Pour Une Revolution Fiscale

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Camille Landais, Thomas Piketty

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  • Pour une rvolution fiscale

  • Camille landais Thomas Piketty Emmanuel Saez

    1 Pour une rvolution fiscale 1 Un impt sur le revenu pour le XXle sicle

    www.revolution-fiscale.fr

    ,--, LA REPUBLIQUE DES IDEES

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    Seui 1 .

  • Collection dirige par Pierre Rosanvallon

    et Ivan Jablonka

    ISBN: 978-2-02-103941-2

    ditions du Seuil et La Rpublique des Ides, janvier 2011 Le Code de la proprit intellectuelle interdit les copies ou reproductions destines une utilisation collenive. Toute [('prsentation ou reproduction intgrale ou partielle faire par quelque procd que Ct' soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ay~tn(s cause, est illicite et constitue une contrd"aon sanctionne par les articles L. 335-2 (:t suivants du Code de la proprit intellectuelle.

    www.editionsduseuil.com www.repid.com

  • INTRODUCTION

    Rompre avec l'inertie fiscale

    Tout le monde en convient: la fiscalit fran-aise est asphyxie par sa complexit et par sa faible progressivit relle, qui menacent de rompre le lien de confiance entre les citoyens et l'impt. Chacun suspecte son voisin de mieux tirer parti que lui du systme en vigueur. Et chacun souponne - avec raison -les plus aiss de s'en sortir mieux que tout le monde, ce qui rend trs difficile l'acceptation des rformes et des efforts partager. Le problme aujourd'hui n'est ni de rduire ni d'aug-menter les impts. Il s'agit bien plutt de les remettre plat, de mieux les rpartir, de les rendre plus simples, plus quitables et plus lisibles.

    Tout le monde en convient, mais personne ne fait rien. Pire encore: malgr les discours, l'accumulation invraisemblable de niches fiscales se poursuit chaque anne. Qu'il s'agisse des cadeaux aux plus riches (bouclier fiscal, ISF, successions) ou des mesures s'adressant des groupes plus larges (intrts d'emprunt, heures supplmentaires), la politique fiscale de l'actuel gouver-nement a surtout consist ajouter de nouvelles couches de com-plexit et de rgles drogatoires un systme fiscal qui en compte dj beaucoup trop. Et les propositions de rvolution fiscale actuellement brandies gauche comme droite sont tellement floues et engagent si peu leurs auteurs qu'il y a fort parier que

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    l'inertie, l'accumulation de rustines et l'absence de rforme de fond perdureront aprs 2012.

    Ce livre tente de rompre avec cet tat de fait. Il plaide pour une rvolution fiscale prcise et oprationnelle, dont tous les dtails sont chiffrs au grand jour. Nous proposons en particulier la cration d'un nouvel impt sur le revenu, remplaant un grand nombre de taxes existantes, notamment la contribution sociale gnralise (CSG), l'actuel impt sur le revenu (qui, sous sa forme actuelle, serait putement et simplement supprim), le prlvement libratoire, la prime pour l'emploi et le bouclier fiscal. Ce nouvel impt sur le revenu, pay par tous les Franais et socialement adapt la France du xxI" sicle, sera entirement individualis, prlev directement la source sur les revenus du travail et du capital (comme l'actuelle CSG, et avec la mme assiette que cette dernire), suivant un barme progressif (comme l'actuel impt Sut le revenu). Une partie des recettes de ce nouvel impt sur le revenu - qui se prsente de facto comme une extension de l'actuelle CSG, mais avec un barme progressif - sera affecte la protection sociale, exactement de la mme faon que l'actuelle CSG.

    En d'autres termes, il s'agit d'une refondation complte du systme d'impts directs cr en France en 1914, refondation bien plus profonde et plus ample que les rformes de 1945, 1959 et 1990. Trois principes guident cette rvolution.

    quit. progressivit. dmocratie

    quit: le prlvement la source et la suppression des niches fiscales permettront de rtablir le principe revenu gal, impt gal . Ce principe minimal d'quit horizontale, fonde-ment essentiel du consentement l'impt, et sans lequel il ne peut donc exister d'impt juste et accept par tous, n'est tout simple-

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  • INTRODUCTION

    ment plus respect dans le systme actuel, et cette situation menace nos yeux l'ensemble de l'difice. quit, en particulier, entre revenus du travail et revenus du capital: les seconds sont aujourd'hui largement dtaxs en France, et ils seront dsormais imposs sur un pied d'galit avec les premiers - ni plus, ni moins.

    quit galement entre hommes et femmes: l'individuali-sation et la suppression du quotient conjugal permettront que les femmes cessent enfin d'tre traites comme un revenu d'appoint. Chacun sera impos en fonction de son revenu propre, et non du revenu de son conjoint. Le systme fiscal sera neutre vis--vis des choix de vie familiale des uns et des autres. Un nouveau systme de prise en compte des enfants, plus simple et plus juste, remplacera l'actuel quotient familial. La rforme que nous proposons a des effets trs positifs la fois sur l'galit professionnelle hommes/ femmes et sur la participation fminine au march du travail.

    Progressivit: cette refondation permet de mettre en place des taux effectifs d'imposition rellement plus levs pour les hauts revenus que pour les bas et moyens revenus, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Contrairement une ide rpandue, les travailleurs bas salaire sont des contribuables lourdement imposs dans le sys-tme actuel, et en aucune faon des assists . Si l'on prend en compte l'ensemble des prlvements obligatoires (y compris les cotisations sociales et les impts sur la consommation, qui ne sont indolores que pour ceux qui ne font jamais leurs courses), on constate que les revenus modestes supportent aujourd'hui des impts extrmement levs - avec des taux effectifs d'imposition de l'ordre de 45 % 50 %, alors que les plus riches sont 30 % ou 35 %.

    Un tel systme n'est ni juste, ni efficace. Il suscite la dfiance des citoyens-contribuables et menace l'quilibre dmocratique du pays. Grce la suppression des niches fiscales, l'extension de l'assiette d'imposition aux revenus du capital et la mise en place d'un barme progressif en lieu et place de l'actuelle CSG, notre rforme permet de rduire la pression fiscale et d'augmenter le

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    pouvoir d'achat pour le plus grand nombre. Nous proposons un nouveau barme permettant de rduire les impts jusqu' des revenus bruts mensuels individuels de 7000 euros, soit prs de 97 % de la population. Au-del, les taux effectifs d'imposition n'augmentent que de quelques pourcent (sauf videmment pour ceux qui bnficient trs fortement de niches particulires), et les augmentations n'atteignent 10 % du revenu que pour des revenus de l'ordre de 50000 euros par mois - ce qui reste modr.

    www.revolution-fiscale.fr

    Enfin et surtout, dmocratie: nous dfendons une rforme prcise, mais nous ne prtendons nullement qu'elle est parfaite. Notre principal objectif est de donner aux lecteurs, citoyens, mili-tants ou responsables politiques et syndicaux de toutes tendances, les moyens de concevoir leur propre rforme alternative. Le pr-sent livre est indissociable d'un site Internet: www.revolution-fiscale.fr. L'objectif central de ce nouvel outil est de permettre aux citoyens de s'approprier la question fiscale et de contribuer ainsi l'mergence d'un large dbat public. Ce site permet en effet chacun de modifier la fois les paramtres-cls du sys-tme fiscal actuel et ceux de la rforme propose (notamment le barme d'imposition) et d'tudier ainsi leurs consquences sur les revenus des Franais, les ingalits ou l'quilibre budgtaire, autant de questions centrales l'approche de 2012. Chacun peut ainsi prendre ses responsabilits en vue de la confrontation venu.

    La question des impts est en effet tout sauf technique: il s'agit d'une question minemment politique et philosophique, sans doute la premire d'entre toutes. Sans impts, il ne peut exister de destin commun et de capacit collective agir. Il en a toujours t ainsi. L'Ancien Rgime disparat quand les rvolu-

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  • INTRODUCTION

    tionnaires votent l'abolition des privilges fiscaux de la noblesse et du clerg et mettent en place une fiscalit universelle et moderne. La Rvolution amricaine nat de la volont des sujets des colonies britanniques de prendre en main leurs propres impts et leur propre destin (

  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    droite - sur le fait que l'impt sur le revenu et la CSG doivent tre fusionns. En vrit, il n'existe ce stade aucun consensus de cette nature, et si les lections avaient lieu demain, il est probable que rien ne serait fait, quelle qu'en soit l'issue. Pour une raison simple: personne n'a dit clairement pourquoi et comment cette fusion devait se faire (la CSG individuelle et prleve la source doit-elle absorber l'impt sur le revenu familial et dclaratif, ou bien est-ce le contraire ?). Or les opinions sur cette question sont encore plus nombreuses que les courants au PS et les courtisans l'UMP.

    Dans ce livre, nous proposons une solution prcise et chif-fre : la CSG doit absorber entirement l'impt sur le revenu, mais avec un barme progressif. Cette solution nous semble tre la meilleure faon d'viter les blocages et d'avancer dans la rforme - car, nos yeux, l'actuel impt sur le revenu est telle-ment mit par les niches et la complexit qu'il ne peut tout sim-plement plus tre rform.

    Chacun est libre, bien sr, d'avoir un avis diffrent et de proposer une solution alternative - condition toutefois qu'elle soit prcise et chiffre. C'est exactement ce que permet le site associ ce livre, www.revolution-fiscale.fr : l'objectif est la fois de permettre aux citoyens de se faire une opinion sur les diff-rentes rformes possibles, et de contraindre (et aider) les respon-sables politiques prendre leurs responsabilits et s'engager sur des programmes prcis.

    Mode d'emploi du livre et du site Internet

    Le site www.revolution-fiscale.fr repose sur plusieurs inno-vations techniques. Tout d'abord, il s'agit de la premire fois en France, et notre connaissance dans le monde, qu'un simulateur fiscal permet tout un chacun de calculer en temps rel l' impact

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  • INTRODUCTION

    conomique, social et budgtaire d'une rforme fiscale de grande ampleur. Par exemple, il faut moins de quatre secondes pour simuler les recettes en milliards d'euros associes n'importe quelle modification du barme d'imposition. Ceci est extrme-ment rapide, dans la mesure o la simulation repose sur le calcul de l'impt d par environ 800000 individus virtuels reprsen-tatifs de la population franaise.

    Ce type de simulateur n'tait jusqu'ici disponible que dans les ministres des Finances et dans certains pays au sein des Par-lements (comme aux tats-Unis, avec le Congressional Budget Office). En France, ni l'Assemble nationale ni le Snat ne dis-posent de ce type d'outil, et les dputs doivent s'adresser Bercy pour obtenir un chiffrage chaque fois qu'un nouvel amende-ment fiscal ou budgtaire est propos. Cela limite singulirement la capacit d'initiative et de contrle du pouvoir lgislatif, et signe la domination en France du pouvoir excutif. Avec ce site Internet, nous mettons un tel outil la porte de tous les citoyens et, en particulier, des parlementaires.

    La principale nouveaut technique du simulateur est que nous prenons en compte la totalit des prlvements obli-gatoires : impts sur le revenu, impts sur le capital, impts sur la consommation, cotisations sociales. Par construction, le taux moyen d'imposition - tous individus confondus - est gal au taux macroconomique de prlvements obligatoires, soit 49 % du revenu national en 2010. Cela nous permet d'analyser la pro-gressivit de l'ensemble du systme fiscal franais, ce qui n'avait jamais t fait jusqu'ici, et de proposer aux internautes des simu-lations de l'ensemble des prlvements (et pas seulement des impts sur le revenu). Le simulateur inclut galement l'ensemble des revenus de transferts, qu'il s'agisse des revenus de remplace-ment (pensions de retraites et allocations chmage) ou des trans-ferts purs (prestations familiales, minima sociaux, allocations logement).

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    Ces innovations ont t rendues possibles la fois par les avances de la technologie (une plus grande puissance de calcul des serveurs) et de la recherche conomique (portant notamment sur les rpartitions de revenus et de patrimoines et leur forme sta-tistique, ainsi que sur l'incidence fiscale et la fiscalit optimale). Techniquement, le simulateur repose sur des fichiers virtuels contenant environ 800 000 observations individuelles fictives et plusieurs centaines de variables (ge, sexe, situation de famille, revenus, patrimoines, etc.). Ces fichiers sont virtuels, dans le sens o aucune des lignes individuelles ne correspond un individu rel ayant vritablement exist. Toutes les observations ont t gnres par tirage alatoire, de faon ce que les fichiers dans leur ensemble soient parfaitement reprsentatifs de la population franaise.

    Pour constituer ces fichiers virtuels, nous avons utilis les informations brutes issues de multiples sources d'accs public: donnes macroconomiques (comptes nationaux), donnes dmo-graphiques, multiples enqutes INSEE (emploi, logement, bud-gets des familles, patrimoine, etc.) et donnes fiscales (extractions et tabulations issues des dclarations de revenus, de fortunes et de successions). Par exemple, les fichiers virtuels reproduisent par-faitement la rpartition des revenus par centile effectivement observe dans les dclarations de revenus, ce qui garantit la fiabilit des simulations d'impt sur le revenu. Puisque aucune observation ne correspond un individu rel, les fichiers res-pectent videmment les rgles du secret statistique et fiscal. Aucune information directement ou indirectement nominative ne peut tre extraite de ces fichiers, qui reposent uniquement sur des lois statistiques et des donnes publiques, et non sur des per-sonnes particulires. Techniquement, il n'existe d'ailleurs aucune autre faon de programmer un tel simulateur fiscal: aucun fichier nominatif existant ne rassemble toutes les variables dont nous avons besoin pour simuler l'ensemble des prlvements obligatoires.

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  • INTRODUCTION

    L'ensemble de ces fichiers individuels virtuels et des programmes informatiques utiliss pour simuler le systme fiscalo-social franais sont disponibles en ligne sur le site www.revolution-fiscale.fr. Nous demandons simplement aux personnes utilisant nos fichiers et programmes d'indiquer leur source. Une procdure automatique permet de faire fonctionner le simulateur sur n'importe quelle anne de la priode 2005-2012. Les fichiers et programmes seront rgulirement mis jour au cours des mois et annes venir, au fur et mesure que de nouvelles donnes et prvisions conomiques seront disponibles!.

    Nous avons fait de notre mieux pour programmer le simu-lateur de la faon la plus exacte possible, mais nous ne pouvons malheureusement pas exclure des erreurs. Nous remercions par avance les internautes et lecteurs qui voudront bien nous signaler de possibles amliorations dans nos programmes ou des dsac-cords sur les mthodes utilises (en particulier pour ce qui concerne nos hypothses d'incidence fiscale des diffrents prl-vements). Nous mettrons rgulirement en ligne les corrections correspondantes.

    Le lecteur intress trouvera galement sur www.revolution-fiscale.fr des annexes donnant tous les dtails sur l'ensemble des chiffres, tableaux et graphiques prsents dans ce livre. Cela est d'autant plus indispensable que les questions de revenus, de patrimoines, et plus encore les questions d'impts, constituent fort naturellement des matires extrmement polmiques - sur lesquelles il n'est pas rare d'entendre et de lire tout et son

    --l-.-Nous remercions nos institutions d'appartenance, en particulier l'cole d'conomie de Paris (Institut d'valuation de politiques publiques) et l'universit de Californie/Berkeley (Center for Equitable Growth), pour le soutien logistique et financier apport au dveloppement et la mise jour du site Internet, sans vi-demment les impliquer dans les propositions spcifiques de rforme fiscale dfen-dues dans ce livre, qui n'engagenr que les auteurs. Nous remercions Guillaume Saint-Jacques pour son aide prcieuse pour le dveloppement du site Internet.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    contraire en matire de chiffres, gnralement sans indication prcise sur les sources et mthodes utilises. Dans notre cas, tout est document, et tous nos calculs et estimations peuvent tre reproduits dans leurs moindres dtails. L encore, nous remer-cions par avance les internautes qui voudront bien nous signaler d'ventuelles inexactitudes ou amliorations.

  • CHAPITRE PREMIER

    Revenus et impts en France Trop souvent, le dbat fiscal franais se

    rduit des caricatures, commencer par celle-ci: Seule la moiti des Franais paie l'impt. C'est oublier qu'il, y a bien d'autres impts que l'impt sur le revenu et que ce dernier ne reprsente que 6 % du total des prlvements obligatoires (50 milliards d'euros sur 820 milliards). Les 94 autres pourcent sont pays par tous, et notamment par les revenus modestes!

    Pour parvenir un dbat serein et inform, il est indis-pensable de commencer par avoir une vision d'ensemble de la ralit des revenus et des impts dans la France d'aujourd'hui. C'est la premire contribution importante de ce livre. Le site www.revolution-fiscale.fr permet pour la premire fois de prendre en compte l'ensemble des impts, taxes et prlvements relle-ment acquitts par les Franais. Il s'agit avant tout d'un exercice de transparence dmocratique, sans lequel aucune rforme d'enver-gure n'est envisageable.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    Un revenu moyen de 33 000 euros par an et par adulte

    Quel est le vritable revenu moyen des Franais? Pour rpondre cette question, il est utile de commencer par prsenter la notion de revenu national , qui permet d'analyser le revenu dans sa dimension la plus large, et laquelle nous aurons fr-quemment recours dans ce livre. Par dfinition, le revenu national mesure l'ensemble des revenus avant impts dont disposent les rsidents d'un pays donn, quelle que soit la forme juridique que prennent ces revenus, et en particulier qu'ils soient soumis ou non aux diffrents impts et taxes existants.

    Le revenu national est troitement reli la notion de pro-duit intrieur brut (PIB), souvent utilise dans le dbat public, avec toutefois deux diffrences importantes. Le PIB mesure l'ensemble des biens et services produits au cours d'une anne sur le territoire d'un pays donn. Pour arriver au revenu national, il faut commencer par soustraire du PIB la dprciation du capital qui a permis de raliser ces productions, c'est--dire l'usure des bti-ments, quipements, ordinateurs, ampoules, etc., utiliss au cours d'une anne. Cette masse considrable, value 280 milliards d'euros en 2010 (soit 14 % du PIB), ne constitue en effet un revenu pour personne: avant de distribuer des salaires aux travailleurs, des dividendes aux actionnaires ou de raliser des investissements vri-tablement nouveaux, il faut bien remplacer ou rparer le capital usag. Et si on ne le fait pas, alors cela correspond une perte de patrimoine, donc un revenu ngatif pour les propritaires.

    Puis il faut ajouter au PIB les revenus nets en provenance de l'tranger (ou retrancher les revenus nets verss l'tranger, suivant la situation du pays). Par exemple, un pays dont l'ensemble des entreprises et du capital productif serait possd par des actionnaires trangers pourrait fort bien avoir un PIB trs lev mais un revenu

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  • REVENUS Er IMPOrs EN FRANCE

    national trs faible, une fois dduits les profits partant l'tranger. Dans la France de 2010, cette seconde correction ne fait toutefois gure de diffrence. D'aprs l'INSEE et la Banque de France, les rsi-dents franais possdent au travers de leurs placements financiers grosso modo autant de richesses dans le reste du monde que le reste du monde en possde en France. Les flux entrants et sortants d'intrts, de dividendes, etc., s'quilibrent donc peu prs, et les revenus nets trangers apparaissent mme trs lgrement positifs (+ 10 milliards d'euros, soit moins de 1 % du PIB). Contrairement une lgende tenace, la France n'est possde ni par les fonds de pension califor-niens, ni par la Banque de Chine!

    Du produit intrieur brut (PIB) au revenu national (2010)

    En 2010, le revenu moyen avant impt des Franais tait de 33 000 par adulte et par an (2800 par mois)

    Produit intrieur

    brut (PIB) (2010) :

    1 950 milliards (100 %)

    Moins: dprciation du capital:

    280 milliards (14 %)

    Plus: revenus nets trangers : 10 milliards

    (1 %)

    = Revenu national:

    1 680 milliards (87 %)

    Divis par 50,4 millions

    d'adultes: Revenu moyen avant impt =

    33 300 par an et par adulte

    (2 800 par mois)

    Source: INSEE, Comptabilit nationale. Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    En fin de compte, le revenu national de la France tait en 2010 de 1 680 milliards d'euros, soit un revenu moyen d'environ 33000 euros par an (soit 2800 euros par mois) pour chacun des quelque 50,4 millions d'adultes rsidant en France. Vu la trs faible croissance en vigueur actuellement, ce chiffre ne variera gure en 2011 et 2012.

    Prcisons d'emble que ce revenu moyen, comme toutes les statistiques conomiques et sociales, est une estimation, une construction, et non une certitude mathmatique. Il ne doit donc pas tre ftichis. Simplement, il s'agit de la meilleure estimation dont nous disposons. Les comptes nationaux, qui aboutissent la mesure du PIB et celle du revenu national, ne sont certes pas parfaits et doivent tre amliors. Mais ils constituent la seule tentative systmatique et cohrente d'analyse de l'activit cono-mique d'un pays. En particulier, la comptabilit nationale tente de mesurer des concepts conomiques de revenu et de richesse, en correspondance avec les flux de productions et d'changes observs - plus larges que les notions fiscales, et surtout indpendants des vicissitudes de la lgislation en vigueur et des stratgies de contournement de l'impt. En France, les comptes nationaux sont actuellement tablis par l'INSEE et la Banque de France en ras-semblant et en confrontant l'ensemble des bilans et des comptes des socits financires et non financires, ainsi que de multiples autres sources et enqutes statistiques. Nous n'avons aucune raison a priori de penser que les fonctionnaires concerns ne font pas de leur mieux pour traquer les incohrences entre les diffrentes sources et aboutir aux meilleures estimations possibles. La grande limite des comptes nationaux est qu'ils ne se proccupent par construction que de masses et de moyennes, et non de rparti-tions et d'ingalits. D'autres sources doivent tre mobilises pour rpartir les revenus, les richesses et les impts - c'est la contribu-tion de www.revolution-fiscale.fr.Mais pour ce qui concerne les masses globales de revenus et des patrimoines en jeu, il faut tou-jours partir des comptes nationaux.

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    Prcisons aussi que cette estimation correspond un revenu moyen avant impts: si les Franais ne payaient aucun impt d'aucune sorte, alors ils disposeraient en moyenne de 2 800 euros par mois et par adulte. En pratique, comme nous le verrons plus loin, ils choisissent de consacrer prs de la moiti du revenu national aux impts, prlvements et taxes varies per-mettant de financer des services publics, des infrastructures, la protection sociale, etc. Comme toutes les moyennes, ce revenu moyen dissimule videmment d'normes disparits: beaucoup de personnes ont un revenu nettement infrieur 2 800 euros par mois, et d'autres ont des revenus plusieurs dizaines de fois sup-rieurs. Ce chiffre de 2 800 euros par mois signifie simplement que si l'on pouvait distribuer chaque adulte le mme revenu, sans modifier le niveau global de la production et du revenu national, alors chacun disposerait de 2 800 euros par mois.

    En pratique, les disparits de revenus s'expliquent d'une part par l'ingalit des revenus du travail, et d'autre part par l'ingalit encore plus forte des revenus du capital, qui provient elle-mme de l'extrme concentration des patrimoines. Avant d'examiner l'ampleur des carts de revenus dans la France d'aujourd'hui, il est utile de s'arrter sur ces notions (revenus versus patrimoines, revenus du travail versus revenus du capital), qui jouent un rle important dans notre ouvrage et sont souvent source de confusion dans le dbat public.

    Le patrimoine: prs de six annes de revenu

    Le revenu est un flux : chaque anne, les Franais reoivent en moyenne un revenu de 33 000 euros. Le patrimoine est un stock. Le patrimoine national priv est dfini comme la valeur totale de tout ce que possdent les rsidents franais un moment

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    donn. Il s'agit de la somme des actifs non financiers (logements, terrains, fonds de commerce et autres actifs professionnels) et des actifs financiers (comptes bancaires, plans d'pargne, obligations, actions, parts de socits, contrats d'assurance vie, etc.) dtenue par les mnages, nette de leurs dettes (et notamment des emprunts immobiliers)!. D'aprs l'INSEE et la Banque de France, les rsidents franais possdaient en 2010 environ 9 200 milliards d'euros de patrimoine non financier et financier (nets de dettes), soit plus de 182000 euros par adulte2

    Pour rsumer, chaque adulte, dans la France d'aujourd'hui, dispose d'un revenu moyen avant impt de 33000 euros par an (2 800 euros par mois) et possde un patrimoine moyen de 182 000 euros, soit l'quivalent de prs de six annes de revenu moyen. En 2010, ce patrimoine total se dcompose en deux moi-tis presque parfaitement gales: d'une part, le logement (valeur des rsidences principales et secondaires, nette des dettes) et, d'autre part, les actifs financiers et professionnels (qui repr-sentent grosso modo la valeur des entreprises). En simplifiant, on peut dire que chaque adulte possde en moyenne 91 000 euros en logement et 91 000 euros en entreprises.

    Ce partage du patrimoine en deux moitis gales (ou com-parables) se retrouve dans la plupart des pays dvelopps et cor-respond aux deux grandes fonctions conomiques du capital. Le capital- c'est--dire l'accumulation de valeur pour l'usage futur et non la consommation immdiate - est utile pour se loger (pour produire des services de logement) et galement comme

    1. Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier. Le patrimoine national public (actifs immobiliers et financiers de l'tat, des collectivits et autres administrations publiques, nets des dettes publiques) est trs lgrement positif; il reprsente l'quivalent de moins de 10 % du patrimoine national priv.

    2. Soit 364 000 euros pour deux adultes, par exemple pour un couple dont tout le patrimoine est possd moiti-moiti par les deux conjoints (rgime de com-munaut en l'absence de biens propres).

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    capital productif pour les entreprises produisant d'autres biens et services (et qui ont besoin de bureaux, d'quipements, de mat-riels, etc., pour raliser ces productions).

    En raison de la crise financire, la fortune des Franais a trs lgrement baiss depuis 2008, o elle atteignait 9 500 mil-liards d'euros (192 000 euros par adulte). Mais si l'on remet ces chiffres en perspective, on se rend compte que les patrimoines ne se sont jamais aussi bien ports depuis un sicle. Le patrimoine priv reprsente actuellement l'quivalent de prs de six annes de revenu national, contre moins de quatre annes dans les annes 1980, et moins de trois annes dans les annes 1950. Il faut remonter la Belle poque (1900-1910) pour retrouver une telle prosprit des fortunes franaises, avec des patrimoines privs atteignant l'quivalent de six, voire sept annes de revenu national. Ce lent phnomne de reconstitution des fortunes est un processus historique fondamental et complexe, mlant des aspects conomiques, politiques, boursiers, militaires, sociaux, que nous avons analyss par ailleurs, et qui ne peut tre examin ici de faon dtaille l .

    Le point important qui nous intresse ici est que nous sommes dans une priode historique o les patrimoines (et les revenus qui en sont issus) se portent trs bien et ont beaucoup progress ces dernires dcennies, alors que la production et les revenus du travail croissent un rythme relativement faible. Cela n'implique certes pas qu'il faille matraquer fiscalement les patrimoines et leurs revenus: le capital remplit des fonctions conomiques essentielles et le fait qu'il se porte bien est plutt une bonne nouvelle. Quant l'ide selon laquelle on pourrait rgler tous les problmes du monde en taxant le capital, c'est

    1. Voir Thomas Piketty, Les Hauts Revenus en France au xx' sicle. Ingalits et redistributions, 1901-1998, Paris, Grasset, 2001 ; et On the Long-Run Evolution of Inheritance : France 1820-2050 , Document de travail, cole d'conomie de Paris, 2010.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    videmment une illusion. Mais cela implique tout le moins qu'un systme fiscal taxant davantage le travail que le capital n'est gure adapt notre poque et peut assez lgitimement sus-citer de forts soupons d'iniquit de la part de tous ceux qui n'ont que leur travail pour vivre.

    Or ces derniers sont trs nombreux. Le patrimoine a en effet ceci de particulier qu'il est extrmement concentr. Dans la France de 2010, le patrimoine moyen de 182000 euros par adulte dissimule des disparits considrables. Pour des millions de personnes locataires de leur logement (ou propritaires lour-dement endetts, avec un actif net peine positif), le patrimoine se rsume souvent quelques milliers d'euros: au mieux deux ou trois mois de salaire d'avance sur un compte bancaire ou un livret d'pargne - et non pas plusieurs annes de revenus.

    De fait, la rpartition des patrimoines actuellement en vigueur en France, telle que nous pouvons la connatre en confron-tant les multiples sources rassembles sur www.revolution-fiscale.fr (comptes nationaux, enqutes, donnes fiscales), a la forme suivante. Les 50 % des Franais les plus pauvres en patri-moine, soit 25 millions de personnes sur une population adulte totale de 50 millions, possdent en moyenne 14 000 euros de for-tune. Collectivement, ils dtiennent peine 4 % du patrimoine total. Inversement, les 10 % des Franais les plus riches en patri-moine (5 millions de personnes) possdent en moyenne plus de 1,1 million d'euros de fortune. Collectivement, ils dtiennent 62 % du patrimoine total. Entre ces deux groupes, les 40 % du milieu (20 millions de personnes) possdent en moyenne 154 000 euros et dtiennent 34 % du patrimoine total!. Pour fixer les ides, ces trois groupes sociaux peuvent tre dsigns comme les pauvres , les classes moyennes et les riches

    1. Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier, pour des don-nes plus drailles par cenrile.

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  • REVENUS ET IMP6TS EN FRANCE

    - mme si ces frontires et dnominations ont videmment un caractre arbi traire.

    La rpartition des patrimoines en France en 2010

    Groupe Nombre de Patrimoine Part dans le personnes moyen par patrimoine

    adultes adulte total

    Population totale 50 millions 182000 100%

    Classes populaires: 25 millions 14000 4% Les 50 % les plus pauvres

    Classes moyennes : 20 millions 154000 34% Les 40 % du milieu

    Classes aises : Les 5 millions 1 128000 62 % 10 % les plus riches

    dont classes 4,5 millions 768000 38 % moyennes-aises (9 %) dont classes 0,5 million 4368000 24 % trs aises (1 %)

    Lecture: en 2010, les classes populaires (les 50 % les plus pauvres) ont un patri-moine moyen de 14000 euros par adu1ce et dtiennent collectivement 4 % du patrimoine rotai des mnages. Source: Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

    Ce type de rpartition des patrimoines - moins de 5 % pour les pauvres, environ 30 % 35 % pour les classes moyennes , plus de 60 % pour les riches - se retrouve dans la plupart des pays europens. Aux tats-Unis, la concentration

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    des fortunes est plus extrme encore. l Dans tous les pays, et toutes les poques pour lesquelles nous disposons de donnes, les pauvres possdent toujours moins de 10 % du patrimoine total, les riches plus de 50 %.

    Il y a un sicle, vers 1900-1910, la part du dcile suprieur tait encore plus leve: elle dpassait 90 % du patrimoine totae. Autrement dit, les 10 % les plus riches dtenaient la quasi-totalit du capital: il n'existait pas de classe moyenne , dans le sens o les 40 % du milieu taient presque aussi pauvres que les 50 % du bas. Ne nous y trompons pas: l'mergence d'une classe moyenne patrimoniale au cours du xxe sicle, c'est--dire l'mergence d'un large groupe social ne possdant pas norm-ment individuellement (avec 150 000 euros de patrimoine, on n'est plus pauvre, sans tre vraiment riche), mais assez nombreux pour possder collectivement un tiers du patrimoine national3, constitue sans nul doute un dveloppement historique majeur, aux consquences sociales et politiques considrables. Il reste que les 10 % les plus riches possdent toujours prs de deux tiers du patrimoine national (et les quatre cinquimes du patrimoine financier) et que les 50 % les plus pauvres n'ont jamais rien pos-sd. Aujourd'hui comme hier, le patrimoine est trs concentr.

    On peut choisir de s'en lamenter. Il est plus utile cepen-dant de comprendre les raisons de ces disparits et d'en tirer les consquences. Tout d'abord, l'ingalit des fortunes ne s'explique que pour une faible part par des effets lis au cycle de vie. Les per-

    1. La part des 10 % plus riches atteint actuellement 72 % du patrimoine total amricain, contre 26 % pour les 40 % du milieu et 2 % pour les 50 % les plus pauvres. Voir Arthur Kennickell, Ponds and Streams : Wealth and Income in the U.S., 1989-2007 , Federal Reserve Board, Discussion Paper, vol. 13, 2009.

    2. Voir Thomas Piketty, Gilles Postel-Vinay et Jean-Laurent Rosenthal, Wealth Concentration in a Developing Economy: Paris and France, 1807-1994 , American Economic Review, vol. 96, na 1, 2006.

    3. 150000 euros x 20 millions de personnes = 3000 milliards d'euros, soit un tiers du patrimoine national de 9 200 milliards.

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    sonnes ges dans leur ensemble sont certes plus riches que les jeunes. Mais la concentration est presque aussi forte l'intrieur de chaque groupe d'ge que pour la population prise dans son ensemble: chez les jeunes comme chez les vieux, une majorit ne possde presque rien, et une minorit possde beaucoup. Contrai-rement une ide rpandue, la guerre des ges n'a pas remplac la guerre des classes. La trs forte concentration des patrimoines s'explique notamment par l'importance de l'hritage et ses effets cumulatifs (par exemple, il est plus facile d'pargner quand on a hrit d'un appartement et que l'on n'a pas de loyer payer). Le fait que le rendement du patrimoine soit largement imprvisible et prenne souvent des valeurs extrmes joue galement un rle significatif.

    Des recherches rcentes ont dmontr que l'hritage, rela-tivement limit pour les gnrations marques par les guerres mondiales (qui ont beaucoup d accumuler par elles-mmes), est en passe de retrouver pour les gnrations nes partir des annes 1970-1980 la mme importance qu'au XIX sicle. Au-del de l'effet des guerres, cela est d l'abaissement des taux de croissance: avec la croissance leve des Trente Glorieuses, les patrimoines issus du pass taient relativement faibles compars l'pargne nouvelle; avec une croissance faible, infrieure au rendement du capital, le poids du pass est au contraire domi-nantI. Concrtement, cela veut dire qu'il est aujourd'hui bien difficile pour des personnes qui ne disposent que de leur travail d'accumuler quoi que ce soit: Paris comme dans les grandes villes, ce sont bien souvent ceux qui ont hrit ou reu une donation qui deviennent propritaires - alors que ceux qui n'ont que leur salaire se retrouvent leur verser des loyers. L encore, cela n'implique pas qu'il faille matraquer fiscalement le

    1. Voir Thomas Piketty, On the Long-Run Evolution ofInheritance : France 1820-2050 ", op. cit.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    capital et ses revenus. En revanche, cela montre que la priorit absolue est d'allger les impts et prlvements pesant sur le tra-vail.

    Revenus du travail versus revenus du capital: 75 %-25 %

    Revenons l'analyse des revenus. Le patrimoine est un stock. Mais ce stock donne lieu chaque anne un flux de revenus de capital, qui peuvent prendre diffrentes formes juridiques: loyers, intrts, dividendes, bnfices, etc.

    Dans ce livre, nous regroupons dans les revenus du tra-vail l'ensemble des revenus lis l'exercice d'une activit pro-fessionnelle, qu'ils prennent la forme de salaires ou de revenus des professions non salaris (avocats, mdecins, chefs d'entre-prise, etc.). Inversement, nous regroupons dans les revenus du capital l'ensemble des revenus lis la dtention d'un patri-moine immobilier ou financier, sans que le dtenteur ait travailler pour percevoir ce revenu. Avec cette dfinition, on constate que les revenus du travail reprsentent actuellement environ 75 % du revenu national, et les revenus du capital environ 25 % du revenu national.

    Il s'agit l du partage du revenu primaire, c'est--dire avant impts. Cette part de 25 % pour le capital est en fait lg-rement sous-value. En effet, les revenus d'activits non salaries sont en ralit des revenus mixtes , dans le sens o ils rmu-nrent la fois le travail de l'avocat, du mdecin, etc., et le capital investi par ce dernier dans son activit (matriel mdical, fonds de commerce, locaux professionnels, etc.), sans que les deux fac-teurs soient explicitement distingus. Si l'on ajoutait le revenu du capital non salari, difficile estimer avec prcision, on obtiendrait une part globale du capital dans le revenu national de

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    l'ordre de 27 % 28 %. Pour simplifier l'analyse, nous nous en tiendrons notre dfinition.

    Rsumons : le patrimoine reprsente un stock de prs de six annes de revenu national, et ses revenus rapportent un flux gal 25 % de revenu national, ce qui correspond un rende-ment moyen du capital avant impts de l'ordre de 4 % 4,5 %. Autrement dit, le patrimoine moyen de 180000 euros rapporte en moyenne 8 000 9 000 euros par an, ou 700 euros par mois.

    videmment, ce rendement moyen dissimule d'normes disparits. Les actifs financiers, et notamment les actions, plus risques, ont un rendement moyen plus lev que les patrimoines immobiliers. C'est ainsi que les revenus financiers reprsentent prs des deux tiers des flux de revenus du capital, bien que les patrimoines financiers ne constituent que la moiti du stock de patrimoine. Au total, les revenus financiers (intrts, dividendes, autres produits financiers) s'lvent actuellement 270 milliards d'euros, et les revenus fonciers (loyers rels et imputs, nets d'intrts d'emprunt) 140 milliards d'euros, pour un total de revenus du capital de 410 milliards d'euros (soit 25 % du revenu national de 1 680 milliards!).

    Nous incluons bien sr dans les revenus fonciers la valeur locative de l'ensemble des habitations, qu'elles soient loues un locataire (on parle de loyer rel) ou occupes par leur propri-taire (on parle alors de loyer fictif ou imput). La valeur des services de logement produite par les biens immobiliers est en effet la mme dans les deux cas. Et ignorer les loyers imputs

    1. Il s'agit l de revenus primaires avant tout impt, et en particulier avant impt sur les socits pour les revenus financiers, et avant taxe foncire pour les revenus fonciers. Les revenus financiers primaires incluent aussi les bnfices non distribus des socits (qui, aprs dduction de la dprciation du capital, repr-sentent peine 1 % du revenu national, et qui ont t attribus aux actionnaires). Pour plus de dtails, et des tableaux prsentant des dcompositions compltes, voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    mnerait des consquences tranges: on se retrouverait avec des patrimoines sans rendement (pourquoi possde-t-on de tels patrimoines? En pratique, c'est videmment pour viter d'avoir payer des loyers), et un pays o chacun se mettrait louer l'appartement de son voisin verrait son revenu national aug-menter.

    Comment a volu historiquement le partage du revenu national entre travail et capital? On voque habituellement une trs grande stabilit, et on attribue souvent Keynes l'ide selon laquelle il s'agirait l de la loi la mieux tablie de l'conomie politique. La ralit est plus complexe. La part des revenus du capital a progress en France ces dernires dcennies, d'une part parce que les profits ont retrouv dans les annes 1990-2000 leurs niveaux des annes 1950-1960 (aprs un creux dans les annes 1970-1980), et d'autre part et surtout parce que le niveau des loyers n'a cess de progresser plus vite que le revenu national depuis la Seconde Guerre mondiale. En fin de compte, les revenus du capital - tout comme les patrimoines dont ils sont issus, ce qui est logique - ont retrouv en ce dbut du xxI' sicle une prosprit que l'on n'avait pas observe depuis la

    , 1 Belle Epoque.

    La pyramide des revenus: les riches ne sont pas assez nombreux

    Dans toute socit, la pyramide des revenus est la somme de deux hirarchies: celle des revenus du travail et celle des revenus du capital. Fort heureusement, les deux ne concident

    1. Pour des sries dtailles, voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

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  • REVENUS ET IMP6TS EN FRANCE

    jamais compltement: il y a toujours des personnes sans patri-moine mais qui ont atteint un revenu de travail lev, et inver-sement des personnes dtenant un patrimoine lev - par exemple du fait d'un hritage ou d'une plus-value - mais touchant un revenu de travail faible ou nul. L'objectif revendiqu de nos socits mritocratiques est d'aider les premiers avancer, sans toutefois matraquer les seconds, car le capital est utile pour tous. A ce stade, tour le monde pourrait tre d'accord.

    Deux lments au moins font que les consquences pra-tiques de cet objectif sont malheureusement difficiles dfinir prcisment, notamment en matire fiscale, et que cette ques-tion engendre et engendrera toujours de violents conflits poli-tiques. Tout d'abord, l'extrme complexit de nos systmes fiscaux fait qu'il est souvent difficile de se mettre d'accord sur le fait de savoir qui paie quoi. Le premier objectif de ce livre est de tenter de rendre le systme fiscal le plus transparent pos-sible.

    La seconde difficult est encore plus redoutable. Le conflit fiscal et politique se nourrit en effet des incertitudes lies la forme exacte de la pyramide des fortunes et des revenus. Certains surestiment de beaucoup le nombre de riches et leur part dans le revenu national, et semblent s'imaginer que l'on peut tout rsoudre en les taxant davantage. D'autres au contraire en sous-estiment le poids et concluent - un peu vite - qu'il n'y a rien attendre de ce ct-l. Il serait illusoire de prtendre mettre fin ces conflits, d'autant plus que les sources dont nous disposons pour connatre la rpartition des richesses sont imparfaites. Notre exercice de transparence peut cependant contribuer ce que ces conflits deviennent moins idologiques, moins striles, et se concentrent sur les bonnes questions. Certes, les riches ne sont jamais assez nombreux pour que les taxer davantage rsolve tous les problmes du monde. Doit-on pour autant les taxer moins que les pauvres? videmment non, surtout dans une

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    priode o les revenus levs se portent beaucoup mieux que les autres.

    Pour commencer, il est utile de se familiariser avec quelques ordres de grandeur. Nous avons vu plus haut que le patrimoine tait trs concentr, avec 62 % du total pour les 10 % les plus riches de la population. Par construction, les revenus du capital le sont tout autant - et mme un peu plus, car les patrimoines les plus levs sont plus souvent investis en actions. Mais les revenus du capital ne reprsentent en tout et pour tout que 25 % du revenu national, et les 75 % restants, les revenus du travail, sont beaucoup moins ingalement rpartis que les premiers (avec une part du dcile suprieur de l'ordre de 25 %). Si l'on examine la pyramide globale des revenus, obtenue en additionnant revenus du travail et revenus du capital, on constate que les 10 % des revenus les plus levs dtiennent 31 % du revenu national (et non 62 %).

    Au sein de ces 10 % des revenus les plus levs, il existe des disparits considrables. Les 1 % les plus levs disposent en moyenne de revenus de 30300 euros par mois (soit plus de dix fois le revenu moyen), alors que les 9 % prcdents gagnent 6 100 euros par mois (soit peine plus de deux fois le revenu moyen). Les premiers vivent pour moiti de revenus du capital (la part des revenus du capital atteint 90 % pour les revenus de plu-sieurs millions d'euros), alors que les seconds vivent pour les trois quarts de revenus du travail, comme la moyenne de la population.

    Depuis la fin des annes 1990 et pendant les annes 2000, les 1 % des revenus les plus levs ont progress sensiblement plus vite que la moyenne des revenus. Cela s'explique la fois par l'excellente sant des revenus du patrimoine et par le fait que les salaires de plusieurs centaines de milliers d'euros par an ont connu des progressions beaucoup plus fortes que le salaire moyen, notamment dans la finance et les sphres dirigeantes des grandes entreprises. Pour l'instant, ce phnomne semble s'tre surtout concentr en France sur les 0,1 % des revenus les plus levs, si bien que le dplacement en direction des plus riches ne porte que

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    La rpartition des revenus en France en 2010

    Groupe Nombre Revenu Revenu Part dans de personnes annuel mensuel le revenu adultes par adulte par adulte total

    Population totale 50 millions 33000 2800 100 %

    Classes populaires : 25 millions 18000 1500 27% Les 50 % les plus pauvres

    Classes moyennes: 20 millions 35000 3000 42% Les 40 % du milieu

    Classes aises : 5 millions 103000 8600 31 % Les 10 % les plus riches

    dont classes moyennes- 4,5 millions 73000 6100 20 % aises (9 %)

    dont classes trs aises 0,5 million 363000 30300 E 11% (1 %)

    Lecture: en 2010, les classes populaires (les 50 % les plus pauvres) ont un revenu moyen annuel de 18000 euros par adulte (1 500 euros par mois) et gagnent col-lectivement 27 % du revenu total des mnages. Source: www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier (l'estimation de la rpartition des revenus permanents est base sur la rpartition au sein de la popu-lation de 18 65 ans travaillant au moins 80 % du plein-temps).

    sur 1 1,5 point de revenu national!. Ce n'est pas rien, mais cela reste limit par comparaison l'volution spectaculaire observe

    1. Voir Camille Landais, Les hauts revenus en France, 1998-2007: une explosion des ingalits? ", Document de travail, cole d'conomie de Paris, 2008.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    aux tats-Unis, o la part des 1 % des revenus les plus levs dans le revenu national a progress de 15 points entre 1976 et 2007, passant de 9 % 24 %, et absorbant ainsi plus de la moiti de la croissance conomique amricaine au cours de ces trois dcennies 1 Mais on aurait bien tort d'attendre que l'volu-tion prenne la mme ampleur qu'outre-Atlantique pour com-mencer s'en inquiter.

    Tout le monde paie des impts levs: un taux moyen d'imposition de 49 %

    Le dcor gnral des revenus et des patrimoines tant plant, nous pouvons maintenant introduire les impts dans l'analyse. Le premier point essentiel avoir prsent l'esprit est que nous vivons dans des socits o tout le monde paie des impts levs. Concrtement, si l'on prend en compte l'ensemble des prlvements obligatoires, c'est--dire l'ensemble des impts, taxes, cotisations et prlvements divers que chacun est dans l'obligation de payer (sauf se mettre hors la loi), on observe des recettes totales d'environ 820 milliards d'euros en 2010, soit 49 % du revenu national de 1 680 milliards. Si l'on omet les pr-lvements pays par les revenus de transferts, ce qui peut se jus-tifier, alors on obtient un taux global d'imposition des revenus primaires (revenus du travail et du capital confondus) de 45 %. Quelles que soient la dfinition adopte et les imperfections de la mesure, l'vidence est l: nous avons collectivement choisi de

    1. Voir Thomas Piketty et Emmanuel Saez, " Income Inequality in the United States, 1913-1998 ", Quarterly Journal of Economics, Vol. CXVIII, 2003. Les sries mises jour jusqu'en 2008 sont disponibles sur la page web d'Emmanuel Saez (Ber-keley). Voir galement Tony Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, " Top Incomes in the Long Run ofHistory , Journal ofEconomic Literature, vol. 49, 2011.

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  • REVENUS ET IMP(')TS EN FRANCE

    consacrer prs de la moiti de nos revenus en impts et prlve-ments divers.

    On peut dcider de s'en lamenter: personne n'aime payer des impts et, dans l'absolu, il serait souhaitable de les sup-primer tous un par un. Cette perspective dmagogique et strile n'est videmment pas la ntre. Notre objectif ici est simple-ment de prendre la mesute de ce fait essentiel (tout le monde paie des impts levs), qui devrait constituer un pralable toute rflexion Sut les systmes fiscaux en vigueut dans les pays dve-lopps. Ce simple fait suffit par exemple dmontrer le caractre absutde du dbat Sut le bouclier fiscal: dans un pays o le taux moyen d'imposition est de 49 %, il est presque invitable que certains paient plus de 50 %, sauf souhaiter une parfaite pro-portionnalit du prlvement. Nous reviendrons plus loin Sut cet trange systme mis en place en France en 2007, qu'il est plus que temps de supprimer.

    Le fait que le taux global d'imposition atteigne pratique-ment 50 % n'est pas un phnomne rcent, loin s'en faut. Aprs une forte progression des annes 1950 aux annes 1970, le taux franais de prlvements obligatoires s'est stabilis autout de 42 % 44 % du PIB (soit 48 % 50 % du revenu national) depuis le milieu des annes 1980, avec de lgres variations lies la conjonctute conomique.

    Depuis prs de trente ans, le taux global d'imposition a toutefois cess d'augmenter. Manifestement, un consensus s'est dgag Sut le fait que cette progression historique du poids de la puissance publique ne pouvait se poursuivre indfiniment. Une partie de l'explication rside sans doute aussi dans la croissance faible en vigueut depuis trente ans (moins de 2 % par an, contre plus de 5 % au couts des Trente Glorieuses). Lorsque les revenus progressent un rythme lev, il est natutel de consacrer une part croissante des richesses produites aux projets communs: services publics, infrastructures, protection sociale, etc. Lorsque les revenus stagnent, les citoyens-contribuables n'ont gure envie de voir les

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    impts progresser plus vite que leurs revenus et rogner ainsi cette faible croissance. Pour autant, le taux global des prlvements obligatoires ne s'est pas mis baisser: nous sommes visiblement trs attachs au niveau lev de services et de protections qu'un taux d'imposition de 45 % permet de financer, et un gouver-nement qui s'aviserait de les rduire massivement ne ferait pas long feu.

    Ce haut niveau d'imposition n'est pas une particularit franaise. Le taux moyen de prlvements obligatoires de l'Union europenne est actuellement de l'ordre de 40 % du PIB, avec des maxima approchant 50 % dans les pays les plus riches de l'Union (Europe du Nord) et des minima peine suprieurs 30 % dans les pays les moins avancs (Europe centrale et orientale)l. La plu-part des grands pays se situent autour de 40 % du PIB (environ 45 % du revenu national) et ont connu la mme stabilisation que la France au cours des trente dernires annes. En termes de niveau absolu, la France se situe plutt dans la moyenne haute - mais les diffrences de mesures et de conventions comptables entre pays font que des carts de quelques points ne sont pas toujours pertinents. Quoi qu'il en soit, il n'est nul besoin de comparaison internationale fine pour raliser qu'un taux global d'imposition gal 49 % ou 45 % du revenu national correspond un niveau lev.

    Personne ne paie les impts notre place

    Que les choses soient bien claires : personne ne paie ces impts notre place. Ce sont bien des personnes physiques, en chair et en os, qui acquittent l'intgralit des prlvements obli-

    1. Voir Taxation Trends in the European Union, dition 2010, Eurostat.

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  • REVENUS ET IMP6TS EN FRANCE

    gatoires. La distinction entre impts acqUIttes par les mnages et impts acquitts par les entreprises n'a aucun sens: en dernier recours, tous les prlvements obligatoires sont pays par les mnages. Par dfinition, les entreprises rpercutent tout ce qu'elles paient soit sur les personnes qui travaillent pour elles (en rduisant leurs salaires), soit sur les personnes qui les possdent (en rduisant les dividendes verss aux actionnaires, ou en accumulant moins de capital en leur nom), soit sur les per-sonnes qui consomment ce qu'elles produisent (en augmentant leurs prix de vente). Dans tous les cas, ce sont bien des personnes physiques qui paient l'addition.

    En particulier, quelles que soient les structures complexes d'actionnariats croiss et d'intermdiation financire, les dten-teurs ultimes des entreprises sont toujours des personnes phy-siques. Directement ou indirectement, que ce soit au travers d'une holding familiale, d'un compte d'pargne en actions ou d'un contrat d'assurance vie, les entreprises sont possdes par des personnes - sauf dans les rares cas o le dtenteur ultime est le gouvernement, ce qui devient de plus en plus rare. Il y a aussi les cas o les dtenteurs ultimes sont des personnes physiques rsi-dant l'tranger - par exemple au travers de fonds de pension californiens. Dans ce cas, on pourrait considrer que l'impt sur les bnfices des socits en question est pay par quelqu'un d'autre que nous-mmes: par l'tranger, en l'occurrence. Mais, comme nous l'avons dj not, les rsidents franais possdent au travers de leurs placements financiers autant d'entreprises dans le reste du monde que le reste du monde en possde en France (et mme lgrement plus). Et ils paient approximativement autant d'impts sur ces placements trangers que les trangers en paient sur leurs placements en France. Il faut se rsoudre cette triste vidence: il est impossible de faire payer nos impts par l'tranger.

    La question pertinente, lorsqu'on analyse la rpartition des prlvements, n'est donc pas de savoir qui envoie le chque

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    l'administration fiscale (mnage ou entreprise), mais quelle est l'incidence finale de l'impt: l'impt est-il pay par les personnes qui ne possdent que leur travail ou par ceux qui dtiennent du capital, et surtout comment le taux effectif d'imposition varie-t-il avec les niveaux de revenu, de patrimoine et de consommation des uns et des autres? Cette question est au cur de ce livre et du site www.revolution-fiscale.fr. dont le principe est prcisment d'attri-buer l'ensemble des prlvements obligatoires aux personnes phy-siques, en fonction notamment du niveau et de la structure de leur revenu, de leur patrimoine et de leur consommation. Par exemple, l'impt sur les socits est attribu aux rsidents franais possdant des placements financiers, en proportion de leurs revenus finan-ciers. L'avantage de cette approche est qu'elle permet une totale transparence: aucun impt n'est indolore, et tous reposent sur des groupes sociaux clairement identifis.

    quoi servent les impts? Avant de prsenter les rsultats obtenus, lucidons quelques

    points encore. Tout d'abord, quoi servent concrtement les impts? Sur les 49 % de revenu national prlevs actuellement en France par la puissance publique, environ 23 points sont reverss sous forme de revenus de transferts et 26 points sont uri-liss pour financer des dpenses publiques autres que des trans-ferts. En pratique, les revenus de transferts sont pour plus des trois quarts 09 points) des revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chmage) et, pour le quart restant (4 points), ce que l'on peut appeler des revenus de transferts purs (presta-tions familiales, minima sociaux, allocations logement). Les dpenses publiques autres que les transferts sont pour plus des trois quarts (21 points) des dpenses d'ducation et de sant et, pour le quart restant (5 points), les autres biens et services fournis

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  • REVENUS ET IMP)TS EN FRANCE

    par les administrations publiques (routes, police, justice, dfense, etc.). Ces dpenses publiques peuvent tre considres comme des transferts en nature. Par exemple, en l'absence d'un service public d'ducation et de sant, nous devrions acheter pour nous-mmes et pour nos enfants des services d'ducation et de sant produits par le secteur priv.

    Rsumons: partir d'un revenu moyen avant impts de 2 800 euros par adulte et par mois, nous faisons le choix de payer 1 300 euros par mois d'impts (49 %), qui pour partie nous sont reverss sous la forme de 600 euros par mois de transferts (23 %) et pour partie financent des services publics hauteur de 700 euros par mois (26 %). Le revenu disponible des mnages , terme que l'on utilise parfois pour dsigner la part du revenu national dont les mnages disposent en argent sonnant et trbuchant, est donc gal 2 100 euros par adulte et par mois (74 %). Mais, si l'on ajoute les 700 euros de transferts en nature reprsents par les services publics, on retombe par dfinition sur 2 800 euros (100 % du revenu national initial) : rien ne se perd.

    Les contribuables en ont-ils pour leur argent? Vaste dbat. En comptabilit nationale, la valeur des services publics est value leur cot de production (c'est--dire pour une large part au niveau des salaires des enseignants, infirmires, etc., pro-duisant ces services publics) et la valeur des transferts au mon-tant des transferts, si bien que par construction les contribuables en ont exactement pour leur argent: ni plus, ni moins. C'est une bonne base de dpart, mais cela ne rgle pas la question. Contentons-nous de signaler ici que les services privs d'duca-tion et de sant cotent souvent beaucoup plus cher que les ser-vices publics correspondants, sans que la qualit soit clairement suprieure, bien au contraire: l'exemple type est le systme priv de sant amricain. Le cas de l'enseignement suprieur est plus complexe: le cot plus lev pay aux tats-Unis par les parents et tudiants semble en partie compens par une qualit moyenne plus leve que ce qu'obtiennent les parents et tudiants franais

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    Du revenu national au revenu disponible (par adulte et par mois en 2010)

    Revenu national

    avant impts: 2800 (100 %)

    Moins Impts (tous

    prlvements obligatoires) :

    1300 (49%)

    V i'.

    Services publics (ducation, sant,

    routes, etc.) : 700 (26%)

    Transferts (retrai tes, chmage,

    allocations, etc.) : 600

    (23%) ) Revenu

    disponible : 2100

    Revenu aprs (74%) impts: 1500

    51%

    Source: INSEE, Comptabilit nationale. Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

    en change de leurs impts (ce qui est bien le moins, puisque les premiers paient plus de trois fois plus que les seconds), avec il est vrai de srieux problmes d'galit d'accs.

    Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'valuer ici l'efficacit de la dpense publique ou de dterminer quel pourrait tre le sys-tme idal de sant et d'ducation. Notre objectif, dans le cadre de ce livre, est plus modeste. Pour l'essentiel, nous prenons comme

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    donns la structure des transferts et des dpenses publiques actuellement en vigueur en France et le niveau global des pr-lvements obligatoires ncessaire pour les financer. Nous par-tons du principe que le niveau lev de protection sociale et de services publics correspond des choix durables de la socit franaise (et dans une large mesure des socits europennes) et qu'aucun gouvernement dans un avenir prvisible n'est suscep-tible de modifier ces choix de faon importante. Quelles que soient les postures des uns et des autres sur le poids suppos excessif des dpenses et des prlvements, la vrit est que les Franais sont trs attachs leur modle social, et que personne ne dtient de recette miracle permettant de rduire les dpenses publiques sans douleur.

    Compte tenu du vieillissement, qui grve les budgets de retraite et de sant, et de la ncessit d'investir davantage dans l'enseignement suprieur - qui devrait nos yeux constituer la seule vritable priorit budgtaire des annes venir -, stabiliser les dpenses publiques en pourcentage du revenu national relve dj d'une gageure et exige une grande rigueur dans la gestion des deniers publics. Lors de l'lection prsidentielle de 2007, le candidat de droite annonait pour son quinquennat une baisse de 5 points du taux de prlvements obligatoires, voire de 10 points, suivant l'humeur du jour. Avec la crise financire, de telles perspectives semblent avoir totalement disparu de l'agenda politique, et tour le monde semble maintenant se demander quand et comment les impts devront tre augments.

    Notre point de vue sur la question est diffrent. Nous considrons que la priorit n'est ni de rduire ni d'augmenter le poids gnral des prlvements obligatoires en France, mais de les remettre plat. Quelle que soit la qualit des services publics et de la protection sociale, un taux global d'imposition de 49 % ou 45 % nous semble objectivement trs lev et ne nous parat tenable qu' deux conditions. D'une part, il est ncessaire que des efforts permanents soient fai ts pour amliorer cette quali t de services

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    et de protections et pour les adapter aux besoins individuels et collectifs. D'autre part et surtout, tout doit tre fait pour que les citoyens comprennent le systme fiscal et le considrent comme quitable et transparent - ce qui, de toute vidence, n'est pas le cas actuellement. Cette exigence dmocratique de transparence fiscale est essentielle quel que soit le niveau des impts. Mais, quand les prlvements prennent une telle ampleur, il s'agit d'une exigence vitale. Notre conviction est que, si l'on ne rcon-cilie pas les citoyens avec l'impt, on se prpare plus ou moins brve chance des rvoltes fiscales de grande ampleur et des remises en cause graves de l'tat social auquel nous sommes tous attachs.

    Petit trait fiscal: les diffrents types d'impts en France

    Pour fixer les ides, il est utile de regrouper les prlve-ments obligatoires (49 % du revenu national) en quatre grandes catgories: impts sur le revenu (9 %), impts sur le capital (4 %), impts sur la consommation (13 %) et cotisations sociales (23 %). Examinons-les brivement tour tour.

    Les impts sur le revenu psent la fois sur les revenus du travail et du capital. Ils peuvent tre progressifs (le taux d'imposition augmente avec le niveau de revenu de l'individu ou du foyer) ou proportionnels (un mme taux s'applique aux revenus bas ou levs). En pratique, les revenus effectivement imposs sont toujours plus faibles que les revenus conomiques mesurs par les comptes nationaux. Cela peut s'expliquer en partie par la fraude fiscale. Mais, trs souvent, cela s'explique par le fait que de nombreuses catgories de revenus sont lga-lement exonres, notamment parmi les revenus du capital: on

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  • REVENUS ET IMP6TS EN FRANCE

    Les prlvements obligatoires en France (2010) (en mil- (en euros (en %

    liards par adulte du revenu d'euros) et par mois) national)

    Revenu national 1680 2800 100%

    Prlvements obligatoires (total) 817 1350 49%

    Impts sur le revenu 146 240 9%

    dont: impt sur le revenu (IRPP) 52 80 3% dont: contribution sociale gnra- 94 160 6% lise (CSG)

    Impts sur le capital 62 100 4%

    dont: impt sur les bnfices des 35 60 2% socits (IS) dont: taxe foncire (TF), impt sur 27 40 2% la fortune (ISF) et droits de succes-sions (DMTG)

    Impts sur la consommation 224 370 13 % (TV A et autres impts indirects)

    Cotisations sociales 386 630 23 %

    dont: cotisations maladie, famille, 164 270 10% formation, etc.

    dont: cotisations retraite et ch- 221 370 13 % mage

    Source: Voir www.revolution-fiscale.fr, annexe au chapitre premier.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    dit alors qu'elles ne font pas partie de 1' assiette d'imposi-tion .

    Dans le cas de la France de 2010, nous avons regroup dans la catgorie des impts sur le revenu la fois l'impt sur le revenu au sens strict, actuellement dnomm IRPP (impt sur le revenu des personnes physiques) dans la jolie langue fiscale, et la contribution sociale gnralise (CSG), qui, au fil du temps, est devenue de facto l'quivalent d'un second impt sur le revenu, rapportant d'avantage que l'impt sur le revenu officiel (90 milliards contre 50 milliards d'euros). Il s'agit l d'une des grandes particularits fiscales franaises: nous avons non pas un impt sur le revenu, mais deux. L'IRPP est l'hritier de l'impt gnral sur le revenu (IGR) cr en juillet 1914, la veille de la Premire Guerre mondiale, aprs des dcennies de dbat. Il s'agit d'un impt progressif, avec des taux allant de 5,5 % 41 % suivant le niveau de revenu du foyer. La CSG a t cre en 1990 par le gouvernement de Michel Rocard, en rem-placement de cotisations sociales qui pesaient auparavant sur les seuls salaires, et qui aujourd'hui finance - en partie - la pro-tection sociale. La CSG est un impt individuel et propor-tionnel taxant tous les revenus - travail et capital - un taux de 8 %1. L'assiette de la CSG est plus large que celle de l'IRPP, qui exonre une trs large part des revenus du capital. Et, contrairement l'IRPP, la CSG est prleve chaque mois par l'employeur sur les bulletins de salaire, par la caisse de retraite versant la pension, par l'institution financire versant des int-rts ou des dividendes, etc. - on parle de prlvement la source, mode de prlvement plus simple pour le contribuable que celui consistant envoyer soi-mme des chques ou des virements.

    1. Le taux gnral de la CSG est de 7,5 %, auquel il faut ajouter 0,5 % de CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale).

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  • REVENUS ET IMP6TS EN FRANCE

    Nous reviendrons plus loin sur cet trange attelage qui nous sert d'impt sur le revenu et qui, selon nous, doit tre entirement refond 1 ce stade, contentons-nous de noter que ces deux impts sur le revenu, mis bout bout, rapportent environ 140 milliards d'euros, soit un peu moins de 9 points de revenu national. Autrement dit, nous payons en moyenne 240 euros par mois au titre de l'IRPP et de la CSG, soit environ 9 % du revenu moyen avant impt de 2 800 euros par mois et par adulte. Dans les pays europens niveau de pr-lvement global comparable, l'impt sur le revenu est unique et rapporte gnralement au moins 10 12 points de revenu national.

    Considrons maintenant les impts sur le capital. Nous avons regroup dans cette catgorie les prlvements pesant exclusivement sur le capital: l'impt sur les bnfices des socits (IS), la taxe foncire (TF), l'impt sur la fortune (ISF) et les droits de successions et de donations (DMTG2). Au total, ces quatre prlvements rapportent plus de 60 milliards d'euros, soit 100 euros par adulte et par mois, prs de 4 points de revenu national. Le flux annuel de revenus du capital tant de 25 points de revenu national, ces impts reprsentent l'quivalent d'un taux d'imposition moyen d'un peu moins de 20 %.

    Chacun de ces impts a ses caractristiques propres - et notre sens sa lgitimit et son utilit propres. L'impt sur les bn-fices (35 milliards) taxe les profits des socits, un taux effectif qui est actuellement d'environ 20 %, avant distribution des profits aux actionnaires. La taxe foncire (15 milliards) est paye par tous les propritaires en proportion de leurs biens immobiliers, qu'ils les louent ou qu'ils les occupent eux-mmes. Cette taxe reprsente en moyenne l'quivalent d'environ 15 % des revenus fonciers (rels

    1. Voir notamment chapitre 2. 2. Droits de mutations titre gratuit.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    et imputs). L'impt sur la fortune (3 milliards) taxe en principe l'ensemble des patrimoines, immobiliers et financiers, nets des dettes, mais suivant un barme progressif, et concernant unique-ment les fortunes les plus leves, avec en outre de nombreuses niches fiscales (dont le bouclier fiscal), d'o des recettes assez faibles. Les droits de successions et donations (7 milliards) ont la particularit d'tre prlevs une fois seulement dans la vie (ou quelques fois en cas de donations). Crs par la Rvolution fran-aise, comme la taxe foncire, ils sont notre impt le plus ancien. L'impt sur les bnfices a t cr par la mme rforme fiscale, en 1914-1917, que celle instituant l'impt sur le revenu. L'impt sur la fortune est notre impt le plus rcent: cr par la gauche en 1981 sous le nom d'impt sur les grandes fortunes (IGF), aboli par la droite en 1986, il a t rtabli en 1989 sous son nom actuel. La droite semble maintenant envisager de le supprimer nouveau, ce qui est a priori surprenant, vu l'excellente sant des patrimoines franais. Nous reviendrons plus loin sur cet ensemble d'impts fort contenu idologique, dont le pouvoir actuel a annonc une rforme pour 2011 1

    Les impts sur la consommation constituent une troisime catgorie de prlvements. Nous avons regroup ici la TVA, les taxes pesant sur certains biens et services particuliers (essence, tabac, alcool, etc.) et les autres impts indirects. Ces impts rap-portent au total plus de 220 milliards d'euros, soit 370 euros par adulte et par mois, plus de 13 points de revenu national, c'est--dire un peu plus que les impts sur le revenu et ceux sur le capital runis.

    En ralit, ces impts sur la consommation, comme d'ailleurs tous les prlvements, psent sur le travail et le capital. Il ne peut en tre autrement: toute la richesse venant du travail et du capital, il est invitable que les impts leur retombent

    1. Voir notamment chapitre 3.

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    dessus. Simplement, dans le cas des impts sur la consom-mation, la taxe est paye au moment o l'on utilise son revenu - issu ncessairement du travail ou du capital - pour faire ses courses. Mais la taxe rduit bel et bien le pouvoir d'achat du travail et du capital. La seule diffrence avec les impts directs sur le revenu et le patrimoine est que les impts sur la consom-mation sont par nature rgressifs. Les plus pauvres n'ont en effet pas les moyens d'pargner et consomment la quasi-totalit de leur revenu. Ils se retrouvent donc payer sous forme d'impts sur la consommation un plus fort pourcentage de leur revenu que les plus riches, qui ont en moyenne des taux d'pargne levs l . Face cette ralit vieille comme l'impt, le premier objectif des impts directs a toujours t de rtablir une cer-taine progressivit et d'aboutir une rpartition plus juste du prlvement fiscal global.

    Venons-en maintenant la quatrime catgorie, celle des cotisations sociales, qui reprsentent en France prs de la moiti du total des prlvements obligatoires: plus de 380 mil-liards d'euros, soit 630 euros par adulte et par mois, prs de 23 points de revenu national, presque autant que tous les autres impts runis. Il s'agit l de la principale particularit du systme fiscal franais. Par comparaison aux autres pays europens, et en dpit du fait qu'une partie des cotisations a t transfre sur la CSG au cours des vingt dernires annes, le poids des cotisations sociales demeure exceptionnellement lev en France2

    Cela s'explique par le fait qu'en France les cotisations sociales financent non seulement les revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chmage), mais galement des

    1. Pour plus de dtails sur l'incidence des impts sur la consommation et la faon dont nous les avons simuls, voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au cha-pitre premier.

    2. Voir Taxation Trends in the European Union, dition 2010, Euroscat.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    dpenses sociales bnficiant tous (assurance maladie, prestations familiales). Nous avons galement regroup avec les cotisa-tions sociales un certain nombre de prlvements pesant sur les salaires (versements en faveur de la formation professionnelle, de la construction, des transports, etc.), qui ne sont pas propre-ment parler des cotisations de scurit sociale, mais qui s'y appa-rentent.

    Au total, sur les 23 points de revenu national que repr-sentent les cotisations sociales, 13 points correspondent des cotisations retraite et chmage (220 milliards d'euros) et 10 points des cotisations maladie, famille, formation, etc. (160 milliards d'euros, c'est--dire davantage que la CSG et l'IRPP runis)!.

    le systme fiscal franais est-il progressif ou rgressif?

    Venons-en la question essentielle: si l'on prend en compte l'ensemble des prlvements obligatoires, le systme fiscal franais est-il progressif ou rgressif? Le site www.revolution-fiscale.fr permet pour la premire fois de rpondre rigoureuse-ment cette question. Et la rponse est sans appel: le systme est lgrement progressif jusqu'au niveau des classes moyennes , puis devient franchement rgressif au sein des 5 % les plus riches - et surtout l'intrieur des 1 % les plus riches (soit 0,5 million de personnes sur 50 millions).

    Plus prcisment, si l'on classe les Franais en fonction de leur revenu individuel total avant impt (travail et capital), on

    1. Les allgements de cotisations sociales sur les bas salaires (prs de 30 mil-liards d'euros) ont t imputs sur le second groupe, qui sans cela s'lverait 190 milliards.

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  • REVENUS ET IMP)TS EN FRANCE

    obtient les rsultats suivants!. Les 50 % des Franais les plus modestes, gagnant entre 1 000 euros et 2 200 euros de revenu brut par mois, font actuellement face des taux effectifs d'impo-sition s'tageant de 41 % 48 %, avec une moyenne de 45 %. Les 40 % suivants dans la pyramide des revenus, gagnant entre 2 300 euros et 5 100 euros par mois, sont tous taxs des taux de l'ordre de 48 % 50 %. A dire vrai, les taux effectifs sont quasi stables pour tous les revenus compris entre 1 700 euros 6900 euros, soit prs de 80 % de la population, ce qui corres-pond une trs grande classe moyenne . Puis, l'intrieur des 5 % des revenus les plus levs (gagnant plus de 6 900 euros) et surtout des 1 % les plus riches (gagnant plus de 14000 euros), les taux effectifs d'imposition se mettent trs nettement dcliner et ne dpassent gure les 35 % pour les 0,1 % des Fran-ais les plus aiss (50000 personnes sur 50 millions).

    C'est la premire fois, notre connaissance, que la rgres-sivit d'ensemble du systme fiscal franais est tablie de faon aussi claire. Plusieurs rapports parlementaires et administratifs avaient montr ces dernires annes que le taux effectif d'impo-sition au titre de l'impt sur le revenu ne dpassait pas les 20 % pour les 1 % des Franais les plus aiss et avait mme tendance diminuer au sein de ce groupe (ce que nous confirmond. Mais aucune tude n'avait pris en compte l'ensemble des prlvements obligatoires. De fait, le principal intrt de nos rsultats est que nous pouvons tudier sparment le rle jou par chaque type

    1. Pour les couples maris, le revenu individuel du capital est obtenu en divi-sant par deux le revenu du couple. Les rsultats prsents ici concernent la popu-lation ge de 18 65 ans travaillant au moins 80 % de l'horaire plein-temps, champ qui est le plus adapt pour mesurer l'ingalit de revenu permanent et la progressivit du prlvement fiscal. Nous obtenons des rsultats qualitativement similaires avec d'autres champs. Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier.

    2. Voir Rapport d'information sur les niches fiscales, Assemble nationale, 5 juin 2008, p. 42. Voir galement INSEE, Revenus et patrimoines des mnages, dition 2010.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    UN SYSTME FISCAL FAIBLEMENT PROGRESSIF ... OU FRANCHEMENT RGRESSIF? ~ 600/',--------.,.---:::::==::::----,---:::::==:::::::::::---~-----____,

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    -Systme actuel (moyenne gnrale: 47 %) ,

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    Classes populaires : Classes moyennes : Classes aises ; Trs aises Les 50 % des revenus les: Les 40 % du milieu : Les 10 % les plus hauts: Les 1 0/(, les plus prus bas -(even -brut- --:- (revn Drut - - - - - ~ (revenu 5r"Ut - - - - - - - ~ fiiucs-(reven-orur mensuel individuel : compris entre : suprieur 5 200 ) : suprieur

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    On constate tout d'abord que les impts sur la consom-mation, et plus encore les cotisations sociales, sont fortement rgressifs: les premiers prlvent prs de 15 % des revenus des

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    UN SYSTME FAIBLEMENT PROGRESSIF: DCOMPOSITION PAR IMPTS 60%~-----------,-----------,--------------.---____ --,

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    .g 40% J 30% "tl

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    B Cotisations sociales et taxes sur les salaires !. :- !. :- !. :- !. :- ~ .- !. :- J

    .1. J o Impts sur la consommation: TV A+autres

    El Impts sur le capital: IS+TF+ISF+DMTG . . . . ', ..... . ... , ... ~----I o Impts sur le revenu: CSG+IRPP

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    1 1

    Classes populaires : Classes moyen'.'-~s Les 50 % des revenus : Les 40 % du mllieu individuels les plus bas 1

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    Lecture: le graphique montre le taux global d'imposition (incluant tous les prl-vements comme dans le graphique prcdent) et sa dcomposition par groupes de revenus au sein de la population des 18-65 ans travaillant au moins 80 % du plein-temps. Groupes de revenus: PO-ID dsigne les percentiles 0 10, c'est--dire les 10 % des personnes avec les revenus les plus faibles, P10-20 les 10 % suivants, etc., P99,999-100 dsigne les D,DOl % les plus riches. Le graphique dcompose les impts en quatre grandes catgories: les cotisations sociales (et autres taxes sur les salaires), les impts sur la consommation (TVA et autres impts indirects), les impts sur le capital (impt sur les bnfices des socits (1S), taxe foncire (TF), impt sur la fortune (ISF) et droits de successions (DMTG et les impts sur le revenu (CSG et IRPP). Source: Voir www.revolution-fiscale.fr. annexe au chapitre premier (o nous mon-ttons aussi les chiffres pour la population adulte totale).

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    plus pauvres et peine plus de 5 % de ceux des plus riches; les secondes prlvent 25 % des revenus les plus bas et moins de 5 % de ceux les plus levs. En principe, les impts sur le revenu et sur le capital devraient contrebalancer la rgressivit de ces deux premires catgories de prlvements.

    Cela est vrai pour ce qui concerne les impts sur le capital. Nos rsultats dmontrent que ces impts, et notamment l'impt sur les socits, l'ISF et les droits de successions, jouent un rle important - et trop souvent ignor - pour assurer une certaine progressivit. Si ces impts devaient tre abaisss, comme l'envi-sage le gouvernement avec la possible suppression de l'ISF, le systme fiscal franais deviendrait encore plus rgressif. Tel a t de fait l'impact du bouclier fiscal, que nous avons trait sur les graphiques comme une rduction d'impt sur la fortune (ce qu'il est dans l'immense majorit des cas) et qui, d'aprs nos simula-tions - cohrentes avec toutes les donnes disponibles -, rduit d'environ un point le taux effectif d'imposition des plus riches (de 34 % 33 %).

    Certains s'tonneront peut-tre que le bouclier fiscal, qui est cens plafonner l'imposition totale 50 % des revenus, puisse rduire l'impt de contribuables dont le taux d'imposition est dj nettement infrieur 50 %. L'explication est que le revenu pris en compte pour le bouclier est le revenu fiscal, qui est souvent trs infrieur au revenu conomique rel, notamment pour les hauts revenus du patrimoine. Nous reviendrons dans le chapitre 3 sur ce mcanisme pervers (qui a au moins le mrite de mieux faire com-prendre l'intrt d'une imposition directe du patrimoine, et pas seulement des revenus du patrimoine) et, plus gnralement, sur les perspectives d'volution de nos impts sur le capital, qui ont un impact globalement trs progressif dans le systme actuel.

    Ce n'est pas le cas des impts sur le revenu qui, au lieu d'aller dans le sens de la progressivit, contribuent au contraire accrotre la rgressivit du systme fiscal franais dans les parties hautes de la distribution. Cette vritable faillite de notre systme

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    d'impt sur les revenus - qui ne parvient mme pas garantir sa mission primitive, savoir que les pauvres paient un peu moins d'impts que les riches, en proportion de leur revenu - est la cons-quence des multiples rgimes drogatoires et des niches fiscales qui se sont accumuls depuis trop longtemps. En particulier, les revenus du capital ont fini par chapper presque totalement au barme progressif de l'impt sur le revenu. Au-del de ses cons-quences ngatives sur la rpartition globale du prlvement, la complexit et l'iniquit de notre systme d'imposition directe des revenus posent de multiples problmes en tant que telles, et exigent une refondation d'ensemble. Tel est donc l'axe prioritaire de la rvolution fiscale qui doit, selon nous, tre mene dans la France d'aujourd'hui. Nous l'exposerons dans le chapitre 2.

    Au-del de cette faillite de l'impt sur le revenu, la seconde raison fondamentale expliquant la rgressivit du systme fiscal franais est le poids excessif des cotisations sociales pesant sur le travail. Pour ce qui concerne les cotisations retraite et chmage, l'ide d'un prlvement fond principalement (voire exclusive-ment) sur le travail peut se justifier: aprs tout, les revenus du capital n'accumulent pas de droit pension de retraite ou alloca-tion chmage. Encore faudrait-il que cette logique contributive s'applique vritablement: actuellement, les cotisations retraite des travailleurs bas salaire servent en partie subventionner les retraites des cadres, d'une part parce que rien n'est fait pour cor-riger les carts d'esprance de vie, et d'autre part parce que ceux qui ont commenc travailler tt sont contraints de cotiser plus long-temps que les autres - iniquit que la rcente rforme des retraites et le passage soixante-deux ans viennent d'aggraver.

    Quoi qu'il en soit, ce type de justification ne saurait s'appli-quer aux autres cotisations sociales: il n'y a aucune raison pour que seuls les revenus du travail contribuent au financement de l'assu-rance maladie et de la politique familiale, qui bnficient tous les rsidents. La question se pose de savoir si l'assiette de ces coti-sations sociales doit tre tendue aux revenus du capital, ce qui

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    pourrait permettre aussi de rgler l'pineuse question des exon-rations de cotisations sociales actuellement en vigueur sur les bas salaires, et qui explique la progressivit observe dans la partie basse de la distribution. Nous reviendrons dans le chapitre 3 sur le profil actuel des diffrents types de cotisations sociales et sur la faon dont on peut envisager leur refonte. Ce chantier devrait constituer selon nous la seconde priorit de rforme fiscale en France, immdiatement aprs la remise plat de l'imposition directe des revenus, et en cohrence avec cette dernire.

    Est-il grave que les riches paient moins d'impts que les autres?

    Avant d'exposer pourquoi et comment notre systme fiscal doit tre refond, une question se pose: est-il si grave que les 1 % ou 2 % des Franais les plus riches paient moins d'impts que les autres? Par exemple, est-il grave que les personnes disposant de 1 700 euros par mois paient 45 % de taux effectif, alors que ceux qui ont 63000 euros par mois paient 35 % ? On peut rpondre cette question de plusieurs faons.

    Prcisons d'abord que nous n'avons rien fait pour exagrer ces chiffres, bien au contraire. Comme toute personne se connec-tant au site www.revolution-fiscale.fr pourra le constater, toutes les hypothses que nous avons faites ont plutt tendance mini-miser la rgressivit dans les parties hautes de la distribution 1. Il est probable qu'en pratique les stratgies d'optimisation fiscale

    1. Par exemple, faute de donnes sur ce point, nous avons suppos que tous les actionnaires acquittaient le mme taux d'impt sur les socits et utilisaient les bnfices non distribus dans les mmes proportions (quel que soit le montant de leur portefeuille). Voir annexe au chapitre premier.

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  • REVENUS ET IMPOTS EN FRANCE

    des plus aiss leur permettent de tomber sensiblement au-dessous de 30 % 35 % de taux effectif d'imposition - comme le laissent d'ailleurs penser certains cas individuels trs mdiatiss, comme celui de Liliane Bettencourt. Nos rsultats montrent que cette rgressivit fiscale au sommet de la hirarchie des revenus est un phnomne qui va trs au-del de quelques anecdotes indivi-duelles. La rgressivit concerne les 5 % des Franais les plus riches (soit 2,5 millions de personnes) et surtout les 1 % les plus riches, soit 500000 personnes.

    Il s'agit selon nous d'un phnomne trs grave, d'abord pour des questions de principe. Une telle ralit menace poten-tiellement la cohsion sociale du pays et, en tout tat de cause, rend trs difficile l'acceptation d'efforts partags et de projets communs. Justifier cette rgressivit au motif qu'elle ne concerne somme toute qu'une petite minorit de la population revient passer ct du sujet. En 1789 dj, certains faisaient valoir que l'aristocratie ne reprsentait qu' peine plus de 1 % de la popu-lation et qu'il ne fallait pas aiguiser la jalousie du peuple l'gard de ses lites naturelles. L'exigence d'galit et de justice fiscale tait pourtant ncessaire, incontournable. Elle l'est toujours aujourd'hui, et c'est bien naturel.

    Ensuite, comme nous allons le voir maintenant, cette rgressivit est grave car elle signe l'ch~c d'un systme fiscal. Or elle peut tre corrige, ici et maintenant.

  • CHAPITRE 2

    Un impt sur le revenu pour la France du XXI 8 sicle Notre systme d'imposition directe des

    revenus doit tre entirement refond. D'abord parce qu'il n'assure plus son rle en matire de progressivit. Au contraire: comme nous venons de le dmontrer, il contribue rendre notre systme fiscal encore plus rgressif, et donc injuste. Ensuite - et ce second point est intimement li au premier - parce qu'il est devenu tellement complexe et illisible qu'il mine l'ensemble du systme fiscal franais et qu'il ne peut plus tre sauv par des petites rformes la marge.

    Notre diagnostic est que l'actuel impt sur le revenu offi-ciel (IR PP) doit tre purement et simplement supprim et que le nouvel impt sur le revenu doit tre conu comme une extension de l'actuelle CSG. Le nouvel impt sur le revenu (IR) que nous proposons de mettre en place conserverait exactement la mme assiette que la CSG et le mme systme de prlvement automa-tique la source, sur la base du revenu individuel. Simplement, il s'agirait d'une CSG avec un barme progressif, et non plus pro-portionnel.

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  • POUR UNE RVOLUTION FISCALE

    Comment fonctionne actuellement l'impt sur le revenu

    Nous avons dj not plus haut que l