135
1 PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles pénitentiaires internationales Penal Reform International, La Haye, mars 1995, Paris, 1997 SOMMAIRE PREFACE Origines du projet 1-2 Objectifs 3-5 La méthode 6-8 Remerciements 9 Remerciements aux donateurs 10 Avis aux lecteurs 11 A L’ORIGINE DU LIVRE Les droits de l’homme en prison 1 Droits universels 2 Droits particuliers 3-4 Privation de liberté 5 Privation de liberté et vie normale 6-8 Principe de l'ouverture de la prison sur l’extérieur 9 Devoir d'assistance 10-12 Les prisons et autres lieux de détention 13 Groupes de détenus particuliers 14 Les mots "prison" et "détenu" 15 L’AMBITION ET LES LIMITES DE CE LIVRE 1-9 Chapitre I LES PRINCIPES FONDAMENTAUX Introduction 1-2 L’esprit des principes fondamentaux 3-7 L’esprit et la portée des RMT 8-9 L’interdiction de toute discrimination 10-11 Un traitement respectueux des différences ne constitue pas une discrimination 12-14 Liberté des croyances et interdiction des contraintes religieuses 15-16 Tenue d’un registre en vue d’éviter les détentions arbitraires 17-20 Démarrage et mise en œuvre du traitement pour la resocialisation des détenus 21-24 La sûreté comme une nécessité primordiale pour les détenus et le personnel pénitentiaire 25-26 Le traitement pénitentiaire et la préparation à la sortie 27-30 La vie communautaire en prison. Le principe de normalité 31-36 Principes directeurs applicables aux prévenus 37 Interdiction de la torture et des punitions et traitements cruels, inhumains ou dégradants 38-39 Les personnes détenues dans les cellules de police 40 Présomption d'innocence 41-42 Régimes des prévenus 43-44

PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

1

PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles pénitentiaires internationales Penal Reform International, La Haye, mars 1995, Paris, 1997 SOMMAIRE PREFACE Origines du projet 1-2 Objectifs 3-5 La méthode 6-8 Remerciements 9 Remerciements aux donateurs 10 Avis aux lecteurs 11 A L’ORIGINE DU LIVRE Les droits de l’homme en prison 1 Droits universels 2 Droits particuliers 3-4 Privation de liberté 5 Privation de liberté et vie normale 6-8 Principe de l'ouverture de la prison sur l’extérieur 9 Devoir d'assistance 10-12 Les prisons et autres lieux de détention 13 Groupes de détenus particuliers 14 Les mots "prison" et "détenu" 15 L’AMBITION ET LES LIMITES DE CE LIVRE 1-9

Chapitre I LES PRINCIPES FONDAMENTAUX

Introduction 1-2 L’esprit des principes fondamentaux 3-7 L’esprit et la portée des RMT 8-9 L’interdiction de toute discrimination 10-11 Un traitement respectueux des différences ne constitue pas une

discrimination 12-14 Liberté des croyances et interdiction des contraintes religieuses 15-16 Tenue d’un registre en vue d’éviter les détentions arbitraires 17-20 Démarrage et mise en œuvre du traitement pour la resocialisation

des détenus 21-24 La sûreté comme une nécessité primordiale pour les détenus et le

personnel pénitentiaire 25-26 Le traitement pénitentiaire et la préparation à la sortie 27-30 La vie communautaire en prison. Le principe de normalité 31-36 Principes directeurs applicables aux prévenus 37 Interdiction de la torture et des punitions et traitements cruels,

inhumains ou dégradants 38-39 Les personnes détenues dans les cellules de police 40 Présomption d'innocence 41-42 Régimes des prévenus 43-44

Page 2: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

2

Condamnés pour dettes à la prison civile 45 Personnes arrêtées ou incarcérées sans inculpation 46-47

Chapitre II PROCEDURES ET PLAINTES

Introduction 1-3 Maintenir l'ordre en prison 4-5 Les surveillants et le règlement 6-7 Le système disciplinaire et les procédures de plainte 8 Règles internationales relatives à la procédure légale de plainte

et d’appel 9-10 La plainte et l’appel 11-19 La procédure de dépôt de plainte est obligatoire 11-12 L’information des détenus et du personnel pénitentiaire sur la

procédure de la plainte 13-15 Le dépôt de plainte doit être facilité 16-17 Les plaintes déposées par des proches et d'autres

personnes concernées 18 Les plaintes contre les intervenants non pénitentiaires 19 Les plaintes traitées à l’intérieur et hors de la prison 20-24 Les procédures réglementaires offertes aux prévenus

et autres catégories particulières de détenus 25 Prévenus 26-27 Détenus étrangers 28 Autres catégories de détenus vulnérables ou désavantagées 29-30 La discipline 31 Règles applicables pour la défense des droits de l’homme 32-33 Autres documents pertinents 34 Conséquences institutionnelles 35 Des règles et des règlements écrits 36-37 Révision périodique des règles et règlements de la prison 38 Diffusion de l'information sur les règles 39 Par quels moyens la discipline est-elle imposée ? 40-44 Défense légale 45-48 Qui gère la discipline en prison ? 49 Sanctions 50-53 Droits de l’homme et sanctions 54-55 La torture et les peines ou traitements cruels,

inhumains, ou dégradants 56-59 Quand peines ou traitements sont-ils assimilables à la torture

ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ? 60-62 Proportionnalité de la sanction 63 Les différentes formes de sanctions 64 L’isolement 65-67 Isolement prolongé 68 Isolement de durée indéterminée 69 Isolement répété 70 Isolement combiné avec d'autres sanctions 71 Assistance médicale aux détenus punis 72-74 Les règles de l'isolement doivent être clairement codifiées 75 Menottes, fers aux pieds et autres instruments de contrainte 76-78

Page 3: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

3

Punitions corporelles 79 Suppression d’une réduction de peine 80-81 Privation sensorielle 82 Privation de nourriture 83 Double sanction ou sanctions multiples pour une seule infraction 84 Appel d'une punition disciplinaire 85 Les principes de droits de l’homme applicables 86-88 Autres instruments de droit 89 Nature de la procédure d'appel 90-93 Appel en justice 94-96

Chapitre III CONDITIONS MATERIELLES ET BESOINS ELEMENTAIRES DES DETENUS

Introduction 1-4 Les conditions de vie en prison peuvent être améliorées

par la créativité autant que par l’argent 5-7 Hébergement 8-20 Cellules et dortoirs 8-14 Espace de vie 15-18 Eclairage et ventilation 19-20 Hygiène 21-46 Sanitaires et propreté 21-28 Hygiène et soins personnels 29-37 Habillement et couchage 38-46 Nourriture 47-50 Soutien extérieur pour les besoins élémentaires 51-52

Chapitre IV SANTE PHYSIQUE ET MENTALE DES DETENUS

Introduction 1-2 Les soins en prison, une priorité 3-5 Les soins et la fonction médicale 6 Droit à la santé 7-10 La qualité des soins 11-12 La santé des détenus, une responsabilité de tous les

agents pénitentiaires 13-15 Les fonctions du médecin : priorité au patient 16-19 Serment d'Athènes 20-21 Les services médicaux sont indispensables 22-24 Le personnel de santé 25-26 Equipement 27 Le médecin, soignant personnel des détenus 28 Des examens médicaux rapides et pertinents 29-33 Le personnel médical doit être informé des incidents 34 Libre accès aux soins médicaux 35-36 Le médecin de la prison doit expliciter son rôle et son

éthique aux détenus 37 Le médecin, conseiller du directeur de la prison 38-39 Les limites du secret médical 40-42

Page 4: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

4

Le médecin et les sanctions 43-45 Expérimentation médicale et recherche clinique 46-47 Les maladies contagieuses, le cas du SIDA 48-50 Suicide 51-52 Grève de la faim 53-55 Malades en phase terminale et décès 56-58 Le médecin, responsable de la santé et de l'hygiène au sein de l’établissement 59 Le devoir du médecin de prison : inspecter et rendre

compte de l’hygiène et de la santé dans la prison 60-62 Hygiène alimentaire 63-65 Contrôle extérieur 66 Position corps infirmer 67-69 Contrôle du corps infirmier 70-71 Statut du corps infirmier 72 Compétences professionnelles des infirmières 73-74 Rôle des aides soignantes 75-76 Les cas de conscience du médecin de prison 77-81 Droit des détenus de porter plainte en matière de soins 82-85 Procédures d'appel à la disposition du personnel médical 86-88 Soins médicaux spéciaux 89 Soins aux prisonnières (et à leurs bébés) 90-92 Traitement des toxicomanes 93 Soins aux malades mentaux et aux déséquilibrés 94-97 Condamnés à mort 98-99 Participation d'un médecin aux exécutions capitales 100-101

Chapitre V LES CONTACTS DES DETENUS AVEC L’EXTERIEUR

Introduction 1 Droits préservés 2 Objectifs de resocialisation 3 Etablissements ouverts et semi-ouverts 4 Contacts avec la famille et les amis 5 Les liens familiaux, comme principal facteur de resocialisation 6 Contacts avec les amis 7 Informations sur les transferts 8-9 Incarcération proche du domicile 10 Lettres et appels téléphoniques 11-13 Visites 14-15 Parloirs intimes 16 Permissions 17 Relations des détenus étrangers avec l’extérieur 18 Contacts professionnels judiciaires et administratifs 19-25 Relations avec un avocat 19-20 Relations avec des représentants religieux 21 Relations avec les autorités publiques (nationales) et les associations 22-23 Contacts avec les représentants des corps diplomatiques et consulaires 24-25 Autres droits préservés 26-35

Page 5: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

5

Contacts avec les médias 26-29 Biens des détenus 30-31 Droits de vote des détenus 32-35 Notifications d’un décès ou d’une maladie grave 36-37

Chapitre VI LE TRAITEMENT DES DETENUS

Introduction 1-2 Du traitement à l'assistance des détenus 3-4 Sécurité dynamique 5-8 Le traitement doit être basé sur la personne et non sur le bon

ordre dans la prison 9-12 Des prisons adaptées à la resocialisation 13 Normalité de la vie en prison 14-16 Le bien-être des détenus malades 17-18 Des programmes et des mesures de sécurité adaptés aux individus 19-22 Des unités à échelle humaine 23-25 Le droit des détenus à une perspective de resocialisation 26-28 Différenciation et individualisation 29-34 Le détenu comme personne responsable 29-30 Programmes thérapeutiques 31-34 Liberté de croyance et de culte 35 La religion, un droit et non un devoir 36-38 Assistance religieuse et traitement pénitentiaire 39-40 Evaluation des besoins, programmation de la peine 41 Formation des surveillants en vue de l'évaluation des

aptitudes des détenus 42-43 La programmation, un processus continu amorcé dès l’incarcération 44-45 Un système souple de classement 46-52 Transferts de détenus 53-56 Différenciation et sûreté des personnes 57 Sexe 58-61 Statut légal 62-67 Age 68-74 Protection des détenus contre d'autres détenus 75-77 Formation de gangs 78 La séparation des détenus vulnérables, une méthode à ne pas suivre 79 Bébés en prison 80 Formation professionnelle des surveillants 81-82 Les activités en prison : associatives, constructives

et ne visant pas à l’exploitation des détenus 83-85 Travail en prison 86-88 Journée normale de travail 89-90 Le travail : un moyen de formation 91-94 Conditions de travail 95-97 Travail en régie ou géré par un entrepreneur privé 98-100 Sécurité au travail 101-103 Rareté du travail, compensation et rémunération 104-107 Travail des prévenus 108-110 Education et loisirs 111 L’enseignement en prison : mutualiste ou institutionnel, mais

Page 6: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

6

toujours volontaire 112-113 Besoins spéciaux 114-115 Bibliothèque : gestion et valeur éducative 116-121 Loisirs et sports 122-125 Relations sociales et préparation à la sortie 126-131 Les comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) et

la resocialisation des détenus 132-133

Chapitre VII LE PERSONNEL PENITENTIAIRE

Introduction 1 Une ambiance détendue, propice à l’optimisme 2-3 Qualités personnelles et besoins de formation 4-5 Organisation 6-7 Le niveau local : contrôle et direction 8-9 Conditions d’un travail professionnel 10 Recrutement et formation initiale 11-13 Thèmes de formation 14-15 Aptitudes professionnelles 16 Opinion et attitude du personnel vis-à-vis des détenus et de la prison 17-18 L’organisation du service et le statut 19 Conditions de travail 20 Salaires 21 Suppression du secret 22-23 Evolution des carrières 24 Problèmes sexuels 25-27 Personnel spécialisé 28 Indépendance professionnelle des spécialistes 29-30 Emploi de la force, situations critiques 31-32 Prévention de la violence et usage de la force 33 Les armes, une réponse inadaptée 34-35 La tâche du directeur 36 Le directeur, un animateur 37 Le directeur au service des intérêts des détenus et de la collectivité 38-39

Chapitre VIII L’INSPECTION

Introduction 1-2 Le champ d’investigation des inspections 3-4 Des inspections régulières et fréquentes, effectuées par un

personnel qualifié 5-6 Inspections impromptues 7 Les inspections, investigation et méthode 8 Les rapports d'inspection 9 Inspections spécialisées 10-11 Objectivité et indépendance 12-15

Page 7: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

7

Implications et rôle des ONG et d’autres personnes

et groupes non officiels 16 Attention particulière aux personnes vulnérables 17 Inspections internationales 18-19 Prévention des situations portant préjudice aux détenus 20-23 Les progrès accomplis 24-25 La publication des rapports d'inspection 26

Chapitre IX LA PRATIQUE JURIDIQUE DES REGLES DES NATIONS UNIES

Introduction 1 Portée et champ d’application des RMT 2-5 Le statut des RMT 6-8 Interprétation des RMT 9-10 Les cas particuliers des mineurs 11 ANNEXE Ensemble de Règles minima pour le traitement des détenus

Page 8: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

8

PREFACE Les efforts combinés de plus d'une centaine d'experts gouvernementaux et non gouvernementaux de quelque cinquante pays ont donné à cet ouvrage un caractère véritablement international. L'ONU s'intéresse à la manière dont sont traités tous les êtres humains, y compris ceux qui se trouvent détenus. Elle s'est dotée à cet égard d'un certain nombre d'instruments de droit international visant à protéger et à garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales au sein des prisons. Force est de constater que l'application de ces principes est déficiente dans un grand nombre (sinon dans la plupart) de pays du monde. Ce livre recense, sous une forme claire, les règles élaborées par les Nations unies en matière de condition de vie en prison et de traitement des détenus et tente d'expliquer les conséquences concrètes qui en découlent, tant pour les politiques pénitentiaires que pour la gestion au quotidien des prisons. Notre plus grande gratitude va à tous les experts, qui, par leurs contributions, écrites et orales, ont permis de faire de ce livre un document de portée internationale que l'on espère pratique et pertinent. Nous remercions tout particulièrement les rédacteurs bénévoles : Norman Bishop, ancien directeur de la recherche à l’Administration suédoise des prisons et de la probation, expert scientifique auprès du Conseil de l'Europe; Kees Boeij, directeur des prisons de la région d'Alkmaar, aux Pays-Bas ; Dr. Silvia Casale, actuellement présidente du Comité européen pour la Prévention de la Torture ; le Dr. Johannes Feest, professeur de criminologie et de droit pénal, à l’Université de Brême ; Chidi Anselm Odinkalu, alors consultant de Interights, à Londres ; Hans Tulkens, alors président de PRI, professeur de criminologie à l’Université de Groningue et conseiller en criminologie du ministre de la Justice, aux Pays-Bas ; Joanna Weschler, alors directrice du Projet sur les prisons, pour Human Rights Watch, à New York ; Dirk van Zyl Smit, professeur et doyen de la Faculté de droit, à l’Université du Cap. Nous sommes également reconnaissants aux nombreux organismes et partenaires qui ont facilité la traduction et la diffusion de ce manuel dans plus de 15 langues et de nombreux pays. Pour cette version française, nous remercions en particulier la Commission des Communautés européennes et le ministère de la Justice des Pays-Bas.

Page 9: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

9

A L'ORIGINE DU LIVRE Les droits de l’homme en prison 1. Les droits universels de l’homme ne s'arrêtent pas aux portes des prisons. Ils s'appliquent à tout individu arrêté ou incarcéré. Ces droits comprennent : - le droit à la vie et au respect de l'intégrité de la personne ; - le droit de n'être l'objet ni d'actes de torture ni de mauvais traitements ; - le droit à la santé ; - le droit au respect de la dignité humaine ; - le droit à l'application équitable de la loi ; - le droit d'échapper aux discriminations de toute natures ; - le droit de n'être pas soumis à l'esclavage ; - le droit à la liberté de pensée ; - le droit à la liberté de conscience ; - le droit à la liberté de religion ; - le droit au respect de la vie familiale ; - le droit à l'épanouissement personnel. Droits universels 2. Les droits fondamentaux de l’homme sont garantis par des lois et des règles internationales. Un grand nombre de pays de toutes les parties du monde ont signé et ratifié des traités, des conventions, des accords ou des règlements internationaux confirmant ces droits. Les textes les plus importants sont la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Certains Etats ont réaffirmé ces droits dans des conventions ou accords supranationaux. Droits particuliers 3. Quelles que soient les circonstances de leur vie, tous les êtres humains bénéficient de droits fondamentaux qui ne peuvent être suspendus sans justification légale. Les personnes arrêtées ou incarcérées ont perdu à cause de l'infraction dont elles sont accusées leur droit à la liberté. Si elles se trouvent retenues illégalement, elles conservent tous leurs droits, y compris celui à la liberté. 4. Certains droits peuvent cependant être limités du fait de l'incarcération, tels l'exercice de certaines libertés personnelles, le droit à la vie privée, la liberté de mouvement, la liberté d'expression, la liberté de réunion et la liberté de vote. La grande question est de savoir si - et dans quelle mesure - d'autres restrictions des droits de l’homme peuvent constituer une conséquence nécessaire et justifiée de la privation de liberté. Privation de liberté 5. Le contrôle social du crime peut justifier l'emploi de sanctions. Mais l'emprisonnement doit constituer un ultime recours, car son utilisation soulève immanquablement la question des droits de l’homme, qui est au centre du présent ouvrage. Privation de liberté et vie normale 6. Beaucoup de détenus se trouvent en prison pour y accomplir une peine. L'expression est ambiguë : on ne va pas en prison pour y recevoir des châtiments, c'est l'absence de liberté en tant que telle qui constitue la peine. Dès lors, les conditions de détention ne devraient pas ajouter de la souffrance à l'emprisonnement en tant que tel et les effets pervers inhérents à l'enfermement devraient être atténués sinon éliminés. Car s'il est impossible de recréer en prison les conditions d'une “ vie normale ”, tout doit être mis en œuvre pour s'en rapprocher. 7. En plus des condamnés, la prison accueille un certain nombre de personnes qui s'y trouvent pour des motifs divers : prévenus en attente d'une décision de justice définitive, réfugiés ayant demandé l'asile

Page 10: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

10

politique, immigrés en quête d'un statut ou frappés d'une décision d'expulsion, etc. L'emprisonnement ne représente pas pour eux une sanction, mais une mesure de précaution ou de sûreté. A leur égard, les conditions de détention devraient être aussi proches que possibles de celles de la vie normale. 8. Les détenus attendant d'être fixés sur leur sort doivent bénéficier du plus large accès possible aux sources d'information extérieures (médias, avocats, etc.) afin de pouvoir exercer pleinement leur droit de se défendre. Principe de l'ouverture de la prison sur l'extérieur 9. La privation de liberté présente toujours le risque de la violation des droits de l’homme. L’homme dispose du droit fondamental de ne pas être privé de sa liberté, sauf si la loi pénale l'exige et si les règles de la procédure pénale sont respectées. Dans la pratique, la privation de liberté peut être exercée en dehors de la loi, des personnes se trouvant emprisonnées au mépris des procédures et protections légales normales. La sauvegarde des droits des personnes en captivité exige l'ouverture des prisons et autres lieux de détention à des inspections extérieures indépendantes, les détenus ne devant pas être pour leur part coupés du reste du monde. Devoir d'assistance 10. L'Etat qui prive une personne de sa liberté a envers elle un double devoir d'assistance : la maintenir en vie et assurer son bien-être. 11. Les droits des personnes emprisonnées reposent, en droit international, sur une série de conventions et d'accords qui ont valeur de traités ; les Etats qui les signent et les ratifient s'obligent à en suivre les prescriptions. 12. La mise en œuvre de ces traités est définie dans l’ “ Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus ” (RMT)1. Ces “ règles minima ” constituent le plus ancien document international en matière de traitement des “ personnes soumises à la détention ou à l'emprisonnement ”. Elles ont été très largement reconnues en raison de leur qualité juridique et morale et ont exercé une influence déterminante sur le développement des politiques pénales et des pratiques pénitentiaires. Elles offrent un luxe de détails pratiques (sur le devoir d'assistance aux détenus par exemple) que l'on n'a pas l'habitude de trouver dans des déclarations, conventions et accords internationaux. Les RMT ont été utilisées par diverses institutions, notamment des tribunaux nationaux et internationaux, dans la perspective de mettre en exergue l'assistance à laquelle les détenus ont droit. Les RMT sont des règles minima ; elles établissent des normes qui doivent impérativement être mises en pratique. Les prisons et autres lieux de détention 13. Nombre de personnes sont incarcérées dans d'autres lieux que les prisons : dépôts et cellules de police, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative, voire d'autres espaces de détention non officiels ou privés qui échappent à l'administration pénitentiaire. Les droits des personnes incarcérées doivent s'appliquer à l'ensemble de ces lieux de détention. Groupes de détenus particuliers 14. Le présent ouvrage ne s'intéresse pas aux prisonniers de guerre, quand bien même nombre des règles et principes évoqués ici leur seraient applicables. On se contentera d'évoquer le caractère particulier de certaines catégories de détenus : les mineurs, les femmes, les étrangers, les malades mentaux et les toxicomanes. Tous nécessitent des conditions de détention appropriées et des dispositions particulières de traitement que nous ne pourrons malheureusement que signaler ici sans les détailler. 1 Dans ce livre, les “ Règles Minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ” sont traduites en abrégé par le sigle RMT. Quand une règle pénitentiaire est mentionnée sans plus de précision, il s'agit toujours d'une RMT.

Page 11: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

11

Les mots “ prison ” et “ détenu ” 15. Les mots “ prison ” et “ détenu ” seront utilisés dans les pages suivantes dans leur sens général : le mot "détenu" se rapporte à toute personne privée de liberté quel que soit le lieu où elle se trouve incarcérée et quel que soit le motif ayant présidé à son incarcération.

Page 12: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

12

L'AMBITION ET LES LIMITES DE CE LIVRE 1. Le présent ouvrage ne prétend pas dresser un inventaire exhaustif des règles ou prescriptions applicables à la prison. Il n'entend pas non plus promouvoir la révision des règles existantes. 2. Son ambition est d'expliquer comment des règles pour le traitement des détenus acceptées dans le monde entier doivent trouver une application concrète et généralisée dans le quotidien des prisons. 3. Ce livre est le fruit de discussions ouvertes et approfondies auxquelles ont participé des experts (gouvernementaux et non gouvernementaux) représentant plus de cinquante pays du monde. 4. Il n'est pas destiné aux seuls théoriciens. Il s'adresse aux rédacteurs de codes pénaux ou de procédure pénale, aux responsables des prisons et plus généralement à tous ceux, fonctionnaires, membres d'associations ou agents du privé, qui sont engagés à quelque titre que ce soit dans une activité en rapport avec les détenus. 5. L'ouvrage n'est ni exhaustif ni parfait. Il est néanmoins souhaité qu'il soit utilisé partout dans le monde. Pour des raisons d'universalité, les documents légaux à caractère national ou local ont été négligés, sauf à être mentionnés à titre d'illustrations. 6. On espère que les lecteurs apporteront les précisions qui permettront d'adapter le présent ouvrage à des catégories spécifiques de détenus, ou encore à des nations ou à des prisons particulières. 7. Le traitement des détenus a été abordé sous huit angles différents, déterminés en accord avec tous les experts ayant concouru à la rédaction de ce livre. 8. L'ouvrage repose aussi sur les points de vue et les expériences accumulés par les experts au fil des ans, dès lors qu'ils avaient l'occasion de mettre en pratique les RMT. 9. Il n'offre pas de solutions sommaires. La vie en prison ne peut se voir réduite à des stéréotypes. Les situations et les comportements humains sont complexes, aussi les actions et les décisions doivent-elles être soigneusement évaluées. Dans cet esprit, le présent ouvrage tente de fournir une “ base de données ” qui permette une amélioration continue des pratiques pénitentiaires.

Page 13: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

13

Chapitre I LES PRINCIPES FONDAMENTAUX Introduction 1. Certaines des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (RMT) revêtent un caractère prescriptif absolu. Elles constituent des principes fondamentaux devant s'appliquer en tout lieu et en tout temps. Ces principes fondamentaux découlent d'autres textes des Nations unies en matière de défense et de garantie des droits de l’homme2. 2. On donnera quelques exemples de ces principes fondamentaux : - les prisons doivent être des communautés organisées en vue d'assurer la vie, la santé et l'intégrité de la personne des détenus ; - les détenus ne doivent faire l'objet d'aucune discrimination dans le cours de leur traitement ; - lorsqu'un tribunal inflige une peine d'emprisonnement à un délinquant, il impose une sanction extrêmement pénible en elle-même qui ne peut en aucun cas être aggravée du fait des conditions de détention ; - les activités organisées à l'intérieur de la prison doivent tenir compte autant que possible de la resocialisation des détenus à l'issue de leur peine. En conséquence, les règles et les régimes pénitentiaires ne doivent pas limiter plus qu'il n'est besoin les libertés des détenus, leurs contacts avec l'extérieur et les possibilités de leur développement personnel. Les règles et les régimes pénitentiaires doivent au contraire favoriser l'intégration du détenu au sein d'une collectivité ayant un mode de vie normal. On reviendra plus en détail sur ces principes fondamentaux dans les paragraphes suivants. L'esprit des principes fondamentaux 3. Les observations préliminaires (règles 1, 2, 3 et 4) exposent la philosophie qui anime les principes fondamentaux3. De même, les règles 27 et 56 sont moins des règles de portée générale que des principes fondamentaux sur lesquels doit se fonder la gestion de tout système pénitentiaire. Aussi toutes les RMT doivent-elles être lues à la lumière de ces déclarations d'intention et de ces principes fondamentaux. 4. Les observations préliminaires (règles 1, 2, 3 et 4) peuvent être résumées comme suit : les RMT ne visent pas à décrire dans le détail un système modèle d'institution pénale, elles tentent de mettre en exergue, avec sincérité et à partir d'un consensus général, les principes essentiels et les pratiques correctes qui doivent présider au traitement des détenus ou à la gestion des prisons. Les conditions légales, sociales, économiques et géographiques variant sensiblement d'un pays à l'autre, ces règles ne sont pas applicables partout et au même moment. Un effort doit cependant être poursuivi en vue, d'une part, d'accélérer et d'étendre la mise en application de ces règles minima et, d'autre part, de favoriser les politiques expérimentales qui s'en inspirent. 5. Aucun système pénitentiaire ne satisfait complètement aux exigences des RMT et certaines politiques pénales en sont particulièrement éloignées. D'où le besoin d'un effort continu d'expérimentation, de développement et d'amélioration des RMT. Il faut garder en mémoire la règle 56 : Les principes directeurs qui suivent ont pour but de définir l'esprit dans lequel les systèmes pénitentiaires doivent être administrés et les objectifs auxquels ils doivent tendre, conformément à la déclaration faite dans l'Observation préliminaire n° 1 du présent texte. 6. La règle 27 exige pour sa part que l'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie communautaire bien organisée. Cette règle représente un impératif catégorique qui s'impose 2 Cf. infra, chapitre IX pour un exposé plus complet de ces textes. 3 Cf. infra, chapitre IX.

Page 14: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

14

à toute administration pénitentiaire : la mise en œuvre de toutes les autres règles en dépend. La sûreté des prisons est la priorité des priorités : les prisons doivent être sûres pour les détenus, pour les agents pénitentiaires et pour la société. L'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies stipule que: “ Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ”. Le premier devoir de toute administration pénitentiaire est donc de s'assurer que les prisons sont sûres pour les détenus qui sont obligés d'y résider et pour le personnel pénitentiaire qui doit y travailler. Les détenus et les agents doivent éviter toute violence et s'interdire de menacer la vie et la santé de quiconque. La société est en droit d'exiger que ses membres soient à l'abri des activités agressives des détenus. Rendre les prisons sûres tout en recourant au minimum de moyens de coercition, tel est le sens de l’article 3 de la Déclaration Universelle et de sa traduction dans les RMT. 7. Les règles de caractère général sont applicables à toutes les catégories de détenus ; la plupart des règles élaborées en faveur des condamnés s'appliquent aux catégories spéciales de détenus mises en exergue dans les RMT. Cette disposition revêt une importance considérable, compte tenu du nombre élevé de détenus placés en détention préventive ou maintenus en prison pour d'autres raisons dans beaucoup de pays du monde, et dont les conditions de détention sont moins bonnes que celles des condamnés - une situation inacceptable au vu de la présomption d'innocence et de la recommandation de l'observation préliminaire n° 4. L'esprit et la portée des RMT 8. Les règles découlent des principes fondamentaux dont on vient de rappeler le contenu et l'esprit. On peut donc déduire de ces mêmes principes les objectifs et les limites des RMT. Ainsi, celles-ci n'aspirent pas à bâtir le système pénitentiaire idéal. Une telle ambition serait irréaliste autant qu'illégitime. Elle supposerait d'une part plus de connaissances et de compétences de la part des experts et, d'autre part, que la question de l'espace (variations économiques, sociales, historiques et politiques d'un pays à l'autre) et du temps (maintien d'une perfection permanente) serait esquivée (ou résolue). Cette ambition serait de surcroît contradictoire avec celle de réaliser un changement positif continu. 9. L'objectif premier des RMT est posé clairement dans l'Oobservation préliminaire n° 1 : les règles visent à identifier les “ éléments essentiels des systèmes contemporains les plus adéquats ”, à exposer “ les principes et les règles d'une bonne organisation pénitentiaire ” et à mieux cerner “ la mise en pratique adéquate du traitement des détenus ”. La référence aux “ éléments essentiels ” se rapporte directement au fait que les RMT ne prennent en compte que les nécessités de base minimales - soient les conditions nécessaires pour qu'un système pénitentiaire permette effectivement que les détenus bénéficient d'un minimum de respect humain. Les “ éléments essentiels ” renvoient aussi, quoiqu'indirectement, aux droits de l’homme affirmés dans les divers documents internationaux que nous examinerons dans le chapitre IX. L'interdiction de toute discrimination 10. Règle 6 (1) Les règles qui suivent doivent être appliquées impartialement. Il ne doit pas être fait de différence de traitement basée sur un préjugé, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. (2) Par contre, il importe de respecter les croyances religieuses et les préceptes moraux du groupe auquel le détenu appartient. Les exigences de la règle 6 (1) sont sans équivoque. Les RMT doivent être appliquées “ impartialement ”, c'est-à-dire avec justice et équité. Il y a discrimination dès lors qu'un préjudice ou un désavantage est imposé à certains détenus ou groupes de détenus pour l'une ou l'autre des raisons évoquées par la règle. Toute pratique pénitentiaire basée sur un parti pris, le sectarisme, le fanatisme ou un préjugé quelconque est par conséquent interdite. La règle 6 (1) utilise pour prohiber toute

Page 15: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

15

discrimination à peu près les mêmes termes que l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies. Une semblable interdiction a été renouvelée dans le deuxième des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies lors de sa 68ème réunion de décembre 1990. L’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948, affirmait pour sa part : Tous (les citoyens) sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. 11. La règle 6 (1) interdit la discrimination sur la base d'une “ autre situation ”. Une telle “ autre situation ” est devenue malheureusement d'une actualité brûlante et d'une importance considérable au sein des prisons : on aura compris que les détenus déclarés séropositifs ne doivent être l'objet d'aucune discrimination. C’est rarement le cas. La crainte et l'ignorance face à la transmission de l'infection par des détenus séropositifs conduit trop souvent à ce qu'ils subissent une discrimination, en particulier sous la forme d'une exclusion de la communauté, voire d'un isolement physique que ne justifient dans beaucoup de cas ni raisons médicales, ni problèmes de comportement. Des mesures particulières peuvent être prises dans des cas extrêmes, mais en dehors de ces situations exceptionnelles, l'isolement des détenus séropositifs constitue bel et bien une discrimination4. Un traitement respectueux des différences ne constitue pas une discrimination 12. L'interdiction de toute discrimination ne signifie en rien la non reconnaissance de l'extrême diversité des convictions philosophiques, morales ou religieuses. Il est opportun d'établir ici une distinction très nette entre discrimination et différenciation. La “ discrimination ” a pour conséquence d'infliger un préjudice ou d'imposer un désavantage sous le prétexte de raisons injustes sinon nocives. La “ différenciation ” implique au contraire une variété de traitement des détenus résultant de croyances ou de besoins spécifiques, de situations ou de statuts spécialement handicapants - le fait par exemple d'être un étranger, une femme ou d'appartenir à une minorité ethnique ou religieuse. Contrairement à la discrimination, la reconnaissance de différences fondamentales entre les personnes ne devrait pas avoir pour conséquence d'infliger un préjudice ou d'imposer un désavantage, sous le prétexte de raisons injustes sinon nocives. 13. Cependant les détenus appartenant au groupe majoritaire peuvent considérer la différence de traitement dont bénéficient les minorités comme une discrimination injuste, en particulier quand ces minorités sont considérées comme d'un statut inférieur. Le personnel pénitentiaire doit être conscient de cette difficulté, afin de pouvoir proposer des explications rationnelles à ces distinctions ainsi pratiquées, particulièrement dans le cas où il serait saisi de plaintes formulées par des détenus appartenant au groupe majoritaire. 14. La mise en œuvre d'une peine de prison conduit inévitablement à soumettre les détenus à certaines contraintes. Ainsi, un détenu qui doit être expulsé à la fin de sa peine ne bénéficiera pas de permission s'il est susceptible de commettre de nouveaux délits au cours de ladite permission. Un tel désavantage n'est admissible qu'envisagé comme une conséquence nécessaire de l'application d'une peine de prison légalement prononcée et correctement exécutée. La différence de traitement appliquée aux détenus ne doit jamais être le résultat d'un préjugé ou d'un parti pris, du fanatisme ou du sectarisme. Des traitements différents peuvent être considérés comme légitimes dès lors qu'ils sont la conséquence juste et raisonnable de la condamnation, qu'ils sont justifiés par un savoir-faire et une expérience reconnus, qu'ils ont pour objet l'amélioration de la situation personnelle et sociale du détenu et qu'ils se fondent sur un haut degré de tolérance et de compréhension. Le caractère équitable et mesuré des contraintes imposées par l'incarcération doit pouvoir être testé à l'aune des possibilités offertes aux détenus de se plaindre à une autorité indépendante. La discrimination devient par contre effective lorsque des modèles de comportement déviants, quoique connus des autorités, continuent d'inspirer des pratiques déviantes5. Liberté des croyances et interdiction des contraintes religieuses

4 Cf. infra, chapitre IV, § 48. 5 Cf. infra , chapitre II.

Page 16: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

16

15. La liberté de croyance religieuse est un des principaux droits de l’homme. Elle est garantie par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toute contrainte dans le choix de la religion est interdite. La règle 6 (2) des RMT reconnaît la nécessité de respecter les croyances religieuses et les préceptes moraux du groupe auquel le détenu appartient6. 16. Quelle doit être la pratique vis-à-vis de groupes que les croyances religieuses ou les préceptes moraux qui les guident conduisent à l'exercice de la cruauté et de la violence ou à des menaces proférées contre d'autres groupes ? Peut-on tolérer n'importe quel type de comportement dès lors qu'il est fondé sur des croyances religieuses ou des préceptes moraux ? La règle 6 (2) n'admet de fait aucune restriction. Toutefois, la vie en prison, tout comme celle en société, serait impossible si une croyance religieuse ou des préceptes moraux permettaient de justifier n'importe quel type de comportement. Le respect dû aux croyances religieuses ou aux préceptes moraux présuppose que ces croyances et ces préceptes ne dénient pas l'existence d'autres croyances et préceptes et qu'ils ne sont pas porteurs de cruauté, de violence ou de menaces. Il est opportun de rappeler ici l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils (...) doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Les croyances religieuses et les préceptes moraux qui dénient ces droits sont porteurs de discrimination et ils tombent comme tels sous l'interdiction signifiée dans l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme citée dans le paragraphe 10. Tenue d'un registre en vue d'éviter les détentions arbitraires 17. La règle 7 qui s'intéresse à l'écrou des détenus est impérative, et ne souffre aucune exception compte tenu de ses implications. Règle 7 1) Dans tout endroit où des personnes sont détenues, il faut tenir à jour un registre relié et coté indiquant pour chaque détenu : a) Son identité ; b) Les motifs de sa détention et l'autorité compétente qui l'a décidée ; c) Le jour et l'heure de l'admission et de la sortie ; 2) Aucune personne ne peut être admise dans un établissement sans un titre de détention valable, dont les détails auront été consignés auparavant dans le registre. 18. La règle 7 doit être interprétée à la lumière des dispositions des articles 9 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui interdisent tout internement arbitraire. Ces articles 9 et 10 proclament que : Article 9 Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. Article 10 Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit de même dans son article 9.1 que : 6 Cf. infra, chapitres V et VI.

Page 17: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

17

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Pour que ces conditions soient respectées, le personnel pénitentiaire doit s'assurer que tout écrou résulte d'un ordre d'incarcération authentique et valable. La responsabilité de la mise en œuvre de cette partie de La règle 7 est du ressort tant de chaque administration centrale nationale que du directeur et du personnel de chaque établissement pénitentiaire. 19. La règle 7 trouve un fondement supplémentaire dans le principe 12 de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. Ce Principe s'applique plus particulièrement aux personnes détenues dans des cellules de police et aux prévenus : 1. Seront dûment consignés : a) Les motifs de l'arrestation ; b) L'heure de l'arrestation, l'heure à laquelle la personne arrêtée a été conduite dans un lieu de détention et celle de sa première comparution devant une autorité judiciaire ou autre ; c) L'identité des responsables de l'application des lois concernées ; d) Des indications précises quant au lieu de détention. 2) Ces renseignements seront communiqués à la personne détenue ou, le cas échéant, à son conseil, dans les formes prescrites par la loi. L'enregistrement détaillé de ces informations et de celles exigées par la règle 7 constitue une importante protection contre le phénomène des “ disparitions ”, au sens où des détenus disparaissent au sein du système pénitentiaire sans que personne ne sache où ils se trouvent. 20. La règle 7 exige aussi, dans sa première partie, que soient enregistrés l'identité de chaque détenu, le ou les motifs ayant présidé à son incarcération, la date et l'heure de celle-ci ainsi que la nature de l'autorité ayant délivré le titre de détention. Pendant toute la durée de l'emprisonnement, des circonstances très variées peuvent intervenir qui rendent nécessaire la connaissance précise de ces renseignements : mauvaise conduite, évasion, accident, maladie, décès, incendie, mutinerie, etc., autant d'événements qui entraînent enquêtes et procédures légales. Les prescriptions particulièrement tatillonnes de la règle 7 (registre relié et coté) peuvent paraître obsolètes alors que beaucoup d'administrations pénitentiaires font usage de systèmes informatisés. Les méthodes d'enregistrement peuvent différer de celles décrites dans La règle, à la condition expresse qu'un enregistrement fiable soit assuré, qui ait un caractère permanent et dont les données soient facilement accessibles dans les cas d'urgence. Lors d'incendies et de mutineries, ces données peuvent rapidement être détruites alors même qu'elles sont essentielles pour le contrôle de la situation. Les administrations pénitentiaires doivent par conséquent veiller avec beaucoup de soin à la préservation de ces documents, en particulier quand ils concernent un grand nombre de détenus. Démarrage et mise en œuvre du traitement pour la resocialisation des détenus 21. La règle 4 établit que les règles applicables aux condamnés le sont aussi à toutes les catégories de détenus, pourvu qu'elles ne soient pas contradictoires avec les règles concernant certaines catégories de détenus, ces dernières prévalent alors. Sous cette réserve, les règles suivantes sont donc applicables aux prévenus, aux malades mentaux ou déséquilibrés, aux détenus pour dettes et aux personnes détenues sans charge légale. 22. Règle 57 L'emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont afflictives par le fait même qu'elles dépouillent l'individu du droit de disposer de sa personne en le privant de sa liberté. Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation.

Page 18: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

18

La règle propose une définition claire de la peine de prison et souligne que l'emprisonnement est une peine de caractère afflictif par nature, ce caractère ne pouvant être aggravé que des seuls faits d'une ségrégation justifiée et du maintien du bon ordre dans la prison. On peut résumer ainsi cette règle : les délinquants subissent une peine de prison et non pas une peine en prison. 23. L'emprisonnement entraîne néanmoins toute une série de privations. Les détenus doivent vivre en commun avec des personnes qu'ils n'ont pas choisies et se soumettre au régime pénitentiaire en vigueur dans l'établissement. Ils sont privés de contact normal avec les personnes du sexe opposé, avec tout ce que cela implique de frustrations tant au point de vue de l'expression émotionnelle que dans l’affirmation de l'identité personnelle. Ils sont privés aussi de l'accès normal aux biens et aux services. Le degré de responsabilité qu'ils sont à même d'exercer dans la conduite de leur vie quotidienne demeure limité. Ces effets se manifestent différemment, en étendue et en intensité, d'un système pénitentiaire à un autre, voire d'un établissement ou d'un quartier d'établissement à un autre ; reste que l'incarcération est toujours pénible en elle-même. 24. Les privations et les souffrances générées par la vie en prison ont été mises en exergue dans un grand nombre de recherches en criminologie qui ont démontré qu'elles avaient pour effet de renforcer l'adhésion aux habitudes et aux associations criminelles en même temps que le rejet des valeurs sociales consensuelles. Cependant, quand bien même le droit d'initiative serait fortement compromis du fait de l'incarcération, le devoir de l'administration est d'offrir aux détenus le maximum d'occasions permettant de restaurer ce droit et d'exercer une responsabilité personnelle. Au nom de considérations aussi bien juridiques que pratiques, il importe que les seules souffrances subies par les détenus soient celles qui sont inévitables parce qu'inhérentes à l'incarcération. Ces souffrances inévitables devraient faire constamment l'objet de contrôles et d'efforts continus en vue de les atténuer. La sûreté comme une nécessité primordiale pour les détenus et le personnel pénitentiaire 25. La règle 57 évoque aussi les restrictions imposées à l'initiative et à la liberté personnelle qui résultent du maintien de la discipline en prison. On ne le répétera jamais assez : dans tout système pénitentiaire, le maintien de l'ordre au sein de la communauté des détenus est fondamental, les prisons devant être des lieux où la sûreté est assurée en faveur des détenus comme du personnel pénitentiaire. Le fait de subir une peine ne doit jamais signifier que les détenus et les surveillants renoncent à leurs droits d'être protégés contre des menaces de violence, de meurtre, de chantage, d'attaques sexuelles ou autres ou soient exposés à des risques pour leur santé physique et mentale et pour leur intégrité personnelle. Détenus et surveillants partagent un intérêt commun : que le bon ordre soit maintenu à l'intérieur de la prison. 26. Le bon ordre est assuré au sein d'une communauté à partir du moment où il est fondé sur des règles auxquelles adhèrent volontairement tous ses membres. On reviendra dans ce livre sur les actions positives qui peuvent être entreprises à cette fin. Il peut cependant s'avérer nécessaire, en toute dernière extrémité, de restreindre la liberté de certains détenus afin d'éviter de leur part des activités destructrices. De telles restrictions doivent pouvoir être révisées en permanence et des efforts doivent être entrepris pour favoriser le retour de tels détenus au sein de la détention normale. Le traitement pénitentiaire et la préparation à la sortie 27. Règle 58 Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins. Règle 59

Page 19: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

19

A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux et spirituels et autres et à toutes les formes d'assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants. Les règles rappellent que l'objectif essentiel de la privation de liberté est de protéger la société. Ce qui ne signifie pas que la prison est un moyen pour la société de se débarrasser des délinquants dans le but d'éradiquer la délinquance. De nombreuses recherches tendent à prouver que le recours à l'emprisonnement a relativement peu d'effet sur le taux de la délinquance, quel que soit le type de société. Les règles veulent donc signifier que l'emprisonnement est une sanction ultime qui ne devrait être utilisée que lorsque la sécurité de la société est gravement menacée. Même dans ce cas, il incombe aux autorités pénitentiaires et au personnel de surveillance de travailler en vue d'une sûreté future, quand sera venu le temps où le détenu sera libéré reprendra sa place dans la société. On y parviendra en limitant autant que faire se peut les effets nuisibles de l'incarcération et en cherchant à convaincre le détenu qu'il est de son intérêt de saisir toutes les opportunités de se préparer à une vie responsable et socialement acceptable après sa libération. 28. La règle 58 souligne le fait que les détenus retournent presque tous dans la société après un temps d'enfermement plus ou moins long. Dans beaucoup de cas, le retour dans la société intervient avant l'achèvement de la peine par suite d'une réduction de peine ou d'une libération conditionnelle. La société n'a évidemment rien à gagner à ce que les détenus reviennent en son sein en étant devenus plus impliqués dans un mode de vie délinquant. Un nombre incalculable de recherches en criminologie menées dans toutes les parties du monde a démontré cependant que ce phénomène constitue l'un des effets les plus courants de l'emprisonnement. Aussi beaucoup de gouvernements s'efforcent-ils dorénavant d'atténuer le dommage personnel et social subi par le détenu du fait de l'incarcération. C'est une première étape dans un processus de resocialisation qui requiert le développement d'un grand nombre de programmes d'action, tous mobilisés autour du retour du détenu au sein de la société. La règle établit également que les habitudes de sociabilité doivent être encouragées, de même que l'accès à l'information et le recours à tous les moyens qui faciliteront une vie honnête après la libération. 29. La règle 59 reconnaît la complexité des programmes de resocialisation des détenus. Il est nécessaire de proposer une large palette de ces programmes, compte tenu de la variété des problèmes auxquels sont confrontés les détenus7. Cependant ces programmes doivent avoir en commun de chercher à augmenter les occasions pour les détenus d'exercer des choix responsables dans la conduite de leur vie, aussi bien pendant qu'après leur emprisonnement. Il existe toutefois des détenus qui disent clairement qu'ils n'ont pas l'intention de mener une vie honnête après leur libération. Le personnel pénitentiaire a le devoir et la responsabilité de contester constamment de telles proclamations, qui peuvent parfois n'être rien de plus que l'expression du désir d'être reconnu par ses pairs. Certains détenus peuvent changer d'attitude, mais peut subsister un petit noyau de détenus qui n'ont aucune intention de vivre en accord avec la loi et qui manifestent en conséquence un intérêt limité ou nul pour les programmes de préparation à la sortie. Ceux-ci doivent néanmoins être autorisés à participer à ces programmes pour autant qu'ils le souhaitent. Utiliser positivement son temps d'enfermement n'est de toute manière jamais négligeable. 30. Les divers modes d'assistance aux détenus ne doivent pas avoir pour seul objectif le court terme de la réintégration dans la société. Les citoyens bénéficient de nombreuses formes de soutien, qu'ils considèrent comme des droits, et il n'existe souvent aucune raison valable d'exclure les détenus de la jouissance de tels droits. Procéder à une intervention médicale dans le but de guérir un handicap paralysant peut, par exemple, contribuer à la resocialisation ultérieure du détenu, mais le recours à une telle intervention ne doit pas procéder de ce seul motif. La vie communautaire en prison. Le principe de normalité 31. Règle 60 1) Le régime de l'établissement doit chercher à réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre, dans la mesure où ces différences tendent à établir le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne.

7 Cf. infra, chapitre VI.

Page 20: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

20

2) Avant la fin de l'exécution d'une peine ou mesure, il est désirable que les mesures nécessaires soient prises pour assurer au détenu un retour progressif à la vie dans la société. Ce but pourra être atteint, selon les cas, par un régime préparatoire à la libération, organisé dans l'établissement même ou dans un autre établissement approprié, ou par une libération à l'épreuve sous un contrôle qui ne doit pas être confié à la police, mais qui comportera une assistance sociale efficace. On a indiqué, dans le paragraphe 2 du présent chapitre, que les libertés des détenus, leurs contacts avec l'extérieur et leurs possibilités de développement personnel ne devaient pas être limités plus qu'il n'est absolument nécessaire, et que les règles et contraintes de la prison ne devaient pas faire obstacle à la préparation à une vie en société normale après la libération. Ces préceptes sont quelquefois regroupés dans un seul principe appelé le “ principe de normalité ”8. Il ne découle pas du principe de normalité que les conditions de vie en prison devraient être exactement les mêmes qu'à l'extérieur - confortables par exemple dans une société riche et misérables ou déficientes dans une société pauvre. La règle 60 (1) signale au contraire que des différences entre les conditions de vie en prison et celles au sein de la société enlèvent au détenu son sens des responsabilités ou le privent du respect qui lui est dû comme à toute personne humaine. 32. La règle 60 (1) souligne que les régimes pénitentiaires se concentrent traditionnellement sur la régulation minutieuse de la vie du détenu, ce qui a pour conséquence de réduire les occasions de la prise d'initiatives et de l'exercice de responsabilités personnelles. Si l'on veut atteindre les objectifs de l'emprisonnement tels qu'ils sont décrits dans La règle 58 (rendre à la société un détenu en capacité de s'insérer lors de sa libération), il est impératif de réduire les différences entre la vie “ à l'intérieur ” et la vie “ à l'extérieur ”. La règle 60 (2) évoque, c'est à signaler, la nécessité d'un retour graduel, articulé en plusieurs étapes et suivant des méthodes d'une grande souplesse. La même règle suggère des régimes de préparation à la sortie pratiqués au sein de l'établissement ou à l'intérieur d'une structure mieux appropriée. Un détenu effectuant sa peine dans une prison de sécurité maximale pourra, par exemple, être transféré à cette occasion dans une prison ouverte ou dans une institution proche de son domicile. 33. La règle 60 (2) indique qu'un prévenu pourra bénéficier d'une libération sous contrôle judiciaire. Des mesures telles que la libération conditionnelle, les réductions de peine, les permissions ou les grâces ne constituent pas, c'est à souligner, un “ retour graduel à la vie en société ” si elles ne s'insèrent pas dans un programme de préparation à la sortie. Elles consistent au contraire dans un retour immédiat et brutal à une vie sociale où le détenu se trouve confronté à des problèmes pratiques insurmontables. Les détenus qui ont subi une longue incarcération se sentent souvent incapables de faire face à des situations simples : voyager en bus ou en train, s'occuper de leur situation au regard de la sécurité sociale, chercher un travail ou un logement. La règle 60 (2) suggère au contraire le besoin impérieux d'une préparation à la sortie consistant dans l'accès aux informations sociales essentielles et l'apprentissage des aptitudes et comportements indispensables à la vie en société. La règle 60 (2) indique en outre que ces aptitudes ne peuvent pas toujours être enseignées à l'intérieur de la prison, mais qu'elles nécessitent une pratique de la vie en société qui ne peut être acquise que dans le cadre de permissions de sortie. 34. La règle 60 (2) est muette quant au mode de sélection des détenus pouvant bénéficier des différentes sortes de permission de sortie. Le choix est difficile car il doit être tenu compte du degré de risque que représentent pour le public des détenus condamnés pour des crimes ou des délits graves ou présentant des signes de désordres mentaux. La plupart des détenus retournent en fait dans la société et la question est principalement de savoir s'ils y sont convenablement préparés et s'ils y seront efficacement contrôlés. Le détenu doit accéder facilement aux mesures qui garantiront sa resocialisation, mais des précautions doivent être prises, tant à l'égard du détenu que du public et de l'administration pénitentiaire ; aussi est-il souhaitable que, dans les cas difficiles, les autorisations de permission ou de libération conditionnelle soient prises par une instance indépendante. Une telle procédure serait en accord avec les dispositions du principe 4 de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les

8 Cf. infra, entre autres le chapitre V où sont analysées les conséquences de ce principe pour la pratique en prison.

Page 21: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

21

personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1988 : “Toute forme de détention ou d'emprisonnement et toute mesure mettant en cause les droits individuels d'une personne soumise à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement doivent être décidées soit par une autorité judiciaire ou autre, soit sous son contrôle effectif. Le principe 11 (3) du même document établit que : Une autorité judiciaire ou autre sera habilitée à contrôler, selon qu'il conviendra, le maintien de la détention. 35. La règle 60 (2) exclut catégoriquement la police de cette forme de contrôle. Elle exige au contraire que le détenu libéré reçoive une aide sociale efficace quelles que soient les méthodes de contrôle utilisées. Cette exigence découle naturellement de l'objectif de réadaptation qui sous-tend la permission. 36. Il n'a été question jusqu'ici que des principes généraux. D'autres règles, que l'on citera et commentera un peu plus loin, décrivent les moyens plus concrets qui peuvent et doivent être utilisés pour permettre au détenu libéré de se réadapter progressivement à la vie en société. Principes directeurs applicables aux prévenus 37. Les prévenus se voient offrir des conditions de détention souvent moins bonnes que celles des condamnés. En raison de la “ présomption d'innocence ” dont ils bénéficient, ces conditions devraient pourtant leur être plus favorables. Règle 84 1) Tout individu arrêté ou incarcéré en raison d'une infraction à la loi pénale et qui se trouve détenu soit dans des locaux de police soit dans une maison d'arrêt, mais n'a pas encore été jugé, est qualifié de “ prévenu ” dans les dispositions qui suivent. 2) Le prévenu jouit d'une présomption d'innocence et doit être traité en conséquence. 3) Sans préjudice des dispositions légales relatives à la protection de la liberté individuelle ou fixant la procédure à suivre à l'égard des prévenus, ces derniers bénéficieront d'un régime spécial dont les règles ci-après se bornent à fixer les points essentiels. Interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants 38. Un ensemble important de preuves, réunies par des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, montre que, dans toutes les parties du monde, les conditions d'arrestation et de détention de personnes attendant d'être jugées justifient souvent des critiques graves. Ces critiques sont étendues et diverses. Elles incluent des actes avérés de torture mais aussi des régimes de détention comportant des privations sévères infligées à des personnes non encore reconnues coupables d'un délit. L'interdiction de la torture est absolue. Elle est énoncée dans l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette déclaration est confirmée dans des termes identiques par l’article 7 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques et par la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui définit dans son article 1 la torture comme “ un outrage à la dignité humaine ”. La torture

Page 22: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

22

est encore interdite par la Convention des Nations Unies contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui complète la Déclaration et fut adoptée par l'Assemblée générale en 1984 avant d'entrer en vigueur en 19879. 39. Concernant les régimes de détention, les principales dérives consistent à maintenir des détenus dans ce qui est virtuellement un isolement pendant toute ou partie de la journée. La détention peut être pratiquée dans de toutes petites cellules - particulièrement lorsqu'il s'agit de cellules de police - et de façon continue pendant de longues périodes, dans certains cas pendant des années. Les détenus ne bénéficient que de très peu d'activités, il peut même arriver qu'ils soient livrés à eux mêmes vingt quatre heures sur vingt quatre. La nature restrictive de beaucoup de ces régimes de détention peut avoir des conséquences sérieuses sur la santé et le bien-être, quand on sait que les personnes détenues sont souvent dans un état de tension et d'anxiété extrêmes. Les conséquences les plus graves sont les suicides et les automutilations. Le personnel de police et celui des prisons doivent par conséquent être formés à identifier les personnes à risque et prendre les dispositions qui s'imposent les concernant. La direction de la prison est responsable de la mise en place d'une politique de prévention de tels risques et de la publicité qui doit en être faite auprès de tous les agents. Les personnes détenues dans des cellules de police 40. La règle 84 (1) spécifie que le terme “ détenus ” n'inclut pas seulement ceux qui sont en prison mais aussi ceux qui sont gardés dans des cellules de police. La précision est importante, car des violations des droits de l’homme interviennent souvent au sein de ces lieux de détention. Les gouvernements ont, par conséquent, la responsabilité de veiller à ce que les services de police connaissent et mettent en pratique les RMT et les autres documents internationaux qui les concernent. Présomption d'innocence 41. La règle 84 (2) établit le principe de la présomption d'innocence. Ce même principe figure aussi à l’article 11 (1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 14 (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et constitue le principe 36 de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. La présomption d'innocence joue sans aucun doute un rôle fondamental dans l'exercice de la justice pénale. La règle pose comme préalable que la présomption d'innocence justifie et dicte un traitement des prévenus qui soit, à certains égards, plus favorable que celui appliqué aux condamnés. Les différences dans le traitement des prévenus sont développées dans la règle 84 (3). 42. La règle 84 (3) établit cependant clairement que les RMT ne doivent déroger ni aux règles légales qui président à la conduite d'une instruction pénale ni mettre en cause la protection des libertés individuelles. C'est dans le cadre de telles limites que les RMT exigent que les prévenus bénéficient d'un régime spécial justifié par la présomption d'innocence. Régimes des prévenus 43. Un certain nombre de règles - sur lesquelles on aura l'occasion de revenir - définissent les caractères essentiels de tels régimes. La règle 84 (3) souligne que ces exigences représentent un minimum. Ceci signifie que les gouvernements doivent chercher à assurer aux prévenus des conditions meilleures encore que celles indiquées dans les règles, ce qui est loin d'être le cas dans la réalité. Les régimes spéciaux doivent faciliter les visites familiales et officielles, le travail volontaire et des activités éducatives et sportives. 44. Certains détenus se reconnaissent coupables et déclarent leur intention de plaider dans ce sens. Lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'ils seront condamnés, il y a lieu de mettre en place dans les meilleurs délais un programme constructif de traitement pénitentiaire. Condamnés pour dettes et à la prison civile 45. Règle 94 9 Cf. infra, chapitre II.

Page 23: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

23

Dans les pays où la législation prévoit l'emprisonnement pour dettes ou d'autres formes d'emprisonnement prononcées par décision judiciaire à la suite d'une procédure non pénale, ces détenus ne doivent pas être soumis à plus de restrictions ni être traités avec plus de sévérité qu'il n'est nécessaire pour assurer la sécurité et pour maintenir l'ordre. Leur traitement ne doit pas être moins favorable que celui des prévenus, sous réserve toutefois de l'obligation éventuelle de travailler. La règle 94 s'applique à des détenus civils, habituellement incarcérés pour dettes. Ces personnes ont en commun d'être en prison à la suite d'une procédure non pénale. La règle établit une distinction entre ces personnes et les délinquants condamnés, exigeant que les premières ne subissent pas les privations imposées aux seconds. On doit leur accorder le même traitement qu'aux prévenus, à cette différence près qu'elles peuvent être obligées à travailler. Personnes arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées 46. Règle 95 Sans préjudice des dispositions de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les personnes arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées jouissent de la protection garantie par les parties I et II C (des RMT). Les dispositions pertinentes de la partie II A (des RMT) sont également applicables lorsque leur application peut être profitable à cette catégorie spéciale de détenus, pourvu qu'il ne soit pris aucune mesure impliquant que des mesures de rééducation ou de réadaptation puissent être applicables en quoi que ce soit à des personnes qui ne sont convaincues d'aucune infraction. ” La règle 95 est applicable aux personnes qui ne sont ni en attente de jugement ni condamnées pour une infraction. De telles personnes bénéficient d'un nombre important de droits et protections déterminés par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’article 9 établit par exemple que l'arrestation, la détention et toute autre forme de privation de liberté ne doivent pas être arbitraires et sont soumises à des motifs et des procédures prévus par la loi. L’article stipule aussi que les personnes arrêtées doivent être rapidement informées de toutes les charges pesant contre elles et qu'elles ont le droit d'être jugées dans un délai raisonnable ou libérées. En outre, les personnes arrêtées ou détenues doivent pouvoir introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de leur détention et ordonne leur libération si cette détention est illégale. Aucun de ces droits et protections n'est affaibli ni invalidé par les dispositions de la règle 95. 47. Rien ne justifie par conséquent des conditions d'emprisonnement défavorables à ces personnes. L'absence de charges et, par suite, l'absence de condamnation à une peine d'emprisonnement donnent au contraire à ces personnes le droit de bénéficier des conditions de détention les plus favorables, soit celles réservées aux personnes en état d'arrestation ou en attente d'être jugées. En outre, cette catégorie spéciale de détenus ne doit pas être soumise à des mesures de rééducation ou de resocialisation adaptées à des individus condamnés pour avoir commis une infraction. En pratique, les personnes concernées par la règle 95 sont souvent des étrangers, parfois accompagnés de leur famille, qui attendent d'être expulsés. De telles personnes méritent souvent une assistance particulière.

Page 24: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

24

Chapitre II PROCEDURES ET PLAINTES Introduction 1. Les prisons sont habitées par des êtres humains. Ceci peut sembler évident mais on ne répétera jamais assez que les détenus, en tant qu'êtres humains, ont des droits et éprouvent des sentiments. Les prisons n'existent pas en dehors de la loi. Au contraire, elles ont été créées par la loi. Les détenus et le personnel pénitentiaire sont soumis aux lois, y compris celles qui créent et protègent les droits des détenus. 2. Il sera question dans ce chapitre des procédures légales et des plaintes ; on y abordera donc la question du système disciplinaire et celle des possibilités offertes aux détenus de se défendre, en particulier en portant plainte ou en faisant appel d'une décision les concernant. Autant de questions cruciales qui touchent tant à la sauvegarde des droits des détenus qu'au maintien de la paix et de l'harmonie au sein d'un système pénitentiaire. 3. L'objet des mesures disciplinaires et des procédures de plaintes en prison est, naturellement, le maintien ou le rétablissement de l'ordre et de la sûreté dans l'établissement. Cet objet serait impossible à atteindre au moyen de la seule coercition. Le personnel pénitentiaire peut et doit chercher à encourager les détenus à coopérer à cet objectif en montrant l'exemple et en organisant la gestion humaine de l'institution. Le plus souvent, le détenu adoptera un bon comportement dès lors qu'il sera traité comme un être humain responsable, avec respect et dignité. Il n'est pas interdit au personnel pénitentiaire d'entretenir des relations amicales et saines avec les détenus ; c'est au contraire un des moyens les plus efficaces d'assurer la paix tout en recourant le moins possible aux sanctions disciplinaires. Maintenir l'ordre en prison 4. Outre ces relations informelles et amicales, la discipline peut être assurée si ses règles découlent logiquement du comportement des détenus. Il est logique, par exemple, que le détenu qui se lève en retard soit privé de petit déjeuner. Par contre, lui infliger un travail supplémentaire serait illogique. Les réponses disciplinaires doivent donc être adaptées aux écarts de conduite ; elles ne devraient en aucun cas être arbitraires. Il n'est par ailleurs ni sain ni avantageux de punir par automatisme ou souci de vengeance. L'application systématique et indifférenciée d'une sanction produit l'effet contraire au but recherché, et n'est donc pas souhaitable. Dans l'application des règles de discipline, les agents doivent agir en professionnels, avec tact et discrétion, en gardant toujours à l'esprit que les règles sont faites pour des êtres humains et non l'inverse. 5. Cette constatation est lourde de conséquences. Les surveillants doivent être formés en vue d'acquérir un certain nombre de compétences. Ils doivent être des spécialistes des relations sociales et humaines, aptes à intervenir en vue de réduire les tensions et d'apaiser les conflits inhérents à la vie en détention. Détenteurs d'un pouvoir considérable vis-à-vis des détenus, ils doivent se comporter avec sang-froid, maturité et humanité10. Les surveillants et le règlement 6. Aussi bien les règles disciplinaires que l'opportunité offerte aux détenus de faire appel des sanctions ou de porter plainte affectent les relations mutuelles entre détenus et surveillants. Les procédures disciplinaires et de dépôt de plaintes doivent être justes et efficaces si l'on veut qu'elles recueillent la confiance des détenus, des surveillants et de la société. 7. Les troubles en prison (grèves de la faim, évasions, mutineries et même les suicides) sont souvent les symptômes du manque de confiance éprouvé par les détenus tant à l'égard du système disciplinaire que des procédures de plainte ou d'appel. Si, d'un autre côté, les surveillants considèrent que le système 10 Ce point sera développé par la suite.

Page 25: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

25

disciplinaire est inefficace, ils peuvent reporter leurs frustrations sur les détenus en infligeant des sanctions arbitraires et illégales. Dans un cas comme dans l'autre, l'équilibre du système pénitentiaire ne sera plus assuré. Le système disciplinaire et les procédures de plainte 8. Les détenus ne devraient être punis que si les règles de la procédure disciplinaire ont été rigoureusement suivies. Si le détenu estime que tel n'a pas été le cas ou s'il est mécontent de la sanction qui lui a été infligée, il peut faire appel. Le détenu peut aussi porter plainte pour toute autre modalité de la vie en prison dont il ne serait pas satisfait. Règles internationales relatives à la procédure légale de plainte et d'appel 9. Les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (RMT) ne sont guère détaillées en la matière. Elles contiennent des dispositions relatives à la discipline en prison, mais elles sont quasiment muettes sur les plaintes et plus encore sur les procédures d'appel. 10. On aura donc principalement recours dans ce chapitre, en plus des quelques indications pertinentes qui se trouvent dans les RMT, aux grands règlements internationaux : Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, traités internationaux sur les droits de l’homme en Afrique, en Europe et dans les Amériques. Cette documentation sera complétée par la jurisprudence et la doctrine des Comités pour les droits de l’homme des Nations Unies et des autres institutions internationales et nationales. Davantage peut-être que dans tout autre domaine, ces règles et ces règlements doivent être analysés avec bon sens et appréhendés avec humanité. La plainte et l'appel La procédure de dépôt de plainte est obligatoire 11. Les règles 35 et 36 des RMT contiennent certaines indications relatives aux plaintes des détenus. Règle 35 1) Lors de son admission, chaque détenu doit recevoir des informations écrites au sujet du régime des détenus de sa catégorie, des règles disciplinaires de l'établissement, des moyens autorisés pour obtenir des renseignements et formuler des plaintes, et de tous les autres points qui peuvent être nécessaires pour lui permettre de connaître ses droits et ses obligations et de s'adapter à la vie de l'établissement. 2) Si le détenu est illettré, ces informations doivent lui être fournies oralement. Règle 36 1) Tout détenu doit avoir chaque jour ouvrable l'occasion de présenter des requêtes et des plaintes au directeur de l'établissement ou au fonctionnaire autorisé à le représenter. 2) Des requêtes ou plaintes pourront être présentées à l'inspecteur des prisons au cours d'une inspection. Le détenu pourra s'entretenir avec l'inspecteur ou tout autre fonctionnaire chargé d'inspecter hors la présence du directeur ou des autres membres du personnel de l'établissement. 3)

Page 26: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

26

Tout détenu doit être autorisé à adresser, sans censure quant au fond mais en due forme, une requête ou plainte à l'administration pénitentiaire centrale, à l'autorité judiciaire ou à d'autres autorités compétentes, par la voie prescrite. 4) A moins qu'une requête ou plainte soit de toute évidence téméraire ou dénuée de fondement, elle doit être examinée sans retard et une réponse donnée au détenu en temps utile. 12. La règle 35 oblige les autorités de la prison à informer les détenus de leurs droits ainsi que des règles et règlements applicables dans l'établissement. Ce principe est vital pour le maintien de l'ordre en prison. De manière significative, La règle exige que l'information soit distribuée lors de l'arrivée du détenu dans l'établissement, afin de faciliter son adaptation aux conditions locales de détention. Le personnel de surveillance doit aussi être parfaitement informé de ces règles et règlements. Des programmes de formation convenables doivent être organisés dans cette perspective. Les mots “ téméraire ” et “ dénuée de fondement ” de la règle 36 (4) ne sont pas précisés et donc laissés, comme on va le voir au paragraphe 17, à une interprétation arbitraire. L'information des détenus et du personnel pénitentiaire sur la procédure de la plainte 13. Le moyen le plus efficace d'assurer cette information consiste à collationner les dispositions réglementaires applicables dans la prison en matière de discipline dans une brochure remise au détenu dès son arrivée. Ces dispositions peuvent être aussi affichées à des endroits stratégiques de l'établissement. Certains détenus pourront être employés à confectionner des affiches présentant ces dispositions. Dans les pays où sont pratiquées plusieurs langues, ces brochures et affiches seront traduites dans toutes les langues locales. Dans les pays où les prisons accueillent un nombre important d'étrangers, ces brochures et affiches seront diffusées dans les langues les plus répandues. A l'égard des nationalités peu représentées, l'administration s'efforcera d'offrir une traduction de ces dispositions lors de l'arrivée en prison des personnes concernées. D'où l'importance pour les prisons de disposer d'une unité d'accueil, qui s'acquittera de cette tâche parmi de nombreuses autres. 14. La règle 36 encourage les détenus à communiquer leurs plaintes à l'administration de la prison. Les directeurs et responsables de la prison doivent être réceptifs à cette procédure et assurer une permanence dans ce but au moins une fois par semaine. On ne soulignera jamais assez la nécessité, pour chaque groupe humain, d'une communication saine entre tous ses membres. Les détenus devraient être encouragés à faire part à l'administration de toutes les difficultés qu'ils rencontrent et être assurés que leurs requêtes seront toutes les fois examinées et prises en compte. Dans la pratique, il serait judicieux d'associer les détenus à la gestion de la prison, un tel système participatif ayant pour effet de favoriser la communication entre les surveillants et les détenus. 15. Les entraves à la communication des détenus avec les autorités de la prison sont source de frustration. Le sentiment d'impuissance qui en résulte peut, à son tour, engendrer des troubles. Les détenus ne devraient jamais être empêchés, par intimidation, de se plaindre de la gestion de la prison et le personnel pénitentiaire a le devoir d'accueillir ces plaintes avec bienveillance et sérénité. Le dépôt de plaintes doit être facilité 16. Par crainte de représailles, les détenus sont souvent dissuadés de se plaindre du personnel de surveillance ou de la direction. La règle 36 (3) des RMT et le principe 33 (3) de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement encouragent les autorités pénitentiaires à assurer aux détenus la confidentialité de leurs plaintes - anonymat du plaignant et confidentialité quant au contenu de la plainte. Les détenus conserveront leur confiance dans ce processus s'ils ont la possibilité d'adresser leurs plaintes à une personne ou à un organisme indépendant de l'administration de la prison, médiateur ou magistrat. 17. L'intégrité du processus de plainte et la confiance que les détenus lui accordent seront préservées à la condition expresse que les autorités de la prison ne disposent pas du pouvoir de rejeter les plaintes avant même leur instruction, sous le motif qu'elles seraient jugées “ téméraires ” ou “ dénuées de fondement ”, pour reprendre les termes de la RMT 36 (4). L'examen par l'administration de la prison de

Page 27: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

27

toutes les plaintes présentées par les détenus représente l'une de ses principales responsabilités. Les termes ou expressions “ de toute évidence ”, “ téméraire ” ou “ dénuée de fondement ” étant vagues et ambigus, il importe que toutes les plaintes soient instruites par un organisme indépendant qui appréciera si telle plainte est ou pas, “ de toute évidence ”, “ téméraire ” ou “ dénuée de fondement ”. Les plaintes déposées par des proches et d'autres personnes concernées 18. Les familles des détenus et leurs avocats, de même que des visiteurs bénévoles ou des représentants d'ONG, peuvent aussi présenter une plainte en lieu et place d'un détenu, dès lors qu'ils ont des motifs suffisants pour le faire. Le principe 33 de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement l'explique en détail : 1) Toute personne détenue ou emprisonnée, ou son conseil, a le droit de présenter une requête ou une plainte au sujet de la façon dont elle est traitée, en particulier dans le cas de tortures ou d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux autorités chargées de l'administration du lieu de détention et aux autorités supérieures, et, si nécessaire, aux autorités de contrôle ou de recours compétentes. 2) Lorsque ni la personne détenue ou emprisonnée ni son conseil n'ont la possibilité d'exercer les droits visés au paragraphe 1 du présent principe, un membre de la famille de la personne détenue ou emprisonnée ou toute autre personne qui connaît l'affaire peut exercer ces droits. Les plaintes contre les intervenants non pénitentiaires 19. Les détenus doivent aussi être informés de leur droit de porter plainte contre des intervenants non pénitentiaires, par exemple des avocats ou des membres du personnel de santé. Ceux-ci n'observent pas toujours les règles déontologiques de leur profession, sous le prétexte qu'ils interviennent à titre humanitaire et bénévole. Il appartient aux autorités de la prison et aux responsables de la profession incriminée (chef de service, président du conseil de l'ordre ou bâtonnier) d'informer les détenus de cette opportunité11. Les plaintes traitées à l’intérieur et hors de la prison 20. Les plaintes ne justifient pas toutes une prise en considération et une réponse formelles. Les agents pénitentiaires sont en mesure de prendre en compte et de résoudre la plupart d'entre elles dans l'exercice de leurs fonctions quotidiennes, sans avoir besoin d'en référer à la hiérarchie. Seules les plaintes les plus sérieuses devront être transmises au directeur de la prison qui s'en saisira personnellement. 21. La direction de la prison encouragera les requêtes et les plaintes des détenus en direction d'organismes extérieurs bénévoles et non gouvernementaux, qui peuvent s'avérer aptes à régler des problèmes devant lesquels la direction est démunie. Ainsi, l'administration de la prison peut mettre des détenus étrangers en contact avec des associations locales et des organisations humanitaires capables de fournir des conseils et une aide spécifique dans le cadre de visites ou d'autres formes d'intervention. 22. La règle 36 (2) assigne à des inspecteurs extérieurs à la prison le soin de traiter des plaintes des détenus. On reviendra dans le chapitre VIII sur l'inspection des prisons. Notons dès maintenant que le principe 29 de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement exige que les gouvernements établissent des instances chargées de contrôler, de superviser et d’inspecter l'administration des prisons. Principe 29 1) 11 Sur la responsabilité éthique du personnel de santé, voir le chapitre IV.

Page 28: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

28

Afin d'assurer le strict respect des lois et règlements pertinents, les lieux de détention doivent être inspectés régulièrement par des personnes qualifiées et expérimentées, nommées par une autorité compétente distincte de l'autorité directement chargée de l'administration du lieu de détention ou d'emprisonnement et responsables devant elles. 2) Toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de communiquer librement et en toute confiance avec les personnes qui inspectent les lieux de détention ou d'emprisonnement conformément au paragraphe 1 du présent principe, sous réserve des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l'ordre dans lesdits lieux. 23. Le public aura d'autant plus confiance dans le système pénitentiaire que le corps d'inspecteurs sera composé de personnalités reconnues, recrutées parmi l'état-major des prisons et les professionnels du droit et de la santé, mais aussi au sein d'organismes non gouvernementaux travaillant dans le domaine des prisons. Entre autres missions, ce corps aura pour tâche de traiter en appel des sanctions et autres mesures disciplinaires infligées aux détenus. Sans ce pouvoir d'appel, toute procédure en matière de plainte serait illusoire. 24. Il n'est pas souhaitable que ce soit la même autorité qui impose les sanctions et reçoive les plaintes, ce qui reviendrait à confier à l'autorité disciplinaire le soin de revenir sur ses propres décisions. Une décision rendue en appel dans ces circonstances ne serait naturellement pas crédible. Il est donc essentiel que ces deux pouvoirs (disciplinaire et d'appel) soient séparés. Les procédures réglementaires offertes aux prévenus et autres catégories particulières de détenus 25. Le règlement de l'établissement s'applique à des catégories différentes de détenus : personnes en attente de jugement, étrangers, groupes minoritaires ou marginaux tels que les malades mentaux, les infirmes, les illettrés et les membres de minorités ethniques. Prévenus 26. Les détenus en attente de jugement constituent une catégorie spéciale de détenus : n'étant pas encore reconnus coupables, ils sont présumés être innocents de par la loi. L'objectif essentiel des prévenus est, très souvent, de se défendre des accusations qui pèsent sur eux. Ainsi, la règle 93 des RMT indique que : Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d'un avocat d'office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s'il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de vue, mais ne peuvent pas être à portée d'ouïe d'un fonctionnaire de la police ou de l'établissement. 27. La règle 93 a pour but d'assurer aux prévenus des moyens honorables d’anéantir les charges qui pèsent sur eux devant les tribunaux. Le personnel pénitentiaire a le devoir de faciliter les contacts et les communications entre les prévenus et leurs avocats, notamment en permettant à l'avocat de rendre visite au détenu pour le conseiller, en donnant au détenu les moyens de communiquer par lettre et, si possible, par téléphone ou par fax avec son conseil. Détenus étrangers 28. Les détenus étrangers constituent un groupe particulièrement vulnérable : ils ne disposent pas du réseau de parents et des soutiens qui entourent les autochtones ; ils ne pratiquent pas toujours la langue du pays où ils se trouvent emprisonnés. Les détenus étrangers sont désarmés ou réticents à se plaindre des mauvais traitements dont ils peuvent être les victimes, par crainte en particulier d'être expulsés. Les responsables pénitentiaires devraient être particulièrement mobilisés par ces détenus afin de leur prêter assistance ; ils devraient se montrer extrêmement sensibles aux plaintes qu'ils pourraient formuler.

Page 29: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

29

Autres catégories de détenus vulnérables ou désavantagés 29. Les malades mentaux, les illettrés et les membres de minorités ethniques méritent d'être plus soutenus que les autres détenus, l'accès au dépôt de plainte doit leur être facilité. Le personnel de surveillance a le devoir de répondre à ce besoin. Les surveillants peuvent aider, par exemple, les illettrés à correspondre avec les tribunaux, si ces détenus leur en font verbalement la demande. 30. Il faut rappeler avec force et solennité au personnel de surveillance, qu'il soit en cours de formation ou en fonction, que la communication des détenus avec leurs avocats est confidentielle. Cette prérogative fondamentale est l'apanage des prévenus, mais aussi de toutes les catégories de détenus. La discipline 31. Le système disciplinaire permet de maintenir l'ordre en prison. Il acquiert un maximum d'efficacité quand il est utilisé pour réparer un manquement grave à la discipline, après que les autres moyens de restaurer l'ordre furent demeurés vains. Les règles 27 à 30 des RMT circonscrivent le cadre à l'intérieur duquel la discipline est exercée en prison. Règle 27 L'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie communautaire bien organisée. Règle 28 1) Aucun détenu ne pourra remplir dans les services de l'établissement un emploi comportant un pouvoir disciplinaire. 2) Cette règle ne saurait toutefois faire obstacle au bon fonctionnement des systèmes à base de self-government. Ces systèmes impliquent en effet que certaines activités ou responsabilités d'ordre social, éducatif ou sportif soient confiées, sous contrôle, à des détenus groupés en vue de leur traitement. Règle 29 Les points suivants doivent toujours être déterminés soit par la loi, soit par un règlement de l'autorité administrative compétente : a) La conduite qui constitue une infraction disciplinaire ; b) Le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées ; c) L'autorité compétente pour prononcer ces sanctions. Règle 30 1) Aucun détenu ne peut être puni que conformément aux dispositions d'une telle loi ou d'un tel règlement, et jamais deux fois pour la même infraction. 2) Aucun détenu ne peut être puni sans être informé de l'infraction qu'on lui reproche et sans qu'il ait eu l'occasion de présenter sa défense. L'autorité compétente doit procéder à un examen complet du cas. 3)

Page 30: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

30

Dans la mesure où cela est nécessaire et réalisable, il faut permettre au détenu de présenter sa défense par l'intermédiaire d'un interprète. Règles applicables pour la défense des droits de l’homme 32. L’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 9 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdisent formellement toute détention arbitraire et jettent les bases légales du principe régissant la mise en œuvre et le maintien de la discipline en prison. L'interdiction de l'arbitraire ne s'étend pas seulement au contenu des règles disciplinaires mais aussi à la manière dont elles sont mises en œuvre. 33. La règle 27 des RMT encourage les autorités à maintenir la discipline en prison “ avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie communautaire bien organisée ”. Dans le but de décourager l'arbitraire, la règle 29 (1) des RMT exige qu'une “ conduite qui constitue une infraction disciplinaire ” soit “ déterminée soit par la loi, soit par un règlement de l'autorité administrative compétente ”. La règle 30 des RMT énumère enfin les principaux moyens dont le détenu dispose pour se protéger de l'arbitraire dans l'administration de la discipline en prison. Autres documents pertinents 34. La proscription de l'arbitraire dans le maintien de la discipline en prison est aussi affirmée dans l’article 6 de la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples, les articles 7 (2) et (3) de la Convention américaine sur les droits de l’homme, l’article 5 (1) de la Convention européenne des droits de l’homme, de même que dans de nombreuses constitutions nationales. Conséquences institutionnelles 35. Les dispositions des RMT afférentes à la discipline et à la lutte contre l'arbitraire en prison sont lourdes de conséquences pour l'organisation et la gestion des établissements. On va examiner les plus significatives. Des règles et des règlements écrits 36. Les règles relatives à la discipline en prison doivent impérativement être écrites, à l'instar de la plupart des règlements généraux des prisons et autres règles de procédure pénale. Le principe 30 (1) de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement exige que de tels règlements spécifient les points suivants : 1°) les types de comportement qui constituent, de la part d'une personne détenue ou emprisonnée, des infractions disciplinaires durant la détention ou l'emprisonnement ; 2°) le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées; et 3°) les autorités compétentes pour imposer ces sanctions. 37. Le pouvoir disciplinaire ne doit pas être abandonné entre les mains de n'importe quel agent, il doit être exercé par des agents supérieurs et donner toutes les fois l'occasion de traces écrites. Le détenu incriminé doit avoir connaissance des voies d'appel et de recours possibles en cas de contestation de sa part. Révision périodique des règles et règlements de la prison 38. L'arbitraire n'existe pas seulement du fait de l'absence de règles mais aussi de la pérennité de règles périmées. Dans bon nombre de pays, les règles et les règlements pénitentiaires exigeraient un sérieux époussetage, voire un brutal coup de balai. Pour éviter d'en arriver à ces extrémités, les règles et règlements pénitentiaires doivent être réexaminés et mis à jour périodiquement en vue de les mettre en harmonie avec les principes légaux généralement admis. Diffusion de l'information sur les règles

Page 31: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

31

39. Il est inutile d'édicter des règles et règlements nombreux ou sophistiqués si personne n'en a connaissance. Les autorités pénitentiaires ont par conséquent l'obligation d'informer tant les détenus que les agents pénitentiaires de ces règles et ce dès leur premier contact avec l'établissement12. Par quels moyens la discipline est-elle imposée ? 40. La violation des règles disciplinaires en prison peut recevoir deux types de réponses, non exclusives l'une de l'autre : ou bien le détenu est sanctionné par l'administration pénitentiaire (“ voie interne ”) ; ou bien la violation constitue un délit que sanctionne le système pénal ordinaire (“ voie externe ”). Il n'est ni réaliste ni souhaitable d'engager une procédure disciplinaire pour la plus petite peccadille. Un avertissement verbal, un conseil amical ou un signe clair de désapprobation suffisent le plus souvent à faire prendre conscience au détenu des conséquences de sa transgression. Le recours aux sanctions disciplinaires formelles doit intervenir quand les moyens ci-dessus sont inadaptés ou qu'ils ont échoué. 41. De même, tous les délits perpétrés en prison ne doivent pas faire l'objet d'une poursuite devant la juridiction pénale compétente. Traînera-t-on devant le tribunal correctionnel le détenu qui a volé un morceau de savon pour pouvoir se doucher proprement ? Seules les infractions les plus graves doivent faire l'objet d'une procédure pénale. Il appartient au personnel pénitentiaire d'apprécier l'opportunité de poursuites pénales. Les responsables de la prison doivent élaborer des règles permettant d'aider les surveillants à trancher en faveur de la voie interne ou de la procédure judiciaire. 42. Les procédures disciplinaires doivent prendre en compte les garanties prescrites par les RMT. Ainsi, la règle 30 (2) des RMT exige que le détenu soit informé des charges pesant sur lui et puisse présenter sa défense. Les détenus ne doivent jamais être sanctionnés sur la base de rumeurs, fondées ou non fondées ; les autorités de la prison ont l'obligation de notifier aux détenus les rapports les mettant en cause et ceux-ci doivent pouvoir répondre quand de tels rapports peuvent entraîner une procédure disciplinaire. Le droit pour le détenu de se défendre revêt une importance encore plus considérable si la procédure disciplinaire peut entraîner une sanction affectant l'exécution de la peine, comme par exemple la suppression d'une réduction de peine. Dans l'affaire Campbell & Fell contre le Royaume Uni, 5 EHRR, 207 (1982), la Commission européenne des droits de l’homme a estimé que des détenus passibles d'une sanction disciplinaire interne consistant dans la perte de réduction de peine pour une durée déterminée - dans ce cas précis, la suppression de 570 jours de réduction de peine pour mutinerie et agression - avaient droit à toutes les garanties offertes par une juridiction pénale, en particulier d'être défendus par un avocat. 43. Si une violation de la discipline est traitée au prétoire (voie interne), le détenu peut demander le réexamen de la décision par une autorité supérieure, comme le prescrit le principe 30 (2) de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement13. 44. Si la violation de la discipline est poursuivie en tant qu'infraction pénale, le détenu bénéficie de toutes les protections légales et de tous les moyens pour pouvoir se défendre. Il a le droit en particulier de s'entretenir librement avec son avocat ou tout autre représentant légal et avec sa famille. Subirait-il une peine de prison pour une autre infraction, le détenu recouvre le statut de prévenu et tous les droits afférents tels ceux définis dans les paragraphes 26 et 27 du présent chapitre. Défense légale 45. Si le détenu qui comparaît au prétoire doit pouvoir présenter sa défense, il n'est pas nécessaire cependant qu'il se fasse assister d'un avocat. La gestion de la prison deviendrait impossible si l'avocat intervenait au prétoire quelle que soit l'importance de la charge. Il suffit, le plus souvent, que le détenu puisse exposer son point de vue et faire appel à des témoignages dont l'administration tiendra un compte scrupuleux dans sa décision.

12 Ce point a été abordé aux § 11 et 12 ("Plaintes et Appels") du présent chapitre. 13 Cf. infra, § 84-92.

Page 32: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

32

46. Les détenus témoignant au cours de procédures internes formelles, disciplinaires ou d'inspection, ne doivent être soumis ni à l'intimidation ni au harcèlement, si l'on veut que soient préservées l'objectivité et la confiance dans les procédures en matière de discipline et de plainte. L'administration de la prison a l'obligation de décourager et de punir de semblables pratiques qui ont pour effet d'intimider les détenus comparaissant devant des instances disciplinaires ou d'inspection. 47. Si, dans une affaire disciplinaire, les sanctions encourues sont très lourdes, ou si sont soulevées des questions de droit complexes, les autorités de la prison peuvent accepter que le détenu dispose d'une représentation légale. Les conditions dans lesquelles une telle représentation est possible ne doivent pas être arbitraires, mais clairement définies dans les règles ou le règlement de la prison distribués aux détenus. 48. Le gouvernement et a fortiori les autorités de la prison sont, dans beaucoup de pays, dans l'incapacité financière de procurer une représentation légale aux détenus traduits devant le prétoire. Ces autorités doivent alors encourager les organisations non gouvernementales, bénévoles et caritatives, qui interviennent en prison, à développer des programmes convenablement ciblés d'aide et de soutien légal aux détenus. Les autorités pénitentiaires favoriseront à cet effet les rencontres entre les détenus et les organisations non gouvernementales. Qui gère la discipline en prison ? 49. Seuls les agents de l'administration pénitentiaire ont compétence pour exercer le pouvoir disciplinaire à l'intérieur de la prison. La règle 28 (1) des RMT interdit absolument de transmettre tout ou partie du pouvoir disciplinaire à certaines catégories de détenus. Cette règle oblige l'administration de la prison à interdire la pratique (répandue dans beaucoup de pays) consistant à confier à des détenus (baptisés “ présidents ”, “ généraux ”, “ maréchaux ”, “ prévôts ”, etc.) la police d'un dortoir, d'une unité de vie ou d'une cellule. Sanctions 50. La sanction doit être l'aboutissement d'une procédure disciplinaire engagée à la suite d'une plainte ou d'un rapport d'incident mettant en cause tel ou tel détenu. Dans de nombreux systèmes pénitentiaires, l'ordre est maintenu sans qu'il soit tenu compte d'un barème de sanctions disciplinaires, mais en inspirant aux détenus la crainte que les surveillants utilisent des méthodes incontrôlées et brutales pour venir à bout des récalcitrants. Les règles disciplinaires découlant des RMT et d'autres normes internationales interdisent ce genre de pratiques. Le cadre général en matière de sanctions disciplinaires est fourni par les règles 31 et 32 des RMT : Règle 31 Les peines corporelles, la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante doivent être complètement interdites comme sanctions disciplinaires. Règle 32 1) Les peines de l'isolement et de la réduction de nourriture ne peuvent jamais être infligées sans que le médecin ait examiné le détenu et certifié par écrit que celui-ci est capable de les supporter. 2) Il en est de même pour toutes les autres mesures punitives qui risqueraient d'altérer la santé physique ou mentale des détenus. En tout cas, de telles mesures ne devront jamais être contraires au principe posé par La règle 31, ni s'en écarter. 3) Le médecin doit rendre visite tous les jours aux détenus qui subissent de telles sanctions disciplinaires et doit faire rapport au directeur s'il estime nécessaire de terminer ou de modifier la sanction pour des raisons de santé physique ou mentale.

Page 33: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

33

51. A suivre la philosophie actuelle des droits de l’homme, La règle 32, qui contredit la règle 31, est devenue obsolète par rapport à l'Ensemble de règles internationales concernant le traitement des détenus en cours d'élaboration. La privation de nourriture est une sanction injustifiable qui affecte la santé des détenus. La règle 32 ne donne pas de définition du terme “ isolement ” et ne fixe aucune limite quant à la durée de celui-ci. Il est indéniable pourtant que l'isolement, qui affecte lui aussi la santé des détenus, est en contradiction avec les règles générales de défense des droits de l’homme. 52. Certaines des sanctions répertoriées dans la règle 32 sont infligées en vue de prévenir des désordres en prison, c'est-à-dire avant même toute violation de la discipline, ce qui est contraire aux principes des droits de l’homme et aux RMT dans leur exigence, avant toute sanction, d'une procédure disciplinaire appropriée. 53. Les procédures de plaintes, telles que définies ci-dessus par les RMT, s'appliquent avec autant de force en matière disciplinaire. Les détenus sont en droit de se plaindre des sanctions, tant dans la manière dont elles sont distribuées que dans la façon dont elles sont exécutées. Les autorités pénitentiaires doivent prévenir par tous les moyens les abus possibles en matière disciplinaire, notamment en faisant procéder au réexamen régulier et fréquent des sanctions par une personnalité ou un organisme indépendant. Droits de l’homme et sanctions 54. L’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdisent la torture et toutes les autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, confortent les RMT consacrées aux sanctions disciplinaires. L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige notamment que : 1) Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. 2) a) Les prévenus sont, sauf dans des conditions exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées; b) Les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi vite que possible. 3) Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. 55. Dans son Commentaire général 21(44) du 6 avril 1992, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies a souhaité que les Etats respectent la dignité des détenus et des prisonniers. Le Comité a estimé que cette règle est “ fondamentale et de portée universelle ”, son application constituant un minimum indépendant des ressources matérielles des pays. La torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants 56. La torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont également proscrits par l’article 5 de la Charte africaine pour les droits de l’homme et des peuples, par l’article 5 de la Convention américaine sur les droits de l’homme et par l’article 3 de la Convention européenne sur les droits de l’homme. 57. L’article 5 de la Convention interaméricaine contre la torture stipule que :

Page 34: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

34

Ni le caractère dangereux d'un détenu ou d'un prisonnier, ni le manque de sécurité d'un établissement pénitentiaire ne peuvent justifier la torture. 58. L'interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est affirmée (parfois de manière indirecte) dans les constitutions de tous les pays du monde. Pour renforcer l'universalité de ce principe, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants oblige les Etats et gouvernements à rechercher et à punir les auteurs de tels actes et à accorder une compensation aux victimes. 59. L'interdiction de tels actes doit constituer le principe de base qui gouverne le système disciplinaire des prisons. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984) décrit, dans son article 1.1, la torture comme suit : Aux fins de la présente Convention, le terme “ torture ” signifie tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. Quand peines ou traitements sont-ils assimilables à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ? 60. Un corpus de principes généraux a été constitué, tant sur le plan international que sur celui des Etats, à la suite de plusieurs affaires dans lesquelles les prisons étaient mises en cause pour des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Suivant ces principes, les sanctions disciplinaires peuvent être assimilées à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et par suite doivent être considérées comme inacceptables, si elles sont : a) disproportionnées par rapport aux infractions commises ou à l'objectif de maintien de la discipline et de l'ordre dans l'établissement ; b) déraisonnables ; c) superflues ; d) arbitraires ; e) la source d'une frustration et/ou d'une souffrance injustifiables. 61. On peut déterminer si une sanction viole l'un de ces principes à partir de plusieurs critères : 1) la nature et la durée de la sanction ; 2) la fréquence de la répétition de la sanction et les conséquences de cette répétition compte tenu du sexe, de l'âge et des autres caractéristiques physiques du détenu sanctionné ; 3) l'état de santé physique et mentale du détenu sanctionné ; 4) la compétence et l'indépendance du personnel médical chargé d'évaluer les conséquences de la sanction sur la santé physique et mentale du détenu ; 5) la conformité de la sanction aux textes de loi. 62. Les responsables des prisons ne peuvent justifier un traitement cruel des détenus en invoquant avoir agi sous le couvert de la loi ou des ordres supérieurs. L’article 5 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois précise à ce propos : Aucun responsable de l'application des lois ne peut infliger, susciter ou tolérer un acte de torture ou quelque autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, ni ne peut invoquer un ordre de ses supérieurs ou des circonstances exceptionnelles telles qu'un état de guerre ou une menace de guerre,

Page 35: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

35

une menace contre la sécurité nationale, l'instabilité politique intérieure ou tout autre état d'exception pour justifier la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Proportionnalité de la sanction 63. Les règles des droits de l’homme applicables au système disciplinaire en prison mettent en exergue le principe de proportionnalité, la sanction ne devant jamais être disproportionnée par rapport à l'infraction commise. Ainsi, l’article 3 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois leur interdit l'usage de la force, sauf “ quand cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l'accomplissement de leurs fonctions ”. En outre, le principe 16 des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois rappelle que : Les responsables de l'application des lois ne doivent pas, dans leurs relations avec des prévenus ou condamnés incarcérés, avoir recours aux armes à feu, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace immédiate de mort ou de blessure grave, ou lorsque ce recours est indispensable pour prévenir l'évasion d'un prévenu ou condamné incarcéré présentant le risque visé au principe 9. (Le risque visé au principe 9 est celui d' “ une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines ”.) Les différentes formes de sanctions 64. La règle 29 (b) des RMT et le principe 30 (1) de l'Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement exigent que la nature et la durée des sanctions soient définies dans des lois ou des règlements écrits. En pratique, les formes de sanctions pouvant être infligées pour manquement à la discipline sont nombreuses et variées. On n'en examinera ici que quelques-unes. L'isolement 65. De toutes les formes de sanctions, l'isolement est peut-être la mieux connue. La règle 32 (1) des RMT interdit “ les peines de l'isolement et de la privation de nourriture ” à moins qu'un “ médecin ait examiné le détenu et certifié par écrit que celui-ci est capable de les supporter. ” 66. Les RMT n'interdisent pas expressément l'isolement mais le considèrent clairement comme une forme de punition qui doit être seulement utilisée à titre exceptionnel. Dans son Commentaire général n° 20 (44) du 3 avril 1992, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies remarque que “ l'isolement prolongé ” peut constituer une forme de torture. Le principe 7 des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs au traitement des détenus émet le vœu suivant : Des efforts tendant à l'abolition du régime cellulaire ou à la restriction du recours à cette peine doivent être entrepris et encouragés. 67. Les nombreux avis et décisions du Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies et d'autres organismes nationaux et internationaux en matière d'isolement permettent de dégager les règles d'une bonne pratique : Isolement prolongé 68. L'isolement prolongé n'est pas légal. Dans son Commentaire général n° 20/44 de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies observe que “ l'isolement prolongé d'une personne détenue ou emprisonnée ” peut équivaloir à un acte de torture. Dans l'affaire Larrosa contre l'Uruguay, (Communication n° 88/1981), le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies a décidé que l'isolement de plus d'un mois était un isolement prolongé qui violait les droits du détenu à être traité avec dignité. Isolement de durée indéterminée

Page 36: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

36

69. L'isolement ne devrait, dans aucune circonstance, être infligé à un détenu pour une période indéterminée. Dans l'affaire Dave Marais contre Madagascar (communication n° 49/1979), Dave Marais, ressortissant d'Afrique du Sud subissant une peine de prison à Madagascar, fut maintenu, après une tentative d'évasion, sans contact avec l'extérieur pendant une période de plus de trois ans dans une cellule mesurant un mètre sur deux. Il ne fut, pendant toute cette période, sorti brièvement de sa cellule qu'en deux occasions, afin de comparaître devant un tribunal de la capitale du pays, Antananarivo. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme a considéré qu'un tel traitement était inhumain. Isolement répété 70. La répétition de l'isolement est tout aussi illégale. L'isolement est souvent considéré et utilisé par l'administration de la prison comme un moyen commode et efficace de traiter des détenus présumés dangereux, sans qu'il fût tenu compte des charges pesant sur eux dans le cas par exemple d'une nouvelle incarcération. Les autorités pénitentiaires considèrent qu'un détenu ayant subi un premier isolement s'accommodera sans rechigner des suivants, le maintiendrait-on dans cet état sans justification ou excuse valables. L'isolement est porteur d'effets dangereux pour la santé physique et mentale du détenu, et l'administration pénitentiaire centrale a le devoir légal d'empêcher ce genre de pratique. Isolement combiné avec d'autres sanctions 71. L'isolement ne doit jamais être combiné avec une autre forme de sanction, si l'on s'en tient à la règle 30 (1) des RMT suivant laquelle aucun détenu ne doit être puni deux fois pour la même faute. Ainsi, dans une affaire survenue au Zimbabwe, un détenu fut condamné à une peine de trois ans pour cambriolage, à laquelle s'ajoutait une peine antérieure de trois ans de travaux forcés avec sursis ; le magistrat ordonna que le condamné devait subir la première et la dernière quinzaine de sa peine sous le régime de l'emprisonnement solitaire et d'une diète sévère. La Cour suprême du Zimbabwe a estimé que l'isolement solitaire accompagné d'une diète sévère constituait une peine inhumaine et dégradante et, à ce titre, anticonstitutionnelle, expliquant que “ ces formes de sanction étaient des souvenirs des âges anciens ” (Sv. Masitere, 1991 (1) SA 804). Assistance médicale aux détenus punis 72. Un médecin ou une autre personne qualifiée sur le plan médical doit veiller impérativement aux besoins médicaux des détenus subissant une sanction quelconque ; leur rôle ne doit pas se limiter à certifier que le détenu est capable de supporter physiquement sa sanction. La participation du personnel médical à l'exécution des sanctions en prison soulève des problèmes éthiques considérables14, en particulier l'exigence de la règle 32 (1) des RMT qui requiert qu'un médecin examine un détenu avant de certifier par écrit qu'il est capable de supporter des punitions telles que l'isolement. Le Principe 3 des Principes d'éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des détenus et des prisonniers contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies de décembre 1982, affirme que : Il y a violation de l'éthique médicale si les membres du personnel de santé, en particulier des médecins, ont avec des prisonniers ou des détenus des relations d'ordre professionnel qui n'ont pas uniquement pour objet d'évaluer, de protéger ou d'améliorer leur santé physique et mentale. 73. Un médecin qui certifie qu'un détenu est apte à supporter l'isolement viole ce principe. Mais il n'y a pas faute si le médecin répond aux besoins médicaux des détenus soumis à l'isolement ou à une punition similaire. Le personnel médical a aussi le devoir de conseiller à l'administration de la prison d'arrêter l'isolement si la santé des détenus est menacée, et les responsables devraient faire le plus grand cas de tels avis. Dans une affaire évoquée devant la Commission européenne des droits de l’homme, Krocher et Moller, suspectés par les autorités suisses d'être des terroristes, furent maintenus à une forme d'isolement accompagnée d'une privation sensorielle sévère. Ils furent placés sous contrôle médical et psychiatrique. En réponse à un avis médical, les conditions de leur détention furent progressivement adoucies et ils furent extraits de leur cellule d'isolement au bout de deux mois. La

14 On y reviendra en détail dans le chapitre IV.

Page 37: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

37

Commission européenne des droits de l’homme jugea ce traitement approprié. (Krocher & Moller contre la Suisse, Application n° 8463 / 78 (1983). 74. Il appartient naturellement au personnel médical concerné de soulever auprès de l'administration toutes ses objections éthiques, quant au rôle qui lui est confié à l'intérieur de la prison. Les règles de l'isolement doivent être clairement codifiées 75. Les conditions dans lesquelles l'isolement peut être prescrit doivent être énoncées avec la plus grande précision. Si les prisons ne sont pas ou ne peuvent pas être dotées d'un personnel médical convenablement qualifié (en raison de la faiblesse des ressources du pays), l'administration de la prison fera appel à un personnel médical volontaire relevant d'organisations non gouvernementales, religieuses et caritatives, dont l'une des tâches consistera à prêter une assistance médicale aux détenus subissant l'isolement15. Menottes, fers aux pieds et autres instruments de contrainte 76. La règle 33 des RMT interdit absolument l'emploi d'instruments de contrainte à titre de punition : Les instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions. Les chaînes et les fers ne doivent pas non plus être utilisés en tant que moyens de contrainte. 77. La règle 33 permet l'emploi d'instruments de contrainte dans des conditions précises pour des buts limités : a) Par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu'ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative ; b) Pour des raisons médicales sur indication du médecin ; c) Sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtriser un détenu ont échoué, afin de l'empêcher de porter préjudice à lui-même ou à autrui ou de causer des dégâts ; dans ce cas, le directeur doit consulter d'urgence le médecin et faire rapport à l'autorité administrative supérieure. Quelle que soit la situation de crise, la règle 34 des RMT exige que : Le modèle et le mode d'emploi des instruments de contrainte doivent être déterminés par l'administration pénitentiaire centrale. Leur application ne doit pas être prolongée au-delà du temps strictement nécessaire. 78. Lues à la suite, les règles 33 et 34 semblent signifier que les responsables de la prison ne peuvent utiliser les instruments de contrainte que pour empêcher les détenus de se blesser eux-mêmes ou de blesser autrui, sauf circonstances médicales sur lesquelles on reviendra dans le chapitre IV. Il est à noter que ces règles interdisent l'emploi de contraintes telles que chaînes et menottes lors de la comparution du détenu devant un tribunal ou une autorité administrative, une interdiction rarement respectée. Punitions corporelles 79. La règle 31 les classe parmi les sanctions cruelles, inhumaines ou dégradantes et les proscrit formellement. Il est donc illégal de battre ou de fouetter des détenus à titre de sanction disciplinaire. Suppression d'une réduction de peine 80. Le refus d'une libération anticipée ou la suppression d'une réduction de peine sont parmi les formes de sanctions les plus utilisées. Ce qui n'est pas critiquable, à condition, si l'on veut éviter l'arbitraire, de

15 Les devoirs médicaux et éthiques du personnel de santé seront évoqués plus en détail dans le chapitre IV.

Page 38: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

38

réserver ces sanctions à des infractions graves ou répétées et de ne pas donner au refus de libération anticipée ou conditionnelle un caractère définitif. 81. Jusqu'en 1983 par exemple, les autorités pénitentiaires du Royaume-Uni disposaient d'un pouvoir indéfini en la matière. A l'occasion d'une affaire survenue en Grande Bretagne, la Cour européenne des droits de l’homme a désapprouvé la suppression d'une réduction de peine d'une durée de 570 jours et estimé que les détenus concernés auraient dû bénéficier de l'assistance d'un avocat (Campbell & Fell contre le Royaume Uni, (1984) 7 EHRR 165). Privation sensorielle 82. Suivant la règle 31 des RMT, il est interdit aux autorités pénitentiaire d'enfermer des détenus dans des cellules disposant d'une seule source de lumière artificielle et d'une ventilation insuffisante, à titre de sanction ou pour toute autre raison. Dans une affaire intervenue au Zimbabwe, un condamné à mort fut, à titre de sanction, placé à l'isolement dans une cellule sans fenêtre éclairée à l'électricité 24 heures sur 24, l'interrupteur étant disposé à l'extérieur de la cellule. Le détenu n'avait droit qu'à 30 minutes d'exercice physique par jour. Pareil traitement fut considéré comme inhumain et dégradant. (Conjwayo contre Ministère de la Justice et des Affaires Légales et Parlementaires, 1991, (1) ZLR 105 (SC)). Privation de nourriture 83. La règle 32 (1) interdit la privation de nourriture comme forme de sanction, sauf dans le cas où le médecin a examiné le détenu et certifié par écrit qu'il était capable de la supporter. On l'a démontré dans les paragraphes 50 et 69 de ce chapitre : la privation de nourriture est dorénavant jugée comme une forme de sanction impropre. Double sanction ou sanctions multiples pour une seule infraction 84. La règle 30 (1) interdit de sanctionner un détenu deux fois pour une seule infraction à la discipline. Il arrive pourtant assez souvent que des détenus soient changés de cellule ou transférés dans une autre prison après avoir subi une sanction. Ces combinaisons sont inacceptables, sauf si le changement d'affectation est partie intégrante de la sanction. Si par exemple le détenu est reclassé dans une catégorie de plus haute sécurité, il pourra être transféré dans un établissement approprié. Les responsables de la prison doivent chaque fois tenir soigneusement compte des conséquences effectives de la forme de sanction choisie. Dans tous les cas, devront être évitées les mesures disciplinaires additionnelles autres que celles découlant logiquement de la sanction choisie, et des mesures devraient être prises pour atténuer les conséquences des sanctions en termes de droits et de prérogatives des détenus. Appel d'une sanction disciplinaire 85. Le maintien de l'ordre sera assuré au sein de la communauté vivant en prison si les détenus mécontents du système disciplinaire ou de la manière dont il est appliqué ont les moyens de se plaindre. L'appel est nécessaire pour au moins deux raisons : - limiter et contrôler le pouvoir du personnel pénitentiaire en matière disciplinaire ; - corriger les abus ou injustices susceptibles de se produire dans l'exercice de la discipline. Les détenus doivent être informés des procédures d'appel existantes et encouragés à les utiliser. Les principes des droits de l’homme applicables 86. Les RMT sont muettes sur les possibilités d'appel en matière disciplinaire. Cependant, l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme évoque cette possibilité : “ Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. ” 87. L’article 2 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est plus explicite : Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à :

Page 39: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

39

a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ; b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développera les possibilités de recours juridictionnel ; c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié. 88. Les articles 2 et 12 à 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants font une obligation aux Etats de prévenir, rechercher, punir et corriger les actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis sur leur territoire. Dans la mesure où elle affecte les droits des détenus, cette obligation impose à l'administration pénitentiaire d'offrir aux détenus une procédure de plainte efficace. Autres instruments de droit 89. L'obligation de disposer pour les détenus d'une procédure de plainte efficace est aussi contenue dans l’article 1 de la Charte africaine pour les droits de l’homme et des peuples, les Articles 2 et 25 de la Convention américaine des droits de l’homme et dans l’article 6 de la Convention interaméricaine contre la torture. Nature de la procédure d'appel 90. Les autorités de la prison ont naturellement la responsabilité d'établir et d'administrer la procédure d'appel des sanctions disciplinaires interne à l'établissement. Cette procédure, qui doit s'inspirer des règles régissant plus généralement le dépôt de plaintes, doit être initiée et développée sous l'égide de l'administration pénitentiaire centrale. 91. Au sein des systèmes pénitentiaires nationaux, une structure centrale d'appel sera mise en place. Elle accueillera les appels des détenus mécontents des décisions d'appel rendues en première instance au sein de l'établissement. Cette structure centrale aura l'avantage de réduire sensiblement la crainte ressentie par des détenus qui remettent en question une décision rendue à l'intérieur de l'établissement où ils se trouvent enfermés. 92. Pour bénéficier de la confiance des détenus, la procédure d'appel doit être traitée rapidement et sans formalisme excessif. Les plaintes seront dûment enregistrées, leur instruction fera l'objet d'une procédure écrite et les décisions devront être motivées. 93. Peuvent aussi être proposées aux détenus des procédures et des structures d'appel indépendantes de l'administration pénitentiaire16. Appel en justice 94. Les tribunaux ont le pouvoir et le devoir d'exercer un contrôle sur l'administration des sanctions en prison, dans le but de s'assurer qu'elles sont conformes à la loi et qu'elles ne sont ni arbitraires ni injustes. 95. L'appel en justice présente l'inconvénient d'être onéreux, tant en frais de justice qu'en honoraires d'avocat. La plupart des détenus ne disposent pas des ressources financières nécessaires et se trouvent donc dans l'incapacité d'attaquer en justice une sanction disciplinaire dont ils estiment qu'elle constitue une violation de leurs droits. Il revient donc à des organismes bénévoles et non gouvernementaux agissant dans l'intérêt public et dans celui des détenus de collationner les violations des droits des détenus et de porter plainte auprès des tribunaux compétents. De tels organismes ont été à l'origine des progrès accomplis en matière de droits et garanties accordés aux détenus.

16 Certaines de celles-ci ont été signalées au paragraphe "Plaintes" du présent chapitre. On évoquera l'organisation de tels mécanismes administratifs indépendants dans le chapitre VIII consacré à l'Inspection.

Page 40: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

40

96. En dépit des difficultés et contraintes existantes, les gouvernements ont le devoir d'assurer aux détenus une assistance légale, grâce à laquelle la surveillance judiciaire de l'administration des prisons sera établie ou renforcée.

Page 41: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

41

Chapitre III CONDITIONS MATERIELLES ET BESOINS ELEMENTAIRES DES DETENUS Introduction 1. Les conditions de vie dans une prison sont déterminantes pour la préservation par le détenu de son sens de l'amour-propre et de sa dignité. Son bien-être physique et mental dépend d'une infinité de facteurs : l'endroit où il dort offre-t-il un lit avec des draps et des couvertures, ou devra-t-il s'allonger sur des haillons posés à même le plancher ? pourra-t-il accéder librement aux toilettes ou lui faudra-t-il implorer le surveillant de l'y conduire ? selon quelle fréquence pourra-t-il se laver ? quels vêtements pourra-t-il porter ? où lui seront servis ses repas, de quoi sera faite sa nourriture ? etc. 2. Les principaux textes en matière de défense des droits de l’homme insistent sur le droit à la dignité humaine. La Déclaration universelle des droits de l’homme met ce droit en exergue dans son article 1. L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce que toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus et l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement contiennent des dispositions semblables dès leur premier principe. 3. Des conditions de détention mauvaises non seulement violent le droit du détenu à la dignité mais peuvent aussi constituer une punition cruelle et injustifiée, dangereuse pour la santé et même pour la vie du détenu : à ce titre, elles violent son droit à ne pas subir “ la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ” reconnu par l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et, en des termes plus précis, par le principe 6 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. Les mauvaises conditions de détention peuvent, dans certains cas, être infligées à dessein, pour briser un détenu, l'intimider, l'amener à témoigner, à faire des aveux, etc. ; elles peuvent aussi résulter de négligences. Elles constituent dans tous les cas une violation grave de l'un des droits de l’homme les plus fondamentaux. 4. Les RMT contiennent, comme nous allons voir, plusieurs articles détaillés traitant des aspects matériels de la vie en prison. Les conditions de vie en prison peuvent être améliorées par la créativité autant que par l'argent 5. Une volonté politique, des initiatives du personnel peuvent contribuer, davantage parfois que des dépenses considérables, à transformer les conditions de vie quotidienne en prison, en matière par exemple d'hébergement ou de satisfaction des besoins de base. 6. Les agents pénitentiaires plus spécialement chargés du logement des détenus (qualité, taux d'occupation, etc.) doivent garder à l'esprit qu'une cellule représente pour un détenu ce que représente pour eux-mêmes leur appartement ou pavillon de fonction. Qu'ils s'imaginent occupant une cellule et ils se poseront des questions élémentaires : cette amélioration urgente n'est-elle pas possible à un faible coût ? ou inversement, est-il tolérable que de telles anomalies persistent ? C'est dans cet état d'esprit que devraient être prises les décisions tendant à tirer le maximum de profits de l'infrastructure existante et des moyens à disposition. 7. Le facteur financier n'est pas négligeable mais il ne doit pas constituer une excuse pour soumettre les détenus à des conditions qui violent les droits de l’homme et leur dignité17. En outre, les conditions de détention retentissent sur l'ambiance de vie du personnel de surveillance, lequel a droit à des conditions de travail correctes. Dans l'intérêt à la fois des détenus et des surveillants, il appartient aux syndicats, aux organismes non gouvernementaux, aux personnes motivées (y compris au sein du personnel 17 Cf. supra, Préface, § 9 et 10.

Page 42: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

42

pénitentiaire) d'attirer l'attention des responsables politiques sur ces problèmes, en particulier celui de la surpopulation. Hébergement Cellules et dortoirs 8. Règle 9 (1) Les cellules ou chambres destinées à l'isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu. Si pour des raisons spéciales, telles qu'un encombrement temporaire, il devient nécessaire pour l'administration pénitentiaire centrale de faire des exceptions à cette règle, on devra éviter de loger deux détenus par cellule ou chambre individuelle. Bien que les cellules individuelles soient préférables, l'expérience a montré qu'il n'est pas toujours opportun d'empêcher l'occupation d'une cellule par deux détenus, à condition que le volume disponible, la ventilation, le mobilier, le matériel sanitaire, etc., soient conformes aux normes. La règle 9 (1) est donc périmée sur ce point. Si, pour des raisons spéciales, les cellules doivent être occupées par plus d'un détenu, l'administration de la prison devra prendre les précautions qui s'imposent en vue d'éviter toute forme d'abus sexuel. 9. Il revient aussi à l'administration de la prison de s'assurer du respect de certaines RMT : - volume d'air par détenu ; - hauteur de plafond ; - éclairage et ventilation ; - commodités d'accès aux toilettes, au lavabo et aux douches, dans ou hors de la cellule ; - matériel de couchage et mobilier destiné au rangement des effets personnels. 10. Règle 9 (2) Lorsqu'on recourt à des dortoirs, ceux-ci doivent être occupés par des détenus soigneusement sélectionnés et reconnus aptes à être logés dans ces conditions. La nuit, ils seront soumis à une surveillance régulière, adaptée au type d'établissement considéré. Le logement en dortoir est la source de toute une série de problèmes de sûreté. Des criminels endurcis ou des individus violents peuvent en profiter pour abuser de détenus vulnérables ou se livrer à d'autres activités répréhensibles, tels le caïdat, le racket, etc. Il est difficile, par ailleurs, de faire respecter en dortoirs les exigences des RMT telles que définies au paragraphe 9. 11. Aussi les agents pénitentiaires doivent-ils se montrer particulièrement vigilants avant d'affecter un détenu en dortoir. Les détenus ayant des antécédents violents, dans ou hors de la prison, ne devraient jamais y être logés. Ne devraient y être hébergés que les détenus considérés par les surveillants comme aptes à la vie collective, ce qu'exige d'ailleurs la RMT. Les arrivants (prévenus, condamnés récents, détenus transférés) ne doivent pas être logés en dortoir aussi longtemps que les surveillants n'ont pas évalué leur aptitude à la vie collective. 12. Pour qu'un dortoir soit correctement contrôlé, un surveillant doit procéder à des rondes au moins toutes les heures. Ce surveillant doit être posté en permanence à portée de voix du dortoir et prêt à appeler de l'aide et à intervenir en cas d'incident. Les rondes doivent être discrètes et organisées de telle sorte que le sommeil des détenus ne soit pas perturbé. 13. Mais la règle communément admise doit être celle du logement en cellule. La règle 86 des RMT est on ne peut plus claire : Les prévenus doivent être logés dans des chambres individuelles, sous réserve d'usages locaux différents eu égard au climat.

Page 43: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

43

Cette règle ne fait qu'illustrer le principe que nous avons déjà dégagé18 : les prévenus, présumés innocents, doivent bénéficier de conditions de vie au moins aussi bonnes que celles des condamnés. 14. Il est souhaitable que soit proposé un programme quotidien d'activités de groupe qui occupe les détenus une bonne partie de la journée. D'où la nécessité de leur assurer un espace personnel où ils profitent de leur intimité. Dans ces conditions, la forme du logement fourni - cellules individuelles ou dortoirs - revêt une importance considérable, dont il doit être tenu compte lors de la construction de nouvelles prisons. Espace de vie 15. Règle 10 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l'hygiène compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, la surface minimum, l'éclairage, le chauffage et la ventilation. Beaucoup de règlements pénitentiaires sont bien plus précis que les RMT dans la définition du volume, de la température et de la ventilation des cellules. Le manque de précision des RMT est intentionnel : une cellule située dans un pays au climat extrêmement froid doit être différente de celle située dans un pays de climat tropical. La règle 10 se contente d'exiger que les aménagements pour la nuit satisfassent à tous les besoins de santé. Dormir dans des chambres mal ventilées, froides ou humides peut entraîner un certain nombre de maladies. Passer de longues heures sans sortir ni travailler dans une cellule encombrée peut conduire à une atrophie musculaire. Au contraire, si le travail est organisé en cellule, les matériaux encombreront davantage l'espace, le travail étant la source d'autres problèmes de santé. La tâche n'est pas simple, mais des moyens existent qui permettent aux directeurs imaginatifs d'éviter la surpopulation en utilisant les ressources existantes. On en donnera quelques exemples. 16. Si, dans une prison surpeuplée, certains détenus travaillent en cellule et d'autres dans des ateliers, les détenus de la première catégorie devraient bénéficier en priorité des mesures de déconcentration comme souffrant de la surpopulation plus que les autres. 17. Toujours en cas de surpopulation, les autorités de la prison et les responsables de bloc devraient concevoir un programme permettant aux détenus de passer autant de temps que possible hors de leur cellule (dans les couloirs, en salle de gymnastique, sur les cours de promenade, etc.), afin de réduire les tensions provoquées par le surencombrement. 18. Les agents pénitentiaires devraient aussi réfléchir à la distribution des détenus au sein de l'espace disponible. Il peut s'avérer que des cellules ne sont pas utilisées au maximum de leurs possibilités, voire même que certaines cellules sont vides tandis que d'autres sont extrêmement chargées. Eclairage et ventilation 19. Règle 11 Dans tout local où les détenus doivent vivre ou travailler, a) Les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que le détenu puisse lire et travailler à la lumière naturelle ; l'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais, et ceci qu'il y ait ou non une ventilation artificielle ; b) La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre au détenu de lire ou de travailler sans altérer sa vue. Passer un grand nombre d'heures dans un endroit mal éclairé peut endommager la vue. Des efforts devraient être faits pour assurer un éclairage suffisant. Une exposition prolongée à la seule lumière artificielle peut être tout aussi nocive, tant pour la vue du détenu que pour sa santé mentale. En conséquence, les nombreuses cellules sans fenêtre qui existent encore, en violation évidente des RMT,

18 Cf. supra, chapitre I, § 41 à 43.

Page 44: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

44

doivent être supprimées et réaménagées, les autres cellules devant offrir une lumière artificielle en plus de la source de lumière naturelle. L'utilisation de “ volets ”, “ pare-vue ” ou autres moyens d'occlusion disposés sur les fenêtres des cellules afin d'empêcher la communication visuelle entre les détenus et l'extérieur devrait être proscrite. 20. Un interrupteur électrique devrait être disposé à l'intérieur de chaque cellule : ne pas pouvoir allumer ou éteindre accroît sans nécessité le sentiment d'impuissance et de frustration du détenu. Le niveau d'éclairage à l'intérieur des cellules peut être facilement évalué : il suffit aux agents pénitentiaires de les parcourir un livre à la main et de tenter d'en lire quelques lignes. Hygiène Sanitaires et propreté 21. Règle 12 Les installations sanitaires doivent permettre au détenu de satisfaire aux besoins naturels au moment voulu, d'une manière propre et décente. Etre capable de satisfaire aux nécessités physiologiques de manière privée et décente est extrêmement important pour chacun, plus spécialement encore pour des détenus dont le sentiment d'amour propre et de dignité peut avoir déjà été entamé par d'autres facteurs inhérents à l'incarcération. 22. Les détenus doivent pouvoir accéder aux toilettes à tout moment du jour et de la nuit. Nul ne doit être placé dans une situation où la possibilité de satisfaire aux besoins physiologiques de base dépend d'un surveillant et de sa disponibilité ou de son bon vouloir à ouvrir la porte et conduire le détenu aux toilettes. 23. Les toilettes situées dans la cellule devraient être munies de couvercles et séparées du reste de la cellule par un mur ou un paravent, en particulier dans les prisons où les détenus mangent dans leur cellule : manger près d'une toilette ouverte n'est ni hygiénique ni plaisant. Les toilettes devraient disposer d'une chasse d'eau ; en cas d'impossibilité, les récipients utilisés doivent être vidés plusieurs fois par jour. Du papier hygiénique doit être en permanence à disposition des détenus. 24. Dans les dortoirs, la surveillance des toilettes, nécessaire pour des raisons de sûreté, doit toujours être exercée par des surveillants du même sexe que celui des détenus. 25. Règle 13 Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse être mis à même et tenu de les utiliser, à une température adaptée au climat et aussi fréquemment que l'exige l'hygiène générale selon la saison et la région géographique, mais au moins une fois par semaine sous un climat tempéré. La possibilité pour le détenu d'être propre est un des moyens essentiels pour lui de conserver l'estime de soi. L'administration doit s'efforcer de mettre les douches à la disposition illimitée des détenus. Si les équipements ne le permettent pas, elle doit établir un programme de douches adapté à la température et au climat de l'endroit. 26. L'administration doit aussi s'efforcer d'offrir, progressivement, un libre accès à l'eau courante, chaude et froide. Sous les climats tropicaux, les détenus peuvent utiliser l'eau froide pour se laver. Si l'eau chaude courante n'est pas disponible en permanence, de l'eau chaude et des baquets seront proposés le plus fréquemment possible aux détenus. 27. Les détenus employés à des travaux durs ou salissants devront pouvoir prendre une douche à la fin de leur journée de travail. 28. Règle 14

Page 45: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

45

Tous les locaux fréquentés régulièrement par les détenus doivent être maintenus en parfait état d'entretien et de propreté. Il doit être exigé des détenus qu'ils maintiennent leur cellule propre, à condition de leur fournir les produits nécessaires pour le faire, tels que seaux, savon, serpillières, balais, etc. L'administration doit veiller à la propreté des parties communes, en utilisant les détenus comme force de travail et en mettant en place un système de rémunération ou de récompense pour ce type de travail19. Hygiène et soins personnels 29. Règle 15 On doit exiger des détenus la propreté personnelle ; à cet effet, ils doivent disposer d'eau et des articles de toilette nécessaires à leur santé et à leur propreté. Rappelons ici La règle 13 : la possibilité pour les détenus à maintenir leur hygiène personnelle détermine en grande partie leur capacité à garder le respect d'eux-mêmes. Aussi, en plus de l'eau, la prison doit-elle au moins fournir aux détenus du savon, des brosses à dents, de la pâte dentifrice et des serviettes. Quand bien même les détenus seraient autorisés à recevoir de tels articles de l'extérieur ou à les acheter, l'administration doit les maintenir disponibles, certains détenus ne pouvant se les procurer. Si la prison n'a pas les moyens financiers de fournir ces articles à tous les détenus, elle les attribuera aux seuls détenus indigents, que les surveillants de détention sont à mêmes de repérer. 30. Les détenus doivent disposer d'un endroit pour ranger leurs articles de toilette personnels (brosse à dents par exemple), de façon à prévenir les vols et les bagarres ainsi qu'à préserver leur intimité. 31. Garder un corps propre, sans mauvaise odeur ni vermine, est aussi important pour la santé des détenus que pour le bien-être de ceux qui sont amenés à les côtoyer en permanence, en particulier les surveillants. Ceux-ci devraient encourager les détenus à la propreté, sans recourir à la contrainte pour ce faire. 32. Il existe un petit nombre de détenus à qui répugne l'usage de la douche. Ceux-ci doivent néanmoins être tenus d'être propres, plus particulièrement quand ils sont logés en dortoirs. 33. Des dispositions spéciales doivent être offertes aux femmes qui ont leurs menstruations. Elles doivent pouvoir se laver et laver leurs sous-vêtements aussi souvent que possible et disposer des produits sanitaires localement utilisés {tampons, coton, serviettes, etc.), sans être embarrassées pour les obtenir (mise à disposition permanente, ou demandes effectuées auprès du personnel féminin). Les enfants accompagnant les prisonnières bénéficieront de toutes les conditions d'hygiène adéquates. 34. L'hygiène personnelle et les soins corporels peuvent avoir une connotation religieuse. La règle 6 pose le principe de base de la non-discrimination, en particulier en matière religieuse. Elle implique que les détenus doivent pouvoir entretenir leur hygiène personnelle suivant les préceptes de leur religion. 35. Règle 16 Afin de permettre aux détenus de se présenter de façon convenable et de conserver le respect d'eux-mêmes, des facilités doivent être prévues pour le bon entretien de la chevelure et de la barbe ; les hommes doivent pouvoir se raser régulièrement. Cette règle prolonge la précédente et ne requiert pas d'explication supplémentaire. Il faut noter toutefois l'insistance mise sur les cheveux, la barbe et le rasage. 36. En dehors de raisons médicales précises, les détenus ne doivent jamais être tondus contre leur volonté. Ils doivent pouvoir porter une barbe s'ils le désirent. Les hommes qui n'ont pas de barbe doivent pouvoir se raser régulièrement. L'accès aux lames et autres accessoires de rasage peut bien sûr être contrôlé. Le personnel de surveillance doit veiller à ce que chaque détenu dispose en propre de son matériel de rasage. Compte tenu de l'épidémie de SIDA (qui touche davantage la population pénale et 19 Voir au chapitre VI le "Travail en prison".

Page 46: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

46

peut l'affecter y compris dans les pays se disant “ préservés ”), le partage d'instruments de rasage peut être facteur d'une contamination par le virus VIH et par conséquent être mortel. Si, à la suite par exemple d'une pénurie temporaire, il était impossible de fournir à chaque détenu un matériel de rasage personnel, les détenus devront porter la barbe plutôt que de se raser. Le matériel de rasage non jetable reçu ou acheté par les détenus devra être rangé de telle sorte qu'il ne puisse être utilisé accidentellement ou intentionnellement par un autre détenu. A défaut de pouvoir procurer à chaque détenu un casier et une clé, un surveillant gardera toutes les lames dans des casiers séparés portant clairement le nom de chaque détenu et disposés dans un local fermé à clé. 37. Dans les pays où les femmes portent traditionnellement un maquillage, les prisonnières seront autorisées à se maquiller. Ceci est sans conséquence sur la sécurité et sur les dépenses, les détenues devant se procurer les produits de maquillage par leurs propres moyens. Par contre, les conséquences sont essentielles quant à la manière dont les femmes perçoivent leur propre image. Habillement et couchage 38. Règle 17 1) Tout détenu qui n'est pas autorisé à porter ses vêtements personnels doit recevoir un trousseau qui soit approprié au climat et suffisant pour le maintenir en bonne santé. Ces vêtements ne doivent en aucune manière être dégradants ou humiliants. Cette règle souligne deux aspects majeurs de l'habillement, sa fonction protectrice et sa fonction sociale et psychologique. L'habillement devrait par conséquent être approprié aux températures extrêmes aussi bien qu'à des conditions spéciales de travail. Un habillement adapté et décent conditionne la santé du détenu mais affecte aussi son moral. Ceci vaut pour tout vêtement autre que les uniformes, en particulier pour les vêtements personnels. Le port de ses propres habits constitue une part de l’identité de chacun et favorise d'autant le respect de soi et l'affirmation des traits de caractère individuels. Les uniformes ont l'effet opposé. Si les détenus se voient attribuer des habits, il est préférable que ce soit des habits civils plutôt que des effets d'uniforme. Si le port de survêtements est autorisé pendant le travail, il est recommandé d'autoriser les détenus à porter leurs propres vêtements, ou au moins des vêtements civils, pendant les heures de détente. 39. La règle 88 traite plus particulièrement des vêtements des prévenus. Règle 88 1) Un prévenu doit être autorisé à porter ses vêtements personnels, si ceux-ci sont propres et convenables. 2) S'il porte l'uniforme de l'établissement, celui-ci doit être différent de l'uniforme des condamnés. La règle 88 pose comme principe fondamental que les prévenus doivent porter leurs vêtements personnels. S'ils portent cependant un uniforme pénitentiaire, celui-ci doit être différent de l'uniforme des condamnés, une distinction qui avait sans doute pour but, à l'époque de la rédaction des RMT (début des années 1950) d'éviter au prévenu toute marque d'opprobre. A l'époque actuelle, un prévenu doit porter ses propres habits ou, à défaut, l'administration doit lui fournir ou lui faire fournir des habits civils. Auquel cas la seconde partie de La règle est devenue caduque. La règle stipule, implicitement, que les condamnés doivent porter l'uniforme afin d'être stigmatisés. Cette obligation est devenue elle aussi archaïque, et déjà dans de nombreux pays les condamnés portent leurs propres habits civils (des jeans, par exemple), ou un uniforme s'apparentant étroitement aux habits civils. Le progrès est appréciable, et signifie qu'une distinction entre les vêtements des prévenus et ceux des condamnés n'est plus nécessaire.

Page 47: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

47

40. Pour le cas où des uniformes ou des habits civils sont encore fournis par l'établissement, différentes tailles doivent être proposées de sorte qu'aucun détenu ne soit obligé de porter des vêtements de taille inadaptée qui l'embarrasseraient ou le feraient paraître ridicule. Les surveillants doivent veiller à ce que chaque détenu ait des habits assortis à sa taille. Pour les détenus de taille inhabituelle, des retouches devront être effectuées, soit par les détenus eux-mêmes (un matériel de couture pouvant leur être facilement fourni par les surveillants), soit par d'autres détenus ou du personnel extérieur, quand, pour des raisons de sécurité, le matériel de couture (ciseaux, aiguilles, etc.) ne peut être fourni à des détenus particuliers ou distribués dans des locaux spéciaux. 41. Les uniformes doivent être proches des vêtement portés dans la société civile. Les prisonnières seront dispensées du port du pantalon si les femmes libres n'en portent pas habituellement. 42. Règle 17 2) Tous les vêtements doivent être propres et maintenus en bon état. Les sous-vêtements doivent être changés et lavés aussi fréquemment qu'il est nécessaire pour le maintien de l'hygiène. On ne reviendra pas sur les aspects de cette règle déjà contenus dans les règles 13 et 15 concernant la propreté. Le personnel de surveillance affecté en détention est à même de beaucoup œuvrer en faveur du maintien de la propreté des habits des détenus. En dehors des pays tropicaux, se pose souvent le problème du séchage des habits. Les surveillants de détention, qui possèdent une connaissance intime de l'établissement et de ses détenus, sont les mieux à même de pallier cette difficulté, en repérant par exemple les endroits les plus propices, en fournissant le matériel de suspension des habits, etc., tout en tenant compte des problèmes d'incendie et de vol. 43. Lorsque les habits - y compris les sous-vêtements - sont fournis par la prison, ils doivent être néanmoins considérés comme objets personnels pendant toute la durée de l'emprisonnement et revenir au détenu après blanchissage et réparation. 44. Règle 17 (3) Dans des circonstances exceptionnelles, quand le détenu s'éloigne de l'établissement à des fins autorisées, il doit lui être permis de porter ses vêtements personnels ou des vêtements n'attirant pas l'attention. Cette règle est destinée à protéger l'amour-propre et l'anonymat du détenu, en évitant d'attirer sur lui l'attention du public. En dehors de l'établissement, les détenus doivent être autorisés à porter soit leur habits personnels, soit des habits n'attirant pas l'attention ; l'usage d'un uniforme facilement identifiable comme vêtement de prison, tel qu'un pantalon rayé ou un pull de couleur uniforme très vive, doit être proscrit. 45. Règle 18 Lorsque les détenus sont autorisés à porter leurs vêtements personnels, des dispositions doivent être prises au moment de l'admission à l'établissement pour assurer que ceux-ci sont propres et utilisables. Lorsque les détenus sont autorisés à porter leurs propres habits et chaussures, l'administration doit organiser un système d'entrée et de sortie de ces objets et trouver les moyens de vêtir les détenus indigents ou non assistés. Les surveillants devront veiller à l'usure des habits portés à l'arrivée et organiser les moyens de les remplacer. 46. Règle 19 Chaque détenu doit disposer, en conformité des usages locaux ou nationaux, d'un lit individuel et d'une literie individuelle suffisante, entretenue convenablement et renouvelée de façon à en assurer la propreté. Des lits individuels propres (ou des nattes dans les pays où c'est l'usage de dormir sur des nattes) munis d'une literie en bon état devraient être disponibles dans tous les établissements. La pratique est

Page 48: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

48

quelquefois différente. Quand l'administration est dans l'incapacité de subvenir au matériel de couchage, elle doit permettre aux familles de l'apporter de l'extérieur. Là encore, les surveillants doivent être attentifs aux besoins des détenus non assistés. Quand un nombre limité de tels articles est disponible dans la prison, les surveillants s'efforceront de les allouer à ceux qui en ont le plus besoin. Nourriture 47. Règle 20 (1) Tout détenu doit recevoir de l'administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces. Comme indiqué pour les règles 18 et 19, l'administration doit fournir une nourriture convenable à ceux qui n'ont pas de soutien extérieur. 48. Tout professionnel de la prison admettra sans difficulté que les plaintes des détenus sur la qualité et/ou la quantité de nourriture sont parmi les plus fréquentes. Un moyen très simple (bien que rarement utilisé par les agents) consiste, pour évaluer la validité de ces plaintes, à manger ou au moins à goûter, de façon régulière ou occasionnelle, la nourriture servie aux détenus dans chaque quartier de l'établissement. En plus de la qualité et de la quantité de nourriture servie, les responsables s'intéresseront au lieu et au moment où les repas sont pris, ainsi qu'à la fréquence de leur distribution. Les surveillants s'assureront que les couverts sont propres et conformes aux coutumes de sustentation locales. Si les repas ne sont pas pris dans des réfectoires mais servis dans les cellules, les autorités veilleront à ce que les détenus puissent manger hors de la proximité de toilettes dégageant des odeurs plus ou moins pestilentielles. 49. La règle 87 concerne elle aussi la nourriture des détenus. Cette règle présente souvent des difficultés de mise en œuvre sur lesquelles on va revenir. Elle s'énonce comme suit : Règle 87 Dans les limites compatibles avec le bon ordre de l'établissement, les prévenus peuvent, s'ils le désirent, se nourrir à leurs frais en se procurant leur nourriture de l'extérieur par l'intermédiaire de l'administration, de leur famille ou de leurs amis. Sinon, l'administration doit pourvoir à leur alimentation. 50. Règle 20 (2) Chaque détenu doit avoir la possibilité de se pourvoir d'eau potable lorsqu'il en a besoin. L'eau potable devrait être à tout moment du jour et de la nuit mise à disposition des détenus. Pour les cellules qui ne sont pas équipées d'un robinet d'eau potable, l'administration doit prévoir un système de substitution qui permette un approvisionnement en eau constant : par exemple la fourniture de récipients ou de bouteilles, à condition de s'assurer que l'eau reste potable. Soutien extérieur pour les besoins élémentaires 51. On a évoqué à plusieurs reprises l'attention requise par les détenus non assistés. Théoriquement, l'administration doit pourvoir aux besoins de tous les détenus, mais, dans la pratique, elle permet aux détenus qui le peuvent de se faire assister par leurs proches ou d'acheter des produits à l'extérieur. L'administration peut agir ainsi dans le but de rendre la vie des détenus plus agréable, elle peut aussi recourir à ce procédé parce que, étant dans l'incapacité d'assurer sa mission d'entretien, elle concède aux familles le soin de pallier ses propres carences. Il n'est pas question de proscrire cette pratique, les détenus en seraient les premières victimes. Reste à souhaiter que les Etats n'y trouvent pas le moyen d'échapper à la responsabilité première qui est la leur en matière pénitentiaire, l'entretien des détenus. 52. Cette pratique n'est pas sans présenter de dangers. Elle favorise les inégalités, développe les hiérarchies entre les détenus riches et pauvres, en particulier quand le système d'approvisionnement

Page 49: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

49

extérieur a pris le pas sur l'intérieur, sous l'effet de la pénurie, de la négligence ou d'une combinaison des deux de la part de l'administration. Les détenus non assistés peuvent alors devenir les esclaves de leurs compagnons plus fortunés, accomplissant un certain nombre de tâches en échange de la nourriture ou des couvertures qui leur permettent simplement de survivre. Le personnel pénitentiaire doit veiller à prévenir et interdire de tels trafics, de même qu'il doit prêter une attention particulière aux plus vulnérables des détenus, les étrangers et les pauvres.

Page 50: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

50

Chapitre IV SANTE PHYSIQUE ET MENTALE DES DETENUS Introduction 1. La santé physique et mentale d'un détenu est ce qu'il y a de plus vital et de plus vulnérable à la fois. Les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme posent deux principes fondamentaux : Article 3 Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Article 5 Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces principes sont réaffirmés par l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (principe 6), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 6.1 et 7) et la Convention des Nations unies contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Préambule). L’Ensemble de principes précise, dans une note additionnelle à l'article 6, que “ l'expression ‘peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant' doit être interprétée de façon à assurer une protection aussi large que possible contre tous les sévices, qu'ils aient un caractère physique ou mental, y compris le fait de soumettre une personne détenue ou emprisonnée à des conditions qui la privent temporairement ou en permanence de l'usage de l'un quelconque de ses sens, tels que la vue ou l'ouïe, ou de la conscience du lieu où elle se trouve et du passage du temps. ” 2. Les soins médicaux et la santé des détenus doivent constituer la priorité dans la mise en œuvre du traitement pénitentiaire. Les soins doivent être, en prison, d’une qualité au moins équivalente à celle des soins distribués dans la société civile. Les soins accordés aux détenus sont de la responsabilité de l'Etat, le gouvernement devant assurer leur distribution. Suivant La règle 37 des RMT20, l'enfermement est une peine de caractère afflictif par nature, aussi ce caractère ne doit-il pas être aggravé. La règle reconnaît que la privation de liberté dépouille l'individu du droit de disposer de sa personne. Les contraintes de la vie quotidienne en détention accentuent cette situation et rendent le détenu inapte à apprécier ce qui est bon ou mauvais pour sa santé. Cette responsabilité est transférée au gouvernement, dont la première des missions est de maintenir les détenus en vie : il doit, pour y parvenir, leur assurer un état de santé satisfaisant, des conditions de vie et de travail hygiéniques, des traitements et activités sains, des procédures de soins suffisantes et des traitements médicaux efficaces. Les soins en prison, une priorité 3. La santé physique et mentale des détenus est conditionnée en premier lieu par le bien-fondé des accusations dont ils sont l’objet, par l'honnêteté des jugements les concernant ainsi que par la qualité de l'information qui leur est fournie en matière de procédures légales, d'assistance juridique et de règles et règlements pénitentiaires. De par leur longueur, certaines peines sont en elles-mêmes nuisibles au bien-être des détenus : elles devraient être décernées avec la plus grande modération. Si l'administration pénitentiaire n'a pas la responsabilité de fixer la durée des peines, elle peut néanmoins contribuer à leur érosion, en accordant ou favorisant une libération anticipée, une permission de sortie, une réduction de peine ou une grâce. Les détenus atteints d'une maladie grave et n'offrant aucun espoir de guérison devraient pouvoir être libérés et assignés à résidence dans un lieu où les derniers soins pourraient leur être prodigués, avec l'aide de leur famille, de leurs amis ou d'une institution appropriée.

20 Cf. chapitre I, § 22.

Page 51: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

51

4. Les RMT mentionnent brièvement les soins médicaux dont doivent bénéficier les prévenus21. On répétera ce qui a été dit précédemment22 : les RMT, y compris et surtout celles afférentes à la santé et à l'hygiène, doivent bénéficier en priorité aux personnes incarcérées dans les maisons d'arrêt, dans les cellules de police et autres lieux de détention. 5. L'incarcération signifie pour le détenu l'impuissance, la dépendance, l'ignorance du lendemain et l'incapacité à faire face à une telle situation. Elle est source d'amertume, d'agressivité, de nervosité et d'angoisse, comme l'attestent la fréquence des visites médicales, l'importance du recours aux somnifères, aux tranquillisants et aux drogues et le grand nombre de tentatives de suicides, en particulier au cours de la période précédant le jugement. La santé mentale n'est pas sans conséquence sur l'état physique et réciproquement. Il faut, pour y remédier, offrir aux détenus des conditions de vie agréables et un traitement psychologique et social stimulant. De même, la confiance des détenus dans les soins médicaux qui leur sont prodigués en prison constitue en elle-même un facteur positif. Cette confiance sera acquise dès lors que le médecin, l'infirmière ou le travailleur social manifesteront dans leur pratique que le soin est la première de leurs priorités, avant l'ordre, la discipline et tous les autres impératifs de la prison. Les soins et la fonction médicale 6. Les RMT contiennent des règles indiquant les dispositions nécessaires en matière de santé physique et mentale, dont les détenus doivent être rapidement informés. Ceux-ci doivent également avoir connaissance des procédures d'accès aux soins, de la nature des médicaments prescrits et du contenu des rapports et dossiers médicaux les concernant. En règle générale, les détenus devraient être davantage associés à leur traitement médical et mieux informés de leur état de santé. Droit à la santé 7. Les RMT n'évaluent pas le bien-être des détenus, elles ne formulent pas de droits, dont celui à la santé physique et mentale, contrairement à la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son article 25 : Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. 8. La même Déclaration énumère les seules restrictions admissibles à ce droit dans son article 29.2 : Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. Ces restrictions ne concernent en rien le droit à la santé. 9. Les règles évoquées aux paragraphes 7 et 8 utilisent le mot “ droits ”, ce qui sous-entend que les détenus ont conservé une certaine responsabilité vis-à-vis des conditions de vie qui leur sont offertes, qu'ils ont conservé prise sur leur propre santé, seraient-ils privés de certains moyens d'en prendre soin. Les agents pénitentiaires devraient encourager (et non obliger, en les menaçant de sanctions) les détenus à exercer cette responsabilité, en leur conseillant par exemple de pratiquer des exercices physiques, de se laver et de se raser, de se brosser les dents, de ne pas fumer, de maintenir leur espace de vie en état de propreté. Les détenus doivent être informés des règles de santé et des conditions d'hygiène, de la prévention des risques, des mesures d'aide d'urgence, etc. S'ils se comportent de manière irresponsable et menacent la santé d'autrui, des mesures d'hygiène peuvent leur être imposées. En l'absence de précautions et de dispositions permettant aux détenus d'être partie prenante dans la gestion de leur santé et de leur hygiène, sous la forme par exemple de consultations régulières des services médicaux, il ne pourra leur en être tenu rigueur.

21 Cf. infra, La règle 91, commentée dans le § 22 du présent chapitre. 22 Cf. supra, Préface, § 13.

Page 52: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

52

10. Les RMT souhaitent que les services médicaux des prisons “ soient organisés en relation étroite avec l'administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation ” (règle 22). Rien ne doit donc s'opposer, en théorie, à ce que les médecins pratiquant à l'extérieur de la prison y aient accès, ou à ce que les détenus puissent consulter ou être traités par des médecins exerçant hors les murs. Les médecins de la prison ne devraient pas non plus avoir de scrupule ou de honte à prendre l'avis ou à recevoir l'aide de praticiens extérieurs. La qualité des soins 11. La question du niveau des soins médicaux en prison est souvent posée. Ce niveau est particulièrement bas dans beaucoup de régions ou pays. L'accès aux soins peut être difficile faute de praticiens, ou compte tenu du coût des actes médicaux. Peut-on envisager que, dans un pays, les soins soient meilleurs en prison que dans la société civile ? 12. Les règles internationales (en particulier les RMT) ne laissent pas place à l'hésitation : quand bien même le niveau de soins serait catastrophique dans une société donnée, il n'est pas tolérable que les détenus du pays concerné ne puissent en bénéficier. Les gouvernements ont toute autorité sur les personnes incarcérées, lesquelles sont placées sous leur entière responsabilité. Il est inadmissible que l'emprisonnement ajoute de la maladie ou de la souffrance morale ou physique à la sanction. La santé en prison est la priorité des priorités, l'incarcération étant en elle-même, dans une plus ou moins grande mesure, nuisible à la santé physique et morale des détenus. En outre, suivant La règle 5723 et le principe 24 de l’Ensemble de principes24, les soins médicaux doivent être fournis gratuitement en prison, à l'inverse de ce qui peut être le cas dans la société civile. La santé des détenus, une responsabilité de tous les agents pénitentiaires 13. On peut déduire des règles précédentes que la santé physique et mentale des détenus est de la responsabilité non seulement du gouvernement, de l'administration pénitentiaire centrale et des services médicaux de la prison, mais aussi du personnel pénitentiaire dans son ensemble. Chaque agent doit veiller et contribuer au respect du droit de chaque détenu à la santé. Les psychologues et plus généralement les travailleurs sociaux ont un rôle particulier à jouer dans ce domaine, notamment en matière de santé morale, ils devraient de ce fait être respectés, consultés et assistés au même titre que les membres des professions médicales. 14. Le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois énonce, dans son article 6 que : Les responsables de l'application des lois doivent veiller à ce que la santé des personnes dont ils ont la garde soit pleinement protégée et, en particulier, à prendre immédiatement des mesures pour que les soins médicaux leur soient dispensés chaque fois que cela s'impose. Ce code est applicable aux responsables des prisons, lesquels doivent veiller à l'application sourcilleuse de l'article 6. Sauf abus patent, la demande d'un détenu de consulter un médecin doit être prise en compte rapidement. En cas de doute, une enquête doit être diligentée, qui peut aboutir à une sanction disciplinaire appropriée. Toutefois, une nouvelle demande de consultation médicale ne peut être refusée sous le prétexte d'un abus antérieur. 15. On doit mentionner ici la publication par Amnesty International de divers “ Codes de déontologie ” ayant trait aux professions médicales. On y trouvera une sélection de textes d'éthique médicale émanant d'associations professionnelles internationales de médecins, psychiatres, infirmières et psychologues. Les fonctions du médecin : priorité au patient 16. L'analyse détaillée des RMT permet de distinguer trois fonctions imparties aux médecins des prisons, avec pour chacune les devoirs correspondants : 1) le médecin comme médecin personnel d'un détenu ;

23 Cf. supra, § 2. 24 Cf. infra, § 31.

Page 53: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

53

2) le médecin comme conseiller du directeur pour les questions en relation avec le traitement des détenus (discipline ou régimes pénitentiaires par exemple) ; 3) le médecin comme responsable des conditions générales de santé et d'hygiène de l'établissement, tenu à ce titre à des fonctions d'inspection dont il doit rendre compte. Quelles que soient ces distinctions, un médecin qui travaille en prison est et reste, il faut y insister, un médecin. Il y intervient comme tel, c'est-à-dire uniquement dans l'intérêt des patients-détenus, au mépris d'autres personnes ou d'autres intérêts. 17. Comme “ médecin personnel ”, le médecin de la prison répond à la demande des détenus et intervient auprès d'eux en vue de protéger leur santé. Les règles 22, 23, 25 (1) et 91 par exemple, sur lesquelles on reviendra, assignent aux médecins des prisons la tâche de distribuer aux détenus des soins médicaux de qualité. Dans La règle 26, il est au contraire question d'une responsabilité générale en matière de santé et d'hygiène : il s'agit cette fois d'une fonction de prévention, le médecin devant s'assurer que les aménagements et les conditions de vie de la prison ne mettent pas la santé des détenus en danger. D'autres règles évoquent les relations privilégiées entre les médecins et la direction. Car le directeur est responsable à un double titre de la santé des détenus : il doit veiller au bon fonctionnement des services médicaux, mais il doit aussi s'assurer que le régime pénitentiaire ne nuit pas a la santé des détenus. Pour exercer convenablement cette double responsabilité, le directeur a besoin de l'avis éclairé du médecin. 18. Les RMT ne précisent pas si les trois fonctions médicales doivent être remplies par des médecins différents ; elles ne disent pas non plus le contraire. Mais cette répartition ne sera pas toujours possible, d'où le risque d'un seul médecin ayant à résoudre des situations contradictoires. Si tel est le cas, le médecin doit avoir à l'esprit qu'il est en premier lieu le médecin personnel des détenus, sa principale mission étant de répondre à leur demande pour distribuer ses soins. Quelle que soit la fonction qu'il puisse avoir par ailleurs, celle-ci ne peut être exercée au détriment de la santé des détenus. Pour un médecin de prison comme pour tout médecin, seule compte la santé du patient, le détenu comme patient étant la priorité des priorités. 19. La responsabilité du médecin vis-à-vis de ses patients revêt, en prison, une dimension particulière, la bonne santé morale et physique du détenu favorisant les efforts qu'il accomplit en vue de préparer sa resocialisation. La règle 62, qui constitue un principe directeur, est particulièrement importante à cet égard : Règle 62 Les services médicaux de l'établissement s'efforceront de découvrir et devront traiter toutes les déficiences ou maladies physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement du détenu. Tout traitement médical, chirurgical et psychiatrique jugé nécessaire doit être appliqué à cette fin. Des conditions de vie mauvaises voire inacceptables n'affectent pas seulement les détenus malades physiquement ou moralement ; elles exercent une influence sur tous les détenus. La règle 62 définit la responsabilité essentielle des services médicaux en prison, tant à l'égard des condamnés, explicitement visés ici, que de toute autre catégorie de détenus. Serment d'Athènes 20. L'importance de la responsabilité des médecins au sein des prisons a été reconnue par le Conseil international des services médicaux pénitentiaires dans ce qu'il est convenu d'appeler le Serment d'Athènes : Nous, professionnels de santé qui travaillons dans des établissements pénitentiaires, réunis à Athènes le 10 septembre 1979, prenons ici l'engagement, en accord avec l'esprit du serment d'Hippocrate, que nous entreprendrons de procurer les meilleurs soins de santé à ceux qui sont incarcérés quelle qu'en soit la raison, sans préjugé et dans le cadre de nos éthiques professionnelles respectives. Nous reconnaissons le droit des personnes incarcérées à recevoir les meilleurs soins médicaux possible. Nous nous engageons à 1. Nous abstenir d'autoriser ou d'approuver toute sanction physique.

Page 54: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

54

2. Nous abstenir de participer à toute forme de torture. 3. N'entreprendre aucune forme d'expérimentation médicale parmi les personnes incarcérées sans leur consentement en toute connaissance de cause. 4. Respecter la confidentialité de toute information obtenue dans le cours de nos relations professionnelles avec des malades incarcérés. 5. Ce que nos diagnostics médicaux soient basés sur les besoins de nos patients et aient priorité sur toute question non médicale. 21. Le Serment d'Athènes acquerra toute son efficacité si les directeurs et les médecins de prison veillent à ce qu'il soit connu de tout le personnel médical travaillant régulièrement ou occasionnellement en faveur de la santé des détenus. Des moyens financiers et des règles de procédure sont nécessaires pour assurer une assistance médicale rapide et appropriée et pour rendre publics les codes déontologiques des médecins et des infirmières. Il appartient aux gouvernements de fournir au personnel médical des prisons les informations (noms, adresses, etc.) relatives aux organismes responsables de l'éthique médicale. Les services médicaux sont indispensables 22. Les règles suivantes déterminent les besoins indispensables en matière de services et de soins médicaux. Règle 22 (1) Chaque établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services d'un médecin qualifié, qui devrait avoir des connaissances en psychiatrie. Les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l'administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation. Ils doivent comprendre un service psychiatrique pour le diagnostic et, s'il y a lieu, le traitement des cas d'anomalie mentale. (2) Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils. Lorsque le traitement hospitalier est organisé dans l'établissement, celui-ci doit être pourvu d'un matériel, d'un outillage et des produits pharmaceutiques permettant de donner les soins et le traitement convenables aux détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante. (3) Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins d'un dentiste qualifié. 23. En matière de soins médicaux, la première exigence consiste à avoir un médecin à disposition. Il ne sera pas toujours possible ni nécessaire - compte tenu de la taille de la prison - d'avoir un médecin disponible à plein temps. Il est dans ce cas nécessaire d'assurer encore plus étroitement des liens permanents avec les services médicaux civils, comme il est dit dans La règle 22 (1). Les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus vont encore plus loin : Principe 9 Les détenus ont accès aux services de santé existant dans le pays sans discrimination aucune du fait de leur statut juridique. La règle 91 des RMT s'intéresse pour sa part aux seuls prévenus : Règle 91 Un prévenu doit être autorisé à recevoir la visite et les soins de son propre médecin ou dentiste si sa demande est raisonnablement fondée et s'il est capable d'en assurer la dépense.

Page 55: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

55

24. Le principe 9 et La règle 91 des RMT sont rarement mis en œuvre en raison des complications que leur application occasionne. Ces règles ne doivent pas être écartées pour autant d'un revers de main. Les services médicaux des prisons ont forcément leurs limites, d'où l'importance majeure de relations structurelles et de travail avec les services de soins extérieurs. C'est à cette condition qu'une aide médicale intensive ou d'urgence peut être garantie aux détenus. Certains directeurs et médecins de prison n'y portent pas un intérêt suffisant. En principe, cette responsabilité appartient au directeur, mais il est du devoir du médecin de la prison d'organiser et d'entretenir de telles relations ainsi que de définir les procédures et conditions de leur concrétisation. Il est important, par exemple, de s'assurer que la paperasserie ne fera pas obstacle au transfert rapide d'un patient dans un hôpital ou à l'organisation d'une consultation urgente dans une clinique extérieure. Le personnel de santé 25. La règle 22 (2) exige que des professionnels “ qualifiés ” et “ suffisamment formés ” soient présents au sein des unités hospitalières dépendant de l'administration pénitentiaire. Sont visés là à la fois les médecins et les infirmières. Des infirmières qualifiées devraient d'ailleurs être aussi présentes dans les prisons ne disposant pas d'unité de soins, en particulier si le recours au médecin y est limité. Elles peuvent pallier cette indisponibilité. Dans certains pays, des surveillants sont formés pour intervenir comme secouristes et traiter les cas d'urgence, mais ils peuvent aussi traiter les maladies et blessures bénignes, d'où le titre d'“ infirmiers ” qui leur est parfois abusivement décerné. 26. Le médecin s'assurera que le service des infirmières, infirmiers et aides-soignantes est correctement organisé. Des registres de consignes et de rapports seront mis en place, en sus des consignes et des comptes rendus effectués verbalement. La distribution des médicaments n'échappe pas à ces impératifs formels. Le médecin en est le seul prescripteur, leur préparation (mélange et dilution des médicaments en poudre ou liquides, puis répartition en doses individuelles) doit être confiée à des infirmières qualifiées, leur distribution sera assurée par des “ infirmiers ” ou, à défaut et en dernier recours, par des surveillants ordinaires mais avertis des instructions strictes et des procédures écrites de la main du médecin - toute difficulté ou irrégularité lors de la distribution devra faire l'objet d'un compte rendu au médecin. La préparation des doses ne pourra en aucun cas être confiée à un personnel insuffisamment qualifié. Equipement 27. Outre un personnel médical suffisant et compétent, les services médicaux comprennent des salles de soins et des équipements de qualité et bien entretenus. Les salles de soins, les armoires médicales et le reste du mobilier doivent être munis de serrures robustes et accessibles seulement au personnel de santé compétent, qui est responsable de l'hygiène et de la sécurité au sein des services. Dans certaines parties du monde, des dispositions devront être prises pour protéger ou remplacer des médicaments extrêmement périssables compte tenu de températures élevées. Le médecin, soignant personnel des détenus 28. La règle 25 (1) est très générale : Règle 25 (1) Le médecin est chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus. Il devrait voir chaque jour tous les détenus malades, tous ceux qui se plaignent d'être malades, et tous ceux sur lesquels son attention est particulièrement attirée. Cette règle emporte trois conséquences. Que le médecin soit qualifié. Qu'il ait à sa disposition une salle de soins médicaux et chirurgicaux équipée des aménagements habituels et dotée d'une pharmacie correctement approvisionnée. Qu'il soit en mesure et disposé à traiter les détenus comme n'importe quels autres patients. En d'autres termes, les médecins de prison ne devraient pas se contenter de prescrire des somnifères et des calmants, mais traduire en actes médicaux tout ce que leur compétence professionnelle exige et autorise.

Page 56: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

56

Les médecins de prison sont souvent soumis à diverses pressions en vue de les amener à prescrire diverses sortes de tranquillisants aux détenus sans que des raisons strictement médicales l'exigent. Ils ont le devoir de ne prescrire de tels produits que s'ils sont médicalement justifiés, à l'exclusion de tout autre motif. La règle 25 (1) vaut, dans ce contexte, pour les interventions du médecin au titre de conseiller du directeur, malgré les ambiguïtés inhérentes à ce double rôle, comme on le verra dans le paragraphe 43. Des examens médicaux rapides et pertinents 29. La règle 25 (1) a de bonnes raisons d'exiger du médecin de voir quotidiennement tous les détenus se plaignant d'être malades. La santé des détenus est souvent plus fragile que celle des citoyens libres, en raison des conditions d'incarcération et de certains comportements ou risques spécifiques : automutilations, tentatives de suicide, viols, etc. La charge émotionnelle résultant de l'incarcération peut aussi être facteur de maladie. La maladie peut être simulée et les soins abusifs, mais il appartient au seul médecin d'en juger en ayant à l'esprit que de telles simulations peuvent être des signaux précurseurs d'une détérioration de la santé physique ou mentale du détenu. 30. En l'absence d'un médecin, une infirmière doit être présente en permanence afin de procéder à un grossier dépistage, de répondre aux demandes sans gravité et d'assurer les premiers soins. En outre, des dispositions doivent être prises pour qu'un médecin de l'extérieur intervienne dans les meilleurs délais en cas d'urgence. 31. Le principe 24 de l’Ensemble de principes requiert que toute personne détenue ou emprisonnée se verra offrir un examen médical approprié dans un délai aussi bref que possible, après son entrée dans le lieu de détention ou d'emprisonnement ; par la suite, elle bénéficiera de soins et traitements médicaux chaque fois que le besoin s'en fera sentir. Ces soins et traitements seront gratuits. ” Ce principe n'impose pas l'obligation pour le médecin d'examiner un détenu aussitôt son entrée en prison, mais le droit pour l'arrivant d'être examiné. Le détenu devra être informé de cette opportunité ainsi que du caractère de gratuité de cet examen et du traitement médical auquel il peut conduire. 32. L'importance de ce droit, qui confère au détenu une responsabilité personnelle dans l'accès aux soins, est soulignée dans les principes 25 et 26 de l’Ensemble de principes : Principe 25 Toute personne détenue ou emprisonnée ou son conseil a, sous réserve des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l'ordre dans le lieu de détention ou d'emprisonnement, le droit de demander à une autorité judiciaire ou autre un deuxième examen médical ou une deuxième opinion médicale. Principe 26 Le fait qu'une personne détenue ou emprisonnée a subi un examen médical, le nom du médecin et les résultats de l'examen seront dûment consignés. L'accès à ces renseignements sera assuré, et ce conformément aux règles pertinentes du droit interne. 33. Ces règles intéressent autant les autorités pénitentiaires que les médecins de prison. Les uns et les autres ont cependant des interprétations différentes des expressions “ chaque fois que le besoin s'en fera sentir ” (principe 24), “ des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l'ordre ” (principe 25) et de l'“ accès à ces renseignements ” (principe 26). Et leurs vues respectives peuvent de surcroît différer de l'opinion du détenu qui est après tout le principal intéressé. On verra un peu plus loin comment ces contradictions ou ces divergences peuvent recevoir une solution respectueuse des principes pour ce qui concerne l'accès aux soins (paragraphes 35 et 36), l'information sur la gravité des blessures (paragraphe 34) et quelle instance doit être mise en place pour solutionner ce type de conflits (paragraphes 86 à 88). Le personnel médical doit être informé des incidents

Page 57: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

57

34. Le médecin et les infirmières doivent être informés et se tenir informés par tous les moyens des violences commises entre détenus aussi bien que des violences (“ raclées ”, sanctions corporelles, etc.) exercées sur eux par les surveillants. Les détenus concernés doivent être examinés et faire l'objet de soins, le directeur en étant immédiatement avisé. Les mêmes dispositions valent pour les tentatives de suicide, automutilations, grèves de la faim, abus sexuels, etc. Les blessures et les marques consécutives à des “ raclées ”, actes de torture, etc. doivent être examinées par un médecin de préférence indépendant. Il devra être procédé à cet examen dans la sérénité, à l'écart de toute pression officielle. Si un “ second avis ” médical est demandé par une partie ou une autre, il devra y être acquiescé. Il est de la responsabilité du médecin de rendre compte à un organisme (judiciaire) indépendant des pratiques de torture et des marques de violences occasionnées par les surveillants. L'Ensemble de principes interdit explicitement toute forme de traitement cruel et dégradant25 et souligne que c'est le devoir des fonctionnaires et d'autres témoins de rendre compte de toute violation de cet impératif aux supérieurs des fonctionnaires en cause ainsi qu'aux autres autorités ou instances de contrôle ou de recours compétents (principe 7). Libre accès aux soins médicaux 35. L'accès aux soins doit être facile, efficace et rapide. Les surveillants recevront pour consigne de prendre les plaintes des détenus au sérieux et de les faire conduire dans les services médicaux dans les meilleurs délais ; ils devront manifester une attitude humaine et attentive, sans jamais décider d'eux-mêmes si le détenu a besoin de voir un médecin ou pas. 36. La demande de soins et l'accès aux services médicaux ne doivent pas être conditionnés par le remplissage de formulaires compliqués. Il est inacceptable qu'un patient n'accède au médecin ou au moins à l'infirmière qu'un jour ou plus après le dépôt de sa demande. L'accès sans formalité excessive aux services médicaux ne doit pas signifier pour autant que les demandes ne doivent pas être enregistrées, ceci afin d'éviter tout litige. Les demandes de visites chez le médecin doivent figurer sur un simple imprimé ou dans un registre spécial, et sont transcrites par le surveillant ou par le détenu mais signées par l'un et par l'autre. Le médecin est responsable de la bonne tenue de ces imprimés ou de ce registre. Le médecin de la prison doit expliciter son rôle et son éthique aux détenus 37. Exerçant une double fonction (médecin des détenus et conseiller du directeur), le médecin de la prison a l'impérieux devoir de lever toute ambiguïté, en expliquant aux détenus les limites en prison du secret médical (quel fait, quelle information peuvent être rapportés avec ou sans le consentement du détenu), la nature et le contenu des comptes rendus et avis médicaux qu'il destine au directeur, etc. Le médecin, conseiller du directeur de la prison 38. Le médecin de la prison conseille le directeur sur les questions de santé générales et particulières. Quoique la santé ait à voir avec tous les aspects de la vie en prison, le médecin devrait être en dehors des questions de maintien de l'ordre et de sécurité, pour lesquelles sa compétence ne devrait jamais être requise. Un médecin de prison ne doit en aucune façon être assimilé à un médecin légiste, lequel a pour mission d'agir sur instruction de la police. Une telle confusion, que les RMT n'envisagent pas, rendrait impossible l'exercice d'une médecine indépendante à l'égard des détenus, et est en conséquence inacceptable. 39. L'avis du médecin peut être requis quand des sanctions sont infligées aux détenus, en vertu de La règle 32 (1) et (2)26. Cette règle est devenue obsolète. Il est contraire à l'éthique qu'un médecin collabore à un traitement pouvant affecter la santé physique ou mentale d'une personne en attestant de la capacité de celle-ci à pouvoir le subir27. Les limites du secret médical 25 Cf. supra paragraphe 1. 26 Cf. chapitre II , § 50 à 53. 27 Cf. infra § 43 à 45.

Page 58: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

58

40. D'autres règles abordent les problèmes soulevés par la “ double casquette ” du médecin de prison. Elles méritent que l'on s'y arrête. Règle 24 Le médecin doit examiner chaque détenu aussitôt que possible après son admission et aussi souvent que cela est nécessaire ultérieurement, particulièrement en vue de déceler l'existence possible d'une maladie physique ou mentale, et de prendre toutes les mesures nécessaires ; d'assurer la séparation des détenus suspects d'être atteints de maladies infectieuses ou contagieuses ; de relever les déficiences physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement et de déterminer la capacité physique de travail de chaque détenu. Règle 25 (2) Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu'il estime que la santé physique ou mentale d'un détenu a été ou sera affectée par la prolongation ou par une modalité quelconque de la détention. Règle 32 (3) Le médecin doit visiter tous les jours les détenus qui subissent de telles sanctions disciplinaires et doit faire rapport au directeur s'il estime nécessaire de terminer ou modifier la sanction pour des raisons de santé physique ou mentale. 41. Le médecin qui doit établir un rapport après l'examen d'un détenu (règle 24) peut porter atteinte au droit du détenu à préserver son intimité et l'intégrité de sa personne. De tels comptes rendus médicaux peuvent avoir pour conséquences de modifier négativement le régime du détenu et d'altérer sa santé et ses conditions de vie. 42. Les résultats de l'examen peuvent signifier le classement du détenu dans un travail dur ou insalubre ou au contraire l'interdiction pour lui de travailler. Ils peuvent se traduire par la ségrégation du fait de la maladie, pour les malades du SIDA ou les séropositifs par exemple, ségrégation équivalant à une stigmatisation. Ils peuvent entraîner une sanction, un isolement ou une réclusion rigoureuse susceptibles de nuire à la santé physique et mentale. Le médecin et les sanctions 43. Le principe 4 (b) des Principes d'éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants établit que : Il y a violation de l'éthique médicale si des membres du personnel de santé, en particulier des médecins : [...] (b) Certifient, ou contribuent à ce qu'il soit certifié, que des prisonniers ou des détenus sont aptes à subir une forme quelconque de traitement ou de châtiment qui peut avoir des effets néfastes sur leur santé physique ou mentale et qui n'est pas conforme aux instruments internationaux pertinents, ou participent, de quelque manière que ce soit, à un tel traitement ou châtiment non conforme aux instruments internationaux pertinents. 44. Il importe que le médecin de prison ne soit pas impliqué dans les questions de discipline ou de sécurité. Le médecin est nommé en tant que médecin, non pas en tant que personnel pénitentiaire administratif ou de direction. Malgré sa “ double casquette ”, le médecin ne doit pas donner l'impression, par son comportement, son langage ou ses actes, qu'il est un allié de la direction de la prison. Sa fonction de conseil doit être circonscrite dans des limites perceptibles par tous. Le médecin, mais aussi le directeur doivent être conscients de ce que ce double rôle est difficile sinon impossible à tenir et qu'il suscite de douloureux problèmes de conscience chez un professionnel de la santé inspiré par les principes de l'éthique médicale.

Page 59: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

59

45. Les infirmières se trouvent dans une position aussi délicate que les médecins. Simples subalternes, leur indépendance professionnelle devrait être assurée avec encore davantage de précautions. Dans des institutions spécialisées (tels que les hôpitaux psychiatriques), les médecins peuvent exercer des responsabilités administratives. Il y a lieu de s'inspirer de leur expérience avant d'analyser plus finement les ambiguïtés et les conflits inhérents à ce double rôle, dès lors que ces praticiens se retrouvent dans leur relation singulière avec les patients. Expérimentation médicale et recherche clinique 46. L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule : Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. L'accord d'un détenu de se soumettre à une expérience médicale moyennant par exemple une réduction de peine ou une rémunération interfère avec son libre consentement. Ce type de manipulation est en contradiction avec l’article 7. Le principe 22 de l’Ensemble de principes (adopté en 1988, donc plus récent) est encore plus restrictif : Aucune personne détenue ou emprisonnée ne pourra, même si elle y consent, faire l'objet d'expériences médicales ou scientifiques de nature à nuire à sa santé. Ce principe exclut catégoriquement l'alibi du consentement du détenu dès lors que l'expérience est potentiellement dangereuse. 47. La Déclaration de Helsinki de l'Association médicale mondiale de 1964, revue en 1975, 1983 et 1989, a cristallisé l'attention sur ce point en indiquant clairement que cette question revêt aujourd'hui une importance extrême. Cette Déclaration, que chaque médecin de prison devrait avoir en tête, porte davantage sur la recherche que sur les expériences médicales. Elle déclare en préambule : La recherche clinique ne peut légitimement être conduite que si l'importance de l'objectif est en rapport avec les risques inhérents au sujet. Elle poursuit : Dans le traitement d'un malade, le médecin doit être libre d'employer un nouveau protocole thérapeutique s'il a l'intime conviction que celui-ci apporte un espoir de sauver une vie, de rétablir la santé ou de réduire la souffrance. La Déclaration ajoute : Dans la mesure où c'est possible et en accord avec la psychologie du malade, le médecin doit obtenir le libre consentement du malade, après que celui-ci a reçu une explication complète. La Déclaration procède à une distinction fondamentale entre la recherche clinique dans laquelle le but est essentiellement thérapeutique pour le malade et la recherche clinique, dont l'objet essentiel est purement scientifique et sans valeur thérapeutique pour la personne qui y est soumise. Cette Déclaration, qui a la souci du détail, souligne que c'est le devoir du médecin de rester le protecteur de la vie et de la santé de la personne sur laquelle la recherche clinique est menée [...] La nature, l'objet et le risque de la recherche clinique doivent être expliqués au sujet par le médecin [...] La recherche clinique ne peut être effectuée sur un être humain sans son libre consentement, après qu'il eut été informé le plus complètement possible [...] Un tel consentement devrait, en règle générale, être consigné par écrit [...] la personne concernée jouissant d'un état physique, mental et légal lui permettant le plein exercice de sa liberté de choix. Et le texte conclut : Le chercheur doit respecter le droit de chaque individu à sauvegarder son intégrité personnelle, spécialement si le sujet est dans une relation de dépendance vis-à-vis du chercheur. Les dernières recommandations s'appliquent très exactement aux détenus, en particulier quand des récompenses leur sont offertes en échange de leur consentement. Les maladies contagieuses, le SIDA 48. Les détenus infectés par le VIH, qui souffrent du SIDA, de la tuberculose, de l'hépatite ou d'une autre maladie contagieuse, sont souvent considérés comme présentant un risque pour leurs codétenus et pour les surveillants. L'infection par le VIH est ressentie comme une menace, et ce d'autant plus qu'elle a souvent à voir avec l'usage de drogue. La première parade consiste à recourir à un examen médical obligatoire suivi d'un test sanguin, après quoi les malades sont isolés ou placés dans des unités

Page 60: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

60

séparées, même si ces mesures peuvent être discriminatoires28. Les solutions peuvent varier d'un pays à l'autre, mais ne doivent en aucun cas être fondées sur les opinions des détenus, des surveillants ou du public en général, mais s'appuyer bien au contraire sur le respect de l'intégrité du malade, la confiance dans l'avis médical et l'obligation de confidentialité. Il y a lieu d'informer d'abord les détenus et le personnel sur la maladie, ses risques réels d'infection et les moyens à mettre en œuvre pour les éviter : mise à disposition de préservatifs et même de seringues pour les usagers de la drogue. Si regrettables que soient ces pratiques, les contacts sexuels entre les détenus mâles et l'usage de drogues appartiennent peu ou prou à la vie en prison, et constituent même parfois des effets de l'incarcération. Ces pratiques ne sont évidemment pas souhaitables : les relations sexuelles imposées doivent être proscrites et sanctionnées par des mesures disciplinaires et par la loi pénale ; l'usage de la drogue doit être combattu avec efficacité et bon sens. Point n'est nécessaire pour autant de fermer les yeux sur la réalité. 49. Face à des difficultés qui ne font que croître, le médecin doit multiplier les initiatives tout en respectant la vie privée des personnes. Ce respect sera davantage assuré s'il est fait recours à des services de santé extérieurs. Le problème est de plus en plus complexe, d'où l'impérieuse obligation de mieux former le personnel de santé d'une part, et d'être vigilant sur l'éthique d'autre part29. Il est urgent de dégager des principes clairs définissant les limites du secret médical en matière de SIDA. 50. Dans des cas extrêmes, la ségrégation de ces malades peut se justifier, de même que le recours à des tests médicaux pratiqués dans des conditions très précises et très restrictives. De telles mesures ne peuvent être abandonnées à l'initiative d'un médecin ou d'un directeur de prison ; elles devraient être prises sur la base de lois spécifiques par des autorités politiques responsables et après une large consultation d'experts. Suicide 51. En prison, les automutilations et les tentatives de suicides sont fréquentes. Elles sont généralement la conséquence de problèmes mentaux, psychiques, sociaux ou culturels. Elles doivent être traitées soigneusement, avec sensibilité et au cas par cas plutôt que de façon routinière ou/et disciplinaire. Le désespoir face à l'avenir, la situation carcérale (subir par exemple des abus sexuels), les problèmes raciaux, les différences de milieu culturel, la séparation du milieu familial et des amis renforcée parfois par l'éloignement et la promiscuité au milieu d'étrangers sont autant de facteurs qui peuvent rendre compte de ce type de comportements. On y remédie fréquemment par le recours à l'isolement, alors qu'il faudrait faire exactement l'inverse, c'est-à-dire placer le détenu suicidaire parmi un personnel ou des codétenus de confiance. La prévention des suicides et des automutilations est de la plus grande importance. La mort, ou une grave blessure affectent le moral des surveillants et des détenus. Les surveillants devront être formés par des spécialistes sur les raisons des tentatives de suicide, l'identification des symptômes et les stratégies à élaborer en vue d'aider les détenus qui apparaissent comme vulnérables. Ces incidents doivent être l'objet de rapports particulièrement précis et détaillés. De même, des instructions claires doivent aider les surveillants à intervenir efficacement dans de telles occurrences. 52. En cas de tentative de suicide ou d'automutilation, le personnel de surveillance est placé en première ligne. Le personnel médical doit être obligatoirement alerté et une aide appropriée être trouvée, par exemple auprès d'un aumônier, d'un travailleur social ou d'un autre détenu. Mais la prévention n'est jamais absolue, l'incident pouvant être provoqué par des causes extérieures (résultat du procès, abandon d'un conjoint, mort d'un proche, etc.). Dans tous les cas, le seul palliatif consiste dans l'assistance inconditionnelle, effective et immédiate à ces détenus : le surveillant doit être présent, retirer les objets avec lesquels ils pourraient se blesser, prêter l'oreille et réconforter, etc. Les détenus seront reconnaissants par la suite pour ce type d'attention, qui n'est pas exclusive de l'intervention d'organisations extérieures de lutte contre le suicide au sein de l'établissement. Grève de la faim

28 Cf. supra, chapitre I, § 11. 29 Cf. supra, § 15.

Page 61: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

61

53. Il faut distinguer les grèves de protestation, celles qui sont assimilables à des suicides et celles enfin qui sont le signe d'un trouble mental. Un refus de manger est plus souvent une protestation qu'une tentative de suicide, et est alors d'ordre politique ou social plutôt que médical. La nuance est importante, car le fait d'examiner un détenu gréviste de la faim et de rendre compte de son état peut conduire à l'alimenter de force, voire, pour le médecin, à lui administrer contre son gré un liquide nourrissant, ce qui a pour effet d'annuler, donc d'ignorer la protestation du gréviste. De telles interventions n'ont pas lieu d'être, comme il est précisé dans la Déclaration de l'Association médicale mondiale (AMM) sur les grèves de la faim : C'est le devoir du médecin de respecter la liberté du patient de décider de sa personne. La Déclaration de l'AMM met en exergue la difficulté d'établir une frontière entre le droit du patient à l'autonomie de sa personne et le devoir du médecin d'agir dans ce qu'il considère comme l'intérêt de la personne. La Déclaration en arrive à conclure que si un médecin accepte d'assister un gréviste de la faim, cette personne devient le patient du docteur, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de consentement et de responsabilité et que la décision ultime d'intervention ou de non-intervention doit être laissée au seul médecin, sans considération pour les sollicitations de tierces parties dont l'intérêt premier n'est pas le bien-être du patient. 54. Des détenus peuvent refuser de s'alimenter, soit parce qu'ils présentent un trouble mental, soit parce qu'ils espèrent attirer ainsi l'attention sur eux, soit encore parce qu'ils entendent persuader des tiers d'entreprendre ou de ne pas entreprendre certaines actions. Il n'y a pas toujours de connexion logique entre le refus de manger et l'effet désiré. Un détenu qui refuse de manger pour amener un tribunal à revenir sur la décision le concernant n'a que peu de chance de réussir. Les surveillants et les amis doivent le lui faire comprendre et, si la tentative de persuasion échoue, le médecin doit suivre son état de santé et l'avertir des risques encourus. Le détenu sera transféré si nécessaire dans un hôpital où il sera traité ou réanimé suivant des directives clairement établies. 55. La politique pénitentiaire dans ce domaine doit s'inspirer des principes formulés dans les Déclarations de Tokyo (1975) et de Malte (1992) de l'Association médicale mondiale : Il y a une obligation morale pour tout être humain à respecter le caractère sacré de la vie. Ceci est spécialement vrai pour le médecin dont les compétences ont pour but de sauver des vies humaines et d'agir au mieux dans l'intérêt de ses patients. Le médecin a le devoir de respecter la liberté de ses patients de disposer de leur personne. Il doit demander un consentement de leur part en connaissance de cause avant d'exercer ses compétences pour les aider, sauf urgence, auquel cas le médecin agira au mieux de ce qu'il estime l'intérêt des patients. Les Déclarations continuent : La décision ultime d'intervention ou de non-intervention doit être laissée au seul médecin, sans considération pour les sollicitations de tierces parties dont l'intérêt premier n'est pas le bien-être du patient. Elles stipulent plus précisément : Les médecins et les autres membres du personnel de santé ne doivent pas exercer de pression excessive en vue de faire cesser une grève de la faim [...] Le gréviste de la faim doit être informé par le médecin des conséquences physiologiques et psychiques d'un tel acte [...] Tout traitement doit être administré avec le consentement du gréviste de la faim, le médecin s'enquérant quotidiennement auprès de lui de sa volonté de poursuivre ou non la grève. ” Malades en phase terminale et décès 56. Les détenus atteints de maladie qui se trouvent en phase terminale, ceux qui sont irrémédiablement handicapés ou dont l'état est désespéré ne doivent être ni négligés, ni abandonnés, leur état nécessitant au contraire beaucoup d'attention et de soins. La solution la plus évidente consiste à mettre fin à (ou à suspendre) l'emprisonnement avant de les placer dans le service de santé publique approprié. Le médecin doit s'appuyer sur La règle 25 (2) déjà mentionnée et, dans le cadre du strict respect du secret médical, faire part des observations nécessaires au directeur de l'établissement.

Page 62: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

62

57. La position du médecin est complexe lors de la survenue du décès d'un détenu. Il va sans dire que le médecin doit en certifier et en rechercher immédiatement la cause. Il est souhaitable cependant qu'un médecin indépendant de l'établissement et de l'administration pénitentiaire en général procède à de tels actes, en particulier à l'autopsie du défunt qui devra être pratiquée si les proches le demandent. Une extrême prudence est toujours requise en pareilles circonstances, qu'il puisse y avoir ou pas une relation évidente entre l'environnement carcéral et le décès, ou que le médecin la soupçonne. 58. Dans tous ces cas de figure le médecin de prison, qui est à la fois le médecin privé des détenus et le conseiller du directeur de l’établissement, doit agir avec beaucoup de doigté et se montrer extrêmement honnête envers ses patients au sujet de ce double rôle et des conséquences que cela induit. Ces précautions s’appliquent également au directeur. Le médecin, responsable de la santé et de l'hygiène au sein de l'établissement 59. Cette fonction ne doit pas être attribuée exclusivement au médecin de la prison, aurait-elle un rapport évident avec ses fonctions précédentes : les détenus vivent dans un environnement clos source de contraintes et qui conditionne très puissamment leur état de santé. Le médecin de la prison connaît les affections physiques et mentales de ses patients ; il est à même de repérer les causes de ces troubles et de déterminer celles qui sont inhérentes à l'incarcération et celles qui résultent d'une mauvaise organisation ou d'une hygiène défaillante. Il a donc une légitimité à donner son avis sur les améliorations (règlement de la prison, organisation du travail, hébergement, etc.) susceptibles de retentir favorablement sur la santé des détenus, ainsi que l'exige La règle 26. Le devoir du médecin de prison : inspecter et rendre compte de l'hygiène et de la santé dans la prison 60. Règle 26 (1) Le médecin doit faire des inspections régulières et conseiller le directeur en ce qui concerne : a) La quantité, la qualité, la préparation et la distribution des aliments ; b) L'hygiène et la propreté de l'établissement et des détenus ; c) Les installations sanitaires, le chauffage, l'éclairage et la ventilation de l'établissement ; d) La qualité et la propreté des vêtements et de la literie des détenus ; e) L'observation des règles concernant l'éducation physique et sportive lorsque celle-ci est organisée par un personnel non spécialisé. (2) Le directeur doit prendre en considération les rapports et conseils du médecin visés aux règles 25, paragraphe 2, et 26 et, en cas d'accord, prendre immédiatement les mesures voulues pour que ces recommandations soient suivies ; en cas de désaccord ou si la matière n'est pas de sa compétence, il transmettra immédiatement le rapport médical et ses propres commentaires à l'autorité supérieure. 61. L'exercice physique quotidien en plein air, dont il est question dans La règle 2130 ainsi que les règles de sécurité imposées sur les lieux de travail exigées par La règle 7431 devraient aussi être l'objet de l'attention du médecin, quand même d'autres types d'inspection plus spécialisés existeraient à cet égard. 62. Le médecin n'est pas expert dans tous les domaines énumérés dans le paragraphe 60. La direction de la prison doit aussi recourir à des services spécialisés, publics, privés ou bénévoles, pour autant qu'il en existe à l'extérieur, qui aideront le médecin dans toute l'étendue de sa fonction de contrôle de l'hygiène et de la santé au sein de l'établissement. Hygiène alimentaire

30 Cf. infra, chapitre VI, § 122. 31 Cf. infra, chapitre VI, § 101 à 103.

Page 63: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

63

63. En prison, la nourriture, l'eau et les installations sanitaires requièrent une vigilance particulière. On a insisté dans le chapitre II sur la bonne qualité de l'eau et sa mise à disposition permanente qui constituent une priorité, de même que l'hygiène des installations sanitaires. C'est loin d'être le cas dans bon nombre de pays : cellules dans un état lamentable, pollution de l'air par des vapeurs d'huile, de peinture, de produits chimiques et autres ordures. La santé et l'hygiène ne peuvent être assurées que si l'air est renouvelé en permanence, aux moyens par exemple d'une ventilation efficace. 64. L'inspection de la nourriture et des plats, quoiqu'extrêmement importante, n'est pas toujours assurée d'une manière régulière, fréquente et qualifiée. Il n'est pas seulement question d'inspecter la nourriture, sa préparation et l'hygiène des cuisines, mais aussi d'assister à la distribution des repas : les plats sont-ils encore chauds quand ils sont servis aux détenus ? Les portions sont-elles suffisantes ? Les moyens de distribution des repas et les endroits où ils sont consommés sont-ils hygiéniques ? Une attention spéciale doit être accordée à la quantité et à la qualité des plats servis aux jeunes détenus, aux malades et aux travailleurs de force. 65. La qualité de la nourriture requiert un contrôle sérieux et qualifié. La nourriture doit être équilibrée d’un point de vue diététique et adaptée aux conditions climatiques ; les menus doivent être variés et des menus spéciaux confectionnés compte tenu de raisons religieuses ou médicales ; les femmes enceintes, les jeunes mères et leurs bébés bénéficieront de régimes alimentaires particuliers. Ces exigences alimentaires sont de stricte application, même si la situation alimentaire laisse beaucoup à désirer dans la société environnante : il est de la responsabilité des gouvernements de subvenir aux besoins et d'assurer la bonne santé des personnes qui sont sous leur garde. Contrôle extérieur 66. Un inspecteur des services de la santé publique peut remplir cette troisième fonction en lieu et place du médecin de la prison. Dans beaucoup de pays, des associations bénévoles, formées en “ groupes de contrôle ” ou “ conseils d'inspection ” et comprenant des professionnels de la santé, procèdent à la visite des prisons, s'intéressant plus particulièrement aux conditions d'hygiène et à l'état de santé des détenus32. Position du corps infirmier 67. La Déclaration du CII (Conseil international des infirmières, Singapour, 1975) se réfère, pour ce qui concerne le rôle des infirmières en prison, au Code des Infirmières établi par le CII où il est indiqué notamment : La responsabilité fondamentale de l'infirmière est quadruple : promouvoir l'hygiène, prévenir la maladie, restaurer la santé et alléger les souffrances. La Déclaration déclare en conclusion : Qu'il soit entendu que le CII condamne l'emploi de tout ce qui est nuisible à la santé physique et mentale des détenus. Qu'il soit entendu aussi que les infirmières amenées à avoir connaissance de mauvais traitements physiques ou mentaux infligés aux détenus ne garderont pas le silence et dénonceront les faits sous forme de comptes rendus aux institutions compétentes, nationales et/ou internationales. 68. Les infirmières ont, en prison, à remplir une fonction cruciale, alors même que leur degré d'indépendance professionnelle est moindre que celui des médecins. Elles risquent en conséquence de bénéficier de moins de considération de la part des détenus, surtout si elles donnent l'impression de se soucier davantage de la discipline et du bon ordre dans la prison que de la santé des détenus. 69. Les RMT ne mentionnent pas explicitement les infirmières, mais y font une allusion implicite quand il est question des “ services médicaux ”, qui ne sont pas susceptibles de fonctionner correctement sans elles. Leurs fonctions sont souvent plus délicates que celles des médecins : elles les assistent et les

32 Cf. infra chapitre IX.

Page 64: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

64

remplacent pour des interventions bénignes, et sont donc en contact permanent avec les détenus qui ne leur accorderont leur confiance que si elles respectent scrupuleusement les règles de confidentialité. Contrôle du corps infirmier 70. Certains pays ne reconnaissent pas le Code international des infirmières et considèrent que celles-ci ne sont pas tenues au “ secret médical ”, compte tenu de leur plus modeste niveau de qualification. Si elles travaillent en prison, elles appartiennent à l'administration pénitentiaire et sont donc placées sous l'autorité des directeurs. Dans d'autres pays, les infirmières n'interviennent pas en prison, les tâches qui leur sont habituellement dévolues étant confiées à des surveillants ordinaires. Les directeurs de prison, les gradés et médecins doivent se comporter en professionnels responsables et veiller au respect des codes nationaux et internationaux régissant l'éthique des infirmières et de tous les autres membres des services de santé. Ils doivent s'assurer par ailleurs que les infirmières et les membres des services de santé se cantonnent à remplir les tâches pour lesquelles ils sont qualifiés, à l'exclusion de toute autre que n'autorisent pas les codes de déontologie. 71. Pour éviter tout conflit, les infirmières doivent être dirigées et contrôlées par le médecin de la prison, qui est responsable de leur travail. Statut du corps infirmier 72. Appartenant aux services médicaux, les infirmières ont les mêmes possibilités de porter plainte que les médecins et elles sont tenues comme eux au secret médical. Elles ont aussi l'obligation de respecter le Code international des infirmières (et de le faire respecter par les surveillants qui les assistent), qui contient certaines directives quant à la manière dont une infirmière de prison distribue les soins et contribue à la sauvegarde des droits de l’homme. Le CII (Brasilia, 1983) indique par exemple que : En matière de défense des droits de l’homme, les infirmières ont une responsabilité individuelle mais elles sont souvent plus efficaces en groupe. Les associations nationales d'infirmières doivent se doter d'une instance auprès de laquelle les infirmières trouveront, en toute confidentialité, conseil, soutien et assistance dans les cas où elles auraient été les témoins d'une transgression de ces droits. Compétences professionnelles des infirmières 73. Le médecin de la prison doit veiller à ce que les infirmières soient bien formées et bénéficient de la formation continue leur permettant d'appréhender, de prévenir et de traiter ou d'aider à traiter les pathologies spécifiques à la prison ainsi que toutes les pathologies nouvelles - une attention particulière sera portée à l'identification des symptômes du SIDA et des maladies contagieuses, ainsi qu'aux problèmes de toxicomanie. 74. Les infirmières devront recevoir une formation complémentaire sur la manière d'aborder les “ patients/détenus ”. Les façons de faire autoritaires, paternalistes ou visant à faire comprendre aux détenus que le fait d'être soigné constitue une faveur pour eux, sont inacceptables - qu'elles soient le fait des infirmières ou des médecins, et plus généralement de l'ensemble des agents intervenant en prison. Rôle des aides-soignantes 75. Les aides-soignantes ont un rôle considérable à jouer en prison, à condition qu'elles soient bien formées et placées sous l'autorité entière et constante du médecin de la prison et de son adjointe, qui pourra être une infirmière très qualifiée ou un cadre hospitalier. Les tâches de ce personnel sont les suivantes : - distribuer les premiers soins ; - faire le tri entre ce qui est du ressort de l'infirmière et de celui du médecin ; - détecter chez un patient des signes de tension et en avertir l'infirmière ou le médecin ; - reconnaître les symptômes de l'usage ou de l'abstinence en matière de toxicomanie, les symptômes du SIDA et d’autres maladies contagieuses, et en rendre compte à l'infirmière ou au médecin.

Page 65: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

65

76. Les aides-soignantes doivent être présentes en permanence au sein des services médicaux et assurer à ce titre l'aide médicale d'urgence. Il est impératif qu'elles soient bien formées et contrôlées. Dans les prisons où les surveillants ordinaires ont reçu une formation du niveau indiqué dans le paragraphe 78, les aides-soignantes ne sont pas nécessaires. Mais s'il en existe, les surveillants ne doivent pas se substituer à elles. Les cas de conscience du médecin de prison 77. En prison, le médecin - et les infirmières - sont d'abord responsables de leurs patients. Ceux-ci, quoique détenus, ont droit à l'autonomie de leur personne : il appartient au médecin de leur signifier, en instaurant avec eux une relation de confiance. Le directeur doit encourager et faciliter cette relation, en ne sollicitant les avis du médecin et des infirmières que dans les cas d'urgence et après que les deux parties eurent pesé le pour et le contre. 78. Si l'examen médical d'un détenu s'impose, lors de son arrivée à l'établissement par exemple, le médecin doit informer le détenu de la nature et des raisons de cet examen. Mais il est préférable que la décision de se faire examiner revienne au détenu. En cas de refus de sa part, et si les risques sont tels que l'examen doive être pratiqué coûte que coûte, l'administration peut recourir à la contrainte mais en aucun cas à la sanction disciplinaire. 79. Il appartient à l'Etat de définir, au moyen de directives précises, une politique de soins à l'intérieur des établissements pénitentiaires. Ces directives pourraient être l'occasion de dresser la liste des principales pathologies, physiques et mentales, qui affectent plus particulièrement les lieux de détention et qui sont à surveiller en conséquence. Ces directives indiqueraient les méthodes à suivre pour la confection des dossiers médicaux des détenus, en tenant compte du principe 26 de l'Ensemble de principes33 qui exige que les résultats des examens seront dûment consignés et que l'accès à ces renseignements sera assuré. Les patients et les personnes par eux dûment mandatées doivent pouvoir accéder au contenu de ces dossiers. En cas de transfert, il appartient au médecin de l'établissement de faire suivre le dossier médical du détenu dans le respect de La règle de confidentialité. En cas de libération, le médecin informera le détenu de l'intérêt pour son médecin personnel d'avoir connaissance de tout ou partie de son dossier médical. Des procédures doivent assurer la préservation du secret médical et le libre accès du patient à son dossier après sa libération. 80. Le médecin doit informer les détenus du contenu des rapports qu'il est susceptible d'adresser à l'administration, comme l'exigent les règles internationales. Il serait à souhaiter que les détenus disposent du droit de décider d'informer ou non le directeur des résultats de leurs examens médicaux. 81. Le médecin n'est tenu d’informer le directeur que dans des cas exceptionnels, quand par exemple il y a menace pour la collectivité, à l’intérieur ou hors de l'établissement, situation à laquelle peut être confronté tout aussi bien un médecin de quartier. La plupart du temps, le détenu doit être à même d'apprécier l'opportunité de la divulgation, à charge pour le directeur de vérifier la véracité de l'information auprès du médecin. Si un détenu refuse de renseigner sur son état de santé un agent pénitentiaire qualifié menant une enquête légitime et utile, son régime de détention pourra être modifié sans pour autant qu'il fasse l'objet d'une sanction disciplinaire, chaque détenu devant toujours jouir de l'intégralité de ses droits dans le domaine vital et intime de la préservation absolue de sa vie personnelle. Droit des détenus de porter plainte en matière de soins 82. La règle 36 (1) des RMT spécifie : Tout détenu doit avoir chaque jour ouvrable l'occasion de présenter des requêtes et des plaintes au directeur de l'établissement ou au fonctionnaire autorisé à le représenter. Le principe 33 de l’Ensemble de principes contient la même disposition. Le domaine des soins n'échappe pas à la possibilité pour le détenu de porter plainte et des procédures doivent être établies afin qu'il puisse exercer ce droit. Ces procédures devraient autoriser l'intervention de services de santé publique 33 Cf. supra, § 32.

Page 66: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

66

indépendants, compétents pour réexaminer les décisions, diligenter un second avis médical, mettre en œuvre un autre traitement et prodiguer des conseils aux autorités en vue d'améliorer les services médicaux de l'établissement34. 83. Les procédures de plaintes doivent être connues des détenus, sous la forme d'une information orale et écrite qui leur sera communiquée dès leur arrivée par une infirmière ou par un surveillant spécialisé, en même temps qu'ils seront informés du règlement et des installations dont dispose la prison. 84. Des autorités médicales indépendantes devraient être associées au contrôle de la situation sanitaire des prisons et de l'application des normes en matière d'éthique médicale. 85. Dans un domaine aussi vital que celui de la santé, les détenus devraient pouvoir porter plainte auprès des tribunaux ordinaires et des organismes disciplinaires (conseil de l'ordre) régissant les professions médicales, qu'il s'agisse des médecins ou des infirmières. Procédures d'appel à la disposition du personnel médical 86. Dans l'exercice de leur pratique de soins en faveur des détenus, les membres du personnel médical peuvent se trouver en conflit avec les autorités pénitentiaires, en particulier avec le directeur. Des conflits peuvent aussi survenir dès lors que le médecin est chargé de la triple fonction que nous avons définie ci-dessus, le directeur pouvant lui reprocher de ne pas l'assumer convenablement à son propre point de vue. Si des explications franches et avec de bons arguments sont insuffisantes à résoudre le problème, le recours à l'arbitrage d'un organisme indépendant et accepté par les deux parties est inévitable. Cet organisme, compte tenu de l'éthique médicale et de la difficulté pour le médecin d'assumer sa triple fonction, doit être composé de membres qualifiés dans un certain nombre de domaines. 87. Dans l'intérêt des médecins comme des directeurs - mais aussi dans celui des détenus - les procédures d'appel doivent être formalisées. Il en va de l'impartialité qui doit être celle d'une institution ayant à défendre la valeur suprême que représente la santé. Au nom de cette même valeur, les membres des professions médicales doivent disposer de possibilités comparables de se plaindre, pour le cas où leurs prescriptions médicales ou leurs avis en matière de prévention et d'hygiène seraient négligés, au détriment de la santé des détenus. 88. Un contrôle général et régulier des pratiques médicales, des moyens matériels et humains des services de santé, des relations entre ceux-ci et les autres services de l'établissement, ainsi que de la situation sanitaire en général est nécessaire dans un milieu, la prison, où les questions de santé sont primordiales. Seuls des organismes indépendants et qualifiés sont susceptibles d'exercer un tel contrôle, comme le recommandent les documents officiels internationaux. Soins médicaux spéciaux 89. Le principe 5.2 de l’Ensemble de principes dispose : Les mesures appliquées conformément à la loi et destinées exclusivement à protéger les droits et la condition particulière des femmes, surtout des femmes enceintes et des mères d'enfants en bas âge, des enfants, des adolescents et des personnes âgées, malades ou handicapées ne sont pas réputées être des mesures discriminatoires. La nécessité de ces mesures et leur application pourront toujours faire l'objet d'un examen par une autorité judiciaire ou autre. Soins aux prisonnières (et à leurs bébés) 90. Les RMT insistent sur la nécessité de dispositions particulières au bénéfice des femmes enceintes et des mères d'enfants en bas âge. Règle 23 (1) 34 Cf. le chapitre II sur les plaintes en général.

Page 67: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

67

Dans les établissements pour femmes, il doit y avoir les installations spéciales nécessaires pour le traitement des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. Dans toute la mesure du possible, des dispositions doivent être prises pour que l'accouchement ait lieu dans un hôpital civil. Si l'enfant est né en prison, il importe que l'acte de naissance n'en fasse pas mention. (2) Lorsqu'il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, dotée d'un personnel qualifié, où les nourrissons seront placés durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leur mère. 91. Les avis varient, d'un pays à l'autre, sur la meilleure des solutions à retenir en faveur des mères et plus généralement des femmes incarcérées. Quoi qu'il en soit, certaines dispositions fondamentales ne doivent jamais être écartées, dispositions rappelées dans les recommandations du Rapport d’ensemble sur les prisons de Human Rights Watch (New York 1993) : - les détenues doivent avoir à disposition des serviettes hygiéniques ou ce qui en tient lieu et accéder quotidiennement aux douches pendant la durée de leurs menstruations ; - les possibilités de travail et d'éducation doivent être les mêmes pour les hommes et les femmes détenus ; - si les visites aux femmes détenues sont rendues malaisées ou problématiques en raison de la distance les séparant de leurs proches, les autorités doivent offrir des mesures de compensation, sous la forme par exemple d'une aide financière aux familles ; - les prisonnières enceintes doivent bénéficier de visites prénatales régulières et d'un régime alimentaire amélioré et adéquat ; - les mères allaitant leur bébé doivent bénéficier d'un régime alimentaire amélioré et adéquat ; - les contacts des mères avec leurs enfants doivent être favorisés et respecter leur droit de s'occuper de leur éducation. 92. Les prisons pour femmes n'offrent pas toujours les différenciations qui y sont nécessaires, en comparaison des institutions réservées à leurs homologues masculins. La sécurité y est souvent assurée au moyen de précautions superflues. Le travail confié aux détenues est rare ou dénué d'intérêt. Ces prisons, souvent construites à l'origine pour des hommes, sont peu adaptées aux besoins spécifiques des femmes. Dans certains pays, leurs besoins vitaux ne sont même pas satisfaits, en ce qui concerne les menstruations, la grossesse, la maternité, malgré les prescriptions du Rapport d’ensemble sur les prisons de Human Rights Watch mentionné ci-dessus. Ces carences affectent la santé des prisonnières et leur état mental. Les détenues sont en outre susceptibles d'être exposées aux abus sexuels, y compris aux viols, de la part de certains surveillants. Médecins et infirmières doivent en conséquence porter une attention particulière aux femmes détenues, à leurs conditions de vie et aux possibilités qu'elles ont de porter plainte. Des soins gynécologiques devraient leur être assurés. Traitement des toxicomanes 93. Les prisons accueillent un nombre de plus en plus grand de toxicomanes pour lesquels un traitement médical s'avère nécessaire. Les RMT n'en font pas une mention explicite, le phénomène étant relativement récent. Il n'existe pas par ailleurs de consensus sur les modalités de traitement des toxicomanes dans la société libre. Le médecin de prison devra se montrer prudent dans son choix de thérapie et prendre l'avis de confrères ou de spécialistes, tout en s'attachant aux indications de soins dont rendent compte les rapports récents des meilleurs spécialistes. L'accord du détenu est dans tous les cas requis, après que celui-ci eut été complètement informé de la nature et des conséquences du traitement envisagé. Des directives nationales doivent donc être prises dans ce sens, incluant des règles autorisant l'emploi de produits toxicologiques sur décision médicale, cet usage étant encore prohibé dans certains pays. Ces directives indiqueront les voies à suivre en matière de désintoxication sous contrôle médical, la privation de drogue devant s'accompagner en prison d'un soutien médical et d'une aide médicamenteuse35. Soins aux malades mentaux et aux déséquilibrés

35 Pour la toxicomanie persistante et l'infection du SIDA, Cf. supra, § 48.

Page 68: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

68

94. Il importe, malgré la difficulté, d'assurer des conditions de vie satisfaisantes aux détenus aliénés, anormaux ou subissant un trouble psychologique sérieux. Les règles 82 et 83 des RMT donnent des indications sur ce point. Règle 82 (1) Les aliénés ne doivent pas être détenus dans des prisons, et des dispositions doivent être prises pour les transférer aussitôt que possible dans des établissements pour malades mentaux. (2) Les détenus atteints d'autres affections ou anormalités mentales doivent être observés et traités dans des institutions spécialisées, placées sous une direction médicale. (3) Pendant la durée de leur séjour en prison, ces personnes doivent être placées sous la surveillance spéciale d'un médecin. (4) Le service médical ou psychiatrique des établissements pénitentiaires doit assurer le traitement psychiatrique de tous les détenus qui ont besoin d'un tel traitement. Règle 83 Il est désirable que des dispositions soient prises d'accord avec les organismes compétents, pour que le traitement psychiatrique soit continué si nécessaire après la libération et qu'une assistance sociale post-pénitentiaire à caractère psychiatrique soit assurée. 95. Le nombre de détenus dont l'état nécessite des soins psychiatriques augmente dans un certain nombre de pays. On explique généralement ce phénomène par l'encombrement des institutions et services psychiatriques publics, qui refusent de prendre en charge les patients auteurs d'infractions. Il est fréquent que des personnes aliénées ou présentant des troubles mentaux se retrouvent abandonnées ou négligées au milieu de la population pénale. Par ailleurs, les condamnés à de longues peines peuvent développer des troubles mentaux et psychiques inhérents à l'emprisonnement lui-même et à la séparation d'avec leurs familles. Les problèmes psychiques surviennent aussi et deviennent chroniques dans les grandes prisons, du fait de la surpopulation, du peu d'activités, d'un enfermement quasi continu entre les quatre murs de la cellule et de l'indifférenciation de la population pénale (laquelle entraîne le développement de sous-cultures criminelles et le caïdat). Ces situations coïncident souvent et sont aggravées par le nombre insuffisant de surveillants : ceux-ci ont dès lors peu de contacts personnels avec les détenus et sont dans l'impossibilité d'accorder une attention ou une aide particulière aux détenus psychiquement les plus fragiles. L'acuité des différences culturelles peut aussi contribuer à instaurer un climat d'angoisse et d'insécurité parmi les étrangers et les groupes minoritaires. C'est dire si la responsabilité des membres des professions médicales, en particulier psychiatres et psychologues, est lourde dans un semblable contexte. 96. Les règles 82 et 83 du paragraphe 94 émettent l'exigence d'une ambiance détendue, caractérisée par l'attitude accueillante et bienveillante du personnel de surveillance, les surveillants devant posséder une parfaite connaissance de ce type de détenus et de leurs besoins. Des procédures orales et écrites doivent être mises en œuvre, qui permettent d'assurer rapidement la satisfaction de ces besoins et le suivi des patients. Ces procédures permettront de détecter les détenus dont l'état nécessite des soins psychiatriques plus ou moins lourds, susceptibles d'être poursuivis après leur libération, voire un placement dans une institution spécialisée. 97 Afin de garantir que ces personnes bénéficient d'une attention appropriée et qualifiée, il est particulièrement important de constituer un dossier médical pour tous les détenus présentant des troubles mentaux ou dont la conduite semble anormale. Les médecins et psychologues doivent exiger que les surveillants leur rendent compte régulièrement du comportement de tels détenus.

Page 69: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

69

Dans les quartiers spécialisés des prisons où ces détenus seront affectés, doivent être mises en place des méthodes permettant l'observation et l'évaluation régulière des patients, tant de la part des surveillants que d'un personnel spécialisé en nombre suffisant. Ces observations et ces évaluations feront l'objet de comptes rendus verbaux et écrits. Il est à regretter que, même au sein des hôpitaux psychiatriques pénitentiaires, les pratiques ne sont pas toujours en conformité avec ces règles et que des patients y croupissent pendant des laps de temps plus ou moins longs sans que quiconque manifeste un intérêt excessif à leur égard. Condamnés à mort 98. On l'a dit en avant-propos, les RMT et les autres règles internationales concernant le traitement des détenus sont applicables aux condamnés à mort. Les Nations unies, à l'instar d'autres organisations nationales et internationales, combattent pour l’abolition de la peine de mort, qui subsiste dans un grand nombre de pays malgré l'impressionnant argumentaire plaidant en faveur de sa suppression. 99. La résolution 2857 de l'Assemblée générale des Nations unies, en date du 20 décembre 1971, affirme que “ pour garantir pleinement le droit à la vie, assuré par l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le principal objectif à poursuivre est de réduire progressivement le nombre de crimes pour lesquels la peine capitale peut être prononcée, le but ultime consistant dans l'abolition de cette peine dans tous les pays. ” Le Conseil économique et social des Nations unies a adopté une résolution 1989/64, dans laquelle il se déclare “ alarmé par l'existence de façon continue de pratiques incompatibles avec la protection des droits de ceux qui sont exposés à la peine de mort. ” Il a recommandé que “ les pays membres prennent des mesures pour mettre en œuvre des sauvegardes et renforcer davantage la protection des droits des condamnés à mort, toutes les fois que c'est possible, en a) assurant une protection spéciale aux personnes inculpées de crimes pour lesquels la peine de mort est prévue, en donnant le temps et les moyens à l'accusé de préparer sa défense, en autorisant une assistance renforcée des défenseurs à tous les stades de la procédure ; b) prévoyant des procédures d'appel et de révision obligatoires, ainsi que des possibilités de clémence ou de grâce ; c) fixant un âge maximum au-delà duquel une personne ne peut pas être condamnée à mort ni exécutée ; d) abolissant la peine capitale pour toute personne souffrant d'un retard mental ou d'une limitation importante de ses capacité mentales constatés soit au moment du prononcé de la sentence, soit au moment de l'exécution. ” Participation d'un médecin aux exécutions capitales 100. Dans certains pays, la peine de mort est maintenue mais a cessé provisoirement d'être appliquée, d'où l'exigence (et l'urgence) de s'intéresser activement aux condamnés à mort dont les conditions de détention sont pires que celles des autres condamnés : isolement renforcé pendant des périodes longues et indéterminées, perte d'intimité, inactivité, conditions matérielles exécrables, etc. La situation physique, mentale et spirituelle des condamnés à mort est, dans un tel contexte, particulièrement compromise. Tout doit alors être fait pour assurer à ces personnes des conditions de vie humaines, des activités et des moyens de communication interne et externe, ainsi qu'une aide psychiatrique confiée à des professionnels. Les conditions réservées aux condamnés à mort ne doivent jamais être pires que celles des autres détenus. 101. Les RMT n'abordent pas la question de la présence et de la responsabilité du personnel médical lors d'une exécution capitale. On a commencé à envisager ce point dans le paragraphe 43 de ce chapitre et quelques documents internationaux y font allusion. L'Association médicale mondiale a adopté à cet égard, en 1981, la Résolution suivante : Il est contraire à l'éthique des médecins de collaborer à une exécution capitale, sauf pour délivrer un certificat de décès quand l'administration le leur demande. Le Secrétaire général de l'Association médicale mondiale a été autorisé par son Assemblée générale à publier le communiqué de presse suivant, en septembre 1981 :

Page 70: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

70

Le tribunal de l'Etat de l'Oklahoma, aux Etats-Unis, a décidé de faire exécuter la semaine prochaine la première peine de mort par injection intraveineuse d'une dose létale de drogue. Quelle que soit la méthode suivie en la matière, nul médecin n'est tenu de participer activement à ce genre de manifestation. Les médecins ont pour mission de se consacrer à la préservation de la vie. Agir en tant que bourreau n'appartient pas à la pratique médicale et les services de santé n'ont pas à mettre en œuvre des types d'exécution utilisant des agents pharmacologiques employés par les médecins, dans d'autres circonstances, en vue de sauver des vies humaines. Le rôle du médecin se cantonne à certifier la mort après que l'Etat a procédé à une exécution capitale.

Page 71: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

71

Chapitre V LES CONTACTS DES DETENUS AVEC L'EXTERIEUR Introduction 1. Le simple fait de l'emprisonnement a pour conséquence la limitation de l'interaction et de la communication des détenus avec le monde extérieur. “ Le principe dominant ou total est symbolisé par la barrière interdisant les relations sociales avec l'extérieur, que concrétisent, sous la forme d'un plan vertical venant rompre une perspective plane, des portes fermées, de hauts murs ou des grillages de fils de fer barbelés, mais parfois aussi des obstacles naturels tels que des falaises, de l'eau, des forêts ou des marécages ”. (Goffman, Asylums, 1961, p. 4). Des considérations pratiques aussi bien qu'humanitaires militent, cependant, contre ce qui constitue le cœur même du concept d'enfermement. Droits préservés 2. L'ensemble des droits de l’homme relatifs à l'interaction et à la communication des détenus avec le monde extérieur n’est pas totalement abrogé du simple fait de l'incarcération. Si la prison génère inévitablement des restrictions à l'exercice de certains de ces droits, la question est de savoir jusqu'où peuvent aller ces restrictions. Les RMT laissent cette question sans réponse décisive mais le principe 5 des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus pose quelques jalons : Sauf pour ce qui est des limitations qui sont évidemment rendues nécessaires par leur incarcération, tous les détenus doivent continuer à jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et, lorsque l'Etat concerné y est partie, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Protocole facultatif qui l'accompagne, ainsi que tous les autres droits énoncés dans d'autres pactes des Nations unies. Objectif de resocialisation 3. Le principe que les détenus conservent, dans certaines limites, leurs droits et libertés, est lié à l'idée que les détenus réintègrent en général la société civile et doivent y retrouver leur place de citoyens ordinaires. Aussi le maintien des contacts avec l'extérieur constitue-t-il un facteur essentiel de resocialisation du détenu. Cette idée est très clairement exprimée dans la RMT 61 (1) qui énonce que : Le traitement ne doit pas mettre l'accent sur l'exclusion des détenus de la société, mais au contraire sur le fait qu'ils continuent à en faire partie. Pour que la prison ait un minimum d'influence en matière de prévention de la délinquance, il importe de renforcer quantitativement et qualitativement les contacts des détenus avec les proches mais aussi avec des représentants de la société extérieure. Restreindre sans raison les contacts familiaux revient à saper les bases de cette finalité pénitentiaire invariablement mise en avant. Bien que La règle 61 soit formulée pour les seuls condamnés, elle est applicable et devrait être appliquée à toutes les catégories de détenus, en vertu de La règle 4 des RMT36. Etablissements ouverts et semi-ouverts 4. Les relations des détenus avec l'extérieur sont de différentes natures : avec la famille et les amis, avec le monde professionnel, avec les administrations, etc. Il va de soi que les relations avec l'extérieur dépendent étroitement du degré d'hermétisme de l'établissement. Il est clair que ces relations seront facilitées - et le principe de normalité37 mieux assuré - dans une prison ouverte ou semi-ouverte. Les détenus devraient pouvoir être transférés dans des prisons ouvertes ou semi-ouvertes dans les délais les 36 Cf. supra, chapitre I, § 3, 4 et 21. Pour une analyse plus approfondie de La règle 61, voir le chapitre VI. 37 Cf. supra, chapitre 1, § 31. Le principe de normalité trouve à s'appliquer dès lors que sont mis en œuvre des processus de normalisation visant à rapprocher les conditions de vie en prison de celles de la société civile.

Page 72: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

72

plus brefs, compte tenu de leur situation pénale et des progrès réalisés dans le traitement pénitentiaire. Dans la pratique, si ce type d'institutions est trop éloigné ou d'accès difficile pour les proches, il faut accéder au vœu des détenus de demeurer dans une prison plus hermétique mais située à proximité du milieu familial. Contacts avec la famille et les amis 5. Règle 37 Les détenus doivent être autorisés, sous la surveillance nécessaire, à communiquer avec leur famille et ceux de leurs amis auxquels on peut faire confiance, à intervalles réguliers tant par correspondance qu'en recevant des visites. Règle 92 Un prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir attribuer toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci et ses amis et recevoir des visites de ces personnes, sous la seule réserve des restrictions et de la surveillance qui sont nécessaires dans l'intérêt de l'administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l'établissement. Les relations du détenu avec l'extérieur doivent être considérées comme un droit et non comme un privilège. Il s'ensuit qu'elles ne peuvent pas constituer une récompense - de même que leur interdiction ne peut intervenir à titre de sanction - hormis dans le cas où une telle relation a été l'occasion de la commission d'une infraction. Les relations avec la famille doivent toujours être favorisées. Les liens familiaux comme principal facteur de resocialisation 6. Les règles 37 et 92 s'intéressent essentiellement aux liens familiaux, en application de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, son domicile ou sa correspondance. Ce principe revêt une importance plus grande en prison que dans la société civile. Pour un détenu condamné à une longue peine, les proches demeurent souvent le seul lien avec l'extérieur, ceux grâce auxquels l'espoir de resocialisation n'est pas entièrement illusoire. La séparation de la famille et des amis est une des conséquences les plus douloureuses et les plus néfastes de l'enfermement38. Importants pour toutes les catégories de détenus, les contacts familiaux sont cruciaux dans le cas des jeunes détenus et des parents incarcérés dont les enfants sont demeurés en état de liberté. Contacts avec les amis 7. Il serait aberrant de restreindre les relations extérieures des détenus aux seuls contacts avec leurs familles. Nombre de détenus sont célibataires, divorcés ou séparés de leurs conjoints. Certains d'entre eux refusent de rencontrer les membres de leur famille. Aussi faut-il faire preuve de souplesse et préserver, rétablir ou favoriser les relations avec des proches. Le principe 19 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement doit être interprété comme ne retenant les relations familiales qu'à titre de meilleur exemple parmi d'autres relations possibles : Toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de recevoir des visites, en particulier de membres de sa famille, et de correspondre, en particulier avec eux, et elle doit disposer de possibilités adéquates de communiquer avec le monde extérieur, sous réserve des conditions et restrictions raisonnables que peuvent spécifier la loi ou les règlements pris conformément à la loi. On peut se demander s'il est raisonnable, comme le laisse supposer La règle 37, de restreindre les contacts aux seuls amis de “ bonne réputation ”. L'expression “ bonne réputation ”, chargée d'une forte connotation de classe sociale, pourrait conduire à interdire abusivement les visites à quasiment tous les 38 Cf. les règles 61 et 79 des RMT.

Page 73: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

73

amis des détenus. Ensuite, le concept même de réputation est fondé sur le passé de l'individu concerné. Interdire par exemple la visite d'un ancien détenu n'est pas soutenable, dans la mesure où, on ne le répétera jamais assez, il importe tellement que le détenu entretienne des relations continues avec sa famille et ses proches en vue de favoriser sa resocialisation. Seuls des informations précises ou des incidents particuliers, mettant en cause les possibilités de resocialisation du détenu ou la sécurité de l'établissement, peuvent amener l'administration à limiter ce type de relations. Information sur les transferts 8. La famille et les amis ne peuvent communiquer et inter réagir avec le détenu qu'autant qu'ils sont informés du lieu de détention où celui-ci se trouve. Cette notification officielle du lieu d'affectation en cas de transfert est par ailleurs un bon moyen d'empêcher les “ disparitions ” et les “ mises au secret ”. Les RMT reconnaissent aux détenus le droit de transmettre eux-mêmes à leurs proches l'indication de leur lieu de détention. La mesure est extrêmement importante concernant les personnes incarcérées pour la première fois, ainsi que le signale la règle 9239. La même disposition s'applique aux transferts. Règle 44 (3) Tout détenu aura le droit d'informer immédiatement sa famille de sa détention ou de son transfèrement à un autre établissement. Tous les lieux de détention (cellules de police, maisons d'arrêt, hôpitaux psychiatriques, etc.) sont concernés. Le sens de ces règles est réaffirmé dans le principe 16.1 de l’Ensemble de principes : Dans les plus brefs délais après l'arrestation et après chaque transfert d'un lieu de détention ou d'emprisonnement à un autre, la personne détenue ou emprisonnée pourra requérir de l'autorité compétente qu’elle avise les membres de sa famille ou, s'il y a lieu, d'autres personnes de son choix, de sa détention ou de son emprisonnement, ou de son transfert et du lieu où elle est détenue. L'information sur le transfert n'est pas seulement un droit pour le détenu mais aussi pour ses enfants. L’article 9.4 de la Convention sur les droits des enfants (1989) oblige les Etats signataires de la Convention à fournir à l'enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille, les renseignements essentiels sur l'endroit où se trouvent le ou les membres de la famille. 9. La notification de l'emprisonnement ou du transfert doit être faite “ immédiatement ” (règle 44 (3)) ou “ dans les plus brefs délais ” (Ensemble de principes 16.4) Il est regrettable que l’Ensemble de principes permette que la notification soit retardée “ d'une période raisonnable si des besoins exceptionnels de l'enquête l'exigent ”. Il parait judicieux d'exiger cette notification dans les vingt-quatre heures (Human Rights Watch, Rapport d'ensemble sur les Prisons, 1993, p. 107). Par suite, si le détenu est incapable d'écrire, la direction de la prison a la responsabilité de l'aider à transmettre à l'extérieur cette information, ainsi que l'explicite le principe 16.3 de l’Ensemble de principes : Dans le cas d'un adolescent ou d'une personne incapable de comprendre quels sont ses droits, l'autorité compétente devra, de sa propre initiative, procéder à la notification visée dans le présent principe. Elle veillera spécialement à aviser les parents ou tuteurs. Incarcération proche du domicile 10. L'importance du maintien des liens avec les membres de la famille et les amis n'est pas sans conséquence sur l'emplacement du lieu de détention des détenus. Un lieu d'incarcération éloigné de leur domicile rend les visites (aussi bien que les permissions) plus difficiles et plus onéreuses, comme le fait remarquer le principe 20 de l’Ensemble de principes : Si une personne détenue ou emprisonnée en fait la demande, elle sera placée, si possible, dans un lieu de détention ou d'emprisonnement raisonnablement proche de son lieu de résidence habituel. 39 Cf. supra, § 5.

Page 74: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

74

Les possibilités de transfert dans un lieu plus proche du domicile devraient être discutées avec chaque détenu aussitôt après son arrivée à la prison. Dans beaucoup de pays, un tel transfert s'avère difficile à appliquer aux femmes, les quelques prisons pour femmes étant implantées dans des endroits précis de leur territoire. Si une affectation dans un établissement proche du domicile s'avère impossible, des transfèrements temporaires, dans le but de faciliter les visites, sont à envisager. Les détenus étrangers devraient, si possible, pouvoir accomplir leur peine dans leur pays, comme y invite le Modèle d'accord sur le transfert des détenus étrangers adopté par le 7e Congrès des Nations unies sur la délinquance en 1985. Lettres et appels téléphoniques 11. La correspondance est un moyen universellement admis de maintenir des contacts avec l'extérieur. Traditionnellement, les règlements pénitentiaires ont toujours été restrictifs dans ce domaine. Le fait que toutes les lettres soient lues et censurées par un agent pénitentiaire ne doit pas impliquer le tarissement des flux de la correspondance écrite. Il apparaît que c'est seulement dans des cas exceptionnels que cette censure a sa raison d'être, au sens du principe 19 de l’Ensemble de principes quand il évoque “ des conditions et restrictions raisonnables ”. En règle générale, il ne doit pas y avoir de limite au nombre de lettres qu'un détenu peut envoyer et recevoir ni au nombre de ses correspondants. Cela vaut pour la correspondance entre détenus. Dans certains pays, les seules lettres reçues sont vérifiées. Si le but est d'empêcher les produits de contrebande d'entrer en prison, les lettres n'ont pas besoin d'être lues mais seulement ouvertes. Il semble convenable de le faire en présence du détenu, pour éviter toute apparence d'incursion dans l'intimité de celui-ci. 12. Dans le but de faciliter la correspondance des détenus démunis de moyens matériels (indigents), l'administration doit leur fournir de quoi écrire et des timbres, quelle que soit la catégorie pénale ou pénitentiaire à laquelle ils appartiennent. En ce qui concerne les prévenus, La règle 92 autorise cependant des restrictions et de la surveillance qui sont nécessaires dans l'intérêt de l'administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l'établissement. Ce vocabulaire paraît quelque peu coercitif, il vise au contraire à atténuer les effets induits par les systèmes d'instruction de type inquisitorial. Du point de vue de la présomption d'innocence, toute restriction de ce genre apparaît comme problématique (Convention internationale sur les droits civiques, art. 14 (2)). 13. Ni les RMT ni l’Ensemble de principes ne mentionnent explicitement les communications téléphoniques. Si un pays possède un réseau développé de téléphones publics ou privés, ce type de communications peut représenter pour les détenus un moyen non négligeable de maintenir des contacts avec leur famille et leurs amis. Les communications téléphoniques devraient par conséquent y être traitées au même titre que n'importe quelle forme de correspondance : “ Ce terme [correspondance] recouvre toutes les formes de communication à distance, téléphone, télégramme, télex, télécopieur aussi bien que tout autre moyen mécanique et électronique de communication ” (Manfred Nowak, Commentaire du Pacte relatif aux droits civils et politiques, Kehl, 1993, p. 304). Des cabines téléphoniques ordinaires devraient être installées dans les prisons. La nécessité de disposer de pièces de monnaie pour téléphoner de ces cabines ne constitue plus un argument en leur défaveur sous le prétexte que la circulation de l'argent est interdite en prison : le problème a été résolu par l'invention des cartes de téléphone. La possibilité offerte aux détenus de parler au téléphone est particulièrement importante pour ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Si les familles et les amis des détenus vivent loin du lieu d'incarcération, les appels téléphoniques servent partiellement de substituts aux visites. En Afrique du Sud, par exemple, la plupart des détenus sont autorisés à remplacer une visite par un appel téléphonique d'une durée maximale de 10 minutes (Human Rights Watch, Rapport d'ensemble sur les prisons, 1993, p. 107). Visites 14. Les visites constituent un moyen plus approprié et plus efficace de relations sociales extérieures que les lettres ou les conversations téléphoniques. En règle générale, elles devraient permettre un contact physique, le recours à la séparation physique des visiteurs ne pouvant être qu'exceptionnel. Les conditions dans lesquelles les visites sont organisées sont d'une grande importance pour le maintien des liens sociaux et la préservation de la dignité du détenu. Le personnel devrait être spécialement formé à la tenue des parloirs, les visites s'effectuant dans une ambiance de respect de la dignité humaine.

Page 75: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

75

Si les détenus ne sont pas autorisés à sortir de l'établissement, les visites constituent l'occasion la plus évidente d'introduire en fraude dans la prison de la drogue, de l'alcool, de l'argent et des armes. Si le personnel passe une part disproportionnée de son temps à jouer un rôle de détective pour rechercher et punir les fraudeurs, les relations détenus-surveillants en subiront des conséquences négatives. La sécurité dépend au moins autant de saines relations entre les uns et les autres que d'inspections et de fouilles inlassablement réitérées. Un juste équilibre devra être trouvé, entre l'organisation de parloirs accueillants et humains et les exigences d'un contrôle minimal. 15. C'est une bonne méthode que celle consistant à offrir des “ parloirs ” prolongés aux visiteurs ayant effectué un long et/ou pénible voyage avant d'accéder à l'établissement. Des locaux ou appartements sont quelquefois mis à disposition pour que ces visiteurs venus de loin puissent rencontrer les détenus dans des conditions meilleures de confort et d'intimité, conditions requises quand il s'agit de familles avec des enfants. “ Dans des circonstances normales et en l'absence de contraintes de sécurité renforcées, les familles doivent pouvoir s'asseoir normalement en la compagnie du détenu, à la vue mais hors d'écoute des surveillants ” (Introduction à la formation aux droits de l’homme pour les responsables des prisons du Commonwealth, Londres 1993, p. 110). Le même conseil vaut lors de la visite d'amis. Parloirs intimes 16. Dans certains pays, les rapports sexuels entre les détenus et leurs visiteurs sont interdits. Dans d'autres, ils sont tolérés. Dans d'autres encore, ils sont officiellement admis. Au Costa Rica par exemple : “ En principe, les visites conjugales - parloirs intimes - sont légales dans les centres de détention [...] Les modalités de visite varient selon le type de détention : autorisation de sortie dans la cour en régime de sécurité minimum, visite plus stricte tous les quinze jours en régime de sécurité maximum. Il existe également des chambres de visite conjugale où les couples peuvent rester de quatre heures à une nuit ” (Observatoire International des Prisons, Rapport annuel, Lyon, 1994, p. 51). Il est question de “ visites conjugales ”, mais les couples illégitimes ne sont pas exclus du système. Les RMT sont malheureusement muettes sur ce point. Au nom du principe de normalité (règle 60.1) les relations sexuelles entre les détenus et leurs partenaires devraient être autorisées, dans des conditions décentes d'hygiène et d'intimité. Des produits contraceptifs devraient mis à la disposition des détenus et de leurs visiteurs. Permissions 17. Mais la meilleure façon d'encourager les relations des détenus avec l'extérieur est l'octroi de permissions ou de congés. Le retour périodique du détenu dans son foyer peut atténuer certains problèmes inhérents à l'incarcération, en particulier les difficultés sexuelles et relationnelles des détenus avec leurs partenaires. Les permissions devraient être accordées régulièrement, suivant un rythme dépendant du classement du détenu dans telle ou telle phase du régime de détention. Les permissions délivrées, à titre de privilège ou de récompense en cas de bonne conduite, le sont de manière souvent arbitraire, avec cette double conséquence qu'elles sont ressenties comme une injustice par certains détenus et qu'elles se trouvent dévaluées par rapport à leur principal objectif, maintenir des relations familiales et faciliter des contacts sociaux. Une solution de compromis intéressante entre les visites et les permissions a été initiée en Allemagne sous la forme des Besuchsausgang (permission à la place d'une visite) : des détenus sélectionnés sont autorisés à rencontrer leurs visiteurs à l'extérieur de l'enceinte pénitentiaire pendant le temps de visite qui leur est alloué. Les détenus et leurs visiteurs peuvent ainsi se rencontrer dans les conditions de leur choix. L'administration y trouve aussi son compte, les visites pouvant être accordées sans souci du nombre de surveillants et de locaux disponibles. Relations des détenus étrangers avec l'extérieur 18. Les étrangers doivent bénéficier de l'ensemble des dispositions dont jouissent les autochtones. En outre, ils doivent être l'objet de mesures d'assistance supplémentaires. Le 7e Congrès des Nations unies sur la prévention de la délinquance a émis à cet égard les recommandations suivantes : “ Les contacts des détenus étrangers avec leurs familles et avec des associations devraient être facilités en leur procurant tous les aménagements nécessaires pour les visites et la correspondance, sous la réserve du consentement des détenus. Les organisations humanitaires internationales, telles que le Comité international de la Croix Rouge, doivent avoir la possibilité de prêter aide et assistance aux détenus

Page 76: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

76

étrangers ” (Recueil des règles et normes des Nations unies pour la prévention de la délinquance et la justice criminelle, 1992, p. 109). Contacts professionnels, judiciaires et administratifs Relations avec un avocat 19. La relation avec un avocat peut être pour un détenu de la plus haute importance. Ce type de relation doit être confidentiel et sans restriction, comme l'ont exigé les RMT pour les seuls prévenus : Règle 93 Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d'un avocat d'office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s'il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à portée d'ouïe d'un fonctionnaire de la police ou de l'établissement. 20. Cette règle devrait pouvoir s'appliquer aux autres catégories de détenus. L'aide d'un avocat peut être requise pendant toute la durée de l'enfermement, par exemple en vue d'écourter la peine ou de bénéficier d'un régime de détention plus favorable. Elle peut être aussi nécessaire pour des affaires de la vie courante sans rapport avec la peine ou le déroulement de son exécution, ce qu'ont admis le principe 18 de l’Ensemble de principes et le principe 8 des Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau : Toute personne arrêtée ou détenue ou emprisonnée doit pouvoir recevoir la visite d'un avocat, s'entretenir avec lui et le consulter sans retard, en toute discrétion, sans aucune censure ni interception, et disposer du temps et des moyens nécessaires à cet effet. Ces consultations peuvent se dérouler à portée de vue, mais non à portée d'ouïe de responsables de l'application des lois. Ces privilèges de confidentialité et de non interférence s'appliquent à quelque forme de communication que ce soit (correspondance, téléphone, visites, etc.). Il est interdit au personnel pénitentiaire d'ouvrir le courrier d'un avocat ou d'écouter ses appels téléphoniques, etc. Les responsables de l'établissement doivent vérifier l'identité de l'avocat avant que la communication téléphonique ne soit établie. Relations avec des représentants religieux 21. La plupart des dispositions dont bénéficient les avocats dans leurs relations avec les détenus s'appliquent également aux représentants d'une religion ou d'une association à but religieux ou éthique. Ces dispositions s'appuient sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion défini dans l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les RMT reconnaissent explicitement ce droit des détenus : Règle 41 (3) Le droit d'entrer en contact avec un représentant qualifié d'une religion ne doit jamais être refusé à aucun détenu. Par contre, si un détenu s'oppose à la visite d'un représentant d'une religion, il faut pleinement respecter son attitude. Les RMT restent silencieuses sur les conditions dans lesquelles ces visites d'un représentant d'une religion doivent être organisées. En raison de la nature hautement privée de telles rencontres, les règles devraient être celles des parloirs avocats, les visites s'effectuant hors d'écoute de tout agent pénitentiaire. Relations avec les autorités publiques (nationales) et les associations

Page 77: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

77

22. Les RMT ne disent rien des contacts des détenus avec des membres de l'administration, des tribunaux et des assemblées parlementaires. Dans beaucoup de pays, cependant, ces contacts sont privilégiés : les lettres ne sont pas censurées et les visites ne sont pas surveillées. Les détenus peuvent ainsi formuler leurs doléances sans craindre de représailles de la part du personnel pénitentiaire. Les mêmes dispositions devraient être appliquées aux relations des détenus avec les organismes internationaux de défense des droits de l’homme, notamment la Commission des Nations unies pour les droits de l’homme. 23. Dans l'esprit des principes directeurs des RMT, notamment de La règle 61, tout devrait être fait pour encourager et faciliter les contacts des détenus avec les services de probation et de resocialisation et tout autre organisme chargé, comme l'énonce La règle 61, de maintenir et d'améliorer les relations du détenu avec sa famille et avec les organismes sociaux qui peuvent lui être utiles. Contacts avec les représentants des corps diplomatiques et consulaires 24. Les étrangers doivent pouvoir communiquer librement avec les représentants diplomatiques ou consulaires de leur pays. Règle 38 (1) Des facilités raisonnables pour communiquer avec leurs représentants diplomatiques et consulaires doivent être accordées aux détenus ressortissants d'un pays étranger. (2) En ce qui concerne les détenus ressortissants des Etats qui n'ont pas de représentants diplomatiques ou consulaires dans le pays ainsi que les réfugiés et les apatrides, les mêmes facilités doivent leur être accordées de s'adresser au représentant diplomatique de l'Etat qui est chargé de leurs intérêts ou à toute autorité nationale ou internationale qui a pour tâche de les protéger. La règle stipule bien que de tels contacts devraient être “ autorisés ” sans pour autant que les autorités pénitentiaires les imposent au détenu concerné. 25. L’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires (24 avril 1963) impose aux pays signataires des règles bien plus contraignantes en la matière : a. Les officiers consulaires doivent être libres de communiquer avec les ressortissants de l'Etat dont ils relèvent et avoir accès à eux. Les étrangers doivent avoir la même liberté de communication et d'accès aux officiers consulaires de l'Etat dont ils relèvent; b. “ Sur la demande d'un détenu, les autorités compétentes doivent sans délai informer le poste consulaire de l'Etat dont relève le détenu de son arrestation, de son incarcération et du lieu de son enfermement. Toute communication adressée au poste consulaire par la personne incarcérée doit être transmise sans délai. Les autorités compétentes doivent informer sans délai le détenu concerné de ses droits; c. Les officiers consulaires doivent pouvoir librement visiter le détenu concerné, converser et correspondre avec lui et organiser sa représentation légale. Ils doivent pouvoir rendre visite à tout prévenu ressortissant de l'Etat dont ils relèvent. Les officiers consulaires doivent s'abstenir néanmoins d'intervenir si un détenu ressortissant de leur pays refuse expressément de les rencontrer. Les détenus ne souhaitent pas tous que les représentants diplomatiques de leur pays aient connaissance de leur incarcération. Il est donc recommandé aux autorités pénitentiaires de ne pas divulguer d'information sur l'incarcération d'une personne sans son accord. La direction de la prison doit de même informer les détenus des droits que leur confèrent La règle 38 et la Convention de Vienne, notamment celui de pouvoir contacter leur ambassade ou leur consulat. Il faut aussi remarquer que la

Page 78: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

78

Convention de Vienne (article 36 c) permet aux détenus de s'abstenir ou de refuser l'intervention des autorités diplomatiques. La Croix Rouge Internationale a pour sa part la responsabilité de porter assistance aux détenus étrangers dans les pays où ceux-ci n'ont pas de représentation consulaire ou diplomatique ; la Croix Rouge, dès lors qu'elle dispose dans le pays d'incarcération d'une délégation permanente ou qu'elle a la possibilité d'accéder normalement à ce pays, exerce à l'égard du détenu le rôle d'intermédiaire neutre. Autres droits préservés Contacts avec les médias 26. Le contact humain direct est irremplaçable, mais existent d'autres possibilités de relation du détenu avec l'extérieur. Recevoir et répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit constitue l'un des Droits universels de l’homme (article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). La liberté d'opinion, d'expression et d'information est affirmée de façon encore plus contraignante par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. Les restrictions à la liberté d'information peuvent être justifiées par des exigences d'ordre public, à condition que celles-ci soient absolument nécessaires et expressément fixées par la loi. “ Les restrictions à la liberté d'information des détenus, très nombreuses dans beaucoup de pays, ne sont autorisées que quand elles sont fixées par la loi et sont absolument nécessaires pour prévenir le crime et le désordre dans la prison ” (Manfred Nowak, Commentaire du Pacte relatif aux droits civils et politiques, Kehl, 1993, p. 357 de la version anglaise). 27. Les recommandations des RMT sont plus restrictives : Règle 39 Les détenus doivent être tenus régulièrement au courant des événements les plus importants, soit par la lecture de journaux quotidiens, de périodiques ou de publications pénitentiaires spéciales, soit par des émissions radiophoniques, des conférences ou tout autre moyen analogue, autorisés ou contrôlés par l'administration. Il n'est pas simple de démontrer la nécessité et l'utilité de l'accès aux médias, celui-ci étant étroitement limité dans beaucoup de pays. Toutefois, à la lumière du principe de normalité (règle 60.1) il semble logique de permettre aux détenus d'accéder à tous les médias légalement disponibles dans la société civile. Les seules restrictions doivent procéder des exigences de la sécurité et du maintien de l'ordre et ne concerner que le matériel susceptible de favoriser les évasions et les mutineries. Il n'est pas judicieux de permettre un accès plus ou moins grand aux médias en fonction des progrès du traitement pénitentiaire. “ Le traitement repose sur le maintien des relations avec le monde extérieur. Une privation systématique de toute information sur les événements quotidiens ne peut être considérée comme entrant dans un programme de formation, en particulier si un tel programme a pour ambition de permettre aux détenus de reprendre leur place de citoyens participant pleinement à la vie en société ” (Van Zyl Smit, La Loi et son application dans les prisons d'Afrique du Sud, 1992, p. 207 de la version anglaise). 28. La règle 39 apparaît donc comme une obligation supplémentaire pour l'administration pénitentiaire, qui est tenue de permettre l'accès “ aux nouvelles les plus importantes ” à tous les détenus, y compris ceux ne disposant d'aucun moyen personnel d'accéder à ce type d'information. Les principaux journaux et périodiques devraient être disponibles à la bibliothèque de la prison. Les détenus doivent pouvoir par ailleurs souscrire des abonnements à tous les périodiques en vente légale dans la société civile. Des organismes privés devraient être sollicités en vue de fournir aux détenus indigents des abonnements gratuits aux principaux journaux et périodiques. 29. Le meilleur moyen d'assurer aux détenus l'accès à l'information consiste à leur permettre de suivre les programmes de radio et de télévision, la prison fournissant le matériel de réception nécessaire. Celui-

Page 79: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

79

ci est habituellement disposé dans des salles communes, où les détenus peuvent se réunir après leur travail. Dans les pays dont la plupart des habitants possèdent ces instruments de réception à titre privé, il devrait en aller de même pour les détenus, au nom une fois encore du principe de normalité. Biens des détenus 30. La propriété de biens matériels permet d'assurer et de pérenniser l'identité des personnes. En prison, le fait de posséder des effets personnels est un bon moyen de préserver sa propre identité et de ne pas se sentir définitivement coupé du monde extérieur. L'article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose : (1) Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. (2) Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. Ceci vaut pour les détenus, même si les moyens de faire usage de leurs biens sont limités. Ils peuvent par contre en disposer librement, les vendre, les prêter, etc., acquérir de nouveaux biens, par exemple par héritage, par don ou sous forme d'achat. Les autorités pénitentiaires ne doivent pas intervenir dans le cours de ces diverses transactions. 31. Les RMT contrôlent la garde des biens des détenus par l'administration de la prison. Règle 43 (1) Lorsque le règlement n'autorise pas le détenu à conserver en sa possession l'argent, les objets de valeur, vêtements et autres effets qui lui appartiennent, ceux-ci doivent être placés en lieu sûr, lors de son admission à l'établissement. Un inventaire de ces objets doit être dressé et il doit être signé par le détenu. Des mesures doivent être prises pour conserver ces objets en bon état. (2) Ces objets et l'argent doivent lui être rendus à sa libération, à l'exception de l'argent qu'il a été autorisé à dépenser, des objets qu'il a pu envoyer à l'extérieur ou des vêtements qui ont dû être détruits par raison d'hygiène. Le détenu doit donner décharge des objets et de l'argent qui lui ont été restitués. (3) Les valeurs ou objets envoyés de l'extérieur au détenu sont soumis aux mêmes règles. (4) Si le détenu est porteur de médicaments ou de stupéfiants au moment de son admission, le médecin décidera de l'usage à en faire. Cette règle ne mérite guère de commentaires. Il est d'usage courant que le détenu garde une copie conforme de l'inventaire et du reçu évoqués dans La règle, lesquels sont signés par le surveillant en fonction. La règle laisse supposer par ailleurs que les détenus peuvent garder certains de leurs effets par-devers eux au sein même de la prison. Les règlements décidant du contraire doivent être modifiés dans ce sens, la sécurité ne se réglant pas, c'est tout le contraire, à coup d'interdictions. Les récepteurs radio et T.V. peuvent être scellés pour empêcher que les détenus ne les transforment en réceptacles de drogue ou d'armes. Les détenus doivent toujours être autorisés à conserver dans leurs cellules un minimum d'objets personnels, en particulier des photographies de membres de leur famille ou de leurs amis. Droit de vote des détenus

Page 80: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

80

32. Dans certains pays, le droit de vote peut être retiré à titre de sanction ou comme conséquence d'une condamnation pour certaines infractions particulièrement graves. La présomption d'innocence justifie au contraire que les prévenus continuent de disposer du droit de vote. Habituellement, le droit de vote est retiré aux détenus du seul fait de leur incarcération et en l'absence de toute base légale. L'article 25 du Pacte international relatif au droits civils et politiques reconnaît cependant “ le droit et la possibilité ” de voter à tout citoyen, “ sans restrictions déraisonnables ”. Le fait de l'incarcération ne justifie pas en lui-même le retrait du droit de vote, le personnel pénitentiaire devant au contraire faciliter son exercice. 33. Les détenus doivent pouvoir suivre les campagnes électorales afin de se former leur opinion, grâce en particulier aux débats organisés dans les médias40. Dans certains établissements, les candidats peuvent aussi être admis à s'adresser directement à leurs électeurs potentiels que sont les détenus. Ces manifestations peuvent être organisées par l'intermédiaire de conseils de détenus. 34. Les opérations de vote peuvent être organisées de diverses manières. Dans certains pays, des bureaux de vote mobiles sont installés dans la prison. Quelquefois même, des urnes sont apportées dans les cellules. Dans d'autres pays, les détenus ont la possibilité de voter par correspondance ou par procuration. 35. Si les opérations de vote sont difficiles à mettre en œuvre au sein d'une prison, il est encore plus difficile de se porter candidat depuis une cellule. Même dans les pays où la loi ne refuse pas explicitement aux détenus le droit d'éligibilité, les problèmes pratiques sont habituellement considérables, les possibilités pour le candidat/détenu de faire campagne, de tenir des réunions, de s'adresser aux médias, etc., étant extrêmement limitées. Une campagne électorale nécessitera le plus souvent une permission temporaire, la loi du pays devant être contournée par des subtilités juridiques si elle ne prévoit pas une telle disposition. En raison de l'importance que revêtent les élections au sein d'une démocratie, il est recommandé de laisser aux responsables des prisons la plus grande latitude de manière à permettre aux détenus qui se présentent comme candidats de mener correctement leur campagne. Notification d'un décès ou d'une maladie grave 36. Il n'est pas rare que des gens meurent en prison. Les taux de suicides ou d'infections par le SIDA y sont plus élevés qu'à l'extérieur, ce qui constitue un motif sérieux de s'inquiéter. La question est souvent posée de la responsabilité, directe ou indirecte, des autorités pénitentiaires à l'occasion de la mort d'un détenu. Les personnes qui se trouvent en phase terminale de maladie ne doivent pas être maintenues en prison (règle 25.2) mais transférées dans un hôpital (règle 22.2) ou remises aux soins de leurs proches. Les RMT exigent que les autorités de la prison notifient aux proches et/ou aux amis le décès ou le risque de décès d'un détenu. Règle 44 (1) En cas de décès ou de maladie grave, d'accident grave ou de placement du détenu dans un établissement pour malades mentaux, le directeur doit en informer immédiatement le conjoint si le détenu est marié, ou le parent le plus proche et en tout cas toute autre personne que le détenu a demandé d'informer. (2) Un détenu doit être informé immédiatement du décès ou de la maladie grave d'un proche parent. En cas de maladie dangereuse d'une telle personne, lorsque les circonstances le permettent, le détenu devrait être autorisé à se rendre à son chevet, soit sous escorte, soit librement. En cas de décès, de maladie grave, de blessure ou de transfert d'un détenu dans un établissement pour malades mentaux, le directeur de la prison est chargé personnellement de procéder aux notifications nécessaires (règle 44.1). Ceci implique que les autorités de la prison doivent demander à chaque détenu, lors de son admission, d'indiquer les personnes à informer en plus ou à la place de la famille. Dans le cas 40 Cf. supra, § 25.

Page 81: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

81

du décès d'un détenu, il est recommandé de procéder à la notification dans les vingt-quatre heures. Sous les climats chauds, une notification encore plus rapide peut être nécessaire. Dans tous les cas, la direction de la prison doit prendre soin du corps de la personne décédée. 37. De même, un détenu doit être informé immédiatement si les autorités de la prison ont connaissance du décès ou de la blessure grave d'un de ses proches parents. Il est bon de ne pas être trop formaliste sur les termes “ proche parent ”, qui peuvent être sujets à des interprétations variées suivant les cultures. Des parents, des descendants, une épouse et des enfants seront, cependant, toujours compris dans cette acception. Si la maladie d'un proche est “ dangereuse ”, c'est-à-dire si elle constitue une menace pour sa vie, le détenu devra néanmoins être autorisé à se rendre auprès de cette personne, “ si les circonstances le permettent ”. Il pourra, dans les mêmes conditions, participer aux funérailles d'un proche, quoique le cas n'ait pas été prévu par les RMT.

Page 82: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

82

Chapitre VI LE TRAITEMENT DES DETENUS Introduction 1. Le traitement des détenus est fondé sur la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables (Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Ce principe est rappelé dans d'autres lois internationales en matière de droits de l’homme ainsi que dans les RMT. Le droit international impose l'obligation de traiter les détenus en respectant leurs droits en tant que personnes humaines mais il reste vague sur ce que leur “ traitement ” doit comporter en termes de régimes de détention et d'activités. Il est clair cependant que les personnes sont envoyées en prison à titre de sanction et non pour y être sanctionnées ; aussi les traitements des détenus ne doivent-ils pas avoir de caractère afflictif. 2. Les RMT définissent la philosophie de ces traitements dans la partie II consacrée aux condamnés. Les dispositions de la partie II peuvent aussi être appliquées aux prévenus et aux détenus pour dettes lorsque leur application peut être profitable à cette catégorie spéciale de détenus, pourvu qu'il ne soit pris aucune mesure impliquant que des mesures de rééducation ou de réadaptation puissent être applicables en quoi que ce soit à des personnes qui ne sont convaincues d'aucune infraction (règle 95). Du traitement à l'assistance des détenus 3. Lorsque les RMT ont été rédigées, “ le traitement ” signifiait l'amendement du détenu et n'était appliqué qu'aux détenus inculpés ou condamnés pour des crimes. Cette conception a évolué et les RMT elles-mêmes prennent acte des possibilités d'un tel changement : les observations préliminaires indiquent qu'elles se rapportent à des domaines dans lesquels la pensée est en évolution constante (règle 3). 4. Le temps ayant accompli son œuvre, la confiance dans l'aptitude des établissements pénitentiaires à réformer les détenus a cédé la place à des attentes plus réalistes quant aux effets de l'emprisonnement. L'accent a été déplacé vers l'apport aux détenus, quel que soit leur statut, d'une aide consistant à favoriser les occasions de développer leur potentiel individuel et d'affronter avec succès leur retour dans la vie libre. Cette conception est fondée sur la précarité de la condition de détenu. Il est dans l'intérêt à la fois du détenu et de la société de promouvoir des perspectives de resocialisation au moyen d'un traitement constructif mis en œuvre en prison. Les condamnés à vie ne sont pas exclus d'une telle ambition, des programmes à long terme doivent les préparer à leur retour éventuel dans la vie libre. Sécurité dynamique 5. Les RMT ont été écrites à une époque où les impératifs du traitement apparaissaient comme diamétralement opposés à ceux de la sécurité. Les RMT font peu de références à la sécurité alors que garder des détenus enfermés constitue sans aucun doute la fonction première des prisons. Les RMT envisagent la sécurité en tant que facteur restrictif par rapport au traitement. Le concept de “ sécurité dynamique ” était alors ignoré, les autorités pénitentiaires et les surveillants devant assurer à la fois, et sans compromis possible, la sécurité et le traitement. Après bien des déconvenues, il est apparu clairement que le traitement n'est pas d'une part une entité en soi, et que d'autre part il requiert l'adhésion du détenu. On parle aujourd'hui d'“ assistance ” et d'“ efforts personnels ”. 6. Les prisons ne peuvent être gérées aujourd'hui d'une manière sûre et positive qu'avec la coopération des détenus. La sécurité externe (empêcher les évasions) et la sûreté interne (éviter les désordres) sont assurées au mieux à la condition que soient établies des relations positives entre les détenus et les surveillants. Là réside l'essence de la sécurité dynamique : celle-ci dépend de bonnes relations à l'intérieur de la prison et de la mise en œuvre d'un traitement constructif à l'égard des détenus.

Page 83: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

83

7. Le traitement a une importance telle que rien ne peut justifier, et certainement pas des questions budgétaires, que des programmes ne soient pas établis en vue d'en faire bénéficier les détenus (voir Comité des Nations unies pour les droits de l’homme, Commentaires généraux, 21 (44), 6 avril 1992). 8. Le risque de récidive peut être réduit en aidant les détenus à se développer comme des individus adultes ayant le sens des responsabilités. Aussi doivent-ils être traités avec décence et dans le respect de leurs droits : le “ traitement ” (au sens très général du terme) doit tenir compte de leurs aspirations et des conséquences de leur choix tout en ayant pour but de favoriser l'épanouissement de leur personnalité. Le traitement doit être basé sur la personne et non sur le bon ordre dans la prison 9. L'introduction à la seconde partie des RMT (règles 56 à 64) contient quelques principes directeurs permettant de dégager une philosophie du traitement pénitentiaire. Au travers de questions de sécurité, de classement, de soins et de resocialisation, ces grands principes peuvent se résumer comme suit : - la souffrance inhérente à l'emprisonnement doit être réduite au maximum ; - les différences entre la vie en prison et la vie à l'extérieur doivent être réduites au maximum ; - le détenu doit être encouragé par tous les moyens à mener une vie honnête et autonome après sa libération ; - le traitement doit être adapté aux besoins de chaque détenu ; - le traitement doit permettre un retour progressif dans la vie en société ; - le traitement doit être basé sur la participation continue des détenus à la vie en collectivité. 10. Si l'administration pénitentiaire joue le premier rôle dans la mise en œuvre de ces principes, le gouvernement doit, pour sa part, en informer le public et encourager les collectivités locales à s'y associer. 11. La plupart de ces principes directeurs s'appliquent à tous les détenus, quel que soit leur statut. Règle 56 Les principes directeurs qui suivent ont pour but de définir l'esprit dans lequel les systèmes pénitentiaires doivent être administrés et les objectifs auxquels ils doivent tendre, conformément à la déclaration faite dans l'observation préliminaire 1 du présent texte. Règle 57 L'emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont afflictives par le fait même qu'elles dépouillent l'individu du droit de disposer de sa personne en le privant de sa liberté. Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation. Règle 58 Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins. Règle 59 A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux, spirituels et autres et à toutes les formes d'assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants. 12. Les RMT mettent l'accent sur des forces morales et correctrices. On considère aujourd'hui que le changement réel et le développement autonome d'un individu ne peuvent intervenir qu'avec son

Page 84: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

84

adhésion et sa participation. Mais le risque subsiste, dans un lieu coercitif par nature comme la prison, que des contraintes supplémentaires pèsent sur les détenus du fait de bonnes volontés animées d'un zèle réformateur. Des prisons adaptées à la resocialisation 13. Règle 60 1) Le régime de l'établissement doit chercher à réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre dans la mesure où ces différences tendent à affaiblir le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne. 2) Avant la fin de l'exécution d'une peine ou mesure, il est désirable que les mesures nécessaires soient prises pour assurer au détenu un retour progressif à la vie dans la société. Ce but pourra être atteint, selon les cas, par un régime préparatoire à la libération, organisé dans l'établissement même ou dans un autre établissement approprié, ou par une libération conditionnelle sous un contrôle qui ne doit pas être confié à la police, mais qui comportera une assistance sociale efficace. Règle 61 Le traitement ne doit pas mettre l'accent sur l'exclusion des détenus de la société, mais au contraire sur le fait qu'ils continuent à en faire partie. A cette fin, il faut recourir, dans la mesure du possible, à la coopération d'organismes de la communauté pour aider le personnel de l'établissement dans sa tâche de reclassement des détenus. Des assistants sociaux collaborant avec chaque établissement doivent avoir pour mission de maintenir et d'améliorer les relations du détenu avec sa famille et avec les organismes sociaux qui peuvent lui être utiles. Des démarches doivent être faites en vue de sauvegarder, dans toute la mesure compatible avec la loi et la peine à subir, les droits relatifs aux intérêts civils, le bénéfice des droits de la sécurité sociale et d'autres avantages sociaux des détenus. L'idée de rendre la vie en prison aussi proche que possible de la vie à l'extérieur s'est développée au cours des dernières années41. Il est aujourd'hui couramment admis que l'aggravation des privations inhérentes à l'emprisonnement est non seulement injustifiable mais réductrice des chances de resocialisation, avec ce risque pour la société que le libéré récidive pour assurer sa survie. Normalité de la vie en prison 14. Les initiatives pour maintenir les liens du détenu avec le monde extérieur constituent une part importante de la normalisation, de même que la possibilité accordée aux détenus de porter leurs habits personnels et de les laver, ou encore de confectionner leurs propres repas. L'aménagement de telles activités, outre qu'il permet d'atténuer les différences entre la vie à l'intérieur et la vie à l'extérieur, développe l'habileté manuelle et réduit la dépendance vis-à-vis des services fournis par l'administration pénitentiaire. 15. De telles pratiques ne doivent pas servir de motif à l'administration pour ne plus rien faire. Quand, par exemple, les détenus ne possèdent pas d'habits convenables, l'administration est dans l'obligation de leur en fournir, à condition pour les détenus de les tenir propres en utilisant les moyens fournis par la prison. 16. Les RMT reconnaissent que les relations avec le monde extérieur constituent un élément essentiel de la vie en prison et la base des programmes de réinsertion dans la société. De tels programmes doivent être mis en place non pas à la fin de la peine, mais au tout début de l'incarcération. Le bien-être des détenus malades 41 Cf. au chapitre I, § 31, le principe de normalité et ses conséquences.

Page 85: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

85

17. Règle 62 Les services médicaux de l'établissement s'efforceront de découvrir et devront traiter toutes déficiences ou maladies physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement d'un détenu. Tout traitement médical, chirurgical et psychiatrique jugé nécessaire doit être appliqué à cette fin. La santé et le bien-être du détenu sont intrinsèquement liés à des perspectives de développement personnel et de resocialisation. Bien qu'il soit clair que les personnes souffrant de maladies mentales ne relèvent pas de la prison, l'obligation subsiste de veiller au bien-être psychologique aussi bien que physique de tous les détenus. La règle 22 insiste sur cette obligation dans sa définition du rôle du médecin42. 18. D'autres spécialistes ont un rôle à jouer dans ce domaine. Dans certains établissements, la dépendance des toxicomanes nécessitera par exemple une assistance psychologique, des conseils et des thérapies distribués par des spécialistes et du personnel spécialement formé, y compris aux risques sanitaires telle que la transmission du SIDA. Des programmes et des mesures de sécurité adaptés aux individus 19. Règle 63 1) La réalisation de ces principes exige l'individualisation du traitement et, à cette fin, un système souple de classification des détenus en groupes ; il est donc désirable que ces groupes soient placés dans des établissements distincts où chaque groupe puisse recevoir le traitement nécessaire. 2) Ces établissements ne doivent pas présenter la même sécurité pour chaque groupe. Il est désirable de prévoir des degrés de sécurité selon les besoins des différents groupes. Les établissements ouverts, par le fait même qu'ils ne prévoient pas de mesures de sécurité physique contre les évasions mais s'en remettent à cet égard à l'autodiscipline des détenus, fournissent à des détenus soigneusement choisis les conditions les plus favorables à leur réhabilitation. 3) Il est désirable que, dans les établissements fermés, l'individualisation du traitement ne soit pas gênée par le nombre trop élevé des détenus. Dans certains pays, on estime que la population de tels établissements ne devrait pas dépasser 500. Dans les établissements ouverts, la population doit être aussi réduite que possible. 4) Par contre, il est peu désirable de maintenir des établissements trop petits pour qu'on puisse y organiser un régime convenable. Cette partie des RMT souligne l'étroitesse des liens entre les considérations de sécurité et de traitement. Elle introduit l'idée d'une sélection des détenus, effectuée à partir d'une évaluation rigoureuse de la population pénale. 20. La mise en œuvre de traitements individualisés basés sur une classification souple passe par le recours à des programmes adaptés aux différents groupes de détenus. Plus cette adaptation sera souple, plus étendu devra être le champ de compétences du personnel, ce qui n'est pas sans conséquences sur la sélection et la formation des agents, celles-ci devant être différenciées suivant le type d'établissement et le type de détenus qui s'y trouvent. 42 Cf. chapitre IV.

Page 86: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

86

21. Les RMT suggèrent la séparation des détenus en catégories au sein d'unités à l'intérieur d'un même établissement, les affectations tenant compte à la fois des nécessités du traitement et des impératifs de sûreté et de sécurité, encore que l'idée de niveaux de sécurité variables suivant les groupes ne soit qu'effleurée. 22. Traditionnellement, le niveau de sécurité variait d'un établissement à un autre. Il est possible en pratique de disposer, au sein du même établissement, d'unités offrant des niveaux de sécurité différents, la sécurité étant fonction non seulement de paramètres physiques mais aussi du degré de mobilité des détenus. Des unités à échelle humaine 23. Même s'il est impossible, pour des raisons économiques, de disposer d'établissements ouverts distincts, il est possible en pratique de créer des conditions d'ouverture plus grandes à l'intérieur d'un établissement fermé, en offrant à certaines classes de détenus une plus grande mobilité. 24. La division des établissements en unités séparées adaptées aux besoins des différents traitements peut constituer une méthode peu onéreuse d'individualisation du traitement. Des unités de petite taille peuvent permettre un traitement individualisé, en particulier si les surveillants sont sélectionnés et formés pour travailler en équipes au sein d'unités regroupant un certain nombre de détenus particuliers. 25. Les règles font état des coûts entraînés par des traitements individualisés. Il est possible de les minimiser en utilisant au maximum, unité par unité, les équipements lourds d'un établissement grâce à un emploi du temps strict. L'expérience démontre que les détenus préfèrent de petits établissements offrant des régimes et des équipements peu variés, dès lors qu'ils s'y sentent mieux considérés individuellement. Le droit des détenus à une perspective de resocialisation 26. Règle 64 Le devoir de la société ne cesse pas à la libération d'un détenu. Il faudrait donc disposer d'organismes gouvernementaux ou privés capables d'apporter au détenu libéré une aide post pénitentiaire efficace, tendant à diminuer les préjugés à son égard et lui permettant de se reclasser dans la communauté. Les RMT reconnaissent que le processus de préparation à la sortie et à la resocialisation commence en prison et continue après la libération et que doit exister une solution de continuité entre l'avant et l'après. D'où la nécessité d'une collaboration effective entre l'administration pénitentiaire et les associations d'aide à la resocialisation, celles s'occupant du logement ou de l'emploi comme celles luttant contre les réactions de rejet dont le libéré peut être l'objet de la part du corps social. 27. Règle 70 Il faut instituer dans chaque établissement un système de privilèges adapté aux différents groupes de détenus et aux différentes méthodes de traitement, afin d'encourager la bonne conduite, de développer le sens de la responsabilité et de stimuler l'intérêt et la coopération des détenus à leur traitement. Les RMT parlent de “ privilèges ” en matière de traitement des détenus. Le terme renvoie à une conception aujourd'hui dépassée, l'accent s'étant déplacé sur les notions de choix, d'adhésion et de responsabilité et la prise en compte de droits et d'obligations. Les administrations pénitentiaires tendent à favoriser la mise en place d'activités que le détenu trouvera ou non opportun de pratiquer compte tenu d'objectifs de resocialisation réalistes définis en commun entre lui et l'administration. Sont ainsi encouragés des types de comportement positifs, basés sur la coopération et la responsabilisation. 28. Il est important que les détenus comprennent les règles de l'établissement et les choix qui leur sont proposés, ces choix seraient-ils assez limités. Traiter les détenus comme des adultes et leur expliquer

Page 87: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

87

les limitations de leur choix est plus important que de pratiquer des choix à leur place. Les détenus ont besoin de choisir en connaissance de cause, de comprendre les conséquences de ces choix et de prendre leurs responsabilités, y compris quand ils décident de ne pas entrer dans le système. Différenciation et individualisation Le détenu comme personne responsable 29. Dans cette partie, les RMT explicitent les méthodes de traitement découlant des principes directeurs. Règle 65 Le traitement des individus condamnés à une peine ou mesure privative de liberté doit avoir pour but, autant que la durée de la condamnation le permet, de créer en eux la volonté et les aptitudes qui les mettent à même, après leur libération, de vivre en respectant la loi et de subvenir à leurs besoins. Ce traitement doit être de nature à encourager le respect d'eux-mêmes et à développer leur sens de la responsabilité. Règle 66 1) A cet effet, il faut recourir notamment aux soins religieux dans les pays où cela est possible, à l'instruction, à l'orientation et à la formation professionnelles, aux méthodes de l'assistance sociale individuelle, au conseil relatif à l'emploi, au développement physique et à l'éducation du caractère moral, en conformité des besoins individuels de chaque détenu. Il convient de tenir compte du passé social et criminel du condamné, de ses capacités et aptitudes physiques et mentales, de ses dispositions personnelles, de la durée de la condamnation et de ses perspectives de reclassement. 2) Pour chaque détenu condamné à une peine ou mesure d'une certaine durée, le directeur de l'établissement doit recevoir, aussitôt que possible après l'admission de celui-ci, des rapports complets sur les divers aspects mentionnés au paragraphe précédent. Ces rapports doivent toujours comprendre celui d'un médecin, si possible spécialisé en psychiatrie, sur la condition physique et mentale du détenu. 3) Les rapports et autres pièces pertinentes seront placés dans un dossier individuel. Ce dossier sera tenu à jour et classé de telle sorte qu'il puisse être consulté par le personnel responsable, chaque fois que le besoin s'en fera sentir. 30. Ces règles décrivent en détail les divers critères à prendre en compte pour l'élaboration des programmes de traitement des détenus. Une telle approche peut sembler très éloignée des préoccupations pénitentiaires immédiates de certains pays, telles que la mise à disposition de places en nombre suffisant et l'approvisionnement en nourriture. Ils n'en délimitent pas moins de grands axes à partir desquels les responsables des prisons doivent développer leur action, celle-ci se réduirait-elle à encourager les surveillants à considérer les détenus comme des personnes et à leur confier chaque fois que possible des responsabilités dans la gestion de leur vie quotidienne. Programmes thérapeutiques 31. Les RMT mentionnent sans les détailler les programmes thérapeutiques, c'est-à-dire les programmes orientés vers les problèmes de comportement, y compris en matière de délinquance. Ces programmes, tels que le contrôle de l'agressivité ou l'acquisition des moyens de savoir dire “ non ”, peuvent aider les détenus à comprendre et à modifier leur comportement dans la perspective de leur réhabilitation. Des programmes spécifiques sont nécessaires au traitement de la délinquance sexuelle par exemple, programmes requérant la participation de spécialistes de diverses disciplines.

Page 88: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

88

32. Dans de nombreux pays, la toxicomanie (y compris en matière de tabac et d'alcool) entraîne, en prison comme à l'extérieur, des problèmes de comportement et de santé. En plus des mesures de sécurité prises en vue d'empêcher l'entrée de drogues en prison, la lutte contre la toxicomanie doit représenter un objectif majeur pour l'administration pénitentiaire. 33. Les mesures de désintoxication doivent être humaines et assorties de programmes à long terme qui tiennent compte des aspects médicaux et sociaux de la thérapie43. L'éducation sanitaire et l'information sur la prévention du risque doivent être incorporées à ces programmes, en tenant compte du sexe, de l'âge et du niveau culturel des détenus, la population pénale courant un risque potentiel du fait de l'usage de drogues et des maladies sexuellement transmissibles, en particulier du SIDA. 34. Les programmes thérapeutiques opèrent généralement par l'information et l'encouragement. L'expérience enseigne qu'une participation volontaire des détenus est une condition nécessaire pour que de tels programmes fonctionnent efficacement. Liberté de croyance et de culte 35. Les détenus devraient pouvoir toujours trouver en prison la possibilité d'un réconfort spirituel à leur convenance, la liberté religieuse étant un droit de l’homme fondamental44. Ce droit intangible est d'application encore plus urgente dans le cas de détenus en détresse, placés à l'isolement, suicidaires, en grève de la faim, victimes d'une maladie grave, souffrant de la perte d'un proche ou se trouvant à l'agonie. La religion, un droit et non un devoir 36. La religion est affaire de responsabilité personnelle, elle constitue un droit et non une obligation pour le détenu. Règle 41 1) Si l'établissement contient un nombre suffisant de détenus appartenant à la même religion, un représentant qualifié de cette religion doit être nommé ou agréé. Lorsque le nombre de détenus le justifie et que les circonstances le permettent, l'arrangement devrait être prévu à plein temps. 2) Le représentant qualifié, nommé ou agréé selon le paragraphe 1, doit être autorisé à organiser périodiquement des services religieux et à faire, chaque fois qu'il est indiqué, des visites pastorales en particulier aux détenus de sa religion. 3) Le droit d'entrer en contact avec un représentant qualifié d'une religion ne doit jamais être refusé à aucun détenu. Par contre, si un détenu s'oppose à la visite d'un représentant d'une religion, il faut pleinement respecter son attitude. Règle 42 Chaque détenu doit être autorisé, dans la mesure du possible, à satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, en participant aux services organisés dans l'établissement et en ayant en sa possession les livres d'édification et d'instruction religieuse de sa confession. 37. Les RMT adoptent une position pragmatique pour ce qui concerne le culte en groupe. Le nombre de détenus et la disposition des lieux dicteront la possibilité de culte en groupe pour ceux appartenant à une religion minoritaire. La faiblesse numérique ne doit pas être facteur d'indifférenciation. Ainsi, quand dans 43 Cf. chapitre III. 44 Cf. chapitre I, § 15 et 16.

Page 89: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

89

un pays existe une religion d'Etat, on doit prendre soin de veiller à ce que l'établissement ne dispose pas d'un endroit de culte équipé des seuls signes extérieurs de la religion d'Etat. Si les tenants d'une foi différente ont à partager cet endroit de culte, les signes extérieurs de la religion majoritaire doivent être amovibles afin qu'ils n'offensent pas les adeptes des autres confessions. 38. Il va sans dire qu'un détenu manifestant des convictions religieuses extrêmes, porteuses de violence et susceptibles d'être préjudiciables à la liberté religieuse d'autrui, se verra empêcher de mettre en pratique de telles convictions. Les autorités pénitentiaires ont l'obligation de protéger les autres détenus des conséquences de telles convictions. Assistance religieuse et traitement pénitentiaire 39. L'importance de l'assistance religieuse dans le traitement pénitentiaire45 tient à l'histoire des prisons, quand le “ traitement ” reposait sur les notions d'amendement et de réhabilitation. S'il est indéniable que certains détenus peuvent être amenés à modifier leur comportement grâce à leurs convictions religieuses, il n'en est pas moins vrai que les risques de coercition sont réels, en particulier dans les pays où existe une religion d'Etat. 40. A l'intérieur de tout programme de traitement, les progrès d'un détenu dans l'acquisition de son autonomie ne doivent pas être appréciés à l'aune de son appartenance à telle ou telle religion. Un détenu ne doit pas être jugé comme immoral ou incorrigible parce que ses convictions religieuses diffèrent des normes religieuses prévalantes. Evaluation des besoins, programmation de la peine 41. La règle 66 (1)46 énumère les principaux critères d'évaluation d'un détenu. Compte tenu de leur variété, le processus d'évaluation doit être perfectionné et nécessite du temps et un personnel compétent. La règle suggère la participation d'un psychiatre : peu de systèmes pénitentiaires atteignent ce niveau de perfectionnement et l'apport psychiatrique est souvent limité aux cas les plus sérieux, par exemple celui des condamnés à la réclusion perpétuelle. Formation des surveillants en vue de l'évaluation des aptitudes des détenus 42. La formation des surveillants dans le conseil et l'évaluation des aptitudes des détenus est utile, à condition qu'elle s'articule sur la mise en place d'équipes d'évaluation composées de spécialistes de différentes disciplines. Si de telles équipes spécialisées ne peuvent être mises en place au sein de tous les établissements, seront organisées une ou des unités centrales d'évaluation et de répartition des condamnés définitifs. 43. Les besoins des détenus se modifient au cours de leur peine, d'où la nécessité de processus de mise à jour impliquant des comptes rendus réguliers sur l'évolution des détenus. Même si l'évaluation initiale est conduite par une équipe centrale d'évaluation, le traitement et sa mise à jour relèvent du personnel local qui devra recevoir une formation adéquate. La programmation, un processus continu amorcé dès l'incarcération 44. La programmation du traitement doit s'effectuer dès le moment où la condamnation a acquis un caractère définitif. Règle 69 Dès que possible après l'admission et après une étude de la personnalité de chaque détenu condamné à une peine ou mesure d'une certaine durée, un programme de traitement doit être préparé pour lui, à la lumière des données dont on dispose sur ses besoins individuels, ses capacités et son état d'esprit. 45 Cf. § 29 du présent chapitre, en particulier La règle 66 (1). 46 Cf. § 29 du présent chapitre.

Page 90: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

90

Chaque programmation doit être adaptée à un condamné particulier. Les RMT considèrent le détenu comme un participant passif, mais l'expérience a démontré que le traitement n'acquiert son efficacité qu'avec l'adhésion du détenu à la programmation retenue. 45. La règle 69 s'applique à des condamnés à des peines assez longues, ce qui semble exclure ceux qui accomplissent des peines très courtes, par exemple des jours ou des semaines plutôt que des mois d'emprisonnement. Cependant, quand il est clair qu'un détenu subira une longue période de détention préventive, l'administration pénitentiaire a la responsabilité d'organiser pour lui un programme de traitement adapté à ses besoins, à condition que ce détenu le souhaite et que ses droits de personne présumée innocente ne subissent aucun préjudice. Un système souple de classement 46. Suivant les RMT, les systèmes de classification doivent : - sauvegarder les droits des détenus ; - protéger les différentes catégories de détenus ; - déterminer les niveaux de sécurité et de sûreté nécessaires et - assurer les activités adéquates aux besoins individuels. Règle 67 Les buts de la classification doivent être : a) d'écarter les détenus qui, en raison de leur passé criminel ou de leurs mauvaises dispositions, exerceraient une influence fâcheuse sur leurs codétenus ; b) de répartir les détenus en groupes afin de faciliter leur traitement en vue de leur réadaptation sociale. Règle 68 Il faut disposer, dans la mesure du possible, d'établissements séparés ou de quartiers distincts d'un établissement pour le traitement de différents groupes de détenus. 47. Les règles définissent des critères positifs et négatifs de classement des détenus. Les critères négatifs sont établis à partir des théories traditionnelles de contamination et de réduction des risques. Les critères positifs reposent sur les besoins individuels dans une perspective de réhabilitation et de développement personnel. 48. Critères positifs et négatifs s'opposent. La mise en œuvre d'une classification requiert un équilibre entre des priorités potentiellement concurrentes. Dans la pratique, la classification prend en compte en priorité le critère du risque pour la sécurité, l'intérêt de l'administration primant l'intérêt du détenu. Cette tendance ne peut être contrariée que si le personnel bénéficie d'une formation mettant l'accent sur les relations avec des détenus considérés comme des personnes. L'aptitude aux relations humaines est primordiale, y compris en matière de sécurité (externe) et de sûreté (interne). En fait, les aptitudes à établir des relations humaines harmonieuses rendent souvent inutiles les techniques traditionnelles de sécurité et de sûreté, sauf en dernier recours et dans des cas exceptionnels. 49. Les RMT associent classification et séparation dans le but de souligner l'importance des distinctions entre les classes de détenus, distinctions grâce auxquelles pourra être conduit le traitement individualisé des détenus. 50. Dans la pratique, la classification ne coïncide pas toujours avec la séparation, laquelle constitue une méthode coûteuse de gestion des détenus. En cas de surpopulation, la séparation des détenus en différentes classes devient vite inopérante. 51. Les systèmes de classification déterminent souvent les différents niveaux de sécurité et de sûreté. A défaut d'une classification, le niveau de sécurité et de sûreté retenu est souvent celui adapté aux détenus présentant le risque d'évasion et de troubles le plus élevé, ce qui a pour effet d'imposer des restrictions inutiles au plus grand nombre. Quand la classification est trop grossière, certains détenus peuvent encore subir des restrictions inutiles, mais au moins la majorité de la population pénale n'a-t-elle pas à

Page 91: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

91

supporter les contraintes de sécurité et de sûreté maximales justifiées pour une infime minorité de détenus. 52. Il ne faut pas négliger les dangers d'une classification rigide. Les détenus classés “ dangereux ” peuvent trouver une telle qualification exagérée sinon insupportable, en particulier quand sont prévus pour eux des bâtiments ou des établissements de haute sécurité. Des réexamens et des réévaluations doivent être prévus dans les systèmes de classification cherchant à équilibrer la sécurité et la resocialisation ; ils doivent intervenir à intervalles réguliers et tenir compte de l'évolution de chaque détenu. Transferts de détenus 53. Le traitement des détenus doit prendre en compte leurs besoins et même leurs droits en cas de transferts. Plus un système pénitentiaire est différencié, plus les détenus sont susceptibles d'être transférés d'un établissement à un autre, en fonction des programmes individuels. Le transfert des détenus présente des difficultés particulières et est souvent source de souffrances. Cette remarque vaut pour les prévenus lorsqu'ils sont transportés des prisons aux tribunaux et vice-versa. Les RMT prêtent, à juste titre, une attention particulière à ces phénomènes. Règle 45 1) Lorsque les détenus sont amenés à l'établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de la curiosité du public et de toute espèce de publicité. 2) Le transport des détenus dans de mauvaises conditions d'aération ou de lumière, ou par tout moyen leur imposant une souffrance physique, doit être interdit. 3) Le transport des détenus doit se faire aux frais de l'administration et sur un pied d'égalité pour tous. 54. La vie en prison laisse peu d'intimité aux détenus. Ils sont généralement soumis, pour des raisons de sécurité, à des fouilles de la part des surveillants. Le droit à l'intimité est pourtant mis en avant par les RMT, les détenus devant être protégés des regards du public pendant les transports. 55. A l'occasion de ces transports, des abus peuvent facilement être commis. L'administration pénitentiaire est responsable de la garde et du bien-être des détenus transportés, quand bien même ceux-ci auraient quitté l'établissement, le soin des transfèrements devant être confié à un personnel ayant reçu une formation adaptée47. 56. Il est important que ce personnel comprenne qu'un être humain exposé au public menotté et gardé de près est blessé dans sa dignité humaine, qu'il subit une pression émotionnelle, de telles mesures seraient-elles considérées comme nécessaires. Le personnel en charge des extractions et des transfèrements devrait prendre le temps d'expliquer aux détenus les raisons des mesures de coercition prises à leur égard, leur indiquer leur destination et leur demander de collaborer afin d'assurer leur anonymat : la fourniture de ces renseignements contribue à relâcher la tension et crée une atmosphère de confiance et de respect mutuel. Différenciation et sûreté des personnes 57. L'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prescrit la séparation des détenus suivant des critères d'âge et de statut pénal (prévenus et condamnés). La classification et la séparation des détenus suivant leur âge, leur statut pénal ou pénitentiaire ou encore leur histoire 47 Cf. chapitre VII.

Page 92: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

92

criminelle témoignent d'une approche pratique de la vulnérabilité potentielle des différents groupes au sein de la population pénale et du besoin de les protéger qui en est la conséquence. Elles marquent aussi une reconnaissance d'histoires personnelles différentes et l'exigence de traitements variés adaptés à l'évolution de chacun, homme ou femme, prévenu ou condamné, délinquant ou criminel. La règle 8 prend en compte cette diversité. Règle 8 Les différentes catégories de détenus doivent être placées dans des établissements ou quartiers d'établissements distincts, en tenant compte de leur sexe, de leur âge, de leurs antécédents, des motifs de leur détention et des exigences de leur traitement. C'est ainsi que : a) les hommes et les femmes doivent être détenus dans la mesure du possible dans des établissements différents ; dans un établissement recevant à la fois des hommes et des femmes, l'ensemble des locaux destinés aux femmes doit être entièrement séparé ; b) les détenus en prévention doivent être séparés des condamnés ; c) les personnes emprisonnées pour dettes ou condamnées à une autre forme d'emprisonnement civil doivent être séparées des détenus pour infraction pénale ; d) les jeunes détenus doivent être séparés des adultes. Sexe 58. Les risques d'abus sexuel, d'attentat à la pudeur et de harcèlement imposent une claire obligation de protection des détenus dans les prisons. Il faut se souvenir cependant que de tels risques ne sont pas limités à la population pénale ni au sexe opposé. 59. Une attention spéciale doit être accordée au viol des prisonnières et aux moyens de le prévenir. La sélection du personnel - hommes et femmes - travaillant dans les détentions féminines doit être rigoureuse, le personnel masculin doit être étroitement contrôlé et les détenues doivent être l'objet de visites médicales répétées et avoir un accès facile à des procédures de plaintes, y compris auprès d'organismes indépendants. 60. Dans la plupart des prisons, les femmes représentent une très faible minorité. D'un point de vue économique, l'aménagement de locaux d'activités séparés qui leur soient réservés apparaît comme trop coûteux. Aussi la pression économique pour mélanger les sexes est-elle très forte. Le mélange n'élimine pas en pratique la position désavantageuse des femmes, qui demeurent une minorité au sein d'établissements mixtes. S'il est impossible d'aménager des locaux d'activités séparés pour les femmes, celles-ci doivent avoir le choix et utiliser les locaux d'activités mixtes seulement de leur plein gré. 61. L'interdiction de placer des prisonnières dans des lieux de détention masculins revêt une importance considérable. Dans certains pays, existent des prisons mixtes réservées à des détenus sélectionnés selon des critères très stricts, étroitement contrôlés et qui bénéficient d'un régime de détention harmonieux et constructif sous la surveillance d'un personnel hautement qualifié. Une telle dérogation à la lettre des règles est acceptable (voir La règle 3) à condition que leur esprit soit maintenu48. Mélanger des hommes et des femmes détenus ne doit pas être accompli contre leur volonté. Il faut prévoir pour les prisonnières de larges possibilités d'intimité, et qu'une séparation puisse au moins être réalisée en dehors des heures de travail. Le personnel bien sélectionné et en nombre suffisant que l'on a évoqué devra assurer, outre une surveillance minutieuse, une assistance efficace et qualifiée en cas de difficulté. Statut légal 62. Les règles classent les détenus suivant leur statut légal (individus placés en garde à vue ou prévenus, condamnés et détenus pour dettes) et recommandent des séparations organisées sur la base de ces distinctions. La règle 85 (1) stipule que : Les prévenus doivent être séparés des détenus condamnés. 63. La séparation des détenus suivant leur statut légal est rappelée par l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les prévenus bénéficiant des droits spéciaux découlant de la 48 Cf. § 4, chapitre I.

Page 93: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

93

présomption d'innocence et des garanties nécessaires à leur défense prévus par l’article 11.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les articles 9,14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques49. 64. Dès lors qu'un établissement séparé est prévu (du moins en théorie) pour les prévenus, l'administration pénitentiaire est à même de les faire bénéficier de leurs droits et d'assurer leurs besoins spécifiques (information sur les cautions, facilité de communication avec les avocats et avec des services de conseil juridique, etc.). En pratique, les établissements exclusivement dédiés aux prévenus sont souvent moins bien pourvus en matière d'aide et de conseil juridique ainsi qu'en programmes d'activités que les établissements accueillant à la fois des prévenus et des condamnés. 65. Ainsi, les possibilités de travail peuvent y être plus rares, les prévenus n'étant pas soumis à l'obligation, au désir ou à la nécessité de travailler et l'organisation du travail n'étant pas considérée par l'administration comme une priorité50. 66. Dans certains pays, l'administration pénitentiaire déroge à La règle de la séparation des prévenus sous le prétexte qu'une telle séparation entraînerait pour eux la mise à disposition de moins d'assistance et d'activités, compte tenu de la diminution des économies d'échelle. En réalité, le mélange des prévenus avec d'autres catégories de détenus se traduit toujours pour les prévenus par un préjudice, les condamnés bénéficiant davantage des services proposés par l’établissement étant donné la stabilité de leur situation pénale et la possibilité d’organiser pour eux des traitements complexes dans un temps déterminé. 67. Les prévenus et les détenus pour dettes constituent des groupes hétéroclites, dans le premier cas, ou marginaux, dans le second, qui ne profitent généralement qu'assez peu des infrastructures de l'établissement, quand bien même les prévenus représenteraient parfois une proportion substantielle de la population pénale. La rareté ou l'absence de programmes d'activités pour les prévenus ne doit toutefois pas être justifiée par la nature provisoire de leur incarcération. Dans beaucoup de pays, les prévenus passent en réalité plus de temps en prison que les condamnés à de courtes peines d'emprisonnement. Age 68. Les RMT ne définissent pas de limites d'âge, se contentant de pratiquer une distinction entre détenus jeunes et détenus adultes. La remarque vaut pour la distinction des mineurs et des majeurs, La règle 2.2. (a) de l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) définissant le mineur comme un enfant ou un jeune qui, au regard du système juridique considéré, peut avoir à répondre d'un délit selon des modalités différentes de celles qui sont appliquées dans le cas d'un adulte. 69. Toujours d'après ces mêmes règles, les mineurs doivent être séparés des adultes et détenus dans des établissements distincts ou dans une partie distincte d'un établissement qui accueille aussi des adultes (règles 13.4 et 26.3). L’article 10.2 (b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne dit pas autre chose. La Convention relative aux droits de l'enfant (UNICEF 1989) apporte un léger correctif (article 37 c): […] Tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant […]. 70. Certains codes pénaux établissent des séparations prenant en compte uniquement l'âge réel des détenus, les limites d'âge variant suivant les diverses cultures. Or, l'âge réel n'est pas toujours significatif de différences réelles de maturité d'un détenu à un autre détenu. 71. Dans d'autres systèmes pénaux, les distinctions d'âge sont plus complexes, et dépendent à la fois de l'âge réel et du comportement. Ainsi, en matière de responsabilité criminelle, l'excuse de minorité peut s'imposer pour toutes les infractions, exception faite des plus graves. Quand par exemple un mineur

49 Cf. chapitre II. 50 Cf. infra, les développements sur le travail en prison.

Page 94: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

94

commet un crime, il sera jugé par la cour d'assises des mineurs mais pourra être soumis à un traitement pénitentiaire appliqué aux condamnés adultes. 72. Règle 85 (2) Les jeunes prévenus doivent être séparés des adultes. En principe, ils doivent être détenus dans des établissements distincts. Cette règle prend en compte la présomption d'innocence et met l'accent sur la nécessité de protéger les jeunes prévenus de l'influence potentiellement nuisible des détenus plus âgés. 73. Dans certains pays, on justifie le mélange des âges parmi les détenus en se référant à la vie à l'extérieur. Dans la pratique, le mélange permet aussi un certain contrôle des plus âgés sur les plus jeunes. En fait, ce mélange est problématique sinon condamnable, les jeunes détenus prenant les détenus endurcis dans le crime comme modèles et pouvant être victimes de brutalités voire d'asservissement de la part d'une population privilégiant des valeurs viriles sinon machistes. 74. Nul n'ignore que les jeunes détenus peuvent être victimes d'abus sexuels et même de tortures, en particulier quand ils sont mélangés avec des adultes. Dans certaines prisons, les mineurs sont contrôlés par un détenu adulte remplissant les fonctions de chef de groupe au sein d'une cellule. Ce système est à proscrire comme pouvant être source d'abus. Protection des détenus contre d'autres détenus 75. Dans certains systèmes pénitentiaires, les détenus sont répartis en trois groupes : victimes potentielles, agresseurs potentiels et neutres. Ce classement tient compte de divers critères : force physique, personnalité, tendances sexuelles et nature de l'infraction. Certains délits, particulièrement les abus sexuels commis sur des mineurs, entraînent la stigmatisation et le rejet du détenu et augmentent pour lui le risque d'être exposé à des violences. L'administration a le devoir de protéger ces détenus à l'égal de tous les autres. 76. Dans certains pays, les détenus vulnérables sont séparés dans leur propre intérêt. Ils sont souvent confinés dans des cellules comparables aux cellules de punition et n'accèdent que rarement ou jamais aux activités et avantages du régime de détention normal. Ce type de traitement peut être assimilé à une sanction51. 77. Les auteurs d'attentats à la pudeur étaient considérés jadis comme les détenus les plus exposés à la vindicte de leurs codétenus voire, dans certains pays, des agents pénitentiaires. D'autres groupes présentent aujourd'hui une vulnérabilité comparable : les détenus séropositifs, malades mentaux ou débiles. Formation de gangs 78. La formation de gangs rend certains détenus vulnérables, en particulier les jeunes et les détenus les plus démunis, qui peuvent être incités par des menaces à devenir toxicomanes et à se pouvoir en drogues auprès des gangs. La séparation des détenus vulnérables, une méthode à ne pas suivre 79. L'administration doit assurer positivement la protection des détenus vulnérables, ce qui ne signifie pas qu'elle doive les isoler des autres détenus, serait-ce sur leur demande. Cette solution peut produire les effets inverses de ceux escomptés, le détenu isolé étant facilement repérable. Il est préférable d'intégrer les détenus vulnérables à des groupes composés d'un petit nombre de personnes : de tels groupes sont mieux contrôlés et les détenus y sont considérés comme des personnes. Si la méthode peut difficilement être étendue à l'ensemble des détenus vulnérables, elle mérite d'être tentée à l'égard de quelques-uns d'entre eux. Bébés en prison 51 Cf. chapitre II.

Page 95: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

95

80. Ni les RMT ni les autres documents internationaux ne contiennent d'indication sur le traitement des bébés ou des jeunes enfants qui accompagnent leur mère en prison52. La garde d'enfants aussi jeunes crée un réel dilemme. Les intérêts des enfants doivent être prioritaires. Les liens avec la mère sont essentiels à un âge aussi précoce. Quand de petits enfants sont détenus avec leur mère, ils n'ont pas un statut de détenu et le régime qui leur est réservé doit tenir compte de cette constatation : ils doivent être soignés et éduqués comme peuvent l'être les enfants de leur âge dans la société civile. Si un bébé ou un petit enfant n'est pas emmené hors de la prison au moins chaque semaine pour être plongé dans le monde extérieur, son développement intellectuel et émotionnel peut être retardé et son adaptation à la société compromise. Formation professionnelle des surveillants 81. Tous les détenus, y compris les détenus vulnérables, ont besoin de programmes d'activités correspondant à leurs attentes : conseils et soins aux détenus séropositifs, assistance psychologique, éducation corrective et thérapies pour les délinquants sexuels, etc. Dans les cas extrêmes, leurs besoins ne peuvent pas être satisfaits en prison et exigent des traitements spécifiques distribués hors du cadre pénitentiaire. 82. Les surveillants doivent être formés aux relations distanciées avec tous les détenus, quels que soient leurs délits ou leurs handicaps, afin de ne jamais manifester à leur égard des attitudes de mépris ou des jugements moraux. Les activités en prison: associatives, constructives et ne visant pas à l'exploitation des détenus 83. Les RMT reconnaissent que l'inactivité et l'ennui sont parmi les pires conséquences de l'incarcération. Du fait de la surpopulation, caractéristique commune à un très grand nombre d'établissements, il importe que les détenus puissent trouver des activités qui leur permettent de sortir de leur cellule pendant la journée. 84. Les RMT exigent que les activités proposées soient les plus proches possibles de celles pratiquées à l'extérieur et que les détenus soient occupés le plus longtemps et le plus utilement possible à des activités considérées comme faisant partie intégrante de leur traitement. 85. Les RMT mettent en garde contre des activités de type mercantile où les détenus sont considérés comme une source à bon marché et abondante de main d’œuvre. Les RMT expriment une certaine méfiance à l'égard de systèmes visant à l’autosuffisance (de l'établissement) ou à la rentabilité (d'un type de production), elles condamnent les conditions de travail dangereuses et malsaines. Pour pallier ces excès ou ces carences, la prison doit être ouverte aux visites des inspecteurs du travail et de l'hygiène, de la sécurité et de la salubrité dans les ateliers, quand de tels agents sont en place dans le monde économique extérieur53. Travail en prison 86. Le travail est au cœur de la philosophie des systèmes pénitentiaires depuis au moins le XIXe siècle. Le travail constitue, traditionnellement, une des activités principales auxquelles se livrent les détenus. Il est cependant difficile, sinon impossible, d'assurer le plein emploi de l'ensemble de la population pénale. Règle 71 1) Le travail pénitentiaire ne doit pas avoir un caractère afflictif. 2)

52 Cf. chapitre III. 53 Cf. chapitre VIII.

Page 96: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

96

Tous les détenus condamnés sont soumis à l'obligation du travail, compte tenu de leur aptitude physique et mentale telle qu'elle sera déterminée par le médecin. 3) Il faut fournir aux détenus un travail productif suffisant pour les occuper pendant la durée normale d'une journée de travail. 4) Ce travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération. 5) Il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus qui sont à même d'en profiter et particulièrement aux jeunes. 6) Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle rationnelle et avec les exigences de l'administration et de la discipline pénitentiaire, les détenus doivent pouvoir choisir le genre de travail qu'ils désirent accomplir. 87. Le travail forcé est clairement interdit par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques : Nul ne sera astreint à un travail forcé ou obligatoire ” (article 8.3 a) : La seule dérogation admise est le travail forcé infligé à titre de peine par un tribunal compétent (article 8.3 b). En outre, l’article 1 (a) de la convention 105 de l'Organisation internationale du travail proscrit le travail forcé utilisé comme moyen de contrainte politique ou comme sanction infligée à des personnes poursuivies pour des délits d'opinion. 88. Ne doivent travailler que les détenus qui en sont capables, leur aptitude devant être, comme dans la société extérieure, attestée par un médecin qualifié qui peut être requis pour examiner les détenus lors de leur arrivée en prison. Si un détenu se plaint de maladie ou d'incapacité au travail, un médecin doit l'examiner et faire son rapport au directeur. Le rôle du médecin est, dans ce domaine, particulièrement délicat54. Journée normale de travail 89. Assurer en prison une journée normale de travail est un pari difficile à tenir sur le plan pratique. Cependant, dans la perspective de la resocialisation du détenu, il importe de rapprocher au maximum les conditions de travail en prison et à l'extérieur, ce qui n'est pas sans conséquence pour l'organisation du service des surveillants. 90. Il est rare que les détenus accomplissent une journée de travail “ normale ”, des activités comme l'enseignement ou d'autres formes d'éducation pouvant pallier le manque de travail et constituer une alternative souhaitable, le développement des aptitudes intellectuelles étant aussi indispensable au traitement des détenus que la satisfaction des besoins matériels. Le travail, un moyen de formation 91. Peu de détenus ont l'expérience d'un travail salarié antérieur et des aptitudes nécessaires leur manquent souvent. Quand le taux de chômage à l'extérieur est élevé et que le marché du travail n'offre que des emplois qualifiés, le séjour en prison peut être l'occasion d'acquérir une qualification. La formation professionnelle est importante pour le développement personnel, quand même elle n'offrirait pas la garantie d'un travail à l'extérieur. 54 Cf. chapitre IV.

Page 97: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

97

92. Les détenus peuvent être employés au service général de l'établissement. Ce type de travail doit constituer une expérience enrichissante et permettre le développement d'habitudes et d'aptitudes au travail, les tâches à effectuer soient-elles rudimentaires. Il faut, en toute occasion, relier le travail et la formation et permettre au détenu d'accéder à une qualification reconnue à l'extérieur. Par exemple, la cuisine et le lavage du linge sont des tâches confiées aux détenus dans presque tous les établissements. Elles peuvent être intégrées à une formation et assimilées à une expérience de travail, le détenu bénéficiant à l'occasion d'un certificat de travail ou d'aptitude qui peut lui être utile après sa libération. 93. L'accès à une formation professionnelle dépend de la disponibilité d'un personnel qualifié susceptible d'assurer un enseignement pratique et théorique. L'utilisation des équipements et des locaux doit être maximalisée de sorte que le plus grand nombre de détenus en profite. Les formations distribuées tiendront compte à la fois des personnels disponibles, de l'infrastructure de l'établissement et des offres du marché de l'emploi. 94. Exercer un choix est une façon insigne de prendre ses responsabilités. Or, en matière de travail, le choix est souvent extrêmement limité. Quand il existe réellement, les détenus doivent être impérativement consultés, afin de pouvoir choisir, en toute connaissance de cause, entre les options disponibles. A ce point de vue, le placement en travail à l'extérieur ou la semi-liberté doivent toujours être encouragés, ce type d'expérience professionnelle, proche des conditions de travail “ normales ”, favorisant sans conteste la resocialisation. Conditions de travail 95. Règle 72 1) L'organisation et les méthodes de travail pénitentiaire doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent un travail analogue hors de l'établissement, afin de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre. 2) Cependant, l'intérêt des détenus et de leur formation professionnelle ne doit pas être subordonné au désir de réaliser un bénéfice au moyen du travail pénitentiaire. La définition d'une vie de travail “ normale ” peut beaucoup varier d'un pays à l'autre. Quoi qu'il en soit, le travail des détenus doit être organisé en s'inspirant des règles en vigueur dans la société civile. 96. Le fait que certains détenus doivent frotter les planchers à genoux le chiffon à la main alors qu'à l'extérieur des balais ou des équipements plus modernes sont utilisés est condamnable, comme sont condamnables toutes les pratiques visant à allonger la durée du travail et à humilier le détenu. 97. Dans la pratique, le travail et la formation en prison peuvent échouer soit à cause d'un manque d'organisation, soit parce que le produit fabriqué est l'objet d'une demande insuffisante. Il existe pourtant des exemples d'ateliers pénitentiaires qui réalisent des bénéfices. Sans exclure le critère de rentabilité, les RMT donnent la priorité à la formation plutôt qu'à l'exploitation de la force de travail des détenus. Travail en régie ou géré par un entrepreneur privé 98. La règle 73 des RMT vise à prévenir les abus et à garantir une rémunération correcte aux détenus, une ambition rarement réalisée dans la pratique. Règle 73 1) Les industries et fermes pénitentiaires doivent de préférence être dirigées par l'administration et non par des entrepreneurs privés. 2) Lorsque les détenus sont utilisés pour des travaux qui ne sont pas contrôlés par l'administration, ils doivent toujours être placés sous la surveillance du personnel pénitentiaire. A moins que le

Page 98: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

98

travail ne soit accompli pour d'autres départements de l'Etat, les personnes auxquelles ce travail est fourni doivent payer à l'administration le salaire normal exigible pour ce travail, en tenant compte toutefois du rendement des détenus. 99. Les ateliers et fermes gérés par l'administration ont souvent fait la preuve de leur inefficacité, ce qui a conduit certains pays à faire appel à des entrepreneurs privés. Ceux-ci peuvent être amenés à abuser des travailleurs en prison. La Convention 29 de l'Organisation internationale du travail (Convention sur le travail forcé) interdit le travail en prison dès lors qu'il n'est pas organisé et contrôlé par une autorité publique ; le détenu ne doit pas être mis à la disposition de personnes, de sociétés ou d'associations privées. Lorsque des sociétés privées procurent du travail aux détenus, un contrôle rigoureux de l'Etat s'impose. Les détenus doivent pouvoir choisir de travailler ou non pour des entrepreneurs privés. 100. La règle 73 supprime les incitations financières pouvant pousser les entrepreneurs à exploiter le travail des détenus en imposant les conditions de rémunération d'un contrat de travail normal. Ce contrat doit être le plus précis possible. L'administration pénitentiaire doit être la garante de la clarté du contrat et du libre choix du détenu contractant. Sécurité au travail 101. Les exigences locales varient énormément en matière d'hygiène et de sécurité au travail. Avec l'aide d'experts chargés de l'inspection des ateliers pénitentiaires, les mêmes règles doivent s'appliquer en prison et à l'extérieur. Règle 70 1) Les précautions prescrites pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs libres doivent également être prises dans les établissements pénitentiaires. 2) Des dispositions doivent être prises pour indemniser les détenus pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, à des conditions égales à celles que la loi accorde aux travailleurs libres. 102. La protection des détenus-travailleurs est compliquée du fait de l'intervention d'entreprises privées. La question se pose alors de savoir si l'administration pénitentiaire est responsable pour des blessures causées au détenu employé par une société extérieure. Les choses sont encore plus compliquées si cette société est une compagnie multinationale. 103. Règle 75 1) Le nombre maximum d'heures de travail des détenus par jour et par semaine doit être fixé par la loi ou par un règlement administratif, compte tenu des règlements ou usages locaux suivis en ce qui concerne l'emploi des travailleurs libres. 2) Les heures ainsi fixées doivent laisser un jour de repos par semaine et suffisamment de temps pour l'instruction et les autres activités prévues pour le traitement et la réadaptation des détenus. Les RMT cherchent là encore à rapprocher les conditions de travail dans la prison de la législation et des conditions locales. Si, par exemple, les détenus doivent travailler en heures supplémentaires, leur taux sera élevé du même pourcentage qu'à l'extérieur. Il serait souhaitable par ailleurs que les inspecteurs et fonctionnaires chargés du contrôle des conditions de travail dans la société civile soient compétents pour le contrôle du travail en prison, comme c'est déjà le cas dans un certain nombre de pays. Rareté du travail, compensation et rémunération 104. Les occasions de travail offertes aux détenus dépendent des équipements et des ateliers disponibles. La rotation des équipes de travail peut permettre d'optimiser leur utilisation. En pratique, le temps de travail coïncide souvent avec celui des activités éducatives de telle sorte que les choix

Page 99: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

99

s'excluent mutuellement. Les RMT préconisent la réorganisation des programmes d'activités afin d'offrir aux détenus la possibilité de larges choix, ce qui ne va pas sans une remise en cause du service des surveillants. 105. Le niveau de salaire des détenus est souvent dérisoire, voire proche de zéro. Les RMT considèrent pourtant que c'est là une question importante. Règle 76 1) Le travail des détenus doit être rémunéré d'une façon équitable. 2) Le règlement doit permettre aux détenus d'utiliser au moins une partie de leur rémunération pour acheter des objets autorisés qui sont destinés à leur usage personnel et d'en envoyer une autre partie à leur famille. 3) Le règlement devrait prévoir également qu'une partie de la rémunération soit réservée par l'administration afin de constituer un pécule qui sera remis au détenu au moment de sa libération. 106. Les RMT suggèrent que la rémunération devrait permettre au détenu d'assurer son argent de poche, un soutien à sa famille, le reste lui permettant de faire des économies. Ce n'est quasiment jamais le cas, aussi l'administration est-elle dans l'obligation de procurer au détenu l'argent dont il aura besoin lors de sa libération, en particulier s'il n'a ni famille et ni lieu d'hébergement. Si les salaires des détenus sont comparables à ceux payés dans la société civile, les plaintes pour concurrence déloyale de la part des ouvriers libres seront moins justifiées et moins fréquentes. Au Brésil par exemple, certaines entreprises privées accordent des salaires identiques en prison et à l'extérieur. Les détenus doivent bénéficier, quand ils existent, des salaires minimum légaux, dont le montant doit apparaître sur le bulletins de paie de même que toute autre forme de rémunération ou d'allocation obtenue, à titre d'incitation, pour une participation à une activité scolaire, socioculturelle ou autre. 107. Les prisonnières et leurs familles souffrent plus que quiconque de la non application de ces règles ou de l'absence d'un travail rémunérateur : les femmes détenues peuvent être les soutiens de familles tombées dans l'indigence en leur absence. Les familles de ces femmes doivent être assistées et les détenues qui n'ont pas pu gagner de salaires décents pendant la durée de leur incarcération doivent être aidées matériellement et socialement lors de leur libération. Travail des prévenus 108. Les RMT s'intéressent presqu'exclusivement au travail des condamnés. Les règles 89 et 94 contiennent cependant quelques indications précieuses quant au travail des prévenus et des détenus pour dettes. Règle 89 La possibilité doit toujours être donnée au prévenu de travailler, mais il ne peut y être obligé. S'il travaille, il doit être rémunéré. La règle 94 recommande pour sa part que le traitement des détenus pour dettes ne doit pas être moins favorable que celui des prévenus, sous réserve toutefois de l'obligation éventuelle de travailler. 109. Dans la pratique, rares sont les prévenus qui peuvent travailler, les places étant réservées aux détenus soumis à l'obligation de le faire. Les prévenus sont donc très désavantagés en cette matière. 110. Le manque de travail ne doit pas entraîner le confinement des prévenus dans leurs cellules. La mise en place d'activités de remplacement en faveur des prévenus est souvent considérée comme inutile ou aléatoire par l'administration, en raison de l'impossibilité de prévoir la durée de leur incarcération. La conséquence, injustifiée, est que les prévenus supportent souvent les pires conditions de détention,

Page 100: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

100

l'inactivité s'ajoutant au confinement et à la promiscuité pendant parfois de très longues périodes. L'administration devrait élaborer des programmes d'activités sur le court terme, qui profitent à la fois aux condamnés à des peines légères et aux prévenus. Education et loisirs 111. Les activités socio-éducatives et culturelles entrent pour une part considérable dans le développement humain. Le droit pour les détenus de participer à des activités éducatives et culturelles est affirmé avec force dans le principe 6 des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus : Tous les détenus ont le droit de participer à des activités culturelles et de bénéficier d'un enseignement visant au plein épanouissement de la personnalité humaine. Les RMT ne sont pas en reste. Règle 77 1) Des dispositions doivent être prises pour développer l'instruction de tous les détenus capables d'en profiter, y compris l'instruction religieuse dans les pays où cela est possible. L'instruction des analphabètes et des jeunes détenus doit être obligatoire, et l'administration devra y veiller attentivement. 2) Dans la mesure du possible, l'instruction des détenus doit être coordonnée avec le système de l'instruction publique afin que ceux-ci puissent poursuivre leur formation sans difficulté après la libération. Règle 78 Pour le bien-être physique et mental des détenus, des activités récréatives et culturelles doivent être organisées dans tous les établissements. En matière d'éducation, le traitement pénitentiaire s'arc-boute sur les principes suivant : - l'éducation est importante pour l'épanouissement de l'individu et de la collectivité ; - l'éducation est un moyen d'humaniser les conditions de vie au sein de la prison ; - l'éducation favorise la resocialisation ; - l'éducation vient combler de nombreux besoins au sein de la population pénale. L'enseignement en prison : mutualiste ou institutionnel, mais toujours volontaire 112. La distinction entre enseignement et éducation n'a pas grande signification sur le plan pratique en milieu pénitentiaire. En prison, le mot “ éducation ” doit être pris au sens large. Beaucoup de détenus n'ont reçu que des bribes d'éducation et il faut leur inculquer les notions de base. Aussi doit-on faire flèche de tout bois, et utiliser par exemple les détenus les plus instruits pour initier ou parfaire l'éducation de leurs camarades, une méthode ayant pour bénéfice secondaire de remettre en cause le clivage traditionnel entre détenus assistés et surveillants assistant. 113. Ainsi, dans les établissements particulièrement démunis en matière de ressources éducatives institutionnelles, les détenus qui savent lire pourront expliquer à leurs codétenus illettrés ou analphabètes le contenu des règles et règlements de l'établissement, ainsi que celui des RMT. Mais la formation d'adultes et d'illettrés ne se prête pas à l'improvisation, en particulier à destination de détenus qui ont, pour nombre d'entre eux, gardé un mauvais souvenir de leur passage dans les écoles et collèges. D'où le besoin d'une motivation spéciale de leur part pour participer à des cours de rattrapage dispensés par des enseignants compétents qui leur permettront de restaurer leur amour-propre et d'amorcer un retour confiant dans la société. Besoins spéciaux

Page 101: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

101

114. Les détenus sont considérés dans les RMT comme des individus qui continuent de participer à la vie sociale. La transition avec la vie à l'extérieur sera facilitée si l'enseignement et les activités inaugurés par les détenus en prison peuvent se poursuivre après leur libération. Le passage de la prison à la vie libre sera encore facilité si certaines activités du traitement pénitentiaire se déroulent à l'extérieur, ou si des gens de l'extérieur viennent participer aux activités organisées en prison. Les détenus devraient, toutes les fois que les conditions de sécurité et de sûreté sont réunies, être autorisés à suivre des enseignements et à participer à des activités organisés en-dehors de l'établissement. 115. Il est important de pourvoir aux besoins des détenus ayant des difficultés spécifiques, en particulier ceux qui ne parlent pas la langue du pays et ceux qui souffrent de troubles mentaux ou autres. La formation à la vie en société et l'apprentissage des habitudes sociales constituent des aspects importants de l'éducation et peuvent concerner un nombre important de détenus55. Bibliothèque: gestion et valeur éducative 116. Les bibliothèques des prisons ont aussi un rôle à jouer dans l'amélioration des relations des détenus avec la société. En coopération avec les bibliothèques publiques, elles peuvent aider à procurer aux détenus des activités éducatives et de loisir répondant à leurs centres d'intérêt, à leurs besoins et à leurs capacités. La règle 40 des RMT doit être interprétée dans ce sens : Chaque établissement doit avoir une bibliothèque à l'usage de toutes les catégories de détenus et suffisamment pourvue de livres instructifs et récréatifs. Les détenus doivent être encouragés à l'utiliser le plus possible. Dans la pratique, les bibliothèques de prison sont souvent très limitées en espace et en choix d'ouvrages et sont peu accessibles aux détenus. Le préjugé subsiste que les détenus n'utiliseront pas ou ne pourront pas utiliser la bibliothèque, soit qu'ils sont illettrés, soit qu'ils n'y trouvent aucun intérêt. D'où l'excuse d'une bibliothèque peu fournie. Cette position est indéfendable, l'approvisionnement en livres doit aller de pair avec les programmes éducatifs, l'un et l'autre constituant des moyens incomparables pour les détenus d'utiliser avec profit le temps de leur enfermement. 117. Les bibliothèques doivent posséder un fonds documentaire consacré aux règles et règlements de la prison et à tous les ouvrages et codes afférents aux droits des détenus, y compris ceux décrits dans les RMT. 118. Les bibliothèques ne se résument pas à une collection de livres ; elles sont animées par un personnel qualifié (il peut s'agir parfois d'un bibliothécaire de l'extérieur, bénévole ou rémunéré) qui peut apporter aux détenus des informations, des explications et des conseils. 119. Les bibliothèques de prison ne peuvent généralement pas offrir un choix exhaustif de livres. D'où la nécessité qu'elles soient en relation avec des organismes extérieurs susceptibles de procurer aux détenus le choix de livres le plus étendu possible. 120. Les bibliothèques de prison doivent pouvoir combler les besoins des détenus étrangers. Leur personnel doit se tenir informé de la composition par nationalités de la population pénale et satisfaire ses différents besoins grâce une fois encore à l'établissement de relations avec les centres et bibliothèques spécialisés. 121. Règle 90 Tout prévenu doit être autorisé à se procurer, à ses frais ou aux frais de tiers, des livres, des journaux, le matériel nécessaire pour écrire, ainsi que d'autres moyens d'occupation, dans les limites compatibles avec l'intérêt de l'administration de la justice et avec la sécurité et le bon ordre de l'établissement. Cette disposition, qui met en relief le statut juridique spécial des prévenus, ne doit pas fournir à l'administration un faux fuyant lui permettant d'empêcher les prévenus de participer aux activités culturelles ou de fréquenter la bibliothèque. Les prévenus ont des besoins spécifiques en matière d'accès 55 Cf. supra, les programmes thérapeutiques.

Page 102: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

102

à l'information, en particulier juridique. L'administration a l'obligation de fournir ce type d'information, qui doit être à la fois précise, à jour des lois et textes juridiques récents, et abordable dans les principales langues parlées par la population pénale. Loisirs et sports 122. Dans la vie courante, l'individu participe à d'autres activités que l'éducation et le travail ; il doit en être de même en prison, les activités de loisirs participant de surcroît d'une manière notable au bien-être des détenus. La règle 78 est complétée sur ce point par La règle 21. Règle 21 1) Chaque détenu qui n'est pas occupé à un travail en plein air doit avoir, si le temps le permet, une heure au moins par jour d'exercice physique approprié en plein air. 2) Les jeunes détenus et les autres détenus dont l'âge et la condition physique le permettent doivent recevoir pendant la période réservée à l'exercice une éducation physique et récréative. A cet effet, le terrain, les installations et l'équipement devraient être mis à leur disposition. La règle 21 donne l'impression que les détenus sont obligés de participer à un sport ou un entraînement. Si effectivement les détenus ne sont pas complètement libres de prendre part ou de refuser de prendre part à une activité sportive, en cas de refus de leur part, les surveillants devront se contenter de tenter de les inciter à le faire. Le recours à la voie disciplinaire ne serait, en tout état de cause, ni raisonnable ni éducatif. 123. Les RMT insistent sur l'importance du temps passé en plein air pour tous les détenus. Elles reconnaissent par ailleurs que les jeunes détenus ont des besoins particuliers, en partie parce qu'ils se développent physiquement et en partie parce que l'exercice est pour eux un moyen important de relâcher la tension et de se vider de leur considérable excès d'énergie mentale et physique. Il est ici sous-entendu que les contraintes de l'emprisonnement pèsent particulièrement sur les jeunes détenus. 124. Beaucoup d'institutions pénitentiaires, de jeunes détenus comme d'adultes, accordent aux exercices physiques et au sport une place considérable, dans le but en particulier de soulager de la tension provoquée par l'incarcération. La mise à disposition d'équipements sportifs et récréatifs ne doit pas être une charge excessive pour les prisons. L'accès à l'air libre est important, mais un ballon peut suffire à organiser un loisir et à concentrer les exercices de tout un groupe de détenus. Une activité de ce genre est utile pour la santé des détenus et permet d'améliorer les relations humaines au sein de la prison, en particulier si elle réunit détenus et surveillants. 125. La jurisprudence confirme les droits des détenus en matière d'exercices physiques et de plein air. A l'occasion d'un cas évoqué devant lui le 27 juillet 1992, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a soutenu qu'un laps de temps de seulement 5 minutes par 24 heures octroyé à un détenu pour pratiquer à titre hygiénique un exercice de plein air constitue une violation du droit du détenu à être traité avec humanité et dignité (Art. 10 CCPR/Parkanyi contre Hongrie). Dans le cas de Conjwayo contre le ministère de la Justice, des Affaires légales et parlementaires et Anor, la Cour suprême de Harare a, les 24 janvier et 21 février 1991, mis en avant les droits des détenus à des exercices physiques à l'air libre (Voir les recommandations sur le sport en prison du Conseil international des activités sportives). Relations sociales et préparation à la sortie 126. Les RMT évoquent les relations du détenu avec l'extérieur et son avenir après sa libération alors qu'on parlerait aujourd'hui de préparation à la sortie. Celle-ci ne commence pas après la libération, c'est un processus continu inauguré avec la condamnation. Règle 79

Page 103: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

103

Une attention particulière doit être apportée au maintien et à l'amélioration des relations entre le détenu et sa famille, lorsque celles-ci sont désirables dans l'intérêt des deux parties. Règle 80 Il faut tenir compte, dès le début de la condamnation, de l'avenir du détenu après sa libération. Celui-ci doit être encouragé à maintenir ou à établir des relations avec des personnes ou des organismes de l'extérieur qui puissent favoriser les intérêts de sa famille ainsi que sa propre réadaptation sociale. 127. L'importance des liens familiaux et des autres relations avec l'extérieur a été soulignée dans le chapitre V. L'accent est mis ici sur l'importance du rôle de la famille et d'autres types de relations extérieures pour le développement personnel du détenu, compte tenu de ses perspectives de resocialisation. Un des facteurs les plus décisifs en faveur de la non récidive consiste dans la stabilité des relations familiales. Afin de préserver cette stabilité aussi bien que pour des raisons humanitaires, il importe de réduire la tension et les effets nuisibles conséquents à l'emprisonnement, lesquels ne peuvent manquer d'influer négativement sur les relations du détenu avec l'extérieur. 128. L'expression “ relations désirables ” (paragraphe 126, règle 79) renvoie à une conception qui peut apparaître aujourd'hui comme assez paternaliste. C'est l'affaire de chaque détenu de développer des relations personnelles, que ce soit avec sa famille ou ses amis. Une interférence dans ce domaine produit souvent l'effet contraire à celui désiré, alors qu'un conseil donné au détenu par un membre de sa famille peut s'avérer d'une grande utilité dès lors que le détenu l'a sollicité. 129. Dans les cas extrêmes, quand par exemple le détenu a commis un attentat à la pudeur sur un membre de sa famille, l'administration peut faire appel à la médiation d'un personnel spécialisé, encore qu'il ne serait pas réaliste d'espérer par ce biais une transformation fondamentale de la dynamique familiale. Ce type d'intervention ne devrait être sollicité que dans des cas vraiment exceptionnels. Quand la sécurité d'un enfant est menacée, quand le droit de visite ou de garde d'un enfant est en cause, l'administration devrait se garder de prendre parti ou d'agir au bénéfice d'une partie. 130. Les RMT insistent à juste titre sur le fait que la préparation à la libération est un long processus qui commence dès le début de la peine. La meilleure chance de resocialisation dépend d'une préparation soigneuse et d'une continuité dans les contacts avec l'extérieur. La libération est une expérience heureuse mais traumatisante pour le détenu et pour sa famille : les personnes ont changé dans l'intervalle de la durée de l'emprisonnement, les places occupées par chacun dans l'univers familial se sont modifiées, les relations interpersonnelles ont évolué. Le maintien de relations pendant tout le temps de l'emprisonnement permet d'aborder ces évolutions et ces ruptures avec plus de sérénité. 131. Règle 81 1) Les services et organismes, officiels ou non, qui aident les détenus libérés à retrouver leur place dans la société doivent, dans la mesure du possible, procurer aux détenus libérés les documents et pièces d'identité nécessaires, leur assurer un logement, du travail, des vêtements convenables et appropriés au climat et à la saison, ainsi que les moyens nécessaires pour arriver à destination et pour subsister pendant la période qui suit immédiatement la libération. 2) Les représentants agréés de ces organismes doivent avoir accès à l'établissement et auprès des détenus. Leur avis sur les projets de reclassement d'un détenu doit être demandé dès le début de la condamnation. 3) Il est désirable que l'activité de ces organismes soit autant que possible centralisée ou coordonnée, afin qu'on puisse assurer la meilleure utilisation de leurs efforts.

Page 104: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

104

Les RMT portent une particulière attention aux aspects pratiques de la sortie. Certains détenus ont une famille ou des amis capables de les accueillir, tandis que d'autres sont seuls au monde. L'administration pénitentiaire a la responsabilité de veiller à ce qu'aucun détenu ne soit jeté hors de la prison sans moyens de survivre. Le coût d'une assistance postpénale est faible comparé au coût occasionné par une récidive rendue presque nécessaire par l'état de pauvreté et de solitude d'un libéré. Les Comités de probation et d'assistance aux libérés (CPAL) et la resocialisation des détenus 132. La collectivité doit être associée à la resocialisation des détenus libérés, avec l'aide d'organismes non gouvernementaux qui se consacrent à cette tâche. L'administration pénitentiaire doit pour sa part se doter de services spécialisés dans l'assistance aux libérés (CPAL). Les RMT considèrent, on vient de le dire, que la mission de tels services commence en prison. 133. Permettre aux travailleurs sociaux de ces services d'accéder librement aux détenus constitue le meilleur moyen d'améliorer les perspectives de resocialisation de ces derniers. Trop souvent, cette intervention ne se produit que dans les derniers temps de l'incarcération, quand il est trop tard pour poser les jalons d'un futur traitement postpénal.

Page 105: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

105

Chapitre VII LE PERSONNEL PENITENTIAIRE Introduction 1. Chaque prison doit être dotée d'un personnel pénitentiaire hautement qualifié. La règle 46 (1) le souligne, c'est de son intégrité, de son humanité, de son aptitude personnelle et de ses capacités professionnelles que dépend une bonne gestion des établissements pénitentiaires. Ce personnel doit s'occuper des besoins des détenus avec lesquels il entretient des contacts quotidiens, il est responsable du bon fonctionnement de la prison ainsi que de la sécurité et de la sûreté, il doit identifier les problèmes et y faire face. Une prison est un microcosme de la société, ses habitants sont en état permanent d'interdépendance - une situation qu'aggrave la répartition très inégale des pouvoirs en son sein. Les détenus ont très peu la parole, ils dépendent des autres détenus et du personnel pour leurs besoins, leur nourriture, le travail et toutes les petites choses de la vie de tous les jours. Une ambiance détendue propice à l'optimisme 2. Les relations entre les détenus sont complexes et ne peuvent être influencées qu'indirectement. Plus la vie en prison est difficile et plus les détenus développent des aptitudes à survivre et à se battre chacun pour soi. Le rôle - et l'intérêt - des agents est d'encourager de bonnes relations entre les détenus, les uns et les autres recueillant les fruits d'une atmosphère sereine. Des surveillants conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités feront tout ce qu'ils peuvent pour, d'une part, entretenir de saines relations avec les détenus et, d'autre part, favoriser un climat de tolérance au sein de la population pénale. Les surveillants auront à cœur de tenter, dans la mesure du possible, de faire accepter leur peine aux détenus, ceci dans l'intérêt de la sécurité de l'établissement. Des détenus qui acceptent d'assumer leur privation de liberté seront plus enclins à s'accommoder de leurs conditions de détention et à vivre en bon voisinage avec leurs compagnons de prison et les surveillants ; ils seront moins enclins à se rebeller contre les surveillants ou à agresser leurs codétenus. Les surveillants veilleront de leur côté à leur propre sûreté et à celle de leurs collègues, la solidarité étant la seule garantie de l'exercice serein et efficace d'une tâche ô combien difficile. 3. Assurer des conditions de vie décentes et développer une politique pénitentiaire axée sur le long terme constituent des orientations fondamentales, non seulement pour les détenus, les agents pénitentiaires et les responsables administratifs et politiques, mais aussi pour la société dans son ensemble, au sein de laquelle la grande majorité des détenus sont appelés à reprendre place un jour. Tout doit être mis en œuvre pour préparer ce retour dans les meilleures conditions possibles. Qualités personnelles et besoins de formation 4. Les RMT ne s'intéressent qu'aux qualités professionnelles des agents et restent floues sur l'organisation et les méthodes de travail. On peut le comprendre, cette organisation et ces méthodes devant être assez souples pour s'adapter à l'évolution des conceptions en matière de traitement pénitentiaire. Certaines notions de base méritent néanmoins qu'on s'y attarde : il n'est pas admissible qu'une prison, si ancienne soit-elle, puisse être gérée suivant des conceptions et des méthodes dépassées par rapport à l'état de la société et de la civilisation contemporaines. 5. La qualité et les conditions de travail du personnel sont déterminées par un certain nombre de facteurs que l'on examinera successivement : - organisation ; - recrutement et formation initiale ; - compétence et aptitudes professionnelles ; - service et statut ; - personnel spécialisé ; - emploi de la force ; - personnel féminin ; - attributions du directeur.

Page 106: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

106

Organisation 6. Les RMT “ n'ont pas pour objet de décrire en détail un système pénitentiaire modèle ” (règle 1). L'organisation d'une prison doit cependant prendre en compte les exigences posées explicitement ou implicitement par les RMT et ses principales modalités de fonctionnement doivent en être déduites. 7. En tant qu'organisation, une prison constitue un sous-ensemble d'un complexe plus grand représenté généralement par le ministère de la Justice ou celui de l'Intérieur. L'administration centrale responsable s'appuie sur la loi pour formuler des règles qui permettent de discerner sans ambiguïté l'objectif de la prison. Ces règles doivent déterminer au minimum les principales mesures de sécurité (externe) et de sûreté (interne, affectant les interactions entre détenus et surveillants), les dispositions à prendre pour atténuer les différences entre la société libre et la prison et celles permettant de promouvoir la resocialisation des détenus. Le niveau local : contrôle et direction 8. Il ne suffit pas que les règles reposent sur une base légale, il est au moins aussi important de s'assurer qu'elles sont effectivement appliquées. Au plan national doit être mise en place une inspection indépendante, comme le recommande La règle 5556. Mais il est très souhaitable que des mesures de contrôle existent aussi au plan local, au travers par exemple de commissions de surveillance chargées d'assurer en toute indépendance l'inspection complète et approfondie d'un établissement particulier. La tâche de la commission doit consister en visites fréquentes - annoncées ou non - de l'établissement ; les membres de la commission doivent pouvoir interroger librement et régulièrement le directeur, les membres du personnel et les détenus ; ils publient des rapports d'observation périodiques, enquêtent et prennent toute mesure appropriée à l'occasion de plaintes, en référant à l'occasion à l'administration centrale. Les membres - bénévoles - de la commission de surveillance, parmi lesquels il est souhaitable de compter un juriste, un médecin et un homme d'église, ne doivent dépendre ni de la prison ni du ministère. 9. Une prison est une organisation hiérarchisée avec à sa tête un directeur, dont la mission consiste à traduire la législation et les directives ministérielles en politique d'établissement comportant un certain nombre d'objectifs. Ces objectifs doivent être portés à la connaissance de l'ensemble du personnel de l'établissement. Ce personnel doit être utilisé au maximum de ses compétences et de sa disponibilité, de manière à atteindre les objectifs préalablement fixés ; il doit bénéficier de la marge de manœuvre lui permettant de définir ses propres méthodes, tout en demeurant responsable devant le directeur. Sauf quand il s'agit d'une prison militaire, le personnel pénitentiaire ne devrait pas être doté d'une organisation militaire, laquelle constitue un obstacle à la manifestation de responsabilités et d'initiatives individuelles. Conditions d'un travail professionnel 10. Les diverses fonctions exercées en prison doivent être clairement définies, tant au niveau des pouvoirs que des obligations imparties à chaque membre du personnel. Il faut aussi que soit précisée la responsabilité de chacun : qui fait quoi et qui contrôle qui. Plus un agent est qualifié sur le plan professionnel et plus il doit disposer d'autonomie dans la prise de décisions. Des réunions du personnel, dirigées par les chefs de service ou d'unité, doivent être organisées dans le but d'améliorer le travail et la sûreté de chacun. Elles doivent être l'occasion d'échanges d'informations et permettre d'améliorer les relations avec les détenus, de mieux cerner les problèmes rencontrés par chaque agent et de prendre du recul par rapport à la gestion de la vie en détention. La mission d'un chef de service ou d'unité consiste, sous l'impulsion de la direction, à optimiser les conditions de travail des surveillants dans le respect des intérêts des détenus. Les règles doivent être formulées par écrit et portées à la connaissance aussi bien des surveillants que des détenus. Elles doivent s'intéresser aux procédures à suivre en cas de plaintes. Recrutement et formation initiale 11. Règle 47 1) 56 Cf. supra, chapitre VIII.

Page 107: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

107

Le personnel doit être d'un niveau intellectuel suffisant. 2) Il doit suivre, avant d'entrer en service, un cours de formation générale et spéciale et satisfaire à des épreuves d'ordre théorique et pratique. 3) Après son entrée en service et au cours de sa carrière, le personnel devra maintenir et améliorer ses connaissances et sa capacité professionnelle en suivant des cours de perfectionnement qui seront organisés périodiquement. Le travail du personnel pénitentiaire est difficile. On attend des agents qu'ils assurent, d'un côté, un haut niveau de sécurité et de sûreté, et de l'autre qu'ils aient constamment présente à l'esprit l'idée que les détenus sont appelés à réintégrer, à plus ou moins longue échéance, les rangs de la société. Les prisons peuvent être des foyers de tension, d'explosions de violence de la part de détenus indignés de leur situation. Les victimes peuvent alors être aussi bien des surveillants que d'autres détenus. Mieux les surveillants seront formés, plus aptes ils seront à identifier les problèmes et les dangers et à prendre dans les meilleurs délais les mesures susceptibles de réduire les risques. Les agents doivent être ouverts et attentifs, fins observateurs et capables de nouer de bons contacts avec les détenus. Ces qualités doivent constituer les principaux critères de sélection du personnel : les surveillants doivent être autant attentifs à la sécurité qu'aux besoins des détenus. Les individus qui voudraient entrer dans l'administration pénitentiaire pour assouvir leur besoin de vengeance en infligeant des punitions supplémentaires aux détenus n'y ont pas leur place. Les détenus sont punis par l'emprisonnement en tant que tel, rien de plus. Les exigences sont évidemment tout autres en matière de recrutement de personnel administratif ou technique : il est demandé à ce type d'agents une compétence professionnelle qui permette d'atteindre certains objectifs spécifiques dans la gestion de l'établissement. 12. Tous les agents doivent posséder un certain niveau d'intelligence et de formation, dont l'administration doit s'assurer grâce à un entretien et si possible à des tests psychologiques précédant l'embauche. Des aptitudes aux relations humaines sont aussi nécessaires, la prison étant un milieu où doit être maintenu en permanence un équilibre délicat entre les divers groupes ou individus qui sont amenés à y cohabiter. Ces exigences dans le recrutement sont valables pour le personnel chargé des transferts et des extractions, qui doit être particulièrement sensible à la tension ressentie par les détenus lors de tels événements. 13. Un élève surveillant doit suivre des cours de formation générale, qui permettent de le rendre polyvalent et soient l'occasion d'analyser ses réactions. Cette formation doit être complétée par un enseignement plus spécifique, adapté aux exigences de la future affectation ; cet enseignement devrait être commun à tous les personnels en fonction dans des établissements comparables. Enfin, des cours de perfectionnement doivent être distribués aux agents remplissant certaines tâches spécifiques. L'administration doit avoir pleine conscience de l'importance d'une bonne formation du personnel et faire bénéficier les agents de l'opportunité de suivre des formations gratuites pendant les heures de service. Thèmes de formation 14. Le contenu minimum de la formation devrait être le suivant : DROIT - la constitution, le code pénal, le code de procédure pénale, et les principaux textes réglementaires s'appliquant aux prisons ; - les RMT et les documents de droit international qui s'y rattachent ; - les droits de l’homme et leur application au sein des prisons ; RELATIONS HUMAINES - la criminologie, les bases du comportement criminel ; - l'aptitude aux relations sociales ;

Page 108: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

108

- la psychologie des détenus suicidaires ; - l'attitude face aux détenus violents et l'usage approprié de la force ; - les aptitudes physiques, l’autodéfense ; - l'aide et le conseil aux détenus ; - la psychologie des détenus ; SANTE - la connaissance et la compréhension des maladies transmissibles ; - les premiers secours ; - l’éducation sanitaire ; FORMATION CULTURELLE - la connaissance des langues parlées ou comprises par un nombre important de détenus ; - la connaissance de la culture et des croyances des personnes qui sont souvent détenues ; pour le personnel en contact avec les détenus MALADES MENTAUX - des rudiments de psychiatrie ; pour les postes en contact avec les MINEURS ET LES JEUNES ADULTES - le développement de l'enfant et de l'adolescent ; GARDE - la connaissance de l'administration locale et de ses objectifs ; - la connaissance de l'organisation du ministère et des relations qu'il entretient avec l'établissement ; et si besoin est : - formation au maniement des armes à feu des surveillants chargés de la sécurité périphérique (qui ne sont pas en contact direct avec les détenus) ; - formation à la pratique des fouilles, y compris des fouilles à corps. 15. La formation doit être confiée à des organismes spécialisés, bénéficier du conseil d'universitaires et s'appuyer sur les connaissances et l'expérience d'agents chevronnés. Elle devrait être couronnée par des examens. La promotion interne devrait dépendre jusqu'à un certain point des résultats obtenus à l'issue de cette formation. Aptitudes professionnelles 16. Règle 46 1) L'administration pénitentiaire doit choisir avec soin le personnel de tout grade, car c'est de son intégrité, de son humanité, de son aptitude personnelle et de ses capacités professionnelles que dépend une bonne gestion des établissements pénitentiaires. 2) L'administration pénitentiaire doit s'efforcer constamment d'éveiller et de maintenir dans l'esprit du personnel et de l'opinion publique la conviction que cette mission est un service social d'une grande importance ; à cet effet, tous les moyens appropriés pour éclairer le public devraient être utilisés. Règle 48 Tous les membres du personnel doivent en toute circonstance se conduire et accomplir leur tâche de telle manière que leur exemple ait une bonne influence sur les détenus et suscite leur respect. Règle 51 1)

Page 109: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

109

Le directeur, son adjoint et la majorité des autres membres du personnel de l'établissement doivent parler la langue de la plupart des détenus, ou une langue comprise par la plupart de ceux-ci. 2) On doit recourir aux services d'un interprète chaque fois que cela est nécessaire. Le personnel pénitentiaire doit être sélectionné sur la base d'un niveau de qualification élevé, alors qu'on pourrait considérer qu'un individu de niveau intellectuel moyen est assez bon pour travailler en prison. La sélection doit tenir compte des compétences et du comportement de chaque candidat. Un surveillant doit être au moins capable de lire, d'écrire et de bien s'exprimer dans la langue parlée par la majorité des détenus. En outre, les candidats doivent avoir le profil humain que nous avons esquissé auparavant. Le personnel doit comprendre, autant que possible, des représentants des groupes ethniques minoritaires dans le pays mais qui peuvent être sur-représentés au sein de la population pénale. Ces agents seront mieux à même d'entretenir de bons rapports avec les détenus de la même origine culturelle que la leur. Opinion et attitude du personnel vis-à-vis des détenus et de la prison 17. Le personnel pénitentiaire doit comprendre et accepter l'existence de la prison, il doit considérer que la peine consiste dans l'enfermement en tant que tel et qu'aucune souffrance ne doit y être ajoutée. Il doit aussi reconnaître que le gouvernement peut et doit imposer des mesures assurant le respect et la sécurité des citoyens. Un agent pénitentiaire doit admettre le pouvoir de l'Etat tout en étant attaché à l’extrême importance des jugements rendus par un pouvoir judiciaire indépendant et susceptible de contester les actes du pouvoir exécutif. 18. Un agent pénitentiaire doit surtout considérer les détenus comme des êtres humains à part entière qui doivent être traités avec équité. Il lui appartient d'aider les détenus au mieux mais dans les limites du raisonnable. Cette fonction d'assistance peut être évidemment suspendue si les détenus font fi des règlements de la prison, ne recherchent plus que leur propre avantage, défient l'autorité des agents ou tentent de s'évader. Les agents doivent, dans tous ces cas de figure, signifier aux détenus concernés que leur attitude est négative, qu'elle détériore les relations de convivialité au sein de l'établissement et qu'elle contrarie le pronostic de resocialisation. Les détenus devraient disposer de leurs propres méthodes pour appréhender et traiter leurs problèmes, mais la coopération entre les deux groupes - agents et détenus - est irremplaçable. Les surveillants et les détenus sont condamnés à vivre ensemble, coûte que coûte. Les qualités requises en matière de relations d'un agent avec les détenus sont : l'honnêteté, la conscience professionnelle, l'assistance aux détenus, l'égale considération accordée à chacun et le besoin d'innovation et de progrès. Chaque membre du personnel doit savoir que de la façon dont il traite les détenus dépendent le comportement des collègues qui prendront sa relève et plus généralement les rapports mutuels des surveillants et des détenus. Une relation personnelle est positive dès lors qu'elle met en avant les qualités d'une personne et combat ses mauvais penchants. Le rôle de modèle qui est attendu de chaque agent influence favorablement les relations de travail au sein de l'établissement et contribue efficacement à atteindre l'objectif de resocialisation. L'organisation du service et le statut 19. Règle 46 (3) Afin que les buts précités puissent être réalisés, les membres du personnel doivent être employés à plein temps en qualité de fonctionnaires pénitentiaires de profession, ils doivent posséder le statut des agents de l'Etat et être assurés en conséquence d'une sécurité d'emploi ne dépendant que de leur bonne conduite, de l'efficacité de leur travail et de leur aptitude physique. La rémunération doit être suffisante pour qu'on puisse recruter et maintenir en service des hommes et des femmes capables ; les avantages de la carrière et les conditions de service doivent être déterminés en tenant compte de la nature pénible du travail.

Page 110: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

110

Le travail en prison exige un personnel nombreux. La tension qui y règne est éprouvante et il va sans dire qu'un travail aussi difficile et prenant doit être correctement rémunéré et accompli suivant un emploi du temps ménageant des périodes de repos compensatoire importantes. Le personnel devrait disposer de locaux décents qui, en tout état de cause, ne devraient jamais être d'une qualité inférieure à ceux dont disposent les détenus. Chaque fois que possible, l'administration doit procurer aux agents des salles de repos et un mess et leur offrir l'accès gratuit à un gymnase et à une bibliothèque. Conditions de travail 20. Un contrat de travail doit déterminer les tâches à accomplir ainsi que le nombre d'heures de travail, l'horaire ne devant jamais dépasser 50 heures par semaine. Il revient à l'administration d'assurer de bonnes conditions de travail, au sein d'un établissement adapté et bien entretenu, offrant également de bonnes conditions de sécurité et de sûreté (y compris dans les cas d'urgence) et où règne une ambiance agréable. Salaires 21. Le montant du salaire est important à plus d'un égard. Un personnel bien payé aura à cœur d'accomplir correctement ses fonctions, ce qui diminuera les risques d'évasion, réduira la tension et incitera les détenus à se conformer au règlement. Il est difficile, étant donné des niveaux de vie très différents d'un pays à un autre, de chiffrer un niveau de salaire correct. Disons de manière approximative que le personnel doit disposer de revenus lui permettant de mener une vie matérielle décente sans recourir à l'appoint du travail au noir et sans être tenté par la corruption, laquelle est source de moult dérèglements : passage dans l'illégalité, injustice, peur, incertitude, insécurité, révolte, sans compter les menaces qui peuvent peser sur la vie des individus impliqués dans les trafics. Suppression du secret 22. Le travail en prison est, en règle générale, ignoré du grand public, compte tenu de l'hermétisme des établissements pénitentiaires par rapport à leur environnement. D'où les fausses informations et les fantasmes que la prison occasionne dans l'opinion publique, laquelle a tendance à considérer que les détenus sont de grands coupables qui méritent d'être jetés au fond d'oubliettes pour des laps de temps considérables. 23. Un bon service pénitentiaire n'a rien à cacher. Gérer des établissements accueillant plusieurs centaines de détenus n'est pas une tâche facile. Il y faut une administration centrale bien informée et bien rodée, des autorités compétentes à tous les niveaux de responsabilité et un personnel de base motivé. Le contenu des missions et la nature des pratiques de l'administration pénitentiaire ne sont pas simples à exposer concrètement au grand public. Les détenus passent souvent beaucoup d'années en prison, ce qui ne les empêche pas de récidiver après leur libération. Une personne extérieure et mal informée peut être tentée de croire que les agents pénitentiaires font mal leur travail. Cette mentalité peut être changée si l'administration communique largement avec l'extérieur, informant l'opinion des missions du personnel, des conditions de vie des détenus et des moyens mis en œuvre en vue de favoriser leur resocialisation. Evolution des carrières 24. Il est souhaitable que les agents changent régulièrement de fonctions. Des possibilités d'échange, au moyen par exemple de détachements, devraient être organisées avec d'autres administrations, celles chargées de l'assistance et de la protection de l'enfance ou des soins prodigués aux malades mentaux par exemple. L'objectif de base est d'éviter que le personnel s'ennuie et se décourage, chaque institution profitant par ailleurs de l'apport d'un personnel frais mais doté d'une expérience acquise dans un domaine professionnel apparenté. De tels échanges doivent être pratiqués en priorité au sein de l'administration pénitentiaire elle-même, les pratiques pouvant être complémentaires d'un établissement à l'autre. Les échanges internationaux constituent naturellement une option, encore que des considérations pratiques risquent de les limiter très sérieusement. Problèmes sexuels

Page 111: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

111

25. Règle 53 1) Dans un établissement mixte, la section des femmes doit être placée sous la direction d'un fonctionnaire féminin responsable qui doit avoir la garde de toutes les clefs de cette section de l'établissement. 2) Aucun fonctionnaire du sexe masculin ne doit pénétrer dans la section des femmes sans être accompagné d'un membre féminin du personnel. 3) Seuls des fonctionnaires féminins doivent assurer la surveillance des femmes détenues. Ceci n'exclut pas cependant que, pour des raisons professionnelles, des fonctionnaires du sexe masculin, notamment des médecins et des instituteurs, exercent leurs fonctions dans les établissements ou sections réservés aux femmes. Les RMT recommandent une ségrégation presque complète entre les sexes. Cette ségrégation continue d'être pratiquée dans certains pays alors que d'autres la considèrent comme périmée, les femmes ayant conquis la reconnaissance de leurs droits sur le marché du travail, ce qui se traduit par l'occupation de postes de surveillantes et même de directrices au sein de prisons dont la population pénale est masculine. Dans ces mêmes pays, il n'est pas rare de voir des hommes occupant des emplois analogues au sein de prisons de femmes. On considère dans ces pays que les deux sexes sont aptes à exercer les mêmes emplois, à conditions de travail et de salaire égales. Il est souhaitable de fournir aux mères de famille qui ont à s'occuper de leur ménage en plus de leur travail salarié des emplois à temps partiel. 26. L'expérience s'avère le plus souvent positive dans les prisons où travaillent des surveillants des deux sexes. Les surveillantes réduisent souvent le niveau d'agressivité des détenus cependant que leurs homologues masculins assurent une présence sécurisante au sein des prisons de femmes. L'existence d'un personnel mixte contribue par ailleurs à atténuer les différences entre les conditions de vie en prison et dans la société civile. Mais les femmes qui interviennent parmi une population pénale masculine peuvent être la cause d'une augmentation de la pression sexuelle : les surveillantes peuvent être appréciées comme de simples objets sexuels, tant de la part des détenus que de leurs collègues hommes, et être l'objet d'un harcèlement qui rende impossible l'accomplissement de leurs tâches. Un agent pénitentiaire digne de ce nom doit se protéger contre un tel type de comportement. 27. Des relations hétéro ou homosexuelles peuvent parfois se nouer entre les surveillants et les détenus. Si l'amour qu'éprouvent deux personnes l'une pour l'autre ne peut être soumis à une sèche critique rationalisante, une “ romance ” entre un membre du personnel et un (ou une) détenu ne peut être approuvée, les deux personnes n'étant pas sur un pied d'égalité puisque le détenu se trouve dans un état de dépendance par rapport au surveillant. Il n'est pas sain de surcroît qu'un surveillant soit soumis à une pression émotionnelle, serait-elle involontaire, et, quand même la sincérité des sentiments serait réelle, le risque d'exploitation ou de domination étant avéré. Une ambiance détendue et une hiérarchie à l'écoute de sa base offriront au surveillant concerné par ce type de relations l'occasion de s'exprimer, ce qui permettra aux autorités de prendre les mesures qui s'imposent, sans recourir obligatoirement à la procédure disciplinaire. Personnel spécialisé 28. Règle 49 1) On doit adjoindre au personnel, dans toute la mesure du possible, un nombre suffisant de spécialistes tels que psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, instituteurs, instructeurs techniques. 2)

Page 112: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

112

Les services des travailleurs sociaux, des instituteurs et des instructeurs techniques doivent être assurés d'une façon permanente, mais sans exclure les services des auxiliaires à temps partiel ou bénévoles. Règle 52 1) Dans les établissements suffisamment grands pour exiger le service d'un ou de plusieurs médecins consacrant tout leur temps à cette tâche, un de ceux-ci au moins doit habiter l'établissement ou à proximité immédiate de celui-ci. 2) Dans les autres établissements, le médecin doit faire des visites chaque jour et habiter suffisamment près pour être à même d'intervenir sans délai dans les cas d'urgence. L'administration doit, chaque fois que faire se peut, recourir aux spécialistes disponibles. Les RMT citent une liste de spécialistes qui n'est certainement pas exhaustive. On pourrait y ajouter les aumôniers, les bibliothécaires, les moniteurs de sport, les agents de placement, les médecins et les infirmières. Ce personnel doit être associé aux objectifs de l'établissement : assurer la sûreté et la sécurité mais aussi préparer les détenus à leur retour dans la société - d'où l'extrême utilité de ce type de personnel, apte à favoriser la resocialisation des détenus. Indépendance professionnelle des spécialistes 29. Il n'est dans l'intérêt d'aucun pays, système ou organisation de disposer d'une administration pénitentiaire peu structurée et composée d'agents aigris, contestataires ou perturbés. L'intérêt d'un Etat est de limiter au maximum les effets négatifs de l'incarcération et de veiller à ce que les peines distribuées ne soient pas excessives - l'intérêt financier de l'Etat rejoint ici l'intérêt des détenus. Les spécialistes ne doivent pas être impliqués dans la gestion de la prison au jour le jour, mais sollicités quand leurs compétences s'avèrent nécessaires. Ce sont des prestataires de services qui doivent, à ce titre, rester relativement indépendants du système pénitentiaire s'ils veulent gagner la confiance des détenus, sans, naturellement, nuire à la sécurité. Ceci vaut particulièrement pour le personnel de santé physique et mentale, psychiatres, psychologues, médecins et infirmières, auquel on peut joindre les aumôniers : ces spécialistes travaillent souvent seuls, apportant un soutien spécifique de leur propre initiative ou en réponse à la demande d'un tiers. Le personnel spécialisé doit être informé et introduit dans l'établissement par un responsable pénitentiaire. Les spécialistes doivent savoir pourquoi les gens sont en prison, connaître les conditions de la vie en détention et être informés des questions importantes de sûreté et de sécurité ; ils ont aussi besoin de savoir ce qu'ils doivent faire et ne pas faire pour aider les surveillants à établir et maintenir la sûreté et la sécurité - il peut évidemment arriver que des conflits surgissent entre les deux exigences de confiance et de sécurité. Les détenus doivent pouvoir accéder aux spécialistes sans intermédiaire et être informés que les renseignements personnels qu'ils seront susceptibles de leur communiquer resteront confidentiels, sauf pour le spécialiste à en faire part à des confrères après accord des détenus intéressés. 30. Les méthodes de travail et les compétences de chaque spécialiste doivent pouvoir être contrôlées par les membres de la profession. Les spécialistes doivent pouvoir conseiller les autorités sur les questions de détention et les problèmes rencontrés par le personnel, ils doivent aussi apporter aux surveillants toute information, en matière par exemple de moyens à employer face à certains troubles physiologiques ou psychiques, susceptible de favoriser un climat détendu au sein de la détention. La mission des spécialistes consiste, en définitive, à prévenir les abus ou les dérèglements pouvant intervenir dans les relations entre les surveillants et les détenus ou des détenus et des surveillants entre eux. Emploi de la force, situations critiques 31. Règle 54 1)

Page 113: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

113

Les fonctionnaires des établissements ne doivent, dans leurs rapports avec les détenus, utiliser la force qu'en cas de légitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la force ou par l'inertie physique à un ordre fondé sur la loi ou les règlements. Les fonctionnaires qui recourent à la force doivent en limiter l'emploi au strict nécessaire et faire immédiatement rapport de l'incident au directeur de l'établissement. 2) Les membres du personnel pénitentiaire doivent subir un entraînement physique spécial qui leur permette de maîtriser les détenus violents. 3) Sauf circonstances spéciales, les agents qui assurent un service les mettant en contact direct avec les détenus ne doivent pas être armés. Par ailleurs on ne doit jamais confier une arme à un membre du personnel sans que celui-ci ait été entraîné à son maniement. Dans une prison, la tension est - c'est inévitable - quasi permanente, les détenus se trouvant, dans leur immense majorité, emprisonnés contre leur gré et, partant de là, susceptibles de se mutiner à tout moment. Au mieux, ils s'indigneront de leurs conditions de détention ou dirigeront leur colère sur les règlements ou le personnel chargé de les appliquer, si motivé soit-il. Les agents doivent être conscients de leur force et de leur bon droit, les détenus étant tenus de se plier aux règles de la vie communautaire. Les surveillants sont les détenteurs des clés, ce sont eux qui sont responsables du suivi du programme journalier, les détenus étant souvent à la merci de leurs caprices. Le personnel doit avoir toutes ces données présentes à l'esprit et s'efforcer de traiter les détenus comme des êtres humains, donc des égaux. En conséquence, le personnel ne doit pas exercer son pouvoir plus qu'il n'est raisonnable et convenable dans une situation donnée. 32. Il doit être tenu le plus grand compte des réserves que l'on vient de signaler dès lors que s'impose le recours à l'usage de la force - forme extrême mais fondamentale de l'exercice du pouvoir. Avant d'en faire usage, un agent pénitentiaire doit examiner si d'autres solutions (pacifiques) ne peuvent être envisagées. Le niveau de contrainte doit être en rapport avec la difficulté rencontrée, en application des principes de subsidiarité et de proportionnalité qui doivent être immanquablement mis en avant quand le recours à la force est envisagé. Des instructions sur l'usage de la force et sur les restrictions qui l'entourent doivent faire partie intégrante des règlements de la prison et du programme de formation des surveillants. Avant de recourir à la force, les surveillants doivent en référer à leurs supérieurs hiérarchiques, verbalement ou par écrit selon l'urgence, en faisant état de la nature de l'incident et de l'échec des tentatives d'y apporter une solution pacifique. Prévention de la violence et usage de la force 33. Dans certaines situations (mutineries, rixes et autres troubles collectifs), l'usage de la force apparaît inévitable même si le risque de bavures est réel. Il est de la plus haute importance d'informer le personnel de ce risque et des mauvais traitements dont les détenus peuvent être l'objet. Des instructions écrites doivent indiquer les procédures à suivre pour affronter de telles situations sans recours excessif à la force tout en limitant les risques de mauvais traitements. A la suite d'incidents de cette nature, le climat de la détention peut se trouver détérioré pendant un certain laps de temps, les relations entre détenus et surveillants restant tendues sinon violentes. Ce climat, propice à l'éclatement de nouveaux incidents, s'instaure principalement : - après une mutinerie avec prise d'otages au cours de laquelle des agents ont été blessés ; - quand une politique pénitentiaire d'hermétisme succède à une politique libérale, les entrées de personnes de l'extérieur devenant limitées et la prison, coupée brutalement de la société civile, ne bénéficiant plus de la visibilité et du contrôle qui la protègent des abus ; - l'expérience montre enfin que le recours abusif à la force, le manque de respect et les mauvais traitements sont fréquents à l'occasion de transferts57 ou à l'égard de détenus dénués de défense tels que les étrangers et les malades mentaux.

57 Cf. chapitre V.

Page 114: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

114

Les armes, une réponse inadaptée 34. Pour éviter l'escalade de la violence, la première règle est de ne jamais armer les membres du personnel en contact direct avec les détenus. Un surveillant doté d'une arme à feu pourrait être tenté d'en faire un usage inapproprié. Les détenus pourraient pour leur part subtiliser cette arme. Or, le personnel pénitentiaire a pour mission de prévenir ou de réduire les explosions de violence qui peuvent survenir parmi des détenus prêts, pour certains d'entre eux, à faire n'importe quoi pour survivre dans un monde pénitentiaire où la loi de la jungle peut quelquefois prévaloir. Plus les conditions de détention sont mauvaises, plus grand sera l'effort nécessaire à la survie et plus fréquentes et plus graves seront les agressions. Le personnel doit préférer la voie du dialogue et de la conciliation à celle consistant à répondre à la violence par la violence. La discussion et la proposition de solutions équitables constituent des réponses efficaces aux différends qui opposent les protagonistes en présence : elles permettent de restaurer ou de créer une atmosphère de compréhension mutuelle, de respect et de tolérance. C'est seulement si la négociation échoue que des moyens de contrainte peuvent être utilisés : changements de cellule ou de quartier, sanctions disciplinaires ou isolement des détenus les plus violents. 35. Les moyens d'empêcher les mauvais traitements, le recours excessif à la force ou même la torture sont : a) L'ouverture de la prison sur le monde extérieur : pour des raisons évidentes, les surveillants tendent à se protéger les uns les autres alors que des témoins extérieurs ne pourront ni ne voudront fermer les yeux aussi facilement si des détenus sont victimes de sévices. Le rôle des ONG est ici essentiel : leurs membres doivent alerter la collectivité quand de tels sévices sont monnaie courante et mobiliser en son sein les forces vives capables d'y mettre le holà. b) Règles : toute situation propice à de mauvais traitements (isolement, emploi de moyens de contrainte physique, placement au quartier disciplinaire) doit être soumise à un contrôle et à une réglementation stricts. Les agents ne respectant pas ces règles doivent faire l'objet de sanctions. c) Engagement éthique : la direction doit définir clairement les principes éthiques sur lesquels cette réglementation s'arc-boute. La tâche du directeur 36. Règle 50 1) Le directeur d'un établissement doit être suffisamment qualifié pour sa tâche par son caractère, ses capacités administratives, une formation appropriée et son expérience dans ce domaine. 2) Il doit consacrer tout son temps à sa fonction officielle ; celle-ci ne peut être accessoire. 3) Il doit habiter l'établissement ou à proximité immédiate de celui-ci. Le directeur est responsable de la gestion d'un établissement pénal. La compétence d'un directeur s'apprécie à l'aune de sa formation, de son comportement et de ses motivations. La formation d'un directeur doit consister dans l'approfondissement des thèmes répertoriés dans le paragraphe 14. Le directeur, un animateur 37. Un directeur en charge d'un établissement soumis à une hiérarchie rigide et à des règles strictes de contrôle doit posséder deux grandes qualités : un sens du commandement démocratique et humain et un dynamisme propre à inspirer et à motiver ses subordonnés. C'est affaire de personnalité, mais des qualités innées peuvent être développées grâce à une formation adaptée et qualifiée. Un directeur doit être à la fois un gestionnaire, un juriste et un analyste des phénomènes de société - il doit en particulier réfléchir sur la place, l'utilité et le sens de la prison au sein de la société. Un directeur doit aussi être

Page 115: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

115

conscient qu'il est susceptible d'être perçu comme un modèle : les questions qu'il considérera comme importantes seront perçues et traitées comme telles par son personnel. Le directeur doit concilier deux missions apparemment contradictoires : commander et contrôler le personnel, et en même temps adopter à l'égard des agents une ouverture d'esprit et une souplesse qui les incitent à prendre le maximum d'initiatives dans l'accomplissement de leurs tâches. Le directeur doit être disponible, accessible et visible; il doit entretenir des relations formelles et informelles avec tous ses collaborateurs, prêter l'oreille à leurs difficultés et tenter de les résoudre au mieux de ses capacités, tout en manifestant une attitude critique et vigilante dans le contrôle de l'accomplissement des tâches imparties à chacun. Il ne doit tolérer aucun abus. Le directeur au service des intérêts des détenus et de la collectivité 38. Le directeur doit être ouvert au dialogue avec tous les détenus, qu'il doit traiter comme des personnes humaines dignes de respect. Si sa charge de travail l'empêche de visiter personnellement les détenus, cette tâche doit être confiée à un sous-directeur qui lui fera part des besoins des détenus et lui rendra compte des plaintes éventuelles de leur part. Ces plaintes doivent, autant que faire se peut, être traitées rapidement et sérieusement. Le directeur doit protéger les intérêts des détenus, prendre leur défense quand ils ont des motifs de se plaindre d'un agent pénitentiaire ou d'une personne de l'extérieur. Le directeur doit appuyer son action sur le principe qu'il est de l'intérêt du détenu comme de la société de réduire autant que possible les différences entre les conditions de vie à l'intérieur et à l'extérieur de la prison. N'ayant à l'esprit que les intérêts de la collectivité qu'il dirige, le directeur doit s'efforcer par tous les moyens d'obtenir de l'administration centrale le budget nécessaire au fonctionnement optimal de son établissement. 39. Le directeur doit être conscient qu’il a à rendre compte de sa politique dans l’établissement. Cela signifie qu’il doit autoriser l’administration centrale à mener des inspections, soumettre régulièrement des rapports et avoir une communication transparente avec les institutions concernées à l’extérieur de la prison. Cela veut dire, par exemple, que des commissions extérieures doivent pouvoir visiter l’établissement de façon régulière, sans pour autant qu’il faille faire défiler les détenus devant les visiteurs ou les exposer au regard de la commission contre leur volonté. Les visiteurs se garderont par ailleurs de pénétrer dans une cellule sans avoir sollicité de ses occupants l’autorisation d’y accéder. Un bon établissement doit s’ouvrir de surcroît aux parlementaires ainsi qu’aux médias les plus représentatifs de l’opinion publique, afin qu’il soit rendu compte des problèmes, des besoins, des espoirs et des craintes des détenus et du personnel. Quand une institution pénitentiaire est bien gérée et qu’elle dispose d’un personnel confiant et motivé, rien de ce qui s’y passe ne doit être celé au monde extérieur.

Page 116: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

116

Chapitre VIII L'INSPECTION Introduction 1. La mise en œuvre des règles nationales et internationales relatives au traitement des détenus peut être encouragée et améliorée grâce à des inspections régulières, approfondies et menées avec compétence, à condition que ces inspections soient suivies de mesures appropriées prises par les responsables locaux. Les rapports d'inspection doivent être publiés afin de provoquer la réaction du public et des politiques, ce qui est le meilleur moyen d'assurer des progrès sensibles au sein de l'institution. 2. Les inspections, si importantes soient-elles, ne sont pas le moyen unique d'assurer la mise en œuvre des règles. En finir avec la tradition de secret qui trop souvent entoure les prisons et ce qui se passe derrière leurs murs est le moyen le plus assuré de mettre les RMT en pratique58. Le champ d'investigation des inspections 3. Les inspections, à condition qu'elles soient menées par des personnes intègres ayant une compétence d'expert, représentent un instrument efficace de contrôle des efforts entrepris pour mettre en œuvre les RMT. Règle 55 Des inspecteurs qualifiés et expérimentés, nommés par une autorité compétente, devront procéder à l'inspection régulière des établissements et services pénitentiaires. Ils veilleront en particulier à ce que ces établissements soient administrés conformément aux lois et règlements en vigueur et dans le but d'atteindre les objectifs des services pénitentiaires et correctionnels. 4. Le mot “ inspection ” signifie “ observation attentive ”, “ examen soigneux afin de contrôler, de vérifier ”. Les inspections, qui examinent attentivement les régimes de détention en vue de vérifier la mise en pratique des lois et des règlements, constituent une protection importante pour les détenus aussi bien que pour les agents pénitentiaires. Les premiers ont le droit de subir leur peine dans les conditions stipulées par les lois et les règlements ; les seconds ont le devoir de mettre en œuvre une pratique de l'emprisonnement conforme à ces lois et ces règlements. Des inspections convenablement conduites garantissent ce principe de conformité et peuvent agir préventivement dans ce sens : la détection précoce de pratiques inacceptables empêche que se développent des situations intolérables. Au contraire, le fait de pointer et d'encourager des pratiques positives contribue à leur reconnaissance et à leur permanence, pérennisant ainsi la transcription dans le réel des objectifs en matière de peine et de resocialisation. Des inspections régulières et fréquentes effectuées par un personnel qualifié 5. Le terme “ établissements pénitentiaires ” doit être interprété au sens large, les RMT s'appliquant à toutes les catégories de détenus, qu'ils soient condamnés, prévenus, détenus pour dettes ou placés en garde à vue. Par “ prévenu ”, les RMT entendent (règle 84) “ tout individu arrêté ou incarcéré en raison d'une infraction à la loi pénale et qui se trouve détenu soit dans des locaux de police soit dans une maison d'arrêt ”. Ainsi, non seulement les prisons mais aussi les cellules de police et celles des tribunaux, ainsi que tout autre lieu de détention, doivent être soumis à des inspections régulières. 6. Pour être efficaces, les inspections doivent obéir à certaines conditions. Elles doivent être fréquentes et régulières, couvrir l'ensemble des services et activités de l'établissement, s'assurer de la qualité des relations entre le personnel et les détenus. La règle 55 précise aussi que les inspecteurs doivent être nommés par une autorité compétente et exige qu'ils soient qualifiés et expérimentés; autant de qualités

58 Cf. supra, chapitres V et VII.

Page 117: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

117

nécessaires pour déceler les abus, pratiquer de saines évaluations, établir des rapports et formuler des recommandations qui inspirent le respect. Inspections impromptues 7. Bien que les inspections constituent un processus structuré et continu, des inspections spéciales devraient être diligentées à la suite d'événements exceptionnels tels que révoltes, coups de feu, rixes, grèves, morts suspectes, etc. Il est nécessaire aussi d'assurer des inspections approfondies et impartiales des lieux de détention des prisonniers de guerre en cas de conflit armé, inspections qui pourraient être confiées à des organisations reconnues tel le Comité international de la Croix Rouge (CICR). Pour parer à toutes ces circonstances exceptionnelles, il est indispensable qu'existe un corps d'inspecteurs parfaitement expérimentés, qualifiés et par dessus tout, on y reviendra, indépendants. Les inspections, investigation et méthode 8. Les inspections doivent être conduites par des inspecteurs qui rendent compte devant l'administration pénitentiaire ou le ministère en charge des prisons. Les inspections obéissent à certains objectifs et s'appuient sur des méthodes définies à partir des lignes directrices fixées par l'administration ou le ministère responsable. La plupart sont prévues et annoncées à l'avance, certaines peuvent être impromptues pour déjouer les améliorations et replâtrages de dernière minute. Les inspections doivent s'intéresser plus particulièrement (la liste n'est pas exhaustive) aux procédures d'accueil des arrivants, aux sanctions disciplinaires et aux recours qu'elles occasionnent, à la sécurité, à l'entretien des bâtiments, aux soins distribués par les services de santé, à l'assistance éducative et sociale. Elles devraient s'appuyer sur des entretiens avec les détenus, ceux-ci pouvant faire part librement, à l'abri d'oreilles indiscrètes, de leur expérience de la prison. Si l'établissement est important, les inspecteurs peuvent travailler en équipe, chacun étant chargé de travailler dans son propre domaine de compétences. Les rapports d'inspection 9. L'inspection doit aboutir à la confection d'un rapport écrit qui sera porté à la connaissance du ministère, de l'administration pénitentiaire, mais aussi du personnel de la prison inspectée. Le rapport devra être discuté par les agents concernés, lesquels proposeront des remèdes ou des palliatifs aux failles décelées par les inspecteurs. Les rapports d'inspection doivent être accessibles au plus large public, exception faite des détails concernant la sécurité et à condition de prendre la précaution de préserver l'anonymat des détenus. Les rapports d'inspection doivent être objectifs et mettre en lumière les points positifs et les points négatifs. Inspections spécialisées 10. L'inspection des prisons attire de plus en plus l'attention d'organismes extérieurs, les prisons ne devant pas être à l'abri d’investigations et de contrôles menés dans des domaines d'activités de plus en plus nombreux, à l’instar de ce qui se passe dans la société civile. De telles inspections concernent, par exemple, les installations sanitaires, les règles d'hygiène en vigueur lors de la préparation des repas, la distribution des soins, les conditions de sécurité dans les ateliers, les moyens de prévention et de lutte contre les incendies, etc. 11. Dans tous ces domaines, les inspections sont généralement confiées à des membres d'organismes extérieurs spécialisés dans une discipline particulière. Ces inspecteurs pourraient - et idéalement devraient - appartenir à un corps d'inspection professionnel rattaché à des ministères, directions et services n'ayant rien à voir avec l'administration pénitentiaire. L'enseignement et la formation professionnelle, s'ils sont assurés par des organismes extérieurs ou s'ils conduisent à des diplômes reconnus sur le plan national, sont souvent l'objet d'évaluations de la part d'experts de l'Education nationale. L'administration pénitentiaire ne peut que tirer profit d'inspections indépendantes menées dans un maximum de domaines. Ses demandes budgétaires auront de meilleures chances d'aboutir si elles s'appuient sur des recommandations d'experts indépendants. Objectivité et indépendance

Page 118: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

118

12. La règle 55 émet l'exigence implicite d'inspections qui soient objectives et indépendantes. La règle n° 4 des Règles pénitentiaires européennes souligne, presque dans les mêmes termes, l'importance de l'indépendance des inspections : L'efficacité et la crédibilité du service d'inspection dépendent du degré d'indépendance de ce service vis-à-vis de l'administration pénitentiaire et de la publication régulière des résultats de ses travaux. ” 13. L'indépendance est garantie jusqu'à un certain point par l'emploi d'inspecteurs qualifiés et expérimentés. Elle peut se trouver renforcée si les inspecteurs sont responsables devant une personne ou un organisme indépendant ou, au moins, une autorité supérieure indépendante de l'administration pénitentiaire. Tel est le cas dans certains pays où les inspecteurs ont des comptes à rendre au ministre plutôt qu'au directeur de l'administration pénitentiaire. Quand un tribunal est saisi d'une affaire mettant en cause les droits des détenus, les juges peuvent charger une personne de confiance de veiller à l'exécution des décisions judiciaires et de faire leur compte rendu au tribunal. Plus généralement, un médiateur de justice devrait être chargé de visiter régulièrement les prisons et d'apporter des réponses quand leur administration est accusée de défaillance. Ce médiateur devrait veiller plus particulièrement au respect des droits de l’homme des détenus. Les membres du parlement et des commissions parlementaires compétentes devraient aussi se soucier des conditions de vie en prison et procéder à des visites d'inspection régulières. 14. Dans beaucoup de pays existent depuis longtemps des commissions de surveillance chargées d'un établissement particulier qu'elles visitent régulièrement, se montrant toutes les fois attentives aux plaintes des détenus. Ces commissions sont souvent présidées par un magistrat et comprennent des membres motivés et expérimentés qui pratiquent une profession en rapport avec la prison. Dans d'autres pays, un juge spécialisé dans l'application des peines peut être chargé d'activités d'inspection. 15. Le risque est réel qu'avec le temps les personnes ou organismes chargés de missions d'inspection deviennent plus ou moins “ cooptés ” et qu'ils établissent des relations anormalement étroites avec l'administration pénitentiaire, les inspecteurs cessant d'être véritablement indépendants dans leur évaluation des principes et de la pratique pénitentiaires. Une trop grande familiarité avec l'institution et ses agents, l'acquisition de “ vieilles habitudes ” amèneront les inspecteurs à se satisfaire de conditions de détention inacceptables. Il faut, pour empêcher cela, organiser les inspections de manière à ce qu'elles ne consistent pas à de simples visites officielles et ouvrir la prison au contrôle d'organismes plus indépendants. Les divers corps d'inspection doivent se communiquer leurs rapports, de manière à ce que chacun d'entre eux profite des constatations des autres. Implication et rôle des ONG et d'autres personnes et groupes non officiels 16. Les inspections ne devraient pas être l'apanage d'un corps unique ou d'organismes officiels habilités une fois pour toutes. Doivent s'y adjoindre des personnes et organismes totalement étrangers à l'institution. Les visiteurs de prison peuvent, par exemple, être confrontés à des cas d'injustice ou de mauvais traitements auxquels il doit être mis fin rapidement. Les ONG intéressées par le problème des prisons ont acquis une longue expérience dans le monde entier en matière d'amélioration des conditions de vie en détention; elles ont un rôle essentiel à jouer dans la vérification de l'application en prison de lois et de règlements équitables, et de la conformité des conditions de détention aux RMT et autres documents afférents aux droits de l’homme. En visitant les prisons, en recueillant des informations auprès des détenus, des anciens détenus et des surveillants, elles peuvent constituer un stock d'informations pertinentes sur l’ambiance régnant dans tel établissement, sur les conditions habituelles de la vie en détention et sur les pratiques quotidiennes des agents. L'engagement d'ONG dans l'inspection des prisons peut contribuer à diminuer ou interrompre l'érosion de l'indépendance d'inspecteurs devenus complices de l'institution par suite de leur cooptation et de la routine administrative. Attention particulière aux personnes vulnérables 17. Les inspecteurs doivent prêter une attention particulière aux détenus les plus vulnérables, par exemple les malades mentaux, les étrangers (surtout lorsqu'ils ne maîtrisent pas les langue locales) et les réfugiés. Lors de leurs inspections régulières, les inspecteurs s'entretiendront en particulier ou avec

Page 119: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

119

des groupes de ce type de détenus, afin de vérifier s'ils ne font pas l'objet de mauvais traitements ; les inspecteurs tenteront de découvrir si les détenus n'ont pas fait l'objet de pressions avant leur visite et s'ils ne risquent pas d'être victimes de vengeance après leurs révélations. Inspections internationales 18. Sont apparues de nouvelles possibilités d'inspections internationales qui présentent un intérêt particulier. On a évoqué la plus ancienne dans le paragraphe 7, celle pratiquée par le Comité International de la Croix Rouge (CICR) lors de conflits armés : en vertu de l’article 126 de la 3e Convention de Genève et de l’article 143 de la 4e Convention de Genève - les deux conventions ont été signées en 1949 -, le CICR a le pouvoir de visiter tous les lieux d'internement, de détention et de travail forcé et de s'entretenir en privé avec les détenus ; il peut (article 3 commun aux conventions) offrir ses services aux parties s'affrontant dans une guerre civile et visiter les prisonniers politiques ; il peut enfin intervenir auprès des détenus dans d'autres contextes internationaux de violence et de contestation que n'ont pas prévus les Conventions de Genève mais que signale l’article 5 des Statuts du CICR et du Mouvement de la Croix Rouge adoptés par un certain nombre de pays. 19. Un grand pas en avant a été accompli à l'occasion de la nomination, en 1985, d'un Rapporteur spécial chargé par les Nations unies de visiter les lieux de détention et d'examiner toute question en rapport avec la torture. Le rapporteur doit réunir des informations fiables quand des sévices lui sont signalés et y réagir sans délai ; il expose ensuite les informations recueillies au gouvernement concerné dans le but d'assurer la protection des droits des individus à leur intégrité physique et mentale (document n° 4 des Nations unies). Le rapporteur peut, en principe, enquêter sur des faits survenus dans tout pays membre des Nations unies, que celui-ci ait ou non ratifié la Convention contre la torture (adoptée en 1984 et entrée en vigueur en 1987). Les Nations unies ont aussi créé un Comité contre la torture chargé d'étudier les rapports des Etats signataires de ladite Convention sur les mesures prises pour abolir la torture ou les conditions de détention assimilables à des actes de torture. Ce Comité peut aussi mener des enquêtes s'il est informé qu'un Etat signataire de la Convention use de pratiques pénitentiaires inacceptables. Prévention des situations portant préjudice aux détenus 20. Les pouvoirs du Rapporteur spécial et du Comité sont limités en ce sens qu'ils ne sont pas mandatés pour enquêter en vue de remédier à un contexte favorable à la commission d'actes de torture : ils ne peuvent intervenir qu'a posteriori. Se trouve ainsi impossible à réaliser l'un des objectifs les plus importants des inspections, celui de prévenir des situations potentiellement dangereuses pour la population pénale. Les Nations unies ont discuté de la création d'un sous-comité contre la torture possédant les mêmes attributions que le Comité européen contre la torture déjà en place, et qui aurait compétence pour diligenter des inspections destinées à prévenir les actes de torture. Ce sous-comité est resté jusqu'à ce jour à l'état de projet. 21. Le Comité européen contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été prévu par une Convention européenne signée par vingt-quatre Etats qui s'obligent à permettre et à faciliter la libre circulation des membres du Comité dans n'importe quel lieu de détention, que les visites soient annoncées ou pas. L'objet de ces visites est de procéder à des évaluations générales des conditions de détention plutôt que d'entendre des plaintes individuelles et de prévenir ou de détecter ce que les conditions de détention peuvent avoir d'inhumain ou d'injuste. 22. Le Comité est constitué de membres permanents choisis parmi des personnes de haute moralité, connues pour leur compétence dans le domaine des droits de l’homme ou ayant une expérience professionnelle dans les domaines couverts par la Convention (article 4 de la Convention). Le Comité coopte des experts pénaux qui l'assistent au cours de ses visites. Chaque visite fait l'objet d'un rapport adressé au gouvernement concerné. Le rapport fait état tant des aspects positifs et des améliorations survenues depuis une précédente visite que des points qui demandent à être améliorés. Le gouvernement concerné peut répondre en deux temps : apporter un commentaire immédiat ; établir le compte rendu des actions entreprises pour remédier aux défaillances signalées dans le rapport. Le rapport reste confidentiel sauf si le gouvernement concerné en accepte la publication - ce qui, jusqu'à présent, a toujours été le cas.

Page 120: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

120

23. La Convention n'a pas doté le Comité du pouvoir de contraindre un gouvernement à procéder à telle ou telle amélioration. Naturellement, dès lors qu'ils ont ratifié la Convention, les gouvernements ont marqué leur volonté d'accueillir positivement les remarques du Comité. Si, dans le pire des cas, un pays refusait de suivre les recommandations du Comité, celui-ci pourrait publier son rapport en l'assortissant d'une déclaration publique, ce qui s'est produit une seule fois jusqu'à présent. L'existence de la Convention européenne et du Comité ont permis un travail remarquable en matière d'inspection internationale. Il faut espérer que le système sera étendu au plan mondial, sous l'égide et l'autorité des Nations unies. Les particuliers et les ONG doivent intervenir pour hâter la création d'un sous-comité des Nations unies contre la torture inspiré de l'exemple européen. Les progrès accomplis 24. Les inspections peuvent, on vient de le dire, faire partie intégrante ou non de l'administration pénitentiaire, être officielles ou officieuses, nationales, internationales ou mondiales. Les modalités d'inspection sont diverses mais complémentaires. Quelle que soit leur nature, les inspecteurs chargés de les mettre en œuvre doivent être objectifs et indépendants. Les recommandations procédant d'une inspection doivent conduire obligatoirement à une action appropriée qui peut entraîner, si besoin est, l'amendement des lois, des règlements et des procédures ainsi que des modifications dans la pratique des personnels ou dans leur formation. Quand sont constatés des cas graves de mauvais traitements, une action en justice ou une enquête disciplinaire pourra être diligentée à l'encontre des responsables. 25. La règle 55 spécifie que les inspections visent, entre autres objets, à favoriser la réalisation des objectifs de l'administration pénitentiaire. Le personnel des prisons doit en conséquence être informé de l'importance des inspections comme moyen de parvenir à un niveau d'application convenable des principales normes en matière de traitement des détenus, y compris celles incluses dans les documents internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le personnel doit pouvoir être informé du contenu des rapports d'inspection, en discuter les résultats et participer à la réalisation des améliorations nécessaires. Les rapports peuvent être aussi l'occasion de féliciter et récompenser le personnel pour la qualité de son travail. Les rapports d'inspection ne doivent en aucun cas susciter la résistance du personnel ou l'exercice de représailles à l'égard des détenus qui se sont plaints. Les rapport d'inspection constituent, pour l'administration centrale, de précieux indicateurs des forces et des faiblesses du système pénitentiaire dont elle a la responsabilité ; ils apportent, aussi bien au plan local que national, d'utiles justifications à des demandes de crédits supplémentaires. La publication des rapports d'inspection 26. L'importance des inspections ne doit pas être sous-estimée, quand même elles ne seraient évoquées que dans une seule des quatre-vingt-quinze RMT. Leurs rapports constituent une source essentielle d'information impartiale sur le fonctionnement d'un système pénitentiaire. Ces documents devraient être très largement diffusés, de manière à ce que les responsables politiques, le personnel pénitentiaire et les détenus, mais aussi le grand public aient une connaissance précise du fonctionnement d'institutions établies dans l'intérêt de tous.

Page 121: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

121

Chapitre IX LA PRATIQUE JURIDIQUE DES REGLES DES NATIONS UNIES Introduction 1. Le présent ouvrage est fondé sur les droits de l’homme et sur les règles requises pour leur application telles qu'elles sont exposées dans l'ensemble des documents des Nations unies. L'ONU a, depuis sa création, cherché à promouvoir un traitement humain des détenus. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948, prohibe dans son article 5 la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette déclaration a été complétée depuis lors par plusieurs conventions, pactes ou résolutions internationaux, parmi lesquels l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (RMT) adoptées en 1955 qui sont consacrées aux conditions de vie et au traitement des détenus. Ces RMT n'avaient pas, au moment de leur adoption, vocation à devenir un traité ou une convention internationale. On peut les considérer comme des textes détaillés complémentaires de conventions internationales à portée plus générale. Les RMT ont été complétées à leur tour par d'autres documents des Nations unies qui ont redéfini ou précisé les conditions de vie en détention et le traitement pénitentiaire, établissant de nouvelles règles ou droits en faveur des détenus. On peut notamment citer : Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de 1966, (en particulier la partie III) ; La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 ; L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement de 1988 ; Les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus de 1990. Certains organismes professionnels internationaux ont pour leur part établi des codes de déontologie dont certaines règles régissent leur exercice professionnel en prison. Portée et champ d'application des RMT 2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est d'une particulière importance. Non content d'interdire la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7), il prescrit que toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ” (article 10.1). Le comité qui a rédigé l’article 10 a spécifié que, bien qu’il ne contienne pas de référence directe à l’Ensemble de règles, les RMT doivent être appliquées par les Etats signataires du Pacte. Le Comité des droits de l’homme, chargé de la mise en œuvre de la Convention, se réfère quant à lui en permanence aux RMT quand il s'agit d'interpréter l’article 10. 3. Au travers du présent ouvrage, Penal Reform International entend signifier qu'une pratique pénitentiaire est acceptable dès lors qu'elle s'inspire des documents des Nations unies traitant de la prison, en particulier des RMT. Pratique de la prison ne se réduit pas à un simple commentaire de ces documents: l’ouvrage esquisse, dans le cadre des RMT - qui constituent le corpus de droit international le plus systématique et le plus détaillé en matière de prison - ce qui peut être considéré comme une bonne pratique pénitentiaire dans les dernières années du XXe siècle. Les experts qui ont contribué à la rédaction de ce livre sont unanimes pour reconnaître que, dans certains domaines, les règles minima contenues dans les RMT de 1955 sont devenues aujourd'hui obsolètes et que, plus généralement, des règles ne sont jamais que provisoires. Enfin, l'ouvrage propose quelques pistes qui permettent à la plupart des pays de mettre en pratique ces règles, nonobstant d'insuffisants moyens financiers. 4. Pratique de la prison met aussi en exergue certaines règles spécifiques que la communauté internationale a été unanime à reconnaître et à valider. Les RMT sont par essence flexibles, ce qui leur confère une incontestable force normative. Les gouvernements et autres organismes et institutions qui entendent souscrire aux RMT et aux documents internationaux s’y rapportant ou s’en rapprochant ne pourront dénier par la suite que certaines de ces règles ne leur sont pas applicables.

Page 122: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

122

5. Les quatre-vingt-quatorze règles originales qui constituent les RMT n'ont jamais été amendées. Elles ont été approuvées par le Conseil économique et social des Nations unies en 1957 et complétées vingt ans plus tard par une règle 95 qui étend leur champ aux personnes arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées. Elles couvrent donc l'ensemble des lieux de détention et ne sont pas réservées à la prison au sens strict du terme. Depuis leur adoption en 1955, les RMT ont été confirmées, directement et indirectement, par d'autres accords internationaux et régionaux. Elles constituent la base de la politique pénale d'un certain nombre de pays qui les ont intégrées dans leur code pénal, dans leur jurisprudence ou dans leur réglementation pénitentiaire. L'ambition du présent ouvrage est de recueillir les fruits de la sagesse et de l'expérience accumulées au travers de la mise en pratique des RMT afin d'inspirer et d'en faire profiter l'ensemble des systèmes pénitentiaires de par le monde. Le statut des RMT 6. Les RMT ont été, au cours des dernières années, complétées par d'autres accords internationaux spécialisés. Ainsi, l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), adopté par l'Assemblée générale des Nations unies en 1985, reconnaît la force légale des RMT, sa règle 9.1 stipulant qu'aucune disposition des Règles de Beijing ne doit être interprétée comme excluant l'application de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adopté par l'ONU et des autres instruments et règles touchant les droits de l’homme reconnus par la communauté internationale (résolution de l'Assemblée générale 40/33 du 29 novembre 1985). En 1990, l'Assemblée générale a accordé encore plus directement son imprimatur aux RMT, à l'occasion de l'adoption des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus. L'Assemblée générale a notamment reconnu que les RMT adoptées par le premier Congrès pour la prévention du crime et le traitement des délinquants sont de grande valeur et doivent influencer les politiques pénales et la pratique pénitentiaire (résolution de l'Assemblée générale 45/111 du 14 décembre 1990). 7. Les RMT ont encore été reconnues par des instances judiciaires internationales. Dans l'énoncé de ses premiers jugements (par exemple l'affaire de la Grèce), la Cour européenne des droits de l’homme s'est référée directement aux RMT dans son interprétation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des Principes fondamentaux, qui interdit la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les règles pénitentiaires européennes se sont ensuite affinées, à partir en particulier des RMT des Nations unies. Des tribunaux nationaux, dans des pays aussi divers que la Suisse, l'Afrique du Sud et les Etats-Unis d'Amérique, ont eux aussi appliqué les RMT à maintes reprises. Un tribunal des Etats-Unis l'expliquait en 1980, lors de l'affaire de Lareau contre Manson (507 F Supp 1177): la surpopulation des prisons est en contradiction avec les “ règles élémentaires de décence ” [...] Elle est à ce titre incompatible avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adoptées par le Conseil économique et social des Nations unies (qui) font partie intégrante de l’ensemble de principes internationaux en matière de droits de l’homme, lesquels prescrivent à toutes les nations des règles de conduite décente et humaine. 8. Du fait de cette reconnaissance, les RMT ont acquis un statut particulier parmi les accords internationaux relatifs à la justice pénale. Elles sont devenues indispensables dans l'interprétation des conventions internationales pour les droits de l’homme et doivent être reconnues comme étant partie intégrante des lois internationales sur les droits de l’homme. L'interprétation des RMT 9. La reconnaissance générale à laquelle on vient de faire allusion ne signifie pas pour autant que chaque règle, prise individuellement, a acquis une force légale. Les RMT excluent d'elles-mêmes ce type d'interprétation. Redisons-le59, les observations préliminaires contenues dans la règle 1-4 sont des déclarations d'intention valant pour l'ensemble des RMT.

59 Cf. supra, chapitre I , § 3.

Page 123: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

123

Règle 1 Les règles suivantes n'ont pas pour objet de décrire en détail un système pénitentiaire modèle. Elles ne visent qu'à établir, en s'inspirant des conceptions généralement admises de nos jours et des éléments essentiels des systèmes contemporains les plus adéquats, les principes et les règles d'une bonne organisation pénitentiaire et de la pratique du traitement des détenus. Règle 2 Il est évident que toutes les règles ne peuvent pas être appliquées en tout lieu et en tous temps, étant donné la grande variété de conditions juridiques, sociales, économiques et géographiques que l'on rencontre dans le monde. Elles devraient cependant servir à stimuler l'effort constant visant à leur application, en ayant à l'esprit le fait qu'elles représentent, dans leur ensemble, les conditions minima qui sont admises par les Nations unies. Règle 3 D'autre part, ces règles se rapportent à des domaines dans lesquels la pensée est en évolution constante. Elles ne tendent pas à exclure la possibilité d'expériences et de pratiques, pourvu que celles-ci soient en accord avec les principes et les objectifs qui se dégagent du texte de l'Ensemble de règles. Dans cet esprit, l'administration pénitentiaire centrale sera toujours fondée à autoriser des exceptions aux règles. Règle 4 1) La première partie de l'Ensemble de règles traite des règles concernant l'administration générale des établissements pénitentiaires et est applicable à toutes les catégories de détenus, criminels ou civils, prévenus ou condamnés, y compris les détenus faisant l'objet d'une mesure de sûreté ou d'une mesure rééducative ordonnée par le juge. 2) La deuxième partie contient des règles qui ne sont applicables qu'aux catégories de détenus visés par chaque section. Toutefois, les règles de la section A, applicables aux détenus condamnés, seront également applicables aux catégories de détenus visés dans les sections B, C et D, pourvu qu'elles ne soient pas contradictoires avec les règles qui les régissent et qu'elles soient profitables à ces détenus. (Afin d’expliquer la règle 4, précisons que les RMT débutent par une introduction – les observations préliminaires – qui en décrit brièvement les objectifs et la structure. L’Ensemble de règles est ainsi constitué des observations préliminaires (règles 1 à 5), de la première partie, consacrée aux règles d’application générale, et de la deuxième partie, qui détaille les règles applicables aux catégories spéciales de détenus A, B, C et D) 10. Les restrictions contenues dans les observations préliminaires demandent à recevoir trois types de précisions : a. Les observations préliminaires en recèlent elles-mêmes quelques-unes. Ainsi, la règle 3 autorise des expériences à condition que celles-ci soient en accord avec les principes et les objectifs qui se dégagent du texte de l'Ensemble des règles. De même, quand la règle 2 prévoit une adaptation possible des règles, compte tenu de la variété de “ conditions ” existant dans le monde, elle énumère ces conditions, reconnaissant ainsi, au moins implicitement, que le nombre de ces conditions est limité et que les différences d'application doivent être la conséquence explicite de telle ou telle condition. b. L'organisation de l'Ensemble des RMT permet de discerner les règles constituant des directives générales de celles uniquement consacrées par l'usage, que celles-ci soient de portée générale ou particulière. La règle 6 (1) représente un bon exemple d'une règle constituant un principe général : elle souligne la nécessité d'appliquer les règles impartialement et dispose qu'il ne doit pas être fait de différence de traitement basée sur un préjugé, notamment de race, de couleur, de sexe, de

Page 124: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

124

langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. La force de ce principe général doit être maintenue quand il est procédé aux expériences qu'évoquent les observations préliminaires. En d'autres termes, des expériences qui seraient discriminatoires selon les termes de la règle 6 (1) sont proscrites par les RMT. Les règles qui contiennent des prescriptions fortes mais ne concernant que des catégories particulières de détenus ont été analysées dans les chapitres précédents. On insistera ici sur leur formulation. La règle 31, par exemple, prévoit que certaines sanctions sont “ complètement défendues ”, indiquant par là que l'interdiction est absolue et ne constitue pas une restriction de la nature de celles retenues dans les observations préliminaires. c. Les restrictions contenues dans les observations préliminaires des RMT perdent de leur pertinence quand une règle particulière a été renforcée par d'autres dispositions, qu'elles soient nationales ou internationales . Il y a dans ce livre un certain nombre d'illustrations d'accords internationaux venus conforter ou développer les RMT. On peut évoquer par exemple les soins accordés aux détenus60. De même, quand un code pénal national s'inspire des RMT, ils se renforcent mutuellement et les restrictions des observations préliminaires n'ont plus de justification. ainsi, la règle 10 des RMT61 prévoit que les locaux destinés au logement des détenus pendant la nuit doivent répondre aux exigences de l'hygiène, en particulier en ce qui concerne la surface minimum. Il est évident que de telles exigences varieront suivant les conditions géographiques (climatiques) et, à un moindre degré peut-être, suivant les conditions sociales du pays. La conséquence pratique est que les normes de surface minimum seront différentes d'un pays à l'autre, à la condition impérative que les besoins globaux de santé des détenus n'en seront pas affectés, l'objectif fondamental de la règle 10 n'autorisant pas le type de restrictions désignées dans les règles 1 à 3. En outre, lorsque les règles nationales (d'espace minimum au sol en mètres carrés dans cet exemple) sont fixées, elles doivent être appliquées impartialement, compte tenu de l'exigence d'impartialité posée dans la règle 6. Le cas particulier des mineurs 11. Depuis que les RMT ont été adoptées en 1955, divers autres accords internationaux sont intervenus concernant la détention des mineurs. Le plus important de ceux-ci est l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing, résolution de l'Assemblée générale 40/33), les Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad, résolution de l’Assemblée générale 45/112), et les règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (résolution de l'Assemblée générale 45/113). Les mesures spéciales de traitement des mineurs en détention auraient pu constituer un chapitre à part de ce livre. On se contentera de quelques indications. La dernière des observations préliminaires (règle 5 des RMT) stipule que les RMT, bien que ne visant pas à réglementer les établissements pour mineurs, sont néanmoins applicables à de tels établissements. Elle fait également remarquer qu'en principe les mineurs ne devraient pas être incarcérés : Règle 5 1) Ces règles n'ont pas pour dessein de déterminer l'organisation des établissements pour jeunes délinquants (établissements Borstal, instituts de rééducation, etc.). Cependant, d'une façon générale, la première partie de l'Ensemble de règles peut être considérée comme applicable également à ces établissements. 2) La catégorie des jeunes détenus doit comprendre en tout cas les mineurs qui relèvent des juridictions pour enfants. En règle générale, ces jeunes délinquants ne devraient pas être condamnés à des peines de prison.

60 Cf. supra chapitre IV. 61 Cf. supra, chapitre III, § 13.

Page 125: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

125

ANNEXE

ENSEMBLE DE REGLES MINIMA POUR LE TRAITEMENT DES DETENUS

Adopté par le premier Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977. OBSERVATIONS PRELIMINAIRES 1. Les règles suivantes n’ont pas pour objet de décrire en détail un système pénitentiaire modèle. Elles

ne visent qu’à établir, en s’inspirant des conceptions généralement admises de nos jours et des éléments essentiels des systèmes contemporains les plus adéquats, les principes et les règles d’une bonne organisation pénitentiaire et de la pratique du traitement des détenus.

2. Il est évident que toutes les règles ne peuvent pas être appliquées en tout lieu et en tout temps, étant donné la grande variété de conditions juridiques, sociales, économiques et géographiques que l’on rencontre dans le monde. Elles devraient cependant servir à stimuler l’effort constant visant à leur application, en ayant à l’esprit le fait qu’elles représentent, dans leur ensemble, les conditions minima qui sont admises par les Nations unies.

3. D’autre part, ces règles se rapportent à des domaines dans lesquels la pensée est en évolution constante. Elles ne tendent pas à exclure la possibilité d’expériences et de pratiques, pourvu que celles-ci soient en accord avec les principes et les objectifs qui se dégagent de l’Ensemble de règles. Dans cet esprit, l’administration pénitentiaire centrale sera toujours fondée à autoriser des exceptions aux règles.

4. 1) La première partie de l’Ensemble de règles traite des règles concernant l’administration générale des établissements pénitentiaires et est applicable à toutes les catégories de détenus, criminels ou civils, prévenus ou condamnés, y compris les détenus faisant l’objet d’une mesure de sûreté ou d’une mesure rééducative ordonnée par le juge.

2) La deuxième partie contient des règles qui en sont applicables qu’aux catégories de détenus visés par chaque section. Toutefois, les règles de la section A, applicables aux détenus condamnés, seront également applicables aux catégories de détenus visés dans les sections B, C et D, pourvu qu’elles ne soient pas contradictoires avec les règles qui les régissent et à la condition qu’elles soient profitables à ces détenus.

5. 1) Ces règles n’ont pas pour dessein de déterminer l’organisation des établissements pour jeunes délinquants (établissements Borstal, instituts de rééducation, etc.). Cependant, d’une façon générale, la première partie de l’Ensemble de règles peut être considérée comme applicable également à ces établissements.

2) La catégorie des jeunes détenus doit comprendre en tout cas les mineurs qui relèvent des juridictions pour enfants. En règle générale, ces jeunes délinquants ne devraient pas être condamnés à des peines de prison.

PREMIÈRE PARTIE RÈGLES D’APPLICATION GÉNÉRALE Principe fondamental 6. 1) Les règles qui suivent doivent être appliquées impartialement. Il ne doit pas être fait de différence

de traitement basée sur un préjugé, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

2) Par contre, il importe de respecter les croyances religieuses et les préceptes moraux du groupe auquel le détenu appartient.

Registre

Page 126: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

126

7. 1) Dans tout endroit où des personnes sont détenues, il faut tenir à jour un registre relié et coté indiquant pour chaque détenu : a) son identité ; b) les motifs de sa détention et l’autorité compétente qui l’a décidée ; c) le jour et l’heure de l’admission et de la sortie 2) Aucune personne ne peut être admise dans un établissement sans un titre de détention valable,

dont les détails auront été consignés auparavant dans le registre.

Séparation des catégories

8. Les différentes catégories de détenus doivent être placées dans les établissements ou quartiers d’établissements distincts, en tenant compte de leur sexe, de leur âge, de leurs antécédents, des motifs de leur détention et des exigences de leur traitement. C’est ainsi, que : a) Les hommes et les femmes doivent être détenus dans la mesure du possible dans des

établissements différents, dans un établissement recevant à la fois des hommes et des femmes, l’ensemble des locaux destinés aux femmes doivent être entièrement séparé ;

b) Les détenus en prévention doivent être séparés des condamnés ; c) Les personnes emprisonnées pour dettes ou condamnées à une autre forme d’emprisonnement

civil doivent être séparés des détenus pour infraction pénale ; d) Les jeunes détenus doivent être séparés des adultes.

Locaux de détention

9. 1) Les cellules ou chambres destinées à l’isolement nocturne ne doivent pas être occupées que par un seul détenu. Si pour des raisons spéciales, telles qu’un encombrement temporaire, il devient nécessaire pour l’administration pénitentiaire centrale de faire des exceptions à cette règle, on devra éviter de loger deux détenus par cellule ou chambre individuelle. 2) Lorsqu’on recourt à des dortoirs, ceux-ci doivent être occupés par des détenus soigneusement

sélectionnés et reconnus aptes à être logés dans ces conditions. La nuit, ils seront soumis à une surveillance régulière, adaptée au type d’établissement considéré.

10. Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d‘air, la surface minimum, l’éclairage, le chauffage et la ventilation.

11. Dans tout local où les détenus doivent vivre et travailler, a) Les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que le détenu puisse lire et travailler à

la lumière naturelle ; l’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais, et ceci qu’il y ait ou non une ventilation artificielle ;

b) La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre au détenu de lire ou de travailler sans altérer sa vue.

12. Les installations sanitaires doivent permettre au détenu de satisfaire aux besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.

13. Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse être mis à même et tenu de les utiliser, à une température adaptée au climat et aussi fréquemment que l’exige l’hygiène générale selon la saison et la région géographique, mais au moins une fois par semaine sous un climat tempéré.

14. Tous les locaux fréquentés régulièrement par les détenus doivent être maintenus en parfait état d’entretien et de propreté.

Hygiène personnelle 15. On doit exiger des détenus la propreté personnelle ; à cet effet, ils doivent disposer d’eau et des

articles de toilette nécessaires à leur santé et à leur propreté. 16. Afin de permettre aux détenus de se présenter de façon convenable et de conserver le respect d’eux-

mêmes, des facilités doivent être prévues pour le bon entretien de la chevelure et de la barbe ; les hommes doivent pouvoir se raser régulièrement.

Vêtements et literie 17.1) Tout détenu qui n’est pas autorisé à porter ses vêtements personnels doit recevoir un trousseau qui

soit approprié au climat et suffisant pour le maintenir en bonne santé. Ces vêtements ne doivent en aucune manière être dégradants ou humiliants.

Page 127: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

127

17.2) Tous les vêtements doivent être propres et maintenus en bon état. Les sous-vêtements doivent être changés et lavés aussi fréquemment qu’il est nécessaire pour le maintien de l’hygiène.

17.3) Dans des circonstances exceptionnelles, quand le détenu s’éloigne de l’établissement à des fins autorisées, il doit lui être permis de porter ses vêtements personnels ou des vêtements n’attirant pas l’attention.

18. Lorsque les détenus sont autorisés à porter leurs vêtements personnels, des dispositions doivent être prises au moment de l’admission à l’établissement pour assurer que ceux-ci soient propres et utilisables.

19. Chaque détenu doit disposer, en conformité des usages locaux ou nationaux, d’un lit individuel et d’une literie individuelle suffisante, entretenue convenablement et renouvelée de façon à en assurer la propreté.

Alimentation 20.1) Tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne

qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur une valeur nutritive suffisante au maintien de sa santé et de ses forces.

20.2) Chaque détenu doit avoir la possibilité de se pourvoir d’eau potable lorsqu’il en a besoin. Exercice physique 21.1) Chaque détenu qui n’est pas occupé à un travail en plein air doit avoir, si le temps le permet, une

heure au moins par jour d’exercice physique approprié en plein air. 21.2) Les jeunes détenus et les autres détenus dont l’âge et la condition physique le permettent doivent

recevoir pendant la période réservée à l’exercice une éducation physique et récréative. A cet effet, le terrain, les installations et l’équipement devraient être mis à leur disposition.

Services médicaux 22.1) Chaque établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services d’un médecin qualifié, qui

devrait avoir des connaissances en psychiatrie. Les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation. Ils doivent comprendre un service psychiatrique pour le diagnostic et, s’il y a lieu, le traitement des cas d’anomalie mentale.

22.2) Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils. Lorsque le traitement hospitalier est organisé dans l’établissement, celui-ci doit être pourvu d’un matériel, d’un outillage et des produits pharmaceutiques permettant de donner les soins et le traitement convenables aux détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante.

22.3) Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins d’un dentiste qualifié. 23.1) Dans les établissements pour femmes, il doit y avoir les installations nécessaires pour le traitement

des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. Dans toute la mesure possible, des dispositions doivent être prises pour que l’accouchement ait lieu dans un hôpital civil. Si l’enfant est né en prison, il importe que l’acte de naissance n’en fasse pas mention.

23.2) Lorsqu’il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, dotée d’un personnel qualifié, où les nourrissons seront placé durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leurs mères.

24. Le médecin doit examiner chaque détenu aussitôt que possible après son admission et aussi souvent que cela est nécessaire ultérieurement, particulièrement en vue de déceler l’existence possible d’une maladie physique ou mentale, et de prendre toutes les mesures nécessaires ; d’assurer la séparation des détenus suspects d’être atteints de maladies infectieuses ou contagieuses ; de relever les déficiences physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement et de déterminer la capacité physique de travail de chaque détenu.

25. 1) Le médecin est chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus. Il devrait voir chaque jour tous les détenus malades, tous ceux qui se plaignent d’être malades, et tous ceux sur lesquels son attention est particulièrement attirée.

25.2) Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu a été ou sera affectée par la prolongation ou par une modalité quelconque de la détention.

26.1)Le médecin doit faire des inspections régulières et conseiller le directeur en ce qui concerne : a) la quantité, la qualité, la préparation et la distribution des aliments ; b) l’hygiène et la propreté de l’établissement et des détenus ;

Page 128: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

128

c) les installations sanitaires, le chauffage, l’éclairage et la ventilation de l’établissement ; d) la qualité et la propreté des vêtements et de la literie des détenus ; e) l’observation des règles concernant l’éducation physique et sportive lorsque celle-ci est organisée par

un personnel non spécialisé. 2) Le directeur doit prendre en considération les rapports et conseils du médecin visés aux règles 25,

paragraphe 2, et 26 et, en cas d’accord, prendre immédiatement les mesures voulues pour que ses recommandations soient suivies ; en cas de désaccord ou si la matière n’est pas de sa compétence, il transmettra immédiatement le rapport médical et ses propres commentaires à l’autorité supérieure.

Discipline et punitions 27. L’ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions

qu’il n’est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d’une vie communautaire bien organisée. 28.1) Aucun détenu ne pourra remplir dans les services de l’établissement un emploi comportant un

pouvoir disciplinaire. 28.2) Cette règle ne saurait toutefois faire obstacle au bon fonctionnement des systèmes à base de self-

government. Ces systèmes impliquent en effet que certaines activités ou responsabilités d’ordre social, éducatif ou sportif soient confiées, sous contrôle, à des détenus groupés en vue de leur traitement.

29. Les points suivants doivent toujours être déterminés soit par la loi, soit par un règlement de l’autorité administrative compétente :

a) la conduite qui constitue une infraction disciplinaire ; b) le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées ; c) l’autorité compétente pour prononcer ces sanctions. 30.1) Aucun détenu ne peut être puni que conformément aux dispositions d’une telle loi ou d’un tel

règlement, et jamais deux fois pour la même infraction. 30.2) Aucun détenu ne peut être puni sans être informé de l’infraction qu’on lui reproche et sans qu’il ait

eu l’occasion de présenter sa défense. L’autorité compétente doit procéder à un examen complet du cas.

30.3) Dans la mesure où cela est nécessaire et réalisable, il faut permettre au détenu de présenter sa défense par l’intermédiaire d’un interprète.

31. Les peines corporelles, la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante doivent être complètement défendues comme sanctions disciplinaires.

32.1)Les peines de l’isolement et de la réduction de nourriture ne peuvent jamais être infligées sans que le médecin air examiné le détenu et certifié par écrit que celui-ci est capable de les supporter. 32.2) Il en est de même pour toutes les autres mesures punitives qui risqueraient d’altérer la santé

physique ou mentale des détenus. En tout cas, de telles mesures ne devront jamais être contraires au principe posé par la règle 31, ni de s’en écarter.

32.3) Le médecin doit visiter tous les jours les détenus qui subissent de telles sanctions disciplinaires et doit faire rapport au directeur s’il estime nécessaire de terminer ou modifier la sanction pour des raisons de santé physique ou mentale.

Moyens de contrainte 33. Les instruments de contrainte tels que les menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent

jamais être appliqués en tant que sanctions. Les chaînes et les fers ne doivent pas non plus être utilisés en tant que moyens de contrainte. Les autres instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans les cas suivants :

a) par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu’ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative ;

b) pour des raisons médicales sur indication du médecin ; c) sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtriser un détenu ont échoué, afin de l’empêcher de

porter préjudice à lui-même ou à autrui ou de causer de dégâts ; dans ce cas le directeur doit consulter d’urgence le médecin et faire rapport à l’autorité administrative supérieure.

34. Le modèle et le mode d’emploi des instruments de contrainte doivent être déterminés par l’administration pénitentiaire centrale. Leur application ne doit pas être prolongée au-delà du temps strictement nécessaire.

Information et droit de plainte des détenus. 35.1) Lors de son admission, chaque détenu doit recevoir des informations écrites au sujet du régime

des détenus de sa catégorie, des règles disciplinaires de l’établissement, des moyens autorisés pour

Page 129: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

129

obtenir des renseignements et formuler des plaintes, et de tous autres points qui peuvent être nécessaires pour lui permettre de connaître ses droits et ses obligations et de s’adapter à la vie de l’établissement.

35.2) Si le détenu est illettré, ces informations doivent lui être fournies oralement. 36.1) Tout détenu doit avoir chaque jour ouvrable l’occasion de présenter des requêtes et des plaintes

au directeur de l’établissement ou au fonctionnaire autorisé à le représenter. 36.2) Des requêtes ou plaintes pourront être présentées à l’inspecteur des prisons au cours d’une

inspection. Le détenu pourra s’entretenir avec l’inspecteur ou tout autre fonctionnaire chargé d’inspecter hors la présence du directeur ou des autres membres du personnel de l’établissement.

36.3) Tout détenu doit être autorisé à adresser, sans censure quant au fond mais en due forme, une requête ou une plainte à l’administration pénitentiaire centrale, à l’autorité judiciaire ou à d’autres autorités compétentes, par la voie prescrite.

36.4) A moins qu’une requête ou plainte soit de toute évidence téméraire ou dénuée de fondement, elle doit être examinée sans retard et une réponse donnée au détenu en temps utile.

Contact avec le monde extérieur 37. Les détenus doivent être autorisés, sous la surveillance nécessaire, à communiquer avec leur famille

et ceux de leurs amis auxquels on peut faire confiance, à intervalles réguliers tant par correspondance qu’en recevant des visites.

38. 1) Des facilités raisonnables pour communiquer avec leurs représentants diplomatiques et consulaires doivent être accordées aux détenus ressortissants d’un pays étranger.

38.2) En ce qui concerne les détenus ressortissants des Etats qui n’ont pas de représentants diplomatiques ou consulaires dans la pays ainsi que les réfugiés et les apatrides, les mêmes facilités doivent leur être accordées de s’adresser au représentant diplomatique de l’Etat qui est chargé de leurs intérêts ou à toute autorité nationale ou internationale qui a pour tâche de les protéger. 39. Les détenus doivent être tenus régulièrement au courant des événements les plus importants, soit

par la lecture de journaux quotidiens, de périodiques ou de publications pénitentiaires spéciales, soit par des émissions radiophoniques, des conférences ou tout autre moyen analogue, autorisés ou contrôlés par l’administration.

Bibliothèque 40. Chaque établissement doit avoir une bibliothèque à l’usage de toutes les catégories de détenus et suffisamment pourvue de livres instructifs et récréatifs. Les détenus doivent être encouragés à l’utiliser le plus souvent possible. Religion 41.1) Si l’établissement contient un nombre suffisant de détenus appartenant à la même religion, un

représentant qualifié de cette religion doit être nommé ou agréé. Lorsque le nombre de détenus le justifie et que les circonstances le permettent, l’arrangement devrait être prévu à plein temps.

41.2) Le représentant qualifié, nommé ou agréé selon le paragraphe 1, doit être autorisé à organiser périodiquement des services religieux et à faire, chaque fois qu’il est indiqué, des visites pastorales en particulier aux détenus de sa religion.

41.3) Le droit d’entrer en contact avec un représentant qualifié d’une religion ne doit jamais être refusé à aucun détenu. Par contre, si un détenu s’oppose à la visite d’un représentant d’une religion, il faut pleinement respecter son attitude.

42. Chaque détenu doit être autorisé, dans la mesure du possible, à satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, en participant aux services organisés dans l’établissement et en ayant en sa possession les livres d’édification et d’instruction religieuse de sa confession. Dépôt des objets appartenant aux détenus 43.1) Lorsque le règlement n’autorise pas le détenu à conserver en sa possession l’argent, les objets de

valeur, vêtements et autres effets qui lui appartiennent, ceux-ci doivent être placés en lieu sûr, lors de son admission à l’établissement. Un inventaire de ces objets doit être dressé et il doit être signé par le détenu. Des mesures doivent être prises pour conserver ces objets en bon état.

43.2) Ces objets et l’argent doivent lui être rendus à sa libération, à l’exception de l’argent qu’il a été autorisé à dépenser, des objets qu’il a pu envoyer à l’extérieur ou des vêtements qui ont dû être détruits par raison d’hygiène. Le détenu doit donner décharge des objets et de l’argent qui lui ont été restitués.

Page 130: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

130

43.3) Les valeurs ou objets envoyés de l’extérieur au détenu sont soumis aux mêmes règles. 43.4) Si le détenu est porteur de médicaments ou de stupéfiants au moment de son admission, le

médecin décidera de l’usage à en faire. Notification de décès, maladie, transfèrement, etc. 44.1) En cas de décès ou de maladie grave, d’accident grave ou de placement du détenu dans un

établissement pour malades mentaux, le directeur doit en informer immédiatement le conjoint si le détenu est marié, ou le parent le plus proche et en tout cas toute autre personne que le détenu a demandé d’informer.

44.2) Un détenu doit être informé immédiatement du décès ou de la maladie grave d’un proche parent. En cas de maladie dangereuse d’une telle personne, lorsque les circonstances le permettent, le détenu devrait être autorisé à se rendre à son chevet, soit sous escorte, soit librement.

44.3) Tout détenu aura le droit d’informer immédiatement sa famille de sa détention ou de son transfèrement à un autre établissement.

Transfèrement des détenus 45.1) Lorsque les détenus sont amenés à l’établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés

aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de la curiosité du public et de toute espèce de publicité.

45.2) Le transport des détenus dans de mauvaises conditions d’aération ou de lumière, ou par tout autre moyen leur imposant une souffrance physique, doit être interdit.

45.3) Le transport des détenus doit se faire aux frais de l’administration et sur un pied d’égalité pour tous.

Personnel pénitentiaire 46.1) L’administration pénitentiaire doit choisir avec soin le personnel de tout grade, car c’est de son

intégrité, de son humanité, de son aptitude personnelle et de ses capacités professionnelles que dépend une bonne gestion des établissements pénitentiaires.

46.2) L’administration pénitentiaire doit s’efforcer constamment d’éveiller et de maintenir dans l’esprit du personnel et de l’opinion publique la conviction que cette mission est un service social d’une grande importance ; à cet effet, tous les moyens appropriés pour éclairer le public devraient être utilisés.

46.3) Afin que les buts précités puissent être réalisés, les membres du personnel doivent être employés à plein temps en qualité de fonctionnaires pénitentiaires de profession, ils doivent posséder le statut des agents de l’Etat et être assurés en conséquence d’une sécurité d’emploi ne dépendant que de leur bonne conduite, de l’efficacité de leur travail et de leur aptitude physique. La rémunération doit être suffisante pour qu’on puisse recruter et maintenir en service des hommes et des femmes capables ; les avantages de la carrière et les conditions de service doivent être déterminés en tenant compte de la nature pénible du travail.

47.1) Le personnel doit être d’un niveau intellectuel suffisant. 47.2) Il doit suivre, avant d’entrer en service, un cours de formation générale et spéciale et satisfaire à

des épreuves d’ordre théorique et pratique. 47.3) Après son entrée en service et au cours de sa carrière, le personnel devra maintenir et améliorer

ses connaissances et sa capacité professionnelle en suivant des cours de perfectionnement qui seront organisés périodiquement.

48.Tous les membres du personnel doivent en toute circonstance se conduire et accomplir leur tâche de telle manière que leur exemple ait une bonne influence sur les détenus et suscite leur respect. 49.1) On doit adjoindre au personnel, dans toute la mesure du possible, un nombre suffisant de

spécialistes tels que psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, instituteurs, instructeurs techniques.

49.2) Les services des travailleurs sociaux, des instituteurs et des instructeurs techniques doivent être assurés d’une façon permanente, mais sans exclure les services des auxiliaires à temps partiel ou bénévoles.

50.1) Le directeur d’un établissement doit être suffisamment qualifié pour sa tâche par son caractère, ses capacités administratives, une formation appropriée et son expérience dans ce domaine.

50.2) Il doit consacrer tout son temps à sa fonction officielle ; celle-ci ne peut être accessoire. 50.3) Il doit habiter l’établissement ou à proximité immédiate de celui-ci. 50.4) Lorsque deux ou plusieurs établissements sont sous l’autorité d’un seul directeur, celui-ci doit les

visiter chacun à de fréquents intervalles. Chacun de ces établissements doit avoir à sa tête un fonctionnaire résident responsable.

Page 131: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

131

51.1) Le directeur, son adjoint et la majorité des autres membres du personnel de l’établissement doivent parler la langue de la plupart des détenus, ou une langue comprise par la plupart de ceux-ci.

51.2) On doit recourir aux services d’un interprète chaque fois que cela est nécessaire. 52.1) Dans les établissements suffisamment grands pour exiger le service d’un ou de plusieurs

médecins consacrant tout leur temps à cette tâche, un de ceux-ci au moins doit habiter l’établissement ou à proximité immédiate de celui-ci.

52.2) Dans les autres établissements, le médecin doit faire des visites chaque jour et habiter suffisamment près pour être à même d’intervenir sans délai dans les cas d’urgence.

53.1) Dans un établissement mixte, la section des femmes doit être placée sous la direction d’un fonctionnaire féminin responsable qui doit avoir la garde de toutes les clefs de cette section de l’établissement.

53.2) Aucun fonctionnaire du sexe masculin ne doit pénétrer dans la section des femmes sans être accompagné d’un membre féminin du personnel.

53.3) Seuls des fonctionnaires féminins doivent assurer la surveillance des femmes détenues. Ceci n’exclut pas cependant que, pour des raisons professionnelle, des fonctionnaires du sexe masculin, notamment des médecins et des instituteurs, exercent leurs fonctions dans les établissements ou sections réservées aux femmes.

54.1) Les fonctionnaires des établissements ne doivent, dans leurs rapports avec les détenus, utiliser la force qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance par la force ou par l’inertie physique à un ordre fondé sur la loi ou les règlements. Les fonctionnaires qui recourent à la force doivent en limiter l’emploi au strict nécessaire et faire immédiatement rapport de l’incident au directeur de l’établissement.

54.2) Les membres du personnel pénitentiaire doivent subir un entraînement physique spécial qui leur permettent de maîtriser les détenus violents.

54.3) Sauf circonstances spéciales, les agents qui assurent un service les mettant en contact direct avec les détenus ne doivent pas être armés. Par ailleurs on ne doit jamais confier une arme à un membre du personnel sans que celui-ci ait été entraîné à son maniement.

Inspection 55. Des inspecteurs qualifiés et expérimentés, nommés par une autorité compétente, devront procéder à

l’inspection régulière des établissements et services pénitentiaires. Ils veilleront en particulier à ce que ces établissements soient administrés conformément aux lois et règlements en vigueur et dans le but d’atteindre les objectifs des services pénitentiaires et correctionnels.

DEUXIEME PARTIE REGLES APPLICABLES A DES CATEGORIES SPECIALES A.- DETENUS CONDAMNES Principes directeurs 56. Les principes directeurs qui suivent ont pour but de définir l’esprit dans lequel les systèmes

pénitentiaires doivent être administrés et les objectifs auxquels ils doivent tendre, conformément à la déclaration faite dans l’observation préliminaire 1 du présent texte.

57. L’emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont afflictives par le fait même qu’elles dépouillent l’individu du droit de disposer de sa personne en le privant de sa liberté. Sous réserve de mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation.

58. Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins.

59. A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux et spirituels et autres et à toutes les formes d’assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants.

60.1) Le régime de l’établissement doit chercher à réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre dans la mesure où ces différences tendent à établir le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne.

Page 132: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

132

60.2) Avant la fin de l’exécution d’une peine ou mesure, il est désirable que les mesures soient prises pour assurer au détenu un retour progressif à la vie dans la société. Ce but pourra être atteint, selon les cas, par un régime préparatoire à la libération, organisé dans l’établissement même ou dans un autre établissement approprié, ou par une libération à l’épreuve sous un contrôle qui ne doit pas être confié à la police, mais qui comportera une assistance sociale efficace.

61. Le traitement ne doit pas mettre l’accent sur l’exclusion des détenus de la société, mais au contraire sur le fait qu’ils continuent à en faire partie. A cette fin, il faut recourir, dans la mesure du possible, à la coopération d’organismes de la communauté pour aider le personnel de l’établissement dans sa tâche de reclassement des détenus. Des assistants sociaux collaborant avec chaque établissement doivent avoir pour mission de maintenir et d’améliorer les relations du détenu avec sa famille et avec les organismes sociaux qui peuvent lui être utiles. Des démarches doivent être faites en vue de sauvegarder, dans toute la mesure compatible avec la loi et la peine à subir, les droits relatifs aux intérêts civils, le bénéfice des droits de la sécurité sociale et d’autres avantages sociaux des détenus.

62. Les services médicaux de l’établissement s’efforceront de découvrir et devront traiter toutes déficiences ou maladies physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement d’un détenu. Tout traitement médical, chirurgical et psychiatrique jugé nécessaire doit être appliqué à cette fin.

63.1) La réalisation de ces principes exige l’individualisation du traitement et, à cette fin, un système souple de classification des détenus en groupes ; il est donc désirable que ces groupes soient placés dans des établissements distincts où chaque groupe puisse recevoir le traitement nécessaire.

63.2) Ces établissements ne doivent pas présenter la même sécurité pour chaque groupe. Il est désirable de prévoir des degrés de sécurité selon les besoins des différents groupes. Les établissement ouverts, par le fait même qu’ils ne prévoient pas de mesures de sécurité physique contre les évasions mais s’en remettent à cet égard à l’autodiscipline des détenus, fournissent à des détenus soigneusement choisis les conditions les plus favorables à leur reclassement.

63.3) Il est désirable que, dans les établissements fermés, l’individualisation du traitement ne soit pas gênée par le nombre trop élevé des détenus. Dans certains pays, on estime que la population de tels établissements ne devrait pas dépasser 500. Dans les établissements ouverts, la population doit être aussi réduite que possible.

63.4) Par contre, il est peu désirable de maintenir des établissements qui soient trop petits pour qu’on puisse y organiser un régime convenable.

64. Le devoir de la société ne cesse pas à la libération d’un détenu. Il faudrait donc disposer d’organismes gouvernementaux ou privés capables d’apporter au détenu libéré une aide postpénitentiaire efficace, tendant à diminuer les préjugés à son égard et lui permettant de se reclasser dans la communauté.

Traitement 65. Le traitement des individus condamnés à une peine ou mesure privative de liberté doit avoir pour

but, autant que la durée de la condamnation le permet, de créer en eux la volonté et les aptitudes qui les mettent à même, après leur libération, de vivre en respectant la loi et de subvenir à leurs besoins. Ce traitement doit être de nature à encourager le respect d’eux-mêmes et à développer leur sens de la responsabilité.

66.1) A cet effet, il faut recourir notamment aux soins religieux dans les pays où cela est possible, à l’instruction, à l’orientation et à la formation professionnelle, aux méthodes de l’assistance sociale individuelle, au conseil relatif à l’emploi, au développement physique et à l’éducation du caractère moral, en conformité des besoins individuels de chaque détenu. Il convient de tenir compte du passé social et criminel du condamné, de ses capacités et aptitudes physiques et mentales, de ses dispositions personnelles, de la durée de la condamnation et de ses perspectives de reclassement.

66.2) Pour chaque détenu condamné à une peine ou mesure d’une certaine durée, le directeur de l’établissement doit recevoir, aussitôt que possible après l’admission de celui-ci, des rapports complets sur les divers aspects mentionnés au paragraphe précédent. Ces rapports doivent toujours comprendre celui d’un médecin, si possible spécialisé en psychiatrie, sur la condition physique et mentale du détenu.

66.3) Les rapports et autres pièces pertinentes seront placées dans un dossier individuel. Ce dossier sera tenu à jour et classé de telle sorte qu’il puisse être consulté par le personnel responsable, chaque fois que le besoin s’en fera sentir.

Classification et individualisation 67. Les buts de la classification doivent être :

Page 133: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

133

a) d’écarter les détenus qui, en raison de leur passé criminel ou de leurs mauvaises dispositions, exerceraient une influence fâcheuse sur leurs codétenus ;

b) de répartir les détenus en groupes afin de faciliter leur traitement en vue de leur réadaptation sociale.

68. Il faut disposer, dans la mesure du possible, d’établissements séparés ou de quartiers distincts d’un établissement pour le traitement des différents groupes de détenus.

69. Dès que possible après l’admission et après une étude de la personnalité de chaque détenu condamné à une peine ou mesure d’une certaine durée, un programme de traitement doit être préparé pour lui, à la lumière des données dont on dispose sur ses besoins individuels, ses capacités et son état d’esprit.

Privilèges 70. Il faut instituer dans chaque établissement un système de privilèges adapté aux différents groupes

de détenus et aux différentes méthodes de traitement, afin d’encourager la bonne conduite, de développer le sens de la responsabilité et de stimuler l’intérêt et la coopération des détenus à leur traitement.

Travail 71.1) Le travail pénitentiaire ne doit pas avoir un caractère afflictif. 71.2) Tous les détenus condamnés sont soumis à l’obligation du travail, compte tenu de leur aptitude

physique et mentale telle qu’elle sera déterminée par le médecin. 71.3) Il faut fournir aux détenus un travail productif suffisant pour les occuper pendant la durée normale

d’une journée de travail. 71.4) Ce travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité

de gagner honnêtement leur vie après la libération. 71.5) Il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus qui sont à même d’en profiter et

particulièrement aux jeunes. 71.6) Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle rationnelle et avec les exigences

de l’administration et de la discipline pénitentiaire, les détenus doivent pouvoir choisir le genre de travail qu’ils désirent accomplir.

72.1) L’organisation et les méthodes de travail pénitentiaire doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent un travail analogue hors de l’établissement, afin de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre.

72.2) Cependant, l’intérêt des détenus et de leur formation professionnelle ne doit pas être subordonné au désir de réaliser un bénéfice au moyen du travail pénitentiaire.

73.1) Les industries et fermes pénitentiaires doivent de préférence être dirigées par l’administration et non par des entrepreneurs privés.

73.2) Lorsque les détenus sont utilisés pour des travaux qui ne sont pas contrôlés par l’administration, ils doivent toujours être placés sous la surveillance du personnel pénitentiaire. A moins que le travail soit accompli pour d’autres départements de l’Etat, les personnes auxquelles ce travail est fourni doivent payer à l’administration le salaire normal exigible pour ce travail, en tenant compte toutefois du rendement des détenus.

74.1) Les précautions prescrites pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs libres doivent également être prises dans les établissements pénitentiaires.

74.2) Des dispositions doivent être prises pour indemniser les détenus pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, à des conditions égales à celles que la loi accorde aux travailleurs libres.

75.1) Le nombre maximum d’heures de travail des détenus par jour et par semaine doit être fixé par la loi ou par un règlement administratif, compte tenu des règlements ou usages locaux suivis en ce qui concerne l’emploi des travailleurs libres.

75.2) Les heures ainsi fixées doivent laisser un jour de repos par semaine et suffisamment de temps pour l’instruction et les autres activités prévues pour le traitement et la réadaptation des détenus.

76.1) Le travail des détenus doit être rémunéré d’une façon équitable. 76.2) Le règlement doit permettre aux détenus d’utiliser au moins une partie de leur rémunération pour

acheter des objets autorisés qui sont destinés à leur usage personnel et d’en envoyer une autre partie à leur famille.

76.3) Le règlement devrait prévoir également qu’une partie de la rémunération soit réservée par l’administration afin de constituer un pécule qui sera remis au détenu au moment de sa libération.

Instruction et loisirs

Page 134: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

134

77.1) Des dispositions doivent être prises pour développer l’instruction de tous les détenus capables

d’en profiter, y compris l’instruction religieuse dans les pays où cela est possible. L’instruction des analphabètes et des jeunes détenus doit être obligatoire, et l’administration devra y veiller attentivement.

77.2) Dans la mesure du possible, l’instruction des détenus doit être coordonnée avec le système de l’instruction publique afin que ceux-ci puissent poursuivre leur formation sans difficulté après la libération.

78. Pour le bien-être physique et mental des détenus, des activités récréatives et culturelles doivent être organisées dans tous les établissements.

Relations sociales, aide postpénitentiaire 79. Une attention particulière doit être apportée au maintien et à l’amélioration des relations entre le

détenu et sa famille, lorsque celles-ci sont désirables dans l’intérêt des deux parties. 80. Il faut tenir compte, dès le début de la condamnation, de l’avenir du détenu après sa libération. Celui-

ci doit être encouragé à maintenir ou à établir des relations avec des personnes ou des organismes de l’extérieur qui puissent favoriser les intérêts de sa famille ainsi que sa propre réadaptation sociale.

81.1) Les services et organismes, officiels ou non, qui aident les détenus libérés à retrouver leur place dans la société doivent, dans la mesure du possible, procurer aux détenus libérés les documents et pièces d’identité nécessaires, leur assurer un logement, du travail, des vêtements convenables et appropriés au climat et à la saison, ainsi que les moyens nécessaires pour arriver à destination et pour subsister pendant la période qui suit immédiatement la libération.

81.2) Les représentants agréés de ces organismes doivent avoir accès à l’établissement et auprès des détenus. Leur avis sur les projets de reclassement d’un détenu doit être demandé dès le début de la condamnation.

81.3) Il est désirable que l’activité de ces organismes soit autant que possible centralisée ou coordonnée, afin qu’on puisse assurer la meilleure utilisation de leurs efforts.

B.- DETENUS ALIENES ET ANORMAUX MENTAUX 82.1) Les aliénés ne doivent pas être détenus dans les prisons, et des dispositions doivent être prises

pour les transférer aussitôt que possible dans des établissements pour malades mentaux. 82.2) Les détenus atteints d’autres affections ou anormalités mentales doivent être observés et traités

dans des institutions spécialisées, placées sous une direction médicale. 82.3) Pendant la durée de leur séjour en prison, ces personnes doivent être placées sous la surveillance

spéciale d’un médecin. 82.4) Le service médical ou psychiatrique des établissements pénitentiaires doit assurer le traitement

psychiatrique de tous les autres détenus qui ont besoin d’un tel traitement. 83. Il est désirable que les dispositions soient prises d’accord avec les organismes compétents, pour que

le traitement psychiatrique soit continué si nécessaire après la libération et qu’une assistance sociale postpénitentiaire à caractère psychiatrique soit assurée.

C.-PERSONNES ARRETEES OU EN DETENTION PREVENTIVE 84.1) Tout individu arrêté ou incarcéré en raison d’une infraction à la loi pénale et qui se trouve détenu

soit dans des locaux de police soit dans une maison d’arrêt, mais n’a pas encore été jugé, est qualifié de “ prévenu ” dans les dispositions qui suivent.

84.2) Le prévenu jouit d’une présomption d’innocence et doit être traité en conséquence. 84.3) Sans préjudice des dispositions légales relatives à la protection de la liberté individuelle ou fixant la

procédure à suivre à l’égard des prévenus, ces derniers bénéficieront d’un régime spécial dont les règles ci-après se bornent à fixer les points essentiels.

85.1) Les prévenus doivent être séparés des détenus condamnés. 85.2) Les jeunes détenus doivent être séparés des adultes. En principe, ils doivent être détenus dans

des établissements distincts. 86. Les prévenus doivent être logés dans des chambres individuelles, sous réserve d’usages locaux

différents eu égard au climat. 87. Dans les limites compatibles avec le bon ordre de l’établissement, les prévenus peuvent, s’ils le

désirent, se nourrir à leurs frais en se procurant leur nourriture de l’extérieur par l’intermédiaire de l’administration, de leur famille ou de leurs amis. Sinon, l’administration doit pourvoir à leur alimentation.

Page 135: PRATIQUE DE LA PRISON Du bon usage des règles

135

88.1) Un prévenu doit être autorisé à porter ses vêtements personnels si ceux-ci sont propres et convenables.

88.2) S’il porte l’uniforme de l’établissement, celui-ci doit toujours être différent de l’uniforme des condamnés.

89. La possibilité doit toujours être donnée au prévenu de travailler, mais il ne peut y être obligé. S’il travaille, il doit être rémunéré.

90. Tout prévenu doit être autorisé à se procurer, à ses frais ou aux frais d’un tiers, des livres, des journaux, le matériel nécessaire pour écrire, ainsi que d’autres moyens d’occupation, dans les limites compatibles avec l’intérêt de l’administration de la justice et avec la sécurité et le bon ordre de l’établissement.

91. Un prévenu doit être autorisé à recevoir la visite et les soins de son propre médecin ou dentiste si sa demande est raisonnablement fondée et s’il est capable d’en assurer la dépense.

92. Un prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir attribuer toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci et ses amis et recevoir des visites de ces personnes, sous la seule réserve des restrictions et de la surveillance qui sont nécessaires dans l’intérêt de l’administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l’établissement.

93. Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d’un avocat d’office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s’il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent être à portée d’ouïe d’un fonctionnaire de la police ou de l’établissement.

D.- CONDAMNES POUR DETTES ET A LA PRISON CIVILE 94. Dans les pays où la législation prévoit l’emprisonnement pour dettes ou d’autres formes

d’emprisonnement prononcées par décision judiciaire à la suite d’une procédure non pénale, ces détenus ne doivent pas être soumis à plus de restrictions ni être traités avec plus de sévérité qu’il n’est nécessaire pour assurer la sécurité et pour maintenir l’ordre. Leur traitement ne doit pas être moins favorable que celui des prévenus, sous réserve toutefois de l’obligation éventuelle de travailler.

E.- PERSONNES ARRETEES OU INCARCEREES SANS AVOIR ETE INCULPEES 95. Sans préjudice des dispositions de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les personnes arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées jouissent de la protection garantie par la première partie et par la section C de la deuxième partie. Les dispositions pertinentes de la section A de la deuxième partie sont également applicables lorsque leur application peut être profitable à cette catégorie spéciale de détenus, pourvu qu’il ne soit pris aucune mesure impliquant que des mesures de rééducation ou de réadaptation puissent être applicables en quoi que ce soit à des personnes qui ne sont convaincues d’aucune infraction.