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L’objectif de cet article est de montrer l’intérêt des approches comportementales, notamment de la finance comportementale, pour construire une théorie de la gouvernance permettant de remédier aux nombreuses lacunes de la théorie juridico-financière dominante. La réflexion entreprise montre les problèmes soulevés par la notion de biais comportemental et son intégration dans la théorie de la gouvernance. À l’instar de la finance de marché qui a recours à l’argument comportemental pour comprendre les anomalies des marchés financiers, inexpli- cables dans le paradigme de l’efficience des marchés, l’aménagement de la gouvernance d’entreprise dans une perspective comportementale se justifie également par le pouvoir explicatif limité du courant juridico-financier dominant. Peut-être peut-il sembler prématuré de parler de crise de la théorie de la gouvernance mais, au sein même du courant dominant, des recherches, de plus en plus nombreuses, concluent au pouvoir faiblement explicatif de cette théorie. Par exemple, Baghat et Black (1999) montrent que la relation entre la composition du conseil d’administration et la performance est pour le moins incertaine. De façon beaucoup plus large, Larc- ker, Richardson et Tuna (2004), dans une étude de grande ampleur portant sur l’incidence de l’ensemble DOSSIER PAR GÉRARD CHARREAUX Pour une gouvernance d’ entreprise « comportementale » Une réflexion exploratoire…* * Nous remercions Alain Schatt pour sa relecture attentive et la perti- nence de ses remarques. Une version préliminaire de cet article a été présentée au Colloque de Mons, Gouvernement d’Entreprise : Perfor- mance et problèmes d’éthique (9 et 10 mai 2005). 13/Charreaux/157 27/07/05 13:46 Page 215 Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

Pour une gouvernance entreprise - Revuesonline

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L’objectif de cet article est

de montrer l’intérêt des

approches

comportementales,

notamment de la finance

comportementale, pour

construire une théorie de la

gouvernance permettant de

remédier aux nombreuses

lacunes de la théorie

juridico-financière

dominante. La réflexion

entreprise montre les

problèmes soulevés par la

notion de biais

comportemental et son

intégration dans la théorie

de la gouvernance.

Àl’instar de la finance de marché qui a recours àl’argument comportemental pour comprendreles anomalies des marchés financiers, inexpli-

cables dans le paradigme de l’efficience des marchés,l’aménagement de la gouvernance d’entreprise dans uneperspective comportementale se justifie également par lepouvoir explicatif limité du courant juridico-financierdominant. Peut-être peut-il sembler prématuré de parlerde crise de la théorie de la gouvernance mais, au seinmême du courant dominant, des recherches, de plus enplus nombreuses, concluent au pouvoir faiblementexplicatif de cette théorie. Par exemple, Baghat et Black(1999) montrent que la relation entre la composition duconseil d’administration et la performance est pour lemoins incertaine. De façon beaucoup plus large, Larc-ker, Richardson et Tuna (2004), dans une étude degrande ampleur portant sur l’incidence de l’ensemble

D O S S I E R

PAR GÉRARD CHARREAUX

Pour une gouvernanced’entreprise« comportementale »Une réflexion exploratoire…*

* Nous remercions Alain Schatt pour sa relecture attentive et la perti-nence de ses remarques. Une version préliminaire de cet article a étéprésentée au Colloque de Mons, Gouvernement d’Entreprise : Perfor-mance et problèmes d’éthique (9 et 10 mai 2005).

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des mécanismes de gouvernance sur la per-formance des firmes américaines, trouventque l’approche traditionnelle n’explique aumieux que 9,1 %. Enfin, les écrits récentsde Jensen (2004) sur les coûts d’agence nésde la surévaluation des cours boursiers,dont les effets sur les managers sont com-parés à l’héroïne, conduisent à contesterl’efficacité disciplinaire des mécanismes demarché qui occupent une place centraledans la perspective financière de la gouver-nance.Quelles sont les voies possibles pour amé-liorer le pouvoir explicatif des théories de lagouvernance? Une première voie, exploréeen particulier par Charreaux (2002a et2002b, 2003), consiste à proposer uneapproche plus complexe des liens entregouvernance et création de valeur considé-rant simultanément une approche partena-riale et le levier « cognitif » de la créationde valeur qui passe par les compétences.L’approche partenariale permet de prendreen compte les effets des conflits associés àla répartition de la rente organisationnelleentre les différentes parties prenantes. L’in-troduction du levier cognitif repose, quant àelle, sur l’idée que les systèmes de gouver-nance – les règles du jeu encadrant les déci-sions des managers – influencent égalementles choix stratégiques, notamment enmatière d’innovation. Le recours à ladimension cognitive nécessite la mobilisa-tion d’autres cadres théoriques issus desthéories stratégiques (les courants des res-sources, compétences et connaissances,etc.) et des théories économiques évolution-nistes, en complément des approchescontractuelles.Une seconde voie, quasiment inexplorée,consiste à introduire, dans le cadre de la

gouvernance, un certain nombre d’élémentsissus de la littérature comportementale et,plus spécifiquement, de la recherche enfinance comportementale. Une telledémarche est implicitement suggérée parJensen (1994) lorsqu’il propose de complé-ter le modèle de rationalité REMM(Resourceful Evaluative Maximizing

Model), sous-jacent à la théorie positive del’agence, par le PAM (Pain Avoidance

Model – « modèle d’évitement de la dou-leur »), de façon à mieux prendre en comptele comportement apparemment irrationneldes individus dans les situations extrêmes,par exemple le sacrifice du soldat pendantla guerre. Jensen précise que sa réflexions’est inspirée des recherches menées danstrois courants : les neurosciences, l’appren-tissage organisationnel (notamment, Argy-ris, 1990) et l’économie comportementale(en particulier, Thaler et Sheffrin, 1981). Ilconsidère que les biais comportementauxconstituent une source supplémentaire decoûts d’agence, les « coûts d’agence avecsoi-même », associés aux problèmes decontrôle de soi. Cependant, les consé-quences de ce modèle demeurent quasimentinexplorées dans la suite de ses travaux surl’architecture organisationnelle et la gou-vernance des entreprises, même si ellesapparaissent parfois de façon implicite.L’exploration de la voie comportementalenous conduit, dans un premier temps et afind’éclairer nos propos, à revenir sur lanotion centrale de biais comportemental età présenter les courants de littérature où ellejoue un rôle central. Dans un second temps,nous jetterons les bases d’une démarchevisant à intégrer les conséquences des biaiscomportementaux dans la théorie de la gou-vernance.

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I. – LE BIAIS COMPORTEMENTALUNE NOTION CENTRALE

Avant de présenter succinctement les prin-cipaux courant pouvant servir de base à laconstruction d’une théorie de la gouver-nance comportementale, rappelons briève-ment ce que recouvre la notion de biaiscomportemental, terme que nous préféronsà celui plus restrictif de biais cognitif.

1. Que recouvrent les biaiscomportementaux?

À l’instar de celle d’inefficience, la notionde biais comportemental est habituellementdéfinie en faisant référence à une norme« idéale » correspondant au comportementqui résulterait d’une rationalité parfaite,substantielle. Au-delà de cette dimension derationalité, il faut également introduired’autres ingrédients empruntés au modèlede l’économie néoclassique dans sa formestandard, pour préciser le contour de cettenorme idéale. Ainsi, non seulement les indi-vidus doivent être parfaitement rationnels,mais ils doivent être totalement égoïstes etn’avoir aucune faille dans leur volontéd’appliquer les décisions qu’ils ont arrêtées.Dans ce modèle canonique, ce comporte-ment idéal débouche sur l’efficience paré-tienne de premier rang – l’économie du Nir-vana – si les coûts de transaction sont nulset si les marchés sont sans failles. Les biaiscomportementaux constituent donc, danscette perspective, une source d’inefficienceparticulière à laquelle il convient de remé-dier, en s’efforçant de « débiaiser » lesjugements et les décisions des individus.L’inefficience d’origine comportementaledoit être clairement distinguée, comme lerecommande Ulen (1998), de l’inefficienceattachée à l’environnement de la décision,

en raison des facteurs liés aux asymétriesd’information, aux comportements straté-giques des individus (opportunisme notam-ment, etc.) ou aux failles des marchés. Pourillustrer cette différence, reprenonsl’exemple de l’absence de port de la cein-ture de la sécurité auquel a recours Ulen.Dans la perspective traditionnelle, ce com-portement s’explique par des facteurs liés àl’environnement de la décision : soit lesautomobilistes sont insuffisamment infor-més des risques encourus, soit ils considè-rent les sanctions comme insuffisantes. Lesmesures à prendre visent à combler l’insuf-fisance d’information ou à renforcer lessanctions. Autrement dit, on cherche à agirsur les paramètres des calculs des individus,à s’appuyer sur leur rationalité « calcula-toire ». La perspective comportementalepropose une autre explication et conduit àdes mesures différentes. Si les automobi-listes ne portent pas leur ceinture c’est que,par exemple, ils sont « surconfiants » dansleurs capacités de conducteurs, auquel cas ilest inutile d’agir sur les paramètres de ratio-nalité. Il faut intervenir de façon « paterna-liste », c’est-à-dire protéger les individus,éventuellement contre leur gré, en rendant,par exemple, obligatoire l’installationd’airbags dans les véhicules.Thaler (1996) distingue trois catégories debiais par rapport à la norme :1) la rationalité limitée (bounded rationa-

lity) ;2) la volontée limitée (bounded willpower)et ;3) l’égoïsme limité (bounded self-interest).La première catégorie (Jolls, 2004) com-

prend d’une part, les erreurs de jugement,d’autre part, les écarts par rapport à ce quepréconise la règle de maximisation de l’es-

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pérance d’utilité. Au-delà des traditionnelsbiais cognitifs, pour la plupart identifiés parKahnemann et Tversky, liés à l’interpréta-tion de l’information, aux schémas de cau-salité supposés, à l’influence présumée quele décideur pense avoir sur les événements,au contexte, etc., les « erreurs dejugement » incluent également les biaisinconscients dus aux multiples préjugésfavorables ou défavorables à la race, ausexe, à la classe sociale, à la beauté, etc. Lesécarts par rapport au comportement préco-nisé par la règle de maximisation de l’espé-rance d’utilité ont donné lieu à la formula-tion d’une théorie alternative, la théorie desperspectives (la Prospect Theory de Kahne-man et Tversky, 1979). Un effet particuliè-rement important pour expliquer ces écartsest l’effet de dotation (Endowment Effect) :les préférences des individus et la valeurqu’ils attribuent aux biens varient selonqu’ils en sont propriétaires ou non. Laseconde catégorie touche aux limites de lavolonté et inclut les comportements appa-remment irrationnels des individus qui fontdes choix contraires à leur intérêt à longterme et manquent de volonté pour appli-quer les décisions qui leur sont bénéfiques.Ce type de comportement peut s’illustrerpar la consommation de tabac et la diffi-culté d’appliquer la décision d’arrêter defumer. Enfin, la troisième catégorie trouveson origine dans l’égoïsme limité, qui semanifeste par le fait que les individus, trèssouvent, se préoccupent d’équité, soit dansles décisions qu’ils prennent, soit danscelles qui les affectent.Si ces différents biais sont habituellementdécrits comme des phénomènes d’originepsychologique, ils peuvent, au moins pourcertains d’entre eux, s’expliquer selon unschéma de « rationalité élargie ». Ainsi

Demsetz (1995), dans un cadre de rationa-lité qui reste « calculatoire », montre quecertains biais s’expliquent très rationnelle-ment si on introduit des « coûts de compré-hension ». Plus généralement, Boudon(1990) avance qu’on peut avoir de bonnesraisons de croire à des idées fausses etqu’un « modèle rationnel général » (Bou-don, 2003), dont le modèle de l’espéranced’utilité n’est qu’un cas très particulier,peut permettre de justifier, sur une basecognitive ou axiologique, de nombreuxcomportements présentés comme « irra-tionnels » dans le cadre de la rationalitésubstantielle. Cette approche rationnelledes biais, même élargie, échoue cependantà expliquer les biais d’origine émotionnellemême si Demsetz va jusqu’à interpréter lessentiments comme une forme de rationalité« cachée », permettant d’économiser larationalité « standard ». Le fait que les émo-tions puissent contribuer à améliorer lesdécisions, par exemple en remédiant aucaractère parfois indéterminé des choixrationnels ou en évitant les phénomènes deprocrastination, comme le prétend Elster(1998), ne nous semble pas devoir remettreen cause la distinction usuelle entre biaisd’origine cognitive et biais d’origine émo-tionnelle.Au-delà de ce premier critère cognitif/émo-tionnel, il est également fréquent d’intro-duire un second critère relatif au contextedécisionnel pour classer les biais comporte-mentaux. On distingue ainsi les biais indi-viduels attachés aux décisions prises indivi-duellement et de façon isolée et les biaiscollectifs qui surviennent lorsque la déci-sion est prise dans un contexte collectif.Ces deux critères cognitif/émotionnel etindividuel/collectif permettent d’identifierquatre types de biais (tableau 1). Le premier

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type recouvre les biais de nature cognitiveet individuelle, par exemple le biais derétrospective (Hindsight Bias) qui consiste,après coup, à considérer que ce qui estarrivé était inévitable et parfaitement prévi-sible. Le deuxième type – cognitif et col-lectif – peut s’illustrer par le conformismecognitif, par exemple la croyance communeen la validité de la théorie de l’efficiencedes marchés chez les financiers du mains-

tream, en dépit des nombreuses anomalies.Le biais de surconfiance lié à l’orgueil, sou-vent attribué aux dirigeants, relève du troi-sième type (émotionnel et individuel).Enfin, les phénomènes de panique collec-tive ou la pression exercée par les pairsconstituent des exemples de biais du qua-trième type (émotionnel et collectif). Les

biais identifiés dans la littérature sont extrê-mement nombreux et tant leur dénomina-tion que leur contenu précis sont loind’avoir été normalisés.

2. Les principaux courants de la littérature comportementale

Si la gouvernance comportementale peutêtre considérée, à certains égards, commeune composante de la finance comporte-mentale, d’autres courants de la littératurecomportementale peuvent aider à son déve-loppement. Au-delà de la finance comporte-mentale stricto sensu, nous mobiliseronstrois autres courants (tableau 2) : l’écono-mie comportementale, l’analyse écono-mique comportementale du droit et lemanagement stratégique. D’autres courants

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Tableau 1LES DIFFÉRENTS TYPES DE BIAIS1

Biais individuels

Ancrage, biais d’attention,d’attribution, croyances, surchargecognitive, dissonance cognitive,biais de cadrage, d’heuristique, dereprésentativité, decompartimentage, d’habitude, derétrospective, de domicile, etc.

Addiction, effet de dotation,cupidité, peur, aversion pour lespertes et les regrets, penséemagique, optimisme, surconfiance,orgueil, biais de statu quo.

Biais collectifs

Cascades, croyances communes,consensus, manipulation, memes *,mimétisme, paradigmes,percolation, anticipationsrationnelles, apprentissage social,etc.

Conformisme, épidémie, manies,pensée de groupe, comportementmoutonnier, pression des pairs,etc.

Biais cognitifs

Biais émotionnels

Source : d’après Greenfich (2005).* unités de transmission culturelles.

1. Ce tableau représente une traduction approximative de celui établi par Greenfich (2005) sur le site internet qu’ilconsacre à la finance comportementale. Le vocabulaire en la matière est loin d’être normalisé, notamment au niveaudes traductions. Les contenus de certains biais se recoupent et leurs classements peuvent parfois être contestés, tantdans leur nature cognitive ou émotionnelle que dans leur dimension individuelle ou collective. Ce tableau est sur-tout introduit afin de montrer la variété des biais comportementaux.

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auraient également pu être invoqués. La lit-térature comportementale abondante enmarketing contribue, par exemple, à expli-quer les mesures de protection des consom-mateurs. Par extension, certains méca-nismes légaux de gouvernance, contenusdans la loi sur la Sécurité financière, visentà protéger les petits actionnaires contre lecaractère parfois agressif du marketingfinancier. De même, l’important courant derecherche en comptabilité comportementale(Behavioral and Experimental Accounting)contribue à une meilleure compréhensiondes défaillances de certains garde-fous, parexemple les failles dans la surveillanceassurée par les auditeurs ou les analystesfinanciers, en dépassant l’explication tradi-tionnelle fondée sur les conflits d’intérêts etl’opportunisme.Le courant de la finance comportementales’est constitué à l’origine pour expliquer lesanomalies des marchés financiers par rap-port au paradigme dominant de l’efficienceinformationnelle (Aftalion, 2002 ; Barberiset Thaler, 2003 ; Ritter, 2003 et Shiller,2003 pour des synthèses récentes). Lafinance comportementale s’est en consé-quence construite comme une finance demarché et l’absence de référence à lafinance d’entreprise dans le récent ouvragede Broihane, Merli et Roger (2004), pour-tant titré Finance comportementale, est trèsrévélatrice de ce biais. Certains modèlesprécurseurs ont tenté cependant de conférerune dimension comportementale à lafinance d’entreprise. Ainsi, le modèle deLintner (1956), sur la politique dedividende, fait intervenir des dimensionscomportementales et il en est de même dumodèle de Roll (1986) visant à expliquerles acquisitions sur la base de l’hubris.

Deux articles récents sont particulièrementimportants pour prendre connaissance desapproches comportementales en financed’entreprise. L’article de Sheffrin (2001)peut, dans une certaine mesure, être consi-déré comme fixant le cadre de la Behavio-

ral Corporate Finance, en distinguant deuxorigines des « coûts comportementaux ».La première origine est interne ; elle estattribuée aux biais cognitifs et émotionnelsdes managers. La seconde origine, externe,est due aux erreurs comportementales desanalystes et des investisseurs financiers.Cette distinction conduit, de façon relative-ment immédiate, à concevoir la gouver-nance comportementale comme un moyende corriger les biais internes et externes.Sheffrin souligne notamment l’incapacitédes systèmes de contrôle disciplinaires(incitation, évaluation de la performance) àgérer les coûts comportementaux. La syn-thèse de littérature effectuée par Baker et al.

(2004), qui s’appuie sur la distinction pro-posée par Sheffrin, montre l’intérêt d’intro-duire des hypothèses d’« irrationalité », tantpour les managers que pour les investis-seurs, pour expliquer les politiques d’inves-tissement, de financement ou de divi-dendes.Toutefois, même si elle est implicitementposée par Sheffrin, la question de l’intégra-tion des dimensions comportementalesdans la gouvernance reste pour l’instant àl’état embryonnaire à l’intérieur du courantfinancier. On peut noter cependant troisexceptions. La première est constituée parle travail original et ambitieux de Wirtz(2002) qui, à travers la notion de « schémamental », empruntée à Denzau et North(1994), propose une explication de la poli-tique financière des entreprises s’inscrivant

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dans une approche comportementale de lagouvernance2. Une seconde exception est larecherche de Morck (2004), selon laquellel’inefficacité disciplinaire des conseilsd’administration résulterait du biais de sou-mission à l’autorité et du sentiment deloyauté éprouvé par les administrateurs àl’égard des dirigeants. Le remède à cetteinefficacité passerait alors par des réunions,tant du conseil que des comités, en dehorsde la présence des dirigeants. Enfin, lesrécentes réflexions sur le rôle des adminis-trateurs de Jensen et Fuller (2003) et de Jen-sen et Murphy (2004), même si elles ne fontpas explicitement référence à la littératurecomportementale, peuvent être considéréescomme s’inscrivant dans ce paradigme. Cesauteurs préconisent une réforme du rôle desadministrateurs de façon à ce qu’ils soientgarants de l’honnêteté et de l’intégrité del’ensemble des membres de l’organisationet qu’ils assurent un rôle d’intermédiaireentre les dirigeants et les marchés finan-ciers, de telle sorte que ces derniers com-prennent mieux les conséquences des choixstratégiques sur la valeur de la firme. Tra-duit dans un langage comportemental, lesadministrateurs se voient ainsi chargésd’orienter les décisions des dirigeants dansun sens plus conforme à l’éthique et de« débiaiser » les marchés financiers, defaçon à éviter les effets nocifs de la suréva-luation. On peut également classer dans lecourant comportemental, l’explicationfournie par Jensen et Murphy à la très fortehausse des rémunérations des dirigeants :les membres des comités de rémunérationignorant les coûts d’opportunité auraient

cru que les options sur actions étaient gra-tuites, ce qui aurait entraîné une distributiontrop généreuse.La finance comportementale est une com-posante de l’économie comportementalequi se définit, le plus souvent, comme uneéconomie de l’« irrationalité », – par oppo-sition au sens étroit de la rationalité retenupar le modèle néoclassique – et s’appuie surles apports de la psychologie cognitive et dela psychologie sociale (Rabin 1998, 2002),voire de la sociologie et de l’anthropologie,pour mieux comprendre la réalité des com-portements humains. Une de ses branchesrécentes, la neuroéconomie (Camerer et al.,2005 ou Zak, 2004 pour une introduction)repose sur l’intégration des apports desneurosciences pour mesurer l’activité ducerveau (résonance magnétique, électroen-céphalogramme, etc.), lors de décisionséconomiques pendant lesquelles les indivi-dus sont confrontés à des situations ambi-guës, de coopération ou d’apprentissage.Les champs d’application de l’économiecomportementale sont très variés : l’éthiqueet la justice, la protection, l’économie dubonheur, l’économie de l’obésité et du self-contrôle… Un des domaines particulière-ment prometteurs pour le développementde la gouvernance est celui de l’économieinstitutionnelle comportementale. Shiller(2005), par exemple, montre que certainesinstitutions telles que la Sécurité socialeobligatoire trouvent à s’expliquer dans laperspective du « paternalisme », selonlaquelle il convient de protéger les indivi-dus en raison des biais comportementauxqui les affectent. Une telle perspective

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2. Ce travail développe une idée avancée par Charreaux (1996), qui insiste sur l’intérêt présenté par la théorie insti-tutionnelle de North et les travaux de Denzau et North pour construire une théorie de la gouvernance.

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trouve un terrain d’application quasimentimmédiat en matière de gouvernance et,plus largement, en droit, par exemple, dansle souci de protéger les investisseurs finan-ciers. La perspective institutionnelle déve-loppée par North (2005) pour comprendrele processus de changement économique,en prolongement de ses travaux sur le rôledes schémas mentaux (Denzau et North,1994), s’inscrit également dans le courantcomportemental. Comme il l’écrit en intro-duction de son ouvrage, l’étude du fonc-tionnement du cerveau, notamment de lafaçon dont il comprend l’environnement,est à la base de sa théorie3.Un troisième courant, peut-être actuelle-ment celui qui traite le plus directement degouvernance, est celui du « Behavioral Lawand Economics » (voir notamment Jolls,Sunstein et Thaler, 1998 ; Korobkin et Ulen,2000 ; Korobkin, 2003 ; Parisi et Smith,2005 et Rachlinski, 2003). Il se situe à l’in-tersection de l’économie comportementaleet du droit4. Bien que pouvant être inclusedans l’économie comportementale, cette lit-térature s’est principalement développéechez les juristes américains en réactioncontre le courant « Law and Economics »d’inspiration coasienne, dont l’auteur leplus représentatif est Richard Posner (1973)auteur de l’ouvrage fondateur Economic

Analysis of Law dans le domaine. Le cou-rant comportemental cherche à construireune théorie du droit offrant un meilleurpouvoir explicatif, notamment au caractèrefréquemment paternaliste de la loi. Au-delàde l’objectif explicatif, ce courant vise àprescrire des mesures permettant de proté-

ger les individus contre les biais comporte-mentaux. La réflexion entreprise a conduit àdéfinir des concepts originaux tels que celuide « paternalisme asymétrique » (Camereret al., 2003), qui permet aux individus lesplus « irrationnels » d’améliorer leur situa-tion tout en ne nuisant pas aux individus lesplus « rationnels », c’est-à-dire en évitantles éventuels effets pervers de la protectionofferte. En raison de la connexion directeentre le droit et certains aspects de la gou-vernance, les auteurs du courant juridiquecomportemental ont réexaminé le fonction-nement de certains mécanismes tels que leconseil d’administration (par exemple, Coxet Munsinger, 1985 ou Langevoort, 2001).Cunningham (2002), au vu des failles de ladiscipline exercée par les seuls marchés,fait un certain nombre de recommandationsen matière de gouvernance, touchant àl’éducation des investisseurs (pour les« débiaiser »), à la régulation des marchés(il préconise des modifications du courtageet des appels de marge, etc.) ou à la correc-tion des effets des erreurs d’évaluation dansle domaine de la finance d’entreprise.Enfin, le quatrième courant, le plus souventignoré des économistes comportementauxen raison de la compartementalisation dis-ciplinaire, regroupe les nombreux travauxen management stratégique qui traitent del’influence des biais cognitifs sur les déci-sions des dirigeants. On y trouve desauteurs aussi importants que March etSimon, bien entendu, mais égalementHogarth (1980), Schwenck (1984, 1985) etBazerman (1986). Ce courant traite de ladimension interne des biais comportemen-

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3. North (2005), « …how the mind works and understands the environment is the foundation of this study ».4. Ce courant contient également des sous-courants en relation par exemple avec la neuro-économie (Chorvat,McCabe et Vernon Smith, 2004).

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taux évoquée par Sheffrin. Pour illustrerl’intérêt potentiel de ces travaux pour lafinance comportementale, on peut se référerà l’analyse faite par Barabel et Meier(2002) des douze types d’erreurs commiseslors d’une fusion-acquisition, en fonctiondes différentes phases de l’opération. L’in-térêt pour la gouvernance s’en déduitimmédiatement. L’influence du conseild’administration sur les schémas cognitifsdes dirigeants a également fait l’objet denombreuses études (par exemple, Forbes etMilliken, 1999 ou Rindova, 1999). Si leconseil peut biaiser les décisions des diri-geants, il peut également être considérécomme un instrument de débiaisage, ce quiconduit à une théorisation de la composi-tion du conseil différente de celle contenuedans la perspective disciplinaire. Ainsi,Langevoort (2001) considère que la compo-

sition mixte (administrateurs internes etexternes) des conseils est préférable car lesdeux catégories d’administrateurs inter-viennent différemment sur les biais des diri-geants.L’impression dominante qui ressort del’analyse de ces différents courants est laprépondérance de la vision anti-biais. Il faut« débiaiser » pour améliorer la qualité desdécisions ce qui permettra de créer davan-tage de valeur. Cette conclusion découleimplicitement de l’origine de l’approchecomportementale en économie qui s’estconstituée par référence au modèle néoclas-sique de la rationalité substantielle et del’efficience parétienne de premier rang. Cemode de raisonnement qui repose sur l’hy-pothèse implicite que l’idéal est potentielle-ment connaissable – par un être suprêmed’une rationalité absolue – induit lui-même

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Tableau 2LES PRINCIPAUX COURANTS DE LA LITTÉRATURE COMPORTEMENTALE

Financecomportementale

Expliquer lesanomalies desmarchés financiersUne extensionrécente vers lafinanced’entreprise visantà mieuxcomprendre lesdécisionsfinancières.

Shiller, Sheffrin,Shleifer, Thaler…

Économiecomportementale

Mieux comprendreles comportementséconomiques enintégrant,notamment, lesapports despsychologiescognitive etsociale.

Kahneman,Tversky, VernonSmith, Rabin,Camerer…

Courantcomportemental

« droit etéconomie »

Avoir une meilleurethéorie explicativedu droit, notammentde son caractèrepaternaliste.

Jolls, Korobkin,Langevoort,Cunningham…

Courantcomportemental en management

stratégique

Comprendrel’influence des biaiscognitifs sur lesdécisions desdirigeants.

Simon, March,Hogarth, Bazerman,Schwenk…

Objectif

Auteursreprésentatifs

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ses propres biais, par exemple la conceptionnégative des biais comportementaux quiprévaut. Or, certaines analyses considèrentque les biais peuvent avoir des effets béné-fiques. Comme l’a suggéré Elster (1998),les émotions peuvent corriger les indéter-minations du raisonnement calculatoire5.Le paradoxe du caractère occasionnelle-ment bénéfique des biais est particulière-ment bien illustré par La Blanc etRachlinski (2005) qui soutiennent la thèseque la surconfiance des investisseurs, enaccroissant le nombre de transactions,induit une meilleure révélation d’informa-tions et une plus grande liquidité des mar-chés. Les biais contribueraient ainsi à amé-liorer l’efficience informationnelle ! Enfin,il est trivial de dire que certains biais (opti-misme, surconfiance, etc.) peuvent égale-ment avoir des vertus en matière d’explora-tion et d’innovation.Pour accéder à une conception plus neutredes biais, il faut renoncer au mode de rai-sonnement traditionnel qui conduit, commel’a si bien souligné Demsetz (1969), àconsidérer que ce qui n’est pas idéal estinefficient, c’est-à-dire à tomber dans lepiège de la référence fallacieuse au Nir-vana. La perspective de la « remédiabilité»,selon le terme proposé par Williamson(1996), offre une alternative. Cette perspec-tive considère qu’une situation existante estefficiente à moins qu’on puisse décrire etmettre en œuvre une alternative réalisablepermettant d’obtenir un gain net (déduction

faite des coûts de mise en œuvre). On estainsi conduit à retenir comme référence,non pas une norme idéale (et inconnais-sable dans la réalité), mais une réalité exis-tante. Si, par exemple, certaines institutionsde gouvernance encouragent les dirigeantsà être surconfiants et à prendre davantagede risques, il est possible que les biaisinduits aient globalement un effet positif sila valeur qu’ils contribuent à créer, parexemple, à travers l’innovation, est supé-rieure aux coûts des erreurs en résultant.Cette argumentation mène à conclurequ’une certaine dose d’irrationalité peutêtre bénéfique. Elle suppose implicitementque, dans le monde réel, ambigu et impar-faitement connaissable, les gains liés à unelogique d’exploration et de construction denouvelles opportunités – de véritable« recherche » de valeur – peuvent l’empor-ter sur les gains associés à l’exploitationoptimale des opportunités existantes.

II. – COMMENT FAIRE ÉVOLUERLES MODÈLES DEGOUVERNANCE?

L’intégration de la dimension comporte-mentale dans les théories de la gouvernancedépend du modèle retenu. Si on adopte lecadre traditionnel et restrictif de la gouver-nance financière, l’intégration passe parl’évaluation de l’incidence des biais sur lescoûts d’agence entre dirigeants et parte-naires financiers. Si on mobilise une théorie

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5. Frank (1988), dans un ouvrage très original « Passions within Reasons », montre comment les passions peuventêtre au service des intérêts, lorsque les individus sont confrontés à des problèmes qui ne peuvent être résolus ration-nellement. Il considère l’exemple du vol d’une serviette de cuir d’une valeur minime par un proche de la victime.La conduite rationnelle pour le volé, compte tenu de son coût d’opportunité, selon le principe de maximisation del’espérance d’utilité, est de ne pas poursuivre pénalement le voleur. Mais un tel comportement implique de laisserle vol impuni. Une attitude apparemment irrationnelle, dictée par les émotions, conduit au contraire à poursuivre levoleur et donc, en dissuadant le vol, à mieux servir les intérêts des propriétaires sur le long terme.

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large de la gouvernance, de type synthé-tique (« cognitive et partenariale »), cetteintégration sera plus complexe puisqu’ilfaudra prendre en compte l’incidence desbiais, d’une part, sur les deux leviers (disci-plinaire et cognitif) de la création de valeur,d’autre part, sur les relations conflictuelles(au sens où les intérêts divergent) entre lesdifférentes parties prenantes. Tentons devoir comment peut se faire l’aménagementde ces deux grilles théoriques.

1. L’intégration de la dimensioncomportementale dans la gouvernancefinancière

Au sein du modèle juridico-financier domi-nant, le rôle des mécanismes de gouver-nance est de réduire au maximum les coûtsd’agence, c’est-à-dire les coûts résultantdes conflits d’intérêt dans les situations decoopération. Ces coûts sont égaux à lasomme des coûts de conception, de mise enœuvre et de maintenance des systèmes d’in-citation et de contrôle et de la perte rési-duelle, autrement dit du manque à gagnerlié à la résolution imparfaite de cesconflits6. Dans ce cadre disciplinaire, quiignore l’action sur la création de valeur parla voie cognitive (la construction notam-ment des opportunités d’investissement), ladimension comportementale est perçueexclusivement de façon négative. D’unepart, elle accroît les risques de décisionsous-optimale des dirigeants qui peuventmal percevoir ou mal exploiter les bonnes

opportunités, par exemple, en raison d’uneexploitation déficiente de l’information dis-ponible, d’erreurs d’évaluation, de timing

ou encore de réactions émotionnelles.D’autre part, elle est censée compromettrel’efficacité des mécanismes traditionnelscomme le conseil d’administration ou lemarché financier par suite des biais desadministrateurs, des analystes, des audi-teurs ou des investisseurs financiers. À titred’illustration, face à un projet d’acquisition,le dirigeant, en raison d’une surconfiancedans ses propres capacités, peut surévaluerles synergies avec la cible. Cette erreurd’évaluation ne sera pas nécessairementcorrigée par le conseil d’administration, s’ily a une forte soumission à l’autorité, ou parles investisseurs, s’ils sont eux-mêmes vic-times d’un biais d’optimisme.La dimension comportementale compliquel’analyse disciplinaire traditionnelle enremettant en cause les vertus présumées decertains mécanismes. Ainsi, pour Morck(2004), l’indépendance formelle des admi-nistrateurs est insuffisante si, en raison dusentiment de loyauté éprouvé habituelle-ment vis-à-vis de l’autorité légitime, ilsn’exercent pas un véritable contrôle du diri-geant. Paredes (2003, 2005), qui plus est,suggère que certaines mesures, au cœur dela conception disciplinaire de la gouver-nance, seraient à même de renforcer lesbiais comportementaux. Par exemple, leniveau élevé des rémunérations, qui résultede la mise en place des systèmes incitatifs

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6. Les coûts d’agence ne peuvent être annulés. Il y a toujours une perte « résiduelle », c’est-à-dire un manque àgagner par rapport à une situation optimale définie comme la situation qu’on atteindrait si la rationalité était par-faite, s’il n’y avait pas de conflits d’intérêts, si l’information était gratuitement accessible, etc. Remarquons que dansune approche par la remédiabilité, la notion de perte résiduelle est dénuée de sens. Toute évaluation d’un dispositifde gouvernance se fait sur la base d’une comparaison institutionnelle et se traduit soit par un gain net, soit par uneperte nette, selon le signe du solde résultant de la différence entre les gains de valeur permis par le dispositif et lescoûts qu’il induit.

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(bonus, stock-options), amplifierait le senti-ment de surconfiance des dirigeants en leuradressant un signal très positif sur leurscompétences. Plus largement, l’instaurationsystématique de garde fous aurait un effetsimilaire en donnant l’illusion aux diri-geants qu’ils sont prémunis contre tous lestypes d’erreurs. Or, comme le souligne Roe(2003), dans sa critique du modèle juridico-financier de la gouvernance, les gardesfous, notamment juridiques, visent princi-palement à protéger contre les comporte-ments peu scrupuleux des dirigeants et noncontre leurs erreurs de jugement. Si cesmécanismes parviennent à réduire les coûtsd’agence dus à l’opportunisme, ils échouentà corriger les erreurs de gestion se manifes-tant, par exemple, par une exploitationsous-optimale des opportunités d’investis-sement. Enfin, même le postulat naïf, selonlequel la transparence en matière d’infor-mation n’aurait que des effets bénéfiques,peut être battu en brèche. La transparenceentraînerait une surcharge d’informationpouvant provoquer une dégradation de laqualité des décisions : « trop d’informationtue l’information ».La prise de conscience des effets négatifs,tant des biais comportementaux sur les coûtsd’agence que des mécanismes disciplinairessur les biais, conduit à enrichir les réflexionssur les systèmes de gouvernance que ce soitsur le plan explicatif ou normatif.Dans une perspective explicative, l’intro-duction des biais conduit à considérer queles systèmes réels de gouvernance ont pourobjectif non seulement de réduire les coûtsd’agence au sens traditionnel, mais égale-ment les coûts comportementaux qui se sur-ajoutent à ces derniers. Comme déjà souli-gné, la composition hybride et le rôle réeldu conseil d’administration, qui dépasse la

seule fonction disciplinaire, peuvent s’ex-pliquer sur la base d’arguments comporte-mentaux (Cox et Munsinger, 1985 ; Bain-bridge, 2002 et Langevoort, 2001). Lecontenu de la loi sur les sociétés peut égale-ment être réinterprété en ce sens, en parti-culier pour les aspects touchant à la protec-tion des investisseurs financiers. Il estmême possible d’en déduire une théorie dessystèmes nationaux de gouvernance, alter-native aux théories juridico-financières oupolitiques (pour une synthèse voir Char-reaux, 2004), certains biais comportemen-taux étant contingents au contexte culturel.Le risque, bien entendu, de tomber dans lepiège du déterminisme culturel simplisten’est pas absent, mais de même que la for-mation du cadre juridique d’un pays reçoitsouvent une explication de nature histo-rique (voir par exemple, Acemoglu et al.,2001), certains biais collectifs semblent êtreapparus au cours de l’histoire. Ainsi, le sen-timent majoritairement hostile au marchéfinancier, présent dans certaines nations,semble trouver son origine dans les spolia-tions collectives d’ampleur nationale quiles ont frappées à certaines époques et il estvraisemblable que ces biais ont joué un rôledans la structuration des systèmes de gou-vernance. L’hostilité envers la finance demarché a pu conduire à renforcer le rôle desbanques et des formes de gouvernanceassociées. L’évolution des biais comporte-mentaux collectifs, à la suite de crisesmajeures, peut fournir une explication auxphénomènes de retournement constatés parRajan et Zingales (2003) dans certains payscomme la France dont le développementfinancier, sur la base du critère capitalisa-tion boursière/PNB, était supérieur à celuides États-Unis au début du XXe siècle. Plusgénéralement, l’analyse des systèmes de

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gouvernance peut être enrichie en considé-rant les rôles de débiaiseur ou de protectioncontre les biais joués par les mécanismes degouvernance, rôles qui diffèrent substan-tiellement de la fonction disciplinaire entre-vue habituellement sous le seul angle de lalutte contre l’opportunisme.Sur le plan normatif, comme mentionnédans le compte rendu de la littérature juri-dique comportementale, la prise en comptedes biais induit une conception plus pater-naliste de l’intervention publique. Une telleperspective peut notamment s’appliquer àla régulation des marchés financiers (Lan-gevoort, 2002 ; Loke, 2002) ou à la concep-tion du droit des sociétés (Greenfield,2002). Elle peut également conduire à pré-coniser des mesures en matière de composi-tion du conseil d’administration afin de cor-riger les biais cognitifs des décideurs, lesadministrateurs internes ayant un rôleimportant à jouer à cet égard, alors que leurrôle disciplinaire ne peut être que limitépour des raisons de subordination. Rappe-lons que, lors de la crise du Crédit Lyonnais(Charreaux, 1997), les administrateurs sala-riés avaient été les premiers et quasimentles seuls à alerter contre les risques associésà certaines décisions. Au-delà d’une simpledifférence d’accès à l’information, leurmise en garde trouvait vraisemblablementson origine dans une interprétation diffé-rente et dans une prise de conscience desbiais d’optimisme et de surconfiance quiaffectaient les principaux dirigeants dugroupe. La réflexion normative peut égale-ment s’exercer de façon critique en mettanten évidence les biais sous-jacents auxréformes de la gouvernance actuellementen cours, comme le fait Fanto (2002) à pro-pos de la France.

2. L’intégration de la dimensioncomportementale dans la gouvernancecognitive et partenariale

Si l’adoption d’une perspective partenarialese traduit par la prise en compte des coûtsd’agence nés des conflits d’intérêts oppo-sant les dirigeants, les investisseurs finan-ciers et les autres partenaires de la firme,elle n’entraîne pas, a priori, de change-ments fondamentaux dans l’étude de larelation entre les coûts d’agence et les biaiscomportementaux. Au niveau interne desbiais cognitifs des dirigeants, il suffit deconsidérer le rôle des autres catégories departies prenantes dans la formation desditsbiais. De même que la formation des sché-mas cognitifs des dirigeants est influencéepar les actionnaires (en particulier, lesdominants), la participation – même pas-sive sous forme d’une simple influence –des salariés et d’autres parties prenantes(créanciers, clients, fournisseurs, parte-naires, collectivités, etc.) à l’élaboration desdécisions conditionne les biais cognitifs desdirigeants et, à l’occasion, le contexte émo-tionnel (décisions de licenciement, ferme-ture d’établissement, etc.).L’analyse des mécanismes de gouvernancedevrait alors partir de l’hypothèse qu’ils ontpour rôle de réduire les conséquences desconflits d’intérêts entre parties prenantesmais en tenant compte des biais comporte-mentaux qui les affectent. Par exemple,l’intervention d’administrateurs salariéspeut agir sur les biais des dirigeants en leurfaisant mieux percevoir les conséquencessociales de leurs décisions. Dans cettehypothèse, si les coûts d’agence avec lessalariés et, plus généralement, les parte-naires autres que les investisseurs se trou-vent réduits, il peut, en revanche, en résul-

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ter un accroissement des coûts d’agenceavec les actionnaires. Le résultat en termesde surplus global, de « valeur partena-riale », est difficilement prévisible au vu del’imbrication des conflits d’intérêt et desdimensions comportementales.L’action des différents mécanismes de gou-vernance peut alors s’analyser en fonctionde leur incidence sur les coûts d’agence etles biais comportementaux. De nouveau,l’étude du conseil d’administration peuts’en trouver renouvelée, tant au niveau durôle des administrateurs salariés que decelui des administrateurs représentant cer-tains partenaires comme les banquiers oudes clients, fournisseurs ou sous-traitants.Comparativement à la perspective juridico-financière, l’originalité se situe dans l’éclai-rage porté aux conséquences des décisionspour les autres parties prenantes. Des méca-nismes externes tels que le droit ou lapresse peuvent également voir leur rôlereconsidéré. Ils peuvent se trouver légiti-més dans un souci non plus de protéger lesinvestisseurs financiers contre les biaisaffectant les dirigeants, mais comme desmécanismes paternalistes soucieux de pro-téger les salariés, les consommateurs contreleurs propres biais. Les lois imposant deconsulter les salariés lors de certaines opé-rations, celles offrant un temps de réflexionaux consommateurs, peuvent s’interprétercomme autant de mécanismes permettantde lutter contre les effets néfastes de cer-tains biais. Certes, ces mécanismes sont àmême de sécréter leurs propres biais, maisces phénomènes bien connus d’effets per-vers surviennent également dans le cadre

traditionnel de la gouvernance financièrecomme le met en évidence Jensen avec sonanalyse des coûts d’agence de la surévalua-tion. Ce dernier point mérite d’ailleurs uncommentaire particulier. Les mesures delimitation des rémunérations des dirigeants,souvent préconisées, peuvent recevoir unejustification comportementale, dans lamesure où des niveaux de rémunérationexcessifs risquent d’accentuer le biais desurconfiance des dirigeants et de renforcerles biais émotionnels (envie, jalousie, etc.)de certaines catégories de parties prenantes.Les vives réactions de l’opinion publiqueface à l’importance des indemnités dedépart perçues par l’ancien Président deCarrefour témoignent de l’existence de cerisque. La presse exerce également uneinfluence importante sur les biais comporte-mentaux. De même que la presse financièresemble avoir joué un rôle significatif dansla diffusion de l’idéologie actionnariale,une presse à sensibilité plus sociale orienteles biais des dirigeants dans le sens d’uneplus grande responsabilité sociale desentreprises.Toutefois, l’aménagement le plus original,dû à l’introduction de la dimension com-portementale, intervient dans l’analyse dulevier cognitif de la création de valeur. Pourmodéliser l’influence du rôle cognitif desactionnaires, Charreaux (2002b) introduitles notions de coûts d’agence cognitifs et degains cognitifs, sur la base d’une représen-tation théorique de la firme qui, si ellen’écarte pas la figure du nœud de contrats,retient également son rôle de processeur oude répertoire de connaissances7.

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7. Contrairement à ce qui est écrit parfois, ces deux approches ne sont pas incompatibles. Demsetz (1988) notam-ment propose une théorie de la firme qui concilie ces deux représentations.

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Dans cette analyse qui repose sur une expli-citation du lien entre les compétences de lafirme et la création de valeur, le gain cogni-tif correspond au supplément de valeur dû àl’apport de compétences par les différentesparties prenantes. Pour éviter l’ambiguïtédu terme « cognitif », nous utiliseronsdésormais, de préférence, le terme « gain decompétences », sachant que ces compé-tences trouvent leur principale source dansles bases de connaissances qu’apportent ouque contribuent à construire les différentesparties prenantes. L’entrée d’un actionnaireindustriel dans le capital s’accompagneainsi d’un gain de compétences, fondé surson capital de connaissances. Cette argu-mentation peut être étendue aux compé-tences des salariés, mais aussi à cellesapportées par les clients et les fournisseurspar l’entremise de relations de partenariat.Mais ces nouvelles compétences ont pourcontrepartie de créer également des coûtsd’agence « cognitifs » ou « coûts d’agencede compétences » différents des coûtsd’agence traditionnels de nature informa-tionnelle. Les coûts d’agence de compé-tences s’expliquent non par les conflitsd’intérêts mais par ceux issus des diffé-rences de compétences entre parties pre-nantes (actionnaires dominants, salariés, etc.)et dirigeants. Ces coûts sont, par exemple,associés aux conflits concernant la visionstratégique à adopter, la construction et ledéveloppement des bases de connaissanceet de compétences ou, encore, les modes derésolution des problèmes de coordinationnés de ces conflits. Dans une telle perspec-tive, le rôle du système de gouvernance estd’accroître les gains de compétences tout enréduisant les coûts d’agence de compé-tences, sachant que les deux dimensionspeuvent être imbriquées. Une réduction des

coûts d’agence de compétences, par élimi-nation des incompatibilités entre partiesprenantes, peut priver la firme de la variéténécessaire à l’innovation et à l’adaptation.Pour illustrer cet argument, il suffit d’évo-quer une réorientation stratégique condui-sant un dirigeant à se séparer des cadresdont les compétences sont désormais jugéesinutiles. Le même raisonnement peut êtretransposé à des partenariats s’accompa-gnant éventuellement de participationsfinancières, croisées ou non.Comment se greffe la notion de biais com-portemental sur celles de gains et de coûtsde compétences? À certains égards, cesnotions comportent déjà une dimensioncomportementale puisque la constitutiondes bases de connaissances, qui sous-ten-dent les compétences et la formulation desstratégies, s’appuie sur des schémas men-taux, des « modèles » qui, souvent, sont descroyances communes et qui, à ce titre,s’inscrivent dans la catégorie des « biais »cognitifs. Le terme de biais, qui contientimplicitement la notion d’erreur, peutd’ailleurs paraître très abusif dans ce cas,tous les modèles utilisés étant plus oumoins imparfaits, infirmés et incomplets.Pour échapper à cette vision restrictive dubiais, issue de la comparaison avec le réfé-rentiel néoclassique, il serait préférable deparler d’« orientation cognitive ». Lerecours à des modèles, à des « cartes cogni-tives » imparfaites mais non dominées auvu de l’état des connaissances scientifiques,est difficilement assimilable à la catégoriedes biais émotionnels ou des erreurs cogni-tives du type « pensée magique ». Les gainset les coûts de compétences, au sein de lathéorie « cognitive » de la gouvernance, ontdonc bien davantage une dimension com-portementale associée à la notion d’orienta-

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tion cognitive plutôt qu’à celle de biais dansson acception la plus courante. Dans cecontexte, le rôle du système de gouver-nance est de faire prendre conscience de cesorientations plus ou moins explicites, parexemple, des schémas mentaux qui sous-tendent les stratégies de reconcentration surle cœur de métier.Mais cette fonction de « révélation » desorientations cognitives est loin d’épuiserl’apport que peut représenter la démarchecomportementale pour enrichir l’analysedes coûts et des gains de compétences. Leplus souvent, comme l’ont montré les nom-breuses recherches sur les décisions mana-gériales, les choix stratégiques portant, parexemple, sur les compétences à construireet à mobiliser, sont conditionnés par deserreurs évidentes de raisonnement, uncontexte émotionnel allant bien au-delà dela simple divergence des modèles cognitifs,dont les conséquences peuvent être lourdes.Le rôle du système de gouvernance consistealors à protéger les dirigeants contre ce typed’erreurs. De nouveau, la composition etles rôles observés du conseil d’administra-tion peuvent mieux s’appréhender danscette perspective, notamment le rôle qu’iljoue dans l’élaboration et le contrôle de lastratégie et l’importance accordée au critèrede la compétence, qui vient souvent au pre-mier rang, dans le recrutement des adminis-trateurs externes.Cette dimension conduit également àréinterpréter le rôle d’autres mécanismes degouvernance, voire à en introduire de nou-

veaux. Considérons les réseaux de diri-geants et d’administrateurs, un mécanismeexterne dont le rôle est perçu négativementdans la perspective disciplinaire. Cesréseaux peuvent apparaître non seulementcomme un vecteur de mobilisation de com-pétences, mais aussi comme des méca-nismes permettant de mettre à l’épreuve lesschémas cognitifs des dirigeants8 et de pré-venir ou de corriger leurs erreurs. Laconception du droit intervient également,en fermant ou en rendant plus coûteusescertaines options (rôle contraignant), maisaussi en orientant vers d’autres solutions(rôle habilitant). Le paternalisme, s’ilconduit à protéger certaines catégories departies prenantes contre les effets négatifsde certaines décisions managériales, orienteégalement vers des solutions innovantesdans d’autres domaines, illustrant ainsi lerôle de matrice cognitive des institutionssouligné par Aoki (2001). L’analyse de Roe(1990) concernant l’émergence du systèmede gouvernance américain permet d’illus-trer ce double rôle contraignant/habilitantdes biais. La structure très spécifique de cesystème, qui constitue plutôt une exceptionau niveau international9, serait une consé-quence de l’hostilité du mouvement popu-liste américain envers un pouvoir bancairefort, c’est-à-dire d’un biais comportementalparticulier. La contrainte en résultant auraitpermis le développement du marché finan-cier américain.L’argument comportemental, en accompa-gnement de la dimension compétences, per-

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8. Le rôle des réseaux comme instruments de mise à l’épreuve des schémas cognitifs est d’ailleurs bien connu dansle contexte scientifique.9. Il s’agit ici encore d’un biais cognitif des chercheurs puisque le système américain est souvent considéré commela norme alors qu’il s’agit en fait d’une exception, puisque c’est quasiment le seul système où la séparation pro-priété/dirigeants soit très prononcée, tout au moins dans les plus grandes firmes.

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met également d’interpréter les systèmes deformation comme des mécanismes de gou-vernance à part entière, dans la mesure oùils orientent la formation des compétenceset contribuent à la construction des schémasmentaux. Pour revenir au cas français, il estvraisemblable que la formation acquise àPolytechnique ou à l’Éna oriente les diri-geants issus de ces écoles vers des optionsparticulières, tout en les prévenant simulta-nément contre certains biais10. Dans lecontexte américain, l’influence grandis-sante de la finance dans les enseignementsde gestion et la conquête du pouvoir par lescadres ayant exercé des fonctions finan-cières (Zorn, 2003) a probablement orientél’évolution du système de gouvernance versla perspective actionnariale.Ces différents exemples, s’ils illustrent larichesse potentielle d’une greffe de ladimension comportementale sur l’analyse« cognitive » de la gouvernance, en révèlentégalement la complexité. Si certains méca-nismes trouvent leur justification dans leurcapacité de débiaisage cognitif pouvant, enparticulier, conduire à explorer de nouvellesopportunités, inversement, les effets per-vers liés aux orientations cognitives et auxbiais induits ne sont pas exclus, confirmantainsi l’ambiguïté du rôle des systèmes degouvernance, leviers d’efficience mais éga-lement inducteurs d’effets pervers.L’exemple de la surévaluation des coursboursiers, souvent attribuée au mode derémunérations des dirigeants, en constitueune illustration ; les effets pervers de la sur-évaluation semblent l’avoir emporté sur lesgains procurés par les systèmes incitatifs.La dimension cognitive permet de plus de

reconsidérer le rôle de certains biais, parexemple ceux d’optimisme et de surcon-fiance souvent présents chez les dirigeants.Ces biais induisent certes des risquesimportants, mais inversement ne sont-ilspas une condition à l’existence même del’esprit entrepreneurial, permettant une pluslarge exploration des opportunités et davan-tage d’innovation? Un système de gouver-nance qui viserait à éliminer systématique-ment ce type de biais ne risquerait-il pas deconduire à une dégradation de la perfor-mance sur le long terme? La création dessociétés à responsabilité limitée n’est-ellepas une reconnaissance directe des vertusattribuées à la prise de risque ? À ce titre,l’accent mis sur la dimension disciplinairede la gouvernance et l’accroissement corré-latif de la mise en cause des responsabilitésne risquent-t-ils pas, à terme, de produire uneffet négatif sur la prise de risque néces-saire au développement du capitalisme?

CONCLUSION

De nombreuses dimensions des systèmes degouvernance, incomprises ou non perçues,semblent s’expliquer en intégrant la dimen-sion comportementale dans les théories dela gouvernance. Cette intégration peuts’opérer en sauvegardant un cadre d’analysereposant sur la logique de la création devaleur, mais élargi pour tenir compte de l’in-cidence des biais comportementaux. Il suffitde greffer l’incidence de ces biais tant surles coûts d’agence traditionnels associés auxconflits d’intérêts, que sur les gains et lescoûts de compétences. Le tableau 3 résumel’évolution de la grille d’analyse selon les

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10. Leur caractère élitiste peut également contribuer à accroître le biais de surconfiance.

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différentes approches de la gouvernance.Pour simplifier, la gouvernance comporte-mentale y est considérée uniquement11 sous

la forme d’un élargissement du modèle de lagouvernance partenariale et cognitive (ausens des compétences).

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Tableau 3INFLUENCE SUR LA VALEUR ET RÔLE DU SYSTÈME DE GOUVERNANCE

SELON LES DIFFÉRENTES APPROCHES

Gouvernance juridico-financière

Coûts d’agence« informationnels » liés auxconflits d’intérêts entredirigeants et investisseursfinanciers : coûts defonctionnement desmécanismes et pertesrésiduelles définies parrapport à la norme idéale.

Les « gains » sont définis entermes de réduction descoûts d’agenceinformationnels, c’est-à-direde rapprochement vers lanorme.Il n’y a pas de gainsd’exploration, tout serésumant à un problème detransfert d’information.

Levier disciplinaire.Réduction des conflitsd’intérêts et des coûtsd’agence.

Gouvernance partenarialedisciplinaire et « cognitive »

Approche par la remédiabilité :la notion de perte résiduelle

n’est plus pertinente12.– coûts d’agenceinformationnels généralisés auxdifférentes parties prenantes ;– coûts d’agence decompétences liés aux conflitsde compétences entre lesdifférentes parties prenantes :coûts de fonctionnement desmécanismes (incluant le coûtdes effets pervers).

Gains « cognitifs » liés auxcompétences conduisant à unemeilleure vision, à laconstruction d’opportunités, àun meilleur avantagecomparatif…

Leviers disciplinaire et cognitif.Accroître le gain net en tenantcompte de l’interdépendancedes gains et des coûts et desdimensions disciplinaires etcognitives

Gouvernancecomportementale

Coûts d’agence et coûtsde compétence modifiéspar les biaiscomportementaux.Coûts de fonctionnementincluant le coût des effetspervers.

Gains de compétencesmodifiés par les biaiscomportementaux.

Leviers disciplinaire,cognitif etcomportemental.Accroître le gain net entenant compte del’influence des biaiscomportementaux.Il peut être efficient delaisser certains biaissubsister en partie.

Coûts

Gains

Rôle du système degouvernance

11. Il serait également possible d’ajouter une colonne présentant une version comportementale de la gouvernancefinancière.12. La notion de perte résiduelle n’intervient pas car, dans l’approche de la remédiabilité, on ne se positionne paspar rapport à une situation idéale dans l’absolu (efficience de premier rang), mais dans une perspective comparativeavec la meilleure alternative réalisable. S’il y avait une perte résiduelle par rapport à cette dernière, cela signifieraitque la situation serait dominée par l’alternative, donc qu’elle serait inefficiente.

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Quelle que soit l’approche retenue, la confi-guration et le rôle du système de gouver-nance reposent sur une logique d’efficienceexprimée soit sous la forme d’une réductiondes coûts d’agence, donc d’un rapproche-ment vers l’efficience de premier rang(approche juridico-financière), soit, pourles autres approches, sous celle d’une diffé-rence positive entre gains et coûts, relative-ment à la meilleure solution alternative réa-lisable, selon la logique de la remédiabilité.L’intérêt de la gouvernance comportemen-tale apparaît double. Premièrement, ellepermet de mieux comprendre l’inefficacitéde certains mécanismes disciplinaires tradi-tionnels illustrée, par exemple, par la fai-blesse (sinon l’inexistence) des liens unis-sant la performance à la présenced’administrateurs indépendants ou à lacomposition des packages de rémunérationdes dirigeants. Deuxièmement, elle conduit,à travers l’approche du paternalisme, à élar-gir le périmètre des institutions consti-tutives des systèmes de gouvernance, en yincluant, par exemple, les systèmes obliga-toires de protection sociale, ce qui impliqueune réévaluation du rôle de l’État dans lagouvernance.Dans le courant de la gouvernance juridico-financière, fortement influencé par l’idéolo-gie libérale, l’intervention de l’État est sou-vent perçue très négativement. Ainsi, parexemple, dans l’approche juridico-finan-cière de La Porta et al. (1997, 1998), l’infé-riorité présumée du cadre juridique consti-tué par le droit civil français est imputée,notamment, au renforcement du rôle de l’État auquel il conduirait. Ce cadre favori-serait tant le développement de rigiditésque les comportements d’appropriation derentes par la bureaucratie étatique. Une telleargumentation, à supposer qu’elle soit

valide (Charreaux, 2004), reste cependanttrès incomplète dans la mesure où elleignore le rôle positif souvent joué par l’Étatdans la formation et la construction descompétences, sinon dans la définition desgrands axes d’une politique économique,ainsi que dans la protection des citoyenscontre les biais à travers également la for-mation et la protection sociale.Une théorie de la gouvernance incapabled’expliquer le rôle protecteur de l’État et dela loi ne peut apparaître que très incomplèteet l’introduction des dimensions comporte-mentales constitue une piste particulière-ment prometteuse dans cette direction. Lerôle de l’État, via la contrainte et la régle-mentation, peut s’avérer particulièrementutile pour protéger les salariés mais égale-ment les investisseurs financiers. Si cer-taines réformes post-Enron sont souventinterprétées, selon la perspective discipli-naire, comme un moyen de prévenir lesconflits d’intérêts, dans certains cas, ellespeuvent également recevoir une interpréta-tion de nature comportementale. Unemesure telle que la séparation des fonctionsde président du conseil d’administration etde directeur général, a, à l’évidence, desconséquences sur le contrôle des biais com-portementaux. Il ne faut pas en conclurepour autant que l’approche comportemen-tale conduise systématiquement à préconi-ser un renforcement du rôle de l’État. Leshommes politiques et la bureaucratie éta-tique sont également affectés par les biaiscomportementaux et il n’est pas sûr queleurs conséquences sont moins domma-geables que les biais qu’ils cherchent à cor-riger mais, tout au moins, la question a lemérite d’être posée.La dimension comportementale permetégalement d’éclairer d’un jour nouveau cer-

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taines évolutions des systèmes de gouver-nance. Considérons, par exemple, laréforme de la comptabilité que constituel’introduction de la fair value, dont la justi-fication est de nature financière : elle per-mettrait en améliorant la qualité de l’infor-mation d’assurer une meilleure gestion desconflits d’intérêts entre dirigeants et inves-tisseurs financiers. Or, ce résultat est loind’être garanti. D’une part, en raison desbiais comportementaux qui semblent frap-per à l’occasion les marchés, provoquantdes bulles spéculatives, la valeur de marchépeut s’écarter sensiblement de la valeurintrinsèque. D’autre part, l’application de laméthode passe par l’utilisation de modèlescensés permettre l’évaluation d’une valeurintrinsèque, modèles qui, outre le fait qu’ilspeuvent être manipulés, sont d’une com-plexité cognitive supérieure aux modèlesfondés sur les valeurs historiques. Les coûtsassociés à cet accroissement de la vulnéra-bilité et de la complexité ne risquent-ils pasd’être supérieurs aux gains attendus de cetteréforme?

Enfin, au-delà de l’élargissement de l’ana-lyse institutionnelle qui se produit lorsqueles dimensions incitatives et cognitives desinstitutions interviennent de concert et quiest accentué par l’introduction de la dimen-sion comportementale, il faut égalementinsister sur deux conséquences qui noussemblent potentiellement très positives pourle développement de la recherche en financeet en gouvernance et, plus largement, ensciences de gestion. Premièrement, le déve-loppement de l’approche comportementaleconduit à un rapprochement de la finance etde la gouvernance avec les autres sciencesde gestion qui, pour certaines d’entre elles,ont intégré, depuis très longtemps, lesdimensions comportementales, ce qui peutfaciliter un enrichissement mutuel. Deuxiè-mement, ce développement peut permettred’établir des ponts entre les approches insti-tutionnelles fondées sur l’efficience et celless’inscrivant dans le paradigme de la légiti-mité dans la mesure où des notions tellesque l’équité peuvent s’interpréter commedes biais comportementaux.

234 Revue française de gestion

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