétaientlourdes.–Bon…Ilesttempsquetudormes.Jecroisquecesantalgiquesfontenfineffet.–J’adoredormir,répondis-jed’unevoixsomnolente.Tucroisqu’onvamourir?Qu’Avavanoustuer?–Demieuxenmieux!soupiraVicken,quidéployaunecouverturesurmoietlabordaautourdemoncorps:un
gestequ’ilconnaissaitbien,maintenant.Onenreparleraquandtuaurastoutetatête.–Toutematête?– Il fautque je file.Mais je reviendraiauxnouvelles toutà l’heure.Etque jene te reprenneplusà lancerdes
sorts!Des sorts, pensai-je en regardant le ventilateur.Des sorts qui nemarchent pas. Des sorts quime fontmal. Et
lentement…jem’endormis.Jesuisaucentredugymnase,seule.Ilestdécoréd’étoilesblanches,defloconsdeneigescintillants,depaillettes
étincelantes.J’aidéjàvucela: lasalleestdécoréecommepourlebald’hiverdel’andernier.Jebaisselesyeuxettouchelasoied’unelonguerobedusoir.Cellequejeportaislorsdubal!Au-dessusdemoi,lesspotsfixésauplafondclignotentenbleuetrouge,bleuetrouge,bleuetrouge,etsereflètentausol.Lamusiqueestunslow,maisiln’yapersonnedanslacabineduDJ.Lesonestfort,aupointdefairevibrerleplancherdéserté.Oùsont-ilstouspassés?Jevaispourfaireunpas,maisreculemonpied…Qu’est-cequec’estqueça?J’aifailli
marcher surquelque chose.Un collier ? Jemebaisse et ramasseun cordonde cuir. Lependentif de Justin y estaccroché.Jeregardetoutautourdemoi.Iln’apaspuleperdreparinadvertance.Pasaprèstoutcequ’ilm’adit.Etilytient.Ilfautquejeleluirende.
–Justin?!crié-jedanslasallevide,àpleinspoumons,pourcouvrirlamusique.Justin!–J’aitoujoursaimécetterobe,faitalorsunevoixquejeconnais.Jemeretourned’uncoupverslaported’entrée.Tonys’approchedemoi,vêtud’unsmoking,exactementcommelorsdecebal.Vivantetenbonnesanté.–Cesontlesfillesquil’ontchoisie,dis-je.Tonyestdevantmoi,lesmainsdanslespoches.Sespiercingsetsonsouriresolairesontexactementtelsquejeles
aivusladernièrefois.–J’aiperduJustin.Jeneleretrouvepas,dis-jeencore,encontemplantlegymnasedésolé.–Ilreviendra,meditcalmementTony.Tuveuxdanseravecmoi?–Oui.Jeleprendsdansmesbrasetnoustournonsdanscegymnase,monmeilleuramietmoi.–Jedonneraisn’importequoipourterevoir,ajouté-jeencontemplantsestraitsagréables.–Celaarrivera.–Quand?Ilmefaitpirouetterafinquemajupetourneautourdemoi.Maislorsquejemeretrouveànouveaufaceàlui,c’est
Avaquisetientlà.Noussommesvêtuesdemanièreidentique.Jeréprimeuncridesurpriseetrecule.Sescheveuxsontlongsetraidessursesépaules.Elleessuiedusangsursabouche.–C’estluiquiavaitlemeilleurgoût,déclare-t-elle.
Le lendemain matin, en m’habillant, je flairai une senteur de tabac dans l’air. Vicken avait dû venir me voir
pendantlanuit.«C’estluiquiavaitlemeilleurgoût.»Cettephrased’AvacontinuaitàmerésonnerauxoreilleslorsquejesortisdeSeekerHallpourtraverserlecampus.
Oui,Avapouvaits’exposeràlalumièredujour.Maismoiaussi.J’avaisdesgensautourdemoiquim’aimaientetdesgensprêtsàm’aidersij’enavaisbesoin.Etaprèscerêve,ilfallaitquejevoieleportraitdeTony.Jenel’avaispasvoulujusque-là.Jen’étaispasremontéedanslatourdesartsdepuissamort,maisàprésent,lemomentétaitvenu.
Jemarchaiseninhalantprofondémentl’airmatinalpourtenterdem’éclaircirlesidées.Desélèvesmehélaient.«Salut,Lenah!Commentvatonbras?»«Lenah,qu’est-cequetut’esfait?»Jetâchaidechasserlesouvenirobsédantdemonrêve,delefairefondresouslevifsoleil,parmilafouledemes
camarades.Despicotementscirculaientdansmesbras,descendaientdansmesjambes,jusqu’àmesdoigtsdepied.Jedétestaiscescomprimésblancsquimedonnaientl’impressiond’avoirprisunedoubledosed’opiacésetd’absinthe–unmélangequejeconsommaisfréquemmentlorsquej’étaisvampire.Jemarchaistoujours,maisj’avaisdumalànepasagrippermonbrasbrûlé ;moncœurenvoyaitdusangdanscebras,cequi faisaitbattre ladouleurdansmesdoigts.Jeplissailespaupières,éblouieparlesoleil,etm’abritailesyeuxenplaçantmamainabîméeenvisière.Lapeaubrûléebattait aumême rythmequemon cœur. Je dépassai le foyer et la pelousenoire demondedevant lebâtimentQuartz.Pendantunbref instant, au coursde lanuit, j’avais vumonmeilleur ami en vie.Commec’étaitcrueldel’avoirlà,prèsdemoi,puisqu’ilmesoitenlevéaumatin!Maisjevoulaissonréconfort,mêmedanslamort,etjemedirigeaisversleseulendroitoùjemesentiraisprochedelui,oùnousserionsensemble.
MaintenantquelebâtimentHopperavaitenfinrouvert,lesélèvesensortaientavecdeschevaletsetdescartonsàdessins. Je regardai leursmains, lapeintureséchéesur leursdoigts, le fusainsous leursongles.CelamerappelaTony,sonvisagemaculédetachesdecouleuretsongrandsourire.J’étaistellementperduedansmespenséesquejefaillisheurterJustindepleinfouet.
– Lève la tête, me dit-il avec son adorable sourire nonchalant. J’allais justement chez toi pour prendre de tesnouvelles.J’aifrappédeuxfoishiersoir,maispasderéponse.
–Oh…Cespetitespilulesqu’onm’adonnéesm’ontassommée,jenet’aipasentendu.Ilfitunpasversmoi.–Jemesuisfaitdusoucipourtoi,hier.D’abordcettecoupureinfligéeparAva,etlamortdeMrsTate,etàprésent
cesortdeconvocationettabrûlure…L’intensitédesonregardmeforçaàm’arrêter.Unepetitegênes’installaentrenous.Celamerappelalesoirde
monanniversaire.–Jetrouvequejeprendstoutçademanièreplutôtcool,continua-t-il.Jeveuxt’aider,tusais.Parcequeaprèston
anniversaire,jecroyaisqu’onétait…Jecroyaisquetuétaisavecmoi.–Onl’est,dis-je.Jeveuxdire,jesuisavectoi.–Bien.Ilmepassalamainsurl’épaule.–Écoute,onpeutreparlerdeçaplustard?Jecomptaismonteruninstantdanslatourdesarts.Sijen’yvaispas
maintenant,jeneleferaijamais.Tuvoiscequejeveuxdire?LedosdeJustinseraidit.
–Tuvasvoirleportrait?Pourtouteréponse,jehochailatête.Sesyeuxs’agrandirent.Desamainlibre,ilattrapasonpendentifetlefrottanerveusement.–Vas-y,moijenepeuxpasmonterlà-haut,finit-ilparmedireenmelâchantl’épaule.Jevisqueseslèvresétaientagitéesdeticsnerveuxtandisqu’ils’efforçaitdetrouverlemotjuste.Ilsecoualatête
etfronçalessourcils,puiss’exprimasansciller.–Jenesuispasprêt.Jenedispasquenousétionsamis,Tonyetmoi,maisensuiteilestmort…Etj’aivucequej’ai
vu…Savoixs’éteignit.Clairement,ilétaittoujourstraumatiséd’avoirassistéàlamortdeTony,danstoutesonhorreur.
Justinetmoiétionsarrivéstroptardsurplace.–Jecomprends.Desélèvescontinuaientdesortirautourdenous.Ilfitquelquespassurlapelouse,maissansmequitteruninstant
desyeux.–Passeàmachambreaprès,medit-il.–D’accord,répondis-jeavecunpetitsourire.Promis.Ens’éloignant,ilserrasonsacdecourscontresapoitrine.Jepromenaimonregardsurlecampus,observantlesélèvesquiprofitaientdecettebellejournée.Maiscequeje
voulais,c’étaitêtredanslatourdesarts,mêmes’ilyavaitdesélèvesentraindetravaillerlà-haut.Ilsn’avaientpasbesoindesavoircequejefaisais.Laportevitréesefermaderrièremoiavecunpetitchocsourd.Unemarcheaprèsl’autre,toutengravissant l’escalierencolimaçonquimontaitdanslatour, jerespiraideplusenplusàfond,avecsoulagement.Enfait,jemesentaismieux,sansaucundoute.C’étaitbiencequ’ilmefallait.
Engrimpant,jecroisaiquelquesélèvesquidescendaient.Ilsdurentsetournerdeprofilpournepasmeheurteravecleursgrandscartonsàdessins.Jemontaiencore,etm’arrêtaiàmafenêtrehabituelle,celleparlaquellej’avaisregardélorsdemonarrivéeàWickham.Mesdoigtseffleurèrentlespierres,etj’hésitaienvoyantJustinentrerdanslebâtimentQuartz.
Arrivéeàladernièremarche,jepassailaporte…etjemevis,moi.Tonyavaitvoulupeindreceportraitaussitôtque nous nous étions connus. Il s’était inspiré d’une photo prise par lui un jour où nous étions allés faire de laplongéeavecmasqueettuba.Jemeregardaipeintesurlatoile:onm’yvoyaitdedos,àpartirdelataille,latêtetournéedeprofil.Mescheveuxétaientrepousséssurlecôtépourrévélerletatouagequejeportesurl’omoplate,ladevisedemoncercle:Honnisoitquimalypense.
Jene le remarquaipas immédiatement,maisClaudiaétaitdans lapièce, sous leportrait.Elleétaitbaissée,entraindefermeruncartonàdessins,etlorsqu’ellesereleva,elleregardad’abordletableau,puismoi.
–Personnen’apuserésoudreàl’enlever.Onaccrochesimplementnosœuvresautour,medit-elle.–Jenesavaispasquetupeignais.Elletirasescheveuxblondsenqueue-de-cheval.–Ohnon.J’aijusteprisdessinenoption.Nouscontemplâmesmonportraitensemblependantunmoment:monprofil,lacourbedemonsourire.–J’ail’impressiondemevoiràuneautreépoque.Dansuneautrevie.–Lenah,tuasdix-septans.Nesoispassimélodramatique!–Tuasraison,dis-je.Àcemoment-là,onentenditclaquerunelourdeporte.–C’estla…?commençaClaudia.Mais ce n’était pas la peine. Je sus immédiatement. La porte de l’atelier était ancienne, en chênemassif. Elle
restaittoujoursouverte.Etquelqu’unvenaitdelafermer.JemeretournaienmêmetempsqueClaudia.Ava.En la voyant, je fus horrifiée un instant, mais l’horreur fut aussitôt remplacée par autre chose. Mes joues
brûlaient.Lacolèreexplosadansmonventre,accompagnéedeladéterminationquiavaitcaractérisémonexistencedereinevampire.
Lescheveuxparfaitementcoiffésd’Avatombaientsursonchemisierenbouclesdélicates.Sesyeuxvertsombreseposèrent sur moi et un large sourire vint étirer ses lèvres. Elle osait se présenter devant moi ? ici ? Je sentaispresquelavampireenmoimontrerlescrocs.
–Claudia,abrite-toiderrièremoi.Ellem’obéit.Jesentissarespirationhachéedansmoncou.– Vois-tu, je ne crains plus rien des humains,me dit Ava. Je cours plus vite que n’importe lequel d’entre eux,
désormais.–Tuastort.Tudevraismecraindre,moi.Sonregardflottajusqu’àmonportrait.–Joli,n’est-cepas?fit-elleensouriant.C’estdommage,cequiestarrivéàcegarçon.Claudialâchaunpetitcri.–Tucroyaisquejenem’enrendraispascompte?Lavoixd’Avaétaitcassante.Elleparlaitdurituel.–Ehbien,oui.Jenetecroispastrèsmaligne.Elleressemblaitàunestatue.Ellesetenaitdroite,lespiedslégèrementécartés.Enjeanettoprouge,elleétait
superbe.–Lenah…,mechuchotaClaudia.Quiest-ce?–Chhhut…JenequittaispasAvadesyeux.–Tunepensesquandmêmepasquej’aiessayécesortridicule,si?–Si.Jepensequetul’asessayé.Jepensequetum’ascrueassezbêtepourteledonner.Soisforte,Lenah.Ellefitletourdelapiècepourallers’arrêterjustesousletableau.J’agrippailepoignetdeClaudiaetlamaintins
derrièremoitoutenpivotantpourresterfaceàl’ennemie.Claudiapressaitsesdoigtsfinscontrelesmiens.Sij’arrivaisàfairesaignerAva,nousaurionsletempsd’essayerderouvrirlaporte.Ilfallaitquejel’affaiblisseet
quejegagnedutemps.Net’arrêtepasdeparler.–Tuasessayécesortdesjoursaprèsl’avoirreçu,pasvrai?dis-jed’untongoguenard.Tuasenvoyéteshommesà
larecherchedesingrédientsridiculementraresquej’avaismissurlaliste.Lecristalnoirdelacôteafricaine,parexemple.
Avamontasurunpetittabouretposéprèsdumur.Ellelevaunemainetlarecourbacommeuneserred’aigle.Puisellesehaussasurlapointedespiedspourquesamainseretrouvedevantmonportrait.
Ilyeutunbruithorriblelorsqu’ellepassasesonglessurlatoile,enpleinmilieu.J’eusl’impressionquec’étaitmoiqu’elledéchiquetait,enregardantleslambeauxdel’œuvredeTonytomberausol.
–Maisqu’est-cequisepasse?chevrotaClaudia.Jeserrailesdents.Avaseremitenmarche.JetenaistoujourslepoignetdeClaudia,etjenouséloignaisd’elle.Nousnousdéplaçâmes
encerclependantunmoment.Nous n’avions pas d’autre choix que reculer. Mes doigts effleurèrent le bois de la porte au passage. Claudia
tremblaitet toutsoncorpsvibraitcontre lemienchaquefoisqu’elle frissonnait.Là,sous letableau, ilyavaitdescasiers où j’avais repéré une boîte de cutters. Parfait ! Une lame si petite entrant dans son cœur ne suffiraitprobablementpasàlatuer,maiscelamedonneraitpeut-êtreunpeudetemps.
–Claudia,soufflai-jeentremesdents,essaied’ouvrirlaporte.Ava,mettantfinànotrelentevalse-hésitation,traversalapiècepoursedirigerdirectementversnous.Enunclin
d’œil, elle me prit par le cou et me souleva. Mon occiput heurta le mur de casiers en bois. Les ongles d’Avas’enfoncèrentdansmapeau,provoquantuneéruptiondedouleurbrûlante.
Mesmainsbattaientl’airderrièremoipourserattraperauxcasiers,cherchantuncutteràl’aveuglette–envain.Je voulais ouvrir la bouche et croasser à Claudia dem’en passer un, mais celle-ci avait reculé jusqu’à la porte,terrifiée.Avameserraitlagorgeencorebienplusfortqu’ellenel’avaitfaitdanslacabined’essayage.Jelevailesgenouxversmapoitrineetlançaimespiedsenavant,directementdanssonventre.Elletitubaenarrièreetjetalesbrassurlescôtés.Ellerepritensuitesonéquilibre,maissonexpressiondesurpriseétaitdéjàunepetitevictoire.
Jetombaienavantsurlesgenoux.Jen’étaispasidiote,j’avaisapprisàmedéfendre.Unmembredemoncercle,Song,m’avaitapprisdes tactiquesutiles.Avaallaitcontre-attaquer,etvite.Lorsque jevoulusm’appuyersurmonbraspourmerelever,jem’effondrai,anéantieparladouleurdemabrûlure.
–Sais-tucequiarriveralorsquejeseraienpossessiondecerituel?J’auraitoutsimplementlecerclelepuissantdumonde,déclaraAvaentraversantlentementlapièce.
Cen’étaitpasversmoiqu’ellesedirigeait.Oh,non…Claudia tiraitsur lapoignéede laporte, lasecouait,pantelante.Saqueue-de-chevalblondeétaitagitéeparses
effortsdésespérés,maisvains.–JevoulaisteprendreàpartsansVickenniRhode.Etc’estcequej’aifait,maisjenepeuxpastetuer!Çanete
rendpasfolle,toi,cegenredeparadoxes?grinçaAvaenlaissantretombersesmainssursescuisses.Rhoden’estjamaisseulsansarme.Crétindemortel.Ilsedéplacetoujoursavecd’autres,ouresteàparlerauxprofesseurs.Maistoi.L’arroganteLenah.Tuchoisisderesterseuleavecunefillehumaine.
AvatiraClaudiaparsaqueue-de-cheval,commeellel’avaitfaitavecKate.Puiselleluiserralecousoussonbrasdroit.Celamerappelacequ’elleavaittentédefaireàVickenchezl’herboriste.Ellenepouvaitpasenlevermonamieenpleinjour,maisellepouvaitlatuer.
Lementondecettedernièretremblait.–Lenah…,gémit-elle.Sonvisagemouilléde larmeset son regardperplexemehanteraientà jamais.Ava tiraencore sur ses cheveux
pourexposersoncou.–Pitié,bredouillaClaudiad’unevoixpâteuse.«Pitié.J’aiunefamille.J’aimemavie.Jeneveuxpasmourir.»J’auraispuproférercesphrasesendouzelangues
aumoins.Onmelesavaitditestantdefois!LorsqueAvamorditdanslecoudeClaudia,lasaliveenvahitmaboucheetunevaguedenauséemesubmergea.
Quelquepart,toutaufonddemoi,jedésiraislegoûtmétalliquedusang.LesgenouxdeClaudiasedérobèrent.Enfin,mesdoigtsserefermèrentsurunbouquetdecutters.JemeprécipitaialorssurAvaetlesluiplongeaidans
lacuisse.Ilyeutunbruitdesuccion.Avarelevalatête.Claudia,àpeineconsciente,étaitinertedanssesbras.Avaeutun
riredémentetunfiletdesangcouladanslecoudemonamie,tachantsonchemisier.–Tucroyaismefairemalaveccespetiteslamesridicules?EllesaisitClaudiaparlesoreilles,medécochaunsourirenarquois,etluibrisalanuqued’uncoupsecavantdela
laisser tomber par terre. Son corps se recroquevilla instantanément, et ses membres heurtèrent le sol avec uncraquementsinistre.
Ellenebougeaitplus.Morte.Lescuttersquejetenaisdansl’autremaintombèrentparterre,etmoncœurdégringolaavec.Non.Ellen’étaitpasmorte. Jenepouvaispas laisser faire. Jerampai jusqu’àelleetprissapetitemaindans la
mienne. Elle étaitmolle et immobile, encore tiède. Ses cheveux s’étaient déployés en éventail par terre, doux etlégerscommedesplumes.
–Debout!m’intimaAvaenmetirantbrutalementparlescheveux.Elle avait toujours plusieurs cutters plantés dans la cuisse. Je lâchaiClaudia etme levai. Ava serrait dans son
poingunegrossemèchedemescheveux,etmegrognaquelquechoseàl’oreille.–Chaquejourquipasse,jedeviensplusforte.(Elleapprochasonvisagedumien,etjeflairaiunremugledesang
pourrissant.)JenepeuxpasattendrelaNuitRouge.(Ellelâchamatêtepouratteindreunrayonnagedelivres.)Etcommejenepeuxpasnonplustefaireenfermerdansuneoubliette…
Avecunrictusabominable,ellesaisitlabibliothèqueàdeuxmainsetlaprécipitasurlecorpssansviedeClaudia,lebroyantdéfinitivement.
Jebondiscommeundiabledesaboîte,traversantlapièced’unetraite.–C’estça,cours!semoqua-t-elle.Etavecunsourireassuré,terrifiant,elleouvritlaportecommesicelle-cin’avaitpasétépluslourdequ’unefeuille
d’arbre.Ellem’adressaunriresec,arrachalescuttersdesacuisseetlesjetaausol.–Reinevampire!ricana-t-elleavantdedescendre.
LesabledelaplagedeWickhammeglaçaitlesjambes.Avecunfrisson,j’ouvrislesdoigts,etlescutterspropres
cliquetèrent en tombant. J’avais été obligéede les emporter avecmoi.MaintenantqueClaudia étaitmorte, je nepouvaispaslaisserd’indices.
J’observaifixementlesondulationsdusable,conscientequ’àuneépoquepassiéloignée,j’auraispuendistinguerlesdétailsinfinitésimaux.Maisjenemeconcentraispas,pasvraiment.Mondosfrémissaitàchaquerespiration.Jem’attendaisàpleurer,cequiauraitétéuneréactionhumainenormale.Maislà,agenouilléesurcetteplage,jen’entrouvaispaslacapacitéenmoi.Jefixaissimplementlesable,ettoutmoncorpstremblait.
Ilyeutunbruitdeclésderrièremoi,puisdespasquiapprochaient.
FaitesquecesoitAva.Faitesqu’ellem’enlève,unebonnefoispourtoutes.Maisducoindel’œildroit, jevisunepairedebottesdecombatnoiress’arrêteràcôtédemoi.Ducoindel’œil
gauche,uneautrepairedebottes,usées,dontlecuirbâillait.JelevailesyeuxversRhode.L’étatdecesbottesétaitencoreunepetitepreuvesupplémentairequ’ilétaitbienenviel’annéeprécédente.Qu’il
avaitétémorteletavaitarpentélemonde.Iltombaàgenouxmaisnemetouchapas.–ClaudiaHawthorneestmorte,m’annonça-t-il.–Jesuisdescenduequelquesminutes…non,quelquessecondesavantquelesvigilesnemontent,soufflai-je.Jen’arrivaispasàm’empêcherdehaleter.Jeregardaislesvaguesrouleretsebriserdevantmoi.–Tantmieux, intervintVicken.Tuteseraisretrouvéedansdesinterrogatoiresetdesproblèmesjudiciairessans
fin,avecleshumains.(Ils’agenouillaàcôtédemoi.)Lapoliceattribuedéjàsamortàunaccident.Jesecouailatêteavecincrédulité.Vickenobservaattentivementlescuttersetlespritdanssamain.–Elleauneforceincroyable.Jenesaispascommentelles’yprend.Pascommenous,entoutcas,dis-jeàRhode.Ilfronçalessourcilsenregardantmonbrasbandé,puislesable.–Notreforcen’ajamaisétéaugmentéeparnotrestatutdevampires.Etellepeutsortirenpleinjour,aumilieude
toutlemonde.Ellenecraintpaslafoule.–Allez,meditVickenenmetirantparlecoude.Ilfautqu’onenparle.Maispasici,pasàdécouvert.–Jesuisd’accord,conclutRhode.Ilregardaderrièreluilesarbresquilongeaientlaplage.N’importequiauraitpusecacherdansl’ombredesbois.
Chapitre18Cesoir-là, tout le lycéeneparlaitquedudécèsdeClaudia. Jen’auraissudirequellesrumeursétaient lesplus
ridicules:elleavaitétéassassinéeparungangvenuvolerdumatérieltechnique; latourdesartsétaithantéeetc’étaitunpoltergeistquil’avaittuée;oualors,quelqu’unavaitvolontairementdévissélabibliothèquedumurpourqu’elle lui tombedessus. Jesupposequeriende toutcelan’avaitdesenspourunhumainnormal, forcément.Onavaitappeléd’autresagentsdesurveillanceenrenfort,etlescoursétaientannuléspourlesdeuxjoursàvenir.Aprèsunenouvelleréuniond’urgenceimposéeàtouslesélèves,Rhode,Vicken,Justinetmoinousretrouvâmes
chezmoi.Lesdeuxpremierssetenaientprèsdelaporte-fenêtredonnantsurlebalcon,lesbrascroisés,tandisqueJustinétaitassisàcôtédemoidanslecanapé.–Bon,vousallezmeracontercequis’estvraimentpassé,n’est-cepas?dit-ilenmeregardant.Ilposalescoudessursesgenouxetsepenchaenavant.–Parcequej’aivuLenahjusteavant…(Ilbaissalatêteuneseconde.)…Justeavantd’apprendrelanouvelle.–Unàun,l’unaprèsl’autre.Voilàcequivasepasser.Dèsl’instantoùonbaissenotregarde,dis-jeenregardant
RhodeetVicken,pétriederemords.Jenecomprendspasd’oùelletientunetellepuissance.Àmoinsdelasaigner,nousn’avonsaucunmoyendenousdéfendre.Surtoutvulavitesseàlaquelleellepompelesang.Commentfait-ellepourl’extrairesirapidement?J’avaisl’impressiond’êtretropserréedansmapeau.J’avaisétésiégoïstedemonterdanslatourdesarts!Non,
j’avais été égoïste et idiote. Son pouvoir surpassait de loin celui qui avait été lemien,même au sommet demasplendeur. Lorsqu’elle était venue au centre commercial, encore, elle avait pu y entrer par les caves ou rester àcouvertdansunevoiture.Ilyavaittoujoursmoyend’éviterlalumièredirectedusoleil.Etelles’étaitarrangéepourêtreseuleavecmoi.Alorsquecettefois,elleavaittraverséuncampusgrouillantdemonde.Croisédescentainesdegens.Elleétaitentraindedevenirbientropforte.–Ilnousfautunestratégie,ditVicken.–Onpeutcompterlesunssurlesautres,répondis-je.–Onnepeutcomptersurriendutout.Dis-luidonccequ’onafait,Lenah.–Mercibien,Vicken,lâchai-jeenespérantqu’ilcomprendraitàquelpointj’étaissarcastique.–Medirequoi?s’enquitRhode.Jemelevaiducanapéetcroisailesbrassurmapoitrine.–J’aitentédeconvoquerSuleen.Pourqu’ilnousaide.Maisj’aiéchoué.–Commentça,tuastentédeconvoquerSuleen?Vickenseraclalagorge.–Ehbienvois-tu,nousavonslancéunsort.–Vousavezquoi?s’exclamaRhodeensedécollantdumuretenlevantlesbrasauciel.Vicken…Tun’aspascru
bondemeraconterça?–Pourquoi,c’esttonespion?intervins-je.–Çaauraitpuêtreutile!sejustifiaVicken.–Maisvousn’avezriendanslecrâne?Ondiraitquevousn’avezjamaisétéimmortels,touslesdeux.Jem’étonne
qu’ellenevousaitpastrouvésetpoignardésenpleincœur,bonDieu,pendantquevousétiezentrainde jetercefichusort.–Parfois,çavautlapeined’essayer,répliquai-je.Lesbrastoujourscroisés,jem’appuyaicontrelaportedemachambre.–Qu’est-cequivalaitlapeine?Tebousillerlebras?C’estlàquec’estarrivé,n’est-cepas?(Jenerépondisrienet
RhodesetournaversVicken.)Ettoi,tul’aslaisséefaire?–Commesij’avaispul’arrêter!–Suleenalepouvoirdenousprotéger,plaidai-je.–Neparlezpasdeceschosesdevantlui!ajoutaalorsRhodeenmontrantJustindugeste.Ilnecomprendpas.Justineutunsouriremauvais.–Jecomprendstrèsbien.MaisRhode,apparemment,nel’entenditpascarilcontinuasursalancéesansmequitterdesyeux.–Tunecroispasquej’aiessayémoi-même?J’aiappeléSuleenquandtum’asditavoirvuAvaàl’herboristerie.En
vain.Tuaschoisi,auchampdetiràl’arc…Ilseforçaalorsàsetairepourréfléchiràlasuite,puisinspiraunpetitcoup.–Personnenenousviendraenaide.J’avais toujours cruque si l’und’entrenousétait capabledecontacterSuleen, c’étaitbienRhode.Etaprès les
souvenirsquej’avaisvusdanssatête,j’auraiscruqueledoyenviendrait.–QueveutAva?demandasoudainJustin.–ElleveutêtreLenah,ditVicken.–Elleveutlerituel,ajoutaRhode.–Pourquoinepassimplementleluidonner,etéviterd’autresdécès?Vickeneutunrirecruelquidéchiral’atmosphère.–Ehbienquoi,qu’est-cequeçapeutfaire?insistaJustinennousregardanttouràtour.–Cequeçapeutfaire?répétaVicken.Rhodesoupira.
–Sidescréaturessurnaturellesdéversentleursintentionsdansunsortaussipuissant,expliqua-t-il,celareviendranousexploserauvisage.LerituelpourraitconféreràAvadespouvoirs inimaginables. Ilpourrait libérer lemaletattireràLoversBaydescréaturesquinesenourrissentpasdesang…maisdirectementdesâmes.Voilàcequeçapeutfaire.Lerêvedanslequelj’avaisvuWickhamabandonnéetLoversBayenruinerefitsurfacedansmonesprit.Ilyeutalorsunsilencedeplomb.Vickenfutlepremieràlebriser.–Onnepeutquandmêmepaséleverunsortdebarrageautourdetoutlecampus.Rhodepoussaungrossoupir.–Quevoulez-vousqu’onfasse?Semettredel’aildanslescheveux?Descrucifixautourducou?–IlnousfautSuleen,insistai-je.Oualors,onpourraitappelerlesAeris.Ellessontpluspuissantesquen’importe
quelvampire.–Non, on ne peut pas les appeler, gronda Rhode. Tu viens d’échouer à convoquer Suleen, et tu envisages de
recommenceravecdesentitésencorepluspuissantes?–Etpourquoipas?Ilnousrestepeudetemps.LaNuitRougecommencedansdeuxsemaines.Labarrièreentre
notremondeetlemondesurnaturels’affaiblitdéjà.–Lenah,tuasfaillinepassortirvivantedecettetour,merappelaRhode.–Alorsqu’est-cequ’onfait?Onresteenfermésdansnoschambrespourl’éternité?–Non, il faut qu’on se prépare. Nous savons qu’Ava est affaiblie lorsqu’elle saigne. Il suffit de trouver le bon
momentpourl’attaquerparleseulmoyenqu’ilnousreste.Leseulmoyen.Biensûr…Ilyeutencoreunsilence,aprèsquoijedistouthautcequeVickenetRhodepensaienttoutbas.–Desarmes.JecroisaileregarddeJustin.Rhodehochaunefoislatête.Nousyétions.Notreseuletuniqueespoir:quatrecorpshumainsquinefaisaientpaslepoidsfaceàAvaetses
pouvoirsexceptionnels.–Voicicequ’onvafaire,repritRhode.Nejamaisresterseuls.(Ilmeregarda.)Nejamaisresterdésarmés.C’est
trèssimple.Nousnoustiendronssurnosgardesenpermanence.Toujoursarmésd’unpoignard,ettoujoursbienenvue,auxyeuxdetous.(SonregardparcourutlapiècepourfinirparseposersurJustin.)C’estcommeça,quandonestlaproie.LesobsèquesdeClaudiaHawthorneeurentlieule1eroctobre,àlapleinelunedel’équinoxed’automne,premier
jourdumoisdelaNuitRouge.Ilyavaitunegrandemaréeexceptionnelle,dujamaisvudansl’histoire:lesvaguesmontèrentdequatremètressurlaplagedeLoversBay.Lacérémoniefutbrève,etjegardailesyeuxrivéssurlesolducimetière.Lorsquelesélèvesremontèrentdanslescarspourrentreraucampus,Rhodelaissaunefleurdejasminsurlecercueil.S’ilsavaientsupourquoi!S’ilsavaientsupourquoinousnoussentionssiresponsables…Surlecheminduretour,Tracymarcharapidement.Ellesehâtaitàpetitspasvifs,sestalonscliquetantsurlesol
del’alléelorsqu’ellerejoignitsondortoir.Je la regardaipartir.MaintenantqueClaudiaetKateétaientmortes,TracySuttonétait tout cequ’il restaitdu
Trio.Jen’auraispasétéétonnéequ’ellequitteceslieuxmaudits,qu’ellecourechezellesefaireréconforterparsesparents.Unedouzained’élèvesdesecondeetdepremièreétaientdéjàpartisdéfinitivement.Aufildesjours,quelques-unsdenoscamaradescontinuèrentàs’habillerennoir,maislacouleurrefitpeuàpeu
sonapparition,ainsiquel’enthousiasmepourlebald’Halloweenquis’annonçait.C’étaitladernièrechosequipuissesouleverunpeud’impatiencesurlecampus.Entredeuxdébatssurlescharsdecarnavaletlesdéguisementspourlebal, ladirectionannonçaqu’ellesouhaitaitplanterunarbreenmémoiredeClaudiaprèsdubâtimentHopper.Cesmortels ignoraientdoncque lespinsplantésartificiellementn’apporteraientque tristesseàceuxqui s’assoiraientdessous?Ilsnesavaientpasquec’étaientleschênesquiapportaientlapaix?Non,ilstenaientàplanterunpin,etjenepouvaispasvraimentleurexpliquermesobjections.Jemedemandais siClaudia avait déjà atteint la lumièreblanchedesAeris. Le fait de la savoir là-bas,morte à
causedemoi,victimed’unvampirecrééparmoi,m’encourageaitàlaissertombermonpoignarddansmabottetouslesmatinsaprèsm’êtrebrossélesdents.Chaquefoisquej’envisageaisdelelaisserchezmoi,jerepensaisauxfinscheveuxblondsdeClaudiadéployésautourdesoncorpssansvie.Quelquesjoursaprèsl’enterrement,Vickenetmoiallâmesprendrelepetitdéjeuneraufoyer.Nousregardionsdes
terminalesapporterdesguirlandesetdessquelettesencartonpourdécorerlegymnaseoùdevaitavoirlieulebald’Halloweenàlafindumois,le31octobre–dernièreetpluspuissantenuitdelaNuitRouge.Del’autrecôtédelapelouse,derrièrelebâtimentQuartz,Tracysortitdupetitdortoirdesfillesdeterminale.Je
fusobligéed’yregarderàdeuxfoispourêtresûrequec’étaitbienelle.Elleavaitteintsescheveuxenbrunfoncé,etsespommettesétaientsisaillantesqu’elleneseressemblaitplus.Elleétaitmaigreetcreuse,trèsdifférentedelafillerayonnanteetdébordantdevitalitédel’annéepassée,cellequineportaitquedestenuesassortiesdelatêteauxpiedspourparader sur tout le campus, celle qui semaquillait pour les coursde sport, et tenait à avoir lemêmepyjamaquesescopines.Copinestoutesdeuxdécédées,àprésent.Unecertaineforceémanaitd’elledésormais, laduretédequelqu’unquiatenulamaindelamort.Jeneluiauraispassouhaitécelasitôtdanssavie.Elleavaitunsacàdossurl’épauleetétaitvêtuecommedurantlessemainespassées,toutennoir.Ellesedirigeaitverslazonedesboisquin’étaitpassurveillée.–Oùva-t-elle,àtonavis?medemandaVicken.Tracyjetaunregardenarrièrepourvoirsiellen’étaitpassuivieetremontalabretelledesonsacsursonépaule.–Jevaislasuivre,annonçai-je.–Non,Lenah.Ilmeretintparlebras.Jemedégageaid’ungestebrusque.–Tusaiscequivasepasseraussitôtqu’elleseraseule.Vickenmedévisagea.–Justement.–Laisse-moiunelongueurd’avance.JetraversailapelouseaupasdecoursepourrejoindreTracy,quipassaitàcemoment-làdevantlabibliothèque.–Eh,Tracy!Attends-moi!Elleseretourna.Jem’attendaisàlavoirmesourire,maisaucontraire,ellem’envoyapromener.–Non,Lenah.Net’approchepasdemoi.Jemeretrouvaitoutebête.Sacheveluresombrefaisaitétonnammentressortirlebleudesesyeux.–Moi?Tuneveuxpasquejem’approchedetoi?Elles’appuyasurl’autrejambeetquelquechosetintadanssonsacàdos.Unobjetmétallique.
–Oùvas-tucommeça,Tracy?–Nullepart.Elleserenfrogna,l’airbuté.Encoreuntintement.–C’estridicule,insistai-je.Derrièreelle,surlecôtédelabibliothèque,Vickenserapprochaitdiscrètementdenous.Ilallumaunecigaretteet
fit semblant d’être simplement en train de faire une petite pause clope, dos au mur, un pied appuyé contre lesbriques.–Ilfautquej’yaille,meditTracy,quitournalestalonsetfitdeuxpasendirectiondesbois.–Non,Tracy.C’estdangereux.Lesmotsn’avaientpasplustôtquittémeslèvresquejelesregrettai.Ellepartitencourant.Vickenvintmerejoindre.–Elleestarmée,dis-je.–Quelgenred’arme?Nousavionscommencéàcourirsursestraces.ElleétaitdéjàdansMainStreet.–Jen’ensaisrien.–Ellet’aditoùelleallait?–Non,maisj’aimapetiteidée.
Vicken etmoi veillâmes, comme toujours, à rester dans l’ombre. Le soleil de la fin d’après-midi traversait les
branchesnuesetmesbottesnoirescrissaientsurlesfeuillesmortes,superbementcolorées,quijonchaientlesol.–Jen’aiqu’unpoignard,chuchotai-jeaumomentoùnousentrâmesdanslecimetière.–J’enaideux,meréponditVicken.–Combiendetempsavantl’arrivéed’Ava,àtonavis?–Pasplusdequelquesminutes,prédit-ild’untonlugubre.Ilfallaitsanscessequejemerépètequec’étaitTracyquej’avaisdevantmoi.Sescheveuxtombaientmaintenant
enlonguesbouclesbrunchocolat.Lesmainsserréessurlessanglesdesonsac,elletourna,commejem’yattendais,danslarangéedetombesoùsetrouvaitcelledeTony.–Qu’est-cequ’ellefabrique?murmuraVicken.–Viens.Nous remontâmes furtivement le chemin pour la rejoindre. Jem’arrêtai, et sursautai en arrivant en vue de la
tombedeTony.Tracy,quiavaitposésonsac,étaitàgenouxdansl’herbe.Ellepassalesdoigtssurl’étrangecercledeterreretournéequeRhodeavaittracétoutautour.J’attrapai le bras de Vicken. Nous reculâmes dans l’ombre d’un chêne et je fis ce à quoi j’avais été entraînée
pendantdessiècles.J’épiai.Elles’assitsurlahancheet,appuyéesurunemain,tenditl’autrebrasdevantlapierretombale.Ellescrutaitlesolmeuble.Sonpoingserefermasurlaterre,satêteretombaetellefonditenlarmes.Sonbrascédasoussonpoidsetelle
s’effondra sur la sépulture, le visage caché dans le creux de son coude. Son dos était secoué par des sanglotsirréguliers.Ellepleuraitsansréserve,commeonlefaitquandonsecroitseul.Lalumièredujours’accrochaitencoredansleciel,maislaNuitRougeétaitcommencée:lesoleilnefournissait
doncaucuneprotection.L’attaquepouvaitsedéclareràtout instant.Jemepenchaienavant,guettant lesboisquientouraient lecimetière.Lesoiseauxpépiaientens’installantpour lesoir.Unebrise légèrenousapportait l’odeurmusquéedelaterre.Enmaqualitéd’ancienneprédatrice,jem’immobilisaietprisletempsd’écouter.Unchasseurguette à l’oreille toutmouvement anormal de l’air.Carmême l’air bouge.Pour l’instant, ilme semblait quenousétionsseuls.Jem’avançailelongdestombes,Vickensurmestalons.Tracyrelevabrusquementlatête,lesyeuxrougisparles
larmes.Ellesortituncrucifixdesonsac.–N’approchezpas!hurla-t-elle.Vickenreculad’unbondetdégainaundesespoignards.Sonbrasretombadèsqu’ilvitqu’ellenebrandissaitrien
dedangereux.– Tu te fiches de moi, pas vrai ? dit-il. D’abord, ces croix n’ont jamais marché, et, en plus, on n’est pas des
vampires.–Voussavezquiafaitça!mecriaTracy.–Faitquoi?demandaVicken.–QuiatuéClaudia.(Ellemeregardaittoujours.)Justinm’aditquetuétaislà-basavecelle.Danslatourdesarts.–Jen’aipastouchéClaudia.–Alorsc’est toi,peut-être?cracha-t-elleàVicken.Onsait tousdequoi tuescapable.La tourdesartsest ton
endroitpréféré.Elle se leva au-dessus de la stèle arrondie de Tony. Tout ce que je voyais, gravé dans le granit, était le mot
«artiste».Ellemecachaitlerestedel’épitaphe.–Tracy,calme-toi.Cen’estpasnous,dis-je.–C’estmoiquiaiaccompagnéTonydanstachambrel’annéedernière,merévéla-t-elle.J’aivulaphotodeRhode
ettoisurtonbureau,cettephotoquidoitavoiraumoinscentans.Tuarrivesaulycée,etdevinequimeurt?Tony.Etensuitemesdeuxmeilleuresamies,KateetClaudia.Est-cequejesuislaprochainesurlaliste,Lenah?Hein?Ellefinitparcraquer,terrasséeparlessanglots,etlaissatomberlecrucifixdansl’herbe.J’échangeai un regard avec Vicken, puis m’approchai de Tracy et la pris dans mes bras. Elle pleura sur mon
épaule,latrempantdelarmes.Ilyeutunbruitsec.Unesalvedeclaquements.Quelqu’unapplaudissait?–Alorscommeça, lamortellesaitquevousêtesdesex-vampires?se rengorgeaAvaenapparaissantentre les
arbres.Siseulementellesavaitavecquelplaisirvousavezassassinédesenfants!Cettefois,j’étaispréparée.Unsouvenirdelatourdesartsmerevintcommeunflash.–Cache-toiderrière,moi,Tracy.Jemebaissaivivementetsortisdemabottemonpoignard,quejebrandisdevantmoi.Lecœur.Lecœur.Viselecœur.Avamontrasescrocs.LesdoigtsdeTracys’enfoncèrentdansmesépaules.Avas’approchadenousetVicken,mon
merveilleux Vicken, se précipita sur elle, son couteau en avant. Ava s’en prit d’abord à lui. Le saisissant par lepoignet,elleleprojetaauloin,commes’iln’avaitrienpesé.Soncorpss’envolaàtroismètresavantd’allers’écrouleraupiedd’unarbre.
Ilnebougeaitplus.Monventreseserra,maisilfallaitquejeresteconcentrée.Jen’avaispaslechoix.Jen’échoueraispasavecTracycommejel’avaisfaitavecClaudia.Pascettefois.Jetinstêteàl’ennemieettendismonpoignarddevantmoi.–Tun’asdoncrienappris?Pourquoisors-tuducampussanstonprécieuxRhode?fitAvaengriffantl’airdevant
moi.Jebondisenarrière;elleratamapoitrinedejustesse.–Tracy,sauve-toi!Avaétait si rapidequ’ellene futplusqu’une tache floue,noiretmiel.Mais j’avaisanticipé sa réaction. Jepris
Tracypar lesépauleset la jetaiausol.Avame laboura lapoitrinedesesongles,quidéchirèrentmachemise. Jepoussaiuncridedouleur.Avaéclataderire,puislançauncoupd’œilmalveillantàTracy.Jesavaiscequej’avaisàfairepourlaprotéger;je
donnaitoutcequej’avais.Pendantqu’elleseriaitdemasouffrance,jepoignardailavampireàl’avant-bras.Lalames’enfonçadans sapeau lisse.Cen’étaitpasunminablecutter, cette fois.Mongestearrêta son rire.Elle regardafixementsablessure,commeabasourdiequej’aieosé.–C’estlesangd’unpêcheurenparfaitesantéquisuintedemonbras,cracha-t-elle.Àsespieds,Tracytiradesonsacunegrandelameargentéequimiroitadanslesrayonsducouchant,maisAvane
semblapaslavoir.Avecunrictusmalsain,elles’avançaversmoi,biendécidéeàriposter.Jelevaimonarme,prêteàfrapperdenouveau.Avanefaisaitabsolumentpasattentionàl’humainecouchéeàsespieds.Àquoibon?Unpeud’espoirs’insinuaen
moi lorsqueTracydonnaungrandcoupdecouteauenpleincentredesachaussure.Avacriaettombaenarrièredansl’herbe.–Va-t’en!hurlai-jeencroisantleregardnoyédemonamie.Cettefois,elleobéit.Ellepartitencourantdansledédaled’arbresetdetombes.Soudain,jemesentisdéséquilibrée.Avaavaitpassé
sonpiedintactderrièremesjambespourmefairetomber.Jepartisenarrièreettouchaidurement lesolàplatsur ledos,cequiréveilla ladouleurdemescoupuresà la
poitrine.J’eneuslesoufflecoupé.Respire,Lenah.Uncoupdepiedvintmeheurterleflancdroit.Unautre,leflancgauche.Lesbouclesd’Ava,quimesemblaientàprésenthorribles,jaunepissenlit,pendaientdevantmesyeux.Sonsouriredémoniaquesetroublalorsqueleslarmesm’aveuglèrent.– Ta petite copine croyait peut-être qu’un coup de couteau dans le pied allaitm’arrêter ? Tu ne vois donc pas
commejesuispuissante?(Jeluttaistoujourspourretrouvermonsouffle.)Etjesuisvouéeàledevenirdeplusenplus,dejourenjour.Oh,chérie,tuasdumalàrespirer?Elles’accroupitau-dessusdemoiet leva l’indexpourmemontrerunenouvelle foissesonglesaiguisés,comme
elle l’avait fait dans la cabine d’essayage. Lentement, je parvins à inspirer un peu d’air : mes poumons figéscommençaientàsedégeler.Elledésignamonbrasbandé.
Neme…nemepoignardepas.– Bien sûr que si, je vais te poignarder, dit-elle, lisant à livre ouvert dans mes émotions. Je croyais t’avoir
prévenue,maisjesupposequetun’écoutesrien.Enex-reinequetues,tucroistoujoursquec’esttoiquidécides.Maisc’estfini,toutça.Elleremuaseslongsonglesrougesau-dessusdemonbrasbrûlé.–Donne-moilerituel.–Jamais.Alors,elles’enpritàmonbras.Sesonglestranchantscommedesrasoirstailladèrentlepansementetatteignirent
lapeauàvif.Unbruitdetissuquisedéchire,unedouleurinsoutenable.Jepoussaiunhurlementsiviolentquejemecassai lavoix.Lasouffrance intensefitremonterunebileamère jusquedansmabouche.Vicken,qu’est-cequetufabriques?–Alors,reinedetouslesvampires?Pourquoitiens-tuautantàterendrelaviesidifficile?«Reinedetouslesvampires.»Tandis qu’elleme regardait dehaut, avec sa peaudeporcelaine et sa bouche ensanglantée, le tempsparut se
ralentir.Nosregardsentrèrentenconnexion.Mesyeuxbleus,sesyeuxverts.Ensemble.Oui.Danssespupilles, jemevoyaisenvampire,renversantlatêteenarrière,labouchegrandeouverte,riantdanslanuit.Je connaissais bien ce désir étourdissant de ressentir à nouveau. Nous ne voulions qu’une chose : avoir des
sensations.Engourdie.Aucunesensationdansmesdoigtsnidansmesmains.Soulager ladouleur.Besoindesangcoulantdansmaboucheetd’énergieserépandantdansmoncorps.J’éprouvais cettedualité enmoi-même, en cemomentmême.J’étaisànouveaulareinedesvampires.Lesprendreparsurprise.Ungrandspectaclepublic.PourHalloween.C’étaientlespenséesd’Ava.Jeconnaissaissonplanparcequ’àcetinstant,lorsquesesyeuxd’unvertartificielde
jadeavaientplongédanslesmiens,jel’avaisvu.Àsaplace,jenel’auraispasformuléautrement.Elle allait chercher àme tuer lors du bal d’Halloween, lorsque je serais trop occupée à tenter de protéger les
humainsautourdemoi. Jevoyais lesdécorations, jevoyais lescorpsdeVickenetdeRhode,mortsetcouvertsdesangsurlesoldugymnase.Etaveccetaperçudemaperversitédevampireremontèrentdessouvenirsoubliésdepuismatransformationen
humaine.Lemeurtred’Ava,lorsquejel’avaisvampirisée.–Jemerappellelejouroùtuaschangé,soufflai-jed’unevoixtremblante.Cen’étaitquequelquesheuresavant
monhibernation. J’aiproposéàVickende temordre,mais ilne l’apas fait.Moi, jevoulais labrusqueboufféedeplaisir,l’euphoried’offriraumondeunnouveauvagabondnocturne.Ellesereculaetsesdoigtssefléchirent,unefractiondesecondeàpeine.Ladouleurseréveilladansmonbraset
m’envoyadeslarmesdanslesyeux.Cequej’avaisàdireétaitplusfacileàavouersijenelavoyaispasclairement.–Pardon,dis-je.Pardonpourcequejet’aifait.Ellerefermalesmainssurmesépaules,mesoulevatrèslégèrement,puis,d’unepoussée,merejetaausol.–N’essaiepasdefairediversion!cria-t-elle.Ladouleurlancinanteremontajusqu’àlaracinedemescheveux.–J’aiattaquéRhodeàHathersageafind’obtenirlerituel,maistoutcequ’ilatrouvéàfaire,c’estmettrelefeuàla
baraque.Vousêtespluslâchesl’unquel’autre.Jevaist’emmeneravecmoicesoir.Jevaist’emmeneravecmoi,etensuite…(Ellegrimaça.)…quandRhodeviendratechercherettetrouveramorte,enchaînéeaumur,ilmerévéleralerituel.–Cerituelneteserviraàrien,crachai-je.Tun’aspaslapuissancesuffisantepourfaireapparaîtrelanoirceurque
turecherches.
Jem’efforçaideplongerànouveaumonregarddanslesien,derecréerlaconnexion,maisenvain.–Tunesaisriendemapuissance,répliqua-t-elleenlevantsesgriffes,prêteàfrapperunenouvellefois.Jemecrispaienattendantlecoupfatal.Mais soudain, elle sembla s’affaisser. Il y eut un choc sourd, écœurant, et unbruit de chair qui sedéchire. Le
poignard de Vicken dépassait de son cou. Elle tomba, les mains sur la gorge, et roula sur le dos, cherchantdésespérémentàattraperlemancheducouteau.Vicken apparut à côté de moi, les cheveux plus fous que jamais, la joue griffée. Il leva sa botte et appuya
légèrementsurleventredelajeunevampire,quimontrasesdentsetsiffla.–Allons,allons,gentille!dit-il.Maisjelemisengarde.–Elleesttrèsforte.–C’estpourquoi je l’aipoignardée, trèschère,meconfiaVickenducoindes lèvres.Maintenant,dis-nous,d’où
tiens-tutaforceexceptionnelle?luidemanda-t-il,lepiedtoujoursposésonventre.–J’aiaccomplidessortsdontvousn’avezmêmepasidée,grinça-t-elle.Pourdevenirchaquefoisplusrapide,plus
forte,plusrusée.Maisàprésent,jevoyaisdelapeurdanssesyeux.Dusangs’écoulaitdesoncouettombaitsursonépauleavant
d’êtrebuparlaterre.Elletentadeserelevermaisretombalourdement,toujourssouslabottedeVicken.–Lenah,ilvamefalloirunautrecouteau,dit-ilentendantlamainversceluideTracy,quiétaitrestéparterreà
côtédelatombedeTony.Avasedébattaitsoussabotteetmontraitlesdentstelunanimal.Oui,jel’avaistransforméeenvampire,maispasdanslegreniercommej’enavaiseul’intentionaudépart.J’avais
redescendu la pauvrette au rez-de-chaussée. Elle s’était dissimulée derrière mes meubles anciens. Ses yeux, àl’époque,étaientverts,magnifiques,désespérés.Lapremièrefoisquej’avaistentédelatuer,ellem’avaiteueparlaruse,s’étaitenfuiedugrenieretavaitretrouvésafamilleàcôtédesécuries,danslesjardins.–Lenah!Couteau!mecriaVicken.Sonpèrem’avaitsuppliée.Naturellement,jel’avaistuéenpremier.Jeregardaisfixementparterre.SonprénomdenaissanceétaitOdette.«J’aiunevieàvivre»,m’avait-ellesuppliée.«Ahoui?»avais-jeréponduavecunrireimpitoyable.Quelquepartauloin,j’entendaislavoixdeVicken:–Lecouteau!Ellecicatrise!«Non, lamentableenfant,avais-jecontinué.Moi, j’aiunevieàvivre,et jenepeuxpasentrerenhibernationà
moinsd’êtrerassasiée.Toi,tuesjeuneetenpleinesanté.»Jehaïssaismavoixdevampire.Pitié…,répétaitlavoixhumained’Avadansmatête.Suiviedumêmeriremort.Commej’avaisripendantqu’elleimploraitmapitiéetmesuppliaitdeluilaisserlavie
sauve!–Lenah!criaVicken,plusfort.Sortantdemarêverie,jevisAvarefermerlesdoigtssurlemanchequidépassaitdesoncou.Jenepouvaispasbouger.Unécœurementprofondmetraversaitdepartenpart.Reconnaissableentre tous,et
indéniable.Ava arracha le poignard sanglant de son cou. Elle bondit sur ses pieds et envoya un puissant coup de pied à
Vicken,quifutdéséquilibré.Letempsqu’ilseremette,elles’enfuyaitdéjàdanslesbois.–Qu’est-cequit’apris?mecria-t-il.Tracysurgitdenullepart,repritlecouteausurlatombedeTonyetrepartitencourantentrelesarbres.–Hé,lafolle!larappelaVicken.Reviensicitoutdesuite!Elles’arrêtaàl’oréedubois,lecouteaupendanttoujourslelongdesoncorps.QuantàAva,elles’étaitvolatilisée.Vickenlongeal’alignementdepierrestombalesets’arrêtaàcôtédeTracy.Illuiprésentasamainouverte.Ellefit
minedeluitendrelecouteau,maisilsecoualatête.Elleleregardaalorsdanslesyeux,puisconsidéradenouveausapaume.Celasuffitàmebriserlecœur.Ellelaissatomberlecouteaudansl’herbeetluipritlamain.
Chapitre19–D’oùviens-tucommeça?luidemanda-t-il.Jetecroyaisdéjàloinducimetière.–Non,jem’étaiscachéedanslemausolée.Quandjel’aivuepartir,jenesaispas,j’aieuuninstantdebravoure.Jepressaissonsweat-shirtcontremonbrasblessétandisquenousretournionsverslecampusetpassionsdevant
le vigile de l’entrée. Le vêtement absorbait une partie du sangqui suintait dema coupure,mais la douleur étaitsupportable.–Jesuisdésolée,dis-je.Désoléedenepasavoir…–Çava,çava,mecoupaVicken.–Non,çanevapas.J’étaiscommeparalysée.Tracyavaitl’airpensive.–Ilm’afallutoutl’étépouraccepterlamortdeTony.Vickeninclinaunpeulatête.Elleleregarda.–Est-cequetul’astuéparcequetuétaisunvampire?–Nousfaisionsbeaucoupdechoses,entantquevampires,quenousneferionsjamaissousnotreformehumaine,
répondit-ilavecdouceur.–C’estellequiatuéKateetClaudia,n’est-cepas?Sesyeuxbrillaientdanslebleuspectralducrépuscule.J’acquiesçai.–J’aipassél’étéàétudiercommenttuerlesvampires.Jesaispourquoituasuneépéeaumur,cheztoi.Pourquoi
tu accroches des herbes à ta porte. La lavande est là pour protéger ton foyer. Et le romarin… c’est pour lessouvenirs,dit-elleenpassantlamaindanssescheveux.Elle tira un pendentif de sous son tee-shirt. C’était unmédaillon d’argent, qu’elle ouvrit : il contenait un petit
rameauderomarin.J’étaisfascinée,incapabled’endétacherlesyeux.–Tony aussi a fait des recherches sur vous.C’est pour çaque tuportais ces cendresbrillantes à ton cou, l’an
dernier.Commecellesquej’aivuessurtonbalcon.Ensuite,Justinmel’aconfirmé.Quetuétais…(Elles’arrêtapourbienmeregarderdanslesyeux.)…quetuétaisunvampire.Jen’auraisjamaiscruTracysiperspicace.Peut-êtrel’avais-jetoujourssous-estimée.–J’aimaisénormémentTony,dis-je.Ilétaitmonmeilleurami.Aucentredemapoitrine,unedouleurdéchirantemefaisaitoubliercelledemonbras.– Je ne vais rien dire, déclara Tracy. Au sujet de vous deux. Il m’a déjà fallu tout l’été pour accepter que les
rumeurspuissentêtrefondées.Etpuis,Justinl’aconfirmé.(Ellepassaunefoisdepluslamaindanssescheveux.)Bon,enfin,c’estsurtoutquejeneluiaipaslaissélechoix.–Commentça?Àmesurequ’elleparlait,monsoupçondetrahisonsedissipa.– Je l’ai menacé d’exploser les phares de sa voiture. Comme ça nemarchait pas, je lui ai montré toutes mes
recherches.Toutcequej’avaistrouvé.Jeluiaiparlédesphotos.Ilafiniparm’avouerlavérité.–Vousvousressemblezplusquejenelecroyais,Tonyettoi.Saténacitémerappelaiteneffetleseffortsdemonamipourdécouvrirparlui-mêmetousmessecrets.– Jeveuxsavoir.Un jour.Pasaujourd’hui,maisun jour jeveuxsavoircequiestarrivéàTony,affirma-t-elleen
regardantVicken.C’esttout.Tupeuxmelepromettre?–Oui,répondit-il.Jetelepromets.Nous commençâmes à nousmêler à la foule des élèves, qui se déplaçaient par deux ou trois pour rejoindre le
foyer,labibliothèqueoulesdortoirs.–Qu’est-cequ’onfaitpourlebald’Halloween?s’enquitTracy.–Netemontrepas,trèschère,luiconseillaVickenenallumantunecigarette.–Sivousavezbesoindemoi,jevousaiderai,dit-elleenremontantsonsacsursonépaule.Detouteslesmanières
possibles.Cesoir-là,Rhode,VickenetJustinmerejoignirentàmonappartement.Jesortissurmonbalconpourobservermes
cendresdevampire.C’estseulementquandjebougeaisquej’enapercevaisencoreunedernièreétincelle.Plongeantlamaindansmapoche,jetâtailacartequeClaudiam’avaitoffertepourmonanniversaire.–Alorscommeça,tuaseul’impressionderetrouvertesperceptionsextrasensorielles?ditRhode.–Oui.CequevoulaitAvam’estapparutrèsclairement.J’aiperçusesdésirslesplusprofonds.J’aivudesimages
desesprojetspourlesoird’Halloween.–Qu’est-cequiapulesfairerevenir?s’enquitJustin.LaseuleexplicationquejepuisseimaginerétaitqueleliencrééentreAvaetmoiparcettesombrejournée,cent
ansplustôt,m’attachaitéternellementàsonâme.–C’estmoiquil’aitransformée.C’estlaseuleexplication.J’aicomprissesmotivations,bieninvolontairement.–Pourquoinel’as-tupastuéealorsquetuenavaisl’occasion?s’enquitRhode.Jeleregardaifermement,lamâchoireserrée.Moncœurbattaitcommeuntambour.Jedétestaisrepenseràmoi-
mêmeàcemoment-là,incapabledepasseràVickenlecouteauàportéedemamain.J’ignoraiscommentrépondreàcela.Jeconnaissaiscettefemme.Elleétaitseuleeteffrayée,etmoij’avaisaspirésavie.Jel’avaistuée.Pire,j’avaiscréé lemonstrequ’elleétaitdevenue.Samort tournaitenboucledansmatête : lesouvenirdesatiédeur,desestremblementsdeterreuretdemajoiequandjeluiavaisprissachaleuretsavie.JecroisaileregarddeRhode.
–Parcequejel’aidéjàtuéeunefois.Désolée,maisc’estlavérité.Çam’aparalysée.Silence.Vickenfinitparparler.–Àpropos,c’estl’heuredudîner,annonça-t-il.Lorsqu’il se leva, il y eut un tintement dans sa botte. Je tournai à nouveau le dos au salon pour faire face au
balcon. Jesavaiscequim’attendaitdansquelques jours,et jen’auraisqu’unevieilleépéeetdeuxpoignardspourabattreAva.J’ignoraissijepourraism’yrésoudre.–Çava?medemandaJustinàl’oreilleenposantunemainsurmonépaule.LaporteserefermaetjemerendiscomptequeVickenetRhodeétaientpartissansdireaurevoir.AussiJustinet
moinousretrouvâmesseulsensemblepourlapremièrefoisdepuislanuitdemonanniversaire.Jem’adossaiàlaporte-fenêtreetcontemplaisonpendentif.Meconcentraidessus.Ill’avaitmisàl’envers:lebijou
étaitretourné.Jecroisaisonregard.Justinm’embrassasurlefrontet,lorsqu’ilreculasatête,mesourit.Sesyeuxs’attardèrent
danslesmiens.Jerepensaiàluicejour-là,lejouroùjem’étaissoumiseaurituelpourrendreàVickensonhumanité.Justinétaittombéàgenouxlorsquej’étaissortiesurlebalcon.J’étaistellementprêteàtoutlaisserderrièremoi,àcemoment-là…–C’estleplusdifficile,luiavais-jedit.Lesingrédientssontimportants,biensûr,maislesacrifice,l’intention,c’est
cequicompteleplusdansunrituel.Toujours.L’intention…Des imagesdusortdeconvocationrevinrent flotterdansmonesprit : les flammesbondissantsoudain, laporte
brillantdanslesable.Mesintentionsavaient-ellesétépures?Lesavais-jebiencanaliséesdanslesortilège,afinqu’ilm’apportecequejedésirais?–Biensûr!m’exclamai-jesoudain.Biensûr!Lesorts’étaitretournécontremoiparcequemesintentionsétaient impures.Pourqu’ilréussisse, ilaurait fallu
qu’ellessoienttoutestournéesdanslamêmedirection,maisellesétaientpartagées.Jevoulaisêtreprotégéed’Ava,maisenréalité,c’étaitpourRhodequej’appelaisSuleenàmoi.Jesavaiscequej’avaisàfaire,àprésent!Monmoralremontaconsidérablement.–J’aibesoindetonaide,dis-jeàJustin.–D’accord…Uneétincellebienveillantebrillaitdanssesyeux.Ellemerappelapourquoij’avaisdormisoussatentelanuitde
monanniversaire. Pourquoi j’avais laissé ses caressesme ramener l’annéedernière, à l’époque où je croyais quevivre en tant qu’humaine serait simple.Que je pouvais êtreune jeune fille amoureuse, libéréedes échosdemonpassé.Maisnousdevonstoujourspayerpournosatrocités.C’estpourcelaquel’intentionquisous-tendlessortilègesest
siimportante.–Lenah?demandaJustin.–Jevaislerefaire.–Quoi?Lesortdeconvocation?–Oui.Lefeuétaitderetourdansmonventre.Oui.Oui.Jerecommencerais,avecdes intentionspures,et j’appellerais
Suleen.Cettefois,ilviendrait!–Allons-y.Aprèsavoirpris legrimoire,un flaconpour l’eaudemeret tous les ingrédientsdont j’auraisbesoin, jedévalai
l’escaliersansprêterattentionauxélancementsdemabrûlure.Jedépassaiencourantdesélèvesinstallésdanslecouloir,quimettaientladernièretoucheàleurscostumesd’Halloween.–Eh,attends-moi!m’appelaJustin.–Non,cours!JesortisdubâtimentettrouvaiVickensurlebancd’enface,unecigaretteàlamain.–Minute!lança-t-illorsqu’ilserenditcomptequejen’allaispasm’arrêterpourbavarder.Oùvas-tucommeça?–Jevaisrefairelesortdeconvocation.–Ah,d’accord,lâcha-t-ilenm’emboîtantlepas.Çayest,tuesofficiellementzinzin.Jepoursuivis.Jemefichaistotalementdecequ’ilpouvaitpenser.Justinnousrejoignitsurleparking.–Qu’est-cequ’ilfaitlà,lui?Oùva-t-on?demanda-t-il.–Onretourneàlaplage.Jedéverrouillailesportesdemavoiture.–T’escomplètementcinglée,bonsang,tulesais?Jen’arrivemêmepasàfumertellementjesuisfurax,s’énerva
Vicken.J’ouvrislaportièreetjetaimonsacdemagieainsiquelegrimoiredansl’auto.–Danscecas,cetteexpéditionestdéjàunsuccès.J’allaismeglissersurlesiègepassagerlorsqu’ilm’arrêtaenmeprenantparl’épaule.–Lenah.Turisquestavie,là.Tun’esmêmepasguériedetadernièretentative.(Iljetauncoupd’œilàmonbras
bandé.)Est-cequ’onn’apasapprisuneleçonladernièrefoisquenoussommessortisducampus?–SiLenahestdécidée,elleleferaavecousanstoi,intervintJustindepuislesiègepassager.–Monjeuneami,tunesaispasdequoituparles.Sorsdecettevoitureetferme-la.Justincontournalecapotsivitequejedescendispourm’interposerentreeux.–Toiaussi,tupeuxyrester,ditVickenàJustinentresesdents.–Jevaislefairequoiqu’ilarrive,affirmai-je,lesmainspresséescontresontorsenerveux.Etnousnoussommes
seulementpromisdenepassortirducampusseuls.Tuvois?Jenesuispasseule,conclus-jeenmontrantJustin.–Alors je viens aussi. À trois, on est plus forts, grondaVickend’un airmauvais avant de reculer d’un pas. Le
trianglesymbolisel’infini.Çapourrait…mieuxmarchercommeça.–Trèsbien.Sivousmejurezdenepasvousdisputer.Ilfautquejeresteconcentrée.–Jeveuxbien,répliquaJustin,s’ilprometdenepass’approcherdemoi.Jenesuispasfanadesassassins.Jefisvolte-face,enproieàunecolèrenoire.–Alorstun’espasfanademoinonplus.Ilenrestaabasourdi.Bouchebée.–Jene…Jeveuxdire…–Envoiture.Touslesdeux.
Lorsque jedessinai lecontourde laporte, lesablemerafraîchit ledoigt.La luneétaitsuspendueau-dessusdel’horizon.Cettefois,nousjetionslesortàlatombéedelanuit.–Prête?Tuessûre?medemandaVicken.Justinobservaitlaporteavecdegrandsyeux.Etbizarrement,ilsouriaitpresque.Lorsqu’ilcroisamonregard,il
changearapidementd’expressionetsaboucheseréduisitàuneligne.–Pardon,c’estjuste…tusais…c’estlapremièrefoisquej’assisteàunrituel,sejustifia-t-il.Jedébouchaileflacond’eaudemeretlajetaisurlesflammes.–Jeteconvoque,Suleen,danscetespacesacré.(Mesyeuxselevèrentverslalune,bassedansleciel.)Jet’appelle
icipourquetunousprotègesd’undangerimminent.Etj’étaissincère.Jevoulaisprotégernosvies,nosâmes.L’ambresuccédaà l’eau,et lorsque larésinepoisseuserencontra les flammes, lecontourde laporte,commela
dernièrefois,semitàbrillerd’unéclatdoré.VickenetJustinétaientfascinés.–Jeteconvoque,répétai-je.Le feu crépita,mais les flammes restèrent plus calmes que la dernière fois. Bien !Oui ! Cette fois, cela allait
fonctionner!Leventfouettaitmescheveuxetunegrandeexplosionsurgitànouveau.Jefisunbondenarrière.Jem’attendaisàvoiruneflammedetroismètress’éleverversleciel.Maisnon.Lefoyer
s’éteignitcomplètement,nelaissantqueduboisnoircietcarbonisé.Uneminusculebouledelumièrebleuesetrouvaitaucentredutasdebois,àlaplacedesflammes.L’orbelévita
au-dessusdes cendres, brillaplus fort, puis s’allongeaverticalement, devenantplusoblongà chaque secondequipassait.–Qu’est-ceque…,fitJustin.–Chhhut!L’orbebleugrandit jusqu’à la taille de la porte que j’avais dessinéedans le sable. Il brilla encoreunpeu et je
m’attendisàcequeSuleen,l’hommequej’avaisapprisàtantapprécier,franchisseleseuil.J’avaishâtederevoirsonvêtementblancetsonturbanfamilier.Laportenes’ouvritpas.Aulieudecela,elles’animacommeunvieuxfilmetprojetalesimagesvacillantesd’une
salledebal,dansunchâteaucheràmoncœur.Lalumièrebleueétaitdeplusenplusvive,deplusenplusvaste.–Oh,non,soufflaVicken.Unbattementdecœur–unepulsation.L’orbeenvahitpresquetoutleciel.Immense…unportailversunautremonde?Non…Uneexplosiondelumièrebleue,etpuis…
Hathersage,1740Vicken,Justinetmoi,deboutsurlecôtédelasalle,faisionspartieintégrantedelascènequisedéroulaitdevant
nous.–NoussommesàHathersage,constataVicken,émerveillé.–Chhhut,soufflai-jeenagitantunemaindevantmoicommepourdissiperlaperturbationcrééeparsavoix.Justin,lui,nedisaitrien.Ilobservait,laboucheouverte,assomméparl’incrédulité,lapeuroulesdeux.Descoupesempliesdesangs’entrechoquaient.Unpetitorchestredevampires jouaitdansunanglede lasalle.
Lesbavardagesdedizainesdenoscongénèresrésonnaientdansmagrandesalledebanquet.–Lenah,qu’est-cequec’estqueça?medemandaVicken.Jenereconnaispascesgens.–Ilsdatentdebienavanttonépoque.Jesavais,moi,cequec’était.C’étaitlanuitd’épouvantequim’avaitassuréunemacabreréputationdanslemonde
entier.C’étaitlanuitoùj’avaistuéuneenfant.Nous,lestroismortels,étionsinvisiblesauxyeuxdesconvives.J’euslesoufflecoupéenmevoyantmoi-même,vampire,tournoyerdanslasalle,unecoupeàlamain.Lacouleur
était à lamode dans les années 1740, et pourtant jem’étais volontairement vêtue de noir… La soie dema robecorsetéeétaitentièrementbrodéederosesdejaisetdeperlesnoires.–Saviez-vous,ditmonincarnationvampirique,quelaNuitRougeestlemoisdurantlequelnousavonsaccèsàla
magienoire?Lecorsetm’écrasalescôtesquandjeris,enjambantd’unsautlégerlecorpsd’unhommeentuniqueblancheet
culottesnoires.Unfermierdesenvirons,saignéàblanc.–Cesoir,c’estAllHallowsEve1!Lesvampiresquim’entouraientlevèrentleurcoupedesang.Destorchesvivesjetaientdanslasalleunelumièreorangéepresqueonirique.UnRhodevampiriquefranchitlagrandeportedelasalle,vêtudelasoielaplusfine.Ilétait,commetoujours,tout
ennoir,lescheveuxlissésenarrière,etsesyeuxturquoiseétaientsaseuletouchedecouleur.Ilpassalamainsursaboucheettraversalasalleencourant,pourrejoindrelecorpsdel’enfantqu’ilavaitpourtantmiseenterrequelquesheuresplustôt.Ellegisaitàprésentdanslecoindelapièce,oùj’avaistenuàcequ’onl’installe.Justepourlasoirée.–Jel’aidéterrée!Àmainsnues!criai-jeàRhodeenriantetenbuvantunegrandegouléedemacoupedesang.Ondansadeplusbelleaucentredelapièce,touslesvampiressautillantsurunairentraînant.–N’est-ce pasmagnifique ? ajoutai-je tandis que Rhode s’agenouillait auprès du cadavre de la petite. Elleme
ressembleunpeu,tunetrouvespas?Ellepourraitêtremapetitesœur.Lesfleursquidécoraientleslieuxvibraient,remuéespardesdizainesdepiedssautantsurleparquet.Desroses,
delalavande,desmarguerites,desorchidées,uneabondanceodorante.LenahlavampirepritquelquesmargueritesetdesrosesdansunvaseetlesapportaàRhode,quiétaittoujoursàgenoux,leregardrivésurl’enfant.Jeposaisursesyeuxdestêtesdemarguerite.Lespétalesatteignaientfacilementlessourcils,surcepetitvisage.–Jeluidonneraiunenterrementdepremièreclasse,dis-jegaiement.J’aiinvitétousnosamisduDerbyshire.Tout en parlant, je dansais en cercle autour deRhode, tenantma jupe pour pouvoirme faufiler entre lui et la
petite.Ilrépanditdescorollessurlecorps.–Etcette jeunedemoiselle !«Voiciunepâquerette. Jevousauraisbiendonnédesviolettes,maisellessesont
toutesfanées,quandmonpèreestmort.Onditqu’ilafaitunebonnefin2.»Rhodeselevaalors.Enregardant,jesusimmédiatementcequiallaitsuivre.–Oh,allons,n’aimes-tudoncplusShakespeareleBarde?letaquinai-je.Mais Rhode contemplait les autres corps éparpillés au sol. Ses yeux rencontrèrent les miens – ceux de mon
incarnationvampirique.Quisoutintlonguementsonregard.–Pourquoi?dit-il.–Pourquoi?Sonsangestdespluspurs!Elleretournaverslepetitcadavreenrobeblancheetrépanditencoregaiementunepluiedefleursdessus.–Assez!criaRhode.Ilmepritparlesépaulesetmepoussaviolemmentcontrelemur.–Lenah,qu’es-tudevenue?Jemerisdesonregardsérieux.–Net’inquiètepasainsi,jelaferaienterrerànouveauquandlafêteseraterminée!Ilgrogna,etcefutpresqueunrugissement: lecridedouleurd’unvampirequivoudraitpleurer.Ilm’agrippaà
nouveauetmesecouasidurementquemesdentsclaquèrent.Jedétestaismevoirainsi.–Pourquoinepeux-tupastecontenterdemonamour?demanda-t-il,lesdentsserrées.–Parcequejesuisàbout.Etquelepouvoirestmonseulrempartcontreladouleur.Lepouvoir.Pasl’amour.Ilmelâchaalorsetfitvolte-facepours’engouffrerdanslecouloirsombre.Jeregardai laversionvampiriquede
moi-mêmeluicouriraprèsauloinetlasuivis,entraînantJustinetVickendansmonsillage.–Qu’est-cequiteprend?s’écria-t-elle.Rhode!Maisilneréponditpas.Ilcontinuademarcherjusqu’augrandvestibuleduchâteau.Àcôtédelaporteétaitposé
unpetitsacdecuirnoir,qu’ilsaisitavantd’ouvrirlevantail.Lesoleilcouchant,quiembrasaitleciel,mebrûlalesyeux.LavampireLenahlevainstinctivementlesmainsdevantsonvisage,maisnousétionsen1740:aprèstroiscentvingt-deuxans,ellen’avaitplusrienàcraindre.–Rhode!
–Tuescomplètementirresponsable,crachacedernierenseretournantbrusquement.Lepouvoirnetesauverapas.Ilneferaqu’accélérerl’altérationdetonesprit.Il sortitet s’éloignade lademeurepour rejoindre lescollinesqui sedéployaientà l’infini.Lenah lavampire fit
quelquespasàsasuite.–Jesaiscequejefais!lança-t-elleenredressantlementonavecinsolence.Vicken,Justinetmoil’observionsdepuislaporte.Rhodes’arrêtaetseretournaànouveauverselle.– Ah oui ? (Il se rapprocha jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son visage. Ses crocs apparurent
lorsqu’ilchuchota.)Tusaiscequetufais,vraiment?Tuastuéuneenfant.Uneenfant,Lenah.–Tudisaistoujoursquelesangdespetitsétaitleplusdoux.Lepluspur.Rhodereculapeuàpeu,l’airhorrifié.– Je l’ai dit comme un fait, pas comme une invitation à y goûter. Tu as changé. Tu n’es plus la jeune fille en
chemisedenuitblanchequej’aiaiméedanslevergerdesonpère.Sonregardétaitembruméet,mêmeensouvenir,jevoyaisqu’ilcherchaitsoigneusementlesmotsjustes.–Jet’avaisditdeteconcentrersurmoicesoir.Jet’avaisditquesituteconcentraissurtonamourpourmoi,tu
pourraistelibérer.Maistuenesincapable,jelevoisàprésent.Jemevisessayerdeparler,maisilcontinuaavantquej’yparvienne.– Tu l’as constaté toi-même chez les autres. À ton âge, les vampires commencent à perdre la tête. La plupart
choisissent le feu ou un pieu dans le cœur pour trouver lamort, afin d’éviter une longue chute dans la folie. Laperspectivede l’éternité leurest insupportable.Quantà toi, c’est lavieque tuasperduequi te rend folle. L’idéed’arpentercetteterreàjamaisaenvoyétonespritenunlieuoùjenepeuxplust’atteindre.–Jenesuispasunefolle,Rhode.Jesuisunvampire.–Tumefaisregrettercequej’aifaitdansceverger,conclut-iltristementencommençantàdescendrelacolline.–Turegrettesdem’avoirprise?–Trouve-toi,Lenah.Quandceserafait,jereviendrai.Ma personne humaine se souvenait si clairement de ce moment… À l’époque, j’aurais pu suivre des yeux sa
silhouettejusqu’àcequ’ilnesoitplusvisible,maiscettefois-ci,ladouleurétaittropgrande.Jevoulaissortirdecettelumièrebleue,sortirdecesouvenir.Mais jeregardaimonmoivampiriquefairedemi-touretregagnerlevestibulevivementéclairé.Delamusiquesortaitdelasalledebal,maispourmoic’étaitunautremonde.LaLenahvampireposaunemainsurlemurdepierre.Jemesouvinsquelespierresn’avaientpasdetempérature,pasplusquejenesentaisleursurfacerugueusesousmesdoigts.
Rien…Rien…Rien…–Jeveuxsortirdelà!criai-jeentombantàgenoux.Lamaisonn’étaitplus.MavieétaitàWickham,désormais.–Sortez-moidelà!hurlai-jeàpleinspoumons.Ilyeutunéclairbleu,etlesablefroiddelaplagedeLoversBayfrappamesgenoux.Jetombaiausol,levisage
danslesmains.Unesortedesanglotsortitdemoitelleunevague.Uneimmensepousséedetristesse.Jedusretenirmarespiration ; je flairais leselde lameret larésined’ambresurmesmains. Jepleuraiavecdesgémissementseffroyables.Meslarmestrempèrentmesmainset,touteninhalantdifficilementl’airmarin,jelaissail’horreurdecesouvenirmesubmergerdegêneetdehonte.JustinetVickenétaientcois.Je n’avais pas fait apparaître Suleen. Ce que j’avais convoqué, c’était la vérité, un rappel de celle que j’étais
vraiment.Unetueuse.Etjeneméritaisaucuneaide.
1-Nomanciend’Halloween.
2-CitationdeHamlet,traductionFrançois-VictorHugo.
Chapitre20JepartisencourantdetoutesmesjambeslelongdeMainStreet,dansladirectionopposéeàlaplage.Viensmechercher,Ava.Mespoumonsétaienten feu.Despasclaquantsur le sol résonnaientenéchoderrière
moi.–Lenah!Lenah,c’estdangereux!LavoixdeJustin.Jenerépondispas.Leventfroidmemordaitlesjoues.Unmoteurdevoiturevrombit,puishurlaavantdes’arrêter
devantmoi.Lespharesdemonautobleue tournèrentbrusquementet levéhiculemebarra laroute. Jereculaietenfonçailestalonsdemesmainsdansmesyeux.Uneportièreclaqua.LesbottesdeVickens’approchèrentdemoisurleciment.SuiviesdubruitdespasdeJustin.–Nemetouchezpas!hurlai-je.Cesmotsmebrûlèrentlagorge.Jeregardaidansmespaumes.Mondosfrémittandisquedeslarmessefrayaient
uncheminderrièremespaupièresavantderoulersurmesjoues.–Combiendesangavons-nousversé,Vicken?Réponds-moi.Jelepoussaiàdeuxmains,sibienqu’ilreculadequelquespas.–Jenepeuxpas,repris-je.Jenepeuxpaslatuer.J’aiessayé,jenepeuxpas.Vickenvintàmoietmepritdanssesbrassansriendire.Jepleuraicontresapoitrine,jusqu’àcequesachemise
soittrempée.–Tupeuxlefaire.Ont’aidera.Justinetluiéchangèrentunregardquisignifiait:«Oui,nousallonstraversercetteépreuveensemble.»J’ignore comment, je retournai à la voiture ; j’ignore comment, je montai dedans, consciente que, sans savoir
encorecommentm’yprendre,j’allaisdevoirtrouverunefoisdepluslatueusequej’avaisenmoiafind’acheverAva.SurlecheminduretouràWickham,lamainposéesurlavitre,jegardailesilence.Unenuancedebleus’attardait
dansleciel,semblableaubleudel’orbequim’avaitmontrémonpassé.Monhorriblepassé.Vickenétaitauvolantàcôtédemoi,etjenepouvaisquedevinersespensées.Jeluiavaisexpliquétantdefois…maisàprésent,ilavaiteuunaperçudirectdemavieavant1850,avantqu’ilaitrejointmafolie.Justin,assisàl’arrière,lebombardaitdequestions.–Qu’est-cequec’étaitqueça?–Jenesaispas,grommelaVicken.–Maispourquoionl’avu?–J’ensaisrien.–Maison…–Écoute,monpote,tulafermesetc’esttout,d’accord?Ànotrearrivéesurlecampus,toutlemondeétaitenpleinepréparationdelaparadeetdubald’Halloween.En
descendant de voiture, je humai un parfum de cannelle et de cidre en provenance du foyer. Jem’engageai dansl’allée principale.Comme c’est étrange, me dis-je en sortant du parking pour marcher dans l’herbe. Les pas deVickenetdeJustinsonnaientderrièremoi.Maisilsrésonnaientcommedestamboursàmesoreilles.Commec’estétrange, pensai-je encore en voyant les citrouilles orangées et les banderoles noires se fondre dans les couleursd’octobre.OndiraituntableaudeMonet.Toutcelan’étaitqu’unmouchetisdecouleursquejenecomprenaispas.Lesélèvesenroulaientdesguirlandesnoiresautourdesréverbères.Uneéquiped’hommesetdefemmesinstallait
deschapiteauxetdesstandsauloin,surleterraindecrosse.Ilsneressemblaientpasàdeslycéens.Ouc’étaitpeut-êtremoi.Peut-êtrequejenesavaisplusquij’étais.–Attends,m’appeladoucementJustin.Jeneralentispas.J’entendisVickenluirépondre.–Laisse-latranquille.Je passai devant Seeker Hall, devant le bâtiment Curie où, un jour, j’avais été incapable de disséquer une
grenouille parce que je ne supportais plus de détruire une seule créature. Je poursuivis, dépassant le bâtimentHopper.Unlieumauditoùjenepouvaismêmeplusjeteruncoupd’œilàlatourdesartsparcequemesdeuxamisétaientmortsentresesmurs.–Lenah!Cette fois, c’étaitTracyquim’appelait alorsque jepassaisdevant lebâtimentQuartz.Elleétait assise surune
couverture, seule, avec un livre. Comme j’aurais été incapable d’expliquer ce qui s’était passé, je l’ignorai. Jebifurquai vers la serreet ouvris laporte.L’airhumideetbrumeuxm’enveloppaet jepressai lepas, arrachantaupassagedesroses,delasaugeetdelalavandedanslespots.Jelesserraifortdansmespoings.Lespétalesfurentbroyéssousmesdoigts.Jemelaissaitomberausol.
Cetteenfant…Laportegrinçaderrièremoi.Deschaussuresdesportcrissèrentsurlecimentmouillé.Lasoudaineboufféed’air
frais apporta avec elle l’odeur humide de la serre, mélangée à la fumée d’un sort de convocation qui avait maltourné.Justinselaissatomberàgenouxàcôtédemoi.Samainchaudeglissasurmapaumeetserecourbasurlespétales,accrochantmesdoigts.–Désoléequetuaiesvutoutça,murmurai-je.C’étaittoutcequej’étaiscapablededire.–Alorsc’estvrai,commença-t-il.Tuétaisréellementtrèspuissante.Jerelevailentementlesyeuxverslui.Ilsepenchaversmoietsoutintmonregard.
–C’estçaquetuasretenu?demandai-je.Lepouvoir?Ilouvrit labouchepourparler,maisneputquebredouillerun faible«non»avantde lâcherbrusquementma
main.–Cen’estpascequejevoulaisdire,clarifia-t-il.Maistu…tun’avaispeurderien,àl’époque.Tuétais…–Complètementfolle.Niplusnimoins.–C’estvrai,c’étaitdelafolie.Mais…Lorsque jerencontraiànouveausonregard,même levertdesesyeuxétaitchangé.Ses irisnemerappelaient
pluslesarbresagitésparleventdanslaruedesesparents.JenevispasnonpluslesfeuillagespersistantsdesboisquientouraientlepensionnatWickham.Endépitdetoussesefforts,ilnemecomprendraitjamais.Ilétaitimpossiblequ’ilsachecequec’étaitdevivreaprèsavoirétésilongtempsmorte.D’avoirconnulebaiserdelamortetsurvécupourleraconter.Ilrepritmamain.Sachaleurm’enracinaitdanslaserre.Jebattisdespaupièrespourchasserl’imagedelapetite
fille.Jepréféraimeconcentrersurleronronnementdesbrumisateursetlesrefletsdesbannièresorangeetnoiràl’extérieur.Danscetespace,aumilieudesfleursetdesherbes,j’étaistranquilleetmonespritparvenaitàadoucirquelquepeu l’atrocitéde ceque j’avais commis. Justin frottaitmesmainsentre les siennes.L’annéepassée, avectoutesabeauté,sonbonheuretseshorreurs,avaitfaitdemoiuneautrepersonne.Jen’auraispasdûsurvivreàcerituel,etpourtantjel’avaisfait.AinsiqueRhode.CeneseraitplusjamaiscommeavantentreJustinetmoi.Tropdechosesavaientchangé.J’avaischangé.Jen’aimeraisjamaisJustin.Jepourraisexécutertouslesgestes,porterlesvêtementsappropriés,leparfumqu’ilfallait,etdirecequ’ilfallait
dire.Maisjamaisjen’auraisdûvivredanscemondemoderne.Jen’étaispasfaitepourcela.JevivraismaviepourRhode,mêmesicelasignifiaitquejedevaisexistersanslui.Ilétaitleseul.Monâmesœur.
Monamour.Mêmes’ilnemepardonnaitjamais.Mêmesitoutétaitterminé.
Chapitre21Unjour,ilyabienlongtemps,jetraversaisencourantunvergerpoudrédeneige.Lefroidmemordaitleboutdu
nez.Lesbrastendusdevantmoi,jecourais,courais,etleventsoufflaitentremesdoigtsetdansmescheveux.–Lenah!Lenah!mecriamamèredepuislaportedelamaison.Ellemesouriaitlorsquejetournailestalonsetm’enfuisdanslesprofondeursduverger.C’étaitauXVesiècle,et
nousfaisionsdufeuàlongueurdejournée.Sansfeu,nousserionsmortsdefroid.Jem’arrêtaiàl’extrémitéd’unlongalignementdepommiers.Lefroidglacialmeléchaitlenezetjelesentaisdans
l’air,pascommeunvampire,maiscommeuneenfantdumondemédiéval:leprintempsarrivait,laneigequitombaitétaitlourde,presquecommedelapluie.Jemetenaisauborddesterresdemonpèreetregardaislemondeimmensequi s’ouvrait au-delà. Les bois étaientmon lieu depromenadepréféré à cemoment de l’année, avec leurs beauxarbrescouvertsd’argentetdediamantsdeglace.J’inhalaisdegrandesgouléesd’airfrais.Etjeplongeaisleregarddanscesbois,sanslamoindrepeurdumondeau-delà.
–Donc,Rhodeirachercherlescostumes?demandaJustin.Commeça,onpourracacherlesarmes.J’étaisdansleboxd’étudeenverredelabibliothèque,encetteveilled’Halloween,dosàlavitre.Justin,Rhodeet
VickenétaientassisàlatableetregardaientunplandugymnasedessinéparRhode.–Toutlemondeconnaîtsaposition?demandacedernierenlevantlesyeuxdesondessin.Lenah?J’avaisdéjàétudiécecroquisplusdedixfois.Jesavaisprécisémentcequej’auraisàfaire,j’espéraissimplement
quej’enseraiscapable.–Revoyonstoutunedernièrefois.Jesoupiraietrécitainotreplanpourlamillionièmefois–c’estdumoinscequ’ilmesemblait.–Onisolelesmembresdesoncerclepourquejepuissefrapperproprement.Unseulcoup,dis-je,croisantenfin
sonregard.Uncoupdepoignarddanslecœur.
Cettenuit-là,jerêvaidevampiresdénuésdecrocs.C’étaientdesdémonssansvisage;pasd’yeux,pasdenez,rienqu’une bouche avec deux trous béants dans le palais. Le sang coulait de leurs bouches grimaçantes sur leursmentons.
J’eusdumalàchassercesimageslorsquejemeréveillailematind’Halloween.Cequim’aidafutquelecampusavaitsubiunemétamorphosetotale.DesbannièresproclamaientJOYEUXHALLOWEEN!,ilyavaitdescitrouillestoutlelongdesallées,etlesentréesdenombreuxbâtimentsétaiententièrementdécorées.Iln’yavaitpascourscejour-là.LorsqueRhodefutrevenuaveclescostumesqu’ilavaitloués,nousdécidâmesquelemieuxseraitquenousnousmêlions aux autres élèves toute la journée. J’avais frappé deux fois à la porte de Justin, mais il ne m’avait pasrépondu.Jesupposaisqu’ilétaitdéjàentraindes’affaireravecdescamarades.Jem’étonnaitoutdemêmeunpeuqu’ilneprennepasdemesnouvellesaprèslesévénementsdelaveille.
Surlapelouse,jem’arrêtaipourcontemplerunstandgarnidedizainesdebocauxàpoissonsrouges.–Allez,tentetachance!meditVicken.Faisonsunepartieen l’honneurde laNuitRouge.Etpource jeu-là, tu
n’auras besoin d’assassiner personne. (Il me fit un clin d’œil.) C’est totalement inoffensif de gagner un poissonrouge.
Sij’arrivaisàlancerunepetiteballedansunbocal,jelerapporteraischezmoietgarderaislepoisson.Jebalayail’idéed’unriredédaigneux.Moi?Garderquelquechose…envie?
AumomentoùVickens’adossaitaustand,desbassesrythmiques,boumboumboum,semirentàrésonner.–Oh,non,lesvoilà…encore!gémit-il.Pourlaquatrièmefoisdel’après-midi,lafanfaredulycéepassaentapantsursesgrossescaissesettraversaen
ordredemarcheleterraindefootballpourrejoindreledéfilédecarnaval.Avecleursuniformes,onauraitditungrosnuagedelaineblanche.Ilsportaientdeschapeauxabsurdessurmontésd’unegrandeplumejauned’or,auxcouleursdulycée.Autourdenous,denombreuxélèvess’interrompirentdansleursjeuxpourcourirversleterraindefootball.Vickenagitalebrasdansleurdirectionavecdégoût.
Ilpuisaunecigarettedanslapochedesaveste,puispalpatoutessespochesàlarecherched’unbriquet.Ilyeutuncliquetismétallique,suivid’unpanachedefumée.
–Toutcequejedis,c’estquequandonfaitquelquechoseautantlefairejusqu’aubout.–VickenClough!Éteins-moiçatoutdesuite!MrsWarner,l’infirmièrescolaire,fonçaitàbrasraccourcissurlui,l’indexpointétoutdroitverssontorse.Vicken
lâchalacigaretteetl’écrasasoussabotte.–MachèreMrsWarner!Vousêtesravissanteaujourd’hui.–Combiendefoisdevrai-jeteledire,Vicken?Ilestinterditdefumersurlecampus.Etenplus,tun’aspasdix-
huitans,c’estillégal!Donne-moiça.–Vousdonnerquoi?–Lepaquet.Vickensoupira.–Nerâlepasaprèsmoi,Vicken.Allez,donne!Abandonnantmonéventuelpoissonàpluscompétentquemoi,jereposaimaballe.–Tunevaspasessayer?medemandaleresponsabledustand.–Pasaujourd’hui!Enm’éloignantdeVickenetdeMrsWarner, je repensaiàcespoissonsrouges.À lavieentièrequ’ilsmenaient
danscettepetitebulledeverre,ànager,monter,redescendreettournerenronddansleurmondeminiature.
Devantmoi,jevisquel’équiped’avironavaittransformésonlocalenmaisonhantée.Defaussestoilesd’araignéeseffilochéespendaientparesseusementauxfenêtres.Quelqu’unavaitsuspenduunrideaunoir,sibienquejenevoyaispas à l’intérieur. La porte s’ouvrit en grand et un élève revêtu d’un drap blanc poussa dehors deux élèves detroisièmeoudeseconde.Lecouplesortitavecungrandsourireaux lèvresetpartitencourantvers le terraindefootball.
–C’estvraiqueçafaisaitunpeupeur!ditlafilleavecunpetitrire.Lefantômemelorgnaitparlesdeuxtrouspercésdanssondrap.–Entrez,sivousl’osez…JeregardaiderrièremoisiVickensuivait,maislafouleétaittropdense.Desélèvescouraientdestandenstandet
la fanfare se rassembla tout aubout du terrain pour entamerunemarche synchronisée. Soudain,Rhode apparutdanslafouleetjemefigeai.Ilmesourit,justeunpeu,avecunseulcôtédelabouche.
Cefutunpetitinstantpartagé,maiscelapassatropvite.–Allez,entredonc!m’encourageaMrsWilliamsenindiquantlamaisonhantée.–Dansuneminute,dis-jeàl’infirmière,quiétaitdéguiséeenchat,avecdesoreillesnoiresetvelues,unequeueet
toutettout.Rhodes’arrêtaprèsdemoietj’attendisunpeuavantd’essayerdeluiparler.Vickenapparutàsontourenapportant,apparemment,unassortimentd’absolumenttouteslesfriandisesenventeaucarnaval.
–Quoi?mefit-il,unepommed’amourentrelesdents.–Jevoisquetuesterrifiéàl’idéedecequivasepassercesoir,commentaRhode.–Siçanetefaitrien,j’aienvied’unpeudesucréavantdemebattrepourmapeau.–Lenah!Vicken!noushélaalorsTracy.Elleavaituntondevoixbizarreetuneridecreuséeentresessourcils.Sapeausemblaitencoreplusdélicate,par
contrasteavecsescheveuxteintsenbrun.–Toutvabien?luidemandaVickenalorsqued’autresélèvesnousdoublaientpourentrerdanslamaisonhantée.–C’est Justin. Il ne s’est pasprésenté au responsabled’étagehier soir.Onne l’a pas vu aujourd’hui nonplus.
L’écoleaappelélesflics.Rhode, Vicken etmoi échangeâmes des coups d’œil inquiets.Mon cœur tressaillit. Je ne paniquerais pas. Pas
encore.Cen’étaitpascomplètementimpossiblequeJustinsesoitéchappépourunaprès-midiavecsesamisousonfrère.
–Quandl’as-tuvupourladernièrefois?medemandaTracy.–Hieraprès-midi.–Est-cequ’ils’estpasséquelquechose?Unincidentdangereuxpourlui?insista-t-elle,et jecomprisàsonton
qu’ellepensaitàAva.–Non,c’étaitdanslaserre.Ensécuritésurlecampus.–Àquelleheure?Sesyeuxs’étaientallumés.Apparemment,jeluiavaisdonnéuneinfonouvelleetintéressante.–Verslesoir.Six,septheures,parlà.–OK,merci,souffla-t-elleenreculantavecunpetitsourirepleind’espoir.C’estdéjàquelquechose.Super.Elletournalestalonsetparcourutencourantlalongueurdesstands.–Justin,disparu?dis-je.Jenel’avaispasvudelajournée,c’étaitvrai.Celaexpliquaitaussiqu’ilnem’aitpasouvertquandj’avaisfrappéà
saporteaprèslepetitdéjeuner.–SiJustinétaitréellementintrouvable,uneréuniongénéraleauraitpeut-êtreétéconvoquée,non?Tunecroispas
quelaparadeauraitétéannulée?Nousévitionstouslesdeuxl’évidence.Noussavionsparfaitementqu’Avapouvaitêtrederrièrecetteabsence.–Jevaislechercherdemoncôté,ditVicken.Jetetiendraiaucourant.Iljetasapommed’amourentaméeetpartitdanslafoule.–Ondevraitaussifaireuntour,ditRhode.Jenepigeaispas.PourquoinepascroirequeJustinavaitpusimplementlaissertomber,étantdonnétoutcequ’il
avaitvu?Ilavaittrèsbienpuseraviseraprèsavoirassistéausortdeconvocation,non?Rhodeetmoipassâmesdevantunstanddetiretunjeud’anneaux.Certainsstandsétaienttenuspardeslycéens,
et d’autres appartenaient à une entreprise engagée par le lycée. Ainsi, un grand chapiteau blanc de locationannonçaitunpalaisdesmiroirs.
–Onentrelà-dedans?proposaRhode.Sansrépondre,jelesuivisàl’intérieur.JesavaisbienqueJustinn’yseraitpas,maisj’avaisenvied’yentrerquandmême.Jevoulaiscontinueràrepousser
l’idéequ’ilsoitréellementendanger.Oupire,mort.Non,Lenah.Arrête.Jetournaià lapremièrebifurcation.Desmiroirsdéformantsétaientaccrochésauxmurs.Certainsmerendaient
longueetmaigre.Unautremecompressatotalementlevisage.Rhodemesuivaitdeprès,réglantsonpassurlemien.–JecroyaisquetuauraisvouluaccompagnerVicken,dis-je.Ilsecoualatête.–Jeveuxjusteenfiniravectoutça.Nousnousarrêtâmesdevant lemêmemiroir,sibienquenosrefletsse fondirent l’unen l’autre.Monbrasétait
celuideRhode.Montorse,lesien.–Tesmensongessontaccablants,dis-jeenmetournantverslui.Avam’aracontéquec’étaitellequiavaitattaqué
lechâteaud’Hathersage.Nousrestâmeslàunmoment,contrelemur.–Oui,Avaestarrivéelapremièreauchâteau,concéda-t-il.Pourcommencer,jenesavaispascequ’ellecherchait.
Ellesemblaitcordialedansl’ensemble,maiscelaavitetournéàl’horreur.J’aitentédecontre-attaquer,maiscommetul’asvu,elleestextrêmementdouée.Cependant,ellen’avaitpasunerapiditésurnaturelleàl’époque,etj’aidoncpum’échapper.Cedonparticulierestrécent.
–Pourquoiest-cequetunemel’aspasdit,toutsimplement?Tun’aspasbesoindemecacherleschoses.Ils’inclinaversmoi.–Parcequejecroyaispouvoirteprotéger.JecroyaispouvoirappelerSuleenouréglerleschosesmoi-même.–Ettul’asfait?–Jen’ysuispasarrivétoutseul,avoua-t-il.Commetoujours,jesuismeilleuravectoi.Plusfort.Etnousétionsànouveauproches,debout l’unprèsde l’autre, séparésparquelquescentimètresseulement.Sa
peaun’étaitplusmeurtrie,elleétaitredevenuelisse,commecelled’unjeunehommequiatoutesaviedevantlui.–Pourquoicrains-tudemetoucher?murmurai-je.
–Jenelecrainspas,répondit-ilavecunprofondsoupir.Çan’ajamaisétélaquestion.Jenesavaispasbiencommentréagiràcela.–Ilyadesmoisquetunem’aspaslaisséet’approcher.–Lenah,dit-ild’unevoixdouce.Jecrainsseulementcedontjesuiscapablequandj’ailecœurquibat.Cecontre
quoilesAerisnousontmisengarde.Jenepeuxpaspromettredemecontrôler.–Situmetouches?Pitié,suppliai-je,faitesquepersonnenenousdérangemaintenant.Illevalamainpourmelaisservoirsapaume.Il
meregardait,avecdesyeuxbrillants,mais laboucheserrée, sérieuse. Il tendit samain, lapaumeenavant,et laposa au centre demapoitrine, juste au-dessousdemagorge, là oùAva avait posé sonpieddans la boutiquedel’herboriste.
Sa peau, la douceur de cette peau : en cette seconde, jamais de ma vie je n’avais désiré quoi que ce soitdavantage. Notre monde avait été envahi par la soif de sang. Nous avions infligé la douleur, et là, nous noustouchionsréellementpourlapremièrefois,enhumains.Jelevailamainpourtouchersajoueetjesentismoncœurtambourinercontresapeau.J’avaisenviedelerespirer,deflairersonodeur,devoirchacundesporesdesapeau,desentirbattresoncœur.
Jefrissonnai.Rhodegardaitlesyeuxrivéssursamainpresséecontremachair.–Toi…,soufflai-je.Tudonnesunsensàchaque instantqu’ilmerestesurterre.Mêmesi jedoist’aimerde loin
jusqu’àlafindemesjours.Salèvreinférieuretremblait,etlamienneaussi.Jedéglutis,lagorgeserrée.Des larmesroulèrentsurses jouestandisqu’ilregardaitsamainsesouleverenrythmeavecmonsouffle. Jene
pouvaispasleregarderdanslesyeuxtantqu’ilpleuraitsurmoi.Des pommes ! Non ! Pas maintenant ! Des pommes. Partout. L’odeur me submergea. Une lumière blanche
m’aveugla.Rhodeestaucentred’unevastebibliothèque.Jamaisdemaviejen’enaivudepareille.D’immensesrayonnages
deboismontentjusqu’àunplafonddécoréd’unefresquedestyleitalien.Maisjenepeuxpasmeconcentrersurleschérubinsnisurlesnuagesblancspeintslà-haut.
Rhodealescheveuxcourts.Ilestdebout,lesmainsderrièreledos,encostumetroispiècesnoir.Ondoitêtreen1910,parlà.
–Elleestenhibernation,explique-t-ilàdesgensquejenevoispas.Souslamaisond’Hathersage.–Souhaitez-vousl’amenerici?demandeunevoixgravedel’autrecôtédelapièce.–Jesouhaitenégocier.–LenahBeaudonteàLoversBay?demandelavoixavecunrirerauque.Lareinevampireenpersonne?–Ellevivraenmortelle,monsieur,ditRhode.–Fascinant!Parlonsencoredecetaccord.Unéclair de lumièreblanche traversemon champde vision et la bibliothèquedisparaît.Oùest passéRhode ?
Rhode ?Me voilà de retour dans cette pièce que je vois depuis desmois. Bien qu’il fasse sombre, il apparaît…lentement.UnRhodemoderne,unRhodehumain,tombeàgenoux.
–Jenepeuxpas!crie-t-il.Jecomprendslesconséquences.Jeconnaislesrisques.Lesimagessesuccèdentcommedesballesdemitraillette.Uneroutecôtièrebordéedehautesfalaises.L’océan,quis’étendàl’infinidanslelointain.Unegrandemaison,unmanoirgothique,retiré,àl’écartdelacôte.Lenuméro42gravésuruneplaquedemarbreàl’extérieur.Jesusimmédiatementquecettedemeureétaitunlieud’épouvante.Lesièged’unpouvoirobscur.Ilfallaitquejela
trouve.Dans lepalaisdesglaces,Rhodemetouchait toujours. J’inspiraiàgrandesgoulées laborieuses,et jereculaien
titubantjusqu’àmecogneraumiroiraccrochéderrièremoi,quitintasursesgonds.Jefermailesyeuxpourtenterderetenirlesimages.
–Que…Qu’est-cequec’étaitqueça?Cettemaison?demandai-je.Ils’essuyarapidementlesyeuxetregardaparterre.Mapeaubattaittoujourslàoùsamains’étaitposée.–Cettemaison.Qu’est-cequetuasfaitlà-bas?–Tuaseuunevision?Ils’avança,unbrastenduversmoi.Rhodeavaitnégociéavecquelqu’undanscettedemeure.Avecquelqu’undepuissantquimeconnaissait etqui
savaitprécisémentcequej’avaisfaitdanslepassé.Etcetinconnu,j’allaisletrouver.Jesortisrapidementdupalaisdesmiroirsetmeretrouvaisouslesoleil.–Lenah,ditRhodeenmepoursuivant.Desétudiantspassaientautourdenousenparlantdeleursdéguisementspourlebaldusoir.–Ilfautquejeparte,dis-jed’untonneutre.–Lenah!Il me courut après,mais jemarchais vite dans l’allée, dépassant de nombreux stands, jusqu’aumoment où je
m’arrêtainet.RoyEnosetd’autresjoueursdecrosseétaiententourésd’unepetitecourtrèsprocheetintime.Royarboraitunairsombre,laminechiffonnée,lesépaulesvoûtées.Iln’yapasdeproblème,medis-jeàmoi-même.Iln’yaaucunproblèmeavecJustin.Jevaisarrangerça.Ilfallaitquej’ailledanscettemaison.Quelquechoseenmoimedisaitquec’étaitd’uneimportancecruciale.Quecesgenspouvaientm’aideràcombattreAva.
LavoixdeRhodeéclatadenouveau.–Lenah!Lenah!Ilétaitjustederrièremoi.Jefisvolte-face.–Non,Rhode.Quoiqu’ilyaitlà-bas…Jeconnaiscetteroute.Cettemaison.Etjevaisyaller.–Non!Pourunefois,jet’enprie,n’enfaispasqu’àtatête.Nousétionsaubordduterraindesport.–Tunepeuxpasm’arrêter,dis-je.Illevaunpiedpours’approcherdemoi,lorsquesoudain…Dansungrandfracasdecymbales,lafanfarechargeajoyeusementsurleterraindepuislecôtédugymnase,pour
la cinquième fois de l’après-midi. La laine blanche et les chapeaux ridicules des costumes des musiciens nousséparèrent. Je regardaiRhode tenterdes’engouffrerdansunespace libre,mais la fanfareétait imperturbable. Jesaisisl’occasionpourtournerlestalonsetfiler.
Chapitre22Cettemaisonétaitlaclé.Jelesavais.Quelqu’unlà-basm’aiderait.Nousaiderait.NouspourrionscombattreAvaet
triompherd’elle.JetrouvaiVickenàcôtédulocalduclubd’aviron,entraindeconsidérerRoyetsabande.–J’aibesoinquetuviennesavecmoiquelquepart,dis-je.Tantqu’ilfaitencorejour.–Non.–J’aieuencoreunevision.J’aivuunlieudanslatêtedeRhode.–Quellieu?Qu’est-cequiteprenddefaireconfianceàsesvisions?–Jenepeuxpast’expliquerçamaintenant.J’aibesoinquetum’accompagnes.Dansunemaison.–Jecroismesouvenirquejet’aidéjàditnon.Finilessorts,finilesconvocations.Iljetasonmégotdansl’herbeetsoupira,croisantànouveaumonregard.–Qu’est-cequeçavanousrapporter,d’allervoircettemaison?Encoredesbrûlures?Çavauttapeau?Tonâme?–Trèsbien.Commetuvoudras.Jeretraversailapelouseenlaissantlaparadederrièremoi.Puisquec’étaitcommeça,j’allaisprendremavoiture
et y aller toute seule. Je connaissais cette route. Elle passait devant la plagemunicipale et rejoignait NickersonSummit,oùj’avaisfaitdusautàl’élastiquel’annéeprécédente.
Ilfallaitquejefassevite,avantqueRhodenem’arrête.–BonDieu,Lenah!soupiraVicken.Tusaisbienquejevaist’aider.Maiscettemaison,cettevision…çapourrait
êtren’importequellemaison.–Ehnon.C’étaitunemaisondepierreetj’aidéjàprislaroutequiymène.Jel’aireconnue.Nousapprochionsdelavoiture.–Cen’estpasbiend’yallerseuls,objectaVicken.Jem’installaiauvolant.–Làoùnousallons,nousneseronspasseuls.Nousallonstrouverdel’aide.
Je savais que nous étions proches du but. La route, de plus en plus escarpée, s’élevait toujours plus haut.
ExactementcommedanslesouvenirdeRhode,l’océansedéployaitàl’est,au-delàd’unevasteétenduederavinsetdedunes.
–Ilfautrentreràtempspourlebal,Lenah,merappelaVicken.Ellevabientôtcommenceràsemerlechaos,là-bas.
–Onserarentrés.Onvachercherdel’aide.–C’estcequeturépètessanscesse.–Voilà,c’estlà!m’écriai-je.J’écrasai lapédaledu frein, faisant crisser lespneus.Surunepetiteplaquedepierre fixéeàunpoteauà côté
d’unelonguealléequis’enfonçaitentrelesarbres,enretraitdelamer,setrouvaitlenuméro42.Noussuivîmeslesméandresdel’alléed’accèssurunkilomètreetdemioudeux.Lorsquenousatteignîmesenfinle
domaine,ilfallutnousarrêterparcequ’unebarrièremécaniqueprotégeaitl’entréeduparcquientouraituneénormebâtissedepierregrise.Ilyavaitdehautestoursàlagaucheetàl’arrièredelamaison.Lafaçaden’étaitpercéequededeuxfenêtres.Absolumentnoires.
Vickensoupirafortement.–Jenesaispascequetuenpenses,maiscettemaisonmedit:«Entresituveuxmourir.»Jedescendislavitre.Ilyavaituninterphonesurlepilier,avecunboutonmarquéSONNERPOURENTRER.Alorsquemondoigthésitaitau-dessus,unevoixgravedotéed’unaccentétrangeetnonidentifiés’adressaàmoi
danslemicro.–Tueslabienvenueici,LenahBeaudonte.–Ehbien,voilàquiestrassurant,commentaVicken.Jeravalaimapeur.Ilfallaitcontinuercoûtequecoûte.Jemegaraisuruneplacedeparkingtouteprochedelaported’entrée.L’avantdemavoiturefaisaitfaceauxbois,
mais dans mon rétroviseur latéral, je voyais toujours la monstruosité architecturale. Tout comme ma demeured’Hathersage,elleétaitentièrementenpierre,avectrèspeud’ouvertures.
Vickenétaitassisàcôtédemoi. J’aimaissachevelure léonineetsesyeuxpensifsquimeregardaientdepuis lesiègepassager,attendantquejedisecequenousallionsfaireetpourquoinousétionsvenus.
–Jesuisheureusequetusoislà.–Jen’auraissurtoutpasvouluraterça,répondit-ilendébouclantsaceinturedesécurité.Ilm’arrêtaalorsquej’allaisdescendredevoiture.–Tusaisqu’onrisquevraimentdelaissernotrepeau,là-dedans,medit-ilavecunsérieuxabsolu.Jecontemplaiànouveausescheveuxfousetlalignedesamâchoire.Ilétaitlesoldatdemavie.–Jenet’envoudraipassitudécidesdem’attendreici.C’estpourmoi-mêmequejefaisça.Ilsortitduvéhiculesansajouterunmot.Nospas firentcrisser lesminusculescoquillagesqui formaient le solde l’allée. Jeprisalorsconsciencequece
domaineétaitentretenuavecungrandsoin.Desstatuesdemarbresecachaiententrelesmassifsdefleurs;auboutdulongédifice,onapercevaitlaverrièred’uneserre.Cen’étaitpasunesimplemaison.C’étaittoutuncomplexe.
Nousavançâmesjusqu’àlaported’entréepourattendreensembledevantlelourdbattantdechênenoir.Lamainau-dessusdumarteaudeporte, j’imaginai un instant queVickenetmoi nous rendions àundîner chezdes amis.Nousétionsdesgensnormaux,etpasd’anciensvampires.Rienquedespersonnes.Desimplesadolescentsdésireuxdevivreleurvie.J’allaisfrapperànouveaulorsquelaportes’ouvrit.
Àl’instantoùjereconnusceluiquim’ouvrait,moncœurfitunpetitbond.C’étaitl’individudemavision,saufqu’ilétaitvêtud’unpullencotonetd’unpantalonmarrontoutàfaitconventionnels.Ilauraitpuêtreenseignant,àvoirseslunettesetsatenue.Ilnousobservaittouràtour.
–Ahtrèsbien,dit-ilavecunsoupirdesoulagement.Vousnevoussentirezpasseuls,touslesdeux.Etsurungestefluidedesesmains,toutesatenuesemuaenunebrumedecouleurs,commes’iln’avaitétéfait
quedepoussièrecolorée.L’hommefutsoudainhabilléd’unpantalondecérémonienoirsousunetogenoire.Voilàl’accoutrementdanslequeljel’avaisvu!
–Passeuls?repritVicken.–Vousêtestousdeuxd’anciensvampiresdamnés.Vousêteslesbienvenusici.Etilnousouvritlaporteduvestibule.Commenousfranchissionsleseuil,jejetaiundernierregardàl’extérieur.
Lagrosseporteserefermaavecunchocsourd.Nousnousretrouvâmesmomentanémentdanslenoirtotal.Vickenretintsarespiration.Ilétaitprêtàtoutpourmedéfendre,jelesavais.–Inutiled’envisagerdestactiquesderapiditéetdeforce,VickenClough.Ellesseraienttoutàfaitinefficacesici,
ditlevampire.Surunclaquementdesesdoigts,leschandelless’allumèrentd’uncoupetleurclartéaugmenta.Ilyenavaitdans
des appliques de verre aumur, d’autres qui vacillaient auxquatre coins de la pièce.Au-dessusdenous, unpetitlustre.Cinqbobèches,cinqbougies:unpentacle.Cettepiècerecelaitbeaucoupdepuissance.
–JesuisRayken,LenahBeaudonte,dit-ilenmetendantlamain.C’était en effet un vampire, sans aucun doute, car sesmains étaient glacées et les pupilles de ses yeux bruns
étaientlargesetnoires.Raykensoutintmonregardetunpetitsourirejouaauxcommissuresdeseslèvresserrées.–Tuestiède,dit-ilenmelâchantlamain.Fascinant.(Ilreculad’unpas.)Tupeuxattendreici,jevaisprévenirmes
frèresdetonarrivée.Illongealecorridorettournaversladroite.JerestaiseuledanslevestibuleavecVicken,quipivotaetposaune
mainsurlaporte.Iln’yavaitpasdepoignée.–Onestenfermés,chuchota-t-ilavantdeleverlatête.Ouah!Leplafondestenonyx,s’émerveilla-t-il.Lacouleurnoiredel’onyxrévèlel’âmeoriginelle.Etlà,luisantau-dessusdemoi,flottaitlerefletvéritabledela
mienne. Dans mon reflet, suspendu au-dessus de mon cœur, flottait un orbe. Lorsque je me déplaçais dans levestibule,ilmesuivait.Baissantànouveaulatête,jetentaideletoucherdevantmoi,maisc’étaitimpossible:jenele voyais que dans le plafond. Cette sphère fumeuse flottait en face de l’endroit où mon cœur battait dans mapoitrine.
–Qu’est-cequec’estqueça?demandamoncompagnonenpointantledoigtversmonreflet.–Je…Jecroisquec’estmonâme.Maisremarque,jenemesuisjamaisvuedansdel’onyx,alorsjenepeuxpas
êtresûre.–Onnepeutpass’yrefléter.Entantquevampires.J’acquiesçai,éblouieparcetteétrangebouledelumière.Vickenaussienavaitune.C’étaitunnuagesphériquegris
àrefletsargentés,suspendudevantsoncœur.Nousétionstousdeuxmortels,c’estpourcelaquenouspouvionsnousvoirdansleplafondenonyx;lesvampiresnesevoientpasparcequ’iln’yapasd’âmeàrefléter.L’onyxabritaitunpouvoir énorme. Un pouvoir sombre. Plus sombre est l’âme, plus sombre est son image dans la pierre. Celle-ciabsorbaitl’énergienégative.
–Parici,jevousprie,ditunevoixissuedel’obscuritéducouloir.Tout comme Vicken, je volai une dernière image de nous dans le plafond avant dem’engager dans le couloir
derrièreRayken.Noustournicotâmesdansundédaledecorridors,jusqu’àatteindreunpassagevoûtéenbois.Deuxbattantsdeportesétaientdécorésdesculpturesreprésentantdescentainesdecorpstordusetpeints,dotésd’unelongue langue serpentine et d’yeuxglobuleux. Je détournai la tête.Ces êtres étaient si grotesques que c’en étaitgênant.
Levampiretenditlamainversunepoignéedeporteenformededague.J’enavaisdesemblablesdansmamaisond’Hathersage.FaçonnéesparlesvampiresLinardid’Italie.Desartisansvirtuoses–jem’ensouvenaisbien,carj’enavaisoccisungrandnombreauxalentoursdel’an1500.
–Bonnechance,ditlevampireenouvrantlaporte.Je jetai un coupd’œil enarrière àVicken,qui pritmamaindans la sienne.Nousentrâmesdansune immense
bibliothèque.CelledelavisiondeRhode!Touslesmursétaientcouvertsdelivres,dusolauplafond.Au-dessusdemoi,lafresquerecréaituncielradieuxparunesuperbejournéed’été.
Uncraquementmefitbaisser lesyeux :uneénormecheminéeoccupait lamoitiédumurdu fond.Les flammesdansaient et projetaient une lumière orangée dans la pièce. Devant l’âtre, trois vampires étaient assis dans desfauteuilsmoelleux,chacununlivreàlamain.
CeluidumilieuétaitRayken,quipourtantétaitdanslecouloirdeuxsecondesplustôt.Jetâchaideconservermoncalme.
–Bienvenue,LenahBeaudonteetVickenClough.C’estungrandplaisirdevoirqueleritueldeRhodeafonctionné,àdeuxreprises.
–Vousêtesimpressionnant,répondis-je.Quellerapidité!– Je ne cherche pas à impressionner, mademoiselle.Mon pouvoir réside dansmon savoir. Les vampires ne se
déplacentpasplusvitequel’humainlambda.S’ilconnaissaitAva,ilnediraitpasça!pensai-je.IlétaitévidentqueRaykenavaitatteintsonsiègebienavantque
Vickenoumoiayonsfranchileseuil.Quoiqu’ilenfût,jenelecroyaispas.J’avaisvudequoiSuleenetAvaétaientcapables.
–Vousconnaisseznosnoms,jepensequenousdevrionsconnaîtrelesvôtres,dis-je.Ceseraitpluséquitable.Raykenregardalevampireassisàsagauche.–Laerte,seprésentacedernier.–CommedansHamlet ! commentaVickenderrièremoi, l’air contentde lui,avantde toussoteravecembarras.
Enfin,sivouslisezcegenredechoses,ajouta-t-ilfaiblement.LesouriredeLaertelevampirefutassezchaleureuxpourluidonnerl’airhumain.–Fascinant,ditletroisième.Luiaussisourit,franchement,laboucheouverte;etc’estlàquejevisqu’iln’avaitpasdecrocs.Rienquedeux
trousbéants,làoùilsauraientdûêtre.Commedansmoncauchemar!–Ellevoitbienquenoussommesparticuliers,constataLaerteenposantunemainsurlegenoudeRayken.Jelevoyais,oui,maisjevoyaisaussileurpuissance.Jevoulaisqu’ilsm’aidentàcombattreAva,maisavant,ilme
fallaitdesréponses.–MissBeaudonte,vousconnaissezdéjàRayken.Etàmadroite,voiciLevi.Noussommes…–LesÉvidés,complétai-je.LeshommesdelavisiondeRhode.Ilsinclinèrentlatêteàl’unisson.
–LesÉvidés?répétaVicken.–J’ensaistrèspeusurvous,avouai-jemaladroitement.Maisj’aientenduparlerdevous.–VotreamiRhodenevousapasdécritnotrespécialité?demandaLevi.Sesgrandsplisdepeauetlesridesprofondesquientouraientsesyeuxindiquaientqu’ilavaitdûêtrevampirisé
tarddanssavie.–Jesaisqu’ilestvenuici.Jel’aivudansmatête.(Jem’enhardisàfaireunpasverseux.)J’aieuunevisiondans
laquellevousparliezavecRhode.Ilvoussuppliaitd’épargnersavie.Ilvousimplorait.–Épargnersavie?ditRayken.RhodeLewinnenousajamaisdemandéd’épargnersavie.Ahnon?–Hmm.Hmm…LesÉvidéséchangèrentdesregardssoucieux.–Vousditesquevousl’avezvuenesprit?meredemandaLaerte.J’acquiesçai.–Intéressant.Commentsefait-ilquevousayezeuunaccèsprivilégiéàsespensées?s’enquitRaykenenpliantles
mainssursesgenoux.–Nous sommesdes âmes sœurs.Depuis que lesAeris ont décrétéquenousnepouvionspas être ensemble, il
refusedemetoucher.Pourtant,ilsembleraitquej’aieuneconnexionavecsespensées.Parfois,sessouvenirs.Laerte,RaykenetLevi se regardèrentet conférèrentdansun idiomeétrange,àvoixbasse. J’entendis lesmots
AnamCara.PuislenomdeSuleen.– Les véritables âmes sœurs, celles dont l’essence vitale est inextricablement liée, trouvent toujours unmoyen
d’entrerencontact,mêmequandellesnepeuventpasêtreensemblephysiquement,m’expliquaLaerte.Cesvampiresmeconnaissaient,ilssavaientlesatrocitésquej’avaiscommises.Cettefois,jen’avaisbesoindenul
sort de convocation. J’avais besoin de leur force pourm’aider à affronter Ava. La compréhension dumystère deRhodepouvaitencoreattendre.Ilfallaitquejemeconcentresurmatâche.
–JesuisvenuevousdemanderunefaveurdifférentedecellequeRhodevousademandée.–Nousn’accordonspasdefaveurs,protestaRayken.–C’estvrai,ajoutaLaerteavecunsourire.Lesavoir,rienquelesavoir.Rhodeacherchénotreprotection,cequi
nepouvaitêtrefaitqu’enpassantunmarché.Jesavaisquecemarché,quelqu’ilfût,étaitdangereux.Possiblementfatalpourmoi.–Qu’anégociéRhode?demandai-je.–L’amour,m’informaLaerte.–Comment?soufflai-je.Çan’avaitaucunsens.–C’estpourcelaqu’ilétaitlà.L’accordqu’ilnousaproposéétaitlesuivant:s’ilnousdonnaitsacapacitéd’aimer,
commeobjetd’étude,nousvousprotégerionspendantlerestedevotreviemortelle.–Commentpouvez-vousfaireça?s’étonnaVicken.–Nouspouvonsfairebeaucoupdechoses.–Maispasaimer,missBeaudonte,ajoutaLaerte.–Lesvampiressontpourtantcapablesd’amour.–Nous nous sommes débarrassés de cette capacité il y a longtemps, car cela aurait diminué notre capacité à
apprendre.–Alorsvousdeviezprendresonamourpourmoi?Pourquoia-t-ilfaitça?J’étaissihorrifiéequej’arrivaisàpeineàparler.Jerepensaiàtouteslesvisions.Aujourd’hui,danslepalaisdes
glaces,ilm’avaittouchée.Etilavaitpleuré.Jecrussuffoquerlorsquejecomprissoudain.Quelleidiotej’avaisété!MoiquiavaiscruqueRhodeavaitdumalà
affrontersamortalité.Maisc’étaitbienplusquecela.Ilavaitdûenvisagerderenonceràsonamourpourassurermasécurité!C’étaitdonccela,lasourcedesontourment?
–Ilaéchoué,ajoutaRayken.Iln’apaspu.–Quelestvotredésir,missBeaudonte?–Rhoden’apaspurenonceràsonamourpourmoi?Jevoulaisuneconfirmationavantdedemanderàêtreprotégéed’Ava.–Eneffet,confirmaRayken. Iln’apaspuabandonnersacapacitéàvousaimer,malgrévotresituationavec les
Aeris.C’étaitsûrementvrai.Sinon,commentauraient-ilsétéaucourantpourlesAeris?Rhoden’avaitpaspurenonceràsonamour.Ill’avaitditdanssavision:«Vosexigencessonttropextrêmes.»Et
aujourd’hui, dans le palais des glaces, il avait enfin cédé à son tourment. Quoi qu’il arrive, jamais nous neparviendrionsàresterséparés l’unde l’autre. Il reviendraitencoreet toujoursàcet instant-là. Jepouvaisappelercelacommejelevoulais:AnamCara,âmessœurs,l’amourdemavie…ilétaitmonRhode.
Àjamais.MaisRhoden’étaitpasleseulencause.Desimagesflottaientdansmatêteetunecompréhensiondifférentedel’amourm’apparut lentement.Cen’était
passeulementmonamourpourRhode…c’étaitautrechose.Tracymedisantqu’ellem’aiderait,quoiqu’ilarrive.LeportraitdeTonyenlambeaux.LesyeuxclosdeMrsTate,commeendormie.Unmotposésursapoitrine.LevisagetrempédelarmesdeClaudia,justeavantsamort.Tout cela, était-ce la vie ? Était-ce donc ce que j’avais imploré pendant les jours de folie pure passés à
Hathersage?Moncœurbrûlaitdansmapoitrinequandjemerevoyaisrépandantdesfleurs,telleunefurie,surledallageduchâteau.
JerelevailatêtepourregarderlesÉvidés.Jesavaiscequejevoulais,désormais,etcen’étaitplusleurprotection.Cequej’avaisàfaire,j’auraisdûlefairedesmoisplustôt.C’étaitleseulmoyendelaisserderrièremoiAvaetmavied’Hathersage.Sijen’étaispluslemonstrequej’avaisété,celuiquipouvaittuersansraison,alorsilfallaitaussiquejerenonceàmaviehumaineàWickham.Jesavaiscequ’il fallaitque j’accomplisse,et jesavaispourquoi tous lesévénementsdel’annéem’avaientamenéeàcemomentdevantlesÉvidés.
–Jesuisprêteàfaireunéchange,dis-je.J’ignorecequevouspourriezvouloirdemoi,maisjesuisprêteàvousledonner.
–Maisenfin,Lenah!s’exclamaVicken,stupéfait.Ilfallaitquej’aillejusqu’aubout.–J’étaisvenueicivousdemanderdem’aideràcombattreunvampirequienveutàmesjours.Maiscen’estplusce
quejesouhaite.C’estquelquechosedebienplusimportantqu’ilmefaut.
Cedésirgrandissaitenmoidesecondeenseconde.–JeveuxquevousappeliezlesAerispourmoi.J’allaisretourneràl’époquemédiévale,commemel’avaitproposéleFeuaudépart.Laertem’observauninstant.–Vousêtesquelqu’undetrèscurieux,missBeaudonte.–Etd’inconscient,peut-être. Jesaisque jenepeuxpasrenonceràmacapacitéd’aimer.Rhodeetmoisommes
identiques,decepointdevue.Laerteattendituninstantavantderépondre.–Votresangnoussuffiraenéchange.–Monsang?Jelevailementon.Vickens’avançaàcôtédemoi.–Non,protesta-t-ild’untondur.–Nousvousaiderons.Votrerituelesttrèsintrigant,toutcommel’histoiredevotrecapacitéàprojeterlalumière
dusoleil.Nousn’avonsjamaisvudesangporteurdecepouvoir.PasmêmeceluidevotreRhode.Lesdeuxautresmurmurèrentleurapprobation.–Non,répétaVicken.C’estuncomplotstupidepourtetuer.–Votregardeducorpsdevragarderlesilenceouattendredehors,ditLaerte.Toutenmeparlant,ilregardaitdansunepetiteboîte.Ilyeutuncliquetisdemétaletdeverre.–Lenah,non,insistaVickenenposantlesmainssurmesépaules.Jetesupplied’entendreraison.Jeleregardaiaufonddesyeux,maisjesusquejefaisaiscequ’ilfallait.Jedévisageaimonvieilami,pleinement
conscientequejen’auraisjamaisdûl’enleveràlamaisondesonpère.ToutcommeRhodenerenonceraitjamaisàsonamourpourmoi, je savaisque jenepourrais jamais vivreuneexistencedans laquelle tous ceuxque j’aimaisétaientmenacésenpermanencepardesvampiressanguinaires.Toutescessouffrances,rienquepourassurermapropre humanité ! Désormais, tout m’apparaissait clairement. Pour Rhode et aussi pour moi. Nous pouvionscontinuerànousdétruire,continueràchercherdesmoyensd’êtreensemblesansenfreindrel’impossibledécret…
…maiscen’étaitpasunevie.Ilfallaitquejeregagnelemondemédiéval,commej’auraisdûl’avoirfaitdessemainesplustôt.Laertes’approchademoiàlonguesenjambées,sagranderobeflottantderrièrelui,soulevantdesvaguesdevent
qui firent vaciller les flammes des chandelles. Les deux autres Évidés restèrent assis. Vicken recula lorsque levampirefutprèsdemoi.
–Jevaisvousviderdepresquetoutvotresang,missBeaudonte.Lorsquevousvouséveillerez,vousserezdansunepetitepièce.Justelà.
Il pointa le doigt vers un passage voûté qui s’étaitmatérialisé à côté de la cheminée.Une large porte de boissombre.Elleétaitdécoréedevolutesargentéesquiressemblaientàd’étrangesfleursexotiques.
–Vousserezdansunepiècenue.Nevousretournezpas.NerevenezpasicitantquevotreentretienaveclesAerisneserapasterminé.
–Commentsavoirquevousn’allezpasmetuersansm’accordercetentretien?demandai-je,lecœurbattant.Laertetenaitdanssamainunpetitcouteau,unelameminuscule.Àcettecourtedistance,jevisqueluiaussiavait
arrachésescrocsetn’avaitplusquedeuxtrous.–Elledoityallerseule,dit-ilenregardantVickenpar-dessusmonépaule.Je me tournai pour regarder mon ami, et nos yeux se parlèrent en silence. Les mains de Vicken pendaient
mollement le longdesoncorps. Ildéglutitmaisnedit rien. J’ignorais si je faisaisbiende le laisserainsi.Mais ilfallaitquejeprennelerisque.
– Je trouve intéressant,missBeaudonte, de savoirqu’à vingt-deuxheures tapantes ce soir, vous combattrezuncercledevampires.Lanouvellereinedesvampiresetsoncercle,pourêtreprécis.Etpourtant,vouschoisissezderenoncerànotreprotection.VouspréférezrencontrerlesAeris.Pourquoi?
Ilinclinalatêtesurlecôté,avecunsourirepresqueimperceptible.–Parcequejepensepouvoirremportercecombat.–Etsivousmourezdeceprélèvementdesang,celan’auraplusd’importance.–Oh,quesi.Ilfautqu’elletombeavecmoi.Pourtouteréponse,Laertesecontentad’unsourireédenté.Jeluioffrismonpoignet.
Chapitre23Vickendutêtreretenupardeuxhommesennoirquiétaiententrésdanslasalle.Jeneregardaipasmonsangse
déverser dans le grand récipient de verre. Je tâchai d’ignorer les battements de mon cœur dans mes veinestranchées.Matêtecommençaitàtourner,mesjambesàcéder,lorsquesoudaintoutviraaunoir.
J’essayaideclignerdesyeuxunefoisoudeux,maismespaupièresétaientcollées.J’auraisvoululeverlesbras.Ehbienfais-le!Lèvelesbras,Lenah.J’essayai,maisenvain.Jefisunenouvelletentativeengémissant,maismesmainsétaientsilourdes…Jetâchaidemeconcentrer…toutn’étaitqueténèbres.Laertesepenchaau-dessusdemoipourscrutermonvisage.Oh,Seigneur.Ilvoulaitmetuer.Ill’afait.Ilm’apiégée.–Peuxpas,soufflai-je,etcefuttoutcequejeparvinsàdire.Laerteextirpaunpetit flacondesplisde sonvêtement.Unminuscule tubedeverreemplid’un liquidebleu. Il
soulevamamaindusol,etellesemblaflotterenl’airdanslasienne.Unsombrefiletdesangcoulaitdemonpoignet,lelongdemonavant-bras.Illaissatomberdessusdeuxpetitesgouttesdeliquidebleu.Celui-cimebrûlacommedufeu,maissansmefairedemal.Lapeaucicatrisaimmédiatement.
Enquelquessecondes,lesangquicoulaitsurmonbrassemblasefondredansmapeau,neplusfairequ’unavecmachair.Peuaprès,mesmainsetmesdoigtssemirentàmepicoter.
–Votresangvaserégénérertrèsrapidement.Nevouslevezpastantquevousnepourrezpasbougerlesorteils.Bonnechance.
Etenquelquespas,ildisparut.Jegisaisimmobileausol.Latempératureétaitfraîchederrièrematête.Lepoidsdemoncorpssemblaitsefondre
dansledallageglacéendessousdemoi.Attendez…Jepercevaisbienlatempérature.Jetentaid’appuyersurlesolavecmespaumes.C’étaitfaisable.Mesdoigtsse
replièrent et je cherchai àme relever. Je retombai aussitôt enme cognant le crâne par terre. Je gémis, essayaiencore.Poussesurtesbras!Lesmusclesdemonventreentremblaient.Pousseencore,Lenah!Jem’assis,soufflaietregardaidevantmoi.Iln’yavaitlàqu’unmurdepierre.Pasdefenêtre.Jecontemplaileplafond,lespiedsencoreengourdis.Ilétaitenonyxnoir,etbienqu’iln’yaitnifenêtresnichandelles,j’arrivaistoutdemêmeàyvoir.Derrièremoi, une porte en bois à poignée noire. Un rai de lumière dorée passait en dessous. La seule issue.Mais je nepouvaispaspartir,Laertemel’avaitdit.Pastantquejen’auraispasfinideparleraveclesAeris.
Lesjambestenduesdroitdevantmoi,jemetordislecoupourobserverlefonddelapièce.Laportecommençaàbrillercommesiunelampeavaitétédirigéedessus.Faisantlentementpivotermeshanches,
jeme plaçai face aumur de pierre. J’utilisaimesmains, qui étaient de plus en plus fortes à chaque instant quipassait, afin de me hisser pour faire face à la lumière. Mes jambes, lourdes comme une queue de sirène, mepicotaient.
Exactementcommesur le terraindetirà l’arc,une lumièreblanchesemitàcroîtreàpartird’uneétincelleaucentre de la pièce. Elle grandit encore et encore, jusqu’à ce que toute la salle soit baignée d’une luminositéaveuglante. À l’intérieur de cette lumière se dessinaient les contours de centaines de corps. Et même la petitesilhouetteenfantine.
LesquatreAerissematérialisèrentdevantcetocéandecorps,s’avançantàl’unissoncommeellesl’avaientfaitsurlacolline.LeFeuouvraitlamarchedevantlestroisautres.
L’êtrebaissalesyeuxversmesjambes.Lespicotementss’étaientcalmés,jesavaisqu’ilsallaientbientôtcesser.–Pardonnez-moi,dis-je.J’aimeraismelever,maisj’ensuisincapable.LeFeusepencha,sibienquesarobe,pendantsursesgenoux,flottaau-dessusdusol.LestroisautresAerisle
rejoignirent àmes pieds. Ensemble, elles empilèrent leursmains les unes sur les autres et les posèrent surmeschevilles. Leur pression me fut douce comme une pluie de pétales ; ces créatures étaient si légères, mêmelorsqu’ellespesaientsurmoidetoutleurpoids!
Ellesenvoyèrentquelquechoseenmoi,unjaillissementdelumière,unesourcevived’amour,devie…jenesavaispasau juste. J’inspiraiunegrandeboufféed’airet serrai lespoings.Puis jepassai lespaumessurmescuissesetsentisladouceurdemapeausousmesvêtements.
JemelevaisanseffortdevantleFeu,tandisquelestroisautresseretranchaientderrière.–Merci,répétai-jeàchacunedesentités.Touràtour,ellesinclinèrentlatête.–Tufaispreuved’ungrandcourage,meditleFeu.Jerépondisaprèsunehésitation.–Jeregrettedenepasavoircomprisplustôt.–Pourquoinousas-tufaitappeler?– Je reconnais qu’unepartie demoi voudrait vous implorer.Vous supplier d’annuler le décret qui nous sépare,
Rhodeetmoi.Jen’aipaspluscherdésiraumonde.–Mais…,m’encouragealeFeu.Lacréatureportaitsarobevermillon,etsachevelurecrépitait:desbouclesdeflammesrougesquicrachaientune
lumièremandarineetor.–Jemesuisbrûlée,jetéedanslesbrasdumalpourdévieruneattaquedevampire.Je levaimon poignet pourmontrer au Feu le pansement qui protégeait encorema brûlure,mais celui-ci avait
disparulorsquelesAerism’avaientguérie.Jelaissairetombermonbras.
–LesÉvidésvoulaientétudiermonsang.IlsontdemandéàRhodederenonceràsonamourpourmoi.LesyeuxrougesduFeumehérissaientlapeau.Lacréaturem’adressaunsourirecompréhensifetpresquefier.–Etaprèstoutcela,savez-vouscequejesouhaite?demandai-je.–Dis-le-moi.Sapeausemblait luirede l’intérieur,commesideminusculesoragesavaientéclatéendessous. Jecherchai les
motslesplusprofondémentenfouisdansmoncerveauetdansmonâmehumaine.Jechuchotaimaconfessionlaplussincère,uneconfessionquejen’avaisfaitequ’unefoisdansmavie,àTony,avantsamort.
–J’aimeraisn’êtrejamaisentréedanslevergercesoir-là.JevoudraisêtremorteauXVesiècle,commelevoulaitl’ordrenatureldeschoses.
Mavoixsebrisa.J’avaislesyeuxbrûlantsdelarmes.LeFeu,sanscesserdemeregarder,hochaunefoislatête,lentement.Lacréaturefitensuiteunpasdecôtéetje
metournaiverslalumièreblanche.Unesilhouettesedétachadesformesindistinctes.Celled’unjeunehommevintseposterprèsduFeuetseprécisa,peuàpeu,jusqu’aumomentoùjecomprisdequiils’agissait.Despiercingsdanslesoreilles,unsourirechaleureux,lesmainsdanslespoches.
Tony.Reconnaissableentretous,danssescouleursetdanssavie.Uneexplosiondechaleurirradiademapoitrinejusquedansmesmains.
Ilmeregardadanslesyeux,maisneditrien.–Tumemanques,mehâtai-jedechuchoter.Ilrecula,unsourireauxlèvres,etdisparutdanslalumière.Lederniertraitclairetdistinctquejevis,cefurent
sesjouesenpommed’apilorsqu’ilsourit.LeFeuinclinalatête.–Parfois,c’estladécisionlaplusdifficilequinouslibère,ditlacréature.Je tentai de retrouver Tony, mais le contour de ses épaules et ses mains d’artiste n’étaient plus qu’un rayon
lumineux.Jerespiraiàfond.–Jeveux…,commençai-jeenregardantleFeudanslesyeux,etàpartirdelàchacundemesmotsfutsincère.Je
veuxcequevousm’avezproposésur lechampde tirà l’arc.RetournerauXVe siècle.Mais seule. (Je reprismonsouffle.) JesaisqueRhodeétaitdéjàvampireà l’époqueetqueleseulmoyenpourquenoussoyonsensembleestqu’ilm’yrejoigne.Latentationseraittropforte.C’estpourquoijevousdemandequ’ilresteici,autempsprésent.
–Qu’ilreste?–Ilestmortpourmoi,oudumoinsilaessayé.Jeveuxqu’ilvive.S’ilsesouvientdesonpassé,ildeviendrafou.
Donc,jevousdemandeaussid’effacersamémoire.Qu’ilviveetaitunefamille,qu’ilsoitlibre.–EtVicken?Situretournesdanslepassé,ilretourneraauXIXesiècle.Ilnedeviendrajamaisvampire.Unsouvenirmesubmergeamomentanément.Vickenenuniformebleudesoldat.Ildansesurunetable,lanceses
jambesenavant,sourit.Ilestensueur.Ilesthumain…etilestheureux.–Iln’auraitjamaisdûvivrejusqu’àcetteépoque-ci.LeFeus’approchademoi,sortantdela lumièrepourentrerdanslapénombredelapièce.Lacréatures’arrêta
pilesurlalignededémarcation.Lalignequiséparaitsonuniversdelumièreblancheetlemien,faitd’ombreetdelumière, lemondedesmortels.Elleme regarda, inclina la tête sur le côtéetm’adressaunnouveaupetit sourirepincé.
–Toutcycledoitallerjusqu’àsonterme.Lesoleilquiselèvelematindoitsecoucherlesoirvenu.L’étincellequiéclairelemondedoits’éteindre.Achèvecequetuascommencé.Briselecycledurituel,etceserachosefaite.
–Alorssitôtquej’auraivaincuAva,vousmerenverrezdanslepassé,commejelesouhaite?LeFeuhochalatête.–Etmesvictimesserontlibres?Ettousceuxquiontététuésparlesvampiresquej’aicréés?Lamasseblanchedesâmes,derrièrelesAeris,ondulaetpalpita,commeagitéeparunebriselégère.–Touteslesâmesserontlibérées.–Maisceneserontplusdesâmesblanches?–Ellesferontleurproprechemin,commeellesauraientdû.Etcommeill’avaitfaitsurleterraindetir,leFeucommençaàs’estomper;déjàj’apercevaislemurdepierreà
traverssoncorps.–Quandceseraterminé,tumonterassurleterraindetir.Auprochainleverdusoleil,tuserasrenvoyée.–Etlecombat?Sijemeurs?L’Eau,laTerreetl’Airs’effacèrentdanslalumière,tandisqueleFeubrillaitànouveaud’unelumièreplusviveque
jamais.L’êtres’approchademoietpritmesmainsdanslasienne.Sapeauétaitdoucecommedusatin.–Jemefieàtoipourtriompher,Lenah.–Pasmoi.L’entitéfitunpasversmoietmesoufflad’untongrave:–Lesavoirseralaclé.–Lesavoir?Maisque…Jemetus,carelleregardaitlamassedegenss’effacerderrièreelle.–Lesmorts,reprit-elle,nesemontrentpasauxvivants,àmoinsqu’ilsneleméritent,àmoinsqu’ilsn’aientune
âmeblanche.–Maismonâmen’étaitpasblanche.Jel’aivuedansleplafondd’onyx.Elleétaitgrise.LeFeus’éloignaverslesfinslambeauxdelumière.–Tusais.Mabouches’entrouvritetpourlapremièrefoisdepuis,mesemblait-il,uneéternité,jesouris.–Attendez!m’écriai-jeenfaisantunpasversl’apparition,quivacilladevantmoicommeunechandelleentrainde
s’éteindre.Rhode.Sera-t-ilheureux?LeFeusouritets’évanouitdanslenéant.
Jepivotaialorsverslaporteettournailapoignée.Jem’attendaisàmeretrouverdanslabibliothèque.Aulieude
cela,jesortisdirectementsurleperrondelamaison,danslesoleildelafind’après-midi,etdescendissurl’alléedebrisuresdecoquillages.J’abritaimesyeuxdelalumière.Vickenselevad’uncoup.Ilm’avaitattendueassissurlamarchedubas,faceaulongchemin,enfumant.
Ilmepritaussitôtdanssesbras,et jem’accrochaiàsesépaulesminces. Il sentait le tabacet lacitronnelle. Jerestailàunmoment,àprofiteraumaximumdesaprésence.
–En fait, j’ai vraiment eumal au cœur, dit-il – et j’écoutai sa voix grave vibrer dans son torse.Maintenant, jecomprendscescrétinsd’humainsquandilsdisentqu’ilssontmaladesd’inquiétude.
–Toutvabien,dis-jeenmereculant.
–Vingt-deuxheures,cen’estquedanssixheures,Lenah.Ilfautqu’onparte.Jecherchailesclésdansmapocheetlesluitendis.Maisaulieudecouriràlavoiture,ilmeposaunequestion.–Alors?Onsebat?–LeFeum’aditquequoiqu’ilarrive,ilfallaitvaincreAvaavanttoutechose.Celabriseralecycledurituel.–Briserlecycle?–SinousdétruisonsAva,lemondeserapurgédurituel,situveux.–Excellent.Est-cequel’ÉdentéouMissTout-Feu-Tout-Flammet’aditcequisepasserasiongagne?Cela,jenepouvaispasleluirévéler.Ilauraittentédemeconvaincrederesteràcetteépoque-ci,d’insisterpour
quenousrestionsensemble,parcequec’étaittoutcequ’ilavaitconnudepuiscentsoixanteans.Maisilfallaitquejelerenvoiedanslemondeoùilavaitsaplace.
Jesecouailatêteetparvinsàsouriretandisqu’uncalmeétrangemesaisissait.Nousremontâmesenvoiture.Enchemin, détendue contre mon appui-tête, j’écoutai le ronronnement du moteur. Le moteur, la radio, le levier devitesses.Jeregardaisdéfilerlesréverbères.Jedévoraistoutdesyeux.Toutcequin’existaitpasen1418.
En entrant dans mon appartement, je m’attendais à m’y retrouver seule, mais quelqu’un était assis sur moncanapé.Grandcorpsvoûté,cheveuxnoirsenbataille.Lorsquej’avaisretrouvémonhumanitéetqu’ilétaitsortisurlebalcon,ilétaitsûretcertainqu’ilallaitmourir.Rhodesetenaitlatêteentrelesmains.Illarelevaenm’entendantarriver.
–Qu’est-cequetufabriquais?medemanda-t-il.Jem’assisàcôtédelui.Ilmedévisageaitavecdegrandsyeux.–Pendantdesmois,j’aicruquetuvoulaistefairedumal,quetutepunissais,luiavouai-je.Quetunepensaispas
méritertonhumanité,oujenesaisquoi.–Qu’est-cequitefaisaitcroireça?– Depuis ton retour d’Hathersage, j’ai eu des connexions avec toi. J’ai lu dans tes pensées. Parfois dans tes
souvenirs.Etj’aimalinterprététadouleur.C’estcequim’estarrivédanslepalaisdesglaces.–Desconnexions?–Jecroyaistevoirperdrepiedalorsquecequejevoyais,c’étaittalutteaveclesÉvidés.C’étaittonincapacitéà
renonceràtonamourpourmoi.Rhodeserembrunitetselevaducanapé.–Jevois.Tuasdoncdécouvertmarelationaveceux,dit-ilens’approchantdemonbureau.Il posa lesmains dessus et baissa lementon sur sa poitrine. Je regardai lesmuscles puissants de son dos se
contracteràtraverssonfintee-shirtpendantqu’ilparlait.– Quand je me suis éveillé après le rituel, tu étais sur le canapé, endormie. J’ai simplement continué de te
regarder.Humaineenfin,enfin,toiquil’avaisvoulusifort.Ilsetournaversmoiets’appuyaaubureau.J’avaistroppeurpourprononcerunmot.Peurque,sij’interrompais
sespensées,ilcessedemedirecequej’avaissilongtempsattendud’entendre.–Jen’aipum’empêcherd’êtreébloui. J’étais fier,dit-ilensecouantrapidement latête.Deceque j’avaisréussi
avec le rituel. C’était une première, c’était inouï. Une simple combinaison d’herbes et d’incantations… maisl’intention–l’ingrédientcrucialetleplusvariable–avaitétél’élémentleplusdifficileàtrouver.Carnousdevionstousdeuxlatrouverennous-mêmes.
Rhodefaisaitàprésentlescentpasdevantmoi.– J’avais donc deux possibilités. Soit je te réveillais et nous pouvions commencer notre vie commune, soit je
pouvais te laisser vivre une vie dans laquelle je n’intervenais pas. J’avais une telle dette à régler… Une detteconsidérableenversSuleen…Jeluiétaisredevable.
Ilcaptamonregardet,mêmesijenecomprenaispastout,jesentisquenousyétions,aubord,toutauborddelavérité.
–J’avaisaussiunedetteenverstoi,poursuivit-il.Jetedevaisunechanced’êtrehumainesansquej’interfère.J’aichoisidepayermesdettes,croyantquetupourraist’acclimateràtaviehumaineetquesitoietmoidevionsnousremettreensembleunjour,jepourraist’expliquercelaplustard,avecletemps.JesuisdoncallévoirlesÉvidés.Ilsm’ontpromisdeteprotégerpourtouteladuréedetaviehumaine,àconditionquetu…(Ilhésita.J’étaissuspendueàseslèvres.)Ilsm’ontimposéunetâcheimpossible,Lenah.Ilscomptaientsurmoipourleurlivrerl’amour.L’amourvéritable.Sijeparvenaisàlecapturer,sijetrouvaisdesincantationsoudessortsquipuissentmel’enleverpourquejeleleurdonne,ilsteprotégeraient.Tuseraislibéréedesténèbresquit’enveloppaientdepuisdessiècles.
Ilpritunephotodemoisurlebureauetjemedemandaimomentanéments’ilallaitlajeteràtraverslapièce.–J’aiéchoué,dit-ild’unevoixàpeineaudible.EtjemesuisretrouvéendettéenverslesÉvidés.Taprotectionaété
levée.Vickenestarrivé,etj’aitroptardéàtesortirdeLoversBay.Jegardailesilence,lesyeuxrivéssurmesmains.JenepouvaisimaginerRhodeéchouantàquoiquecesoit.–Oùes-tuallé?demandai-jed’unevoixrauque.–Jesuisrepartienquête.Jusqu’auxcoinslespluséloignésdelaterre.Ànouveau,j’aiéchoué.(Iltombaàgenoux
devantmoietposalesmainssurmescuisses.)Unefoisqu’onenlèvel’amouràquelqu’unparlamagie, ilnepeutplus jamais aimer. Il n’est pasmauvais, il n’est pas en colère, il est creux et vide, ce qui est presquepire. Je nepouvaispassiphonnerlavied’unautre.Jel’avaisfaitpendantdessièclesenpompantlesangd’autrui.
L’idéedeRhodefaisantcelamedonnalachairdepoule.– Jenepeuxpascomprendrecetypedemaléfice.Àmonretour…(Ildéglutit,etmitunmomentàseressaisir.)
LorsquejesuisrevenuàLoversBaypourledireauxÉvidés,onm’aapprisquetuavaisétéretransformée.Ilagrippamesgenouxetjevoulusleretenircontremoi.Jevoulaisluidirequecen’étaitpasgrave.– J’ai vu ta vie commeun orbe doré suspendu devantmoi.M’attirant comme le plus brillant des soleils. Je ne
craignaispastalumière.–Maistun’aspaspurenonceràtonamourpourmoi.–Jen’aipaspu,répondit-ilàmi-voix.Jenelevoulaispas.Ilétaittempsquejeluidiselavéritéenretour.–J’aipasséunmarchéaveclesÉvidés,Rhode.Jeleuraidemandéd’appelerlesAeris.Sonregardremontavivementversmonvisage.Ilretirasesmainsdemesjambesetl’atmosphèredelapiècese
modifiaconsidérablement.–Ilsnefontjamaisrienpourrien.Qu’est-cequetu…?–Enéchangedemonsang,lesangd’unvampirequiasuforgerlalumièredusoleiletsurvécudeuxfoisaurituel,
ilsontappelélesAerispourmoi.Jedéglutis,luttantpourgarderlecontrôlesurmesémotions.Rhodeselevaetdonnauncoupdepieddanslatablebasse,envoyantdeslivresetdesstylosvolerdanslesairs.Je
tressaillisetdétournailesyeux.
–Commentas-tupu?Onnepeutpas leur faireconfiance,Lenah.Tunepeuxpasprévoir lesconséquencesdecettetransactiondanslesannéesàvenir.Ilsaurontcesang.Ilsontcettemagie.(Ilpassalamaindanssescheveux.)Tuauraispuêtretuée.
–Jenesuispasmorte,Rhode,lâchai-jed’unevoixépuisée.Jecontemplailacourbedesanuque,lapetitebandedepeauquidépassaitdesontee-shirtnoir.J’auraisvoulula
touchertantqu’ilétaitencoretemps.–Etpourquoias-tufaitvenirlesAeris?Pourêtreprotégéedesvampirescesoir?Lenah,ilenviendratoujours
d’autres.Leuras-tudemandéd’annulerleurdécret?–Non!m’écriai-jeetilsoupirasansrienajouter.Tumesous-estimestellement!Tumeprendstoujourspourune
petiteégoïste.Tesouviens-tudecequ’avaitdit l’Aeris?Quenousétionsdesâmessœursetqu’ellesnepouvaientriencontrecela?
Rhodehochalatêteunefois.–Pendanttoutcetemps,j’aipenséàmoi.Àtoi,àmoi,àcequenousnepouvonspasavoir.Jenem’étaisjamais
souciéedesgensquiméritaientvraimentlajustice.–Lenah…–Non,lecoupai-je.Plusdemanières.IlnousfautbattreAva.LeFeul’abienspécifié.Unefoisquenousl’aurons
tuée,auleverdusoleil,jeretourneraiauXVesiècleetleFeuannuleratouteslesatrocitésquenousavonscommises.Nosforfaitsseronteffacés.
–Quoi!?– Pourquoi ne nous sommes-nous jamais souciés des gens qui se tenaient dans la lumière blanche derrière les
Aeris?DeTonyoudeKate,ouencoredeClaudia?MêmedeJustin?Dieusaitoùilestencemoment,etmêmes’ilestencoreenvie.
–Lemondemédiéval…,commençaRhodeavecunsoupir.–Mavieserabrève.Jememarieraijeune,mourraijeune.Maisj’auraiunevie,Rhode.Etnousépargneronscelle
detousceuxquenousavonstués.Ilsemblaréfléchiràquelquechose,puissemitàparler.–Maisjenepeuxvivresanspouvoirt’aimer,dit-il–cequimedéchiralecœur.Jeseraidéjàvampirequandviendra
leXVesiècle,etjet’observerai.Jet’attendrai.J’avalaimasalive,rassemblantmesforces.Maisjefusincapabledeleregarderpourluirépondre.–J’aitravailléaussi là-dessus.LorsquejeretourneraiauMoyenÂge,turesterasici,sansaucunsouvenirdeton
passé.TuserasunRhodededix-septans,avecunefamille.Unjeunehommeavectoutelaviedevantlui.–Non,Lenah.Cen’estpasjuste.Tunem’aspaslaissélechoix.Jem’avançaibrusquementverslui,ledoigtpointéenavant,l’obligeantàreculerjusqu’aubureau.–Non !m’écriai-je.Non.C’estmoi qui n’ai jamais eu le choix.C’est toi qui es entré dansmon verger etm’as
vampirisée.Toutcequiadécoulédecetévénementseraannuléparmadécision.Jereprismonsouffledansl’instantdesilencequisuivit.–M’as-tujamaispardonné?demanda-t-ilalorstranquillement.–Et toi ? Je t’ai vu.Tuasdit àSuleenque tun’étaispas sûrdepouvoir le faire.Quecen’étaitpeut-êtreplus
possibledemepardonneraprès…aprèscequej’avaisfait.Mavoixsebrisa,c’étaitplusfortquemoi.Rhodeetmoin’étionsséparésqueparquelquescentimètres.Jelussursonvisageque,soudain,ilcomprenaitque
jesavais.–C’estunsouvenirquej’aieuilyaquelquesmois.J’airegrettécesproposparlasuite.–Donc,tonsouvenirétait…–Unepenséequim’estvenuesurlemoment.Maisalors,tuétaisbienconnectéeavecmonesprit!Jeprisletempsdedigérerl’information.–Alorstum’aspardonné?demandai-jeàvoixbasse.Jemepenchaiversluietapprochaimeslèvresàquelquesmillimètresdessiennes.Ilbaissalatêteversmoi…nous
aurionspunousembrassersifacilement!Sonsouffleétaitsidouxsurmabouche…–N’est-cepascequejet’aitoujoursdit,Lenah?Tuesmonseulespoir.Ils’inclina,justeunpeu,etnoslèvress’effleurèrent.J’étaissurlepointdedonneràRhodeunbaiserdemortelle,
pourlapremièrefoisdemavie.–Jet’aime,Lenah,souffla-t-il.J’étaisperduedanslapossibilitédeslèvresdeRhodecaressantlesmiennes.Moncœurchantait,chacundespores
demapeauréclamaitsacaresse.Jevoulaisnefairequ’unavecsonâme.Bam!Onfrappabrutalementàlaportedemonappartement.Nousnousséparâmesd’unbond.–Jevaisouvrir,ditRhode.Lorsqu’ils’éloigna,l’airentrenousmeparutétrangementsouillé.Vickenétaitdanslecouloir,toutdenoirvêtu,lescheveuxplaquésenarrière,cequiaccentuaitlestraitsdeson
visage.Ilsouriait,lèvresfermées,d’unairmystérieux.Puissonsourires’élargitetdeuxcrocstrèsfins,trèsblancs,miroitèrent.
–Ouah!fitRhodeenreculant,etmonmoralremontalorsqu’ilsemitàrire.–Tuesdéguiséenvampire?lançai-je.Rhodesecoualatêteetseremitàpouffer.–Quoi?fitVickenenhaussantlesépaules,commesiçaavaitétélachoselaplusnormaledumonde.–Magnifique!commentaRhode.Ilouvritsonsacdesportetensortitsonépée.Lalameargentéeaccrochalalumièreetprojetadecourtsrayons
surlesol.– F’est ironique, expliqua Vicken, que ses fausses dents empêchaient de fermer complètement la bouche.
Vegardez-vous,fouslesdeux.Lamenfable!Oùfontvoscoftumes?Funepeuxpasfepointeraubalavecuneépéefurledosetriend’autre!
Rhodeindiqualesacouvertparterre.–Jemesuisoccupédeça.(Ilretournalesac,etcinqpoignardsentombèrent.)Allez,aidez-moi.
Chapitre24Desdentellesblanchescousuessurdestissusbonmarché;desvisagespeintspourévoquerdesdémonsoudes
anges.PartoutsurlecampusdeWickham,lesélèvesétaientcostuméspourcettenuitdubald’Halloween,l’ultimesoiréedelaNuitRouge.Lesdécorationsétaient soulignéespardesgyrophares rougesetbleus : il yavaitdesvéhiculesdesurveillance
pleinlesallées.C’étaituntoutnouveauWickhamquejevoyaislà.UnWickhamapeuré.UnWickhamsouilléparlasoifdesangdesvampires.JecherchaidesyeuxlahautesilhouettedeJustin,maisnelevisnullepart.Rhode,Vickenetmoiétionsdansl’alléequipassaitdevantSeekerHalletregardionsnoscamaradestraverserla
pelouseendirectiondubâtimentHopper,quiabritaitlegymnase.Jeresserraisurmondosmonbaudrier,c’est-à-direunesangledecuirquiretenaitl’épéecontremoi.Elleglissaitàchacundemesmouvements.–Redis-moiunpeufequet’aditleFeu?medemandaVickenpourladixièmefois.–«Lesavoirseralaclé.»–Laisseztomber lesmessagescryptiquesdesAeris. Il fautresterconcentrés,grommelaRhodesansquitterdes
yeuxlecampusplongédanslanuit.–Laerteadit:vingt-deuxheures,luirappelai-je.–Alorsf’estfacile!intervintVicken.Onattendqu’ilfoitdixheures,etlàonfrappe.– Mais on ne peut pas laisser tout le monde là-dedans sans surveillance, objecta Rhode. On va au bal, et au
moindredétail sortant de l’ordinaire, on se bat.N’oubliez pas qu’il faut isolerAvade son cercle pour queLenahpuisseluitranspercerlecœur.C’estcapitalqu’elleréussisse.–Oui,ditVickenens’efforçantderentrersondentierpourfermer labouche.Maistuoubliesquelquechosede
trèsimportant.–Oui?–Ilyauradescentainesd’élèvesdanslasalle.Nousallonsdevoirnousrévélerdevanteux,enpublic.Rhodem’envoyaun regardentendu.Nousconnaissions tousdeux les changementsqui surviendraientà l’aube.
Nousdevionstriompher–fautedequoinousresterionscoincéslà,soumisaudécretdesAerisetauxvampiresquicherchaientlerituel.–Allons-y,décidaRhode.Je n’avais pas parlé à Vicken de mon choix de retourner auMoyen Âge. Il méritait de savoir, certes, mais je
n’auraissucommentluiexpliquermadécision.–Onvousadéjàditquevousétiezmagnifiques?repritVickenennoustoisant,Rhodeetmoi,delatêteauxpieds.–C’étaientlesseulscostumescompatiblesavecl’épéedeLenahetmesflèches,sejustifiaRhode.NousétionsdéguisésenVikings.Dansd’autrescirconstances,j’auraisriàgorgedéployéeetpeut-êtredemandéà
êtrepriseenphoto.Lesseulsbalscostumésoùnoussoyons jamaisalléss’étaienttenusauxXVIIeetXVIIIesiècles.Ceciétait toutdifférent.Moncostumeserésumaitàunmaillotdecorps,unshortetdesbottesgarniesdefaussefourrure.Celui deRhode se composait d’unkilt etd’undébardeurnoir. Je tentaisd’ailleursdenepasme laisserdistraireparlescourbesdesesbicepsetdesondosmusclé.Si,moi,j’avaisunbaudrier,Rhode,lui,portaitsurledosuncarquoisgarnideflèches.Lesplumesdépassaientau-
dessus.Iltenaitàlamainsonarc,unearmenoireetprofiléed’aspectmoderne.–Porte-la,toi,m’avait-ilditenattachantl’épéedansmondos,toutàl’heuredansmonappartement.–Maiselleestàtoi,avais-jeprotestétandisquelessanglesseresserraientetquel’armepesaitsurmesépaules.–Non,jen’aifaitquetel’emprunter.(C’étaitlàuneallusionaujouroùils’étaitrendusurlatombedeTony.)Sije
tel’aidonnée,cen’estpaspourrien.Il s’était alors forcé à me faire un demi-sourire triste. Je ne l’avais jamais questionné sur sa cérémonie au
cimetière.En route pour le gymnase, je fus obligée d’admirer les efforts de la direction du lycée pour les décorations
d’Halloween.Enfin,toutétaitterminé.Desguirlandesnoiress’enroulaientautourdesarbreslelongdesallées,desguirlandeslumineusesorangeclignotaientcommedesluciolessurtouslessupportspossibles.Wickhams’efforçaitderéunirtoussesélèvesdansunemêmecélébration…CelaauraitpluàTony.Lesgensétantemmitouflésdansleursmanteauxd’automne,onn’apercevaitquedesbribesdecostumescolorés.
Pourmapart,j’avaischaud–sansdouteunexcèsd’adrénaline.Vicken,Rhodeetmoimarchionsdumêmepas,enéquipe,commedessoldats, chacunportant sesarmes.Nous
étionsàprésentdansl’alléequimenaitàHopper,justedevantlacollineduterraindetiràl’arc.CequimerappelaSuleen, lequelnes’étaitpasmanifestédepuisplusieursmois.Mêmequandj’avaiseuterriblementbesoindelui, iln’étaitpasvenu.Vestigesducarnavaldel’après-midi,lesstandsdesélèvesétaientencoredebout.Enrevanche,lesprofessionnelsengagéspourl’animationavaientremballéleurpalaisdesglaces.Nousmarchionsderrièredescamaradesdeclasse.J’aspiraisdelonguesgouléesd’airfrais;lesodeursducampus
m’éclaircissaientlesidées.Herbemouillée,airpropre,etleparfumdel’océantoutproche.Jem’efforçaisdenepasdire«aurevoir»,maisjesavaisque,d’unecertainemanière,j’étaisdéjàentraindepartir.Droitdevant,nousavionsunevuedégagéesurlecampus,ycomprissurlesboisquis’étendaientderrièreHopper.Lorsque les portes s’ouvrirent juste devant nous, il y eut des clameurs de joie, et unemusique tonitruante se
déversajusquedansl’allée.Pendantcetemps,jem’exhortaisànepasoublierquel’électricitépouvaitilluminerles
ténèbres;quelecafépouvaitcoulerinstantanémentdansunetasse;quelamusiquecommecellequipassaitencemomentdanslegymnasedevraitrestercachéeaufonddemoncœur,oùj’espéraisl’entendreàjamais.–Lenah!JemeretournaietdécouvrisTracy,enjeanetmanteaunoir.Ellecourutversnous.Lorsqu’ellenouseutrattrapés,
jevisqu’elleavaitlesyeuxrouges.–Jevousaicherchéspartout,dit-elle.–Qu’ya-t-il?–Justin.–Desnouvelles?demandai-jed’unevoixpaniquée.–Toujoursintrouvable.Sadisparitionestofficielle,maintenant.–Ettoi,tutienslecoup?– Jenesaispas. J’espère justequ’il vabien. (Mais son regardparlait clairement : ellecraignaitqu’ilne soit la
nouvellevictimed’Ava.Elleentremblait.)Royestrentréchezsesparents.Lesflicsn’ontaucunepiste.Ilsn’ontpastrouvédemot,paslemoindreindice.Etvous,vousavezquelquechose?Pourlapremièrefois,ellenousregardavraiment.Jenepusm’empêcherdevoirsesyeuxpasserdemonépéeà
l’arcetauxflèchesdeRhode.ElleterminaparVicken.–Tues…Tuesdéguiséenvampire?demanda-t-elle,médusée.Jedéglutisnerveusement.Vicken,espèced’andouille!MaisunfaiblesourireapparutsurlevisagedeTracy.–T’esunpeutordu,toi.Ilouvritlabouchepourrépliquer,maisMrsWilliamsnousinterrompit.–Allez,venezdonc!dit-elleennoustenantouvertelaportedugymnase.Elleportaitundéguisementdesourisetavaitdessinédesmoustachessoussonnez.Alorsquej’entrais,elleposa
unemaindoucesurmonépaule.–Ilslecherchent,chérie,medit-ellepourmerassurer.J’auraisdûêtreplus inquiète,maisquelquechose, loinaufonddemoi,medisaitcequiallaitsepasser.C’était
peut-êtreunsixièmesens,venuduvampireenmoiquiavaitétésipuissantautrefoisetavaitrégnénonpassurdescentainesmais surdesmilliersd’immortels.Cettepuissantepartiedemoiquimedisaitqu’Avadétenait Justinetqu’il joueraitunrôledanssaluttepourlepouvoir.Celasignifiaitqu’ilsepréparaitànousjouerunsaletour,qu’iln’étaitpasredevenulegarçonquiaimaitlescoursesenhors-bord,etqu’iln’allaitpassurgiraubalflanquédesonfrèreRoy, souriant et riant aux éclats. Énoncer tout cela à voix haute aurait rendu la réalité trop présente, tropdifficileàsupporter.C’étaitau-dessusdemesforces.Mêmel’expliquerdiscrètementàTracyauraitététropdurpourmoi.–Jel’aime,tusais,medit-elleens’arrêtantentrelesportes.Pascommeavant.Ilestmonami,maintenant.Jeposaiunemainsursonépaule.–Jesais.Jeferailenécessaire.Ava allait l’utiliser comme appât. Un appât pour nous faire venir à elle et nous obliger à combattre. J’y étais
préparée.Mêmesijen’étaisplusamoureusedeJustin,j’étaisdéterminéeàlesauver.Nosbottessemêlèrentbientôtauxescarpinsetauxchaussuresdesdiversdéguisements.Tracymejetaundernier
coupd’œilavantd’entrerdanslegymnase,etjevistoutelaforceprésentesoussoninquiétude.Seuleunehumainetrèsparticulièrepouvaitserendredansuncimetièrepourcombattreunvampire.Rhodeetmoiallâmesnousplacerdanslaqueuesansriendire.Tracyretrouvad’autresélèvesdeterminaleassis
aufonddelasalle.J’avaistressémescheveux,quitombaientdansmondosenunelonguenatte.Jenevoulaispaslesavoirdansles
yeuxlorsquejeplongeraismonépéedanslecœurd’Ava.–Bon,soufflaRhode.Encorevingtminutes.–Onfaitletourdupérimètre?s’enquitVicken.Rhodesecouanégativementlatête.–Non,onseplacechacundansunangleetonguettetoutcequipeutsortirdel’ordinaire.J’étaisd’accord.Encouvranttouslescoins,nousaurionschacununeperspectiveégalequellequesoitlaportepar
laquelle les vampires entreraient. À côté de moi se trouvaient trois buffets couverts de nourriture, ce qui fitgargouillermonestomac.Sij’avaisraisonetsiAvaavaitprisJustinenotage,impossiblededirecommentellel’utiliseraitdanscescénario.
Allait-elleme faire sortir seule dans le couloir ? Se donner en spectacle ? Je rajustai le baudrier dansmon dos,serrantl’épéedeRhodecontremoi.Vickenetmoinoustenionsdans le fonddugymnase,dansdeuxcoinsopposés,devant lesgradinsempilés.Son
armeétait dissimuléedans sa botte, et je savais qu’il avait encore deuxpoignards supplémentaires sur lui.Nousfaisions semblantdebiennousamuser.ÀmonarrivéeàWickham, j’avaisespéré réussiràêtreune fillenormale,capable d’oublier les annéespassées àmanipuler les autres et àmenourrir de la joie provoquéepar leur peine.J’étaisextérieureàcemonde-ci,etc’étaitJustinquim’avaitinvitéeàl’intérieur.Plusjamaisjen’enferaispartie.Jetâchaidem’intéresserdemonmieuxà lasoirée.Lesdéguisementsauraientétéréellementamusantssinous
avionseulatêteàcela:deslapins,dessuper-héros,deschats,deschevaliersdelaTableronde.Lesfillesétaientdécolletées et court vêtues, si bien que je neme sentais pas gênée parmon propre costumequi n’était pas trèscouvrant.Legymnaseétaitpleind’élèvesquidansaienttorsecontretorse,siprochesqueleurshanchessetouchaient.Des
gouttelettesdesueurapparaissaientsurlesfrontsetroulaientsurlesjoues.Vickenetmoiétionsauxdeuxboutsdesgradins,l’œilauxaguets.Rhode,enfacedenous,surveillaitl’entrée.Detempsentemps,jelevoyaisdiscuteravecun professeur,mais il trouvait toujours lemoyen de s’excuser rapidement et de retournermonter la garde dansl’ombre.Jejetaiunœilàlagrandependuleaccrochéeaumur.SiLaerteavaitditvrai,Avaavaitdeuxminutesderetard.
Rhodesetenaitdosaumur,lesbrascroisés.Ilcroisamonregardetlesoutintlonguement.Jemeperdraistoujoursdanstoutcebleu.Bleucommelesmilliersdecieuxquej’avaisvusquandj’étaisvampire.Vicken,accompagnéd’unfumetdetabac,vintmerejoindre.Iltournavivementlatêteversladroiteetfixal’autre
côtédelasalle.–Voilàquiestintéressant,dit-ilsimplementd’untongrave.Jesuivissonregard.Cequejevisalorsallaitmechoquerpourlerestantdemaviedemortelle.Jenepouvaisplus
bouger.Jesavaisquejedevaisprotégertousceuxquisetrouvaientdanscettesalle,maismespiedsetmesmainsme
faisaient l’effet d’être détachés demon corps.Mon souffle s’arrêta et je battis des paupières pour tenter demeressaisir.Puisleshurlementscommencèrent.CarJustinétaitlà,maissoncostumen’enétaitpasun.Sonvisageétaitparfaitementglabre,etsesporescomme
gommés.Sesyeuxquim’avaientcontempléeavectantdedouceur,quim’avaientditcombienilm’aimait,étaientàprésentvitreux.Durs.Iln’yavaitpasd’erreurpossible.JustinEnosétaitdésormaisunvampire.
Chapitre25Deuxagentsdesécuritégisaientsansvieausol.Leurscousétaientpliésàunanglebizarre,commedésarticulés.
Morts sur le coup. Avaient-ils eu le temps d’appeler des renforts ? Avaient-ils tenté d’utiliser leur technologiemodernepoursauverleurpeau?Sioui,ilsavaientéchoué.
Justin,àlaporte,tenditunemainenarrièredanslecouloiretintroduisitAvadanslegymnase.Ill’enlaçaparlataille,sepenchaafinde larenversercommepourdanser le tangoet l’embrassaprofondément. J’enrestaibouchebée.Ensemble,ilss’avancèrentd’unpaslent,accompagnésdetroisautresvampires.Justinportaitlepolobleuvifquej’avaisvudescentainesdefoissursondos.
Illuisuffitdefléchirlégèrementlesgenouxpourbondirsurunetabledebuffet.Ilenvoyavolerd’uncoupdepiedlesbolsdechipsetlespetitsfours.
–Bienvenue!cria-t-ilenpointantdudoigtleDJ,quibaissalevolumedelasono.Bienvenueaubald’Halloween.Voussavez,j’avaishâted’êtreàcesoir.
Ils’accroupitettenditunemainafind’aiderAvaàmonteràcôtédeluisurlatable.Justin est devenuun vampire. L’horreurm’écrasa commeun rouleau compresseur.Avaagagné. Elle avait volé
Justinàl’humanité,prissabellechaleuretsavieetl’avaittransforméenvampireglacialdépourvud’âme.Tousdeux,surlatable,serégalaientdelaterreurqu’ilsrépandaient.Laplupartdesgensseblottissaientlesuns
contrelesautrestandisqued’autresétaientparalyséscontrelemur.Unélèvedepremièreavecquij’étaisencoursdesciencesl’annéeprécédentetenditlamainversuncouteau,surlatabledesdesserts.Avantqu’ilaitpulesaisir,Avalongealatablejusqu’àlui,arrachalecouteaudugâteaudanslequel ilétaitplantéetentransperçalecoudugarçon.D’autreshurlementsrésonnèrentdanstoutlegymnaseetunetroupedegensseprécipitaverslasortie.
Lesanggiclaitenungrandarcdecercleetlegarçonagrippalemancheducouteaupourtenter,sanssuccès,des’endébarrasser.Jedusdétournerlesyeux.Jenevoulaispasassisteràsamort,etsesgémissementsmedonnaientlanausée.L’élèvetombasansviesurleparquet.Avaseredressacommesiellen’avaitfaitquechasserunemouche.
–Leprochainquienvisagedes’attaqueràmoimourraaussi,déclara-t-elleavecunsouriremalsain.Personneneseraépargné,sauftoi,moncher.
Je ne pouvais pas détacher les yeux de Justin. Comme il était étrange en vampire ! Il était effroyablementsouverain,etsi fort!Duret sculptural.Lematinoù j’étaisallée frapperà sa fenêtre, il étaitpourtant sidoux, sigentil…SiJustin…Etàprésent,iln’étaitplusrien.Rienqu’uneenveloppenerecelantquecolèreetmort.
Je déglutis avec difficulté. Il fallait que je bouge – mon âme était envahie par ma rage intérieure. Il fallaitabsolumentquejetueAva.Alors,jepourraisréparerleschoses.Justinneseraitplusunvampire.Mesamisvivraient,loindudanger.Toutreviendraitàlanormaleauleverdusoleil.
–Noussommesicicesoircarnousavonsunerequêtetrèsparticulière,annonça-t-elle.DeuxvampiressetenaientauxpiedsdeJustin,montantlagarde.Monestomacseretournalorsquejesongeaià
celuiquej’avaistuéaveclesortdebarrage.Justinétaitsonremplaçant.Avasedétournasoudaindelui,sautaausolets’approchavivementdel’entréedugymnase.Lafouledesélèves
s’ouvraitdevantelleàmesurequ’elleavançait.Tracysetenaitfermementdeboutdevantdesgradinsempilésprèsdumur.Elle adressa un souriremauvais àAva.Ellemijotait visiblement quelque chose.Elle fit un pas en avant,brandissantunobjetquejenevoyaispas.
Ava,d’ungestevif, l’attrapaparsaqueue-de-chevalettirabrutalementdessus.Unéclairargenté,et jecomprisquec’étaituncouteauqueTracyavaitàlamain.Iltombabruyammentausol.Ilfallaitquejelarejoigne.
Alorsquejefaisaislepremierpas,Justinsautadelatable,détournantmonregarddeTracy.–Jeprendslesdeuxautres,mesoufflaVickenenmedépassant.Jenepouvaispasregarder,carmesyeuxétaientrivéssurlesyeuxartificielsdeJustin,quiressemblaientàdeux
billes.Jecherchais,envain,unetracedugarçonhumainquej’avaisaimé.Ilyeutungrandfracasprèsdelaporte.Rhoden’étaitplusàsonposte.Avaavaitprécipitédanslesgradinsun
garçon costumé en footballeur américain, tout en gardant le poignet de Tracy serré de l’autre main. Le garçons’effondramollementausol.
–LecélèbreRhodeLewin!l’entendis-jedire,etcelamedéchiraendeux.Jevouluscouriràtraverslapièce,maisJustinsedirigeaitversmoiàgrandesenjambéeslentes.L’instinctmefitreculer,malgrélefaitqueseulementvingt-quatreheuresplustôt,ilmetenaitencorelamain.Je
retrouvaimon sang-froid et unpeude réconfort en resserrant le baudrier contremoi.MrsWilliamset les autresprofesseurstâchaientd’évacuerlesélèvesparunefenêtredufond.Allez,leFeu,medis-jeenmoi-même.Quelestmonsavoir?Oùestlaclé?Justineutunsourirenarquois,etcefutpourmoicommeunsignal.Jetirail’épéedubaudrieretlatinsdevantmoi.–Lenah!criaRhodejenesaisoù.–Toutvabien!luirépondis-jed’unevoixforte.–J’aitoujoursadmirécetteépée,meditJustinens’arrêtantàquelquespasdemoi.Moncorpsréagissait,maismonespritn’enrevenaittoujourspas.DerrièreJustin,unvampirepoussaitungroupe
d’élèvesdansuncoin.Ilstremblaientdeterreur,etleurmaquillageleurcoulaitsurlesjoues.–Tuvasmedonnerlerituel,dit-ilpendantqued’autresjeunescouraientverslesfenêtresouvertes.Tendant le bras, il attrapa une fille par le dos de son costume. Il la tint devant lui etme sourit avec ses yeux
étrangesetfroids.Sescrocsdescendirent.C’étaitpeut-êtredûaulienparticulierquiexistaitentreRhodeetmoi,maisentoutcasjepercevaissaprésenceà
proximité.Jesentaissonpouvoir,saconcentration.Jen’avaispasbesoinderegarderpoursavoiroùilétait:grâceà
monaccèsdirectàsespensées, jesavaismaintenantqu’ilétaitentraindeleveruncoude,prêtàtireruneflèchedanslecœurdeJustin.Jevoyaisdansmatêtelapointedelaflèche,dirigéedroitsurlui.
JevoyaisaussilevisagedeJustin,mouchetédegouttelettesdesangetdesueur.–Non,dis-jedansmatête.Rhode,tunepeuxpastuerJustin.Jefisunpasdecôtéafindem’interposerentreeux.Rhodenepouvaitplusluitirerdessussansm’atteindre.Illaissaretomberl’arcetlaflèchelelongdesoncorps.–Donne-moilerituel,Lenah,ditJustinenresserrantsapoignesurl’élève.Sinon,jelatue.Non,attends.Encore
mieux.Jelavampirise.Je tenaismonépéedevantmoi.Àcemoment-làseulement, jemerendiscompteque l’élèvequ’ilavaitpriseau
colletétaitAndrea,celleavecquiilavaitflirtéencorerécemment.Elleétaitenlarmes.–Lâche-la,dis-jed’unevoixégale.Jemeforçaiàoublierlegarçonquim’avaitdonnétantdechaleuretd’humanité.Jemeconcentraisurladuretéde
sonregard.–Lâche-la,répétai-jeavecinsistance.Jenesavaispasquoi faire.Toutautourdenous,onentendaitduverresebriser,etunesirèned’alarmehurlait
quelquepartdanslebâtiment.QuedevenaitTracypendantcetemps?JustinprojetaAndreaenavant;elletombasurlesgenouxetrampasecacherderrièremoi.
–Justin.Jesaisquecen’estpastoi.Parfois,l’humainintérieursesouvient.–Jemesouviensdetapuissance,Lenah.Cellequej’aivuel’autrejoursurlaplage.Jemesouviensdetapuissance
devampire.Etj’aitoujoursvoulumel’approprier.Ilallait se jetersurmoi, je le savais.Sesyeuxverts,maintenantsiétrangers, sibizarres, sevrillèrentdans les
miens.J’étaispluspetiteque lui,mais ilmesuffisaitdechoisirunepartieducorps,unesimplepetitepartieducorps,
pourledésarmer.J’avaislechoixentreplusieurstechniquespourbrisersaconcentration,aprèsquoiilmefaudraitlepoignarderenpleincœurouledécapiter.
C’étaitinenvisageable.Ilbalançasamainenavant,arméd’unedaguequejen’avaispasvue,prêtàl’enfoncerenmoi,maisjefisunbonddecôté.
–Vas-y!Vas-y!m’encourageaVicken.Lesondesavoixmerassura:ilétaitencoreenvie.MaisoùétaitAva?EtoùétaitRhode?Justinetmoinenousquittionspasdesyeux.J’étaisprête.Jelevaimonarmeetbondisenavant,enfaisantporter
lepoidsdemoncorpssurlajambegauche.Jeprécipitail’épéeversluimaisleratai:elledécrivitunarcdecercleetlapointe seplantadans leparquet.Uneviolente vibration la secouaet remonta jusquedansmesbras. Je vouluscrier,tantcelametiraitsurlesdoigts.
–J’auraispusimplementacheterunflingue,mefitremarquerJustinenesquivantgracieusementmoncoup.Jegardailespiedsfermementcampésausol,lesgenouxtoujoursfléchis,etarrachail’épéedusol.–Tun’auraispasratécetteoccasiondetefaireremarquer,persiflai-je.–Nem’as-tupasditunjourquej’auraisfaitungrandvampire?Jeretinsmonsouffle.J’avaisbienditça,n’est-cepas?Etlepire…c’estquec’étaitvrai.–Tuespeut-être faitedechairetdesangàprésent,maistuestoujoursunetueuse,mereprocha-t-il.Tonyest
mortpartafaute.–TuadoraisTony…,dis-je–etmavoixsebrisa.Jeregardai lesol,couvertdeserpentinspiétinés.Justinétaittournéversmoi.Jerelevai l’épéeau-dessusdema
tête et, au moment où il bondit vers moi pour me poignarder, fis un pas à gauche pour l’éviter. Il se retournavivementversmoi.
–Toutlemondevampiriqueconnaîtl’existencedetonrituel,dit-ilsansmequitterdesyeux.Donne-le-moi.Jepeuxteprotégerenéchange.
–Plutôtmourir.–J’auraisdûlaisserAvat’attraperbienlongtempsavantl’autrejour,danslatourdesarts.Jepensaisquetuaurais
compris,àl’heurequ’ilest.–Qu’est-cequeturacontes?Dequoiparles-tu?Nous tournions en rond, face à face,moi l’épée au-dessus de la tête, lui le poignard sorti. Pour quelqu’un qui
n’avaitaucuneexpérienceducombataucouteau,ilétaittrèsagile.Maislà…sesparolesmerevinrententête.«Toi,lerituel,Rhode…Pourquoituesencoresipleinedevie…alorsquoiquetuaiesfaitaveccerituel,çan’apas
d’importancepourmoi.Jeveux…»C’étaitdurituelqu’ilparlaitdepuisledébut.Depuiscettenuit-là.Je serrai les dents pour ravaler mes paroles, mais c’était plus fort quemoi. Ainsi, il était demèche avec ces
vampiresdepuisdessemaines!–Depuisquand?luidemandai-je.Depuiscombiendetempstecontrôle-t-elle?–J’aivraimentsuquituétais,Lenah,lesoirdetonanniversaire.Tucroyaisquejen’avaispastoutmijoté?J’avais
toutprévupourgagnertaconfiance.Ilavaitpassécettenuit-làavecmoiuniquementpourlerituel?Derrièrelui,undesesacolytesbonditsurVicken.Ledosdecederniers’arronditlorsquel’ennemileheurtaavant
des’écroulerlourdement.Vickenfitvolte-face,poignardtoujoursenmain.Ilnefallaitpasquejemelaissedistraire.Justincessademe tournerautouret fitunpasdansmadirection. J’étais toutprèsde lui,plusprèsqu’ilne le
fallaitpourletranspercerdel’épée.Jemeconcentraisurl’espacesituéjusteentresonbrasetsonplexussolaire.J’allaisfrapper…pourledésarmer.Oui,justelà,àmi-chemindubrasetduplexus.Mamaindroiteseresserrasurmonarme.
Jemeruaisurlui,maisilfutplusrapideetm’envoyaausold’uncoupdepied.L’épéedeRhodetombaparterreàgrand fracas.Mon ventre, sous le choc, se tétanisa. Je le serrai à deuxmains, juste à temps pour voir Justin seprépareràmeporterlecoupfatal.Jemeretournaicommeunecrêpeetrattrapaimonépée.Puis,d’uncoupdepied,jefissauterlecouteaudelamaindeJustin.Ilgrognacommeunanimal,levalepiedetl’abattitsurmonventreavantque je puisse m’écarter en roulant. Ma main lâcha l’épée et mes poumons se vidèrent d’un coup. Je toussaisèchement,alorsquej’avaisdéjàlagorgeàvif.Respire,Lenah.Impossible.Mapoitrineseresserra.J’étaissurlesoldugymnaseetpourtant,soudain,lesparoles
prononcéesparAva,ilyavaitlongtemps,danslacabined’essayage,merevinrent.«Jecomprendspourquoiilt’aime.»C’étaitdeJustinqu’elleparlait!Commeilétaitpenchésurmoi,larunequ’il
portaitaucousebalançaitjusteau-dessusdemesyeux.«Lesavoir,avaitditleFeu.Lesavoirestlaclé.»J’avaisbesoindecomprendrecequ’avaitvouludirel’entité.J’avaisaussibesoindel’épée.Jetentaidereprendremonsouffle.Respire,Lenah!hurlai-jedansmatête.–Mortelle,donne-moilerituel!gronda-t-ilensoulevantunpeusonpied.
Soudain,unénormevacarmeattiradenouveaunotreattention sur la salle.Une flèchedépassaitde lapoitrined’undesvampiresducercled’Ava.Ens’effondrant,ilrenversaunesériedechaisesetlatabledesboissons.
Letempssemblaseralentirencoredavantage.Aupieddesgradins,jevisAva.Lecouallongéau-dessusdeTracy,elles’abreuvaitàsagorge.Monamieavaitlesyeuxfermésetlaboucheouverteetmolle,commeClaudiaavantelle.Rhode,soudain,surgitduchaosetbalançaàAvauncoupdepiedquiluifitperdrel’équilibreetl’écartadeTracy.Ellefitlagrimaceetavantqu’elleaitpurassemblersesforcespourcontre-attaquer,avantqu’elleaitpuprendrelecouteauqu’elleavaitcertainementsurelle,elleregardaJustinàtraverslapièce.Sacolèresemuaensurprise,puisenrictusmenaçant.
Ladouleur rayonnaitparvaguessuccessivesdemonéchine jusqu’àmesbras. Justinmedominaitencoredesahauteuretjeleregardaiànouveau.Ilapprochademoisonbeauvisage–encoreplusbeauàprésentquesesporesétaient scellés. Il tenait sonépéede lamaindroite ; il leva lebras juste assezhautpourpointer la lame surmapoitrine.Alorsqu’ils’apprêtaitàm’embrocher,jeroulaisurmoi-mêmeenlevantlepied,etlefrappaienpleintorse.Sesbrass’écartèrentvivementetilchutaenlaissanttomberl’épée.Jelarattrapaietlatinspointéeverslesol.
Je laissai pendre l’arme entre nous. Jeme revis, des siècles plus tôt, claquant des doigts pour ordonner à descentainesdevampiresd’assassinerunefemmehollandaise.Jemerevisbuvantdepleinescoupesdesang.LesbalsmortelsdelaNuitRouge.
–Fais-le,Lenah!hurlaVickenderrièremoiavantdesortirdugymnaseenselançantauxtroussesd’unvampirequis’étaitéchappé.
UnsourirecruelpassasurlabouchedeJustinetilsemitàrire.–Jet’arracheraileritueld’unemanièreoud’uneautre,dit-il.Jejetail’épéeausolpourlesurprendreet,commejel’espérais,sesyeuxsuivirentsonmouvement.Laruneétaitlà,poséecontresontorse.Larunedusavoir.Biensûr.J’ignoraisdepuiscombiendetempscetterunelecontrôlait.Lesrunesconsacrées,desobjets imbibésdemagie,
avaient le pouvoir de contrôler l’esprit dequelqu’und’affaibli, de frappéde chagrin, quelqu’unqui avait le cœurbrisé.
–Justin,tonpendentif!criaAvaenserapprochant.Protègelarune!La blonde maléfique se tenait devant moi. Elle utilisait son corps comme bouclier entre Justin et moi. J’avais
besoind’espacepourluiarracherlebijou.Ce n’était pas seulement en la saignant que l’on pouvait affaiblir Ava. Lui prendre le pendentif fonctionnerait
aussi.Carcetteruneétait laconnexionentreJustinetAva.Cettedernièreavaitpeut-êtreaccumuléuneforceénorme
grâceàdessortsetdesincantations,maislaruneétaitlaclé!Commej’avaisétéaveugle!Cetterunedusavoirétaitcequicanalisaitcetteforce,cequilaliaitàelle,cequiluidonnaitsarapiditésurnaturelle.Avapuisaitsonénergiedansl’âmedeJustin!
« C’est l’intention qui compte. L’intention dans l’âme, dans l’esprit. L’esprit dominant la matière, appelez celacommevousvoulez.L’espritesttoujoursplusfortquelecorps.»
Lesymbolereprésentéparlarune,celuidusavoir,portéàl’envers,peutêtreutilisédansdessortsd’illusionetdemanipulation.
«Lesavoirestlaclé.»LeFeumel’avaitdit.Uneflèchevoladanslesairsetallaseplanterdansl’épauledeJustin.Ilpoussauncriets’effondraausol,battant
desbrasetdesjambes,serrantlesmainssurlaflèche.Avaempoignamondébardeurettentadem’immobiliserenmetenantcontreelle.Elleserraplusfortlorsqueje
bougeai.Jetoussaietmedébattispourrespirer.J’avaisl’impressionquemespoumonsallaientexploser.Ilmefallaitcetterune.C’étaitleseulmoyendel’affaiblir.Ellemeserradeplusbelle,opprimantencoreplusma
respiration.Justinrestasansmouvementpendantunefractiondeseconde,lamainserréesurlaflèche.Çayétait,c’étaitmaseulechance.
Jeme tendis vers l’avant. Juste un peu plus loin. Puismamain… J’y étais presque. J’étiraimes doigts, qui serefermèrentsurlecordonnetdecuir.Jel’arrachaiducoudeJustin.Immédiatement,Avamelâcha.Jem’éloignaientitubant.Larunesebalançaitauboutdemesdoigts.Jefisvivementvolte-face:ilfallaitquejegardeAvaàl’œil.
–Jevaisladétruire,menaçai-jeentenantlaruneenl’air.Avalevaunpied,menaçadesautermaiss’arrêta.Sesyeuxpassèrentdubijouàmoi.Letempsd’unbattementde
cœur,ellesemblaréfléchiràseschoix.Ellebonditalorsdansmadirection,brandissantsesonglestranchantsdevantmonvisage.Jemebaissai,maisvis
lesgriffesrougesducoinde l’œil.Maintenantou jamais,Lenah.Ellese retourna faceàmoi.C’est lemoment. JelevailamaindroiteetjefiscequeVickenm’avaitentraînéeàfairecentcinquanteansauparavant.
J’enfonçaimoncouteaudanssapoitrinemortedevampire.–Non!cria-t-elle–maisc’étaituncricreux,animal.Elles’effondraausol,unemainenavant.Avaregardait lecouteaucommesiellenepouvaitpascroirequej’avaisfaitcela.Quej’avaisétélaplushabile.
Elleserecroquevillasursesgenoux.Ellelevalatêteversmoi,etseslèvress’entrouvrirent.Sescrocsdescendirent,maisilsnefaisaientpluspeur,ilsétaienttristes.Onauraitdituneversionsaccagéedelajeunefemmequ’elleavaitétéautrefois.
Elles’écroulasansvie.Unebellefemme,transforméeenvampire,etquiétaitmortetropjeune.Aupointdujour,elledeviendraituntasdecendres.Etj’étaissûrequ’ellenerejoindraitpaslalumièredesAeris,maisqu’ellefiniraitparreprendrelecoursnatureldesavie.
Quantàmoi,monvœuseraitexaucé.Auleverdusoleil,toutceciseraitterminéetnousretournerionsàuntempsd’avant les morts illégitimes, d’avant la tristesse vide. Je regagnerais le monde médiéval. Je fus intensémentsoulagée,maispouruninstantseulement,carJustinportalamainàsoncou.Ilsecoualatêtecommepours’éclaircirlesidées,etsebalançad’avantenarrièredevantmoi.Ilavaitarrachélaflèchedesonépaule.Jeposailaruneparterreetm’agenouillaidevant.
Rhodevintmerejoindretandisquelehurlementdessirènesrésonnaitauloin.–Ilfautquetulabrises,dit-il.L’espritdeJustinyesttoujoursattaché,mêmesiAvaestmorte.Il me tendit son poignard, et nous posâmes un dernier regard sur Justin. Celui-ci agrippait toujours son cou,
désormaisdénudé.J’utilisailaforcedemesbraspourabattrelalamesurcetteruneargentée,sifortqu’elleexplosaavecunbruitsec.Unnuagedefuméeblancheenjaillit.Justinportalamainàsatête.Sapoitrineétaitexposée,justedevantmoi.
J’auraispulepoignarderenpleincœuretenfiniraveclui.Mettrefinàsaviehumaineetàsaviedevampire.Laruneétaitbriséeparterre.
–Frappe,Lenah!mecriaVicken.
Lessirènesserapprochaient.Legymnaseétaitpresquevide.Ilfallaitpartir.Justin secoua la tête comme pour faire le point, ajuster sa vision. Dans cemonde-ci, ses yeux n’auraient plus
besoindelefaire.Ilétaitàprésentducôtédesimmortels.Vickenme répéta de poignarder Justin.Mais je n’allais pas faire ça. Je n’allais pas transpercer la poitrine sur
laquellej’avaisposématête,mêmesitoutdevaitchangeraumatin.Non,jeneleferaispas.ÀcauseduJustinquej’avaisvuunjoursouslapluie,lorsquejel’avaisconnu.Àcausede
Justindansl’entréedechezsesparents,lanuitoùj’avaisdormilà-bas.Àcausedesonamourdelavieetàcausedel’époque,passilointaine,oùilm’avaitmontrécommentêtrehumaineetoùjel’avaisaimé.
Ilclignalespaupièresplusieursfois,encoresouslechoc,etsesyeuxdemarbreverteurentunregardétrange.Sesbeauxcilsbattirent;ilsecouadenouveaulatête,commeaveuglé.
Rhodeselevaet,ensemble,nousregardâmesJustinquitenaitsadaguedanssamain.Ilbaissalesyeuxversellecommes’iln’avaitpasbiensucequ’ilfaisaitaveccetobjet.
–Bonretourparminous,luiditRhode.Legymnaseétaitàprésentvide,àpartnousetVicken,quisaignaitdelatempeàlamâchoire.–Qu’est-cequetum’asfait?medemandaJustin.–Jet’ailibéréducontrôlementald’Ava…parlebiaisdecetterune.–Unerune?–Cetterune,ditRhodeenramassantlesmorceaux.Illesluimontradanslapaumedesamain.–Tuesunvampire,Justin.Celui-ciportalamainàsaboucheetlapalpaàlarecherchedesescrocs,quidescendaientàvolonté.Ilretirasa
mainlorsquel’unedesesdentsluipiqual’index,faisantperlerunegouttelettedesang.–Nelegâchepas,luiconseillaRhode.Tuaurasbesoindetoutlesangpossible,vampire.–Jesaiscequejesuis!criaJustinquireculaendirectiondesportesdugymnase.Jesais.Vousn’avezpasbesoin
demelerépéter!Réactioncourantechezlesvampires.L’hubris.Uneincapacitéflagranteàêtreprisentort.Lesjeunesvampiresne
selanguissentpastoutdesuitedeleurhumanité.Ilssontd’abordattirésparlesavoir.Parlepouvoir.Souvent,danslespremierstemps,ilssontenthousiasmésparleurimmortalitétouteneuve.
Maisenréalité,ilnesavaitpas.Ilnecomprenaitpasencorecequiluiétaitarrivé.Etça,c’étaitpeut-êtrepirequetout.La rune l’avaitempêchédeprendreconsciencedecequi sepassait.Nonseulementelleavait conféréde laforce à Ava,mais elle avait embrumé l’esprit de Justin. Elle avait pris le dessus. Elle avait fait de lui quelqu’und’autre.
Il franchit lesportesdugymnaseetposa lamainsursonépaule, làoùRhodel’avaitatteintavec laflèche.Il laregarda,cherchantdusang,maiscommejem’yattendais,ilcicatrisaitvite.Sesyeuxs’attardèrentsurmoiavantdetombersurAva,parterre.Àlavuedesoncorpseffondré,iltournalestalonsetpartitencourant.
Ilnefallaitpasqu’ils’échappe.Jemelançaiàsapoursuite.–Lenah!merappelaRhode.JemehâtaidesortiretdesuivrelesillagedeJustin.Maisc’étaitunathlète,bienplusrapidequemoi.Ildépassa
lesarbres,lesgens.Jecourusaussi,maisdirectementdanslafoule.«Lenah?»«Est-cequeçava?»Delàoùj’étais,prèsdugrandchênequipoussaitaucentreducampus,jepivotaipourregarderverslacollineoù,
ilyavaitsilongtempsmesemblait-il,surleterraindetiràl’arc,SuleenavaitdresséentreJustinetmoisonbouclierliquide.Justinétaitàprésentaupieddecettecollineetilseretournaversmoi.Nosyeuxserencontrèrent.Audébutdelaviedevampire,onpeutencoresesouvenirdubonheuretdel’inquiétude.Cequejelusdanssonregardfutduregret.Maisl’instantfuttrèsfugace.Ilpartitencourantdanslesboisets’enfonçadanslesténèbres.
Quelques minutes plus tard, j’étais enveloppée par des mains et des visages inquiets encore barbouillés demaquillaged’Halloween.Ungroupem’encerclait,etonm’emmena.
Chapitre26LesnouvellesconcernantJustinserépandirentcommedesmilliersdeplumesvoletantauvent.«Queluiest-ilarrivé?»«Ilaétérecrutéparungang?»«Ilétaitavecqui?»Toutes sortes de questions lancées dans le campus se massaient ensemble comme mille chuchotements.
Comment?Quoi?Pourquoi?Qui?Desquestionsdevictimes.Desquestionsquinetrouveraientjamaisderéponse.Vicken,Rhodeetmoinousassîmesaupiedd’unarbre, attendantquoi ? Jene le savais trop.Rhodemeprit la
main.Celam’étonna,carjen’avaisplusl’habitudequ’ilmetouche.Vickentenaituntee-shirtensanglantécontresatête.Nousnedisionspasgrand-chose.–Çavaaller,nousditgentimentunefemmepompier.Çavas’arranger.Elleconsolaitungroupedefillesenpleurs,quis’étaientregroupéesàcôtédubâtimentHopper.D’autrespompiers
etunpolicierpassèrentencourantdevantnousetentrèrentdanslegymnase.Ilsavaientdeshachesetdeslancesàincendie, des armes à feu et des sacs demorgue. Je ne voulais pas y penser, je ne voulais pas savoir. LagrandehorlogedubâtimentHopper indiquaitqu’il étaitquatreheuresetdemiedumatin.Plusquedeuxheuresavant leleverdusoleil.J’entendisunfragmentdeconversationentreMrsWilliamsetunpolicier.–Vousêtessûrequ’ilfaitpartied’ungang?demandal’enquêteurenprenantdesnotesdansuncalepin.–Oui,sansaucundoute.Ungangviolent.–Nousallonsdevoirinterrogercesjeunes.Commencezàappelerlesparents,ordonnal’hommealorsqu’ilpassait
devantmoi.Vicken,Rhode etmoi nous regardâmesmutuellement sans dire unmot.Un sauveteur équipé d’une trousse de
premierssecourss’approchadenous.IlsebaissaetexaminalablessuredeVicken,lesyeuxplissés.–Viensavecmoi,luidit-il.Ilvatefalloirdespointsdesuture.Vickenécartaletee-shirtdesoncrâne,etunpetitfiletdesangcoulajusqu’àsalèvresupérieure.Pourlapremière
foisdenotrelonguehistoire,ilnelaléchapas.–Pourriez-vousm’expliquerlaformedecetteblessureàlatête?s’enquitVickenensuivantlemédecin.Rhode etmoi étions toujours assis le dos contre le tronc du chêne, nos poignards, arc, flèches et épée cachés
derrièrelemurdubâtimentHopper.J’appuyaimatêtecontrel’écorceetregardaiRhode.Iln’étaitplusdéguisé:leseulvestigedesoncostumeétaitledébardeurnoir.Ilavaitdéjàtroquésonkiltcontreunjeannoir.Simoderne.Etlà,uneidéemefrappa…luiaussivieillirait.Maisjeneleverraisjamais.Ilmepressalamain,cequifitaccélérermoncœur.Commec’estjuste,pensai-jeaumilieuduchaosambiant,que
maintenant,aprèstoutcela,ilfassebattremoncœursifort.J’avaisattenducelasilongtemps.–C’esttrèscourageux,cequetuasfait,medit-il.Jesoufflai,meperdantdansladouceurdesesyeuxbleus.–Çanem’apassembléspécialementcourageux.Çam’afaitl’effetd’être…lafin.Lavoixdupolicierdétournamonattention.IlinterrogeaittoujoursMrsWilliams.–Combienétaient-ils?–Quatreoucinq,ilmesemble.–Crois-tu, chuchotai-je àRhode, qu’au lever du soleil Justin sera toujours un vampire ? Je veuxdire, quand je
retourneraiauXVesiècle?– Je pense que le Feu tiendra sa promesse. (Il fit paresseusement rouler sa tête pour me regarder.) Justin
redeviendraJustin,jesuppose.–Oùcrois-tuqu’ilsoitallé?–Chercherd’autresvampires.Çaneluiprendrapasbienlongtemps.Tadécisionestpeut-êtrelameilleurepour
toutlemonde.Ilnemeregardapasendisantcela.Illâchaensuitemamainpourfouillerdanssapoche.Puismetenditlarune
briséedanssapaumeouverte.Jenelaprispas.JenevoulaispasjoueràdevinerquandAvaavaitréussiàenrôlerJustin.Maissoudain,Rhodefronçalessourcils.–Dis…Oùesttabagued’onyx?Jetendislesmainsdevantmoienécartantlesdoigts.Mabague!Ellen’étaitpluslà!–J’aidûlaperdreenmebattant,soufflai-jeavecincrédulité.Jevaisallerlachercher,ajoutai-jeencommençantà
meleverpourrejoindrelegymnase.– Bah, laisse tomber. C’est une pierre maudite, de toute manière. Elle pousse les gens à s’accrocher trop
longtemps.Lesâmesaussi.Ellelielesgensàleurpassédansunmondequineveutplusd’eux.J’acquiesçai…conscientequequelquepartsurlesoldugymnase,mabague,cellequiavaitliémesdifférentesvies
entreelles,d’humaineàvampire,devampireàhumaine,traînait,solitaire,sousdesdécorationsd’Halloweenetdescotillons.Rhodemeprésentaunefoisdepluslarunebrisée.Cettefois,jelaprisetgardailesdeuxmoitiésposéesdansma
paume, fraîches contrema peau. Alors, je compris. Avec quelle facilité j’avais cru Justin sur parole. Avec quellefacilité je l’avais écouté me dire qu’il portait la rune parce qu’il se souciait de moi, parce qu’il voulait mecomprendre.Chaquefoisqu’ilétaitseulavecmoi,ilmequestionnaitàproposdurituel.Etavecquelenthousiasmeilavaitvouluvenirmevoirjeterlesortdeconvocation!Siintéresséparlepouvoir.
–Tunepouvaispassavoir,meditRhode.–Quand…quand lui etmoi… (Jem’arrêtai pour choisir soigneusementmesmots.) Cette nuit-là. Celle demon
anniversaire.Ilm’aditdanslegymnase…qu’iln’étaitpaslui-mêmeàcemoment-là.– Il a sansdoute été approché il y a unmomentdéjà. Je nepensepasqu’il ait fait tout celade sonpleingré,
soupiraRhode.Entoutcas,c’estterminé,conclut-ilàmi-voix.Ilsepenchaenavantetrepoussaunemèchedemescheveuxderrièremonoreille.Justinavaiteulemêmegeste
avecmoi,maislàc’étaitRhode,etsesdoigtseffleurantmapeaufaisaientbattremoncœurplusvite.–Tutesouviensdel’histoirequeturacontaisàproposdeSuleen?Celledel’AnamCara?Ilfitouidelatêteettintmajouedanssamainavecamour.– Crois-tu que nous soyons ainsi ? lui demandai-je. Ou est-ce réservé uniquement aux vampires très puissants
commeSuleen?–JecroisqueSuleendiraitquel’amourquinouslieestplusfortquetout.Ilneretirapassamaindemonvisage,etsachaleurmerappelatouslesmomentsfroidsdemavie.Durantces
longues années, son contact m’avait réconfortée. Oui, j’étais humaine à présent, et la sensation était différente,j’avaisdesterminaisonsnerveuses,etdessensétaientreliésàcettemain.Maisl’amourétaitlemême.–Lenah…,fitsoudainunevoixfaible.Jepivotaipourcherchersasource.Toutlemondeétaitencoredéguisé,lesyeuxrehaussésdepaillettes,leslèvres
et les nez peints ou garnis de fourrure. Derrière les groupes d’élèves retournant vers le bâtiment Quartz, deuxsecouristesportaientquelqu’unsurunecivière.Lorsqu’ilspassèrent,Tracytournalentementlatêteversmoi.–Lenah!dit-elleunefoisencore.Jeme levai d’un bondmais gémis, arrêtée net par une douleur fulgurante dans le bras. J’agrippaimon épaule
droite;jen’avaispaseubesoindetantdeforceladernièrefoisquej’avaismaniéuneépée.JepassaidevantdesélèvesquiparlaientdeJustinetdesatransformationphysique.Ilstrouvaientdesdizainesde
raisons : ladrogue, l’adrénaline,peut-être l’influenced’ungang.Rienquedesmotsetdesexpressionsque j’avaisappris au cours de mon année humaine. Ce n’étaient que des excuses que trouvaient les gens pour expliquerl’inexplicable.–Vouspouvezattendreuninstant?demandai-jeauxsauveteursenm’approchantdeTracy.Unelarmeroulasursajoue.Ellel’essuyaetmeregarda.–J’aiessayé,medit-elle.J’aiapportéuncouteau,maisellel’afaitsauterd’uncoupdepied.–Jen’aipaspuarriverjusqu’àtoi,répondis-jeenm’accroupissantpourêtreàsahauteur.–Est-cequetousceuxquej’aimevontmourir?demanda-t-elled’unevoixtremblante.Jeneveuxpasrentrerchez
moi,Lenah,maislelycéevafermer.–C’esttemporaire.–Est-cequ’ilvarevenirtousnoustuer?– C’est un vampire, soufflai-je à voix très basse pour qu’elle soit la seule àm’entendre.Mais je pense que tu
n’aurasplusàlecraindre.Ellesefrottalesyeux.–Cequetuasfait.Cesoir.C’étaitincroyable,medit-elle.–C’estmafautesituasdûassisteràceshorreurs.Dansleclairdelune,jevoyaisclairementsapeine.Je luipris lamain. J’avais l’habituded’enlacer Justin,ouVicken,quiétaientdesgarçonsvigoureuxauxépaules
largesetaudosmusclé;maisTracyn’étaitqu’unejeunefemme–commej’auraisdûl’être,moiaussi.Samainmeparutfrêle,commecelled’unpetitenfant.–Jen’arrivepasàcroirequ’ilsannulentlescours,poursuivit-elleenmelâchantpouressuyerencoredeslarmes.Les hommes qui portaient la civière se remirent enmarche en direction d’un groupe d’ambulances garées au
centredelapelouse.Devantcesambulancesétaientalignéssixcorps.Quatrevampires,dontAva,etdeuxélèves.Aumomentoùjemedétournai,quelqu’unannonçaquelapresseétaitenchemin.–Àbientôt,Lenah,meditTracy.Etellefutemportéeparmilessauveteursetlesgyrophares.–Oui,àbientôt,répondis-je,mêmesijesavaisquejen’étais,aucontraire,pasprèsdelarevoir.Lorsquejemeretournaipourfairefaceauchaosquirégnaitsurlecampus,lapoliceétaitentrainderegrouper
lesélèvesparniveaux.Tousétaientpendusàleurtéléphoneportable.MrsWilliamsenchassaquelques-unsverslesdortoirs.Jecroisai le regarddeRhode,deboutàcôtéduchêne.Vickenavaitunbandageblancautourducrâne,et tous
deuxparlaientavecuneassurancetranquille.IlyavaitdéjàplusieursheuresqueJustinétaitpartidanslesboisetc’étaitseulementmaintenant,longtempsaprèsminuit,quelespoliciersetlespompiersfaisaientrentrerlesélèves.Lesdépositionsavaientétéenregistrées,ilétaittempsd’essayerdeprendreunpeuderepospendantcequ’ilrestaitdenuit.Jesoufflai lentement.Unventfraisbalayait lecampuset faisait frissonner lesfeuillages.Jesavaisqu’unfrisson
étaitunsigne.Unsentimentdereconnaissancefamiliermetraversa.Jeregardaiau-delàdesélèves,endirectiondelacolline,etausommet…enfin,enfin,Suleenétaitlà.Jem’approchaideVickenetdeRhode.Enchemin,jefusarrêtéeparMrsWilliamsquiseplantadevantmoi.Son
maquillagedesouriss’étaiteffacé:ilnerestaitquequelquestracesdemoustachessursesjoues.–J’attendaisdetetrouverseule,meconfia-t-elle.Sesyeuxgris-bleupénétraientlesmiensencettefindenuit.–Qu’est-cequetuasfait?medemanda-t-elle.Commentsaviez-vous?Toi,VickenetRhode?–MrsWilliams,ilfautquejeparte.–Ceshommes.EtJustin…,commença-t-elle.Je la touchai sur l’épaulecommeelle l’aurait faitpourmoi, commeunparent toucheunenfant.Caren réalité,
j’étaisbienplusâgéequ’elleneleseraitjamais.–Toutestterminé,luidis-je,répétantlesmotsqueRhodem’avaitdits,etjem’éloignaiendirectionduchêne,en
tâchantdenepasl’écouterquim’appelaitencore.–Lenah,attends.Jenecomprendspas.Jenecompr…Enarrivantàl’arbre,jevisquelebandagedeVickens’étiraitdesessourcilsàlalignedesescheveux.–Tuvasbien?luidemandai-je.–Unesimpleégratignure,trèschère.Ilpartageaavecmoiunsourirefatigué.Ausommetdelacolline,derrièrelui,sedressaitlegrandvêtementblanc
deSuleen. Ilme rappelait l’orbegris qui avait flotté devantmon cœurdans le reflet du plafondd’onyx, chez lesÉvidés.
Jemeretournaipourregarderlafouleencoreprésentederrièrenous.Personnenefaisaitattentionànousninenous demandait de rentrer. Je savais que c’était grâce à Suleen. Il nous rendait invisibles afin de faciliter notredépart.Cela me donnait aussi le temps d’embrasser une dernière fois les lieux du regard. Et c’est ce que je fis. Je
contemplai tout le campus de bout en bout, m’arrêtant, bien sûr, sur Seeker Hall. Sa structure de brique étaitencadréedetroisarbresauxfeuillesjauneetorange,éclatantes.J’avaisdelapeine.–Ilesttempsd’yaller,dis-jeàVickenavantdememettreàgravirlacolline.–D’yaller?D’alleroù?–Viens,insistai-jedoucementenluiprenantlamain.–Maisqu’est-cequisepasse?Je l’entraînai sur la colline.Rhode serraitmonautremain. Il étaitd’uncôtédemoi,Vickende l’autre, etnous
montionstouslestrois.Troisgénérationsd’assassinsmontantversleurrédemption.Etcettefois,c’étaitentièrementmonœuvre.Lorsquenousarrivâmesausommet,Suleennousattendait,silencieuxetéthéré.J’auraisvouluéprouverdelarancune.J’auraisvoulusavoirpourquoiiln’étaitpasvenulorsquejel’avaisappelé
aveclessortsdeconvocation.Maisàlavérité,jeconnaissaisdéjàlaréponse.Iln’étaitpasvenuparcequejeneleméritaispas.Parcequevenir
poursauverRhoden’auraitrienréglé.J’auraissimplementtrouvéunautremoyendetenterd’enfreindreledécret,etdepratiquerlamagiequ’onm’avaitexpressémentdemandédenepasutiliser.EnapprochantdeSuleenentremesdeuxamis,jeretinsmonsouffle.L’automneétaitenfinarrivéàWickham.Alors
quenousgravissionslesderniersmètresdedénivelé,nouspouvionsvoirnotrehaleinedansl’air.–Suleen,s’extasiaVicken,aussisurprisqu’émerveillé.Iln’avaitjamaisvulevampireauparavant,nel’avaitjamaisapprochéenpersonne.–Vousêtesvenu,ajouta-t-il.Etonn’amêmepaseuàsebrûler.Suleensouritgentiment,maistournaensuitesonregardversmoi.–Jesuisfierdetoi,medit-il.Rhodesetenaitfermementàmoncôté,etleregarddeSuleenglissaverslui.–Etjesuisencoreplusfierdeceàquoitun’aspaspurenoncer.Rhodehochalatête.–Etmaintenant,faisonscorrectementlesprésentations.IlsedétournadeRhodeetdemoi.–VickenClough,du57erégiment,dit-il.Vickenbombaletorse.Suleen tendit la main et le prit par l’avant-bras. Vicken lui prit le bras de la mêmemanière : une salutation
répandueentrevampires,conçueàl’originepourprotégerlepoignet.LeregarddeVickens’illumina,plusquejenel’avaisjamaisvudepuisqu’ilétaitmortel.Cedevaitêtreunmoment
trèsimportantpourlui.–Ilnesaitpas,dis-jeàSuleen.Celui-cireculad’unpas,etàcemoment-làseulement,jemerendiscomptequelecieln’étaitplusnoirmaisgris,
bientôtlavande,avantl’orangebrûlantduleverdujour.Lesoleil,annonciateurduchangement.–Jenesaispasquoi?Quesepasse-t-il?s’inquiétaVicken.JelançaiunregardàSuleen.–Ilmerestecombiendetemps?–Quelquesminutesàpeine,réponditnotredoyend’unevoixdouce.JepivotaiversVickenetposailesmainssursesjoues.Jetrouvaisonregardetleretins.Ilsemblaitavoirdumalà
soutenirlemien;sesnarinespalpitèrentunpeu.Ilallaitpleurer,etjen’étaismêmepassûrequ’ilaitcompriscequiluiarrivait.Àmoinsqu’ilnesoitentrainderefoulerses larmes. Je leregardaiserappeler, lentement, laréactionhumainequiseproduitlorsquelecorpspleure.Jeplongeaileregarddanssesyeuxbruns.–Sais-tupourquoijet’aisauvé,toutàl’heure,augymnase?Ilsecouanégativementlatête.–Parcequelesoiroùjet’airencontré,tudansaisetchantaissurlestables.Tuadoraislemonde,etj’aifaitdetoi
unspectateur.–Lenah?fit-ildoucement.–Tuneserasplusunspectateur.–Jenetecomprendspas,trèschère.–JeretourneauXVesiècle,luiannonçai-je.–Non!cria-t-il.Jelaissairetombermesmains.–Ettoi,tuvasretrouverlamaisondetonpère.Àl’aube,tuserasderetourdanslanuitoùjet’aivolétonâmeet
oùj’aifaitdetoiundémon.Tuseraslenavigateurquej’avaisrencontré,avecdescartesaccrochéesauxmursdetachambreetdeschaussettessuspenduesau-dessusd’unebassine.Lecielétaitàprésentmauve,etlesoleilallaitbientôtfranchirlesommetdelacolline.Lespremiersscintillements
dorésembrasèrentlacrête.–Lenah,non!s’écriadenouveauVicken,maisjemedétournaiquandmême.Qu’est-cequeçaveutdire?Suleen,
qu’est-cequeçaveutdire?JepivotaiversRhode,dontlesyeuxétaientrivésausol.Sesbraspendaientlelongdesoncorps;ilauraitpuêtre
unestatuedestempsmodernes,tantilétaitimmobile.Jem’approchaietm’arrêtaiàquelquescentimètresdelui,commejelefaisaisdepuisdesmois.–Jevaist’embrasser,maintenant,luichuchotai-je.–J’espéraisquetudiraiscela,mesouffla-t-ilenretour,cequinousfitsourire.Lenah,queferai-jesanstoi?dit-il
encore,etjesentislachaleurcorporellequiémanaitdelui.Unmotuniquemetraversa,etjefrémis.–Vivre.Nos lèvres se rencontrèrent… la sublimepressionde sabouchecontre lamienne.Lachaleurde sabouche, sa
saveuràlui.Jesuivislesmouvementsdeseslèvresetladoucecaressedesalangue.Sesmainsremontantdansmondosm’envoyèrentdespicotementsjusqu’enhautdesbras.C’étaitmeilleurquetoutcequej’avaisimaginé.MonRhodeembrassaitavecdouceur.Ilpritmoncrânedanssa
mainets’insinuaplusloindansmabouche.Nemequittepas.L’odeurdepommesquim’avaithantéetoutel’annéemesubmergeaànouveau,maiscettefoiselleétaitassociéeà
lalumièreblanchedesAeris.LesimagesquimevinrententêtemontraientdésormaisdesmilliersdesouvenirsdemonpasséavecRhode.Undiaporamadenosannéescommunes.
Desbouclesd’oreillesenorsouslapluie.Desbalsetdesdanses.Desriressouslesétoiles.Rhodeetmoisurunlitdepaille.Rhoderiantd’unedemesplaisanteriesdevantunfeudebois.Cen’avaitpasétéquedouleuretmort,n’est-cepas?Ilyavaiteudel’amour,aussi.Ils’écartademoietl’airentrenousdemeuratiède,mêmesilafroideurdel’atmosphèrememordaitlesoreilles.
Sesyeuxplongeaientdanslesmiens.–Prêteàpartiràl’aventure?mechuchota-t-ilavecundemi-sourire.Ilm’avaitrépétécettephrasedescentaines,desmilliersdefois.Moncœurenfladejoie.–AnamCara,chuchotai-je.Ilm’adressaunpetitsourire,etcelamesuffit.Jen’avaispasàluiexpliquercequejevoulaisdire.Carc’étaitun
mondenouveau,unmondeoùnoshistoiresn’avaientplusd’importanceetoùnousserionslibres.–Lenah…,ditSuleen,etjevisunelumièred’ormonterau-dessusdel’horizon.Peut-êtreétait-ceparcequelesAerism’avaientprévenue,peut-êtreparcequejesavaisquelesoleilétaitleFeuen
personne,maisjesus.Jedevaismarcherverscesoleillevant.Jesavaisqu’ilmeramèneraitchezmoi.LebleudesyeuxdeRhodeétaitintense,commetoujours.Ilm’aimait.Jepouvaisrentreràmonépoqueensachant,
pour une fois, que j’avais vraiment aimé et été aimée. Rhode prit mon visage entre ses mains et m’embrassatendrementsurlesdeuxjoues,surlefront,puiseffleurameslèvres.Jefisunpasenarrière,lecorpsentierparcourudefrissons.LorsquejetournailatêteversVicken,deslarmes,de
magnifiquesgrosseslarmes,roulaientsursesjoues.Illesessuyaetcontemplasesdoigtshumides,momentanémentstupéfiéparlepouvoird’unpleur.Plusdecentansqu’ilattendaitcela!Suleentenditsamain,et,commejel’avaisvufairel’annéeprécédente,replialebrasetlatintau-dessusdeson
cœur.L’éclatdorédusoleilmeréchauffait, toutmondosétaitenglobédanssachaleur. Jem’enallais.LesarbresderrièreRhode,VickenetSuleendevenaientdestachesfloues,rougesetorange,contreleciel.Enfin, je regardai Rhode. Je voulais qu’il soit ma dernière vision de ce monde. Ses lèvres étaient encore
entrouvertes.Nousaurionspunousdirebiendeschoses.Mais jepartaisvite.JenevoyaispresqueplusVicken, ilétaittoutblancdelumière.Jecrusflairerunparfumdepommes.EntreRhodeetmoi,lesmotsnesuffiraientjamais.Alors,jeposaimamainsurmonsein,làoùjesentaismoncœur
battant.Ilétaitmortpourquececœurbatte,pourquejepuisserespireretvivre.Jelalaissailàetnequittaipluslebleudesesyeux.Cesyeuxquej’aimaisplusquel’amourn’auraitpul’expliquer.
Jet’aime.Jet’aime.Jet’aime.Lalumièreétaitpartoutautourdemoi,àprésent.Ellemeprenaitenelle.Cemondeallaitendevenirunautre.UnmondesansLenahBeaudonte.Etcommeça,simplement,danscettelumièrequin’étaitplusqu’oretargent……jenefuspluslà.Toutesnoserreursrestent-elleslogéesdansnoscœurs?Pouvons-nousjamaislâcherprise?Cequiestgravédans
lapierrepeuttoujoursêtreeffacé.Carlapierren’apasd’emprise.Mêmelapierrepeutêtrebrisée.
Chapitre271418Despommes.Degrosorbesrougesétincelantdanslesoleilmatinal.–Lenah!Quelqu’unm’appelle.Despommesrondespendentàunebranchede l’autrecôtéde la fenêtre. Jeconnaiscette
vue. Jeconnaiscetteodeurcrue : lapailledemonmatelas. Jesuisparmi lesmiens,dans lamaisonduverger.Lesoleilquientreparlafenêtreinondeleplancherdelumièrejaune.Descoqschantentdehors:ilss’éveillentauleverdujour.Jemesouviensdeça!
–Lenah!Monpère!Lajoieéclatedansmoncœur.–Petitedormeuse!Es-tudoncmalade?!Lavoixdemonpèrerésonne,etjenel’aipasentenduedepuissilongtemps!Jemelèved’unbondet,uninstant,
je touche le carreau épais d’une fenêtre à meneaux. La lumière est filtrée par le verre grossier et pleind’imperfections.
Jemefichebienquemalonguechemisedenuitmecouvrelespieds,jelarelèvepourdévalerl’escalierquatreàquatre.Monpèreest là,avecsagrossebarbeetsesvêtementsdetravail.Mamèreestdevantl’âtre,penchéesurunebassined’eauetdulingesale.Jereconnaiscertainesdemesrobes.Jemesouviens!
Jemependsaucoudemonpère.Sabarbepiqueetilyaunsoupçondelavandesursapeau:ilvientdeselaver.Ilsedégagedemonétreinte.
–As-tuencorevolélestomatesdesmoines?Jel’embrassesurlesdeuxjoues.–Non,dis-jeavecunsourire.Donne-moideuxsecondes.Jefaisminederetournerversl’escalier.–Quedis-tu?demandemonpère.Oh bien sûr ! « Deux secondes » est une expression dumondemoderne, unemesuremoderne du temps.Ma
famillenepeutpasmesurerlessecondes!Monpèresuitsimplementlesmouvementsdusoleil.–Jevienstoutdesuite.–Hâte-toiunpeu!Jejetteunregardparlafenêtre,etprêtel’oreilleaubruitdemamèrefaisantlalessive.J’avaisoublié,aucoursde
malonguehistoire,combienlemondemédiévalétaitcalme.Larécolteestpasséedepuislongtemps;laplupartdesarbres sont nus. J’observe les alentours : je reconnais exactement cette scène. La famille des Médicis a achetél’essentieldenotrerécolteetleresteestalléauxmoinessurlapropriétédesquelsnousvivons.Pourfaireducidreetdespommesdetable.
Aujourd’hui,c’estjourdegrandnettoyage.Aprèslarécolte,ilnousfautdégagerlesalléespourpréparerl’hiverquivient.
Jepensesavoirqueljournoussommes,maisjeneveuxpasycroire–pasencore.J’enauraiconfirmationounoncesoir,quandjeregarderaileciel.
Jepassel’après-mididanslevergeravecmonpère.Ilm’amanquépendantsilongtempsquejemesurprendsàmecacher derrière un arbre pour le regarder ratisser en fredonnant. Pendant un bref instant, j’ai envie que nouspuissionsappuyersurunbouton.J’aivudesouvriers,àWickham,utiliserdessouffleusesàfeuilles,etjemedisquecelasoulageraitbienlesmainscalleusesdemonpère.J’aimeraisaussiquenouspuissionsécouterdelamusiqueet,biensûr,jepenseauxterrainsdesportdeWickham.Auxentraînementsauxquelsj’assistais,surfonddemusiqueàpleinvolumepourpasserletemps.
Lacrosse.Jeclignedesyeuxdanslesoleiletgrattelaterresouscetarbrenu,duboutdupied.J’espèrequeJustin,oùqu’il
soitmaintenant,estheureux.Ethumain.J’épongelasueurdemonfront,regardelesoleilsedéplacerlentementdansleciel.Danscemonde,iln’yapasde
voitures,pasdemédicaments,pasdecrèmeglacéeauxnoixdemacadamia.JesourisausouvenirdesmainsdeTonyplongeantunpinceaudansunpotdepeinturebleucéruléen.JesouffriraidelapertedemesamisetdeRhode,maislemondemodernememanqueraluiaussi.
J’aienviedetoutraconteràmonpère.Maisc’estimpossible.Iln’yapaslamoindrechancepourqu’ilcomprenneunjour.Jem’accroupisaupiedd’unarbreetpassemesdoigtsdanslerichehumus.Cettehabitudem’estrevenuetout de suite. Je me rappelle si bien comment tailler les branches pour que les pommes reviennent, fortes etodorantes.
Degrosnuagesnoirss’amoncellentau-dessusdecheznous.Monpèrem’appelle.Jeremontel’ourletdemajupepourmarcherplusfacilement.Lapoussièrecouvremesmains,etnousrejoignonstousdeuxlamaison.
«Nousdevonsalleràl’église»,meditmamèrependantledîner.Jem’enréjouisàl’avance.VoirlepèreSimonetl’entendreparlerdeDieuetdereligion.Unjour,ilyatrèslongtemps,cesofficesdonnaientunsensàmavie:servirDieu,sepréparerici-basàlavieéternelle.C’étaientdesidéesmédiévales.Jen’auraisjamaisimaginéavoirunjourmespropresidéessurlareligion,surDieu,surl’étheretlavieavantetaprèslamort.
Mamèremesouritàtraverslatable.–Tuasl’airheureuse,medit-elle.–Lerepasestbon.
Cen’estqu’unsimpleragoût,etellemeledit.Jemeremémorequelanourriture,ici,estcequel’oncuisinesoi-même.Ontuesongibier,ouonl’achèteàquelqu’unquil’afait.Lesrepassontpréparésàlamain,pasfabriquésenusine.
Rhodem’aditunjour,ilyalongtemps,quel’amourétaituneémotionexistantbienau-delàducadreétroitdelaconditionhumaine.Ilpeuts’éleverjusqu’auxsommetslesplushauts,m’avait-ilexpliqué.Mêmeauxcieux,l’amourcirculeets’étendentrelesétoiles.Ici,assiseenfacedemesparents,jecroisàcettevérité.
– Tu es bien silencieuse, me fait remarquer ma mère tandis qu’un roulement de tonnerre fait vibrer notremaisonnette.
–Vayavoirencoredelapluie,soupiremonpère.–Larécolteestterminée.Réjouis-toidonc,ditmamèreenl’embrassantsurlatête.Lapluiequis’annonceseraundéluge,jelesaisdéjà.Lorsqu’elles’abatenfin,jeconnaissontambourinementsurletoitaussibienquejeconnaismonâme.Ceciestlesoiroùjesuismorte.CettenuitestcelleoùRhodeafaitdemoiunvampire.Les heures passent, et le feu est presque éteint dans la cheminée. Les boucles d’oreilles de ma mère sont
sagementrangées:jenelesluiaipasdemandéesaujourd’hui.Etjenelesaipasperduesdansleverger.LesAerism’ont renvoyéeàce jourprécisafindemerappelermonchoix. Jem’approchede l’escalier,vaisà la
fenêtrequisetrouveau-dessusdelahuitièmemarche.C’estunemanieenfantinechezmoidelescompter,maisjelefaisquandmême.
Jeposeunemainsurlescarreauxfroids.Mesdoigtslesréchauffentetunhalodebuéenaîtdemachaleur.C’estdelacondensation.Maviemodernem’aappristantdechoses.Ellem’aapprisquelasciencechange,quelamusiquechange,quelesgenspeuventvivrebiendesannées.
J’aipassécinqcentsansàdevenirunmonstre,àmenourrirdesautres,à leur injectermonmalheur.Mais j’aiaussivulesusagesdumonde.Jemeconcentresurlesalléesduverger.Jen’envoispaslebout,maisunefois,dansunmondedifférent,Rhodem’aattenduelà-bas.Justelà.
Iln’yapasdeRhodeauboutdel’allée,jelesais.Jel’aisauvé.Ilestensécurité.JesaisaussiquejenerencontreraijamaisJustin…niTony.Wickham n’existera pas avant des centaines d’années, quand j’aurai disparu depuis longtemps, disparu de ce
monde.Je laissemamain sur le carreau.Mamâchoire se serre. C’est douloureux d’être là en sachant ce que je sais,
connaissanttoutcequim’attenddanscemonde,savastitudeetsabeauté.Mêmes’ilnemeregardepas,jelefaispourl’histoire.Pourlesâmesquiontétésauvéesenuninstant.Jechuchote
lesmots:–Jet’aimeraiàjamais.Jeposemamainsurmoncœur,etleslarmesmemontentauxyeux.Moncorpssecouvredefrissonsetbientôtmes
larmescoulent.Jeprononcealorslesmotsqueseulslesvampirespartagent:–Avancedanslesténèbrescommedanslalumière.Je ravale mes larmes, me détourne de la fenêtre, et monte jusqu’au seuil de la chambre de mes parents. Ils
dorment,dosàdos,ensemble,proches.Jemedemandesijevivrailerestedemesjoursdanscettemaison.Sijevaistombermaladeou si les vaccinsque j’ai reçusdans lemondemoderneprolongerontmavie. Jepourrai peut-êtremêmetrouverunhommegentildanscemondeetl’épouser.Unechosequejesais,c’estquecettefois,jeconnaîtraimasœur,Geneviève.J’assisteraiàsanaissanceetlaverraigrandir.
Jemepencheplusloindanslachambrepourcontemplerencoremesparents.Jeconnaislanuit,lesmaréesetlescourantsdesheures, je les senspasser surmoi.Lepassageducieldunoiraubleu,dubleuàunmauve lavandeteintéderose.Unefoiscertainequelesoleilselèvera,etpasavant,j’oseenfinmecoucherdansmonlit.
Plusdesoifdesang.Plusdemortsinutiles.Unedernièrepenséeéclotdansmatêteavantquejenesombre…Oh,commeilvamemanquer.
Épilogue
RhodeChère…Jeneconnaismêmepastonnom,machère.Jenepeuxpas lecouchersurcepapier.Car ilm’échappe.Chaque
jour je l’ai sur le bout de la langue, comme un bonbon. Je le goûte pendant le plus bref des instants, et puis ildisparaît,avantquej’aiepulereteniretl’avaler.
Jemeconsumepourtoi.Il y a un halo de buée sur cette fenêtre donnant sur un campus qui s’accroche aux derniers vestiges de l’été.
L’automneserabientôtlà.Hierencore,j’airêvédetoi.Tuavaislescheveuxremontésettuportaisunelonguerobe.Unerobecommeonn’entrouvepasdanslemonded’aujourd’hui.Elleétaitcorsetéeettutetenaissurunehautecollinequidominaitunvastepaysage.
Tucommencesàhanteraussimesjournées.Celapeutarriveràn’importequelmoment,pendantqu’onmeparle:tonvisage,avec tesyeuxbleusombreet tonsourirecomplice, s’insinuedansmespensées.Toujours, toujours,cesavoirjoueauborddeteslèvres.
Quelesttonnom?Pourquoiviens-tumetourmenter?Pourquoiai-jeenviedetedirequedesélèvesdisparaissentdecelycée?Nousensommesàtrois.Lepremierest
toujours porté disparu, il s’appelle Justin. La deuxième sera enterrée aujourd’hui, et la troisième a disparu hiermatin.
LecorpsdeJaneHamlinaétédécouvertprèsdelaplage.Elleavaitdeuxtrousdanslagorgeetétaitvidéedesonsang.Pourquoitonvisagea-t-ilsurgidansmatêtequandonm’aapprislanouvelle?
Toi,avectagrâcedeporcelaineettapeauirréelle.Jet’appelleraisenhurlantsitupouvaism’entendre.Jebrûleraisceslieuxsicelapouvaittepermettredevoirla
fumée.Jet’aime,voilàunechosequejesais.Etpourtant,jen’arrivepasàmerappelerquitues.Ilmefautrefermerlespagesdecejournal.Jesuisencostume,prêtàmerendreauxobsèquesdeJaneHamlin.On
adéjà frappéàmaporte.Tout le lycéeWickhamyva.Bizarre.À l’instant,alorsque j’allaisposermonstylo,unephrasem’estvenueentête,commeréveilléed’untrèslongsommeil.Jemedemandesimesparentsmel’ontappriseavantleurmort,j’étaistroppetitpourm’ensouvenir.
Honnisoitquimalypense.Sais-tucequ’ellesignifie?C’estpeut-êtreunindice.Unmoyendedécouvrirquitues.Honnisoitquimalypense.Celuiquituecesélèvesdevraitécouterceconseil.Dansl’attente,Rhode.
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