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Pour une ergonomie globale Bernard MÉLIER Ergonome conseil Ergonomie & Performances, Toulouse Laboratoire d’Intervention et de Recherche ATEMIS, Paris (Analyse du Travail Et des Mutations Industrielles et des Services) [email protected] Notre parti, dans cet article, est que l’« ergonomie industrielle et des services » opéra- tionnelle doit intégrer, dans une même démarche d’analyse et d’action simultanées, quatre niveaux de travail, d’activité pour nous ergonomes : celle des producteurs de produits et de services, évidemment ; mais aussi celle des concepteurs de ces produits et services et de l’ingénierie des dispositifs techniques, organisationnels, architecturaux et humains correspondants, qui doivent viser à l’« opérationnalité des processus » et à l’« utilisabilité » des procédés, outils et produits ; celle des managers, tout autant, qui ont à définir les objectifs en fonction des finalités essentielles des entreprises et vérifier leur mise en oeuvre, et à désigner leurs responsables ; et celle des gestionnaires, enfin, qui ont à évaluer les résultats en fonction de ces objectifs et à attribuer ou modifier les moyens et ressources visant à les obtenir, ce qui constitue le pilotage de la performance. C’est la cohérence de cette chaîne d’activités continues, interactives et non séquen- tielles, qui fait la performance d’un système, que nous appellerons l’« ergonomie globale » (en miroir de la notion de « performance globale » provenant des milieux du management et de la gestion). Ceci faisant, l’ergonome est « embarqué », qu’il le veuille ou non, dans l’ordre de la déci- sion, et est coresponsable, aussi, des résultats finaux des actions auxquelles il a accepté, finalement, de participer ; en ceci, on est bien dans une ergonomie politique. Tout cela est donc essentiellement affaire de pratique, qui met les professionnels, ergo- nomes internes aux entreprises, au premier chef, comme conseils externes, au coeur de notre discipline et de notre métier. Mots-clés : ergonomie globale, ergonomie politique, ergonomie du manage- ment, ergonomie de la gestion, opérationnalité des processus, pratique, profes- sionnel, conseil, métier L’ergonomie s’est historiquement constituée autour des problématiques portant sur la préservation de la force de travail, puis de la santé des travailleurs, de l’hygiène et la sécurité, des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels, tout en s’attaquant de plus en plus à d’autres domaines comme les conditions de réalisation de la productivité, de la qualité, de la fiabilité et de l’implication de la ressource humaine (y compris des « cadres ») ; cela est passé Congrès self 2007 page 509

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Pour une ergonomie globale

Bernard MÉLIERErgonome conseil

Ergonomie & Performances, ToulouseLaboratoire d’Intervention et de Recherche ATEMIS, Paris

(Analyse du Travail Et des Mutations Industrielles et des Services)[email protected]

Notre parti, dans cet article, est que l’« ergonomie industrielle et des services » opéra-tionnelle doit intégrer, dans une même démarche d’analyse et d’action simultanées,quatre niveaux de travail, d’activité pour nous ergonomes : celle des producteurs deproduits et de services, évidemment ; mais aussi celle des concepteurs de ces produits etservices et de l’ingénierie des dispositifs techniques, organisationnels, architecturauxet humains correspondants, qui doivent viser à l’« opérationnalité des processus » età l’« utilisabilité » des procédés, outils et produits ; celle des managers, tout autant, quiont à définir les objectifs en fonction des finalités essentielles des entreprises et vérifierleur mise en oeuvre, et à désigner leurs responsables ; et celle des gestionnaires, enfin, quiont à évaluer les résultats en fonction de ces objectifs et à attribuer ou modifier lesmoyens et ressources visant à les obtenir, ce qui constitue le pilotage de la performance.C’est la cohérence de cette chaîne d’activités continues, interactives et non séquen-tielles, qui fait la performance d’un système, que nous appellerons l’« ergonomieglobale » (en miroir de la notion de « performance globale » provenant des milieux dumanagement et de la gestion).Ceci faisant, l’ergonome est « embarqué », qu’il le veuille ou non, dans l’ordre de la déci-sion, et est coresponsable, aussi, des résultats finaux des actions auxquelles il a accepté,finalement, de participer ; en ceci, on est bien dans une ergonomie politique.Tout cela est donc essentiellement affaire de pratique, qui met les professionnels, ergo-nomes internes aux entreprises, au premier chef, comme conseils externes, au coeur denotre discipline et de notre métier.

Mots-clés : ergonomie globale, ergonomie politique, ergonomie du manage-ment, ergonomie de la gestion, opérationnalité des processus, pratique, profes-sionnel, conseil, métier

L’ergonomie s’est historiquement constituée autour des problématiques portantsur la préservation de la force de travail, puis de la santé des travailleurs, del’hygiène et la sécurité, des conditions de travail et de la prévention des risquesprofessionnels, tout en s’attaquant de plus en plus à d’autres domaines commeles conditions de réalisation de la productivité, de la qualité, de la fiabilité et del’implication de la ressource humaine (y compris des « cadres ») ; cela est passé

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de la simple conception (ou adaptation) du poste de travail particulier (de lacabine de pilotage) à une approche plus générale de la chaîne de production toutentière. Notons que le même processus est engagé du coté des « services ».Les progrès de l’ingénierie dans la conduite des projets ont amené les ergo-nomes à intégrer les méthodologies de gestion de projet (Daniellou, en conduitede projets industriels, et Escouteloup et Martin/Bordeaux-II ergonomie, comme,différemment, Lautier/école d’Architecture Paris-La Villette et Heddad dans lemastère d’ergonomie de Paris-I, en conduite de projets architecturaux).En même temps, l’ergonomie du logiciel et des interfaces hommes-machinesrépondait de façon de plus en plus approfondie à la montée en puissance de l’in-formatisation des processus de conception, de logistique et de suivi de laproduction comme de pilotage des process techniques, de la simple MOCN à l’in-tégration par un même outil informatique de systèmes de production de plus enplus complexes, automatisés et robotisés.D’un autre côté, l’ergonomie reste plus vulgarisée pour le grand public, par lescommerciaux et les publicitaires, autour du design des produits, par les B.E. et lemarketing, et des modalités de leur utilisation et entretien ; ce congrès de la SELFà Saint-Malo est centré sur ce versant de notre discipline.Enfin, les développements de notions du travail sous les approches de « gestiondes évènements » (Zarifian/Ecole des Ponts-et-Chaussées puis universitéd’Evry sociologie) et de « relation de service » (Hubault/Paris-I ergonomie, duTertre et Blandin/Paris-VII économie) s’articulent avec la diffusion actuelle de lanotion encore floue (ou en tout cas objet d’un important conflit de signification)du « développement durable » ; elle crée un bon contexte sur ces questions,reprenant et développant une approche initiale de nos « maîtres », JacquesChristol, ergonome consultant à Toulouse (qui nous a initié à ce métier deconseil privé en Ergonomie dont il a été le créateur) et Pr Alain Wisner, duCNAM, en termes de compréhension du travail dans un environnement tech-nique et technologique, culturel et social, spatial et physique, économique etfinancier… toujours particulier (cf. diapo 1).Cela concerne aujourd’hui les innovations et transferts de technologie, lesrestructurations et « (dé)relocalisations »… qui interpellent de plus en plus lesergonomes.Cette approche de « la relation de service » en terme de « capabilité » d’une orga-nisation à coproduire avec ses clients-usagers-patients une relation constituantpar elle-même la performance, appréhendée comme coproduction avec lesclients-usagers-patients de la valeur finale d’un produit-service (notamment entermes d’obtention de la qualité du service, d’enrichissement de l’offre de cesservices, d’ajustement instantané de cette offre de l’entreprise à leurs besoinseffectifs très évolutifs, d’économie des ressources pour un résultat-cible optimalet de non-externalisation des coûts indirects induits et des nuisances générées),s’inscrit dans l’ensemble des travaux menés, en particulier, autour du Labora-toire d’Intervention et de Recherche ATEMIS associant ergonomes, économisteset sociologues ; elle répond aussi à l’accent mis par les gestionnaires (Lebas, Fiol,Solé/HEC contrôle de gestion, Lorino/ESSEC, Bescos/ESCP,…) sur la part

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croissant de façon exponentielle, en volume et en valeur ajoutée, des services :outre les services à la personne, il s’agit essentiellement ici des services auxentreprises (la société de « l’information », de la recherche, en hautes technolo-gies et en R&D,… de la « connaissance » au total), par rapport à l’industrie strictosensu.Dans la présente contribution, nous souhaitons continuer dans cette perspective,autour de deux idées :La première idée est celle de l’articulation et des effets de système permanentsentre trois champs de travail (et donc d’activité), celui du travail des produc-teurs de produits ou de services (qui réalise la valeur finale de l’ensemble de lachaîne de décision, de conception, de logistique et suivi de processus), celui dutravail des concepteurs (design et études des produits, ingénierie des dispositifstechniques, architecturaux, organisationnels et humains de leur fabrication et deleur diffusion), celui du travail des managers enfin (détermination des objectifsà poursuivre, nomination des responsables des différents segments de laconception et de la production, vérification de l’orientation et de la mise enoeuvre effective de la stratégie) (cf. diapo 3).Il s’agit bien ici de considérer que l’on n’est pas dans une succession de phasesd’un déroulement séquencé, mais bien dans un processus continu de décisionsaux différents niveaux, en constantes interactions, censé répondre aux finalitésessentielles de l’entreprise.Ces trois niveaux et types de travail doivent concerner l’ergonome, pourlesquels il doit développer des modes d’analyse de l’activité, des aides autravail, des formes de prescription et de reporting, de convergence et cohérence,des formalisations méthodologiques et stratégiques. Nous sommes bien dans ceque nous avons déjà développé par ailleurs à différentes occasions (1), dans uneergonomie politique où tous les niveaux d’activité sont concernés par leséléments (critères, indicateurs) dirigés aussi vers les autres niveaux [cf. notrearticle au Séminaire d’Ergonomie de Paris-I en 1993].Cette ergonomie politique est donc en rupture avec une conception « détermi-niste et scientiste » de l’activité de l’ergonome et d’une ergonomie où les solu-tions découleraient « d’elles-mêmes » de l’analyse de l’activité et, pluslargement, du travail ; elle n’est pas non plus « neutre », pour « instruire »,simplement (sans peser sur), la décision des différents acteurs mobilisés : l’ergo-nome est « embarqué », sinon « engagé » (Camus 1957 (2)), qu’il le veuille ou non,par le choix même des indicateurs, comportements et verbalisations, effets etconséquences, qu’il va cibler… ou pas, et par les résultats finaux des actionsauxquelles il accepte, finalement, de participer.

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1. Congrès antérieurs de la SELF, Journées de la Pratique de Bordeaux, Séminaires d’Ergonomie deParis-I, Journées Professionnelles annuelles du Syndicat National des cabinets-Conseils en Ergono-mie de la CICF (la chambre représentative de la branche professionnelle), … les quatre étapes incon-tournables de « l’année ergonomique » des praticiens ! (avec Ergo’IA pour ceux plus orientésergonomie du logiciel et des IHM) ; cf. bibliographie jointe.2. « A partir du moment où l’abstention elle-même est considérée comme un choix, puni ou louécomme tel, l’artiste, qu’il le veuille ou non, est embarqué. Embarqué me paraît ici plus juste qu’en-gagé. » (Camus, 1957). L’ergonome aussi !

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La seconde idée que nous souhaitons esquisser ici, qui renvoie à de nombreusescollaborations depuis 90, interventions et réflexions, avec François Hubault(Paris-I), réside dans le rôle de plus en plus fondamental du contrôle de gestiondans l’évaluation des résultats des ressources et moyens engagés dans uneaction en regard des objectifs fixés par la direction générale (cf. diapo 4) ; le choixdes critères et des indicateurs de cette évaluation (et des réorientations qu’elleentraîne, le pilotage… ou les restructurations quand il en est besoin) ainsi que lechoix et les paramétrages des dispositifs informatiques de calcul qui l’outillent,sont évidemment stratégiques en cette matière.Le travail des gestionnaires, comme tel déjà, doit intéresser les ergonomes(quelle activité déploient-ils, quels sont les choix de modèles d’analyse qui lastructurent, quels critères et indicateurs prennent-ils en compte ou pas… ?) ; enoutre, la bonne articulation de leur travail avec ceux des trois autres niveaux detravail (c’est-à-dire, ipso facto, de décision), celui des producteurs, celui desconcepteurs et celui des managers, est une clé essentielle du pilotage de laperformance.Ainsi, dans un grand projet industriel européen, nous sommes amenés, en 98-2000 avec notre collègue « ergonome interne », à examiner le « build concept »d’un nouveau programme, au sein d’un « Groupe Projet Intégré » (GPI) asso-ciant l’ensemble des acteurs-métiers concernés par « l’Indus’ » de ce projet : celaconcerne un ou deux postes, selon le choix qui sera fait, et quelques centaines decompagnons et techniciens-supports correspondants.Les situations de référence sur des programmes comparables sont bien connues,proches et faciles à étudier, sur lesquelles nous avons déjà travaillé depuis douzeans à des titres différents.Nous y retournons pour approfondir et finaliser, dans un axe particulier corres-pondant à l’objet nouveau de la situation qui se présente alors (l’ergonome nevoit et ne peut comprendre, comme les autres acteurs, que ce qu’il choisit d’exa-miner !) : la première chose qui s’impose est que la situation de référence n’ajamais fonctionné de façon « nominale », comme prévu à l’origine, c’est-à-direen tant que process robotisé ; depuis le début, les hommes font, dans un envi-ronnement conçu pour des robots, avec les outils (lourds et peu maniables quicorrespondent à un process robotisé) et dans des espaces non prévus pour cela,en « mode dégradé » donc, les tâches d’assemblage des très gros composantsconcernés ; ce qui ressort donc, qui n’est pas contrebalancé depuis par de quel-conques progrès de la robotique, est la nécessité de concevoir un dispositifspatial et technique conçu pour un process manuel (puisque le management adécidé de ne pas innover sur ce programme et d’assurer sa réalisation rapidedans des technologies connues), avec des outils et espaces de travail dédiés àcela.La deuxième question qui se pose alors est de définir si le processus principal,qui « fait le cycle critique », pourra être réalisé sur un seul poste ou sur deux ;ce sont de l’ordre de 10 000 m2, à environ 25 KF (à l’époque) le m2, de plus ou demoins, qui sont en jeu et le quasi-doublement éventuel de nombreux outillageset environnements, de l’ordre de 90 MF. Evidemment, le produit étant plus

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grand que ses précédents, il avait été conclu par avance et sans plus grandexamen, que ça se ferait « sans doute » sur un poste !Les ergonomes font leur travail, examinent les exigences de la tâche et l’activitéréelle des compagnons sur les dispositifs similaires, pour identifier que deuxtâches-clés, chacune sur le « cycle critique » du processus central, sont incompa-tibles en espace de travail requis, en qualifications opératoires, et en pollution del’une sur l’autre dans un contexte d’exigences qualité-fiabilité du produit incon-tournables : pour les ergonomes (qui trouvent une oreille, du coup attentive,auprès des Méthodes Qualité), c’est déjà un « no go » ; le réel différentiel de taillegénérale du nouveau produit n’est pas effectif à l’endroit précis de ces deuxopérations-clés qui ne sont distantes que de 80 cm : dans les exigences qualité,les temps et les enchaînements fixés, l’« opérationnalité du processus » estimpossible.En outre, le GPI, dont ils ont pris, de fait, l’animation (« aider le travail desconcepteurs par l’action même sur leurs méthodologies de conception et decoopération »), identifie que des reconfigurations des environnements (accès detravail et zones de stockage-poste) selon les standards-produits rentrent dans le« cycle critique », alors qu’elles ne devaient pas le faire, et qu’elles demanderont,même en situation stabilisée (opérations maîtrisées), une masse de temps-opérateurs cumulée importante au point de compenser, sur l’ensemble duprogramme, le surcoût d’investissement initial, en m2 et en outillages presquedoublés ; de sorte que le dispositif, sur un seul poste plutôt que deux, coûterait,sur l’ensemble de la série, deux fois plus et non deux fois moins que ce que laseule approche en terme d’investissements initiaux avait évalué. De surcroît,d’autres facteurs aggravent ces calculs sur ces critères…Au total, le processus n’est pas possible sur un seul poste (pour des raisons quel’analyse de l’activité classique permet d’identifier), serait deux fois pluscoûteux au total sur l’ensemble de la série (pour des raisons que la « reconstitu-tion de l’activité future probable » permet de valoriser), serait plus coûteux aussien terme de conditions de travail, en terme d’interchangeabilité des opérateurssur les différents postes, de leur maîtrise opérationnelle des différents procédés,d’enclenchement et de management des opérations, etc.Les ergonomes proposent alors au GPI de construire une grille d’évaluation (dedécision, en fait : cf. diapo 5) selon les différents types de postes en concurrence(du type de celle construite, avec M. Noulin, Paris-I, et le conseil de V. Champe-ret, HEC contrôle de gestion, chez Thomson Electroménager dix ans aupara-vant… mais transformée et adaptée, évidemment, à la situation traitée et enfonction des enjeux qui s’y jouent) ; chacun des métiers réunis au sein du GPIinstruit et valorise techniquement les indicateurs relevant de sa compétence, etle dossier structuré et argumenté est présenté aux « décideurs » qui concluentconformément aux résultats de la méthode ainsi développée.Il est à noter trois choses à propos de cet exemple :- d’une part, il n’y a pas de « ligne Ergonomie » dans la grille d’évaluation et de

décision ; c’est essentiel, sinon nous étions enfermés dans une case sympa-

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thique… mais sans poids ! Moyennant quoi, nous sommes « autorisés » àintervenir et peser, à partir de notre compétence propre, sur des critèrescomme les coûts non récurrents et récurrents (et ce qui semblait « coûter »deux fois moins cher coûte en réalité deux fois plus cher : les contrôleurs degestion traduisent sans difficulté en temps de « retour d’investissement » etcoûts d’immobilisation de capitaux correspondants), sur la qualité des opéra-tions effectuées dans les opérations cruciales de ce point de vue (sur desproduits qui sont très « sensibles » à ce critère qualité-fiabilité), sur le cycle defabrication du produit (que les « cost controllers » traduisent aussitôt en écono-mies en termes d’« invests » et de cadence-chaîne), sur la « maintenabilité » etle « risque technique » liés à l’innovation technologique…

- d’autre part, il est à remarquer que, lors de la demande initiale aux managersd’indiquer les critères qu’ils entendaient voir posés pour l’évaluation desdifférents process en jeu, et de fixer les coefficients de pondération de l’impor-tance de ces différents critères, ils ont répondu aux ergonomes de leur « faireune proposition », ce qu’ils ont donc fait mais qui, du coup, leur donne offi-ciellement un rôle d’aide aux managers (comme indiqué dans la diapo 3) et departicipation au management lui-même, ce qui ne se borne donc plus à la seule« instruction » d’éléments directement issus de l’analyse de l’activité de laseule fabrication des produits. Ils prendront bien soin de ne pas surévaluer des critères auxquels on les limiteclassiquement, comme les conditions de travail (qu’ils valoriseront au coeffi-cient 3, comme indiqué dans la diapo 5, et qui seront finalement relevées parles participants au processus d’évaluation et de décision eux-mêmes, au coef-ficient 6).

- enfin, l’association des différents métiers du GPI (c’est à dire de la conceptionindustrielle et de la haute maîtrise de fabrication) et l’explicitation et instruc-tion par tous de la grille d’évaluation, permettra le partage de la décision et de« remettre en selle » ceux dont les critères auront été moins valorisés et, sansdoute, dont la note brute (c’est-à-dire aussi les préoccupations dans le projet etsa future opérationnalisation) sera la plus faible, ceci dans la mesure où, enmême temps que la grille donne une « indication » pour la décision (même siles ingénieurs ont tendance à la prendre finalement comme un résultat« mathématique », tant elle est « cognitivement compatible » avec desméthodes qu’ils connaissent par ailleurs comme l’analyse fonctionnelle oul’analyse de la valeur), elle indique aussi les points faibles du choix effectuéfinalement et les axes de « progrès continu » qui doivent être poursuivis dansla suite du processus de conception et font donc, de leurs détenteurs, desacteurs qui « reviennent dans la course ». De ce point de vue aussi, elle est unoutil d’aide au management.

Il reste à noter qu’à partir de cette intervention et par la suite, les ergonomesseront dès le « build concept » associés dès le tout début à la conception desfuturs programmes (ils l’étaient en partie avant mais souvent dans un secondtemps alors que de nombreux choix avaient été faits, comme par exemple leurintroduction au jalon de présentation de l’APS, dans les processus architectu-

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raux), dont le programme qui a succédé à celui pris ici comme illustration géné-rale du propos de cette présentation, et que, pour le programme suivant encore,actuellement en cours de conception-produit, ils sont même sollicités dès cetteconception-produit de sorte que, dans la définition du produit elle-même, soientprises en compte les exigences futures de conception (technique, architecturale,organisationnelle et de GRH) et de fabrication industrielles. Enfin, comme pourboucler l’ensemble, ils viennent d’être reçus comme prestataires dans uneimportante opération très amont de R&D sur des technologies qui seront misesen oeuvre dans dix ans sur des produits du même type, dont la définition n’amême pas commencé, mais dans des matériaux et procédés nouveaux concer-nant toute la filière industrielle.En géographie économique, ça s’appelle précisément une « remontée de fi-lière ».Il y aura quand même fallu plus de vingt ans de collaboration presque continueentre ergonome interne, au premier chef et sans qui de tels développements neseraient pas envisageables [cf. notre communication de 1995 aux Journées de laPratique de Bordeaux en bibliographie jointe], et conseil et bureau d’étudesergonomiques extérieurs. Mais la preuve est établie que ce qui est présenté dans cette communication estvalidé… puisque ça se fait, et que ça se refait, sur de longues périodes et dansdes configurations et secteurs d’activité très divers ! Plusieurs autres expériences auraient pu, en effet, être aussi mobilisées surce sujet : à GIAT industries avec M.Viossat, dans l’industrialisation du charLeclerc ; chez SANOFI-SYNTHELABO, dans le plus gros établissement indus-triel du groupe, à Ambarès, avec B. Labille et, en interne, Th. Masson (« Projetset Ressources ») ; à l’EQUIPEMENT avec les Animateurs Sécurité et Préventionformés à l’ergonomie sous l’impulsion initiale de Jacques Christol ; oudans plusieurs sociétés du groupe de transports en commun KEOLIS, avecF. Hubault, J. Duraffourg, E. Bourachot, B. Labille [cf. notre article pour lecongrès de la SELF d’Aix-en-Provence, 2002] ; et, évidemment, auprès d’AIR-BUS, sur les Lignes Finales d’Assemblage Avions de Toulouse (où à chaque fois,c’est une nouvelle usine qui est en fait en jeu), avec B. Bernadou (« ErgonomieIndustrielle ») et les confrères de notre cabinet jusqu’en 2004, actuellementréunis dans le Bureau d’Etudes Ergonova,… seulement pour celles de ceshistoires longues auxquelles nous avons directement et personnellement parti-cipé depuis 1985 ; on pense évidemment aussi à la grande opération menée parChristol consultants dans la conception de l’usine de Péchiney-Dunkerque ; et ildoit y avoir maints autres exemples de ce type de processus. Cette énumérationa simplement pour but d’indiquer qu’il ne s’agit donc pas d’un cas isolé dans unsecteur particulier, mais d’une approche reproductible (reproduite, ce qu’ilfallait établir), une méthodologie et un concept opérationnels, donc.Au total, au modèle de réalisation de ce que les directions des entreprises(comme des organisations syndicales... qui restent quand même des directions !)appellent la PERFORMANCE GLOBALE, doit répondre une meilleure appré-hension de ce que nous appellerons, comme par reflet ou en regard, pour faire

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pendant, l’ERGONOMIE GLOBALE(3), qui intègre les quatre niveaux de travailet d’activité, doit aider et outiller chacun, et les articuler entre eux pour la réali-sation des objectifs (éventuellement à réexaminer) dans un ordre qui est donc,qu’on le veuille ou non, forcément politique, stratégique, managérial, de gouver-nance, de direction, gestionnaire… bref, de l'ordre de l'exercice du pouvoir, de ladécision.Tout ceci, qui doit certes s’appuyer sur les connaissances scientifiques et acadé-miques, méthodologiques et techniques, voire normatives, les mieux établies, estdonc essentiellement affaire de pratique qui met les professionnels, ergonomesinternes aux entreprises comme conseils externes, au coeur de notre discipline etde notre métier.

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3. On doit remarquer que la qualification « globale » a été introduite en ergonomie par Pr PierreCazamian, Paris-I, en 1974 (Leçons d’ergonomie industrielle, pour une approche globale. Paris,Cujas). Elle avait cependant, à l’époque, un autre sens (insistant sur la « multi ou interdisciplinarité »de l’ergonomie) que celui que nous développons ici, où, essentiellement, nous l’associons à « perfor-mance » par rapport et en parallèle à la notion de « performance globale » reprise des milieux dumanagement et de la gestion, à laquelle nous répondons par « ergonomie globale » ; nous n’avonsdonc pas la paternité du qualificatif, mais seulement marquons une proposition de réflexion sur uneorientation sans doute particulière.

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projet industriel européen, et aider les concepteurs à suivre ces objectifs en fonc-tion des ressources et moyens affectés.

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