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POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE. Un musée de société sans ethnologue ? Les métiers du patrimoine au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne. Rapport de recherche pour le Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique, Ministère de la Culture et de la Communication. Par Cendrine Lagoueyte (post-doctorante en ethnologie, UMR5185 ADES, Université Victor Segalen Bordeaux 2) Mars 2012

POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

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POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE.

Un musée de société sans ethnologue ?

Les métiers du patrimoine au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne.

Rapport de recherche pour le Département du pilotage de la recherche et de la politique

scientifique, Ministère de la Culture et de la Communication.

Par Cendrine Lagoueyte (post-doctorante en ethnologie, UMR5185 ADES, Université Victor

Segalen Bordeaux 2)

Mars 2012

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Remerciements

A Mme Sophie Chave-Dartoen, à Mr Bernard Chérubini et au Professeur Abel

Kouvouama, responsables scientifiques.

A Christine et Bertrand Delage.

A Mr Rafael Zulaika, directeur du Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, et à Mr

Joseph-François Kremer-Marietti, directeur du Musée régional d’anthropologie de la

Corse, ainsi qu’à leurs équipes respectives.

A tous ceux qui ont participé à cette recherche, partenaires et publics du Musée

Basque et du Musée de la Corse.

Recherche financée par le Département du pilotage de la recherche et de la politique

scientifique du Ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil Régional

d’Aquitaine.

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Une pensée pour le Professeur Pierre Bidart qui a encouragé ce projet de recherche.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 9 La question de départ 10

Qu’est-ce qu’un musée de société sans ethnologue ? 10 Le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne (Musée Basque) 11 Les métiers du patrimoine 12

Les hypothèses 14 Axes de recherche et méthodologie 14 Une visée comparatiste : le Musée de la Corse. 17

CHAPITRE 1. LE PATRIMOINE DU MUSEE BASQUE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES D’UNE INSTITUTION COMPLEXE. 19 1. L’histoire du Musée Basque 20

1.1. La genèse du Musée Basque (de 1897 à 1922) 22 1.2. Le Commandant William Boissel (directeur du musée de 1922 à 1955) 24 1.3. Jean Ithurriague (directeur du musée de 1955 à 1960) 29 1.4. Jean Haritschelhar (directeur du musée de 1962 à 1988) 29 1.5. Olivier Ribeton (conservateur du musée depuis 1988) 40 Portrait : Olivier Ribeton, conservateur 41

1.5.1. La fermeture du Musée Basque 42 1.5.2. La réouverture du Musée Basque en 2001 46 1.5.3. L’audit 47

1.6. Rafael Zulaika (directeur du musée depuis 2007) 50 Portrait : Rafael Zulaika, directeur - manageur culturel 50

1.6.1. Les « évènements » depuis 2007 56 2. L’organisation du Musée Basque en 2011 57

2.1. Le Syndicat Mixte : nouvelle autorité de tutelle 57 2.1.1. La politique culturelle de la Ville de Bayonne 57 2.1.2. Une Agglo sans compétence culturelle 63 2.1.3. Le Conseil Général 64

2.2. Un musée labélisé Musées de France 65 2.3. L’équipe du Musée Basque en 2011 66

2.3.1. L’organigramme 66 2.3.2. Deux sites pour une dichotomie spatiale et mentale 67 2.3.3. Une vue à court terme 68 2.3.4. Les activités du Musée Basque en 2011 68

CHAPITRE 2. LE PARCOURS DE L’OBJET OU LE TRAVAIL SUR LES COLLECTIONS 70 Portrait : Jacques, attaché de conservation 70

1. Enrichir les collections : les acquisitions 74 1.1. Les Commissions d’acquisition de la DRAC 75 1.2. Les critères d’acquisition du Musée Basque 76

2. Protéger les collections 87 2.1. La conservation préventive et curative 88 2.2. La restauration 89 2.3. La régie des collections 90 Portrait : Alain, régisseur des collections 90

3. Connaitre les collections 94 3.1. Récolement et numérisation de l’inventaire 95 Portrait : Marie, chargée de mission de récolement 95 3.2. La documentation des collections et au-delà 98

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Portrait : Marie-Hélène, bibliothécaire-documentaliste 98 Portrait : Elisabeth, documentaliste 101

4. Présenter les collections aux publics 102 4.1. Concevoir une exposition 103

4.1.1. L’exposition permanente 103 4.1.2. Les expositions temporaires 112

4.2. Monter (et entretenir) une exposition : le volet technique. 114 Portrait : Christian, régisseur technique 115 Portrait : Philippe, menuisier 119

5. Présenter l’exposition au public : la médiation 120 5.1. Le Service des publics 120 Portrait : Maud, responsable du service des publics 120 5.2. L’éducation au patrimoine 123 Portrait : Mano, professeure relais 123 Portrait : Géraldine, animatrice culturelle 128 5.3. L’accueil du public et même un peu plus 134 Portrait : Argitxu, agent d’accueil et renfort médiation 134 5.4. La surveillance 135 Portrait : Xalbat, agent d’accueil et de sécurité du musée / gardien 135

CHAPITRE 3. LES AUTRES ACTIVITES DU MUSEE 139 1. La gestion administrative et financière du Musée Basque 139

Portrait : Ghislaine, responsable administrative 139 Portrait : Anne-Marie, adjointe à la responsable administrative 143

2. La direction du Musée Basque 145 2.1. Le budget 145 2.2. Le mécénat 148 2.3. Le partenariat 149 Portrait : Jean, responsable de la communication et des partenariats 149 2.4. L’évènementiel pour renouveler l’attractivité du musée 153

2.4.1. Le premier partenaire du musée est la Ville de Bayonne. 154 2.4.2. D’autres acteurs culturels locaux investissent l’espace du musée. 157 2.4.3. Les grands évènements nationaux ou européens 160 2.4.4. L’Agenda 10/10 161

CHAPITRE 4. INTERPRETATIONS DE L’ORIENTATION DU MUSEE BASQUE 165 1. Réflexions sur les collections 165

1.1. Un musée d’Histoire et d’ethnographie 165 1.2. L’art : de la nécessité à la facilité. 170 1.3. Une réflexion sur la collecte du contemporain est engagée. 172

2. Réflexions sur la médiation 185 2.1. Animation et éducation 185 2.2. Le parti-pris muséographique du Musée de la Corse 188

3. Réflexions sur les partenariats 191 3.1. Un lieu atypique 191 3.2. Un Conseil d’Orientation consultatif à animer 192 3.3. Une indifférence apparente à l’égard des collections et du discours du musée. 193 3.4. Des mesures incitatives à repenser et développer en direction des publics 194 3.5. La SAMB : un soutien inconditionnel au Musée Basque. 198 3.6. L’Institut Culturel Basque (ICB/EKE), un partenaire potentiel. 204 3.7. Un partenariat à relancer avec les chercheurs. 205

4. Quel rapport entre le musée et le patrimoine ? 206 4.1. Les rapports des agents au patrimoine et au musée 206 4.2. La patrimonialisation : processus et critères 216 4.3. L’effet musée-patrimoine 219 4.4. Quel sens pour le Musée Basque ? 221

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4.4.1. Un musée « d’identité » 221 4.4.2. Un musée politique 223 4.4.3. Faut-il fermer le Musée Basque ? 224

5. Ethnologue de/au musée : un métier du patrimoine ? 225 5.1. Une expérience personnelle d’ethnologue au musée : anthropologie réflexive 225 5.2. L’ethnologie au Musée Basque 227

5.2.1. Ethnographie, ethnologie et anthropologie : de simples synonymes ? 229 5.2.2. Expériences d’autres ethnologues au musée 232

5.2.2.1. Florence Calame-Levert, Tout autour de la morue. Voyages en patrimoine culinaire. 232 5.2.2.2. Sophie Cazaumayou, Un Bayonnais en Afrique. Voyage au Congo du docteur Voulgre. 234

CONCLUSION 239 Rappel de la problématique 239 Vérification des hypothèses 240 Quel intérêt d’une ethnologie des « métiers du patrimoine » au musée ? 242

BIBLIOGRAPHIE 245

ANNEXES 249 Listes des personnes enquêtées 249

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INTRODUCTION

A l’issue d’une thèse sur l’usage des motifs culturels dans la construction de

l’imagerie touristique du Pays basque français, motivée par le constat qu’une partie des

habitants reprochent à la communication touristique actuelle de participer à la diffusion de

l’image d’une culture basque « folklorique », « passéiste » et « immuable » - car uniquement

illustrée par ses motifs traditionnels - loin de refléter sa réalité contemporaine et jugée

« encombrante » pour son avenir, il nous a été donné de vérifier le fondement de cette critique

et l’argumentaire développé en réponse par les communicants touristiques. Ces derniers nient

tout enjeu identitaire ou culturel qui serait lié à leur communication. Ils évoquent pour cela

une série de contraintes (la demande touristique, les élus, les professionnels du tourisme et

l’offre touristique) qui limitent leur champ d’action et ils avancent comme argument majeur

que ce n’est pas leur « travail » de donner une quelconque image de la culture basque, que

leur « métier » est la promotion touristique et leur principale « mission » est d’attirer des

touristes.

Au cours de cette même recherche, nous avons aussi analysé l’offre touristique en matière de

« culture basque » et nous nous sommes intéressée alors au Musée Basque et de l’histoire de

Bayonne - le seul site promu par les organismes touristiques à ne pas être l’initiative privée

d’un collectionneur amateur - mais qui ne fait pas pour autant l’unanimité, certaines

personnes lui reprochant de ne pas « être en phase » avec la société basque actuelle, d’autres

de ne donner à voir qu’un monde basque révolu et idéalisé.

Pour avoir fréquenté cette institution depuis 2003, nous pressentions que la critique n’est pas

exactement la même qu’à l’encontre des organismes touristiques et nous avons constaté que

les réponses du Musée ne sont pas non plus du même ordre, même si elles s’expriment elles

aussi en terme d’objectifs (ou missions) et de contraintes.

Evoqué en 1897, créé en 1922, ouvert au public en 1924, fermé pour travaux en 1989, ce

Musée connait depuis sa réouverture en 2001 une fréquentation1 estimée décevante par la

Ville de Bayonne, son autorité de tutelle. Pour le dynamiser et attirer davantage le public, sa

gestion a été confiée à un Syndicat mixte et un manager culturel a été nommé à sa direction en

2007. Depuis ce remaniement institutionnel, le Musée a peu fait parler de lui dans la presse,

exception faite de l’annonce de ses expositions temporaires. Pourtant, il s’y passe beaucoup

de choses. Une réflexion sur la collecte du contemporain vient par exemple d’être initiée, qui

1 Fréquentation du Musée Basque : 33818 visiteurs en 2001, 30138 en 2005, 40441 en 2007, 33140 en 2009

(dont 57,9% entrées payantes), 32517 en 2010 (dont 61,2% entrées payantes).

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10

interroge l’objet même du Musée et ses missions, face au constat d’un décalage croissant

entre le musée et la société (ou le territoire) dont il se veut l’interprète.

La nature des questionnements que ce projet soulève fait appel à des connaissances, des

raisonnements et des méthodes propres à l’ethnologie. Or, aucun ethnologue n’étant

actuellement employé au musée, quelles ressources déploie-t-il pour mener ce type de

réflexion ? Et plus largement, comment un musée de société fonctionne-t-il pour accomplir sa

mission scientifique, en l’absence d’ethnologue dans son équipe ?

La question de départ

Qu’est-ce qu’un musée de société sans ethnologue ?

Derrière un aspect (involontairement) provocateur apparait une question d’intérêt

ethnologique majeur. Depuis les années 1980, se pose déjà la question du rôle de l’ethnologue

dans sa propre société et d’une « nouvelle pratique ethnologique », passant de la recherche

(idéalement à l'université ou au CNRS), à la pratique notamment auprès des musées, des

entreprises et des collectivités locales (Bachman, 1988 : 142). La fermeture du Musée

National des Arts et Traditions Populaires (MNATP), en vue de la création du Musée des

Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) et la fermeture pour rénovation du

Musée de l’Homme dont les collections ethnologiques ont été réparties entre le futur Mucem

et le nouveau Musée du Quai Branly (MQB) avec son parti-pris esthétisant controversé, sont

perçues comme des transformations majeures, qui ont mobilisé les ethnologues autour d’un

débat sur leur rôle, et celui de leur discipline, dans la construction de ces discours sur soi et

sur les Autres à travers les institutions muséales2. L’évolution du modèle économique des

musées (développement de l’autofinancement, du management, du marketing) induit

également une réévaluation de leurs missions originelles et de nouvelles orientations. Même si

l’attention des ethnologues est concentrée sur les grands musées nationaux, les musées

d’ethnographie (ou de société) de province sont aussi concernés par ces changements.

2 Bernard Dupaigne par exemple conçoit « un vrai musée [comme] alliant conservation, recherche et diffusion ».

Il souhaiterait que de la conservation le musée se dirige vers le traitement des « questions de sociétés », c'est-à-

dire « conflits, diversité culturelle, maîtrise du vivant et biodiversité » (2008 : 646).

Pour beaucoup d’ethnologues, dont Bernard Formoso, les musées d’ethnographie sont « censés être la vitrine de

leur discipline » (2008 : 674).

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11

Nous avons par conséquent choisi d’enquêter sur l’un de ces musées de société, pour

interroger le rôle de l’ethnologue et de sa discipline dans le processus de patrimonialisation à

l’œuvre dans ces institutions. Cette interrogation méritait toutefois d’être reformulée de façon

plus précise pour évacuer l’évidence a priori du rapport entre ethnologue et musée de société.

Pour cela nous avons retenu l’entrée par les « métiers du patrimoine », suggérée par le Comité

de pilotage de la recherche et de la politique scientifique du Ministère de la Culture et de la

Communication, à l’occasion de son appel à projet 2010, intitulé « Pour une ethnologie des

métiers du patrimoine ». Cette approche par les métiers du patrimoine s’avère indispensable à

la compréhension du phénomène de patrimonialisation car elle représente une alternative et

complète en cela les approches qui s’intéressent d’abord au public ou à l’objet. Le patrimoine

désigne à la fois les objets patrimoniaux et l’idée patrimoniale. Quelle(s) définition(s) ou

conception(s) du patrimoine les métiers du patrimoine révèlent-ils ?

Le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne (Musée Basque)

Spontanément, nous avons pensé à une institution patrimoniale en particulier, le Musée

Basque et de l’histoire de Bayonne, et ce pour plusieurs raisons.

La première raison est en lien direct avec notre travail de thèse : le musée est un lieu de

production d’une représentation de la culture basque. La seconde raison découle de la vague

de publications dans la presse, en 2007, d’articles sur « le renouveau » du Musée Basque,

suite à la nomination d’un nouveau directeur « manager culturel », s’ajoutant alors au

conservateur déjà en place. Par ce recrutement, une nouvelle orientation est donnée au Musée,

qui met l’accent sur sa mission d’animation culturelle et touristique. Cette nomination d’un

directeur à la tête du musée a donné lieu à un procès entre le conservateur, resté en poste, et

son employeur, à savoir la Ville de Bayonne, à propos de « la modification de sa situation » et

d’un empiétement sur ses fonctions. La troisième raison est l’initiation en 2010 d’une

réflexion sur la collecte du contemporain, par l’attaché de conservation du musée au sein du

Comité de Rédaction du Bulletin du Musée Basque. Enfin, la dernière raison pourrait aussi

bien être la première : depuis notre premier contact avec l’institution muséale en 2004 nous

attendons parler de l’absence d’un ethnologue dans son équipe. Ce constat est déploré tant par

des agents du Musée Basque (dont son conservateur) que par des partenaires institutionnels ou

d’autres professionnels ou spécialistes de la culture et du patrimoine basques. Tous ces

constats faisant écho au débat sur la place et le rôle de l’ethnologie dans les musées, reflété

notamment par le numéro de la revue Ethnologie française paru en 2008 (« Ethnologie et

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12

musée : un débat en cours »), le Musée Basque se présentait donc comme une étude de cas

intéressante.

L’année 2011 correspond aussi à la sortie du Livre blanc des Musées de France ; résultat

d’une réflexion menée par l'Association Générale des Conservateurs des Collections

Publiques de France (AGCCPF), il met en avant plusieurs changements dans la gestion des

musées, auquel le Musée Basque se trouve lui aussi confronté.

LA PROBLEMATIQUE

Comment un musée de société fonctionne-t-il en l’absence d’un ethnologue dans son

équipe ? Cette formulation ne saurait suffire car elle sous-entend qu’un musée de société est

supposé fonctionner avec un ethnologue. Ce qui est là présenté comme une évidence doit

cependant être démontré. Le lien entre le musée de société et l’ethnologue doit être explicité.

D’ailleurs n’y a-t-il jamais eu d’ethnologue au Musée Basque ?

Ainsi, même si la formulation initiale ne saurait suffire, nous avons choisi de ne pas renoncer

à cette approche. En considérant « la mission scientifique » du musée, nous ne nous basons

plus sur un a priori mais sur un constat : même si d’une manière générale l’ethnologue n'a

plus « le monopole du discours sur les objets » (Dupaigne et Gutwirth, 2008 : 628), il n’en

demeure pas moins un spécialiste de l’objet, ainsi que de la société. La vraie question est alors

de savoir si l’ethnologue a toujours le monopole du discours ethnologique… et si le discours

ethnologique a toujours sa place au musée qu’il a contribué à créer.

Nous proposons donc de répondre plus précisément à la question suivante : « Comment un

musée de société accomplit-il sa mission scientifique en l’absence d’un ethnologue dans son

équipe? », à partir de l’analyse des métiers qui y sont exercés.

Pour récapituler, nous avons choisi d’envisager l’accomplissement de la mission scientifique

du musée de société comme objet ethnologique, à partir des métiers qui y sont exercés comme

indicateurs et ce dans un contexte particulier, le Musée Basque et de l’histoire de Bayonne,

qui n’emploie pas actuellement d’ethnologue.

Les métiers du patrimoine

Nous avons pris le parti de considérer l’ensemble des métiers exercés dans une institution

particulière et non un métier en particulier exercé dans plusieurs musées, par exemple

conservateur ou médiateur du patrimoine (Peyrin, 2010).

Page 13: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

13

Le mot « métier » est synonyme de profession, et renvoie aux savoir-faire, tâches, missions,

ainsi qu’à la formation et au parcours professionnel. « Métier du patrimoine » nous paraît être

une étiquette assez vague. Cette appellation est-elle opérationnelle ailleurs que dans les

plaquettes des récentes formations universitaires ? Les individus exerçant des métiers

identifiés comme « du patrimoine », par le Ministère de la Culture, les Universités ou

l’ONISEP, s’identifient-ils à cette dénomination ?3 Nous pressentions que cette identification

à des métiers du patrimoine n’est peut-être pas la même selon que le poste considéré relève du

domaine scientifique, administratif ou technique.

Les ethnologues se sont d’abord intéressés aux métiers d’artisanat et d’art, puis aux métiers de

l’industrie. Depuis, d’autres métiers ont attiré leur attention. Deux approches sont possibles.

L’une s’intéresse au « groupe professionnel », par exemple les musiciens, les traders, les

facteurs, les éboueurs et autres « travailleurs des déchets » (Corteel et Le Lay, 2011) ; l’autre

à la « chaîne de production », par exemple le textile, la mine, le cuir (Morel et Vallerant,

1984).

La première n’est pas envisagée à l’échelle du Musée Basque, car la plupart des métiers

exercés ne le sont que par un seul individu. Ce qui les unit c’est la « collection », les objets

transformés en patrimoine. Les uns la constituent, l’exposent, d’autres la surveillent, la

présentent au public, l’entretiennent, la restaurent, la conservent, etc.

La deuxième approche n’est pas pour autant plus évidente. Car, contrairement aux métiers du

cuir ou du textile, le patrimoine n’est pas une production matérielle, tangible. Le patrimoine

est une interprétation, un sens, donnés à des objets. En cela, nous pensons pouvoir nous

inspirer de l’enquête-chronique de Marc Abélès à l’Assemblée Nationale, en tant

qu’institution productrice de lois et de démocratie (Abélès, 2001). Le patrimoine est un

produit intangible, une notion ; cependant il est aussi le produit de gestes, de techniques et de

savoir-faire, qui s’apprennent (apprentissage) et se transmettent (transmission).

Par ailleurs, une récente approche des métiers du patrimoine, proposée par Nathalie Heinich,

sera mise à contribution, même si contrairement à elle nous avons accordé beaucoup

d’importance aux individus (statut social, formation). Elle consiste pour l’essentiel à

s’intéresser aux valeurs considérées par les chercheurs de l’Inventaire du patrimoine, c'est-à-

dire sur leur façon de penser et de raisonner le patrimoine (Heinich, 2009).

3 Le musée étant une instance de production, d’exposition et de diffusion du patrimoine, les métiers du

patrimoine sont-ils ceux qui produisent du patrimoine ou ceux en contact avec du patrimoine ?

Page 14: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

14

Nous avons aussi eu recours, dans une moindre mesure, à la sociologie des organisations (ou

des institutions), à l’ethnologie du travail et de ses représentations. Elles nous ont surtout été

utiles pour comprendre les grandes lignes du fonctionnement de l’institution, ainsi que

certains conflits ou situations en apparence atypiques, dont nous ne rendons toutefois pas

nécessairement compte dans ce rapport mais qui nous ont servi à comprendre les conditions

d’exercice des métiers du musée.

Choisir la deuxième approche, c'est-à-dire aborder la question des métiers par la chaîne de

production, nous permet aussi d’enquêter sur les métiers absents, en particulier celui

d’ethnologue. Puisque l’institution muséale résulte d’une série de choix en matière de

recrutement et d’assignation des missions (qui eux révèlent les stratégies et orientations des

administrateurs ou gestionnaires successifs), l’absence de l’ethnologue dans un musée de

société doit être interrogée.

Les hypothèses

Nous avons émis trois hypothèses de réponse à la problématique, comme autant d’options

dont dispose un musée de société pour accomplir sa mission scientifique, sans ethnologue

dans son équipe. Notre première hypothèse était que l’ethnologie n’est pas une priorité au

Musée Basque. La seconde était que toutefois des compétences sont mobilisées en interne et

la troisième, enfin, que des compétences sont sollicitées en externe.

Axes de recherche et méthodologie

Nous avons exploré trois axes de recherche afin de vérifier ces hypothèses et de répondre

ainsi à la problématique : les métiers exercés au musée depuis 1924, les activités du musée en

2011 et les relations du musée avec la société locale.

Partant de la position de Bernard Dupaigne qui explique que « Pour tenter de comprendre le

rôle de l’ethnologie au Musée de l’Homme, et pourquoi la discipline n’a pas su s’y imposer en

s’adaptant aux évolutions de la pensée et du monde, il faut analyser l’histoire et le

fonctionnement de cette institution » (Dupaigne, 2008 : 645), nous avons commencé par

retracer l’historique du Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, en évoquant les

personnalités qui ont conduit le projet. Partant de l’hypothèse que si la nomination d’un

Page 15: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

15

conservateur (ou directeur)4 témoigne évidemment des vœux des gestionnaires, la sensibilité

du candidat sélectionné à l’égard du musée, grandement induite par sa profession, annonce

encore davantage les orientations qui seront données au musée, que le « projet scientifique et

culturel » établi et rédigé en bonne et due forme, et ce même si des contraintes fortes ne

permettent pas toujours d’atteindre les objectifs visés.

Dans un deuxième temps, à partir d’entretiens semi-directifs, nous nous sommes intéressée

aux parcours individuels de ceux qui font le musée aujourd’hui, c'est-à-dire à leur parcours

professionnel, mais aussi dans une certaine mesure personnel, avant de les interroger sur leur

mission au Musée, sur leurs ambitions professionnelles, sur ce qu’ils pensent du travail qu’ils

accomplissent, sur ce qu’ils pensent du musée, des collections et des expositions et plus

largement sur le rapport qu’ils entretiennent avec le territoire et la culture basques. Nous

avons également cherché à vérifier s’il existe des écarts entre les attributions habituelles de

leur métier et les fonctions qu’ils exercent concrètement. L’ensemble des données ainsi

recueillies permet d’expliciter les moyens et les contraintes des agents du musée, qui

conditionnent leurs métiers et leurs actions et participent alors aussi à « l’identité » du musée.

Le second axe, c'est-à-dire les activités du musée en 2011, explore les stratégies et méthodes à

l’œuvre au Musée basque, à partir de cas concrets observés sur un temps délimité (le parcours

de l’objet, les animations et l’évènementiel). Le directeur en poste depuis 2007 a été engagé

pour proposer et mettre en œuvre des mesures visant à relancer la fréquentation du musée en

renouvelant son attractivité. Toutefois, nous estimons qu’une autre question plus profonde se

cache derrière celle de la fréquentation. Elle induit, elle aussi, un questionnement sur l’avenir

du Musée et elle constitue en même temps une option pour son « réveil », en interrogeant son

sens, c'est-à-dire ses missions : « Ma préoccupation est celle de tous les responsables de

musées ethnographiques en Europe. Reste-t-on un musée archéologique, c’est-à-dire le

témoignage d’une société disparue - ce qu’est, au fond, le Musée basque - ou bien veut-on

devenir un lieu pour réfléchir sur la façon de vivre ensemble aujourd’hui ? Un lieu de vie en

somme. »5. Cette préoccupation revient constamment : « Notre but, c'est que le Musée Basque

vive. »6 ; « Les musées doivent être des lieux de vie »

7. Le musée serait-il mort ? Si les

professionnels du musée se demandent « comment » le rendre vivant, ils passent un peu vite

4 Le passage d’une nomination à l’autre est d’ailleurs significatif.

5 O. Ribeton, conservateur du Musée Basque, extrait de l’interview « Musée basque : à la recherche d’un

nouveau souffle ». Enbata [hebdomadaire politique basque]. 14 septembre 2006, n°1944, p.11 6 R. Zulaika, directeur du Musée Basque, interviewé par l’Institut Culturel Basque, le 13/07/2009.

7 R. Zulaika, directeur du Musée Basque, interviewé par Jean-Marie Izquierdo pour eitb.com, le 18/02/2009.

Page 16: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

16

sur le « pourquoi », qui semble se cantonner à la volonté d’accroitre la fréquentation du

public.

Si l’on considère que la reconfiguration radicale de sa muséographie présentée lors de sa

réouverture en 2001 est un premier pas spectaculaire (même si tous les dispositifs vidéo et

sonores prévus n’ont pu être réalisés parce qu’une partie du budget a été réattribuée à d’autres

postes de dépense), d’autres démarches plus récentes n’ont pas encore fait l’objet d’une étude

approfondie. Nous pensons notamment à la réflexion tout juste engagée sur la collecte du

contemporain. Nous envisagions de suivre de près ce projet éditorial (dont la présentation

initialement prévue en juin 2011 a encore été repoussée à l’automne 2012) en répondant aux

questions « Pourquoi ? Par qui ? Pour qui ? », afin de pouvoir observer en temps réel la

dynamique du Musée. Quelles compétences internes seront mobilisées ? A qui le Musée fera-

t-il appel en externe ? En d’autres termes, nous voulions montrer comment l’équipe du Musée

s’organise pour mener cette réflexion en l’absence d’un ethnologue dans son équipe et les

éventuelles implications de cette absence sur les attributions de certains agents. Le retard pris

dans ce projet, qui s’est révélé plus ambitieux que prévu, a toutefois limité notre incursion

dans ce thème.

L’enquête réalisée en suivant les deux premiers axes a enfin introduit le troisième, celui du

rapport du Musée Basque avec la société locale, exploré d’une part par l’analyse des

interventions de personnes extérieures dans ses activités, d’autre part par le recueil d’opinions

sur le musée. Trois types d’interlocuteurs ont été privilégiés : les collaborateurs

institutionnels, associatifs ou privés, d’autres professionnels ou spécialistes de la société et de

la culture basques, le public local. Rappelons que l’explicitation du parcours et la sensibilité

professionnels des personnes entretenues a été primordiale pour comprendre leur

positionnement vis-à-vis du musée. Nous avons ainsi explorer l’hypothèse selon laquelle le

musée peut aussi être pensé comme un membre, un acteur à part entière de la société basque,

qui n’évolue pas indépendamment mais est au contraire en interaction permanente avec le

public, ainsi que d’autres institutions.

Grâce aux entretiens et discussions conduits avec ces trois groupes, nous avons été en mesure

de décrire et interpréter avec précision le réseau dans lequel évolue le Musée Basque, ainsi

que ses marges, pour nous faire une première idée de la façon dont il fonctionne

concrètement.

Page 17: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

17

L’ensemble des données recueillies contribue à mieux saisir la complexité de ces métiers du

patrimoine au quotidien, à saisir aussi de quelles façons les missions confiées initialement et

les compétences mobilisées ont été amenées à évoluer et évolueront encore.

Une visée comparatiste : le Musée de la Corse.

Nous proposons de confronter notre analyse des métiers exercés au Musée Basque et de

l’histoire de Bayonne à une analyse du Musée de la Corse, pour examiner l’apport que peut

représenter l’ethnologie dans la conception d’un projet muséal.

Ce musée est récent (conçu à partir de 1988 et inauguré en 1997) et donc soumis à une

sensibilité patrimoniale probablement différente de celle qui anima le projet du Musée Basque

en 1922, mais a priori assez proche de celle de la nouvelle version de 2001.

Il se distingue du Musée Basque sur deux premiers points : tout d’abord, il est un musée

régional, c'est-à-dire qu’il est un service de la Direction du patrimoine et de la culture de la

Collectivité Territoriale de Corse (CTC). Par ailleurs, il est présenté comme un musée

d’anthropologie.

Le choix d’un terrain comparatif en Corse permet de désingulariser le Pays basque, en le

rapprochant d’un territoire lui aussi lié à un imaginaire fort, des revendications identitaires,

culturelles et politiques et une fréquentation touristique importante.

Nous avons effectué un séjour d’un mois pour réaliser des entretiens avec la plupart des

membres de l’équipe et recueillir des données sur le rôle de chacun, sur les questions qui se

sont posées et se posent à eux quant à leurs choix muséographiques et sur la réception de leur

travail par la population locale et touristique.

Page 18: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

18

Page 19: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

19

CHAPITRE 1. LE PATRIMOINE DU MUSEE BASQUE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES D’UNE

INSTITUTION COMPLEXE.

Couramment le « patrimoine du musée » désigne la collection. Nous proposons trois

autres éléments contextuels majeurs, indispensables selon nous pour comprendre la situation

actuelle du Musée : l’historique de l’institution, le contexte institutionnel actuel (dont la

politique culturelle de l’autorité de tutelle), et les métiers qui y exercés aujourd'hui, c'est-à-

dire les forces vives en son sein et la façon dont elles sont organisées. La collection et la

muséographie relèvent aussi du patrimoine de l’institution, de ce avec quoi le musée doit

composer. Nous les évoquerons toutefois davantage dans le second chapitre consacré aux

activités du musée.

Une institution, quelle qu’elle soit, ne peut se défaire de son passé, de ses conditions de

création. Les évènements passés, la mémoire, et surtout leur dimension fantasmée doivent être

pris en compte, puisque de toute façon ils s’imposent. Ils peuvent prendre la forme de

contraintes, une forme de déterminisme, ou au contraire ils peuvent être interprétés comme

des opportunités à rappeler, voire à manipuler. Cet héritage légué par les prédécesseurs de

l’institution aux héritiers actuels, est première lorsque l’on s’intéresse au Musée Basque, nous

incitant à rendre compte de notre recherche en présentant en premier lieu ce patrimoine du

Musée Basque, marqué par une longue fermeture de l’établissement au public.

Un autre intérêt de ce regard sur le passé de l’institution est que dans le cas de cette enquête,

de nombreux enquêtés (nés entre 1945 et 1960, et ainsi en âge d’avoir fréquenté le Musée

Basque avant sa fermeture en 1989) font référence à l’époque où ils ont découvert ou

pleinement participé à la vie de « l’ancien Musée ». Ils expliquent certains aspects de la

situation actuelle par ce qu’il s’est passé plus tôt, (essentiellement dans les années 1990). La

référence au passé est constante.

Une institution muséale publique, en l’occurrence longtemps municipale, n’est pas un électron

libre. Elle est gérée par des collectivités territoriales, sous l’égide, même lointaine, du

Ministère de la Culture et donc de l’Etat (les Musées de France) et son activité s’inscrit donc

dans une (ou des) politique(s) culturelle(s). Sans pour autant revenir sur l’histoire des

politiques culturelles en France - la décentralisation et la déconcentration culturelles –

quelques mot seront dits sur la répartition des compétences culturelles entre les divers

échelons de collectivités territoriales qui intéressent directement le Musée basque : la Ville de

Page 20: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

20

Bayonne, l’Agglomération Côte Basque - Adour et le Conseil Général des Pyrénées-

Atlantiques.

Le patrimoine du Musée Basque c’est enfin l’ensemble des compétences et des savoir-faire

professionnels exercés, transmis ou non, c'est-à-dire avec des pertes et des ajouts successifs.

Progressivement la gestion du musée s’est professionnalisée, de nouveaux métiers sont

apparus pour répondre à de nouvelles préoccupations ou missions. Il s’agit tout autant d’une

contrainte dans la mesure où des habitudes ont été prises, des façons de faire et de « voir les

choses », même si cette dimension professionnelle n’est pas considérée comme une évidence

de la mémoire de l’institution. Le personnage du conservateur ou du directeur (un terme qui

varie selon les époques) demeure, résiste dirons-nous même, au temps. Alors que toutes « les

petites mains » sont peu à peu oubliées, la contribution de ses subalternes à la bonne marche

de l’institution n’est pourtant négligeable.

1. L’histoire du Musée Basque

Rédiger l’historique du Musée Basque est un passage obligé pour tout stagiaire ou chercheur.

Rappelons avant toute chose que la création du Musée basque n’est pas une initiative isolée.

Elle est inspirée par un mouvement régionaliste, accru à la fin du XIXe siècle, qui encourage

la création de musées d’ethnographie régionaux sur le modèle du Musée du Trocadéro (dont

sa « Salle de France » ouverte en 1884). Ces musées régionaux sont fondés sur l’inquiétude

d’une élite intellectuelle et bourgeoise de voir disparaitre le monde rural et son mode de vie

traditionnel à une époque où, partout en France, les érudits locaux cherchent leurs origines

dans le milieu paysan.

Lors de notre thèse nous avions étudié le courant littéraire romantique qui a tant séduit

l’aristocratie européenne dès le XVIIIe siècle, et qui s’est étendu à une forme d’observation

scientifique. Le terme « folklore » est apparu d’abord en Angleterre (W.-J. Thoms en 1846),

puis en France en 1850 pour désigner ces études. Initialement, il est distinct de l’ethnographie,

en ce qu’il ne s’intéresse pas aux « primitifs » exotiques mais aux « paysans » authentiques ;

il fut d’abord considéré comme l’ensemble des survivances des cultures populaires rurales

Page 21: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

21

jusqu’à ce qu’Arnold Van Gennep (1873-1957) propose un regard opposé en le considérant

comme vivant et contemporain 8 et amorce ainsi, sans le savoir, une ethnologie de la France.

Dans La singularité basque, Pierre Bidart raconte l’histoire de ces idées savantes appliquées

au peuple basque et comment s’est construit un certain savoir sur « la basquité » (Bidart,

2001).

Nous proposons pour cela de retracer rapidement l’histoire du Musée, en évoquant les

personnalités qui ont conduit le projet. Partant de l’hypothèse que si la nomination d’un

conservateur (ou d’un directeur) témoigne évidemment des vœux des gestionnaires, la

sensibilité du candidat sélectionné à l’égard du musée, grandement induite ou indiquée par sa

profession, annonce encore davantage les orientations qui seront données au musée, que le

« projet scientifique et culturel » établi et rédigé en bonne et due forme. Nous insisterons donc

beaucoup sur la figure du chef d’établissement.

Nous allons essayer de ne donner que les repères essentiels, en mettant l’accent sur les

directeurs successifs du musée, leurs priorités et le travail accompli.

Concrètement, nous avons commencé par consulter les mémoires d’anciens stagiaires9,

puisque cet historique de l’institution est pour tous un passage obligé de contextualisation,

même s’il s’est avéré que tous compilent à peu près toujours les mêmes informations et

références. Le plus ancien de ces documents est le mémoire de maîtrise en ethnologie de Jean

« Manex » Pagola, rédigé en 1988. Il était alors employé du Musée Basque et eut donc accès à

des informations quelque peu perdues depuis.

Le conservateur actuel du Musée Basque, quant à lui, connait l’histoire de la fondation du

musée, même s’il n’est arrivé qu’en 1988. Il a par exemple donné en septembre 2010, dans le

cadre des Journées européennes du patrimoine, une conférence à laquelle nous avions assisté,

sur les fondateurs du Musée Basque (dont il avait d’ailleurs « sorti » quelques portraits issus

des collections du musée).

8 Le folklore. Croyances et coutumes populaires françaises, 1924. Nous avons consulté la version numérisée

dans le cadre de la collection « Les classiques des sciences sociales » dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,

accessible sur le site internet : http://classiques.uqac.ca/

« C’est là une limitation du folklore qui est nécessaire, sous peine de pénétrer trop sur le domaine d'autres

sciences connexes. Si le folklore s'occupe de faits anciens, historiques ou archéologiques, ce n'est jamais

qu'accessoirement, parce que chaque fait actuel a des antécédents, qu'il faut tenter de discerner pour le

comprendre. Mais ce qui intéresse le folklore, c'est le fait vivant, direct ; c'est si l'on veut, de la biologie

sociologique, comme fait l'ethnographie. Il est très bien de recueillir dans des musées les objets en usage dans

nos diverses provinces ; mais ceci n'est qu'un accessoire du folklore, sa partie morte. Ce qui nous intéresse, c'est

l'emploi de ces objets par des êtres actuellement vivants, les coutumes vraiment exécutées sous nos yeux et la

recherche des conditions complexes, surtout psychiques, de ces coutumes. Or, la vie sociale change sans cesse, et

par suite les enquêtes folkloriques ne peuvent cesser. » (page 18) 9 Agnès Sinsoulier, par exemple, a développé cet historique bien plus en détail que nous le faisons ici.

Page 22: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

22

Par ailleurs, le Bulletin du Musée Basque a été un utile outil à cette recherche. Fondé en 1924

par le premier directeur du musée, le Commandant William Boissel, il avait pour vocation de

« tracer, au jour le jour, l’histoire du Musée, publier les dons qui lui parviennent et les

concours dont il bénéficie ; constituer, au moyen de notices rédigées pendant la formation

même de ses collections, son catalogue détaillé ; répandre les études et les projets qui peuvent

servir à son organisation et à son développement. » 10

.

1.1. La genèse du Musée Basque (de 1897 à 1922)

Un article de Jean Nogaret, dans le tout premier Bulletin du Musée Basque retrace « Les

origines du Musée Basque »11

. L’histoire du Musée Basque débute en 1897, avec une

exposition d’objets au cours du Congrès de la tradition basque à Saint-Jean-de-Luz12

. Pourtant

un Musée basque et de la tradition bayonnaise ne fut ouvert au public qu’en 1924, soit après

plus de vingt-cinq ans de réflexion et de négociations.

Le 26 septembre 1912, le docteur Adrien Dutournier, adressa une lettre au secrétaire général

de la société Euskalzaleen Biltzarra (l’abbé Martin Landerreche)13

.

« Dans un voyage à travers l’Europe, j’ai été frappé de voir que de petits pays tels que le

Tyrol, les divers Cantons Suisses, la Bohème, etc… avaient toujours d’intéressants musées,

très visités, destinés à perpétuer le souvenir et le cachet spécial de la région. Cherchons, dans

notre Contrée, quoi que ce soit de semblable : il n’y a rien. Est-il pourtant un Pays qui puisse

prétendre à une personnalité plus ancienne, à un charme plus prenant et plus mystérieux que

le Pays Basque ? L’heure est venue de réparer cette omission. Encore quelques temps et la

civilisation, cette déplorable égalisatrice des choses et des esprits, achèvera d’enlever aux

Basques leur originalité, déjà compromise. Les reconstitutions, dès à présent difficiles, seront

impossibles. »

Il poursuit : « Ce n’est pas à vous, Monsieur l’Abbé, ni à l’Assemblée qu’il faut dire ce qui

figurerait dans ce musée : Mannequins vêtus de costumes de diverses parties du Pays,

10

Boissel, William. 1924. « A nos lecteurs », in Bulletin du Musée Basque, n°1, p.2 11

Nogaret, Jean. 1924. « Les origines du Musée Basque », in Bulletin du Musée Basque, n°1, pp.5-11. 12

Le Congrès de la tradition basque est le second congrès de la Société d’ethnographie nationale et d’art

populaire (constituée en 1895), dont les conférences donnèrent lieu à des articles réunis et publiés sous le titre La

tradition au Pays Basque : ethnographie, folk-lore, art populaire, histoire, hagiographie, publié pour la première

fois en 1899 par la Société d'ethnographie nationale et d'art populaire, puis réédité par Elkar en 1989.

Un compte-rendu du Congrès, rédigé par Charles Bernadou, « Les Fêtes de la Tradition Basque à Saint-Jean-de-

Luz », figure également dans le Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne (1897, n°3,

pp.161-264). 13

Adrien Dutournier: docteur en médecine (1867 à Bayonne - 1952 Bayonne). Cette lettre est intégralement

retranscrite (pp.3-4) dans : Dassance, Louis. 1973. « Aux origines du Musée Basque : un précurseur, le Dr.

Adrien Dutournier : (1867-1952) », in Bulletin du Musée Basque, n°59, pp.1-8.

Page 23: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

23

costumes de ville, de travail, d’enterrement, de déguisement soit pour les danses, soit pour les

pastorales, etc… ; _ pierres funéraires, cierges et drap noir de parquet pour les veuves dans les

églises ; _ instruments du jeu de pelote depuis le petit gant de cuir jusqu’au chistera immense ;

_ tambours, flûtes à 3 trous, gaïta, cornes à charivaris ; _ cruches en terre et en cuivre ; _

modèles d’architecture des maisons, des églises, etc… ; _ faïences, reproductions de cuisine,

etc… ».

Enfin, il recommande la localisation du musée à Bayonne. « Où se fera le musée ? Le rêve

serait qu’il fut au cœur du Pays basque. Mais il y serait visité par de trop rares touristes. Il faut

choisir pour l’ériger, l’endroit le plus facilement parcouru : Bayonne paraît indiqué. »

Cette lettre ne sera pourtant rendue publique que lors de l’Assemblé Générale du 23

septembre 1913.

Or, « Entre la date où le Docteur Dutournier exposait ses idées et celle où il en fut donné

connaissance aux congressistes de Guéthary, une année s’était en effet écoulée, au cours de

laquelle le Conseil Municipal de la Ville de Bayonne, sous l’impulsion du peintre Eugène

Pascau et du Docteur Croste, s’était, lui aussi, intéressé à ce projet de Musée régional. »

(Dassance, 1973 : 5). Toutefois, cette lettre reste intéressante car elle synthétise les

préoccupations et l’idée que les membres de la commission créée par le Conseil Municipal de

Bayonne en 1912 partageaient de ce que devait être le Musée Basque à venir.

La deuxième Guerre mondiale interrompit le projet, qui ne reprit qu’en 1921 sous l’impulsion

de nouveaux acteurs.

« […] la question du musée put, elle aussi, être étudiée de nouveau. Elle le fût en effet par le

Syndicat d’Initiative qui, après en avoir longuement délibéré, fit une démarche auprès du

maire pour lui signaler l’intérêt qu’il y avait pour la ville à la faire aboutir. […] Le

commandant Boissel, Vice-Président du Syndicat d’Initiative, voulut bien se charger de cette

étude et de la rédaction d’un rapport. » (Nogaret, ibid :6)

Le Conseil Municipal de Bayonne proposa alors de confier ce projet à la Société des Sciences

Lettres, Arts et Etudes Régionales de Bayonne (présidée à l’époque par le Commandant de

Marien) et dont le Commandant William Boissel était Vice-président. Et le 6 mai 1922, la

Commission d’étude nommée en 1912 fut dissoute.

Page 24: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

24

1.2. Le Commandant William Boissel (directeur du musée de 1922 à 1955)

Le Musée Basque commença à s’installer en 1922 dans la maison Dagourette14

, quai des

Corsaires, rachetée à cette fin par la Ville de Bayonne. Il fut ouvert au public en 1924.

La première équipe en charge du musée, menée par le Commandant Boissel (qui était aussi

Vice-président du Syndicat d'Initiative), souhaitait faire du Musée Basque un lieu vivant où

conserver la culture populaire basque menacée par la modernité15

. Comme lors des « Fêtes

basques », le « peuple » fut invité à participer, non plus par l’exécution de danses, chants ou

autres démonstrations, mais par des dons d’objets ; des employés du musée se virent confier,

en qualité de « représentants du peuple », la tâche de placer certains objets dans les premières

reconstitutions d’intérieurs basques.

Le Commandant Boissel lança la publication du Bulletin du Musée Basque en 1924, véritable

organe de communication du Musée. Il fut l’auteur aussi de quelques articles parus dans le

Bulletin de la S.S.L.A. dont la plupart portaient sur le Musée Basque, au moment de reprise

d’activité d’après-guerre, alors que la publication du Bulletin était toujours suspendue16

.

Pour mener à bien son projet, le Commandant Boissel s’était entouré de diverses

personnalités, notamment d’autres membres de la Société des Sciences, Lettres et Arts de

Bayonne. Joseph Nogaret (1862-1934, ancien inspecteur des chemins de fer du Midi,

Président du Syndicat d’Initiatives et « vulgarisateur d’histoire locale et régionale »17

) et

André Constantin (décédé en 1951, président du Tribunal de Commerce, puis directeur de la

Caisse d’Epargne) ont été ses deux principaux « auxiliaires ». « Ces deux compagnons ne me

quittèrent plus, pendant tout le temps qui leur restait à passer sur cette terre. Ils se partageaient

la besogne. L’un qui connaissait déjà les loisirs de la retraite et savait les employer pour le

mieux, se chargea du département des archives, des classements, de la bibliothèque, tout en

poursuivant ses études régionales, dont plusieurs donnèrent lieu à des publications toujours

recherchées ; l’autre, en pleine activité, mêlé aux diverses manifestations de la vie

bayonnaise, me seconda dans toutes les réalisations extérieures dont la longue série n’est pas

14

La maison Dagourette, dont la présence est attesté au XVIIe siècle, est ainsi nommée d’après le nom de son

propriétaire (le plus ancien connu du moins), négociant bayonnais. Elle fut par la suite un couvent de

Visitandines puis un hôpital civil. En 1922, la Ville de Bayonne la rachète à l’administration des hospices. 15

Sujet traité par Agnès Sinsoulier dans un mémoire de DEA en muséologie et dans un article paru dans le

Bulletin du Musée Basque en 1999. 16

« La renaissance du Musée Basque », 1947, n°54, p. 19 ; « Le Musée Basque en 1947 », 1948, n°56, p. 49 ;

« Chronique du Musée Basque », 1949, n° 57, p. 41 ; « Le Musée Basque en 1949 », 1950, n° 58, p.36 ;

« Chronique du Musée Basque » 1953, n°65, p. 88. 17

Daranatz, J.B.. 1934. « Nécrologie. Joseph Nogaret », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°n°14, p.372.

Page 25: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

25

encore terminée et me fît bénéficier de sa connaissance, de jour en jour plus approfondie, des

gens et des choses de ce pays […] »18

. A leurs côtés, ont aussi participé le Commandant de

Marien (président de la SSLA), Philippe Veyrin (critique d’art, écrivain et peintre), Georges

Hérelle (1848-1935, traducteur, i l a étudié le théâtre basque), Henri Gavel19

(1880-1959,

professeur d’espagnol au lycée de Bayonne, bascologue), Louis Colas (1869-1929, professeur

d’Histoire au lycée de Bayonne), André Grimard (dessinateur), le Chanoine Daranatz, le Père

Donostia (musicien et musicologue), Pierre Labrouche et Ramiro Arrué (peintres). Dans son

mémoire de maîtrise en ethnologie, Manex Pagola les qualifie « d’ethnologues locaux qui

s’ignoraient » réalisant « une observation sympathique de la région » (Pagola, 1988 : 4). Il

précise aussi que « parmi les fondateurs du Musée Basque bien peu parlaient le basque ou

n’étaient pas simplement de souche basque. » (ibid : 67).

Le Commandant Boissel lui-même et ses collaborateurs étaient bénévoles. Le personnel du

Musée Basque était peu nombreux et se composait au départ d’un couple de concierges (Mme

et Mr Urbero), une secrétaire, une vendeuse (ou caissière, Mme Falque), deux gardiens (des

anciens douaniers).

La SSLA lui rendit hommage en 195520

, en publiant quelques allocutions, dont une du

Général Aublet qui nous apporte quelques éléments biographiques.

« William Boissel était né le 4 Janvier 1869, à Bordeaux […] Il ne quitta Bordeaux que pour

aller à Paris préparer l’Ecole de Saint-Cyr, où il entra en 1890. Il en sortit sous-lieutenant et

fut affecté au 49e Régiment d’Infanterie de Bayonne. Quelles furent les raisons de ce choix ?

Peut-être la proximité de sa famille bordelaise : plutôt son goût personnel, car Bayonne et le

Pays Basque avaient pour lui un attrait particulier. »

A l’heure de sa retraite, « Il se retira à Bayonne, patrie de sa belle-famille. Très cultivé, esprit

curieux bouillonnant d’idées qui semblaient extraordinaires à certains, il ne pouvait rester

inactif. En 1920, il était admis à la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, et en

devint rapidement un des membres les plus agissants. Il sentait notamment tout l’intérêt

qu’offrent Bayonne et le Pays Basque : histoire, monuments, coutumes, folklore, etc. Il reprit

à son compte une idée, en l’air depuis quelque temps : l’idée d’un musée basque, mais il la

18

Boissel, William. 1951. « Nécrologie. André Constantin », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°60, p.96 19

« On le voit, le professeur Henri Gravel était devenu nôtre, finalement plus basque que beaucoup de Basques

qui se désintéressent de la culture locale. » (Lafitte, Pierre. 1980. « Apport de M. le professeur Henri Gavel au

développement des études basques », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°136, p.250).

20 « Hommage au Commandant W. Boissel. Allocution du Général Aublet, de M. Ithurriague, de M. J.-P.

Brana, de M. le Docteur Delay », in Bulletin de la S.S.L.A. de Bayonne, 1955, pp.89-108.

Page 26: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

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transforma et conçut le projet plus large, d’un centre rassemblant tous les souvenirs du passé

de notre région, à la fois mémorial et source d’information, de renseignements où pourraient

venir les érudits, les savants désireux de s’initier à Bayonne et au Pays Basque. »

« Le Commandant Boissel fut le premier qui lança les Danseurs Basques. Ces hommes de la

campagne n’avaient alors rien des professionnels d’aujourd'hui : parés de leurs bijoux

familiaux, ils le suivirent à Paris, à Londres, en Roumanie et l’on se rappelle l’intérêt que

suscitèrent les représentations qu’ils donnèrent dans ces lieux. Le Commandant Boissel

contribua ainsi singulièrement à faire connaitre le Pays Basque, encore inconnu. »

« Le Commandant Boissel ne cessait de la perfectionner, de le développer et de réaliser des

idées, anciennes peut-être, mais jamais perdues de vue. Il y venait chaque jour, matin et soir,

de son domicile de Mousserolles, ne négligeant aucun détail, recevant de nombreux visiteurs,

souvent accompagnant les touristes pour leur faire les honneurs de ses salles, trouvant pour

chacune un mot aimable. »

« Caractère autoritaire et indépendant hérité de sa formation militaire, conscient de ses

responsabilités, pour lui, le Musée Basque était sa chose, et c’est là un sentiment très humain

qu’on ne peut lui reprocher, car s’il profita d’une liberté complète, il n’en usa que pour le bien

du Musée et les intérêts de la Ville qui lui garda toujours sa confiance la sachant bien placée.

C’est probablement grâce à cette liberté qu’il réussit à faire de son musée, un des premiers

musées folkloriques du monde entier. Réalisateur, il le fut dans toute l’acception de ce terme,

toujours à la recherche du mieux et ne considérant jamais son œuvre comme achevée. « Le

Musée Basque, disait-il souvent, est une création continue ». »

Puisque nous ne pouvons ici retranscrire l’étendue du travail accompli par ce directeur, nous

proposons de nous attarder seulement sur une période que nous considérons comme cruciale :

la reprise d’après guerre, qui se situe par ailleurs à mi-parcours de sa direction. La fermeture

forcée du musée et le déménagement des collections n’ont en rien entamé sa volonté de

poursuivre le développement du musée, au contraire, il évoque même une « renaissance »21

.

« Le 2 février 1946, les Services de la Maison du prisonnier quittaient la rue Marengo où ils

s’étaient installés depuis le 30 septembre 1942. Le Musée Basque recouvrait sa liberté. »

La réouverture fut fixée au 3 août, pour les Fêtes de Bayonne. Les 10.000 objets de la

collection furent rapatriés depuis Saint-Sever et replacer à l’identique grâce aux notes et

21

Commandant William Boissel, « La renaissance du Musée Basque », dans Bulletin de la SSLA de Bayonne,

1947, n°54, pp. 19-24.

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27

croquis de la secrétaire, Mme Haulon, avec l’aide du couple de concierges, le ménage Urbero,

qui officiait depuis déjà vingt deux ans et connaissaient parfaitement les salles du musée.

« Cette renaissance n’eût pas été complète si elle ne s’était manifestée aussi, comme dans le

passé, par des expositions temporaires, des conférences, des démonstrations de musique et de

danse. Nous avons donc repris ces formes de vie ou préparé leur reprise. »

De nouvelles salles furent inaugurées. « Dès la création du Musée Basque, il a été décidé qu’il

comprendrait une salle de Préhistoire. […] Il nous a fallu attendre vingt et un ans pour réaliser

ce projet, qui a pris corps en 1945, au moment du passage à Bayonne de M.G.-H Rivière,

conservateur du Musée des Arts et Traditions Populaires, membre de la Commission des

Musées de Province, chargé de mission auprès de M. Georges Salles, directeur des Musées de

France. […] L’idée d’une salle des Lettres et des Arts est par contre toute récente puisqu’elle

est née le 29 août dernier, à la suite d’un entretien avec M. Paul Faure et M. Pierre

Lichtenberger. »

Il conclue son texte, plein de reconnaissance et d’espoir en l’avenir du musée, en son

développement scientifique et ses relations avec la SSLA.

« Ainsi, après sept ans d’intermittences et de ralentissements, le cœur de notre Musée s’est

remis à battre à son ancien rythme. Réjouissons-nous d’être les témoins de cette renaissance, à

un moment où les sujets de réjouissance ne sont pas si communs et remercions tous ceux qui

l’ont favorisée : l’Etat, la Ville de Bayonne et nos nombreux amis. Pour finir, regardons en

avant. Nous pouvons sans doute entrevoir le moment où, de « contrôlés » nous deviendrons

« classés » et nous nous élèverons ainsi dans la hiérarchie des Musées. Ceci ne dépend pas de

nous. Mais ce qui dépend de nous, c’est de constituer sans tarder ce qu'on pourrait appeler

notre équipement scientifique, très importante et vaste question sur laquelle je ne reviendrai

pas aujourd'hui. ce qui dépend de nous c’est de continuer à animer cet organisme, de lui éviter

l’engourdissement administratif, de faire qu’il reste simple, net, accueillant, expansif si je puis

dire ; qu’il soit aimé et qu’on le retrouve toujours avec plaisir, à la fois semblable et différent,

puisque tout change. Je souhaite, en terminant, que nos plus lointains successeurs puissent

venir, comme je le fais aujourd'hui, parler à ceux qui vous remplaceront de la « Vie du Musée

Basque ». »

Une autre date importante est à retenir. Le 7 avril 1951, une convention a « accordé au Musée

Basque sa complète autonomie », séparant le Musée Basque de la SSLA de Bayonne, le

transformant alors en musée municipal et mettant en place le premier conseil scientifique

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28

officiel du musée.22

« Une organisation nouvelle a remplacé, comme il était nécessaire, notre

ancien statut. Elle figure dans un Règlement intérieur donné par M. le Maire de Bayonne le 21

Janvier 1952. Ce règlement maintient les dispositions de la Convention primitive qui

laissaient toute l’initiative au directeur du Musée Basque, mais lui adjoint seize conseillers

nommés, sur sa proposition, par le Maire et prévoit en outre des correspondants non résidant.

Ainsi se maintient, avec la même orientation le mouvement initial. […] Les conseillers

peuvent être appelés à donner leur avis, isolément ou formés en commission, sur les affaires

de leur compétence. Réunis au moins deux fois par an, ils sont tenus au courant des questions

à l’étude et, dûment renseignés, peuvent guider utilement le directeur, en même temps qu’ils

font connaitre, dans leur entourage, les travaux effectués, les résultats obtenus et les projets

envisagés. »

Par la suite, le musée continua son travail scientifique par la création d’une phonothèque, une

nouvelle salle d’ambiance, « l’épicerie-venta » (1952), l’élaboration d’une salle (offerte par

M. de Ynchausti) consacrée au thème de l’expansion basque dans le monde, entre autres

choses.

En 1954, le musée passe sous la tutelle de la Direction des Musées de France. L’année

suivante, le Commandant Boissel décède, après avoir désigné son successeur, Jean Ithurriague

qui était l’un de ses proches collaborateurs.

En 1973, Louis Dassance rappelle que le Musée Basque doit sa réussite « aux qualités

exceptionnelles de son premier conservateur, le Commandant Boissel, ainsi qu’aux

collaborateurs dont celui-ci a su s’entourer mais aussi aux donateurs généreux, amis de nos

traditions, qui, redoutant qu’une évolution qui se précipite n’entraine leur dispersion ou leur

disparition, lui ont apporté tant d’objets familiers, de souvenirs précieux, des objets d’art

parfois, mais surtout d’humbles et vénérables reliques du passé qui lui confèrent aujourd'hui

originalité et authenticité. » (ibid :1).

22

Commandant Boissel, William. 1953. « La vie du Musée Basque. 1951-1952 », in Bulletin de la SSLA, n°64,

p.88-90

Page 29: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

29

1.3. Jean Ithurriague (directeur du musée de 1955 à 1960)

Outre la brièveté de son passage à la direction du musée (de janvier 1955 à novembre 1960),

la suspension (entre 1942 et 1964) de la parution du Bulletin du Musée Basque, limite les

informations sur son travail.

Nous savons qu’il était lui aussi membre du Conseil d’administration de la SSLA de

Bayonne, qui lui rendit à son tour hommage lors de son décès. Nous apprenons alors que ce

professeur du lycée de Bayonne, a mené une « brillante carrière militaire et universitaire ».

Dans son allocution Léon Herran précise qu’ « […] il était naturel que ce fût un enfant du

pays qui prît alors la direction de cette Maison. […] Ce basque de pure souche était préparé à

cette fonction par son culte des traditions et par sa vaste culture en dépit de laquelle il était

demeuré d’une simplicité qui le rendait sympathique au premier abord. »23

Pourtant, même après son passage à la direction du musée, celui-ci reste dans les esprits le

Musée du Commandant Boissel. Nous attribuons aussi cela au fait que son travail s’est inscrit

en ligne directe avec celui de son prédécesseur. Dans l’hommage que Jean Ithurriague24

avait

rendu au Commandant Boissel, nous comprenons qu’il partageait les vues de son

prédécesseur et souhaitait poursuivre son œuvre : « On pouvait continuer l’œuvre, la varier, la

multiplier mais toujours dans le même sens et dans le même esprit. »

« Telle fut toujours son idée directrice dans la construction de cet édifice : donner

l’impression de la vie. Non pas d’une vie figée dans une époque, mais d’une vie continue qui

circule, sans cesse renouvelée, à travers notre histoire, nos usages, notre langue ; d’une vie

aux reflets changeants, dont la source profonde demeure la même, immuable, intarissable, la

tradition, qui se prolonge. Car le Commandant Boissel savait qu’on ne construit rien de solide

si l’on ne s’appuie pas sur la matière ferme du passé. »

1.4. Jean Haritschelhar (directeur du musée de 1962 à 1988)

Personnage charismatique, il a occupé de nombreuses responsabilités : maire de son village

natal, professeur d’espagnol à l’université de Bordeaux, président de l’Académie de la langue

basque. Il est aujourd'hui retraité. En 2004, il a reçu le Prix Manuel Lekuona de Eusko

Ikaskuntza, qui lui a alors consacré un dossier, faisant mention de toutes ses activités. Et

surtout, nous avons eu l’opportunité de le rencontrer, à quelques reprises, dont une chez lui

23

Herran, Léon. 1960. « Hommage à Jean Ithurriague », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, pp.240-241 24

Ibid, pp.98-100

Page 30: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

30

pour un entretien semi-directif. Nous nous attacherons surtout ici à son travail de directeur,

qui éclaire grandement sur sa conception de ce que devrait être le Musée Basque.

Deux jours après notre entretien, il nous a téléphoné pour nous conseiller de relire trois de ces

articles parus dans le hors-série du Bulletin du Musée Basque, « Hommage au Musée

Basque », juste avant qu’il ne quitte sa fonction de directeur. Il nous précise que la veille au

soir, lui-même les a relus. Il qualifie ces textes de « testamentaires », « vous avez là en

quelque sorte mon testament » alors que ce qu’il nous a raconté lundi dernier serait « plus

mûri » par rapport à ces écrits, qui eux étaient plus « dans l’action ».

Il nous a d’abord raconté son entrée au Musée Basque, qui tient à « un concours de

circonstances ».

« Mon prédécesseur Jean Ithurriague, que j’ai eu comme professeur au lycée de Bayonne, est

décédé en novembre 1960. Et le Musée est resté sans directeur pendant treize ou quatorze

mois. Il y a avait un certain nombre de candidats mais il semble que ces candidats ne

convenaient pas au Docteur Henri Grenet, jusqu’au jour où dans l’hebdomadaire Herria il y a eu

un article en français signé du Chanoine Lafitte qui disait textuellement « on ne va pas quand-

même nous donner pour le Musée Basque un quelconque Auvergnat diplômé d’ethnologie ». Et

il réclamait bien entendu un Basque à la direction du Musée Basque. Cet article n’a pas

échappé au Docteur Grenet qui s’est adressé à Michel Labéguerie en lui disant, en lui parlant

de cet article et en lui disant « Puisque c’est ainsi tu n’as qu’à m’en trouver un jeune et

diplômé ». J’étais à ce moment là détaché au CNRS pour préparer ma thèse quand j’ai reçu

une lettre de Michel Labéguerie me demandant si ce poste m’intéressait. »

Sur le conseil de son directeur de thèse, René Lafon, il s’est mis en contact avec le Musée

National des Arts et Traditions Populaires, où il a rencontré Georges-Henri Rivière qui lui a

proposé un stage.

« En huit jours j’ai fait le tour de la question et je suis rentré au Musée Basque le 2 janvier

1962. »

A son arrivée, il a aussi fait « le tour d’un certain nombre de personne ici à Bayonne pour

[se] présenter. ». C’est là le rôle premier du directeur du musée : tisser un réseau, à la fois

localement et au-delà. Il a créé des liens inédits avec le milieu scolaire, avec le milieu

universitaire auquel il appartenait déjà, et avec « l’autre côté », c'est-à-dire le Pays basque

« espagnol ». Le contexte se prêtait particulièrement bien à toutes ces initiatives. En effet, il a

Page 31: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

31

pris ses fonctions au début du « mouvement culturel basque »25

au Pays basque « nord »

(c'est-à-dire « français »), ce qui lui a valu notamment d’être choisi, nous l’avons vu plus

haut. Toujours en 1962, il est entré à l’Académie de la langue basque26

, instance

transfrontalière, alors que le Pays basque « sud » était toujours sous la coupe du franquisme.

Le Musée Basque ne souffrait d’aucune concurrence, tant auprès du grand public (il n’y avait

pas d’autre musée encore)27

, ni auprès des chercheurs puisque il n’y avait pas encore

d’université à Bayonne, ni de centre de recherche (deux structures qu’il a par la suite

contribué à créer).

« Tous les chercheurs arrivaient au Musée Basque. Je ne suis pas sûr qu’il en soit ainsi

maintenant et je comprends pourquoi d’ailleurs, c’est que depuis on a une université aussi à

Bayonne, et on a des études basques et on a une équipe de recherche […] »

« Il est évident que ma position aussi d’académicien basque, j’avais des rapport avec

l’extérieur, je veux dire le sud, que ce soit avec San Telmo, que ce soit avec Bilbao ou etc. où

ils étaient très pauvres à ce moment là et où le Musée Basque était regardé comme / vous

comprenez ? […] Le nombre de gens qui par autobus sont venus de Saint-Sébastien, de

Bilbao, etc., c’est comme ça qu’il [le musée] est monté. Le Musée Basque ça représentait

quelque chose. »

« J’ai passé cette première année à évaluer un petit peu ce que on pouvait faire au Musée

Basque. L’année précédente il y avait 17700 personnes qui étaient entrées au Musée Basque.

La première année où j’y étais donc en 1962, il y en a eu 19 500. Et lorsque je l’ai quitté, c'est-

à-dire en 1988 il y en avait à quelqu'un près pas loin de 60 000. Vingt-sept ans. Ce sont Vingt-

sept qui se sont passés là. Bon et tant qu’à expliquer cela, il faut dire aussi que je suis rentré

aussi en contact avec les chefs d’établissements etc. et que les scolaires qui ne foutaient

jamais les pieds au Musée Basque sont quand-même entrés au Musée Basque. Une deuxième

chose que j’ai faite dans cette première année c’est de recruter un certain nombre d’étudiants

destinés à faire visiter le Musée Basque. Je crois qu’ils étaient trois ou quatre […]. Il était prévu

que moi je ne les payais pas mais qu’à la fin de la visite… ils tendaient la main. Et ça c’est

perpétué ensuite, tout ça ça s’est perpétué tout le temps où j’étais au Musée Basque, ce qui fait

25

Lire Oronos, Michel. Le mouvement culturel basque : 1951-2001, Elkar : Bayonne/Donostia, Tome 1, Ikas,

Pizkundea, Euskal konfederazioa, 2002, 189p., et le tome 3 Presse écrite, radio, télévision, 2008, 256p. 26

L’Académie de la Langue Basque, ou Euskaltzaindia, « fondée en 1918 est l’institution académique officielle

qui se consacre à la défense de la langue basque. Elle réalise des travaux de recherche en matière de langue

basque et en établit les règles grammaticales; elle s’attache également à la promotion et aux droits de la langue

basque. ». Son site internet : http://www.euskaltzaindia.net 27

Un Musée de la Basse Navarre sera ouvert à Saint-Palais en 1975, un Ecomusée de la tradition Basque en

1997.

Page 32: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

32

que j’ai vu comme ça toute une série de jeunes étudiants qui sont venus, ont fait visiter le

Musée Basque. »

Ce travail, qui ne s’appelait pas encore de la médiation, s’est conclu en 1988, soit peu de

temps avant son départ du musée, par la mise à disposition par le rectorat (académie de

Bordeaux) de Mano Curutcharry, professeur d’histoire-géographie, et la création du service

éducatif Argitu.

Un autre volet important de son travail a été fait en partenariat avec la Société des Amis du

Musée Basque. En relançant la publication du Bulletin du Musée Basque, il a à la fois

confirmé les liens avec le monde universitaire et contribué à enrichir la bibliothèque du

musée, affermissant en retour ce lien avec les chercheurs.

« Une autre de mes actions au Musée Basque ça a été de reprendre, de refaire vivre le Bulletin

du Musée Basque. Et les premiers numéros sont sortis en 1964, avec très très exactement la

même couverture qu’avant guerre […]. Je n’étais pas seul, j’avais autour de moi des gens qui

étaient véritablement capables d’apporter au Musée Basque. Il y avait Mr Louis Dassance qui

était le président d’Euskalzeen Biltzara, il y avait le Chanoine Lafitte28

, il y avait Eugène

Goyheneche29

et il y avait Louis Bariéty qui était le directeur du Musée de la Mer à Biarritz. Et le

Bulletin du Musée Basque a recommencé. Il est évident que il a eu immédiatement une autre

allure que ce qui existait avant, de par mon implication dans l’université et je dirais que ce sont

les universitaires qui ont envahit le Bulletin du Musée Basque. […] Et le premier article que j’ai

écrit, d’ouverture, vous le lirez, il est dans le sens de la tradition, de la reprise. »

« Alors il faut bien reconnaitre que le Bulletin du Musée Basque a été une monnaie d’échange.

Evidemment toute une série de revues sont entrés au Musée Basque, ce qui a enrichit la

bibliothèque […] Et du coup la bibliothèque du Musée Basque est devenue un passage in-con-

tour-na-ble. »

1500 volumes étaient présents à son arrivée, ils étaient 17 000 à son départ. Cet accroissement

tient aussi au fait qu’il avait « tissé un réseau autour du Musée Basque », il se souvient s’être

fait offrir des bibliothèques entières.

28

Le Chanoine Lafitte, Piarres Lafitte Ithurralde, (1901-1985) a enseigné au petit Séminaire d’Ustaritz, il était

aussi licencié en lettres et en philosophie et fut nommé à l'Académie de la langue basque en 1952. Il a publié

notamment La Grammaire basque (1944). 29

Eugène Goyheneche (1915-1989) était un historien. Il a notamment enseigné à l’Université de Pau, a été

président de la SAMB de 1973 à 1989, et est aussi connu comme un pionnier de l’abertzalisme en Iparralde

(Larronde, Jean-Claude. 1991. « Eugène Goyheneche, un militant basque dans les années 30 », in RIEV. Revista

Internacional de los Estudios Vascos. San Sebastián: Eusko Ikaskuntza, Tomo XXXVI, nº1, p.81.

Page 33: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

33

« Fort était quelqu'un qui était au Musée Pyrénéen à Lourdes et qui avait une bibliothèque

extrêmement importante sur le pyrénéisme, et cette bibliothèque elle est venue au Musée

Basque, la bibliothèque de Manu de la Sota30

est venue aussi au Musée Basque […] »

Et les dons ne concernaient bien entendu pas que des livres.

« Et un jour il y a Manu de la Sota qui a interpellé un de ses compatriotes et lui a dit « Et tu ne

fais rien toi pour le Musée Basque ? ». Et c’est comme ça que j’ai reçu un chèque de 15 000

francs. Un million cinq-cent-mille centimes avec lequel j’ai pu ainsi, grâce à Vincent Ducourau31

qui avait vu le tableau de la partie de pelote sous les remparts de Fontarabie, qui me dit « vous

l’avez à tel endroit et je l’ai vu et j’ai dit qu’il fallait le réserver de manière à ce que vous puissiez

le voir ». »

Alors, Jean Haritschelhar obtint du Docteur Henri Grenet, maire de Bayonne, que la ville

l’achète pour le musée, en faisant participer pour moitié du prix la SAMB, car « ce tableau il

représente quelque chose ». Il est en effet toujours en 2012 un des « trésors » du Musée

Basque. Le musée a reçu de multiples autres dons, d’objets ou monétaires. Les achats étaient

rares, et se faisaient par la ville ou par l’intermédiaire de la Société des Amis. Le directeur a

pris soin de toujours les consigner dans le Bulletin du Musée Basque.

« Vous consulterez le Bulletin du Musée Basque vous verrez tout ce qui est rentré, bon. Et

justement je tenais à ce qu’il y soit parce que le lecteur du Musée Basque pouvait se rendre

compte aussi à quel point le Musée Basque pouvait évoluer et s’enrichir etc. […] Je considère

que très normalement le Bulletin du Musée Basque est comme un organe du musée et qu’il sert

à l’expansion du musée, à la connaissance du musée. »

« A propos de cette Société des Amis du Musée Basque je l’ai faite repartir aussi. Mais j’étais

secrétaire général, autrement dit [rire] , je m’excuse de le dire aussi brutalement, mais j’étais le

patron.

_ Pourquoi c’était important justement d’être « le patron » ?

_ C’est que ça accrochait le Bulletin du Musée Basque qui était propriété de la Société des

Amis […] Or pour moi il était extrêmement important que le directeur du Musée Basque en

même temps qu’il était le directeur de la revue ait la main sur tout. »

30

Armateur et érudit basque, Manu de la Sota, donna 1500 livres au Musée Basque. 31

Vincent Ducourau a été le conservateur du musée Bonnat, musée des beaux-arts de la Ville de Bayonne, de

1975 à 2010.

Page 34: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

34

Il regrette d’ailleurs que « le cordon ombilical » n’existe plus entre le musée et la SAMB et

surtout le Bulletin, qu’il a continué à diriger quelques temps après son départ du musée.

« Là où je me suis aperçu aussi de l’importance du Bulletin. Bon il se trouve que étant

universitaire j’ai été appelé je crois oui au moins une trentaine de fois à des jurys de thèse, de

l’autre côté , et quand vous regardez la bibliographie d’une thèse, et que vous voyez Bulletin du

Musée Basque pas une fois mais plusieurs fois, vous dites « tiens, on a pas tout à fait perdu

son temps ». […] Et ce sont des joies intimes que l’on peut avoir de cette manière là. »

Son travail en direction de la recherche ne s’est pas arrêté à l’enrichissement de la

bibliothèque et à la publication du Bulletin du Musée Basque.

« Alors, quel était mon travail au Musée Basque ? Mon travail au Musée Basque a été de faire

du Musée Basque une bibliothèque aussi, parce que qu’un musée a besoin d’une bibliothèque

et l’autre, et je le dis avec un grand sourire, d’être le concierge culturel [rire] parce que sont

venus vers moi aussi bien Jean-Michel Guilcher32

que bien d‘autres et que des étudiants qui

faisaient un diplôme d’études supérieures, enfin voyez c’était le DES autrefois et maintenant

c’est au cours de la maîtrise qu’on présente un travail, venaient au Musée Basque, envoyés par

tel prof de tel truc et qui sur un sujet basque où ils ne connaissaient rien, ça fait que moi j’ai

dirigé quelques uns des travaux je préfère vous dire, j’en ai dirigé quelques uns. Donc le Musée

Basque a joué un rôle – bon je crois qu’il se doit au fait que j’étais universitaire purement et

simplement – à jouer un rôle extrêmement important de ce point de vue là, par rapport à la

recherche. »

Même si tous les chercheurs ne travaillaient pas directement sur les collections du musée, les

travaux de plusieurs d’entre eux y ont trouvé une application pratique. Certains ont

directement servi par exemple à revoir entièrement la configuration de la salle de la pêche et

de la navigation33

, ou la présentation des instruments aratoires. D’autres salles ont été

modifiées. Il a même supprimé une salle qu’il trouvait trop empreinte « de franquisme », la

salle des sept provinces. Mise à part cette suppression franche et radicale, il considère avoir

toujours veiller à respecter le travail de ses prédécesseurs, en restructurant plus qu’en

modifiant, et en développant.

32

Jean-Michel Guilcher (né en 1914) a été ethnologue et maître de recherches honoraire au CNRS. Il est l’auteur

de La tradition de danse en Béarn et Pays Basque français (Editions MSH, 1984, 727p.). 33

François Beaudoin, conservateur du Musée de la Batelerie à Conflans-Sainte-Honorine, a réalisé une étude sur

« Les bateaux de l’Adour ».

Page 35: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

35

« Et je me suis dis, il faut quand-même / ce musée est très très intéressant, et j’ai dit très

nettement et je l’ai proclamé il y a des choses qu’il ne faut pas changer. Et ces choses qu’il ne

fallait pas changer c’était un certain nombre de pièces, enfin un certain nombre de salles parmi

lesquelles il y avait la cuisine ! Il y avait l’auberge, il y avait le cimetière… en particulier car et je

le dis très nettement, ce sont des choses, ce sont des salles qui faisaient que les gens passant

par le musée se retrouvaient tout d’un coup devant le résumé de ce que pouvait être la vie au

Pays basque. »

« Je suis quelqu'un … qui a le respect de la tradition. Ce qui veut dire qu’il y a des gens qui

vous ont précédé, qui ont travaillé et qui ont fait un musée. Que vous apportiez des corrections

c’est normal, c’est dans la rénovation d’un musée. Moi j’ai mis sous vitrines un certain nombre

de choses importantes. Que ce soit la salle de la pêche, que ce soit pour le métier à tisser, que

ce soit pour les vêtements et les costumes et le mobilier, tout ça ça a été mis, ça n’y était pas

avant, vous comprenez, mais en gardant exactement les mêmes objets, en en faisant rentrer

d’autres bien entendu et, comme je vous l’ai déjà dit, en respectant des choses que je

considérais comme étant parfaitement réussies, voilà. Et ça je l’ai dit et je l’ai proclamé, il y a

des choses qui sont intouchables ici. »

« Il y a un certain nombre de choses que j’ai mises en réserves. Pourquoi ? Parce qu’un musée

c’est la présentation d’objets et à partir du moment où vous avez accumulation d’objets, les

gens passent et n’en regardent aucun. Autrement dit, quand vous avez un objet qui compte,

celui-là il faut que vous le mettiez particulièrement en vue. Il faut que automatiquement les

regards se posent sur cet objet. C’est ma… ma vision du musée. Et ça ne veut pas dire qu’un

musée soit pauvre alors que ce sont les réserves qui sont riches. On présente une pièce ou un

objet quelconque soit parce que il a un intérêt ethnographique assuré, soit à cause de son

esthétique. »

« Ce que j’ai renouvelé, enfin je veux dire, c’est au dernier étage en particulier, c’est l’histoire.

C’est une chose qui n’était pas structurée si vous voulez, et je l’ai structurée. »

Dès l’année de son arrivée, en septembre 1962, le congrès des conservateurs de musées se tint

à Bayonne : « j’ai fait visiter le musée, certains m’ont donné des conseils », parmi eux,

Georges-Henri Rivière qui était déjà intervenu au Musée Basque quelques années plus tôt

pour effectuer une « structuration » de la salle consacrée au jeu de pelote dont Jean

Haritschelhar était très satisfait, mais qu’il s’est tout de même réappropriée car le sujet lui

tenait particulièrement à cœur.

Page 36: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

36

« Il y avait aussi dans le renouvellement du musée, il y avait « le musée de la pelote ». C’est

Georges-Henri Rivière qui l’avait fait le musée de la pelote34

. Bon je lui ai un petit peu complété

pour la simple raison que j’ai été aussi pilotari35

[rire] et que sur la pelote j’en connais un rayon,

vous comprenez ? Je peux vous dire par exemple, bon c’est une simple anecdote, mais il y a

une personne qui travaille sur la pelote, qui en train de faire je pense un travail de maîtrise.

Bon, elle s’est intéressée à ça, c’est une dame, elle s’est intéressée à ça et un jour elle est

venue me voir. […] »

Cette dernière anecdote témoigne du fait que, même si « Maintenant je regarde ça de loin », à

quatre-vingt-huit ans, il reste encore une référence, une personne ressource pour le milieu

culturel et la recherche au Pays basque. Il a par exemple envoyé à la fin de l’année 2011 un

article au comité de rédaction du Bulletin du Musée Basque.

Il est également très content que le musée ait été un lieu « ouvert », au-delà des chercheurs et

étudiants.

« Je peux vous dire que les principales réunions, toujours de type culturel, se sont déroulées au

Musée Basque. Les Assises de la langue et de la culture basques, en 1981 se sont déroulées

au Musée Basque. Parce que c’est moi qui avait eu l’idée de ces assises aussi […] »

« C’était des associations qui avaient aussi leur siège social au Musée Basque. Et j’a joute : non

donné par moi, mais par la mairie de Bayonne ; c’était tellement intéressant qu’il n’y avait pas à

ce moment là de salle de réunion à Bayonne […]. Autrement dit c’était un musée ouvert, c’était

une bibliothèque ouverte, ce qu’elle n’est pas maintenant. »

Il se souvient à ce propos d’une « avoinée » de la part du maire36

, avec qui il a ceci dit

toujours entretenu de bonnes relations. Ce devait être autour de 1985.

« J’ai reçu une avoinée mais alors terrible. Pour la simple raison que Seaska37

s’était réunie au

Musée Basque et avait cassé du sucre sur Grenet […] »

Et ce ne furent pas les seuls. Les années 1980 sont marquées par un dynamisme des

associations culturelles, pour la plupart très contestataires vis-à-vis de la politique municipale.

Sur le coup, le maire lui aurait intimer l’ordre de ne plus prêter cette salle de réunion. Mais

34

G.-H. Rivière avait donné des instructions à Jacques Barre pour réaliser cette salle. 35

Pilotari : joueur de pelote. 36

Henri Grenet (1908-1995), maire UDF de Bayonne de 1959 à 1995. 37

Seaska est la Fédération des ikastola du Pays basque français. Depuis 1969, elle contribue à la création

d’ikastola (écoles en langue basque). En 2012, Seaska regroupe 25 écoles primaires, trois collèges et un lycée.

Page 37: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

37

très vite la mairie le recontacta pour savoir s’il pouvait accueillir une nouvelle association qui

venait d’en faire la demande. Et les habitudes reprirent le dessus au moins jusqu’au départ de

Jean Haritschelhar. Mais cette situation « d’accueil » des associations au sein du musée

n’allait pas durer. La fin des années 1980 allait être une période de contestation culturelle et

politique très forte, marquée également par les attentats du GAL38

. Le quartier du Petit

Bayonne, où était situé le Musée Basque, devint le centre de l’activité militante basque. La

fermeture de la Maison Dagourette allait mettre fin à cette forme d’ouverture aux

associations.

Il nous a confié aussi son sentiment à propos du « nouveau musée ». Nous le réservons pour

un autre chapitre consacré aux publics et aux partenaires du musée, car ses propos sont

similaires à d’autres recueillis.

Ses multiples activités le tenaient cependant éloigné physiquement du Musée Basque la

plupart du temps. Pour les affaires courantes, le quotidien du musée, il a été secondé par Jean

« Manex » Pagola que nous avons également pu rencontrer.

En 1969, alors qu’il venait de passer un concours de rédacteur, Jean Haritschelhar l’a recruté.

« Il y a des gens que j’ai recruté […] et des gens qui m’ont été donnés par la mairie de

Bayonne. Il se trouve que lorsque Madame Moisson qui était la secrétaire […] sa succession.

Alors là je suis allé trouver Henri Grenet et je lui ai dit « le successeur il faut qu’il sache le

basque ». Et je m’étais renseigné auprès du syndicat des communes à Pau, voilà je voudrais

[…] Grenet a accepté et c’est comme ça que Manex Pagola est entré au Musée Basque. »

(Jean Haritschelhar).

Manex Pagola est ainsi entré au Musée Basque, d’abord comme secrétaire de direction puis il

est passé conservateur adjoint (avec le « grade d'attaché de conservation »). Son « poste avait

plusieurs volets : responsabilité du secrétariat, courrier, comptes en lien avec la comptabilité

de la Ville, gestion de la bibliothèque et des archives du musée, accueil de chercheurs, tenue

de la régie de recettes d'entrées au musée ».

Fait intéressant, après un « C1 de langue et littérature basque » (équivalent à la licence) à

l’Université de Bayonne, il s’est lancé - en parallèle à son travail au musée - dans des études

38

Le (ou les) GAL, « Groupe Antiterroriste de Libération », sorte de milice clandestine de l’Etat espagnol,

perpétra entre octobre 1983 et octobre 1987 une longue série d’enlèvements, attentats et assassinats de réfugiés

basques d’Espagne, des etarra (membres de ETA) réels ou supposés, notamment à Bayonne.

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38

« en anthropologie socioculturelle », jusqu’à l’obtention d’un doctorat pour sa thèse intitulée

Culture basque et urbanisation à Hasparren, soutenue en 1995 à l'Université de Bordeaux 3

sous la direction du Professeur Christian Mériot. Il avait avant cela consacré sa maitrise (en

1988) au Musée Basque.

« Pourquoi et dans quelles conditions avez-vous réalisé votre maitrise d'ethnologie sur le

Musée Basque ?

_ Assez passionné, je crois, par mon travail et l'intérêt des nombreux visiteurs et chercheurs, en

questionnement fréquent sur le fait culturel localement et en dehors, j'ai voulu voir ce qu'en

disait l'ethnologie ou l'anthropologie générale. Je pensais aussi qu'une institution prestigieuse

comme ce musée méritait à elle seule une étude d'ensemble quelque peu synthétique et

approfondie. »

Nous lui avons aussi demandé quelles étaient, selon lui, les missions et les priorités du Musée

Basque à l’époque.

« La conservation des objets et autres trésors du monde basque confiés déjà au musée,

enrichir les collections en tous genres, objets et documents divers, livres rares, graphiques,

photos, sonores, etc. Veiller à leur bonne état. Les mettre à disposition de la demande...

Présenter tout cela au public et aux nombreux chercheurs en tous genres de l'époque !

Etudiants, enseignants, chercheurs en tous genres, associatifs, écrivains, historiens,

romanciers, cinéastes... »

Il a aussi été trésorier de la SAMB pendant plusieurs années. Comme son directeur, il a lui

aussi poursuivi d’autres activités culturelles.

« En dehors du musée, composition de chants basques, création de spectacles de chants,

création d'ikastolas, émissions de radio en basque, cours de basque (langue), animation de

groupes de chants, danses basques à Urcuit, etc. »

Arrivé en 1980, Xalbat (gardien) se souvient de l’équipe qui composait le musée à cette

époque. Un couple de concierges, deux gardiens, Manex avec qui il a fait « ses premiers pas »

au musée, une caissière, deux secrétaires, un « qui faisait de la restauration un peu », puis

Alain arrivé en 1982 pour s’occuper de la bibliothèque.

« Il [le directeur] était je crois trois matinées par semaine […] il nous donnait les ordres et il

savait que le travail était fait. Il faisait confiance en son personnel [rire] et on faisait beaucoup

Page 39: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

39

d’entrées on faisait 60.000 entrées par an. Il y avait des jours c’était jusqu’à mille personnes,

par jour, les jours de pluie, pas l’hiver. […] Et oui, c’était un musée ici, il y avait une très bonne

ambiance, c’était une petite famille. […] Ça c’est agrandi et puis il y a beaucoup plus de chefs

[en 2011]. Avant c’était Haritschelhar qui disait quelque chose, et après il y avait Manex Pagola

aussi mais c’était surtout Haritschelhar qui disait quelque chose, c’était lui qui décidait […] il

fallait que tout passe par lui. » (Xalbat, gardien).

Alain, quant à lui est arrivé en 1982, le directeur lui a d’abord demandé de « s’occuper plus

particulièrement de la bibliothèque ».

Quand Jean Haritschelhar quitta le Musée Basque, l’équipe se composait de dix personnes.

« Et à dix ça marchait. Je trouve très bien qu’ils soient vingt-trois, Je trouve très bien qu’ils

soient vingt-trois, tant mieux, ils ont pu en profiter effectivement avec l’ouverture du nouveau

musée, très bien. Mais moi avant de pouvoir avoir dépasser le nombre de dix, je peux vous dire,

Henri Grenet [rire] il faisait attention. » (Jean Haritschelhar).

Pour Jean Haritschelhar, le Musée Basque était et devrait rester « une institution au service de

la culture. » 39

« Un objet qui entre dans un musée n’est pas toujours en mesure d’être exposé. On doit

dresser pour lui une fiche scientifique, une sorte d’état civil où sont définies toutes ses

caractéristiques signalétiques et en particulier sa provenance exacte : en bref, l’histoire de

l’objet doit être retracée. Ce travail scientifique, fait de précision et de rigueur, est

indispensable dans un musée digne de ce nom, ce qui suppose la qualification du personnel de

ce genre d’établissement. Sinon il n’est qu’un étalage de pacotille dénué de sens où l’on

attache beaucoup plus de prix au seul pittoresque de l’objet ou encore à sa valeur

commerciale. » (ibid : 598).

Il s’opposait déjà en 1988 à la « tromperie » exercée par d’autres sites se réclamant eux aussi

« musées » : « Recherche de racines d’un côté, tourisme intelligent de l’autre, à partir de ces

données s’est fait jour une vogue nouvelle qui se répand comme une épidémie : la

« muséite ». […] On n’a pas le droit d’exhiber une image de pacotille, on a encore moins le

droit de créer des « nécropoles ». » (ibid : 598-599)

39

HARITSCHELHAR, Jean. 1989. « Le Musée Basque : une institution au service de la culture. », in Hommage

au Musée Basque, hors-série du Bulletin du Musée Basque, pp.597- 599.

Page 40: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

40

Qu’il s’agisse du directeur ou de son adjoint, nous voyons comment le choix des

candidats aux postes à responsabilités du musée dépendait du contexte politique, l’expérience

muséale n’entrait pas à l’époque en ligne de compte. Le métier s’apprenait essentiellement sur

le tas. Mais une grande partie des missions du musée, telles qu’elles sont revendiquées

aujourd'hui, étaient déjà assumées : la collecte, la recherche, la mise en exposition permanente

ou temporaire, la communication, la médiation. Seule la conservation préventive n’était pas

encore une mission majeure du musée. La professionnalisation des métiers du musée était en

cours.

Pour la nomination suivante, le rapport à la « basquité » s’est inversé. La Ville de Bayonne a

retenu un candidat « bayonnais », en partie « pour débasquiser » le musée. Le maire était

toujours Jean Grenet, mais le contexte politique était bien différent.

1.5. Olivier Ribeton (conservateur du musée depuis 1988)

Arrivé au Musée Basque en 1988, quelques mois seulement avant sa longue fermeture (du 31

mai 1989 au 10 octobre 2001), il est l’artisan du musée tel que nous le connaissons

aujourd’hui. Mais comme il nous l’a longuement expliqué, tout ne s’est pas déroulé comme

prévu, loin s’en faut, et le résultat muséographique lui-même, à la réouverture du musée,

n’était pas exactement celui escompté.

En 1989, le Musée qui nécessitait une lourde rénovation fut fermé dans l’attente d’une

solution. Sa fermeture était envisagée aussi comme l’occasion de le repenser dans son rôle à

la fois de témoin et de centre de recherche. La réflexion et le travail de Georges-Henri Rivière

sur une ethno-muséologie et la réalisation d’expositions à caractère didactique qui n’avaient

que peu influencé les premiers directeurs du Musée Basque40

, furent alors considérés lors de

sa « réinvention » dans les années 199041

. Une muséographie « contemporaine » de Zette

Cazalas (vitrines, socles, éclairages, projection de films, ambiance sonore) épurée et

didactique (panneaux explicatifs trilingues) remplace la présentation folkloriste, composée

essentiellement de reconstitutions, de « salles d’ambiance ». Nous retrouvons la plupart des

thèmes de l’ancienne muséographie, ainsi que des nouveaux, une salle est par exemple

consacrée à La découverte du Pays basque. Et surtout, lorsque qu’il rouvre en 2001, il a

40

Il faut attendre la création du « musée de la pelote », au sein du Musée Basque, inauguré en 1958, œuvre de

Jacques Barre qui avait suivi les instructions de G-H Rivière. 41

Sujet notamment traité par Eloïse Durand, dans un mémoire de maîtrise en ethnologie réalisé en 2003, sous la

direction de Martine Segalen.

Page 41: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

41

changé de nom, le Musée Basque et de la Tradition Bayonnaise a été rebaptisé Musée Basque

et de l’histoire de Bayonne.

Portrait : Olivier Ribeton, conservateur

Olivier Ribeton est conservateur territorial du patrimoine de 1ère

classe, au 5ème

et dernier

échelon. Il est conservateur du Musée Basque depuis le mois de novembre 1988.

Il a tout d’abord entrepris des études de droit (droit des affaires et affaires internationales) à

Paris, pendant cinq ans. Lors d’une première expérience professionnelle dans un cabinet

d’avocat, trois mois lui suffirent à prendre conscience qu’il n’avait pas « la vocation ». Il s’est

lancé alors dans des études en Histoire de l’art, à Bordeaux. Il obtint une licence (en trois

ans), puis une maîtrise (en deux ans).

« Qu’est-ce qui vous avez attiré dans ce domaine de l’Histoire de l'art et du musée ensuite ?

_ Alors curieusement j’ai commencé par m’intéresser à l’architecture, puisque j’ai fait ma

maîtrise sur l’architecture du Château de Bidache42

[…]. Après je me suis intéressé aux décors

intérieurs et peu à peu j’ai travaillé sur les peintures et je me suis un peu spécialisé dans le

portrait du XVIe à la Belle Epoque. »

Parallèlement à cette maitrise et ses recherches sur le Château de Bidache, il est retourné à

Paris où il a effectué des stages, notamment au Musée Carnavalet (Musée de l’histoire de la

ville de Paris), puis il a été engagé quelques années par la Fondation Mitsukoshi (grands

magasins japonais) pour organiser des expositions européennes à Tokyo.

« Des stages après mes études qui auraient dû amener à ce que je passe un concours des

musées. J’ai passé celui de la Ville de Paris où j’étais reçu à l’écrit avec 15 de moyenne mais

j’ai loupé mon oral et depuis je n’ai pas eu le courage de me représenter, donc je suis rentré

dans les musées par liste d’aptitude, à l’époque ça fonctionnait, quand on avait assez de

diplômes et fait différents travaux, surtout dans le cadre des stages avec les musées, on

pouvait vous agréer comme apte à diriger un musée, c’était avant la création des écoles du

patrimoine et ainsi de suite. C’est pour ça que je ne suis pas si jeune dans cette optique. »

Ainsi, il était déjà à Bayonne depuis 1984 « pour faire un musée d’histoire autour de la

collection des Ducs de Gramont »43

.

42

RIBETON, Olivier. 1981. « L’Architecture du château de Bidache ». in Bulletin de la SSLA de Bayonne. 43

Lire : RIBETON, Olivier. 1985. « Un musée Gramont à Bayonne », in Bulletin de la SSLA de Bayonne.

Page 42: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

42

« Donc j’étais préparé à faire un Musée d’Histoire de la Ville de Bayonne et du coup… En 1985

arrivaient les rapports calamiteux sur l’état du bâtiment Dagourette qui abritait le Musée Basque

et au final, quand Haritschelhar a pris sa retraite, on m’a demandé de m’en occuper et pendant

un certain temps on a cru pouvoir faire d’une pierre deux coups, c'est-à-dire de réunir le Musée

Basque avec un musée de l’Histoire de Bayonne autour de la collection Gramont. »

« Et d’après vous qu'est-ce qui a fait la différence dans votre candidature ?

_ Alors Jean Haritschelhar avait comme candidat Manex Goyhenetche, qui était un historien du

Pays basque, bascophone … mais qui était / parce que la différence entre je dirais mes

prédécesseurs et moi-même est que mes prédécesseurs avaient une formation purement de …

on va dire de littérature : Haritschelhar c’était enseignant d’espagnol et de basque, qui avait la

chaire de basque à Bordeaux, Jean Ithurriague était professeur au lycée de Bayonne donc

c’était plus des enseignants que des gens issus du corps des conservateurs, enfin, même si

moi je ne suis pas estampillé concours mais j’ai fait mes stages dans les musées et j’étais liste

d’aptitude musée. […] Donc encore un autre profil. Mais le Musée Basque étant musée contrôlé

par les Musées de France depuis 1954, il fallait un minimum de règles « musées » à respecter

à partir de 1954. Alors pourquoi aurais-je été choisi à la place de Manex Goyhenetche ou à la

place d’autres candidats ? Parce qu’il y a eu plusieurs autres candidats. Je pense parce que

j’étais Bayonnais, que j’avais plutôt un profil Histoire, que j’avais déjà travaillé sur les collections

du Musée Basque et que on ne me voyait pas basque […] indépendantiste [rire]. »

_ Ce qui était le cas de Manex Goyhenetche ?

_ Goyhenetche était assez autonomiste oui, il était assez militant. Mais il ne faut pas négliger

affectivement que l’aspect politique intervient aussi dans les nominations. »

« Donc par rapport à votre entrée au Musée Basque… un petit peu par hasard finalement ?

_ Oui. J’ai beaucoup hésité et puis je me suis dit que d’une part j’avais commencé à travailler

sur les collections d’Histoire du Musée Basque puisque je pensais en reprendre une certaine

quantité pour le Musée Gramont et d’autre part c’était une autre approche qui me permettait de

traiter d’autres sujets, dont l’ethnographie. »

1.5.1. La fermeture du Musée Basque

La période de fermeture du Musée Basque est décomposable plus précisément en deux

grandes phases : de 1989 à 1993 puis de 1994 à 2001.

« […] je connaissais déjà un peu le mauvais état du Musée Basque, je savais que depuis 1985

on demandait la fermeture du musée pour conditions de sécurité, pour sauver le public, c’était

pas tellement pour sauver les collections, pour sauver le public, parce qu’il y avait des

planchers qui tombaient, il y avait des termites, enfin c’était assez catastrophique. Et au final

Page 43: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

43

moi, à peine arrivé, j’ai fait venir des quantités d’experts de tous les matériaux au musée qui ont

fait des rapports sur l’état de catastrophe non pas du bâtiment mais des objets. Et à partir de là

a été mis au point un plan de reconstruction je dirais, du musée et des collections. Avec une

polémique gigantesque qui fait que je suis arrivé dans ce musée pour gérer les polémiques

parce que le maire de Bayonne, Henri Grenet qui avait déjà fait faire une étude pour

l’installation d’un Musée d’Histoire au Château-Neuf avait dit « on va faire des économies, on va

envoyer le Musée Basque au Château-Neuf » et alors là : lever de bouclier ! « On n’enferme

pas la culture basque dans une forteresse symbole de l’oppression des Basques par les

Français », etc. etc. Il y a eu même des dessins, dans la presse, dans Sud Ouest… Jean

Grenet à la Tour du Château-Neuf et Nicole Perret qui était son opposante socialiste au

Conseil municipal de Bayonne mais qui était aussi vice-présidente du Parlement Européen,

avant d’être Ministre, qui elle était à la fenêtre de la maison Dagourette ; Grenet disant - et moi

je suis au milieu avec une serviette avec deux visages – et Grenet disant « Viens ici » et Nicole

Perret qui dit « Reste ici » [rire]. Voilà comment on s’amusait à l’époque, ça faisait partie du

folklore local. Et on a fermé pour raisons de sécurité au 1er

juin 1989 donc comme l’actuelle

conservatrice du Musée Bonnat, je n’ai connu le Musée Basque ouvert que très peu de mois. »

Le 1er

juin 1989, le Musée Basque est fermé au public. Depuis quelques années, la Maison

Dagourette nécessitait des travaux de rénovation. L’idée première du maire de Bayonne , de

transférer le Musée Basque au Château-Neuf, fut refusée par Pizkundea, la fédération des

associations basques. Il fallut attendre 1993 pour qu’un compromis débloque la situation et

que la répartition que nous connaissons aujourd'hui entre les deux sites soit établie.

« Ce qui a été d’autant plus délicat que le maire était persuadé de pouvoir obtenir et il a eu

l’accord d’un des directeurs des musées de France, qui est passé très vite, Olivier Chevrillon,

pour tout transférer au Château-Neuf, mais comme c’est devenu extrêmement politique entre

Pizkundea qui est la fédération des association basques, qui avait pris position contre le

déménagement de Dagourette, le Parti Socialiste qui était en relais auprès de Jack Lang

ministre de la culture, donc l’épisode Château-Neuf a été interrompu et du coup il a fallut

puisque / pour se mettre d’accord il a fallut / on ne s’est mis d’accord qu’en 1993, fin 1993.

Donc de 89 à 93, ça a été des disputes à n’en plus finir et en 93 Jack Lang publie une lettre

disant qu’il coupe la poire en deux : tout ce qui se voit, tout ce que le public doit voir se trouve à

la Maison Dagourette, tout ce qui ne se voit pas est au Château-Neuf. »

Une fois d’accord sur le principe, un nouveau défi était à relever : concilier les intérêts et les

exigences des différents architectes.

Page 44: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

44

« Et à partir de cette feuille de route on a pu enfin lancer un concours d’architectes-

muséographes, en sachant que dans les polémiques entre 89 et 93 on avait entre temps classé

« Monument Historique » la Maison Dagourette non pas en tant que musée mais en temps que

témoin de l’architecture portuaire de Bayonne, ancienne maison de négociant et ancien

entrepôt portuaire. Et du coup, cela avait l’avantage de nous donner des financements

supplémentaires, qui étaient les financements Monuments Historiques, mais en même temps

l’architecte en chef avait droit au chapitre et à chaque fois nous disait « je restaure des

entrepôts portuaires et une maison de négociant, je ne fais pas un musée, donc le musée doit

arriver par derrière, dans une deuxième peau sans que vous puissiez m’ennuyer avec des

exigences sur le bâtiment ». »

« Alors cela a été une position très rigide au départ ; on avait en plus l’architecte du Secteur

sauvegardé parce que / alors on était classé avec la Maison Dagourette et trois entrepôts et

heureusement on avait deux immeubles mitoyens qui appartenaient à la Ville de Bayonne, enfin

l’un lui appartenait depuis longtemps mais il y avait une occupante qu’il a fallut vider, et l’autre a

été racheté. C’était des immeubles « abords monuments historiques » et là c’est l’architecte du

secteur sauvegardé qui nous a dit « vous ne touchez pas aux façades, vous gardez les

façades » pour au moins l’immeuble Seguin de la rue Marengo, il n’y a que l’immeuble de la rue

Marsan qu’on a pu détruire complètement. Et l’immeuble de la rue Marengo, on a gardé les

façades, on a simplement limité la hauteur et on a vidé tout l’intérieur et on a construit un

nouveau bâtiment qui correspond à l’argialde44

, aux ascenseurs et aux escaliers en micro-pieux

autonomes, c'est-à-dire que la construction quand vous vous promenez dans l’argialde, c’est

une construction qui tient toute seule, qui ne s’appuie pas sur les murs du secteur sauvegardé.

Et ça a posé des problèmes par rapport à l’achat qu’on voulait faire d’une cour intérieure qui

était après, et une extension future du musée, parce que moi j’avais prévu de détruire le mur

donnant sur cette cour intérieure pour faire une ouverture sur un jardin … beaucoup plus clair.

Alors là quand vous regardez l’argialde, le puits de jour, le mur du fond n’est pas droit, il y a un

angle en plein milieu du mur qui correspond au fait qu’on a dû suivre le mouvement de la

façade « secteur sauvegardé ». Voilà parmi les petits détails qui nous ont amusés pendant un

certain temps et je vous l’ai peut-être déjà dit, quand les architectes-muséographes choisis par

concours et qui ont remis leur dernier / qui ont été choisis définitivement en juillet 94, ils ont dû

se battre avec l’architecte en chef pour faire passer leur désir de faire un musée. Et on avait un

Inspecteur des Monuments historiques qui venait de Lille pour prendre parti entre son confrère

architecte en chef et les architectes-muséographes. Donc cela a été je dirais, après un

programme que j’avais bâti, de 800 pages, ça a été vraiment une bataille de chaque instant

pour faire entrer ce programme dans les philosophies architecturales des uns et des autres et

surtout pour respecter ceux qui avaient droit à la parole en premier, les pompiers. C’étaient les

Commissions de sécurité qui nous disaient ce qu’il fallait faire. Et quand la Commission de

44

Puits de jour

Page 45: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

45

sécurité avait donné son accord, enfin on pouvait travailler sur l’aménagement du musée dans

le monument historique. Voilà. Donc cela a été un très gros travail de négociation au final… »

« Et alors j’étais parti sur l’idée que l’ethnographie serait traitée dans les entrepôts portuaires

parce que l’architecture le permettait avec des murs en galets ou en remplissages assez

grossiers. Les sols autrefois étaient en terre battue, bon, avec des dalles posées sur la terre

battue ; on a drainé tout ça pour empêcher l’eau salée de la Nive de remonter mais on a remis

un opus incertum … c'est-à-dire des dalles un peu de travers pour laisser ce côté rustique et

traiter dans cette aile d’anthropo, avec les charpentes aux étages, tout ce qui était

ethnographique donc, alors que tout ce qui était histoire devait être traité dans la maison de

négociant côté Nive et côté Marengo. »

« C’est le projet initial avec un leitmotiv, c’était « musée de confluences ». Parce que je ne

voulais pas faire de ghetto basque ni gascon. Je partais d’un constat que la culture matérielle

était la même … que ce soit dans le monde rural ou dans le monde du pêcheur, enfin maritime,

et que après bon … la langue diffère, les traditions sont assez proches et que il fallait mieux

traiter une confluence de cultures qu’une opposition. Voilà. Ça c’était le but … si on peut dire le

projet scientifique et culturel il partait dans cette voie là. »

« Voilà, ce qui était prévu dans le projet remis fin 93 aux architectes et qu’ils ont dû mettre en

forme avec le choix d’un lauréat, l’équipe de Bernard Althabegoïty et de Zette Cazalas donc

choisis en juillet 94. Les projets des architectes ont été exposés à la Bibliothèque Municipale de

Bayonne. Et pour commencer les travaux, alors là c’est un peu ce qui se passe maintenant au

Musée Bonnat, il fallait vider la Maison Dagourette qui était surchargée d’objets puisque il n’y

avait pas de réserves et donc c’est peu à peu les salles qui servaient de réserves et pour la

vider il fallait une « opération tiroirs », et l’opération tiroirs ça a été le Château-Neuf et en fait les

travaux ont commencé avec assez peu d’argent sur le Château-Neuf et on a pu occuper le

Château-Neuf qu’en 1997 et on a ouvert au public une salle de lecture et une salle

d’expositions temporaires en 98. Et ce n’est qu’en 1998 qu’on a pu enfin commencer les

travaux à la Maison Dagourette, pour les finir en juin 2001. Voyez comme quoi dix ans c’est un

minium [rire]. »

Les priorités du conservateur pendant la fermeture furent déterminées par l’état d’urgence. Il a

dans un premier temps passer en revue tous les objets (sans pour autant faire un récolement),

commandé des expertises sanitaires, organisé et supervisé les traitements, créé des réserves,

supervisé le déménagement des collections.

En 1991, il a pu recruter une attachée de conservation spécialisée dans la conservation

préventive. En 1993, il fit entrer l’informatique au musée (Mobytext et Micromusée) et

Page 46: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

46

supprima les inventaires papier au profit de la version informatique. A partir de 1998, il put

programmer et commissarier des expositions temporaires, d’abord dans la salle Ducéré de la

Bibliothèque Municipale, puis dans une aile du Château-Neuf.

La dernière année, il supervisa la réinstallation des collections dans la Maison Dagourette et -

conjointement avec Maïder (qui allait devenir en 2008, la responsable du service des publics)

- il rédigea les cartels et panneaux d’information (après un long travail de lecture d’ouvrages

divers). Il suivit également un séminaire, dernier acte de formation continue.

1.5.2. La réouverture du Musée Basque en 2001

En 2001, la maison Dagourette fut enfin rouverte au public. A Château-Neuf demeurèrent les

bureaux et les réserves. L’espace dédié aux expositions temporaires par contre ne fut pas

conservé. Avec la Loi Musée de 2002, le Musée Basque devient un musée labélisé « Musées

de France ».

Le musée rouvert, Olivier Ribeton reprit une activité « normale » de conservateur et directeur

d’établissement : gérer les acquisitions, poursuivre l’inventaire du musée, organiser des

expositions temporaires, effectuer des recherches sur la collection. Il a beaucoup écrit, des

articles, des livres et a donné des conférences. La conservation curative et préventive par

contre furent un peu délaissées par manque de budget adéquat.

Olivier est un « boulimique » de musées, à la fois par intérêt personnel mais aussi avec

toujours en arrière pensée une réflexion sur son propre travail.

« Il y a des musées très différents, moi je m’intéresse/ je suis un boulimique de musées,

quelque soit le musée, maison d’écrivain, musée des beaux-arts, musée des arts décoratifs,

musée d’Histoire pure et dure… Je suis assez admiratif de l’Historial de la grande Guerre à

Pérone, sur un sujet très difficile qu’est l’histoire de la Première Guerre mondiale ; c’est une

présentation avec des objets … des documents plus des salles d’expositions temporaires où il y

a un regard je dirais des artistes sur le déchirement de la Première Guerre mondiale, je trouve

que ça a été bien fait, c’est un petit musée, ça se regarde sans trop de fatigue alors qu’il y a…/

Un musée que j’aime assez, parce qu’il est assez proche de ce qu’on aurait dû faire ici, c’est le

Musée Breton à Quimper, le musée départemental breton, où les scénographes ont été moins

violents qu’au Musée Basque, ils ont mieux / il y a eu des curiosités parce qu’ils ont / en

revanche ils sont très très riches en costumes et ils ont fait une salle avec un entassement de

costumes dans des blocs de verre et c’est assez étroit, on passe entre… enfin je dirais que j’ai

Page 47: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

47

vu beaucoup de « trucs », de façons de faire apprécier l’objet avec une mise en scène parfois

bizarre. »

1.5.3. L’audit

En 2005, la Ville de Bayonne estime le nombre d’entrées, et donc les recettes, du

Musée Basque insuffisant. Elle ne souhaite plus assumer seule sa gestion financière. Le

Conseil Général avait déjà été approché pour y participer. L’idée avait été émise en 2001 de

mettre en commun le CEP d’Irissarry45

et le Musée Basque sous la forme d’un « pôle

patrimonial du Pays Basque » mais le projet n’avait pas abouti.

Une idée forte était en 2005 encore que le Musée Basque avait « une vocation dépassant le

seul territoire communal ». C’est ce que l’on peut lire par exemple, dans une Note interne

relative au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, du Conseil Général, datée du 3 février

2005.

L’auteur (chargé de mission « patrimoine ») commence par établir un constat sur trois points

majeurs. Tout d’abord, la conservation qui « manque de suivi, pas de ligne budgétaire,

absence de programmation », même si les installations paraissent « satisfaisantes ».

Concernant l’« étude » des collections , il note que « le ralentissement, voire la disparition des

expositions temporaires n’est pas propice au développement des études sur le patrimoine du

Pays basque » et que « le personnel scientifique du musée a diminué (deux personnes sont

parties et non pas été remplacées) ». Il souligne que l’inventaire informatisé et le Bulletin du

Musée Basque sont des points positifs. Les deux points faibles, selon lui, sont « l’absence de

programmation » et « l’absence d’un ethnologue dans l’équipe scientifique ». Il préconise

donc d’y remédier et aussi un « développement des partenariats (Universités notamment) ».

Le troisième point abordé est la « diffusion ». Les points forts identifiés sont « le Bulletin des

Amis du musée basque » et « l’accueil du public scolaire et les projets pédagogiques ». Les

points faibles seraient : « Les expositions temporaires ; l’absence de publications ; peu

d’animations pour le grand public ; Une fréquentation qui est passée de 60 000 à l’ouverture à

30 000 en 2004, soit l’équivalent du Musée Bonnat ; Un site Internet qui n’est pas actualisé

depuis plusieurs années. »

Sa conclusion est la suivante : « Le musée basque est un équipement patrimonial de qualité

tant par le bâtiment que par les collections mais qui pose un certain nombre de problèmes :

45

Le CEP, ou Centre d’Education au Patrimoine, est situé dans le village d’Irissarry, dans l’ancienne

Commanderie Ospitalea, propriété du CG. Aujourd'hui le CEP y propose des séjours aux scolaires autour de

modules pédagogiques et d’ateliers animés par des médiateurs au patrimoine.

Page 48: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

48

- Il présente essentiellement le Pays Basque du XIXe siècle et du début du XX

e siècle : Qu’en

est-il des périodes antérieures et du Pays Basque d’aujourd'hui ? Il est de la responsabilité du

musée basque de pouvoir étudier et diffuser les permanences et mutations de la société

basque/ on ne peut plus concevoir aujourd'hui un musée de société sans avoir cette

problématique.

- L’absence d’une programmation dans le domaine de la recherche, de la conservation, de la

diffusion.

- Une absence de crédits suffisants sur ces postes essentiels au développement du musée.

- Une gestion des ressources humaines qui ne permet pas le développement de la structure.

Manque de responsabilisation, de motivation, absence de comptes-rendus d’activités, pas de

réunions d’équipe, problèmes de communication interne…

- Une fréquentation en baisse sensible.

- Un musée basque qui n’est pas un acteur majeur et moteur du développement du territoire

Pays Basque. »

Ensuite, il aborde la question d’un partenariat entre le Ville de Bayonne et le Conseil Général.

Il estime qu’une « aide au 1/3 du fonctionnement du musée basque, cela n’enrayera pas le

déclin […]». Il serait nécessaire de prévoir plus.

Il ajoute que « si le CG64 verse une aide financière assortie de conditions, cela pourrait

prendre la forme d’un contrat d’objectifs voire la mise en place d’une nouvelle structure

juridique. », et il cite entre autre le syndicat mixte.

Il explique ensuite « la mise en place du partenariat » qui pourrait inclure comme objectifs

opérationnels : « une exposition temporaire par an (ce qui est actuellement un point faible du

musée : pas de budget, pas de réalisation ou bricolage) sur un thème qui concerne le Pays

basque. », « valorisation pédagogique en lien avec CEP ; organisation de colloques et/ou

d’expositions en lien avec CEP », « être un lieu de formation avec le CEP notamment pour les

autres espaces muséographiques du département. ».

Il propose aussi des « indicateurs », outre la fréquentation il s’agirait d’un « rapport

d’activités annuel (aujourd'hui le musée n’en réalise pas) » et « une enquête annuelle auprès

du public du musée » ; et des « outils » dont « une analyse précise de la situation

(conservation, étude, diffusion, moyens) ; un projet scientifique et culturel avec la prise en

compte de la mise en place d’une nouvelle structure juridique qui pourrait à terme regrouper

le CEP et le musée basque ; un comité de suivi avec membres du CG64 dont élus ; un chef de

Page 49: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

49

projet qui serait technicien du CG64 pour concevoir en concertation avec l’équipe du musée,

un projet de développement trisannuel. »

Le lendemain de cette note, le directeur du service Culture du Conseil Général en signe une

autre qui allait être présentée lors de la rencontre prévue avec la Ville de Bayonne le 7 février.

Il se base en partie sur les constats et conclusions de la note précédente et en ajoute d’autres :

« l’absence de structuration de la gestion administrative, l’absence de la compétence

ethnographique, absence d’une fonction marketing et développement, isolement du musée ».

Parmi les propositions émises, nous retrouvons la création d’un syndicat mixte de gestion,

l’augmentation de « la capacité financière générée par des recettes d’exploitation », en faire

« la tête d’un réseau départemental des musées de société », la « mutualisation des moyens »

avec le CEP, « redéfinir le mode de gestion du musée en structurant le personnel autour d’une

double responsabilité :

- La direction générale de l’équipement : administrative, financière, juridique ainsi que le

programme de développement. Cette fonction devra être assumée par un professionnel de la

gestion d’équipement muséal.

- La responsabilité scientifique assumée par le conservateur auprès de qui une compétence

ethnographique devra être créer. »

Et enfin, « la création d’un comité scientifique associé au musée ».

En août 2005, la Ville de Bayonne commanda donc un audit.46

Dans un cahier des charges de

quatre pages figure l’« objet du marché » :

« La Ville de Bayonne avec le concours de la communauté d’agglomération Bayonne-Anglet-

Biarritz et du conseil général des Pyrénées-Atlantiques souhaite appréhender les moyens tant

juridiques que financiers nécessaires au bon fonctionnement et au développement du musée

masque et de l’histoire de Bayonne. L’étude, objet du présent marché, portera donc sur

l’analyse de la situation actuelle en termes financiers et organisationnels, au regard des

missions d’un musée de France (conservation, étude, diffusion). Elle devra proposer la

structure juridique la mieux adaptée au développement de cet établissement. »

46

Deux articles sont parus sur ce sujet dans La Semaine du Pays basque :

- 13-19 octobre 2005, le Musée Basque fait la Une : « Le gouffre financier du Musée Basque. Le déficit est

chronique, un audit est lancé ». « On espérait une moyenne annuelle de 50.000 visiteurs, les chiffres sont bien

moindres. Une réflexion est lancée sur le devenir de cette figure emblématique de la culture. Page 3 ».

- 3-9 novembre 2005, « Opération sauvetage du Musée Basque » : le point de vue de la conseillère municipale

Colette Capdevielle (leader de la liste d’opposition de gauche plurielle).

Page 50: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

50

L’accent est bien mis sur le juridique, le financier, l’organisationnel. Les missions du Musée

Basque sont reléguées à un élément à prendre en compte, rien de plus. Son contenu, son

discours, sa muséographie, ne sont pas interrogés, son public non plus. En outre, la création

d’un poste d’ethnologue qui interviendrait en renfort à l’équipe scientifique n’est plus évoqué,

ni dans l’appel d’offre, ni dans l’audit rendu.

La Ville de Bayonne se lança donc à la recherche d’un candidat pour le poste de directeur-

manager culturel pendant que le Syndicat Mixte47

prenait forme.

1.6. Rafael Zulaika (directeur du musée depuis 2007)

En 2007, la Ville de Bayonne nomma un nouveau directeur.

Portrait : Rafael Zulaika, directeur - manageur culturel

Rafael Zulaika Ruiz a 48 ans. Il est de nationalité espagnole et vit toujours à Saint-Sébastien

sa ville d’origine. Il a étudié d’abord trois ans la géographie et l’histoire à l’Université de

Saint-Sébastien, puis deux ans l’histoire de l’art à Madrid. Il achève ses études en juin 1985 et

trouve son premier emploi en octobre de la même année au Musée des beaux-arts de Bilbao

où il est en charge du service éducatif et d’action culturelle. Il y travailla jusqu’en mars 1991.

Cette année là, il rejoint le Musée Naval de Saint-Sébastien, tout juste ouvert, au sein d’une

équipe réduite (quatre personnes) impliquant donc une plus grande polyvalence des agents.

Ainsi à ses missions en direction du public, notamment handicapé, s’ajoutaient des missions

de communication.

En avril 1994, il quitta le Musée Naval pour le poste de directeur du Musée de San Telmo,

toujours à Saint-Sébastien, poste qu’il occupa jusqu’en septembre 2003. Il eu a géré une

équipe d’environ vingt-sept personnes et a concevoir « un projet culturel et scientifique »

dans le but de réorganiser le musée. Il imaginait faire de San Telmo, dont les collections se

rapportaient à l’archéologie, l’histoire, l’ethnographie et les beaux-arts, « un musée pour la

culture basque ». En 2004, lassé des revirements politiques qui l’empêchaient de faire

progresser la réorganisation du musée, en repoussant la validation de son projet culturel et

scientifique, il démissionna.

47

Ce syndicat mixte, en exercice depuis le 2 avril 2007, réunit en plus de la ville de Bayonne, le département des

Pyrénées-Atlantiques (Conseil Général) et la communauté d’agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz

(CABAB). Il est représenté par dix délégués titulaires, dont quatre pour la ville de Bayonne, trois pour la

CABAB et trois pour le Conseil Général, et autant de suppléants dans la même proportion.

Page 51: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

51

Il ne renonça pas pour autant à travailler dans le monde culturel. Il créa donc aussitôt « une

société privée de création de projets culturels et transfrontaliers », tel que par exemple un

itinéraire culturel dans la baie de Txingudi. Il entama aussi, à distance, un Master

« muséographie et visiteurs » à Barcelone, qu’il n’eut pas le temps d’achever puisqu’il fut

recruté au Musée Basque entre temps.

Il connaissait déjà le musée bayonnais. Il avait été invité au vernissage en 2001, alors qu’il

était directeur du musée de San Telmo. Il se souvient aussi d’un projet collectif de mallette

pédagogique « Voyage parmi les stèles », mené par plusieurs musées de l’arc atlantique.

Il a eu connaissance de l’annonce pour un poste de directeur au Musée Basque de Bayonne à

la fin de l’année 2006. Sa candidature retenue, il passa un entretien devant un jury de dix ou

douze personnes, représentants de la Ville de Bayonne, de la CABAB et du Conseil Général

(en tant que futurs partenaires du Syndicat Mixte), de la DRAC Aquitaine et des Musées de

France. Il estime que les points forts de sa candidature étaient son « parcours », sa

« connaissance du milieu culturel et patrimonial basque » et le fait qu’il soit bascophone

« j’imagine que oui mais pas que ».

La conclusion de l’audit selon lui était que :

« On a besoin de quelqu'un qui soit capable de chapeauter tout ça sachant que le conservateur

continue d’être ici l’autorité, le référent au niveau collection, au niveau connaissances ou travail

scientifique par rapport aux collections et tout ça, mais il faut manager, il faut gérer l’ensemble

quoi. »

Il fait sienne une métaphore qu’il a un jour entendue :

« un hôpital c’est pas un chirurgien qui le gère, c’est un directeur, il faut que le directeur sache

en quoi ça consiste la santé, la chirurgie etc. Mais c’est pas dit que ce soit un chirurgien

spécialisé dans le traitement ou voilà je sais pas … ».

Le métier de directeur - manager culturel, tel qu’il nous est apparu au cours de l’enquête se

compose de deux volets : l’un administratif, l’autre culturel.

Lors d’un premier entretien, après avoir exposé à notre demande son parcours professionnel,

il a abordé spontanément et directement le second volet, à savoir le volet « culturel ». Nous

pensons que c’est celui qui lui tient le plus à cœur, qui l’enthousiasme le plus et que peut-être

Page 52: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

52

il ressent aussi le besoin de l’expliciter, voire de le justifier, vis-à-vis de la situation

conflictuelle que son arrivée induit dans le cadre d’un musée où il y a déjà un conservateur.

Nous l’avons interrogé au cours d’un deuxième entretien sur le second volet que nous

qualifions d’« administratif », à savoir donc la gestion administrative, financière et les

ressources humaines. Lors d’un troisième entretien nous l’avons questionné plus

particulièrement sur le réseau et le rayonnement du Musée Basque puis sommes revenus sur

les thèmes précédemment évoqués. Enfin, un quatrième entretien a finalement été consacré au

Conseil d’orientation, ainsi que comme à chaque fois au programme évènementiel du musée.

Jusqu’en 2007, le Musée disposait d’une secrétaire (Anne-Marie) pour gérer quelques

« petites tâches » spécifiques au musée, la Ville de Bayonne se chargeant du « gros » du

travail. Avec la création du Syndicat Mixte, la gestion complète du musée est déléguée à

l’institution. Une « responsable administrative » est alors engagée. Le directeur nous a

expliqué que sa mission administrative à lui est essentiellement de « contrôle », ou de

supervision. Il s’agit de vérifier que tout se passe bien, de relire par exemple les documents

destinés à être envoyés à la signature du Président du Syndicat Mixte, de dicter quelques

courriers.

« Je pense qu’on peut plutôt rapprocher l’administratif et le financier, dans le sens où il y a

préparation des budgets, suivi du budget, il y a le quotidien, parce que ça s’exprime aussi au

quotidien, c'est-à-dire il y a tout ce qui est facturation, bon de commande, etc. C’est vraiment

un certain boulot mais là voilà je pense que Ghislaine arrive à gérer ça très bien avec Anne-

Marie. »

Sur la question du budget il s’investit davantage. Dès l’automne il commence à préparer, avec

la responsable administrative, les « orientations budgétaires » pour l’année à venir, en se

servant de l’année, voire les deux années précédentes comme point de référence.

Il lance ce qu’il considère un « appel à projet » auprès de ses agents pour que chacun lui

indique ses besoins.

« Ça donne court en fait à un certain échange avec les différents agents.

_ Mais en fait comment vous tranchez justement ?

_ Pff… avec beaucoup de difficultés déjà [rire gêné] avec beaucoup de difficultés. »

Page 53: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

53

Deux types de dépenses sont distinguées : d’une part les charges incompressibles dont le

personnel (et d’éventuels recrutements) et les frais liés au bâtiments (eau, électricité, travaux

éventuels, le ménage qui est sous-traité) ; d’autre part les dépenses prévues pour les activités

des services, réparties entre du fonctionnement et de l’investissement (par exemple du

nouveau matériel informatique). Il est évident qu’en cas de recettes trop faibles, les économies

se font sur les dépenses « activités ».

Dans les estimations, les recettes proviennent pour 80% du Syndicat Mixte et pour 10% de la

boutique, la billetterie, les visites guidées et la privatisation de salle (location) ; laissant « un

10% à aller chercher ailleurs », par le biais de mécénat, de partenariats, de subventions,.

« Grosso modo on est capable de gérer de l’ordre de 10% en recettes : boutique, billetterie,

voire visites guidées, voire locations, on peut voilà un 10% c'est-à-dire dans les 140 000 euros

150 000 euros, d’accord, ce qui nous amène 80 plus 10 : 90% d’accord, il y a toujours un 10% à

aller chercher ailleurs. Donc c’est entre guillemets « le fameux mécénat », les partenariats ou

les subventions. Et là donc quand on a préparé nous les OB - mais j’insiste pour dire que c’est

presque un BP plutôt que des OB – nous, on a indiqué vers où on pourrait pointer nos

recherches et nos demandes, soit de subventions, soit de partenariat. Après on n’a pas toutes

les réponses et là c’est pour donner un peu, là je termine un peu la présentation dans le sens

où le travail de mangement à mon avis, parce que c’est l’expérience que j’en tire aussi de 2011,

doit se faire en étroit contact et lien et collaboration avec les élus. C'est-à-dire je pense que …

nous devons leur proposer les meilleurs … comment dire pistes, ou les pistes adaptées, en fait,

les meilleures c’est les pistes adaptées à ce que sont les attentes et les missions que le

Syndicat Mixte a données au musée. »

Troisième point, et non des moindres, du métier de directeur, les ressources humaines

proprement dites. Lorsqu’un recrutement est lancé, la responsable administrative s’occupe de

tout ce qui est « papiers » et démarches. Le directeur lui est chargé de dresser un profil de

poste en fonction de besoins qu’il a préalablement identifiés, puis de recevoir les candidats et

de sélectionner le futur membre de l’équipe. Il doit également « manager » l’équipe au

quotidien. Il n’est pas convaincu de la nécessité de faire de grosses réunions avec toute

l’équipe. Il préfère de beaucoup communiquer par mail. Il organise tout de même deux à trois

réunions mensuelles avec les responsables de service.

Plutôt que d’imposer ses vues et son programme, il a pris le parti de parfois leur laisser un peu

de « souplesse ».

Page 54: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

54

« Il faut peut-être trouver le bon créneau aussi, c’est une question / le management des

personnes c’est aussi trouver le bon créneau pour ces personnes là aussi. C'est-à-dire Olivier

Ribeton chasse à la baleine pff a priori ça ne va pas, ça ne va pas. Olivier Ribeton faïence de

Saint-Esprit, ça va mieux. Olivier Ribeton Ramiro Arrué « Pouf », formidable, il s’éclate. Voyez.

Jacques réflexion sur l’objet et tout ça / moi j’ai prêté des bouquins à Jacques […] donc je

reviens sur Jacques et l’objet par exemple. Moi, enfin, le projet qu’il a fait sur « L’objet dans tous

ses états ! » m’a paru formidable. Donc là je laisse déjà, enfin je valide, je laisse faire, je

délègue, « allons-y, formidable, très bien », j’accompagne, j’essaie de remédier aux éventuelles

difficultés, ceci cela etc. Par contre, voilà, je ne suis pas non plus le guichet de banque, enfin,

j’admets que en tant que directeur ce n’est pas que le guichet de banque, non, tu es force de

proposition aussi et parfois je peux venir avec un ouvrage, un bouquin qui aide tatatatata mais

parfois j’ai mon avis aussi à apporter ou à dire tatata. »

La création d’un Service des publics a aussi été une action de management importante. Il

existait déjà depuis 1988 un Service éducatif (appelé Argitu), mais la Loi Musées de 2002,

impose à tous les Musées de France d’avoir un service des publics, c'est-à-dire plus seulement

dédiés aux scolaires. Jusqu’en 2008, Mano (la professeur référent pour l’académie) travaillait

avec des vacataires, cinq à sept personnes dont essentiellement des guides de l’Office de

Tourisme qui intervenaient la plupart du temps et des étudiants plus ponctuellement. La

demande allant crescendo, les budgets « éclataient » chaque année. Au moment de la création

d’un service des publics dédié, par définition, à tous les publics (familles, adultes, handicapés,

enfants hors temps scolaire), le directeur a engagé une responsable et une seule

« animatrice »48

, mettant fin au système des vacations.

« Et moi j’ai considéré qu’il valait beaucoup mieux pour l’organisation de créer / qu’un poste soit

créé et qu’on ait quelqu'un à former mais après formé et qui puisse évoluer et faire partie de

l’équipe à part entière. »

Au-delà du caractère obligatoire de la création de ce service des publics, il considère aussi le

fort enjeu stratégique de développement culturel et de rayonnement du musée qui est une de

ses missions.

48

Il a fait la demande au Syndicat Mixte d’une « médiatrice », c'est-à-dire un statut de cadre B. Mais pour des

raisons budgétaires, cela n’a pas été validé et le poste a donc été nommé « animatrice » pour correspondre selon

lui à un cadre C. Derrière cette distinction terminologique entre animatrice et médiatrice ou statutaire entre cadre

B et cadre C, c’est la reconnaissance d’un métier qui est en jeu, dans ses compétences, responsabilités et

rétributions. Nous y reviendrons en présentant « l’animatrice » en poste en 2011, qui se trouve avoir été une de

ces vacataires.

Page 55: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

55

Et s’il pressent une opportunité d’animation ou d’activité, il s’y engage aussi. Nous entrons là

dans le second volet de son métier : le culturel ou plutôt « l’animation culturelle ». Il nous a

raconté avec enthousiasme des expériences de médiation culturelle qu’il a menées dans les

musées où il a précédemment travaillé (rappelons qu’il « vient » du service des publics).

« _ Justement, maintenant que vous êtes à un poste de directeur vous avez encore accès à

toutes ses parts de créativité, de contact avec le public ?

_ Oui, oui, je dirais oui, je dirais oui et je peux même dire oui et les « mais » à côté. Les

« mais » dans le sens « oui mais ». Donc c’est « oui mais » donc pour certains peut-être on va

un petit peu au-delà de ce que seraient les missions essentielles je veux dire de management,

de pur et dur, de contrôle budgétaire, de gestion de ressources humaines, de ceci cela. Alors

moi je réponds quand même aussi, je dis : attendez enfin voilà / j’en connais, j’en connais

beaucoup de musées et de cas de figure, peut-être pas ici mais plus en Espagne qui sont

gérés, c'est-à-dire où y aurait la figure du conservateur qui serait lui issu du monde culture,

musée et tout ça et après y a un administrateur, on va l’appeler un administrateur ou manager

ou gérant « el gerente » en espagnol c’est plutôt « el gerente » le gérant. Ah oui attendez les

conflits qu’il y a, les problématiques qui se posent par rapport à ça. Parce que normalement

c’est l’un qui veut faire et l’autre qui dit « y a pas les sous » c’est classique. Alors moi je me dis

peut-être une autre formule qui aurait été celle de venir avec un / alors déjà ce serait pas moi.

Moi ça m’intéresse pas d’être le gérant dans ce sens là, parce que moi je ne suis pas ici pour

ne pas faire, ou pour dire y a pas les sous, non non. Si y a des projets, ce qu’il faut c’est trouver

les sous, c’est très difficile mais il faut les trouver. Il faut continuer de batailler. Et après il faut

adapter.

[…] Et donc je veux continuer, c’est une démarche très volontaire, je veux continuer d’avoir du

plaisir et puis je considère aussi quand-même que j’ai mon mot à dire. Justement par rapport je

vous parler de la figure du gérant ou comme ça qui est avec sa la calculette ceci cela etc. Je

pense que je suis quelqu'un qui a quand-même son avis/ enfin / c’est une autre chose mais je

lis beaucoup et parfois on écrit quand on lit beaucoup, donc j’écris/ j’ai fait certaines traductions

de livres, ça c’est aparté […] J’ai dessiné un petit peu, j’ai fait beaucoup de photographies […]

Je revendique ma partie quand-même créative, ce qui veut pas dire que je doive m’imposer ou

que je doive euh voilà me substituer ou remplacer d’autres personnes qui sont au sein de

l’équipe. »

Cette créativité il l’exprime essentiellement, au moment de notre enquête, dans le cadre de

« l’Agenda 10/10 » que nous présenterons en détail dans le troisième chapitre de ce rapport.

Voilà en quelques pages, la façon dont il nous a expliqué son métier et sa mission au Musée

Basque. Il n’a pas de supérieur hiérarchique et travaille sous l’autorité directe du Comité

Page 56: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

56

Syndical, à qui il appartient de décider ou non si cette façon de faire et de voir le musée lui

convient. Il nous faut préciser enfin que son statut est particulier. Il a été recruté comme agent

contractuel non titulaire (la loi du 26 janvier 1984 permet le recrutement d’un contractuel

pour un emploi de catégorie A « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le

justifient »). Il a signé un premier CDD de trois ans en 2007, reconduit en 2010 jusqu’en

2013.

Le poste de directeur combine tout ce qui l’intéresse :

« C’est quand-même que il y a des postes, tel que je le vois moi, au niveau de la direction ou

du management où on est aussi près de la capacité d’action, c'est-à-dire il y a la prise de

décision / bon il y a bien sûr l’analyse, ou la / enfin la préparation ou la planification et toutes

autres phases, comment dire ?... premières ou préalables, il y a après beaucoup à discuter etc.

etc., il y a après une prise de décision, il y a un projet qui peut être vraiment mené à bout et

donc je pense que nous les êtres humains on a aussi besoin de réalisation, de matérialisation.

Moi je me vois de ceux-là, de ceux qui aiment bien voir que les choses arrivent à terme et

qu’elles prennent forme, qu’elles naissent. »

1.6.1. Les « évènements » depuis 2007

Parmi les évènements survenus depuis 2007, nous retiendrons le procès entre le

conservateur et la Ville de Bayonne ; la dissolution du service éducatif au profit d’un nouveau

Service des publics ; une série de recrutements dont un chargé de communication et des

partenariats, une responsable du service des publics, une animatrice, une documentaliste, une

chargée de récolement, des agents d’accueil et de surveillance ; la création d’un Conseil

d’orientation, composé d’une vingtaine de personnalités extérieures au musée (chercheurs,

journalistes, représentants du monde des arts, de la communication, du tourisme).

La tempête de 2009 a marqué les esprits des agents du musée, notamment la bibliothécaire

dont le travail s’est trouvé bouleversé par la catastrophe pour les fonds documentaires et la

bibliothèque. En 2010, suite à des entretiens professionnels, les premières fiches de poste

furent créées. Le directeur du Musée Basque a mis en place la plupart des autres

« recommandations » de l’audit sur le développement à court terme.

Page 57: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

57

2. L’organisation du Musée Basque en 2011

2.1. Le Syndicat Mixte : nouvelle autorité de tutelle

Pour comprendre les choix scientifiques et culturels effectués par la direction du Musée

Basque, nous devons considérer dès à présent les politiques culturelles et patrimoniales

locales dont nous verrons plus loin qu’il dépend beaucoup. Le Musée Basque est géré depuis

2007 par un Syndicat mixte, composé de la Ville de Bayonne, du Conseil Général des

Pyrénées-Atlantiques et de l'Agglomération Côte Basque - Adour (ex CABAB49

).

La création du syndicat mixte a été autorisée par arrêté du Préfet des Pyrénées Atlantiques

pris le 02 avril 2007. Jean Grenet, maire de Bayonne, en a été le premier président. Depuis

2009, ce titre revient à Jean-René Etchegaray, adjoint du maire à la culture.

En tant qu’ancien musée municipal, il reste extrêmement lié à son autorité de tutelle

originelle, du fait des habitudes de travail, de sa localisation en plein centre ville et de

l’énorme investissement financier que sa restauration a occasionné.

2.1.1. La politique culturelle50

de la Ville de Bayonne51

Le bilan à mi-mandat de la municipalité de Bayonne52

vient de paraître et constitue un aperçu

de la politique culturelle et patrimoniale.

Sur la double page consacrée à la « culture » figure un petit rappel de la promesse

municipale : « Une ville bouillonnante de cultures, c’est fait ! ». Dans le détail il s’agissait de

« Développer une offre culturelle diversifiée, encourager la créativité artistique et les

nouvelles initiatives ouvertes sur l’international, implanter de nouveaux équipements qui

profitent à tous les quartiers et à tout un territoire, soutenir la création et la diffusion locale,

s’enrichir de coopérations transfrontalières, c’est la politique culturelle engagée par Bayonne

en concertation avec tous les acteurs culturels et les habitants de la cité. » (p.22)

La double page suivante, consacrée au « patrimoine » rappelle que « Une ville reconnue d’Art

et d’Histoire, c’est fait ! ». A lors que la culture est conçue dans le présent, le patrimoine, au-

delà du bâti, est représenté par les lieux de stockage/rassemblement des éléments (objets,

49

Au 1er janvier 2011, l'intercommunalité Bayonne-Anglet-Biarritz est devenue, avec l'intégration des

communes de Bidart et de Boucau, l'Agglomération Côte Basque – Adour. 50

Moulinier, Pierre. 2010. Les politiques publiques de la culture en France, Paris : PUF. 51

La Ville diffuse également un magazine d’information mensuel Bayonne magazine, dont le numéro 159 (mars-

avril 2010) comportait un « Dossier culture et patrimoine ». Le flux 43.5 est le nouveau magazine culturel de la

ville, avec quatre numéros parus depuis juillet 2010. 52

Supplément du Bayonne Magazine, n°168, décembre 2011.

Page 58: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

58

œuvres et documents) de la mémoire collective : « La Ville s’est engagée dans une politique

patrimoniale, urbaine, culturelle et touristique dynamique qui lui a permis d’être labellisée

Ville d’art et d’histoire en 2011. Dotée de collections muséographiques prestigieuses et de

fonds documentaires remarquables, Bayonne s’attache à préserver et à mettre en valeur son

patrimoine. La Ville nourrit de fortes ambitions pour ses musées et sa Médiathèque. » (p.24)

Notre situation d’administrée bayonnaise depuis six ans nous a donné l’occasion aussi de

« consommer » une part non négligeable de l’offre culturelle de la ville et des environs ; nous

avons aussi suivi différentes « affaires » dans la presse, qui relaie par ailleurs un certain

nombre d’opinions, notamment des opposants à la majorité UMP du conseil municipal. Les

délibérations du conseil municipal sont elles aussi publiques et les procès verbaux sont

publiés sur son site internet.

Nous avons pu rencontrer à quelques reprises l’actuel adjoint au maire, élu à la culture et

également président du Syndicat Mixte. C’est lui qui lors d’une entrevue nous a renvoyé vers

la Directrice de la Culture, du Patrimoine et de l’Animation 53

(anciennes Affaires culturelles)

pour approfondir et connaitre plus en détail l’action culturelle de la Ville.. Nous avons réussi à

obtenir une entrevue avec elle, en même temps qu’avec sa collègue animatrice du label Ville

d’art et d’histoire, ce qui nous permet de combiner à la fois le point de vue de l’élu et celui du

fonctionnaire.

Les objectifs de la politique culturelle de la ville de Bayonne dans le cadre de l’Agenda 21

sont clairement exprimés. Le premier d’entre eux est la démocratisation culturelle ou plutôt

l’accessibilité à la culture : « rapprocher l’art des citoyens, provoquer la confrontation ».

Pour orienter la conversation vers les projets, nous leur avons demandé quels ont été leur

« coups de cœur » des dernières années.

La directrice nous a alors parlé de Nestor Basterretxea. Alors qu’elle travaillait à la Ville de

Biarritz, elle avait collaboré avec le fils du sculpteur. Ainsi son histoire avec Basterretxea

« père », qui est « un des grands monstres de la sculpture au Pays basque » revêt aussi une

dimension personnelle, presque affective. C’est ce qu’elle appelle « une vraie histoire ».

Un autre projet qui l’a aussi beaucoup enthousiasmé est, en 2011, dans le cadre des

Translatines, l’exposition (intitulée Muchedumbre) du photographe chilien Jorge Brantmeyer,

invité à accrocher des portraits géants en plusieurs lieux de la ville. Outre le talent de l’artiste,

53

Elle-même est rattachée à la Direction Générale adjointe en charge de la culture, de l'éducation, de la vie

sociale et du sport.

Page 59: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

59

elle pense que là aussi c’est son histoire personnelle (elle a travaillé pendant dix ans à

l’Institut français du Chili) qui entre en jeu. C’est là une dimension importante de son travail :

faire découvrir de nouvelles choses au public et réussir à susciter chez lui des émotions du

même ordre, quelle que soit l’histoire personnelle de chacun.

La production des expositions dans le cadre du Festival des Translatines, des œuvres souvent

« assez provocantes », est l’occasion de donner à voir autre chose que la seule culture locale,

traditionnelle ou contemporaine. C’est une ouverture vers le monde qui ne peut qu’enrichir.

L’animatrice du label, elle, considère que « son moment préféré, n’est pas un évènement ou

une exposition », mais « le montage du projet de candidature » de la Ville au label. Elle

travaillait alors déjà depuis vingt aux archives municipales et avait été appelée à participer à la

rédaction du projet en tant qu’archiviste. « C’était un projet très intéressant ».

Nous avons évoqué ensuite la stratégie volontariste - qu’elles n’avaient pas encore abordée

spontanément -, avec l’exemple en 2009, de l’« année Breuer », l’une des actions citées dans

le Bilan à mi-mandat 54

. L’objectif était clairement de modifier le regard porté sur un quartier

par une réhabilitation du bâti accompagnée d’une réhabilitation culturelle et sociale. Rendre

accessible à tous la culture, sans nécessairement démocratiser des formes « élitistes » mais en

en proposant d’autres, plus en lien avec les goûts supposés des habitants de ce quartier

populaire. Il y a là un objectif social fort : rendre les gens fiers de leur quartier et de leur ville.

« J’ai eu tord de ne pas vous en parler ! J’ai trouvé ça génial. Un projet transdisciplinaire.

[Cela nous a aussi permis de] réfléchir à cette architecture qui est le patrimoine de demain. »

Sa collègue ajoute : « Là pour le coup, ça rénovait, ça modernisait, exactement le genre de

choses qu’on aime faire ».

Un autre type d’objectif est le soutien à la création artistique. Bayonne est une ville où il y a

beaucoup de pratiques artistiques et culturelles « traditionnelles » : musique, danse, etc., mais

à leurs yeux « peut-être pas suffisamment tournée vers la création contemporaine ». La

directrice en donc fait un axe majeur de son travail. Par là elle veut inciter les élus à « parier

sur la relève », car Bayonne est, selon elle, « une ville patrimoniale », où il y a « beaucoup

d’associations » et où vivent « des gens d’un certain âge » mais aussi « des jeunes qui veulent

54

« En 2009, l’Année Breuer a accompagné la rénovation des résidences du même nom, dans les Hauts de

Bayonne : une pléiade de projets artistiques et culturels, une opération qui a sensiblement modifié le regard de

tous, habitants ou non, sur ce quartier. » (extrait du Bilan à mi-mandat).

Page 60: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

60

s’investir ». Le Conservatoire par exemple avait l’habitude de travailler beaucoup avec

Biarritz, elle a souhaité aussi créer une collaboration pour qu’il participe à l’offre culturelle de

Bayonne.

En 2011, l’exposition Entre temps est emblématique de ce vers quoi elle souhaite aller : le

principe était d’amener « des créations contemporaines dans des lieux patrimoniaux », dont le

cloître de la cathédrale, le Musée Basque, pour surprendre, interroger et faire le lien entre le

patrimoine bâti ancien et le présent. Avec son équipe elle essaye d’innover, de sortir des

sentiers battus. L’animatrice du label a constaté à cette occasion qu’une installation, sur le

Quai Galuperie, de huit drapeaux blancs, « n’a pas été identifiée comme de l’art », des gens

ont cru que c’était en rapport avec le mariage du maire à cette même période. « Dans les lieux

fermés ont comprend que c’est une expo, mais dans l’espace public c’est nouveau ». Un gros

travail reste à faire auprès des Bayonnais pour leur faire découvrir la création contemporaine

et qu’ils se « l’approprient ».

L’obtention du Label Ville et d’Art et d’Histoire devrait y contribuer. Elle permet l’attribution

de « quelques aides financières pendant deux ans » mais surtout elle apporte « une

reconnaissance » par l’inscription dans un réseau « prestigieux ». Les responsables du label

annoncent une hausse de 30% de la fréquentation, mais l’animatrice « n’y croit pas dans le

cas de Bayonne car c’est une ville déjà fréquentée, et bien, pour son patrimoine et son

histoire ». Ce label est alors surtout une opportunité de « valoriser l’image de la ville, en

donnant une autre image que la Bayonne festive ». Il peut aussi « encourager les habitants à y

participer », en tant que « acteurs ou spectateurs ».

Du côté des élus, s’ils avaient déjà compris que le patrimoine représente un enjeu en terme

d’urbanisme (le centre-ville), la Ville « est aussi en train de comprendre qu’elle a aussi un

patrimoine bâti et d’objets important : monuments (la cathédrale, les remparts), musées,

archives, médiathèque. ». La direction Culture et Patrimoine a donc à « fédérer ce qui

existe », tache qui « n’est pas facile » et nécessite « de la diplomatie ». L’avantage du label

serait qu’il n’est « remis en cause par personne, par aucun élu ».

L’animatrice du label remarque une avancée symbolique très importante dans le changement

du nom du service. Les « affaires culturelles » ont été rebaptisées « Culture et Patrimoine ».

Elle trouve cela « intéressant et encourageant » : « la place du patrimoine est maintenant

clairement identifiée. Le patrimoine relève aussi de la culture » et plus seulement « du

tourisme » (les visites guidées par l’office de tourisme) ou « de l’urbanisme » (rénovation et

Page 61: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

61

restauration du bâti ancien). Car elle estime que les urbanistes n’ont pas toujours de

« compétence pour la médiation » et que « le patrimoine n’est pas que le patrimoine bâti ».

Sa directrice ajoute qu’elle a fait retirer le terme « animation » du nouvel intitulé55

. Pour la

Ville, l’évènementiel serait plus important que la culture ; elle a construite son action

culturelle surtout « sur le soutien aux associations », mais pour l’instant « n’a pas défini de

politique culturelle ». Alors qu’une ville d’Art et d’Histoire « doit avoir 300 évènements, on

en a 600 ! Je trouve que c’est une tare ». Elle considère qu’il faut effectuer des choix, pour

rester cohérent, efficace et surtout pérenne. « On inaugure, on ouvre, on fait des choses, on

contente les asso, les gens ; c’est la notion « il se passe toujours quelque chose » », mais par à

côté « on n’a même pas d’argent pour les vernissages » et le Carré Bonnat, dont l’immeuble

dans lequel il était situé a été vendu, ferme cette année, sans solution de relocalisation.

Développer l’offre culturelle et la production artistique n’est donc pas chose aisée. Un

obstacle important reste que le Service Culture et patrimoine ne maitrise pas sa

communication, c’est le Service Communication de la ville qui l’assure et il ne partage pas

nécessairement le même point de vue. Alors qu’elles se voient plutôt « dans une logique de

fond, sur toute l’année », la communication, elle, est au final « évènementielle ».

Elles expliquent ce « verrouillage » par le fait que la culture n’est pas un enjeu majeur pour la

ville qui a d’autres priorités, notamment « une priorité sociale clairement affirmée », et une

« priorité au sport ».

Du point de vue de l’opinion publique, à Bayonne, la culture se résumerait à trois motifs : la

corrida, le rugby et les fêtes de Bayonne. Ces éléments sont cités tant par les détracteurs que

par les aficionados. La création artistique contemporaine n’est que rarement évoquée, elle

n’est pas perçue comme un axe fort de la politique culturelle. Il n’est pas reproché à première

vue l’élitisme de la politique culturelle, mais plutôt le népotisme du maire, qui imposerait ses

goûts personnels à ses administrés. Ce dont on parle aussi beaucoup dans la presse, c’est le

départ de manifestations et évènements vers d’autres villes (Biarritz notamment).

A la lecture de la répartition du budget, nous remarquons que 7% sont consacrés à la

« culture », soit autant qu’au « sport ». Mais encore faut-il savoir que dans ces 7% dédiés à la

« culture » entreraient aussi les budgets alloués aux fêtes de Bayonne et à la corrida, gérés par

55

Ce n’est pas encore fait sur le site internet de la Ville, mais effectivement une réflexion est en cours pour créer

un service « animation »… Lire l’article paru dans Sud Ouest le 21 février 2012, « L'articulation des animations

fait débat ».

Page 62: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

62

des commissions extra-municipales et que par conséquent les moyens d’actions de la

Direction de la culture et du patrimoine sont bien en deçà du pourcentage annoncé.

Une fois leur travail expliqué, nous avons pu discuter plus spécifiquement du Musée Basque.

Toutes deux y vont très souvent. La responsable est d’ailleurs surprise que certains élus n’y

aillent jamais, alors qu’il y a des concerts notamment, pas seulement des expositions. Nous

reviendrons sur leurs avis personnels lorsque nous aborderons la question du public dont elles

font ainsi partie.

Dès le début de l’entretien elles nous avaient expliqué que le Musée Basque est « un

partenaire permanent ». Actuellement peut-être est plus encore puisque le Musée Bonnat (et

bientôt aussi le Carré Bonnat) est fermé. Il n’y a « pas beaucoup d’équipements en centre-

ville », le Muséum d’Histoire Naturelle, à la plaine d’Ansot est par exemple relativement

excentré. Le Musée Basque est un véritable « outil de l’action culturelle de la ville », à la fois

« en tant que musée » mais aussi d’espace, c'est-à-dire de « salle » disponible.

Les relations avec le musée sont « fluides ». La responsable suggère régulièrement au

directeur des artistes pour les expositions mensuelles de photographies dans la salle Xokoa

(par exemple Jean Patou, Jorge Brantmeyer) ; elle est aussi en contact avec l’attaché de

conservation lorsqu’il s’agit de fonds photo, avec le conservateur en ce qui concerne les dons.

L’animatrice du label, elle, travaille avec le Service des publics du musée, pour « développer

des thématiques communes dans le cadre d’une éducation au patrimoine du jeune public, en

ou hors temps scolaire ». La dernière « coproduction » porte sur le thème du XIXe siècle en

histoire des arts.

Le Service culture et patrimoine propose aussi au musée des évènements tels que la

présentation et « signature d’ouvrages liés au patrimoine », en gardant le souci d’« une

cohérence ». Il y a eu aussi récemment le projet sur les femmes écrivains. Et « quand il y a

quelque chose avec le Pays basque sud on le fait souvent au musée ».

Le Musée Basque est maintenant le seul lieu disponible donc « on le charge » ; « il est en plus

un emblème », une « qualité que n’a pas par exemple la médiathèque [qui] elle non plus n’a

pas de budget et encore moins d’espace ». En même temps pour le Musée Basque, cela « lui

fait de l’animation, de l’évènement, il s’y passe quelque chose », la communication est relayée

aussi par la ville. La directrice estime toutefois que cette présence forte se fait « par défaut

pour les deux partenaires, même si un peu de temps en temps c’est un minimum ».

« Ses conservateurs ont fait des expositions de très grande qualité par le passé », mais

maintenant leur budget ne leur permet plus de travailler de la même manière.

Page 63: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

63

Pour l’année 2012, la Ville propose deux expositions au Musée Basque : l’une serait

consacrée à des dessins de Bayonne par Dominique Duplantier, illustrant un livre coédité par

la Ville ; l’autre serait une exposition consacrée à la marque de liqueur Izarra, « une

exposition virtuelle sur les techniques de fabrication ». Mais la responsable n’a pas souhaité

nous en parler pour l’instant « car c’est en train de se faire ».

Cet entretien nous a donné un aperçu de l’importance du patrimoine et de la culture dans la

production, la « construction », d’une identité locale ; du tiraillement aussi entre des objectifs

proprement culturels, mais aussi sociaux, économiques et toujours au final politiques.

Le sentiment général (et pas seulement à la Direction de la culture et du patrimoine de la

Ville) est que s’il n’y avait pas les évènements et les expositions de la Ville, le musée n’aurait

pas grand-chose à présenter puisqu’on ne lui donne pas de quoi travailler. Une autre

impression est que la culture parait obligatoire mais que certains élus n’arriveraient pas à

accepter qu’elle soit déficitaire. Elle ne serait pas considérer par tous comme un service

public.

Nous avons rencontré d’autres employés de la mairie. L’un d’eux nous a confié que le

problème de la ville avec le Musée Basque, outre le procès intenté par le conservateur, est que

lors de sa rénovation le Musée Basque a coûté extrêmement cher et que dix ans après sa

réouverture, le déficit n’a pas été amorti. Le musée continue de coûter et de ne pas rapporter.

Ce serait le problème principal. Nous avons constamment entendu cet argument. Ce qui nous

interpelle, c’est l’absence de « problème » ou de critique sur le fonds, sur le contenu, sur le

travail effectué au musée. Avant d’être un outil patrimonial ou culturel, le musée est donc aux

yeux des administrateurs d’abord politique et économique.

2.1.2. Une Agglo 56

sans compétence culturelle

Dans un article du Journal du Pays basque, paru en 2008, « Didier Borotra refuse à

Bayonne la compétence culturelle de la Cabab. Didier Borotra estime qu’il est "hors de

question" de doter la Cabab des compétences culturelles que souhaite Jean Grenet ». Et le

56

L’Agglo est le nom d’usage si l’on peut dire de l’Agglomération Côte Basque - Adour, anciennement CABAB.

Page 64: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

64

journaliste de poursuivre : « Et en veut pour preuve que « la ville n’a pas été capable de

répondre aux besoins du Musée basque ». »57

.

Le projet majeur de l’Agglo est le Programme Pluriannuel d'Investissement dont le but affiché

est de « créer, dans le respect des identités des villes de Bayonne, Anglet et Biarritz, un pôle

urbain équilibré, puissant, attractif, compétitif, et surtout solidaire de la cohésion de son

territoire. », par l’apport d’une l’aide financière à la maîtrise d’ouvrage communautaire,

régionale ou départementale. »58

. En définitive, l’Agglo n’a pas de compétence culturelle mais

elle intervient au niveau de l’investissement d’équipements culturels, dont depuis 2007 le

Musée Basque59

.

2.1.3. Le Conseil Général

Nous connaissions déjà cette institution pour y avoir effectué un stage lors de notre thèse.

Nous avons donc rencontré dès le début de cette enquête le chef du Pôle aménagement,

développement culturel et politique linguistique, délégué au Syndicat mixte, dont le rôle est

de conseiller les élus en leur apportant leur expertise.

Les actions prioritaires du CG en matière de culture sont de « renforcer l’organisation

culturelle du territoire ; contribuer à l’animation culturelle sur tout le territoire ; proposer aux

jeunes des activités culturelles ». Il contribue au financement d’équipements tels des salles de

cinéma, des écoles de musique et des bibliothèque. « Le Conseil général soutient également

des structures comme les pôles ressource et les lieux de fabrique des spectacles pour favoriser

la création et la diffusion artistique. Il a également créé un Centre d’éducation au patrimoine,

à Irissarry. »60

Dans son rapport d’activité 2010, le Conseil Général revient sur l’exposition Habiter les villes

fortifiées « abritée » par le Musée Basque, c’est la seule évocation du musée.

« Exposition sur le patrimoine fortifié. Du 16 septembre au 16 janvier 2011, le Musée basque

et de l’histoire de Bayonne a abrité l’exposition « Habiter les Villes Fortifiées - Histoire,

conservation, réutilisations et défis urbains ». Monté en partenariat avec le Conseil général

des Pyrénées-Atlantiques, cette exposition avait pour objectif de mettre en valeur le

patrimoine fortifié du département : elle a nécessité notamment la construction de maquettes

57

Accessible en ligne : http://www.lejpb.com/idatzia/20080216/art207386.php 58

http://www.agglocotebasque.fr/nos-projets/le-programme-pluriannuel-dinvestissement.html 59

http://www.agglocotebasque.fr/nos-equipements/les-equipements/le-musee-basque.html 60

http://www.cg64.fr/actions/renforcer-lorganisation-culturelle-du-territoire.html

Page 65: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

65

(citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, Forts de Socoa et du Portalet), ainsi que la restauration

de la maquette des remparts de Navarrenx. »61

Le Conseil Général est également le propriétaire et gestionnaire du CEP, le Centre

d’Education au Patrimoine, à Irissarry, et des archives départementales.

Nous avons alors posé la questions des relations et des éventuels partenariats entre ces deux

institutions et le Musée Basque. La participation du Conseil Général au Syndicat Mixte du

Musée Basque semble uniquement d’ordre financier. C’est la Ville de Bayonne seule qui

utilise le musée dans son action culturelle.

2.2. Un musée labélisé Musées de France

Le Service des Musées de France (ancienne Direction des Musées de France) du Ministère de

la Culture et de la Communication contrôle les musées de ce réseau. Il fixe des normes de

références et peut porter assistance le cas échéant. Au Musée Basque, il est fait souvent

référence au fait que le musée est un Musées de France, essentiellement comme un

« standing » à respecter, une intégrité à assurer et des obligations à remplir. On nous a

davantage parlé de la DRAC Aquitaine, les échanges se feraient surtout avec elle.

La DRAC, outil déconcentré du Ministère de la Culture, intervient surtout par le biais de

commissions consultatives, d’acquisition ou de restauration. Elle recommande alors ou non

l’inscription de nouveaux objets sur les inventaires et peut être amenée à évaluer les

restaurations nécessaires d’objets dont elle avait reconnue l’intérêt de les acquérir.

Au vu de la faible référence faite par les enquêtés à cette institution, nous n’avons pas

développé d’enquête approfondie en sa direction, nous avons tout de même contacté la

responsable-musées qui nous a aimablement expliqué le fonctionnement des ces commissions,

illustrés d’exemples précis. Un projet de création de réserves communes aux trois musées

bayonnais est aussi en cours et nécessite son expertise.

La DRAC ne parait pas, dans les discours, être considérée comme un partenaire ou une

autorité de tutelle majeure pour le Musée Basque. Les raisons en sont multiples. Nous

déduisons encore une fois que le Musée Basque est bien plus soumis à l’autorité de la Ville de

Bayonne qu’à tout autre institution ou service, de par son histoire, ses habitudes et sa

proximité.

61

http://www.cg64.fr/flipbook/rapport-activite-2010/files/rapport-activite-2010.pdf

Page 66: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

66

Dans le numéro de janvier-mars 2005 de Lettres d’Aquitaine. L’actualité du livre. (une

publication de l’ARPEL Aquitaine)62

a été publié un dossier « Culture et langue basques » qui

dressait un panorama des acteurs locaux et de ses grands domaines. Le Bulletin du Musée

Basque est évoqué par un interview-présentation de la revue. Mais personne du Musée

Basque n’intervient. Pourtant un musée MDF peut avoir une activité notamment d’édition

(catalogue). Des radios sont considérées, mais pas le musée où il peut pourtant y avoir des

conférences ou des animations en lien avec les deux thèmes du dossier. Nous pouvons donc

en déduire qu’en 2005, le Musée Basque n’était pas un acteur culturel majeur aux yeux de la

Région Aquitaine. Il n’est pas non plus cité comme « partenaire » d’une

des institutions interviewées (par exemple de l’ICB).

2.3. L’équipe du Musée Basque en 2011

2.3.1. L’organigramme

Nos observations et analyses de l’organisation du Musée Basque rejoignent en grande partie

celles de Catherine Ballé63

, rapportée dans l’article paru en 2003, « Musées, changement et

organisation ». Sans prétendre à faire ici une analyse sociologique de l’organsiation muséale,

comme elle nous pensons que le Musée est une « organisation complexe ».

Nous l’avons évoqué dans l’historique : peu à peu les missions se multiplient et les agents se

professionnalisent. Les missions sont décomposées en tâches et déléguées. Toutefois, le

musée n’est pas une « entreprise » comme les autres.

Nous soutenons que le Musée, et le patrimoine au musée, peuvent d’abord être pensés à partir

des métiers qui y sont exercés, en tenant compte aussi du rapport que les individus qui y

travaillent entretiennent avec l’institution elle-même.

Cet organigramme distingue des « pôles » : communication, administratif et financier,

technique ; et des « services » : « collections et patrimoine » et « publics et développement

culturel ». Les pôles apparaissent comme des services transversaux. Tandis que la division en

deux services « collections » et « publics » revêt un aspect pratique pour distinguer deux des

missions principales d’un musée.

Au moment de l’enquête, l’équipe du Musée Basque est composée de :

Direction : Rafael Zulaika, directeur.

62

L’ARPEL Aquitaine est soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine (DRAC). 63

Catherine Ballé, « Musées, changement et organisation », dans Culture & Musées, n°2, 2003. pp.17-33.

Page 67: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

67

Service « collections et patrimoine » :

- Conservation : Olivier Ribeton, conservateur ; Jacques, attaché de conservation ;

Alain, régisseur des collection ; Marie, chargée de récolement.

- Bibliothèque : Marie-Hélène et Elisabeth, documentalistes.

Service « publics et développement culturel » : Maud, responsable.

- Médiation : Géraldine, animatrice.

- Accueil et boutique : Maite et Argitxu ; un agent option régie.

- Surveillance : Xalbat et quatre autres gardiens.

Pôle communication : Jean, chargé de communication et des partenariat

Pôle technique : Christian, régisseur technique ; Philippe, menuisier.

Pôle administratif et financier : Ghislaine, responsable administrative ; Anne Marie, adjointe.

2.3.2. Deux sites pour une dichotomie spatiale et mentale

Une autre particularité du Musée Basque, qui s’avère être une difficulté pour son

fonctionnement, est la répartition de son activité sur deux sites.

A la Maison Dagourette, quai des Corsaires, se trouve le musée, c'est-à-dire les expositions.

En entrant dans la bâtisse, un hall d’accueil s’étire en longueur face à nous ; sur la gauche un

long comptoir (derrière lequel sont situés un petit bureau aménagé en vestiaires, et les

toilettes), sur la droite la salle Xokoa (« salle de convivialité »). En face de l’entrée, la

boutique se confond avec le hall d’accueil, et tout au bout l’argialde, le puits de lumière,

constitue le point de départ de la visite. Dans cet argialde une vitrine « documentaire » a été

installée (2010). A la droite de l’argialde, se trouvent une sortie de secours, un petit bureau

(celui du chargé de communication), un ascenseur et un escalier secondaire au pied duquel un

coin a été aménagé récemment avec des vitrines (2011).

Derrière la première salle de l’expo permanente se cache aussi la régie technique. Au premier

étage, la salle Argitu est dédiée (initialement) aux ateliers des scolaires. Au second étage a été

aménagée une cuisine-salle de repos. L’exposition permanente se répartit sur ces trois

niveaux. Sur ce site travaillent quotidiennement trois agents d’accueil, cinq gardiens et le

chargé de communication.

Le Château-Neuf, situé à 500 mètres de Dagourette, abrite les bureaux, une partie des réserves

et une salle de consultation (« la bibliothèque temporaire »). Au rez-de-chaussée, les deux

agents administratifs y partagent un même bureau, face à celui du technicien ; au deuxième

étage travaillent la responsable du services des publics et l’animatrice, la documentaliste, la

Page 68: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

68

bibliothécaire, le régisseur des collections et la chargée de récolement, l’attaché de

conservation, le conservateur ; on trouve l’atelier du menuisier au deuxième étage, et au

troisième étage enfin le bureau du directeur.

Certains agents « d’en haut » (c'est-à-dire de Château-Neuf) font régulièrement ou

occasionnellement la navette entre les deux sites. C’est le cas surtout de l’animatrice et du

technicien. A l’inverse, seul le chargé de communication « monte à Château-Neuf ».

Nous avons observé une situation assez similaire au Musée de la Corse, dans une

configuration spatiale différente qui laisse apparaitre que la dichotomie mentale est bien plus

forte et ne tient pas tant à la première.

2.3.3. Une vue à court terme

« Dans une logique de projet ce serait très souhaitable qu’on puisse établir des stratégies et

travailler sur une planification à deux ans, trois, quatre, cinq ans euh voilà mais bon c’est pas

le cas. Et dans la situation, dans la conjoncture actuelle autant au niveau contraintes

budgétaires que par rapport à voilà au situation un peu au niveau du personnel au musée et

tout ça, on travaille plutôt on va dire à court terme, j’en suis conscient. […] Le focus il est sur

l’année 2012 » (Rafael Zulaika, directeur).

2.3.4. Les activités du Musée Basque en 2011

Dans ce chapitre nous avons exposé le patrimoine du Musée Basque, c'est-à-dire le

contexte dans lequel il s’inscrit, son histoire, sa gestion et son fonctionnement. Dans les

suivants nous allons présenter la façon dont il l’utilise, à partir d’exemples précis, observés

entre janvier 2011 et février 2012.

Nous avons observé des enjeux différents au Musée Basque, mais pas inconciliables en

théorie : le projet de médiation mené par la stagiaire de l’INP sur la morue en témoigne. Des

enjeux politiques, économiques, culturels et patrimoniaux s’entremêlent. Les élus et le

directeur sont concentrés sur les recettes et la notoriété du musée. En effet, la popularité du

musée entraine des visites et donc des recettes qui permettent à leur tour de poursuivre ses

activités, voire un développement du projet. Les missions scientifiques du musée sont

obligatoires dans le cadre du label Musées de France. Ainsi, les recherches, réflexions et

tâches de conservation qui y sont menées, devraient aboutir à des expositions et des

opérations de médiation renforçant son attractivité. Et si l’on considère que la popularité du

Page 69: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

69

musée se répercute sur celle des élus, ceux-ci devraient être encouragés à investir et le

soutenir davantage. Dans tous les cas, quelque soit le type d’objectifs poursuivi (économique,

politique, etc.) nous considérons que la collection et sa valorisation est à la base de ce

système.

Vérifions cette hypothèse à la lumière de deux définitions, l’une de référence et l’autre

officielle.

Au cours de notre enquête, beaucoup ont fait référence à la définition de l’ICOM :

« Aujourd’hui, selon les statuts de l’ICOM, adoptés lors de la 21e Conférence générale à

Vienne (Autriche) en 2007 : Un musée est une institution permanente sans but lucratif au

service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve,

étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son

environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »64

Elle très proche de celle donnée dans le Code du patrimoine :

« Est considérée comme musée, au sens du présent livre, toute collection permanente

composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et

organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et du plaisir du public. » (Code du

patrimoine : Article L410-1)

« Les musées de France ont pour missions permanentes de :

a) Conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ;

b) Rendre leurs collections accessibles au public le plus large ;

c) Concevoir et mettre en œuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal

accès de tous à la culture ;

d) Contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu'à leur diffusion. »

(Code du patrimoine : Article L441-2)

Ces deux définitions confirment que les collections sont le cœur du musée et devraient être le

centre d’un Projet Scientifique et Culturel. Commençons donc par observer ce qu’il se passe

du côté de la collection au Musée Basque.

64

Site Internet de l’ICOM.

Page 70: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

70

CHAPITRE 2. LE PARCOURS DE L’OBJET OU LE TRAVAIL SUR LES COLLECTIONS

Dans le Code du patrimoine, nous nous sommes intéressée au « Livre IV. Musées »,

en particulier les « Titre IV. Régime des Musées De France » et « Titre V. Collections des

Musées de France ».

Puisque c’est la collection qui fait le musée, puisqu’elle lui est antérieure, le précède, nous

avons commencé par analyser le travail de conservation. Pour répondre à la question

« Comment le musée produit-il du patrimoine ? », nous avons choisi de suivre le parcours de

l’objet, marqué par deux grandes étapes : l’entrée dans la collection du musée et son

exposition éventuelle. A partir de là s’est déroulé un fil qui nous a permit d’aborder tour à

tour les autres aspects.

A la fin de l’année 2009, Jean L., fabricant de pelote établi rue Marengo (en face du

musée) a cessé son activité. En l’absence de successeur, il a choisi de faire don d’un de ses

outils (une presse à pelote) au Musée Basque. A partir de ce cas concret nous proposons de

suivre le parcours d’un objet dans sa « deuxième vie » que représente son entrée au musée.

Jean ne se souvient plus de la première prise de contact avec le musée, il avait fait part à ses

enfants, dont un travaille à la mairie, de sa volonté de donner cette presse à pelote au musée.

C’est Jacques, attaché de conservation, qui a suivi cette acquisition.

Portrait : Jacques, attaché de conservation

Jacques est attaché de conservation, il a 37 ans. Originaire de Marseille, il vit aujourd'hui à

Bayonne. Après une maitrise et un DEA en histoire antique (mais à dominante archéologie), il

s’est redirigé vers le domaine muséal. Il a suivi des formations pour préparer le concours de

conservateur, d’abord à l’Ecole du Louvres puis à la Sorbonne. Il n’a réussi le concours de

conservateur mais celui d’attaché de conservation. S’en est suivie une période de « petits

boulots » et de recherche d’un poste d’attaché de conservation dans un musée. En janvier

2003, il passa un entretien à la Ville de Bayonne, qui l’engagea en mars pour mener un projet

de réserves mutualisées pour ses trois musées.

« J’ai fait toutes les formations qui fallait faire avant la titularisation, alors le tronc commun plus

un nombre défini de ces stages, enfin de ces formations qui durent généralement une semaine

ou quinze jours et qui font, cumulées sur l’année, presque trois à six mois. Donc ça je les ai

faites et après titularisation j’en ai fait très ponctuellement sur des questions qui vraiment

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71

m’intéressaient et vraiment pour me mettre à niveau, par exemple en 2007 j’en avais fait une

sur le droit à l’image.»

Il rendit à la Ville de Bayonne un rapport qui contestait la faisabilité et la pertinence de ce

projet de réserves mutualisées, qui fut abandonné sans que lui soit clairement assigné une

nouvelle mission. Il a alors peu à peu pris place au sein de l’équipe du Musée Basque et a

commencé par compléter le travail du conservateur. Notamment il répondait à des demandes

de renseignements et il s’est investi dans le service éducatif, supervisé depuis sa création en

1988 par Mano (professeur détachée par le rectorat).

« Et après je me suis mis à plus m’intéresser aux collections, à l’histoire ici et à participer à des

montages d’expo, voire à les… à les … comment dire … à lancer l’idée et à m’en occuper

vraiment. Voilà. J’ai participais aussi pas mal au Service éducatif, donc j’étais un peu le

« référent musée » du Service éducatif. Donc j’intervenais pas mal auprès des jeunes et c’était

peut-être à l’époque, pendant ma première année au moins ma principale activité. Ça m’a

permis de me former aussi, c’était pas mal d’être au contact des visiteurs, de certains types de

visiteurs, souvent un peu exigeants, avec un parcours, un discours pédagogique construit par

Mano qui était très exigent mais en même temps très réfléchi, qui était une démarche assez

intéressante de médiation. Voilà. Et petit à petit, puisque ce qui manquait ici, c’était / je veux

dire les réserves étaient faites, les objets étaient en place, il y avait des petites choses à faire

ponctuellement mais c’était surtout faire vivre le musée, c’était ça qui manquait. Petit à petit,

une première expo en 2004 sur le carlisme et puis après lancer l’idée d’une expo sur la fête en

2005 et après une plus grosse expo sur le carlisme en collaboration, et après Gernika, etc. »

« Qu’est-ce qui t’a attiré dans ce métier, ce domaine ?

_ Et bien justement. C’était après la fac où je ne me sentais pas d’aller travailler sur un

domaine spécialisé. […] Voilà, je trouvais cela un peu effrayant, j’ai besoin d’englober les

choses, d’une approche professionnelle où les choses sont développées dans une approche

plus vaste, où on puisse faire des recoupements. Et du coup sinon l’agrég, être prof ça ne me

plaisait pas donc je me suis dit ce qui m’intéressait / j’ai toujours été intéressé par l’objet, les

vieux objets, les choses comme ça, dans la famille, savoir comment, ce qu’il y avait derrière, qui

les avait utilisés, pourquoi, d’où ils venaient. […] je me suis dirigé vers le musée qui peut te

permettre à travers l’objet d’avoir une approche générique de l’objet, son insertion dans

l’histoire, ses usages sociaux, etc. Ça me paraissait être la destination idéale. »

« Quel autre métier exercé au musée aurait pu t’intéresser ?

_ Mmm je ne sais pas. Après les autres sont plus spécifiques, celui-là est transversal, c’est

l’intérêt. Il est transversal et puis tu peux générer des projets, des idées, […] faire exister

quelque chose c’est quand même pas mal, et puis tu es plutôt là pour fédérer les gens.

Page 72: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

72

_ Est-ce que le métier de conservateur t’aurait intéressé ?

_ Oui bien sûr ça m’a intéressé mais pour moi c’est le métier que j’ai fait. Je n’ai pas le prestige,

je n’ai pas le nom, mais c’est un boulot de conservateur ; attaché de conservation c’est un sous-

conservateur mais il fait un boulot de conservateur.

_ C’est le même contenu ?

_ C’est exactement le même contenu, en tout cas ici, là. Après c’est juste dans des grandes

structures où tu peux avoir après des attachés qui sont recrutés sur des postes très spécifiques,

euh par exemple, que pour la publication, que pour l’étude d’un type de collection mais ça c’est

spécifié dans le recrutement et c’est généralement dans des musées plus importants qui ont

besoin comme ça d’équipes plus diversifiées, comment dire, plus spécifiées sur certains

domaines. Là c’est un musée un peu moyen où on englobe tout. »

Aujourd'hui, après la dissolution du service éducatif au profit d’un service des publics, et

avoir « commisarrié » quelques expositions temporaires, il travaille notamment beaucoup sur

les fonds photographiques. Il supervise aussi en partie le travail de la chargée de récolement,

du régisseur des collections, du régisseur technique et du menuisier. Il continue de proposer

des projets d’expositions temporaires, mais face à l’absence d’un espace dédié il s’oriente

plutôt vers la publication.

« Donc mon travail principal là maintenant puisqu’on n’a plus de salle d’expo et moi je m’occupe

moins d’expo depuis quelques temps, c’est … bon… plutôt essayer de faire vivre le musée

autrement, alors c’est au travers de publications, c’est au travers d’études de collection et euh..

et donc des projets d’édition comme celui-là quoi, comme celui sur la collecte.»

« Existe-il des savoir-faire particuliers liés à ton métier ?

_ A ça je ne saurais pas dire. C’est beaucoup je pense des questions de sensibilité parce que

mon métier, comme celui de conservateur, qui est un métier proche ou à celui de gestionnaire

de musée qui est aussi un métier proche, les différences elles se font souvent avec les

individus. C’est-à-dire tu as des personnalités fortes qui vont amener dans des directions, des

gens qui ont des idées très précises sur telle chose, d’autres sur d’autres, qui ont plutôt une

sensibilité qui va dans un sens ou dans un autre et c’est ça souvent qui définit les orientations.

Alors après les compétences, oui il faut / non je ne saurais pas dire / il faut des connaissances,

voilà. Après des compétences ? Des connaissances sur ton objet d’étude forcément, historique,

matériel, sur les objets, la culture matérielle. Voilà. Mais après, après je crois que ça ne fait pas

tout, ça ne fait rien du tout dans le métier. Après tout le reste, les idées que tu peux avoir, les

envies que tu as de créer des choses, les projets que tu as de développement, les propositions

de partenariat que tu peux faire, ça c’est vraiment important aussi : si le musée doit être un

acteur culturel important, il faut dialoguer avec d’autres personnes. »

Page 73: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

73

« Avec qui travailles-tu au sein du musée ?

_ Alors, je travaille plutôt avec / en théorie je devrais travailler avec le conservateur, ce qui se

passait à l’origine, mais on n’a pas forcément les mêmes manières de travailler, on n’a pas

forcément les mêmes / voilà. Et du coup ça fait qu’on ne travaille pas ensemble et peut être

c’est mieux parce que quand on le fait ça ne marche pas forcément bien. Donc souvent, pour

des projets comme la collecte, je suis un peu seul parce que c’est un travail un peu particulier

de réflexion, après de contact, etc., que personne d’autre ne peut faire. Après sur des projets

d’expo, c’est beaucoup avec le menuisier, les équipes disons plutôt centrées sur les collections,

le menuisier, le régisseur, les personnes en charge du récolement, le technicien, voilà ces

gens-là.

_ Et en externe ?

_ Et en externe, donc c’est au cas par cas pour des projets on a pu travailler avec d’autres

musées, notamment du Pays basque sud65

… mais sinon c’est pas grand monde, moi je

participe à la Commission patrimoine à l’ICB qui en train d’essayer de se repenser, de repenser

son utilité, je ne sais pas ce que ça va devenir. Mais bon, je ne dirais pas que ce soit un vrai

partenariat, c’est plus un échange, une présence. […] Mais voilà, je crois que le partenariat

n’existe pas sans idée derrière et sans opération, tu es partenaire sur une opération, tu n’es pas

partenaire comme ça et voilà. »

« Considères-tu que ton métier soit un métier du patrimoine ?

_ Ah oui. Oui oui.

_ Tu connaissais cette expression « métier du patrimoine » ou ça ne s’appelait pas comme ça à

l’époque de ta formation ?

_ Je ne sais pas, je connais l’expression « métier », je sais ce que ça veut dire « patrimoine »

aussi donc « métiers du patrimoine » oui on a l’habitude de baigner là-dedans, conservateur du

patrimoine, conservation du patrimoine, patrimoine, patrimoine, « qu’est-ce que le

patrimoine ? », je veux dire tous les bouquins, c’est hyper central dans la formation, dans les

études donc forcément c’est un métier du patrimoine, à 100%. Ça ne s’appelait peut-être pas

comme ça mais je veux dire ça en était un et c’était évident que c’était un métier en rapport

avec le patrimoine d’abord même si il est aussi / c’est aussi un métier en rapport avec la

société d’aujourd’hui, avec peut-être pour certains cas le divertissement, l’économie, voilà. Ça

touche à d’autres choses mais parce que aussi le patrimoine touche à tous ces domaines là. Le

patrimoine c’est plus qu’un monument immuable et intouchable, c’est aussi / il faut le faire vivre

économiquement, il faut faire venir des gens, il faut que ça bouge, il faut occuper la scène

médiatique. Voilà. »

65

Par exemple en 2006 pour l’exposition temporaire A mes amis de la frontière : le Pays Basque français dans

l'aventure carliste 1833-1876, coproduite par le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne et le Museo

Zumalakarregi (à Ormaiztegi, Guipúzcoa, Espagne) ; commissariat général par Olivier Ribeton et Karmele

Barandiarán .

Puis en 2007 pour l’exposition temporaire Gernika, de l'histoire basque au symbole universel, coproduite par le

Musée Basque de Bayonne et le Musée Basque de Bilbao ; commissariat général par Olivier Ribeton et Amaia

Basterretxea Moreno.

Page 74: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

74

1. Enrichir les collections : les acquisitions

Le Musée Basque n’a pas de pas de politique d’acquisition puisque il n’a pas de projet

ou de programme, ni de ligne budgétaire dédiée. Les acquisitions par achat entre 2001et 2007

se faisaient au cas par cas. Il ne procède pas non plus à des collectes. Depuis 2007, les achats

sont compliqués car la propriété des objets restant à la Ville de Bayonne celle-ci ne veut pas

pour autant participer seule à l’achat, tandis que ces deux partenaires du Syndicat mixte ne

veulent pas acheter sans en être les propriétaires. Toutefois, lorsque le conservateur « veut »

vraiment quelque chose, il demande l’aide de la SAMB et d’autres mécènes. Il arrive aussi

que la Ville achète d’elle-même puis confie son achat au Musée Basque.

Par exemple, Ro-Ger, photographe bayonnais et correspondant pour le journal régional Sud

Ouest, âgé de 83 ans, a proposé à la Ville de racheter son fonds photographique (30 000

euros) soit « 55 ans de témoignage des évolutions de la cité et de ceux qui la vivent. » peut-on

lire dans Sud Ouest.66

Ce fonds présente un intérêt évident d’abord pour la Ville. L’attaché de

conservation, qui est devenu en quelque sorte le spécialiste des fonds photographiques du

musée, pense que ce fonds peut être intéressant, puisque cette époque est plus récente, il

viendra complémenter ceux, plus anciens, dont le musée dispose déjà.

Lorsqu’une proposition de don ou d’achat est faite à la Ville, celle-ci la transmet au

Conservateur. Dans d’autres cas, si la proposition est faite au musée, celui-ci en informe la

Ville. Cet échange reste aisé puisque le Président du Syndicat Mixte est lui-même l’élu à la

Culture. Dans un premier temps, le conservateur doit prendre connaissance de l’objet et

rédiger une note d’opportunité. A partir de ce document qui met en avant l’intérêt de l’objet,

l’acceptation du don est délibérée en Conseil municipal. Ensuite, il est présenté à la

Commission scientifique régionale des collections des musées de France d’acquisition, dont

l’avis n’est toutefois que consultatif. En effet, même en cas d’avis défavorable, la Ville de

Bayonne peut décider de faire inscrire par le conservateur cet objet sur l’inventaire du Musée

Basque. Il entre ainsi dans une collection Musées de France, mais s’il nécessite par exemple

un jour une restauration, le musée ne pourra pas bénéficier d’une subvention de l’Etat.

66

Sud Ouest du 21 décembre 2011.

Avis lisible sur le site Internet du journal, à la suite de l’article : « Certes on peut trouver de temps à autre un

intérêt informatif aux photos de Roger mais aucune fibre artistique, pas de coup d'œil, rien qui fasse la qualité

d'un vrai photographe. Racheter le fond à 30 000 euros, une aubaine pour lui mais aucun intérêt pour le musée

basque. Roger a su se tisser un maillage relationnel au long de ces années, c'est d'ailleurs comme çà qu'il a pu

persévérer dans son activité (club taurin, pottorak, aviron, etc). Il en récolte les fruits encore aujourd'hui. Cette

opération ne va pas dans le sens de l'intérêt général mais plutôt dans le sens du clientélisme si cher à nos édiles. »

Page 75: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

75

1.1. Les Commissions d’acquisition de la DRAC

Nous n’avons pas eu l’occasion d’assister à l’une de ces Commissions d’acquisition,

nous avons alors contacté la responsable des Musées à la DRAC qui nous a renseignée.

Ces commissions ont été instaurées entre 2003 et 2004, suite à Loi musées de 2002. La

composition des commissions est convenue par un décret du préfet. Leurs membres sont élus

pour cinq ans. Elles se composent de cinq membres de droit : le Directeur Régional des

Affaires Culturelles, le Conseiller pour les musées, un représentant du Service des Musées de

France, un représentant d’un grand département patrimonial (pour l’Aquitaine il s’agit du

Musée du Quai Branly), le délégué régional à la recherche ; et d’une dizaine de membres

« plus libres » : « des personnes qualifiées par rapport à leurs compétences scientifiques,

donc il faut essayer de couvrir tous les champs, c'est-à-dire la préhistoire, l’art contemporain

grosso modo, alors ça peut être des universitaires, ça peut être des conservateurs ». Dans la

composition actuelle, il n’y a pas d’ethnologue, « On a plutôt privilégié la casquette muséum,

sciences naturelles ».

La DRAC organise deux commissions minimum par an. A chacune se présentent plusieurs

musées, un ordre du jour est donc établi ainsi que des horaires de passage. Six semaines avant

les conservateurs envoient leurs dossiers. Elles se déroulent généralement à Bordeaux, à la

DRAC, mais peuvent aussi être délocalisées, par exemple au Musée Bonnat à Bayonne, au

Museum d’histoire naturelle à Bordeaux ; la prochaine aura lieu au Musée des beaux-arts de

Libourne (au mois de mai 2012). Elle nous a confirmé que l’avis est consultatif, mais que le

musée peut quand-même acquérir ce qu’il a présenté. Il faudra alors mentionner dans

l’inventaire « acquis avec l’avis défavorable de la commission ».

Il n’y a pas de grille de critères préétablis, généralement la Commission juge « l’adéquation

de l’œuvre avec le fonds, il faut que ça complète les collections, après il peut y avoir l’état de

conservation, c’est pour ça qu’on demande si possible que les œuvres soient présentes » (pour

estimer une éventuelle restauration).

« Ou alors il peut y avoir aussi des problèmes d’acquisition en nombre, ça se passe aussi dans

les musées de beaux-arts, pas forcément que en ethnographie, mais quand il y a des lots très

importants par contre on demande à ce que ce soit affiné parce que faire rentrer 300 ou 200

pièces d’un coup, après il y a toute la gestion, il faut avoir de la place dans les réserves, il faut

pouvoir l’inventorier, faut pouvoir les photographier et on attire souvent l’attention / y a des avis

Page 76: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

76

négatifs, mais c’est plutôt rare, quand il peut y avoir comme ça des flottements, on demande à

ce que ça repasse à la commission suivante. »

Par exemple aussi la Commission peut émettre un « avis réservé » lorsqu’une œuvre n’est pas

authentique, pour que tout le monde soit bien d’accord sur ce point. Le cas s’est aussi présenté

d’un « problème sur le contrat de cession des droits pour des photographies contemporaines,

donc on demande à ce que ça repasse en commission ».

« Ce n’est pas toujours des oui ou des non, c’est parfois un peu plus compliqué».

Il peut arriver que le conservateur ne soit pas favorable lui-même, dans ce cas c’est plus facile

de dire à l’autorité de tutelle ou au donateur que c’est la commission qui a dit non.

En septembre 2011, la Commission a rendu trois avis défavorables dont un au Musée

Basque au sujet du don d’une sculpture de Claude Viseux (1927-2008), de 1999, un

campanaire, « on a mis un avis défavorable parce que on trouvait que l’œuvre n’avait pas

forcément de lien particulier avec le Musée Basque ».

Outre les Commissions d’acquisition et de restauration, le Conseiller musée de la DRAC

instruit aussi le premier échelon pour l’obtention ou le retrait du label Musées de France.

« Des contrôles, non, mais on se déplace quand il y a des projets, oui souvent quand il y a des

projets ou des problèmes particuliers, que les musées nous appellent on essaie d’y aller, après

bon on en profite pour demander à visiter les réserves, regarder un peu les salles d’expositions,

parfois les inventaires quand il y a des problèmes, on leur demande où ils en sont de leur

récolement, mais ce n’est pas des contrôles, c’est plus des conseils, des échanges en fait. »

Parmi les autres missions en rapport avec le Musée Basque, la DRAC instruit les demandes de

subventions et suit le projet de réserves mutualisées des musées de Bayonne.

1.2. Les critères d’acquisition du Musée Basque

Les deux premiers critères invoqués par le conservateur sont que le don doit être « en rapport

avec les collections » du musée et ne pas y être déjà présent (il faut éviter « les doublons » car

l’espace des réserves est limité). Ensuite, le choix de l’intégrer ou non à la collection

fonctionne « au cas par cas ». L’analyse de ces cas particuliers révèle alors toute une série de

critères sous-jacents témoignant de jugements de valeur, qui nous renseignent sur ce que le

musée considère comme légitime d’accéder au rang de patrimoine certifié par l’institution.

Car le patrimoine n’est pas qu’un ensemble de choses (objets, tableaux, pratiques,

Page 77: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

77

monuments) constituant un héritage collectif. Le patrimoine est aussi le statut accordé à ces

choses. L’objet qui intègre la collection du musée entame une nouvelle vie, où il est chargé

d’un nouveau sens et devient dépositaire autant qu’expression de nouvelles valeurs.

Nous avons consulté les délibérations du Conseil municipal (DCM) depuis 2003 pour

identifier les propositions de dons. Parallèlement, nous avons aussi consulté le Registre des

entrées, créé en 2008 mais assez vite négligé. Ensuite, avec la chargée de récolement nous

avons consulté la base ActiMuséo.

La chargée de récolement a instauré un registre des entrées en mai 2008. Des rabots venaient

d’être déposés à l’accueil de Dagourette par un artisan, sans prise de contact préalable. Son

idée était de centraliser les informations en attendant de décider du sort ou de la destination

des objets. Ce registre est donc composé d’une liste des entrées annuelles et d’une série de

fiches correspondant à chaque objet. Un numéro d’inventaire provisoire avec un « X » leur est

attribué. Par exemple, « 08.X.03 » est le troisième objet a être proposé au Musée Basque en

2008. La liste des entrées est un tableau à cinq colonnes où sont renseignés le « numéro

provisoire », la « désignation objet », sa « localisation », la « décision » finale, les « nom,

prénom, qualité » de l’agent qui a rempli la fiche correspondante.

Les fiches du registre des entrées sont composées de quatre principales rubriques : les

« conditions d’acquisition », la « description », les « informations » et la « décision » (s’il

entre dans la collection on inscrit son numéro d’inventaire définitif ; si il est refusé, il peut

toutefois être retenu pour servir de « matériel d’exposition », de médiation ou de

documentation ; s’il est rejeté on précise s’il a été rendu ou détruit). Dans le cas où l’objet

n’entrerait pas dans la collection mais dans le matériel d’exposition, ce point doit être

précisé dans la lettre du donateur pour confirmer et prouver qu’il en est informé et accepte ce

statut. Celui-ci peut aussi choisir de ne pas déposer son don ou de le reprendre si il était déjà

dans les locaux du musée.

Certains donateurs peuvent avoir des exigences difficiles à conjuguer avec les contraintes de

conservation ou les intérêts du musée. Un donateur peut exiger que son don soit présenté au

public dans l’exposition permanente ou spécifier que à chaque fois que le musée exposera ou

exploitera d’une façon ou d’un autre son don, il soit consulté et y participe, ce qui est gênant

lorsque le donateur n’a aucune légitimité scientifique. Marie pense qu’il y a « beaucoup

d’affect dans un musée d’ethnographie », que les gens ont envie de pouvoir venir voir leur

don. La plupart des donateurs ignoreraient que le musée n’a ni pas le budget, ni l’espace

Page 78: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

78

suffisants pour tout conserver ou tout exposer. Le conservateur doit alors expliquer dans une

lettre de réponse ses contraintes et ses choix pour atténuer la déception.

Les objets ne passent pas souvent par la salle de quarantaine. Par exemple, la presse à pelote a

directement était placée en réserve parce que, d’une part, il n’y avait pas de place pour elle en

salle de quarantaine et que, d’autre part, son poids rend compliqué son déménagement et qu’il

était donc plus simple de l’installer directement dans sa réserve finale. Par ailleurs, l’équipe

de conservation pressentait qu’elle recevrait un avis positif de la Commission. Les fonds

photographiques aussi rejoignent généralement directement la réserve des arts graphiques,

sauf lorsque état de dégradation menace l’intégrité des autres.

Là encore, la théorie, qui voudrait que l’objet n’entre en réserves qu’une fois le don accepté

(donc après délibération du Conseil Municipal et avis de la Commission régionale) et

l’attribution d’un numéro d’inventaire, n’est que rarement appliquée. En effet, des gens

apportent encore directement leurs objets (les rabots en 2008), même si c’est extrêmement

rare. Dans le cas de la presse à pelote, l’artisan s’apprêtant à quitter son atelier, Jacques a

rédigé une note à l’attention du directeur pour organiser rapidement ce déménagement qui

nécessitait une aide extérieure. D’autre part, le conservateur ou l’attaché de conservation ont

besoin d’examiner l’objet et idéalement il devrait aussi être présenté « sur pièce » à la

Commission régionale. Par ailleurs, étant donnée parfois la longueur du processus

administratif, le conservateur peut aussi préférer recevoir l’objet et une lettre de don, pour

éviter le désistement du propriétaire.

« Donc ça on peut avoir des déceptions ou des regrets. Voilà. C’est comme le tableau où je suis

arrivé trop tard, il avait été vendu cash, de Gustave Colin, je regrette a posteriori de ne pas

avoir pris un camion et même à trois mètres, même si il était très encombrant, de dire « vous

avez votre délibération du maire de Bayonne, la mairie de Bayonne, on vous l’achète, je prends

le tableau, vous serez payés dans six mois mais c’est pas grave ». Voilà ce que j’aurais dû faire

mais on apprend sur le tas, enfin moi j’ai beaucoup appris sur le tas. Peut-être que dans les

écoles du patrimoine maintenant on enseigne tout ça. » (Olivier Ribeton, conservateur).

Le suivi de ce registre des entrées n’est pas très satisfaisant, souvent personne ne revient sur la

fiche pour noter la décision, celle-ci pouvant être rendue des mois ou des années plus tard.

Dans ce registre, nous trouvons aussi des objets entrés dans la collection mais sans en avoir

trouvé la délibération du Conseil municipal correspondante. Toutefois, à partir des

informations contenues dans ce registre nous pouvons nous faire une première idée de ce qui a

été refusé par le musée, restitué ou détruit, voire « sans suite » (lorsque l’objet n’est pas

Page 79: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

79

parvenu physiquement au musée et que la procédure de don n’a pas abouti) ou alors accepté

mais en tant que « matériel d’exposition », telle par exemple, en 2008, une mantaleta (cape de

deuil, châle de deuil) donnée en 2004.

En 2009, treize objets ou lots ont été enregistrés. Sur l’un a été opérée une sélection (un lot de

plaques de verre), un autre a été restitué à son propriétaire (un lot de soldats de plomb déposé

en 1998), un autre enfin a été refusé en tant que collection mais est retenu comme matériel

d’exposition ou documentaire (une affiche).

Dans le registre des entrées pour l’année 2010, deux seuls objets ont été inscrits :

2010.X.1 : un poème manuscrit à Ermend Bonnad (compositeur bayonnais) de l’écrivain

Francis Jammes, qui avait déjà été inscrit « 09.X.13 », a reçu le 9 avril 2010 l’avis favorable

du « conseil scientifique » (comprendre la Commission Régionale d’acquisition) et est

désormais inscrit à l’inventaire sous le numéro « 2010.8.1 », ce qui signifie donc que sept

autres lots ont été inscrits à l’inventaire cette année là avant lui, notamment une soupière

(2010.1.1) achetée par la SAMB puis offerte au musée. L’autre entrée inscrite, 2010.X.2, est

la presse à pelotes (DCM 25/03/10, avis favorable de la Commission 09/04/2010, numéro

d’inventaire 2010.6.1). Fait notable, le numéro d’inventaire définitif n’a pas encore été reporté

sur l’objet (acte appelé « marquage »).

Ce registre des entrées n’est plus tenu à jour que très partiellement. Il est difficile d’évaluer

avec certitude ce qui est proposé au musée, accepté ou refusé par lui. Mais par le croisement

des données nous pouvons tout de même faire quelques constats.

Ainsi nous pouvons conclure qu’il s’agit surtout de dons, les achats étant exceptionnels et pas

motivés nécessairement par le conservateur du musée.

La majorité des objets sont d’ordre iconographique : des portraits, des paysages et des scènes

de vie (tableaux, fonds photographiques, albums, gravures, cartes postales) et des éléments

décoratifs (une soupière, les linteaux d’une maison). Les objets « ethnographiques » sont très

peu nombreux (une presse à pelote et un lot de moules à pelote, un lot de rabots), les objets

« historiques » aussi (un lot d’accessoires compléments de l’uniforme de l’amiral Bergeret

déjà présent au musée)67

.

67

Cette distinction entre des objets à « ethnographiques » et « historiques » est celle faite par le conservateur.

Nous y reviendrons.

Page 80: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

80

Un aspect intéressant de l’analyse des propositions de don est la raison pour lesquelles les

donateurs s’adressent au Musée Basque. La plupart lèguent leur propre portrait au Musée

Basque ou des souvenirs de famille.

« Et il y a cette idée justement qui est assez intéressante que les gens quand ils ont quelque

chose auquel ils tiennent mais ils pensent que ça / voilà ils appellent des fois le musée, c’est

vraiment dans l’idée que ça constitue justement cet héritage commun parce que c’est fait aussi

d’héritages particuliers, enfin de mémoires personnelles, mais qu’ils considèrent comme étant

valables pour l’ensemble de la communauté. » (Jacques, attaché de conservation).

D’autres les proposent en dépôt, dans un premier temps du moins.

« Justement le « dépôt » ça fait penser un peu au Musée Basque comme garde-meuble

familial ?

_ Alors justement on peut refuser ces choses-là. Récemment je viens d’écrire une lettre à la

signature d’Etchegaray euh une famille nous propose de prendre en dépôt un piano Payel de

1865 sur lequel on ne plus jouer parce que c’est un piano structure bois sans caisse métallique

et donc qui ne peut plus s’accorder mais cette famille trouve ça très encombrant mais ne veut

pas s’en défaire et nous demande d’être son garde-meuble sous prétexte que le présenter au

Musée, ce serait une pièce à présenter. Alors on a répondu non, que ça ne nous intéressait

pas, qu’on n’était pas un garde-meuble, enfin on a été plus poli mais on peut accepter des

objets si ils apportent un plus à nos / à notre exposition. » (Olivier Ribeton, conservateur)

Nous avons interrogé le dernier propriétaire de la presse à pelote sur les raisons de son don.

« Pourquoi j’ai donné au musée ? Parce que bon c’est vrai que euh je voulais laisser disons

quelque chose au musée. Euh je voulais quelque chose au musée… qui avait / parce que

j’avais été voir le Musée Basque et je voyais qu’il n’y avait pas de d’outils pour quoique ce soit

et bien sûr j’avais des collègues qui auraient voulu, d’ailleurs y en a un qui a regretté quand il a

su que j’avais donné au Musée Basque parce que justement il […] Lui il veut faire un genre de

musée de la pelote mais à / au Pays basque espagnol. Donc il aurait voulu m’acheter cette

presse et tout ça parce que il m’avait vu travailler dessus, lui étant donné que il s’est

industrialisé, il n’a pas tout ça. Mais pour faire un musée de la pelote, c’était nécessaire. Alors il

m’avait demandé des photos et tout ça de moi. Bon/ lui lui il aurait été intéressé, mais moi je

voulais laisser quelque chose au Musée Basque. Bon, c’est c’est voilà, comme j’ai travaillé en

face du Musée Basque, pour laisser une toute petite pierre de […] sur mon métier que j’ai

tellement aimé. Je voulais je voulais avoir / je je sais que … quand des années après, quand ils

auront un petit coin de/ sur la pelote, le Musée Basque doit avoir un coin sur la pelote, étant

donné que la pelote c’est quelque chose de spécifique au Pays basque en règle générale,

Page 81: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

81

donc sur la pelote donc voilà. Je voulais laisser donc un petit /c’est pour ça que je me suis dit /

on me disait « Ah tu vas pas donner ça au Musée Basque ?! » , « si j’ai envie de donner ça au

Musée Basque ».

_ Et pourquoi ils vous disaient de ne pas la donner au Musée ?

_ Parce que ils savaient que je pouvais la vendre.

_ Ah oui.

_ Voilà parce que là c’est un don que j’ai fait, je l’ai donnée. Je m’étais dit bon, c’est pas pour

gagner de l’argent que / un don, quand on donne quelque chose c’est un don, ce n’est pas

vendre. C’est pas la même valeur, pour moi en tout cas. Oh je suis content qu’il soit / mais bon

j’aimerais bien qu’ils le mettent quand-même dans un coin. Quand elle y sera, je vais aller le

voir et j’aurai une petite pensée devant cette machine, je vais me dire « ouh lala, toutes ces

heures que tu as passé à envoyer ce balancier pour … ». C’est sûr. » (Jean L., donateur).

En 2001, juste avant la réouverture du musée, une société de production avait été engagée par

le musée pour réaliser une série de quatre films. L’équipe était venue filmer Jean dans son

atelier. Ce film est toujours diffusé dans la salle de la pelote au Musée Basque, pour illustrer

la fabrication des pelotes. Donner cet outil au Musée Basque lui paraissait donc logique. Dans

ce cas précis, le don est à la fois motivé par un intérêt personnel et un intérêt collectif. Le don

a été accepté par le Musée Basque parce que l’objet s’inscrit pleinement dans une thématique

forte, la pelote, pour laquelle il n’y a pas d’outil exposé mis à part des moules justement.

Cette presse est un maillon indispensable à la fabrication traditionnelle des pelotes de cuir.

Cet outil est par ailleurs devenu très rare puisque cette fabrication est désormais de plus en

plus industrialisée (il reste deux fabricants-artisans et donc deux presses au Pays basque

nord), c’est peut-être la dernière opportunité pour le musée d’en acquérir une, et qui plus est

gratuitement. Elle n’a pas encore été présentée au public, pas même à l’occasion des

transformations apportées à la salle de la pelote dans le cadre de l’Agenda 10/10,

vraisemblablement à cause de sa taille « encombrante ». Elle a donc été déposée en réserves,

en deux parties.

Un autre cas s’est présenté, d’un artisan prenant sa retraite et qui a apporté à l’accueil du

musée une caisse de rabots. L’ébéniste du musée (Philippe) a signalé au conservateur qu’il y

en avait déjà plusieurs dans les collections du musée, et en meilleur état qui plus est. Il en a

conservé quelques uns pour son atelier (ces rabots sont donc devenus « matériel

d’exposition ») et a procédé avec le propriétaire à la destruction des autres.

Page 82: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

82

« Et les rabots, pourquoi vous les avez refusés ?

_ Parce qu’on en avait déjà, là on a demandé l’avis à notre menuisier Philippe qui nous a dit

qu’on n’en a pas beaucoup mais ça n’apportait pas grand-chose de plus. Je crois que certains

auraient été peut-être intéressants, mais faire la séparation là on en garde deux ou trois et on

renvoie une vingtaine à nouveau chez l’expéditeur, ce n’est pas toujours évident. C’est ça le

problème.

_ Les gens le prennent mal quand on refuse leur don ?

_ Bien ils reprennent tout. Ils peuvent le prendre mal oui. C'est-à-dire qu’il faut leur expliquer

qu’on ne peut pas le recevoir pour telle raison, telle raison, telle raison. Ils le prennent mal si

vous leur dites « je prends ça mais je vous laisse le reste », c’est plus difficile à expliquer, ça

peut s’expliquer mais c’est plus difficile. […] C’est pas très/ parce que il y a le côté mémoire

qu’on laisse partir, patrimoine qu’on laisse partir et le fait qu’on n’est pas certain d’être bon juge

de ce qu’il faut garder et pas garder. Parce que… C’est comme l’art contemporain, on saura les

artistes qui vont survivre dans cinquante ans ou cent ans, on n’a pas toujours le bon jugement.

Alors il faut être capable de prendre des décisions et d’affirmer un choix. Voilà. Ça c’est un

autre problème. » (Olivier Ribeton, conservateur).

Dans certains cas, les réserves peuvent se retrouver encombrées, par exemple si le donateur

exige que l’intégralité de sa collection soit acceptée. Ainsi, dans les réserves du Musée

Basque se trouve une collection de poupées. Certaines ont été fabriquée dans une usine

Biarritz, parmi elles un certain nombre sont vêtues de costumes locaux. Mais le musée a dû

aussi en accepter d’autres, telle une figure de Musclor68

dont la pertinence dans ses collections

n’est pas perçue, du moins pour l’instant. Un autre ensemble contesté est celui d’un lot de

perruques. Ces deux collections ne sont pas encore passées devant la Commission Régionale

d’acquisition.

« Il y a des dons justement que vous avez refusé et regretté aujourd'hui ?

_ Non je crois pas, non je ne crois pas, c’est plutôt l’inverse, je regrette d’avoir accepté certains

dons, que j’aurais dû refuser. Enfin, que j’aurais dû / il y a deux dons qui nous posent problème,

mais c’étaient des collections entières. Il y a une collection de poupées, le prétexte c’est une

femme qui avait fait collection de poupées toutes sa vie, qui voulait ouvrir son musée de la

poupée à Ainhoa oui ou Ascain, non c’était plutôt à Ascain et qui est morte et qui nous a légué

toute une collection, dont la justification pour la faire entrer au musée c’est qu’il y avait une

bonne partie qui provenait d’une usine de Biarritz, qui fabriquait des poupées et qui ferme en

1960, et il y a des poupées basques avec la mascarade souletine, avec toutes sortes de sujets,

même les toreros si on veut, enfin il y a des sujets basques, il y a des sujets tauromachie, puis il

y a des sujets divers. Mais quelque part c’est un don qui n’était pas assez spécifiquement lié au

68

Personnage de Les Maitres de l’univers, licence Mattel, créée en 1981.

Page 83: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

83

Pays basque, il aurait fallut ne garder que les poupées provenant de cette usine de Biarritz, et

encore dans cette usine de Biarritz soit on traitait la sociologie de l’usine et on prenait tout ce

qu’elle avait produit soit on ne gardait que les poupées basques créées par cette usine bon

mais ça… ça se comprenait moins bien que le témoignage de l’usine. Et après la collection

rajoutée par la collectionneuse… c’était pour ne pas disperser une collection donc… donc ça a

une valeur de collection en soi. Mais quelque part si quelqu'un voulait ouvrir un musée de la

poupée ici et même il y a des musées de la poupée ailleurs en France, ce serait un peu logique

qu’on la dépose ailleurs.

_ Et à ce moment-là la faire déclasser ou elle n’a pas été classée ?

_ Elle n’a toujours pas été classée, elle n’a toujours pas été présentée donc effectivement elle

est en devenir, elle est là depuis longtemps et elle attend.

_ Justement, elle est entrée quand ?

_ C’est rentré quand le musée était encore à Dagourette en plein travaux, donc je pense qu’elle

a dû rentrer dans les années 90-95.

_ Et c’est pour ça que vous attendez avant de la faire passer en commission ?

_ Voilà. D’une part oui et non, c'est-à-dire que d’abord il y a l’inventaire de la collection qui est

difficile parce qu’on a commencé et on s’est arrêté donc actuellement je ne peux pas présenter

une liste complète, je n’ai qu’une partie, ça c’est un autre problème. L’autre point/ alors l’autre

exemple c’est une collection de coiffeur-perruquier de Bayonne, la famille Mauhorat. Alors c’est

intéressant parce que j’ai leur livret et leurs archives où ils commencent comme perruquiers,

coiffeurs-perruquiers cinq générations donc pour l’histoire de Bayonne aussi c’était très

important et alors il y a des outils, dans le prochain Bulletin du Musée, le prochain objet

mystérieux vient de cette collection. Les outils sont je pense intéressants à rentrer comme

collection de musées, les documents aussi, c’est à la fois l’histoire de l’artisanat bayonnais et

l’histoire et en plus ça a été le coiffeur-perruquier de l’Infante d’Espagne quand elle venait ici,

donc il y a des courriers, il y a des choses assez étonnantes mais en plus il y a une collection

de perruques parce que c’était le perruquier aussi du théâtre de Bayonne et on a les perruques

de tous les costumes depuis le XIXe siècle donc on doit avoir des centaines ou cinq cent

perruques. Alors là d’abord moi j’ai un rejet physique face à de faux cheveux [rire] ou à des

cheveux remontés et ensuite à gérer ce n’est pas très très évident. Donc là c’est une collection

à mi-chemin parce que les perruques, qu'est-ce que c’est ? Est-ce que c'est… c’est le métier de

perruquier bien sûr mais c’est aussi pour le théâtre de Bayonne voilà donc. Et puis c’est

tellement grand comme collection que bon ça posait problème. On aurait des réserves

impeccables, assez grandes et des endroits où on puisse faire des inventaires facilement et

après les réutiliser, les prêter dans un cadre ou dans un autre, ça serait intéressant et en même

temps le musée est trop petit pour que je fasse une salle consacrée au coiffeur perruquier de

Bayonne. A la rigueur une vitrine, et où ?

_ Et là celle-ci c’est pareil, elle n’a pas été présentée en commission régionale ?

_ Non toujours pas. Mais on a commencé à lui mettre des numéros d’inventaire. » (Olivier

Ribeton, conservateur).

Page 84: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

84

La gestion des entrées et des acquisitions est plus aisée lorsque les objets arrivent

individuellement. Lors de fonds ou de lots importants, l’équipe de conservation doit d’abord

les inventorier, ce qui prend du temps. Le conservateur établit donc des priorités. Si un objet

lui semble très pertinent, celui-ci peut même rejoindre directement la collection permanente,

sans passer par les réserves. La vitesse du processus d’acquisition témoigne de l’intérêt

accordé par le conservateur aux objets. Une autre marque de cet intérêt est la démarche de

régularisation d’un don (exemple le fonds pelote Saint-Pastou, une sculpture de Basterretxea),

il s’agit alors de s’assurer d’avoir tous les documents et accomplit toutes les démarches pour

qu’un don ne puisse plus être contesté (par exemple par des héritiers du donateur).

Nous en venons donc à considérer les objets en prêt, dont on ignore l’identité du propriétaire

(décédé dans la plupart des cas), mais dont les ayant-droit sont susceptibles de se manifester

un jour. Le premier cas auquel nous pensons spontanément est celui de la spoliation des

familles juives par les nazis. A l’occasion de la Nuit Européenne des Musées 2012, la DRAC

Aquitaine a demandé aux musées où l’Etat a déposé certains de ces objets, de monter une

exposition en lien avec la thématique régionale « L'art victime de la guerre, spoliations et

MNR (Musées nationaux Récupération) en Aquitaine ». Le Musée Basque, qui conserve un

de ces Objets d’Art Récupération (OAR), a alors profité de l’occasion pour faire restaurer

cette tapisserie intitulée Trois groupes de femmes, exposée dans la salle du costume et de

l’artisanat.

« Datée du XVIe siècle, cette tapisserie anonyme est exposée dans la salle consacrée aux

vêtements régionaux. Les sept femmes qui y sont représentées illustrent parfaitement la mode

de l'époque. Deux d'entre elles portent le cheveu très court, à la manière des vierges et des

femmes célibataires du XVIe siècle. Quatre femmes sont représentées coiffées d'un turban

cornu : « Les cornes de ces coiffes sont droites pour les femmes mariées et tombantes pour les

veuves », s'amuse Olivier Ribeton. Au XVIIe siècle, voyant dans les cornes un symbole viril

trop évident, l'Eglise s'opposera au port de telles coiffes... Les costumes traditionnels revêtus

par ces six femmes laissent penser qu'elles sont issues de la province basque du Guipuzcoa.

Quant au septième personnage, il représente une Landaise de Mont-de- Marsan, au costume

beaucoup plus sobre. L'itinéraire de cette tapisserie anonyme n'a pu être reconstitué qu'à partir

de 1941, date à laquelle Hermann Göring en a pris possession. Saisie quatre ans plus tard par

l'armée américaine, elle n'est arrivée à Paris qu'en 1954 et inscrite dans l'inventaire Objets

Page 85: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

85

d'art récupération (OAR). Elle a ensuite été confiée au musée du Louvre qui l'a récemment

placée en dépôt au Musée basque. » 69

Elle devrait prochainement rejoindre son emplacement dans l’exposition permanente du

Musée Basque et faire l’objet d’une opération de valorisation auprès du public à l’occasion de

la Nuit Européenne des Musées (le 19 mai 2012), ce qui ravit le conservateur car en la

démontant, les restaurateurs ont constaté qu’elle est en fait une recomposition à partir de

diverses pièces, ce qui la rend aussi techniquement originale.

Outre les spoliations opérées par les nazis (cas pour lequel l’identification des héritiers et la

possibilité d’une restitution sont unanimement acceptées et même encouragées), le Musée

Basque détient aussi des objets ou des œuvres prêtés par des personnes non identifiées, dans

la première moitié du XXe siècle, qui n’ont donc pas rédigé de lettre de donation ou stipulé un

legs dans leur testament.

A partir de l’examen des dons actuellement en cours d’acquisition, le conservateur nous

dévoile partiellement les critères qui président à ses choix. Le don est jugé intéressant si par

exemple il vient compléter un fonds ou un thème du Musée Basque. La rareté et l’esthétique

sont aussi des critères de sélection. La valeur documentaire, est également considérée. En ce

qui concerne la communauté juive de Bayonne, à qui une salle est consacrée au musée, il

s’agit de présenter les membres qui ont joué un rôle politique, économique ou philanthropique

significatif dans l’histoire de la ville.

« Il y a des objets en ce moment en délibération ?

_ Oui, il y en a beaucoup. Il y a le complément de l’uniforme de l’Amiral Bergeret, qui se

compose d’épaulettes, de baudriers, de boutons d’uniforme, proposé par la famille Roquebert

qui est descendante de l’Amiral Bergeret, qui avait déjà donné l’uniforme entier sans les

accessoires déjà en 1930, puis les rames, les épées, enfin plein de choses, et le portrait qui est

exposé au musée, donc ça ça complète quelque chose qu’on a déjà, ça ça ne pose pas de

problème. Euh une affiche des fêtes de Bayonne, des premières affiches, de 1935… ça on ne

l’avait pas et c’est un objet rare parce que c’est assez fragile et il n’y en a pas beaucoup qui ont

survécu.

_ Et vous avez une collection d’affiches…

_ Et on a une collection d’affiches importante donc ça ça ne devrait pas faire de problème. Alors

l’année dernière on a rentré beaucoup d’objets liés à la communauté juive de Bayonne, on a

rentré les gravures des fêtes juives de Bernard Picard publiées à Amsterdam en 1720 qui sont

exposées en ce moment, on a rentré deux portraits « Auguste Furtadu » par Hélène Feillet ;

69

« Visite au Musée basque », par Pascal Mateo, Le Point, 28/11/2003.

Page 86: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

86

une peinture, le premier maire juif de Bayonne, Camille Delvaille, le Docteur Delvaille qui a joué

un grand rôle philanthropique à Bayonne aussi à Saint-Esprit ; le portrait de l’épouse de Camille

Delvaille par Hélène Feillet, un dessin, un très joli dessin époque second Empire. Ça, ça

complète un fond qu’on a sur la communauté juive de Bayonne. Ensuite… pff il y a des plaques

photographiques qui nous ont été données par les grands magasins du Printemps qui ont été

propriétaires du Bazar central de Bayonne, à l’endroit où vous avez l’enseigne Virgin. Et

malheureusement les plaques de verre soit disant stéréoscopiques qu’ils nous envoient, qu’ils

nous donnent, ce sont des photos sur plaques de verre de tirages papier donc ce ne sont pas

des vrais clichés stéréoscopiques, c’est curieusement une façon de reproduire récente, mais ...

l’intérêt c’est qu’elles montrent des images qu’on n’a pas des deux façades du bazar, […] Et ce

qui est intéressant, c’est qu’il y a la façade du magasin, puisque c’est un magasin qui traverse

l’immeuble et qui aboutit rue Victor Hugo et là il semble que ce soit une façade Benjamin

Gomez, on n’en a pas la certitude mais Evelyne Bacardatz qui a beaucoup travaillé sur le fonds

Gomez pense que c’est bien Benjamin Gomez. Donc même si l’objet n’est pas un objet rare et

unique, il est intéressant par ce qu’il représente, donc on va le présenter pour ça.

_ Il a un intérêt documentaire ?

_ L’intérêt documentaire. Et dans l’intérêt documentaire le mot magique c’est Benjamin Gomez,

pour lui donner un label. Jacques avait rentré une presse à pelote basque qu’on n’a toujours

pas exposée. Pour l’instant, sur un certain nombre de choses, on est un peu en stand by dans

les présentations des salles… » (Olivier Ribeton, conservateur).

Une dernière question intéressante révèle l’orientation privilégiée par le conservateur, à savoir

la peinture.

« Est-ce qu’il y a un objet que vous rêvez depuis que vous êtes là d’acquérir, que vous n’avez

jamais eu l’occasion de voir passer sur le marché soit acheter soit sur les dons ?

_ J’ai vu passer beaucoup de choses sur le marché que j’avais envie d’acquérir, que je n’ai pas

pu acquérir ; il y a eu beaucoup de vues de Bayonne, parfois par des artistes réputés… il y a eu

des peintures régionalistes dont le sujet était très intéressant que je n’ai pas pu acheter… euh

et puis comme j’ai ma spécialité maintenant liée au portrait, j’ai eu la chance de pouvoir, ça fait

rire beaucoup de gens au musée, d’acheter le premier portrait de Marianne de Neubourg,

peinte par Robert Jance, un artiste pour lequel j’ai fait un catalogue qui est publié dans les

Cahiers d’histoire de l’art de 2010, que je peux vous montrer, il est à côté. Et à cette occasion

j’ai rencontré dans les collections privées beaucoup de tableaux.» (Olivier Ribeton,

conservateur).

Il semblerait que les acquisitions désormais concernent surtout des tableaux, portraits, de

l’iconographie, des photographie, affiches. Cela s’explique par le goût et la spécialisation du

conservateur mais pas seulement. Les propositions de dons d’objets « ethnographiques » sont

Page 87: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

87

très rares. Soit que ces objets ont disparu des maisons, soit que les familles ne souhaitent pas

s’en séparer. Cela entretien l’idée que les témoins matériels de la culture basque traditionnels

sont déjà tous présents au musée et que de nouveaux dons constitueraient des doublons.

Après consultation de la Commission d’acquisition et acceptation par la Ville de Bayonne,

l’objet est inscrit à l’inventaire du musée. Le Musée Basque a abandonné en 1993 les

inventaires papier au profit exclusivement d’un inventaire informatisé. Un objet peut rester en

réserves pendant des années avant ces démarches.

L’inventaire est composé de dix-huit colonnes (formulées par George-Henri Rivière, à

l'attention des conservateurs des musées classés et contrôlés) que le conservateur doit remplir

du mieux possible en fonction des informations dont il dispose.

2. Protéger les collections

Lorsque le Musée inscrit un objet sur son inventaire il s’engage à le conserver dans des

conditions sanitaires et de sécurité optimales.

Au moment de la création de ces réserves, pendant la fermeture du musée, des choix

significatifs ont été faits. Pendant les travaux, tout le musée (la Maison Dagourette) a été vidé.

Vers l’aile nord du Château-Neuf ont été transférés les bureaux et les réserves (papiers,

peintures et petits objets) ; vers l’aile ouest les objets non encore traités. Les objets les plus

encombrants ont été remisés dans des garages. A ce jour, ces objets encombrants ont été

déménagés dans quatre garages, dans des conditions de conservation toujours insatisfaisantes.

Le conservateur a évoqué les « objets les plus précieux », qu’il a souhaité faire transférer au

Château-Neuf, afin de les prémunir notamment du vol. Les choses les plus encombrantes étant

supposées plus difficiles à dérober, même si toutefois un bateau de cinq mètres a « disparu ».

Selon lui, à ce moment là, les « choses les plus précieuses et petites », ce qui avait « de la

valeur », c’était les papiers, les peintures et le mobilier, le médaillier (monnaie), la collection

pelote basque (car dépôt de l’Etat).

« Le côté préventif ça a été lorsqu’on a aménagé les réserves du Château-Neuf, on a décidé

qu’elles seraient aménagées de façon à permettre l’entretien le mieux possible et d’assurer un

équilibre climatique, que ce soit au niveau température ou au niveau hydrométrie. Alors par

exemple c’est comme ça que pour illustrer j’ai assisté à des polémiques entre ceux qui

conseillaient la climatisation générale des collections en réserve et ceux qui disaient que c’était

une erreur parce qu’un infestation qui commence à un endroit, avec une climatisation se

propage partout ailleurs donc au final on a décidé de faire des blocs étanches de salle de

Page 88: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

88

réserve à salle de réserve et on a essayé du mieux possible dans la difficulté d’avoir un

bâtiment préexistant, inscrit Monument Historique, de s’inscrire donc dans ses murs pour avoir

une salle matériaux mobilier, une salle matériaux lapidaires, une salle matériaux papier, une

salle matériaux textile, alors là on a un peu loupé puisque c’est à côté des papiers, et une salle

matériaux composites, une salle matériaux peinture je l’ai peut-être dit, et matériaux composites

c’est essentiellement les petits objets. » (Olivier Ribeton, conservateur).

En 2011, une partie des collections a encore déménagé. L’entrepôt dans lequel elle était

« stockée » a été vendu et elle est donc retournée dans son entrepôt précédent. Dans les autres

cas, ce sont des dégâts des eaux et un incendie qui ont imposé les transferts (une partie de la

toiture du Château Neuf où étaient installés les livres a été fortement endommagée en 2009 ;

les entrepôts annexes ont « les pieds dans l’Adour »). Une autre réserve insolite se situe dans

le parking sous-terrain Sainte-Claire : des boulets sont exposés apparemment au seul motif

qu’il fallait bien les mettre quelque part.

2.1. La conservation préventive et curative70

Pendant la fermeture du musée, de gros moyens financiers et humains avaient été mis en place

pour assurer la conservation préventive et curative.

« Comment vous êtes-vous formé à ces tâches de conservation ?

_ Sur le tas et avec l’aide surtout d’une attachée de conservation qui a été recrutée assez vite,

je pense qu’elle a été recrutée en 1995, oui 94 ou 95, […] qui était diplômée de l’Ecole de

Mulhouse euh et qui maitrisait très bien toute ce côté très pointu des techniques. Voilà. Et en

fait c’est sur le tas qu’on a beaucoup appris avec l’arrivée de tous les experts qui nous faisaient

de gros rapports à chaque fois. » (Olivier Ribeton, conservateur).

A la réouverture, et surtout avec le départ de la première attachée de conservation, le

« chantier » a quelque peu été laissé à l’abandon. Les agents formés à des tâches de

conservation ont pour la plupart été assignés à la surveillance des salles d’exposition et à

l’accueil du public. C’est un des points faibles identifiés par l’équipe du musée elle-même,

mais qui n’a pas retenu l’attention au moment de l’audit de 2005.

70

Agnès Levillain, Philippe Markarian, Cécile Rat, Philippe Mairot et al. La conservation préventive des

collections. Fiches pratiques à l’usage des personnels des musées. Dijon/Besançon : OCIM, Musées des

Techniques et Cultures comtoises, 2002, 92p.

« Regard sur la conservation préventive dans les Musées de France », Lettre de l’OCIM, n°138, novembre-

décembre 2011.

Page 89: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

89

2.2. La restauration

Il n’y a pas de restaurateur dans l’équipe du Musée Basque. Il fait donc appel à des

professionnels extérieurs, ponctuellement, en fonction des nécessités et des opportunités de

subvention.

« Alors il n’y a que récemment, grâce à la tempête de janvier 2009 qu’on a pu enfin restaurer un

portrait du Maréchal de Gramont, du dernier Gramont mort à Bayonne en 1675.

_ Il a été abîmé ce tableau pendant la tempête ?

_ Ouh ! Horrible j’ai des photos impressionnantes, si ça vous amuse.

_ Ce n’était pas une restauration qui avait été prévue avant ?

_ Si elle avait été prévue avant, mais la ville ne voulait pas payer ; j’ai un devis de 1999-2000

pour restaurer ce tableau, la Ville n’a jamais voulu le payer. On l’avait laissé dans nos réserves

là-haut et la tempête l’a inondé et comme l’assurance a payé plus de 90% de la somme on l’a

fait restauré.

_ Donc tout ce que vous voulez faire restaurer, il faut le mettre sous les toits…

_ Voilà. Quelque part [rires] c’est monstrueux mais on peut… on peut peut-être voir les choses

comme ça. » (Olivier Ribeton, conservateur).

Fort heureusement, début 2012, la réparation du toit du Château-Neuf est en cours.

Une restauratrice spécialisée dans le traitement des supports photographiques et agréée pour

travailler sur des collections Musées de France, a séjourné une semaine au Musée Basque en

décembre 2011 pour établir un diagnostic sur le fonds Aubert et Ocaña. Ce fonds aurait passé

une dizaine d’année en « déserrance » (dans les réserves de la Bibliothèque municipale),

avant d’être « récupéré » par le musée en mars 2011. Il est composé d’environ 20 000 plaques

de verres, de cartes postales et de près de 3500 tirages, soit plus de 30 000 pièces, le tout

fortement touché par l’humidité. Cette estimation a été faite en calculant le métrage, elle est

ainsi globale car différentes épaisseurs peuvent se présenter dans un même fonds. 5% des

boites renfermant des plaques ont été ouverts pour établir une moyenne.

Son constat d’état indique que l’urgence consiste à se débarrasser des nitrates qui apparaissent

lors de la dégradation des photographies et peuvent être cancérigènes. Il conviendrait aussi de

supprimer les négatifs, supports souples en nitrate de cellule dégradé (il n’y a plus d’image).

En effet, certains supports sont devenus instables et s’autodétruisent en libérant des acides et

contaminant les autres. L’idéal serait alors de les réfrigérer à une température inférieure à cinq

degrés. Certains ne sont qu’au premier stade de dégradation, ils commencent à sentir et

gondoler, d’autres en sont déjà au second, ils commencent à coller.

Page 90: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

90

Le musée n’a pas le budget nécessaire pour qu’elle réalise elle-même le travail de nettoyage et

de traitement. Il a alors été envisagé (proposition contestée par certains agents) qu’elle forme

une partie de l’équipe aux tâche de dépoussiérage, de nettoyage et de reconditionnement, qui

pourrait s’y adonner quelques demi-journées par mois.

Par ailleurs, la Ville de Bayonne revient à nouveau sur l’idée de réserves communes à ses

trois musées. Un projet d’architecte est en cours d’examen.

2.3. La régie des collections

Le CNFPT71

définit le poste de régisseur des collections comme celui qui : « Coordonne, aux

plans physique, documentaire, administratif, juridique et financier, les mouvements internes et

externes des œuvres. ». Pourtant, les « activités et tâches du poste » confiées à Alain sont

moins étendues que celles identifiées par le CNFPT. Il est un cas typique de polyvalence. Il

« assure, sous le contrôle du conservateur adjoint, la régie des collections du musée ;

coordonne les montages / démontages des expositions ; gère la photothèque » (fiche de poste).

Portrait : Alain, régisseur des collections

Entré au Musée Basque en 1982, à l’âge de 22 ans, il avait alors une formation de topographe

« donc aucun rapport avec le musée, la culture ». Il venait de passer dix-huit mois en Guyane

(service civil) en tant que géomètre, pour monter des fermes. A son retour en France il n’a pas

trouvé d’emploi dans le bâtiment.

« C’est la vie privée qui a commandé de rester ici. Donc j’ai pris ce qu’il y avait pour travailler,

pour gagner ma vie, c’est tout. […] Et je suis rentré provisoirement au Musée Basque, pour

m’occuper de la bibliothèque. Ça a été un pur hasard. […] Et puis après, une chose, une

autre… »

Il ne sait pas si il y avait d’autres candidats. Il pense que maintenant « ça ne marcherait plus »

car il n’a pas de diplôme dans ce domaine. Il était « parti » pour être géomètre, il a continué

de chercher un emploi dans son domaine ; le soir il a travaillé un certain temps chez un privé

« pour garder la main ». « Là j’ai laissé tomber depuis un moment. Si, j’ai calculé des fois

pour des expo. ».

71

CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale.

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91

Il s’est formé peu à peu avec l’aide du directeur de l’époque (Jean Haritschelhar) et de son

assistant (Manex Pagola). N’étant pas bascophone, il a éprouvé quelques difficultés puisque la

bibliothèque était en grande partie composée d’ouvrages en langue basque. Son travail

consistait à recevoir les gens, classer, ranger, chercher les nouveaux livres à acquérir, faire des

recherches. C’était avant l’arrivée de l’informatique, il y avait donc des cahiers d’inventaire à

remplir. Peu à peu, comme Jacques et d’autres, il a développé son champ d’action. Il

s’intéressait à titre privé à la photographie. Il a donc commencé à photographier les objets de

la collection.

« A quelle occasion tu as changé de poste ?

_ A un moment donné [vers1984-85] on a commençait à rentrer des films, 8 mm, 16mm et il

fallait quelqu'un pour s’en occuper et personne ne voulait s’en occuper donc on avait du

matériel, des projecteurs. Comme ça m’intéressait, tout ce qui est image, photo ça m’intéresse.

Donc j’ai dis « bien moi je vais m’en occuper ». Donc ça a commencé comme ça, tout

doucement, je faisais la bibliothèque, plus on faisait des projections une fois par semaine, le

soir au musée. Donc j’ai classé les films et me suis occupé des projections. […] Après il y a eu /

bon il fallait quand-même faire des photos aussi, donc, personne ne voulait faire des photos

non plus au musée, donc moi j’aime bien la photo, je fais de la photo perso. J’ai commencé

avec mon appareil. Pour les fiches d’inventaire. Et il a fallut des photos pour les architectes

pendant la fermeture. […] Tout ce qui était matériel un peu moderne, un peu récent, c’était /

comme j’étais le plus jeune c’était pour moi et puis personne ne voulait le faire, parce que à

l’époque on était que dix ou onze au musée. Il fallait quelqu'un et puis moi ça me plaisait

aussi. »

Ensuite Marie-Hélène est arrivée pour s’occuper de la bibliothèque et il lui a progressivement

laissé la place.

« Et puis je me suis consacré quasiment que à la photo parce que il fallait que j’en fasse, j’en

fasse. Photo et traitement d’objets parce que le musée fermé il a fallut commencer le traitement

des objets aussi. »

« Tout ce qui était xylophène, pulvérisation, on s’était tout tapé avant avec un ancien gardien.

Puis ici traitement par anoxie au gaz carbonique dans des tentes. »

De nouveaux agents ont été recruté vers 1993-1995, puis tous les six ont déménagé en 1998

toute la collection au Château-Neuf. En 2001, à la réouverture du musée, « tous les gars sont

redescendu au gardiennage », lui aussi mais seulement le week end. Trois autres jours de la

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92

semaine, il s’occupait de l’informatisation des collections. Puis il a réussi à quitter son poste

de surveillant pour se consacrer exclusivement aux collections.

« J’en avais un peu marre aussi d’avoir à faire au public, les bouquins c’est sympa mais le

public ce n’est pas ce que j’aimais le plus. Après avec la photo je me suis bien amusé. »

En 2007, il est devenu par promotion interne « assistant de conservation première classe »

(catégorie B), il a suivi la formation mais n’a pas eu à passer le concours. Désormais, il

s’occupe « surtout de la numérisation des collections ».

« La régie des collection elle se fait presque naturellement, c’est pas mon job. Sur ma fiche de

poste ils ont mis « régisseur des collections » mais ce n’est pas vraiment mon / c’est un métier

régisseur des collections. Moi je fais « office de », je le fais mais ce n’est pas vraiment mon

boulot. […] J’ai des tâches de régisseur mais je ne le suis pas vraiment. Si je devais faire

régisseur il faudrait que je ne fasse que ça, il faudrait que je ne m’occupe que des collections, je

n’ai pas le temps de ne m’occuper que de ça, il y a d’autres choses à côté.

_ Et le régisseur il fait quoi ?

_ La surveillance sanitaire de tous les objets, après c’est le suivi des œuvres dans les

mouvements de collection, pour l’emballage, faire attention à tout ça, gérer toutes les réserves

intérieures, extérieures, tout ce qui entre tout ce qui sort. […] le montage d’exposition,

mouvement des œuvres, accrochage. »

Il a suivi quelques formations avec le CNFPT, « J’ai fait des formation de photo surtout,

vidéo et une formation de régie aussi de mouvement de collection, transport d’œuvre. »

Il s’occupe aussi du nettoyage d’objets lorsqu’ils vont être exposés, pour la réouverture de la

salle anciennement intitulée « Des idées et des hommes » il a notamment deux maquettes à

nettoyer. Pour la salle agropastoralisme, il a passé une journée entière sur le gros pressoir.

« C’est pareil, c’est des choses qu’il faut faire et il n’y a personne pour le faire. Celui qui

veut, qui peut, qui s’y connait. ». Quand l’activité est un peu plus calme, pendant deux ou

trois jours il s’attaque au nettoyage des réserves, « pour que les objets soient dans un

environnement sain ». Même si « On n’est pas assez nombreux, on n’a pas le temps. Dès

qu'on a un petit moment on s’y met, Philippe aussi, aspirateur et masque et pendant deux

jours on ne le voit pas. »

Aucune autre métier exercé au musée ne l’intéresse particulièrement, il apprécie beaucoup le

sien.

Page 93: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

93

« Moi je circule beaucoup, je fais aussi les photo des animations, quand il se passe quelque

chose au musée, donc je circule pas mal, c’est ça qui est intéressant, c’est assez varié. Je fais

un peu d’encadrement aussi quand il y a besoin. Pour encadrer des gravures pour une expo.

Quand ils ont besoin de faire des flyers ou des choses comme ça, je m’occupe aussi de mettre

en forme le programme avec Photoshop. […] Plus des journées en réserves à photographier,

puis les traiter, j’essaie de tout faire dans la foulée parce qu’après on se perd. Recadrer, traiter

la couleur, c’est pas grand-chose, j’en fais plusieurs, j’essaie de prendre la meilleure. Je les

stocke sur le réseau et après on les passe sur ActiMuséo si la fiche est créée. »

Il traite de plus en plus de demandes photo pour des revues, des livres, etc., au moins deux ou

trois demandes par jour.

« C’est de plus en plus des demandes précises, ils voient ce qui est en ligne sur le site web.

Souvent des tableaux. […] Ce peut être payant, c’est le directeur qui décide, il y a des droit à

payer derrière. »

Il travaille souvent avec Marie, chargée du récolement. Cette collaboration permet d’éviter de

manipuler plusieurs fois l’objet : « l’objet on y revient plus après ». Nous avons eu l’occasion

de les suivre en réserves. Alain muni de gants manipule les objets pendant que Marie remplit

la fiche papier. Le travail d’équipe est plus rapide. Et c’est l’occasion pour eux d’eux de

partager leur savoir, celui de Marie est plus théorique, celui d’Alain plus pratique. L’échange

professionnel est intéressant et agréable.

Alain travaille aussi avec le conservateur, « dès qu’il y a des problèmes sur les objets ; il me

demande beaucoup de photos aussi » pour des publications. Avec l’attaché de conservation

c’est davantage pour le montage d’exposition ou « pour du scan, surtout des photos aussi ».

Avec le directeur « c’est surtout pour le réaménagement des salles : qu'est-ce qu’on met ?

où ? comment ? est-ce qu'on peut ou pas… ». Enfin, il collabore avec « Philippe qui crée les

meubles, ensuite on fait le montage ensemble. »

Un des savoir-faire importants à ses yeux est la manipulation des objets.

« La manipulation des objets c’est du savoir-faire aussi, appris au fur et à mesure, mais aussi

grâce à des stages. Manipulation en fonction de la matière, de la fragilité, comment l’emballer,

le transporter. »

Même s’il ne parle pas et ne pense pas à son travail une fois hors du musée, son intérêt pour

les objets reste présent.

Page 94: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

94

« Est-ce que tu as des objets, chez toi, qu’on peut retrouver au musée ?

_ Oui, une bassine noire, un chauffe-lit, des choses comme ça, la montre du berger. »

Il a aussi trouvé « des vieux meubles en brocante », « soit ça vient de famille, soit c’est des

choses que j’ai achetées, soit c’est des choses qu’on m’a offertes », par exemple un makila

offert par l’équipe du musée à l’occasion de son mariage. Exception faite des meubles, il ne se

sert pas de ces objets, ils sont plutôt exposés.

« Moi tous les objets m’intéressent [rire] le moindre petit instrument de cuisine, tous les vieux

objets m’intéressent, je suis assez brocante et compagnie. Même les tableaux j’aime bien. »

Sans être un passionné des musées, il en visite régulièrement, surtout au cours de ces voyages.

Par exemple, il va de temps en temps à Paris, où il a visité notamment le Musée du Quai

d’Orsay et le Musée du Quai Branly.

« Et quand tu visites un musée, tu penses à ton musée, au Musée Basque ?

_ Oui oui c’est sûr quand je vois des choses… tu fais des rapprochements. Moi je regarde

surtout la technique, première chose souvent [rire] la technique d’accrochage, la technique de

présentation, je regarde surtout ça, je critique un peu parce que finalement on se dit « bon on

n’est pas mauvais » même dans des beaux musées, comment c’est accroché, comment c’est

mis, on se dit qu’on n’est pas mauvais.

_ Et ça t’inspire parfois ?

_ Oui bien sur, bien sur, ça va dans les deux sens. Je regarde, si c’est un tableau je ne touche

pas mais j’essaie de regarder derrière comment c’est fait. Première chose que je regarde c’est

ça, après je regarde bon le musée m’intéresse. Je regarde souvent un peu la technique. [ ...]

parce que des fois ici on a des problèmes, on ne sait pas comment il faut faire, on bataille, les

autres sils ont la solution toute bête des fois donc il suffit de la voir et puis après on applique. »

3. Connaitre les collections

La bonne tenue de l’inventaire est indispensable à l’identification du contenu des collections,

comme nous l’avons vu, celui du Musée Basque n’est pas parfaitement à jour. Sa

numérisation, par le biais du logiciel de gestion des collections de musée, ActiMuséo, est en

cours. Les notices sont destinées à être mises en ligne ensuite sur la base Joconde, le portail

des collections des Musées de France. Actuellement celle-ci propose 170 notices d’objets

conservés au Musée Basque. L’objectif est de rendre ces notices accessibles au public,

Page 95: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

95

chercheurs et autres musées (pour des prêts par exemple). Sur le site Internet du musée plus

de 6000 notices sont consultables, certaines regroupées par rubriques : photothèque (3403),

Pablo Tillac (457), pelote (97), activités maritimes (97) et fluviales (248), agropastoralisme

(96).

3.1. Récolement et numérisation de l’inventaire

Le récolement est une obligation pour les musées labélisés Musées de France. C’est une

« opération qui consiste à vérifier, sur pièce et sur place, à partir d’un bien ou de son numéro

d’inventaire : la présence du bien dans les collections, sa localisation, l’état du bien, son

marquage, la conformité de l’inscription à l’inventaire avec le bien ainsi que, le cas échéant,

avec les différentes sources documentaires, archives, dossiers d’œuvres, catalogues »72

.

Au Musée Basque, Marie a été spécifiquement engagée pour mener ce chantier ; elle est

assistée d’Alain. Elle n’est pas habilitée à porter des modifications sur les inventaires par

exemple, ou à ordonner des interventions de traitement ou de restauration. Elle transmet donc

ces informations et rend compte de l’avancée de son travail, des difficultés ou surprises

rencontrées au conservateur ou à l’attaché de conservation.

Portrait : Marie, chargée de mission de récolement

Marie a 29 ans, elle vit à Briscous (un village du Bas-Adour, à une vingtaine de kilomètres de

Bayonne) depuis 2008. Elle a suivi ses études à Lyon 2. Après une maitrise en archéologie

(spécialité égyptologie), elle se réoriente vers un Master pro « métiers du patrimoine ». A

cette occasion elle effectue un stage au Musée de la Vigne et du Vin à Boën-sur-Lignon

(Loire) pendant six mois, puis elle est engagée un an pour poursuivre le récolement des 6500

pièces du musée. A l’issue de ce contrat, elle cherche un autre emploi ; pendant un an et demi,

elle envoie près de 300 candidatures spontanées dans des musées en France. Le Musée

Basque lui répond en 2007 et elle y est engagée en 2008 pour un premier contrat de trois ans,

renouvelé en mai 2011 pour de nouveau trois ans. Elle a donc le statut de contractuelle.

Les chargés de récolement ont la possibilité d’être recrutés sur des CDD longue durée de trois

ans dans la fonction publique parce que ce sont des missions scientifiques spécifiques. C’est

une « précarité de longue durée mais bon c’est toujours ça ».

72

Arrêté du 25 mai 2004 fixant les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire, du registre des biens

déposés dans un musée de France et au récolement.

Page 96: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

96

« Alors en gros dans les texte le récolement ça consiste à la vérification sur pièce et sur place

des objets qui constituent la collection du musée. Concrètement il s’agit de vérifier ce qu’on a

dans les inventaires papier ou informatiques, de voir en réserve et de faire la comparaison entre

els deux. La localisation, l’état de l’objet, la bonne tenue des inventaires et remplir une « fiche

récolement », donc de faire un dossier - moi je travaille surtout sur informatique - de faire un

fichier récolement spécifique pour stipuler qu’on a bien visualisé l’objet, qu’il y a une fiche média

associée, donc qu’il a été photographié, qu’il a été marqué, qu’il y a toutes les informations. Ou

alors si il manque des informations prévoir une campagne de photo par exemple, une

campagne de marquage. Ça permet de faire un point global sur la collection, sur les

connaissances qu’on a dessus et les manquements qu’il y a sur la connaissance de cette

collection. »

« Alors, le marquage : quand un objet arrive au musée on lui attribue un numéro d’inventaire.

C’est le « numéro d’identité » de l’objet. Pour arriver à le repérer, on fait des photographies

mais on va aussi reporter ce numéro d’inventaire sur l’objet. Pour si un jour on tombe dessus

avoir une marque qui var envoyer directement à un numéro d’inventaire et donc à des données

précises sur cet objet. Il y a des protocoles de marquage, mis en place par la DMF, ça encore

c’est très cadré. Après dans chaque musée on se fait un petit protocole un peu perso pour

faciliter le travail. Généralement il y a plusieurs types de marquage, sur les objets 2D on

marque au crayon à papier en abs à gauche, pour les objets 3D il faut que ce soit dans un

endroit invisible pour la présentation mais aussi sur un endroit où il ne va pas y avoir de

frottement pour pas que le numéro s’efface. Au niveau des matériaux utilisés pour le marquage,

c’est généralement de l’encre de Chine, qui n’est pas à base d’eau, donc c’est une encre de

Chine spéciale et on appose un vernis par-dessus celluloïd, donc à chaque fois les marques

doivent être aussi… on peut revenir en arrière, on doit pouvoir revenir en arrière sur les

marques. Si il y a une erreur ou quoi que ce soit. »

« Tu as eu des surprises ?

_ Oui ! On se heurte un peu aux différentes méthodologies parce que nous on a des

acquisitions depuis les années 20 […] et y a pas toujours eu les mêmes méthodologies

appliquées jusqu’à maintenant, y a pas eu toujours les mêmes procédures, la même rigueur

appliquée donc on peut se retrouver avec des objets qui ont parfois quatre même numéros

d’inventaire parce que il y a eu des corrections faites et refaites, c’est un peu le bazar, ou alors

qui sont marqués sur trois registres différents, qui ont un numéro d’inventaire erroné alors vous

le corrigez mais des fois c’est un peu l’enquête sac-de-nœud.»

La principale exigence de son métier est selon elle la rigueur, mais la passion est aussi

nécessaire pour supporter notamment de passer autant de temps en réserves.

Page 97: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

97

« Parce que moi le milieu culturel et le milieu du patrimoine c’est vraiment un domaine dans

lequel je voulais travailler, qui m’intéresse énormément et où il y a des choses à faire donc

voilà. Après le milieu de l’inventaire et du récolement, on va dire, enfin de la gestion des

collections au sens large, ça se rapproche beaucoup de ma formation archéo dans le sens où il

y a du traitement de l’objet, il y a de la manipulation, il y a aussi une organisation et, bon je

reviens un peu sur la rigueur, mais c’est important parce que tu te fais vite emporter [rire] il y a

vite moyen de se noyer dans le tas de boulot qu’il y a à faire. Donc voilà. » (Marie)

Même si elle ne participe pas aux acquisitions ou à la conception d’exposition, elle considère

son métier comme un métier du patrimoine, puisqu’elle participe à la valorisation de la

collection.

« Et d’ailleurs tu considères que ton métier est un métier du patrimoine ?

_ Bien oui ! Comme je suis en contact permanent avec les collections, et puis bon, il y a quand-

même ce coté diffusion auprès du public qui est important ; je ne fais pas que de la saisie

informatique ou avoir le nez entre quatre murs dans mes réserves un peu comme un rat de

bibliothèque [rire]. Il y a aussi la part très importante de diffusion, de numérisation et de mise en

ligne. Ça c’est intéressant aussi. »

Nous avons aussi beaucoup discuté de la façon dont elle fait connaissance peu à peu avec le

patrimoine local, au musée mais aussi en dehors.

« Est-ce que tu es allée à l’écomusée de Saint-Jean-de-Luz ?

_ Non [rire] l’écomusée pour moi ce n’est pas un musée, c’est purement commercial et ça ne

me branche pas. Je ne vais pas aller payer pour voir des choses qu’en plus on a ici. Je ne

trouve pas ça très intéressant de mêler commerce et patrimoine.

_ Et cette réticence… comment tu sais que ça va être « commerce et patrimoine » ?

_ Parce que des écomusées il y en a eu plein, enfin c’est des musées privés particuliers, ils

n’ont pas/ ils ne travaillent pas dans l’esprit justement de la conservation et la diffusion pures et

dures. C’est surtout pour vendre, et faire des pépettes et voilà. C’est du commerce. Après c’est

louable aussi pourquoi pas mais bon. Je pense à ça parce qu’en Isère il y a le Musée de la

Vache-qui-rit qui a ouvert et ils font deux fois plus d’entrées que l’ancien musée d’archéo qui

était là à la place. C’est tellement plus rigolo de repartir avec un bol Vache-qui-rit. Mais bon, les

gens ne font pas forcément le distinguo en plus entre « musée privé » de société, enfin de

société commerciale je veux dire et « musée public ». Ecomusée en plus je trouve que c’est un

terme qui porte fort à préjudice pour les musées ethno et les musées publics et voilà. Il y a des

vrais écomusées aussi.

_ Le musée du Gâteau Basque à Sare ?

Page 98: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

98

_ Pareil [rire] non je n’y suis pas allée. Je ne me force pas à ne pas y aller, je n’ai pas eu

l’occasion de et je n’ai pas envie. C’est vraiment pas la chose pour laquelle j’ai envie de payer.

[…] J’aime bien le musée Bonnat, après … je n’ai pas encore fait Guggenheim mais c’est prévu.

A Biarritz je n’ai pas fait non plus le musée Asiatica mais j’aimerais bien y aller. Après c’est vrai

que comme je travaille dans un musée, les week end je ne les passe pas forcément dans les

musées [rires] mais non et puis j’essaie de me tenir un peu au courant de ce qui se passe

autour des spectacles de danse, je suis allée voir une pastorale il y a deux ans, ce genre de

choses. A Briscous je suis juste à côté du fronton donc on a le championnat de main nue junior

qui s’y tient donc c’est super intéressant d’aller voir ça. Pour moi ça fait aussi partie du

patrimoine, en plus des structures « institutions » on va dire, la vie de tous les jours, participer

aux fêtes, tout ça. […] Et puis il y a tellement de choses à faire, à visiter, les gorges de Kakuetta

c’est aussi du patrimoine, pour moi il n’y a pas/ le patrimoine pour moi ce n’est pas quatre murs

et des objets dedans, c’est un tout ».

Le récolement et la régie des collection sont aussi l’occasion d’effectuer d’autres tâches

annexes. Marie et Alain partagent le même bureau et travaillent souvent en binôme. Ils sont

les seuls à travailler en réserves. Ils s’occupent aussi ensemble des « mouvements des

œuvres », généralement avec Jacques.

3.2. La documentation des collections et au-delà

La bibliothèque, composée de plus de 20 000 ouvrages, est un service interne également dédié

au public mais difficilement accessible depuis la tempête de janvier 2009.

Les deux bibliothécaires-documentalistes du Musée Basque ont une fiche de poste identique

mais dans les faits, les deux postes sont distincts, indépendants et complémentaires. Sur le site

Internet du Musée Basque, une distinction est faite entre « bibliothécaire », poste attribué à

Marie-Hélène, et « documentaliste », poste attribué à Elisabeth, qui oriente les utilisateurs

vers l’une ou l’autre.

Portrait : Marie-Hélène, bibliothécaire-documentaliste

« Est-ce que vous faites une distinction entre bibliothécaire et documentaliste ?

_ Oui parce que moi j’ai une formation documentaliste. Donc le site [Internet] c’est pas moi du

tout qui est géré ce qui a été marqué. C’est nouveau [au sein du Musée Basque] cette

distinction entre bibliothèque et documentation qui a été faite. Une distinction entre la

bibliothèque, le fonds ancien et après je ne sais pas. Mais moi je suis documentaliste. Et j’ai

toujours fait un travail de documentaliste »

Page 99: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

99

Elle vit toujours à Ascain d’où elle es originaire. Elle a 49 ans et est mère de trois enfants, nés

entre 1993 et 1998, et travaille donc volontairement à temps partiel. Elle est titulaire d’un

DUT de documentation obtenu à Bordeaux.

« D’abord j’ai fait un mémoire sur la bibliothèque du Musée Basque. Et c’est là que je suis

rentrée en contact avec le Musée Basque, avec Mr Pagola et voilà c’est lui qui m’avait dit que

mon profil était très intéressant, puisque c’était documentaliste bascophone. […] Un prof nous

avait dit : « parlez de quelque chose qui vous intéresse ». Donc moi ce qui m’intéressait quand-

même c’était quelque chose lié au Pays basque […] donc le sujet c’était le mode d’acquisition à

la bibliothèque du Musée Basque. C’était très précis. Il fallait prendre un thème de

documentation.

_ Vous la fréquentiez déjà cette bibliothèque ?

_ Non c’est là que je l’ai découverte. »

A l’obtention de son diplôme, en 1989, alors âgée de vingt-cinq ans, elle obtient son premier

emploi au Musée Basque.

« Je suis tombée au bon moment. En fait c’était même pas un poste de documentation, c’était

agent de bureau au début. C’était un poste qui s’était libéré. […] après ils ont reconnu mon

diplôme et après il y a eu création de la filière culturelle et c’est là que j’ai été assistante de

conservation de bibliothèque et du patrimoine. Il n’y avait pas de concours. C’était sur

diplôme. »

Elle entre le 1er

mars 1989 au musée, qui ferme ses portes au public le 1er

juin mais la

bibliothèque a continué de fonctionner un moment (deux ou trois ans) avant de devoir être

« mise en carton » et transférée à Sabres (Landes) pour un traitement contre les champignons.

Parmi ses missions, l’une des principales est le catalogage. Elle a aussi procédé

progressivement à l’’informatisation de la bibliothèque, c'est-à-dire la conversion des

informations des fiches papier sur le logiciel Mobytexte (Mobydoc). Lorsque le musée a

rouvert, la bibliothèque était située au troisième étage du Château-Neuf. Elle recevait le public

tous les mardis et jeudis dans une salle de lecture au rez-de-chaussée et elle consacrait les

deux autres jours « à inventorier et à faire du travail de recherche pour le musée ». Une

particularité de cette bibliothèque est que livres ne sont pas côtés selon la norme Dewey.

« Ça non, on ne suit pas ces normes, ils ont un numéro d’inventaire et après ils ont une côte sur

le même format, mais après leur indexation est « maison », ça ne suit pas d’autres

normes […] Donc pelote je pense que ça n’existe pas, à la BNF ils indexent pas pelote, ils vont

Page 100: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

100

dire sport, je sais pas sport-Pays basque, je ne sais pas ce qu’ils vont créer. Moi je suis obligée

de créer pelote, même chistera si on a beaucoup de livres sur la chistera. Ce sont les mots-

clés. »

Les livres sont en fait classés par taille (leur hauteur) : petit, moyen et grand afin d’optimiser

leur rangement ; puis par ordre d’arrivée, ainsi de P1 à P11000, de G1 à G100… Par exemple,

le vingt-sixième livre petit format entré en 2010 est côté « P14060 ».

En 2009, suite à la tempête Klaus, les réserves de la bibliothèque ont dû être évacuées en

urgence vers le site de Saint-Croust (l’ancienne bibliothèque universitaire). Aujourd'hui les

livres ont été déménagés dans les réserves de la Bibliothèque Municipale de Bayonne. Il n’est

possible de recevoir le public que sur rendez-vous et sur des demandes précises car la

documentaliste doit alors se déplacer à la bibliothèque municipale et rapporter le slivres à

Château-Neuf . « On ne peut plus faire de recherche comme on faisait avant, on ne peut plus

sortir dix livres pour trouver le bon. ». Elle reçoit désormais les lecteurs dans une salle du

deuxième étage où sont conserver les ouvrages les plus récents et les plus fréquemment

consultés. Récemment, elle a réinstallé les journaux et les revues au dernier étage de Château-

Neuf. Le destin des livres est encore inconnu.

Parallèlement elle travaille sur un projet de valorisation des fonds basques mené par la

DRAC, le Conseil Général (le service des archives départementales) et la Ville de Bayonne

qui devrait aboutir à la mise en ligne d’un portail commun. Le but est d’identifier ce que

chacun a en sa possession : photographies, cartes, plans, archives, manuscrits, fonds sonores,

etc.

Elle a le sentiment que la bibliothèque du musée n’est pas une priorité.

« Depuis vingt ans c’est comme ça. Quand ils ont fait ici ils n’ont pas pensé qu’il y avait une

bibliothèque. Donc les livres sous les toits et la salle de lecture au rez-de-chaussée. Tout a été

fait au dernier moment « la priorité c’est toujours côté musée ». Le problème c’est qu’elle est

très importante. C’est une bibliothèque beaucoup plus riche qu’une bibliothèque de musée, elle

va au-delà. L’idéal serait qu’elle soit à côté du musée, qu’elle soit ouverte. Avec un fonds bien

catalogué parce que je n’ai jamais réussi à le finir ça aussi. […] Donc déjà le portail je suis

contente de travailler dessus parce que ça me permet d’avancer au niveau des journaux et

revues qui n’ont pas été catalogués, donc moi ça me fais avancer. »

Page 101: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

101

Portrait : Elisabeth, documentaliste

Elisabeth, 58 ans, est titulaire d’une licence en histoire et géographie et d’une maitrise en

histoire contemporaine. En 1975 elle a intégré la Bibliothèque Municipale de Bayonne, puis

en 1978 elle a passée le concours de la CABAB pour pouvoir le poste de bibliothécaire de la

faculté de Bayonne. Finalement elle a occupé un poste de bibliothécaire et documentaliste au

Centre de documentation et de recherche européenne de l’université. En 2007, elle a réintégré

la CABAB, d’abord à la bibliothèque d’Ecole d’art puis quelques mois plus tard au Musée

Basque où elle est aujourd'hui assistante de conservation.

Elle a la responsabilité des revues contemporaines (c'est-à-dire parues depuis 2000) et de la

veille documentaire en vue de l’acquisition d’ouvrages en rapport aux nouveaux thèmes pour

la bibliothèque du musée (notamment la muséologie). Elle s’occupe aussi de la revue de

presse du musée et constitue des dossiers thématiques dont par exemple un sur la diaspora

basque, un autre sur Izarra73

« parce qu’on va travailler avec eux ».

A la demande du directeur ou du conservateur, elle sélectionne des documents et des ouvrages

thématiques en lien avec les évènements du musée, qui sont présentés dans une vitrine

(installée en 2010) dans l’Argialde : un hommage au Professeur Pierre Bidart, la pastorale de

Telesforo de Monzon, les Forges de l’Adour, Augustin Chaho, la chasse à la baleine, la

musique, la maison basque.

Elle répond à des demandes de renseignements internes et externes, parfois de personnes

rencontrées au musée par hasard et qui reviennent vers elle avec des demandes privées sur des

sujets en rapport avec leur famille. Dernièrement elle a appris qu’Eusko Ikaskuntza (la Société

d’Etudes Basques) s’apprêtait à rendre hommage à Manex Goyhenetche (historien) et elle a

donc contacté l’association pour lui proposer de présenter le livre au Musée Basque.

Elle a le sentiment que « des fois on ne comprend pas ce que je fais. J’accumule des choses.

Peut-être que je vise plus haut que les besoins du musée » mais en même temps elle considère

qu’on ne peut pas savoir aujourd'hui ce qui aura de l’importance dans quelques mois ou

années.

Elle travaille peu encore avec le Service des publics « Pour l’instant elles font leurs propres

dossiers. Vu que ça n’existait pas avant on ne se rend pas compte de l’opportunité que ça

représente. La documentaliste peut draguer large et le lecteur choisit ce qui l’intéresse là-

dedans. ». Elle estime qu’un aspect important de son travail est de savoir ce sur quoi

73

Une marque de liqueur.

Page 102: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

102

travaillent ses collègues et les chercheurs car la documentaliste doit « être en phase avec le

chercheur, connaitre son sujet de recherche » pour lui apporter des documents et des

informations pertinents.

4. Présenter les collections aux publics

C’est ce qu’on appelle souvent la « valorisation ». Mais cantonner la valorisation à

l’exposition nous parait réducteur. Et que valorise-t-on d’ailleurs : la collection ou les

connaissances acquises sur la collection ? L’inventaire numérique, lorsqu’il sera accessible

pourra être considéré comme un acte de valorisation. De même, les conférences et la

publication d’articles (avec en amont un travail de documentation, des recherches

bibliographiques essentiellement) écrits par les conservateurs, même si cette publication se

fait indépendamment du Musée (Le Bulletin du Musée Basque, Le Festin) sont aussi des

opérations de valorisation. Toutefois, forme la plus connue que peut prendre la valorisation

est l’exposition, qu’elle soit « permanente » ou « temporaire ».

L’année 2011 a été animée par des aménagements plus ou moins importants de certaines

salles de l’exposition permanente. Selon le directeur et le conservateur il s’agit d’améliorer ou

de corriger la muséographie de 2001. Les deux principaux projets sont la réinstallation des

salles de l’agropastoralisme (qui avaient été vidées pour dégager un espace d’exposition

temporaire) et la salle intitulée Des idées et des hommes (vidée pour des expositions

temporaire, puis utilisée pour le tournage d’un téléfilm). La première a rouvert au public en

juillet 2011, la seconde le 30 mars 2012.

« Oui on a deux salles à refaire, là où il y avait les expositions temporaires, là où il y avait

Ballets Olaeta, il y aura à nouveau « Les idées et les hommes » qui était l’ancienne salle donc

histoire littéraire, politique, artistique. Et puis l’autre salle c’est l’agro-pastoralisme qui va revenir

au rez-de-chaussée dans ce qui était bon là, celle-ci on va un peu la modifier, la reconstruire.

Comme quoi, tout revient, tout s’en va et tout revient c’est banal. » (Olivier Ribeton,

conservateur).

La salle consacrée aux jeux de pelote et celle des activités fluviales et maritimes ont, quant à

elles, subi quelques réaménagements scénographiques et ajouts d’objets.

Page 103: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

103

4.1. Concevoir une exposition

La première étape est une réflexion individuelle, alimentée par des lectures et des prises de

contacts, des discussion avec des spécialistes des questions ou de thèmes concernés. Le

conservateur travaille davantage (mais pas exclusivement) sur l’exposition permanente et

l’attaché de conservation sur des expositions temporaires. Cette phase n’est pas évidente à

décrire pour les intéressés eux-mêmes car cela leur parait une évidence. De plus, la réflexion

est un travail de tous les instants, il y a une forte part d’inspiration qui peut être provoquée ou

alimentée par une autre exposition, un livre, un film, une discussion informelle hors du cadre

de leur emploi, par exemple. Ce travail intellectuel ne s’arrête pas lorsqu’ils sortent de leur

bureau.

4.1.1. L’exposition permanente

Dans le cadre de l’exposition permanente, en 2011, le conservateur part sur une base déjà bien

établie, il s’agit seulement d’optimiser la « version » précédente, en ajoutant des objets acquis

depuis, en réorganisant les vitrines thématiques et en partie la scénographie.

Le premier projet était la réinstallation des salles consacrées au thème de l’agropastoralisme,

mené par le directeur et le conservateur.

Face à l’insistance de membres de la SAMB notamment pour les réinstaller au plus vite car

elles constituent à leur sens la base, le socle de la société basque et donc du Musée Basque.

Elles présentent les objets témoins de la société agropastorale traditionnelle basque, c'est-à-

dire le monde rural. Elles s’organisent désormais autour de trois domaines : le travail agricole,

l’alimentation et le deuil, le lien entre eux étant la terre.

Ces salles situées au rez-de-chaussée avaient été « vidées » en 2009 pour être temporairement

dévolues à des expositions temporaires (Basterretxea, Les villes fortifiées et Aquitaine

préhistorique). Aucune autre option ne fut trouvée entre temps pour localiser les prochaines

expositions temporaires, mais face à l’insistance de membres de la SAMB et du CO, il fut

décider de « réinstaller » les collections agropastorales.

« Vraiment l’agenda 10/10 c’est aussi revisiter le projet de 2001, des choses qui avaient été ou

inconclues, inachevées ou peut-être pas très bien abouties. Bon on va essayer au fur et à

mesure donc le retour des collection agro pastorale. Qu'est-ce qu’on fait avec le retour des

collection agro pastorale ? J’ai convenu / on a réfléchi, on a on a quand-même aussi avec nous

Page 104: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

104

quelques quelques / alors on a reporté la date ça me dérange mais bon encore jusqu’au 19

mai je crois. Mais on a Mikel Duvert, Claude Labat, Jacques Blot et Jakes Cazaban [sic]74

qui

interviennent auprès de / en tant que consultants on va dire, auprès du conservateur et moi-

même pour ce qu'on va mettre en place. Donc l’idée étant évidement, pour moi, c’est pas la

révolution, revenir donc avec ce qui est l’ensemble des collections en général, notamment

toute la présentation en vitrines etc. Mais après, corrigeons les défauts ! Parce que par

exemple, j’ai appris après justement en les réunissant que le docteur Blot on l’avait eu un jour

en 2000-2001 pour / même ou en 2000 ou en 98 ou 99 pour avoir ses textes, textes que l’on a

recopiés ou réécrits entre guillemets « à notre sauce », - parce que j’en suis le responsable du

musée même si je n’étais pas là – mais à notre sauce mais on lui a jamais donné à relire ou à

valider et puis vous vous rappelez peut-être pas mais la protohistoire était dans deux vitrines en

fond de salle, derrière, donc ça correspond pas à la chronologie, c’est évident, ça ne les met

pas trop en valeur pff et d’ailleurs il faut y aller, et ça demande justement d’être expliqué et on

l’expliquait pas, que peut-être une fois que vous avez vu l’agropastoralisme on vous dit que ça

vient de très loin quand-même, ce n’est pas que d’il y a cent ans ou deux cent ans , c’est…

donc on va faire le plus possible par rapport à ça. On va améliorer ce qu’on peut, on va peut-

être mettre moins de gros objets, on s’est dit avec le conservateur que c’est quand-même trop

encombrant finalement. Que par exemple avoir trois charriots à roues pleines ou comme ça. »

(Rafael Zulaika, directeur).

Le Musée Basque a fait appel à quelques personnes extérieures, les mêmes que pour la

première version, c'est-à-dire ceux qui réclamaient le retour de ces collections. Parmi eux,

Geneviève Marsan, Michel « Mikel » Duvert, Claude Labat, Jacques « Jakes » Casaubon et

Jacques Blot. Le musée n’avait ni le temps, ni les moyens d’une réflexion de fond. L’ambition

était de rouvrir le plus vite possible. Selon le conservateur, ces consultants sont des personnes

ressources connues pour leurs publications et leur engagement pour le patrimoine, dans les

années 1970, autour notamment de l’association Lauburu qui a travaillé à la connaissance et

la valorisation des stèles discoïdales75

.

Geneviève Marsan est docteure en archéologie et conservateur du patrimoine du Musée de

Lourdes ; à la retraite depuis 2005 elle s’occupe bénévolement du Musée d’Arudy (Béarn),

elle est également membre du CO du Musée Basque.

Michel Duvert est Professeur de biologie retraité de l’Université de Bordeaux. Passionné par

la culture basque traditionnelle depuis sa rencontre avec Jose-Miguel de Barandiarán , il

74

Jacques « Jakes » Casaubon. 75

Lire le T.E.R. de Peio Etcheverry-Ainchart, consacré à l’association, dans le cadre d’une licence en Histoire à

l’UPPA, en 1995.

Page 105: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

105

s’adonne à cette passion au sein de l’association Lauburu (dont il est président) qui est le

correspondant des groupes Etniker pour le Pays Basque nord dans le projet de réaliser l'Atlas

Ethnographique de Vasconie (plusieurs volumes ont été publiés, notamment sur

l'alimentation, la médecine populaire, les rites de la naissance et le mariage, les rites

mortuaires, les jeux des enfants et la maison). Il est également membre de la SAMB et du

Comité de Rédaction du Bulletin du Musée Basque.

Claude Labat, instituteur puis professeur à la retraite est lui aussi secrétaire de Lauburu et

membre de la SAMB. Il est l’auteur d’ouvrages de vulgarisation, par exemple sur la

sorcellerie (2009) et la mythologie basque (2012).

Jacques Blot, né en 1933, médecin ORL retraité, s’intéresse depuis les années 1960 aux

monuments protohistoriques du Pays Basque de France, sur les traces de Jose-Miguel de

Barandiarán . Il est membre de Lauburu, de la SAMB et d’Eusko Ikaskuntza et est président

fondateur de l'Association Archéologique basque Herri Harriak. Il a offert au Musée Basque

une grande part de ses collectes, ainsi que des maquettes de monuments protohistoriques.

Jacques « Jakes » Casaubon a été forestier avant d’entrer à l’INRA en 1945, à Saint-Pée-sur-

Nivelle où il a été technicien supérieur en hydrobiologie (recherche piscicole). Passionné de

pelote basque, il a signé plusieurs ouvrages sur le sujet. Il a aussi assisté Jacques Blot dans ses

prospections.

Le principal conseil donné par ces consultants a été de mieux regrouper les sous-thèmes sur

eux-mêmes, en séparant par exemple le berger du bouvier, en séparant l’agropastoral de la

préhistoire et de la protohistoire, en regroupant les stèles. Le conservateur consent qu’il y

avait dans la première version des « absurdités », telle une vitrine sur la contrebande et une

vitrine sur la musique.

Ces salles sont les premières dans le circuit de visite, elles en constituent donc une

introduction. En sortant de l’argialde (puits de jour, une sorte de sas neutre où les guides

généralement racontent la genèse du musée et évoquent l’architecture de la Maison

Dagourette), par la gauche, nous pénétrons dans une première salle divisée en deux espaces.

Le premier constitue un second espace d’introduction à la visite du musée. Sur les murs sont

disposées des photographies, dont le sujet est inscrit dans des trois bulles : deux sur la

photographie elle-même, en français et en castillant et une troisième au sol en basque (ou

euskara). Ces trois langues sont celles que le visiteur trouvera tout au long de sa visite, sur les

cartels. L’animatrice a fait remarqué que le gascon (variante de l’occitan) en est absent alors

Page 106: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

106

qu’il y aurait logiquement sa place. La justification de cette absence est que la loi Toubon

imposant un nombre maximal de trois langues afin de ne pas surcharger les documents, il est

paru plus cohérent au directeur de s’en tenir à ces trois là. A ceux qui s’interrogeaient sur la

présence au sol des bulles en euskara, il a été répondu qu’il ne s’agissait pas de « piétiner » la

langue basque, au contraire cette position symbolise « l’enracinement » de la langue.

L’intérêt de cet espace est de signaler que le Pays basque est un espace trilingue, le français

au nord, le castillan au sud et le basque de part et d’autre de la frontière, à condition que le

visiteur sache déjà que le Pays basque est situé dans deux Etats distincts, ce qui n’est pas

annoncé au Musée Basque. Tout le monde s’accorde d’ailleurs à dire, tant dans l’équipe du

musée et que parmi les visiteurs rencontrés, qu’une contextualisation géographique du Pays

Basque serait indispensable et que cet espace aurait pu l’accueillir. Mais le directeur lui a

préféré cette évocation d’une série de thèmes transversaux, que le visiteur va retrouver tout au

long de sa visite : l’eau, le bois, la terre, la vie, le village/le peuple, la ville, le chemin, la

maison. Après l’introduction au Musée Basque dans l’argialde, cet espace se veut une

introduction au Pays basque lui-même. Si nous comprenons le principe, nous questionnons

toutefois la pertinence des thèmes choisis que nous trouvons banals et qui occupent un large

espace alors même que le musée en manque (par exemple pour développer certains thèmes ou

des expositions temporaires). Des Amis du musée ont constaté au cours d’une visite que ces

bulles détournent l’attention du second espace, qui est pourtant bien plus important.

Ce second espace, toujours dans la première salle est reconnu unanimement comme une

réussite scénographique. Il s’agit d’un hommage à l’ethnologue José Miguel de Barandiarán

Ayerbe ou Père Barandiarán76

(1889-1991), fondateur de l’ethnographie du Pays basque. En

1947, il avait collaboré à la création d’une première salle sur la préhistoire au Musée Basque.

Cet hommage prend une forme très intéressante : il combine l’exposition d’une charrette à

roues pleines, objet emblématique, accompagnée d’un joug de bœuf avec têtières et d’une

perche (qui servait à fixer la paille sur la charrette) collectés par lui. A côté, un premier

tableau (Sare de Pierre Labrouche, huile sur toile) évoque le village où Barandiarán a

séjourné lors de son exil et auquel il a consacré une monographie (publiée en français en

76

José Miguel de Barandiarán Ayerbe ou Père Barandiarán (1889-1991) est le fondateur de l’ethnographie du

Pays basque. Découvrant les dolmens, il a commençait par s’intéresser à la préhistoire et à la mythologie (les

Jentiles) puis à l’ethnographie. Il a fondé plusieurs associations et revues. Exilé en France de 1936 à 1953, il a

notamment longtemps vécu à Sare. Il a collaboré avec le MNATP, en collectant des objets destinés au Musée

Basque. De retour au Pays basque espagnol, de 1965 à 1977, il mena un projet de recherches mutualisées,

baptisé Etniker, toujours en activité. Son apport est tellement important qu’il est difficile de remettre en question

sa pertinence aujourd'hui. Pourtant la vision qu’il a développé et diffusé de l’ethnographie n’a pas suivi les

évolutions de la discipline ethnologique.

Page 107: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

107

2011). Un film montre l’attelage du joug (tourné par des employés du musée, en Soule, il y a

une vingtaine d’année), et un second tableau - figurant un paysan menant ses bœufs -

témoigne du regard artistique et nostalgique sur cette charrette, symbole de la vie paysanne.

Au pied de la charrette, sur un cartel intitulé « L’attelage » figure un extrait d’un texte de

l’écrivain Jean D’Elbée (1942)77

. Sur un autre cartel est imprimé un « Dessin de la charrette

Nobliabaita et annotation des noms en basque » de la main de Barandiarán.

L’ensemble est accompagné d’un panneau de salle intitulé « Le rôle des ethnologues » sur

lequel est inscrite une citation de Barandiarán évoquant le bruit produit par la charrette.

C’est un effort de contextualisation abouti à partir de divers supports qui accompagnent la

lecture de l’objet. Dans l’idéal, chaque objet du musée devrait être ainsi présenté, si le budget

et l’espace le permettaient (effectivement, il faudrait notamment tourner et monter des films,

acheter du matériel de visionnage, etc.).

Nous regrettons que bien que le titre du panneau de salle soit « Le rôle des ethnologues », seul

Barandiarán soit cité, mais il s’agit là d’une révélation de la méconnaissance de la discipline.

Barandiarán est le plus connu des ethnologues ayant travaillé sur le Pays basque ; Basque lui-

même, il a aussi apporté beaucoup au Musée Basque, en collectant pour le MNATP qui y a

ensuite déposé cette collection. C’est une figure emblématique qui vingt ans après son décès

compte encore des disciples qui poursuivent son œuvre. Pourtant sa mémoire éclipse les

autres chercheurs, notamment du début du XXIe siècle, qui mènent des recherches dans une

optique davantage ethnologique que seulement ethnographique. Ceci dit, cet hommage est

parfaitement légitime au Musée Basque dans la mesure où il incarne l’ethnographie du Pays

basque telle que conçue et présentée dans ce musée.

Dans la deuxième salle, sur la gauche une vitrine présente dans la continuité de la salle

précédente, différents types de cloches et de colliers portés par les bœufs. Un tableau, Les

sillons tracés ou la journée finie d’Henri Zo (huile sur toile), complète ce thème de

l’agriculteur et de son attelage. Par ailleurs, les couleurs de ce tableau ont inspiré la

muséographe en 2001 pour choisir les couleurs des socles et le mauve de tous les cartels et

panneaux de salle.

Une autre vitrine expose des instruments de chasse. Un panneau explique la chasse à la

palombe et deux gravures l’illustrant ont été ajoutées dans la vitrine. Ce dernier point

paraissait important au directeur, car la paleta (ou palette, qui ressemble à une raquette de

77

Jean d' Elbée. 1942. Le Pays Basque français: Labourd, Basse-Navarre, Soule, Bordeaux : R. Picquot, 98-[8]

p., collection « Les belles provinces de France ».

Page 108: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

108

ping pong en bois) - l’instrument lancé par les chasseurs pour simuler un rapace (épervier,

vautour) et faire descendre les palombes dans les filets tendus dans les cols de montagne -

restait parfaitement énigmatique pour les visiteurs non avertis.

Sur la droite de cette salle se trouve « le coin préhistoire et protohistoire ». Une première

vitrine présente des ouvrages de Barandiarán, faisant le lien, elle aussi, avec la salle

précédente ; mais cela est fortuit car en fait cette vitrine s’est retrouvée vide à l’ouverture de

la salle au public, il s’agissait de la remplir temporairement. Elle devait être consacrée au

thème de la préhistoire mais la sélection des objets n’a pas encore aboutie.

Barandiarán en 1947 avait contribué à la création d’une salle consacrée à la préhistoire. Lors

de la reconfiguration du musée (vers 1993), des personnes de la DRAC se seraient opposées à

ce thème. La période de 50 000 à 20 000 avant Jésus-Christ a donc été passée sous silence. Le

conservateur compte faire appel à nouveau à Geneviève Marsan et à Christian Normand78

,

spécialistes de la préhistoire, pour réfléchir à ce qui pourrait être présenté dans la première

vitrine. Geneviève Marsan estime cependant qu’il n’y a pas assez d’objets dans les collections

du musée sur cette période, malgré quelques baguettes demi-rondes (os gravés) et silex taillés.

Alors que dans la première version (2001) la préhistoire n’était pas évoquée, elle l’est

désormais. La raison de cette omission de la préhistoire est révélatrice du sens que les

politiques et certains acteurs locaux voulaient donner au Musée Basque, celui d’un musée

« d’identité », non pas basée sur le territoire mais sur l’idée d’un peuplement ininterrompu,

autochtone, le « peuple basque ».

« Et au final le programme bâti ne pouvait pas s’appuyer sur un consensus donc c’est le

conservateur qui a pris la responsabilité de choisir ce qui allait être montré, avec quand-même

selon les thèmes des réunions en petits comités de conseillers, donc je me suis entouré de

conseillers pour traiter chaque thème. Et il m’est arrivé aussi une bizarrerie, c’est que un des

petits groupes de conseils qui marchaient le mieux était celui lié à la préhistoire. Or, quand

notre programme préhistoire est arrivé sur le tapis de la DRAC, la Direction Régionale des

Affaires Culturelles, un certain nombre d’individus ont estimé que la préhistoire n’avait pas sa

place au Musée Basque. Parce que la préhistoire on ne savait pas si c’était des Basques, ça

n’était pas basque, et qu’on pouvait traiter de la protohistoire, parce que la protohistoire c’est

déjà du pastoralisme et on peu estimer que les Basques étaient là déjà. Et donc sous le

prétexte que ce n’était pas basque, au Musée Basque on ne pouvait pas traiter de préhistoire. »

(Olivier Ribeton, conservateur).

78

Christian Normand est archéologue au Service Régional de l'Archéologie (SRA) d’Aquitaine et gère le Centre

Départemental d'Archéologie d’Hasparren.

Page 109: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

109

« Il y a eu une autre équipe qui était l’équipe agro-pastorale où il y avait Michel Duvert et

Jacques Blot à nouveau, plus des représentants de la Direction Régionale des Affaires

Culturelles et en fait Jean-Luc Tobie qui était le conseiller-musée et qui était archéologue mais

plutôt archéologue de la période romaine euh et Jean-Claude Lasserre qui était conservateur

directeur de la Commission Régionale d’Inventaire, qui donnaient leur avis et eux voulaient faire

plus un musée d’identité basque que un musée que de collection. Donc au final / et Michel

Duvert aussi à l’époque ne tenait pas à ce qu'on traite la préhistoire, donc quelque part les

préhistoriens on les a mis de côté. Et on a commencé qu’à la période où on estime que le

pasteur, le berger est basque. Voilà. Enfin bon. En sachant que le musée, alors c’était le

problème, n’est pas un cours universitaire, une publication scientifique, ce n’est pas en soi pour

montrer au public le dernier état je dirais des discussions scientifiques mais il donne une

synthèse et il donne à voir. Donc il fait des choix et il simplifie. Alors ce qui est assez amusant

c’est que en ce moment comme on a démonté toute la salle agropastorale, y compris la

protohistoire, pour pouvoir avoir des expositions temporaires, à la place des expositions

permanentes, puisqu’on n’avait plus de salle d’exposition temporaire, bien on réunit à nouveau

un conseil […] . Et on retrouve les mêmes discussions qu’on avait il y a quinze ans, c’est très

amusant mais il y a eu une évolution parce que il semble qu’on accepte maintenant de mettre la

préhistoire, donc on aura une vitrine de préhistoire, on a commencé à travailler sur des

collections que nous possédons, ce sont des collections je dirais de qualité moyenne, il y a

quand-même de quoi faire au moins une petite vitrine des objets d’Isturitz, curieusement on a

des collections qui ont été données par les premiers fouilleurs d’Isturitz, la famille de Saint-

Périer et on a des collections récupérées auprès du Muséum d'Histoire Naturelle par Jose

Miguel de Barandiarán en 1947, en particulier la collection Détroyat. Alors le Musée d'Histoire

Naturelle refait ne traite pas du tout de la préhistoire et donc il est question maintenant

d’essayer de réunir je dirais quelques objets à la fois du Muséum, à la fois de notre fonds à

nous, peut-être des dépôts d’Isturitz de la propriété des grottes de Joëlle Darricau. Le Musée

National des Antiquités… je pense que à Saint-Germain-en-Laye ne nous en déposera pas sauf

pour des expositions temporaires parce qu’ils sont extrêmement jaloux des collections qu’ils ont

récupérées dans les régions aux différentes époques. Et on va… j’espère pouvoir y adjoindre à

ce comité de réflexion Christian Normand qui gère le dépôt archéologique d’Hasparren et qui a

beaucoup travaillé sur les fouilles récentes d’Isturitz, enfin les Grottes d’Oxocelhaya-Isturitz.

Donc on revient effectivement à une première approche qui était celle des années 1994. »

(Olivier Ribeton, conservateur).

Une frise historique a été « récupérée » de la dernière exposition temporaire Aquitaine

préhistorique. Elle n’est pas très satisfaisante mais apporte des repères chronologiques

indispensables. Deux autres vitrines consacrées à la protohistoire, largement tributaires des

travaux de Jacques Blot (ses maquettes), sont revenues, complétées d’un panneau sur les rites

Page 110: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

110

funéraires. Il reste encore dans les réserves du musée des dessins d’art pariétal qui pourraient

enrichir cette présentation.

Au centre de cette deuxième salle sont disposés des véhicules de transport en montagne :

chariot, tombereau, traîneau. Ils introduisent un autre thème, celui de l’élevage des ovins, le

pastoralisme, la haute-montagne et la figure du berger, évoqué par cinq vitrines dans

lesquelles sont exposés des sonnailles, des flûtes (la flûte de Pan pour montrer que le métier

de berger est très ancien) et des montres solaires (objets qui même si « ils ne sont

pas typiques, pas d’ici mais ils sont utilisés dans le pays » ont donc leur place au musée), des

ustensiles de fabrication du fromage. Pourtant le conservateur reconnait que certains des

objets exposés (un tabouret, une grille à taloa79

) sont davantage en lien avec la ferme qu’avec

la montagne.

Enfin, la troisième salle est décomposable en deux espaces thématiques : l’alimentation et le

deuil, tous deux liés à la terre.

L’alimentation est représentée par un saloir à jambon, une pierre à huile, un semoir à maïs,

surmonté d’une photographie d’une scène de labour, une pierre à chocolat, un pot à graisse,

un chaudron en cuivre, un ustensile de gavage des canards, un pressoir à raisin, une vitrine sur

la culture du maïs, une autre sur la fabrication du chocolat (moules). Des outils de tonnelier et

un pressoir à pomme évoquent la fabrication du cidre.

Le deuil est représenté par onze stèles en pierre. Ces stèles discoïdales (exceptée une croix)

sont des objets emblématiques de la culture basque. Sont aussi exposés un banc de prière et

des ruches, dont on utilisait la cire pour s’éclairer mais aussi pour confectionner les cierges

de deuil80

.

En 2001, les stèles étaient dans l’argialde, tandis que dans la première salle un diaporama

était projeté. Le directeur du musée a fait supprimer le diaporama et a transféré les stèles dans

la première salle. Pour pouvoir en 2011 les installer dans la troisième salle, il a fallut libérer

de la place : les outils agricoles sont donc restés en réserves, exceptés le semoir à maïs

précédemment cité et une charrue dont l’emplacement prend sens en se positionnant face à

une stèle disposée à proximité sur laquelle est gravée justement une charrue.

Le conservateur nous a rappelé que le musée n’est pas tenu de tout montrer. Le matériel

agricole est plus encombrant et n’est pas exclusif au Pays basque. Les stèles sont « plus

79

Taloa : galette de farine de maïs. 80

Sur le rôle des abeilles, lire Albert-Llorca M., 1988, « "Les servantes du Seigneur". L’abeille et ses œuvres »,

Terrain, n° 10, pp. 23-36.

Page 111: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

111

emblématiques » et couvrent une période plus longue. Il doit aussi tenir compte du fait que ces

éléments lapidaires sont extrêmement lourds et que les planchers des étages supérieurs ne

pourraient pas les supporter, elles sont donc cantonnées au rez-de-chaussée.

En définitive, cette réinstallation manifeste beaucoup de « bricolages » ; l’adaptation à

l’espace prend parfois le pas sur le sens. L’exposition reste inachevée, des objets devraient

s’ajouter à condition de réunir un budget supplémentaire (le conservateur pense à faire appel à

la SAMB pour acheter deux vitrines destinées à présenter des costumes de deuil).

Nous pourrions aborder maintenant de la même manière la réinstallation de la salle Des idées

et des hommes qui nous semble aussi un des thèmes majeurs du Musée Basque.

De quelles idées et de quels hommes s’agit-il ? Les choix du conservateur sont significatifs

d’une façon de concevoir le rôle du musée. Ils sont très consensuels et ne retiennent que les

personnages illustres : un portrait de l’Impératrice Eugénie, une vitrine consacrée aux

compositeurs et musiciens bayonnais.

A ce propos nous souhaitons évoquer l’acquisition toute récente d’un portrait de Pierre-Jean

Garat. Le conservateur a souhaité acquérir ce portrait du chanteur et professeur du

Conservatoire Pierre-Jean Garat (1762-1823), peint sous Louis XVI par Jean-Charles

Robineau (lui-même musicien). Il a sollicité deux associations, la SAMB et Bayonne Centre

Ancien, et leur a présenté le portrait pour lancer une souscription (en décembre 2011) auprès

de leurs adhérents. Le portrait se trouve déjà dans la salle d’exposition, même si les 6000

euros (prix de vente) ne sont pas encore intégralement réunis. Ce mode d’acquisition est une

opportunité pour le conservateur. C’est lui qui motive le don. Il avait déjà opéré ainsi en 2010

pour l’acquisition d’une soupière. Un mécène avait acheté la soupière, puis l’avait donné à la

SAMB pour qu’elle l’offre à son tour au Musée Basque. Ce sont les bonnes relations

entretenues par le conservateur avec ces associations et ses arguments d’historien qui les

permettent. Pourtant cette solution n’est que palliative et ne peut pas être utilisée trop

fréquemment ; elle ne doit pas dispenser d’un débat au sein du Syndicat Mixte sur

l’inscription d’un ligne budgétaire consacrée aux acquisitions, l’achat étant la facette

volontaire de l’enrichissement des collections, complémentaire de l’acceptation de dons ou de

legs (enrichissement restreint par ce qui est proposé à titre gratuit, il témoigne certes du

patrimoine conçu par des individus issus de la société mais ne saurait suffire).

Page 112: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

112

« A propos de la salle « Des idées et des hommes », elle garde le même titre ?

_ Oui. Au point de vue signalétique on n’a pas pu changer la signalétique donc on garde les

mêmes panneaux, dans les deux salles.

_ Vous ne pouvez pas bouger les objets non plus ?

_ On les a beaucoup bougés, on les a pas mal bougés. Et on a changé les textes des vitrines.

[…] Et puis surtout les deux dernières rangées de vitrines ayant été cassées au moment du

déménagement, on ne peut pas les remettre en place donc on a modifié la fin de la salle, on a

regroupé « Etudes basques » et « Fondateurs du musée » et on a créé un nouvel espace lié à

l’architecture et aux décors néo-basque régional. […] « Des idées et des hommes » aboutissent

au final sur l’architecture et la décoration. » (Olivier Ribeton, conservateur).

Pour rédiger les textes des cartels et des panneaux de salles de l’exposition permanente, le

conservateur est assisté de la responsable du service des publics, chargée de vérifier que le

texte soit adapté au grand public, et d’une documentaliste pour la relecture.

Nous avons assisté à une réunion très technique avec une employée de l’entreprise chargée

d’imprimer les nouveaux vinyles à coller sur les vitrines de la toute dernière salle revue Des

idées et des hommes. Cela a été l’occasion de découvrir certaines contraintes de l’exercice.

Pendant deux heures, le positionnement des cartels vinyles sur les vitrines a été testé et

discuté. Le premier obstacle est l’espace disponible : il ne faut pas gêner la vue sur les objets

exposés, tout en faisant figurer suffisamment d’informations et cela en trois langues. Il faut

aussi que la lecture soit confortable pour le visiteur, c'est-à-dire une police de caractère

suffisamment grande et une position idéale à hauteur des yeux. C’est un des points faibles

fréquemment évoqués par les visiteurs et inscrits dans le Livre d’or : les autocollants,

transparents, obligent le visiteur à diverses contorsions pour contourner les reflets. La

nouvelle salle Des idées et des hommes va donc bénéficier d’un nouveau support. La charte

graphique reste exactement la même pour ne pas dénoter avec les cartels des autres salles,

notamment la couleur mauve. Mais alors qu’il y a avait aussi un problème de lisibilité au

niveau de la succession des langues (titre en français, titre en basque, titre en castillan, puis

texte en français, en basque et en castillan), le directeur n’a pas voulu que ce point soit corrigé

par la même occasion, afin de ne pas rompre avec l’ordre de lecture des autres salles.

4.1.2. Les expositions temporaires

Jean Haritschelhar dans Hommage au Musée Basque évoque les ressources que représentent

les réserves : « D’autre part, il est toujours loisible, par un système de rotation, de varier la

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113

présentation des salles dans le musée en utilisant les objets placés en réserve ; ainsi le visiter

assidu ne se trouve pas toujours confronté à une exposition immuable. La variété offre un

attrait supplémentaire et témoigne de la richesse du musée. En outre, les expositions

temporaires ont pour but de présenter, grâce aux réserves, des thèmes différents. » (p.602).

Pour les expositions temporaires, le conservateur et l’attaché de conservation disposent d’une

base de travail pratiquement vierge. Pourtant ils ne la conçoivent pas de la même manière.

Alors que le conserveur part toujours d’une collection ou d’une série d’objets qu’il veut

valoriser, l’attaché de conservation, lui, part d’une idée puis la développe à partir des objets à

sa disposition.

« Et bien donc on a d’abord une première idée qui peut faire deux pages et donc qui doit être

validée par la direction et les élus et après donc une fois que c’est validé généralement on

arrête des dates globales et après il faut faire un premier budget, donc tu déclines tout ce que

tu vas/ tout ce qui va coûter des dépenses, d’abord la signalétiques, les peintures, les

publications s’il y en a, le graphisme, la restauration d’œuvre, les cartons d’invitation, tout ce qui

est communication, publicité, etc. Et après le travail consiste oui d’abord à écrire ton projet,

c'est-à-dire une exposition il faut d’abord qu’il y ait un synopsis « qu'est-ce que tu veux dire » et

dans un deuxième temps / donc ça c’est une amplification de ton premier jet que tu développes

vraiment ce que tu veux. Et après tu dois bien choisir les œuvres. Qu'est-ce que tu vas mettre

derrière pour illustrer tel ou tel thème ? Donc ce qui est primordial c’est le propos ça c’est sûr.

Et après les œuvres viennent et les objets viennent pour illustrer, quand on a pensé au premier

projet, on y a pensé en fonction de nos collections, voilà c’est sûr mais c’est d’abord vouloir dire

quelque chose et après voilà c’est présenter dans telle salle il y aura ça, ça, ça et ça, donc ça

c’est vraiment le détail de la présentation. Après si il y a des prêts extérieurs, il faut solliciter les

prêts extérieurs, il faut trouver des assurances, donc ça c’est le travail en amont que tu fais toi

derrière ton ordi et après une fois que tu t’approches du moment de l’expo enfin un peu plus

tard ou même ça peut être, si c’est un gros travail à faire ça peut être même en avance aussi,

c’est travailler à la mise en scène avec le menuisier. Normalement tu fais appel, dans les

grandes expos tu fais appel à une boite, tu mets des boites en concurrence pour te faire la

signalétique mais ça te coute donc nous on fait en interne. Mais on voit avec les espaces qu’on

a, avec le menuisier, et comment on va faire, quelles parois, quelles cimaises ou quelle couleur,

voilà. Et après arrive la partie vraiment montage où tu t’occupes, t’es plus sur place, l’

accrochage, il y a tout un boulot généralement assez long de signalétique aussi dans les

derniers moments parce que c’est généralement, tu le fais quand tu as vraiment arrêté les

œuvres, tu sais que tu les as placées donc ça se finit généralement un peu tard, comme ça doit

être traduit […] Et après l’accrochage, il y a toujours un coup de bourre parce que il y a des

choses auxquelles tu ne penses pas. Ça, échelonné sur trois-quatre mois. » (Jacques, attaché

de conservation).

Page 114: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

114

Pour des raisons budgétaires et d’espace, les expositions temporaires sont rares. Les

dernières ne sont pas des créations originales du Musée Basque, même si son équipe a

participé à leur reconfiguration et leur installation.

En 2010, Hommage aux ballets Olaeta (septembre 2010), une exposition clé en main conçue

par la Diputacion de Biscaye (à qui la famille Olaeta a fait don en 2008) a été présentée au

Musée Basque. Habiter les Villes fortifiées (16/09/10-16/01/11) était un projet d’exposition

du Conseil Général, qui consistait en une adaptation d’une exposition qui avait eu lieu à la

Cité de l’architecture lors de l’année Vauban (2007) et qui a été « re-mastérisée » par ses

commissaires et le conservateur du Musée Basque à des exemples du département des

Pyrénées-Atlantiques. Aquitaine préhistorique (03/03/11-22/05/11) est une exposition

commissariée par Vincent Mistrot du Musée d’Aquitaine de Bordeaux, qui l’a « re-calibrée »

pour le Musée Basque.

Après ces deux dernières importantes expositions temporaires, les salles du rez-de-chaussée

ont retrouvées leur fonction de salles d’exposition permanente des collections agropastorales

en juillet 2011. Il restait encore un espace disponible : la salle 2.08. Cette salle (originellement

cabinet d’arts graphiques) est divisée en deux espaces par une cimaise. Six sculptures

contemporaines y sont exposées en permanence, mais elles peuvent être regroupées si besoin

dans le second espace. Le conservateur et l’attaché de conservation ont donc continué à

concevoir des projets d’exposition temporaire.

Pour l’année 2012, le conservateur, qui vient de signer un livre sur l’artiste Ramiro Arrué à

partir de collections privées, a proposé une exposition sur le même artiste à partir de ses

œuvres issues des collections du musée. L’attaché de conservation, qui prévoyait de présenter

en juin un numéro hors-série du Bulletin du Musée Basque - ayant pour thématique la collecte

du contemporain - avait aussi rédigé un projet d’exposition temporaire pour l’accompagner.

Mais aucune des deux n’a été retenue pour des raisons budgétaires. A la place, la Ville de

Bayonne a proposé deux expositions auxquelles seuls les techniciens devraient participer

(pour le montage).

4.2. Monter (et entretenir) une exposition : le volet technique.

Le montage d’une exposition temporaire ou la réinstallation des collections dans l’exposition

permanente est un travail collectif, où interviennent en particulier les compétences des agents

du pôle technique, mais où d’autres agents volontaires peuvent aussi apporter leur aide.

Page 115: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

115

Portrait : Christian, régisseur technique

Christian a 41 ans. Après l’obtention d’un baccalauréat, il est entrée à l’ESRA, l’Ecole

Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (trois ans). Après son service militaire, il a suivi une

formation complémentaire de « régisseur spectacles et conventions » (où il a appris la façon

de gérer, d’organiser, de manager les salons professionnels et les spectacles). Ensuite, il est

entré dans une société de production qui travaillait pour Canal + (notamment à l’organisation

de la fête annuelle du personnel de la chaîne, un évènement « à l’image de Canal des années

80 : plus c’était gros et mieux c’était »). Par la suite, il est entré au Ministère de la défense, au

cabinet du ministre, comme responsable de la cellule audiovisuelle.

Il a alors participé, dans le cadre d’une opération de vente d’une partie du patrimoine

immobilier qui appartenait à ce ministère, à la transformation de certains bâtiments ou salles

en auditorium, en salles de conférences, de cinéma. Il était chargé de suivre les travaux pour

la construction de ces nouveaux espaces, en ce qui concernait la partie technique : son, vidéo,

informatique, rédaction de cahiers des charges. Puis il décide de quitter Paris pour venir

s’installer au Pays basque où vivait sa famille.

« Candidature spontanée. Au bon moment, coup de bol. Mais je savais qu’il devait rouvrir, je

savais qu’ils [la Ville] recherchaient un profil plus ou moins équivalent au mien, par rapport à

tout ce qui était audio-visuel, informatique et tout ça. […] C’était l’opportunité d’avoir un poste

qui correspondait à mes compétences ici. Après, content d’être au Musée Basque, parce que

évidemment étant moi-même dans le monde de la culture, c’est sûr que c’est l’idéal. Entre ce

que j’aime faire en dehors du boulot et le boulot, bon, c’est quand-même assez proche, donc

c’est l’idéal. »

D’abord assigné à la surveillance, il a peu à peu fait valoir ses compétences en audio-visuel et

en a aussi développé des nouvelles liées à l’entretien des bâtiments (climatisation, électricité,

informatique) permettant ainsi au musée d’élargir ses activités. Il rédige les cahiers des

charges pour tout ce qui relève du matériel ou du technique (le marché téléphonique, la

pointeuse, l’informatique).

« Donc voilà, petit à petit, on grappille du terrain en faisant des choses qu’on n’a pas à faire

mais bon on les fait quand-même et ainsi de suite. Et puis après, à force de soumettre des

idées, soumettre des devis, de .. bon, il y a eu un ordinateur pour commencer la numérisation

de tout ce qui était audio et vidéo, et puis éventuellement, enfin petit à petit, en dix ans, bon, ça

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116

a pris dix ans quand-même pour réellement avoir un minimum de matériel vidéo qui puisse

permettre de la prise de vue vidéo, pour faire du montage et tout. Donc ça me permet de faire

un petit peu de numérisation, alors ça pas trop parce que je n’ai pas trop le temps, mais sinon

un peu de production vidéo. Pour le musée, un peu de montage et puis après beaucoup,

beaucoup d’informatique et … puis un peu d’entretien d’électricité et tout ce qui est matériel

audiovisuel ou qu’il faut mettre en place pour les expositions ou qu’il faut entretenir parce que

voilà y a des soucis de maintenance et qu’il y a toujours de la maintenance préventive à faire. »

Christian travaille en horaires un peu décalées (de 7h à16h du lundi au jeudi et de 7h à11h le

vendredi) pour pouvoir intervenir le plus possible dans le musée lui-même avant l’ouverture

au public (à partir de 10h ou 10h30) ; le lundi le musée étant fermé toute la journée il a « donc

le temps « de faire des gros trucs ».

Il est également en charge de la réalisation des « Zoom collection » diffusés sur le site

Internet.

« On a un « zoom collection » où il y a un intervenant mensuel, bien voilà. Quand j’ai la liste et

quand je sais qui va être interviewé, je prends contact avec la personne, on se voit, je les filme.

Ils racontent leur petite histoire comme on fait là et puis après j’assure le montage, la mise en

forme pour entrer sur le site. Plus pas mal d’entretien sur le site web, quand les gens me

demandent de faire des corrections j’y vais et je fais les corrections nécessaires. Bon je ne suis

pas le seul à faire ça […] ».

Mais ce n’est pas pour autant lui qui décide du contenu.

« Moi je leur ai toujours dit : le contenu, enfin le fond, c’est pas moi qui vais vous le faire. Parce

que je n’ai pas les compétences scientifiques, je suis très très loin, je suis à dix mille lieues

d’avoir les compétences d’un Jacques Battesti ou d’un Olivier Ribeton sur ce qu’il y a dire ou

sur ce qu’ils veulent dire. […] Les scientifiques ce sont eux, donc qu’ils le fassent, mais moi

après dans la mise en forme, que ce soit sous forme de films, sous forme de narration, sous

forme de diaporama, sous forme de bande sonore, sous forme de tout ce qu’ils veulent, moi je

peux le faire, ce n’est pas un problème. Moi il me donnent « voilà il y a telle personne à aller

voir » / c’est comme pour les ville fortifiée, moi je leur ai dit « je peux le faire », ils ont sauté sur

l’occasion parce qu’on était en partenariat avec / c’était plus ou moins géré par Mr Maury , enfin

je ne sais plus comment il s’appelait le cabinet / eux ils ont dit « puisque vous pouvez le faire,

on va le faire avec vous ». Donc on a acheté le matériel, qui est un investissement pour le

musée […] et on a fait les interviews. Le contenu, c’est la personne qui gérait l’expo qui posait

les questions, ce n’est pas moi qui vais aller poser / ou alors s’ils ne peuvent pas se déplacer,

ils me préparent le questionnaire, ça ce n’est pas un problème. Mais ce n’est pas moi qui vais

Page 117: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

117

assurer et qui vais diriger la personne vers les sujets à évoquer, ça ne s’invente pas, c’est une

compétence, c’est un métier. »

Il accepte toutes ces missions autres que liées à l’audio-visuel parce qu’elles l’intéressent.

Pourtant, à un moment donné, il aimerait que les économies qu’il fait faire au musée et l’aide

qu’il apporte soient reconnues par une nomination en catégorie B. La polyvalence progressive

des agents (souvent techniques mais pas seulement), en réponse aux besoins croissants (et au

budget pas toujours à la hauteur) d’une institution telle qu’un musée, pose un « problème »

lorsque les nouvelles responsabilités sortent du cadre initial. Nous avons rencontré plusieurs

cas similaires au Musée de la Corse. La demande de reconnaissance officielle n’a pas pour

objectif que l’augmentation de la rémunération, l’agent est aussi mieux couvert en cas

d’accident.

« Là on va voir je leur ai fait une note parce que j’ai eu le concours d’agent de maitrise il y plus

de six ans donc je peux être nommé en interne « agent de maîtrise principal », on va voir ce

qu’ils vont faire. En plus ça ne leur coûte pas plus cher pour l’année prochaine parce que c’est

exactement le même indice. »

Hors du musée, il est également directeur et chorégraphe d’un groupe de danse basque qui

propose des spectacles de danse « métissage, moderne jazz et flamenco ».

« Et donc par rapport à ces compétences-là, que tu as en dehors du travail, tu en penses quoi

de la salle sur la danse ?

_ […] Je pense que ce n’est pas mal mais que ça pourrait être mieux. Le problème / bon, on ne

voit pas les costumes et tout ça alors qu’ils ont une grande richesse […] et le film, il était bien

au départ, mais il y a d’autres aspects. Moi je changerais ce film, ça fait dix ans que c’est le

même. C’est encadré par les deux tableaux du fandango […] Et moi je montrerais aussi le côté

vivant de la danse, mais ça, ça c’est un problème avec tout le musée, en général, je trouve que

le musée en général il a trop ce côté « ethno » et qui dit ethno dit forcément vieux. Non mais

c’est vrai, dans l’idée des gens et dans la façon dont c’est montré je suis désolé mais… il n’y a

aucune corrélation entre ce qui est montré au musée et l’actualité… il n’y a rien. Un Basque ça

vit aujourd'hui, le Basque ce n’est pas … le Basque, l’animal exotique d’il y a cinquante ans

comme on voudrait le faire croire au sein du musée. Un Basque ça vit aujourd'hui. Ça parle

basque, ça vit, ça a des considérations actuelles, ça a les mêmes problèmes actuels que les

autres. Donc et ça a ce côté décalé… moi quand je dis à Rafa « pourquoi on passe pas à

Page 118: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

118

l’auditorium le film XXI81

qui avait été fait par l’Institut Culturel il y a deux ans ? », il me répond

« ah c’est un peu trop moderne, les gens sont désarçonnés, c’est un peu trop moderne ». Mais

merde, c’est non, c’est l’actualité du Pays basque ! […] C’est sûr, il y a le côté ethno qui est très

important, mais il faut montrer aussi l’actualité, quoi, de la chose.

_ Mais tu sais que l’ethno justement ce n’est pas que ça…

_ Non mais quand je dis « ethno »… parce que il y a toujours un côté plein de poussière de

l’ethno. C'est-à-dire que nous ici en tout cas culturellement on en justifie les choses que parce

que tel ethnologue a fait ça il y a quarante, cinquante ou soixante ans. A croire que l’ethno

actuelle ne sera crédible que dans cinquante ans. […] Même si on ne peut pas le faire par les

objets […] si on ne peut pas le faire par les objets parce qu’effectivement on a entre guillemets

que de « vieux » objets, on pourrait au moins le faire par par.. par les films, par le multimédia,

par une borne tactile, par voilà quoi ».

Il est donc absolument convaincu de la pertinence d’une réflexion sur la collecte du

contemporain au Musée Basque. Sa connaissance du milieu associatif peut aussi être une

opportunité pour le musée.

« Est-ce que tu te considères comme un acteur culturel ?

_ Ah oui !

_ Et comme un militant culturel ?

_ Aussi.

_ Et par rapport à ta profession, c’est des choses que tu exploites dans ton métier au musée ?

_ Bien, j’ai tout de suite un relationnel très facile [ …]. Déjà s’ils sont d’ici il y a 90% de chances

que je les connaisse, en général quand ils viennent je les connais et ensuite si je ne les connais

pas, on a un abord très facile parce que … parce que voilà je sais de quoi on parle, je sais

quelles sont les difficultés qu’ils soient professionnels / bon moi je fais ça au niveau amateur

mais je sais très bien que la professionnalisation des pratiques amateur est très difficile et au

niveau traditionnel c’est 80% d’amateurs, sauf en musique et en chant un petit peu mais ce

n’est pas terrible. […] Si on me demande mon avis je peux le donner […] au tout début du

« Zoom collection » / disons que moi ce que je leur reproche c’est qu’ils s’appuient toujours sur

les mêmes personnes. Alors effectivement quand on ne connait pas bien le milieu c’est facile de

s’appuyer sur ces personnes-là parce qu’on pense que c’est / mais bon il y a une autre

actualité. Si on veut mettre les choses en perspective ou en tout cas attraper un autre point de

vue, c’est aussi intéressant d’appeler une autre personne. »

81

Iparraldea XXI est un petit film de dix-huit minutes, produit en 2010 par l’ICB avec la participation de la

Diputación de Gipuzkoa, destiné à faire découvrir aux jeunes du Pays basque espagnol (Hegoalde, le côté sud),

ceux du côté nord (Iparraldea), leurs loisirs, leur créativité, leurs engagements. Le film est sous-titré en euskara,

français, castillan, anglais et catalan. Il a été largement diffusé dans divers lieux culturels, au nord comme au

sud, et est accessible gratuitement sur Internet : http://www.eke.org/fr/partaideak/blogak/iparraldea21/bideoa/

Page 119: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

119

Le cas de Christian est intéressant car au-delà d’un poste technique, il développe aussi un

point de vue sur la culture et ses représentations grâce à son expérience associative. Nous

avons rencontré le même cas de figure au Musée de la Corse où les agents de catégories C et

B ont plus d’activités associatives que les catégories A. Certains considérant même que certes

si leur métier peut être qualifié de « métier du patrimoine » parce qu’ils l’exercent dans un

musée, en fait ils se sentent surtout acteurs du patrimoine dans leur vie associative.

Portrait : Philippe, menuisier

Philippe a trente-huit ans. Il a passé un Baccalauréat professionnel de « technicien d'études du

bâtiment », c'est-à-dire de collaborateur d’architecte, mais très vite il s’est rendu compte qu’il

n’était pas fait pour « rester dans un bureau ». Il s’est alors tourné vers le métier d’ébéniste, a

rejoint d’abord les Compagnons du tour de France, puis a exercé huit ans par intérim. Il a

envoyé plusieurs années de suite des candidatures spontanées au Musée Basque, jusqu’au

départ à la retraite du menuisier qui y exerçait. En 1998, il entre donc au Musée Basque

comme menuisier, en charge de toutes les collections « bois », « du manche de pioche au

meuble ». Ses missions sont la conservation et la restauration des objets en bois et

parallèlement la fabrication de socles et autres meubles d’exposition. Il dispose d’un atelier à

Château-Neuf avec tous l’outillage nécessaire.

Il nous a expliqué la différence entre un menuisier (qui est aussi un terme générique),

charpentier et ébéniste par une marge d’erreur tolérée dans la précision (un centimètre de

décalage acceptable dans le travail d’un charpentier, un millimètre pour le menuisier et un

dixième de millimètre pour un ébéniste). Connaitre les spécificités de chaque essence est aussi

primordial, toutes ne se prêtent au même usage. Un autre point important est la réversibilité de

son travail, comme pour le marquage des objets évoqué par Marie, Philippe doit s’assurer que

son travail de restauration puisse être repris. Car « les techniques évoluent, peut-être que dans

cinquante ans on trouvera quelque chose de mieux ». Pour cela il utilise par exemple de la

colle de poisson plutôt que de la colle à bois, car en la chauffant et l’humidifiant, il est tout à

fait possible de la dissoudre.

En parallèle à son emploi au musée, il exerce une activité de sculpteur, ce qui explique son

intérêt de travailler plus particulièrement dans un musée.

Page 120: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

120

5. Présenter l’exposition au public : la médiation

5.1. Le Service des publics

Nous avons suivi de près le travail du service des publics qui nous parait primordial dans la

fabrication et la transmission du patrimoine, même s’il n’intervient que dans un second temps,

à partir du travail des conservateurs. Nous avons notamment assisté à des réunions de service,

accompagné l’animatrice en intervention, suivi des journées de formation à destination des

enseignants.

Au cours des réunions de service auxquelles nous avons assisté, il a surtout était question de

l’élaboration d’une visite guidée à destination des scolaires qui n’ont pas le désir de suivre un

module pédagogique (impliquant notamment la participation de l’enseignant). Le but de cette

visite guidée serait de donner un aperçu du musée, en tenant compte tout de même d’un

minimum d’objectifs pédagogiques, dans un mode plus passif, quelque chose qui ne demande

pas de travail particulier en amont de la part de l’enseignant. Nous avons suivi un des essais

de cette visite guidée. L’enseignante avait contacté le musée car elle cherchait un lieu culturel

à faire visiter à ses élèves après une visite du théâtre de Bayonne. Le Musée Bonnat étant

fermé et le musée d’histoire naturelle un peu excentré, le Musée Basque s’est imposé comme

une évidence.

Portrait : Maud, responsable du service des publics

Maud a trente-neuf ans. Après une licence en archéologie puis une maitrise de sciences et

techniques du patrimoine (1997), elle a passé le concours d’assistant de conservation du

patrimoine du Conseil Général de l’Hérault ; elle a ensuite travaillé au Musée départemental

de la Céramique du Puy-de-Dôme. En 2005, elle a été titularisée au CEP, en tant que

médiatrice culturelle, chargée plus particulièrement des expositions temporaires et de

l’évènementiel. Elle est donc un agent du Conseil général en disponibilité pour un an au

Musée Basque, arrivée en mai, elle remplace Maïder (elle aussi en disponibilité). Elle avait

déjà travaillé justement avec Maïder, en 2006 sur une exposition sur la métallurgie dans les

Pyrénées-Atlantiques (Maïder avait été sollicité par le CEP pour du rédactionnel) ; puis au

moment de l’exposition temporaire au Musée Basque Habiter les villes Fortifiées en 2010 le

CEP avait proposé un module pédagogique (sur les villes fortifiées de Navarrenx et Saint-

Jean-Pied-de-Port).

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121

Son expérience, le fait qu’elle soit agent du Conseil Général, sa disponibilité rapide, ont fait

d’elle une candidate évidente pour ce remplacement temporaire au Musée Basque où elle est

donc entrée en 2011, comme « assistante qualifiée conservation 2ème

classe ».

Elle définit et organise les dispositifs de médiation culturelles développés autour des

collections, c'est-à-dire qu’elle assiste le conservateur par exemple dans l’écriture des cartels

et des panneaux de salles remaniées. Elle coordonne les animations culturelles et

pédagogiques mises en œuvres au musée et développe et anime les partenariats culturels, par

exemple dans le cadre d’évènements organisés par la Ville de Bayonne, elle organise des

manifestations au Musée Basque (la semaine de la petite enfance, la semaine bleue destinée

aux seniors, le « carnet de route » destiné aux scolaires). Elle intervient aussi en renfort sur les

animations et les visites guidées. Elle ne participe pas à l’agenda évènementiel du musée. Elle

a cependant centralisé toutes les propositions pour le mois de septembre, des propositions qui

viennent de la mairie, de la part d’associations diverses ou de conférenciers.

« Il y a un travail avec les partenaires que sont : la mairie de Bayonne forcément, parce qu’il y a

énormément d’opérations qui sont faites en partenariat, notamment l’opération « Carnet de

route » qui est proposé pour le premier degré donc les primaires qui permet aux établissements

scolaires de venir gratuitement dans les différents musées de la ville de Bayonne[…]. les guides

de l’Office de tourisme avec qui ont travaille aussi sur des modules pédagogique […] il y a une

partie dans le musée et une partie sur le terrain, en fonction des sujets qui sont abordés. Par

exemple il y a une thématique sur le port de Bayonne, qui est proposée depuis quelques

années maintenant, donc il y a un travail sur la maquette du port de Bayonne au musée, la salle

de la navigation pendant une heure, une heure et demie et ensuite l’enseignant peut, en

complément ou pas, c’est au choix, aller sur le terrain et avoir un prolongement avec les guides

de l’office de tourisme qui proposent une offre très complémentaire. »

Elle a participé notamment à la réinstallation des collections agropastorales.

« Il a fallut faire de nouveaux textes et c’est là que je suis intervenue avec Olivier, le

conservateur qui a fait la trame, et moi j’ai travaillé sur la relecture et puis le choix des

supports : est-ce qu’on devait par exemple proposé des panneaux de salles, est-ce qu’on devait

rajouter des cartels, sachant qu’en effet on avait encore une fois un budget très restreint, donc

finalement on est parti sur le minimum… […] Moi j’ai suggéré aussi par exemple qu’il y ait à un

moment donné une petite vidéo en accompagnement parce que c’est intéressant aussi qu’il y

ait des supports à la fois écrits, audio et vidéo. »

Page 122: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

122

A l’occasion des Journées européennes du patrimoine, elle a participé au montage de

l’exposition sur la collection Voulgre.

« C’est un rôle de coordination des projets, de faire remonter un petit peu les propositions, moi-

même je leur ai proposé de faire une présentation à la manière d’un cabinet de curiosité. Voilà.

Et puis de travailler après sur les cartels, par rapport aux textes qui vont être fournis [par

Sophie] et puis j’au travaillé avec Philippe aussi sur la mise en place des objets, donc Sophie et

Olivier ont choisi les objets, moi j’étais avec eux pour ça, pour bien visualiser le choix des objets

dans les réserves et ensuite j’ai travaillé avec Philippe qui est menuisier, qui s’occupe de toute

la partie technique au musée pour la scénographie. […] c’est pas très ambitieux, il s’agit juste,

enfin entre guillemets car c’est quand même important, il s’agit juste d’habiller les vitrines car il

n’y a pas de support aujourd'hui dans les vitrines donc on a travaillé avec Philippe pour savoir

quels objets en fonction de leurs dimensions et de leur thématique, leur nature, quels objets

allaient dans quelle vitrine et comment les présenter, par rapport aux préconisations de Sophie

Cazaumayou. Donc on a fait une proposition par rapport à ça. […] Et après j’ai fait aussi le lien

sur la communication. Puisque par exemple Evelyne Bacardatz qui est à la mairie de Bayonne,

à la Direction du patrimoine, qui est attachée de conservation, centraliste toutes les propositions

de tous les partenaires au niveau de la ville et puis les rassemble dans le programme de la

ville. »

Elle a aussi collaboré avec un guide de la Ville de Bayonne à la rédaction d’un document

d’accompagnement à la visite en anglais, puisque cette langue ne figure pas sur les cartels et

les panneaux de salles.

Le service des publics ne propose pas encore d’offre spécifique pour les adultes en dehors des

animations de la Ville et les visites guidées pour les groupes (effectuées par Maite). L’offre en

direction du public handicapé est trop limitée selon elle, mais elle n’a pas encore eu le temps

d’y réfléchir. Le seul parcours disponible est celui des consoles tactiles, destiné aux mal ou

non voyants ; ces consoles servent surtout pour le moment à l’exploration sensorielle auprès

du jeune public.

Elle s’occupe surtout de coordonner ces projets, en participant à des réunions avec les

partenaires et en concevant des animations. Pour la Semaine bleue par exemple, puisque les

guides de la Ville proposaient des visites intergénérationnelles (grands-parents et petits-

enfants), elle a chois de reprendre ce concept et d’inviter deux conteurs pour une visite du

musée. Le conte est en effet considéré comme un outil de médiation approprié aux enfants,

tout en étant intéressant pour les adultes.

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123

Parallèlement à ces animations, elle essaie d’accroitre ses connaissances sur les collections du

musée et la culture basque.

« Je devrais lire beaucoup parce que là je ne connais pas assez les collections et il faut que je

m’en imprègne vraiment. Donc c’est au coup par coup. […] Le travail avec le conservateur est

indispensable, Olivier c’est une personne ressource qui connait très bien les collections.

_ Est-ce qu’on peut dire que la conservation c’est plus le fond et la médiation la forme ?

_ Ah non. Parce que qu’on n’est pas que sur la forme. Pas seulement. C’est une adaptation des

contenus et ça veut dire aussi parfois les remodeler ces contenus, donc pour moi on est aussi

sur le fond du coup. C’est pour ça qu’il faut dès le départ intégrer la médiation dans un

projet. […] Il y a la connaissance de l’objet et il y a le discours autour et en fonction des publics

auxquels on s’adresse bien évidemment le discours s’adapte. »

Elle considère son métier comme un métier du patrimoine, et est très contente de son poste au

Musée Basque. Elle a quitté le CEP d’Irissarry justement parce que il n’y a pas de collection,

alors qu’elle voulait être en contact avec les objets, travailler sur un fonds tangible. Toutefois,

la responsable des publics titulaire devant reprendre sa place en mai 2012, Maud quittera

alors le musée.

5.2. L’éducation au patrimoine

Argitu, le service éducatif du Musée Basque, créé en 1988 et supprimé en 2008, a toujours été

encadré par Mano Curutcharry. Même si elle n’a jamais été employée au musée, elle en est un

acteur majeur.

Portrait : Mano, professeure relais

Mano a cinquante-neuf ans, originaire de Baigorri, elle vit aujourd'hui à Anglet. Après une

maitrise d’Histoire sur le village de Baigorri au XVIIIe siècle, elle a passé le CAPES à

l’Université de Pau. Elle a toujours été professeur de l’Education Nationale, depuis

l’obtention du concours en 1975. Elle a enseigné au Pays-Bas, puis cinq ans en Haute-

Normandie, huit ans dans le nord des Landes et enfin à Tarnos (à côté de Bayonne) depuis

1989. Elle a aussi été « professeur certifié hors-classe d’histoire-géographie ». Elle est aussi

« professeure relais départementale Patrimoine, chargée de mission au Musée Basque et de

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124

l'histoire de Bayonne » de janvier 1988 à septembre 2011. Elle est depuis « conseillère

académique ».

« J’ai eu l’occasion pour l’association Lauburu de rencontrer Gabriel Mutte qui était un

inspecteur général d’histoire en charge du patrimoine au Ministère de l’Education […] On l’a

rencontré, il avait visité incognito le Musée Basque qui à l’époque était l’ancien musée et il a dit

« il faut créer un service éducatif ». Et en fait, l’idée est née de Gabriel Mutte et d’un inspecteur

pédagogique régional […]. Je me souviens le 6 janvier arriver dans le bureau de Jean

Haritschelhar, qui était le directeur du musée à l’époque, en disant « bonjour Mr Haritschelhar

je viens créer un service éducatif ». Et il m’a dit « c’est quoi ça ? » et je lui ai dit « je ne sais

pas » [rire]. Voilà. […] Ça a été l’initiative de l’Education Nationale, complètement, donc du

Ministère de l’Education, via le Rectorat de Bordeaux. Et puis il a été accepté spontanément par

tout le Musée, par Haritschelhar, la Ville, petit à petit le poste a été entériné. Ils ne me payaient

pas, je faisais plein d’heure, j’ai ouvert le musée aux scolaires, quand je dis scolaires : élèves

comme enseignants, c’était tout bénéf pour la Ville. »

Elle se considère pleinement comme une militante culturelle.

« Pour être en service éducatif, dans l’action culturelle, que ce soit dans l’Education nationale

ou ailleurs, il faut être des véritables militants. Et là c’était je dirais militant à la fois de la

pédagogie et de la culture. Et puis ce sont des postes qui sont très chronophages. […] mais ce

n’est pas grave. Pour moi ça a été un enrichissement personnel, ça a été pour moi une

fantastique aventure, vraiment, parce que j’ai rencontré des gens très différents, des profs, des

enseignants mais aussi des gens du monde culturel et c’est ça qui m’a passionnée. J’ai appris

tout le temps tout le temps. Envie d’apprendre mais envie aussi de transmettre. Pour Argitu,

pour le service éducatif du musée jusqu’en 2008 avec un réseau de partenaires qui ont fait

vivre ce service, notamment pendant la longue fermeture du musée, qui a été tout à fait

exceptionnel. On a mis les profs sur le terrain pour qu’ils réfléchissent sur des thématiques qui

seraient reprises après dans l’exposition permanente d’un musée rouvert donc en 2001. »

Bien qu’elle ne fut jamais employée du Musée Basque, elle a fait pleinement partie de

l’équipe.

« Et puis toute l’équipe, Alain, Marie-Hélène, les gardiens, je les avertissais de tout, quand une

classe venait […] ils était au courant et si j’avais besoin d’eux ils étaient là. […] Après Jacques

aussi a participé à des projets. A partir de 2008 on est rentré dans d’autres logiques éducatives

ou d’animation, le service du public, je ne sais pas comment dire, donc bien sûr c’était moins

impliquant. »

Page 125: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

125

En 2008, le service avec la création du service des publics, le service éducatif a été supprimé,

annonçant une nouvelle orientation du Musée Basque.

« En 2008, le nouveau directeur du musée a décidé qu’Argitu ne devait plus exister puisqu’il y

avait un service des publics, avec Maïder on a beaucoup réfléchi, Maïder qui avait la

responsabilité de ce service des publics, on a réfléchi. Moi j’ai dit « je n’ai rien à dire là-

dessus », moi j’ai dit « c’est dommage parce que Argitu c’était une référence, c’était une lisibilité

d’un certain partenariat privilégié avec l’Education Nationale ». Bon, ça n’a pas été souhaité, on

a juste parce que je l’ai demandé et que cette demande a été relayée par Jacques et Maïder, le

mot « Argitu » est resté juste pour la salle du premier étage à Dagourette. Mais contre vent et

marée puisque Zulaika voulait l’appeler « Errobi ». Et donc il a supprimé et c’est un petit peu

dommage. Et c’est vrai après qu’on est rentré dans d’autres logiques, d’autres logiques et je

crois que on en rentré dans la logique plus du quantitatif que du qualitatif, ça c’est évident.

Après je dirais c’est dans les normes je dirais du musée. »

Cette nouvelle orientation met en exergue une différence majeure, selon elle, entre éducation

et animation.

« Alors c’est quoi la différence ? L’animation c’est / je dirais que la classe est plus dans une

consommation de produit culturel de qualité, l’éducation : le prof est véritablement responsable

de sa classe et de son projet, le partenaire culturel qu’est le musée, lui il est là pour faire vivre le

projet de l’enseignant, et cela veut dire que les enseignants comme les élèves sont acteurs de

leur découverte. C'est-à-dire qu’il y a une implication différente, ça veut dire que pour que ces

projets existent il faut qu’ils soient négociés avec les enseignants. Alors c’est vrai que c’est très

très exigent […] donc on a mis en place les « Guides Juniors », c’étaient des projets

complètement fous mais absolument superbes. […] Alors tout en sachant bien que le monde

culturel est un peu pédagogue et que le monde de la pédagogie que sont les enseignants, ils

sont un peu culturels. Et c’était la complémentarité de compétences différentes qui fait que les

classes ont pu vivre des projets absolument superbes. Et superbes pour eux mais aussi pour

l’équipe scientifique qui du coup avait aussi un regard parfois différent sur les collections. Et

c’est ça qui est intéressant. Et c’est pour ça que mon poste n’a jamais été auprès du service

des publics […], mon poste il est auprès de l’équipe scientifique. Il y a un discours scientifique

qui est décliné par l’équipe de la conservation, à moi de trouver les moyens de valoriser ce

discours pédagogiquement. »

Ainsi, les projets pédagogiques jouaient aussi un rôle au-delà du service éducatif, ils

permettaient de synthétiser des connaissances et de construire des outils de médiation pour le

grand public : « Ces projets pédagogiques, ils nourrissaient aussi l’offre culturelle qui était

Page 126: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

126

plus légère. ». L’un des derniers projets d’Argitu a été par exemple de créer avec des élèves

un outil de médiation qui aurait pu être exploité par le musée dans son exposition permanente.

« On est arrivé à des projets, par exemple avec une classe en difficulté du collège Camus, donc

rive droite de Bayonne, on est arrivé en 2007, au fait que les élèves ont conçu des

enregistrements pour que les gens comprennent la maquette des chantiers navals de Bayonne

et ils l’ont conçu en français et en espagnol. Et c’était très simple, il suffisait d’acheter des MP3,

ça coute pas trois francs six sous et les gens ils avaient un commentaire qui a été adapté pour

le grand public. »

Selon elle, l’éducation au patrimoine est une démarche particulière qui doit partir du « vécu »

des élèves, le médiateur doit savoir se taire et les écouter, il doit aussi être modeste c'est-à-dire

ne pas vouloir dire tout ce qu’il sait. Le but n’est pas tant de leur transmettre des

connaissances que de susciter leur curiosité et leur apprendre à réfléchir par eux-mêmes.

« En fait il faut avoir dans la tête un message intellectuel qu’on va faire passer, à la fois formatif

et je dirais informatif, mais il faut prendre le temps. Il y a des profs qui venaient me voir en

disant « on veut découvrir tout le musée » et je dis « non, on va découvrir six objets en une

heure et demie ». Ils râlaient parce qu’ils sont dans la logique de consommation, on veut

rentabiliser, mais non, nous on est là plus pour donner des clés de lecture, bien sûr donner des

informations, mais moi ce qui m’intéresse dans la démarche éducative c’est qu’ils partent en se

posant des questions. »

Pour atteindre cet objectif, l’implication de l’enseignant et des élèves est indispensable. Les

« fiches » ne sont jamais une fin en soi. Elle exige une rigueur scientifique, elle permet de

synthétiser et de hiérarchiser les connaissance, de s’assurer que tout le monde a eu les clés de

compréhension. Mais elle n’est là que pour guider la lecture. Le document reste surtout le

souvenir matériel, le lien avec le musée. « Il ne faut pas qu’il remplace le contact avec

l’objet ». C’est la médiation qui constitue l’essentiel de l’expérience, et la médiation consiste

justement à « trouver les moyens de les impliquer ». Elle a utilisé l’exemple d’un projet sur

les stèles funéraires, pour nous expliquer l’importance capitale de la médiation dans le

processus d’appropriation du patrimoine par les élèves et la création d’un lien personnel avec

le musée.

« Éveiller la curiosité et le sens critique à partir des collections d’un musée, c’est formidable.

Sans oublier le plaisir de découvrir quelque chose. C’est pour ça que dans certains projets on a

Page 127: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

127

fait parrainer certains objets par des élèves […] « Coups de cœur pour le musée » en fait quand

on a décidé de mettre en place le troisième Guide junior, toujours avec Thyphaine qui a été

remarquable, ce qui s’est passé c’est qu’il fallait pour impliquer les élèves […] pour passer une

journée au Musée Basque il y avait une série d’objets qui avaient été retenus et notamment les

stèles discoïdales. Alors les stèles, c’est très bien. Comment pour des adolescents parler de la

mort et les impliquer ? Et bien ils sont devenus par duo responsables d’une stèle, ils

parrainaient une stèle. […] Et le jour où on a présenté le Guide Junior, les parents étaient là. Il y

avait deux collèges, il y avait le collège bourgeois Marracq et le collège de « la zone » Camus,

deux classes à l’opposé. Ceux qui ont été le moins scolaires ça a été Camus, ils ont été les plus

extraordinaires. Ce qui était très intéressant c’est que ceux de Camus on les voyait avec leurs

parents leur expliquer leur stèle, c’était « ma » stèle. »

L’éducation du regard est une dynamique dont l’affect n’est que l’amorce.

« Un musée c’est – moi j’aime beaucoup dans la définition de l’ICOM – c’est aussi un lieu de

délectation, un lieu de plaisir et moi j’y tiens beaucoup à ça. Le coté affectif est très très

important et là aussi la différence pour moi entre animation et éducation, animation reste au

niveau de l’affect, l’éducation c’est qu’on va au-delà. Et ça c’est pas évident, c’est une autre

démarche. […] Nous on essaie de créer des outils qui vont les amener, les inviter à être partie

prenante de la découverte. Parce que on peut faire de la visite guidée, il n’y a aucun problème.

C’est eux, eux ils voient quelque chose et l’animateur qui sera là, ou le prof ou le médiateur

professionnel du musée, il est là pour dire « oui vous avez vu ça mais pourquoi ? Allez vous

poser des questions, allez plus loin, pourquoi on fait ça ? ». »

Tous les documents créés dans le cadre d’Argitu sont archivés et consultables au musée.

Mano souhaite qu’ils puissent être réutilisés et adaptés par le Service des publics. Nous avons

constaté que c’est le cas. Argitu n’existe plus officiellement mais son héritage est toujours

présent. La démarche subsiste, d’une part par la présence ponctuelle de Mano (qui suit

désormais un projet académique intitulé « Comprendre un musée »), d’autre part par le travail

de Géraldine, l’animatrice du musée, qui avait été formée par Mano et a été l’une des

vacataires d’Argitu jusqu’en 2008. Une guide de la Ville de Bayonne, qui propose aussi des

visites guidées destinées aux scolaires, a elle aussi été initiée à la médiation par le biais

d’Argitu et essaie d’adapter cette approche également au public adulte. Les documents quant à

eux sont des références en terme de connaissances et une base pour développer de nouvelles

offres pour Maud (la responsable temporaire du Service des publics) qui ne connaissait pas en

arrivant les collections du musée ni le patrimoine basque, Maite (agent d’accueil qui organise

également des visites guidées du musée pour les groupes d’adultes et les scolaires) et Argitxu

Page 128: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

128

(agent d’accueil qui intervient en renfort pour les animations et les ateliers pédagogiques en

langue basque).

Portrait : Géraldine, animatrice culturelle

Géraldine a vingt-neuf ans et vit à Urt. Elle n’est pas originaire du Pays basque mais de

Tarbes (dans les Hautes-Pyrénées). « Je suis pas basque du tout, je ne connaissais pas le Pays

basque avant de venir travailler au musée d’ailleurs ». Par contre, elle a depuis longtemps

« la passion du patrimoine ».

« J’ai fait une licence d’histoire, je me suis lancée là-dedans parce que j’étais passionnée par le

patrimoine depuis toute petite parce que j’ai eu la chance d’avoir dans ma famille un oncle et

une tante qui étaient enseignants d’histoire-géo, qui n’avaient pas d’enfant, qui vivaient en

Normandie donc j’ai passé tous mes étés, et c’est eux qui m’ont emmenée au musée très tôt,

c’est eux qui m’ont emmenée visiter des châteaux, des abbayes, des églises, des grands

musées donc j’ai été formée très jeune et j’avais envie de faire ça. »

Par la suite elle a entrepris un Master Valorisation du patrimoine tout en étant surveillante

dans un collège-lycée où elle s’est « familiarisée avec ce public des jeunes ». Au cours de ce

master, elle a effectué un stage au Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques où on lui a

confié un premier projet de médiation dans un collège, à Bidache (Pays basque). A cette

occasion elle a rencontré Mano, professeur référent au Musée Basque, qui lui a donné

beaucoup de conseils sur l’aspect pratique de la médiation : comment aborder le patrimoine

avec des élèves, comment concevoir des fiches pédagogiques. En 2007, elle a remplacé

l’assistante de Mano au musée, elle y a assuré alors, pendant huit mois, deux ou trois jours de

vacation par semaine.

Lorsque le directeur a décidé de supprimé le système des vacataires pour créer un poste

unique d’animateur, sa candidature n’a pas été retenue. Elle a trouvé un autre emploi au CEP

(Centre d’Education au Patrimoine, à Irissarry, géré par le Conseil Général) et a vécu dans le

village de Baigorri pendant un an, « immergée » dans la culture basque. L’expérience au CEP

lui a permis de découvrir « une autre approche du patrimoine car c’est un lieu patrimonial où

il n’y avait pas d’objets ».

Lorsque l’animatrice s’est mise en disponibilité, le directeur a recontacté Géraldine pour lui

proposer un contrat de dix-huit mois. Elle est donc désormais « animatrice culturelle » du

Musée Basque.

Page 129: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

129

« Sur la fiche de poste c’est « animatrice culturelle » mais quand on me demande ce que je fais

je dis que je suis médiateur du patrimoine.

_ Et pourquoi tu préfères ?

_ Parce que… j’aime bien le mot médiation, parce que moi je le comprends, les gens à qui je

m’adresse ne comprennent pas forcément la nuance mais / parce que vraiment mon travail il

est de jouer le / de faire un lien entre un objet patrimonial quel qu’il soit et un public quel qu’il

soit, moi en l’occurrence c’est surtout les jeunes donc ça implique que je dois bien connaitre

l’objet et je dois bien connaitre le public. Je ne suis pas là seulement pour donner vie à une

séquence de transmission, il y a tout un travail en amont de recherche/ de recherche enfin je

me comprends, d’étude de l’objet, de connaissance, voir sous quel angle on peut le regarder,

pour choisir parfois un parti pris. […] Il y a vraiment le souci de transmettre quelque chose et de

la meilleure façon, la façon la plus adaptée au public. le but ce n’est pas que les gens repartent

avec tout un lexique de mots savants, même si j’essaie de respecter une rigueur scientifique

donc j’utilise des mots techniques mais le but c’est que les gens partent, moi c’est comme ça

que je conçois mon métier, avec une conscience du patrimoine. »

« Si ils ne retiennent pas les mots ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus. J’essaie de leur

transmettre / c’est de les faire réfléchir en fait, sur le patrimoine, sur qu’est-ce qu’un musée. […]

J’essaie d’impulser des réflexions chez eux mais après c’est difficile de mesurer l’impact que je

peux avoir. […] Leur apprendre aussi , leur donner une grille de lecture on va dire en quelque

sorte, c’est pour ça que systématiquement je leur demande « c’est fabriqué en quels

matériaux ? », pour qu’ils apprennent à décrypter un objet. »

« C’est bien de les ramener aussi à leur vécu, ils n’ont pas la même notion du patrimoine que

les adultes, nous c’est vrai qu’avec l’âge on devient vite nostalgique, eux à leur âge ils pensent

à l’avenir, ils ne pensent pas du tout/ alors c’est bien de remettre les choses dans leur contexte.

Ils voient des objets donc ils ont des acquis déjà. Même si c’est juste avoir vu une ferreta82

chez

la mamie, c’est essayer de recontextualiser, c’est leur dire « aujourd'hui cet objet tu le vois en

décoration mais avant il avait une utilité. ». »

« Pourquoi le musée ?

_ Les opportunités. Après ce qui me plait beaucoup dans ce musée c’est qu’il y a beaucoup

d’objets et très variés donc dans mon travail tous les jours je m’intéresse à des thématiques très

différentes et puis ce que j’aime c’est que c’est concret, on a un objet, on a un témoignage, on a

vraiment une trace, quelque chose de physique et puis aussi parce que j’aime travailler avec

une équipe de conservation, avec une équipe de professionnels, que ce soit le photographe,

que ce soit un conservateur qui va être ma caution scientifique, travailler avec des

82

Ferreta : récipient en bois à poignées de métal, utilisé au XIXe et début du XX

e siècle pour transporter l’eau de

la source (ou fontaine) à la cuisine.

Page 130: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

130

documentalistes, travailler… même si il n’y a pas que dans les musées qu’on trouve ce genre,

qu’on peut travailler avec ce genre d’équipe. A Irissarry par exemple je n’avais pas de caution

scientifique, enfin moi j’étais seule, ici j’ai un référent pédagogique aussi qui est Mano, enf in

j’avais, donc c’est toute cette synergie de compétences qui fait que… »

Elle travaille surtout avec Jacques qui est responsable scientifique du service du public et qui

donc valide les contenus, avec le conservateur aussi, et Mano qui valide quant à elle

davantage la forme. Maud est sa responsable directe.

« Mon travail au quotidien ? Alors en plein mois d’aout [rire] c’est peut-être pas un bon

exemple. Mais au quotidien, c’est recevoir les demandes des enseignants qui nous contactent,

je pense qu’ils vont nous contacter dès le mois de septembre, pour savoir ce qu’on propose.

Systématiquement on rencontre l’enseignant pour discuter avec lui, connaitre ses motivations,

pourquoi il veut venir au musée, est-ce que sa visite au musée est intégrée dans un projet plus

global, on lui fait des propositions, on lui explique notre démarche, on lui présente aussi

l’animation, ce qu’il faut faire avant, après. Et puis après le travail quotidien… la création des

animation. Donc créer une animation c’est penser au déroulement de l’animation, aussi bien

dans les salles du musée que le cheminement intellectuel qu’on veut amener, c’est concevoir

les documents d’accompagnement, chercher des photos, les légendes, trouver les numéros

d’inventaire, se documenter sur les objets donc soit on a déjà des dossiers dans le bureau soit

on s’adresse à nos collègues documentalistes. Et puis après oui avec les scolaires… le lundi

ça va être gérer les dossiers, répondre aux mails, envoyer des courriers, s’occuper un peu du

secrétariat. Les autres jours, mardi jeudi et vendredi c’est animation des ateliers donc il y a tout

un côté logistique, s’assurer que les documents soient bien imprimés, aller installer la salle

avant l’animation, ranger la salle après, acheter des fournitures. Et puis le mercredi c’est dédié

aux réunions avec les enseignants puisqu’ils ne travaillent pas, en général ça dure deux bonnes

heures. Après il y a des choses qui viennent au fur et à mesure.»

Nous l’avons suivi en juillet 2011 lors d’une animation « hors-temps scolaire » où elle

proposait à des enfant de 6 à 11 ans de l’aider à « ranger le musée » parce que la nuit des

objets ont changé de place. Les enfants devaient donc à partir d’un tableau ou d’une

photographie identifiant l’objet retrouver celui-ci dans le musée.

« C’est Maud qui m’a demandée pour l’occasion des « tickets découverte » justement de créer

une animation. Donc j’ai eu beaucoup de mal à la créer. Parce que moi je n’avais travaillé

qu’avec des scolaires et c’est vrai que les scolaires ça demande/ on est en temps scolaire donc

on n’est pas à l’école, on est au musée mais quand-même il y a plusieurs choses à respecter et

je n’avais jamais fait des choses plus ludiques, où on se lâche un peu plus, où on peut se

permettre un peu de déborder des programmes, donc j’avais fait plusieurs propositions à Maud

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131

qui étaient encore trop scolaires et puis je suis partie sur cette idée d’un objet qui s’éveille la

nuit au musée ; au début c’était très difficile pour moi de dire ce genre de / de penser ce genre

de choses, parce que… ce n’est pas vrai ! Mais finalement voilà.[…] C’est le même public mais

pas les mêmes objectifs. […] J’ai essayé de choisir des thématiques variées, donc la danse, la

vie rurale, la pelote, la navigation et puis après je n’ai pas eu trop le choix parce qu’il fallait que

je trouve à peu près dans le même espace un document iconographique, une image dans

laquelle on voit un personnage avec un objet et trouver cet objet dans le musée parce que il

faut aussi penser au déplacement, il faut pas qu’on ait trop à se déplacer pour ne pas perdre de

temps, il faut penser aussi au cheminement dans les salles. Et puis il y a des choses qui sont

quand-même importantes, la pegarra83

ça permet de parler de l’eau, alors ce n’est pas parce

que c’est la mode de parler de l’eau mais c’est vrai que… »

« Il me fallait un objet par niveau parce que je ne peux pas faire voir les 2000 objets aux

enfants, déjà je crée une frustration […] donc je choisis un objet par niveau de façon à aller à

tous les étages et je choisis aussi des objets ethno et des objets plutôt histoire parce que qu’on

a deux comment dire… deux ailes dans le musée, donc la partie navigation est considérée,

enfin est plutôt dans la partie histoire de Bayonne et après le reste c’est plutôt ethno. »

De nombreuses petites contraintes scénographiques l’obligent à s’adapter. Mais la plus

importante reste la collection elle-même. Son rôle est de proposer à l’enseignant un projet

personnalisé correspondant à ses attentes, mais ce n’est pas toujours possible.

« Je crée si je peux, si les collections du musée le permettent, si on n’a pas/ si l’enseignant me

dit « je veux travailler sur la pêche à la baleine », j’ai qu’une vertèbre de baleine, je ne vais pas

aller très loin avec un objet. Il faut voir avec les collections du musée. »

Le public scolaire implique de tenir compte de certaines choses : à éviter par exemple les

animations le vendredi après-midi car les enfants ont tendance à être plus fatigués ou moins

concentrés ; pour les plus petits, elle doit s’assurer que les objets sélectionnés ne soient pas

situés trop haut.

« Et puis après c’est un savoir-être aussi avec les élèves. C'est-à-dire que maitriser un discours

c’est bien mais il faut être à l’aise, il faut savoir se faire entendre aussi, se faire respecter par

moment parce qu’ils ne sont pas toujours très sages ou très attentifs, il faut s’adapter, il ne faut

pas non plus tomber dans leur parler comme si c’était des bébés, il ne faut pas non plus faire le

copain. Faut pas se vexer parce qu’à un moment on sent qu’ils s’ennuient. C’est des défis, moi

83

Pegarra : cruche en terre cuite pour le transport de l’eau.

Page 132: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

132

j’aime bien. Même si je vais faire la même animation cinquante fois, bien cinquante fois je

vais… »

Le contact avec le public la pousse à approfondir ces recherches. Elle considère qu’il est aussi

important qu’elle voit les choses par elle-même pour être à l’aise et crédible. Lors de son

année passée à Baigorri elle en a profité pour voir des parties de pelote, prendre des cours de

danse traditionnelle. Aujourd'hui, elle suit des cours du soir de langue basque. Son métier

implique qu’elle expérimente, qu’elle s’immerge « pour construire un discours scientifique

autant qu’humain ». Elle a remarqué que parfois des adultes « se greffent » au groupe de

scolaires qu’elle accompagne, preuve qu’il y a aussi un besoin de médiation pour ce public.

« Il y a beaucoup d’objets de la collection que je ne connais pas encore.[…] Il faut encore que

j’approfondisse mes recherches. Des fois des enfants de cinq ans me font remettre en question

parce qu’ils posent des questions très pertinentes, pour nous ça parait évident, mais des fois on

ne sait pas l’expliquer. […] Ça fait aussi partie mon travail, même si je n’ai pas trop le temps de

le faire ici mais il faut beaucoup lire. […]

_ Tu continues d’aller dans des musées, des sites patrimoniaux ?

_ Moins parce que j’ai moins de temps. […] Ça dépend de l’état d’esprit du moment. Je peux

aller dans un musée juste pour voir un tableau, boire un café, trainer à la boutique. Pour moi un

musée c’est vraiment un endroit… c’est pas le sanctuaire. J’ai été habituée à visiter un musée

de A à Z, à lire tous les cartels, à ne surtout pas mettre les mains dans les poches parce que ce

n’est pas bien, voilà et je me suis détachée de ça en grandissant. »

L’an dernier elle a voyagé en Alsace où elle a visité le musée alsacien de Strasbourg.

« c’est le même type de collection qu’au Musée Basque, donc j’avais envie de voir. Ce n’est pas

présenté du tout de la même façon. Et puis à l’époque je cherchais du travail, alors je voulais

voir si vraiment je pouvais adapter mes méthodes de travail à d’autres collections, sur un autre

patrimoine, enfin une autre culture. »

Un nouveau projet académique a été lancé à la rentrée de septembre 2011.

« A la découverte des musées, comprendre un musée » c’est un module qui normalement

devrait se décliner sur deux ou trois jours, un gros projet […] l’objectif est qu’ils viennent

plusieurs fois au musée, on a préparé déjà plusieurs de séquences de travail et nous on a

choisi de travailler sur le thème de la fête, c'est-à-dire qu’on a choisi six objets sur le thème de

la fête, parce qu’on avait déjà un module pour les lycéens l’année dernière qui avait été créé

sur ce thème et ça fonctionnait bien parce que la fête c’est un thème qui parle aux lycéens. »

Page 133: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

133

Le module s’articule autour de trois séquences. La première est une découverte de

l’architecture du musée, de l’intérieur et de l’extérieur du bâtiment. Il s’agit pour l’animatrice

et l’enseignant de leur faire remarquer des éléments architecturaux (les sols en pierre, la

façade, le pignon) et des espaces caractéristiques (les espaces fonctionnels) du musée, cet

apprentissage de la lecture d’un bâtiment en particulier, devant les aider à appréhender ensuite

d’autres sites par eux-mêmes. Ces éléments repérés in situ servent ensuite de base à l’analyse

des travaux et des aménagements qui ont été effectués, pour conclure sur les deux missions du

musée en tant que bâtiment : « abriter des collections et accueillir du public ».

La deuxième séquence se divise en deux temps. Le premier s’intitule « à la découverte d’un

objet de musée » ; l’objectif est d’amener les élèves à comprendre qu’un objet entre dans les

collections d’un musée et éventuellement dans l’exposition par un processus, avec des étapes

bien précises, un « itinéraire balisé ». Le second temps est « la découverte d’un objet du

musée », pour lequel les élèves suivent l’animatrice dans les salles du musée, pour découvrir

une série de dix objets en rapport avec le thème de la fête. Elle attire alors leur attention sur

les matériaux et techniques utilisés pour la fabrication de l’objet, les informations figurant sur

les cartels, la présentation de l’objet. Elle les incite ensuite à discuter du rapport de l’objet

avec la fête (« De quelle type de fête s’agit-il ? Profane ou religieuse ? Privée ou

publique ? »). A la fin de la séance, Géraldine leur pose une dernière question : « Quel objet

représente la fête pour vous ? », ouvrant la voie à des réponses intéressantes pour la collecte

du contemporain.

La troisième séquence est « A la rencontre d’un métier. Des hommes et des femmes pour faire

vivre le musée ». Les élèves se sont rendus cette fois à Château-Neuf pour découvrir « les

coulisses » du musée : les bureaux, les réserves, l’atelier du menuisier. Géraldine a essayé de

faire participer un maximum de ses collègues à cette séquence, mais tous n’ont pas été

intéressés ou disponibles le moment venu. Parler de son métier, qui plus est à des jeunes, n’est

pas un exercice facile. L’animatrice intervient alors pour faire le lien, pour aider à dépasser la

timidité des uns et des autres, pour reformuler en un langage plus simple des termes ou des

idées parfois trop complexes. L’objectif n’est pas de donner envie à ces élèves de travailler

dans un musée, mais plutôt de leur faire découvrir la complexité de l’organisation du musée,

la variété des métiers et des tâches indispensables à son bon fonctionnement.

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134

5.3. L’accueil du public et même un peu plus

L’accueil des visiteurs est assuré par trois agents : Argitxu, qui anime également les ateliers

en langue basque (car l’animatrice n’est pas bascophone), Maite (entrée au musée en 2007),

qui détient une carte de guide conférencière régionale et effectue donc aussi des visites

guidées pour les groupes sur rendez-vous, et un troisième agent, lui, responsable de la régie

des recettes.

Portrait : Argitxu, agent d’accueil et renfort médiation

Argitxu, vingt-six ans, est la dernière recrue du Musée Basque. Titulaire d’une licence en

histoire, parcours documentation (à l’UPPA), puis d’un Master professionnel en « gestion et

valorisation des ressources patrimoniales » obtenu en 2009 à l’Université de Caen, elle a

effectué un stage de quatre mois au service conservation du Musée Basque (récolement des

dépôts avec Marie et Jacques). Elle recherchait un emploi dans le patrimoine culturel et

idéalement au Pays basque pour se rapprocher de sa famille.

Elle est entrée au Musée Basque en mai 2011, en remplacement temporaire d’un agent

d’accueil (en arrêt maladie), puis d’une seconde (en disponibilité) qui participait par ailleurs à

des opérations de médiation. Pour des raisons personnelles elle ne travaille qu’à 80%, soit

depuis septembre 50% à l’accueil et 30% à la médiation. Le poste à l’accueil lui convient

parfaitement car elle « aime le contact avec les gens ». Celui à la médiation lui plait aussi car

« au final, à ma grande surprise avoir un auditoire j’adore ça et je m’éclate ».

Bascophone, elle est donc chargée des ateliers en langue basque avec Maite, avec parfois des

déconvenues comme sa rencontre avec une classe dont les élèves ne maitrisaient pas

suffisamment la langue. Elle rencontre toutefois quelque difficultés. En effet, elle n’a reçu

aucune formation à la médiation et ne dispose pas d’assez de temps pour se former auprès de

Maud ou Géraldine.

« On avait malgré tout dans ce Master là affaire avec des médiateurs qui nous ont expliqué

aussi leur métier aussi de toute façon, on a suivi quelques visites, on avait des guides-

conférencier aussi avec qui on s’est entretenu donc je n’étais pas dans le néant total non plus

mais bon ça reste une approche théorique qui était relativement lointaine, quand-même, surtout

vu les deux ans qui séparait le diplôme. On ne m’a pas proposé et puis là je viens d’apprendre

que même si j’étais contractuelle je pouvais bénéficier de certaines formations donc il faut que

je regarde sur le catalogue de la Fonction Publique Territoriale. »

Page 135: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

135

Elle ne maitrise pas encore le but même de la médiation, ses principes et ses méthodes, elle se

forme sur le tas pour l’instant. Pour elle, il faut en priorité donner envie aux enfants et aux

adultes de revenir au musée, pour cela la visite doit être « sympa ». Entre le temps passé à

l’accueil et celui consacré aux animations, elle n’en a pas beaucoup pour se documenter. Elle

s’appuie donc beaucoup sur Maite, elle aussi à l’accueil ; elle l’observe dès qu’elle le peut et

lui demande conseil. Avec son aide, elle profite des moments calmes pour avancer dans sa

découverte des collections du musée exposées à Dagourette. Le catalogue du Musée Basque

représente sa principale source d’information ; elle consulte aussi beaucoup les documents

d’Argitu. Elle essaie de travailler aussi chez elle. Pour l’instant elle se concentre sur

l’acquisitions de connaissances sur les objets et ne se préoccupe pas encore des objectifs

pédagogiques (éduquer le regard, développer l’esprit critique).

« Je prends tout un peu comme de nouvelles expériences, tout me plait pour l’instant, je ne suis

pas difficile[…] surtout au Musée Basque, c’est un superbe musée, rien que d’y travailler ça me

plait. »

5.4. La surveillance

Cinq agents sont chargés de la surveillance du musée. Nous avons sommairement discuté

avec eux et avons conduit un seul entretien.

Portrait : Xalbat, agent d’accueil et de sécurité du musée / gardien

Xalbat, 53 ans, est gardien au Musée Basque depuis 1980. Originaire d’Irissarry il vit

aujourd'hui à Anglet. Avant d’entrer au Musée Basque, il a fait « des petits boulots » ; « j’ai

été à l’école mais des études j’en n’ai pas fait trop. J’ai été comme apprenti peintre pendant

trois ans, mon métier je voulais être peintre en bâtiment. »

« Je suis venu ici parce que je cherchais du boulot, et il y une place qui s’est libérée, en

remplacement, une personne d’ici qui est partie en disponibilité, il a laissé son poste pour je

crois six mois et j’étais venu pour six mois d’abord, la première année. Et après cette personne

est revenue et moi je suis partie ; et ce n’est que l’année après qu’on m’a appelé pour venir

comme stagiaire au musée. »

Page 136: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

136

Il a été engagé « pour la surveillance, l’entretien et puis un peu de tout : s’il fallait aider à

sortir un livre on sortait un livre, on s’aidait entre nous, on avait la bibliothèque ici. »

L’uniforme est obligatoire, depuis 2001, un pantalon noir et une chemise rouge.

Il se souvient avoir participé au montage d’expositions à la salle Ducéré (à la bibliothèque de

Bayonne). Il a été formé à Paris deux fois une semaine aux MNATP pour la restauration.

Mais finalement à la réouverture du musée il est redevenu gardien.

« On a fait ces stages, très intéressants et si on avait suivi on aurait pu faire de la restauration, il

y avait du boulot à Château-Neuf à faire de la restauration, mais maintenant c’est tout ... pas à

l’abandon mais y a personne qui y travaille là-bas. […]

_ Si c’était possible, vous voudriez y retourner ?

_ Une salle à peindre ça je vais vous le faire, mais tous ces trucs minutieux maintenant je crois

qu’il vaut mieux former un jeune ou comme ça. Ils ont des techniques maintenant pour

travailler. »

« Il y a un autre métier qui vous plairait au musée?

_ non, la bibliothèque je m’y connais pas trop, le reste… il n’y a pas trente-six mille métiers au

musée ! Caissier, ça je ne veux pas non plus. »

« C’est un musée, avant c’était une petite famille, mais ça s’est agrandi, c’est plus moderne

maintenant, c’est différent. On avait plus de contact parce que je faisais aussi les visites

guidées avant.

_ Voilà un autre métier !

_ J’avais oublié. Parce que Haritschelhar nous avait dit qu’on pouvait faire des visites guidées

aussi. Il y avait beaucoup de troisième âge, je faisais qu’au troisième âge et ils se régalaient, ils

partaient d’ici très contents. […] Moi j’ai appris avec un autre, un autre qui était déjà habitué à

faire des visites guidées et puis je l’ai suivi plusieurs fois, enfin j’ai commencé comme ça, j’étais

pas un super truc mais je me débrouillait.

_ Et quand il y a eu le tout nouveau musée il a fallut tout revoir ?

_ Ha oui mais ils ne nous ont pas demandé pour faire après ! Il y avait l’office de tourisme et

puis après il n’y avait plus besoin. »

Il était plus à l’aise avec les personnes âgées et l’été des jeunes venaient et n’étaient

rémunérés que par les pourboires, « alors l’été on les laissait travailler, c’est normal ».

« Ah moi je préférais l’ancien. C’était plus… plus chaud, c’était une vraie cuisine. Maintenant il

faut jouer avec le temps, c’est un musée moderne, beaucoup de vitrines. Beaucoup de gens

préféraient l’ancien, mais il faut vivre avec son temps.

Page 137: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

137

_ Il y avait déjà quelques vitrines avec Haritschelhar ?

_ Oui tout à fait, tous les costumes étaient sous vitrine, beaucoup de choses étaient sous

vitrines, obligé parce que les gens à force ils les touchaient. C’était mieux présentait, on voyait

les provinces, à l’entrée on voyait les cartes du Pays basque, c’était primordial, on voyait le

Pays basque français, le Pays basque espagnol, […] maintenant les meubles là on se croirait à

Conforama ou à But, non mais c’est vrai, il parait que c’est du moderne, moi je crois que avant

c’était typique. L’auberge c’était une vraie auberge.

_ Vous y avez mangé dans cette fameuse auberge ?

_ Tout à fait ! […] il y avait pas mal de banquet, la confrérie du jambon, se faisait là. […] Moi je

crois que si ils avaient gardé un peu plus l’ancien , ils auraient eu plus de monde ici.»

Nous ne développons pas mais il se souvient parfaitement de la disposition des salles et nous

a offert une visite virtuelle dans l’ancien musée.

Sa tâche principale aujourd'hui est d’effectuer des rondes dans le musée, quand il y a du

monde et pas à heure fixe. Il demande à l’accueil combien de visiteurs sont présents dans le

musée.

« On regarde, sans qu’ils touchent trop. Il y a beaucoup sous vitrines. Si y a un papier par terre

on le ramasse, si il y a un gosse qui court on lui de ne pas courir et puis c’est tout. […] Le temps

est long c’est sûr, quand il n’y a personne le temps est très long, ce n’est pas évident. L’hiver il

n’y a pas trop de monde ici, mais il faut s’adapter. »

C’est surtout le soir qu’ils doivent être vigilants, ils doivent fermer les portes et enclencher

l’alarme.

« Il y a jamais eu trop de problèmes.

_ On a discuté la dernière fois des gens à qui s’est arrivé de se faire enfermer dans le musée…

_ Si , ça nous ait arrivé une fois, et ça va arriver une autre fois. Vous savez les gens s’en vont

dans des coins et on passe l’annonce, toujours en français alors si jamais ils comprennent pas

et il y en a qui sont toujours étourdis. Une fois c’est arrivé, il y a des coins et des recoins. […]

_ Et est-ce qu’il y a eu des vols ?

_ Non je n’ai pas entendu. Ici pour le moment il n’y en a pas eu. Celui qui veut vraiment voler

quelque chose de valeur […] Avant il y avait un concierge, maintenant c’est tout sous alarme. »

L’hiver, il arrive à 10h et part à 18h, avec une pause déjeuner de quarante minutes. L’été les

horaires d’ouverture sont plus larges, ils travaillent neuf heures sur quatre jours. Ils ne sont

que quatre gardiens donc ils ne peuvent pas rester chacun dans une salle, alors ils « tournent ».

Page 138: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

138

Lui fait aussi un peu de ménage, époussette les vitrines. Il fait aussi d’autres « trucs », comme

transporter des cartons, dernièrement il a repeint la salle Xokoa ; « je fais ce que le chef me

demande, si je peux le faire. ». Il ne fréquente pas le musée en dehors de ces heures de travail.

« Quand il faut rester je regarde. Mais souvent c’est Jean qui reste ou Rafa lui-même. Après

nous on s’en va, on ne revient pas après. Après s’il faut rester on reste. […] quand elle fait des

animations avec les gosses des fois je reste à écouter. »

Il a visité d’autres musées.

« Quand j’ai été à Paris, j’ai été au Louvres, dans plusieurs musées. C’est pas comme ici, c’est

différent, c’est des grands musées. […] Le Musée Bonnat je le connais par cœur. […] J’ai visité

la Prison des évêques à Saint-Jean-Pied-de-Port. »

Il a constaté que la relation avec les visiteurs a changé.

« Les gens vous parlent ?

_ Moins, beaucoup moins. Il y en a qui demandent des renseignements, mais pas comme

avant. Avant les gens ils restaient à discuter. […] Avant vous vous commenciez à discuter, vous

en aviez un attroupement autour. […] Moi je crois que les visiteurs sont différents aussi d’avant.

Avant ils étaient, je ne sais pas, plus souples. Je ne sais pas si c’est le temps, c’était plus

familier, ils restaient les gens à discuter et nous on leur donné beaucoup de renseignements,

où aller. Maintenant les gens nous demandent pas. On discute un petit peu, mais très peu. […]

Ici, tout le monde passait, le musée Bonnat c’était une autre clientèle. »

Page 139: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

139

CHAPITRE 3. LES AUTRES ACTIVITES DU MUSEE

Pour mener toutes ses activités, un musée doit aussi être dirigé et administré ; il doit aussi

communiquer auprès de l’extérieur et trouver des ressources financières.

1. La gestion administrative et financière du Musée Basque

Portrait : Ghislaine, responsable administrative

Dans l’organigramme, Ghislaine est « rédactrice en chef » ; sur sa fiche de poste elle est

« responsable administrative », et son cadre statutaire est « catégorie B. Filière administrative.

Cadre d’emplois des rédacteurs territoriaux ».

Elle nous parait très modeste sur le travail qu’elle accomplit : ce qu’elle nous a expliqué en

entretien ne couvre pas l’étendue de ce que nous ont décrit d’autres agents. La discrétion fait

partie de ses missions. Elle est le bras droit du directeur et l’intermédiaire avec les agents dans

la plupart des situations conflictuelles ou de désaccord. Elle est au cœur de l’organisation du

musée, elle semble être celle - aux dires de ses collègues - qui sait le mieux qui fait quoi. Elle

opère un certain travail de management par le biais de discussions ou de négociations avec les

agents. L’un d’eux nous a même expliqué que c’est elle qui évalue et préconise les

augmentation et évolutions de carrière. Elle a aussi beaucoup participé à la rédaction des

fiches de poste.

Elle est entrée à la Ville de Bayonne à l’âge de dix-huit ans. Elle a été « transférée » au

Musée Basque en 2007, au moment de la création du Syndicat Mixte. Ceci dit, elle avait déjà

travaillé un an au Musée Basque, en 1988, pour remplacer une secrétaire et « mettre un peu

d’ordre dans les archives », puis Anne-Marie avait pris sa suite et elle était « passée » alors

aux Affaires culturelles de la Ville. Jusqu’en 2007, une seule secrétaire suffisait à gérer

l’administratif du musée.

« Anne Marie faisait les engagements - tu me dis si je me trompe [Anne-Marie est présente lors

de cet entretien] - payait les factures et après tout était fait à la mairie. Le budget, les

orientations budgétaires, les DM84

[…] ici c’était vraiment la gestion du musée, avec les petites

dépenses et puis voilà c’est tout. »

84

DM : Décision Modificative qui peut être votée au cours de l’année d’exercice pour ajuster le budget primitif,

à la lumière de nouvelles données (une recette ou au contraire une dépense imprévue par exemple).

Page 140: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

140

Au moment de la séparation d’avec la Ville de Bayonne, Ghislaine fut donc recrutée pour

« tout le reste ». Ce recrutement a été fait en interne, au sein des trois partenaires du Syndicat

Mixte. Elle était la seule à avoir « le profil » et comme cela l’intéressait, elle aime bien

changer, elle a candidaté et obtenu le poste. « C’était un petit peu consensuel. »

« Je ne veux pas dire que j’avais vraiment le profil parce que il y avait des choses vraiment

nouvelles pour moi aussi, au niveau ressources humaines par exemple mais comme on dépend

aussi du CDG, du centre de gestion de Pau, ça nous soutient bien. »

« Tu m’as dit que tu avais un BEP de comptabilité. Et donc pour les ressources humaines et

tout ça, tu as été formée en cours de route ?

_ Sur le tas là, c’est ça qui était peut-être le plus difficile à assimiler.

_ Et qui est-ce qui t’a formée ?

_ Et bien sur le tas, avec Anne-Marie, quand on avait / le CDG on les appelle, les stages, j’ai fait

pas mal de stages quand-même. En ressources humaines j’ai dû en faire cinq ou six. Là j’en ai

fait un en début d’année c’était avec un Directeur des ressources humaines de Talence je crois,

après j’en ai refait un il n’y a pas longtemps avec un attaché du CDG de Pau donc c’est quand-

même des gens toujours assez pointus. […] C’est des cours. On fait des petits exercices

pratiques sur ordinateur de temps en temps mais c’est assez rare. »

« Oui quand-même en comptabilité, parce que j’avais fait de la compta à la mairie, mais je

n’avais jamais fait si tu veux de A jusqu’à Z du budget. Donc j’ai fait sur le tas aussi. Comme j’ai

de bons rapports avec les gens de la mairie je vais souvent taper à la porte pour avoir des

renseignements et puis j’ai fait un seul stage je crois. C’est beaucoup sur le tas. Marchés

publics j’y avais touché aussi un peu mais je n’étais pas spécialiste. En fait je ne suis spécialiste

de rien [rire] donc il a fallut aller ... se former. »

« Avec qui tu travailles au Musée ?

_ Un peu avec tout le monde sauf / bon les gardiens très peu, bon l’année dernière on avait fait

une petite organisation pour aller travailler tous les jours en bas enfin à Dagourette pour qu’il y

ait une présence un peu de l’encadrement mais ça ça a duré quoi ? deux trois mois et puis

après ça a été fini. Donc c’est vrai qu’avec les gardiens je ne travaille pas, un petit peu avec la

régie, puisque je contrôle un peu la régie, il faudrait que je le fasse plus d’ailleurs. Et puis sinon

ici avec tout le monde. Moins avec Christian et Ph / Christian oui, Philippe je ne travaille pas

trop non, Marie-Hélène non plus, Elisabeth non plus, c’est tellement spécifique ce qu’elles font.

_ Et quand vous travaillez avec les autres c’est par rapport à quoi ? Au budget peut-être?

_ Ouais. Ils me demandent mon avis, la réalisation d’une convention aussi quand ils veulent

faire une animation, l’édition d’un catalogue, consultation pour / la dernière fois que j’ai travaillé

avec Jacques c’était par rapport à ça. Après aussi / enfin je « seconde » j’allais dire, Mr Ribeton

Page 141: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

141

dans les dons, les dons qu’on fait au musée, je m’occupe pas mal de ça, monter les dossiers

avec lui pour la commission d’acquisition qui est à Bordeaux.

_ C'est-à-dire de la rédaction ?

_ Non parce que c’est Mr Ribeton qui fournit les notes d’opportunité. Après moi je mets en

forme, j’édite les photos, je fais tout le travail administratif quoi. Parce qu’après il faut délibérer,

ça part à la Ville de Bayonne, c’est compliqué, parce que la Ville de Bayonne reste propriétaire

des œuvres et nous les met à disposition. Alors ça marche bien avec des dons mais après avec

les acquisitions ça bloque parce que la Ville de Bayonne ne veut pas payer [rire] et nous des

fois on a des bonnes opportunités alors là on tourne en rond avec les acquisitions, et c’est

dommage. »

A l’extérieur, elle est en contact avec le Trésor Public, le CDG, la Ville de Bayonne, la

préfecture « mais ça c’est plus de temps en temps, c’est vraiment très ponctuel ».

Les missions qui lui sont assignées dans sa fiche de poste sont : « met en œuvre, sous le

contrôle du directeur, l’ensemble des opérations administratives liées à la vie du musée ; gère

le budget de l’établissement ; assure, en lien avec le CDG85

, la gestion administrative du

personnel ; assure le soutien administratif de l’ensemble des services du musée ».

Sa fiche de poste lui convient parfaitement puisqu’elle la elle-même co-rédigée. Nous

n’insisterons donc pas sur le détail de ses tâches administratives. Nous avons alors discuté de

son rapport au musée et au patrimoine.

« Vous considérez que votre métier est un métier du patrimoine ?

_ Non du tout. Ah non moi je suis purement administrative, ça c’est sûr, on peut me mettre dans

n’importe quelle structure, après pourquoi le musée ? Parce que j’ai eu envie d’y venir mais pas

spécialement par amour du Musée Basque. Après ça ne me déplait pas, j’aime bien ça, je suis

assez curieuse donc peu m’importe.

_ Et vous y allez souvent au musée ?

_ En bas là ? J’y passe mais regarder vraiment les collections… là hier je me suis forcée à

regarder un petit peu les nouvelles installations au rez-de-chaussée, et encore j’y passe trop

vite, j’ai fait faire des visites pour des consultations alerte à incendie et tout ça donc on a fait le

tour, je le connais. Je n’ai jamais fait une visite bien complète de deux heures en m’arrêtant

bien / je me dis souvent qu’il faudrait que je suive Maite quand elle fait des visites guidées, ça

me servirait bien. »

Même si son travail est strictement administratif et qu’elle n’est pas une amoureuse des

musées en général, elle a quand-même une idée de ce que sont le musée et patrimoine.

85

Le CDG est le Centre de Gestion de la Fonction Publique Territoriale, celui du département des Pyrénées-

Atlantiques est situé à Pau.

Page 142: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

142

« Pour vous qu'est-ce que c’est le rôle d’un musée ?

_ Ah bien c’est transmettre … le truc bateau… conserver, c’est conserver, plus pour le Musée

Basque et mettre à disposition des publics pour que il connaisse mieux l’histoire du Pays

basque, c’est vraiment sur le Musée Basque. Après ce n’est que mieux si il y a des animations

qui démocratisent un peu tout ça, qui dépoussièrent, parce que c’est vrai que j’ai eu visité des /

un Musée par exemple d’arts et traditions populaires, je crois que c’était à Séville, pff c’était

poussiéreux, par rapport au Musée Basque…après il était gratuit [rire]. Oui, c’est transmettre, la

vie d’autrefois, pour moi c’est ça, essayer de comprendre peut-être maintenant comment on est

arrivé à telle évolution et … c’est toujours bon d’avoir un peu de mémoire sur la vie passée.

_ Vous y avez amené vos enfants ?

_ Euh non, j’avais proposé mais ils ne sont jamais venus. […] Moi je me le suis dit, en 89 le

musée a fermé et je me disais tous les jours, enfin pas tous les jours, tous les ans on va dire «

il faut que j’aille au musée avant qu’il ferme » et il a fermé donc je ne connais pas l’ancien

musée. Et en 89 j’avais déjà quelques années [rire] »

« Est-ce que vous avez à la maison des objets qu’on retrouve au musée ou dans les réserves ?

_ Pas que je sache.

_ Vous n’avez pas d’attachement particulier à ces objets ?

_ Non. […] je n’aime pas amasser. »

« Et qu'est-ce que vous pensez du projet de collecte du contemporain dont s’occupe Jacques ?

_ Bien, je ne sais pas très bien à quoi ça, ce que ça va donner, je ne sais pas.

_ Il n’en a pas encore parlé ?

_ Si mais je n’arrive pas à saisir bien le fond, c’est … c’est si j’ai bien compris c’est collecter

l’objet d’aujourd'hui pour aller dans un musée et je ne sais pas trop ce qui peut / je ne sais pas ,

je ne sais pas, j’attends de voir le résultat, pour moi c’est un peu abscons là.

_ Vous ne voyez pas quel objet pourrait avoir sa place au musée ?

_ A part une machine à laver ou un truc comme ça , je [rire] … c’est vrai que un objet il faut qu’il

soit riche d’histoire pour transmettre une émotion peut-être, alors je ne vois pas les objets

contemporains ce qu’ils peuvent donner. Mais bon je me trompe surement…

_ Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse…

_ En fait je n’y ai jamais trop réfléchi. »

Ghislaine est assistée d’Anne-Marie.

Page 143: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

143

Portrait : Anne-Marie, adjointe à la responsable administrative

Anne-Marie est « adjoint administratif principal 1ère

classe » (selon l’organigramme),

« adjointe à la responsable administrative » (selon sa fiche de poste), mais au quotidien elle

est « secrétaire ». Après un BTS en secrétariat de direction, elle a passé le concours de

sténodactylographe de la Ville de Bayonne où elle entre le 1er

juillet 1982. De 1983 à 1989

elle travaillé au Service des sports, puis elle a demandé un poste à temps partiel pour

s’occuper davantage de ses enfants. Elle est donc « passée » au Musée Basque où elle a

travaillé trois jours par semaine pendant dix ans, « comme le musée était fermé il n’y avait pas

beaucoup de travail ». A son arrivée au musée, il y avait une rédactrice (Maïté Chevaliot)

dont elle a beaucoup appris.

« A l’époque j’ai même fait de la saisie Mobydoc », c’était vers 1991. Il s’agissait de « rentrer

des fiches des objets du musée, c’était de l’inventaire tout court, c’était pour aider, le musée

était fermé. »

En 1999, elle est revenue à temps plein. La réouverture du musée n’a rien changé à son

travail. Le passage au Syndicat Mixte a par contre, lui, conduit à une évolution significative.

« Maintenant il faut deux personnes au secrétariat. On s’entraide, même si on a des postes bien

définis […] il a fallut se former car avant la ville faisait tout, par exemple les fiches de paie, idem

pour les factures, maintenant il faut tout faire. »

Elle a donc suivi avec Ghislaine « des stages pour apprendre à gérer les paies et les

formalités administratives ». Aujourd'hui elle s’occupe plus spécifiquement des fiches de

paie, des mandats et des courriers. Elle tape régulièrement des courriers ou des textes.

« Tout le secrétariat, les payes, factures, mandats, comptabilité, réponse au courrier, planning

du personnel, congés, récupération. Dispatcher les mails, transférer, on perd un peu de temps

avec ça. On reçoit plus de mail, même des demandes d’emploi. »

Elle gère aussi les ordres de missions, les déplacements car il faut faire des mandats, de la

facturation. Elle s’occupe aussi de faire des listing d’adresse pour envoyer par exemple des

invitations aux expositions. Le lundi, puisque le musée, site Dagourette, est fermé, elle assure

aussi le standard.

Page 144: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

144

Elle est bascophone, « Chez moi on parlait le basque donc je comprends tout mais je pratique

peu ». Dans son travail elle utilise plus l’espagnol (appris pendant son BTS) que le basque car

des gens téléphonent pour des renseignements.

« J’ai vraiment une journée type. La première chose que je fait c’est d’ouvrir la boite mail et je

transfère beaucoup, notamment au directeur qui doit être au courant de tout. […]

Je vais aussi à la mairie pour faire signer au Président, apporter les parafeurs : par exemple les

conventions, les demandes d’emploi. Là on a par exemple une demande de lot pour une

tombola, on nous demande des entrées gratuites au musée. »

« Je ne vous dit pas tout ça mais c’est évident. Pour moi c’est tellement naturel… après il y a

des petites choses aussi : commander des fournitures de bureau par exemple. C’est des petites

choses mais ça fait partie du travail. »

« C’est intéressant quand-même, ça me plait bien. Après c’est purement administratif, ce

service ou un autre … »

« J’aime bien ce que je fais, bon, ce n’est pas compliqué mais c’est varié, avant en mairie c’était

toujours la même chose. »

Un autre métier du musée qui aurait pu lui plaire serait « à l’accueil pour voir un peu de

monde. Je n’en a pas fait l’expérience au quotidien mais ça fait du bien, ça change un peu. Je

l’ai fais rarement, pour remplacer ». La localisation de leur bureau au rez-de-chaussée crée

en effet un petit sentiment d’isolement.

« Je n’ai pas trop l’impression d’être dans un musée. Parfois j’y vais, c’est sûr, mais je ne suis

pas en contact direct avec les salles, l’expo permanente. »

Elle n’est « pas attirée par le monde des musées ». Elle n’assiste pas aux conférences, ni ne

va voir les expositions. « J’en ai assez du musée, une fois que j’ai fait mes heures, je n’ai plus

envie d’y revenir. ». Elle a déjà amener ses enfants au musée « on est venu visiter le musée

mais c’était pas trop ça ». Elle a d’autres loisirs.

Nous lui avons demandé si enfant elle avait visité le Musée Basque ou un autre, elle nous a

répondu que cela n’était « pas du tout mon éducation ! Ma mère était veuve, avait du mal à

joindre les deux bouts […] mes grands parents, la culture était vraiment secondaire dans leur

vie, ils avaient d’autres priorités ! Pas trop de sous donc ça limitait les sorties, c’est une

autre éducation. » Son mari aurait le même rapport au musée et au patrimoine, il a d’autres

préoccupations, en plus de son emploi il aide ses parents à la ferme, « c’est une autre

Page 145: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

145

génération ». Nous lui avons demandé aussi si il y a dans sa maison des objets que l’on trouve

dans les collections du musée. Elle possède une cruche et une vasque ; chez sa belle-mère, qui

vit dans une ferme, il y a « de vieilles armoires un peu le style de ce qu’on voit au musée ».

Chez elle c’est assez rustique mais mélangé à du moderne.

Nous avons donc là deux exemples d’agents du musée, qui ne sont pas « agents du

patrimoine » et qui, même si elles aiment beaucoup leur travail, n’éprouvent pas d’intérêt

particulier pour les collections et l’offre culturelle du musée.

2. La direction du Musée Basque

2.1. Le budget

L’examen du budget du Musée Basque révèle que les recettes (subventions et entrées) sont

inférieures aux dépenses prévues. A ce constat s’ajoute l’idée selon laquelle le Musée doit

être, sinon rentable au moins équilibré. Le Syndicat Mixte demande donc au directeur du

musée de faire appel à des mécènes pour financer une partie des dépenses.

Cette attente du « fameux mécénat » déséquilibre, ébranle même la stratégie de management

du directeur, qui s’est « rendu compte aussi de certaines réalités ».

« Mon expérience à San Telmo m’avait fait voir qu’il y avait des banques, des caisses

d’épargne, etc. qui déclinent des fondations, qui elles-mêmes sont demandeurs de projets et là

on arrivait à booster le projet musée, ou les projets musées.

_ Et ici vous n’avez pas retrouvé cette tradition de mécénat … à la même échelle ?

_ Non ! Du tout, du tout. Et c’est là où nous en 2012 j’ai essayé de faire au plus lisible et au

plus détaillé possible pour qu’ils [les élus du Syndicat Mixte] y voient quel est l’esprit d’un projet

A, d’un projet B, d’un projet C. Je peux revenir à l’exemple du hors-série. Le hors-série du

Bulletin pour le contemporain, la collecte du présent et tout ça, on aura cette opportunité là qui

peut elle aussi être accompagnée d’un projet expo et qui va aller dans le sens justement de la

création contemporaine, c'est-à-dire on ne va pas sortir entre guillemets « la malle au trésors »

avec les trucs qu’on va dépoussiérer tout ça. Oui mais. C'est-à-dire il va y avoir un autre regard,

on a l’expérience de « L’objet dans tous ses états » comme projet qui permet de savoir un petit

peu comment ça peut se passer, quoique il y aura plus - si j’ai bien compris Jacques -, il y aura

plus / il y aura un discours au niveau anthropologique, ethnographique, etc. Et après une

réalisation, une intervention aussi, une participation forte au niveau création artistique. Si par

rapport à ça on voit que « d’accord, écoutez tel que le budget est bâti, il nous faut trouver

quelqu'un qui vienne accompagner le musée dans cette démarche là par rapport à tanto »,

Page 146: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

146

voilà, c’est le travail du directeur au niveau du management d’en arriver là, c'est-à-dire à ce que

ce soit très lisible pour une analyse et une prise de décision et après je compte bien dire que

c’est aux élus, pas de chercher les sous, pas de chercher les sous mais de ensemble arriver à

… comment dire ?... à programmer le GPS si on peut dire comme ça, pour dire « il faut aller

plutôt là, voire là ou ici ou ailleurs ». […] Alors ça a été le cas mais ça n’a pas été fait / ça a été

un peu imparfaitement fait pour « Habiter les Villes Fortifiées » où il y a un appel à contribution

de différentes entreprises ou groupes, on va dire d’entreprises ou d’économique, d’accord très

bien. » (Rafael Zulaika, directeur).

En 2010, le Musée Basque avait obtenu 115 000 euros de mécénat et aides diverses. Il a revu

ses estimations à la baisse pour 2011, mais les 90 000 euros attendus n’ont pas été trouvés. Il

continue de chercher des pistes, des financeurs potentiels. Mais puisque cela s’avère plus

difficile qu’il ne le prévoyait, il préfère restreindre encore les coûts prévisionnels des activités

de 2012, quitte à sous-estimer les recettes, en gardant espoir de pouvoir vers juin soumettre au

Syndicat Mixte une « décision modificative » pour ajuster le budget et alors développer

davantage les activités retenues ou en engager de nouvelles.

Le personnel représente, dans le budget prévisionnel 2012, 67% des dépenses soit 950 000

euros. L’ajout des dépenses « activités » peut surprendre ou déranger les élus. Le rôle du

manager est alors de leur rappeler que « la rentabilité » du personnel se mesure aussi en

tenant compte des moyens et des missions qui leurs sont accordés.

« Le personnel est plus rentable, je parle en terme de management, est plus rentable, c'est-à-

dire qu’il est plus rentable [rire] lorsqu’on lui donne les moyens de faire plus. Parce que là bien

sûr qu’il y a les missions et les tâches au quotidien, bien sûr qu’il y a des choses qui demandent

pas trop / on pourrait se mettre tous à l’inventaire et au récolement, tous et franchement ça ne

coûterait pas ce que ça coûte de faire une expo, d’accord.

_ Mais est-ce que tout le monde est capable de faire correctement le récolement ?

_ Non mais non, on pourrait même s’y mettre, on pourrait passer trois mois à s’y former et neuf

mois après / non mais est ce que là on accomplit l’ensemble des missions ou est-ce qu’on est

dans l’équilibre, dans un certain équilibre des missions de musée ? Mais non, mais non. »

Effectivement, une exposition « coûte » beaucoup plus que le seul salaire des agents qui

participent à son élaboration. Le rôle du directeur alors est de mettre en avant les « plus

values » de l’opération, au-delà de l’intérêt culturel, éducatif ou scientifique qui lui est établi

par le commissaire de l’exposition. Pour nous expliquer cela, il a choisi l’exemple de

l’exposition consacrée à l’illustrateur Ramiro Arrué, conçue par le conservateur et prévue

Page 147: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

147

pour 2012. Même s’il ignorait alors que cette exposition ne serait pas retenue par le Comité

Syndical, cet exemple illustre l’idée qu’il se fait de l’exploitation ou de la valorisation d’une

exposition, idée qu’il cherche à faire partager aux élus.

« Je pourrais être très très clair et honnête et dire que moi je me contente pas d’une idée sur

une expo Arrué parce que ce sont les 120 ans.

_ C’est parce que vous savez que Arrué va attirer du monde ?

_ Un, petit un. Petit 2 c’est parce que ça répond quand-même à des collections qui sont

importantes au sein du musée. Trois : on améliore les conditions de conservation de ces

collections là, autant au niveau documentation, étude que restauration.

_ C'est-à-dire, pour l’exposition vous allez être amenés à restaurer ?

_ Oui, il y a un volet restauration.

_ Et s’il n’y avait pas eu l’exposition il n’y aurait pas eu la restauration de suite ?

_ Non, on attend, ah oui on attend. Mais par contre justement le besoin de restauration pour

moi devient là une valeur ajoutée - d’accord ? - du projet d’expo. C’est de l’investissement, c’est

une demande de subvention à la DRAC aussi. Et le dernier truc par rapport à ce projet d’expo

Arrué puisque c’est à moi de le défendre avec plus de force ou pas [rire] déjà en interne, mais

moi j’ai validé en interne, c’est bon, après il faut le faire, toujours en interne mais auprès des

élus. Mais ça va coûter de mémoire dans les 20 000 euros entre investissement-

fonctionnement. Et on les sort d’où ? Et pourquoi et comment etc. ? J’allais terminer pour dire

que il s’agirait pour moi en fait de quand-même arriver à en faire un projet d’expo qui pourrait

être / qui pourrait avoir, elle, après une suite dans un autre lieu. Et c’est là où on récupèrerait,

nous, une partie de l’investissement – là je parle d’investissement en terme général, idéal – soit

en terme d’image donc de rayonnement, de lien, de partenariat ; ça pourrait nous amener un

échange d’expo avec un tel un tel musée. Et là on pourrait s’y retrouver. Mais il faut bâtir au

niveau management, il faut arriver à bâtir ces projets là comme ça. »

Nous n’allons pas détaillé davantage ici. Retenons que les OB conduisent dans un deuxième

temps au « budget primitif » qui est soumis par le directeur au Comité Syndical, où il est

débattu puis voté en janvier. Ce BP doit être détaillé, poste par poste, enveloppe par

enveloppe. Le rôle du directeur est donc de présenter des chiffres cohérents et de convaincre

les élus de la capacité du musée à atteindre les objectifs (recettes propres mais aussi les « 10%

restants »).

Page 148: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

148

2.2. Le mécénat

Le mécénat se définit comme « le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part

du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l'exercice d'activités présentant un intérêt

général. » (Arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière)

Le mécénat est alors considéré comme un don, tandis que le parrainage (ou sponsoring)

s’apparente à une opération de publicité. La nuance peut paraitre subtile car dans tous les cas,

le mécène en tire un bénéfice symbolique pour sa réputation.

Le mécénat est un « moyen idéal pour communiquer autrement : en externe, auprès de vos

clients, de vos partenaires ou du grand public, en interne, auprès du personnel de votre

entreprise. C’est une façon d’affirmer vos valeurs et de mettre vos compétences au service de

l’intérêt général. C’est aussi une façon de soutenir le développement culturel local et donc de

participer à l’attractivité de votre territoire. » 86

A ce bénéfice en terme d’image, s’ajoute une réduction d’impôt de 60% du don (dans la limite

de 0,5% du chiffre d’affaire hors taxe) et jusqu’à 25% de contreparties (mise à disposition de

salles, visites privées). Le mécénat est également une occasion pour le musée de se faire

connaitre auprès des employés et des clients de l’entreprise, correspondant en cela à son

objectif de rayonnement.

Le directeur du musée nous a communiqué la liste des mécènes de 2009 à 2012.

Etonnamment, les mécènes du Musée Basque (leur logo ou leur nom) n’apparaissent pas sur

son site Internet. En 2010, Kutxa (la Caisse d’Epargne de Gipuzkoa, à Saint Sébastien, Pays

Basque, Espagne)87

a donné au Musée Basque 45 000 euros pour la réalisation de l’exposition

temporaire consacrée au sculpteur Nestor Basterretxea.

En 2011, l’exposition temporaire « Habiter les villes fortifiées » a reçu le concours financier

de trois mécènes : un promoteur immobilier, le groupe Etchart (secteur du Bâtiment et du

Génie Civil) et Guyenne et Gascogne (groupe de distribution à prédominance alimentaire).

Les deux derniers sont aussi des mécènes de la SAMB.

Outre des dons numéraires pour les expositions temporaires, des « compétences » peuvent

être offertes au musée, telle par exemple en 2011, l’entreprise Sokoa, située à Hendaye,

86

Mécénat culturel : mettez votre entreprise sur le devant de la scène (édition septembre 2011) est un dépliant

sur le mécénat culturel à l'intention des petites et moyennes entreprises. Ce document a été réalisé en

coproduction avec l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie, l'Ordre des Experts-

Comptables, Conseil supérieur du notariat et la Fondation du Patrimoine. 87

« En cohérence avec sa vocation sociale, Kutxa a pour objet la création et le soutien d'œuvres sociales et

culturelles, gérées à travers les Œuvres sociales et la Fondation de Kutxa. » (site Internet).

Page 149: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

149

« leader français du siège de bureau et de collectivité qui a offert au Musée Basque pour 1

788,26 euros de chaises afin d’équiper la salle Xokoa.

Laissons de côté la réduction fiscale pour nous concentrer sur le deuxième argument incitatif :

la valorisation et la notoriété du mécène. Pour cela trois conditions peuvent être combinées :

que le musée jouisse d’une image positive, que l’on parle de lui (presse, radio, internet, blog,

tous média), et enfin qu’il soit fréquenté.

2.3. Le partenariat

« Pour l'accomplissement des missions qui leur sont dévolues en application de l'article L.

441-2, les musées de France peuvent établir, sous forme de convention, des relations de

partenariat avec les personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se fixent pour objet

de contribuer au soutien et au rayonnement des musées de France. »88

Le Musée Basque doit donc nouer ce qu’il appelle des « partenariats ». Cette mission est

dévolue à Jean mais dans les faits, chaque membre de l’équipe peut y participer, de part ses

relations professionnelles et personnelles.

Le terme de partenariat est en fait générique. Le Musée Basque attend par exemple de certains

de ses « partenaires » une participation financière (par exemple du matériel ou des prestations

à un tarif préférentiel voire gratuits) qui s’apparente à du mécénat. La forme de partenariat la

plus visible est la mise à disposition d’espace gratuite. Les partenaires, associatifs notamment,

participent à l’animation du musée.

Concrètement, le partenariat est défini par l’intervention de toute personne qui n’est pas un

agent du musée. Ainsi, les trois collectivités territoriales qui composent le Syndicat Mixte du

Musée Basque sont citées explicitement sur le son site Internet comme les trois « partenaires »

du musée.

Portrait : Jean, responsable de la communication et des partenariats

Jean a 55 ans. Il a suivi des études d’arts plastiques, a travaillé au CAUE (Conseil

d’Architecture d’urbanisme et d’environnement). Il était venu très peu de temps au musée, en

88

Code du patrimoine, Sous-section 2 : Réseaux et conventions. Article D442-12. Créé par Décret n° 2011-574

du 24 mai 2011 - art.

Page 150: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

150

1998, au moment de l’exposition temporaire Pilota gogoan à Château-Neuf, en préfiguration

de la réouverture du musée . Puis, très vite après, le service des Affaires culturelles à la Ville

de Bayonne a été créé et il l’a intégré. Il est entré à nouveau au Musée Basque en 2007, en

même temps que le directeur, en tant que chargé de communication et des partenariat. Nous

lui avons demandé en quoi consiste son travail.

« Ça consiste à accompagner les expositions en en faisant la promotion, et le musée aussi, en

en faisant oui la promotion et de faire en sorte que le musée devienne oui un peu un lieu

d’échange un peu. Faire venir du monde, d’une façon ou d’une autre et qu’on parle du musée et

que le musée devienne un partenaire justement des autres institutions culturelles […] C’est

surtout de faire ne sorte qu’il y ait des animations au Musée Basque, d’accueillir les gens au

Musée Basque »

Communiquer ce n’est pas selon lui seulement transmettre les informations aux journalistes.

« Oui de toute façon un budget communication c’est de la pub dans les magazines tout ça mais

nous nous avons un budget pas très important et donc il faut qu’on parle du musée

autrement. »

Il participe donc à la mise à jour de la rubrique « Agenda » du site Internet. Il organise aussi

des évènements. Par exemple chaque printemps il invite les « acteurs du tourisme » à une

visite du musée suivie d’un cocktail, l’occasion pour certains de découvrir le musée.

« Vous organisez des petits-déjeuners ou conférences de presse, par exemple pour l’Agenda

10/10, pour l’annoncer ?

_ Oui ça nous arrive. Pas précisément pour ça mais ça nous arrive. Ce que j’organise aussi

tous les printemps c’est une soirée avec les hébergeurs et les acteurs du tourisme, avant l’été

[…]Avec visite du musée et puis cocktail.[…] et ça permet / y a toujours plus d’une centaine de

personnes et ça leur permet de connaitre le musée parce que … enfin, voilà en les invitant ils

viennent et sinon ils ne viendraient pas et il parleront plus facilement d’un lieu qu’ils

connaissent, c’est un peu comme si c’était un Eductour un peu. »

« On travaille avec les offices de tourisme aussi. On met leurs dépliants / enfin on met nos

dépliants pardon et puis on essaie d’avoir / de faire en sorte qu’ils nous envoient du monde. »

« Après nous travaillons aussi avec le CDT, le comité de tourisme du département.

_ Et là c’est à quel niveau ?

_ C'est-à-dire que eux quand ils ont des journalistes qui viennent, ils nous les envoient, nous les

recevons. L’an dernier nous avons participé à une conférence de presse à Paris… organisée

Page 151: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

151

par eux. Nous essayons de mettre en place des … alors avec Sites et Musées on fait une

plaquette, on essaie de communiquer tous ensemble et c’est à ce titre là que nous participons

aux réunions de travail de la marque Pays basque par exemple. […] Nous faisons partie de

l’image du Pays basque. […] ça concerne tous les secteurs. Ça concerne / oui nous sommes

plutôt effectivement avec le tourisme ».

Aucun autre métier exercé au musée ne l’intéresserait, le sien le satisfait. Toutefois, ce qui

l’intéresse surtout c’est de monter des expositions.

« Dans d’autres vies j’ai monté des expositions et j’en ai fait ici au musée / j’en ai organisé une il

y a deux ans, l’exposition Gomez. […] Ce qui pour moi était très bien parce que j’ai organisé

l’exposition, j’ai organisé des animations et c’est plus facile de communiquer à partir de choses

qu’on organise soi-même. […] et c’est fait en temps et heure et il y a un catalogue des

expositions. »

« J’aime bien organiser des évènements. Moi je me suis beaucoup plu à organiser l’exposition

Gomez pour cela. Et en plus j’aime beaucoup quand une opération est à tiroir parce que

ensuite cette exposition est allée à Hossegor, ça m’a permit de connaitre les gens d’Hossegor,

j’ai organisé sur site des visites des lieux architecturaux et pour le coup une association comme

Vieilles maisons françaises a pris contact et sont venus au Musée Basque. J’ai pu organiser

des soirées avec des professionnels du bâtiment, des soirées privées autour d’une exposition,

on peut faire des tas de choses autour d’une exposition. […] ça permettait de vendre des

catalogues, de vendre des bouquins, de faire venir autour d’un thème /parce que une exposition

doit ou peut accueillir un public privilégié. Si vous faites la préhistoire, vous êtes / vous

connaissez les archéologues. Si vous faites quelque chose avec l’architecture, vous rencontrez

des architectes et c’est une façon aussi de faire venir de nouveaux publics, ou des publics

ciblés. »

Il s’occupe donc avec plaisir des expositions de photographies mensuelles dans la salle

Xokoa. « Je sélectionne, au gré des opportunités, des demandes ». Alain et Philipe l’aident

pour l’accrochage, Xalbat (un gardien) a repeint les murs dernièrement.

Les expositions de photographies mensuelles dans la salle Xokoa sont considérées comme une

forme de partenariat avec des artistes locaux, professionnels ou amateurs.

Du 19 au 31 juillet 2011, la salle Xokoa a accueilli Carambolage, une exposition d’une jeune

photographe, qui publie par ailleurs un blog sur les musées d’art de Bordeaux à Bilbao et a

consacré une « fiche » au Musée Basque, au moment de l’exposition sur Les villes fortifiées.

Elle a publié aussi le mois précédent son exposition, l’annonce du nouveau site internet du

Page 152: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

152

Musée Basque et, pendant son exposition, un autre billet « Veuillez toucher les œuvres » où

elle évoque les tablettes tactiles du Musée Basque. Depuis peu le site Internet du Musée

Basque propose un lien vers ce site.

Du 5 août au 4 septembre, une double exposition Cornes et muletas de Cédric Pasquini et

Ludovic Zeller a été proposée. Tous deux travaillent régulièrement pour la Ville de Bayonne

et le second a son studio-galerie à deux pas du musée.

Du 06 au 30 septembre, l’exposition collective Sur les chemins de Saint-Jacques, a fait écho à

la thématique du voyage, des Journées européennes du patrimoine. Les photographies étaient

proposées par l’association Argian de Saint-Jean-Pied-de-Port. Deux mois plus tard

l’association a exposé à nouveau au musée.

« C’est un photographe qui a eu un prix à un concours de photo à Saint-Jean-Pied-de-Port,

parce que il y a un club photo à Saint-Jean-Pied-de-Port et nous avons pris/ nous accueillons

quelqu'un qui a eu un prix à Saint-Jean-Pied-de-Port. […]

_ Et là ça s’est passé comment ? Vous êtes en contact avec le club photo de Saint-Jean-Pied-

de-Port ou vous l’avez lu dans la presse ?

_ Non non, on est en contact avec le club photo.

_ Et c’est eux qui vous ont dit on a quelque chose à vous proposer ?

_ Euh oui eux m’ont / enfin nous nous avions envie de nous associé à ce concours de photo en

apportant nous aussi notre contribution. […] Je pense qu'on renouvellera l’expérience. »

En décembre, à la demande de la Ville, ce ne furent pas des photographies mais

exceptionnellement des aquarelles de Jean Patou qui furent exposées, à l’occasion de la

promotion d’un livre, signé par Alexandre de la Cerda (journaliste), illustré de ces aquarelles.

Du 14 au 30 janvier 2012, Kepa Etchandy exposait une série de photographies intitulée

Euskaldunak Argentinan, les Basques d’Argentine. Puis en février 2012, un « clin d’œil » aux

trente ans du calendrier des ikastola89

.

La qualité ou l’intérêt des photographies n’ont pas été évoqués, ni même la démarche

artistique du photographe, ce qui compte à travers ces expositions c’est d’une part de créer

une animation, c'est-à-dire autant un motif de visite au musée qu’une occasion de

communiquer ; et d’autre part de faire intervenir des personnes extérieures à l’équipe du

musée, enfin d’étayer ou d’affirmer le réseau du musée, c'est-à-dire son carnet d’adresses.

Même si le thème du Pays basque n’est pas limitatif, Jean le privilégie tout de même dans sa

sélection afin de garder un lien, une cohérence avec le musée.

89

Ikastola : école où l’enseignement se fait en langue basque, euskara.

Page 153: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

153

Outre la communication externe et l’organisation des expositions de photographies

mensuelles dans la salle Xokoa, Jean gère aussi la boutique du musée (choisir les produits,

déterminer leur prix de vente, réassortir les stocks) et la réservation des salles. Sur ces points,

il est fréquemment assisté par des étudiants du BTS « Assistant-manager » d’un lycée

bayonnais, dont un ou deux viennent effectuer un stage au musée chaque année. L’an passé,

c’est une étudiante de l’Ecole de Commerce de Pau qui pendant trois mois a travaillé à la

reformulation de l’offre de privatisation du musée, les tarifs et les formules (séminaires,

réunions, cocktails).

2.4. L’évènementiel pour renouveler l’attractivité du musée

L’évènementiel n’est pas quelque chose de nouveau en soi, au contraire, mais il prend de

nouvelles dimensions et un nouveau rôle. Le musée doit faire parler de lui, susciter l’intérêt,

paraitre en constante activité. Il doit donner une image dynamique pour séduire les mécènes et

d’autres partenaires. L’événementiel au Musée Basque est deux ordres : d’une part émis par

l’équipe du musée, d’autre part produit par des « partenaires ».

Après avoir centralisé toutes les informations recueillies, il nous est apparu clairement qu’il

existe aussi deux types distincts d’offre au public. L’une est en rapport avec les collections et

contribue à leur valorisation plus ou moins directe, l’autre est sans rapport à ces collections et

consiste à faire parler du musée en tant que lieu, équivalent alors à une valorisation de son

espace. Les deux s’avèrent complémentaires.

« La dernière petite exposition temporaire c’était pendant les Journées du patrimoine, là vous

avez eu le temps d’organiser quelque chose ou pas ?

_ Non mais, non mais là en l’occurrence c’est plus que nous Musée nous proposons une

animation dans le cadre des Journées du patrimoine et donc on s’associe à quelque chose, à

un évènement, ça permet justement de communiquer et avoir des supports de communication

qui sont déjà mis en place et de s’inscrire dans ces animations là. La Ville de Bayonne a

comme ça des évènements, tels que – je ne sais pas – le jumelage de oui, y a eu la semaine

bleue la semaine dernière, y a eu les Journées du patrimoine, après la Nuit des musée, enfin…

les Journées du chocolat, les Journées de la culture juive, enfin voilà c’est de s’inscrire un peu

dans tous ces évènements-là, d’être partenaires de toutes ces manifestations-là. » (entretien

avec Jean, chargé de communication).

Page 154: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

154

2.4.1. Le premier partenaire du musée est la Ville de Bayonne.

Le Musée Basque est très investi par le Service de la culture et du patrimoine, et le sera

probablement plus encore avec la fermeture programmée prochainement du Carré Bonnat

(espace d’exposition temporaire dédié à l’art contemporain, voisinant le Musée Bonnat-Helleu

quant à lui fermé pour une durée minimale de trois ans).

Les Translatines par exemple, est un festival organisé en octobre par la Direction Culture et

Patrimoine de la Ville. Outre une expositions de photographies, deux conférences se sont

tenues au Musée Basque à l’occasion de l’édition 2011. C’est ce que nous appelons une

animation « clés en main ». Le jeudi 28 juillet « jour des enfants » au cours des Fêtes de

Bayonne, le service des publics du musée a organisé une visite gratuite du Musée Basque qui

leur soit adaptée.

Le 30 mars 2012, le Maire de Bayonne remettait à Charles Carrère une médaille, à l’occasion

des Journées Européennes de l’artisanat d’art. Le maître verrier, âgé de 85 ans vient de faire

un don au musée (et donc à la Ville), dont 470 cartons de préparation de vitraux, des

maquettes de vitraux et mosaïques, des gouaches de paysages basques, une huile sur toile,

trois vitraux ainsi que deux mosaïques que le conservateur a déjà placées dans l’exposition

permanente, l’une dans la salle des négociants, l’autre dans la toute nouvelle salle Des idées et

des hommes (rouverte le 30 mars 2012 justement). A l’annonce de la remise de cette

médaille, il a très rapidement monté une exposition dans la salle 2.08, qui retrouve alors pour

l’occasion sa vocation de cabinet d’arts graphiques. Des gouaches, des cartons de préparation

au fusain, des vitraux sont alors exposés au public pour quelques semaines, voisinant les

stèles de Nestor Basterretxea. Elisabeth, la documentaliste, a réunit des ouvrages sur l’art du

vitrail dans la vitrine-documentation de l’Argialde. L’équipe du musée a su être réactive dans

le montage de l’exposition, la communication a été assurée par la Ville de Bayonne. Par

contre, le Service des publics n’a pas eu le temps d’organiser une animation en lien, que ce

soit pour le grand public ou les scolaires.

La Ville de Bayonne a également demandé au directeur du musée de présenter en 2012 deux

expositions auxquelles seuls les techniciens devraient participer (pour le montage).

La première est prévue du 17 mai au 17 juin, en salle Xokoa. Elle sera consacrée à une

marque de liqueur, Izarra, créée en 1904 à Hendaye puis produite de 1912 à 1998 à Bayonne,

avant d’être délocalisée à Angers. En 2011, la marque réinstalle son siège social à Bayonne et

se prépare à célébrer les « cent ans d’Izarra à Bayonne » en 2012, « avec l’aval de la Ville de

Page 155: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

155

Bayonne, et dans une juste mesure, conjointement avec elle ». Depuis quelques mois déjà

cette liqueur est réapparue sous forme de cocktails dans des évènements municipaux. La

marque a rédigé une présentation de son projet dont le « temps 1 » est une « exposition du

patrimoine iconographique d’Izarra au Musée Basque ». Le « concept » tient un ligne : « En

2012, Izarra célèbre son centenaire de présence à Bayonne par une exposition de son

patrimoine ». L’ « objectif de la marque » est de « présenter l’histoire d’Izarra à Bayonne

pour renforcer sa légitimité territoriale ».

Le premier des « points saillants » avancés est une « opération d’appel aux prêts […]

(bouteilles, PLV, affiches). Cet appel au prêt est une opération participative qui permettra à la

majorité de se sentir encore plus concerné par l’évènement. Dans le cas où le nombre

d’éléments ne serait pas suffisant, Izarra possède assez d’éléments pour atteindre 100

objets. ».

« La scénographie sera mise en place par une agence spécialisée ». Une inauguration et une

conférence de presse sont aussi prévues.

Parmi les « points forts de l’exposition » : « Une vingtaine d’articles [de presse] attendus » et

« une thématique pertinente et attractive pour le Musée Basque ».

Les conditions « financières » du « partenariat » restent à définir. Le directeur du musée a

évoqué peut-être une location par Izarra de la salle Xokoa ou un mécénat dans les années à

venir. Il nous a dit qu’une nouvelle réunion était prévue prochainement pour affiner cette

question. L’entreprise propose d’ores et déjà de mettre en vente à la boutique du musée des

bouteilles et des affiches.

L’annonce de l’exposition n’est pas encore parue dans la presse mais elle est inscrite dans le

programme 2012 du musée et plusieurs personnes nous en ont parlé90

. Cette exposition est

sujet à polémique. Par respect pour ces informateurs, nous ne les citerons pas car, agents de la

fonction publique pour la plupart, ils doivent se soumettre à un droit de réserve, c'est-à-dire

que même s’ils sont en désaccord avec leur hiérarchie ou leur institution, ils n’ont pas à

l’exprimer publiquement.

Le Musée Basque a déjà accueilli des expositions « extérieures », il a également dans ses

collections des éléments publicitaires de ce produit. Plusieurs points posent problème à ces

personnes : l’exposition n’est pas commissariée, elle est conçue directement par la marque,

sans caution scientifique de la part des conservateurs du musée, ni de tout autre personne

90

Le directeur vient juste de nous prévenir (13 avril 2011) que l’exposition est repoussée parce qu’il y a encore

des conditions à discuter et que le délai (17 mai) s’avère trop court. L’exposition aura probablement lieu en

octobre ou novembre, après l’exposition « Bayonne ville d’Art et d’Histoire ».

Page 156: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

156

qualifiée et approuvée par le conservateur. Elle est exclusivement une opération publicitaire,

commerciale. La légitimité patrimoniale de la marque est remise en cause du fait de sa

production hors du Pays basque depuis 1998. Alors que le Conseil de Développement du Pays

basque et la CCI travaillent à la création d’une « marque territoriale Pays basque » afin

d’identifier et ainsi défendre les produits locaux, la Ville de Bayonne et le Musée Basque se

positionneraient en porte-à-faux. L’entreprise n’est pas créatrice d’emploi, puisque seul son

siège social est revenu à Bayonne, et n’a pas non plus de légitimité sociale ou économique.

Peu de gens ont évoqué le fait qu’il s’agit d’un produit alcoolisé et « moralement » difficile à

cautionner ; ce qui indique que ce n’est pas le produit en lui-même qui pose problème mais la

démarche. Ceux qui soutiennent le projet mettent en avant les retombées médiatiques pour le

musée (l’entreprise communique très bien) et l’éventualité d’un mécénat ou d’une location de

la salle.

L’essentiel du débat est contenu dans l’expression « caution patrimoniale » : est-ce le rôle du

musée d’accompagner une entreprise dans sa reconquête d’un marché ? Cette opération

marketing ne risque-t-elle pas de décrédibiliser la mission scientifique et culturelle du musée ?

A ce jour, la SAMB n’a pas encore réagi. Nous attendons de pouvoir observer la réaction du

public et des médias, c'est-à-dire de la société civile. Peut-être l’exposition sera un succès et

suscitera une émotion patrimoniale positive. Mais pour l’instant, en interne (au sens large) les

réactions négatives dominent.

La seconde exposition proposée par la Ville de Bayonne pose également quelques questions

sur la fonction du musée. Il s’agit d’une exposition-vente de dessins (d’un illustrateur local

reconnu) extrait d’un livre dont le titre Bayonne, ville d’Art et d’Histoire, reprend exactement

le nom du label récemment décerné à la Ville qui y trouve un intérêt certain. Le livre sera

présenté officiellement au musée. Les réserves quant à la conception de cette exposition ne

portent pas tant sur la promotion du livre ou la mise en vente des dessins (le Musée Basque l’a

déjà fait en janvier 2011 pour le livre Vol au dessus de Bayonne : en 6 balades et 50

aquarelles) que sur la localisation de l’exposition. En effet, celle-ci ne serait plus limitée à la

salle Xokoa, mais présentée dans différentes salles de l’expositions permanente. Ce ne sera

pas la première fois que l’exposition permanente sera investie sans l’intervention scientifique

du conservateur ou de l’attaché de conservation, mais elle demeure considérée comme devant

rester intouchable, comme ayant son intégrité propre. Cette exposition « éclatée » pose la

question des limites de l’appropriation du musée par la Ville et ses partenaires.

Page 157: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

157

2.4.2. D’autres acteurs culturels locaux investissent l’espace du musée.

Une autre formule de partenariat est la mise à disposition gratuite de salles du musée auprès

d’associations, pour des conférences, des colloques ou des présentations d’ouvrages.

Les conférences de l’UTL (Université du Temps Libre) ont été délocalisées au Musée Basque

suite à la fermeture du Musée Bonnat. Elles sont toujours gratuites pour les adhérents et à cinq

euros pour les autres. Programmées à 15h, un à trois vendredi par mois, cet horaire offre

l’opportunité immédiate d’une visite libre du musée (après acquittement du droit d’entrée).

Le 13 octobre 2011, c’est le Service culturel de l’université (UPPA) qui a tenu dans la salle

Xokoa son premier concert. A l’occasion de l’un d’eux nous avons pu nous entretenir avec les

deux salariées du Microscope. Elles avaient déjà organisé sur l’année 2010-2011 deux

évènements au Caveau des Augustins (un bar à vins - café concert).

Le grand concert de rentrée prévu dans la cour du Château-Neuf (où se situe les bureaux du

musée mais aussi une partie de l’université) n’a pas pu y être donné suite à un abandon partiel

du soutien technique et matériel de la Ville. Elles se sont donc dirigées vers un bar du quartier

qui était leur « repli » en cas d’intempérie. Elles sont d’une manière générale déçues par la

politique culturelle de la ville en direction des 18-25 ans. Elles considèrent que celle-ci se

base surtout sur de « l’évènementiel », ce qui lui donne un côté « vitrine » et « carte postale »,

avec le jambon, le rugby. Elles se sentent un peu plus encouragées par Anglet et Biarritz.

Elles sont surtout à la recherche de lieux « atypiques » : église, chapelle, lieux patrimoniaux,

où le public viendrait vraiment « écouter » et pas juste boire un verre en écoutant

accessoirement de la musique. Un jour, en passant devant le Musée, elles se sont dit que ce

pouvait être un lieu intéressant, et elles ont donc rencontré Jean, le chargé de communication

et des partenariats. Alors qu’elles s’attendaient à ce que cela soit « compliqué » dans un tel

site, tout se passe bien et facilement avec bien moins de contraintes qu’elles ont pu en

rencontrer ailleurs. Elles peuvent donc accueillir jusqu’à 110 personnes (gratuit pour les

étudiants, six euros pour les autres). Mais cette jauge n’est pas un critère déterminant. Par

exemple, en mars elles ont prévu un concert aux écuries de Baroja et savent déjà qu’elles vont

devoir refuser des gens. Ce qui compte pour elles c’est la qualité du spectacle et l’ambiance

de la soirée. Les concerts, au Musée Basque et ailleurs, ont toujours lieu en semaine pour

pouvoir toucher les étudiants (le week end, beaucoup rentrent chez eux), un public qui

représente une part de plus en plus importante. Elles proposent aussi une à deux fois par an

des manifestations de « spectacle vivant » car leur budget est limité. Pour les concerts, entre le

Page 158: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

158

cachet des artistes et les prestataires techniques, elles ne peuvent pas se permettre de louer une

salle, la mise à disposition gratuite du Musée est donc une aubaine. Elles ne savent pas que

cette mise à disposition gratuite de la salle Xokoa est en fait approuvée par la mairie (car

autorisée par le Syndicat mixte) et n’est pas seulement le fait de la bonne volonté du chargé de

communication. Il semblerait que le musée ne soit plus toujours identifié comme une

institution mais de plus en plus comme un site privé ou du moins indépendant.

Pour le musée, ce partenariat est l’occasion de faire parler de lui et d’ajouter une ligne à son

agenda. Par contre, puisque les concerts ont lieu après l’horaire de fermeture, les salles

d’exposition ne sont pas accessibles au public, ce qui amoindrit l’impact souhaité, c'est-à-dire

que les gens reviennent cette fois pour le musée lui-même.

Depuis le 22 octobre 2011, l’association « La vie en mot » propose des ateliers d’écriture une

à deux fois par mois (50 euros la séance), dans la salle Argitu. Le président de cette jeune

association (2007) est membre de la SAMB, il a donc immédiatement pensé au musée.

D’autres évènements ont lieu de manière plus ponctuelle. En novembre 2011, par exemple, le

colloque organisé par la SSLA « Les années 1870-1871 dans le Sud-ouest atlantique », qui

initialement devait se tenir au Club Omnisport de l'Aviron Bayonnais, s’est déroulé au Musée

Basque.

Le 7 décembre a eu lieu le vernissage de l’exposition de Nader Koorachi, lauréat de l’appel à

projet Hogei’ta de l’ICB91

. L’artiste proposait de réaliser, à partir de photographies d’objets

référence de la culture basque traditionnelle, une installation vidéo, intitulée « Scènes ». Pour

ce faire, une fois le projet sélectionné par un jury de professionnels, l’ICB a pris contact avec

le Musée pour leur proposé d’accompagner l’artiste. Le Musée Basque n’est ni un partenaire

du programme, ni membre du jury. Jacques a accepté de suivre la réalisation de ce projet.

Assisté d’Alain, ils ont été les techniciens, manipulateurs des objets mis en scène. Jacques a

trouvé ce projet intéressant mais ne s’attendait pas à ce qu’il lui prenne autant de temps. Il est

notable que l’artiste avait déjà un projet « bien ficelé » de ce qu’il voulait faire92

et que le

musée n’a joué qu’un rôle d’assistance technique. Nous avons pu assister à l’une des séances

91

L’ICB (Institut Culturel basque) a lancé en 2011 son premier appel à projet « arts visuels », baptisé

« Hogei’ta », à destination des jeunes créateurs, « les encourageant à réinterpréter des éléments de la langue et de

la culture basques ». Deux lauréats ont été primés pour cette première édition, l’un a exposé son travail au Carré

Bonnat, l’autre au Musée Basque. 92

L’artiste avait déjà réalisé un projet similaire dans sa forme au musée de San Telmo (Saint Sébastien,

Espagne).

Page 159: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

159

de travail. L’objet choisi était une pala (un des instruments du jeu de pelote). Jacques et Alain

ont sorti des réserves un mannequin de l’ancienne muséographie (commandé en 1958 et

spécialement conçu à cet effet). Ils n’ont pas pu le revêtir du costume original car celui-ci est

trop fragile, un substitut neuf a donc été utilisé. La pala est un authentique objet du musée

(dépôt du MNATP) qui avait été coupée à la scie pour être placée dans la main du mannequin.

L’artiste a choisi de recourir à un plan fixe de quelques minutes pendant lesquelles Jacques et

Alain entre dans le champs avec le mannequin pour le positionner et placer la pala dans sa

main, puis ils se retirent. Entre alors un vrai pelotari qui se positionne à côté du mannequin,

dans la même posture, qu’il doit ainsi tenir trois minutes. Enfin, Jacques et Alain rentrent à

nouveau dans le champ pour retirer le mannequin.

Ce projet s’inscrit pleinement dans une démarche contemporaine à partir d’objets de la

collection du musée (mais pas seulement) mais il reste la propriété de l’artiste qui va ensuite

l’exposer ailleurs. Le Musée Basque a pu toutefois en profiter quelques semaines au cours

desquelles l’exposition a été installée dans la salle « 2.08 » (cabinet d’arts graphiques en

2001, puis transformé en salle d’exposition temporaire).

Le 18 janvier 2012, le Conservatoire dans le cadre de son programme d’animations intitulé

« Musique in situ » et de son nouveau partenariat avec la Ville de Bayonne, a investi le Musée

Basque. La thématique de ce programme 2011-2012 est « l’architecture et le patrimoine ».

nous avons interrogé l’organisateur sur son choix du Musée Basque. Celui-ci figure « parmi

les lieux qu’on a envie d’investir, cette grosse ferme93

, c’est quand même étonnant ».

Initialement il avait été prévu un concert, mais face à l’espace disponible, l’organisateur a

envisagé une autre performance. Une professeur du conservatoire a donc proposé de présenter

le spectacle de danse contemporaine de ses élèves au Musée Basque sous forme d’un

parcours. Il ne s’agit pas de valoriser les collections mais de « voir le bâtiment pour ce qu’il

est ». Le directeur a demandé au conservateur d’introduire cette « visite dansée » des salles

d’exposition permanente. Lors du repérage l’organisateur et la professeur de danse ont

suggéré au conservateur qu’il agrémente la visite par quelques commentaires sur

l’architecture du musée, cela permettrait de laisser le temps aux danseuses de rejoindre

l’espace de danse suivant et complèterait heureusement le spectacle. Ce projet n’est pas à

proprement parlé une coproduction mais plutôt une réponse à une demande d’un acteur

93

Relevons ici la méconnaissance de la Maison Dagourette et de ses entrepôts portuaires, que nous avons

entendu à plusieurs reprises identifiée comme une « ferme », en plein centre ville de Bayonne. Le Musée est en

quelque sorte tellement « reconnu » que parfois on ne le connait pas véritablement.

Page 160: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

160

culturel local qui ambitionnait de « croiser les publics », c'est-à-dire celui attiré par la danse et

celui attiré par l’architecture. Après une répétition in situ, le spectacle a eu lieu. Nous y avons

retrouvé trois membres de la SAMB et la responsable du service des publics ; le reste du

public était composé des parents des jeunes danseuses, reste à savoir s’ils reviendront au

musée pour découvrir cette fois ses collections.

Ces deux projets de partenariat sont particulièrement intéressants pour plusieurs raisons. Tout

d’abord, ils utilisent respectivement des objets de la collection et des espaces d’exposition

permanente et valorise ainsi une partie du patrimoine du musée. La localisation au deuxième

étage pour le premier, la déambulation pour le second, ont le mérite de véritablement faire

entrer le public dans l’exposition du musée (et pas seulement dans le hall d’accueil et la salle

Xokoa). Du côté des artistes, cette expérience au musée constitue une manière de s’approprier

le lieu et de varier le cadre de leur pratique, les jeunes danseuses ont aussi eu à s’adapter à

l’espace.

Il s’agit par ailleurs de deux types de démarche artistique rarement proposées au musée

(installation vidéo et danse), par rapport à la peinture, la photographie ou la musique. La

promotion des évènements est assurée par le porteur de projet et ne coûte donc rien au musée.

C’est le genre d’expérience que l’équipe du musée souhaite renouveler, avec toutefois une

nuance, qui serait une implication pas seulement technique ou matérielle de l’équipe, mais

plutôt une discussion, une négociation du projet, afin que le musée soit aussi acteur et pas

seulement hôte ou assistant.

2.4.3. Les grands évènements nationaux ou européens

Les grands évènements nationaux ou européens sont aussi l’occasion de proposer une

animation spécifique au musée. Le mois de septembre a été particulièrement riche en

manifestations. A l’occasion des Journées européennes de la culture et du patrimoine juifs (le

dimanche 4 septembre 2011) , le conservateur a présenté deux diaporamas dans la salle dite

« des juifs de Bayonne » et organisé une conférence.

Le thème des Journées européennes du patrimoine en 2011 était le voyage.

Le conservateur a fait appel à Sophie Cazaumayou - ethnologue, membre de la SAMB et

directrice de publication du Bulletin du Musée Basque - qui avait travaillé il y a quelques

années sur la collection Voulgre, en l’inventoriant notamment. Ensemble, ils ont conçu une

Page 161: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

161

exposition à partir de la collection de ce médecin bayonnais qui avait rapporté toute une série

d’objets de son voyage au Congo. Maud (responsable du service des publics) a suggéré de

donner à cette exposition la forme d’un cabinet de curiosité, « typique de cette époque ». De

nouvelles vitrines en bois ont été fabriquées par le menuisier (Philippe) à cette occasion.

L’ethnologue a aussi donné une conférence sur ce sujet.

Le Musée Basque a également invité quelques jours plus tard un conférencier, Matthias Beitl,

directeur adjoint du musée autrichien des Arts et Traditions populaires (Vienne), pour qu’il

évoque la plus grande collection d’objets basques hors du Pays basque.

Deux représentants de la Ville de Pampelune, jumelée avec Bayonne sont intervenus, et

plusieurs associations ont tenu des conférences dont la Société des Sciences Lettre et Arts de

Bayonne (SSLA), Bayonne Centre Ancien, Pilotazain. Ces associations sont actives toute

l’année et mettent un point d’honneur à s’afficher lors de cet évènement. Pour elles, intervenir

dans les locaux du Musée Basque est « une évidence », de par le symbole qu’il représente et

parce qu’à cette occasion elles peuvent toucher un public plus large que leurs seuls adhérents.

Les associations trouvent au musée un espace où mener une partie de leurs actions, qui plus

est dans un cadre emblématique, elles y gagnent donc en notoriété et réciproquement ; le

musée, lui, s’affiche grâce à cela comme un lieu d’échange et bénéficie d’une série

d’animations toutes prêtes (ou presque) qui viennent enrichir son offre propre et peuvent

conduire de nouveaux publics à le visiter.

2.4.4. L’Agenda 10/10

L’agenda 10/10 est le programme d’animations mené par le directeur du Musée Basque. A

l’occasion des dix ans de la réouverture du musée, il propose le 10 de chaque mois un

« rendez-vous incontournable pour redécouvrir le musée », entre juin 2011 et mai 2012. Un

préprogramme avait été annoncé pour les mois de juin à novembre, puis au fur et à mesure de

décembre à mars ; avril à mai ne sont pas encore annoncés.

« 10 ans après la réouverture de Dagourette… Un programme culturel spécifique pour 2011 –

2012, équivalent à un plan de relance pour le musée. Un programme culturel spécifique, sur la

base des potentiels propres au musée :

- l’interprétation des collections et leur présentation

Page 162: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

162

- la qualité des services.

Un concept pour le tenir : « 10/10 », structurant une série d’actions phare, l’Agenda 10/10,

déclinée sur 10 mois, du 10 juin 2011 au 10 mars 2012, constituant une série de rendez-vous

incontournables au musée… symbolisant en même temps notre objectif de qualité totale dans

les services… »

En juin 2011 le nouveau site Internet du musée a été présenté au public. Jusque là, le musée

possédait déjà son propre site internet mais celui-ci était géré par un service municipal étant

donné qu’aucun agent n’était formé pour y appliquer des modifications ou mises à jours des

informations. Le directeur le trouvait insatisfaisant, il a donc demandé à un web designer d’en

créer un nouveau. Nous n’avons pu assister à cette présentation au public mais à celle destinée

aux membres du CO. En mars 2012, l’amélioration de la communication par le biais de ce

nouveau site n’est pas attesté. L’agenda se remplit au compte-goutte, souvent au dernier

moment. La lettre d’information envoyée par mail à été supprimée. Le panneau d’affichage

sur le parvis du musée n’est plus utilisé. Le directeur travaille à ce que tous ces points soient

améliorés prochainement.

Des éléments de l’ancien site Internet ont été réutilisés, comme la collection en ligne (soit

près de 6600 objets dont la moitié de fonds photographiques).

La principale nouveauté est le Zoom collections 94

: « Un mois / un objet. Le musée invite ses

amis à partager avec vous leur regard sur un objet choisi dans les collections. Ils apportent

ainsi une lecture personnelle du musée où se mêlent connaissance et sensibilité. Chaque mois,

retrouvez ici des spécialistes, des artistes, des passionnés… »95

. Cette rubrique permet

d’enrichir régulièrement le site Internet et de faire participer ponctuellement des personnes

extérieures au musée, parmi lesquels une docteur en histoire de l’art, une photographe,

l’auteur de Louis XIV et le Pays basque et éditeur chez Elkar, un chocolatier, le secrétaire de

l’association CDAA (Centre de Documentation et d'Archives d'Architecture, qui a ses locaux

dans une autre aile du Château-Neuf), l’ancien directeur du Musée Basque, l’ethnologue de

l’ICB, la professeur-relais patrimoine du musée, deux membres de l’association Lauburu, ces

cinq derniers étant aussi membres de la SAMB.

En juillet le musée célébrait la réouverture des salles du rez-de-chaussée avec le retour des

collections agropastorales.

94

Nous avons déjà évoqué ces courts films dont le directeur choisi les intervenants et dont Christian assure la

réalisation. 95

http://www.museebasque.com/fr/zoom-collections

Page 163: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

163

En août, la salle de la pelote fut complétée par la projection d’un film et l’installation d’une

borne interactive (où consulter d’autres films issus des collections du musée).

Un film sur un pelotari (maniste, c'est-à-dire pratiquant la spécialité du jeu de pelote dite « à

main nue ») a été prêté temporairement par un jeune réalisateur, intervenant à l’Ecole d’art de

la CABAB (2008-2009), qui avait exposé au carré Bonnat en 2008. Sur son site Internet on

peut lire une description de cette vidéo (absente au musée, où la vidéo est projetée sans

commentaire ou cartel). Azalarea : « Cette vidéo présente certains aspects de la Pelote Basque

à main nue. La surface de jeu (la kantxa), le joueur (le pelotari) et la pelote forme [sic] la

trinité nécessaire quant à l’acte de jeu. L’accent est porté sur les qualités plastiques de la

kantxa et les mouvements qu’entreprend le pelotari pour, à chaque fois, ramener la pelote et

ainsi réactiver le jeu. ».

En septembre, un « parcours littéraire », à vocation permanente, a été mis en place dans les

salles du musée. le parcours est annoncé par un panneau dans l’Argialde et dans chacune des

onze salles concernées, des chaises invitent le visiteur à s’installer pour lire un extrait d’un

texte littéraire (sous forme de fiches plastifiées), en relation avec le thème de la salle.

« Il faut renouveler toujours à mon avis les propositions, les les / il faut jouer différentes

musiques quoi. Donc ça peut être / des gens des gens qui aiment la littérature, ils ne sont pas

nombreux, on est bien d’accord, y a moins / de moins en moins de gens d’ailleurs qui lisent et

peut-être comme vous disiez peut-être aussi de plus en plus de gens qui par contre seraient

intéressés à / que l’on leur lise et à écouter. Donc un parcours littéraire dans le musée mais

profitons-en ! mettons ça en avant, ne nous contentons pas simplement des cartels qu’on a là.

Mais d’ailleurs / enfin / ça coûte assez peu, au niveau des coûts, au niveau de la gestion, au

niveau de la faisabilité et tout ça, je vous assure, moi là là dans ce cas là je les fais presque

« comme ça », en passant ta ta ta. […] » (Rafael Zulaika, directeur).

En octobre, l’ouverture de la nouvelle salle de recherche du musée, à Château-Neuf, a été

annulée, faute de budget.

En novembre a été célébré « le retour des baleines », un retour virtuel, avec un documentaire

de l’association Ibaialde, diffusé un soir dans la salle Xokoa. Le directeur avait la veille

présenter le site internet Balea Irla (l’île baleine) réalisé en 2010 : « L’Aquarium de Saint-

Sébastien et le Musée Basque et de l’histoire de Bayonne présentent la «première salle

virtuelle» de leurs e-musées. Interactive et ludique, elle associe une dizaine de musées

partenaires en Aquitaine et Euskadi par le biais de leurs collections, et propose une approche

innovante pour conserver et promouvoir les histoires de chasse à la baleine. ». Enfin, un

Page 164: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

164

artiste plasticien a été invité à exposer dans l’Argialde des sculptures et peintures sur le thème

de la chasse à la baleine.

Le rendez-vous de décembre, qui devait mettre à l’honneur la boutique du musée a lui aussi

été annulé.

Le thème de janvier était la musique avec un ciné-concert (projection de films d’archives avec

des bandes-sons contemporaines, une création du collectif Basque Electronic Diaspora, dont

fait partie une des membres du Conseil d’Orientation du musée) et le « parcours dansé » des

élèves du Conservatoire.

Février mettait à l’honneur « etche » (maison basque), avec une conférence du conservateur

du musée sur le regard des artistes sur la maison basque à partir des collections

iconographiques du musée et une conférence du CAUE (Conseils d'Architecture, d'Urbanisme

et d'Environnement), association départementale d'information et de conseil en architecture).

En mars des aménagements ont été fait dans la salle des activités maritimes et fluviales : une

encre est désormais exposée et les socles sur lesquels reposés deux galupes (petits bateaux à

fond plat) ont été remplacés. Les socles précédents, imaginés par la muséographe en 2001,

représentaient paradoxalement des vagues, alors que les galupes ne pouvaient voguer que sur

les rivières. Il s’agissait donc de corriger ce contre-sens scénographique.

A chaque thème de l’Agenda 10/10, Elisabeth (documentaliste) essaie de présenter dans la

vitrine de l’Argialde des ouvrages en lien, cela a été le cas pour les baleines, la musique, la

maison.

Page 165: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

165

CHAPITRE 4. INTERPRETATIONS DE L’ORIENTATION DU MUSEE BASQUE

Nous retenons deux modes ou étapes de la fabrication du patrimoine par le musée : la

conservation - et plus particulièrement son volet réflexion sur les collections à constituer et

valoriser -, et la médiation.

1. Réflexions sur les collections

1.1. Un musée d’Histoire et d’ethnographie

La particularité du Musée Basque est qu’il combine à la fois un musée d’ethnographie et

un musée d’histoire. Cette distinction ne nous paraissait pas évidente au premier abord. Pour

la comprendre, il nous faut remonter aux origines du musée. Son premier nom Musée Basque

et de la tradition bayonnaise nous indique qu’en tant que musée municipal il devait aussi

représenter la ville de Bayonne ; les fondateurs du musée eux-mêmes étaient Bayonnais (tout

du moins d’adoption), c'est-à-dire citadins, ils voulaient aussi donné cette dimension

bayonnaise au musée, ne serait-ce que symboliquement en l’intégrant dans son nom. Jean

Haritschelhar (directeur du musée de 1962 à 1988) nous a confié n’avoir jamais compris ce

qu’était cette tradition bayonnaise. Il n’ a d’ailleurs jamais utilisé cette expression, pour lui, le

musée était « Musée Basque ».

« Qu'est-ce que vous pensiez du nom que portait le Musée Basque quand vous êtes arrivé ?

_ Bien il était Musée Basque et de la tradition bayonnaise.[…] Moi je me suis toujours demandé

ce qu’était « la tradition bayonnaise ».

_ C'est-à-dire ?

_ Il n’y en avait pas.

_ Bayonne était considéré comme basque à l’époque ou c’était gascon ?

_ Oh alors […] Il se trouve que c’était des discussions que j’ai pu avoir avec un certain nombre

de personnes, en particulier des Bayonnais. Il y en a un qui s’appelle Herran [Léon] qui fut un

journaliste et qui me disait « Bayonne n’est pas basque ». Et je lui disais « pourquoi elle n’est

pas basque ? _ c’est bien simple il y a une rue des Basques _ Ha. » […] Alors je vais vous

raconter maintenant quelque chose qui va vous amuser, j’avais toujours ça dans l’idée et

comme je faisais partie de la commission de toponymie de la ville de Bayonne […] un beau jour

on a eu à donner des noms de rue là-bas en haut96

[…] Et puis je lève le doigt et je m’entends

dire « Monsieur Haritschelhar vous n’allez pas quand-même nous imposer des noms en basque

là-bas ». Et je répond immédiatement « vous ne m’avez même pas laissé parler, car

96

Les nouveaux quartiers développés au nord de Bayonne.

Page 166: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

166

simplement, c’est ma proposition et je pense que tout le monde l’acceptera ici, c’est des noms

gascons qu’il faut là-bas ». […] J’avais par derrière la « rue des Basques », et c’est comme ça

que grâce à moi vous avez une « place des Gascons » là-bas [rire]. J’avoue que je me suis

beaucoup amusé là. […]

Et puis la tradition bayonnaise qu'est-ce que c’était ? Les taureaux ? Bon moi je veux bien. Les

fêtes de Bayonne ? Elles dataient de 1932, faut pas rigoler quand-même [rire]. Alors que ça

devienne une tradition moi je veux bien. Mais quand s’est ouvert le musée en 1924 je regrette

mais enfin bon. Par contre j’avais développé au dernier étage, à partir du moment où tout était

ethnographique, et ça se terminait avec la pêche, la pelote […] Ensuite j’ai abordé, j’ai

transformé toutes les salles là, j’ai abordé l’Histoire. On est parti de la préhistoire et en

particulier il y avait une salle de « Bayonne et l’Empire ». Si bien que ça a été plus facile de dire

ensuite le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne.

_ Le changement de nom ça a été à la réouverture…

_ Oui oui oui. Moi je n’ai rien changé, d’ailleurs, je n’ai jamais dit « de la tradition bayonnaise »,

pour moi c’était « le Musée Basque » et puis ça y est et ça s’arrêtait là.

_ Et « de l’histoire de Bayonne » ça vous parait plus juste ?

_ Ah c’est beaucoup plus juste ! Bayonne joue un rôle dans l’histoire du Pays basque. Bayonne

est quand-même la capitale du Pays basque. […] Il y a eu un certain temps dans le vocabulaire

bayonnais des termes tels que « la bascouraille ». Je vous le signale. Et ce que nous avons

gagné maintenant c’est le respect. » (Jean Haritschelhar, directeur du Musée Basque de 1962

à 1988).

A l’issue d’une visite libre, deux personnes nous ont dit avoir le sentiment d’avoir visité plus

un musée de Bayonne qu’un musée du Pays basque.

L’Histoire était déjà présente avant la fermeture du musée. Son successeur, Olivier Ribeton

avait initialement été missionné pour concevoir un musée d’Histoire autour de la collection

des Ducs de Gramont. Pourtant, réunir deux disciplines en un musée en ne fut pas une mince

affaire. La réinstallation de deux salles thématiques, relevant chacun d’un de ses domaines, de

l’exposition permanente en 2011 nous a permis de comprendre la distinction faite entre les

collections ethnographiques et les collections historiques. Cette distinction, qui n’est pas

toujours très nette, se révèle en premier lieu un outil pratique mais elle exprime en même

temps la méconnaissance de la discipline ethnologique et de ce qu’elle peut apporter.

Tandis que les salles consacrées à l’agropastoralisme sont considérées comme

« ethnographiques », la salle intitulée Des idées et des hommes représente la dimension

historique du Musée Basque. Nous avons demandé au conservateur de nous expliquer cette

distinction.

Page 167: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

167

« Et comment vous distinguez les salles historiques des salles ethnographiques ?

_ Bien, c'est-à-dire que les salles ethnographiques c’est plus le principe de la vie quotidienne,

c’est la vie quotidienne au travail, la vie quotidienne aux loisirs, la vie quotidienne dans le cadre

d’une religion ou d’une foi, alors que l’Histoire c’est lié à des évènements et à des individus qui

marquent les évènements… les individus marquent les évènements par des écrits, par des

actions donc c’est pour ça que la seule section historique était intitulée « Des idées et des

hommes »… parce que ces hommes mettent en avant des idées / alors c’est pour ça qu’il y

avait beaucoup de publications au départ dans ces salles et le problème c’est que les livres on

ne peut pas les présenter constamment, c’est pour ça que depuis on est un peu gêné aux

entournures avec l’idée de ne faire que des vidéos avec les premières pages des livres.[…]

_ Et pour vous « Des idées et des hommes » ça serait plus historique qu’anthro /

qu’ethnologique ?

_ Oui parce que l’ethnologie alors… « les idées et les hommes » sur l’ethnographie c’est un

regard extérieur qui essaie d’expliquer, d’accord. Tandis que « Des idées et des hommes »

comme je l’envisageais c’est des idées et des hommes sur les évènements… c'est-à-dire que la

vie quotidienne, au quotidien, bon il y a des habitudes, c’est la civilisation dont on a hérité, la

société qui continue et il y a parfois des bouleversements, c’est sûr que la Révolution française,

au Pays basque, a fait un bouleversement. Mais interviennent à ce moment-là certains

penseurs, certaines… la guerre, carrément, la guillotine même à certains moments… alors

après on parle de déportation des Basques ou pas… enfin il y a des électrochocs qui

bouleversent la société traditionnelle à certains moments. Mais ces électrochocs viennent des

idées, ils sont mis en œuvre par des individus particulièrement engagés, alors que moi je - alors

peut-être que je me trompe, je n’en sais rien - mais j’envisage… l’ethnographie … une vie

quotidienne qui suit son cours et qui de temps en temps est électrocutée par des évènements

venant de l’extérieur et qui changent un peu le cours mais ne le changent pas tellement. […]

Ici, les électrochocs pour moi viennent de l’extérieur, ils ne sont pas issus de la société, ils

viennent de l’extérieur. […] Alors après, effectivement, après la Révolution française, l’autre

électrochoc c’est le monde moderne, c’est l’industrialisation et le tourisme. Et là c’est / les gens

qui créent le musée en 1922, c’est pour répondre à cet électrochoc là. Un électrochoc que …

Pierre Loti décrit dans un manuscrit, qu'on a en original ici, Adios Euskal Herria […] C’est une

société figée qui ne peut pas évoluer dans l’optique de ces gens-là et le monde moderne va la

faire évoluer. […] mais c’est vrai que quelque part il y a un lien, on ne peut pas dire qu’il y a

l’Histoire d’un côté qui ne vit pas avec la société, c’est totalement lié. L’un influence sur l’autre

et inversement je pense. […] C’est par commodité qu’on sépare aussi.

_ Qu’est-ce que ça apporte comme facilité de séparer les deux ?

_ Parce que ce sont souvent des objets différents. On pourrait les mélanger mais ce serait plus

compliqué à mettre en œuvre parce que la société rurale comment elle évolue avec les

techniques, on peut faire, il y aura des ingénieurs qui arriveront, des agronomes qui diront voilà

comment… cultiver. Tout est possible. Après c’est une question de moyens. Intellectuellement

Page 168: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

168

on peut faire beaucoup de choses et on peut, je dirais, prévoir des mises en scène

spectaculaires, époustouflantes et globalisantes. Dans la réalité souvent c’est plus facile de

séparer des choses simples. C’est dans son esprit qu’il faut essayer de les réunir.»

« Mise à part la salle « Des idées et des hommes », il y a d’autres salles « historiques » ?

_ Il y a celle de l’économie, le port, autour du port et des activités de négociants.

_ Et la maquette du port de Bayonne à ce moment là elle est entrée dans l’historique ?

_ Elle est entrée dans l’historique. Elle est dans l’historique tout en … alors là aussi vous avez

la jonction très nette je dirais d’une ethnographique maritime et fluviale et d’un rôle dirigeant, on

va dire du négoce local, ou bayonnais. Alors affectivement il faudrait presque/ moi je trouve ça

assez intéressant cette salle, enfin il y a trois salles et la maquette est au milieu. On va dire que

« des idées et des hommes » c’est la salle des négociants, où il y a Cabarus, négociant juif,

Basteretxe, la monnaie … on va dire que c’est eux qui donnent les ordres et qui ont la

puissance financière et économique. Puis après c’est transmis dans la maquette où on voit le

port avec toutes ces activités, à différents niveaux, constructions navale, commerce maritime,

etc. Et après on a dans le détail l’évolution de la rivière et la batelerie. C’est vrai que là cet

ensemble justifierait peut-être plus la non séparation des « idées et des hommes » et de

l’ethnographie parce qu’en fait c’est un continuum. » (Olivier Ribeton, conservateur).

L’Histoire concernerait l’élite bourgeoise, les dirigeants, c'est-à-dire la ville, tandis que

l’ethnographie se limiterait au peuple, aux paysans, c'est-à-dire au monde rural, « la côte

versus l’arrière-pays ». C’est une dichotomie un peu grossière et simplifiée mais qui résume

ce point de vue. Le conservateur considère qu’on aurait aussi pu traiter « des idées et des

hommes » dans le cadre rural, avec les élites villageoises et l’organisation sociale autour de

« la maison », mais cela n’a pas été le cas. Cette dichotomie contribue à représenter le monde

rural comme a-historique, hors du temps et de l’Histoire. Ne dit-on pas fréquemment que

« les Basques ne datent pas » ? Qu’ils sont ici « depuis la nuit des temps » ?

La société rurale basque est fantasmée comme une société égalitaire, sans chef ni pouvoir

coercitif, une société « primitive » qui aurait refusé l’autorité des Etats français et espagnol,

qui vivait à l’abri des soubresauts de l’Histoire.

Au cours d’une visite, une guide a répété à trois reprises que la société basque était

originellement « matriarcale ». Pour d’autres, la société basque « traditionnelle » était un

modèle de démocratie. Toutes ses idées servent à alimenter les discours identitaires sur une

singularité basque, à des fins souvent politiques. Pourtant des études ont porté sur

l’organisation sociale et politique de la société basque, centrée sur la maison, l’etxea, comme

unité sociale de base. Au cours d’une autre visite du musée, il a été dit que chaque maitre de

maison représentait une voix à l’assemblée du village, mais rien n’est dit sur les autres

Page 169: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

169

individus qui composaient cette maison, ni sur les métayers. La société rurale basque

traditionnelle est encore aujourd'hui idéalisée.

Les collections protohistoriques, quant à elles, sont présentées dans le même espace

thématique que celles de l’agropastoralisme qui elles s’étendent jusqu’au début du XXe siècle.

Cela est justifié par le fait que l’agropastoralisme remonte à cette époque protohistorique,

pour « montrer que cela vient de loin » et par le fait que le Musée Basque a choisi une

présentation thématique et pas chronologique. Le Musée Basque est en effet limité par ses

collections. Et c’est justement là que la créativité, l’ingéniosité doivent intervenir. Mais cela

nécessite une maîtrise et une connaissance approfondie des différentes interprétations que les

chercheurs et la société elle-même élaborent.

Nous avons évoqué précédemment l’exclusion en 2001 des objets témoins de la préhistoire

(qui n’ont toujours pas intégrés l’exposition permanente). Le Musée Basque est enfermé dans

une conception identitaire. Il a été conçu dans les années 1920 comme le reflet de la société

basque (supposée en train de disparaitre). Mais il n’a pas suivi cette voie et reste centré sur le

passé. Cela tient, selon nous, à la difficulté de déterminer aujourd'hui ce qu’est la société

basque face à la multitude des discours, des échanges, des manifestations et des objets

produits. Or, avancer cet argument revient aussi à oublier que depuis 1924 la collection du

musée et son discours ont été constitués arbitrairement. Le musée semble aujourd'hui refuser

de débattre, de se positionner et de justifier des choix. Il choisit de demeurer sur ces acquis

peu contestés. Son discours repose sur un consensus, ce qui est paradoxal avec le vœu

exprimé de le transformer en lieu d’échange, de débat et de rencontre. Le musée est jugé

coupé du contemporain, « pas en phase » avec la société d’aujourd'hui et pour cela délaissé

par une part de la population qui pourrait constituer à la fois de nouveaux partenaires et de

nouveaux publics. Plusieurs musées se posent déjà cette question d’intégrer la dimension

contemporaine à leur action pour donner un nouveau sens à leurs collections. Au Musée

Basque, c’est Jacques, l’attaché de conservation qui s’est lancé dans ce qu’il appelle « une

réflexion sur la collecte du contemporain » pour mettre en lumière le lien entre ces objets du

passé et la vie en société d’aujourd'hui.

Avant de développer ce point, il nous faut présenter un troisième type de collection présente

au Musée Basque : l’art (art régionaliste et art contemporain) et le rôle qui lui est attribué au

musée.

Page 170: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

170

1.2. L’art : de la nécessité à la facilité.

L’art au musée est une « vieille habitude » si l’on peut dire. Elle en est même l’origine. A côté

des beaux-arts et des monuments historiques, le patrimoine ethnographique parait plus

difficile à définir et à valoriser.

Le conservateur du Musée Basque, formé en histoire de l’art et Histoire, éprouve du respect

vis-à-vis de l’objet ethnographique en tant que témoignage d’une culture matérielle, mais il

n’éprouve pas de sensibilité particulière à son égard. Ainsi, il a poursuivi allègrement l’usage

lancé par le Commandant Boissel, de faire entrer l’art régionaliste dans les collections.

Rappelons que parmi les fondateurs du musée se trouvaient des artistes (Arrué, Grimard) qui

ont fait don de nombreuses de leurs œuvres. La création artistique, essentiellement figurative

ici, a valeur de « témoignage sociologique ». Au Musée Basque, elle permet aussi d’observer

le phénomène d’idéalisation du monde rural. Les tableaux (mais aussi de plus en plus ces

dernières années la photographie) peuvent permettre de contextualiser un objet (par exemple

une charrue).

Certains tableaux peuvent aussi illustrer ce qui est moins facilement exposable pour des

raisons pratiques, par exemple le tableau du Zamalzain. Le Zamalzain est un personnage de la

mascarade souletine, qui porte notamment un jupon surmonté d’un cou et d’une tête de cheval

en bois. Son costume coloré et original est le plus emblématique de la mascarade, de même

que la mascarade est elle-même l’une des pratiques culturelles les plus emblématiques de la

culture basque. Le musée contient en réserves de nombreux costumes mais dont l’état ne

permettrait plus de les exposer ou nécessiterait des précautions et des aménagements trop

coûteux en budget et en espace.

Nous avons vu que les acquisitions par achat ne concernent plus depuis longtemps les objets

« ethnographiques » mais uniquement les œuvres d’art, dans une mouvance qui n’a rien

d’exclusive au Musée Basque (Coiffier, 2008).

Beaucoup de portraits sont aussi utilisés pour évoquer des périodes ou des évènements

importants dans l’histoire de la ville de Bayonne, parfois du Pays basque. Cela répond aussi

en partie à la spécialisation du conservateur dans ce domaine. Mais sa sensibilité n’est pas

seule en cause dans le déséquilibre des acquisitions (achats) entre l’art et l’objet

ethnographique.

Nous devons aussi tenir compte de l’idée répandue selon laquelle il n’y a pas deux tableaux

identiques, que de multiples sujets sont évoqués, dans différents styles, à diverses époques : la

liste des tableaux importants est très longue. Leur mise en vente, aux enchères ou autres est

Page 171: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

171

organisées et médiatisées. Tandis que pour les objets ethnographiques, à moins qu’ils ne se

rattachent éventuellement aux arts décoratifs, l’idée commune est que « si vous en avez un,

vous les avez tous ». L’on reconnait une plus grande richesse à l’œuvre d’art qu’à l’objet. La

valeur marchande n’est pas la même, le prestige à s’en rendre propriétaire n’est pas le même

pour la Ville. L’objet ethnographique se collecte plus qu’il ne s’achète, même si la collecte

n’implique pas nécessairement la gratuité. Mais elle exige une prise de contact avec des

propriétaires, d’aller sur le terrain ou plutôt des terrains où les conservateurs n’ont pas (ou

plus) l’habitude d’aller. La disparation progressive des ethnologues, même amateurs, de

l’entourage du musée a conduit à la cessation de ces collectes. Quelques dons continuent

d’arriver. Mais on n’est loin de l’avalanche qu’a connu le musée dans la première moitié de sa

vie.

Prenons l’exemple des sculptures offertes par un artiste basque toujours vivant, Nestor

Basterretxea : ces sculptures contemporaines en bois, représentant des stèles, sont

parfaitement en accord avec l’un des thèmes du musée. Pourtant, elles ne sont pas exposées

avec les stèles de pierre (dans les salles consacrées à l’agropastoralisme et au deuil), alors

même que cette association aurait pu initier un dialogue, un lien entre le passé et le présent.

Au lieu de cela, elles sont exposées seules, en salle 2.08., rebaptisée salle Basterretxea,

signifiant plutôt un hommage à l’artiste, qu’une contribution au discours sur la société.

C’est un fait que l’on n’accorde pas la même valeur aux sculptures et tableaux qu’aux objets

utilitaires. C’est un fait qu’il y a des priorités. Le public est peut-être plus accoutumé à lire un

tableau et s’en délecter qu’à lire et se délecter d’un pressoir à pomme. C’est pourtant le rôle

revendiqué par le musée, de l’y inciter et de l’y aider.

Examinons aussi à titre d’exemple le choix du film retenu pour être projeté dans la salle de la

pelote. Ce film est « un parti pris artistique ». Mais ce parti pris artistique n’est pas expliqué,

ne serait-ce que par un cartel. Le film montre un pelotari maniste, dans un trinquet, seul. Or,

la pelote se joue à un contre un ou deux contre deux (pour la main nue ; à trois contre trois ou

plus dans d’autres spécialités), mais jamais seul. C’est justement le mouvement d’alternance

entre deux joueurs (ou deux équipes) qui fonde le jeu de pelote, quelque soit la spécialité. Il

ne s’agit non pas d’une partie (on ne dit pas « match » dans les jeux de pelote basque), pas

plus que d’un échauffement, sinon il ne serait pas seul. Ici, le pelotari est donc à

l’entraînement. Il s’agit peut-être d’un détail ethnographique, pourtant la tenue revêtue n’est

pas celle de l’entrainement mais de la partie.

Page 172: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

172

L’installation d’un vidéoprojecteur dans cette salle était attendue depuis 2001. Il y aurait

même dû y en avoir trois, projetant des films dont la lumière aurait pleinement participé à

l’éclairage de la pièce, qui est restée relativement plus sombre que nécessaire pendant dix ans.

Mais des restrictions budgétaires en avaient suspendu l’achat. La diffusion de ce film, joint à

l’installation également d’une borne interactive où le visiteur peut en consulter d’autres, vient

donc « corriger » une muséographie inaboutie. Pourtant le choix du film n’a pas été médité.

Personne au sein de l’équipe n’a été consulté, ni de la conservation, ni même un des gardiens,

ancien champion de France de cette discipline dite « à main nue », ni un membre du conseil

d’orientation.

Le technicien avait estimé que la résolution des films numérisés disponibles dans la

vidéothèque du musée n’était pas suffisante pour un projection, mais tout à fait convenable

pour la borne interactive. Et le hasard a fait se rencontrer le directeur et l’artiste dont la

collaboration constituait pour eux deux une « opportunité ». Le recours à un artiste, qui plus

est gratuitement, évite d’avoir à débattre de la pertinence du travail proposé. Contrairement à

l’ethnographie, l’art est souvent considéré comme « un parti pris » qui ne justifie aucune

argumentation.

Nous parlions de « facilité » dans le sens où l’œuvre est considérée comme parlant d’elle-

même, de par la vocation supposée universelle de l’art. La facilité est aussi d’ordre pratique,

matériel : l’œuvre d’art nécessite peu de dispositif scénographique particulier, si ce n’est

l’éclairage et l’accrochage (ou le support). Tandis que l’objet ethnographique est considéré

comme ayant besoin d’un minimum de contextualisation. Le valoriser est un exercice plus

complexe. La valeur documentaire de l’œuvre d’art est indéniable, il ne faut pas pour autant

se cacher derrière elle et s’en satisfaire. La création artistique contemporaine ne saurait suffire

à exprimer le contemporain d’une société même si elle est une entrée intéressante.

1.3. Une réflexion sur la collecte du contemporain est engagée.

« Que penses-tu de l’image que le musée basque et plus particulièrement l’exposition

permanente donne de la société basque ?

_ [silence] hum, pour moi c’est une vision… alors c’est important de montrer le passé bien sûr,

de montrer d’où les choses viennent mais vu comment c’est montré, c’est montré donc c’est

hors contexte avec une explic / mise en contexte par des textes qui est extrêmement réduite, on

montre / donc pour moi c’est un musée du XIXe

siècle avec un discours du XIXe siècle et une

présentation qui se veut moderne mais qui a tendance, une tendance forte en plus à

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173

l’esthétisation et des choses qui ne sont plus comprises. Elles sont présentées presque pour

leur valeur esthétique donc. Le discours pour moi, c’est / le musée de société a d’abord un

discours sur la société : comment vivaient les gens, comment était le pays et là on montre un

certain nombre de jolies choses, un peu, on est dans la logique du trésor un peu, mais pas

dans / comme ça se faisait au début les fouilles archéologiques on fouillait à la pioche pour

trouver un bel objet, on pensait pas que la façon dont le sol était posé, avec les strates etc., ça

pouvait dire beaucoup de choses sur la manière dont les gens vivaient, comment ce site avait

été occupé. Je crois que le musée c’est un peu la même chose. Il y a le bel objet et il est

important parce que tu ne fais pas venir des gens au musée si tu présentes des choses qui sont

trop insignifiantes donc il y a quand même cette nécessité là qui reste présente, et c’est

notamment une des questions de cette collecte du contemporain, comment attirer à travers

l’objet banal, y a un peu la notion qu’avait proposé il y a quelques années Michel Colardelle97

de « trésor du quotidien », voilà. Mais ça c’est vraiment pour l’objet en soi, mais après il y a

toute sa présentation et … pour moi au musée on ne dit pas, on n’explique pas assez le lien

entre ce passé-là, qui est un passé qui est présenté en plus d’une manière un peu hors temps,

hors chronologie, entre ce passé-là et le monde d’aujourd'hui. Alors après ça a été faute

d’objets peut-être mais ça montre aussi comment le musée c’est conçu : c’est qu’on a pris

« qu’est-ce qu’on a dans la collection ? on a ça ? et bien on va faire ce musée là » et à mon

avis, il aurait fallut se poser la question autrement : « qu’est-ce qu’on veut dire ? et on va

chercher les objets / alors on a des objets on les montre, très bien, mais quand on manque on

va chercher des objets pour dire les choses, parce que le musée dans l’esprit des gens il est

sensé montrer / alors en plus c’était présent dans le discours des premiers concepteurs du

musée « on va montrer tout le Pays basque, du passé et du présent » donc il y a cette idée

d’exhaustivité dans le discours donc tu ne peux pas dire « alors ça on ne le montre pas parce

qu’on n’a pas d’objet ». Bien oui, mais en même temps… pour le visiteur il s’attend à avoir une

explication sur tous ces phénomènes là donc je crois que là : mettons nous en recherche,

collectons sur ces choses qui manquent. Et ça ce n’est pas du tout le cas. Il n’y a plus de

collecte, il n’y a pas de programme de collecte. Voilà. Il a été fait à mon avis dans une logique

XIXe, on montre son cabinet de curiosité avec ces beaux objets mais le discours du coup il a

des fois des grosses lacunes, il est défaillant, il n’est plus compris aujourd'hui, il l’était peut-être

dans les années 30, il n’est plus compris aujourd'hui pour moi ça donne pas forcément une

image négative de la culture basque mais il ne remplit pas son rôle de musée de société. Voilà.

_ Et le rôle c’est de tenir compte du contemporain ?

_ Voilà, c'est-à-dire de / qu’on soit vraiment, qu’on montre les évolutions, les changements.

Qu’on montre quelque chose en mouvement, que par exemple la xamara ce n’est pas le

costume basque, ce n’est pas l’habit basque, c’est la xamara98

. La xamara c’était utilisé

apparemment, d’après ce qu’on voit dans nos photos, de manière très très brève et dans un

espace géographique très limité, plutôt Basse-Navarre, un peu en Soule / enfin Soule, Basse-

97

Trésors du quotidien, une exposition temporaire du Mucem, au fort Saint-Jean, à Marseille, en avril 2007. 98

Xamara : blouse courte noire.

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174

Navarre voilà, peut-être des années 1870 à 1900 à la deuxième Guerre mondiale, à l’entre-

deux-guerres donc c’est une période très réduite quoi. A l’époque de Chaho99

apparemment on

n’a pas de xamara mais pourtant on est quand même basque. Voilà donc on ne va pas/ c’est

aussi faire attention à ces emblèmes identitaires qui définissent après les territoires et les

peuples, les musées qui sont créés dans un même mouvement, cette mouvance où on a

commencé à s’intéresser à ces identités locales, ils ont contribué aussi des fois à les figer un

peu et à entériner des discours qui étaient des discours pas très scientifiques. » (Jacques,

attaché de conservation).

L’objet dans tous ses états !, l’une des dernières expositions temporaires conçues par l’équipe

du Musée Basque, commissariée par Jacques et présentée au public du 27 mars au 31 mai

2009, synthétise sa réflexion sur l’objet de musée et l’objet du musée.

A partir d’une sélection d’objets hétéroclites, il présente quinze séquences interpellant

chacune différemment le visiteur, pour expliquer les différentes façons de concevoir l’objet de

musée et par là, la fonction du musée lui-même. Il interroge et explique en partie les choix des

directeurs et conservateurs qui se sont succédés, l’évolution du regard sur les collections et sur

la société. Il rappelle que la collection a un sens, que ce sens passe par le regroupement

d’objets, en thèmes, privilégiant la fonction de l’objet plutôt que sa forme. Cette thématisation

résulte d’une réflexion et de choix arbitraires. Il propose par exemple dans une séquence de

prendre le contre-pied de la thématisation du musée, en réunissant en un bestiaire insolite

divers objets figurant des animaux, démontrant ainsi que l’on peut donner un tout autre sens

aux objets, en modifiant les associations, c'est-à-dire la vue d’ensemble.

A partir d’un plâtre copie d’une sculpture en mie de pain, il aborde la question de la

documentation qui sert à comprendre et transmettre : à quoi sert un objet si l’on ne sait pas ce

qu’il est au-delà de ses caractéristiques physiques ? Il aborde aussi la question de la

scénographie qui influe la lecture de l’objet, et celle de la transformation de l’objet en œuvre

d’art lorsque son esthétique est privilégié. Il interroge aussi la place de l’art régionaliste, à la

fois témoin d’un regard et documentaire sur l’objet. Il aborde aussi le passage de certains

objets fonctionnels à des objets identitaires en posant la question « Est-ce le rôle d’un musée,

et plus particulièrement du Musée Basque, que de proposer au visiteur des mécanismes

d’identification, d’être le lieu de la glorification et du renforcement d’une identité

collective ? » (catalogue de l’exposition, p.44) et en expliquant que le musée ne peut se

contenter de présenter des objets pour leur seule valeur identitaire au risque qu’ils restent

99

Augustin Chaho (1811-1848), écrivain et homme politique du Pays basque français.

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175

incompréhensibles pour ceux qui n’appartiendraient pas à cette communauté ou n’en

connaitraient pas les codes et référents.

« Si le musée de société a un sens dans le monde contemporain, c’est celui d’être un

incomparable instrument de découverte, d’ouverture, d’apprentissage de la diversité et d’éveil

du sens critique, et non pas un outil pour formater els esprit ou générer de l’exclusion. »

(ibid : 49).

Il questionne aussi le statut de relique, de témoin, de trace d’une activité emblématique, la

question de l’absence d’objet pour illustrer certains thèmes, la relativité de la notion

d’authenticité.

Au cours la visite commentée de l’exposition, nous avions noté la mine déconcertée d’une

visiteuse face aux objets congolais extraits de la collection du docteur Voulgre. Elle a exprimé

son incompréhension, son désaccord même avec la pertinence de ces objets au Musée Basque.

C’était justement le but de cette séquence, que les visiteurs s’interrogent les raisons ou les

critères qui légitiment ou non la présence de chaque objet au musée.

Autant de « détails » qui constituent ensemble le message du musée et qui montrent comment

le musée est en fait lui aussi une production sociale et culturelle, un certain regard porté à un

moment donné. Cette exposition préfiguraient sa réflexion sur la collecte du contemporain. Il

explique comment le musée conçu en 1922 ne peut plus être celui de 2009 du fait de

l’évolution de la société. Non seulement la société basque n’a pas disparu, mais en plus elle a

tellement évolué que nombre de ces artéfacts et des faits culturels et sociaux qu’ils illustrent

ne sont plus connus ou compris par une large part des visiteurs de 2009.

« Un des chantiers qui s’ouvre pour le siècle à venir sera sans doute de se pencher sur les

objets qui témoignent de la culture basque contemporaine. En s’ouvrant largement sur le

monde actuel, le musée redonnerait leur pleine dimension historique aux objets anciens,

permettrait un dialogue fructueux entre passé et présent. Il n’entretiendrait plus des mythes

mais aiderait à comprendre la société actuelle dans son histoire et sa complexité, dans cet

équilibre, en permanente recomposition, ente héritage, influences et invention. » (p.93)

En 2010, il a pris l’initiative de lancer une réflexion sur la collecte du contemporain. C’est son

« dossier » majeur au moment de notre enquête. Un projet imaginé en deux phases : la

première, sous la forme d’une publication, réunit des témoignages et des textes théoriques de

professionnels de musées et de chercheurs spécialistes. La seconde, mise en suspens pour le

moment, consisterait en une adaptation de ces problématiques et expériences au cas du Pays

basque.

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176

Rappelons que la question du contemporain n’est pas nouvelle. En 1955, dans son « hommage

au Commandant Boissel » (Bulletin de la SSLA), Jean Ithurriague (deuxième directeur du

Musée Basque) écrivait ceci : « Le Musée Basque n’est pas un temple endormi dans une

hiératique solitude ; il est une maison vivante qui enferme dans sa structure même tous les

éléments de la durée. Le progrès dont tout à l’heure je signalais le danger, offre ô paradoxe,

entre autres avantages, celui de permettre que l’on conserve les richesses qu’il a contribué à

dénaturer au moins en partie : les appareils d’enregistrement peuvent recueillir et fixer des

modes de vie, des modes d’expression que l’on doit religieusement sauvegarder. […] Une fois

construite cette base solide, une fois installés les précieux matériaux de la grande œuvre, le

Commandant Boissel porta son regard vers l’avenir : le passé s’inscrivait en premier lieu sur

la chaîne de l’évolution ; il constituait si vous le voulez, comme le maillon initial,

fondamental. Mais le présent offre aussi ses richesses ; d’autres mœurs, d’autres usages,

d’autres modes de vie s’établissent ; on doit en conserver l’image, le souvenir, si du moins on

y découvre le caractère régional. » (pp.101-102).

Jean Haritschelhar (troisième directeur du musée), dans Hommage au Musée Basque, en

1988, affirmait que le Musée Basque, grâce aux dons est « l’œuvre collective de toute une

région, de tout un peuple attaché à son passé, à son histoire, à ses traditions. […] Un Musée

d’Arts et traditions populaires est un musée qui vit, qui s’enrichit sans cesse car chaque jour

qui passe plonge déjà dans le passé et ce passé demande à être recueilli. Chaque génération

apporte sa pierre à l’édifice muséal. » (p.601).

Cette réflexion sur une collecte du contemporain dépasse la seule question de

l’enrichissement des collections. Elle est l’occasion de repenser l’objet de musée et l’objet du

musée. Elle pourrait même préfigurer un nouveau Projet Scientifique et Culturel.

Membre du Comité de rédaction du Bulletin du Musée Basque (mais pas membre de la

SAMB), Jacques a proposé en janvier 2010 la parution d’un hors-série sur le thème de la

collecte du contemporain. Il a imaginé réunir des contributions de divers professionnels et

théoriciens du musée autour de la question : « Quelle place pour le présent dans les

collections du musée de société ? Panorama des pratiques à l’échelle internationale ». Il

souhaitait questionner dans un premier temps la pertinence de l’objet et du fait contemporain

au musée, en explorant le paradoxe entre le désir de continuité et la volonté de rupture.

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177

« Justement pourquoi cette réflexion sur la collecte du contemporain ? Et pourquoi

maintenant ?

_ Justement parce que le musée a du mal à être en phase avec le Pays basque d’aujourd'hui, il

a du mal à poser des questions sur la société basque d’aujourd'hui, il a du mal à proposer des

réponses. Les gens sortent du musée en disant « on a vu un beau musée », parce que c’est

vrai les choses sont bien faites, « mais on n’a pas trop compris » et voilà. Se dire est-ce que

nous on a quand même un devoir, on a des missions en tant que musée de société. Si on veut

vraiment bien faire notre travail il faut qu’on prenne ça à bras le corps. Il y a des acteurs

culturels, il y a une demande, il y a des touristes, il y a des / voilà. Et il faut qu’on soit au centre

de ça, donc comment ? Se poser la question sur des questions de société spécifiquement sous

l’angle actuel, sous l’angle du musée c’est poser la question de l’objet. Mais c’est un prétexte,

évidemment. Derrière la réponse ça peut être qu’on n’a pas besoin d’objet, c’est l’immatériel,

c’est autre chose ; peut-être que ça débouche sur une redéfinition complète du musée, je ne

sais pas. Mais je trouve que c’est un angle d’approche très intéressant pour poser la question

de l’interaction entre le musée d’aujourd'hui sur ce territoire et la société sur ce territoire

aujourd'hui. Voilà. »

« Justement il y a pas mal de lacunes dans les collectes qui ont été faites à l ’époque, le regard

était centré sur le rural, tu ne crains pas justement qu’en posant la question aujourd’hui pour

collecter le contemporain on n’ait aucune idée de ce que pourraient espérer les générations

futures ?

_ C’est la réponse, c’est une des réponses que les gens disent, enfin que les gens qui sont un

peu réticents vis-à-vis de ça, c’est qu’on n’a pas suffisamment de recul pour pouvoir décider de

ce qui est important. Après pour qui on collecte ? Est-ce qu’on collecte pour le futur ou est-ce

qu’on collecte pour le présent ? Il y a ça aussi qu’il faut voir. Parce que finalement je trouve que

/ on pourrait imaginer qu’il y ait une présomption folle à dire « bon on va collecter pour les gens

de demain ». Je veux dire les gens qui ont collecté dans les années 30, ils ont collecté « pour

aujourd’hui », pour eux parce que c’était eux qui étaient un peu traumatisés de voir se Pays

basque qu’ils avaient connu enfant euh se transformer parce qu’il y avait la voiture il y avait / les

choses changeaient donc ils ont collecté pour eux, pour maintenant, avec toujours l’idée, c’est

ça/ c’est ça qui est intéressant, on dit qu’on collecte pour l’éternité, etc., on collecte du coup

pour les autres mais en fait c’est pour soi la démarche de collecte qui implique des choix, des

choix très particuliers sont des choix qui sont des choix du présent, des choix qui sont faits au

présent. Donc peut-être que ces choix qu’on fait nous maintenant, si on voulait collecter le

contemporain, ils ne seraient plus du tout valables dans quelques années mais en même temps

ils ont une pertinence parce qu’ils ont été fait. Et du coup ce qui est intéressant c’est qu’ils

parleront autant de nous qui avons fait les choix que de la société qu’on a voulu représenter. Et

dès lors ces objets du Musée Basque, le Musée Basque il parle des gens des années 30, de

ces bourgeois urbains qui ont conçu le musée quoi. Voilà. Donc ça il ne faut pas dire qu’on va

s’en détacher, qu’on va faire une collecte qui sera un peu trans-générationnelle, intemporelle,

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non c’est faux. Il faut reconnaitre aussi qu’on va faire aussi, pas des erreurs, mais qu’on va faire

des choix qui seront partiaux, il faudra les assumer et dire pourquoi on les fait et du coup ils

seront valables aussi pour ça, puisqu’ils seront limités on n’aura pas prétention à ce qu’ils aient

une valeur universelle.

_ Par contemporain, tu entends quoi ?

_ Alors voilà, c’est aussi [rire] une question de/ à définir. C'est-à-dire est-ce que par exemple un

vieil objet qui est utilisé… est-ce qu’un kaiku100

qui sert de pot de fleur actuellement est-ce que

c’est un objet contemporain ? Parce qu’il est utilisé maintenant / des choses qui sont transmises

et qui sont anciennes… je crois qu’il y a une diversité, chacun aura un peu à présenter

comment il le conçoit et je pense que c’est très divers. Pour certains, peut-être que le

contemporain / par exemple j’en ai parlé à certaines personnes, ils me disent « ah oui oui je

connais un musée il fait du contemporain, il montre des objets… », en fait c’est des objets des

années 60-70. Bien oui mais justement derrière ces objets qu’est-ce qu’il y a ? Il y a une espèce

de nostalgie de gens qui ont maintenant soixante ans, c’est leur enfance alors forcément ça, ça

leur plait, mais ce n’est pas du contemporain pour moi. Pour moi le contemporain c’est ce qui se

fait depuis … déjà les années 90 ce n’est plus du contemporain pour moi. Voilà.

_ Et tu attends quoi de cette réflexion sur cette collecte du contemporain ?

_ Et bien que ça bouge des … des idées fixes qu’on a je crois, que ça nous mette un peu en…

en danger en quelque sorte, qu’on perde, qu’on bouge les repères là, qu’on se dise « bien oui

mais là on va / » pour essayer de réinventer le musée peut-être autrement. C’est peut-être

hyper ambitieux et prétentieux même, je n’en sais rien [rire] mais parce que il y aura je pense

beaucoup de choses assez contradictoires qui vont sortir et c’est/ voilà ça va être intéressant de

voir que finalement il y a un mélange incroyable d’idées, de comment dire, d’intentions, de

propositions, de postions, toujours argumentées, très pertinentes mais qui ne se recoupent pas

forcément. Et du coup le musée il doit trouver son équilibre là-dedans. Moi ce que j’ai entendu

d’intéressant par exemple aux rencontres du Mucem c’est bon, c’est pas des choses qui sont

nouvelles du tout, mais c’est l’idée que le musée il faut accepter l’idée qu’il soit toujours en

perpétuel renouvellement et on ne peut pas faire comme on l’a fait là en 2001, on rouvre le

musée avec des vitrines figées, un discours, une exposition permanente, « c’est comme ça », et

« c’est le musée » et en gros on n’aura plus besoin de le bouger. Bien non quoi, c’est que à la

limite tous les dix ans il faut tout changer presque.

_ Et même justement ça pose la question du rapport au support, parce qu’après s’il n’y a que

des panneaux explicatifs et des vidéos, est-ce que ça reste toujours un musée ou est-ce que ça

devient une salle /

_ Ah non ! bien sûr, bien sûr, il faut qu’il y ait des objets ça c’est certain, il faut qu’il y ait des

objets physiques, parce que / moi l’idée du musée virtuel donc qui est développé par certains

muséologues comme Bernard Deloche moi j’avoue que je n’y crois pas du tout. Pour moi, le

musée c’est présenter au musée/ le musée il a un pouvoir d’énonciation très fort, c'est-à-dire

que tu dis « ça c’est une relique du Pays basque », tout le monde, enfin la plupart des gens

100

Récipient en bois qui servait à la traite des brebis.

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179

vont l’accepter. [ ...] il y a cette valeur de vérité que tu as dans l’objet présenté au Musée et ils

n’arrivaient pas à le passer en second degré et ça montre justement ce pouvoir de dire les

choses qu’a le musée et du coup ça ça doit être / il doit y avoir des objets derrière, c’est / on

doit/ même si il est accompagné, alors après il y a tout un travail maintenant, peut-être

beaucoup plus qu’avant, de mise en scène, de médiation, d’outillage euh vraiment ça ça a été

développé, le discours de l’exposition, comment tu la construis, ce que tu veux dire,

l’audiovisuel, enfin tout ce qui va autour de l’objet, mais quand même reste central l’objet, ça

c’est sûr. »

Une des idées qu’il met en avant remet en question le sens donné à l’objet de musée et par-là

même le rôle du musée. « Un reflet du temps ou de l’esprit du temps ? Montrer non pas le

quotidien mais les questions qui préoccupent au quotidien : pas l’objet dans l’idée de

reconstituer un intérieur, mais davantage d’incarner les problématiques, questionnements du

temps présent (nous ne sommes plus dans l’objet relique mais dans l’objet question). »

(Synopsis du 14 mars 2011).

Il est remarquable que cette réflexion sur le sens et le devenir du musée ne soit pas menée par

le directeur ou le conservateur. Cela s’explique notamment par le fait que chacun des trois a

une vision différente du musée. Le directeur est dans une logique d’animation ou de maison

de la culture, le conservateur est dans une logique de musée des beaux-arts ou d’histoire. Sans

remettre en cause leurs expériences professionnelles, aucun des deux n’a suivi de formation

pour les préparer à exercer dans un musée de société. Seul l’attaché de conservation a suivi

une formation, assez récente, pour être sensibilisé à ces questions.

« Je veux dire vraiment l’idée que le Musée il n’est plus dans cette image de la collection XIXe,

on va montrer les beaux objets etc. C’est d’abord on pose une question, et après on va

chercher les objets qui l’illustrent. Alors c’est peut-être pour certains / il y a encore plein de

conservateurs que ça fait hurler cette démarche là. Pour eux, c’est l’objet qui est premier. Mais

en même temps ... oui moi aussi je suis très attaché aux objets. J’ai peut-être une vision en plus

hyper archaïque de la collection, j’adore les cabinets de curiosités, j’adore les musées XIXe où

tout est entassé, mais voilà. Le problème c’est qu’il faut vivre dans son [rire] / dans le monde

contemporain et ça ne peut plus marcher ça aujourd'hui. »

Autre détail remarquable, ce projet a dû d’abord passer par la SAMB et obtenir son appui

financier pour convaincre le musée d’y participer. Il ne s’agit pourtant plus, un an après, d’un

véritable hors-série du Bulletin mais plutôt d’une publication du musée, exclusivement

montée par l’attaché de conservation, et seulement coéditée par la SAMB.

Page 180: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

180

Jacques a considéré le Comité de Rédaction du Bulletin comme un espace où débattre, un lieu

d’expression et de questionnement sur le musée. Cette discussion préalable a duré environ six

mois. Les membres se sont montrés intéressés, même s’ils se sont dits qu’ils n’étaient pas

suffisamment compétents sur cette question. Jacques a alors constitué un Comité scientifique

avec des personnalités extérieures dont un membre du CO, directeur du Musée d’Aquitaine,

avec qui il avait eu l’occasion de travailler lors de l’exposition Aquitaine préhistorique.

Il conçoit que vu de l’extérieur sa démarche peut paraitre une manière détournée pour faire

admettre un projet à la direction du musée. Mais en fait, il était surtout important pour lui de

faire participer la SAMB à ce projet majeur pour l’avenir du Musée et d’utiliser le Bulletin

comme l’outil qu’il est supposé être : le compagnon d’un questionnement sur le musée porté

par le musée. La SAMB a ainsi joué pleinement son rôle de soutien.

Pour accompagner la sortie de cette publication (repoussée à juin 2012), Jacques avait

imaginé une exposition temporaire. Des ethnologues et des artistes auraient été sollicités mais

un budget avait seulement été prévu pour les artistes (2500 euros, soit cinq cents euros par

artiste). Pour le « travail de collecte, enregistrements (déplacements, matériel) » 2000 euros

étaient inscrits au budget, mais pas de rémunération. Il souhaitait confier ce travail de collecte

à des ethnologues. Nous décelons là une petite incohérence dans son discours : il estime que

le travail des artistes doit être rémunéré « par respect », sous-entendant que celui des

ethnologues est normal, naturel, ne mérite pas salaire. Pourtant, il semble penser que l’objet

prime et que l’art intervient dans un second temps pour pallier ou compléter ce que l’objet

seul ou son absence ne peut pas dire.

Nous en avons discuté et il semblerait en fait que la limitation du budget ne permettant pas de

rémunérer le travail de tous, il lui était plus facile de convaincre les élus du Syndicat Mixte

par la tangibilité de l’œuvre d’art que par la tangibilité d’un rapport, d’un texte ou de la

collecte (objets, films) de l’ethnologue, confirmant ce que nous écrivions plus haut sur

l’importance accordée à l’art comme capteur de l’attention des élus et attrait pour le grand

public.

Comme nous étions « sur place » et que nous travaillons aussi parallèlement à un inventaire

du PCI en Aquitaine, il nous a proposé de collaborer et de lui suggérer aussi d’autres

ethnologues qui seraient intéressés et accepteraient de travailler bénévolement. Dans un

premier temps, il a envisagé de constituer un groupe restreint de réflexion. Le temps aussi

était très limité (moins de six mois). Nous lui avons suggérer, en l’absence de rémunération,

de partir des travaux actuels des chercheurs car le travail de réflexion et de collecte demandé

Page 181: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

181

étant tout de même considérable, il fallait que le chercheur aussi y « trouve son compte ».

Cette option présentait aussi l’intérêt selon nous de faire un état des lieux sur la recherche sur

le Pays basque et de le communiquer. Cette démarche, même s’il la comprenait, ne lui

paraissait pas satisfaisante car elle limitait beaucoup les thèmes.

Pour notre part, nous étions intéressée de connaitre les critères retenus pour sélectionner ces

objets. Mais il ne les avait pas encore clairement identifiés, c’était justement le propos de ce

groupe de réflexion.

Alors que nous avions prévu de suivre ce projet pour rendre compte de la façon dont le Musée

Basque allait définir ce qu’il entendait par contemporain, établir les critères de ce qu’il

comptait collecter, le retard de la publication ne nous l’a pas permis.101

L’attaché de

conservation n’a pas encore tiré de conclusions ni de pistes de ces témoignages. Il estime

surtout que « ce n’est pas quelque chose dont [il doit] décider seul ». C’est pour cela qu’il a

tenté de monter un premier groupe de réflexion composé d’ethnologues intéressés par le

musée. Précisons que dans ce pré-groupe de réflexion a été conviée Terexa Lekumberri

l’ethnologue de l’ICB, pour son expérience dans la collecte de témoignages oraux ; Sophie

Cazaumayou, qui a publié sa thèse en ethnologie - Objets d’Océanie. Regards sur le marché

de l'art primitif en France - et nous-même pour les raisons précédemment évoquées, qui

sommes par ailleurs toutes trois membres de la SAMB.

Le Conseil d’Orientation n’a pas été sollicité à ce moment. Il n’est pas perçu comme un outil

puisque les conservateurs n’en font pas partie et ne sont pas en contact avec la plupart de ses

membres. Deux d’entre eux toutefois ont été sollicités directement par Jacques pour écrire un

texte. Il leur a aussi transmis un document de présentation du projet par l’intermédiaire du

directeur mais n’a eu aucun retour. La moitié de ceux que nous avons interrogés nous ont dit

ne pas être au courant de ce projet ou l’avoir peut-être oublié.

Après une première réunion nous avons appris que l’exposition ne se ferait pas et avons donc

laissé ce projet en suspens.

Retenons, avec l’attaché de conservation, à propos de cette réflexion sur la collecte du

contemporain, que l’objet est prétexte, qu’il pose surtout des questions sur le musée

d’aujourd'hui : « Le Musée Basque aujourd'hui qu'est-ce que ça doit être ? », l’objectif étant

de « faire avancer la réflexion, pour nous et pour d’autres musées ».

101

Nous apprenons (15 avril 2012) que la parution est encore repoussée à l’automne 2012.

Page 182: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

182

Un autre point important est que le produit d’une éventuelle collecte du contemporain n’est

pas envisagé comme nécessairement à inscrire à l’inventaire du musée ; ces objets peuvent

être enregistrés comme document, et pas comme objet de collection.

Un agent du musée nous a posé une question intéressante, à savoir : « est-ce bien au Musée

Basque de faire cela ? », c'est-à-dire cette publication à rayonnement international, cet agent

invoquant l’existence d’autres priorités. C’est une question que s’est aussi posé le Conseil

d’Administration de la SAMB, lui par rapport aux attentes du lectorat du Bulletin. Il craignait

notamment que le hors-série ne traite pas du tout du Pays basque, et que les textes soient trop

pointus, trop théoriques. Toutes les personnes hésitantes sur la pertinence de cette publication

partagent le même point du vue, qu’il n’y a pas de retombées ou d’implications directes,

immédiates, pour le Musée Basque. L’ambition de cette publication parait dépasser celle du

musée lui-même, ses moyens et ses missions. L’attaché de conservation considère lui au

contraire que c’est un travail préliminaire indispensable. Il fallait un point de départ à la

réflexion et puisqu’aucun autre musée ne l’a encore fait, il a saisi l’opportunité de lancer lui-

même cette publication, qui contribuera par la même occasion à la renommée du Musée

Basque aussi d’un point de vue scientifique. « C’est bien pour l’image du musée. Se poser la

question du futur, le sens à donner aux collections. »

Ses collègues sont pour la plupart curieux des résultats de cette réflexion.

« Et qu’est-ce que tu penses de la collecte du contemporain ?

_ Il y a justement Jacques qui travaille dessus en ce moment et moi je trouve que c’est très

intéressant parce que un gros manque aussi qu’on a dans l’organisation du musée c’est qu’on

n’a pas de projet scientifique et culturel … donc ça c’est un gros gros gros vide parce que c’est

ce qui dirige tout le monde, et bien personne n’est cadré à ce niveau là. Pour les acquisitions

notamment, la réflexion du devenir du musée, du patrimoine c’est essentiel. Moi je pense

toujours à l’archéologie. L’objet archéologique ça commence hier, l’objet patrimoine c’est pareil,

un objet qu’on utilisait il y a cinq ans ça peut être considéré comme du patrimoine. On a eu le

cas avec des photographies documentaires qui ont été faites pendant les travaux du musée, qui

maintenant vont certainement rentrées dans les collections, ou le fonds de Robert Bru qui était

considéré à l’époque comme justement des clichés contemporains sur le Pays basque, lui il a

beaucoup travaillé sur l’architecture. Au jour d’aujourd'hui ce sont des objets-musée, il y a un

numéro d’inventaire, ça figure dans la collection. Donc collecter le contemporain c’est … c’est

continuer les acquisition, c’est réfléchir sur l’évolution de la société en Pays basque et en

général. Puis l’évolution de l’homme. Justement tout ce qui est matériaux jetables, les objets un

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183

peu culture-poubelle. […] Mais voilà, c’est aussi/ le musée ça sert aussi à entretenir le passé,

ça permet de faire la lumière sur le présent et de commencer à voir le futur et c’est ça qui est

intéressant dans la réflexion autour de la collecte du contemporain. C’est commencer à

organiser le futur du musée, des collections.» (Marie, chargée de mission récolement).

Géraldine a dès à présent intégré ce questionnement sur le contemporain dans le programme

académique « Comprendre un musée », à l’issue de la séquence sur « comprendre un objet de

musée », elle demande systématiquement aux élèves de citer des objets d’aujourd'hui qui

représentent pour un la fête au Pays basque. Il est vrai que dans l’ensemble de sa démarche

pédagogique elle part toujours du vécu des élèves, et donc du présent, pour les aider à

comprendre les objets du passé.

« Le projet de collecte du contemporain tu y as réfléchis un petit peu ?

_ Ouais, enfin, c’est toujours pareil, jusqu’à quel moment il faut collecter ? A partir de quand il

faut prendre ? C’est la grosse question, ils en parlent beaucoup… après voilà c’est toujours

pareil, il faut avoir les moyens au musée de pouvoir collecter, de pouvoir assumer tous ces

objets qui vont rentrer. Après comme on est « Musée Basque et de la tradition » : Qu'est-ce

qu’il faut rentrer ? Est-ce qu’il y a des objets qui ne sont pas spécialement basques ? Est-ce

qu’il faut les rentrer ? On a fait rentrer des collections, de trucs de médecin, des choses comme

ça… est-ce que ça doit rentrer ? Pour mon avis non. Maintenant … ça rentre donc…

_ Et toi, pourquoi non ? Parce qu’on ne peut pas tout prendre ?

_ Voilà, déjà on ne peut pas tout prendre, on ne pourra pas tout traiter, tout gérer, on a déjà

90 000 objets où je ne sais pas combien, on est à peu près dans cette fourchette, 70 000 ou

90 000. Donc on a déjà du mal à les stocker, à les conserver correctement, donc si en plus on

rajoute des objets qui / beaucoup d’objets qui n’ont pas grand-chose à voir, parce que ça un

truc de médecin tu l’as partout, tu l’as à Paris, tu l’as à Lille, c’est les mêmes objets, donc au

Musée Basque je ne vois pas ce que ça vient faire là. » (Alain, régisseur des collections).

Alain émet donc une réserve sur les objets contemporains qui pourraient être collectés, en

terme d’espace disponible et de capacité à les conserver, mais avant tout en terme de

pertinence. Selon lui, ces objets devront témoigner de quelque chose de spécifique ou de

particulièrement important au Pays basque.

De notre côté, nous avons posé la questions aux agents du musée de savoir quel objet

contemporain ils imagineraient entrer au musée. Aucun n’y avait réfléchi, mais quelques uns

nous ont donné une première réponse toute spontanée : une machine à laver, un tracteur, tout

en précisant immédiatement que ce sont des objets que l’on retrouve partout ailleurs et qui ne

Page 184: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

184

sont peut-être pas pertinents. Ou « Par exemple, je ne sais pas, un micro-ondes, peut-être que

dans cinquante ans ça n’existera plus. […] Non mais après tu as des micro-ondes très design

[rire]. » Marie plaisantait en nous disant cela, c’est aussi une façon de questionner des

critères, ici celui de la représentativité (un objet présent dans toutes les maisons) et celui de

l’esthétique. Nous entendons aussi derrière son commentaire l’idée que la collecte du

contemporain aurait pour but de sélectionner aujourd'hui les objets qui seront le patrimoine de

demain. Plusieurs personnes, du musée et de la SAMB se sont questionnés sur la légitimité du

musée de 2011 d’opérer ces choix. Il semble qu’il y ait un malentendu quant à l’objectif final

de cette collecte si elle avait lieu. Il s’agirait plutôt de collecter du présent pour le présent,

mais pas nécessairement pour conserver des choses en train de disparaitre. Mais plutôt pour

faire un lien avec le passé, pour faire parler les collections anciennes du musée d’une nouvelle

façon. Christian se positionnerait plus dans cette optique là. Il proposait d’ailleurs de refaire

un film sur la danse basque.

« On a plein de films, ça fait dix ans que ça tourne quoi, alors c’est pas qu’ils ne sont pas bons

mais au bout de dix ans on peut renouveler au moins le fonds audiovisuel. En plus maintenant

qu’il y a enfin une caméra et tout ça […] En plus je pense avoir les compétences nécessaires au

niveau de la danse pour leur proposer quelque chose d’intéressant […] Plutôt à travers du film,

ou montrer ce qui se fait actuellement. C’est-à-dire qu’il y a quand-même, par rapport à la

danse par exemple, y a tout un mouvement / bon j’aime pas tout mais il y a quand-même tout

un mouvement de danseurs issus de la danse traditionnelle qui tendent vers le contemporain et

donc ils font des choses où les deux sont mélangés, de très belles choses, y a des métissages

et tout ça, et ça devient très actuel. Et après ça peut aussi être un instrument de musique

transformé pour être électro-acoustique, pas spécialement basque, mais je pense à la vielle à

roue par exemple, qui a un côté quand-même très / pas forcément actuel ou quoique ce soit

euh on pourrait très bien en montrer des vielles électro-acoustiques et ce qu’on en fait avec. »

(Christian, régisseur technique et audiovisuel).

Nous aimerions conclure sur cette réflexion sur la collecte du contemporain, qu’elle pose des

questions auxquelles le musée doit essayer de répondre dès à présent. Le Musée Basque est-il

un musée du « Pays basque » ou du « peuple basque » ? Le choix de l’adjectif dans son nom

laisse planer une ambigüité que nous n’avons pas rencontrée dans le cas du Musée de la Corse

(musée régional d’anthropologie), à Corte. Le Musée Basque ne doit-il pas aussi se

positionner comme un musée au service d’un territoire et donc de tous ses habitants ? Peut-il

continuer de considérer comme « Basques » seulement ceux « de souche », en excluant les

autres ? Il a accordé une place à la communauté juive de Bayonne, ces juifs qui avaient fui

Page 185: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

185

l’Inquisition en Espagne, et après être passés pour la plupart par le Portugal, se sont fixés au

Pays basque. Les collections « historiques » du musée offrent une place aux « étrangers », les

collections « ethnographiques », c'est-à-dire les objets banals, du quotidien ou du travail,

pourraient-elles en faire autant ? Cette question se posera probablement lorsque la réflexion

sur la collecte du contemporain avancera. « Qu’est-ce que la société basque

contemporaine ? » pose aussi la question de « qui compose cette société aujourd'hui ? ».

Contrairement à ce que nous avons souvent entendu, l’ethnologie n’est pas l’étude des

sociétés disparues. L’ethnologue cherche à comprendre et expliquer des phénomènes

contemporains, qu’il considère comme des étapes dans un processus, dont l’analyse implique

bien entendu qu’il regarde vers le passé pour retracer leurs évolutions. Outre sa connaissance

du patrimoine matériel et immatériel du territoire, il peut aussi intervenir auprès du musée

pour l’aider à comprendre et dépasser certains a priori, en lui offrant en quelque sorte une

mise à jour de ce qu’est devenue la discipline ethnologique. L’historien, l’archéologue et

l’artiste sont des collaborateurs indispensables au musée de société, mais qu’en est-il de

l’ethnologue (ou de l’anthropologue) ? N’est-il pas l’un des mieux équipés en termes de

questionnements, de connaissances et de méthodes, pour l’aider à répondre à ses questions sur

la société contemporaine ?

2. Réflexions sur la médiation

2.1. Animation et éducation

Animation et éducation sont-ils deux objectifs opposés ou au contraire complémentaires ? Il

semble qu’ils soient complémentaires. L’animation est un moyen pour les plus jeunes ou les

novices de se familiariser avec le musée. L’éducation serait, elle, une manière de leur donner

les clés, les outils pour tirer de leurs expériences futures au musée un plus grand bénéfice en

terme de compréhension.

En plus des projets négociés avec les enseignants, le Musée Basque propose une offre de

visite du musée qui se subdivise en deux types d’animation. La première est le parcours

thématique (héritier d’Argitu), réservé aux petits groupes (impliquant un travail en amont par

l’enseignant et gratuit, parce qu’avec l’abandon du système des vacataires, l’enseignant se

charge lui aussi de l’animation lorsque la classe doit être divisée en deux groupes), la seconde

est la visite guidée (destinées aux grands groupes, c'est-à-dire une classe entière,

éventuellement divisée en deux groupes si deux animatrices sont disponibles, sans préparation

Page 186: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

186

de l’enseignant, elle coûte donc 46 euros). Jusqu’en 2007, les visites guidées n’étaient faites

que par des guides extérieurs au musée. Effectuer les visites guidées par des employés du

musée lui permet d’augmenter ses recettes.

Les visites guidées destinées au scolaires sont une autre forme de médiation, encore un peu

compliquée à mettre en œuvre. En octobre 2011, nous avons assisté à une réunion du service

des publics « élargi » où il a été question d’une demande d’une enseignante pour une visite

guidée. Maite et Argitxu ont réfléchi ensemble à reprendre un document d’Argitu sur les

thèmes de l’eau et du feu. Ce thème avait été travaillé par Mano bien des années plus tôt alors

qu’elle cherchait une nouvelle façon d’impliquer les élèves et de les faire se questionner sur

leur quotidien : « Qu’est-ce qui est indispensable à la vie et qui permet de comprendre les

modes de vie ? L’eau et le feu. ». Géraldine leur a expliqué que ces thèmes ne sont que des

prétextes à une démarche plus profonde et qu’elles doivent faire attention à ne pas perdre de

vue l’objectif pédagogique, même si dans le cadre d’une visite guidée l’implication de

l’enseignant et des élèves est moindre que dans un projet négocié ou un atelier.

Nous avons suivi cette visite avec l’un des groupes, menée par Argitu.

Ce qui s’est passé, cette fois selon nous, c’est que ces deux thèmes leur ont servi à justifier le

choix des objets, mais ils n’ont pas été traités. Ils ont donc été prétexte mais non pas d’une

démarche pédagogique, seulement d’un choix d’objets selon des critères pratiques : l’espace

disponible autour pour pouvoir l’observer, leur répartition spatiale dans le musée « au moins

un à chaque étage », tout évitant de trop longs déplacements.

Nous sommes face à deux conceptions : celle du guide « classique » et celle du médiateur,

même si Maite par exemple a compris qu’il faut faire participer les élèves, les faire parler.

Pour cela des photographies des objets ont été plastifiées et distribuées aux élèves (une

photographie pour chaque groupes de quatre élèves) avant la visite proprement dite, en leur

demandant de faire des hypothèse sur ce que sont ses objets, leurs matériaux et leurs usages.

Ensuite, face à l’objet lui-même les élèves ont émis leurs hypothèses et l’animatrice a

complété. Un aspect important apparait alors, celui de ne pas se contenter de citer des extraits

du catalogue du musée, le discours doit être « adapté à des élèves de la sixième à la

troisième ». L’animatrice doit restée attentive à la réception du public, à ses réactions.

Aucun lien toutefois n’a été fait entre les différents objets ; les thèmes de l’eau et du feu n’ont

pas été abordés, la mise en perspective avec le vécu des élèves n’ont plus. La durée de la

visite est une contrainte forte (une heure et demie seulement). Une autre raison peut être le

manque d’expérience de l’animatrice pour qui il s’agissait de la toute première visite, même si

dirons-nous elle s’en est bien sortie. Les visites guidées actuelles ne sont pas problématisées,

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187

ni n’ont de fil conducteur significatif. Pour l’instant la visite guidée à destination des scolaires

s’apparente à un assemblage de morceaux de parcours thématiques.

Chacune des formules (visites guidées généralistes et parcours thématiques) a son intérêt et

répond à une demande du public. L’idée que nous retenons est que la médiation humaine est

un outil qui optimise la visite du musée. Ce qui nous interpelle est la liberté de chaque

intervenant. Le conservateur a proposé « une lecture » du musée, il s’assure de l’exactitude

historique des propos (en validant par exemple les documents pédagogiques). Ensuite, chaque

guide ou animateur ou médiateur s’approprie des connaissances et construit son discours

personnel, c'est-à-dire son interprétation propre. Cela ne pose aucun problème à condition que

le public possède les clés de lecture et soit capable de prendre lui aussi la distance nécessaire

(esprit critique) pour s’approprier à son tour ce discours et donc construire sa propre version

du patrimoine.

Peut-être faudrait-il encourager le public à faire plusieurs fois la visite du musée avec des

guides différents ? Nous l’avons expérimenté nous même. Une chose importante nous est

apparu : ce sont souvent les mêmes objets qui sont utilisés. La raison invoquée est que les

objets ou tableaux disposant de suffisamment d’espace devant lesquels « mettre » un groupe

sont peu nombreux. Nous pensons qu’une autre raison est la richesse ou au contraire la

pauvreté des connaissances disponibles sur certains objets.

Or, en choisissant les objets qu’ils commentent, les guides eux-mêmes produisent du

patrimoine ou entretiennent une certaine image. Le risque serait que le discours s’appauvrisse

à force de ne s’intéresser qu’aux mêmes objets.

Nous avons commencé à lister les objets les plus utilisés et inversement ceux dont on ne parle

jamais. Nous en avons discuté aussi avec le conservateur qui nous a proposé de faire

ensemble une visite du musée et de lui indiquer les objets auxquels nous pensions. Ces objets

« ignorés » sont ceux sur lesquels l’équipe du musée dispose de peu d’information ; un travail

de recherche serait alors nécessaire. Ils pourraient même constituer selon nous un thème de

visite guidée original, renouvelant l’offre.

Un point qui nous paraitrait également intéressant serait de parler la vie de l’objet lui-même, à

qui il a appartenu, comment il est entrée au musée, pourquoi il est exposé dans telle salle,

selon tel procédé scénographique. Cette autre lecture du musée aurait pour effet de faire

prendre conscience de la vision partiale construite, artificielle du musée, pour que le public se

sente plus libre ou soit incité à la questionner et se l’approprier par une connaissance plus

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188

intime de ces objets. Cela permettrait en outre de recréer une émotion pour pallier à la

« froideur » souvent ressentie face à la scénographie.

Un dernier point est la dimension comparative, qui permettrait de ne pas enfermer le Pays

basque sur lui-même, de ne pas le singulariser à outrance. Sophie, guide à la Ville de

Bayonne, le fait déjà, c'est-à-dire qu’elle signale quand elle le peut que telle pratique (par

exemple la Fête Dieu) n’est pas exclusive au Pays basque, que tel objet (le zuzulu102

) se

retrouve sous une forme assez proche ailleurs. L’exemple type selon nous est le carnaval,

nous imaginons qu’il est tout à fait possible de signaler sa dimension universelle sans pour

autant lui retirer sa spécificité. Intellectuellement, cela contribuerait à développer la capacité à

comparer et à transposer les connaissances acquises.

Ce qui nous intéresse au-delà de cette dichotomie animation / éducation, c’est une opposition

entre culture et science. Science et culture sont souvent dissociées comme si elles étaient

indépendantes, voire antinomiques. La science ne peut-elle être source de délectation ? La

science vulgarisée, c'est-à-dire adaptée à chacun des publics du musée, ne peut-elle pas être le

fondement d’un programme d’animations culturelles ? La délectation peut aussi passer par la

satisfaction d’avoir appris quelque chose de nouveau ou compris quelque chose différemment.

L’excitation intellectuelle, l’on parle davantage d’éveil de la curiosité, est pourtant un objectif

légitime du musée. Une ethno-muséographe nous a expliqué que, de son point de vue, le

Programme Scientifique et Culturel d’un musée n’est pas si important, que ce qui compte

c’est de toujours transmettre, dans la moindre animation, un discours scientifique, que c’est

un état d’esprit à développer.

2.2. Le parti-pris muséographique du Musée de la Corse

La médiation est généralement entendue comme « médiation de l’exposition » ; elle est

définie comme les procédés mis en place autour de l’exposition pour aider à sa

compréhension, elle est l’action en direction du public (cartels, animations, visites guidées).

Toutefois, cette définition à l’œuvre au Musée Basque est limitative et oublie que l’exposition

est elle-même un procédé de médiation des connaissances (Davallon, 1999).

Au Musée Basque, les informations apportées par les panneaux de salles et les cartels de

l’exposition permanente sont essentiellement factuels, le discours du musée n’est pas

102

Un banc.

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189

contextualisé, c'est-à-dire que les choix muséographiques ne sont pas expliqués, si ce n’est,

éventuellement et très sommairement, dans le cadre de la médiation orale. Les expositions

temporaires autour des collections du musée sont mieux introduites et leur propos plus

explicité, mais elles sont rares et courtes (quelques semaines) pour les plus récentes.

Le Musée de la Corse a pris un parti différent de celui du Musée Basque. D’une part, il

propose aux visiteurs une introduction réflexive sur son discours ; d’autre part il exploite

davantage l’outil qu’est l’exposition temporaire.

Il est divisé en deux espaces principaux : l’exposition permanente et l’exposition temporaire.

Au début du parcours, figure un plan des salles intitulé « Parti-pris muséographique » et un

panneau présentant le musée de manière réflexive, ce qui fait particulièrement défaut au

Musée Basque.

« Il y a peu de temps encore, les musées d’ethnologie prétendaient illustrer de manière

parfaitement authentique les modes de vie d’une société, ou d’une communauté donnée par le

moyen d’objets parfaitement choisis. On sait aujourd'hui que de tels musées sont des prismes

déformants dans la mesure où ils figent la société qu’ils ont pour mission de représenter dans

un état idéal et monolithique qu’elle n’a peut-être jamais connu. Les sociétés connaissent dans

le temps des mutations profondes et ininterrompues qui permettent aussi de les définir. Elles

peuvent présenter aussi des variantes régionales ou micro-régionales qui témoignent de leur

diversité. C’est pourquoi, plutôt que d’en donner un condensé encyclopédique, forcément

réducteur, nous avons choisi de proposer trois approches complémentaires. »

La première approche est la galerie Doazan : « Le regard sur l’île, subjectif sans doute, de

l’ethnographe qui a réuni une exceptionnelle collection relative à la corse traditionnelle –

surtout rurale et pastorale – et, parallèlement, la découverte du patrimoine corse. ». La galerie

Doazan, espace d’exposition permanente, présente les collectes effectuées par le Père Doazan

dans les années entre 1951 et 1978, qui constituent l’origine, le point de départ de la création

du Musée de la Corse (ouvert au public en 1997). Les collections et les thèmes abordés

ressemblent beaucoup à ceux de l’exposition permanente du Musée Basque, à la différence

notable qu’ils sont problématisés : la découverte de la Corse ; l’invention du patrimoine ;

artisanat et savoir-faire traditionnels ; la bergerie de Milisara; l’espace du berger. Des

panneaux expliquent certains des choix muséographiques dans chaque salle. Une borne

interactive permet de consulter les soixante-quatre cahiers qui accompagnent les objets

rassemblé par Doazan. Un film racontant cette collecte est également visible sur un écran.

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190

Un exemple que nous avons retenu, dans le cadre la réflexion sur la collecte du contemporain,

est celui donné dans la salle de la bergerie de Milisara : « Nouveaux matériaux, nouveaux

usages. Pour égoutter le fromage, le berger a successivement utilisé des formes en jonc, en

métal puis en plastique. Le passage de l’objet tressé par le berger lui-même à celui

manufacturé témoigne de l’évolution d’une profession et de son adaptation à de nouveaux

besoins. Si le musée choisit d’exposer les objets en usage comme ceux hors d’usage, c’est

qu’il ne veut pas figer une activité à un moment donné de l’Histoire. Tout ce qui est utile,

comme tout ce qui ne l’est plus, est choisi non pas en fonction d’une valeur marchande ou

esthétique mais pour le témoignage donné sur la vie d’un peuple. Le Musée prend ainsi en

compte les transformations d’un monde en devenir. »

La galerie Le musée en train de se faire, est un espace d’exposition plutôt semi-permanente.

« Le Musée s’interroge sur tout ce qui, dans un passé plus ou moins récent, peut donner les

clefs pour comprendre la Corse d’aujourd'hui . ». Elle est constituée de salles thématiques

conçues comme des pistes de recherches complémentaires au travail de collecte du Père

Doazan, car « il existe d’autres aspects de la vie des Corses que le père Doazan n’a pas

retenus ». En 2011, elle joue davantage le rôle d’une mémoire de ces expositions temporaires

qui ont toutes eu lieu et elle devrait donc être prochainement revue pour annoncer ou

préfigurer de nouveaux sujets. Dans une première salle, le visiteur peut s’assoir autour d’une

table où sont consultables les catalogues des expositions temporaires passées ; sur les murs

sont accrochés des affiches de ces expositions. Viennent ensuite les salles consacrées aux

thèmes suivants : Corse traditionnelle - Corse industrielle. Mines et usines : mémoires

enfouies des tentatives d’industrialisation ; L’entreprise en Corse (avec l’exemple de

l’entreprise Mattei) ; L’appropriation des techniques ; Le renouveau des confréries ; Le

tourisme. De l’aventure à l’enjeu économique.

Le troisième espace est celui de l’exposition temporaire. Plutôt que de multiplier les petites

expositions temporaires, le Musée de la Corse a choisi de n’en présenter qu’une par an,

ouverte au public pendant six à neuf mois. Cette concentration sur une seule exposition

permet de développer un projet plus ambitieux.

L’exposition 2011 Mare Nostrum a été commissariée en interne, par le responsable

scientifique du musée ; celle de 2012 sur le sport (en cours d’élaboration lors de notre séjour)

est commissariée par deux enseignants-chercheurs de l’université de Corte, l’un historien,

l’autre sociologue. Dans ce cas précis, il s’agit d’une mise en commun de compétences : les

Page 191: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

191

commissaires extérieurs apportent au musée leurs connaissances et leurs analyses, des

contacts auprès de la société civile et des institutions du sport (pour établir des prêts d’objets)

et des contacts auprès d’autres chercheurs spécialistes du sujet donné ; tandis que l’équipe du

musée apporte son savoir-faire en terme d’organisation, de didactique, d’administration (une

personne est responsable des appels d’offre et des marchés, notamment pour la scénographie

qui se fait toujours en externe) et ses propres collections. Pour les expositions temporaires, le

musée mobilise à chaque fois un nouveau Conseil Scientifique, même si des membres

peuvent être sollicités de manière plus régulière. Le catalogue qui accompagne l’exposition

est lui aussi ambitieux, il réunit les œuvres, objets et documents de l’exposition et une série

d’articles sur le sujet. Sa publication est coordonnée par la « documentaliste » du musée (en

fait il n’y a pas de bibliothèque au musée de la Corse, contrairement au Musée Basque, elle ne

s’occupe donc que des catalogues d’exposition).

Parallèlement à cette exposition temporaire, la responsable du « secteur médiation », depuis

2004, propose une exposition destinée aux enfants sur le même thème dans un espace jouxtant

l’exposition « des adultes ». Cette approche est résolument ludique. Aucun objet de collection

n’est par ailleurs utilisé. Toutefois, cette offre « jeune public » est complétée par une offre

« scolaire » avec des outils pédagogiques sur la collection permanente, certes moins

développée qu’au Musée Basque. Globalement, le Musée de la Corse semble être plus engagé

dans une perspective de découverte du patrimoine que dans une éducation au patrimoine.

L’exposition 2013 sera consacrée à la musique. En effet, le Musée de la Corse a développé

une importante phonothèque, en voie de numérisation, gérée par deux ethnomusicologues,

qu’il s’agit là, en partie, de valoriser.

3. Réflexions sur les partenariats

3.1. Un lieu atypique

Pour les nouveaux « partenaires » qui participent à l’évènementiel et l’animation du musée, le

Musée Basque est un lieu atypique qui met en valeur leurs projets, leurs spectacles ou leurs

produits. Nous avons constaté que les intervenants ne viennent au musée que pour leurs

propres évènements, certains ne l’ayant même jamais visité, ni n’assistent aux autres

animations. Parmi les raison invoquées la première est qu’ils sont pris dans d’autres réseaux,

qu’ils n’ont pas le temps de suivre en plus l’activité du musée, plusieurs ont aussi cité un

manque de communication (trop tardive ou inexistante). D’autres assument pleinement que

Page 192: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

192

« le Musée ce n’est pas [leur] truc » en temps normal. Ils n’y viennent que dans le cadre de

leur travail ou de leur activité associative.

Le musée n’est pour beaucoup de ces nouveaux partenaires qu’un espace parmi d’autres,

c'est-à-dire à s’approprier le temps d’une soirée, d’une exposition photo, d’un concert. S’il

n’avait pas été là ou indisponible, le spectacle aurait eu lieu ailleurs, l’exposition de

photographies proposée à la Bibliothèque Municipale par exemple. Ce qui les attire au musée

c’est son image de lieu chargé d’histoire et de patrimoine, de culture, plus que ses collections

et l’histoire, la culture et le patrimoine qu’il donne à découvrir.

Nous avons questionné un autre type de partenaire, un employé d’une maison d’édition qui a

présenté un ouvrage dans la salle Xokoa. Pour lui aussi ce n’est pas le genre de démarche qu’il

considère comme un véritable partenariat.

Il a par ailleurs été filmé, à la demande de Jacques, qui initiait le « Zoom collection ». Nous

l’avons interrogé sur ses motivations à y participer. Il nous a répondu qu’il est tellement rare

d’être sollicité par le musée, que quand il le fait « on y va ». Il trouve aussi que ce concept de

donner la parole à d’autres personnes que des universitaires est particulièrement intéressant,

que cela marque une volonté de faire participer la société. Alors que nous lui objections qu’il

n’y a pas d’universitaires, au contraire, qui interviennent au musée il nous a répondu « ah tu

vois, je ne sais même pas ce qu’il s’y passe. ». Ce n’est pas le seul à nous avoir fait cette

remarque. Les gens imaginent que le Musée Basque est « aux mains » des universitaires, des

chercheurs « de type CNRS » et que les membres de la société civile, si l’on peut dire, n’y ont

pas de place.

Le Musée Basque a toujours été un espace à investir, notamment par les artistes et les

associations culturelles. Ceux qui cherchent un espace où mener leurs activités sont

unanimement satisfaits. Pour ceux qui souhaiteraient au contraire coopérer avec le musée, sur

des projets communs, un sentiment de déception ou de frustration domine. Tous n’ont

cependant pas conscience de la multitude des missions du musée et de ses limites en

personnel, en temps ou en budget.

3.2. Un Conseil d’Orientation consultatif à animer

En 2009, le directeur du musée a constitué un Conseil d’Orientation, instance

d’accompagnement et de développement du musée. « Le rôle du Conseil d’orientation est

Page 193: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

193

d’assister le Syndicat Mixte, émettant des avis et des propositions au sujet de la politique

culturelle du musée, notamment le projet culturel et scientifique et le programme d’actions. »

Il a choisi délibérément une composition « mixte », c'est-à-dire pas seulement des chercheurs

ou universitaires, car il lui paraissait important d’impliquer des représentants de la société

« civile » notamment pour les volets « animation » et « économie ». Nous trouvons donc des

professionnels de musées (conservateurs, directeurs), des artistes (un artiste création vidéo et

sonores, deux musiciens, deux écrivains), deux journalistes, le directeur de l’ESTIA (l’Ecole

Supérieure des Technologies Industrielles Avancées), des présidents ou représentants

d’associations culturelles locales (le président d’Eusko Ikaskuntza la Société d’Etudes

Basques, le président de la SAMB, le directeur de l’ICB, la présidente de la SSLA).

Quelques chercheurs ont aussi été nommés, dont une docteure en ethnologie (Université du

Pays basque, Saint Sébastien, Espagne), un Professeur d’Histoire contemporaine (UPPA,

CREPAO103

), un Professeur de basque et de littérature (UPPA, IKER104

), une docteure en

sciences sociales et politiques (également artiste peintre).

Nous nous sommes entretenue avec six des membres du Conseil d’Orientation, en face à face

ou par le biais du téléphone ou d’internet pour les plus éloignés. Ils admettent ne pas

fréquenter ou très peu le Musée Basque. Certains n’y sont pas allés depuis des années, comme

certains membres de la SAMB. Ils se disent toutefois attachés au Musée Basque et le

considèrent comme un outil précieux auquel ils souhaiteraient collaborer plus activement mais

ils ne sont pas sollicités. Deux d’entre eux ont fait des propositions concrètes au musée qui

n’ont pas été retenues. Le CO ne s’est pas réuni depuis mai 2011. Nous en avons également

discuté avec le directeur du musée. Il semblerait que son organisation ne fonctionne pas et soit

à revoir. Nous n’allons pas développer ce point, le problème est identifié (il faut déterminer ce

qui est attendu du CO et l’animer).

3.3. Une indifférence apparente à l’égard des collections et du discours du musée.

Nous avons cherché à enquêter auprès de journalistes et avons totalement échoué, du moins

au premier abord. Aucun n’a eu grand-chose à nous dire sur le musée. Quand ils sont

informés d’un vernissage ils essaient de venir, ou alors dans les jours qui suivent, pour faire

un petit sujet. Aux dires de l’un d’eux, certains de leurs collègues dans la presse se

contenteraient de reproduire le document communiqué par la musée, sans même parfois se

déplacer ; nous ne sommes pas parvenus à les contacter pour obtenir confirmation. Deux

103

Centre de Recherche et d'Etudes sur les Pays d'Afrique Orientale. 104

IKER : Centre de recherche sur la langue et les textes basques, UMR5478

Page 194: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

194

autres nous ont immédiatement expliqué qu’ils n’avaient rien à nous dire sur le musée. le

Musée Basque n’apparait pas comme un acteur culturel majeur « à suivre ». Nous avons

toutefois fait sa revue de presse (avec un « pic » d’articles en 2007 au moment de la création

du Syndicat Mixte et de la nomination du nouveau directeur). Nous n’avons rien trouvé dans

les rubriques du type « tribunes libres ». Les informations sur les évènements et les

animations du musée sont partiellement relayées, mais il ne suscite aucune « émotion

patrimoniale », personne ne commente ou ne critique (positivement ou négativement) ses

activités. Des discussions que nous avons eu l’occasion d’avoir avec ces journalistes et

quelques acteurs culturels, nous déduisons que ce silence à propos du Musée Basque n’est pas

un signe de satisfaction mais davantage d’indifférence.

Nous avons également, au cours de cette année, interrogé toutes les personnes que nous

connaissons, essentiellement des Bayonnais ; de notre maraîcher, trentenaire, qui n’a jamais

visité le musée mais qui se dit qu’il faudrait qu’il y aille un jour, à notre médecin qui n’y est

pas allé depuis des années … parce qu’il n’y pense pas. Le Musée Basque est en concurrence

avec une multitude d’autres loisirs, y compris dans le domaine culturel et patrimonial. Nous

pensons que comparer le nombre d’entrées actuelles avec celles des années 1980 n’est pas

pertinent pour comprendre ce que certains appellent « la désaffection du musée ». Il nous

parait plus intéressant d’observer ce qui est dit par ceux qui s’intéressent au musée et à ses

collections : notamment le grand public et les membres de la SAMB.

3.4. Des mesures incitatives à repenser et développer en direction des publics

Le musée a choisi d’ouvrir ses portes à de nouvelles associations et de nouveaux artistes pour

développer son offre en animations et expositions temporaires. Le but affiché est d’inciter le

public à venir au musée et à se l’approprier comme équipement culturel. Toutefois nous

émettons une réserve sur l’impact de cette démarche. Le public qui vient au musée pour une

conférence ou un concert visite-il aussi par la même occasion, ou plus tard, le musée ? Nous

l’ignorons. Les agents d’accueil demandent déjà aux visiteurs de leur indiquer leur

provenance, peut-être serait-il utile de leur demander aussi s’ils sont déjà venus au musée,

pour une visite ou assister à une animation. Cette question supplémentaire pourrait être éludée

les jours d’affluence, mais dans les périodes plus calmes elle pourrait être l’occasion de mieux

connaitre le public et d’évaluer les retombées des jours de gratuité et des animations dans la

salle Xokoa. Car le Syndicat Mixte attend du musée qu’il augmente ses recettes propres, dont

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195

la source principale reste l’entrée payante. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la

mission première du musée est la conservation et la restitution au public de ses collections.

Nous avons sollicité plusieurs personnes de notre connaissance pour nous accompagner au

musée, en visite libre ou guidée, en leur demandant de nous faire part de leurs impressions105

.

Sur les huit volontaires (âgés de 25 à 37 ans), trois d’entre eux avaient déjà visité le Musée

Basque, il y a plusieurs années ; pour les cinq autres, il s’agissait d’une première. Nous avons

aussi suivi des groupes en visite guidée et avons discuté avec des individuels en visite libre.

Un premier constat s’impose : la médiation est indispensable. Les deux personnes que nous

n’avons pas pu accompagner sont ressorties du musée avec un sentiment d’insatisfaction,

beaucoup d’interrogations et même offusquées par un film dont elles n’ont pas compris la

diffusion dans un lieu « tel que le musée ». Ce film, Zaldiaren Orena, projeté temporairement

dans l’auditorium à la place du film de la Gaumont, raconte l’exploration du Pays basque par

un robot allemand pendant la Seconde Guerre mondiale (film de Bertrand Dezoteux produit

pour l’exposition Dynasty au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de la ville de Paris

en 2010). Il s’intégrait dans une manifestation d’art contemporain de la Ville de Bayonne,

Entre Temps, dont le commissaire souhaitait qu’elle contribue à un nouveau regard sur

l’histoire et le patrimoine architectural du centre-ville. Leur émoi est d’abord dû à une

incompréhension, en l’absence d’outil de médiation pour présenter la démarche. A priori,

elles considèrent que la création contemporaine peut avoir sa place au Musée Basque mais à

condition qu’elle soit expliquée.

La médiation ne passe pas seulement par les explications orales, les cartels et panneaux de

salle sont aussi très importants. Il y a là un paradoxe, nos volontaires ont été déçus de ne pas

avoir plus d’informations sur certains objets ou thématiques et en même temps, dans certaines

salles, ils n’ont pas lu les supports à disposition. Au début très consciencieux, leur attention a

diminué au fur et à mesure, ne se portant plus que sur quelques points particuliers. Il faut tenir

compte du fait que le musée est tout de même grand et présente plus de deux mille objets. La

découverte du Musée Basque peut donc être envisagée en plusieurs visites. Un instituteur à la

105

Nous en avons équipé certains de dictaphones pour qu’ils fassent leurs commentaires à haute voix. Nous

avons observé leur attitude, les objets ou panneaux de salle devant lesquels ils s’arrêtaient plus longuement ou au

contraire passaient très rapidement. Nous avons noté leurs questions et suggestions. D’autres y sont allés sans

nous et nous ont confié leurs impressions avec un peu plus de recul.

Page 196: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

196

retraite nous a raconté qu’il lui arrivait d’emmener sa classe au musée pour voir « juste un

objet ». Cela est toutefois plus concevable pour les habitants que pour les touristes.

Se pose alors la question du prix d’entrée au musée. Même si beaucoup bénéficient de la

gratuité (les moins de 26 ans106

, les retraités, les membres de la SAMB) ou d’un tarif réduit

(trois euros), les autres s’acquittent d’un droit d’entrée de 5,50 euros. Le musée devrait peut-

être alors repenser sa politique tarifaire (en proposant une carte individuelle et nominative

donnant un accès illimité pour une année pour un prix équivalent à deux ou trois entrées) pour

inciter les visiteurs à venir plusieurs fois au musée.

Une des attentes majeures du public en visite libre (tous ne veulent pas d’une visite guidée

trop « cadrée ») serait la mise à disposition de documents d’accompagnement à la visite ou

d’audio-guides.

Nous avons également consulté le Livre d’Or à l’accueil. Les visiteurs s’accordent tous à dire

que c’est un « très beau musée », mais quelques critiques négatives reviennent fréquemment,

notamment l’absence de signalétique (dans quel sens faire la visite) et l’illisibilité des cartels

autocollants apposés sur les vitrines.

Nous ne considérons pas ces quelques procédés d’enquête comme une véritable enquête

auprès du public. Nous les avons surtout utilisés pour identifier les points forts et les points

faibles de l’exposition permanente et des expositions temporaires, pour prendre du recul par

rapport à notre propre expérience et nos propres connaissances, à partir de regards différents,

parfois novices, parfois aguerris ; en définitive pour nous libérer ponctuellement de notre

réflexion d’ethnologue sur le musée. Nous avons pu aussi observer des réactions

intéressantes, de nostalgie, d’incompréhension et même de déception. Nous sommes

persuadée qu’un étude du public potentiel du musée reste à faire, pas nécessairement au

musée, mais par exemple à la sortie d’autres lieux culturels et patrimoniaux (le Musée Basque

fait partie du réseau Sites et Musées en Pays basque », un travail collectif pourrait être engagé

dans ce cadre).

106

La question de la gratuité est complexe. Certains demandent la gratuité pour tous mais le fonctionnement du

musée ne la permet pas. D’autres au contraire estiment que si certains sont prêts à payer huit euros pour une

place de cinéma, ils devraient en faire autant pour un musée. La gratuité le premier dimanche du mois est une

bonne opportunité pour découvrir une première fois le musée. L’idéal serait que cette mesure incitative soit

suivie par une autre visite, payante cette fois. Mais le musée n’a aucun contrôle sur cela.

On peut trouver paradoxale l’étendue de la gratuité, alors même que le musée a besoin d’accroitre ses recettes

propres. Il pourrait par exemple abaisser l’âge de la gratuité et en faisant basculer les étudiants vers le tarif

réduit. La Ville de Bayonne a accordé en 2004 la gratuité aux membres de la SAMB, en signe de reconnaissance

du soutien qu’ils apportent au musée. La gratuité accordée à certains pourrait être utilisée aussi comme une

incitation à emmener avec eux d’autres visiteurs, payant eux. En fait, c’est tout un comportement de

consommation qu’il faudrait étudier.

Page 197: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

197

Les premières critiques négatives ou suggestives du public à l’encontre du Musée

Basque portent sur la signalétique et l’illisibilités des cartels, puis vient le manque d’outils de

médiation (des informations) et enfin, un troisième type que nous distinguons des deux

premiers : la scénographie. Ces remarques sont davantage le fait de visiteurs « avertis »,

fidèles du Musée Basque pour la plupart, qui ont connu souvent l’ancienne version du musée

(avant 1988). Parmi eux nous retrouvons essentiellement des membres de la SAMB (qui sont

pour beaucoup également membres d’autres associations culturelles), dont l’ancien directeur

du musée, des membres du Conseil d’Orientation du musée et aussi des employés actuels du

musée. Toute critique, même négative, témoigne d’un intérêt pour le musée.

« Je regrette beaucoup d’ailleurs qu’ils aient transformé cette pièce de Georges-Henri Rivière

qui avait une classe en particulier. Le geste du joueur de pelote, vous avez la série des chistera

depuis le chistera enfant, joko garbi et enfin le grand chistera, mais c’était une histoire qui se

trouvait là, dans un geste, c’était remarquable ce truc là. Et ils l’ont détruit. Comme on ne m’a

rien demandé… » (Jean Haritschelhar, directeur du Musée Basque de 1962 à 1988).

« Il est évident – c’est là que je vais être un peu critique – pour moi et pour représenter la

réalité, ces charrettes et tous ces instruments ils étaient sur la terre. Une de mes surprises les

plus totales ça a été de les voir sur un socle, comme si elles étaient divinisées, comme si elles

étaient starisées. Ce sont deux visions différentes du musée. J’en avais une, tout ce que je

voulais garder à disparu, autre chose, actuellement vous avez au musée une espèce de cuisine

– je regrette mais je suis obligé de dire les choses telles que je les pense parce que hein je me

suis tû pendant longtemps / parce que qu’après mon départ aussi et lorsque le musée a été ré-

ouvert on en parlait que de l’ancien/enfin on parlait de l’ancien musée comme étant un musée

poussiéreux, etc. etc. Ce sont des choses qui vous atteignent je préfère vous dire, sur

lesquelles j’ai jamais rien dit. Parce que ce sont deux visions différentes. Moi je veux bien / les

stèles discoïdales telles qu’elles sont présentées maintenant mais nom de dieu ça n’a / elles

sont là, elles sont sur un socle, comme elles étaient beaucoup mieux lorsqu’elles étaient fichées

en terre. » (Jean Haritschelhar, directeur du Musée Basque de 1962 à 1988).

Un membre du Conseil d’Orientation, journaliste et historien de l’art, nous a confié ne pas

comprendre lui non plus pourquoi avoir retiré les stèles discoïdales du sol en terre battue, dans

lesquelles elles prenaient selon lui tout leur sens, pour les placer sur des socles en métal

« froids ». Nous lui avons expliqué que la raison était de l’ordre de la conservation, que l’eau

salée de la Nive remontait dans la pierre et la faisait craquer et que ces socles présentent aussi

l’avantage de rendre visible la partie qui était enterrée. Cette réponse ne l’a pas convaincu, il

Page 198: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

198

imagine qu’un autre dispositif aurait pu être trouvé, comme mettre de la terre sur le nouveau

dallage et y replanter les stèles. Il n’apprécie pas non plus les couleurs de ces socles qui ne

reprennent pas le rouge et le vert, ce qu’il nomme « les couleurs du Pays basque ».

Beaucoup d’autres dispositifs sont critiqués, nous n’allons pas rendre compte de tous. Nous

sommes face à des expressions d’une émotion patrimoniale négative. Certains « en veulent »

carrément à la scénographe d’avoir « défiguré » le musée. Dans des cas moins extrêmes, la

nostalgie de l’ancien musée est toujours très forte. Le Président du Syndicat Mixte lui-même

nous a dit regretter certaines reconstitutions et l’ambiance qui s’en dégageait.

Nous avons aussi recueilli des opinions au contraire très favorables, de personnes qui même si

elles considèrent parfois que la scénographie ne contextualise pas assez les objets, estiment

qu’elle a le mérite d’avoir « sorti » le musée de sa représentation « folklorique », de son côté

« kitsch ».

3.5. La SAMB : un soutien inconditionnel au Musée Basque.

Parmi les personnes qui manifestent le plus leur intérêt pour le Musée Basque, nous trouvons

logiquement la Société des Amis du Musée Basque. Rappelons que c’est face à l’insistance de

membres de la SAMB et avec leur aide que les salles agro-pastorales ont été réinstallées en

2011, que la plupart des interviewés du Zoom collection sont des membres de l’association, et

qu’en définitive la SAMB est le premier partenaire du Musée Basque en ce qui concerne

l’intérêt pour ses collections.

Nous nous sommes entretenue avec plusieurs d’entre eux. Nous les avons questionnés sur leur

parcours (études et professionnel), sur leur « rencontre » avec le musée, les expériences qu’ils

y ont vécues, leurs opinions et leurs ambitions pour cette institution qui leur tient à cœur. L’un

d’eux nous a aussi envoyé un document synthétisant ses impressions sur le musée.

Nous ne présenterons pas d’autres associations gravitant autour du musée, telles qu’Eusko

Ikaskuntza ou la SSLA par exemple, car la plupart des personnes que nous avons rencontrées

se sont avérées être aussi membres de la SAMB et leurs remarques sont similaires.

« Fondée en 1956 sous l'impulsion du Général Aublet, la Société des Amis du Musée Basque

se fixe, à sa création, de « grouper autour des œuvres du musée tous ceux qui s'intéressent aux

richesses culturelles de notre région, de soutenir le musée par son action matérielle et son

Page 199: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

199

influence morale, de développer dans le public et plus particulièrement chez les jeunes et les

scolaires le goût des études régionales ». »

« La Société des Amis du Musée Basque a pour but de « contribuer à l’enrichissement des

collections, à l’animation et au rayonnement du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne »

(Art. 1 des statuts). Elle « regroupe toutes les personnes intéressées par le patrimoine basque

et par la diversité culturelle de la région. Elle apporte son soutien aux études qui s’y

rapportent. Elle participe activement à la vie culturelle, notamment à travers la publication du

Bulletin du Musée Basque et diverses publications » (Art. 2 des statuts). Outre les animations

originales menées au sein du musée et les dons d'objets, nous assurons la publication du

Bulletin du Musée Basque, édité depuis plus de 80 ans, diffusé auprès des sociétaires et

échangé avec de nombreuses publications qui enrichissent la documentation du musée. Nous

organisons des rencontres et découvertes de terrain en recherchant une mise en perspective

historique et ethnologique des collections du musée. Notre Assemblée Générale se déroule

aux "quatre coins" du Pays Basque Nord et Sud afin de "délocaliser" le musée. Nous sommes

plus de 450 membres. »107

« Notre association a été reconnue établissement d'utilité publique par décret du 5 mars 2008

paru au Journal Officiel du 7 mars 2008. Cette reconnaissance facilite désormais le partenariat

et le mécénat. En 2011 les partenaires du mécénat sont: Groupe Etchart, Amatra, Guyenne et

Gascogne, ADA, BAMI, Duhalde, Arrambide et Alkar »

A l’issue de notre thèse, alors que nous commencions à discuter avec notre directeur de thèse

d’un projet de recherche sur le Musée Basque, dont il était membre du CO, nous avons été

invitée par l’attaché de conservation du musée à assister à une réunion du Comité de

Rédaction du Bulletin du Musée Basque.

Le Bulletin du Musée Basque a été créé par le premier directeur du Musée Basque, le

Commandant William Boissel. Sa publication, interrompue de 1944 à 1964, a été relancée par

le troisième directeur du musée, Jean Haritschelhar, qui l’a confiée à la SAMB, tout en en

gardant le contrôle grâce à son statut de Secrétaire général de l’association.

« Le Bulletin du Musée Basque : vitrine du musée […] C’était, en fait, créer la base

scientifique destinée à promouvoir le musée qui ne peut être uniquement un lieu de

107

http://www.samb-baiona.net/fr/assoc/index.html

Page 200: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

200

« représentation » ou « d’exposition », mais le centre d’une activité intellectuelle prenant en

compte Bayonne et le Pays Basque. » (Haritschelhar, 1989 : 9).

Il regrette que le lien entre le musée et le Bulletin se soit distendu depuis son départ du musée

en 1988. Le directeur de la publication n’est plus le directeur du musée mais un membre de la

SAMB. Des rubriques ont disparu, telle la publication des dons et les notices d’objets, ou la

chronique annuelle des activités et moments forts de la vie du musée.

Toutefois nous pouvons temporiser cette désunion par la présence active au sein du comité de

rédaction du conservateur et de l’attaché de conservation108

. Tous deux y publient

régulièrement des articles et Jacques propose dans chaque numéro sous la rubrique Zer da

hori ? (Qu’est-ce que c’est ?) de découvrir un objet mystérieux des collections du musée. Cet

objet est montré ensuite lors de la présentation publique du Bulletin et une notice explicative

parait dans le numéro suivant. Cette présentation publique, qui a lieu deux fois par an au

moment de la sortie, généralement en juin et décembre, au Musée Basque (en salle Argitu ou

Xokoa), consiste en une présentation des articles par les auteurs eux-mêmes, la présentation de

l’objet mystère, et est suivie d’un « pot » offert par un mécène de l’association. Tous les

membres de l’association y sont conviés, mais elle regrette que le Musée lui-même ne fasse

aucune communication sur l’évènement car cela pourrait l’aider à toucher et rencontrer de

nouveaux lecteurs, auteurs et membres potentiels.

Cette question de la communication entre le musée et la SAMB a encore été évoquée par le

Président sortant, lors de la dernière Assemblée Générale (mars 2012). Souvent l’association

n’est pas avertie des évènements qui ont lieu au Musée Basque, ou alors au dernier moment,

ce qui ne laisse pas toujours le temps de transmettre l’information aux membres. Outre le

Bulletin lui-même, l’association tient aussi à jour un site internet et publie une lettre

d’information Gogoan, qu’elle envoie par courrier à ses membres deux à trois fois par an,

selon l’actualité. Elle serait intéressée à y joindre par exemple le programme d’animation du

musée. Le président de l’association regrette aussi que le Conseil d’Orientation, dont il est

membre invité, ne se soit réuni qu’une seule fois en 2011, « C’est dommage […]Ce qui nous

fait douter de son intérêt » car il pourrait être aussi un outil de communication et d’échange.

108

Le premier est membre de la SAMB, pas le second. Pour le conservateur, son appartenance à l’association est

une manière de lui montrer sa reconnaissance et de lier plus étroitement le musée et la SAMB. Jean

Haritschelhar, son prédécesseur partage cette opinion. Jacques au contraire, a choisi de tenir une certaine

distance « symbolique » pour marquer le fait qu’il y participe en tant que professionnel du musée et pas à titre

personnel (même si des liens d’amitié se sont créés), lui aussi dans le but d’affirmer le lien entre le musée et la

SAMB. Deux façons différentes de se positionner vis-à-vis de la SAMB mais portée par un même objectif : ils

considèrent tous deux leur participation active au Bulletin comme une nécessité pour la crédibilité tant de la

revue et de l’association que du musée lui-même.

Page 201: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

201

Le directeur présent ce jour-là a alors proposé à la SAMB de désigner un ou des référents

avec lesquels organiser une réunion pour tâcher de trouver une solution.

Pour l’instant, les réunions du Comité de Rédaction (tous les deux mois environ) sont

l’occasion de se tenir au courant de l’activité du musée, grâce à la présence des conservateurs.

Dans le dernier rapport moral de l’association, sont citées deux actions menées en faveur du

musée : la sollicitation pour la réouverture des salles agropastorales et la souscription (lancée

en partenariat avec Bayonne Centre Ancien) pour l’achat du portrait de Pierre-Jean Garat

ensuite offert au musée. La souscription a été un succès tel que 2000 euros supplémentaires

ont été reçus, que le conservateur propose d’utiliser pour l’achat de photographies anciennes à

offrir de la même façon au musée. En 2010, il s’était aussi fait offrir par le biais de la SAMB

pour le musée une soupière des faïenceries de Saint-Esprit.

Le rapport financier est excellent, le rapport moral plutôt bon aussi. Pourtant la SAMB

connait quelques difficultés.

Sophie Cazaumayou, directrice du Bulletin souligne que le lien avec les conservateurs est

primordial. Elle prévient aussi que le Comité de Rédaction doit être vigilent à la diversité des

auteurs ; cette année, sur les deux numéros parus, seuls deux articles étaient signés d’auteurs

extérieurs à l’association. « Le Bulletin ne doit pas être qu’un organe interne ». Jean

Haritschelhar nous avait fait remarquer que souvent, lorsqu’il était appelé à des jurys de

soutenance de thèse, il avait le bonheur de voir figurer des articles du Bulletin dans les

bibliographies. Nous-mêmes et un certain nombre d’étudiants de notre connaissance y avons

eu recours. La SAMB pourrait donc communiquer davantage auprès des étudiants et jeunes

chercheurs, repérer les thèses et travaux en cours pour solliciter ces auteurs afin de renouveler

l’intérêt du Bulletin et l’inscrire pleinement come un outil de diffusion des recherches et

connaissances actuelles. Quelques étudiants et jeunes docteurs y publient des résumés de leurs

travaux, mais la revue ne disposant pas de la renommée et de la reconnaissance d’une revue

de rang A, elle peine à attirer des auteurs et des articles plus ambitieux. Elle se retrouve en

quelque sorte limitée aux amateurs et débutants, ce dont elle doit arriver à tirer parti. « Du

temps d’Haritschelhar », les universitaires qui menaient des recherches sur les collections du

Musée Basque ou à partir de sa bibliothèque, en retour, en publiaient les résultats dans le

Bulletin. Aujourd'hui celui-ci doit composer avec la concurrence d’autres revues plus

prestigieuses et plus scientifiques, mais aussi avec le délaissement du musée par les

chercheurs professionnels. Dans le numéro de décembre 2012, devraient figurer trois articles

de chercheurs extérieurs encore en activité et non membres de l’association : l’un d’une

conservateur de l’INP (qui a effectué un stage au Musée Basque en 2011), un autre d’une

Page 202: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

202

doctorante de l’UPPA (que nous avons-nous même sollicitée109

), un troisième d’un chercheur

(Centre Emile Durkheim, Sciences Po de Bordeaux).

En effet, même si quelques universitaires siègent au Comité de rédaction, la plupart sont

aujourd'hui retraités. D’une manière générale, les membres de la SAMB avancent en âge et un

problème « démographique » se pose. Pourtant la majorité de ses membres y sont entrés

jeunes. Le renouvellement des générations, si l’on peut dire, n’a pas été assuré. Elle doit donc

se poser la question de son attractivité auprès des plus jeunes. Comme le musée, elle est aussi

concurrencée par de nombreuses autres associations à vocation culturelle et souffre du

désengagement de la jeunesse vis-à-vis du musée. Cette situation nous parait d’autant plus

critique aujourd'hui.

En effet, au cours d’une récente réunion du Conseil d’Administration à laquelle les membres

du CR ont aussi été conviés, le président a officiellement annoncé qu’il ne se représentait pas.

Encore professionnellement actif, professeur en collège, la présidence de l’association lui

prend énormément de temps et il souhaite transmettre le flambeau à un autre. En l’absence

d’un successeur l’association devra être mise en sommeil, après avoir assuré ses engagements

pour 2012. Si tous souhaitent éviter cela, aucun n’est prêt à assurer la présidence qui

représente un investissement personnel lourd. Depuis, l’équipe du CA s’est renforcée, le

conservateur du musée a accepté de devenir le secrétaire général de l’association, deux

nouveaux membres ont été recrutés (le président de l’association Bayonne Centre Ancien et

une chef d’entreprise retraitée). L’association a encore quelques mois devant elle pour élire un

nouveau président mais son avenir est incertain. Sa mise en sommeil est risquée, elle ne

pourrait jamais se réveiller ou perdre son statut « d'utilité publique ». Elle ne pourrait plus

alors répondre aux sollicitations d’acquisition du conservateur de la même manière et perdrait

peut-être elle-même une partie du mécénat dont elle bénéficie.

Ce qui inquiète le plus ses membres, c’est que sans président, elle ne pourrait plus publier le

Bulletin. Or, même si les sorties et visites rencontrent un grand succès et sont très appréciées,

le Bulletin est véritablement le cœur de l’activité de l’association et sa principale contribution

au rayonnement du musée. Le directeur du musée a donc aussi été sollicité pour réfléchir à un

109

Nous avons rejoint en juin 2010 le Comité de Rédaction et en même temps la SAMB. A la demande du CR

nous avons écrit un article-résumé de notre thèse. Nous lisons les articles soumis au CR et participons

pleinement à ses réunions. Nous avons aussi assisté aux deux dernières Assemblées Générales et aux deux repas

et visites culturelles qui les suivaient. Toutefois, nous avons voulu nous aussi maintenir une distance, bien

acceptée par les autres membres, à qui nous avons expliqué qu’en ce qui concerne les relations de la SAMB avec

le musée nous nous devions de n’être qu’observateur et que par souci d’éthique professionnelle nous ne

pouvions pas entrer au CA ou au bureau. Notre activité au sein de l’association se cantonne donc au Bulletin et

au recrutement ponctuel de nouveaux auteurs.

Page 203: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

203

éventuel transfert ou accompagnement (administratif notamment) pour éviter que la

publication s’interrompe. L’idéal pour la SAMB serait que le Comité de Rédaction perdure

tout en étant plus investi par l’équipe du musée, pour que le Bulletin redevienne ce qu’il a été,

un organe de communication du Musée Basque.

D’une manière générale le Président déplore la rareté des interactions entre le musée et la

SAMB. « On est revenu à une époque où le musée était fermé » c'est-à-dire que « le Bulletin

fonctionne » mais toutes les sorties et visites se font hors du Musée Basque. Mise à part la

présentation du Bulletin au musée deux fois par an, « nous sommes faibles en terme

d’intervention au musée ». Jusqu’à la création du service des publics en 2008, des membres

de l’association proposaient des visites guidées et des animations gratuites le premier

dimanche de chaque mois (jour de gratuité de l’entrée au musée) et remplissaient alors

pleinement le rôle de diffusion des connaissances sur la collection. Avec la création du service

des publics, le musée n’a plus ressenti le besoin de faire appel aux membres de l’association

pour animer le musée110

; le nouveau directeur a développé de nouveaux partenariats et

engagé un agent d’accueil titulaire de la carte de guide interprète régional pour effectuer des

visites.

Un autre membre est intervenu pour déplorer la communication déficiente du musée, en citant

l’exemple d’une récente conférence du conservateur, sur la maison basque, à laquelle peu de

personnes ont assisté. Le président ajoute que la SAMB est supposée être la première au

courant. Le directeur reconnait que la communication est actuellement et momentanément un

des points faibles du Musée et l’explique en partie par une « programmation de dernière

minute, à deux ou trois mois maximum ».

Le membre précédemment cité a précisé par ailleurs, qu’il ne voit pas le lien entre certaines

expositions de photographies (dans la salle Xokoa) et le Musée Basque et qu’il estime aussi

que les expositions temporaires n’exploitent pas assez les collections du musée et y voit là une

cause de la désaffection de la SAMB et du public.

110

« Tartaro est un géant débonnaire de la mythologie basque dont le nom a été repris pour baptiser l’animation

destinée aux 7-13 ans que la Société des Amis du Musée Basque a mise en place depuis mars 2004.[…] Faire

profiter un jeune public, plus large et hors temps scolaire, de l’expérience d’Argitu (nombreuses publications

par exemple),était donc le but de “Sur les traces de Tartaro…” Cette action est le fruit d’une collaboration entre

notre association (à l’origine du projet),l’équipe scientifique du Musée, le service éducatif du Musée (Argitu) et

la Ville de Bayonne (service de la jeunesse). […] La Société des Amis du Musée Basque est parvenue à mettre

en place en 2006, une équipe de trois “Amis’ qui se relaient pour faire mieux connaître le Musée Basque aux

jeunes. L’animation est gratuite et proposée en français, basque et espagnol. » (Krsitian Liet dans L’Ami de

Musée, n°32, hiver 200662007, p.24). Le programme Tartaro (jusqu’à dix animations par an) a été supprimé

avec l’avènement du Service éducatif interne au Musée.

Page 204: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

204

Ces AG sont une occasion d’observer le dialogue entre la SAMB et le directeur du musée.

L’association y affirme son intérêt et ses ambitions pour le musée mais aussi ses craintes et

ses doutes. En plus d’être un organe de promotion et de valorisation du musée, de servir

d’intermédiaire à des donateurs et mécènes, elle exerce aussi un rôle de vigie, même si elle

n’a plus le même poids, que par exemple pendant la fermeture du musée. Ainsi, à la fois

contre-pouvoir et outil de promotion (des bénévoles à disposition pour animer le musée et

enrichir les collections), la Société des Amis du Musée Basque est un partenaire important du

musée. Sa probable dissolution marquerait un tournant majeur dans son histoire. Pourtant,

faut-il la déplorer ? Peut-être est-ce là le signe d’une évolution du musée, acceptée par la

société locale.

3.6. L’Institut Culturel Basque (ICB/EKE), un partenaire potentiel.

L’ICB est un partenaire potentiel du Musée Basque, voire un modèle à suivre en terme de

rayonnement et de synergie en matière d’action culturelle111

.

« Conformément à ses statuts, la priorité d’intervention de l’Institut culturel basque est

donnée aux actions d’expression en langue basque. Ces actions peuvent être menées de deux

façons : soit directement impulsées et gérées par l’Institut culturel basque, soit proposées et

gérées par les associations avec l’aide de l’ICB. »112

Le rôle tenu aujourd'hui par l’ICB est celui que certains attendent du Musée Basque : tête de

pont, référent, fédérateur. Cette ambition est toujours présente dans l’esprit de nombreux

membres de la SAMB et de quelques employés du Musée lui-même. Mais il semblerait que sa

longue fermeture, le choix du conservateur puis du directeur, et l’accroissement, pendant ce

même temps, de lieux et espaces de culture, l’ait éloigné de ce vœu.

Nous avions rencontré quelques fois déjà le directeur et nous connaissions déjà l’ethnologue

de l’ICB, que nous avons revu à plusieurs reprises au cours de cette enquête et d’autres

activités. L’ICB dispose également d’un site internet très bien conçu et complet à partir

duquel il devient très facile de découvrir et de suivre les diverses facettes de l’activité

culturelle et patrimoniale locale. Elle nous a expliqué que de plus en plus l’ICB allait

s’orienter vers une mission d’expertise (à la demande notamment du Conseil Général) et

d’accompagnement de projets.

111

« L'Institut culturel basque (ICB) est une association (Loi 1901) née en avril 1990 grâce à l'impulsion des

associations culturelles et à l'implication financière de l'Etat, de la région Aquitaine, du département des

Pyrénées-Atlantiques et du Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque. » 112

http://www.eke.org/fr/eke/aurkezpena_helburuak

Page 205: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

205

A ce jour la collaboration de l’ICB avec le musée consiste surtout à y exposer leurs

expositions itinérantes, il n’y a pas de travail collectif.

Lors de l’entretien elle nous a parlé de son parcours (un doctorat en ethnologie obtenu en

1990 et son entrée à l’ICB en 1992). Elle nous raconté l’histoire de l’ICB et nous a expliqué

son fonctionnement et son rôle (qui mériterait à son tour un rapport). Elle a aussi évoqué son

activité de militante culturelle, au niveau professionnel et privé. Depuis 2009, elle est en

particulier chargée de mener une collecte de témoignages oraux. Alors qu’au départ elle

travaillait sur des territoires, une demande sociale a émergé sur des thèmes particuliers, elle a

donc réorienté son action pour y répondre. Le résultat est transformé en expositions

temporaires itinérantes et conservé aux Archives Départementales avec lesquelles l’ICB à

nouer un nouveau type de partenariat à long terme.

Elle a découvert le Musée Basque il y a une vingtaine d’année, au cours de sa licence en

ethnologie. Jean Haritschelhar en était alors directeur. Le Musée avait à l’époque obtenu un

financement pour acquérir du matériel d’enregistrement et avait décidé d’envoyer des gens

sur le terrain pour collecter des témoignages, par exemple sur la deuxième Guerre mondiale.

A l’issue de son doctorat elle avait candidaté au Musée Basque mais le poste d’ethnologue n’a

pas été ouvert finalement. Alors qu’elle travaillait déjà à l’ICB, elle a été sollicitée par Mano,

la professeur référent du musée, pour mener avec elle un programme intitulé « ethnologues en

herbe ». Elle serait toujours intéressée à travailler au Musée Basque. Elle estime toutefois

qu’il a absolument « besoin d’un Conseil scientifique pour définir et rédiger des

problématiques » et des axes de travail. Son ambition pour le musée est que les habitants du

Pays basque se l’approprient enfin, plus de dix ans après sa réouverture.

3.7. Un partenariat à relancer avec les chercheurs.

Le Musée Basque a toujours fait appel à des personnes extérieures : des mécènes, des artistes,

des animateurs, des conférenciers. Ces procédés sont à la fois une occasion de faire participer

la « société civile » (processus de réappropriation) et une opportunité pour le musée d’enrichir

son offre et de renouveler son propre regard et parfois ses propres pratiques.

Au cours de cette enquête nous avons constaté que le musée lui-même est patrimonialisé. Il

est devenu « un lieu de culture » consacré, qu’on ne réinterroge plus beaucoup. Avec le

développement de l’université locale et la longue fermeture du musée, les nouvelles

générations de chercheurs se sont détournés de lui. Même si la plupart des agents sont passés

Page 206: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

206

par l’université au cours de leur formation initiale (souvent jusqu’à un DEA ou un master), le

fait qu’aucun n’ait réalisé une thèse a pour conséquence qu’ils méconnaissent le

fonctionnement de la recherche (université ou laboratoire) et n’ont que peu de contact avec les

chercheurs en exercice. Nous pensons que le musée aurait tout à gagner d’une rencontre avec

ce monde de la recherche et réciproquement. Le musée se révèle à nous comme un outil de

connaissance mais aussi un outil potentiel de médiatisation (plus ou moins vulgarisée) de nos

recherches et nous révèle une nouvelle approche du travail avec les informateurs. En retour, le

chercheur peut aider le musée à se tenir à jour du terrain, de ce qui se passe hors les murs.

4. Quel rapport entre le musée et le patrimoine ?

4.1. Les rapports des agents au patrimoine et au musée

Nous avons rendu compte du rapport que chaque agent entretien avec le patrimoine dans les

« portraits », ce qui suit en constitue donc une synthèse. Voici une liste des questions que

nous avons posées aux agents au sujet du patrimoine.

Comment présentez-vous votre travail aux gens que vous rencontrez ? Considérez-vous que votre métier est un « métier du patrimoine » ? Connaissez-vous cette expression « métier du patrimoine » ? L’utilisez-vous ? Qu’est-ce que le patrimoine, selon vous ? A quoi sert le patrimoine ? Toujours selon vous, quel est le rôle du Musée Basque ? Et de manière générale, à quoi sert un musée de société ? A qui s’adresse le Musée Basque ? Quelles sont les qualités d’un objet patrimonial ? Ou Quelles qualités doit avoir un objet pour entrer au Musée Basque ? Fréquentez-vous d’autres musées ou sites culturels, patrimoniaux ? Quel autre musée appréciez-vous, pourquoi ? Et quel exemple ne voudriez-vous pas suivre ? Pourquoi ? Participez-vous à la programmation des conférences et des animations ? Y assistez-vous ? Pourquoi ? Hors de votre temps de travail, pratiquez-vous une activité culturelle ou patrimoniale ? Êtes-vous membre d’une association ? Vous considérez-vous comme militant culturel ? Votre origine familiale, le lieu où vous avez vécu a-t-il une incidence sur votre travail ? Sur la façon dont vous considérez le patrimoine et la culture ? Avez-vous des enfants ? Si oui, les emmenez-vous au Musée (Basque ou autres) ? Leur parlez-vous de votre travail ? Avez-vous chez vous des objets identiques à ceux exposés au Musée Basque ? Ou présents dans les réserves ?

Page 207: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

207

Certains ont abordé spontanément le thème du patrimoine. Nous en avons orienté d’autres, en

fin d’entretien ou dans un second. A partir de la retranscription des entretiens, nous avons

cherché toutes les occurrences : « patrimoine », « culture », « objets », « collection »,

« musée ».

L’expression « métier du patrimoine » est inutilisée. Les métiers du patrimoine sont un

domaine qui englobe une partie des métiers exercés du musée sans s’y réduire.

« L’expression métier du patrimoine est-elle utilisée ?

_ Métiers du patrimoine ? Non moi pas du tout. Les métiers du patrimoine on voit bien ce que

ça veut dire, liés à la mémoire, mais c’est très large du coup, ça dépasse largement le cadre du

musée. Ça veut dire que tu envisages dans quelque chose de très large or on est tous quand-

même assez cloisonné, là on est plutôt dans des métiers du musée, et la bibliothèque ce sont

des métiers de la bibliothèque, les archives ce sont les métiers des archives et on a rarement

l’occasion de se retrouver avec des gens à un niveau supérieur, où on est tous en train de

discuter, notre dénominateur commun ce sera plus le musée, la bibliothèque, ce sera la

patrimoine. C’est plus une appellation politique, administrative mais qui dans la réalité de nos

échanges pff... Oui on bosse sur les mêmes choses mais on bosse rarement ensemble, les

métiers du patrimoine. » (Jacques, attaché de conservation)

Certains s’y reconnaissent, d’autres pas du tout.

« Considères-tu que ton métier est un métier du patrimoine ?

_ Ah oui. Oui oui.

_ Tu connaissais cette expression « métier du patrimoine » ou ça ne s’appelait pas comme ça à

l’époque ?

_ Je ne sais pas, je connais l’expression « métier », je sais ce que ça veut dire « patrimoine »

aussi donc « métiers du patrimoine » oui on a l’habitude de baigner là-dedans, conservateur du

patrimoine, conservation du patrimoine, patrimoine, patrimoine, qu’est-ce que le patrimoine ?, je

veux dire tous les bouquins, c’est hyper central dans la formation, dans les études donc

forcément c’est un métier du patrimoine, à 100%. Ça ne s’appelait peut être pas comme ça

mais je veux dire ça en était un et c’était évident que c’était un métier en rapport avec le

patrimoine […] » (Jacques, attaché de conservation)

« Est-ce que tu considères que ton métier est un « métiers du patrimoine » ?

_ Ah oui tout à fait. Bien sûr. C’est vrai qu’on est un peu spécialisé, on est un eu dans notre / on

n’est pas très ouvert sur le reste. » (Alain, régisseur des collections)

Page 208: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

208

« Vous considérez que votre métier c’est un métier du patrimoine ?

_ Non du tout. Ah non moi je suis purement administrative, ça c’est sûr, on peut me mettre dans

n’importe quelle structure […] » (Ghislaine, responsable administrative)

« Agent du patrimoine » n’est pas non plus une appellation revendiquée, certains au contraire

ont insisté pour ne pas être « catalogués » ainsi par l’administration.

« Et après comme il y a eu aussi le changement dans le patrimoine, ils ont changé, ils ont fait

des nouveaux postes et des nouveaux grades. Donc quand on est passé « agent du

patrimoine » c’était tout pareil, on était tous dans la même sauce, il fallait faire du gardiennage

et des trucs comme ça. […] La seule différence, c’est qu’elle [la précédente attachée de

conservation] voulait que je fasse autre chose ici, donc ça été un peu mon point fort et, à un

moment donné, je leur ai demandé de choisir. » (Alain, régisseur des collections)

« […] à partir du moment où on les met dans un musée, on les met tous dans le même sac.

Bien non y a différents métiers dans le musée, mais ça je ne suis même pas sûr qu’ils en soient

conscients aux ressources humaines de la Ville de Bayonne, j’entends. Il y a différents métiers,

c’est effectivement culturel mais ce n’est pas parce que c’est culturel que tout le monde est

agent du patrimoine, ce qu’ils avaient tendance à faire aux ressources humaines à la Ville de

Bayonne. A moi ils m’avaient mis « agent du patrimoine ». Alors que même eux m’avaient mis à

gérer des choses techniques. » (Christian, régisseur technique).

Les termes apparaissant dans l’organigramme ne sont pas utilisés dans les discours, si ce n’est

ceux de « directeur », « conservateur » et « attaché de conservation » car ils coïncident aussi

avec des métiers. Les « assistants de conservation » et les « adjoints du patrimoine » exercent

des métiers différents qui induisent des rapports variés au patrimoine. Ces termes désignent

des grades dans la fonction publique et donc une position dans la grille des salaires et les

responsabilités, mais rien de plus à leurs yeux.

Travailler au musée ne résulte pas toujours d’un choix préétabli, l’idée d’une « vocation » n’a

pas été évoquée. Géraldine, animatrice, parle plutôt de « passion » et en même temps elle ne

s’imagine pas travailler éternellement dans le monde du musée, ni même du patrimoine. Dans

son cas, le musée était une option parmi d’autres dans le champ du patrimoine.

Pour d’autres, le musée est une réorientation à la suite de leurs études. Marie, chargée de

mission récolement, et Jacques, attaché de conservation, ont suivi des études en archéologie.

La filière leur paraissait « bouchée », aucun des deux n’éprouvaient l’envie de s’engager dans

Page 209: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

209

une thèse ou l’enseignement, ils souhaitaient travailler assez vite et dans un domaine plus

concret que la recherche. Le Musée Basque était un musée parmi ceux auprès desquels ils

avaient candidaté.

Dans le cas du conservateur, c’est sa passion pour l’histoire locale et la collection de portraits

des Ducs de Gramont qui l’a conduit à cette même conclusion.

Pour Marie-Hélène, documentaliste, qui n’a travaillé qu’au Musée Basque, ce poste

correspond à son projet initial de devenir documentaliste dans une bibliothèque du Pays

basque. De même pour Elisabeth, qui avait déjà travaillé auparavant en bibliothèque et dans

un centre de recherche universitaire. Le Musée Basque est là une option parmi d’autres

centres de ressources documentaires (les Archives départementales, les bibliothèques

municipales). Ce n’est pas le musée en lui-même qui les intéressait.

Pour la plupart, l’entrée au musée résulte d’un pur hasard ; elle est motivée surtout par le désir

de rester vivre au Pays basque ou de s’y installer. Ils travaillent au musée comme ils auraient

pu travailler ailleurs. Pour Ghislaine, responsable administrative, Anne-Marie, assistante

administrative, et Jean, chargé de communication, le musée n’est qu’un cadre parmi d’autres

pour exercer leur métier, qu’ils avaient déjà avant d’y entrer.

Il en va de même pour Christian, régisseur technique. Même s’il n’a pas changé de métier en

entrant au musée, il en explore une nouvelle dimension, culturelle et patrimoniale, qui plus est

en rapport avec ses activités associatives, ce qui constitue « un plus ».

Pour d’autres, comme Xalbat, gardien, ou Alain, régisseur des collections, c’est le Musée qui

leur a donné un nouveau métier. Ils y sont entrés avec seulement l’ambition d’avoir un

emploi, quel qu’il soit. C’est après coup qu’Alain a fait évoluer son poste vers ce qu’il est

aujourd'hui. Xalbat est resté gardien, avec une expérience momentanée dans la conservation

curative.

Même si pour ceux qui ne se destinaient pas à travailler dans un musée, leur expérience au

Musée Basque est une opportunité plaisante et intéressante. Sans parler de « fierté », ils

éprouvent un certain plaisir à travailler dans cette institution dont la vocation est perçue

comme positive et valorisante, et plus particulièrement ceux qui en plus « aiment » le

patrimoine et les « vieux objets » et y trouvent un épanouissement intellectuel.

La personne qui nous a le plus parlé de patrimoine est Géraldine, animatrice responsable des

scolaires. Toutefois, comme les autres, elle évoque surtout les collections et les objets.

Le « contact » avec l’objet induit un sentiment plus fort d’exercer un métier du patrimoine. Le

contact peut être physique (manipuler les objets) ou intellectuel (penser les objets). Il

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210

semblerait que le contact visuel (les gardiens par exemple) ne suffise pas à créer. En fait,

chacun s’intéresse à son propre domaine de compétence : les documentalistes ne nous ont pas

parlé d’objets mais exclusivement de la bibliothèque.

Nous concluons qu’il est pertinent de distinguer deux types de métiers exercés au musée :

ceux en relation directe avec le patrimoine, c'est-à-dire ceux qui participent à sa production, sa

conservation et sa médiation (conservateur, attaché de conservation, régisseur des collections,

chargée du récolement, responsable du service des publics, animatrice culturelle) ; et ceux

annexes, indispensables à la gestion de l’institution mais sans « connexion » avec la collection

(directeur, chargé de communication, responsable administrative, régisseur technique,

documentalistes, agents d’accueil et gardiens). Le cas du menuisier serait intermédiaire, car il

opère d’une part des restaurations sur les objets en bois et d’autre part il fabrique du mobilier

scénographique (socles, vitrines).

Toutefois, exercer un de ces métiers « annexes » ne dispensent pas d’avoir une opinion sur le

sens du patrimoine et le rôle à jouer par le musée.

Parler de son métier n’est pas aisé pour tous. Outre la timidité, certains n’ont pas l’habitude

d’être interrogés sur leur travail. Recevoir des stagiaires, par exemple, permet d’identifier des

tâches qui paraissent évidentes, de les formuler et parfois aussi de réfléchir à ce qu’elles

impliquent.

Ceux qui exercent des fonctions plus intellectuelles ont parfois des difficultés à décrire

concrètement leurs tâches et développent au contraire une plus grande réflexivité. Ceux qui

exercent des tâches plus « concrètes » et répétitives ont tendance à les considérer davantage

comme anodines ou moins intéressantes pour nous. Le métier du conservateur est

unanimement considéré comme le plus « important » pour qui veut comprendre le musée.

Dans le cadre du projet académique « Comprendre un musée », Géraldine nous a fait

remarquer quelque chose d’intéressant : elle part du constat que les métiers de l’accueil, de la

surveillance et de la médiation sont les plus connus du public et elle souhaitait donc aussi

intégrer ses collègues « de l’ombre », ceux qui travaillent dans les coulisses du musée, c'est-à-

dire les bureaux et les réserves. Nous nous sommes alors rendue compte que nous avions

procédé en sens inverse. Nous avons d’abord rencontré l’équipe de conservation, puis celle de

la médiation, puis les techniciens et enfin les agents d’accueil et de surveillance. Alors que le

public découvre le musée par la Maison Dagourette, c'est-à-dire le « résultat final », le lieu de

restitution du patrimoine, nous avions choisi de l’aborder par le Château-Neuf, c'est-à-dire le

lieu où l’on produit ce patrimoine.

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211

Ce projet « Comprendre un musée » est l’occasion, pour ceux qui ont accepté d’y participer,

de s’exercer à parler de leur métier à des novices et peut-être de valoriser leur travail à leurs

propres yeux. Par ailleurs, faire participer l’ensemble des agents peut être considéré comme

une manière de consolider l’esprit d’équipe.

« Ce que j’apprécie depuis qu’il y a Maud et Géraldine, c’est qu’effectivement elles essaient,

bon on ne répond pas toujours, elles doivent être un peu désespérées à certains moments,

mais elles essaient quand-même de nous faire participer, je trouve que c’est sympa […] Moi je

vais simplement toujours essayer de ne leur donner qu’un point de vue technique par rapport

aux choses, je ne me sens pas la compétence à leur donner mon avis sur la pédagogie du truc

ou sur […] ce n’est pas être modeste, c’est être réaliste. […] Je trouve sympa qu’elles

essayaient de nous faire participer, qu’elles nous tiennent au courant et puis elles

communiquent beaucoup. […]

_ Et ça t’intéresserait d’intervenir auprès des lycéens pour leur parler de ton métier au musée ?

_ Oui, le problème que j’ai moi avec mon boulot enfin/ pourquoi pas ? Mais le problème a priori

c’est que ça a un côté technique, enfin ce n’est pas un problème, mais concrètement je ne

pourrai rien leur montrer… si ce n’est de l’application audiovisuelle, le montage […] mais ce

n’est peut-être pas ce qu’ils attendent en visitant un musée, je ne sais pas. » (Christian,

régisseur technique).

Parmi ceux qui exercent un métier « annexe », certains pensent que leur activités privées sont

plus en rapport avec le patrimoine que leur activité professionnelle. Jean, le chargé de

communication à réhabiliter un moulin, Christian est chorégraphe d’une troupe de danse

basque.

La présence d’objets chez soi, similaires à ceux des collections du musée est rare et relèverait

de deux circonstances : l’héritage familial et la génération, elles sont corolaires. Les plus

jeunes ont des goûts, en matière d’ameublement notamment, plus modernes. Des objets ou

meubles anciens peuvent se trouver davantage chez leurs parents ou grands-parents. L’origine

géographique joue aussi. Jean est d’une « vieille famille » locale, il a donc hérité d’une ferme

et des objets qui y avaient été conservés. Jacques, Maud, Marie et Géraldine ne sont pas

originaires du Pays basque, ils n’ont pas hérité d’objets anciens d’autres régions non plus et

ne sont pas collectionneurs eux-mêmes.

Parcourir les brocantes (Alain, Marie) est aussi une activité qui témoignent d’un intérêt pour

l’objet quel qu’il soit. Pour autant, l’appréhension du patrimoine et de la culture basque ne

passe pas que par l’objet. Par exemple, Géraldine a pris des cours de danse traditionnelle et

Page 212: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

212

apprend le basque. Peu sont membres d’association mais beaucoup sont spectateurs de

manifestations culturelles et se promènent, explorent le territoire.

Les employés du musée ne le fréquentent pas hors de leur temps de travail ; ils n’assistent pas

aux conférences, ni aux visites guidées, ni aux animations, à moins d’y intervenir eux-mêmes

ou de les avoir organisées. Pourtant la plupart fréquentent d’autres sites culturels et

patrimoniaux, essentiellement lorsqu’ils voyagent. Nous les avons questionnés sur la façon

dont ils visitent d’autres musées, sites culturels ou lieux d’expositions. Il en résulte que

certains (Alain, Géraldine, Jacques, Olivier) en profitent aussi pour réfléchir à leur propre

travail, à leurs techniques, leurs méthodes.

Nous avons discuté aussi de ce qui distingue le Musée Basque d’autres « musées » locaux. Le

premier constat est que mis à part le Musée Bonnat-Helleu (musée des beaux-arts de la Ville,

fermé en mai 2011pour une durée prévisionnelle de trois ans), le personnel du Musée Basque

les visite peu, voire pas du tout. Deux raisons à cela. La première est que le week end ils

privilégient d’autres loisirs. La visite de musée se fait plutôt pendant les vacances, à

l’occasion de voyage. La seconde raison est que la plupart des lieux se revendiquant

« musée » ou « écomusée » n’en sont pas selon eux. Ils savent qu’il n’y a pas derrière ces

musées une équipe scientifique comme la leur, au mieux un collectionneur éclairé, au pire une

entreprise qui ne vise pas un intérêt général mais qui exploite le patrimoine collectif à des fins

commerciales. Tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas d’intérêt pour eux à visiter ces sites où

sont présentés des objets présents aussi au Musée Basque, la rigueur scientifique en moins.

Nous décelons derrière ces arguments qu’ils partagent aussi l’idée que le Musée Basque

possède une collection exhaustive (exposition permanente et réserves incluses) et une

scénographie plus professionnelle et que la visite de ces autres musées ne leur apporterait rien

de plus en terme de connaissance ou de découverte. Le second constat est que la visite

d’autres musées n’est pas perçue comme un acte de formation continue, elle relève

uniquement d’une volonté ou d’une curiosité personnelle et privée, du loisir. Ainsi, la visite

d’autres musées lors de voyage, même si elle est l’occasion de penser son travail, est avant

tout une découverte d’un nouveau territoire, d’un nouveau domaine, d’une nouvelle culture.

Cette « découverte » du Pays basque est pensée comme inutile puisqu’ils travaillent un même

dans un musée du Pays basque, qui plus est labellisé « Musées de France ».

« Qu’est-ce que le patrimoine selon vous ? »

Page 213: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

213

Une question en apparence tout bête mais dont les réponses montrent que la notion de

patrimoine n’est pas centrale au musée. Elle flotte en quelque sorte autour des collections

mais n’est pas objet de débat ou de réflexion.

Le directeur du musée par exemple ne nous a jamais parlé de patrimoine, il considère son

métier comme un métier de l’animation culturelle. Il n’est pas en contact avec les collections

et s’intéresse surtout à l’évènementiel et aux outils de médiation. Il considère que le musée est

un lieu où l’on restitue le patrimoine à la société, pas un lieu où on le produit.

Nous avons obtenu des réponses très courtes et d’autres au contraire très longues car de la

définition du patrimoine, la plupart basculent aussi immédiatement vers celle du musée.

« Qu'est-ce que c’est pour toi le patrimoine ?

_ [rire] le patrimoine ce n’est pas facile comme question. La définition … c’est quelque chose

dont on hérite, qu’on nous a transmis, c’est la définition un peu basique, il y a beaucoup de

choses. Je pense que chacun a sa définition, chacun choisit un peu ce qui est… l’héritage,

même si on parle de patrimoine universel, je pense que chacun a sa définition du patrimoine. »

(Géraldine, animatrice)

« C’est la mémoire de gens. Pour simplifier alors ça peut être une mémoire matérielle, une

mémoire immatérielle… et pourquoi une mémoire ? Bien parce que on ne vient pas de nulle

part et on n’est pas sui generis donc dans notre diversité on a tous une origine. Alors on appelle

ça « les racines » chez certains, chez d’autres … et puis on a des mémoires multiples, on parle

tellement d’immigration en ce moment, il y a la mémoire de l’immigration. Il y a la mémoire du

vécu ensemble. Alors pour les hommes politiques ce qui est le plus facile à montrer, le

patrimoine le plus visible c’est le patrimoine bâti. Parce que le patrimoine bâti on fait des

travaux dessus et ensuite ça se voit et puis il y a des gens qui habitent dedans et qui exploitent

ce patrimoine bâti. On a créé après l’idée du patrimoine paysager, naturel … du coup les

conservatoires du littoral ont acheté des terrains, on classe des sites… donc ça aussi c’est un

patrimoine. C’est un patrimoine du paysage. Et après de façon je dirais naturelle, on arrive au

patrimoine créé par l’homme qui n’est plus le patrimoine bâti mais le patrimoine de l’objet et

l’objet a trente-six fonctions : il y a l’objet utilitaire, il y a l’objet esthétique, il y a l’objet de

délectation. Alors évidemment sur l’objet du musée longtemps on disait que c’est un objet dont

le conservateur doit faire apprécier aux gens, au public la délectation. La délectation d’un outil

ce n’est pas toujours évident, c’est plutôt la compréhension de l’outil.» (Olivier Ribeton,

conservateur)

« Le patrimoine ce serait un héritage commun qu’un certain nombre de personnes - lesquelles ?

ce n’est pas toujours très clair – décident d’attribuer, de définir comme étant un patrimoine

commun, enfin un héritage commun, donc des choses qu’on doit garder parce qu’elles nous

Page 214: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

214

définissent, parce qu’elles parlent de nous ou parce que on se retrouve à travers elles, ou parce

que notre histoire s’y est illustrée et du coup c’est important pour savoir d’où on vient, pour nous

aider à mieux nous connaitre et nous faire connaitre aux autres. Voilà.

_ Tu travailles dans un musée donc à ce moment là le patrimoine est surtout lié aux objets ?

_ Alors oui, voilà. Parce qu’effectivement puisque le patrimoine c’est des monuments, oui

l’origine du patrimoine je crois c’est les monuments historiques et après c’est un patrimoine lié à

la culture matérielle. Alors maintenant de plus en plus aussi tu tends vers l’immatériel bien sur

parce qu’il y a la question de quel sens ça a de conserver un objet si on n’a pas tous ses

usages derrière, si on ne sait pas dans quel contexte il était utilisé, par quelles personnes, tous

ces détails de l’objet en mouvement en quelque sorte, du coup ça c’est de l’ordre de

l’immatériel, c’est ce qui entoure l’objet alors ça peut être de l’immatériel pour illustrer et pour

mieux comprendre un objet ou aussi de l’immatériel tout court quand on a témoignage sur la vie

des gens, déconnectés des objets, c’est aussi du patrimoine immatériel mais effectivement le

cœur de notre questionnement nous, on est quand même un musée. Le musée qu’est-ce que

c’est ? C’est d’abord un endroit où on montre des choses. Donc ça part des objets quand

même. Et se poser la question justement de « qu'est-ce que c'est le patrimoine aujourd'hui le

patrimoine basque d’aujourd'hui à travers les objets ? » c’est assez intéressant.

_ Toujours selon toi, quel est le rôle du Musée Basque et d’une manière générale à quoi sert un

musée de société ?

_ Bon bien c’est la même question que le patrimoine. Ici on a un territoire avec une forte

identité, donc quand les gens viennent / bon je parle d’abord du musée pour les touristes,

quand les gens viennent ici, c’est quand même un pays qui vit pas mal du tourisme, ils ont

envie d’en savoir plus sur ce territoire. Donc qu’est-ce qu’on fait ? On va au musée. Dans ces

cas là où est-ce qu’on peut avoir de meilleures informations qu’au musée ? On peut certes aller

à la bibliothèque, les archives mais enfin il n’y a pas cette interface de rencontre comme le

propose le musée justement qui est différent de ces autres centres patrimoniaux, et donc il y a

ça et effectivement pour cette version en direction des touristes c’est intéressant de voir que

depuis / le Musée il était central, il est premier en Pays basque mais depuis c’est créé

l’Ecomusée de la tradition basque à Saint-Jean-de-Luz, le musée fromage et du pastoralisme,

le musée du chocolat, le musée de la pelote, le musée… est-ce que ça dit, est-ce que ça ne

montre pas aussi toutes ces créations qu’il y a un manque, qu’il y a quelque chose qui manque

au Musée ? Une dimension qui n’arrive pas à être trouvée ? Alors on n’est pas à mon avis on

n’est pas assez rayonnant de ce coté-là ça c’est sûr. Et après un musée c’est aussi pour les

gens d’ici. Alors après est-ce que c’est possible d’arriver à faire un musée qui contente à la fois

habitants du territoire et les touristes, ça je ne sais pas, mais je crois que ce musée sert aussi

aux gens d’ici et à quoi il peut servir dans un territoire aussi dynamique que le Pays basque où

la culture est encore quelque chose de très vivant, etc. ? Ce serait justement servir d’interface

et de relai avec tous ces acteurs-là, chose là pour le coup si on fait un petit peu […] on est

complètement coupé. L’exemple de l’ICB ça en est un parmi tant d’autres de la vie culturelle du

Pays basque. Alors ce n’est pas parce qu’on fait une petite expo de photos dans une petite

Page 215: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

215

salle à l’entrée qu’on participe à la vie culturelle en Pays basque, c’est plus de l’ordre/ ça c’est

de l’anecdote. Donc il servirait oui / il serait / on en parle depuis que le musée a fermé, depuis

89, de musée pôle de référence, pôle de ressources, point central, je veux dire c’est un

potentiel qui est réel, qui pourrait / il y avait vraiment une dynamique forte, voilà réconcilier plein

de gens autour de choses, traiter de questions de manière/ poser des questions, je ne sais pas,

la pêche en Pays basque, l’émigration, des choses où le musée soit un peu un point central

comme ça se fait au Musée de la civilisation de Québec. Alors c’est un exemple hyper

ambitieux et c’est un musée phare. Mais je veux dire c’est un musée qui a beaucoup renouvelé

la pratique et le rôle du musée de société à partir de la fin des années 80 et avec des choses

qui sont encore tout à fait / qui fonctionnent très très bien. Et qui ont du sens. » (Jacques,

attaché de conservation)

« Je vais rester un peu centré sur le musée. C’est conserver tous les acquis qu’on a pu avoir

depuis des années, essayer de ne pas perdre tout ce qui a été créé par le gens avant nous,

conserver tout ça. […] Essayer de montrer le maximum de choses… à toutes les jeunes

générations et aux vieilles parce que je sais qu’il y a pas mal de vieux qui sont contents de venir

voir des choses qu’ils ont utilisées quand ils étaient jeunes. C’est d’ailleurs le plus marrant, de

voir des gens s’extasier devant des objets qu’ils ont manipulés il y a trente ans, quarante ans ou

cinquante ans. Parce que les enfants à la limite ils passent devant… ils comprennent ou ils ne

comprennent pas, c’est pas / mais c’est vrai que les gens qui ont connu ça et qui ont / et puis ce

sont des objets qui n’existent plus, qui ne sont plus en fonction. Voilà, montrer des objets qui ne

sont plus en fonction je trouve que… c’est sympa.

_ Et d’après toi le musée il s’adresse à qui ?

_ Tout le monde. Même les gamins peuvent y trouver leur compte, tout le monde y trouve son

compte, tout le monde y trouve quelque chose pour passer un bon moment dans le musée,

c’est un très bel outil ce musée de toute façon. » (Alain, régisseur des collections).

Le patrimoine est donc conçu au Musée Basque comme une mémoire, à la fois individuelle et

collective, matérielle et immatérielle, que le musée doit transmettre, à la fois aux membres de

la société, anciens et nouveaux, et aux visiteurs. La définition est « bateau » et unanimement

admise. Étonnamment le patrimoine n’est pas une notion opérationnelle au Musée Basque

pour s’interroger sur le patrimoine qu’il produit, puisque les agents du musée considèrent que

ce qui est présenté, exposé au musée est déjà du patrimoine. Chacun est pris dans son travail

particulier, dans ses tâches bien définies. Le quotidien et les contraintes de l’activité du musée

(budget, espace et temps limités), ainsi que les habitudes, entravent quelque peu la réflexion

sur le sens et le rôle du musée en tant que producteur de patrimoine et de discours sur la

société, et par conséquent une vue d’ensemble à long terme. Prendre le temps de poser les

Page 216: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

216

choses à plat serait idéal mas la configuration actuelle de l’équipe et les attentes des politiques

en terme de visibilité et de rentabilité ne le permettent pas véritablement.

L’exposition permanente se contente d’évoquer (partiellement) à partir des collections,

comment les gens vivaient au Pays basque jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le Musée

Basque ne pose pas de question, il ne problématise pas son discours, qui reste de l’ordre du

descriptif, du factuel, évacuant toute analyse sur le sens, par exemple les raisons pour

lesquelles la société fait certains choix ou s’exprime selon telle ou telle modalité. Les

expositions temporaires se révèlent alors des outils cruciaux à condition de ne pas se centrer

sur un évènement, une pratique ou un thème sans en interroger le sens.

Là où il y a tout de même débat c’est sur le rôle à jouer par le musée, concrètement. Pour les

uns le musée doit conserver et exposer cette mémoire (le directeur et le conservateur) ; pour

d’autres (l’attaché de conservation, l’animatrice), il doit aussi à partir de cette mémoire

questionner le présent.

L’acquisition d’un objet (achat ou acceptation d’un don) peut avoir parfois des motivations

politiques et relationnelles : faire plaisir à un artiste, à un collectionneur en acceptant et/ou

exposant ses œuvres ou objets. C’est aussi un outil de communication pour se donner une

image, voire une identité, valorisante, d’esthète ou de mécène, témoigner d’un intérêt pour la

culture basque, à des fins électorales. Le conservateur est lui-même un collectionneur, il y a

des objets qui l’intéressent et d’autres pas. Il y a des objets qui l’enthousiasment ou le

passionnent, des objets qu’il respecte ou tolère, et des objets qui l’encombrent. Mais il n’est

pas un collectionneur privé, il doit se plier à l’exigence de l’intérêt général car le musée est un

service public. Le musée a une valeur de vérité et devient prescripteur de ce qui est

patrimoine. Il doit donc être vigilent quant à son discours et ses choix.

4.2. La patrimonialisation : processus et critères

La patrimonialisation est un processus. Le premier maillon est le donateur ou le vendeur. Un

individu qui estime que son bien ou sa production revêt un intérêt patrimonial collectif. La

Ville de Bayonne peut jouer un rôle d’intermédiaire. Le deuxième maillon est le conservateur

qui peut soit directement rejeté l’offre de don, soit lancer la procédure d’acquisition, en

rédigeant une note d’opportunité plus ou moins argumentée. Dans le cas où le don est soutenu

par la Ville, sa liberté est diminuée. Le troisième maillon est le Conseil Municipal, mais celui-

ci ne rejette jamais les propositions de dons soumises par le conservateur. Il n’en va pas de

Page 217: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

217

même dans le cas d’un achat où l’avis positif de la Commission Régionale d’acquisition et des

subventions éventuelles pourront jouer un rôle décisif. Le rôle du Conseil Municipal est donc

surtout davantage déterminant lorsque c’est un élu qui soumet l’objet. Le quatrième maillon

est la Commission Régionale d’acquisition dont l’avis n’est que consultatif. En effet, même

avec un avis négatif de cette commission la ville accepte généralement le don ou procède à

l’achat. Le cinquième maillon est à nouveau le conservateur ou le commissaire d’exposition

temporaire qui décident ou non d’exposer un objet et de la façon dont ils le mettent en valeur.

Le sixième maillon est alors le guide ou le médiateur qui choisit de présenter cet objet dans sa

visite. Le dernier maillon enfin est le public qui s’approprie ou non l’objet comme un élément

du patrimoine.

Ainsi, en l’absence d’une campagne de collecte, le conservateur est tributaire des donateurs et

des élus qui opèrent en quelque sorte une première présélection de ce qui sera montré au

public.

Que reste-t-il après toutes ses présélections ?

Dans le cas du Musée Basque, nous avons d’abord considéré le point de vue de l’expertise.

Pour justifier le caractère patrimonial d’un objet et donc l’intérêt de le faire entrer dans la

collection, le conservateur met en avant les valeurs de l’objet.

Nos « prises », c'est-à-dire notre corpus de cas analysés, sont constituées par les notes

d’opportunité et par des discussions avec le conservateur sur les choix qu’il a opérés, qu’il

s’agisse d’acquisitions (dons, legs, achats, prêts et dépôts) ou de refus de dons, mais aussi de

présentation ou non de l’objet dans l’exposition permanente.

Les objets du musée ont de la valeur. Leur présence même au musée en atteste. Mais qu’est-

ce qui fait leur valeur ? Rappelons que le terme « valeur » est polysémique : la valeur est à la

fois ce que vaut une chose ou un objet et ce qui lui donne de la valeur c'est-à-dire de

l’importance : les qualités, les caractéristiques qu’on lui prête ou qu'on identifie, certaines

retenant plus l’attention que d’autres.

La valeur économique ou marchande est distincte de la valeur patrimoniale mais elle y

contribue, selon nous, dans certains cas. La valeur d’assurance est un indice dans le cas des

dons notamment. La valeur marchande d’un objet patrimonial peut susciter des émotions :

positives (la fierté, la satisfaction) lorsque cette valeur marchande est interprétée comme une

reconnaissance d’une valeur intrinsèque (la qualité par exemple) ; ou négatives (indignation,

frustration) lorsqu’elle est considérée comme trop élevée (pour l’acquéreur potentiel) ou au

Page 218: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

218

contraire pas assez (pour le vendeur ou l’émetteur), c'est-à-dire lorsque la reconnaissance est

sur ou sous estimée. Le rapport s’inverse selon que l’on est le vendeur (ou la communauté qui

le produit) ou l’acheteur. Cela ne s’avoue pas explicitement mais au musée on va accorder

plus d’attention à certains objets en fonction de leur valeur d’assurance, al seule valeur

clairement exprimée, qui figure sur les documents : par exemple lors de l’exposition

temporaire Gernika s’est posée la question de déterminer « Comment surveiller la tapisserie

car c’est la pièce qui avait le plus de valeur. » (Jacques, attaché de conservation). En

devenant objet d’une collection Musées de France, l’objet devient inaliénable et

imprescriptible, c'est-à-dire qu’il sort du marché. Mais par la même occasion il en devient un

repère, un jalon ; il passe du registre de l’échange à celui de la transmission (Gendreau, 2000).

Le conservateur considère que les collections du Musée Bonnat ont plus de valeur marchande

que les collections du Musée Basque. Leur valeur marchande n’est donc pas celle qui donne

le plus de valeur patrimoniale aux objets du Musée Basque.

« Quand Ramiro Arrue est mort ses héritiers avaient voulu faire une dation à l’Etat en paiement

de droit de succession, à l’époque l’Etat a refusé estimant que Ramiro Arrue il n’existait pas, il

n’avait pas de valeur. La ville de Saint-Jean-de-Luz a accepté d’acheter un certain nombre des

œuvres qui étaient dans l’atelier de Ramiro Arrue. » (Olivier Ribeton, conservateur).

A l’ancienneté et la rareté - identifiées par Nathalie Heinich comme des amplificateurs de

valeur- nous ajouterions, dans le cas de l’objet de musée, la vulnérabilité, vulnérabilité au vol

et à la dégradation (causée par le temps, les conditions climatiques, la main de l’homme).

Souvenons-nous de ce que le conservateur nous a expliqué par exemple au moment de

l’installation des réserves à Château-Neuf, où il avait souhaité garder là ce qui avait « de la

valeur » était les papiers, peintures et mobilier, le médaillier (monnaie), la collection pelote

basque (car dépôt de l’Etat) et les petits objets.

Les valeurs attendues de l’objet patrimonial ou de musée est sa représentativité ou au

contraire son exceptionnalité. Ce qui est intéressant au Musée Basque c’est que ces deux

valeurs ou caractéristiques renvoient à deux types de collections distinctes, respectivement

l’ethnographique et l’historique.

Nous avons constaté au cours des diverses visites et animations suivies au Musée Basque

qu’il existe une sélection d’objets « emblématiques » systématiquement commentés et au

contraire des objets ignorés que nous pouvons supposer peu ou moins signifiants.

Page 219: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

219

Cela tient, selon nous, d’abord à un déséquilibre dans la connaissance de ces objets. Certains

sont très bien documentés, d’autres pas du tout. Certains cartels sont réduits à la dénomination

de l’objet, soit le degré minimum d’information.

Certains objets ont été diffusé comme des emblèmes du patrimoine basque hors du musée : le

makila, la pegara, par l’iconographie, par le tourisme, par des artisans (l’espadrille) ou des

pratiquants (la pelote basque), par une riche bibliographie. Ces objets sont attendus, ils sont

unanimement reconnus comme patrimoine.

Certains objets ont des qualités esthétiques qui jouent en leur faveur. Cette valeur de la beauté

est totalement assumée par le conservateur et l’attaché de conservation. Contrairement aux

chercheurs de l’Inventaire par exemple (Heinich, 2009).

Des matériaux nobles ou naturels, le bois et la pierre, par exemple, sont considérés comme les

signes d’une authenticité, d’une proximité avec la terre et un monde rural fantasmé. Le

plastique au contraire est banni. Parce que d’une part il n’est pas un matériau ancien et donc

pas traditionnel, d’autre part parce que l’objet en plastique est associé à l’idée d’une

production de masse, en série, alors que le musée privilégie la fabrication artisanale et en cela

une certaine exceptionnalité de l’objet. Un objet singulier, voire exclusif au territoire est aussi

considéré comme un objet digne du musée. Ce critère participe à sa représentativité.

Par exemple, la charrette à roues pleines n’est pas exclusive au Pays basque, mais elle est

représentative d’une époque, d’un mode de vie. Le bouvier menant ses bœufs est la figure

typique du paysan basque dans les représentations picturales et photographiques. Cette

charrette a été fabriquée et utilisée au Pays basque, ce qui lui donne sa légitimité. La presse à

pelote, elle, n’a pas été fabriquée localement, elle est même issue d’une production

industrielle. Pourtant son usage et sa rareté font d’elle un objet intéressant pour le musée.

Tous ces critères ne sont donc que des repères et c’est leur combinaison qui donnent à l’objet

sa valeur patrimoniale. Les objets, répondant à ces critères, portent en eux alors un potentiel

d’émotion patrimoniale.

4.3. L’effet musée-patrimoine

L’émotion patrimoniale est aussi induite par le bâtiment lui-même. Le potentiel d’émotion

patrimoniale des objets exposé au musée est optimisé par la muséographie esthétisante et le

bâtiment lui-même. Le Musée Basque est qualifié dans la presse et les discours d’ « écrin ».

La Maison Dagourette est elle-même un monument. Le conservateur nous a expliqué qu’il est

selon lui préférable de réserver l’architecture contemporaine à des musées d’art et un bâtiment

Page 220: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

220

ancien aux musées de société. Le Guggenheim de Bilbao tout proche est le contre exemple

architectural par excellence de la Maison Dagourette.

« Et je dois dire que … en règle générale je crois que je préfère les musées qui réutilisent des

bâtiments anciens que des musées ex nihilo dans une construction moderne.

_ Malgré les soucis pour les aménager ?

_ Malgré. Parce que ça a un charme que n’ont pas les bâtiments modernes.[…] C'est-à-dire

que c’est plus difficile de réussir un musée dans une architecture contemporaine, tout est neuf,

que dans une architecture ancienne. L’architecture contemporaine je pense qu’elle est bien

pour accompagner des espaces publics, auditorium, accueil, boutique, cafétéria, etc.

_ Mais pas pour les salles d’expo ?

_ Voilà. Parce que le musée, je dirais qu’à l’autre extrémité j’aimais bien quand même le Musée

National des Arts et Traditions Populaires, rue du Mahatma Gandhi - Bois de Boulogne qu’on a

fermé, parce que il y avait deux niveaux de lecture : il y avait un niveau avec des

reconstitutions - alors c’était très embaumé - il y avait un niveau avec des reconstitutions

l’atelier de ceci, l’atelier de cela, mais ça faisait assez carton-pâte et puis il y avait ces vitrines

de séries qui faisaient un peu… clinique, enfin, une sorte de découpage de tous les objets les

uns après les autres, c’est étonnant mais enfin je dirais que j’en appréciais le côté pratique, le

côté découpage au scalpel mais c’était / on ne vibrait pas, on n’avait pas de sentiment. Et je

pense que pour le Musée Basque le fait d’être resté en expo permanente dans le vieux

bâtiment, la Maison Dagourette, quand même les bois, les pierres, les enduits, tout ça, ça

donne quand même une matière et une résonance, une résonance sensuelle quelque part,

même si les vitrines sont très rigoureuses, l’objet, surtout l’objet humble de l’ethnographie enfin

ancien « Arts et Traditions Populaires » et mieux mis en valeur dans un bâtiment qui lui

correspond au point de vue matériaux et construction.

_ Même si les matériaux c’est de l’imitation de ce qui se faisait, parce que vous m’avez dit par

exemple que les planchers ce ne sont pas ceux d’origine ?

_ Ah oui oui mais ce sont de vrais planchers, ils ne sont pas en plastique. La matière est

toujours la même chose. C’est vrai que le bâtiment en tant que structure a été entièrement revu,

refait et que /mais on en revient à la même structure d’origine avec de nouveaux matériaux,

mais ce sont des matériaux anciens réutilisés. Il a malgré tout, même s’il a été beaucoup

redressé, il a un côté de guingois, bon l’ancien était vraiment très de guingois avec des

escaliers qui montaient et qui descendaient, des trous à travers le plancher enfin bon, mais

quand même et puis c’est surtout ce qu’un architecte aura le plus de mal a créer dans une

structure contemporaine, sauf peut-être au Guggenheim avec Frank Gehry, ce sont des

volumes variés, et pas orthogonaux, des … le Guggenheim il plait parce qu’il est tout de travers,

les salles ne sont pas orthogonales… je dirais le musée très orthogonal ça peu aller pour de

l’art contemporain [rire]. Beaubourg ça fonctionne pour l’art contemporain. Parce que je dirais

que l’œuvre elle-même a son message tout seul, elle n’a pas besoin d’être accompagnée.

Tandis que dans un musée d’ethnographie ou d’histoire, où les objets qui sont présentés sont

Page 221: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

221

malgré tout des objets modestes, l’accompagnement du bâtiment aide beaucoup. » (Olivier

Ribeton, conservateur).

Les objets témoins, trésors de la culture basque, réunis au musée contaminent le bâtiment lui-

même de leur valeur patrimoniale. Si un objet est exposé au musée, c’est qu’il a une valeur

patrimoniale. Et si le musée renferme tant de « trésors », il devient lui-même un élément du

patrimoine. C’est ce que nous appelons « l’effet musée-patrimoine ».

La nouvelle orientation du musée témoigne d’une volonté que la société s’approprie le musée,

mais pas ses collections. La dimension patrimoniale est transférée sur le bâtiment lui-même.

Le musée devient patrimoine. Les collections sont de moins en moins valorisées dans

l’évènementiel. Même si dernièrement le conservateur a donné une conférence sur la maison

basque vue par les artistes à partir de documents issus des collections, la collection apparait

parfois comme anecdotique.

Le musée basque est un lieu qui ambitionne de devenir « incontournable » mais sans avoir

défini clairement dans quel but.

4.4. Quel sens pour le Musée Basque ?

Le Musée Basque est d’abord considéré comme un « écrin » pour les collections qu’il réunit.

A un second niveau, il est estimé comme la mémoire de l’histoire de la société basque dont il

expose principalement les traces (ou productions) matérielles et à partir desquelles il évoque

sa dimension immatérielle (les croyances, les idées, les techniques, les pratiques,

l’organisation sociale). Certaines personnes l’interprètent comme un témoignage de

« l’identité basque ». A un dernier niveau il est perçu comme un outil de compréhension et de

création et plus seulement comme un témoignage. Nous avons déjà présenté sa dimension

d’écrin et de témoignage du passé de la société basque. Concentrons-nous maintenant sur

cette idée d’un musée d’identité.

4.4.1. Un musée « d’identité »

Pour le journal Sud Ouest, le Musée Basque est « Un témoignage de l'identité basque et de ses

traditions, situé aux bords de la Nive. »113

Qu’un musée soit considéré comme un témoignage d’une identité locale ou nationale est tout

à fait banal. Ce qui intéressant c’est que le prestige de l’institution donne à son discours une

113

http://www.sudouest.fr/agenda/evenement.php?id=9438&date=2012-01-03

Page 222: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

222

valeur de vérité, qui fait parfois oublier que ce discours n’est qu’un point de vue, partiel,

même s’il vise l’objectivité. Nous pensons que se situe là un obstacle au développement du

discours du Musée Basque sur la société contemporaine.

Car le Musée Basque repose aujourd'hui sur l’idée d’une identité basque uniforme, définie à

partir de « marqueurs » identifiés au cours du XIXe

siècle pour la plupart. En ethnologie, la

recherche porte davantage sur des sentiments identitaires et des constructions identitaires. Les

conceptions de l’identité basque se sont diversifiées. Aujourd'hui, un musée de société tel que

le Musée Basque pourrait utiliser les recherches menées en sciences humaines, et plus

particulièrement les évolutions de la discipline ethnologique, pour rendre compte de ces

expressions identitaires, de leur construction et de leurs usages dans différents contextes

(revendications culturelles, linguistiques, politiques ; création artistique, etc.) et expliquer

ainsi la complexité de la société basque actuelle.

La question se pose aujourd'hui de savoir si le Musée Basque est le musée du « peuple »

basque ou du « pays » basque. Au XIXe siècle et au début du XX

e, le peuple et la société

avaient encore tendance à se confondre, surtout dans « l’intérieur » (l’arrière-pays). Pourtant

la présence dès l’origine du musée d’une dimension parallèle, appelée alors « la tradition

bayonnaise », puis « l’Histoire de Bayonne », prouve que déjà à l’époque la société n’était pas

si uniforme.

Au début du XXIe siècle, cette représentation à tendance essentialiste de l’identité basque ne

fonctionne plus aussi bien car la société s’est complexifiée, au-delà d’une dichotomie entre le

milieu rural et le milieu urbain. Certains habitants du Pays basque ne se sentent pas Basques,

d’autres ne sont pas bascophones, d’autres encore ne connaissent pas la culture basque

traditionnelle, d’autres enfin ne connaissent pas la culture basque contemporaine…

La question de la référence au territoire comme repère ou critère pour identifier une

« société » est déjà bien explorée dans les revendications politiques, ainsi que dans la

communication touristique (où l’on parle toutefois davantage d’une « culture locale » que

d’une « culture basque »). Le Musée Basque ne semble pas avoir encore franchi ce pas, de la

tradition (histoire, passé, continuité) au territoire (qui permet d’englober l’ensemble de la

population, dont les immigrés, et d’étirer son discours vers le contemporain). Pourtant nous

décelons des traces de cet « esprit d’ouverture », par exemple la salle consacrée à la

communauté juive de Bayonne qui a joué au XIXe

siècle un important rôle économique,

politique et philanthropique.

On nous a souvent répété que la Ville de Bayonne n’a jamais été « basquisante » depuis

l’ouverture du musée. La « basquité » y est tolérée dans une certaine mesure « raisonnable »,

Page 223: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

223

c'est-à-dire politiquement correcte. Le Musée Basque est le musée d’une identité

consensuelle, traditionnaliste et somme toute conservatrice.

Le sentiment identitaire est lui multiple, variable, individuel mais aussi collectif : le sentiment

d’appartenir à une communauté avec laquelle on partage des valeurs, des façons de voir le

monde et de faire les choses.

4.4.2. Un musée politique

« Ça dépend beaucoup des politiques, la décentralisation a fait que maintenant la culture est

entre les mains des politiques et le patrimoine entre les mains des politiques. » (Olivier Ribeton,

conservateur).

« […] il manque peut-être une vraie volonté des élus de développer parce que ça reste un

musée basque et la culture basque on a toujours peur que ce soit instrumentalisé, donc on a

peur de lui donner trop grande importance parce qu’on a peur que ça nous échappe. Voilà.

Donc je crois qu’il y a d’abord une question de… une question politique vraiment […] »

(Jacques, attaché de conservation).

« Il y a aussi un rôle de conservation, conservation du patrimoine, qui est très important. Et ça

au niveau des politiques c’est un peu dur à comprendre. Les professionnels de musées ont

aussi je pense un rôle éducatif au niveau du tout un chacun et des politiques, enfin en tout cas

des institutions qui gèrent les musées pour expliquer ce genre de chose. » (Marie, chargée de

récolement).

Le musée dépend des élus puisque ce sont eux qui votent le budget, nomment le directeur et

les titulaires des postes considérés comme les plus importants. Le Musée Basque est le reflet

du regard posé par la Ville de Bayonne sur la société basque, via la SSLA à l’origine, puis les

directeurs ou conservateurs successifs. Les membres de la société civile ont la possibilité de

se réunir en association pour faire valoir leur point de vue, ce fut le cas avec Pizkundea (la

Fédération des associations culturelles basques) lors de la fermeture du musée. Aujourd'hui, la

SAMB est la seule association qui veille, qui suive véritablement la vie du Musée Basque.

Le Musée Basque s’apparente davantage à un lieu où l’on consomme de la culture qu’à un

lieu où l’on construit sa connaissance, son savoir, sa réflexion. L’enjeu paraît donc moins

important qu’il ne l’a été dans les années 1960 à 1990 et les réactions lui sont

proportionnelles.

Page 224: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

224

La priorité du Syndicat Mixte est d’arriver à la rentabilité économique du Musée. La Ville de

Bayonne est propriétaire d’un certain nombre de lieux qu’il s’agit d’exploiter. Il faut trouver

une utilité, une fonction à ce patrimoine immobilier. Par exemple, la Poudrière, monument de

fortification militaire, a été momentanément (2010) un espace d’exposition de sculptures

contemporaines. Pour les élus il s’agit de justifier les dépenses publiques et d’en tirer en

même temps un bénéfice en terme d’image.

« Pour qu’il y ait service public, il faudrait que les activités soutenues par les pouvoirs publics

aient un caractère d’intérêt général, qui justifie que les pouvoirs publics financent des services

par nature déficitaires. En France, après un certain nombre de péripéties juridiques, cette

qualité a été accordée aux activités culturelles soutenues par l’Etat, les établissements publics

et les collectivités territoriales. » (Moulinier, 2010 : 12)

Aujourd'hui, cette qualité de service public déficitaire est remise en cause. Le musée doit de

plus en plus chercher à développer des ressources-propres. C’est ce que Elsa Vivant114

, par

exemple appelle le passage « du musée-conservateur au musée-entrepreneur ». De multiples

exemples ont été évoqués dans la presse nationale et spécialisée, sur ce que certains qualifient

même de « dérives mercantiles » des musées. Cette voie que prennent de plus en plus de

musées (privatisation et location d’espace en ce qui concerne le Musée Basque, mais pour

d’autres déclassement des collections) inquiète les défenseurs du musée-service public.

« […] à une culture régie par la gratuité et le soutien public s’est substituée une culture

soumise au marché et pilotée par l’impératif de communication […] les choix culturels sont

aux mains de groupes restreints associant fonctionnaires, élus et dirigeants d’institutions. […]

combien de responsables de grandes institutions n’ont pas fini par perdre le sens de ce pour

quoi on les a missionnés un jour et se sont enfermés dans une logique exclusivement

artistique, de production de spectacles, sans aucune ambition culturelle ? » (Moulinier, 2010 :

122-123).

4.4.3. Faut-il fermer le Musée Basque ?

A un moment donné, un peu désemparée par l’absence de réaction et d’intérêt de certaines

personnes interrogées, nous en sommes venue à nous poser une question, certes extrême :

faut-il fermer le Musée Basque ? Puisqu’il coûte cher à la collectivité qui semble s’en

désintéresser, est-il utile de le maintenir et de développer ses activités ?

114

Maitre de conférences à l’Institut Français d’urbanisme.

Page 225: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

225

Nous avons tenté de réfléchir à l’avenir du Musée Basque à partir de l’ouvrage Culture &

médias 2030. Prospective de politiques culturelles, publié par le Département des études, de

la prospective et des statistiques (DEPS) du Ministère de la culture et de la communication.

Même si ces scénarios sont trop élaborés par rapport à nos besoins, ils nous incitent toutefois

à poser la question de l’orientation à venir du Musée Basque.

La réponse à la question « faut-il fermer le Musée Basque ? » est unanimement et

catégoriquement : « Non ! ». Le « traumatisme » de sa fermeture de 1989 à 2001est toujours

perceptible. Ce qui nous interpelle est que cette réponse est partagée également par des

personnes qui ne le fréquentent pas ou le critiquent ouvertement : « il a le mérite d’exister »,

« c’est toujours mieux que rien ». Devons-nous en arriver à une telle extrémité pour susciter

une réaction de la population ? L’émotion patrimoniale a-t-elle besoin de la menace ou de

l’urgence pour s’activer ?

Le Musée Basque existe, il est là ; il faut donc le gérer, maintenir le bateau à flot contre vents

et marées. Il est hors de question de le fermer. Il est devenu un symbole : « C’est un emblème

de notre culture, qui même si elle se vit beaucoup plus qu’elle ne se montre, il faut garder

trace du passé au musée » (Terexa, ethnologue de l’ICB). Par ailleurs, même s’il est

budgétairement encombrant pour les collectivités, il représente aussi un attrait touristique

indéniable.

5. Ethnologue de/au musée : un métier du patrimoine ?

Comme avancé en introduction de ce rapport, il ne s’agit pas de prouver ici l’intérêt de

l’ethnologue au sein d’une équipe muséale. Mais de réfléchir plutôt aux raisons de son

absence, puis dans un second temps aux opportunités que peuvent présenter certaines formes

d’intervention ou de collaboration.

5.1. Une expérience personnelle d’ethnologue au musée : anthropologie réflexive

L’objet même de cette recherche nous oblige à évoquer notre expérience d’ethnologue au

Musée Basque et au Musée de la Corse.

Les deux expériences ont différé sur la durée. Alors que nous n’avons séjourné qu’un mois au

Musée de la Corse, nous avons enquêté au Musée Basque pendant plus d’un an. Le terrain en

Page 226: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

226

Corse avait surtout pour objectif, par le biais de la comparaison, d’une part de vérifier si

certains points observés au Musée Basque étaient exceptionnels, liés au contexte local, à

l’histoire du musée lui-même ou s’ils pouvaient se manifester aussi ailleurs et étaient donc des

caractéristiques communes ; et d’autre part de découvrir ce que la présence d’un ethnologue

dans l’équipe d’un musée pouvait impliquer et apporter. Certes un seul point de comparaison

ne pouvant suffire, nous avons également lu des articles portant sur d’autres musées et

consulter les sites Internet de quelques autres, pour avoir un aperçu de leur travail.

Dans les deux musées nous avons été confrontée, au départ, à une méfiance de la part de

certains agents, celle d’un audit déguisé. Celui qui avait eu lieu au Musée Basque en 2006 a

eu des conséquences importantes et le Musée de la Corse en avait déjà été l’objet à plusieurs

reprises. Par ailleurs, nous y sommes allée trois mois après le changement de directeur de la

culture et du patrimoine et une annonce est parue sur l’intranet pour la création d’un poste de

chef de service du musée, au cours de notre séjour. Il nous a fallut rassurer sur l’objet de notre

présence et nos objectifs. Notre indépendance financière vis-à-vis des deux musées et notre

rattachement à l’université de Bordeaux nous y ont aidé.

Nous avons par ailleurs observé un effet pervers, qui n’est pas sans lien avec cette crainte que

leur travail soit évalué. Dans les deux musées s’opère une dichotomie entre « ceux des

bureaux » et « ceux du musée ». En tant que chercheur, nous avons été associée à « ceux des

bureaux » et par là avons eu plus de difficulté à gagner la confiance des autres.

Nous n’avons toutefois pas été en mesure de réaliser des entretiens formels avec certains

agents. Dans certains cas, les entretiens ont été un peu manipulés par les enquêtés qui y ont vu

une opportunité d’exposer leur griefs et leur frustrations (le carnet de l’ethnologue - livre de

doléances). D’autres se sont autocensurés. D’où l’intérêt de l’observation et de la discussion

informelle pour comprendre ce que font concrètement les gens (déceler les décalages vis-à-vis

de la fiche de poste, et en complément de l’entretien) et recueillir ce qu’ils pensent et

ressentent spontanément.

A l’opposé de certaines attitudes, d’autres agents ont sollicité notre participation à leurs

projets ou notre point de vue d’ethnologue (l’attaché de conservation, le conservateur,

l’animatrice, la responsable du service des publics, une guide de la Ville). Ils ont manifesté

une grande curiosité pour notre métier et notre discipline qu’ils pressentent intéressante pour

leurs pratiques professionnelles mais qu’ils méconnaissent.

Page 227: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

227

Nous avons essayé de privilégier les questionnements pour comprendre comment eux pensent

mais il est évident que ces questions en attirant leur attention sur des détails ou des points

précis ne pouvaient pas rester toutes neutres. Se contenter de ne rester qu’observateur n’est

pas toujours aisé face aux sollicitations et à la tentation de s’impliquer dans des projets aussi

intéressants. Echanger sur nos lectures ou recommander certains ouvrages a été une façon

d’assurer une réciprocité dans l’échange.

Parler de nos autres projets de recherches, passés ou en cours, et des conditions d’exercice de

notre métier a aussi eu des effets avantageux. Cela nous a permis par exemple de « briser la

glace » avec les gardiens du Musée Basque notamment. Un jour que nous sortions du trinquet

où nous avions récupéré des tacos (protections utilisées par les joueurs de pelote à main nue)

et nous rendions au musée pour assister à une conférence, nous les avons montrés aux agents

présents. L’un d’eux a justement été joueur et nous en avons brièvement discuté. Nous

pensons que ce partage d’une « passion » commune, a permis de créer un contact non plus

seulement professionnel mais aussi personnel, ce n’était plus seulement nous qui leur posions

des questions et eux qui y répondaient.

Au début de notre enquête, nous avions appris qu’un autre agent, à Château-Neuf, se

demandait aussi un peu ce que nous faisions-là, il ne nous voyait pas souvent. Nous lui avons

alors demandé pour un autre projet qu’il y avait dans les réserves du musée d’autres clefs et

serrures que celles exposées à Dagourette. Là encore la situation enquêteur-enquêté changeait,

nous qui lui demandions plus de parler de lui ou de son travail mais de nous aider en

l’exerçant avec une attente pragmatique et en apparence hors enquête ; passant ainsi dans une

situation d’interaction différente : chercheur-professionnel du musée.

Bien entendu, toutes ces situations nous ont permis de mieux cerner leur métier, ce qui était

notre objectif initial. Mais en même temps s’est opérée une « empathie inversée » (Gallenga,

2008) ; des enquêtés nous ont interrogée sur notre avenir professionnel à l’issue de cette

recherche, certains nous demandant si nous comptions continuer de travailler sur ou avec le

musée.

5.2. L’ethnologie au Musée Basque

Nous avons déjà évoqué le rôle joué par Jose Miguel de Barandiarán dans la collecte d’objets

destinés au Musée Basque et l’inspiration qu’à représenter le MNATP pour le conservateur

actuel du Musée Basque.

Page 228: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

228

« Et on avait le conseil permanent de l’Inspection des musées, et dans les années 50 le conseil

de Georges-Henri Rivière, qui était le conservateur fondateur du Musée National des Arts et

Traditions Populaires, même si ce Musée National des Arts et Traditions Populaires existait sur

le papier et au nouveau des collections gérées par le Musée de l’Homme mais il n’est sorti de

terre que quand Georges-Henri Rivière a pris sa retraite, avec son successeur Cuisenier et ce

musée n’a vécu que très peu de temps, il a vécu même pas 20 ans puisqu’on l’a fermé ad vitam

[rire]. Alors le Musée National des Arts et Traditions Populaires moi je m’en suis beaucoup

inspiré, parce qu’il servait de tête de réseau pour tous les musées d’ethnographie de France, il

avait commandité des enquêtes à la fois audiovisuelles et de terrain, sur les différentes régions

de France, et par exemple pour le Pays basque Barandiarán, le Père Barandiarán avait été

commandité dans les années 46-47 pour faire rentrer des objets collectés au Pays basque

français, des objets qu’on mettait sur l’inventaire du Musée National des Arts et Traditions

Populaires mais qui n’allaient jamais à Paris, qui étaient déposés d’entrée de jeu au Musée

Basque de Bayonne et Barandiarán avait fait des notices ethnographiques sur un certains

nombre d’objets qu’on possède. Georges-Henri Rivière avait lui-même fait des enquêtes dès les

années 1930 à l’intérieur du Pays basque et dans les années 50 il y a eu des enregistrements

faits de chants. » (Olivier Ribeton, conservateur).

Le conservateur, spécialisé en Histoire et histoire de l’art, a toujours voulu être assisté d’un

ethnologue pour compléter ses compétences notamment en ce qui concerne les collections

ethnographiques du musée. La nécessité d’une compétence ethnologique avait aussi été

avancée par le Conseil général mais n’a pas été retenue dans l’audit de 2006.

« A chaque fois que je voulais recruter un ethnologue pour m’accompagner ça a toujours été

niet. J’avais demandé que Terexa Lekumberri, qui était la plus performante je dirais, la plus

attitrée pour faire ce travail au Musée Basque, soit recrutée et ça / elle n’ a pu être recrutée que

dans le cadre de l’Institut Culturel Basque d’Ustaritz. » (Olivier Ribeton, conservateur).

« Alors je ne sais pas pourquoi on n’en a pas voulu, le mot « ethnologue » faisait peur je pense,

à la Ville de Bayonne.

_ Et d’après vous pourquoi ça faisait peur à la mairie, à la ville de Bayonne, « ethnologue » ?

_ … Bien, c’est la même chose au niveau du département. Parce que on avait une seule

ethnologue au niveau pour le département qui nous a un petit peu aidé mais… qui était assez

débordée. Elle a travaillé surtout sur le Béarn, elle avait publié sur les foires et marchés. Mais

elle n’avait pas de correspondant au Pays basque. Et puis après […] on ne l’a pas remplacée.

Le problème c’est que les ethnologues ne sont pas considérés comme utiles à des musées. On

les voit dans le cadre universitaire ou du CNRS, on ne les voit pas… » (Olivier Ribeton,

conservateur).

Page 229: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

229

L’ethnologue peut être perçu comme une source de polémique. Il scrute la société et son souci

d’objectivité peut être senti comme un risque qu’il fasse ressortir des choses que parfois l’on

préfèrerait ignorer ou taire. Pourtant, il est aussi capable de comprendre, lorsqu’il est

missionné, les impératifs et les contraintes, les limites de ce dont il doit rendre compte. C’est

le cas souvent des ethnologues en entreprise, qui signent des clauses de confidentialité et ne

peuvent donc pas communiquer sur leurs travaux auprès de leurs collègues ethnologues.

Nous pensons toutefois que c’est la méconnaissance de la discipline ethnologique qui

représente le principal frein à la sollicitation d’ethnologues. L’ histoire, l’histoire de l’art et

l’archéologie sont mieux identifiées.

Pas un nom d’ethnologue ne nous a été cité mis à part Barandiarán (au Musée Basque) et

Doazan (au Musée de la Corse). Georges-Henri Rivière (surtout au Musée Basque) et Jean

Cuisenier (au Musée de la Corse) ont quelques fois été évoqués mais en tant que directeurs du

MNATP, pas en tant qu’ethnologues. Quelques universitaires locaux sont parfois nommés,

lorsqu’ils sont venus donner une conférence ou commissarier une exposition ; mais sans pour

autant que l’on puisse préciser leur domaine de recherche, ni le sujet de leur thèse… ni même

souvent leur discipline exacte. La distance entre le musée et l’université au Musée Basque est

flagrante, même s’il n’en a pas toujours été ainsi. La recherche scientifique n’est toutefois pas

menée qu’en université. Au Musée de la Corse, nous avons par exemple accompagné le

responsable scientifique à l’INRA pour une réunion de présentation d’un projet de création

d’un centre d’interprétation sur le porc corse, il s’agissait de recueillir l’avis et les conseils

d’un chercheur spécialisé dans ce domaine.

5.2.1. Ethnographie, ethnologie et anthropologie : de simples synonymes ?

« Selon les sources l’attribut du Musée Basque change, parfois on voit musée ethnographique,

parfois musée de société, et du coup c’est un musée de quoi le Musée Basque ?

_ Alors, il est dit « Musée d’histoire et de société », sachant que tous ces termes ont toujours

évolué, la désignation du musée elle a été fluctuante, même si les collection pas du tout ou très

peu. Donc c’est intéressant, c’était musée d’arts et traditions populaires, musée d’Histoire,

musée de société, musée d’arts et de société, c’est aussi comment chacun on le présente.

« Musée de société » c’est un terme qui a été mis en place au tout début des années 90, et qui

est un peu fourre-tout, que certains ne trouvent pas satisfaisant mais en même temps voilà. Moi

je trouve que, pour moi, c’est un musée de société et l’ethno en est une dimension. Et

effectivement tu ne peux pas être un musée de société si il n’y a pas dedans des objets dits «

ethnographiques », c'est-à-dire qui parlent des modes de vie des gens. Tout simplement.

_ Donc pour toi l’ethnologie et l’ethnographie sont synonymes ?

Page 230: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

230

_ Oui, pour moi, même anthropologie je dirais c’est tout ce qui [rire] alors c’est sûrement des

subtilités mais pour moi elles ne sont pas/ dans ma démarche et dans l’intérêt pour les objets,

ce n’est pas forcément pertinent. Si on nous demandait « alors qu’est-ce qu’il faut faire venir au

musée un ethnologue, un ethnographe ou un anthropologue ? Bon il faut choisir entre les

trois », je m’y pencherais peut-être un peu plus. Mais je crois que les trois feraient bien

l’affaire. » (Jacques, attaché de conservation).

« Est-ce qu’il a des ethnologues qui sont consultés ?

_ Non. Enfin oui, par projet il pourrait y avoir, quand tu te dis dans cette phase de réflexion

préalable et que tu consultes des gens, on peut. Et par exemple pour la rénovation de la salle

permanente de l’agropastoralisme, ils ont demandé à des gens parmi lesquels il y a des gens

qui sont … oui, qui ont la casquette d’ethnologue ou d’ethnographe comme Michel Duvert,

voilà, donc avec leurs spécialités, spécialistes de ces sujets là. Mais c’est vrai que c’est des

gens qui sont consultés depuis des années, on reste toujours dans les mêmes réseaux, le

musée fonctionne aussi en vase clos. […] Parfois Terexa Lekumberri mais on lui a plus

demandé d’écrire des textes pour la SAMB ; pour le musée je ne crois pas qu’elle ait jamais été

sollicitée. » (Jacques, attaché de conservation).

Au moment de la réinstallation des salles agropastorales, le musée n’a pas envisagé de

recourir à un ethnologue mais à des archéologues (professionnels et amateurs). Seul l’un des

consultants revêt une « casquette d’ethnologue », même s’il est en fait davantage

ethnographe. L’avantage du recours à des amateurs est qu’ils ne facturent pas leur travail, ils

sont bénévoles ; retraités, ils sont également plus disponibles qu’un chercheur professionnel

en activité.

Le recours à des ethnologues amateurs nous oblige à revoir notre définition a priori de

l’ethnologue. Pour nous un ethnologue est une personne titulaire d’un doctorat en ethnologie

et qui exerce une activité de recherche dans cette discipline. Au Musée de la Corse nous avons

découvert une acception plus large : la conservateur-responsable des collections est présentée

comme ethnologue bien qu’elle n’ait pas réalisé de thèse ; le responsable scientifique du

musée, devenu ethnologue régional, est titulaire d’un doctorat en Histoire. Pour ce dernier, la

distinction entre ethnographie, ethnologie et anthropologie relève d’une « querelle de

chapelles », il ne voit pas de distinction majeure. Etre ethnologue c’est s’intéresser aux objets

et à la société qui les produit.

Pourtant dans les salles mêmes de l’exposition permanente du Musée de la Corse, un panneau

précise la distinction : « Ethnographie, ethnologie et anthropologie. Non pas trois disciplines

différentes mais trois moments d’une même recherche. Ethnographie : Description d’une

Page 231: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

231

société donnée, à partir d’un séjour sur le terrain. Par exemple : une population peu

nombreuse et très éloignée dans l’espace, donc a priori plus facile à décrire dans ce qui fait

son originalité. Ethnologie : A partir d’une première approche de terrain de type

ethnographique est entreprise une synthèse des données recueillies, examinées à la lumière de

connaissances provenant d’autres recherches complémentaires, sinon d’autres sciences

humaines. Anthropologie : L’anthropologie, sociale et culturelle, recherche non seulement les

liens sociaux, économiques et culturels qui donnent sa cohérence au fonctionnement d’un

groupe humain, mais ne manque pas de replacer celui-ci dans le temps, « depuis les

Hominidés jusqu’aux races modernes » et dans l’espace « depuis la grande ville moderne

jusqu’à la plus petite tribu mélanésienne » (C. Lévi-Strauss). »

L’ethnographie et l’ethnologie tendent à se confondre dans l’esprit des professionnels de

musée rencontrés. Or, l’ethnographie n’est qu’une étape, celle de la collecte et de la

description, préalable à une analyse sur les matériaux recueillis.

Nous en avons discuté notamment avec Manex Pagola, qui a été attaché de conservation au

Musée Basque jusqu’en 2001. D’abord engagé (en 1969) comme rédacteur, dans les années

1980 il s’est lancé dans des études sur « le fait basque ». « On était tellement interpellé de

questions sur le fait basque. Je n’y connaissais rien. ». Même s’il était bascophone et

témoignait déjà un intérêt pour le chant basque, il n’avait qu’une « vague idée de l’histoire du

Pays basque ». Il a préféré des études en ethnologie à des études en histoire, car cette

discipline lui paraissait plus « en lien » avec son travail dans un musée d’ethnographie, « ça

me paraissait un biais plus complet que l’Histoire. L’ethnologie est une science gourmande

qui profite de tous les acquis des autres disciplines, sociologie, histoire. […] Je n’avais pas

de repère au début, l’ethnologie ça donne surtout une méthode de regard, d’analyse. Ce n’est

jamais fini. », c’est également un outil de « chasse aux certitudes ».

Toutefois, il estime que ses compétences d’ethnologue ont été peu mises à profit au Musée

Basque, « sans plus ». Pour lui l’ethnologie est « une science de la vie et j’avais quand-même

conscience qu’au musée on était dans un espace et une vision fermée. », c'est-à-dire qu’alors

qu’il conçoit l’ethnologie comme une façon de rendre compte des « problématiques du Pays

basque et au-delà » (Béarn, Landes et même plus loin), « il n’y a de véritable étude que

comparative, mais ça demande plus de temps », le musée se limitait à « ce qui était

typiquement basque ».

Page 232: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

232

Nous allons maintenant aborder deux expériences ponctuelles et récentes d’ethnologues au

Musée Basque.

5.2.2. Expériences d’autres ethnologues au musée

5.2.2.1. Florence Calame-Levert, Tout autour de la morue. Voyages en patrimoine

culinaire.

De juin à novembre 2011, une conservateur de l’INP a séjourné au Musée Basque, il s’agissait

pour elle de son stage de spécialité.

Florence a quarante-deux ans. Après une licence en histoire de l’art et une maitrise en arts

plastiques, elle a voyagé quelques années, vivant de « petits boulots ». En 1997, elle a

candidaté à un poste d’attaché de conservation au Musée des Arts et de l’Enfance à Fécamp,

puis au Musée Terre-Neuvas et de la Pêche. Très vite, elle a décidé d’entreprendre des études

en ethnologie, tout en poursuivant son travail au musée.

« Quand je suis arrivée au musée, au départ j’ai beaucoup travaillé sur la mise en place / j’étais

l’assistante du conservateur donc elle, elle avait une programmation, donc il fallait faire des

expos etc. Donc au début, les première expos c’étaient des expos en histoire de l’art donc j’ai

fait des choses classiques, j’ai écrit des cartels, j’ai documenté les collections, j’ai fait des

articles pour les catalogues, des trucs comme ça. Et puis parallèlement à ça et bien je faisais de

l’inventaire de collection et notamment la collection la plus importante c’est quand-même la

collection maritime. Et donc je me suis rendue compte, enfin je ne sais comment dire, et puis et

je pense que je suis aussi quelqu'un qui aime faire des études et qui aime toujours me

perfectionner, enfin c’est même pas ça, je suis curieuse, je sentais que j’avais besoin d’avoir un

bagage conceptuel et donc je me suis inscrite à la fac pour faire de l’ethno parce que je n’avais

pas le métier, j’avais l’envie mais je n’avais pas le métier. »

Elle a mené un premier travail de recherche, dans le cadre d’une maitrise, sur les collections

d’anthropologie de l’enfance du musée de Fécamp. Puis elle a consacré son DEA et sa thèse,

dirigée par Martine Segalen, à une fête des marins autour de la pêche morutière en insistant

sur la dimension familiale et le conflit de mémoire en contexte de patrimonialisation.

Aujourd’hui, après avoir passé avec succès le concours de conservateur de l’INP, elle suit une

formation de dix-huit mois.

Page 233: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

233

Elle considère que l’ethnologie est un avantage pour exercer dans un musée de société. Se

positionner comme ethnologue, c’est se positionner comme quelqu'un en mesure d’interroger

les collections autrement et de prendre en compte la population et le territoire.

Selon elle, le rôle du musée est de « Donner du sens aux objets mais du sens autre que

simplement factuel, à mieux comprendre les sociétés qui les ont créer et puis à interroger nos

sociétés d’aujourd'hui parce qu’il faut que les gens s’y retrouvent. » et à son avis,

l’ethnologue est un des mieux « armé » pour cette tâche.

« Je considère que le conservateur à un rôle de directeur de recherche. […] pour impulser des

projets de recherches dans un musée. […] Alors après on ne peut pas être sur tous les fronts.

Après c’est être en mesure d’impulser les projets, c’est être en mesure de trouver des gens

avec qui travailler et puis de leur faire confiance en tant que chercheur. […] Et je pense que le

rôle du conservateur c’est aussi de temps en temps d’être là pour échanger mais ce n’est pas

lui / […] Il faut savoir déléguer et de temps en temps c’est bien aussi évidemment de prendre en

charge des commissariats d’expo, il faut aussi se faire plaisir. »

Pour le long stage de spécialité, le chargé des études de l’INP lui avait proposé le Musée

Breton (à Rennes) et le Musée Basque (à Bayonne). Elle a choisi le second car elle ne voulait

pas s’enfermer dans le domaine maritime et était curieuse de découvrir le Musée Basque

qu’elle ne connaissait pas. Un des objectifs de ce stage était de mener un projet de médiation.

Nous n’allons pas décrire en détail son projet car elle a rédigé un article le présentant, pour le

hors-série du Bulletin du Musée Basque sur la collecte du contemporain, qui n’est pas encore

sorti, et lui en laissons donc la primeur.

« Donc le projet de médiation moi j’ai choisi de travailler / justement de montrer comment

j’envisageais la médiation et qu’elle devait être au plus proche des travaux de recherches, du

travail de conservateur. »

Elle a choisi le thème de la morue, « Tout autour de la morue. Voyages en patrimoine

culinaire », à destination d’un public pluriculturel et intergénérationnel. Elle a contacté et

rencontré pour cela une dizaine de partenaires potentiels. Elle a aussi cherché des mécènes

pour l’opération, à hauteur de mille euros.

« J’ai su travailler sur un projet qui concerne les gens, la pêche. J’ai su faire intervenir des

pêcheurs d’aujourd'hui. ça a beaucoup plu ça. Le mareyeur il m’a dit « je vous donne les 500

euros parce que je suis dans cette démarche là, moi en tant que commerçant. Moi ce qui

Page 234: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

234

m’intéresse c’est de valoriser la filière pêche dans son ensemble, donc votre projet il s’inscrit

complètement dans cette démarche. »

Ce que nous en retenons c’est qu’elle a réussi à mobiliser autour de ce projet à la fois des

professionnels locaux de la pêche (au-delà de la pêche à la morue car celle-ci n’est plus

pratiquée) et des familles d’origines culturelles et sociales diverses. Elle a d’une part incité les

enfants à enquêter auprès de leurs familles sur « les souvenirs d'enfance de leurs parents liés

à la consommation de ce poisson », encourageant ainsi une transmission ; d’autre part elle a

invité des professionnels à valoriser leurs pratiques en communiquant auprès du public du

musée.

« Moi ce qui m’a intéressé avec la morue et au-delà ça avec le patrimoine maritime, c’est de

valoriser et donc du coup de préserver une part de ce patrimoine qui est / ça ça va dans le sens

de la préservation des petits métiers etc., parce qu’ils ont une vitrine où ils peuvent parler de

leurs problématiques. Les histoires de thon rouge par exemple. […] Est-ce que ce n’est pas le

rôle du Musée Basque que de faire un peu de pédagogie, je ne sais pas quel mot utiliser… »

Ce projet de médiation s’est pleinement inscrit dans la collecte du contemporain et dans une

démarche participative, transformant le public en « acteur véritable du patrimoine ». Le

succès de l’opération tient pour beaucoup au fait que le choix de ce sujet était motivé par une

enquête ethnologique préalable, identifiant la morue comme porteuse de sens pour la

population et que celle-ci a donc pu se sentir concernée. Ne connaissant pas le terrain, la

conservateur ethnologue a aussi su faire appel à de nouveaux partenaires qui n’avaient pas

encore été identifiés par le musée.

5.2.2.2. Sophie Cazaumayou, Un Bayonnais en Afrique. Voyage au Congo du docteur

Voulgre.

Sophie a quarante-huit ans, elle est ethnologue hors statuts. Après une maitrise d’Histoire,

puis des études en histoire de l’art et en droit, elle a travaillé quelques années chez un

commissaire-priseur. Sa « passion c’est l’objet, quel qu’il soit ». Elle a interrompu sa carrière

pour suivre son mari dont l’emploi nécessitait de beaucoup voyager. Elle s’est ainsi, retrouvée

il y a quelques années en Nouvelle-Calédonie, où elle a commencé à s’intéresser

véritablement aux arts africains et océaniens. Elle a donc décidé de reprendre des études par

un DEA d’anthropologie, « plutôt ouvert aux personnes qui avaient véritablement besoin pour

Page 235: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

235

des raisons professionnelles de connaitre les cultures du Pacifique ». Au cours de ce DEA,

elle a travaillé sur « des statuettes kanakes, sur la circulation de ces objets et comment ces

objets avaient atterris au musée de Nouméa ». « Prise au jeu je suis rentrée en France (2002-

2003) et j’ai fait une thèse d’anthropologie sur la circulation des objets océaniens mais à

travers le marché de l’art et toute l’évolution de l’objet ethnographique en objet d’art. ». Elle

a soutenu cette thèse soutenue en 2005 alors qu’elle vivait au Tchad.

Elle est arrivée à Bayonne en 2006. Elle connaissait déjà le Pays basque et le Musée Basque

car elle et son mari y possèdent une maison (en Basse-Navarre) où ils venaient en vacances

tous les ans.

Elle a envoyé un curriculum vitae et une demande d’entretien à Olivier Ribeton, conservateur

du Musée Basque, « et il a tout de suite répondu en disant qu’il était intéressé par ma

demande parce qu’il y avait donc toute une collection d’objets africains au Musée Basque,

cette collection n’avait jamais été exploitée, n’avait même / bon, un inventaire avait été

réalisé mais ça c’était arrêté là. Et c’est donc dans ce cadre là que je suis rentrée en contact

avec le Musée Basque. Donc de fil en aiguille on a eu vaguement, très vaguement, un projet

de monter une exposition, qui a été stoppé pour de multiples raisons. […] Le projet est tombé

à l’eau et c’est là qu’Olivier m’a proposé de faire un article pour le Bulletin du Musée

Basque [ ...] ». Elle a ainsi assisté à un comité de rédaction du Bulletin dont elle est

aujourd'hui directrice de publication.

« Il y a un inventaire qui avait été fait au départ, c'est-à-dire que les objets étaient numérotés

mais ça s’arrêtait là. Il n’y a eu aucune description, les objets n’ont pas été photographiés, donc

il y avait tout à faire. Ils étaient parfaitement bien entreposés dans les réserves du musée mais

disons qu’il n’y avait jamais eu une étude de fond réalisée avec une recherche au niveau des

archives : qui était le Docteur Voulgre ? Et une recherche historique de l’origine de cette

collection donc je l’ai faite à ce titre là.[…] Ça a complètement été du bénévolat. »

La collection Voulgre est composée de plus d’une centaine d’objets collectés au Congo vers

1891-1891 et donnés au Musée Basque dans les années 1930, par un médecin militaire qui

n’était pas Bayonnais mais avait épousé une Bayonnaise, le Docteur Voulgre, également

membre de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne (ce qui peut expliquer son don

au musée). Une collection qui n’est pas évidente à mettre en lien avec Pays basque, pour

Sophie, l’intérêt aurait été de voir qu’elles étaient les motivations de ce don et de son

acceptation par le musée.

Page 236: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

236

Elle a également monter un projet d’exposition qui intégrait aussi des objets issus de

collections d’autres musées du département (elle avait fait notamment un inventaire d’une

partie des collections du Muséum d’Histoire Naturelle de Bayonne). Une lettre de mission

pour était prête mais elle n’a jamais été remise et l’exposition n’a pas eu lieu. Cet « abandon »

est en partie dû à la création du Syndicat Mixte et la nomination d’un nouveau directeur qui

ont donné lieu à une réorganisation prioritaire du musée.

Toutefois, en 2009, une partie de ces objets a été exposée une première fois.

« Les objets de cette collection ethnographiques ont été exposés dans le cadre de L’objet dans

tous ses états !, l’exposition qui a été présentée par Jacques Battesti, moi je n’ai pas été

sollicitée à ce moment-là. […] moi j’étais ravie qu’il y ait eu cette exposition, au moins elle est

déjà sortie, elle a été montrée, pour moi c’est quand même une chose importante. »

En 2011, elle a assisté à une réunion à la mairie sur les Journées européennes du patrimoine

(en remplacement du président de la SAMB qui ne pouvait pas y aller) avec des associations

et les directeurs des musées de la Ville. Le thème du voyage l’intéressait particulièrement.

« Quand ce fut mon tour […] je leur ai dit « juste à titre personnel, je vous rappelle que vous

avez des collections aussi bien au Musée Basque, au Muséum d’histoire Naturelle, mais aussi

au Musée Bonnat », et qu’il y avait peut-être quelque chose à faire sur ces objets justement

venus d’ailleurs qui montraient bien que le patrimoine circulait à Bayonne, que les objets

circulaient et avaient voyagé. »

C’est ainsi qu’au cours de l’été 2011, elle a participé à la conception de l’exposition

temporaire Un Bayonnais en Afrique. Voyage au Congo du docteur Voulgre.

Page 237: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

237

Ces deux exemples d’intervention ponctuelle d’un ethnologue au Musée Basque, une

opération de médiation et une exposition temporaire - l’exposition temporaire étant elle-même

un procédé de médiation - ont permis au musée de valoriser ses collections à partir de travaux

de recherche préalables effectués par des professionnels extérieurs. Pourtant, Florence,

conservateur sera amenée prochainement à effectuer ce travail dans le musée dont elle prendra

la direction, nous permettant de distinguer en fait deux modalités d’intervention de

l’ethnologue dans un musée : l’intervention sur le long terme en interne d’un conservateur-

ethnologue, et l’intervention ponctuelle sur un thème ou précis d’un chercheur extérieur.

Une autre modalité est en cours au Musée de la Corse où une docteure en ethnologie a été

engagée en 2011 pour mener la numérisation de l’inventaire et du récolement. Cette mission

n’est peut-être qu’une étape vers une plus grande responsabilité scientifique. En effet, elle a

effectué sa thèse sur les musées de société en Corse, puis un post-doctorat sur l’opportunité

d’une valorisation d’une maison d’artiste léguée à la Collectivité Territoriale de Corse (CTC).

Elle est donc aussi sollicitée par la CTC, dans le cadre du positionnement du Musée de la

Corse en tête de réseau et accompagnateur des autres musées et centres d’interprétation

locaux.

Au Musée Basque, les « conservateurs » (le conservateur et l’attaché de conservation) et les

« médiatrices » (la responsable du service des publics et l’animatrice), pris par d’autres

activités, disposent de peu de temps pour effectuer ce type de recherche. Par ailleurs, n’ayant

pas de formation en ethnologie mais en histoire ou en archéologie, ils n’interrogent pas les

collections de la même manière que peut le faire un ethnologue et ont tendance à s’intéresser

davantage aux collections « historique » et « artistiques » qu’aux collections

« ethnographiques ». Bien que les démarches des deux conservateurs soient différentes et

complémentaires, elles pourraient être enrichies encore d’une démarche ethnologique, en

prise avec le terrain qui relierait aussi les collections du passé aux pratiques et organisations

sociales contemporaines. Par ricochet, l’équipe de médiation en bénéficierait également. Un

ethnologue (conservateur ou chargé de mission) au sein de l’équipe du musée pourrait

également servir d’interface avec le monde de la recherche et avec la société, au-delà de la

seule Ville de Bayonne ou de l’Agglomération.

La demande de la participation d’un ou de plusieurs ethnologues est exprimée par l’équipe du

musée mais les élus ne paraissent pas convaincus de sa pertinence. C’est peut-être aux

ethnologues de se manifester (comme dans les deux cas cités) et de s’approprier (ou se

réapproprier) le musée à leur tour. La réflexion sur la collecte du contemporain (précisons que

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238

la collecte ne signifie pas nécessairement une inscription à l’inventaire du musée) est

l’occasion pour les chercheurs (ethnologues, sociologues, historiens, linguistes) travaillant sur

le Pays basque de participer à l’activité du musée et d’expérimenter une nouvelle forme de

valorisation de leurs travaux.

Page 239: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

239

CONCLUSION

Rappel de la problématique

Le présent rapport s’intitule Qu’est-ce qu’un musée de société sans ethnologue ? Les métiers

du patrimoine au Musée Basque et de l'histoire de Bayonne. Nous nous sommes posée plus

précisément la question : comment un musée de société accomplit-il sa mission scientifique

en l’absence d’un ethnologue dans son équipe? Et nous avons proposé d’y répondre à partir

de l’analyse des métiers qui y sont exercés. Nous ambitionnions de comprendre quelle était la

place de l’ethnologie en tant que discipline scientifique et identifier les personnes, agents du

musée et personnalités extérieures, qui accomplissaient les tâches ou missions que les

ethnologues considèrent souvent comme les prérogatives à leurs discipline, formation,

compétences et connaissances.

Car le lien a priori entre l’ethnologue et le musée a été vérifié par l’historique du Musée

Basque. Dès l’origine dans les années 1920, des folkloristes, puis des ethnologues ont

participé à la constitution des collections du musée. Par la suite, sous la direction de Jean

Haritschelhar, des chercheurs de différentes disciplines ont partagé les résultats de leurs

travaux avec l’équipe du musée, contribuant à la constitution de nouvelles salles ou à leur

réaménagement. En 1988, un an avant la fermeture du musée, le secrétaire-assistant du

directeur s’est lui-même lancé dans des études en ethnologie, jusqu’à l’obtention du doctorat

en 1995. Pendant la longue fermeture du musée (de 1989 à 2001), une ethnologue, salariée de

l’ICB (depuis 1992), a collaboré avec le Service éducatif du musée, Argitu. Le conservateur

du Musée a voulu l’engager mais le recrutement n’a pas eu lieu. Aucun ethnologue

professionnel n’a participé à la création du nouveau musée, même si quelques amateurs ont

été sollicités. Depuis la réouverture en 2001, les interventions d’ethnologues sont

extrêmement rares. Outre les deux exemples précédemment cités en 2011, nous n’en avons

identifié qu’une : en 2006, Thierry Truffaut, doctorant en ethnologie à l'EHESS, avait

participé à une exposition temporaire, Regards sur la fête en Pays Basque de Pablo Tillac à

nos jours.

Page 240: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

240

Vérification des hypothèses

Notre première hypothèse pour expliquer comment le Musée Basque fonctionne sans

ethnologue dans son équipe pour accomplir sa mission scientifique était que l’ethnologie

n’est pas une priorité.

En 2007, le Musée Basque est passée d’une gestion municipale à un gestion par un Syndicat

Mixte (incluant le Conseil général et la Communauté d’agglomération) et à nommer un

directeur-manager culturel à la tête du musée. Cette évolution témoigne d’une volonté des

élus de doter le musée d’une plus grande indépendance dans sa gestion administrative et

budgétaire et de développer l’attractivité de l’institution auprès du public.

Les objectifs du Musée Basque sont de poursuivre le travail de conservation sur les

collections et de développer l’animation du musée. Sa priorité est donc actuellement de

développer ses ressources propres (entrées, boutique, location d’espace, mécénat) pour mener

ses autres activités. Le choix d’un directeur qui ne soit pas scientifique est conscient et

assumé dans cette perspective économique.

Une des conséquences de ce choix est qu’il n’a pas donné lieu à la rédaction d’un nouveau

programme scientifique et culturel. Par contre, nous assistons à une séparation des missions

scientifiques et culturelles, à travers la création de deux services, la conservation et la

médiation. Bien entendue, dans les faits, cette séparation n’empêche pas la collaboration entre

les deux services, notamment la validation par les conservateurs d’outils pédagogiques créés

ou modifiés par l’animatrice. Mais elle permet au directeur de définir le programme des

expositions (sans objets issus de la collection), animations et évènements du musée sans

nécessairement recourir à l’un ou l’autre de ces services (l’Agenda 10/10, les expositions de

photographies dans la salle Xokoa).

La mission culturelle du Musée Basque s’exprime, actuellement, par l’accueil des scolaires et

du grand public, local ou touristique (animations et ateliers pédagogiques, visites guidées de

l’exposition permanente) ; l’hébergement de projets (les « partenariats ») de la Ville de

Bayonne ou d’associations locales (conférences de l’UTLB, concerts du Microscope) ; la

multiplication des évènements, à la fois pour attirer des visiteurs et pour communiquer sur une

image dynamique de l’institution et contribuer ainsi à son « rayonnement » sur le territoire.

La mission scientifique du Musée Basque est conçue comme les activités menées par la

conservation. En 2008, une chargée de récolement a rejoint l’équipe scientifique du musée. La

mission scientifique du musée est entendue comme la gestion matérielle et logistique de la

collection (inscriptions à l’inventaire, conservation préventive et curative, récolement, suivi

Page 241: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

241

des opérations de restauration en externe) et son traitement intellectuel (rédaction d’une note

d’opportunité pour une acquisition, la recherche, la documentation des collections, la

conception d’une exposition, la rédaction d’articles ou de cartels).

Nous nous sommes surtout intéressée au deuxième aspect de cette mission scientifique : le

traitement intellectuel des collections car c’est lui qui est supposé mener le reste, notamment

la restitution des connaissances sur le patrimoine du Pays basque au public qui est depuis

l’origine la raison d’être du musée.

Nous en venons donc aux deux autres hypothèses. Certes, même si la restitution des

connaissances de l’ethnologie ou son utilisation dans la construction du discours du musée

n’est pas une priorité et ne représente qu’une éventuelle option du travail scientifique, le

Musée Basque mène tout de même un travail intellectuel de réflexion et de proposition. Nos

hypothèses étaient que le Musée mobilise des compétences en interne et en sollicite d’autres

en externe.

En interne, le conservateur et l’attaché de conservation sont les deux référents scientifiques. Il

est évident que leurs compétences scientifiques sont sollicitées, il s’agissait donc pour nous

surtout de comprendre dans quelle mesure et sur quels sujets. Nous avons expliqué comment

le parcours et la sensibilité intellectuelle de chacun conduisent à des projets différents mais

complémentaires. Alors que le conservateur mobilise ses compétences en Histoire et en

histoire de l’art (arts décoratifs et arts graphiques) pour concevoir une lecture factuelle et

descriptive du patrimoine présenté au musée (le réaménagement des salles agropastorales, de

la salle Des idées et des hommes), l’attaché de conservation se situe dans une perspective plus

réflexive et participative (la réflexion sur la collecte du contemporain). Mais force est de

constater que leurs autres tâches, ce qu’ils nomment « le quotidien », prend souvent le dessus

sur leurs projets de recherche et d’exposition, dont certains n’aboutissent pas pour des raisons

budgétaires. Valoriser ce travail de recherche sur les collections, en le communicant, n’est pas

une priorité pour la direction du musée qui privilégie dans son programme d’animations des

projets extérieurs. Cela nous conduit à conclure que peut-être les compétences internes sont

sous-exploitées. Nous pensons également aux compétences techniques du régisseur,

professionnel de l’audiovisuel, qui pourrait être sollicité pour réaliser de nouveaux films, dans

une perspective de collecte du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) résolument cohérente

avec une démarche d’introduire une dimension contemporaine au musée, pour « faire parler »

autrement les objets du passé qui y sont exposés (ne serait qu’en les documentant).

Page 242: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

242

En externe, le Musée Basque a peu recours à des compétences scientifiques, mais plutôt à des

compétences techniques (des restaurateurs) et d’animation (les « partenaires »).

En 2011, les compétences scientifique extérieures au Musée qui s’y sont manifestées n’ont

pas tant été sollicitées par le musée que proposées par l’extérieur (la conservateur stagiaire de

l’INP, l’ethnologue qui avait travaillé sur la collection du docteur Voulgres). Des membres de

la SAMB, ethnologues et archéologues protohistoriens amateurs, et une membre du Conseil

d’Orientation du musée (docteure en archéologie et ancienne conservateur de musée) ont

impulsé la réinstallation des salles agropastorales. Le résultat de cette collaboration, réduite à

une réunion pour recueillir leurs conseils, n’est pas pleinement satisfaisant, ni à leurs yeux, ni

à ceux du conservateur. L’amateurisme peut être considéré comme compensable par

l’expérience des années (tous les consultants ont plus de soixante ans), mais il peut aussi par

un effet pervers entériner des conceptions dépassées ou datées. Dans le cas de l’ethnologie, il

est souvent réduit à une ethnographie d’objets et de pratiques traditionnelles, qui est certes

primordiale mais ne saurait suffire.

Quel intérêt d’une ethnologie des « métiers du patrimoine » au musée ?

Même si nous avons constaté que l’appellation « métiers du patrimoine » ne fait pas

l’unanimité auprès des agents du musée, elle est un entrée originale qui permet d’appréhender

la patrimonialisation par les personnes dont la fonction (ou le métier) y contribuent plus ou

moins directement. Par ailleurs, les métiers qui ne sont pas reconnus par les acteurs comme

« du patrimoine » témoignent eux aussi de la complexité de l’institution muséale, dont les

moyens et les objectifs ont évolué au gré des politiques successives et des directeurs

d’établissement choisis pour les mener. L’enquête au Musée de la Corse nous a permis de

comprendre, par comparaison, combien la volonté des élus est déterminante dans le

développement d’un projet muséographique, scientifique et culturel.

Suivre les activités du Musée Basque sur une année entière (et un même un peu plus) nous a

aidé à comprendre les orientations qui lui sont données au-delà des seuls discours et

déclarations d’intention. L’enquête auprès de chacun des agents a mis à jour les potentialités

et les contraintes individuelles et collectives de l’équipe du musée, qui induisent des rapports

variés au patrimoine.

Page 243: POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE

243

Notre enquête conclut que le travail de cette équipe, en une combinaison de compétences

unique, associé aux riches collections déjà constituées et à l’architecture de la Maison

Dagourette, fait du Musée Basque un patrimoine en lui-même que personne ne souhaite voir

disparaitre mais au contraire se développer et que les ethnologues peuvent jouer un rôle

important de soutien sous diverses formes d’intervention et de collaboration, notamment dans

le cadre de la réflexion sur la collecte du contemporain.

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244

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XXXVIII, 4, pp. 693-696

VEILLARD, Jean-Yves. 1993. « Le musée de la Civilisation du Québec : un monde en continuité et en

devenir », in Terrain, 20, pp.135-146

VIVANT, Elsa. 2008. « Du musée-conservateur au musée-entrepreneur », in Toréos, vol. XXVII, 3, pp.43-52

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ANNEXES

Listes des personnes enquêtées

Au Musée Basque

Rafael Zulaika, directeur

Olivier Ribeton, conservateur

Jacques, attaché de conservation

Géraldine, animatrice

Maud, responsable du service des publics

Elisabeth, documentaliste

Marie-Hélène, documentaliste

Alain, régisseur des collections

Marie, chargée du récolement

Ghislaine, responsable administrative

Anne-Marie, assistante administrative

Christian, régisseur technique et audio-visuel

Jean, chargé de la communication et des partenariats

Maite, agent d’accueil, guide-conférencière régionale

Argitxu, agent d’accueil, renfort médiation

Xalbat, gardien

Au Musée de la Corse

Joseph-François Kremer-Marietti, Directeur de la culture et du patrimoine de la CTC.

Xavier Trojani, Adjoint du Directeur de la Culture et du Patrimoine

Ann, responsable secteur médiation

Cécile, guide.

Marie-Jeanne, chargée coordination administrative des expositions.

Valérie, secrétaire de direction.

Bernard, responsable de la phonothèque.

Philippe, chargé de mission phonothèque

Carole, chargée du récolement.

Julie, chargée de l’inventaire et du récolement

Pierre-Jean, responsable scientifique et d’ethnologue régional.

Rémi, secrétaire général (responsable administratif)

Cathy, régisseur principal (budget)

Clarysse, documentaliste (publication des catalogues d’expo).

Françoise, responsable des projets européens de valorisation (aspect scientifique)

Jean-Baptiste, responsable de la sécurité.

Lionel, responsable des agents d’accueil.

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Listes des personnes ressources avec lesquelles nous avons réalisé des entretiens semi-

directifs

Jean-René Etchegaray, Président du Syndicat Mixte du Musée Basque et adjoint à la culture

de la Ville de Bayonne.

Charles Videgain, professeur de linguistique à l’UPPA. Membre du CO.

Geneviève Marsan, conservatrice du Musée d’Arudy. Membre du CO.

Xavier Narbaitz. : journaliste. Membre du CO.

Zoe Bray : chercheur en sciences politiques, membre du CO et d’Eusko Ikaskuntza.

Kristian Liet, professeur d’histoire et géographie en collège. Membre invité du CO. Président

de la SAMB.

Sophie Cazaumayou, docteur en ethnologie. Membre de la SAMB, directrice de publication

du Bulletin du Musée Basque.

Michel « Mikel » Duvert, professeur retraité de biologie à l’université de Bordeaux, membre

de Lauburu et de la SAMB.

Claude Labat, instituteur à la retraite, membre de Lauburu et de la SAMB.

Jean-Claude Larronde : avocat à la retraite. Membre d’Eusko Ikaskuntza et de la SAMB.

Mano Curutcharry : professeur-relais. Membre de la SAMB.

Terexa Lekumberri. : docteur en ethnologie. Ethnologue à l’ICB. Membre de la SAMB.

Jean Haritschelhar : ancien directeur du Musée Basque, membre de la SAMB.

Manex Pagola : ancien employé du Musée Basque

Sophie Lefort. : guide de la Ville de Bayonne. Ancienne vacataire au Musée Basque.

Marie-Christine Rivière : directrice de la culture et du patrimoine, Ville de Bayonne.

Evelyne Bacardatz : animatrice du label Ville d’art et d’histoire, Ville de Bayonne

Florence Calame-Levert : conservateur, stagiaire INP.

Jean Lucugaray : donateur d’un objet au Musée Basque.

Pierre Sabalo :instituteur à la retraite, auteur de livres sur la pelote basque.