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Alain Caillé Jean-Louis Laville Pour ne pas entrer à reculons dans le XXI e siècle Dans son dernier livre, Les Métamorphoses de la question sociale, le sociologue Robert Castel montre admirablement comment, après avoir été longtemps signe d’opprobre social, la condition salariale est de- venue pour nous l’incarnation par excellence de la normalité et, partant, de la moralité et de la dignité sociale. Depuis cinquante ans ou plus, l’existence des hommes et des femmes modernes, leur « cycle de vie » ont été, à une écrasante majorité, ceux d’hommes et de femmes salariés. Les anciens oisifs ont, en effet, largement disparu : ceux qu’on pourrait appeler les oisifs d’en bas, vagabonds, saisonniers, intermittents, comme les oisifs d’en haut, aristocrates sans travail et autres rentiers. Pour les plus riches comme pour les plus pauvres, depuis quelques décennies, la vie, individuelle et collective, a été tout entière structurée et rythmée par le fait salarial. À l’exception, bien entendu, des petits patrons de l’industrie et du commerce et des agriculteurs, en régression constante, c’est en vue de devenir salarié que l’on faisait des études, c’est après avoir accédé à un premier emploi salarié stable que l’on pouvait envisager de fonder un foyer, c’est au prorata des cotisations prélevées sur le salaire qu’on se prémunissait contre les risques d’accident, de maladie ou de chômage, c’est en fonction des salaires antérieurement gagnés qu’on percevait sa retraite. L’État assu- rait au niveau national la péréquation générale entre les droits et les devoirs, entre les cotisants et les ayants droit, entre les différentes fractions et les différentes générations de la classe salariale. Insuffisance des remèdes classiques Or, ce modèle de la société salariale nationale est désormais en crise. Quand l’internationalisation et la tertiarisation de l’économie limitent les marges de manœuvre dont disposaient les États nationaux – que ce soit en termes de fiscalité, de politique de taux d’intérêt ou de protection sociale , c’est la capacité d’in- tégration sociale par l’emploi salarié qui est mise en cause. Ceci ne signifie pas, bien entendu, que le salariat est en voie de disparition. Il reste et restera longtemps encore un des vecteurs d’identité sociale parmi les plus forts. Il ne pourra cependant plus jouer désormais un rôle d’intégrateur à la mesure de celui qu’il a tenu pendant les Trente Glorieuses. Alain Caillé, sociologue et économiste, est directeur de La Revue du M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales). Il a publié récemment : La Démission des clercs et Don, intérêt et désintéressement (Paris, La Découverte, 1993 et 1994). Jean-Louis Laville, sociologue et économiste, a publié récemment : L’Économie solidaire, une perspective internationale (1994) et, en collaboration avec Bernard Eme, Cohésion sociale et emploi (1994) et Vers un nouveau contrat social, 1996 (tous trois chez Desclée de Brouwer). Cet article est paru en mars-avril 1996 dans le n° 89 du Débat (pp. 80-89).

Pour Ne Pas Entrer à Reculons Dans Le 21e Siècle

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  • Alain Caill Jean-Louis Laville

    Pour ne pas entrer reculons

    dans le XXIe sicle

    Dans son dernier livre, Les Mtamorphoses de la question sociale, le sociologue Robert Castel montre

    admirablement comment, aprs avoir t longtemps signe dopprobre social, la condition salariale est de-

    venue pour nous lincarnation par excellence de la normalit et, partant, de la moralit et de la dignit

    sociale. Depuis cinquante ans ou plus, lexistence des hommes et des femmes modernes, leur cycle de

    vie ont t, une crasante majorit, ceux dhommes et de femmes salaris. Les anciens oisifs ont, en effet,

    largement disparu : ceux quon pourrait appeler les oisifs den bas, vagabonds, saisonniers, intermittents,

    comme les oisifs den haut, aristocrates sans travail et autres rentiers. Pour les plus riches comme pour les

    plus pauvres, depuis quelques dcennies, la vie, individuelle et collective, a t tout entire structure et

    rythme par le fait salarial. lexception, bien entendu, des petits patrons de lindustrie et du commerce et

    des agriculteurs, en rgression constante, cest en vue de devenir salari que lon faisait des tudes, cest

    aprs avoir accd un premier emploi salari stable que lon pouvait envisager de fonder un foyer, cest au

    prorata des cotisations prleves sur le salaire quon se prmunissait contre les risques daccident, de maladie

    ou de chmage, cest en fonction des salaires antrieurement gagns quon percevait sa retraite. Ltat assu-

    rait au niveau national la prquation gnrale entre les droits et les devoirs, entre les cotisants et les ayants

    droit, entre les diffrentes fractions et les diffrentes gnrations de la classe salariale.

    Insuffisance des remdes classiques

    Or, ce modle de la socit salariale nationale est dsormais en crise. Quand linternationalisation et la

    tertiarisation de lconomie limitent les marges de manuvre dont disposaient les tats nationaux que

    ce soit en termes de fiscalit, de politique de taux dintrt ou de protection sociale , cest la capacit din-

    tgration sociale par lemploi salari qui est mise en cause. Ceci ne signifie pas, bien entendu, que le

    salariat est en voie de disparition. Il reste et restera longtemps encore un des vecteurs didentit sociale

    parmi les plus forts. Il ne pourra cependant plus jouer dsormais un rle dintgrateur la mesure de celui

    quil a tenu pendant les Trente Glorieuses.

    Alain Caill, sociologue et conomiste, est directeur de La Revue du M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les

    sciences sociales). Il a publi rcemment : La Dmission des clercs et Don, intrt et dsintressement (Paris, La Dcouverte, 1993 et 1994).

    Jean-Louis Laville, sociologue et conomiste, a publi rcemment : Lconomie solidaire, une perspective internationale (1994) et, en collaboration avec Bernard Eme, Cohsion sociale et emploi (1994) et Vers un nouveau contrat social, 1996 (tous trois chez Descle de Brouwer).

    Cet article est paru en mars-avril 1996 dans le n 89 du Dbat (pp. 80-89).

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    Sarc-boutant sur le modle de la socit qui se drobe, nombreux sont ceux qui, face la crise, clament

    leur dsir de retrouver le plein-emploi . Nul ne saurait sopposer cet objectif, mais bien des partisans dun

    tel programme semblent continuer croire que le progressisme consiste regarder lavenir en conservant

    les yeux rivs vers le pass. Observons simplement, en effet, que toutes les politiques menes depuis plus

    dune dcennie ont t ainsi justifies par cette volont continuelle de faire limpossible pour lemploi .

    Disait-on. Or, force est de reconnatre quelles nont eu pour rsultat que dentriner la dstabilisation de

    la condition salariale. Si lon ne se contente pas de partager lthique de la conviction qui les a imprgnes,

    lthique de la responsabilit oblige constater que les innombrables mesures pour lemploi nont

    empch ni le chmage ni linactivit de masse. Aux trois millions de chmeurs sajoutent, on le sait, plus

    dun million de personnes dispenses de recherche demploi et de prretraits, la gnralisation de la ces-

    sation anticipe dactivit faisant que 56 % seulement des Franais gs de cinquante-cinq soixante ans

    sont encore actifs.

    Limites des politiques dinsertion

    Certes, de nombreuses initiatives locales ont essay de dfinir de nouvelles modalits daction

    partageant la volont de rconcilier initiative conomique et solidarit sociale travers des pratiques din-

    sertion diversifies et Imaginatives mais, dans la plupart des cas, ce qui tait projet autonome sest vu

    dtourn de son sens en raison de lobligation de se conformer la logique des programmes tatiques. Au

    lieu que la crise suscite de nouveaux rapports entre tat et socit civile permettant de tirer parti dinnova-

    tions porteuses de sens, on sest content dadjoindre aux instruments habituels de ltat-providence des

    politiques de traitement du chmage, mi-chemin entre les politiques demploi et les politiques sociales

    traditionnelles. Ces politiques dinsertion ont t menes depuis plus dune dcennie dans la perspective

    de colmater les brches ouvertes dans le salariat. Ce faisant, elles ont largement modifi le paysage social,

    que ce soit par la multiplication des statuts intermdiaires entre travail et assistance ou par linstauration

    dun ultime filet de scurit sous la forme du revenu minimum dinsertion (R.M.I).

    La prolifration des emplois atypiques , quatre millions au total, dont ptissent dabord les femmes

    et les jeunes, a t constamment justifie par la ncessit damnager des passerelles pour que certaines

    catgories fragilises puissent retrouver le chemin de lemploi. En particulier, la mise en situation de travail

    pour une priode temporaire dans le cadre de programmes de traitement du chmage comme les contrats

    emploi-solidarit (C.E.S.) tait suppose faciliter le retour vers lentreprise. Mais sur les 611 200 personnes

    qui ont vu leur C.E.S. sachever en 1994, plus du tiers se sont immdiatement retrouves au chmage et

    un autre tiers a vu son C.E.S. reconduit par leur employeur. Daprs des enqutes du ministre du Travail,

    les jeunes qui passent par un C.E.S. se retrouvent plus souvent au chmage que ceux ayant suivi un autre

    cursus, quels que soient leurs niveaux de formation ; et les chmeurs adultes quittant un C.E.S. nont pour

    perspective, la plupart du temps, quun autre contrat aid. Inutile dpiloguer sur les ravages psycho-

    logiques causs chez les bnficiaires par ces mesures prsentes comme des tremplins et qui se montrent,

    en fait, des impasses ou des voies de garage.

    Quant au R.M.I, instaur en 1988, il est considr comme exemplaire parce quil maintient un lien

    entre les bnficiaires et le reste de la socit grce ltablissement dun contrat. Mais cette caractris-

    tique originale a pour contrepartie discutable de subordonner lobtention dun revenu lengagement de

    faire un effort personnel, alors que le problme pos nest pas tant celui des comportements individuels que

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    celui dun dcalage devenu permanent entre loffre demplois disponibles et le volume de la population

    active. Le simulacre de ngociation qui prside trop souvent lattribution du R.M.I. est dautant plus

    contestable quil a pour corollaire lventualit que lallocation soit rvoque. Or, comment envisager de

    faire le moindre projet moyen ou long terme si les conditions de la survie matrielle minimale sont en

    permanence menaces et incertaines ? Le R.M.I., enfin, comporte une tendance fcheuse enfermer dans

    la trappe du chmage du fait quil nest pas en principe cumulable avec dautres ressources. Une

    analyse comparable pourrait tre faite pour nombre dallocations conditionnelles actuelles et, notamment,

    lallocation de parent isol (A.P.I.) qui encourage des femmes en difficult se servir de la naissance dun

    enfant pour sassurer un moyen de subsistance.

    Au fond, toutes ces politiques dinsertion, aussi bien celles qui remdient linactivit que celles qui

    supplent au manque de revenus, sont victimes du modle daction qui les sous-tend. Centres sur lam-

    nagement de transitions dans lattente du retour espr une croissance forte et cratrice demplois, per-

    suades quil nest de socialisation vraie que sur et par le march, convaincues que cette socialisation ne

    peut reposer que sur un donnant-donnant, sur une logique de la conditionnante, elles concourent toutes

    traiter comme une simple difficult conjoncturelle ce qui rsulte de mutations structurelles. Ainsi les poli-

    tiques dinsertion, prsentes comme temporaires alors quelles se rvlent durables, soumettent les bn-

    ficiaires une injonction paradoxale ngative ( je vous incite chercher un travail dont je sais bien quil

    nexiste pas ) particulirement dmotivante et qui, sous couvert de protection, accentue le sentiment din-

    scurit gnrale. Il apparat en effet de plus en plus clairement que ces politiques reposent sur la dngation

    de quelques donnes simples. La principale est que le taux moyen de croissance, qui stait lev 5 %

    entre 1950 et 1973, est retomb 2 % de 1974 1993, soit un taux proche de celui constat sur la longue

    dure avant 1950. cet gard, la structure de lemploi qui confre une place grandissante aux services rela-

    tionnels productivit stagnante ne permet gure desprer une amlioration spectaculaire et, en de de 3 %

    du taux de croissance, il est couramment admis quon ne peut gure sattendre mieux quune stabilisa-

    tion du chmage. Dailleurs, en 1994, malgr la reprise, le nombre des chmeurs na pas diminu et, pour

    1995, lUnedic table sur 72 000 chmeurs de moins, ce qui constitue un chiffre drisoire au regard dun

    taux de chmage de 12,6 %. Partout en Europe les politiques de lutte contre le chmage ont chou. L o

    il sest rsorb, aux tats-Unis en particulier, cest au prix dune diminution catastrophique des rmunra-

    tions les plus basses : de 1977 1990, les revenus des 20 % dAmricains les plus pauvres ont baiss de

    5 %. Tirons-en la conclusion qui simpose lvidence : il ny aura plus dsormais demplois plein-temps

    pour tous durant toute la vie, si une rupture profonde nest pas opre dans les modalits du traitement

    du chmage.

    Face aux limites de ces politiques dinsertion qui ne sont plus la mesure des enjeux, une solution, par-

    ticulirement inquitante, sesquisse aujourdhui, dont les contours se dessinent avec de plus en plus de

    nettet, la solution du travail obligatoire. Puisque lincitation au travail sous ses diffrentes formes,

    notamment contractuelles , se rvle inoprante, passons au registre de lobligation, semble-t-on penser

    un peu partout et de plus en plus frquemment. Aux tats-Unis, reprenant lide aux Rpublicains, qui ont

    pourtant eu la sagesse de la juger inapplicable, le prsident Clinton a propos de substituer le workfare au

    welfare, autrement dit de mettre obligatoirement au travail toute personne ayant bnfici de deux annes

    daide sociale sans avoir retrouv demploi. La mme ide, soit nonce clairement, comme cela a t fait

    rcemment par celui qui tait alors directeur de lA.N.P.E., M. Michel Bon, soit formule mi-voix ou

    mots couverts, est de plus en plus couramment dfendue en France dans les sphres de la haute fonction

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    publique. Elle affleure dans le rapport Mine, La France de lan 2000. Elle est presque dfendue sous la

    forme dune prsentation favorable des thses de Clinton dans le dernier livre de Pierre Rosanvallon, La

    Nouvelle Question sociale, si convaincant dans son diagnostic et si discutable quant aux remdes quil

    recommande. On peroit bien la forme de gnrosit qui anime de tels projets. Face une exclusion sociale

    de plus en plus massive et intolrable, il est tentant, en effet, daffirmer avec force le droit lutilit

    sociale . Mais comment ne pas voir les multiples effets pervers potentiels dont cette gnrosit est grosse ?

    Du droit lutilit sociale son obligation il ny a quun pas. Qui serait vite franchi sil ne se heurtait

    dnormes difficults matrielles. Ne nous laisse-t-on pas entendre, dans les milieux les plus varis, quil

    ne saurait exister de droits sans devoirs et que la monte des exclusions rsulte, au fond, dun dsquilibre

    entre les deux, dune inflation dans la revendication des droits laquelle il convient de mettre rapidement

    bon ordre ? Or, raisonner ainsi, nen vient-on pas stigmatiser la victime et accrditer subrepticement

    lide librale classique que si les chmeurs ne trouvent pas de travail cest parce quils le veulent bien ?

    Sur quels principes se fonder ?

    Telle est bien limpasse sur laquelle dbouche une rfrence un ncessaire quilibre des droits et des

    devoirs qui illustre lincapacit concevoir des rapports sociaux qui ne soient pas seulement fonds sur

    lintrt matriel, individuel ou collectif. Une telle approche ne parvient pas se reprsenter quel principe

    au sens donn ce mot par Montesquieu dans LEsprit des lois pourrait inciter une libre socialisation

    et une implication volontaire dans des activits concourant la ralisation du bien commun. Pour cette

    raison, elle en vient logiquement limiter son horizon aux principes relevant du march et de ltat. Le

    principe du march se laisse aisment deviner. Il consiste dans lintrt matriel individuel, et celui-ci se

    marie avec la libert individuelle et le contrat. Le principe de laction publique est celui de lgalit de tous

    devant la loi abstraite. Cest lui qui justifie lemploi de la contrainte en vue de subordonner les intrts par-

    ticuliers la ralisation des intrts collectifs. Au moment de son apothose, lordre salarial fonctionnait

    ainsi sur un mixte efficace de libert et de contrainte. Leur intrt matriel poussait tous les sujets cono-

    miques contracter librement (sous contrainte de la ncessit), et la puissance publique imposait aux

    contractants, lchelle de la nation, une loi permettant tous les acteurs de sassurer contre les risques

    du jeu. Au moment de son dclin, nous venons de le voir, le mixte se dissocie puisque pour une partie crois-

    sante de la population lobligation est voque comme unique moyen dassurer la participation la socit.

    Pour sortir du cercle vicieux selon lequel la volont daffirmer de nouveaux droits devrait se traduire par

    le renforcement des devoirs imposs aux plus faibles, il nous faut donc trouver un principe qui soit la fois

    capable dalimenter la libre initiative sociale et susceptible de mler obligation et libert de faon pas trop

    dsquilibre.

    Or un tel principe, point nest besoin de le chercher bien loin et bien longtemps. Voil belle lurette, en

    un sens, que les grandes religions lont identifi et soixante-dix ans que lanthropologue Marcel Mauss la

    en quelque sorte tendu et lacis, rendu son immanence intrinsque, en montrant quil constitue un uni-

    versel anthropologique et sociologique. Il sagit du principe du don agonistique, autrement dit de cette

    trange obligation, o la nature sociale des hommes les place, de rivaliser pour donner. Ce principe atteste

    de ce que les relations humaines ne sont pas seulement fondes sur des relations de donnant-donnant ou

    sur lobissance la loi, mais sur le sentiment dappartenance un monde commun. Lanalyse quen donne

    Marcel Mauss est particulirement adapte notre propos puisque, ds les premires lignes de son clbre

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    Essai sur le don, Mauss insiste sur le fait que la caractristique majeure du don est de consister en un mixte

    indmlable dobligation et de libert. Partout, dans toutes les socits, obligation est faite aux hommes et

    aux sujets sociaux, montre-t-il, de donner librement. Et il conclut que, de mme quhier, il ne peut y avoir,

    aujourdhui ou demain, quune seule sagesse, une seule morale, celle qui consiste sortir de soi, () don-

    ner, librement et obligatoirement . Il y a l donner, librement et obligatoirement la fois, comment cela

    est-il possible ? un paradoxe, mais il sagit dun paradoxe qui est facteur de vie et de coopration. Le don

    est en effet porteur dune injonction paradoxale positive ( je veux que tu donnes aussi, que tu sois actif

    et cest bien pourquoi je te donne mais ne tordonne rien ) aussitt quil affirme le primat de la libert sur

    lobligation.

    Le terme de don peut certes prter confusion car il voque au premier chef la philanthropie et les

    socits archaques ; prcisons pour lever les possibles ambiguts que dans lacception retenue ici il na

    rien dun acte charitable et quil se manifeste dans les socits modernes travers de multiples pratiques

    de rciprocit et de solidarit quil importe aujourdhui de lgitimer dans le champ politique. Autrement

    dit, il sagit de reconnatre que lconomie nest pas le produit dune propension naturelle au troc mais,

    comme la montr Karl Polanyi, le rsultat dune construction institutionnelle plurielle qui articule dif-

    frents principes, dont celui de la rciprocit. Il sagit aussi dadmettre que le social ne saurait se limiter

    la ncessaire solidarit abstraite rsultant de la dialectique des droits et des obligations mais, comme nous

    le font comprendre divers auteurs, de Pierre Leroux Jrgen Habermas, quil englobe aussi une solidarit

    ne de lintersubjectivit et des relations interpersonnelles. Lquilibre, dsormais rompu, qui reposait sur

    la combinaison de la socialisation par lemploi avec la redistribution tatique, doit tre relay par une

    combinaison plus complexe qui fasse place, aux cts de lemploi salari et de la redistribution, des acti-

    vits gnratrices de socialisation rciprocitaire et solidaire.

    Sil ne saurait tre question den faire une alternative au march et ltat, le principe du don apparat

    donc nanmoins essentiel pour asseoir une conception non instrumentale de la dmocratie dpassant la

    comptabilit stricte des droits et des devoirs, des crances et des dettes. Seul lesprit du don est en effet sus-

    ceptible dalimenter lengagement volontaire des citoyens dans des activits et des formes de partage col-

    lectives contribuant un renouveau de linvention dmocratique, au-del des fondements militaristes et

    contractualistes partir desquels elle sest dploye jusqu prsent. La crise actuelle ne peut en effet tre

    dpasse par des remdes exclusivement techniques. Elle appelle un nouveau contrat social fond sur lexi-

    gence dune dmocratie qui soit elle-mme sa propre fin.

    Les fractures sociales ne sont pas inluctables. loppos de la rsignation laquelle nous condamnent

    les experts, il est non seulement possible mais de plus en plus urgent de faire le choix dun regain dmo-

    cratique, anim par lesprit du don et mis en uvre par des politiques publiques raffirmant la communaut

    de destin qui unit les sujets dune mme dmocratie. Concrtement, un tel choix pourrait se traduire par la

    conception de nouvelles politiques favorisant trois orientations principales.

    Trois lignes daction

    Affirmer un choix collectif en faveur du partage de lemploi. Il ne sagit pas par ce biais de cder au mythe

    dun temps libr qui donnerait spontanment et par lui-mme chacun les moyens de son panouissement

    personnel. Le temps libre, pas plus que les autres temps sociaux, nest exempt dingalits et de dangers

    dont le moindre nest pas le risque denvahissement par une consommation passive. Si, malgr toutes les

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    difficults quil recle, le partage de lemploi semble incontournable, cest parce quil peut seul garantir le

    plus large accs un emploi qui reste synonyme de protection sociale et de participation la production

    de la socit. Mme si ses dclinaisons doivent tre ngocies au plus prs des ralits locales et sil convient

    dencourager moralement et financirement toutes les possibilits inhrentes au temps choisi entendu

    comme le choix individuel volontaire du travail temps partiel , rien ne peut remplacer un partage de

    lemploi collectivement assum comme vecteur dune redistribution effective des attributs de la citoyen-

    net sociale , selon les termes de Robert Castel. Au-del de la rduction du temps de travail, cest une

    rpartition quitable de lensemble des droits et protections associs lemploi quil faut veiller. Dans cette

    perspective, le partage de lemploi ne vaut que sil permet au plus grand nombre daccder une condition

    salariale conue comme un continuum de positions, ce qui suppose en haut de lchelle sociale la rduc-

    tion des privilges dont jouissent les lites organises en caste et en bas de la mme chelle labandon des

    statuts intermdiaires imposs qui fragmentent les diffrentes composantes de la population active.

    laborer une politique en faveur de lconomie solidaire. De multiples initiatives, surgies dun peu

    partout, dplacent aujourdhui les frontires tablies entre lconomique et le social du fait quelles ne

    relvent principalement ni de lconomie de march ni de la solidarit tatique. En dpit de leur diversit,

    elles peuvent toutes tre qualifies de pratiques dconomie solidaire parce que des personnes sy associent

    pour mener en commun des activits contribuant la fois au renforcement de la cohsion sociale et la

    cration demplois, et parce quelles tentent dinstaurer une complmentarit entre vrais emplois et formes

    dengagement volontaire. Ces initiatives locales nont pas seulement un rle conomique. En activant des

    solidarits de proximit, elles jouent aussi un rle social et, en permettant aux membres de la socit civile

    une expression et une action relies la satisfaction des besoins sociaux, elles se rvlent galement poli-

    tiques. Mais leur originalit passe le plus souvent inaperue parce quelles sont rabattues sur une conomie

    dinsertion conue comme une simple transition vers lconomie de march. Ou alors elles sont assimiles

    une action caritative, uniquement voue pallier par simple bont dme et de cur les manques des dis-

    positifs tatiques. Cest cette reprsentation quil faut remettre en cause. Pour que lconomie solidaire puisse

    acqurir droit de cit, il convient de la penser comme une forme dexpression privilgie de lexigence

    dmocratique. Toutes ces initiatives appellent une politique approprie qui fasse place un soutien aux

    projets par lintermdiaire dune nouvelle forme de ngociation sociale, mobilisant partenaires sociaux et

    associations et permettant dattribuer lgitimement des financements publics des activits forte utilit

    sociale qui ne pourront pas se dvelopper seulement par la dynamique marchande. Lenjeu est de rendre la

    logique conomique moins outrancirement slective, en rsistant l encore la tentation des petits boulots

    comme celle de crer un secteur part pour les chmeurs et en facilitant au contraire une logique dhy-

    bridation entre lconomie prive, lconomie publique et lconomie non montaire. Lconomie solidaire

    nest pas voue occuper les chmeurs, elle vise donner une possibilit chacun duvrer volontaire-

    ment des activits concourant au bien commun. Elle pose la question dun renouveau de formes de la

    dmocratie directe susceptibles de complter et de revivifier la dmocratie reprsentative1.

    1. Il va sans dire que la dmocratie directe dont il est ici question na rien voir avec une dmocratie dopinion base de sondages. loppos, les initiatives dconomie solidaire constituent des espaces publics de proximit, cest--dire des lieux permettant ceux qui y participent de prendre la parole, de dbattre, de dcider, dlaborer et de mettre en uvre des projets conomiques en rponse aux problmes sociaux quils rencontrent. Il est permis de parler ce propos dune contri- bution au lien civil et la sociabilit dmocratique, qui ne soppose pas la citoyennet de dlgation mais la renforce.

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    Adopter le principe dun revenu de citoyennet, revenu minimal sous condition de ressources. Pour

    dfinir les conditions de sa dlivrance, il suffit de vouloir chapper aux trois dfauts majeurs du R.M.I. Il faut

    donc que ce revenu soit inconditionnel, pour viter la fiction de contractualit humiliante et dmobilisante

    laquelle le R.M.I. contraint travailleurs sociaux et allocataires. tant inconditionnel, il deviendrait ipso

    facto irrvocable, permettant ceux qui le peroivent de sinstaller dans le long terme et de commencer

    faire des projets en sachant quils ne tomberont jamais en de de ce seuil. Enfin, si lon dsire effective-

    ment encourager la qute de travail ou dactivits diverses, il est ncessaire que ce revenu soit cumulable

    avec dautres ressources par principe, et non seulement de manire occasionnelle comme cest actuelle-

    ment la rgle. Dun point de vue technique, le dossier est dlicat, mais nullement insurmontable. Dun

    point de vue symbolique, la reconnaissance de la lgitimit dune certaine inconditionnalit du droit la

    survie matrielle doit contribuer viter les effets pervers inhrents toutes les allocations conditionnelles

    et permettre au travail social de sortir des tches de contrle. Pourquoi les travailleurs sociaux nauraient-

    ils pas vocation se faire les hussards dune dmocratie rnove et signifier explicitement aux exclus que

    le revenu minimum inconditionnel, le don initial et initiateur (lquivalent de ce que Malinowski appelait

    un opening gift) qui leur est accord, lest titre dincitation leur pleine activit sociale ?

    lvidence, les trois sries de rformes ici esquisses gagneraient tre examines conjointement.

    Pour que le partage de lemploi et linstauration dun revenu de citoyennet nentretiennent pas le retrait

    dans la sphre prive et nencouragent pas le travail au noir, il savre essentiel que lconomie solidaire

    puisse proposer des formes dimplication gratifiantes dans des activits choisies menes au sein de la

    sphre publique. Pour que lconomie solidaire ne soit pas une sous-conomie rserve aux plus dfa-

    voriss, il est primordial que le partage de lemploi et que laccroissement du temps libre facilitent une

    action bnvole dote dun vrai statut, comme il est souhaitable quun revenu de citoyennet attnue cette

    constante peur du dclassement et de la dchance qui npargne aucun actif.

    En esquissant de telles rformes, loin de nous lide que nous aurions trouv des formules magiques

    contre la crise. Ces trois lignes daction ont lavantage de nous obliger changer de perspectives, mais nous

    sommes conscients des difficults quelles soulvent et nous pouvons mme avoir des apprciations diver-

    gentes sur leurs pertinences respectives. Pour cette raison, il nous semble dcisif que sengage sur celles-ci

    un dbat public, dont les formes sont inventer, pour que senrichissent approches thoriques et constats

    empiriques et que soient approfondies tant les finalits que les modalits de chacune de ces orientations sans

    luder les rticences et les critiques. Notre souci nest pas de brandir quelques mesures considres comme

    salvatrices, mais bien de contribuer ce que les rapports entre lconomie et la socit puissent faire lobjet

    dun questionnement politique.

    Entretenir lillusion dune possible sortie de crise par les voies librale ou keynsienne classiques aboutit

    alimenter les dangers de rgression antidmocratique. Chaque fois quon suscite lespoir de changement

    sans le raliser, on renforce les phnomnes de frustration et de dpit qui profitent aux dmagogues. La seule

    certitude qui nous anime est celle que, faute dengager un dbat pluraliste et contradictoire sur ces orienta-

    tions, le pire est devant nous. Et, notamment, le spectre du travail forc, qui ne peut quvoquer les pires

    heures du XIXe sicle. Un dbat public qui resterait dans lavenir aussi vasif quil lest aujourdhui sur les

    enjeux majeurs des mutations en cours ne pourrait que renforcer nos inquitudes. Nest-il pas grand temps

    de nous demander quoi devrait ressembler lentre dans le troisime millnaire ? Selon nous, ne pas entrer

    reculons dans le XXIe sicle, cela signifie simplement refuser de considrer que lidal dmocratique serait

    dj ralis si bien quil ny aurait plus sen soucier ou, pire, quil serait dsormais hors de saison, comme

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    on nous le laisse entendre un peu partout. Cest poser, au contraire, que ce qui touche sa fin ce sont en

    effet les formes et linterprtation donnes cet idal par les hommes du XIXe sicle et par leurs successeurs

    du XXe sicle. Ce qui se desserre, cest le lien troit qui a uni jusqu prsent la revendication dmocratique aux normes du contrat et la socit salariale ; cest la limitation de cette revendication dans les frontires dun tat national concidant de faon troite avec lordre conomique et lordre social.

    Tout est maintenant reprendre de faon rendre lidal nouveau plausible et vivifiant pour les

    hommes et les femmes du XXIe sicle. Et la voie quil nous faudra suivre sera celle dune refondation non

    exclusivement contractualiste et rsolument anti-utilitariste de la dmocratie2.

    Alain Caill, Jean-Louis Laville.

    POST-SCRIPTUM

    Tentant ici uniquement de dgager des pistes de rflexion susceptibles de faire lobjet dun vaste dbat

    collectif, nous ne saurions entrer dans le dtail, sauf risquer de rabattre les principes sur un catalogue de

    mesures trop vite dtermines. Par exemple, parmi les partisans de linstauration dun revenu minimum

    inconditionnel, il existe des diffrences considrables entre ceux qui plaident en faveur dune allocation

    universelle (Philippe Van Parijs, Yoland Bresson ou Jean-Marc Ferry) et les champions dun revenu de

    citoyennet reposant sur une forme dimpt ngatif (Alain Caill). Et mme les deux auteurs du prsent

    texte divergent peu ou prou sur ce point. Lun, Jean-Louis Laville, sil se refuse fermer le dbat sur le

    revenu inconditionnel et croit ncessaire de tout faire pour chapper la perspective du travail forc,

    estime quil nest souhaitable de sengager sur la voie de linconditionnalit quavec la plus extrme pru-

    dence ; selon lui, le thme du revenu inconditionnel, sil est autonomis, peut avoir comme effet pervers

    dentriner lillusion selon laquelle lemploi pour tous nest plus concevable et dencourager une indem-

    nisation de lexclusion facilitant les stratgies de prcarisation sous prtexte de flexibilit. Il estime, en

    revanche, quenvisage en complment du partage de lemploi et de lconomie solidaire, une incondi-

    tionnalit faible est susceptible de permettre dchapper au classement et la hirarchisation des bons

    et des mauvais pauvres qui semblent indissociablement lis la conditionnante des prestations sociales.

    Tout en partageant certaines des apprhensions de Jean-Louis Laville, Alain Caill pense au contraire que

    seul le choix consciemment et collectivement assum dune certaine dose dinconditionnalit est suscep-

    tible de concrtiser les mutations symboliques ncessaires et quil est donc ncessaire daborder frontale-

    ment et publiquement les problmes soulevs par linconditionnalit. Dans cette optique, le moyen le plus

    2. Peu de temps aprs une premire rdaction de ce texte, linitiative a t prise de tester lhypothse quil existait bien le lieu dun dbat possible entre les auteurs ou militants associatifs qui, en France, tentent dexplorer dautres voies que celles suivies par les diffrents gouvernements qui nous promettent depuis une vingtaine dannes la liquidation ou la rsorp- tion du chmage. Une sorte de plate-forme minimale commune a pu tre dgage, ce qui permet de dvelopper un dbut doptimisme sur la capacit de notre socit renouer avec le politique et sautorformer. Signe par trente-cinq person- nalits, elle a t publie dans Le Monde du 26 juin 1995 et a suscit des ractions favorables en provenance de milieux fort varis. On trouvera le texte complet de cet appel dans La Revue du M.A.U.S.S., n 6 : Quest-ce que lutilitarisme ? De quelques mystres de lhistoire des ides , 2e semestre 1995, Paris, La Dcouverte.

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    Alain Caill Jean-Louis Laville

    Entrer dans le XXIe sicle

    simple de raliser la mutation symbolique souhaitable serait tout bonnement de rendre le R.M.I. irrvocable,

    mme lorsque la rinsertion choue, et cumulable avec dautres ressources quitte taxer celles-ci

    spcifiquement, par exemple hauteur de 30 % lorsquelles nexcdent pas un quart du S.M.I.C. et 50 %

    au-del. Le problme que soulve cette troisime ligne de rflexion est bien videmment celui de savoir si

    ce revenu minimum doit tre rserv aux nationaux ou tendu tous les rsidents et, plus gnralement,

    comment lensemble des orientations ici dfendues serait susceptible de sinscrire dans le cadre des poli-

    tiques europennes. Sur ce dernier point, lavantage que nous voyons la ligne daction esquisse est que

    rien ninterdit dentreprendre sa ralisation au plan de la nation sans attendre une hypothtique unification

    europenne des politiques conomiques et sociales. La question de savoir si le critre de lattribution dun

    revenu minimum doit tre la nationalit ou la rsidence est nettement plus pineuse. Il ne nous parat pas

    a priori souhaitable de laborder ici directement puisquelle ne se pose pas de manire foncirement dif-

    frente quavec le R.M.I. Avant de discuter de la question de savoir qui le bnfice dune mesure doit tre

    tendu, il faut au pralable se mettre daccord sur le bien-fond de la mesure en question.

    Par ailleurs, des publications rcentes, gure voques dans le dbat public, font cho aux trois orien-

    tations voques ici, mettant en vidence les impenss des politiques communautaires et suggrant un

    renouvellement dans lapproche du traitement des crises que connaissent les pays europens. Citons, par

    exemple, parmi les documents labors en 1995, le projet de rapport sur la rduction du temps de travail

    labor par la Commission des affaires sociales et de lemploi du Parlement europen, qui sinsurge contre

    le silence de lUnion europenne sur le sujet et plaide pour une ambition ncessaire dans ce domaine.

    Lenqute dans lUnion europenne, ralise par les services de la Commission europenne sur les initia-

    tives locales de dveloppement et demploi, mentionne, quant elle, les limites de lentreprise prive et

    de lintervention publique traditionnelle pour rpondre aux nouveaux besoins et rejoint la dmarche

    de lconomie solidaire en plaidant pour de nouvelles formes daction publique sur loffre et la

    demande . Enfin, ltude sur la concertation sociale en Europe, galement effectue pour la Commission

    europenne sous la direction de J. de Munck, J. Lenoble et M. Molitor par le Centre de philosophie du droit

    de lUniversit catholique de Louvain, scarte des discussions habituelles sur les mcanismes de la redis-

    tribution ou le cot salarial pour se centrer sur la question dun nouveau modle daction possible dans les

    politiques sociales, qui reprend son compte les conclusions de P. Rosanvallon selon lesquelles ltat-

    providence est de plus en plus inefficace conomiquement parce que inadapt sociologiquement .

    Comme nous le signalions propos du revenu minimum, il convient de remarquer que les lignes daction

    esquisses sont susceptibles dtre mises en place au seul plan de la nation voire titre exprimental, au

    plan local , sans attendre une souhaitable, mais nullement vidente, unification europenne des politiques

    conomiques et sociales.