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Pourquoi nous n'attendons rien du Forum Culture 2011 Par Emmanuel Latreille, Président du Cipac, Fédération des professionnels de l’art contemporain, directeur du Frac Languedoc-Roussillon, membre-adhérent du Syndeac. Alors que le débat sur le grand programme du ministre de la Culture intitulé « Culture pour chacun » a déjà été lancé dans la presse nationale et que de nombreuses voix se sont élevées contre ses formulations hostiles à la culture même, et aux institutions, paraît-il « élitistes », qui la rendent accessible à nos concitoyens depuis trente ans, une version allégée de ce texte a été produite le 19 janvier, deux jours avant les vœux à la Culture du Président de la République. Intitulée « Culture pour tous, culture pour chacun, culture partagée », elle accompagne l’annonce d’un « Forum culture 2011 » le 4 février prochain, dans quelques jours. Mais que peut-on attendre d'un Forum dont le programme semble ignorer les priorités des acteurs concernés ? Faut-il le rappeler, le secteur des arts plastiques est, sur le plan institutionnel, l’un des plus fragiles structurellement et budgétairement (3,6% du budget de la Culture, lui-même 0,9% du budget de l’Etat). Les Centres d’art, les Fonds régionaux d’art contemporain, les Artothèques, les Musées d’art contemporain et les centaines d’associations qui maillent le territoire en s’appuyant sur le soutien de l’Etat et des collectivités territoriales sont nés à partir des années 80, longtemps après les institutions issues de la décentralisation théâtrale, dans d’autres espaces que les fameuses Maisons de la Culture qui avaient pour ambition de présenter la culture dans son ensemble. 1/5

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Lettre ouverte, Emmanuel Latreille, Président du Cipac, Fédération des profesionnels de l'art contemporain février 2011

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Pourquoi nous n'attendons rien du Forum Culture 2011

Par Emmanuel Latreille, Président du Cipac, Fédération des professionnels de l’art contemporain, directeur du Frac Languedoc-Roussillon, membre-adhérent du Syndeac.

Alors que le débat sur le grand programme du ministre de la Culture intitulé « Culture pour chacun » a déjà été lancé dans la presse nationale et que de nombreuses voix se sont élevées contre ses formulations hostiles à la culture même, et aux institutions, paraît-il « élitistes », qui la rendent accessible à nos concitoyens depuis trente ans, une version allégée de ce texte a été pro-duite le 19 janvier, deux jours avant les vœux à la Culture du Président de la République. Intitulée « Culture pour tous, culture pour chacun, culture parta-gée », elle accompagne l’annonce d’un « Forum culture 2011 » le 4 février prochain, dans quelques jours.

Mais que peut-on attendre d'un Forum dont le programme semble ignorer les priorités des acteurs concernés ?

Faut-il le rappeler, le secteur des arts plastiques est, sur le plan institutionnel, l’un des plus fragiles structurellement et budgétairement (3,6% du budget de la Culture, lui-même 0,9% du budget de l’Etat). Les Centres d’art, les Fonds régionaux d’art contemporain, les Artothèques, les Musées d’art contempo-rain et les centaines d’associations qui maillent le territoire en s’appuyant sur le soutien de l’Etat et des collectivités territoriales sont nés à partir des an-nées 80, longtemps après les institutions issues de la décentralisation théâ-trale, dans d’autres espaces que les fameuses Maisons de la Culture qui avaient pour ambition de présenter la culture dans son ensemble.

Depuis bientôt quinze ans, le Cipac s’emploie à renforcer la visibilité profes-sionnelle des arts plastiques. Il en représente les métiers nouveaux apparus avec ses structures - les directeurs bien sûr, mais aussi les régisseurs, les médiateurs, les administrateurs, les enseignants d’écoles d’art - et aussi tous ceux qui, travaillant de façon indépendante, s’efforcent de mettre leurs com-pétences au service de l'art et des artistes  - les critiques d’art, les commis-saires d’exposition, les restaurateurs d’œuvres contemporaines… Les gale-ristes ne sont pas en reste puisque le Comité professionnel des galeries d’art est membre fondateur du Cipac et siège au sein de son Conseil d’administra-tion.

L’un des grands enjeux du Cipac est ainsi de faire connaître et reconnaître les nombreux métiers du milieu de l’art et de les rendre plus facile d’accès pour les générations futures. Sait-on par exemple qu’à ce jour aucune convention collective n’encadre spécifiquement le travail et l’évolution des carrières dans les structures vouées aux arts plastiques ? Que les parcours

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se font sans repères reconnus entre employeurs et employés ? Le Cipac tra-vaille avec les uns et les autres pour établir une grille des métiers et s’efforce de trouver les solutions juridiques possibles pour sortir de ce déni de recon-naissance professionnelle qui concerne des milliers de personnes. Avec les syndicats d’artistes, il s’attache aussi à la rédaction partagée des contrats in-dispensables au respect des droits de chacun lors de la production ou de la coproduction d’œuvres avec les institutions et les galeries, et aux droits atta-chés à leur acquisition et à leur diffusion.

Le Cipac n’a pas besoin d’un Forum sur le « capital symbolique » de chacun, tel que celui annoncé à la Grande Halle de la Villette ! Il a besoin d’un Etat qui lui permette de franchir des étapes essentielles pour la structuration et la professionnalisation du secteur des arts plastiques, pour la négociation d’une convention collective devenue indispensable et urgente pour ses institutions, et qui l’aide à mettre les bouchées doubles sur des contrats avec les artistes et les galeries, outils indispensables à la clarification des rôles et des intérêts des uns et des autres.

Sait-on également que les écoles supérieures d’art traversent l’une des pé-riodes les plus compliquées de leur longue histoire ? Leur restructuration en Etablissements Publics de Coopération Culturelle et leur alignement sur les critères de l’Enseignement supérieur universitaire, exigés par le gouverne-ment français en application des accords de Bologne, les contraint depuis deux ans à des redéfinitions profondes de leurs cursus et des missions de leurs personnels enseignants, entre autre. A ce jour, le processus de trans-formation et de validation qui leur était proposé est loin d’être conduit à son terme, faute d’un ministère de la Culture assez fort pour faire accepter les spécificités des apprentissages du métier d’artiste aux instances de l’Ensei-gnement supérieur et de la Recherche. Ce n’est donc pas un Forum sur la culture pour tous ou pour chacun dont ont besoin les enseignants, les per-sonnels, les élèves de ces écoles et les élus des collectivités qui financent ces établissements. C’est d’un ministère de la Culture qui réponde enfin clai-rement à leurs incertitudes, qui mette en œuvre, au moyen d’une mission ad hoc, les validations bloquées.

Sait-on enfin que l’économie de notre secteur est d’une fragilité endémique ? Certes, le dégel des 5% de réserves budgétaires annoncées pour 2011 par le Président de la République est un grand soulagement pour les arts plas-tiques, tant la stagnation depuis quelques années des subventions par rap-port à l’augmentation générale du coût de la vie se traduit par un étrangle-ment des équipes et un amoindrissement des projets. Nous veillerons à ce qu’il soit bien suivi d’effet pour toutes nos structures petites ou grandes, que la perméabilité des crédits de la création ne permette pas de flouer – ça s’est déjà vu - « le petit poucet » de la création artistique... Au-delà du moment présent et de la seule position de l’Etat, l’inquiétude demeure grande face à la situation dans laquelle seront mis bientôt les Départements et les Régions

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de ne plus pouvoir financer la Culture, conséquence d'une réforme des col-lectivités territoriales dont les effets pervers se font déjà sentir. Et c’est bien ce que de nombreux départements ont déjà commencé à faire en 2010, amorçant un mouvement de repli de l’offre culturelle dans notre pays. Aucun secteur de la Culture, et pas davantage celui des arts plastiques que les autres, ne peut avoir la naïveté de se laisser bercer par les considérations sur la fantastique mutation que promet le numérique dans l’accès aux œuvres, quand c’est l’accès direct, physique et donc personnel qui est direc-tement menacé par le retrait programmé de l’Etat et des collectivités. Ce n’est donc pas d’un Forum sur la numérisation des œuvres, l’industrialisation de la culture et la « culture à domicile » (comme on pourrait souhaiter se faire soigner à la maison plutôt qu’à l’hôpital !) dont nous avons le plus urgem-ment besoin, mais de ne pas avoir à envisager un tarissement des moyens déjà médiocres, qui ne permettent pas de remplir les missions que l’on a em-pilées depuis plusieurs années sur les épaules de nos maigres équipes.

La fascination du ministère pour le marché de l’art suggère parfois que le mi-lieu de l’art contemporain pourrait être l’espace d’une expérimentation « libé-rale » dans la Culture. Après les arts plastiques, les autres secteurs artis-tiques devraient se préparer à des mutations équivalentes à celle d’un do-maine qui a vu quelques fondations et mécènes compléter l’offre institution-nelle. Mais qui ne voit que la situation actuelle relève d’un équilibre fragile, d’ailleurs lié à la configuration du pays lui-même ? Car il sera impossible de réaliser sur le territoire français ce qui, à ce jour, concerne Paris et de grandes entreprises d’envergure nationale. Le ministère de la Culture et de la Communication, s’il entend conserver la prérogative d’une mission qu’il avait souhaité partager avec les collectivités territoriales dans l’heureux pro-jet de la décentralisation culturelle, doit dès aujourd’hui envoyer des signaux concrets.

Cela fait plus d’un mois et demi que le ministère nous annonce, après les En-tretiens de Valois du spectacle vivant, de grandes journées consacrées aux arts plastiques. L’objectif serait de faire remonter de bonnes et fortes propo-sitions pour l’art contemporain, formulées noir sur blanc à l’automne pro-chain. Bravo : c’est ce que nous attendons depuis… quatre ans ! Et bien, il n’est pas trop tard pour énoncer en effet une vraie politique culturelle, globale et spécifique à chacun de nos secteurs, ambitieuse sur le plan national et in-ternational. Les professionnels du service public comme du secteur privé ont des idées sérieuses, quelques projets avancés et des dossiers à partager avec un ministère de la Culture qui ne serait plus plombé par un obscur Conseil de la création artistique, qui serait capable – enfin !- de réaffirmer, avec les professionnels et les artistes, sa complète légitimité.

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