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UNION GENERALE TUNISIENNE DU TRAVAIL DEPARTEMENT DES ETUDES ET DE LA DOCUMENTATION Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie Résultats d’une enquête quantitative et qualitative dans le Grand Tunis Décembre 2008

Precarite ugtt

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UNION GENERALE TUNISIENNE DU TRAVAIL

DEPARTEMENT DES ETUDES ET DE LA DOCUMENTATION

Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert

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Décembre 2008

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Remerciements

Les conseils précieux de Monsieur Mohamed SHIMI et l’appui de son personnel du Département des Etudes et de la documentation aux différentes étapes de l’étude nous ont offert les meilleures conditions de travail. L’enquête de cette étude, sous ses deux volets quantitatif et qualitatif, a été réalisée avec l’appui de plusieurs structures syndicales :

• Fédération des Professions et Services

• Fédération du Textile et de l’Habillement

• Fédération de l’Industrie Electrique et Electronique

• Fédération du Tourisme et de l’alimentation

• Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics

• Fédération des Postes et des Télécommunications

• Fédération de la Santé et

• Syndicat de la STEG Les départements de l’UGTT chargés du secteur privé, du contentieux et du règlement intérieur ont eu l’amabilité de nous accorder des entretiens sur plusieurs aspects du problème de la précarité de l’emploi. La Fondation Friedrich Ebert a financé cette étude. Son personnel a facilité le déroulement des enquêtes et le traitement informatique des données de l’enquête quantitative. L’équipe d’experts exprime ses remerciements à tous. Elle remercie également tous les travailleurs précaires qui ont bien voulu répondre aux questionnaires de l’enquête.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

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8 Première partie :

CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES

1 LA LIBERALISATION ECONOMIQUE PRECARISE L’EMPLOI

1-1 La libéralisation économique et les transformations du marché du travail

1-1-1 Intégration progressive dans l’économie mondiale. 13 1-1-2 Réduction du champ économique du secteur public par la

privatisation 14

1-1-3 Principales transformations du marché du travail 15

1-1-4 Dans le contexte de la libéralisation économique, les droits sociaux et professionnels sont mis en question.

17

1-2 Effets de la libéralisation économique sur la précarisation de l’emploi. 1-2-1 Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère du

travail précaire

19 1-2-2 L’industrie de l’habillement demeure un secteur marqué par la

précarisation de l’emploi depuis son émergence avec la vague de libéralisation du début des années 70.

20

1-2-3 La précarité dans une entreprise multinationale de l’industrie alimentaire.

23

1-2-4 Le Tourisme totalement intégré dans le secteur privé demeure une activité saisonnière et un foyer du travail précaire

27

1-2-5 Le secteur de la santé : La précarité couvre toutes les qualifications. 29 1-2-6 La précarité dans le secteur d’électricité et du gaz

31

2 LES CARACTERISTIQUES DE LA RELATION DE TRAVAIL ET LES RAISONS DE SORTIE DE L’EMPLOI DE LA POPULATION ETUDIEE

2-1 Caractéristiques de la relation de travail de la population étudiée 2-1-1 Les formes de travail précaire 35

2-1-2 Les trajectoires professionnelles des travailleurs précaires sont fortement marquées par le travail précaire.

37

2-1-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre est associée au CDD et à l’absence de contrat de travail écrit.

39

2-2 Raisons de la mobilité 2-2-1 Les principales raisons de sortie de l’emploi 40 2-2-2 Les principales raisons de démission de l’emploi précaire

41

3 LES CARACTERISTIQUES DE L’EMPLOI PRECAIRE : LA FEMME EST

PARTICULIEREMENT VICTIME DU TRAVAIL INDECENT

3-1 Caractéristiques démographiques et éducatives de la population étudiée

42

3-2 Les déterminants du niveau des salaires 3-2-1 Le salaire est croissant en fonction du niveau d’éducation et inégal par

genre. 43

3-2-2 Le salaire est inégal selon le type de relation de travail. 44

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3-2-3 Effet négligeable de l’expérience professionnelle sur le niveau du salaire.

45

3-2-4 Environ le quart de la population étudiée perçoit un salaire indécent

car inférieur au SMIG.

46 3-2-5 Les salaires obtenus sont inférieurs aux salaires souhaités 47 3-2-6 Faible écart entre les salaires de la population syndiquée et celle qui

est non syndiquée. 48

3-3 Une proportion importante des travailleurs ne bénéficie pas de protection sociale.

3-3-1 Les travailleurs sous le statut d’une relation de travail triangulaire sont nettement moins protégés que ceux qui sont sous le statut d’une

relation bilatérale.

50 3-3-2 Les femmes sont moins protégées que les hommes, particulièrement

contre le risque de maladie. 50

3-4 La pénibilité du travail et les accidents de travail 3-4-1 La pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi

précaire.

51 3-4-2 Le risque d’accident de travail et de maladie professionnelle est

particulièrement fréquent chez les femmes et les travailleurs en

relation de travail bilatérale

52 3-4-3 La longue durée hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont

associés à la relation de travail triangulaire et au travail des hommes.

4 CONDITIONS DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES

4-1 Conditions d’habitat des travailleurs 4-1-1 Les conditions d’habitat des travailleurs précaires sont d’un niveau

très en dessous de la situation moyenne de la population tunisienne.

4-1-2 Le loyer absorbe une forte proportion du salaire, particulièrement parmi les femmes.

55

4-2 Reproduction de la précarité au sein de la famille des travailleurs précaires.

4-2-1 Profil éducatif et situation professionnelle des conjoints. 56 4-2-2 Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux enfants 58

Deuxième partie : CADRE JURIDIQUE DU TRAVAIL PRECAIRE

ET GESTION ACTIVE DU MARCHE DU TRAVAIL

1 LA LEGISLATION TUNISIENNE SUR LES CONTRATS A DUREE DETERMINEE 1-1 Notion juridique de précarité

1-1-1 La notion de la précarité du travail dans les pays du système romano-germanique

61

1-1-2 La notion de la précarité du travail dans les pays du système du Common Law : Le modèle américain.

62

1-2 Les types de contrat à durée déterminée 1-2-1 Le contrat de travail à durée objectivement déterminée 63

1-2-2 Le contrat de travail à durée volontairement déterminée 64 1-2-3 Le Contrat à durée déterminé de droit 65 1-3 Les lacunes de la législation sur le CDD

1-3-1 Le principe d’égalité de rémunération 65

1-3-2 Etendu limitée du principe d’égalité de rémunération 1-3-3 Plusieurs conventions collectives sectorielles (C.C.S.) n’appliquent pas

le principe d’égalité de rémunération. 67

1-3-4 La segmentation entre permanent et non permanent se fait aussi dans

d’autres domaines.

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2 LES OPERATIONS TRIANGULAIRES

2-1 La sous-traitance du travail 2-1-1 Deux formes de sous-traitance de travail 70

2-1-2 Le régime juridique des opérations triangulaires 71 2-2 La sous-traitance de la main d’œuvre.

2-2-1 La notion de sous-traitance de main d’œuvre 72 2-2-2 Distinction entre la vraie sous-traitance de la main d’œuvre et

d’autres opérations triangulaires.

73 2-2-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre en Tunisie légale ou illégale ?

74

3 POSITION DU DROIT TUNISIEN PAR RAPPORT AU DROIT COMPARE

3-1 Comparaison des législations sur les CDD 3-1-1 Les cas de recours au C.D.D., durée et renouvellement 75 3-1-2 Conditions de transformation du CDD en CDI 77 3-2 Comparaison des opérations triangulaires

3-2-1 Conditions d’exercice des entreprises de travail temporaire 78 3-2-2 Réglementation du travail temporaire 78 3-2-3 Protection de l’emploi temporaire 78

4 L’APPORT DE LA JURISPRUDENCE TUNISIENNE

4-1 Les contentieux se rattachant au CDD 4-1-1 Le C.D.D. tacitement reconduit, est-il requalifiable en C.D.I. ? 79 4-1-2 La relation du travail basée sur des C.D.D. successifs, peut-elle être

qualifiée de permanente ? 80

4-1-3 Le contrat conclu à une durée supérieur à 4 ans, est-il ou non requalifiable en C.D.I. ?

80

4-1-4 La loi du 15 juillet 1996 instituant la requalification du C.D.D. en C.D.I. (article 6-4-2) est-elle rétroactive ?

81

4-1-5 L’écrit est-il exigé pour les C.D.D. ? 81 4-1-6 Sur quelle base se fait le calcul de la période des 4 ans ? 82 4-2 Les contentieux se rattachant à la sous-traitance

5-2-1 Concernant la notion de la sous-traitance 82

5-2-2 L’article 6-4-2 du Code de Travail, est-il applicable aux salariés des sous-traitants ?

83

5 LA GESTION ACTIVE EFFICACE DU MARCHE DE TRAVAIL ET LA SECURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS

5-1 Les aspects convergents des dispositifs européens d’aide au retour à l’emploi

5-1-1 Mise en place de dispositifs européens efficaces 85 5-1-2 Les caractéristiques d’un dispositif qui cible efficacement le retour à

l’emploi des chômeurs en grande difficulté 86

5-2 L’inefficacité des services publics d’emploi et de la politique active de

l’emploi est un obstacle à la sécurisation des parcours professionnels en Tunisie.

5-2-1 Des services publics d’emploi inefficaces 88 5-2-2 Des programmes d’emploi nombreux qui bénéficient principalement

aux jeunes 89

5-2-3 Des dispositifs qui n’aident pas les chômeurs en difficulté

90

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Troisième partie : LE SYNDICALISME FACE A LA LIBERALISATION ECONOMIQUE

ET LA PRECARITE DE L’EMPLOI

1 LES TRANSFORMATIONS ECONOMIQUES INTERNATIONALES CONSTITUENT DES OBSTACLES A L’IMPLANTATION SYNDICALE.

1-1 Le syndicalisme éprouve des difficultés à organiser le monde du

travail.

1-1-1 Déclin international du syndicalisme 93 1-1-2 Les obstacles économiques à l’implantation syndicale 94 1-2 Le contexte local subit les transformations internationales : Difficulté

de l’implantation syndicale dans le secteur privé en Tunisie

1-2-1 Droit syndical et liberté d’opinion 96 1-2-2 Le cadre réglementaire de création des syndicats 98 1-2-3 Les caractéristiques économiques et géographiques de l’implantation

syndicale dans le secteur privé. 98

2 SYNDICALISATION DES TRAVAILLEURS PRECAIRES ET EXRCICE DU DROIT SYNDICAL DANS LE SECTEUR PRIVE

2-1 Témoignages de syndicalistes sur les difficultés de l’exercice du droit

syndical dans un contexte de précarité de l’emploi.

2-1-1 Le secteur textile habillement est marqué par de fortes pratiques

antisyndicales des employeurs. 100

2-1-2 Le Tourisme est un foyer structurel de la précarité et des pratiques

antisyndicales des employeurs.

102 2-1-3 Précarité de l’emploi et syndicalisation dans les Postes et

télécommunications

103

2-1-4 Les syndicats arrivent à faire passer des travailleurs d’un statut

précaire à celui du travail décent

103 2-1-5 Aspects communs aux secteurs économiques hostiles à la

syndicalisation des travailleurs 104

2-2 Déterminants du taux de syndicalisation de la population étudiée

2-2-1 La relation de travail bilatérale est plus favorable à la syndicalisation que la relation de travail triangulaire.

105

2-2-2 Le taux de syndicalisation est croissant en fonction du niveau d’éducation des travailleurs

105

2-3 Contribution des syndicats à la solution des problèmes rencontrés par leurs adhérents.

2-3-1 Les adhérents font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur problème.

106

2-3-2 Les syndicats aident la quasi-totalité des travailleurs qui les ont contactés.

107

2-3-3 Le recours au syndicat est nettement plus fréquent que le recours au prud’homme et à l’inspection de travail

107

2-4 L’UGTT lutte contre les déficits du travail décent 2-4-1 Le salaire indécent est la principale cause des grèves. 110 2-4-2 La lutte contre la répression syndicale, la précarité et l’exclusion de

l’emploi sont au centre de la solidarité syndicale 111

2-4-3 La lutte contre la précarité de l’emploi par la négociation collective 111

2-4-4 Pour une réglementation de la sous-traitance de la main-d’œuvre

115

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3 LA PROMOTION DU TRAVAIL DECENT AU NIVEAU INTERNATIONAL EST UN SOUTIEN A L’UGTT DANS SA LUTTE CONTRE LA PRECARITE DU TRAVAIL

3-1 La promotion du travail décent devient au centre de l’agenda politique

mondial

3-1-1 Le travail décent est un concept de l’OIT 116 3-1-2 Le travail décent devient un concept mondial. 117 3-1-3 Contribution de l'Union Européenne à la mise en œuvre de l'agenda

du travail décent dans le monde

118

CONCLUSION 120

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"Le but fondamental de l’OIT aujourd’hui est que chaque femme et

chaque homme puissent accéder à un travail décent et productif

dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité." Juan Somavia, Directeur général du BIT.

INTRODUCTION Le travail est l’axe autour duquel s’organise la vie des personnes. Où qu’elles vivent et quoi qu’elles fassent, hommes et femmes voient dans l’emploi le test de vérité déterminant le succès ou l’échec de la politique économique et de la mondialisation. Dans le modèle de l'emploi, le contrat de travail est la seule clé d'accès au travail décent. Moyennant le fait de travailler sous la dépendance d'autrui, on obtient une identité professionnelle et les sécurités qui permettent de vivre. La société salariale qui s'est construite au cours du 20ème siècle repose sur un statut qui assure aux salariés une grande stabilité de l'emploi et donc une grande sécurité. C'était un grand changement par rapport au 19ème siècle et au début du 20ème. Au 21ème siècle, l'épuisement de ce modèle est visible à l’échelle internationale. Aujourd’hui, on constate partout dans le monde des déficits du travail décent, des exclusions sous différentes formes: chômage et sous-emploi; emplois de faible qualité et peu productifs; absence de sécurité au travail et modicité des revenus; violations des droits; inégalités entre les sexes; exploitation des travailleurs migrants; absence de représentation et de possibilités d’expression; insuffisance de la protection et de la solidarité face à la maladie, aux handicaps et à la vieillesse. Les emplois précaires sont souvent des emplois salariés dont la durée n'est pas garantie. Celle-ci peut être soit limitée, soit incertaine notamment pour les salariés en relation de travail de sous-traitance. De ce fait la précarité de l'emploi et des revenus est ressentie comme une forte menace de basculer dans la grande pauvreté suite à l’exclusion de l’emploi, voire même du marché du travail. Dans un contexte fortement marqué par le chômage, les salariés sous statut précaire ne peuvent pas exercer leur droit syndical et par-là même leur droit fondamental à la défense et à la protection. La menace de licenciement est constamment pendue au dessus de leur tête, notamment dans les entreprises de sous-traitance de la main-d’œuvre. Quand on ne sait pas si son CDD sera renouvelé, on ne court pas le risque de se syndiquer. Il en est de même lorsqu’on passe en peu de temps d’une entreprise à une autre, d’un secteur à l’autre, de l’emploi au chômage. Les syndicats éprouvent alors de grandes difficultés à représenter et défendre les travailleurs précaires. La faiblesse syndicale n’est pas seulement une faiblesse des syndicats : c’est aussi et d’abord une faiblesse des sociétés.

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Le marché du travail a connu des bouleversements rapides et profonds en Tunisie avec la libéralisation de l’économie engagée à partir de la moitié des années 1980. Ces bouleversements ont touché de plein fouet les travailleurs. La privatisation des entreprises publiques, l’introduction des principes les plus rigoureux de l’économie de marché, l’ouverture des frontières et des barrières douanières sont les traits marquants de ces bouleversements. Plus que par le passé le marché de l’emploi, par conséquent, a enregistré des mutations dont la conséquence directe est la précarité de l’emploi. Dans ce contexte, la qualité de l’emploi est devenue une préoccupation centrale de l’UGTT. Le travail décent est devenu une notion récurrente dans les discours des responsables syndicaux et de l’action syndicale. Pour comprendre le phénomène de la précarité et promouvoir le travail décent, le Département des Etudes et de la Documentation de l’UGTT a proposé à une équipe de recherche en sciences sociales d’étudier ce phénomène et ses impacts sur les travailleurs, en tant qu’individus mais aussi en tant que groupe social appartenant à une famille (conjoints et enfants). Outre les conditions de travail des ouvriers l’étude se penchera sur les conditions de vie des ouvriers, de leur famille, mais aussi les péripéties professionnelles. Cette étude s’appuie particulièrement sur des données originales obtenues par une enquête portant sur deux volets, quantitatifs et qualitatifs. L’enquête quantitative s’est faite auprès de 500 travailleurs du Grand Tunis, occupés dans des branches économiques représentatives des politiques de recrutement flexible de la main-d’œuvre. Elle se compose d’ouvriers, d’employés et de techniciens sous contrat de travail à durée déterminée ou sous contrat de travail atypique (SIVP, CEF). Elle regroupe aussi des hommes et des hommes, des jeunes et des adultes en relation de travail bilatérale ou triangulaire. A l’aide d’un chronogramme, l’enquête auprès des 500 travailleurs précaires reconstitue leurs trajectoires professionnelles entre le début de 2005 et la date de l’enquête (Août 2008), trimestre par trimestre sur une période de quatre ans. Les thèmes du questionnaire, abordent plusieurs dimensions du travail décent, au sens défini par l’OIT. Sept formes de sécurité sont liées au travail décent1 :

- Le travail décent est d’abord associé à un emploi productif résultant d’une politique macro-économique ; c’est la sécurité du marché du travail.

1 cf. BIT (1999) ,Un travail décent, Rapport de M. Juan Somavia, Directeur Général du BIT, 87ème session de la Conférence Internationale du Travail. Peter Auer et Bernard Gazier (éd), 2002, L’avenir du travail, de l’emploi et de la protection sociale. Dynamique du changement et protection des travailleurs. Compte rendu du symposium OIT/France, Lyon, Edition OIT, Ministère des affaires sociales, Institut international d’études sociales. OIT(2004), Conférence internationale du Travail, 92e session, Une mondialisation juste, Le rôle de l’OIT, Commission Mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, Rapport du Directeur général sur la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation.

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- Le travail décent est associé à la création de revenus adéquats ; c’est la

sécurité du revenu.

- Il assure la protection de l'expression collective sur le marché du travail grâce à des syndicats et organisations patronales indépendants, ainsi qu'à d'autres organismes capables de représenter les intérêts des travailleurs ; c’est la sécurité de représentation.

- Il assure la protection contre les licenciements abusifs et la stabilisation dans l'emploi compatible avec une économie dynamique ; c’est la sécurité de l'emploi.

- Il assure la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles grâce à des réglementations sur la santé et la sécurité, sur la limitation du temps de travail et des heures supplémentaires, grâce aussi à la diminution du stress au travail ; c’est la sécurité au travail.

- Il offre la possibilité d’avoir une « carrière » ; c’est la sécurité

professionnelle.

- Il multiplie les possibilités d'acquérir ou de maintenir ses qualifications grâce à des moyens innovants, à l'apprentissage ou la formation professionnelle ; c’est la sécurité du maintien des qualifications.

L’enquête quantitative s’est faite auprès de 500 travailleurs du Grand Tunis, occupés dans des branches économiques représentatives des

politiques de recrutement flexible de la main-d’œuvre.Pour ce volet de

l’enquête, un intérêt particulier a été accordé à six axes que le guide d’entretien a mis en relief. Avec les cadres et les personnes ressources de l’UGTT les thèmes de l’entretien ont porté sur : la présentation de l’entreprise sous l’angle des emplois stables (statutaires, permanents, etc.) et des emplois précaires (effectifs, historique du recrutement, types d’emplois, postes, tâches) ; la division interne du travail (technique, administratif, commercial, etc.) ; la description et la décomposition des tâches à l’intérieur de l’entreprise ; les tâches internes et l’externalisation du travail ; la Gestion des Ressources Humaine ; enfin les difficultés et les perspectives de la syndicalisation. Ce rapport est structuré autour de trois parties. La première, s’appuyant principalement sur les résultats des enquêtes réalisées, analyse la gestion du travail précaire dans plusieurs branches d’activité économique, les caractéristiques des emplois précaires en relation avec plusieurs aspects qui définissent le travail décent et les conditions de vie des travailleurs occupant ces emplois. Notre approche nous a permis de connaître l’impact du travail précaire sur les conditions de vie objectives (salaires, conditions de travail, privations), et la manière dont ces conditions sont appréhendées, les réactions et les sentiments qu’elles suscitent. Elle donne ainsi un contenu empirique au concept travail

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précaire qui rend compte de son caractère multidimensionnel et de son ancrage dans la réalité des situations vécues par les travailleurs précaires. La seconde partie analyse le cadre juridique du travail précaire et la gestion active du marché du travail. Sur ce plan, outre l’examen du dispositif tunisien, nous comparons ce dernier à celui de l’Europe. Nous montrons que la législation tunisienne sur les Contrats à Durée Déterminée (CDD) introduite avec la réforme du code du travail au moment de l’entrée de la Tunisie dans une zone libre échange avec l’Union Européenne (1995) tend à s’approcher de celle des pays de cette zone. Par contre, la politique active de l’emploi, qui doit contribuer à limiter l’impact négatif de la précarité du travail, est nettement moins efficace que celle des pays européens. Enfin, la troisième partie aborde le problème de l’exercice du droit syndical dans le secteur privé. Elle présente les caractéristiques de l’implantation syndicale dans ce secteur et la lutte de l’UGTT pour défendre l’exercice du droit syndical et protéger les travailleurs contre la précarisation du travail.

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Première partie : CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES

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1. LA LIBERALISATION ECONOMIQUE PRECARISE L’EMPLOI

1-1 La libéralisation économique et les transformations du marché du travail 1-1-1 Intégration progressive dans l’économie mondiale.

A partir du milieu des années 70, l’investissement dans l’industrie

manufacturière a été encouragé pour développer la création d’emploi. Les entreprises produisant pour le marché local dans un objectif d’import substitution ont bénéficié alors d’une protection tarifaire élevée et celles produisant totalement pour l’export ont bénéficié d’avantages fiscaux. L’Europe a encouragé la politique d’investissement pour l’exportation dans la mesure où les entreprises exportatrices étaient en général à forte participation européenne et produisaient en sous-traitance pour le compte d’entreprises européennes. Les produits manufacturés exportés vers l’Europe à partir d’une matière première européenne étaient exonérés du paiement de droits de douane à l’entrée en Europe.

L’économie tunisienne était, à l’époque, fortement administrée. En plus

d’une forte présence du secteur public dans la production industrielle, agricole et de services, le secteur privé était soumis à un contrôle serré que l’administration exerçait principalement par le biais des autorisations, de la politique des prix et des licences d’importation et d’exportation.

Au milieu des années 80, une crise économique aiguë a déclenché un

processus de libéralisation économique pour la surmonter et introduire un ajustement structurel. Cet ajustement décidé en 1986 a donné lieu à un train de réformes engagées de façon effective à partir de fin 1987 pour désengager l’Administration du secteur de la production. Les entreprises publiques opérant dans la production industrielle et de services ont été totalement, mais graduellement, privatisées. L’investissement a été libéralisé et la création des nouvelles entreprises de production de biens et de services devenaient le fait du secteur privé. Parallèlement, le recrutement dans la fonction publique est surveillé

de très près et centralisé, sauf dans certains secteurs comme l’éducation ou la santé, où les recrutements sont seulement autorisés pour le personnel spécialisé dans les métiers des secteurs.

Les réformes engagées ont permis l’émergence d’une économie de marché

intégrée à l’économie mondiale. L’adhésion au GATT avant que ne soit créé l’OMC, puis l’instauration de la zone de libres échanges euro-méditerranéens ont concrétisé cette ouverture sur l’économie mondiale. La conséquence directe de cette évolution économique est la réduction du champ productif du secteur

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public et la transformation du marché du travail, dans un contexte marqué par une nouvelle configuration de la démographie scolaire et universitaire.

Les conditions indécentes des travailleurs précaires sont largement déterminées par l’effet cumulé de six facteurs:

• la faible position des entreprises privées dans la chaîne de la valeur ajoutée2 associée à un modèle où la compétitivité est fondée sur les bas salaires.

• le niveau élevé du chômage ;

• l’absence d’une assurance contre la menace permanente du chômage des travailleurs ;

• le cadre juridique des contrats de travail instituant la flexibilité du recrutement ;

• l’inefficacité de la politique active de l’emploi qui absorbe 1.5 % du PIB, soit un niveau supérieur à celui des pays de l’OCDE et

• la précarité du travail qui traverse les membres de la famille des travailleurs précaires

1-1-2 Réduction du champ économique du secteur public par la privatisation

Depuis 1987, le programme de privatisation des entreprises publiques a couvert plusieurs secteurs et a évolué selon trois phases3. Les premières opérations de la 1ère phase (1987-1994) ont concerné des entreprises à structure financière déséquilibrée. Elles ont été, notamment, réalisées sous forme de vente d’actifs où, généralement, avec un démembrement de la société en unités d’exploitation autonomes afin de faciliter leur cession et, surtout, toucher une large gamme d’investisseurs. Ces opérations ont surtout touché les secteurs des services (tourisme et commerce), la pêche et l’agro-alimentaire.

La seconde phase (1994-1997) et à la faveur des avancées en matière de réforme économique et de la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel approprié, a concerné les entreprises à structure financière saine. A cet effet, les opérations de privatisation se sont réalisées sous forme de vente de blocs d’actions de contrôle sur la base d’un cahier des charges et/ou d’offres publiques de vente.

2 Une chaîne de valeur consiste à décomposer le processus en une séquence d’activités créatrices de valeur ajoutée et d’identifier les sources d’avantage pour les utilisateurs finaux d’un produit particulier. La clé du concept de chaîne de valeur réside dans le fait qu’il y a création de valeur à chaque maillon de la chaîne. Cette création de valeur peut être mesurée et sa répartition le long de la chaîne analysée. 3 www.privatisation.gov.tn

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La troisième phase, entamée depuis 1998, a permis d’inclure les grandes sociétés telles que les cimenteries avec, en appui, le recours aux banques conseils et à des techniques plus élaborées incluant les concessions (Centrale de Radés II, où la formule B.O.O. (Build, Own & Operate) a été adoptée; l’octroi à un opérateur privé l’exploitation d’un deuxième réseau GSM sous forme de concession). La conséquence immédiate de cette généralisation de la privatisation est le rétréci cément de la base d’implantation du syndicalisme tunisien ; ce qui a contribué à l’expansion de la précarité du travail.

Tableau 1 : Répartition des privatisations et restructurations par branche d’activité

Branches Nombre d’entreprises %

Agriculture et pêche 18 8,3 Agriculture 11 5,1

Pêche 3 1,4

Services agricoles 4 1,9

Industries 82 38,0 IAA 14 6,5

IMCCV 21 9,7

IME 19 8,8

IC 7 3,2

ITHC 11 5,1

Autres industries 10 4,6

Services 116 53,7 Tourisme et Artisanat 50 23,1

Commerce 23 10,6

Transport 20 9,3

Services financiers 8 3,7

Autres services 15 6,9

TOTAL 216 100 Source : www.privatisation.gov.tn

1-1-3 Principales transformations du marché du travail

La première transformation concerne la répartition sectorielle de l’emploi. Entre 1975 et 2007, la part du service est passée de 31 à 49 % du total de l’emploi. Cette évolution traduit une transformation qui tend vers la structure de l’emploi en Europe. En partie cette évolution est liée à l’externalisation des services qui étaient auparavant assurés en interne dans les entreprises industrielles qui ont fait le choix de se recentrer sur le cœur de leur métier.

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Figure1: Evolution de la répartition de la population active occupée par secteur

d'activité (en%) Source: INS

31 35,2 43,1 49,4

3036,7 35 34,3

39 28,1 21,9 16,3

0%

50%

100%

1975 1984 1994 2004

Service industrie Agriculture

La deuxième transformation est liée à la structure de la combinaison productive. L’élasticité de l’emploi par rapport à la production mesure le taux de croissance de l’emploi généré par 1% de la croissance de la production. Au cours des années 1990, cette élasticité a fléchi, passant de 0.7 au début de la décennie à 0.5 vers sa fin. Cela traduit une intensité capitalistique plus forte dans les combinaisons productives, au détriment de la création d’emploi.

Tableau 2 : Elasticité de l’emploi par rapport à la production

1984-94 1994-97 1997-2001

Elasticité totale 0.7 0.5 0.5

Elasticité totale (Agriculture et administration publique exclues)

1.1

0.5

0.5

Agriculture 0.1 0.5 1.6

Economie hors agriculture 1.0 0.7 0.5

dont secteur manufacturier 0.6 0.7 0.5

Services 1.1 0.5 0.5 Source : Estimation de la Banque Mondiale, République Tunisienne, Stratégie de l’emploi, 2003.

Le marché de travail reste marqué par le niveau élevé du taux de chômage malgré la baisse de 2 points obtenu entre 1999 et 2007. Le taux de chômage des sortants de l’enseignement supérieur est passé de 3,8 à 17,5 % entre 1994 et 2006. En dépit de son investissement élevé dans le capital humain cette catégorie devient la plus vulnérable sur le marché du travail (Voir graphique ci-dessous).

Tableau 3 : Evolution du taux de chômage moyen (en %)

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

16 15,7 15,1 15,3 14,5 14,2 14,2 14,3 14,1 Source : INS

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Figure2: Evolution du Taux de chômage par niveau d'éducation- 1994-2006 (en%)

source: INS

13,1

3,8

17,517,6

18,3

8

14,315,2

02468

101214161820

Analphabètes Primaire Secondaire Supérieur

1994 2006

Le chômage de longue durée concerne plus du tiers des chômeurs en 2007 (25% et 16 % ont respectivement une durée de chômage de 1 à 2 ans et une durée supérieure à 2 ans) Enfin, le chômage touche fortement les jeunes4 et particulièrement les femmes et les régions de l’Ouest de la Tunisie. Enfin, la massification de l’enseignement supérieur a eu un effet sur la hausse du

niveau d’éducation de la population active occupée. La part dont le niveau est égal ou supérieur au secondaire est passée de 40 à 50 % entre 1999 et 2007. Dans le tissu économique marqué par les activités à faible valeur ajoutée, cette hausse du niveau d’éducation de la main-d’œuvre correspond souvent à une insertion professionnelle des diplômés du supérieur qui se fait au prix d’une déqualification.

1-1-4 Dans le contexte de la libéralisation économique, les droits sociaux et

professionnels sont mis en question.

La libéralisation économique a conduit à la mise en question récurrente des droits sociaux et professionnels : la thèse défendue est que leur coût compromet la compétitivité économique. L’observation de l’évolution de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée ne justifie pas cette affirmation au niveau national et international. Si le financement des droits sociaux et professionnels compromettait la compétitivité en pesant sur les coûts salariaux, on devrait observer une baisse de la part des profits dans la valeur ajoutée, baisse qui aurait dû s’accentuer dans la période récente à mesure que la compétition mondiale s’intensifiait ; or ce n’est pas ce que l’on observe au niveau national comme au niveau international.

4 La part des primo-demandeurs d’emploi dans le total des chômeurs passe de 35,6 à 46 % entre 1999 et 2007.

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Au niveau national, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée baisse d’un point au cours de ces dernières années en dépit de la hausse du niveau d’éducation de la population active occupée.

Tableau 4 : Part de la masse salariale dans la valeur ajoutée (en %)

2002 2003 2004 2005 2006

38,03 37,7 37,3 37,4 37,2 Source : UGTT, Note en arabe sur le contexte économique et le 7ème round des négociations collectives, Tunis, Mai 2008. (Source des données : INS.2007)

Entre 1970 et le début des années 2000, le partage de la valeur ajoutée fluctue en Europe davantage qu’aux États-Unis. Mais rien dans la longue période ni au cours des années plus récentes n’indique une dégradation de la situation des entreprises5. Le graphique ci-dessous montre que la tendance est au contraire au recul de la part des salaires dans le revenu national, plus marqué dans les principales économies des Quinze (de 67 % à 58 % entre 1975 et 2005) qu’aux États-Unis (de 65 % à 60 %)6. Le recul de la part des salaires compromet le financement des régimes de protection sociale assis sur les revenus du travail et force à envisager d’autres sources de financement.

5 Il s’agit du partage de la valeur ajoutée à l’intérieur des frontières nationales, donc avant toute prise en compte d’éventuels transferts de capitaux avec des filiales établies dans le reste du monde. 6 Centre d’analyse stratégique, La note de veille n°109, Septembre 2008. Analyse : Le modèle social européen est-il soluble dans la mondialisation ?

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1-2 Effets de la libéralisation économique sur la précarisation de

l’emploi.

1-2-1 Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère du travail

précaire

La structure du tissu économique tunisien est marquée par une insertion dans la chaîne de la sous-traitance internationale et un positionnement au bas de l’échelle des valeurs, d’une part, et une politique industrielle « d’import-

substitution » associée à une protection du marché intérieur (loi 74), d’autre part. Même si la protection du marché intérieur a disparu, la structure des entreprises a conservé les principales caractéristiques des entreprises issues de la loi 74. Dans le secteur de l’industrie manufacturière, les entreprises se positionnent toujours au bas de la chaîne des valeurs: les conditions d’entrée sont faibles en termes de technologie, de compétences et de capital, ainsi que d’expertise en

matière de sourcing et de marketing. Les emplois offerts sont surtout pour des travailleurs à faibles compétences. De ce fait le modèle de compétitivité des entreprises est fondé principalement sur la baisse du coût des facteurs de production, notamment le facteur travail.

Deux types d’organisations de travail sont associés à ce modèle:

• Les organisations « tayloriennes » qui sont caractérisées par des tâches répétitives, fortes contraintes de rythmes de travail. L’autonomie dans le travail est faible ou inexistante : les procédures de travail sont imposées, la qualité contrôlée par des salariés spécialisés,

• Les « organisations de structure simple » caractérisées à la fois par une faible autonomie du travail (qui les rapproche des « organisations tayloriennes ») et par un travail monotone mais peu répétitif et aux rythmes peu contraints : la structure est donc fréquemment pyramidale et le supérieur hiérarchique donne les consignes sur le travail à effectuer et contrôle le travail.

Ces formes d’organisation du travail ont des conséquences sur les conditions de travail, les politiques de formation et les salaires. Les organisations en structure simple sont surreprésentées dans les secteurs où l’emploi non qualifié domine et où l’ancienneté est faible : le commerce de détail, les services opérationnels, les hôtels-restaurants, les services aux particuliers. Les organisations tayloriennes sont surreprésentées dans des secteurs avec une certaine ancienneté : industrie agro-alimentaire, chimie-caoutchouc, industrie textile, industrie de l’habillement. La qualification peut y être très variable.

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1-2-2 L’industrie de l’habillement demeure un secteur marqué par la

précarisation de l’emploi depuis son émergence avec la vague de

libéralisation du début des années 70.

Le secteur des industries du textile-habillement compte actuellement plus de 2000 unités industrielles dont l'effectif est supérieur à 10 personnes. 1650 d'entre-elles produisent totalement pour l'exportation, ce qui explique que la Tunisie a été choisie comme pôle de production pour de nombreuses marques internationales. Le secteur contribue environ à 40 % de la valeur ajoutée industrielle et de la valeur de l’exportation industrielle et il mobilise plus de 200000 travailleurs dont environ 80 % sont des femmes. Depuis 2005, plusieurs mesures dans différents domaines (financier, technologique, commercial, transport, administration douanière, formation des ressources humaines, recherche-développement) sont prises pour faire passer le secteur tunisien de la situation de sous traitant de l’UE à celle de fournisseur aux prestataires de services complets, traitant directement avec les acheteurs finaux ; et passer de la fabrication de produits vestimentaires de grande consommation à celles d’articles de mode à plus grande valeur ajoutée. Le nombre d’entreprises qui ont fait le choix de se positionner dans des activités à plus forte valeur ajoutée est encore faible. La confection et la bonneterie participent à hauteur de 90% des exportations et plus de 80% des emplois du secteur. Le niveau technique se réduit à des machines à coudre et à des outils moins sophistiquées, par comparaison aux outils techniques employés dans la fabrication propre au secteur textile. L’expérience est moins requise, avec ce que cela implique : la qualification n’est pas un atout dont peut se faire prévaloir l’ouvrier. Il s’ensuit que les contractuels y sont moins conduits vers la titularisation.

i) Le recours massif à la main-d’œuvre féminine et la faible qualification exigée

donnent un caractère particulier à la précarisation de l’emploi dans le

secteur.

La fragilité sociale de la femme (rivée traditionnellement aux travaux domestiques) cherchant par tous les moyens à s’affranchir par l’accès à la production à l’extérieur de la maison, lui fait accepter les conditions de travail que lui propose le patron, même si ces conditions sont déplorables. La faible qualification demandée favorise la précarisation de l’emploi. Le travail consiste en un ensemble de gestes simples, manuels et pouvant se réduire à des actes mécaniques n’exigeant aucun effort de mémoire ni un usage appliqué des facultés de jugement ou de discernement. Il se fait à la chaîne. Ce qui est requis c’est la rapidité de la tâche accomplie. Cette rapidité est nécessaire pour pouvoir suivre le rythme suivi par le groupe qui se trouve au même instant sur la chaîne. En fait c’est un vieux principe de coopération qui est ici exigé. Cette coopération est garante de la nature collective du produit. Là on

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n’a pas besoin de qualification. Le seul effort à fournir est celui de s’intégrer dans le mouvement d’ensemble qu’exige la production du produit. Le principe qui régit les tâches est de ce fait, le plus souvent la répétition des gestes. Il y a certes plusieurs tâches à effectuer mais ces taches sont réparties selon un schéma de division du travail technique à réaliser. Une veste peut nécessiter le passage par 35 étapes. Mais le nombre élevé des étapes ne constitue pas en soi une difficulté que les ouvrières auraient à surmonter. C’est plutôt un travail précis et appliqué à l’objet qui est demandé. La dextérité ne consiste en fait que dans la quantité des pièces produites en un temps déterminé. C’est pourquoi on parle dans ces ateliers de production d’un « travail à la minute ». Des critères de productivité sont établis pour chaque pièce à produire : les lingeries, les pantalons, les chemises, les sous-vêtements sont autant d’articles qui nécessitent autant de critères de productivité. Ce qui est à retenir c’est le caractère simple et répétitif des gestes à fournir, mais aussi la rapidité de l’exécution. Toutes ces opérations peuvent être fournies par n’importe quel type d’ouvrière. Cela ne nécessite ni des diplômes ni une expérience préalable. Les ouvrières sont changeables à chaque instant. La précarité réside en fait en cela. C’est cela qui permet au patron de proposer des contrats de 15 jours d’un mois ou de trois mois selon son carnet de commandes à l’instant où il embauche. Le système est celui du « stock zéro » mais appliqué à la main d’œuvre féminine. Une enquête auprès d’un échantillon d’entreprises du secteur habillement révèle nettement que les entreprises utilisent largement les CDD et les contrats atypiques :

Figure3: Répartition des recrutements en 2004 par type de contrats de

travail Source: Ministère de l'emploi Enquête sur le secteur Textile-Habillement

CDD

68%

SIVP-CEF (contrats

atypiques)

19%

CDI

13%

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ii) Le transfert de propriété des entreprises contribuent à la rotation des

effectifs ouvriers et à la précarité de l’emploi

Tout transfert de propriété s’accompagne d’un mouvement notable de rotation au niveau des effectifs ouvriers. Ces derniers qui ne suivent pas toujours les évènements et les chroniques de leurs entreprises, se produisant généralement par le biais du Journal Officiel que les ouvriers ne lisent pas, sont surpris d’apprendre qu’un nouveau patron s’est emparé de l’entreprise et que les contrats ou document de travail les liant à l’ancien patron ne sont plus légaux, ils sont caducs, surtout quand le délai de réclamation, aux rares cas quand il est mentionné, est passé. Le côté juridique devient ainsi complexe et souvent ne sert pas les ouvriers : l’entreprise change de nom, suite au changement de patron, et le nom de l’entreprise qui les a recruté, qui figure sur leur contrat devient un fantôme. Un temps long passe avant que l’ouvrier ne se rende compte qu’il travaille dans une toute nouvelle entreprise, juridiquement parlant. C’est lorsque l’ouvrier touche sa fiche de paie et qu’il lise les détails concernant son employeur, ce qui n’est pas toujours requis, qu’il se rend à l’évidente réalité. C’est un nouvel ouvrier dans une nouvelle usine. Ni ancienneté ni cumul des avantages liés au nombre des années passées dans l’entreprise ne peuvent être revendiqués. Ceci constitue un élément qui a tous les caractères de l’emploi précaire : l’ouvrier est réduit à la case départ. Il constitue en outre un coup porté à toute accumulation au profit des ressources humaines, expériences, années d’ancienneté, compétences élaborées, etc.

iii) Le transfert de lieu des entreprises une occasion pour licencier et recruter

une nouvelle main-d’œuvre sous statut précaire.

Les entreprises du secteur du textile et de l’habillement se caractérisent par un changement fréquent de lieu de résidence ou de siège. En 2006 on a noté que 10% des entreprises du secteur ont changé de lieu. Selon les données fournies par la fédération de l’UGTT, 220 entreprises (d’un total de 2168), ont changé d’adresse en 2006. Ceci est de nature à changer les clauses du contrat. Le lieu de production est ici à articuler avec le lieu d’habitation de l’ouvrière, et les problèmes de transport que cela implique. En outre le changement de lieu de production entraîne généralement un changement des procès de production en fonction des espaces disponibles et des nouvelles surfaces dispensées à la production au sein de l’usine. Ce qui est de nature à « écorcher » certains aspects de l’ancienne tâche dont s’occupait l’ouvrière et introduire de nouvelles dimensions auxquelles l’ouvrière n’est pas encore familiarisée malgré le caractère répétitif des tâches à accomplir. Il faudra du temps pour que l’ouvrière s’acclimate avec le nouveau « décor » et retrouve ses marques et ses repères. Pour cela, il faut du temps durant lequel le niveau de la productivité de l’ouvrière a

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généralement baissé, c’est alors l’occasion, une parmi d’autres, de licencier et de renouveler « le parc humain ».

1-2-3 La précarité dans une entreprise multinationale de l’industrie

alimentaire.

La Tunisie compte dix usines de boissons gazeuses de cette entreprise multinationale totalisant ensemble un personnel constitué de 3500 ouvriers, dont 75% sont permanents et 25% des emplois contractuels et précaires.

i) Disparition de la formule des stagiaires avec l’apparition des Sociétés de

sous-traitantes de la main-d’œuvre

Avant l’avènement des sociétés sous-traitantes de l’emploi en Tunisie, période qui a connu son « étape faste » à partir des années 1990, on procédait à une période appelée « stage » qui est variable de 3 à 6 mois à l’issue de laquelle l’employé provisoire est soit gardé en tant que travailleur mis sur la trajectoire attendue du travail permanent et statutaire, ou congédié. Avec l’avènement des sociétés sous-traitantes en question, la période de stage a été purement et simplement occultée et enlevée, sans aucune autre forme de procès. Désormais, il y a des travailleurs continuellement précaires menacés d’être congédiés à chaque instant pour la moindre « faute » commise ou provoquée, ce qui est une épée de Damoclès tendue sur la tête de l’employé. On a stipulé dans le Code de Travail qu’il faut quatre ans pour qu’un employé sous CDD puisse aspirer à être recruté. Mais les patrons ont souvent opté pour une interruption des quatre ans, intervenant à des moments propices pour ne pas déboucher sur l’emploi permanent. C’est à cette tendance des patrons à profiter provisoirement de la manne « travail précaire », que s’ajoute bien entendu le rôle d’écran que jouent les sociétés sous-traitantes de l’emploi pour empêcher à ce qu’un processus de titularisation s’installe dans les entreprises où ils opèrent. En effet la titularisation, ou toute autre forme d’accès au travail permanent, fait entrer le travailleur sous le toit protecteur des lois du travail, sur le plan professionnel et social. Conséquence logique et prévisible : la titularisation, ou ce qui en tient lieu, est de nature à priver, de fait, la société en question de tirer le profit maximum des travailleurs précaires7.

ii) L’emploi précaire est lié à la haute saison.

L’emploi précaire est lié à la haute saison qui s’étale de juin jusqu’ à octobre, période de grande consommation de boissons gazeuses, justifiant la création dans la grande entreprise multinationale en question, d’un « poste supplémentaire de 22 h du soir jusqu’à 6 h du matin du lendemain. Les deux autres postes « réguliers » des saisons « normales » étant de 6 h à 14h et de 14h

7 Généralement la société sous-traitante prend environ 50% de la rétribution réservé au travailleur dans une entreprise.

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à 22h. C’est cette activité de « non-stop » et qu’on appelle dans la terminologie gestionnaire et sociologique les « trois huit » qui rend les tâches annexes à la production des boissons décisives pour l’hygiène et la qualité du produit. En effet, l’activité de fabrication des boissons gazeuses est très salissante, aussi faut-il traiter avec beaucoup de soins les activités de maintenance des machines, de propreté des locaux, de désinfection de tout instant des lieux de fabrication, d’entretien serré des engins. Les emplois précaires sont, en outre, constitués des travailleurs de peine : manœuvres et manutentionnaires, préposés aux opérations de stockage des caisses (qu’elles soient vides ou pleines), de leur alignement dans des allées permettant la constitution de couloirs de circulation opérationnels. Cet alignement se fait de façon ordonnée et selon des piles les plus économes possible d’espace et de facilité de mouvement de l’utilisateur et de triage. Les manutentionnaires ont aussi la tâche de remplir les camions. Ces activités sont souvent l’apanage des emplois précaires. Les manœuvres, le personnel féminin de nettoyage sont pourvus par les sociétés de sous-traitance de la main d’œuvre et un grand nombre parmi eux est précaire. Ce sont par conséquent des postes de travail qu’on trouve le plus souvent à l’usine et non dans les locaux administratifs et de gestion du personnel.

iii) L’emploi permanent est l’apanage des tâches administratives et de

gestion

En effet, s’il est admis qu’on trouve le plus souvent l’emploi précaire dans l’usine et les aires de manœuvre des engins et les dépôts de stockage, l’emploi permanent est l’apanage des tâches administratives par excellence. Ce sont par conséquent des postes de travail fixes, réguliers et statutaires qu’on trouve dans les locaux administratifs et de gestion du personnel. Mais ils se composent surtout des travaux d’administration et de gestion (le secrétariat, le commercial, le financier, le comptable, le responsable du contentieux et du juridique, la Direction générale). Toutefois on les trouve parmi les travaux qui exigent une qualification spécifique appliquée à une machine bien déterminée : gros camion, engins semi-lourds, grues), etc. Dans cette catégorie, par exemple les conducteurs de machine à l’usine et dans les aires de manœuvre devant l’usine pour la réception des caisses vides et l’envoi des caisses pleines dans des camions (des semi-lourds requérant pour les chauffeurs un permis de conduire correspondant).

iv) Les savoirs des précaires sont occultés.

On peut imaginer que la précarité est constituée des travaux qui ne nécessitent pas une expérience particulière ni une formation appropriée et spécifique. C’est pourquoi l’idée de précarité renvoie spontanément au « tout venant ». C’est une fausse perception de la précarité : pour cela le cas du stockage des caisses est significatif : On croit qu’il suffit d’avoir un peu de force musculaire pour ranger les caisses et charger les camions pour être manutentionnaire. C’est une fausse

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croyance du moment qu’il faut de l’expérience pour s’acquitter de sa tâche avec dextérité et succès. En effet, la tâche de stockage exige d’autres qualités que la force musculaire ou la rapidité pour gagner du temps et faire gagner du temps au camion qui doit être chargé le plus vite possible pour partir, sinon pour être vidé de ses caisse s’il s’agit de le renvoyer au dépôt de la façon la plus diligente possible Cette qualité supplémentaire consiste en l’acquisition des réflexes d’une bonne application pour ce genre de tâches, c’est pourquoi le travail de stockage des caisses n’est pas nécessairement une tâche à confier au tout venant. Aligner des piles de caisses, favoriser des couloirs de circulation et de pénétration pour les utilisateurs, veiller à l’économie de l’espace dans la hauteur et sur le sol, aménager des issues de sortie pour ne pas engorger les marchandises, savoir placer les différentes sortes de contenants, (bouteilles plus sales que d’autres à destiner aux services d’hygiène, par exemple), sont toutes des opérations qui sont , primo, tout à la fois manuelles et mentales. Secundo : elles exigent la mise en accord du manuel et du mental. Tertio : elles exigent une familiarisation avec les gestes qui concordent avec cet alliage du manuel et du mental. On voit, par conséquent, que la décomposition de la tâche permet de saisir le niveau de compétence requis : il se situe dans l’expérience à acquérir. Or celle ci ne s’obtient que par le nombre des années passées dans l’entreprise. En termes gestionnaires et administratifs cela s’appelle l’ancienneté dans le poste. L’ancienneté dans le poste est rémunérée parce qu’elle assure les gains de temps, d’argent, d’organisation internes des tâches, en accord avec les autres agents avec lesquels le manutentionnaire doit coordonner, pour la bonne marche de l’ensemble des travaux et des tâches de production.

v) Une formule intégrative et productive : le panachage des emplois

précaires et des emplois permanents.

La formule intégrative et productive est le panachage des emplois précaires et des emplois permanents lors du troisième poste « pénible ». Le conducteur (permanent) et son aide qui est contractuel et précaire, se partagent la même tâche permettant au travailleur auxiliaire (aide conducteur) d’apprendre tout en produisant et gagnant sa vie. Cette formation sur le tas qui est tout à la fois productive pour l’entreprise et formatrice assure le lien entre intérêt de l’entreprise et intérêt du travailleur. Elle a permis à des travailleurs sous CDD appliqués d’obtenir une requalification de leur contrat en CDI ; c'est-à-dire devenir des travailleurs permanents. L’entreprise récupère ainsi les bénéfices de son investissement dans le capital humain plutôt que le laisser mettre son savoir acquis dans l’entreprise au profit d’une entreprise concurrente. Car le talon d’Achille réside là. Plus la concurrence est âpre entre entreprises, plus le souci de garder les plus performants parmi ceux qui ont été formés sur le tas, y compris ceux qui ont commencé leur « carrières » de façon précaire, est véhément. Nous sommes là devant un cas d’école.

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Car il faut le reconnaître : ce qui a permis aux entreprises de compter sur des ressources humaines sûres c’est le principe de titularisation, en effet, l’employé est confirmé dans son poste après une période probatoire appelé ici stage, là CDD, ailleurs période d’essai. La formule de panachage dont il est question dans cette entreprise de boissons gazeuses est ce qui peut tenir lieu de période préparatoire à la titularisation à plus ou moins brève échéance.

vi) Le passage de la précarité à la titularisation donne un nouveau

statut de travailleur qualifié.

Dans les activités techniques, annexes à la fabrication, les effets de passage de la précarité à la titularisation en tant que processus de régularisation, aux yeux de la loi de travail mais aussi au regard des lois économiques de productivité, permettront à l’employé de passer d’un aide conducteur qu’on peut congédier à tout instant à un aide conducteur jouissant d’une fonction de remplaçant du conducteur en cas de vacance ou d’absences pour diverses raisons (maladie, retraite, etc.). D’autant plus que ceci se fait sur le plan technique, plan qui exige l’acquisition de qualifications certaines. La fonction crée en général le statut. La fonction est d’ailleurs suffisamment étoffé en actes techniques et suffisamment fournie en tâches du moment que l’aide conducteur s’occupe aussi de l’entretien des machines du graissage des pièces nobles de la machine, il change les pièces d’usure, pour les chaînes à palettes, les rouleaux. Il peut déjà conduire quelques petites machines, comme le « Mirage » à bouteilles (sélectionner les bouteilles et localiser les tâches de saleté), etc. Dans les activités de stockage, les qualifications techniques sont requises à ce niveau aussi. Organiser les stocks, savoir organiser et procéder à une économie de l’espace. Nous avons décomposé ci dessus les taches techniques du travailleur du stock, auxquelles on peut ajouter ici le triage des bouteilles, la rapidité des réflexes d’application des règles en usage sur le plan technique : écarter les goulots de bouteilles ébréchées, vérifier la propreté des bouteilles, contrôler l’état des bouteilles provenant des dépositaires et des représentants régionaux, qui sont souvent des agents privés de représentants, des commerçants de détail ou de gros et le signaler, etc. Dans les activités d’hygiène, les actes accomplis sont souvent décisifs pour assurer la qualité du produit, le nettoyeur (homme ou femme) doit savoir choisir des doses précises à appliquer selon le cas pour ne pas détériorer les outils en question : le détergent, le javel sont des produits corrosifs, une utilisation non contrôlée techniquement peut entraîner à plus ou moins brève échéance la détérioration du matériel technique de l’entreprise y compris la mise hors d’usage des circuits de canalisation des eaux usées et des procédés d’évacuation de produits nocifs. Toutes ces techniques demandent des compétences et ne peuvent être considérées comme spécifiques aux « tout venant », terme dépréciateur pouvant servir pour justifier le recours à la précarité. Sur la base de ces compétences, les

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activités de fabrication, de stock, d’assainissement, d’entretien peuvent être soumises à des normes de promotion pour ceux qui les pratiquent à l’intérieur de l’usine. L’apprenti devient ainsi un aide mécanicien, pouvant remplacer le titulaire du poste en cas de vacance, les travailleurs de l’entretien peuvent devenir des magasiniers ou aide-magasiniers, les travailleurs de l’assainissement peuvent se charger du traitement pratique de type écologique. Et c’est ainsi que le travail sur le tas est source de formation et d’acquisition de qualification, de confirmation de compétences, que le règlement aura à sanctionner juridiquement dans des postes clairement définis.

1-2-4 Le Tourisme totalement intégré dans le secteur privé demeure une

activité saisonnière et un foyer du travail précaire

i) Le caractère saisonnier des activités touristiques

Le Tourisme est l’un des principaux piliers de la croissance de la Tunisie au cours des dernières décennies. Mais c’est un secteur vulnérable car sa croissance est sensible aux préoccupations internationales en matière de sécurité. C’est aussi un secteur fortement et structurellement marqué par le caractère saisonnier de ses activités. Durant trois ou quatre mois l’activité est à son maximum, ou du moins c’est ce qui est théoriquement attendu. Le reste de l’année le secteur connaît l’hibernation qu’on connaît, dans un pays où le tourisme est articulé au thème « soleil » ; c’est l’été qui est la saison du tourisme avec un débordement aux deux limites du printemps et de l’automne, mais avec des activités qui tendent vers le ralentissement. L’allure de l’évolution mensuelle du nombre de nuitées entre 2001 et 2007 traduit clairement le caractère balnéaire du Tourisme tunisien.

Figure 4 : Evolution mensuelle du nombre total de nuitées par an

entre 2001 et 2007 (en milliers)

Source : Base données de l’INS (www.ins.nat.tn)

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

JANV. FEV. MARS AVRIL MAI JUIN JUIL. AOUT SEPT. OCTO. NOV. DEC.

2001

2002

2007

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En concurrence avec d’autres destinations du bassin méditerranéen, la position de la Tunisie stagne et ses parts de marchés sont à la baisse. La variété des produits est restreinte et leur image demeure faible, du fait de la prédominance de l’industrie des stations balnéaires. Pourtant, l’objectif des plans de développement dans ce secteur est de diversifier les activités touristiques pour offrir un service sur toute l’année. Mais cet objectif n’est pas atteint. De ce fait, l’activité touristique reste saisonnière et génératrice du travail précaire.

ii) Plus de la moitié du personnel occupe un emploi précaire.

En 2006, l’emploi précaire concerne 58 % du personnel de l’hôtellerie8. Chaque saison touristique, les hôtels embauchent en moyenne de 3000 à 3500 en tant que personnel ouvrier. Le caractère saisonnier de la durée du travail conduit les employeurs à recourir à l’embauche à partir du « tout venant » ou de la rue, pourvu qu’il réponde à de simples critères de look présentable et de bonne tenue. D’autres sources d’embauche sont constituées des relations personnelles du staff de direction, mais souvent appel fréquent est fait au secteur informel pour fournir la main d’œuvre dont a besoin le secteur du tourisme.

Figure 5: Distribution du personnel du secteur hôtelier selon le

type d'emploi-2006

Source: Ministère de l 'emploi

Non permanets

58%

Cadre

8%

Permanents

34%

iii) La précarité massive touche plusieurs catégories du personnel et

s’accompagne de la déqualification des catégories qualifiées

La précarité touche évidemment tout le personnel du secteur (plongeurs, commis de bar, restaurateurs, etc.) et particulièrement les animateurs. Cette dernière activité ne peut être fournie par la technique du « tout venant » c’est celle des animateurs touristiques. Malgré le caractère normatif qui s’impose dans le

8 Enquêtes Sectorielles sur l’Emploi, Observatoire National de l’Emploi et des Qualifications (ONEQ),2006

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recours fait aux animateurs, ceux ci subissent les conditions du travail précaire. D’abord le caractère saisonnier de l’activité touristique en Tunisie est une donnée de base. C’est cette donnée de base qui met l’animateur dans une position de faiblesse chronique face à ses employeurs qui trouvent en cela une opportunité pour lui demander de s’occuper des tâches qui débordent le cadre du contrat réglementaire. Les animateurs se chargent de ce qui est stipulé dans le contrat (agrément des touristes, animation culturelle et artistique, sport, activités corporelles, loisirs, jeux etc.). Or à examiner un cas de figure comme l’est le Club Méditerranée, la pratique en cours dépasse les cadres de travail fixés par la loi. Dans beaucoup d’établissements hôteliers et de loisirs, certaines activités auxquelles les animateurs sont de plus en plus contraints de consentir ne relèvent pas, de droit, de leurs prérogatives : s’occuper de l’accueil des touristes au niveau de la valise à transporter, des couches de bébé à changer ou des loisirs à dispenser à des heures tardives le soir, sans limite de temps. Devant ce débordement, et parce que ce sont d’habitude des travailleurs de la culture, ils sont conscients de leur droits et constituent plus aisément que dans les milieux ouvriers des syndicats, même si à ce niveau les difficultés ne manquent pas. Elles sont dues souvent à l’attitude récalcitrante de la Direction de l’établissement hôtelier.

1-2-5 Le secteur de la santé : La précarité couvre toutes les qualifications.

La précarité dans le secteur de la santé est très réduite par comparaison aux autres secteurs. 90% du personnel de la santé sont des permanents. Seulement 10% sont précaires, selon l’estimation des syndicalistes contactés pour les besoins de notre enquête qualitative.

i) Recours au contrat de travail atypique « SIVP » pour recruter la main-d’œuvre

qualifiée

Les premiers caractères spécifiques du secteur de la santé sous l’angle de l’emploi et de la précarité se distinguent par un paradoxe : ceux qui ont des tâches marginales par rapport au noyau dur professionnel de la santé ont un emploi durable (des CDI), avec salaire et couverture sociale : ce sont les employés du gardiennage, les femmes de ménage, les ouvriers de cuisine auxquels on ajoute les brancardiers. Par contre ceux qui sont des SIVP, ce sont les employés dont la qualification est directement liée au noyau dur de la profession : ce sont les paramédicaux comme les aides soignants, les infirmier(e)s, les techniciens supérieurs et parfois les médecins. Des cas ont pu être relevés comme ces médecins «précaires », exemple : un radiologue à l’Hôpital d’Enfant de Bâb Saadoun, deux généralistes à l’hôpital régional de Béja. On trouve dans les SIVP des techniciens spécialisés, les laborantins, les diplômés de la spécialité « radiologie », de la spécialité « nutrition », les kinésithérapeutes.

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Quant aux CDD, ce sont les attachés d’administration, les agents de bureau des entrées (admission des malades, sortie des malades, sortie des décès), les agents des archives (allant du responsable de la maintenance jusqu’ aux agents chargés du classement des archives, tels que les dossiers des malades, classement par spécialité et par année), ce sont des contractuels.

ii) Recours aux entreprises de sous-traitance de la main-d’œuvre dans le

secteur public et privé

L’emploi précaire a fait son entrée dans le secteur de la santé à partir des années 1990. C’est cette époque que le besoin s’est fait sentir avec l’apparition de postes vacants dans les tâches d’administration et dans le paramédical. Ce besoin n’a pas été comblé par des recrutements d’un personnel permanent. Le faible coût d’une main d’œuvre abondante et formée mais aussi, l’apparition des sociétés de sous-traitance aidant, constituent les deux facteurs qui ont conforté la tendance à faire appel à une main d’œuvre travaillant dans des conditions précaires. Cette apparition s’est faite essentiellement dans les EPS (Etablissements Publics de Santé) comme les Hôpitaux publics, les CHU(Centre Hospitalo-Universitaire), l’Institut de Nutrition, le Centre d’orthopédie Mohamed Kassab, le Centre de Gynécologie Wassila Bourguiba, l’Hôpital d’Enfant de Bâb Saadoun,, l’institut de Neurologie de la Rabta, L’institut du cancer Salah Azaiez, l’Hôpital Ophtalmologique Hédi Rayés, l’Hôpital Charles Nicolle, l’Hôpital Mongi Slim, L’Hôpital de la Rabta, l’Hôpital Habib Thameur, en tout 20 EPS, en tant que grandes institutions hospitalières du pays. Ce fut la première étape. La deuxième étape a vu la généralisation du phénomène: cette « technique » d’emploi précaire a fait tâche d’huile dans les hôpitaux régionaux. Le problème ne se posait pas pour les Centre des Soins de Base, car le personnel y est réduit. Dans le secteur privé, l’appel à l’emploi précaire se faisait durant la saison estivale, c’est la période d’affluence. C’est là qu’on appliquait la technique de la modulation en fonction de l’affluence des patients rappelant la même technique pratiquée dans le secteur de l’habillement. Dès qu’il y a création d’un service nouveau, (dialyse par exemple), on recrute des emplois précaires, tels que les kinésithérapeutes, les infirmières, les instrumentistes (par acte), et les ouvriers. On fait appel aux techniciens supérieurs du secteur public pour des interventions ponctuelles, moyennant paiement d’un forfait de service ponctuel (opération ou intervention chirurgicale).

iii) Précarité et risques de maladies professionnelles

Le secteur de la santé se caractérise par la délicatesse des opérations et des gestes professionnels à contracter. La moindre faute risque de coûter la vie d’un homme. Ce scrupule n’est cultivé que chez les enfants de la profession. Les intrus, ne peuvent pas observer une discipline rigoureuse, n’ayant pas eu une formation conséquente à cet effet. Il y a une différence de comportement entre

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celui qui connaît les maladies contagieuses et celui qui ne les connaît pas. Le premier ne touche rien sans avoir déjà mis les gants. Le second, pour la rapidité des gestes qu’il expédie sans grand scrupule, trouve cela dérisoire. Un initié sait ce qu’est une urgence et quels soins premiers il faut dispenser. Il sait garder le secret médical, comme un acte d’une haute professionnalité. Tous ces avoirs et ces comportements exigent une formation appropriée et une ancienneté dans le travail. Les nouveaux ne peuvent pas connaître ces « détails ».

iv) Précarité et déqualification professionnelle

On peut relever le cas d’une clinique privée qui vient de connaître un mouvement de revendication de la part de son personnel soignant. Ces derniers demandent le reclassement professionnel, en fonction de ce que chacun présente comme services. L’infirmier est payé comme un aide soignant durant dix ans. Les dix ans d’ancienneté suffisent pour lui donner le niveau salarial d’un infirmier à ses débuts. Le technicien supérieur est payé au niveau de l’ouvrier. En outre le préparateur de pharmacie, le laborantin fait quand le besoin s’en fait sentir, le standardiste de nuit, donne les médicaments aux malades, et tient le registre des entrées. Trois tâches qui sont loin l’une de l’autre et qui ne sont pas enseignés dans les filières de l’enseignement en tant qu’appartenant à la même profession. Il y a une sorte de non reconnaissance professionnelle à travers cet exemple portant sur la demande de reclassement professionnel des employés de cette clinique privée. Cette reconnaissance professionnelle n’est pas de rigueur. Les 56 employés qui ont reçu une formation approprié ont été, suite au mouvement revendicatif, remplacés par des CDD, des emplois précaires, des contractuels de trois mois renouvelables.

1-2-6 La précarité dans le secteur d’électricité et du gaz

i) La segmentation entre Statutaires et personnel recruté par la régie

Tous les établissements d’électricité et de gaz du secteur public, couvrant tout le territoire tunisien comptent 10400 inscrits sur ses registres, dont 1000 sont détachés, pour assurer des fonctions diverses. En effet, ces derniers sont payés en tant que fonctionnaires à des degrés divers (Ingénieurs, Techniciens Supérieurs, cadres administratifs, etc.) de la STEG, et sont détachés dans les partis politiques (au pouvoir ou d’opposition reconnue), dans des syndicats, dans des Ministères, dans des associations ou des organisations nationales comme l’UNFT par exemple. Aux 9400 fiches de paie de travailleurs permanents effectifs à la STEG, il faudra ajouter 1000 travailleurs précaires et qui sont dénommés dans la terminologie administrative « la régie ». Ce nombre vient d’être recensé (octobre 2008). Les 1000 travaillant sous la dénomination de régie, se distinguent des travailleurs statutaires, par le fait qu’ils sont privés de ce dont jouissent les

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statutaires : un statut, une déclaration à la CNRPS (CNAM), un salaire régulier, une retraite prévue à l’âge requis, un formation pour se recycler à des étapes charnières de la carrière professionnelle, des primes, une inscription dans une progression professionnelle qualifiée de « promotion », garante d’une gestion optimale de la carrière, une couverture médicale spécifique dispensée par un réseau de centres médicaux (un centre dans les grandes villes régionales outre le grand centre médical de Tunis où sont dispensés des soins répartis selon les deux types en vigueur, : maladies ambulatoires et longues maladies, auxquels sont appliqués respectivement des régimes de couverture sanitaire appropriés). Ces centres sont mis au service des retraités et du personnel en activité, qui sont ainsi entourés par la protection assurée par la Société et la Mutuelle. Dans ces prestations couvrant l’assurance sanitaire, seul un ticket modérateur est consenti par le statutaire : il se situe dans une fourchette variable de 10 à 20%. C’est là la définition modèle de l’emploi permanent exprimé ici en des termes pratiques et empiriques et qu’incarne parfaitement l’employé de la STEG. Cela rejoint le travail décent que nous avons cité dans l’introduction de cette étude et que nous avons relié aux définitions proposées par le B.I.T.

ii) La « Régie » est la porte d’entrée des entreprises de sous-traitance de la

main-d’œuvre

La Régie est le secteur de l’emploi qui est dispensée par les sociétés privées de sous-traitance. Ces sociétés sont nombreuses et se trouvent dans toutes les régions et pour la STEG dans tous les districts que compte la République. Elles ont connu leur expansion première grâce aux tâches de gardiennage et de nettoyage. Ce fut au début, celle de l’expansion des « sociétés d’hygiène » qui permettent aux entreprises d’externaliser certaines activités et les soulagent sur le plan de la tenue de la comptabilité, du contrôle des normes de travail, des émissions de fiches de paie, de régularisation des questions sociales liées à l’activité professionnelle, etc. Ce fut une aubaine pour les entreprises. Par la suite l’activité des sociétés privées de sous-traitance de l’emploi ont investi tous les postes de travail, qu’ils soient fixes et réguliers (selon l’appellation propre au code du travail typique) ou subalternes et intermittents. En effet on y trouve les tâches de secrétariat, techniciens, manœuvres, et manutentionnaires, etc. C’est durant le mois de juin-juillet que la STEG lance annuellement un appel d’offres exprimant ses besoins en personnel. Le travail effectif commence en septembre. Une nouvelle fournée d’emplois précaires est alors admise, la précédente congédiée. Dans ce cadre institutionnel la pièce maîtresse en ce qui concerne l’emploi c’est bien entendu le cahier des charges. Le menu principal de ce cahier de charge c’est bien entendu le travail comptabilisé selon l’heure. Des clauses peuvent être mentionnées touchant la sécurité sociale, la tenue de travail, les congés. Mais ces clauses ne sont pas systématiquement appliquées. La règle c’est la non observance des charges sociales liées à toute embauche. L’exception est le respect des règles de couverture sociales de différents ordres.

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iii) La sous-traitance de la main-d’œuvre couvre différents niveaux de

qualification

Les postes occupés par la « Régie » ne sont pas pour autant des postes de subalternes ou des tâches annexes à l’activité principale de la STEG (production et distribution de l’énergie électrique), du moment que la « Régie » compte en son sein des postes fixes. En effet, on compte parmi la population précaire de la STEG les postes de secrétariat, de magasinier, de monteurs de lignes (une fonction technique par excellence et qui relève du noyau dur « professionnel » de la STEG), de releveurs de compteurs. Moins techniques probablement les autres types de postes confiés à la Régie, tels que : chauffeurs, aide magasinier, standardiste, caissiers, eux aussi figurant sur le registre des emplois précaires. Enfin une troisième catégorie d’emplois précaires est réservée aux tâches de nettoyage, de gardiennage et de désherbage. Ces trois dernières tâches, faisant partie des postes confiés à la régie, sont probablement les plus contraignants et les plus marqués par le sceau de la pénibilité. Le désherbage s’applique aux poteaux et aux postes de transformation (haute, moyenne et basse tension) qui sont envahis par les herbes. Le gardiennage exige une vigilance de tout instant, de jour ou de nuit. Le nettoyage se fait à des heures pénibles : tôt le matin de 5h à 8h, tard la journée de 18h à 20 ou 21 h du soir, soit 5 à 6 heures par jour ouvrable, séparées et divisées en deux segments de journées, ce qui n’est pas de tout repos. C’est au contraire l’opposé de ce qu’un fonctionnaire statutaire et chanceux souhaite briguer : une planque. La pénibilité du travail est le dénominateur commun des différents emplois précaires (voir & 3-3)

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2. CARACTERISTIQUES DE LA RELATION DE TRAVAIL ET LES RAISONS DE SORTIE DE L’EMPLOI DE LA POPULATION ETUDIEE

Les profonds changements intervenus sur le marché du travail ont donné

naissance à différentes formes de relations de travail en Tunisie. La flexibilité s’est accrue dans les branches où le modèle de compétitivité est fondé sur la baisse du coût du travail. Un nombre croissant de travailleurs a désormais un statut qui n’est pas clair en matière d’emploi et, de ce fait, ne bénéficient pas de la protection normalement associée à la relation de travail.

La population des travailleurs objet de notre enquête est assez

particulière. Elle regroupe 60 % de travailleurs sous CDD, 25 % sans contrat de travail écrit et le reste est sous contrat atypique (SIVP, CEF). Par ailleurs, la majorité des travailleurs est recrutée dans une relation de travail triangulaire (86%). Le tableau ci-dessous présente sa distribution par branche d’activité selon le type de leur relation de travail. Tableau 5 : Distribution des travailleurs par branche d’activité selon le type de relation de

travail

Branches d’activités Relation de travail triangulaire

(Sous-traitance)

Relation de travail bilatérale

Total

Industrie Habillement 23,9 29,6 27,1

Santé 40,6 10,3 23,5

Bâtiment 14,4 15,0 14,8

Commerce 8,9 18,5 14,3

Industrie agro alimentaire 2,2 18,5 11,4

Industrie Electrique 1,1 8,2 5,1

Banque 8,9 - 3,9

Total 100,0 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

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2-1. Caractéristiques de la relation de travail de la population étudiée

2-1-1 Les formes de travail précaire Les principales formes de travail précaire sont les contrats temporaires, le travail indépendant et les opérations triangulaires. Nous examinons successivement la définition de ces trois formes.

i) Les contrats temporaires

L’aspect atypique des contrats temporaires s’attache soit à la durée de la

période d’emploi (durée déterminée) soit à la durée du travail (le travail n’est pas à temps complet). Dans la relation de travail sous Contrat à durée déterminée, l’employeur et le salarié conviennent que la cessation de l’emploi est déterminée par des conditions objectives telles que l’expiration d’un délai ou l’accomplissement d’une tâche. Dans ce cas, la précarité naît de la certitude que l’emploi est strictement limité dans le temps.

L’emploi temporaire désigne toutes les relations de travail fondées sur des situations à durée limitée et appelées à se renouveler de façon cyclique : travail occasionnel, travail saisonnier, travail à temps partiel. Dans cette forme de travail, le salarié peut être recruté selon un contrat à durée indéterminée, forme typique de travail, mais la durée intrinsèque du travail fait basculer la relation dans les formes d’emploi précaires. La précarité naît de la certitude que le salarié ne peut pas espérer des revenus et des avantages sociaux équivalents à ceux des salariés à temps pleins.

ii) Les travailleurs à domicile

La convention n°177 sur le travail à domicile définit le travail à domicile

comme étant un travail qu’une personne, le travailleur à domicile, effectue à son domicile ou dans d’autres locaux de son choix autres que les locaux de travail de l’employeur, moyennant une rémunération, en vue de la réalisation d’un produit ou d’un service répondant aux spécifications de l’employeur, quelque soit la provenance de l’équipement des matériaux ou des autres éléments utilisés à cette fin, à moins que cette personne ne dispose du degré d’autonomie et d’indépendance économique nécessaire pour être considérée comme travailleur indépendant en vertu de la législation nationale.

Cette forme de travail se répand de plus en plus, et elle est presque toujours

signe de précarité. Dans la majorité des cas, les travailleurs à domicile ne bénéficient pas du statut de salarié et ne profitent d’aucun des avantages liés à ce statut et se trouvent en position de faiblesse dans toutes les négociations avec

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le chef d’entreprise. La Tunisie n’a pas ratifié la convention de l’O.I.T. n°177 sur le travail à domicile. Le code du travail tunisien aborde les travailleurs à domicile comme salariés dans deux articles: l’article 159 et 174.

L’article 159 C.T. relatif aux commissions consultatives d’entreprise énonce que : « sont considérés comme salariés, pour l’application des dispositions du présent chapitre. Les travailleurs à domicile… ». Cette formulation fait comprendre que l’intention du législateur est de limiter l’étendue de la disposition considérant les travailleurs à domicile comme salariés au seul chapitre relatif aux C.C.E. et de ne pas l’étendre au-delà de cette limite. S’il n’en est pas ainsi, la disposition serait inutile.

L’intérêt de l’article 159 du C.T. est d’avoir donné une définition du

travailleur à domicile et quelques éclairages relatifs à sa situation. Selon l’article, il n’est pas nécessaire de rechercher s’il existe entre les travailleurs à domicile et leur employeur un lien de subordination juridique, ni s’ils travaillent sous la surveillance immédiate et habituelle de l’employeur, ni si le local où ils travaillent et l’outillage qu’ils emploient leur appartient, ni s’ils se procurent eux-mêmes les fournitures accessoires. Sont travailleurs à domicile tous ceux qui satisferont aux conditions suivantes :

•••• Exécuter moyennant une rémunération forfaitaire pour le compte d’un ou plusieurs établissements … un travail qui leur est confié soit directement soit par un intermédiaire.

•••• N’utiliser d’autres concours que ceux de leurs conjoints et de leurs enfants à charge.

Le même article ajoute que si le travailleur à domicile travaille pour le compte de plusieurs entreprises, il est considéré appartenant à l’entreprise qui lui aura versé la rémunération la plus élevée au cours de l’année passée. Enfin, l’article 159 CT précise que si le travailleur à domicile travaille pour un sous-entrepreneur qui n’est pas inscrit au registre de commerce et qui n’est pas propriétaire d’un fond de commerce, il est alors considéré comme faisant partie du personnel de l’entreprise pour le compte de laquelle agit le sous-entrepreneur.

Enfin, l’article 174 énonce que les agents chargés de l’inspection du travail

munis d’une pièce justificative de leurs fonctions sont autorisés à pénétrer de jour dans tous les locaux où les travailleurs à domicile effectuent des travaux qui leur sont confiés par les chefs d’entreprises.

iii) Les opérations triangulaires

Par opération triangulaire, on entend la relation de travail qui réunit trois

personnes à savoir, le salarié une entreprise de main-d’œuvre et une entreprise utilisatrice. Cette dernière confie une fraction de ses activités à une autre entreprise, dite de main-d’œuvre qui exécute le travail avec sa propre main-d’œuvre ou met à la disposition de l’entreprise utilisatrice des salariés pour

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l’exécuter. Le salarié se trouve, alors, en rapport avec ces deux entreprises. D’une part, il est recruté, payé et soumis au pouvoir de contrôle et de discipline de l’entreprise de main-d’œuvre et d’autre part, il est soumis au pouvoir professionnel de l’entreprise utilisatrice pendant l’exécution du travail.

Les opérations triangulaires se sont répandues ces vingt dernières années à

travers tous les pays en une panoplie de formes. Le défaut de réglementation dans des pays, et la sous-réglementation dans d’autres ont favorisé l’apparition des abus et des fraudes pour échapper aux contraintes légales en matière de travail. La précarité dans les opérations triangulaires, est due à l’incertitude qui règne, dans beaucoup de cas, quant à l’identification du véritable employeur du salarié.

2-1-2 Les trajectoires professionnelles sont fortement marquées par le travail

précaire. Pour la forte majorité des travailleurs le CDD et l’absence de contrat de

travail écrit, représentent une mobilité forcée produite par la gestion flexible du recrutement. Une très faible proportion des travailleurs passe d’un CDD à un CDI dans des activités permanentes de l’entreprise. Les hommes subissent un peu plus que les femmes la mobilité forcée. Environ 62 % des hommes contre 52 % des femmes ont occupé plus d’un emploi sous le statut juridique précaire.

Pour les travailleurs qui ont occupé plus d’un emploi, la mobilité se

traduit par une suite de contrats de travail précaires avec une durée de chômage entre deux contrats souvent égale ou inférieure à trois mois. Parfois, une faible proportion de femmes mariées quitte momentanément le marché du travail. Les trajectoires professionnelles se caractérisent alors principalement par une situation précaire de longue durée. (Voir Graphique ci-dessous)

Figure 6: Trajectoires professionnelles des travailleurs ayant occupé plusieurs emplois entre 2005 et

2008

Source: Enquête UGTT &FFEbert,2008

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2005

t1

2005

t2

2005

t3

2005

t4

2006

t1

2006

t2

2006

t3

2006

t4

2007

t1

2007

t2

2007

t3

2007

t4

2008

t1

2008

t2

2008

t3

Emploi précaire Chômage Hors marché

Emploi précaire = CDD, Contrat atypique et Relation de travail sans contrat écrit

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La mobilité professionnelle des travailleurs est forcée car environ 60 % quittent l’emploi suite à la fin de la durée du contrat de travail ou suite à un licenciement, souvent collectif. Les autres le font par démission. Pour la moitié des démissionnaires, la mobilité est également forcée car elle est principalement due à un salaire indécent. Certains travailleurs se voient forcés de changer de résidence pour échapper au chômage. Ils représentent 26 et 15 % respectivement des hommes et des femmes. Le Grand Tunis où s’est déroulée l’enquête est doté d’infrastructures de transport public9 et constitue un large bassin d’emploi où la mobilité géographique peut déboucher sur un emploi puisqu’il s’agit du plus grand pôle d’activité économique du pays. Mais cette région, pôle d’attraction pour la population de plusieurs régions, enregistre un niveau élevé du déséquilibre entre l’offre et la demande d’emploi10. De ce fait, pour tous les travailleurs précaires, le chômage force l’acceptation d’emplois sous-qualifiés ou sous-payés. La recherche à subsister pousse à faire des concessions sur les conditions de travail et finit par créer un sentiment de frustration lié au fait que toute leur vie, ou du moins une partie importante de leur temps, est mobilisée pour le travail alors qu’elles en retirent souvent fort peu, que ce soit sur le plan financier ou sur le plan professionnel. Le vécu dans des situations précaires (contrat temporaire et chômage) sur une longue période suscite des interrogations sur la qualité de ses acquis professionnels et une baise de l’estime de soi.

Tableau 5bis : Fréquence des moyens de recherche d’emploi

Moyens de recherche d’emploi En % du total des travailleurs

Aide des amis 59

Contact individuel des employeurs sans l’aide familiale ou autre

47

Aide familiale 46

Bureau emploi 43

Demande d'emploi écrite 30

Offre d'emploi dans la presse 19

Participation à des concours 12 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

9 Il importe de souligner que les conditions de transport sont difficiles aux heures de pointes car la qualité de ce réseau laisse à désirer. 10 Taux de chômage dans le Grand Tunis en 2007: Manouba 16.8 %, Ben Arous 15.2 %, Ariana 13.1% et Tunis 12,4 %.

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2-1-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre est associée au CDD et à l’absence de

contrat de travail écrit.

Les travailleurs recrutés selon une relation de travail triangulaire sont

souvent sous CDD. C’est le cas de 67 % des hommes et 49% des femmes. (Voir tableau ci-dessous). La sous-traitance se caractérise aussi par une situation où la relation de travail est frauduleuse dans la mesure où une forte proportion des travailleurs ne bénéficie pas de contrat de travail écrit ; phénomène répandu particulièrement parmi les agents de sécurité privé ou de nettoyage. Sur le plan juridique, le travailleur est protégé car le contrat de travail oral est reconnu par le code du travail. L’article 6 du code de travail stipule :

« Le contrat de travail est une convention par laquelle l’une des parties

appelée travailleur ou salarié s’engage à fournir à l’autre partie appelée

employeur ses services personnels sous la direction et le contrôle de celle-ci

moyennant une rémunération. La relation de travail est prouvée par tous

moyens »11

Mais encore faut-il prouver cette relation en cas de nécessité. Ignorant les subtilités et nuances du droit du travail, les travailleurs sans contrat écrit deviennent fragiles face à l’employeur. Ce dernier s’appuie sur cette ignorance pour les menacer constamment de licenciement en vue de les rendre dociles à plusieurs formes de flexibilité de l’organisation du travail et de l’exploitation salariale.

Les femmes subissent plus que les hommes cette stratégie des employeurs ; 45 % des femmes en sous-traitance ne bénéficient pas de contrat de travail écrit contre 31 % des hommes en sous-traitance (Voir Tableau ci-dessous). Le même phénomène existe en situation de relation de travail bilatérale classique mais il est de moindre ampleur aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Tableau 6 : Distribution des travailleurs par type de contrat de travail et par genre selon le type de relation de travail (en %)

Hommes Femmes

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

CDD 67 64 49 60

Sans contrat 31 17 45 15 Contrat atypique) 1 4 6 4

CDI 1 15 0 21

Total 100 100 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

11 Article modifié par la loi n°96-62 du 15 juillet 1996

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2-2. Raisons de la mobilité L’examen des raisons précises de sortie de l’emploi permet de mettre en évidence le caractère forcé de la mobilité des travailleurs. 2-2-1 Les principales raisons de sortie de l’emploi

L’enquête auprès des travailleurs révèle les raisons suivantes de sortie de l’emploi :

• La démission est la première raison évoquée notamment par les femmes et les travailleurs en relation de travail de sous-traitance.

• La fin de la durée du contrat de travail est la seconde raison de sortie de l’emploi précaire. Elle concerne plus fortement que la moyenne les hommes et les travailleurs en relation de travail triangulaire.

• Le licenciement collectif est plus fréquent que la moyenne pour les femmes et les travailleurs en relation de travail bilatérale.

• Enfin le licenciement est relativement une faible raison de sortie de l’emploi. Les écarts entre les différentes catégories de travailleurs ne sont pas statistiquement significatifs.

Tableau 7 : Fréquence des principales raisons de sortie de l’emploi

en % de chaque catégorie des travailleurs (en % du total de chaque catégorie)

Type de relation de travail Genre

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes

Ensemble

Démission 44 40 36 49 41

Fin de la durée

de travail

44 36 44 28 38

Licenciement collectif

7 16 10 18 13

Licenciement individuel

7 9 9 6 8

NB : Le tableau se lit comme suit : Par exemple, 44 % des travailleurs en relation de travail triangulaire ont quitté leur emploi suite à une démission. Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

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2-2-2 Les principales raisons de démission de l’emploi précaire

Le salaire est la raison la plus fréquente de démission de l’emploi précaire quelque soit le genre et le type de relation de travail dans l’emploi précaire. Environ la moitié des démissionnaires évoque cette raison qui traduit le refus des salaires indécents. L’emploi éloigné est souligné plus fortement que la moyenne par les travailleurs démissionnaires en relation de sous-traitance (33%) et par les femmes (24%). Enfin la démission se produit pour occuper un meilleur emploi. Elle est évoquée, plus fréquemment que la moyenne, par les hommes et les travailleurs en relation de travail bilatérale.

Figure 7: Fréquence relative des principales raisons de démission de l'emploi précaire par genre

et par type de relation de travail

(en% des travailleurs démissionnaires de chaque catégorie)

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

50

48

48

50

49

33

7

8

24

15

7

19

23

5

15

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50

Relation de travail triangulaire

Relation de travail bilatérale

Hommes

Femmes

Total

Salaire insuffisant Emploi éloigné du logement Pour occuper un emploi meil leur

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3. CARACTERISTIQUES DE L’EMPLOI PRECAIRE : LA FEMME EST PARTICULIEREMENT VICTIME DU TRAVAIL INDECENT

3-1. Caractéristiques démographiques et éducatives de la population

étudiée

La population enquêtée comprend des travailleurs célibataires et mariés ou qui ne le sont plus dans des proportions assez voisines aussi bien parmi les hommes que les femmes. Les travailleurs de moins de 30 ans représentent 45 % des hommes et 32 % des femmes, le reste représente les plus de 30 ans. Seulement un peu plus de la moitié sont nés dans le Grand Tunis où s’est déroulée l’enquête. Environ 27 % sont nés dans le Nord Ouest représentant ainsi les fils et les filles de l’exode rural.

Tableau 8 : Caractéristiques démographiques des travailleurs précaires par genre.

Hommes Femmes Total Etat civil

Célibataire 52,6 49,7 51,3 Marié(e) 41,9 32,4 37,8

Divorcé(e) 4,7 11,2 7,5

Veuf(ve) ,9 6,7 3,4

Total 100,0 100,0 100,0

Age

=< 30 ans 44,9 32,4 39,5

> 30 ans 55,1 67,6 60,5

Total 100,0 100,0 100,0

Région de naissance Grand Tunis 52,3 55,6 53,6 Nord Est 10,9 9,8 10,5

Nord Ouest 27,7 25,5 26,8 Centre Est y compris Sfax 2,7 2,0 2,4

Centre Ouest 4,5 6,5 5,4

Sud Est ,7 ,3

Sud Ouest ,9 ,5 Etranger ,9 ,5 Total 100,0 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

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Le profil éducatif des femmes est différent de celui des hommes. Ces derniers ont relativement un niveau éducatif plus élevé. La part issue de l’enseignement secondaire ou supérieure est de 51 et 33 % respectivement pour les hommes et les femmes. Ces dernières regroupent aussi la plus forte proportion d’analphabètes soit 15 % contre seulement 3 % des hommes. Enfin 31 % des hommes ont eu accès à une formation professionnelle initiale contre 20 % pour les femmes. Cette inégalité du capital humain marquera la différenciation de leurs parcours professionnels.

Tableau 9 : Caractéristiques éducatives des travailleurs précaires par genre. Hommes Femmes Total

Niveau d’éducation Analphabète 3,4 15,1 8,5

Primaire 1er cycle EB 24,4 35,8 29,3

2ème Cycle EB 21,4 16,2 19,1

Secondaire 41,0 19,6 31,7

BAC+2ou3 6,0 10,1 7,7

Bac+4 3,8 3,4 3,6

Total 100,0 100,0 100,0

Accès à la formation professionnelle initiale

Suivi d'une formation professionnelle 31,2 19,6 26,2

Non suivi de formation professionnelle 68,8 80,4 73,8

Total 100,0 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

3-2. Les déterminants du niveau des salaires 3-2-1 Le salaire est croissant en fonction du niveau d’éducation et inégal par

genre.

Le salaire moyen mensuel est croissant en fonction du niveau d’éducation aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Celui des femmes est nettement inférieur à celui des hommes. Tous niveaux d’éducation confondus, le salaire mensuel moyen des femmes est de 238 dinars contre 309 dinars pour les hommes, soit un écart mensuel moyen de 71 dinars.

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Figure 8: Salaire mensuel moyen en dinars par niveau d'éducation selon le genre-2008

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

378

275

243

322

281287

169205

266277

100

150

200

250

300

350

400

Analphabète 1er Cycle EB 2ème cycle EB Secondaire Bac+2

Hommes Femmes

En dehors du cas des travailleurs issus du 2ème cycle de l’enseignement de base, le salaire moyen des hommes est supérieur à celui des femmes à chaque niveau d’éducation. L’écart est de 103 et 74 dinars respectivement pour les sortants du niveau supérieur (Bac+2) et les analphabètes. 3-2-2 Le salaire est inégal selon le type de relation de travail.

Les travailleurs en situation de sous-traitance sont moins rémunérés que les travailleurs en relation de travail bilatérale, quelque soit le genre. L’écart mensuel des salaires est de 100 dinars parmi les femmes, contre 62 dinars parmi les hommes. L’écart salarial entre les deux types de relation de travail se confirme souvent en neutralisant l’effet du niveau d’éducation.

Figure 9: Salaire mensuel moyen par niveau d'éducation selon le type de relation de travail

(en Dinars)

Source: Enquête UGTT & F,F,EBERT 2008

192

329

210180

273274

298

228

283284

100

150

200

250

300

350

Analphabètes 1er cycle

Enseignement de

base

2ème cycle

Enseignement de

base

Secondaire Bac +2

Relation de travail triangulaire (1) Relation de travail bilatérale (2)

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3-2-3 Effet négligeable de l’expérience professionnelle sur le niveau du salaire.

Il n’existe pas de différences salariales significatives entre jeunes et adultes dans le travail précaire. Deux situations apparaissent en examinant le salaire par niveau d’éducation selon l’âge des travailleurs :

i) L’expérience professionnelle est non reconnue pour les travailleurs

analphabètes ou issus des deux cycles de l’enseignement de base. Les adultes (âge supérieur à 30 ans) sont relativement moins rémunérés que les jeunes (âge égal ou inférieur à 30 ans). L’écart mensuel est environ de 20 et 30 dinars respectivement pour les analphabètes et ceux qui sont issus du 1er cycle de l’enseignement de base. Il devient nul pour les travailleurs ayant atteint le 2ème cycle de l’enseignement de base.

ii) L’expérience professionnelle est faiblement reconnue pour les travailleurs

issus de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur. Les adultes sont relativement mieux rémunérés que les jeunes mais l’écart salarial est faible, environ 30 dinars.

Figure 10 : Salaire mensuel moyen en dinars par niveau d'éducation selon l'âge

Source: Enquête UGTT &FFEbert, 2008

306

183

336

281295

277

205

277

321

247

150

170

190

210

230

250

270

290

310

330

350

Analphabète 1er Cycle EB 2ème cycle EB Secondaire Bac+2

Age=< 30 ans Age > 30 ans

La rotation qu’implique l’emploi précaire dans les emplois, les conditions assurées par les sociétés sous-traitantes de l’emploi n’autorise pas de parler d’expérience et de formation contractée par les travailleurs provisoires. Le caractère fugace de ces emplois, le renouvellement des vagues d’employés précaires ne permet pas d’améliorer les ressources humaines dans les entreprises utilisatrices. Dans les conditions du travail précaire tel qu’il est

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pratiqué aujourd’hui en Tunisie, il est difficile de développer la « capacité productive des secteurs »12. 3-2-4 Environ le quart de la population étudiée perçoit un salaire indécent car

inférieur au SMIG

Pour tout le monde, le travail rémunéré est un moyen de subsistance qui accorde une autonomie plus ou moins grande envers les autres selon les revenus qu’il procure. Cette capacité de pouvoir subvenir à ses besoins de base, se nourrir, se loger, se déplacer, est déterminante pour une majorité de personnes. En effet, ce sont le plus souvent les difficultés liées au fait de gagner sa vie qui font gonfler l’insécurité et pousser à réviser ses ambitions pour se soumettre aux exigences du marché ; c’est particulièrement le cas des femmes rémunérées en dessous du SMIG. Le code du travail indique que la rémunération des travailleurs de toutes catégories est déterminée, soit par accord direct entre les parties, soit par voie de convention collective, dans le respect du salaire minimum garanti fixé par décret. (Art134-1). Le salaire minimum garanti est le seuil minimum au dessous duquel il n’est pas possible de rémunérer un travailleur chargé d’accomplir des travaux ne nécessitant pas une qualification professionnelle.(Art134-2). Le Décret n°2008-2072 du 02/06/2008, fixe le Salaire Minimum Inter professionnel Garanti (SMIG) comme suit pour les salaires payés au mois : 251,888 DT pour le régime de 48 heures par semaine et 217,880 DT pour celui de 40 heures par semaine. Le régime horaire de la population des travailleurs de notre enquête est celui de 48 heures par semaine. Sur cette base, les résultats de notre enquête montrent que les catégories suivantes de travailleurs perçoivent un salaire mensuel inférieur au SMIG : Femmes analphabètes (168 DT), Femmes en relation de travail de « sous-traitance » (185 DT), Femmes issues de l’enseignement primaire (205DT) et Hommes analphabètes (242 DT).

Les catégories dont le salaire est inférieur au SMIG représentent 22 % du total des travailleurs. L’employé précaire est par définition privé socialement de sa liberté du moment qu’il a contracté un emploi dans des conditions de nécessité et de besoin, conditions inscrites automatiquement dans ce que le BIT appelle l’emploi « indécent ». C’est le lot du « tout-venant », qui est par définition « poussé » au travail. La condition du travail précaire c’est que la rétribution est celle qui est destinée au « tout-venant » de l’emploi., la précarisation de l’emploi le met d’office en rapport de précarisation dans la posture de revendication de ses droits, la peur d’être exclu étant l’attitude la plus « normale » la plus

12 La capacité productive est définie comme l’aptitude, premièrement, à produire des biens qui répondent aux normes de qualité des marchés actuels et, deuxièmement, à se mettre à niveau pour accéder à de nouveaux marchés.

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« prévisible ». Ce sont des forces de travail qui négocient leurs conditions sociales (y compris professionnelles, quand ils en ont la chance) sur une « corde raide ». Par exemple, que peut-on attendre d’une femme de ménage qui vient à la STEG13 deux fois par jour, le matin (3 heures de travail à raison de 1,100-1,200 DT de l’heure) et le soir (deux heures ou trois heures : de 18 h à 20 ou 21 h), qui travaille cinq jours par semaines, qui touche par conséquent 60 DT par mois, (les plus chanceuses travaillent six jours samedi compris) et peuvent atteindre le plafond de 90 DT par mois. De cela il faudra retrancher le transport et parfois le sandwich qui lui permet de « tenir le coup ». Les 400 femmes qui travaillent sous forme de « régie » chargée du nettoyage, ont un revenu si dérisoire qu’il serait vain de prévoir une retenue de cotisation à la Sécurité Sociale, etc. Ces femmes sont sous toutes les normes de cotisation. Pour les désigner correctement, nous proposons de leur appliquer la catégorie d’infra-normes. Ces conditions sont le lot des caissiers, des magasiniers, des secrétaires, des standardistes, des vaguemestres. Leur situation empire davantage quand arrive la séance unique. Le nombre d’heures à travailler par jour baisse sensiblement : 6 heures seulement par jour durant cinq jours ouvrables par semaine. Les plus chanceux parviennent à cumuler 120 heures par mois. Ils se considèrent, pour emprunter leur argot que nous exprimons ainsi en français : les « aristos des infra-normes ». 3-2-5 Les salaires obtenus sont inférieurs aux salaires souhaités

Au cours de la recherche d’emploi, les travailleurs fixent un objectif de

salaire dit « salaire de réserve » ou « salaire souhaité » ; en dessous duquel ils n’acceptent pas un emploi au début de leur processus de recherche d’emploi. Mais, en découvrant le niveau élevé du chômage, la majorité des travailleurs est poussée à baisser son exigence salariale pour accéder à un emploi. C’est le cas de 85% des femmes et 87 % des hommes. Pour le reste le salaire obtenu est égal ou supérieur au salaire souhaité.

Du point de vue des travailleurs, l’écart entre le salaire souhaité et le salaire du marché peut être admis comme la mesure du déficit d’un salaire décent. Cet écart ou déficit varie selon le genre et le niveau d’éducation des travailleurs. Il est de 94 dinars pour les hommes et de 101 dinars pour les femmes. Il varie aussi selon le niveau d’éducation (Voir Graphique ci-dessous)

13 Le cas de cette entreprise publique a été étudié par l’enquête qualitative.

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Figure 11 : Salaire moyen souhaité et salaire moyen obtnu par niveau d'éducation

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2005

280

463

320

388380

318

185

244279

308

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

500

Analphabète Primaire 1er cycle EB 2ème Cycle EB Secondaire BAC+2ou3

Salaire souhaité (salaire de réserve) Salaire obtenu (salaire du marché)

3-2-6 Faible écart entre les salaires de la population syndiquée et celle qui est non

syndiquée.

Globalement, l’écart salarial est faible entre la population syndiquée et

celle non syndiquée. Toutes catégories confondues, le salaire mensuel moyen des syndicalistes est de 290 dinars contre 275 dinars pour les non syndiqués ; soit seulement un écart de 15 dinars. L’examen du niveau du salaire moyen par type de relation de travail et par genre selon l’adhésion syndicale révèle deux situations des travailleurs syndiqués :

• Dans la première situation les travailleurs syndiqués sont mieux rémunérés

que les non syndiqués. Elle concerne des travailleurs, hommes et femmes en relation de travail bilatérale.

• Inversement, dans la seconde situation les travailleurs syndiqués sont

moins rémunérés que les non syndiqués. Il s’agit des hommes en relation de travail triangulaire. Dans ce type de relation il n’existe pas de différence entre femmes syndiquées et non syndiquées car pour les deux catégories le salaire obtenu est très inférieur au SMIG (185 dinars). Cette situation révèle que le courage d’adhésion au syndicalisme existe dans le contexte du travail précaire14

14 L’analyse de la syndicalisation de la population étudiée est examinée dans la troisième partie de ce rapport.

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Tableau 10 : Salaire mensuel moyen par type de relation de travail, et par genre selon

l’adhésion syndicale

Hommes Femmes

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Total

Adhérent au syndicat

259

343 184 316 290

Non

adhérent au syndicat

274 330 185 281 275

Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

Enfin, l’examen des salaires moyens par niveau d’éducation indiquent un écart entre syndiqués et non syndiqués, au profit des premiers issus du 2ème cycle de l’enseignement de base ou du premier cycle de l’enseignement supérieur ; soit respectivement un écart mensuel de 40 et 50 dinars (voir graphique ci-dessous)

Figure 12 : Salaire mensuel moyen des travailleurs enquêtés par niveau d'éducation selon

l'adhésion syndicale (en dinars)

Source: Enquête UGTT & FFEbert

290

352

228

154

332 316

275

193

301248273

304

0

50

100

150

200

250

300

350

400

Analphabète 1er cycle EB 2ème cycle EB Secondaire Bac+2 ou 3 Total

Adhérent au syndicat Non adhérent au syndicat

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3-3. Une proportion importante des travailleurs ne bénéficie pas de

protection sociale.

3-3-1 Les travailleurs sous le statut d’une relation de travail triangulaire sont

nettement moins protégés que ceux qui sont sous le statut d’une relation

bilatérale.

L’absence de protection sociale est très forte chez les travailleurs en situation de sous-traitance : 72 % ne bénéficient pas d’assurance maladie et 51% ne sont pas déclarés à la sécurité sociale contre respectivement 46 % et 21 % pour les travailleurs en relation de travail bilatérale.

Figure 13 : Part des exclus de la protection sociale par type de relation de travail (en %)

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

21

51

46

72

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Relation triangulaire

Relation bilatérale

Part des exclus de l 'assurance maladie (en%)

Part des travai l leurs non déclarés à la sécuri té sociale (en%)

3-3-2 Les femmes sont moins protégées que les hommes, particulièrement contre

le risque de maladie.

En moyenne, 57 % des travailleurs ne bénéficient pas de l’assurance maladie et 37 % ne sont pas déclarés à la sécurité sociale. Les femmes sont relativement les plus exclues de la protection sociale (Voir Graphique ci-dessous). Une très forte proportion des femmes ne bénéficie pas particulièrement d’une assurance maladie ; 67% contre 50% des hommes.

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Figure 14 : Part des travailleurs exlus de la protection sociale par genre (en %)

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

42

33

67

50

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Hommes

Femmes

Part des exlus de l 'assurance maladie (en%)

Part des travai l leurs non déclarés à la sécuri té sociale (en%)

3-4. La pénibilité du travail et les accidents de travail

3-4-1 La pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi précaire.

L’emploi précaire est très pénible pour la majorité des travailleurs. La fréquence de cette situation est presque la même pour les hommes et les femmes (respectivement 66 et 67 % de cas). Par contre la fréquence du phénomène varie fortement selon le type de relation de travail. Le travail très pénible concerne 81% des travailleurs sous le statut de relation triangulaire contre 54 % des travailleurs sous statut d’une relation de travail bilatérale.

66 67

81

54

0

20

40

60

80

100

Hommes Femmes Relation de travail

triangulaire

Relation de travail

bilatérale

Figure 15: Part des travailleurs dont le travail est très pénible par genre et type de relation

de travail (en%)

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

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3-4-2 Le risque d’accident de travail et de maladie professionnelle est

particulièrement fréquent chez les femmes et les travailleurs en relation de

travail bilatérale

En moyenne 11 % des travailleurs ont eu un accident de travail. Les femmes et les travailleurs en situation de relation de travail triangulaire sont touchés dans une proportion supérieure à la moyenne. La situation particulière de ces catégories s’explique par leur présence dans des activités industrielles. Par ailleurs, 17 % des travailleurs ont été victime d’une maladie professionnelle. Les femmes et les travailleurs en relation de travail bilatérale sont atteints plus fréquemment que cette moyenne.

Tableau 11 : Part des travailleurs victime d’accidents de travail

et de maladie professionnelle ( en % du total de chaque catégorie)

Type de relation de

travail

Genre

Relation de travail

triangulaire

Relation de travail

bilatérale

Hommes Femmes

Ensemble

Part des travailleurs

victimes d’un accident de travail

16 9 9 19 11

Part des travailleurs victimes d’une maladie

professionnelle

11 22 15 20 17

N.B : Le tableau se lit par exemple comme suit : 16 % des travailleurs en relation de travail triangulaire ont été victimes d’un accident de travail. Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

3-4-3 La longue durée hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont associés

à la relation de travail triangulaire et au travail des hommes.

La durée hebdomadaire de travail est fréquemment égale à 48 h. Il n’existe pas de différence significative par genre. Au contraire le type de relation de travail a un effet discriminant. En effet le travail en sous-traitance se caractérise par une durée supérieure à 48 heures dans une proportion de 31 % contre 9 % pour les travailleurs en relation de travail bilatérale.

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Tableau 12 : Durée hebdomadaire du travail par genre et par type de relation de

travail (en %)

Type de relation de travail

Genre Durée

hebdomadaire du travail Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes

Ensemble

=<48 heures

69 91 81 83 82

>48 heures

31 9 19 17 18

Total 100 100 100 100 100 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

Environ le quart des travailleurs exerce un travail de nuit en permanence ou en alternance. Les hommes sont plus concernés que les femmes par ce type de travail. Il n’existe pas de différence significative entre les travailleurs sous le statut d’une relation de travail triangulaire et bilatérale

Tableau 13 : Fréquence du travail de nuit par genre et par type de relation de

travail (en %)

Type de relation de travail

Genre Travail de nuit

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes

Total

Travail de nuit en permanence

7 8 8 7 7

Travail de nuit en alternance

14 15 24 3 15

Sans travail de nuit 79 77 69 90 78

Total 100 100 100 100 100 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

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4. CONDITIONS DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES

4-1. Conditions d’habitat des travailleurs 4-1-1 Les conditions d’habitat des travailleurs précaires sont d’un niveau très en

dessous de la situation moyenne de la population tunisienne.

La part des propriétaires est en moyenne de 30 % que ce qui est très en dessous

de la moyenne nationale. En effet, en 2006, la part de la population tunisienne qui possède un logement est de 77%. La part moyenne des locataires est de 36 %. Les femmes occupent le statut de locataires plus fréquemment que la moyenne soit 40% contre 33 % pour les hommes. Il importe de souligner qu’une forte proportion des travailleurs (40 % des hommes et 26 % des femmes) bénéficie d’un logement gratuit en raison de leur résidence chez des parents. La solidarité familiale représente ainsi un capital social qui prend en charge le logement. L’origine sociale modeste des travailleurs apparaît aussi à travers le type de

logement occupé. Par rapport à ce critère la population étudiée se situe également en dessous de la situation moyenne de la population tunisienne. La part qui réside dans un logement modeste (Oukala, logement non destiné à l’habitation), appartement dans un immeuble ou petite maison intégrée dans une villa est nettement supérieure à la moyenne nationale du pays (voir graphique ci-dessous)

Les travailleurs précaires ont bénéficié aussi du progrès de l’infrastructure de base

dans le Grand Tunis. La quasi-totalité de leurs logements sont connectés aux réseaux de l’électricité et de l’eau potable (97%). Par contre la connexion au gaz de ville ne concerne, en moyenne, que 35 % des logements.

Figure 16: Distribution des travailleurs précaires et de la population tunisienne totale

par type de logement occupé (en %)

39

13

14

14

20

52

1

2

8

37

0 10 20 30 40 50 60

« DAR ARBI (HOUCH) »

Logement modeste

Peti te maison intégrée à une vi l la

Appartement dans un immeuble

Vi l la ou Etage d'une vi l la

Travai l leurs précai res Tunisie2004

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4-1-2 Le loyer absorbe une forte proportion du salaire, particulièrement parmi les

femmes.

En moyenne, le loyer absorbe 45 % du salaire des travailleurs précaires. Quelque soit le type de logement, les femmes locataires subissent plus que les hommes la charge du loyer car leur salaire moyen est inférieur à celui des hommes. Par ailleurs, les femmes sont plus fréquentes que les hommes en position de locataire, ce qui les rend davantage vulnérable et victime de la pauvreté.

36

41

40

50

17

18

41

52

68

58

54

27

22

52

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Dar arbi (Houch)

Villa ou Etage d'une villa

Petite maison intégrée à

une villa

Appartement dans un

immeuble

Habitation collective

(Oukala)

Local non destiné à

l'habitation

Ensemble

Figure 17: Part du salaire consacrée au loyer par genre selon le type de logement loué

par les travailleurs précaires (en%)

Femme Hommes

C’est le transport en commun qui est le moyen de transport le plus utilisé par les travailleurs précaires pour rejoindre leur travail à partir de leur logement, le bus en tête (43,7% pour les hommes et 49,7% pour les femmes), suivi par les deux autres types de transport en commun : le métro (14,3% pour les hommes et 13,4% pour les femmes) et le train, (13,4% pour les hommes et 11,2% pour les femmes), c’est à dire à égalité ou presque. La faible proportion du louage montre que la population enquêtée habite dans sa très grande majorité dans le Grand Tunis et ne vient que très minoritairement des gouvernorats autres. Plus que la bicyclette, c’est la mobylette qui est comparativement la plus usitée entre ces deux moyens de transport, tandis que la locomotion à pied, en voiture privée ou en voiture non privée est très peu citée.

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Tableau 14 : Distribution des travailleurs précaires par moyens de transport utilisés et

selon le temps mis entre le logement et l’emploi.

Hommes Femmes Total

Moyens fréquents de transport entre le logement et l’emploi

Train 13,4 11,2 12,4

Métro 14,3 13,4 13,9

Bus 43,7 49,7 46,3 Louage 2,2 1,7 2,0

voiture privée 1,3 2,8 2,0

voiture non privée ,4 ,6 ,5

mobylette 5,2 2,9

bicyclette ,9 1,1 1,0

à pied 18,6 19,5 19.0

Total 100,0 100,0 100,0

Temps de déplacement entre le logement et l’emploi 5-30 minutes 43,9 37,5 41,0

31-60 minutes 37,6 45,2 41,0

Plus de 60 minutes 18,6 17,3 18,0

Total 100,0 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

Environ 18 % des travailleurs mettent plus d’une heure entre la résidence et l’emploi. L’examen détaillé des résultats de l’enquête révèle que les points de concentration de la population enquêtée qui se déplace de son lieu de logement à son lieu de travail se situent à deux points temporels récurrents : la demi-heure et l’heure complète. Ceci doit correspondre à deux variables : l’éloignement de la distance et le moyen de transport utilisé. A ces deux temporalités les femmes constituent la majorité par rapport aux hommes (respectivement : 22,0% contre 16,5 pour la demie heure, et24,4% et 18,4% pour la temporalité d’une heure). 4-2. Reproduction de la précarité au sein de la famille des travailleurs

précaires. 4-2-1 Profil éducatif et situation professionnelle des conjoints.

En général le niveau d’éducation des travailleurs est supérieur à celui de leurs conjointes. Environ la moitié des travailleurs sont issus de l’enseignement secondaire ou supérieur alors que la part de leurs conjointes de même niveau éducatif est de 26 %. Et, inversement le niveau éducatif des travailleuses est en général inférieur à celui de leurs maris mais l’écart entre eux est relativement faible pour la part dont le niveau est égal ou supérieur à l’enseignement secondaire.

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Tableau 15 : Distribution des travailleurs précaires et de leurs conjoints par niveau d’éducation

Travailleurs Conjointes Travailleuses Conjoints

Analphabète 3,4 16,0 15,1 23,8

Primaire 1er cycle EB

24,4 47,2 35,8 36,9

2ème Cycle EB 21,4 11,3 16,2 7,1

Secondaire 41,0 18,9 19,6 17,9

Supérieur 9,8 6.6 13,5 18,4

Total 100.0 100.0 100.0 100.0

>= Secondaire 49.8 25.5 33.1 36.3 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

Les femmes occupent la position la plus vulnérable dans la mesure où 42 et 22% du total de leurs conjoints sont respectivement en situation de chômage ou occupant un emploi salarié temporaire. Les hommes sont aussi handicapés par le fait qu’environ la moitié de leurs femmes est en dehors du marché du travail (47%) et le quart est en chômage. La précarité traverse ainsi profondément le couple. Elle a un impact négatif sur la relation du couple selon la déclaration de 58 % des femmes et 47 % des hommes. La relation du couple des travailleurs en « sous-traitance » est la plus fréquemment perturbée par les conditions de travail. L’impact négatif des conditions de travail sur les enfants des travailleurs est subi par 70% des femmes et 48 % des hommes. Il s’agit souvent de travailleurs en relation de travail triangulaire

Tableau 16 : Distribution des conjoints des travailleurs précaires selon la situation par rapport au marché du travail (en %)

Conjointes

des Hommes

Conjoints

des Femmes

Ensemble

des conjoints

Salariés temporaires 7,2 21,7 13,8

Salariés permanents 22,5 34,8 28,1

Ne travaillent pas et cherchent un emploi (en

chômage)

22,5 42,4 31,5

Ne travaillent pas et ne cherchent pas

d’emploi (inactif)

47,7 1,1 26,6

TOTAL 100,0 100,0 100,0 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

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Tableau 17 : Part des travailleurs mariés dont les conditions de travail ont eu un impact

négatif sur la relation de leur couple (en %)

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes Ensemble

66 41 47 58 52 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

4-2-2 Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux enfants.

Le chômage et l’emploi temporaire concerne 47 % des enfants. Même les 7 % occupant un emploi indépendant ne sont pas à l’abri d’une précarité en termes de revenu. Seulement 7 % ont échappé à la précarité en occupant un emploi permanent. La forte pénétration de la précarisation au sein des enfants est appelée à s’amplifier car le risque de la subir par le reste des enfants scolarisés est grand dans un contexte familial où ce phénomène devient un cercle vicieux par sa forte reproduction.

Figure 18: Distribution du total des enfants selon leur situation par

rapport au marché du travail

Source: Enquête UGGT & FFEbert 2008

Chômeur

23%

Emploi

permanent

7%

poursuite étude

37%

en formation

professionnelle

2%

Emploi

temporaire

24%

Indépendant

7%

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Deuxième partie : CADRE JURIDIQUE DU TRAVAIL PRECAIRE

ET GESTION ACTIVE DU MARCHE DU TRAVAIL

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C'est parce qu'il renonce à son indépendance que le travailleur se voit consentir en contrepartie les sécurités de l'emploi et se justifie ainsi sa subordination. Ce concept de «subordination» est mis en cause dans le contexte de la mondialisation : on ne veut plus de travailleurs seulement obéissants ; les exigences de qualité des produits et de réduction des coûts conduisent à attendre des travailleurs qu'ils se comportent comme s'ils étaient indépendants et responsables dans les entreprises qui adoptent la démarche qualité. La notion d’«employeur» est également mise en cause lorsque le pôle de décision patronal se dilue dans les groupes et les réseaux. La fragmentation du statut salarial avec le développement de l'emploi précaire met en cause la notion « d’emploi ». Enfin, que le type de relation de travail précaire soit subi ou volontaire, il est plus difficile aux travailleurs de s’organiser en syndicats et ils ont donc beaucoup moins de chances de voir leurs intérêts représentés à la table de négociation. L’«informalisation» de plus en plus marquée de la relation d’emploi est devenue une manifestation internationale de l’impact social de la mondialisation15. En Tunisie, les réformes engagées depuis le début des années 90 ont permis l’émergence d’une économie de marché intégrée à l’économie mondiale. Mais son modèle demeure fondé principalement sur des activités économiques à faible valeur ajoutée. Par conséquent, l’expansion de l’économie du savoir, objectif central du 10ème et 11ème plan, est encore limitée. La réforme du code du travail en 199416 complétée en 199617, en relation avec cette intégration à l’économie mondiale, a été importante par le nombre d’articles modifiés mais aussi les thèmes abordés. Plus du quart du code a connu une révision touchant aussi bien les relations individuelles que les relations collectives de travail. Cette réforme a introduit une forte dose de flexibilité particulièrement dans les dispositions relatives au recrutement de la main-d’œuvre. L’employeur est libre de choisir la nature du contrat de travail (contrat à durée indéterminée, contrat à durée déterminée ou contrat à temps partiel). La sous-traitance de la main-d’œuvre s’est développée.

La législation tunisienne sur les contrats de travail s’approche de la législation européenne. Mais à l’inverse des pays européens, la Tunisie n’a pas de dispositifs qui assurent efficacement la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs.

15 BIT 1999. Etudes par pays sur l’impact social de la mondialisation. Rapport final, document GB.276/WP/SDL/1 présenté au Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international, 276e session du Conseil d’administration, nov. 1999. 16 Loi n°94-29 du 21 février 1994. 17 Loi n°96-62 du 15 juillet 1996.

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1. LA LEGISLATION TUNISIENNE SUR LES CONTRATS A DUREE DETERMINEE Selon le principe consacré par la majorité des législations, la nature de la

relation contractuelle liant l’employeur à son salarié est déterminée par la nature du travail objet du contrat. Alors, si la tâche confiée au salarié est, par sa nature, permanente, dans le sens, qu’elle fait partie de l’activité normale et continue de l’entreprise, la relation de travail doit être permanente sur la base d’un contrat à durée indéterminée. Mais, par contre, si cette tâche n’est que de nature temporaire, et imposée par des circonstances exceptionnelles, limitées dans le temps, le recours à un contrat à durée déterminée est alors possible.

L’emploi stable, forme de travail normal se basant sur un contrat à durée

indéterminée et à temps complet, est le principe. L’exception est l’emploi précaire qui désigne toute relation de travail basée sur une autre structure que le contrat de travail à durée indéterminée. L’emploi stable n’est pas de règle en Tunisie. En effet, l’entreprise jouit d’une très grande liberté pour embaucher sur la base du contrat à durée déterminée. La législation tunisienne, ne s’est pas contentée d’autoriser ce genre de relation de travail précaire mais, elle en a créé une multitude de formes sans les entourer d’une nécessaire réglementation. 1-1 Notion juridique de précarité Le mot « précaire » est un adjectif qui qualifie ce qui se trouve dans une situation instable, provisoire ou temporaire. En outre, il signifie la maigreur, la faiblesse et la fragilité. En droit, la définition de la précarité varie selon le système juridique dans lequel on se place. On cherchera cette notion dans les deux principaux systèmes, à savoir, le système romano-germanique et le système du Common law. 1-1-1. La notion de la précarité du travail dans les pays du système romano-

germanique

Le système romano-germanique, héritier du droit romain, élaboré au moyen

âge dans les universités de l’Europe occidentale, notamment, l’Italie, se caractérise par le mouvement de la codification. Il englobe, les pays de l’Europe de l’Ouest hormis l’Angleterre et quelque pays scandinaves. Selon l’unanimité des auteurs dans ces pays, la forme du travail normale est une relation de travail qui lie par contrat, le salarié à son employeur pour une durée indéterminée et à temps complet, et qui oblige le salarié à fournir à ce seul employeur toute son activité professionnelle dans les locaux de l’entreprise, en contrepartie d’une rémunération et du bénéfice d’une protection contre le licenciement injustifié.

Dès lors, toute relation de travail qui ne présente pas l’ensemble de ces

caractères est considérée comme atypique. Cependant, les employeurs considèrent que la relation de travail typique, est à l’origine des réglementations rigides du travail, peu compatibles avec une nécessaire adaptation des entreprises à un environnement économique changeant et compétitif. Ces

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entreprises cherchent dans ce contexte de crise, une flexibilité dans les législations sociales qui leur permet une meilleure gestion de la main d’œuvre et des coûts du travail.

Mais cette flexibilité généralement, démesurée, a engendré des effets

néfastes spécialement en matière de stabilité de l’emploi. Ces effets se sont aggravés par l’apparition de nouvelles formes de travail et ont fait transformer l’opposition classique emploi typique-emploi atypique en une nouvelle opposition emploi stable-emploi précaire. La notion de relation de travail précaire désigne aujourd’hui, une relation de travail basée sur une autre structure que le contrat à durée indéterminée.

1-1-2. La notion de la précarité du travail dans les pays du système du Common

Law : Le modèle américain.

Aux Etats-Unis, règne une distinction classique entre le secteur syndiqué

dans lequel les salariés sont protégés par les conventions collectives, et le secteur non syndiqué dont relève la majorité des salariés. La distinction entre salariés permanents et salariés temporaires, n’a pas l’importance et la signification qu’elle a en Europe. Certes, on trouve en Amérique des formes de travail atypique, mais elles ne sont pas automatiquement des socles de précarité.

La précarité aux Etats-Unis correspond à la même situation qu’en Europe, à

savoir l’absence de statut et de protection sociale, mais, elle s’applique à tous les salariés permanents ou temporaires qui ne bénéficient pas des avantages syndicaux. L’opposition connue en Europe entre permanents et temporaires est neutralisée en Amérique. On ne trouve pas de différence entre un salarié recruté à durée indéterminée et un salarié temporaire. Et même si le contrat de travail est considéré, sauf disposition contraire expresse, comme conclu pour une durée indéterminée, l’employeur peut à tout moment mettre fin à la relation de travail pour juste cause, mauvaise cause ou même sans cause. Cette liberté de licencier, neutralise un caractère principal de l’emploi typique dans le modèle européen : la protection contre le licenciement abusif.

En outre, on remarque au niveau du marché interne du travail, la

coexistence de deux schémas : - Le modèle de relation industrielle, qui s’applique au travail des ouvriers

qui s’organise en une série de postes bien définis et où la sécurité de l’emploi n’existe pas, seulement le licenciement se fait en ordre inverse d’ancienneté.

- Le modèle de confiance salariale qui se base sur des procédés plus souples et des relations plus personnalisées et un engagement plus grands vis-à-vis de la sécurité du travail et concerne les cadres et aussi un nombre d’ouvriers.

Or, par souci de flexibilité, les entreprises s’organisent généralement selon

un schéma noyau-périphérie. Alors, un groupe réduit de personnel se constitue sur le modèle de confiance salariale, et un tampon périphérique se compose des

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ouvriers qui agissent sous le modèle de relation industrielle ou en tant qu’intérimaires et ne bénéficient pas des avantages du noyau, notamment en matière de sécurité de l’emploi. Ainsi, aux Etats-Unis et contrairement aux pays du système romano-germanique, la précarité est définie plus par le poste de travail que par le statut du salarié.

De cette comparaison il se dégage que le rapport entre précarité de la

situation du salarié et atypicité des relations de travail n’existe que dans le système romano-germanique. Dans le modèle américain, la notion du travail typique est assez floue et n’entraîne pas nécessairement la stabilité du travail. Mais dans le contexte actuel de crise économique et sociale, on ne peut pas toujours associer contrat de travail à durée indéterminée et stabilité du travail. Aucun salarié permanent n’est assuré qu’il ne serait jamais en chômage. De la sorte, les différences entre le modèle européen et le modèle américain s’estompent et la précarité sera plus liée au poste de travail qu’au type de contrat conclu.

Cependant, cette analyse doit être corrigée, car elle reste détachée de tout

système de réglementation des relations de travail et ne tient compte que de la stabilité de l’emploi. En fait, si un salarié permanent subit le même risque de perte de son emploi qu’un salarié temporaire, la situation du premier demeure bien plus confortable que celle du second, qu’il s’agisse de protection, d’assistance, d’indemnisation ou d’aptitude à trouver un nouvel emploi. Le salarié temporaire ressent la précarité à chaque instant, alors qu’un salarié permanent ne la ressent que rarement. Ainsi, la précarité du travail reste toujours liée à l’atypicité des relations de travail. 1-2 Les types de contrat à durée déterminée

Le code du travail, tel que modifié par la loi n°96-62 du 15 juillet 1996,

connaît deux types de CDD auxquels s’ajoute un troisième créé par la loi n°92-81 du 03 août 1992 relative aux espaces des activités économiques.

1-2-1 Le contrat de travail à durée objectivement déterminée

L’article 6-2 du C.T. énonce que : Le contrat de travail à durée déterminée

peut comporter une limitation de la durée de son exécution ou l’indication du travail dont l’accomplissement met fin au contrat ». De cette disposition, se dégage que le C.D.D. peut être à terme fixé par la volonté commune de ses deux parties, comme il peut être à terme indéterminé, mais qui s’étend jusqu’à l’exécution de la tâche convenue. Dans ce cas, la durée du contrat est déterminée objectivement. C’est la durée nécessaire pour finir une tâche de nature temporaire qui n’entre pas dans l’activité normale et permanente de l’entreprise. Le salarié est alors un salarié temporaire ne pouvant jamais revendiquer le statut d’un salarié permanent nonobstant la durée du contrat et les nombres de ses renouvellements. L’article 6-4-1 énumère les cas où ce type de contrat peut être conclu :

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- L’accomplissement de travaux du premier établissement ou de travaux

neufs. - L’accomplissement de travaux nécessités par un surcroît extraordinaire de

travail. - Le remplacement provisoire d’un travailleur absent ou dont le contrat de

travail est suspendu. - L’accomplissement de travaux urgents pour prévenir des accidents

imminents, effectuer des opérations de sauvetage ou pour réparer des défectuosités dans le matériel, les équipements ou les bâtiments de l’entreprise.

- L’exécution de travaux saisonniers ou d’autres activités pour lesquelles ne peut être fait recours, selon l’usage ou de par leur nature, au contrat à durée indéterminée.

Il est à noter que la formulation de ces cas de recours à ce type de C.D.D.

manque de précision. En fait, le surcroît extraordinaire de travail peut s’avérer non passager et durer continûment de la sorte qu’il se transforme en une augmentation du travail. Ainsi cette augmentation quantitative durable de l’activité de l’entreprise engendrera des postes de travail permanents, et quitte par là, la liste des événements provisoires autorisant un recours au C.D.D.

Aussi le cas du remplacement d’un travailleur permanent absent doit être

précisé pour en exclure expressément la possibilité de remplacement d’un salarié gréviste. Enfin, les travaux saisonniers et les activités ne pouvant être, selon l’usage ou de par leur nature, objets de contrat à durée indéterminée, doivent être précisés et délimités limitativement comme c’est le cas dans plusieurs législations, notamment la législation française.

1-2-2 Le contrat de travail à durée volontairement déterminée

Il s’agit dans ce cas d’un contrat à terme fixe convenu entre l’employeur et le

salarié, et ce, abstraction faite de la nature du travail objet du contrat qu’elle soit provisoire ou permanente. Ce type de C.D.D. traduit la volonté du législateur tunisien d’introduire une dose de flexibilité dans la réglementation des relations de travail. Les entreprises se trouvent autorisées, purement et simplement, à recruter des salariés temporaires pour accomplir des travaux permanents. Le contrat à durée indéterminée n’est plus de règle en Tunisie18.

Cependant, le législateur exige que la durée de ce type de contrat ne doive

pas excéder quatre ans, y compris ses renouvellements et toute relation de travail qui se continue après l’expiration de cette période sera requalifiée en

18 - Cependant, des conventions collectives sectorielles disposent que le recrutement doit par principe se faire selon un C.D.I., le recours au C.D.D. en est l’exception : la convention collective sectorielle des entreprises de la presse écrite, article 7 modifié par l’avenant n°8 du 29/12/2005. Aussi, la convention collective sectorielle des agences de voyages, article 7 modifié par l’avenant n°3 du 29/12/2005.

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relation permanente. Malheureusement, cette disposition correctrice n’est pas de taille19. Ainsi, les employeurs n’ont pas eu beaucoup de peine pour la détourner. Il suffit, à l’expiration de la quatrième année du contrat d’évincer le salarié et le remplacer par un nouveau. De la sorte, un poste permanent peut être occupé durablement par des salariés temporaires20.

1-2-3 Le Contrat à durée déterminée de droit

Le C.D.D. de droit est une création de la loi n°92-81 du 3 août 1992 relative aux espaces des activités économiques. L’article 23 de la dite loi énonce que : « Nonobstant tout autre texte contraire les contrats de travail entre les salariés et les entreprises implantées dans une zone franche économiques sont réputés des contrats à durée déterminée quelque soit leur séance durée ou modalités de leur exécution ». 1-3 Les lacunes de la législation sur le CDD

1-3-1 Le principe d’égalité de rémunération

Nonobstant la mention d’égalité de traitement entre le salarié permanent et le salarié temporaire. Consacrée par la convention collective cadre de 1973 et reprise par le code de travail via la modification du 15 juillet 1996, des différences majeures persistent entre les deux statuts.

En matière de rémunération il existe le principe « à travail égal, salaire

égal ». Les salariés du même employeur lorsqu’ils sont placés dans des situations identiques doivent percevoir la même rémunération, peu importe les caractéristiques des individus concernés (sexe, âge, origine…). Ils bénéficient, ainsi, d’une règle d’égalité de traitement en matière de rémunération. Des différences de rémunération pour être licites doivent reposer sur des données objectives et pertinentes. Cette règle d’égalité s’applique au-delà des salaires, pour tout avantages, les règles déterminant son octroi devant être préalablement définies et contrôlables.

En droit Tunisien, et aux terme de l’article 134-2 du code du travail, la

rémunération comprend le salaire de base, et ce quelque soit le mode de son calcul, et ses accessoires qui sont constitués d’indemnités et d’avantages en espèces ou en nature quel que soit leur caractère, fixe ou variable, général ou

19 - Dernièrement, un accord à été signé par les partenaires sociaux dans le cadre de la commission centrale des négociations, dont l’une de ses points concerne les C.D.D. Il a été convenu, d’instaurer une priorité au renouvellement du contrat pour les salariés en C.D.D. Cette priorité s’étend sur une période de 6 mois, pendant laquelle, l’employeur est interdit de remplacer le salarié prioritaire par un autre salarié. Le salarié prioritaire doit être convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception pour reprendre son travail, dans 15 jours à partir de la réception de la lettre, ce délai expiré, il perd sa priorité. 20- Une disposition qui instaure une priorité au recrutement en C.D.I. au profit des salariés en C.D.D., figure dans la C.C.S. des hôtels classés touristiques, article 2 modifié par l’avenant n°9 du 29/12/2005, ainsi que la C.C.C.S. des agences de voyages, article 7 modifié par l’avenant n°3 du 29/12/2005.

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spécifique à l’exception des indemnités ayant le caractère de remboursement de frais.

Le salaire de base est fixé soit par un décret ou un arrêté ou bien par un

accord direct entre le salarié et l’employeur, et ce, sous réserve du respect du seuil minimum fixé par le texte réglementaire. Les accessoires du salaire, sont des éléments qui s’ajoutent au salaire de base pour former le salaire brut. Les accessoires se composent des primes, d’indemnités, de gratification, d’avantages en espèces ou en nature, et trouvent leur légitimité à travers un texte réglementaire, une convention collective un statut particulier, un contrat de travail ou encore un usage constant.

L’article 6-4-3 prévoit que : « les travailleurs recrutés par C.D.D.

perçoivent des salaires de base et des indemnités qui ne peuvent-être inférieurs à ceux servis, en vertu des textes réglementaires ou conventions collectives, aux travailleurs permanents ayant la même qualification professionnelle ». La convention collective cadre, de sa part, ne prévoit l’égalité que pour la rémunération du travail de nuit.

1-3-2 Etendu limitée du principe d’égalité de rémunération

Alors, quelle est l’étendu du principe d’égalité de rémunération en droit du

travail tunisien ?

i) Si la rémunération est déterminée par accord directe entre l’employeur et

le salarié. Dans ce cas, l’employeur n’est pas tenu à la disposition d’égalité de rémunération prévue par l’article 6-4-3 car elle ne concerne que les salaires de base et les indemnités déterminés par les textes réglementaires et les conventions collectives. L’employeur n’est alors tenu qu’au salaire minimum garanti.

ii) Si la rémunération est déterminée par des textes réglementaires et des conventions collectives.

iii) La loi, les décrets et les arrêtés déterminent le salaire minimum garantis, quelques salaires de bases et quelques indemnités. Les conventions collectives fixent les salaires de base et la plupart des indemnités dues aux salariés.

Or la règle d’égalité prévue par l’article 6-4-3 ne prévoit qu’une égalité

quantitative. Ainsi l’employeur est tenu de verser les mêmes « quantités » de l’indemnité aux salariés qu’ils soient permanents ou temporaires, et ce, si le texte ou la convention donne droit au salarié temporaire à cette indemnité. Alors l’égalité est une obligation si l’indemnité est prévue par le texte ou la convention au même temps aux permanents et au temporaire. Ainsi, un employeur ne viole pas la règle d’égalité, s’il donne l’indemnité au permanent et ne la donne pas au temporaire, dans les cas ou il en est exclu par les textes ou les conventions. Or beaucoup de conventions collectives sectorielles ne donnent pas les mêmes avantages aux salariés permanents et temporaires.

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1-3-3 Plusieurs conventions collectives sectorielles (C.S.S.) n’appliquent pas le

principe d’égalité de rémunération.

a) C.C.S. des assurances :

• Congés de maladie : Un salaire complémentaire est attribué aux salariés permanents en congé de maladie mais non attribué au temporaire ( Art. 38 nouveau).

• Assistance décès : Un salaire de 3 mois est alloué à la famille du salarié permanent défunt (article 44). Il est non alloué dans le cas du travailleur temporaire.

• Les frais des vêtements de travail sont attribués selon l’article 333 CT mais non attribués par la C.C.S au temporaire (Article 23).

b) C.C.S. des bâtiments et travaux publics

• Article 43 : « pour avoir droit au frais de vêtements de travail il faut avoir travaillé 130 jours de travail effectif sans interruption ».

c) C.C.S. de mécanique générale et des stations de vente des carburants :

• Article 48 : « Une prime de fin d’année est attribuée aux permanents ». (non attribuée au temporaire).

d) C.C.S. de la construction métallique :

• Article 43 (nouveau) : «Les travailleurs non permanents n’ayant pas 3 ans d’ancienneté ne bénéficient pas d’une tenue de travail.

e) C.C.S. des transports routier de marchandises

• Article 54 : « Assistance décès : le salarié décédé doit avoir 5 ans d’ancienneté » (la famille du salarié temporaire n’en a pas droit).

f) C.C.S. des ports et Docks :

• Prime d’ajustements des équipes : Attribuée pour chaque ouvrier docker professionnel permanent ayant plus de 8 ans d’ancienneté (le temporaire est exclu).

• Gratification de fin d’année : o Article 22 (nouveau) : Salaire de base de 30 shifts dont le

montant de chacun : 12,640DT pour les permanents. Salaire de 15 shifts dont le montant de chacun est de 12,640 pour les occasionnels.

o L’article 24 : gratuité du vêtement de travail au profit de chaque ouvrier permanent (le temporaire est non concerné).

o Article 36 : Assistance décès : 300D alloués à la veuve ou aux ayant droits du salarié permanent défunt (le temporaire défunt est non concerné).

o Article 37 : Prime de productivité : allouée seulement aux ouvriers docker professionnels permanents.

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1-3-4 La segmentation entre permanent et non permanent se fait aussi dans

d’autres domaines.

En outre, concernant les structures représentatives des salariés,

notamment, la commission consultative de l’entreprise, les travailleurs temporaires n’en peuvent pas être membres ni élus ni même électeurs : (article 41 CCC). Le salarié temporaire se trouve aussi exclu des avantages et faveurs découlant ou se rattachant à l’ancienneté : les périodes éparses d’activité, ne peuvent être comptabilisées.

Il en est de même s’agissant de la protection légale contre le licenciement

pour cause économique et des différentes mesures de réhabilitation, de réinsertion professionnelle et d’assistance sociale, qui ne sont profitables qu’aux salariés permanents. Notons aussi que le salarié temporaire licencié abusivement, ne bénéficie pas d’une gratification de fin de service due à son homologue permanent en vertu de l’article 22 C.T. Aussi, il en est dans l’article 333 CT relatif aux vêtements de travail, qui exige la qualité de permanent pour avoir droit aux tenues de travail sauf que bon nombre de conventions sectorielles révisées en 2005, ont donné ce droit aux travailleurs temporaires21.

Outre cette discrimination entre permanent et temporaire, il faut remarquer que la situation de précarité née du statut de temporaire est de deux degrés. En effet, l’article 6-4 du code du travail donne lieu à deux relations de travail temporaire qu’il faux nuancer.

- Le cas de l’article 6-4-2 : le salarié temporaire dont le contrat est d’une durée supérieure à quatre ans, ou d’une durée inférieure mais renouvelée au-delà de la période de quatre ans, se trouve requalifié, de droit, en salarié permanent : c’est le cas de la précarité prometteuse.

- Par contre, dans le cas de l’article 6-4-1, le salarié temporaire ne pourra jamais revendiquer le statut de permanent nonobstant le dépassement de la période de quatre ans en C.D.D. : c’est la précarité décevante.

Certes, cette situation d’instabilité, d’infériorité et de précarité, n’est pas

voulue ou recherchée en soi par le législateur mais elle est l’effet directe et prévisible d’une politique sociale choisie au nom de la flexibilité.

Néanmoins, le législateur aurait dû délimiter l’étendue de chaque type de

C.D.D., en préciser les cas de recours et en réglementer les conditions de fonds et de formes, et ce, en vue d’atténuer les effets néfastes d’une flexibilité démesurée car non munie d’une protection nécessaire. L’analyse du cadre législatif des C.D.D. dévoile une autre réalité, une pauvre réalité :

21 - Une mention de traitement égalitaire au droit aux tenus de travail figure dans : - La C.C.S. de l’industrie de la bonneterie et de la confection dans son article 41 modifié par l’avenant n°9 du 29/12/2005. - La C.C.S. des industries laitières, l’article 43 modifié par l’avenant n°9 du 29/12/2005. - La C.C.S. des cafés, bars et restaurants, l’article 44 modifié par l’avenant n°8 du 27/01/2006.

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• Le recrutement selon le C.D.I. n’est pas de règle et le recours au C.D.D. est libre.

• La liberté totale de l’entreprise de faire accomplir ses activités de nature durable à travers une série illimitée de C.D.D.

• Le recours au C.D.D. n’est pas subordonné aux cas objectifs de natures exceptionnelles ou occasionnelles limités dans le temps.

• Les cas de recours au C.D.D. sont formulés d’une façon générique non précise.

• La durée du C.D.D. dans le cas de l’article 6-4-1 (pour causes objectives exceptionnelles ou occasionnelles) n’est pas réglementée : le temporaire ne doit pas durer.

• L’écrit n’est pas exigé dans le cas de l’article 6-4-1, ce qui représente une source de fraude et de contentieux.

• Le défaut de mesures dissuasives des cas de fraude et de violations des dispositions protectrices des salariés.

• Le défaut de mesures incitatives des entreprises aux requalifications des C.D.D. en C.D.I. pour les postes de travail permanents.

2. LES OPERATIONS TRIANGULAIRES Par opération triangulaire, on entend, la relation de travail tripartite, où le

salarié se trouve en rapport avec deux autre personnes. La première, une entreprise, qui recrute, paie le salaire et dispose des pouvoirs de contrôle et de discipline, la deuxième, une entreprise utilisatrice, qui bénéficie du travail exécuté par le salarié pour son compte. Les dernières décennies ont connu l’apparition d’une panoplie de formes d’opérations triangulaires sous d’innombrables intitulés sans que le législateur tunisien n’en prête attention.

Le code de travail de 1966, consacre le deuxième titre de son livre premier,

qui comporte les articles 28, 29 et 30 et s’intitule : sous-entreprise de main-d’œuvre, à la réglementation de quelques aspects de la sous-traitance. A la lumière des quelques textes législatifs tunisiens, du droit comparé, des prémices d’une doctrine tunisienne, d’une doctrine française riche et d’une jurisprudence non abondante mais significative, l’étude juridique des opérations triangulaires en matière de travail nécessite d’abord une distinction précise entre deux relations tripartites différentes :

• Une entreprise confie une fraction de ses activités que se soient principales ou accessoires à une deuxième entreprise qui exécute ce travail par sa propre main-d’œuvre : c’est la sous-traitance du travail.

• Une entreprise, face à des travaux à accomplir, ne veut pas pour une cause ou une autre, recruter directement la main-d’œuvre nécessaire, alors, elle convienne avec une deuxième entreprise, à lui mettre temporairement à sa disposition des salariés pour exécuter la tâche en question : c’est la sous-traitance de la main-d’œuvre.

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2-1 La sous-traitance du travail 2-1-1 Deux formes de sous-traitance de travail

La sous-traitance du travail peut être définie comme étant une opération qui

consiste à confier à une autre entreprise, l’exécution des tâches ou de travaux dont on aurait normalement la charge. Cette opération telle que définie peut en réalité, revêtir deux formes de sous-traitances de travail.

Le contrat de sous-entreprise : C’est la forme qui correspond à une notion restreinte de la sous-traitance où il s’agit d’un entrepreneur principal qui a conclu un contrat de travaux avec un client, qui de sa part confie une partie du marché à un sous-entrepreneur pour l’exécuter par sa propre main-d’œuvre. C’est ce qu’on appelle ا����� �� و���ا��, régie par l’article 887 du C.C.O. qui énonce :

Art. 887 C.O.C. : Les ouvriers et artisans employés à la construction d’un édifice ou autre ouvrage fait à l’entreprise, ont une action directe contre celui pour lequel l’ouvrage a été fait, à concurrence de la somme dont il se trouve débiteur envers l’entrepreneur.

Ils ont un privilège, au prorata entre eux sur ces sommes qui peuvent leurs

êtres payées directement par le maître, sur ordonnance. Les sous traitants employés par un entrepreneur et les fournisseurs de matière première, n’ont aucune action directe contre le commettant. Il parait aussi que l’article 30 C.T., vise cette forme de sous-traitance de travail. Il dispose que « Dans le cas où un sous-entrepreneur fait exécuter des travaux dans les ateliers, magasins ou chantiers autre que ceux de l’entrepreneur principal qui lui a confié ces travaux… ».

La sous-traitance, délégation de travail à une autre entreprise : Face aux travaux et activités qu’il fallait accomplir, une entreprise se trouve devant deux options : avoir sa propre main-d’œuvre nécessaire et suffisante, ou bien déléguer une fraction de son activité à une autre entreprise, Ainsi, les activités accessoires tels que le gardiennage, le nettoyage, la maintenance, le traitement informatique… sont souvent sous-traités. Cette forme de sous-traitance de travail est appelée la sous-traitance industrielle.

Dans la sous-traitance industrielle, une première entreprise, donneur

d’ordre, confie, à une deuxième, preneur d’ordre, l’exécution d’un travail ou d’un ensemble de travaux se rattachant à la production, l’exécution, la maintenance ou la fourniture de service selon des directives et des instructions précises. Cette sous-traitance industrielle est de deux types :

• Une sous-traitance de spécialité : l’entreprise preneur d’ordre est alors spécialisée dans son domaine et ayant les outils, les techniques et le personnel qualifié nécessaires pour assurer les meilleurs résultats.

• Une sous-traitance de capacité : l’entreprise donneur d’ordre ayant les compétences et les outils nécessaires mais des circonstances exceptionnelles

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l’obligent à charger une autre entreprise d’une partie de ses activités jusqu’au passage de ces imprévus.

Il paraît que législateur tunisien a aussi consacré cette sous-traitance

industrielle dans l’article 29 C.T. qui dispose que : « lorsqu’un chef d’une entreprise industrielle ou commerciale passe un contrat pour l’exécution d’un certain travail ou la fourniture de certains services avec un entrepreneur qui recrute lui-même la main-d’œuvre nécessaire… ».

La fausse sous-traitance / Le marchandage : Comme définie si dessus, la

sous-traitance de travail suppose qu’un entrepreneur principal confie l’exécution du travail à une personne appelée sous-traitant qui dispose à cet effet du matériel et de la main d’œuvre nécessaires. Le marchandage, est réalisé lorsque le

sous-traitant, qui ne fait que fournir, moyennant un prix forfaitaire, la main-

d’œuvre, l’exploite en même temps, en réalisant un profit illégitime à son détriment. Le bénéfice du sous-traitant provient de l’écart séparant le prix perçu de l’entrepreneur principal et la rémunération versée aux ouvriers. Il y’a abus car ce bénéfice dépend uniquement du prix de la main-d’œuvre et non des éléments habituels du prix de revient (coût des matériaux, des instruments de travail… ). Le sous-traitant sera tenté de réduire les salaires distribués, autrement dit de spéculer sur la main-d’œuvre.

2-1-2 Le régime juridique des opérations triangulaires

La sous-traitance se décompose en deux opérations contractuelles

réunissant trois personnes :

- un contrat, de nature commerciale ou civile, conclu entre le donneur d’ordre ou l’entreprise utilisatrice et le preneur d’ordre ou l’entreprise de sous-traitance, en vertu duquel, la première confie à la seconde une partie de ses activités.

- Un contrat de travail, conclu entre le salarié et le sous-traitant employeur. Le problème qui se pose est de savoir quel est, pour le salarié, l’employeur

responsable au sens de la législation du travail et de la sécurité sociale. L’entrepreneur principal est tenu d’observer toutes les prescriptions relatives à la réglementation du travail : travail des femmes et des enfants, durée du travail, travail de nuit, repas hebdomadaires et jours fériés et hygiène et sécurité des travailleurs, à l’occasion de l’emploi dans ces ateliers, magasins ou chantiers, de salariés du sous-traitant, comme s’il s’agissait de ses propres ouvriers ou employés et sous les mêmes sanctions.

En principe, le sous-traitant qui a embauché les salariés pour exécuter la sous-traitance, est l’employeur responsable des salaires et des changes sociales, mais pour faire éviter le pire aux salariés, le législateur à fait pousser le caractère triangulaire de la sous-traitance jusque dans sa conséquence extrême : la substitution de l’entreprise principale à l’entreprise de sous-traitance en cas de

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défaillance de celle-ci pour le payement des salaires et des charges sociales. Ainsi l’entrepreneur principal est responsable dans les cas suivants :

- Si les travaux sont exécutés ou les services fournis dans ses

établissements ou dans leurs dépendances, l’entrepreneur principal en cas d’insolvabilité du sous-traitant est substitué à ce dernier en ce qui concerne les travailleurs que celui-ci emploie, pour le paiement des salaires et des congés payés, la répartition des accidents du travail et des maladies professionnelles, les obligations résultant de la législation de sécurité sociale et des prestations familiales.

- S’il s’agit de travaux exécutés dans des établissements autres que ceux de l’entrepreneur principal qui a confié ces travaux au sous-traitant, ce dernier doit opposer dans chaque établissement (atelier, magasin, chantier…) une affiche indiquant le nom et l’adresse de la personne de qui il tient les travaux.

Cette personne désignée sur l’affiche, est alors, en cas d’insolvabilité du sous-traitant, responsable du paiement des salaires et des congés payés dus aux travailleurs ainsi que du versement des allocations familiales. Dans les deux cas, les salariés lésés, ont, en cas d’insolvabilité du sous-traitant une action directe contre l’entrepreneur principal pour qui le travail a été effectué.

2-2 La sous-traitance de la main d’œuvre. 2-2-1 La notion de sous-traitance de main d’œuvre

Pour satisfaire ses besoins en main-d’œuvre nécessaire à l’accomplissement de travail dus à un surcroît extraordinaire de travail ou à des urgences imprévues, ou au remplacement de travailleurs absents, une entreprise peut conclure un contrat avec un entrepreneur de main-d’œuvre qui se charge de lui mettre à sa disposition provisoire, des salariés d’une qualification déterminée, qu’il embauche et rémunère à cet effet. Cette solution fait épargner l’entreprise des risques sociaux nés des contrats de travail. Ainsi sans avoir la qualité d’employeur, elle bénéficie des services personnels fournis par les salariés.

Cette opération triangulaire, qu’on appelle sous-traitance de main-d’œuvre,

peut être définie comme étant un contrat par lequel une entreprise dite de main d’œuvre ou de travail temporaire, se charge de mettre, provisoirement, des salariés, à la disposition d’une autre entreprise, dite utilisatrice qu’elle les charge de l’accomplissement de taches ou de fourniture de services sous son contrôle. Ainsi, le sous-traitant de la main-d’œuvre se trouve juridiquement être le seul employeur des salariés temporaires, même s’il délègue provisoirement à l’entreprise utilisatrice toute autorité sur ces travailleurs, aucun lien juridique n’existe entre les salariés et cette entreprise. L’on aboutit ainsi à une formule paradoxale : le salarié est juridiquement l’employé d’une entreprise où il ne travaille pas et n’est pas l’employé de l’entreprise où il travaille.

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Les relations triangulaires ainsi créent entre les sous-traitants de la main-

d’œuvre, les entreprises utilisatrices et les salariés recèlent de nombreuses possibilités d’abus et de fraudes au droit du travail. Ainsi les droits sociaux des salariés temporaires se trouvent limités du fait de leur situation juridique imprécise, bien souvent n’ayant pas de contrat écrit avec le sous-traitant de main d’œuvre et ne bénéficiant pas de la convention collective applicable dans l’entreprise où ils exercent leur activités, ils sont les premières victimes en cas de difficultés d’emploi.

2-2-2 Distinction entre la vraie sous-traitance de la main d’œuvre et d’autres

opérations triangulaires.

i) Les agences intermédiaires :

Les véritables intermédiaires de l’emploi sont des agences de placement

qu’ils s’agissent d’agence publique ou privées. Le placement correspond à une activité dont le but est de mettre en rapport des personnes en quête d’emploi avec des employeurs, en vue de créer une relation d’emploi. Ainsi le rôle de l’intermédiaire se borne à mettre en contact offreur et demandeur d’emploi qui négocient ensuite les conditions d’emploi, alors que le sous-traitant de la main-d’œuvre est une partie prenante dans la relation de travail, car lui seul est l’employeur du salarié. Ces agences de placement peuvent être payantes ou gratuites. La majorité des pays, ainsi que l’O.I.T. par le biais de la convention n°96, interdisent formellement le placement privé payant.

En Tunisie, l’article 285 du code du travail dispose que : »les bureaux de

placement privés gratuits ou payants sont supprimés », et en vertu de l’article 280 du même code, les travailleurs qu’ils soient permanents ou non permanents sont recrutés soit par l’intermédiaire des bureaux publics de placement, soit directement. Cependant, le développement spectaculaire des bureaux de recrutement privés est ostensible hors de toute intervention.

ii) La fausse sous-traitance de la main-d’œuvre ou le marchandage camouflé :

La fausse sous-traitance consiste en un trafic de main-d’œuvre sous couvert d’une opération de délégation. En réalité, les soi-disant salariés de la société de sous-traitance pointent quotidiennement dans les locaux de la société utilisatrices au point d’être pratiquement intégrés au personnel de cette dernière, et le lien physique qui existe entre employeur et salarié dans la relation traditionnelle fait ici défaut. Le rôle du soi-disant sous-traitant se borne à percevoir l’écart entre le prix perçu de l’entreprise utilisatrice et la rémunération versée aux ouvriers, et ce juste pour apparaître, si besoin, en tant qu’employeur juridique.

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iii) Les pratiques des groupes de sociétés :

Dans certains groupe de sociétés, l’une de leurs sociétés n’a été crée que pour avoir une unique fonction : l’employeur des salariés de tout le groupe. Ainsi, toutes les sociétés du groupe sous-traitent leur fonction » personnel » à une seule, et ce pour échapper aux contraintes légales dues à la protection des travailleurs permanents et aussi pour détourner les dispositions exigeant la requalification du C.D.D. en C.D.I. après l’expiration d’une période déterminée, en mettant fin à la mission du salarié avec la société employeur, et l’embaucher avec un nouveau employeur qui n’est autre qu’une société du même groupe. 2-2-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre en Tunisie légale ou illégale ?

A défaut de réglementation législative, la légalité de l’activité de sous-traitance de la main-d’œuvre est controversée. Selon quelque auteurs, la sous-traitance de la main-d’œuvre n’est qu’un camouflage de la qualité d’employeur pour éluder les obligations nées du contrat du travail, notamment celles se rattachant aux traitements égalitaires des salariés qu’ils sont permanents ou temporaires. Les arguments avancés en appui, évoquent les deux articles 284 et 285 du code de travail qui interdisent l’embauche par l’intermédiaire d’une personne ou d’un bureau de placement privé, ainsi que le décret abrogé de 18 février 1954 se rapportant à la protection des travailleurs employés par les sous entrepreneurs de la main-d’œuvre que son abrogation confirme la volonté du législateur d’interdire la sous-traitance de la main-d’œuvre.

Par contre, d’autres auteurs reprochent au point de vue précèdent une

confusion entre deux notions différentes de la sous-traitance, l’une vraie, la seconde fausse et qui n’est autre que le marchandage, genre de trafic de la main-d’œuvre. Ainsi, en droit comparé, la sous-traitance marchandage est unanimement interdite, alors que la vraie sous-traitance de la main-d’œuvre, est considérée comme activité légale et réglementée sous l’intitulé d’entreprise de travail temporaire.

L’O.IT. de sa part, a adopté en 1997 la convention n°181 sur les bureaux de

placement privés dont son article premier cite l’activité de la sous-traitance de la main-d’œuvre parmi les fonctions que ces bureaux peuvent exercer. De là, la légalité de la sous-traitance de la main-d’œuvre parait défendable. Cependant, comme forme de travail précaire, cette activité recèle de nombreuses possibilités d’abus et de fraudes aux droits sociaux des salariés, d’où une intervention législative instituant un cadre juridique aux entreprises de travail temporaire, est vivement souhaitée.

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3. POSITION DU DROIT TUNISIEN PAR RAPPORT AU DROIT COMPARE 3-1 Comparaison des législations sur les CDD

3-1-1 Les cas de recours au C.D.D., durée et renouvellement

En Allemagne, la conclusion d’un contrat à durée déterminée est possible selon deux régimes :

• Contrat à durée déterminée pour causes objectives tel que le remplacement d’un salarié absent, ou l’accomplissement d’une tache temporaire… La durée du contrat est limitée et plafonnée par la loi, mais les renouvellements sont possibles tant que la cause objective subsiste.

• Contrat à durée déterminée par cause nous objectives, mais ne pouvant être renouvelé que trois fois durant une période de deux ans.

Aussi, une raison objective n’est pas requise lorsque le salarié est âgé de

plus de 58 ans, tant qu’il n’était pas titulaire d’un C.D.I. dans la même entreprise au cours de six derniers mois.

Au Danemark, la loi ne détermine pas les cas du recours au C.D.D., cette tâche est laissée aux conventions collectives qui ont généralement énuméré des causes objectives, mais aussi des causes non objectives. Le renouvellement d’un C.D.D. n’est possible que s’il est conclu pour une raison objective, encore présente.

En Espagne, la conclusion d’un contrat à durée déterminée est subordonnée à une raison objective. La loi à donné une liste limitative de raisons objectives, et a fixé la durée du recours à six mois maximum. Le renouvellement est exceptionnel et très limité. En France, le contrat à durée indéterminée est pour les partenaires sociaux et pour le législateur la forme normale du contrat du travail. Le contrat à durée déterminée reste donc, l’exception. La réglementation repose en effet sur le double principe que, d’une part, le contrat à durée déterminée ne doit pas avoir pour objet un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, et d’autre part qu’il ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire . L’article L. 122-1-1 du code de travail prévoit une liste limitative des possibilités de recours au C.D.D. :

• Le remplacement d’un salarié absent pour cause autre que la grève.

• L’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

• L’exécution de travaux temporaires par nature.

• L’application des dispositions en faveur de l’emploi.

• L’embauche d’un jeune en fin de contrat d’apprentissage.

En plus la loi prévoit expressément trois hypothèses de recours interdit au C.D.D., outre l’interdiction liée à la définition même du C.D.D. :

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• Le remplacement d’un salarié gréviste

• L’embauche par C.D.D. suite à un licenciement économique.

• Le recours à un C.D.D pour effectuer des travaux particulièrement dangereux.

Quant à sa forme, le C.D.D doit être obligatoirement écrit. A défaut il sera requalifié en C.D.I. sans que la preuve contraire soit possible. Concernant la durée des C.D.D., la loi fixe une durée minimale et une durée maximale. Si le C.D.D. est à terme précis, la durée minimale est de 3 mois (sauf pour le cas de surcroît de la production elle est de 6 mois), la durée maximale est de 18 mois, sauf pour C.D.D. pour motif saisonnier elle est de 8 mois et de 9 mois en cas de remplacement ou en cas des travaux d’urgences. Le renouvellement est aussi réglementé. Un C.D.D. à terme précis peut être renouvelé une fois avec pour limite la durée maximale. Exemple : Un contrat de 12 mois, ne peut être renouvelé que pour une durée de 6 mois. Le renouvellement doit être établi par écrit. Au Maroc, l’article 16 du code du travail dispose que le recours au C.D.D. n’est possible que dans les travaux de nature non durable. Il donne une liste limitative des cas de recours au C.D.D. :

- Le remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour une cause autre que la grève.

- Le surcroît provisoire de la production - Les travaux saisonniers

En dehors de ces cas là, le recours au C.D.D. n’est possible qu’exceptionnellement sous des conditions mises par texte réglementaire après consultations des partenaires sociaux ou par convention collective. Aussi l’article 17 du même code énonce que les entreprises qui viennent d’être crées ou celles qui viennent de lancer un nouveau produit, peuvent avoir recours au C.D.D. pour une durée d’une année maximum renouvelable une seule fois.

En Tunisie, l’article 6-4 du code de travail à instauré deux régimes de C.D.D :

- C.D.D. conclu pour l’accomplissement de travaux de nature non durable tel que le remplacement d’un salarié dont le contrat est suspendu, les travaux d’urgences ou les travaux saisonniers. Ni la durée du contrat ni le renouvellement ne sont limités.

- C.D.D. conclu pour l’accomplissement de travaux de nature durable à condition que sa durée n’excède pas quatre ans y compris ses renouvellements.

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3-1-2 Conditions de transformation du CDD en CDI

La loi allemande dispose que le non respect des règles qui déterminent les cas de recours au C.D.D., limitant les durées et les renouvellements entraînent la requalification du C.D.D. en C.D.I. Au Danemark, les conventions collectives on donné lieu à des sanctions et des dommages-intérêts pour les salariés lésés en cas de non respect des règles qu’elles ont fixées concernant les cas de recours au C.D.D., sa durée, ses conditions et son renouvellement. En Espagne le C.D.D. qui méconnaît les règles limitant sa durée, est susceptible de requalification en C.D.I. Le C.D.D. d’un salarié ayant cumulé 24 mois de C.D.D. sur le même poste, sur une période de 30 mois, sera requalifié en C.D.I. La loi donne aussi lieu à des incitations fortes pour le recrutement en C.D.I., des personnes qui ont le plus de difficultés à se stabiliser sur le marché du travail (Jeunes, salarié âgés, femmes, handicapés…). Au Maroc, tout recrutement d’un salarié après l’expiration d’une période de deux ans en C.D.D. sera effectué en C.D.I. Aussi, tout contrat dont la durée n’excède pas une année, se transforme en un C.D.I., lorsqu’à l’expiration du terme établi, de salarié continue à rendre ses services. Enfin, en Tunisie, le recrutement d’un salarié après l’expiration d’une période de quatre ans travaillée en CDD, sera effectué à titre permanent sans période d’essai. 3-2 Comparaison des opérations triangulaires Dans le domaine de la sous-traitance du travail les seules lois disponibles sont celles de la France, le Maroc, et la Tunisie. La comparaison est peu fructueuse du fait que les lois tunisienne et marocaine n’ont fait que calquer presque à la lettre les dispositions de la loi française à savoir les articles L. 125-1 L. 125-2 L. 125-3 et L. 200-3. Dans le code du Travail Tunisien le contenu des textes français est transporté dans les articles 28 – 29 et 30. Dans le code du travail Marocain, les mêmes textes sont transportés dans les articles 87, 89 et 90. Partout dans ces pays, le travail temporaire se pose sur une relation d’emploi triangulaire : une agence de travail temporaire dont la fonction est de mettre à disposition d’entreprises utilisatrices, contre rémunération et pour une période déterminée, des salariés en réponse à leurs besoins temporaires de main-d’œuvre.

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3-2-1 Conditions d’exercices des entreprises de travail temporaire

L’Allemagne, l’Espagne, la France et le Maroc ont mis en place un système d’agrément préalable pour l’exercice de la profession d’entrepreneur de travail temporaire. En Danemark, cette licence administrative n’est exigée que pour els agences du travail temporaires des infirmières et des conducteurs. L’Espagne, la France et le Maroc, exigent des agences de travail temporaire un cautionnement d’un montant suffisant pour prémunir les salariés en cas d’insolvabilité de l’agence. 3-2-2 Réglementation du travail temporaire

Concernant les cas du recours au travail temporaire, l’Allemagne et le Danemark ne l’ont pas limité dans des cas déterminés. La France, l’Espagne et le Maroc énoncent une liste limitative des cas de recours qui se rattachent à des missions provisoires : remplacement, surcroît d’activités, tâches spécifiques. En France, les programmes d’insertion professionnelle font recours au travail temporaire. Au Maroc, les entreprises qui ont licencié des salariés pour motif économique, se trouvent interdites du recours au travail temporaire pendant la période d’une année. La durée d’une mission de travail temporaire est plafonnée dans tous les pays étudiés, sauf au Danemark. En Allemagne elle est de douze mois maximum, en Espagne et au Maroc, elle est de six mois seulement. En France la durée maximum est de 18 mois. Le renouvellement de la mission est interdit au Danemark et au Maroc. Il est possible en Allemagne et en Espagne et limité à deux fois en France. 3-2-3 Protection de l’emploi temporaire

Dans tous les pays étudiés, l’employeur tenu de toutes les obligations nées des législations, conventions et contrats, est l’agence du travail temporaire. Une obligation d’égalité de traitements entre les salariés temporaires et les salariés de l’entreprise utilisatrice en ce qui concerne le salaire et les conditions de travail, est mentionnée en Allemagne, en Espagne et en France. Elle fait défaut au Danemark et au Maroc.

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4. L’APPORT DE LA JURISPRUDENCE TUNISIENNE

L’apport de la jurisprudence tunisienne en matière du droit du travail se trouve devant un double défi. D’une part, elle doit combler les lacunes des législations du travail et en clarifier les équivoques et les ambiguïtés, d’autre part, elle doit s’opposer aux abus et manœuvres frauduleuses que bon nombre d’employeurs ne cessent de développer pour échapper aux contraintes légales protectrices des salariés.

L’effort de la jurisprudence s’avère fructueux. En effet, à travers son travail

d’interprétation, de qualification et d’application des normes juridiques, elle a réussi à donner au droit du travail, une autonomie par rapport au droit civil et au droit commercial basés respectivement sur les principes de l’autonomie de la volonté et du libéralisme.

A travers, les arrêts et jugements rendus, la jurisprudence a élaboré un

ordre public social, caractérisé par une nette tendance à considérer, le salarié, comme partie faible dans la relation du travail. L’interprétation et l’application de la règle de droit, doivent, alors être faites dans un souci de protections des droits sociaux du salarié. Cet ordre public social de protection peut être démontré à travers l’application des législations sur les C.D.D. et la sous-traitance. 4-1 Les contentieux se rattachant au CDD Les contentieux nés des C.D.D. tournent autour de quatre questions. Nous examinons la réponse donnée par la jurisprudence et comment cette réponse peut-elle protéger les travailleurs. 4-1-1 Le C.D.D. tacitement reconduit, est-il requalifiable en C.D.I. ?

L’article 17 du code du travail dispose que : « Lorsqu’à l’expiration du terme

établi le salarié continue à rendre ses services sans opposition de l’autre partie, le contrat se transforme en un contrat à durée déterminé ». En vertu de cet article, tout C.D.D. reconduit tacitement est requalifié en C.D.I, mais l’article 6-4-2 dispose que le C.D.D. se requalifie en C.D.I., si la relation de travail se continue après l’expiration d’une période de quatre ans. Alors, le problème qui se pose est comment, appliquer l’article 17 à la lumière de l’article 6-4-2 ? Et est-ce que la requalification en C.D.I. n’est possible qu’à l’expiration d’une période de 4 ans de reconduction tacite du C.D.D. ? Ou, au contraire le C.D.D. reconduit sans opposition de l’employeur, à l’expiration du terme convenu, est requalifié en C.D.I. nonobstant la période expirée ?

Il semble que des employeurs ont tenté de lier l’application de l’article 17 à

l’articles 6-4-2 de la sorte que la requalification ne sera possible qu’a l’expiration d’une période de 4 ans de travail, mais la cour de cassation s’est opposé à cette tentative d’interprétation des textes au détriment des salariés temporaires en

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affirmant que l’intention du législateur dans l’article 17 est que le C.D.D ; reconduit tacitement soit requalifié en C.D.I., sans que soit exigée l’expiration d’une certaine période22.

4-1-2 La relation du travail basée sur des C.D.D. successifs, peut-elle être

qualifiée de permanente ?

Cette question s’est posée avant la modification de l’article 6 en 1996, elle

concerne les salariés employés selon des C.D.D. renouvelés durant des longues années, dans des emplois de nature durable. Les employeurs ont refusé la revendication des salariés d’avoir le statut de permanents, mais une tendance jurisprudentielle à mis l’accent sur la nature durable du travail et en a déduit la qualification du travail d’indéterminée en considérant que les C.D.D. successifs ne sont que des contrats de simulation visant la création d’une apparence de relation de durée déterminée alors qu’elle est en réalité durable23.

4-1-3 Le contrat conclu à une durée supérieur à 4 ans, est-il ou non requalifiable

en C.D.I. ?

Un salarié à conclu avec son employeur un contrat d’une durée supérieure

à quatre ans. A l’expiration du terme, le salarié a revendiqué le statut du permanent alors que l’employeur à estimé que la relation a pris fin du fait qu’il s’agissait d’un C.D.D. non soumis au disposition de l’article 6-4-2 qui ne s’applique qu’au contrat de durée inférieure à 4 ans.

Le Conseil de prud’homme a donné raison à l’employeur. Saisie de l’affaire,

la cour de cassation, dans un arrêt de principe, rendu par ses chambres réunies, à affirmé que le législateur distingue, dans le cadre de l’article 6-4 du code du travail, entre deux types de C.D.D., le premier se rattache aux travaux de nature provisoires, tandis que le second se rattache aux travaux de nature durable et que si la durée n’a pas d’effet sur les contrats de travaux provisoires, il n’en est pas de même pour les contrats de travaux durables qui ne peuvent pas s’éteindre au delà de quatre ans que ce soit par renouvellement ou par une durée convenue au départ.

La cour, considère aussi, que la détermination du régime juridique du

contrat du travail se rapport à l’ordre public social qui exige l’application de la règle la plus favorable au salarié. Ainsi, l’article 6-4-2 s’applique à tout contrat nonobstant sa durée convenue dés que la relation du travail s’est étendue sur une période supérieur à 4 ans24.

22 - Cass. Civ. n°187223 du 15 novembre 2002, B. Cass. 2002, II, p. 465, aussi. 23 - Cass. Civ. n°57966 du 15/06/1998, aussi (non publié) cass. civ. n°77285 du 7/04/2000 (non publié). 24 - Cass. Civ. n°14866 (chambres réunies) du 30/01/2003 revue de la jurisprudence et la législation n°4, Avril 2005, p. 89.

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4-1-4 La loi du 15 juillet 1996 instituant la requalification du C.D.D. en C.D.I.

(article 6-4-2) est-elle rétroactive ?

Cette question concerne le champ d’application de la loi dans le temps. Trois solutions sont possibles :

a) La loi n’a pas d’effet rétroactive alors elle ne s’applique pas aux relations de travail établies et éteintes avant son entrée en vigueur même si ces relations font encore objets de contentieux devant les juridictions25.

b) La loi est rétroactive, car elle est d’ordre public, alors elle s’applique aux relations du travail établies avant sa mise en vigueur, ainsi, la période du travail exécuté avant l’entrée en vigueur de la loi, est comptabilisées dans la période de 4ans nécessaire pour la requalification du C.D.D. en C.D.I.26.

c) La loi est d’effet immédiat, alors elle ne s’applique pas aux contrats conclu et pris fin avant son entrée en vigueur et s’applique au contrat conclu après cette date et pour qu’un salarié recruté selon un C.D.D., soit requalifié en permanent, il faut qu’il ait travaillé pendant une période de 4 ans après l’entrée en vigueur de la loi27.

4-1-5 L’écrit est-il exigé pour les C.D.D. ?

La forme écrite du contrat de travail présente beaucoup d’avantages,

notamment pour le salarié, pourtant, la loi ne l’a pas exigée comme condition de forme dans le contrat de travail. Mais l’article 6-4-2 énonce que : « … dans ce cas le contrat est conclu par écrit… ». Cette mention prend place dans l’article juste après la disposition de la requalification du C.D.D. en C.D.I. Alors, quel cas vise le législateur, est-ce le cas du C.D.D. conclu dans le cadre de l’article 6-4-2 ou le cas où le C.D.D. est requalifié en C.D.I.

Selon la première interprétation, tout CDD dans le cadre de l’article 6-4-2

doit être conclu par écrit, alors que selon la deuxième interprétation, seul le contrat requalifié en C.D.I. doit être conclu par écrit. La Cour de cassation, a adopté la première interprétation, plus favorable au salarié, en décidant qu’ « à défaut de l’écrit, ces contrats (conclus dans le cadre de l’article 6-4-2) sont considérés conclus à durée indéterminée ».

25 - Cass. civ. n°76675 du 28 avril 2000 (non publié). 26 - Cass. civ. n°7050 du 23-02-2001. Bulletin de la cour de cassation 2001, II, p. 285. 27 - Cass. civ. n014866 du 30-01-2003 (chambres réunies) R.J.L. Avril 2005, p. 83.

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4-1-6 Sur quelle base se fait le calcul de la période des 4 ans ?

Après la modification de l’article 6 du code du travail en 1996, beaucoup

d’employeurs ont pris position de résistance à la disposition de requalification du C.D.D. en C.D.I. à l’expiration d’une période de 4 ans. Ils ont estimé que cette disposition ne s’applique qu’aux relations de travail contenues sans interruption. Alors, si les contrats qui se succèdent, sont séparés par une période creuse, la disposition de requalification ne s’applique pas. La jurisprudence de sa part, à fait obstacle à cette tentative de détournement de la loi.

Selon une première tendance, les périodes creuses n’ont pas l’effet

d’interruption sur le calcul de la période de 4 ans, elles n’ont qu’un effet suspensif. Ainsi le salarié doit travailler pendant une période de 4 ans de travail effectif pour se voir requalifié en C.D.I. Mais une autre tendance de la jurisprudence, estime que la période de 4 ans se calcule à partir de la date de l’établissement de la relation du travail, nonobstant les périodes creuses qui séparent les contrats successifs. 4-2 Les contentieux se rattachant à la sous-traitance

Les jugements et les arrêts rendus en matière de la sous-traitance sont

rares. De ceux qu’on a pu avoir, il se dégage que les contentieux en la matière se rapportent soit à la nature de la sous-traitance soit à l’application de l’article 6-4-2 du code de travail (requalification en CDI).

4-2-1 Concernant la notion de la sous-traitance

Une pratique qui se répond peut à peu dans le milieu des entreprises

industrielles, consiste à la création d’une entreprise de main-d’œuvre par un chef d’une ou de plusieurs entreprises. Une partie du salariat se trouve permutée de l’entreprise principale vers l’entreprise de sous-traitance qui les met à nouveau à la disposition de leur entreprise initiale. Ainsi, les salariés changent d’employeur sans changer le travail ni son lieu ni ses conditions. C’est une précarisation frauduleuse par laquelle le chef d’entreprise tente d’échapper aux contraintes légales liés au statut du salarié permanent ou à l’application des dispositions de l’article 6-4-2 du code du travail.

Le tribunal de première instance de l’Ariana a été saisi d’une affaire de ce

genre. Il en a rendu un jugement dont le mérite est de préciser la notion de sous-traitance en tant qu’opération par laquelle une entreprise confie à une autre l’accomplissements d’activités qu’elles se trouve incapable de les accomplir faute de compétence, d’outils ou de savoir faire nécessaires. En fait il s’agit d’une entreprise qui gère son activité avec ses propres moyens et sa propre main d’œuvre, et brusquement, et sans motifs objectifs, elle fait recours à une entreprise de sous-traitance et lui confie une bonne partie de son activité. Le

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sous traitant met alors, à la disposition de l’entreprise principale un nombre de salariés, qui ne sont en fait que les salariés de cette dernières qui les a fait signer des contrats d’embauche avec le sous-traitant. Le tribunal a alors estimé, qu’à défaut de besoins sérieux, le recours à la sous-traitance n’a d’objectif que de démunir les salaries de leurs droits, et est qualifiable d’escroquerie, et de ce fait, sera sans effet sur la relation du travail initiale qui demeure établie entre les salariés et l’entreprise principale.

4-2-2 L’article 6-4-2 du code de travail, est-il applicable aux salariés des sous-

traitants ?

Qu’elle est la nature juridique des contrats que conclu le sous-traitant avec

les salariés qu’il embauche ? Sont-ils soumis à l’article 6-4-1 et donc non requalifiable en C.D.I ; même à l’expiration d’une période de 4 ans de travail effectif ? Ou par contre soumis à l’article 6-4-2 et donc requalifiable en C.D.I. après l’expiration de la période de 4 ans ? Les solutions données par la jurisprudence sont contradictoires.

Une première solution considère que les relations de travail entre les

salariés et leS sous-traitants doivent être régies par l’article 6-4-1 et donc ne peuvent être qualifiées de permanentes même après l’expiration d’une période de 4 ans de travail effectif28. Par contre, une deuxième solution, considère que les salariés du sous-traitant auront la qualité du permanent à l’expiration d’une période de travail effectif de 4 ans29.

Cette contradiction découle de la confusion entre deux notions différentes

de la sous-traitance, à savoir, la sous-traitance du travail qui se base sur des contrats de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée régis par l’article 6-4-2, et la sous-traitance de la main d’œuvre qui fait recours à des C.D.D. régis par l’article 6-4-1.

28 - Cass civ. n° 11618 du 04-10-2002 aussi cass. civ. n°3661 du 24/11/2000. 29 - Cass. civ. n°5571 du 28/12/1998. Aussi Cass. civ. n°19475 du 03/01/2003.

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5. LA GESTION ACTIVE EFFICACE DU MARCHE DE TRAVAIL ET LA SECURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS

L’instabilité grandissante de l’emploi ; le développement des contrats

temporaires ; la question du salaire insuffisant pour vivre ; le sentiment de fragilité dans le contenu du travail lui-même ; la frontière toujours plus floue entre temps privé et temps de travail traduisent l’insécurité sociale grandissante dans les faits et dans le sentiment partagé par les salariés. Ce sentiment n’est pas partagé seulement par les travailleurs sous CDD mais aussi par ceux qui sont sous CDI car ils se disent que « la précarité n’arrive pas qu’aux autres ». Il existe le risque de la subir directement ou à travers les enfants au moment de leur entrée dans la vie active.

L’idée que les employeurs ne recrutent pas autant qu’ils le pourraient, par

peur des difficultés de licenciement à venir, reste très répandue dans la littérature de la Banque Mondiale30. Cette affirmation manque de validation scientifique. Qu’ils soient empiriques ou théoriques, les travaux de recherche en économie n’ont pas réussi à mettre en évidence de façon incontestable que le recours facile au CDD et au licenciement permettrait aux employeurs d’embaucher plus de travailleurs31. Par ailleurs la politique macroéconomique, le degré de réglementation des marchés des biens et services, l’efficacité de la formation et les politiques actives du marché du travail ont plus d’influence sur l’emploi que les «rigidités» imputées aux institutions du marché du travail.

En Europe, la sécurisation des parcours professionnels est devenue un thème central des politiques de l’emploi. L’idée de base est de préparer les évolutions professionnelles et les carrières, de maintenir élevée l’employabilité afin que toute rupture s’accompagne d’une plus grande facilité à retrouver un autre emploi. Mais cette sécurité de l’emploi doit être complétée par d’autres sécurités associées au travail décent, tel que définie par l’OIT. L’efficacité de la politique active de l’emploi et des institutions du marché du travail contribue à la sécurisation du parcours professionnel qui est une dimension importante du travail décent.

30 Voir les indicateurs du « Doing Business » 31 Muriel PUCCI, Julie VALENTIN, « Flexibiliser l’emploi pour réduire le chômage : une évidence scientifique ? in CEE, Connaissance de l’emploi, numéro 50 janvier 2008.

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5-1 Les aspects convergents des dispositifs européens d’aide au retour à l’emploi

5-1-1 Mise en place de dispositifs européens efficaces

Partout en Europe, en raison du caractère d’ordre public des enjeux de l’emploi, les services d’indemnisation, de placement et d’aide au retour à l’emploi sont de la responsabilité d’institutions publiques ou parfois paritaires. Des dispositifs sont mis en place pour le suivi et l’accompagnement des personnes les plus éloignées du marché du travail en vue de favoriser leur retour à l’emploi. Les services publics d’emploi ont adopté la démarche qualité pour améliorer la qualité de leurs prestations. Le demandeur d’emploi est devenu un client à part entière à qui il faut donner toute satisfaction. Il s’agit de la création d’un véritable service public pour l’emploi avec des exigences de résultat.

L’office public de placement est très généralement une personne morale de droit public placée sous l’autorité du ministre de l’Emploi, dont l’organisation territoriale se décline souvent en agences régionales et locales. Il remplit partout trois fonctions : indemnisation du chômage, placement et mise en œuvre des aides pour l’emploi. Des opérateurs privés sont très généralement associés à la délivrance du service public de placement selon des modalités assez variables mais le principe commun à tous les pays est que le service doit rester gratuit pour le demandeur d’emploi. Autrement dit, c’est l’organisme public d’emploi qui finance les services privés reçus par le demandeur d’emploi.

Les dispositifs et les services proposés par les pouvoirs publics pour faciliter l’insertion des personnes en difficultés sont multiples. Ils couvrent un large éventail de mesures, allant des incitations monétaires versées au salarié ou à l’employeur aux aides en nature apportées au demandeur d’emploi, en passant par des actions d’accompagnement au retour à l’emploi plus classique (entretiens avec un conseiller, etc.). Ce rapport privilégie les dispositifs d’insertion sous l’angle du suivi et de l’accompagnement vers l’emploi et du rôle tenu par les services publics de l’emploi nationaux sur ces questions.

Des aides financières sont octroyées pour faciliter le retour à l’emploi. Elles s’adressent tant au salarié (crédits d’impôts, possibilité de cumul avec les prestations et revenus d’activité, etc.) qu’à l’employeur (subventions à l’emploi, exonérations de charges sociales, etc.).

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5-1-2 Les caractéristiques d’un dispositif qui cible efficacement le retour à l’emploi

des chômeurs en grande difficulté

Les personnes les plus en difficultés sur le marché du travail,

bénéficient de nombreux dispositifs d’aide au retour à l’emploi. L’examen des dispositifs en Allemagne, au Danemark et au Royaume-Uni révèle, au-delà des contextes institutionnels et économiques distincts, des aspects convergents.

Plusieurs principes peuvent constituer le socle de stratégies d’insertion

pertinentes et innovantes susceptibles d’augmenter les chances non seulement de retour à l’emploi mais aussi de maintien durable dans l’emploi.

i) Un guichet unique pour assurer un accès simple pour tous

Le principe d’un accès simplifié pour le demandeur d’emploi à travers le regroupement dans un même lieu physique des différents services utiles (services de placement et d’accompagnement, services d’aide sociale et éventuellement services de financement des prestations) semble partagé. Il doit s’adresser à toute personne en recherche d’emploi et en âge de travailler, quel que soit son statut indemnitaire ou sa durée de chômage. Le Job center Plus britannique représente la configuration la plus aboutie du guichet unique : il est le point d’entrée pour toutes les personnes en âge actif dans le système d’indemnisation et de placement.

ii) Un accompagnement précoce, fréquent et continu, au-delà de la stricte

période de chômage

L’accompagnement du demandeur d’emploi ne se limite pas à la période de chômage stricto sensu. En amont, un retour plus rapide vers l’emploi est favorisé par une prise en charge précoce : au Royaume-Uni, elle est assurée en quelques jours (rencontre avec un conseiller personnel dans les 3 jours qui suivent l’inscription). Elle peut également être anticipée dans les cas où la fin du contrat de travail est préalablement connue ; en Allemagne, les travailleurs ayant un contrat à durée déterminée ou ayant reçu une notification de licenciement doivent se signaler auprès de l’agence pour l’emploi avant la fin du contrat de travail (pour les CDD, trois mois avant la fin du contrat). En aval, l’accompagnement pourrait être poursuivi au-delà de la reprise d’un travail, à intervalles réguliers pendant une période donnée (par exemple, pendant la période d’essai). Les dispositifs décrits ci-dessus indiquent aussi la nécessité de mesures préventives afin d’améliorer le maintien dans l’emploi : un dialogue entre le conseiller, l’employeur et le salarié est susceptible de déboucher sur des adaptations de poste de travail ou sur l’identification des besoins spécifiques de formation. L’expérience britannique “Employment Retention Advance Scheme” ERA) lancée en 2003 répond à ce souci.

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iii) Une relation d’accompagnement et d’aide avec un conseiller

personnalisé, en capacité de jouer un rôle d’intermédiation

Le face-à-face entre conseiller et demandeur d’emploi est au cœur des dispositifs d’insertion. Pour les personnes les plus en difficulté, la relation avec le conseiller doit être une relation de confiance. Au Royaume-Uni, le conseiller personnalisé a pour unique mission l’aide et l’accompagnement, le contrôle étant assuré par une tierce personne. Pour proposer la solution la mieux adaptée au demandeur d’emploi, ce conseiller personnalisé est capable de mobiliser de nombreuses ressources relevant de domaines très divers : milieu professionnel de l’entreprise, services médicaux et sociaux, services de formations, etc. En Allemagne, dans certaines régions ou communes, les conseillers établissent des relations avec les employeurs du bassin d’emploi local afin d’identifier leurs besoins, puis ils proposent à l’employeur un candidat pour un poste vacant. Cette logique de traitement au cas par cas et en étroite relation avec les entreprises tend à améliorer les chances d’insertion des personnes les plus fragilisées.

iv) Une combinaison de prestations qui favorisent le contact avec

l’entreprise

Ces prestations gagnent à être diversifiées, aucun moyen n’étant a priori moins efficace ; le succès dépend à la fois de la situation personnelle du demandeur d’emploi et du contexte socio-économique local. Elles doivent être surtout combinées. Les formations courtes et qualifiantes – le plus possible, en lien direct avec l’entreprise – sont préférables. Une bonne connaissance de l’état du marché du travail local est primordiale pour le conseiller. Enfin, le soutien psychologique des personnes les plus éloignées de l’emploi étant primordial, les prestations qui favorisent le maintien en santé des personnes les plus fragilisées sont également à privilégier. Au Danemark, un éventail assez large de prestations est proposé : programmes de conseil, d’orientation et de formation avec priorité donnée aux formations courtes (environ six semaines) ; emplois subventionnés, souvent combinés avec une formation; stages en entreprise, etc. Certains programmes danois proposent un accompagnement dans des domaines très variés, non directement liés à la recherche d’emploi (par exemple, conseils pour améliorer les pratiques de nutrition, séances d’exercices physiques, etc.). Ainsi, il existe un « référentiel » commun aux pays européens qui s’articule autour des éléments suivants :

• un dispositif d’assurance chômage ;

• un service public d’emploi mobilisant un personnel compétent doté d’outils d’intervention adaptés aux besoins des populations de chômeurs

• des politiques actives du marché du travail efficaces ;

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S’y ajoute un autre axe, de caractère transversal et procédural : le développement du dialogue social dans toutes ses dimensions, entre partenaires sociaux mais aussi entre ces derniers et les pouvoirs publics, sans exclure le cas échéant d’autres parties prenantes. 5-2 L’inefficacité des services publics d’emploi et de la politique active de

l’emploi est un obstacle à la sécurisation des parcours professionnels en Tunisie.

5-2-1 Des services publics d’emploi inefficaces

En Tunisie, il existe trois grands obstacles à la sécurisation des parcours professionnel : l’absence d’une assurance chômage et l’inefficacité des services publics d’emploi et celle des programmes d’emploi. Théoriquement, les bureaux de l’emploi et du travail indépendant disposent d’un service spécialisé en accompagnement et orientation, appelé « unité d’information et d’orientation professionnelle »32. En fait, ces missions spécialisées ne sont pas réalisées pour quatre raisons complémentaires :

a) Le manque de professionnalisme du personnel. La formation initiale de la quasi-totalité du personnel des services publics d’emploi n’est pas spécialisée et la formation continue suivie n’est pas construite sur la base d’un référentiel de compétences. L’expérience professionnelle acquise dans une organisation marquée par son fonctionnement bureaucratique ne permet pas au personnel d’acquérir les compétences requises par les missions spécialisées des bureaux d’emploi.

b) Le fonctionnement bureaucratique des services d’emploi. Quelques exemples traduisent la bureaucratisation des missions spécialisées :

• L’orientation professionnelle est réduite à un guichet d’information.

• Souvent, les demandeurs d’emploi ne bénéficient pas d’un bilan de compétences et ne sont pas aidés pour construire un projet professionnel

• Souvent, le personnel est absorbé par des tâches administratives liées à l’élaboration et le contrôle des milliers de contrats d’aide à l’insertion (SIVP, CEF) et la gestion des subventions accordées aux entreprises (Instruments P50% et P75%)

• Le personnel professionnel rare peut éprouver des difficultés à donner le mieux de soi dans un contexte où la qualité de la prestation n’est pas déterminante de sa promotion.

32 Cf. www.emploi.nat.tn

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• Les statistiques n’aident pas à l’analyse du marché et à la décision puisque l’amélioration de la qualité des prestations n’est pas au centre de l’organisation bureaucratique des SPE

• L’atout des TIC n’est pas exploité d’une manière optimale, en dépit du grand progrès réalisé dans ce domaine.

c) Les conditions matérielles de l’exercice du travail sont très difficiles dans

plusieurs gouvernorats. La répartition du personnel et des moyens matériels de travail entre les régions n’est pas adaptée à l’inégalité de la répartition régionale des chômeurs

5-2-2 Des programmes d’emploi nombreux qui bénéficient principalement aux

jeunes

La Tunisie n’a pas de régime national d’indemnité de chômage. De ce fait,

sa politique de gestion du marché du travail est exclusivement active, par opposition au caractère « passif » associé à l’existence d’un régime national d’indemnisation du chômage. Pour maîtriser le déséquilibre entre l’offre et la demande d’emploi engendré par cette mutation, les pouvoirs publics ont élaboré une batterie très étendue d’instruments d’appui à l’insertion, d’adaptation professionnelle et d’incitation/préparation à la création de micro-entreprises. Les dépenses globales aux politiques actives de l’emploi représentaient 1,5 % du PIB soit un niveau supérieur à celui de nombreux pays de l’OCDE. Les objectifs des programmes d’emploi traduisent une démarche plurifactorielle de la politique active de l’emploi. Le dispositif d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes utilise les moyens suivants:

• offrir la possibilité d’acquérir une expérience professionnelle.

• réduire le coût lié à l’embauche et aux contraintes du droit social ; c’est le rôle des contrats « SIVP » et « CEF » et des subventions salariales

• adapter à l’emploi par la formation

• lutter contre la discrimination sur le marché du travail.

• promouvoir la micro-entreprise Les travailleurs ayant perdu leur emploi pour des raisons économiques ou techniques ou suite à la fermeture définitive ou subite de l’entreprise sans respect des procédures du code du travail bénéficient d’un dispositif de réinsertion. Le Décret n° 2001-1722 du 24 juillet 2001 (JORT n° 61 du 31/07/01) institut le contrat de réinsertion pour ces travailleurs soit pour se réinsérer dans un emploi salarié ou s’installer à leur propre compte. Ils bénéficient de cycles d’adaptation d’une durée maximale de 6 mois et, ce au vu d’un bilan de compétences. Pour ceux qui s’installent à leur propre compte la

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durée maximale des cycles d’adaptation est de deux ans dans les domaines techniques ou de gestion. L’article 22 de la loi n° 2004-90 du 31/12/2004 stipule que les entreprises du secteur privé qui procèdent dans le cadre d’un contrat de réinsertion dans la vie professionnelle au recrutement de ces travailleurs, peuvent bénéficier de la prise en charge par l’Etat pendant une année :

- d’un taux de 50 % du taux de salaire versé à la recrue et dans la limite de 200 dinars par mois,

- de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale au titre du salaire versée à la recrue

5-2-3 Des dispositifs qui n’aident pas les chômeurs en difficulté

Les bénéficiaires des programmes sont principalement des jeunes et de

plus en plus les primo demandeurs d’emploi issus de l’enseignement supérieur33. Les programmes d’emploi sont devenus complexes en raison de la multiplicité des instruments, des institutions gestionnaires des programmes et des intervenants dans la mise en œuvre des actions des programmes, notamment au niveau des actions de formation.

Cette complexité pose des problèmes de lisibilité, de double emploi, de

coordination et de pertinence des programmes par rapport à la structure du chômage. Malgré le déploiement massif depuis longtemps de ces programmes, il n’existe pas d’évaluation rigoureuse de leur efficacité et leur équité. Faute d’évaluation rigoureuse, les outils actuels n’ont pas été adaptés aux différents profils des chômeurs.

On peut distinguer deux types de fonction des dispositifs mis en place : la

fonction affichée qui renvoie à l’objectif officiel tel qu’il est annoncé explicitement ou implicitement par les pouvoirs publics et la fonction effective qui désigne la contribution réelle d’une mesure au fonctionnement du marché du travail, et renvoie donc à ses effets recherchés et pervers. Les effets pervers réduisent l’efficacité et l’équité des programmes. Il s’agit particulièrement des effets suivants :

• Effet d’aubaine : l’entreprise touche la subvention pour des embauches qu’elle aurait de toutes façons réalisées ;

• Effet d’écrémage : les entreprises trient parmi les salariés susceptibles d’être embauchés dans le cadre de la subvention et ne recrutent que les catégories qu’elles auraient spontanément embauchées. Autrement dit la population en difficulté qui est la cible de la subvention se trouve ainsi exclue.

33 Des bureaux d’emplois spécifiques à cette catégorie sont créés dans les grands centres urbains et des programmes d’emplois sont élaborés pour les aider à s’insérer dans un emploi salarié ou à s’installer pour leur propre compte.

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• Effet de rotation : les entreprises remplacent une personne subventionnée pendant une période par une autre subventionnée pour la période suivante.

Les programmes d’emploi ne sont pas efficaces pour plusieurs raisons complémentaires :

i) Le niveau élevé du chômage crée inévitablement une forte compétition

sociale autour de l’emploi rare. Elle raréfie l’offre réellement offerte aux inscrits dans les bureaux d’emploi. De ce fait, une partie importante de l’offre d’emploi affichée est déjà satisfaite en dehors de l’intermédiation des bureaux d’emplois.

ii) Les différentes formes de subvention salariale (Contrats : SIVP1, SIVP2, CEF et instruments P50%, P75%) qui devraient normalement atténuer l’effet sélectif de la compétition sociale ne sont pas accessibles aux chômeurs en difficulté en raison de l’effet d’écrémage de ces instruments.

iii) L’organisation bureaucratique des bureaux d’emploi, leurs méthodes de travail inadaptées à leur mission spécialisée et le manque de professionnalisation du personnel n’excluent pas le risque d’aider celui qui est déjà aidé par son réseau social.

iv) Enfin, les travailleurs licenciés occupent une place marginale parmi les bénéficiaires des programmes d’emploi.

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Troisième partie : LE SYNDICALISME FACE A LA LIBERALISATION ECONOMIQUE

ET LA PRECARITE DE L’EMPLOI

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1. LES TRANSFORMATIONS ECONOMIQUES INTERNATIONALES

CONSTITUENT DES OBSTACLES A L’IMPLANTATION SYNDICALE.

1-1 Le syndicalisme éprouve des difficultés à organiser le monde du travail.

1-1-1 Déclin international du syndicalisme

En trente ans, le taux de syndicalisation moyen des pays de l’OCDE est passé d’un peu plus d’un tiers à environ un cinquième de la population active34 .Aux Etats-Unis, il a perdu presque la moitié de ses effectifs35 , et au Japon pas loin de 40%. La Grande-Bretagne a, elle aussi, connu un fort recul (une chute de 27% entre 1975 et 1990, puis de 16% entre 1990 et 2004). Ce qui est vrai sur la longue période au niveau de l’ensemble des pays développés, se confirme sur la courte période au niveau européen. Dans l’UE à 25, le taux de syndicalisation a chuté de 32% en 1995 à 26% en 2001. Ce recul est en particulier tiré par le déclin massif de la syndicalisation dans les nouveaux États membres (de 43% à 20% sur la même période). Mais, dans l’ensemble, la proportion des salariés européens syndiqués n’a jamais été aussi faible depuis 1950, c’est-à-dire dix ans avant la période de croissance du syndicalisme qui avait caractérisé les années 1960-197536. Les disparités d’implantation syndicales dans le tissu productif sont fortes. Entre secteur public et secteur privé, tout d’abord : aux Etats-Unis, le taux de syndicalisation dans le public est actuellement d’environ 40% contre 8% dans le privé. Entre grandes entreprises et PME-PMI-TPE, ensuite, ou entre secteurs industriels classiques et secteurs de services, l’écart est encore très significatif : le cas français est ici particulièrement frappant, le monde des PME constituant un quasi « désert syndical », de même que la plus grande partie du secteur des services à la personne. En somme, on peut dire, en forçant à peine le trait, que le syndicalisme occidental commence à ressembler à un îlot de travailleurs âgés et protégés, perdu au milieu d’un océan de salariés plus ou moins précaires et disséminés. En effet, dans l’UE, entre 15 et 20% des salariés syndiqués sont soit sans emploi

34 Au niveau mondial, le tableau n’est pas plus réjouissant. Selon l’Organisation Internationale du Travail, la proportion des travailleurs syndiqués a fondu de moitié entre 1985 et 1995. 35 En 1955, près d’un tiers des salariés américains étaient syndiqués. Ils n’étaient plus que 19% en 1984 et 12,5% en 2004. 36 On doit faire ici, il est vrai, une notable exception pour la Belgique et les pays scandinaves. Mais cette exception vient en grande partie du fait que les syndicats y jouent plus encore qu’ailleurs un rôle d’agence sociale conforme à l’une ou l’autre variante du « Système de Gand » : l’adhésion à ces organisations y conditionne l’accès à certains droits et prestations sociales, notamment en matière d’assurance-chômage et d’assurance maladie.

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soit retraités37. Ce problème culmine en Italie où plus de 49% des salariés syndiqués sont dans cette situation. Le syndicalisme tel qu’il est organisé actuellement ne parvient plus à organiser le monde du travail en raison des transformations du capitalisme qui affectent en profondeur le champ d’implantation économique du mouvement syndical occidental.

1-1-2 Les obstacles économiques à l’implantation syndicale

La tertiarisation de l’économie est l’indicateur des transformations économiques le

plus souvent cité. L’économie industrielle regroupait les salariés dans de grands collectifs de travail à l’abri de vastes ateliers de production, favorisant la formation de « conditions communes » et l’émergence de consciences collectives. Une large partie de la main d’œuvre se regroupait ainsi dans de grandes entreprises intégrées. Paradoxalement, alors même que la condition salariale s’est considérablement développée, la situation du salariat paraît de moins en moins unifiée. L’économie de services qui progresse continuellement joue en effet sur un tout autre registre. Elle repose tout d’abord sur un tissu d’entreprises généralement plus petites. De fait, le poids global des services dans l’économie ne dit pas tout. L’individualisation des relations d’emploi, y compris dans les grandes entreprises

devient un trait marquant des transformations économiques. Les relations de travail sont presque partout marquées aujourd’hui par la flexibilité et/ou l’instabilité. La multiplication des contrats de travail à durée déterminée, des temps partiels (choisis, mais plus souvent subis, en particulier chez les femmes), ainsi que l’individualisation des modes de rémunération, la croissance des formes de travail indépendant (professionnels autonomes, organisation par projet, etc.)…, tous ces facteurs compliquent d’autant l’effort de syndicalisation. Ils hypothèquent la capacité des syndicats à parler au nom d’un salariat rassemblé pour éviter qu’ils ne se fassent concurrence sur le marché du travail En outre, des relations d’emploi plus flexibles entraînent inévitablement des

carrières professionnelles plus discontinues, plus accidentées, des changements de

secteur d’activité et des périodes de chômage plus ou moins nombreuses, plus ou

moins longues. Du point de vue de syndicats qui se structurèrent d’abord sur un modèle corporatiste (par métier) et qui s’adaptèrent ensuite au modèle de l’organisation industrielle taylorienne, ces nouveaux parcours professionnels sont très difficiles à suivre : ils nécessitent un accompagnement mobile et « sur mesure » que le quadrillage du monde du travail en grands collectifs de métier ou de condition peine à organiser. La difficulté à suivre des trajectoires de plus en plus accidentées et complexes est

accrue par la segmentation du marché du travail. Le fait que les droits sociaux et les statuts varient selon les branches professionnelles et les métiers, ne favorise

37 European Industrial Relations Observatory, « Trade Union Membership 1993-2003 »

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pas non plus la continuité de la protection et de la représentation des salariés. Au-delà de leur rôle d’agence sociale, l’un des secrets de la belle vitalité des syndicats nordiques tient peut-être aussi au fait qu’ils ont affaire à un marché du travail beaucoup plus unifié de ce point de vue. Les droits y sont plus facilement transférables d’un emploi et d’un secteur à l’autre. Les transformations économiques prennent également la forme d’une

fragmentation du système productif. Par toutes sortes de stratégies de réorganisation et de relocalisation des unités de production, il s’apparente de plus en plus à un vaste Lego dont les figures et les combinaisons sont d’ailleurs assez variées selon les secteurs et les stratégies, comme l’ont montré Suzanne Berger et ses collègues du MIT38 . L’entreprise « modulaire » peut ainsi externaliser des segments de son activité soit en recourant à des sous-traitants nationaux, soit en délocalisant à l’étranger, soit en filialisant certaines activités… Elle tend à se concentrer sur ce qu’elle fait le mieux, c’est-à-dire sur ses atouts concurrentiels, et à déléguer à d’autres le reste. C’est ainsi que l’entreprise sans usine est entrée dans l’ordre du pensable : Nike se résume, pour l’essentiel, à quelques unités de design et à un centre de commandement qui gère l’organisation d’un vaste ensemble de contrats de sous-traitance et de fournisseurs sur plusieurs continents. Les ordinateurs Dell ne passent que quelques minutes dans les usines d’assemblage du même nom. Certaines entreprises orchestrent la répartition des risques et contrôlent le fonctionnement d’un réseau de liens contractuels déployés à l’échelle intercontinentale. Les solidarités du travail sont détruites avec l’émergence des formes de nationalisme syndical plus ou moins xénophobes. Il est probable que le syndicalisme ne pourra échapper à la nécessité de s’adapter aux changements économiques. Une stratégie de coordination d'unités de représentation diversifiées, placées au plus près des véritables pôles de décision patronale (non plus seulement l'entreprise et la branche, mais aussi le groupe, le réseau d'entreprise, le territoire, le métier, etc.). Cette évolution est nécessaire si l'on veut faire face à l'élargissement et à la fragmentation des intérêts que le syndicalisme représente: intérêts non pas seulement des travailleurs des grandes entreprises et du secteur public, mais aussi des travailleurs précaires et à temps partiel, des salariés des entreprises sous-traitantes, des semi-indépendants... Elle est aussi nécessaire pour que le syndicalisme puisse faire face à l'élargissement des fonctions de la négociation collective sur plusieurs aspects du travail décent. Le déclin du syndicalisme qui découle des transformations économiques ne devrait pas inquiéter uniquement les syndicalistes. Un monde sans syndicats pourrait aussi signifier une conflictualité plus incontrôlable, plus imprévisible.

38 Voir sur ce point l’enquête du MIT auprès de 500 entreprises en Europe, en Amérique et en Asie, publiée sous la direction de Suzanne Berger, How We Compete, Double Day, 2005 (traduction française : S. Berger, Made in Monde, trad. Laurent Bury, Seuil, 2006).

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Selon l’OIT, la tendance actuelle de la mondialisation peut et doit changer. Beaucoup de ses règles sont injustes, ses résultats sont déséquilibrés, son avenir est incertain.

1-2 Le contexte local subit les transformations internationales : Difficulté de l’implantation syndicale dans le secteur privé en Tunisie

Face aux transformations du marché du travail, le syndicalisme traditionnellement implanté dans le secteur public trouve des difficultés à s’implanter dans le secteur privé. L’effort effectué au cours des années 70 par l’implantant dans l’industrie textile et habillement est neutralisé voire même affaibli par la progression de la part de l’emploi des services au cours de ces dernières années. 1-2-1 Droit syndical et liberté d’opinion

Tout en consacrant un chapitre à la représentation du personnel, le Code du travail garde le silence sur la présence de l’organe syndical ou des délégués syndicaux dans l’entreprise. Pourtant, le législateur consacre le principe de la liberté syndicale et accorde aux syndicats des prérogatives très larges en dehors de l’entreprise, notamment en matière de conflits collectifs et de négociation collective.

La convention collective cadre a atténué ce vide juridique. En effet l’article 5 a introduit l’ébauche d’un statut du syndicat au sein de l’entreprise en définissant ses droits et ses devoirs (Voir Encadré1) Les conventions collectives sectorielles ont été enrichis par des dispositions qui renforcent le droit syndical (Voir tableau ci-dessous).

La Tunisie a ratifié la convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, la convention n°98 sur le droit d’organisation et de négociation collective et plus récemment la convention n°135 concernant les représentants des travailleurs dans les entreprises.. L’article 5 de cette dernière convention stipule que : « lorsqu'une entreprise compte à la fois des représentants

syndicaux et des représentants élus, des mesures appropriées devront être prises,

chaque fois qu'il y a lieu, pour garantir que la présence de représentants élus

ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats intéressés ou de

leurs représentants, et pour encourager la coopération, sur toutes questions

pertinentes, entre les représentants élus, d'une part, et les syndicats intéressés et

leurs représentants, d'autre part ». Autrement dit, l’existence d’un comité consultatif d’entreprise (CCE) ne doit pas être un moyen de porter préjudice à la liberté et au droit syndical. A cet égard, l’UGTT a créé un observatoire sur l’application du droit syndical.

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Tableau 18 : Liste des conventions collectives où ont été introduites des modifications pour renforcer la liberté syndicale et la protection du droit syndical, au titre des trois

dernières périodes triennales de négociation collective.

Conventions sectorielles 1999-2001

2002-2004

2005-2007

Agence de voyage - X - Agent équipement agricole et génie mécanique - X - Assurances - - X Banques - - X Boulangerie - X X BTP - X - Cafés, bars et restaurants - X - Cliniques privées - X - Commerce de gros des médicaments - X - Commerce de gros et de détail - X X Commerce de matériaux de construction et de bois - X - Commerce et distribution du pétrole et ses dérivés - X - Construction métallique - X - Education privé X X - Electricité et électronique X X - Entreprises de gardiennage - X - Explosifs - X - Fonderie et produits dérivés - X - Hôtellerie Tourisme X X - Imprimerie, papeterie, art graphique, photos X X - Industrie de boissons gazeuses non alcoolisées et eau minérale - X - Industrie de l’habillement - X X Industrie de la chaussure X X - Industrie de matériaux de construction X X - Industrie des conserves alimentaires X X - Industrie des pates et du couscous - X - Industrie du Bois et meubles - X - Industrie du Textile - X X Industrie et commerce Boissons alcoolisées - X - Industrie saline - X - Jardins d’enfants - X - Location voiture - X - Mécanique générale et station vente essence X X - Minoterie - X - Pharmacie - X Presse - X - Producteurs et concessionnaires de voitures - X - Production cuir et tannerie - X - Production de Peinture - X - Production de plastiques - X X Production de Produits cosmétiques et parfumeries - X - Production de Produits détergents et insecticides - X X Production de savons et extraction huile d’olive - X - Production de Verrerie - X - Production des sucreries, biscuit, chocolat - X - Production du lait et dérivés - X X Port - X X Salle Cinéma - X - Tannerie - X - Torréfaction du café - X X Transport marchandise - X - Source : UGTT, Département des études et de la documentation & Fondation Friedrich Ebert, Bilan des négociations collectives dans le secteur privé, novembre 2007.

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1-2-2 Le cadre réglementaire de création des syndicats au sein de l’UGTT

L’article 30 et l’article 31 du statut de l’Union Générale Tunisienne du

Travail (UGTT), approuvé par le Congrès extraordinaire tenu à Djerba du 07 au 09 février 2002, définissent respectivement le processus de création du syndicat de base et de la représentation syndicale.

Le syndicat de base est la structure de base au sein de l’UGTT. Elle le

représente au niveau de tous les lieux de travail dans la même entreprise et dans la même délégation. Il est crée dans tous les lieux de travail ou entreprises au sein d’une délégation à la demande des travailleurs du secteur concerné, ou bien sur proposition de l’UGTT ou de l’une de ses structures régionales sectorielles à condition de requérir un minimum de cinquante adhérents et ce avec obligation d’informer le Département du Règlement Intérieur de l’UGTT (§ A et B, art 30)

L’article 31 stipule que dans tous les lieux de travail et pour toute

délégation dont le nombre des adhérents du même secteur est inférieur à cinquante, une représentation syndicale peut être constituée et ce selon les conditions suivantes : Un seul représentant pour10 adhérents, 3 représentants entre 11 et 20 adhérents et 5 représentants entre 21 et 49 adhérents. 1-2-3 Les caractéristiques économiques et géographiques de l’implantation

syndicale dans le secteur privé.

Un recensement des cellules syndicales en 2004 révèle que seulement 35 % du total appartiennent au secteur privé. Le secteur privé est donc sous représenté par rapport à son poids réel dans l’emploi salarié. En dépit de l’existence d’un Droit syndical, l’implantation syndicale dans le secteur privé se heure à plusieurs obstacles :

• Hostilité du patronat au syndicalisme, exacerbée par le modèle de compétitivité adopté et qui est fondé sur la baisse du coût des facteurs, notamment le facteur travail.

• La fragmentation du salariat et des relations de travail qui découlent de la poussée de la précarisation de l’emploi.

• L’organisation de l’UGTT qui subit encore le poids de la sur représentation relative du secteur public39. Celle-ci est fortement liée au passé marqué par la prépondérance de ce secteur dans l’économie nationale.

• Les conflits entre responsables syndicaux dans certaines régions portent préjudice aux nouvelles cellules syndicales.

• Dans un contexte fortement marqué par le chômage, l’arbitrage des autorités locales se fait parfois au profit du patronat et au

39 Sur la base d’un recensement des cellules syndicales de base en 2004, seulement 35 % appartiennent au secteur privé.

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détriment de l’action syndicale, au nom de la sauvegarde de l’emploi.

L’implantation économique des cellules syndicales du secteur privé est fortement concentrée dans l’industrie (55 %) et le tourisme (17 %). Le reste des cellules syndicales est dispersé sur plusieurs branches d’activité. Leur implantation géographique est également concentrée dans les régions qui regroupent des bassins industriels et des activités touristiques. Il s’agit du Grand Tunis, le Centre Est (Sousse et Monastir) et le Sud Est (Sfax et Médenine).

Figure 19 : Distribution des cellules syndicales de base du secteur privé par branche

d'activité (en%) -2004

source: UGTT, Recensement des cellules syndicales de base

55

178 4 3 3 3 2 2 1 1 1

0102030405060

Indu

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Figure 20 : Distribution géographique des cellules syndicales du secteur privé (en %) -2004

source: UGTT, Recensement des cellules syndicales de base

8,1

4,9

9,1

6,2

11,3

0,1

3,7

0,11,6 1,1

8 8,3

2,1 2 2,81,7

15,4

2,1

6,5

1,4 1,80,8 0,8 0,3

0

5

10

15

20

Tunis

Ariana

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x

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e

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Siliana

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2. SYNDICALISATION DES TRAVAILLEURS PRECAIRES ET EXERCICE DU DROIT

SYNDICAL DANS LE SECTEUR PRIVE 2-1 Témoignages de syndicalistes sur les difficultés de l’exercice du droit

syndical dans un contexte de précarité de l’emploi. 2-1-1 Le secteur textile habillement est marqué par de fortes pratiques

antisyndicales des employeurs.

i) Le niveau élevé du chômage divisent les travailleurs et crée la soumission à

la précarité et aux ordres antisyndicaux des employeurs

On pourrait s’attendre à ce que le caractère coopératif de la production se fondant sur l’existence de fait d’un esprit collectif au niveau de la production fasse naître chez les ouvrières des réflexes d’un esprit de groupe pour se défendre et se prémunir contre les conditions précaires de leur emploi. En fait ces conditions donnent un résultat contraire à ce qui est attendu. En effet, ce que qu’on a observé c’est que chaque ouvrière défend son « morceau » de façon individuelle. L’ouvrière sent que celle qui se trouve à côté d’elle à exécuter des gestes répétitifs comme elle peut à chaque instant la remplacer si elle même se trouve licenciée. Un esprit de rivalité prévaut sur la chaîne de production, tout simplement parce que le travail qui est demandé de chaque ouvrière est répétitif et qu’il peut par conséquent être fait par n’importe quelle autre ouvrière d’où le sentiment que chacune des ouvrières sent que le danger peut venir de l’ouvrière qui peut la remplacer la plus proche à savoir sa voisine ,celle qui fait comme elle la même nature de tâches, répétitives, rapides et intégrés à la chaîne. Ce sont là les conditions de la solitude de l’ouvrière sur la chaîne. Cette solitude est mitigée à un sentiment d’agressivité à l’égard de l’ouvrière d’à côté. Dans le secteur de l’habillement ainsi décrit on est à mille lieux de soupçonner un esprit de solidarité entre les femmes travaillant sur la chaîne. Ceci constitue un élément supplémentaire, sur le terrain direct de la production, qui s’ajoute aux autres facteurs de précarité. Au sentiment de solitude agressive senti sur le terrain de la production, s’ajoute un sentiment de peur d’être exclu de la chaîne, et par conséquent licencié du travail. En effet, le besoin en argent, en tant que source de revenu, lié à ce sentiment de solitude face aux gestes répétitifs à accomplir pour satisfaire au rythme productif de la chaîne, entraîne une volonté de se rapprocher du patron ou de ses représentants à l’intérieur de l’usine. De là naissent les tendances au rapprochement zélés du surveillant de la chaîne au détriment de la solidarité avec la voisine, perçue comme une concurrente ou une rivale potentielle. Ceci va à l’encontre de ceux qui disent que le sentiment premier devrait être celui de la solidarité entre ouvrières menant automatiquement vers la création d’un

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syndicat ou bien (si le syndicat existe) vers la syndicalisation et l’agrégation des adhésions syndicales. C’est parmi les ouvrières qui sont les plus fragiles (ayant un sentiment de peur et d’insécurité aigu) que le patron trouve celles qu’il va « acheter » pour casser les tentatives de constitution d’un syndicat de base au sein d’une usine d’habillement. D’où la grande difficulté d’installer des structures syndicales de base au sein des entreprises de l’habillement. A la fédération du textile et de l’habillement on estime qu’il faut (pour le secteur habillement), en moyenne, dans une usine moyenne de 200 ouvrières par exemple, six mois de réunions, de contacts intensifs, d’encadrement syndical des ouvrières pour pouvoir espérer installer un syndicat de base. Les réunions de sensibilisation ne dépassent pas le nombre de six à sept ouvrières seulement d’un total de 200 ouvrières. Cet exemple modèle nous a été cité par le secrétaire général de la fédération du textile et de l’habillement.

j) Le retrait des femmes de l’emploi suite au mariage affaiblit les chances

d’une durabilité d’un syndicat.

Après l’installation du syndicat de base quand les efforts ont été couronnés de succès, ce qui n’est pas toujours acquis, il y a un autre fléau (extérieur à l’usine cette fois ci) qui guette la poursuite du syndicat de base de ses activités. Ce sont les éventuelles fiançailles en vue du mariage, pour celles qui se considèrent chanceuses d’avoir pu trouver un prétendant dans une époque où le célibat semble être la règle et le mariage l’exception jusqu’à l’âge de 35 ans40. Il est rare qu’après le mariage l’ouvrière continue de travailler, car le patron attend ces occasions pour renouveler les ouvrières e procéder ainsi à la rotation d’une force de travail dont l’accomplissement des tâches, pour être le meilleur possible, n’exige pas nécessairement une accumulation de connaissances ni une longévité dans l’expérience. Dans les rares cas où le mariage lui même n’a pas été une source et une cause pour que l’ouvrière interrompe sa carrière professionnelle cahotante, un autre risque l’attend auquel elle échappe rarement : c’est la « jalousie » du mari (hazzâr). Enfin un dernier élément extérieur à l’usine contribue puissamment à l’interruption précoce de la carrière professionnelle de l’ouvrière de « l’habillement » : c’est la généralisation de l’esprit conservateur de type religieux rigoriste. Le mari ou le milieu familial ou le cercle des amis commence à lui

40 Nous reproduisons ici les affirmations du milieu ouvrier et syndical sur le rapport mariage/syndicalisation.

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demander de porter le voile ensuite il finit par lui rendre tout contact avec les « mâles » contraire à l’esprit religieux sain. Ce sont là les trois facteurs externes à l’usine qui contribuent à affaiblir les chances d’une durabilité du syndicat de base quand il a été constitué, souvent avec grand labeur, dans un milieu ouvrier de « l’habillement ». Dans le secteur de l’habillement, on estime à 30 000 le nombre des ouvrières qui ont quitté leur travail sous l’effet de ces facteurs en l’espace de 3 ans (de 2002 à 2005), nous dit le secrétaire général de la Fédération du textile et de l’habillement de l’UGTT41. Ce sont là les facteurs qui émergent du côté ouvrier qui provoquent la rotation constante des effectifs ouvriers dans e secteur de l’habillement. 2-1-2 Le Tourisme est un foyer structurel de la précarité et des pratiques

antisyndicales des employeurs.

i) Raisons de l’opposition du patron à la syndicalisation : le contrat à blanc

Cette opposition à la constitution de structures syndicales dans le secteur touristique trouve sa raison principale aujourd’hui dans le fait que le contrat qui est proposé à « la nouvelle recrue » n’est rien d’autre qu’un contrat à blanc. C’est en effet la pratique la plus courante. L’animateur ou l’ouvrier signe le contrat reconnaissant par là ses devoirs et ses responsabilités, sans que la partie adverse le signe. Entre temps le travailleur entre en activité et les termes précis du contrat ne sont alors remplis et signés que hors de la mise en congé du travailleur en question. D’où la fréquence des licenciements abusifs, sans que la période du travail ne vienne à son terme. C’est là que l’intervention de l’inspecteur du travail est requise.

ii) Inspection de travail et diligence de l’intervention

Vu le caractère très provisoire du travail dans le secteur touristique, très limité dans le temps, la précarité est la plus prégnante. Cela exige une intervention de l’inspecteur de travail avec diligence, car les relations de travail finissent généralement par l’abandon de la part du travailleur de sa « cause », vu le caractère modique des sommes à lui verser par le patron, qui malgré cela « gratte, surtout quand il a un nombre important d’animateur, autrement dit quand l’établissement hôtelier a une grande dimension. Ce sont les prérogatives de l’inspecteur de travail, appliqué avec rigueur qui permettent de sauver le travailleur dans le secteur du tourisme des effets de la précarité dont évidemment la fragile syndicalisation, mais, surtout, aux yeux des praticiens, des droits élémentaires au salaire et aux conditions légales du travail.

41 M. Habib Hzami que nous remercions ici pour sa coopération et son accueil.

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D’après les syndicalistes de ce secteur les inspecteurs ne jouent pas pleinement leurs rôles. Cela consiste en une série de tâches : contrôler la légalité des contrats proposés aux travailleurs, vérifier le registre des congés, vérifier l’ancienneté, vérifier les conditions d’hygiène et de santé entourant l’exercice des activités (tenue de travail, etc.), contrôler les horaires de travail, vérifier les fiches de paie et s’assurer que le salaire perçu correspond à ce qui est mentionné dans la fiche de paie, vérifier si les cotisations revenant à la sécurité Sociale sont honorées. Il y a des textes qui prémunissent le travailleur dans ce secteur touristique, mais l’anomalie réside dans leur non application42. 2-1-3 Précarité de l’emploi et syndicalisation dans les Postes et

télécommunications

Selon les responsables syndicaux, le taux global de syndicalisation dans

les Postes et télécommunications est de 20%. Toutefois, il faut appréhender ce taux avec beaucoup de prudence du moment que la régularité et la continuité du travail ne sont pas assurées. La forte rotation de la main-d’œuvre a des conséquences évidentes : l’absence d’accumulation des expériences syndicales, l’absence de formation de ressources humaines conformes aux exigences de la bonne Pratique syndicale.

Ceci entraîne l’absence de formation de candidats parmi les travailleurs

précaires à la responsabilité syndicale. En effet, ils ne se présentent pas aux élections des représentants syndicaux de base. Et le manque de sa représentation sur le plan syndical aggrave la précarisation. On peut situer ainsi le cercle vicieux de la syndicalisation-précarisation.

2-1-4 Les syndicats arrivent à faire passer des travailleurs d’un statut précaire à

celui du travail décent

Dans les entreprises de la multinationale de l’industrie des boissons gazeuses, le syndicat, en accord souvent avec la Direction générale de l’entreprise, obtient la régularisation de la situation des travailleurs précaires et ce en amenant l’entreprise de sous-traitance à reconnaître le droit de l’employé précaire à la sécurité sociale. Ensuite dans une seconde étape à demander de l’employeur de retenir à la source la somme consacrée à la sécurité sociale. Dans un deuxième volet revendicatif concernant le travail précaire le syndicat œuvre à titulariser les emplois précaires. C’est ainsi que chaque année on titularise 8 CDD suite à l’expiration de la période la Haute saison et 8 autres au début de chaque année parmi les travailleurs de l’usine. Par ailleurs le Syndicat de base a commencé

42 M. J. est animateur touristique dans le Club Méditerranée, il s’est vu licencier par ce qu’il participait activement au syndicat en tant que responsable de l’information. « Ce qu’on veut aujourd’hui c’est, surtout, l’application de la loi, pour mettre fin aux abus les plus illégaux ».

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déjà à négocier le contrat précaire et la nécessité de le rattacher à la Loi-Cadre afin de lui donner une assiette juridique régulière. Le même processus de lutte syndicale est observé à la STEG. Le Syndicat a obtenu qu’on établisse des contrats pour les releveurs de compteurs, dont l’issue pourrait déboucher sur un emploi statutaire. Par ailleurs, il a obtenu de restituer aux travailleurs précaires leurs droits nominaux dans leur relation avec l’entreprise de sous-traitance en exerçant une pression sur la STEG utilisatrice de cette main-d’œuvre. Cette dernière retranche des sommes à verser aux sociétés sous-traitantes pour restituer les droits des travailleurs. Cette forme de lutte contre la précarité est un moyen qui pourrait développer la syndicalisation des emplois précaires. 2-1-5 Aspects communs aux secteurs économiques hostiles à la syndicalisation

des travailleurs.

La syndicalisation est restée faible et inférieure à ce qui est attendu. La raison commune à tous les secteurs de l’activité syndicale reste le fort taux de chômage. Les responsables syndicaux renvoient constamment à « l’armée de réserve », terme qui désigne la masse des chômeurs qui attend comme une épée de Damoclès suspendue sur la tête de la classe ouvrière et utilisée par les patrons pour faire pression à l’occasion sur les ouvriers.

Il y a une corrélation directe (selon les dires des syndicalistes interviewés) entre le faible taux de syndicalisation et la pléthore dans les rangs des travailleurs à l’usine de ceux qui sont contractuels, SIVP et toutes autres formes de travail atypique. Cette pléthore met l’ouvrier permanent dans la situation de celui qui est privilégié et qui doit manifester le maximum de zèle dans le travail pour continuer à « jouir de ce privilège ».

Le travailleur précaire souffre du manque de crédit subit sur le plan civil : il ne peut pas par exemple jouir d’un crédit bancaire. Le salaire domicilié, selon accord et procédures administratives entre l’employeur et la banque, constitue une garantie nantie au profit de la banque créancière, seulement dans le cas où le travail est permanent : On ne prête qu’aux ouvriers statutaires. La situation des travailleurs précaires a tous les caractères du cercle vicieux.43

43 Ce mot proféré par les syndicalistes avec les quels nous avons mené l’entretien, correspond à « un ras le bol » qu’ils définissent par un terme qui désigne une déflagration sociale de la situation, comme pour dire, de quelque bout qu’on tienne la question, la précarité est une cause et un effet, tout à la fois.

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2-2 Déterminants du taux de syndicalisation de la population étudiée Ce paragraphe n’a pas l’objectif de mesurer le taux de syndicalisation dans le pays mais d’examiner seulement les déterminants du taux de syndicalisation de

la population étudiée comprenant 500 travailleurs en situation de travail précaire.

2-2-1 La relation de travail bilatérale est plus favorable à la syndicalisation que la

relation de travail triangulaire.

En moyenne 22% de la population étudiée adhérent à un syndicat. Il n’existe pas de différence significative par genre. Par contre le taux d’adhésion syndicale varie selon le type de relation de travail. En effet, la sous-traitance de la main-d’œuvre apparaît comme un obstacle à l’implantation syndicale ; 17% des travailleurs adhérents au syndicat contre 26 % parmi les travailleurs sous le statut d’une relation de travail bilatérale classique.

Figure 21 :Taux d'adhésion syndicale des travailleurs enquêtés (en %)

source: Enquête UGTT & FFEbert 2008

17

26

2124

22

0

5

10

15

20

25

30

Relation de

travai l

triangulai re

Relation de

travai l bi latérale

Hommes Femmes Ensemble

2-2-2 Le taux de syndicalisation est croissant en fonction du niveau d’éducation

des travailleurs

L’augmentation du niveau d’éducation des travailleurs favorise l’implantation syndicale et le renouvellement de ses adhérents. Le taux d’adhésion syndicale suit une tendance croissante en fonction du niveau éducatif (Voir graphique ci-dessous)

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Figure 22 : Taux d'adhésion syndicale par niveau d'éducation des travailleurs précaires

enquêtés

source: Enquête UGTT & FFEbert 2008

38

27

11

2021

y = 4,2x + 10,8

R2 = 0,4441

0

5

10

15

20

25

30

35

40

Analphabète 1er cycle EB 2ème cycle EB Secondaire Bac+2 ou 3

2-3 Contribution des syndicats à la solution des problèmes rencontrés par

leurs adhérents. 2-3-1 Les adhérents font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur

problème.

Le questionnaire de l’enquête invite les adhérents à un syndicat de répondre à la question : Avez-vous fait appel au syndicat pour résoudre vos problèmes professionnels ? Le tableau ci-dessous donne la distribution des réponses obtenues (en %) selon des caractéristiques individuelles et le type de relation de travail :

Tableau 19 : Avez-vous fait appel au syndicat pour résoudre vos problèmes professionnels ?

Type de relation de travail

Genre Age

Relation de travail

triangulaire

Relation de travail

bilatérale

Hommes Femmes Age inférieur

ou égal à 30 ans

Age supérieur

à 30 ans

Total

Oui 51 72 67 64 67 65 66 Non 49 28 33 36 33 35 34 Total 100 100 100 100 100 100 100 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

Les réponses révèlent trois faits marquants :

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• Une forte proportion moyenne des adhérents qui font appel à leurs syndicats pour les aider à résoudre leurs problèmes professionnels

• Cette proportion ne varie pas significativement selon le genre et l’âge

• Au contraire, la réponse varie selon le type de relation de travail. Les travailleurs qui ont le plus besoin de leurs syndicats, c'est-à-dire ceux qui ont le statut de relation de sous-traitance, font le moins appel à ses services, par rapport aux travailleurs en relation de travail bilatérale (51 % contre 72 %). Probablement, ce comportement s’explique par la menace de licenciement en cas de conflit ou contact avec un syndicat qui pèse plus fortement sur les travailleurs des entreprises de sous-traitance de la main-d’œuvre.

2-3-2 Les syndicats aident la quasi-totalité des travailleurs qui les ont contactés.

Pour mesurer l’efficacité de l’action syndicale, le questionnaire pose la question suivante aux travailleurs : « Si vous avez fait appel aux services du syndicat, avez-vous obtenu l’aide demandée ? » La quasi-totalité des travailleurs répond par l’affirmative (90 %). Il n’existe pas de différences significatives dans les réponses selon les caractéristiques individuelles ou le statut juridique dans l’emploi (Voir Tableau ci-dessous). Donc les syndicats offrent leur aide aux différentes catégories des travailleurs avec la même disponibilité.

Tableau 20 : Si vous avez fait appel aux services du syndicat, avez-vous obtenu l’aide

demandée ?

Type de relation de travail

Genre Age

Relation de travail

triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes Age inférieur

ou égal à 30 ans

Age supérieur

à 30 ans

Total

Oui 86 92 89 92 88 92 90

Non 14 8 11 8 10

Total 100 100 100 100 100 100 100 Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

2-3-3 Le recours au syndicat est nettement plus fréquent que le recours au

prud’homme et à l’inspection de travail

En moyenne, seulement 4 % et 18% des travailleurs ont fait recours respectivement au prud’homme et à l’inspection de travail en cas de conflit de travail soit des proportions nettement inférieures au rôle du syndicat (60%). Il

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importe de souligner que les femmes et les travailleurs en relation de travail bilatérale font recours à l’inspection du travail plus fréquemment que la moyenne. Il s’agit d’ouvrières dans le secteur textile-habillement.

Tableau 21 : Part des travailleurs ayant eu recours au prudhomme et à l’inspection de travail

par type de relation de travail et par genre (en % du total de chaque catégorie)

Type de relation de travail Genre

Relation de

travail triangulaire

Relation de

travail bilatérale

Hommes Femmes

Total

Recours au

prud’homme

4 4 3 5 4

Recours à

l’inspection de travail

13 22 13 25 18

Lecture du tableau : Par exemple, 25 % des femmes ont eu recours à l’inspection de travail. Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des travailleurs en situation précaire, août 2008.

La comparaison de l’ensemble des résultats permet de dégager trois conclusions complémentaires sur l’arbitrage des conflits individuels de travail:

- Le syndicat est l’institution auprès de laquelle les travailleurs trouvent le meilleur soutien pour résoudre leur problème. C’est pourquoi, la défense du droit et de la liberté syndicale dans la société est un principe fondamental de la régulation juste des relations de travail.

- L’accès à la justice est difficile car les procédures judiciaires sont

compliquées et coûteuses.

- Le recours à l’inspection est relativement plus facile car il est gratuit et facilité par l’existence d’unité de conciliation et d’arbitrage des conflits de travail individuels44;

44 L’inspecteur du travail n’a pas seulement la mission d’une police de travail, mais il doit jouer aussi un rôle de promotion du dialogue entre les employeurs et les travailleurs qui se présentent à titre individuel ou à titre collectif. Informer, conseiller et concilier sont en effet les tâches prévues par le code du travail pour atteindre cet objectif (voir CT, Art 170 et Art171). Des unités régionales de conciliation sont répandues sur tout le territoire national.

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4

18

66

0

20

40

60

80

Prud'homme Inspection de travail Syndicat

Figure 23: Part des travailleurs ayant eu recours aux syndicatts et aux institutions

d'arbitrage des conflits de travail (en%)

Source: Enquête UGTT & FFEbert,2008

2-4 L’UGTT lutte contre les déficits du travail décent

L’utilisation abusive du Contrat à durée déterminée, a provoqué de fortes protestations syndicales. Une enquête de l’UGTT auprès d’un échantillon représentatif des cadres syndicaux dans les différentes structures syndicales montre que ces derniers perçoivent les risques de la libéralisation économique au travers l’association du secteur privé à l’emploi précaire et à l’hostilité aux libertés syndicales (voir graphique ci-dessous).

Figure 24 : Proportions des responsables syndicaux qui classent les risques de la

libéralisation économique en 1er ou 2ème rang

source: UGTT, Enquête sur le renouveau syndical, 2005

70 74

86

72 73 72

5864

39

57

46

57

4538

56

43

5445

0

20

40

60

80

100

Syndicat de base Délégation Union régionale Fédération Syndicat général Ensemble

Développement de l 'emploi précai re et du chômage

Développement du secteur privé L'envi ronnement hosti le aux l ibertés syndicales

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2-4-1 Le salaire indécent est la principale cause des grèves.

Le salaire décent est l’une des dimensions les plus importantes du travail décent, au sens défini par l’OIT. Les mauvaises conditions de rémunération couvrent plusieurs problèmes qui sont souvent à l’origine de plus de 50 % du total annuel des grèves.

Figure 25: Evolution de la part annuelle des grèves à cause des salaires (en % du total)

Source: UGTT

5548

54 5853

4851

49

0

10

20

30

40

50

60

70

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

On peut distinguer trois séries de problèmes rencontrés par les travailleurs.

i) Premièrement, des grèves sont provoquées par une série de causes liées

au salaire de base :

- Non paiement du salaire - Retard de paiement du salaire - Baisse du salaire - Non déclaration des salaires à la CNSS - Non application des dispositions légales relatives au SMIG - Non application de la convention collective - Non paiement des heures supplémentaires - Baisse du taux de rémunération des heures supplémentaires - Retard de paiement des heures supplémentaires - Refus d’augmentation des salaires

ii) Les grèves sont également provoquées par une série de problèmes liés à

la gestion des primes :

- Non paiement d’une prime - Retard de paiement d’une prime - Baisse d’une prime - Changement unilatéral des critères de calcul d’une prime - Refus d’intégration des primes au salaire de base - Non application de la convention collective

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- Refus d’application d’un accord particulier dans l’entreprise sur les primes

2-4-2 La lutte contre la répression syndicale, la précarité et l’exclusion de l’emploi

sont au centre de la solidarité syndicale

La répression du droit syndical, la précarité de l’emploi liée à l’utilisation abusive du contrat de travail à durée déterminée ou le recours aux entreprises de sous-traitance de la main-d’œuvre et les licenciements collectifs provoquent des grèves de solidarité syndicale. Elles représentent entre 9 et 18 % du total annuel des grèves durant la période 1998-2005. La typologie ci-dessous indique certaines causes précises des grèves de solidarité :

i) Défense du droit syndical

- Protestation contre la sanction abusive des responsables syndicaux

(arrêt de travail ou licenciement individuel des responsables) - Protestation contre la sanction abusive des travailleurs adhérents au

syndicat (arrêt de travail ou licenciement individuel des adhérents syndicaux)

- Protestation contre le refus de l’employeur d’offrir un local pour l’organisation des élections du syndicat

- Protestation contre les pratiques de l’employeur qui empêchent la création d’un syndicat

- Protestation contre l’installation de caméra de surveillance dans les ateliers et bureaux

- Contestation de la nomination d’un responsable connu pour ses positions antisyndicales

- Protestation contre le refus de l’employeur d’appliquer un accord signé avec le syndicat

ii) Lutte contre la précarité de l’emploi

- Protestation contre le recours abusif aux contrats de travail à durée

déterminée - Protestation contre le recours à des entreprises de sous-traitance de la

main-d’œuvre - Demande de transformation des contrats à durée déterminée (CDD) en

contrats à durée indéterminée (CDI) - Menace d’un licenciement collectif

2-4-3 La lutte contre la précarité de l’emploi par la négociation collective

Pour limiter les effets négatifs du recours abusif au CDD, l’UGTT a obtenu

au cours des négociations collectives certaines révisions des conventions collectives sectorielles. En plus de la rémunération, le travailleur sous contrat à

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durée déterminée bénéficie désormais des dispositions qui s’appliquent au travailleur sous contrat à durée indéterminée de même qualification dans les domaines suivants : liberté syndicale et protection du droit syndical, attestation de travail, travail de nuit, repos hebdomadaire, heures supplémentaire , congés payés, sécurité et santé au travail et sécurité sociale. Avant la fin du contrat de travail, le travailleur a la possibilité de s’absenter du travail pour rechercher un emploi. Un délai est fixé pour que l’employeur l’informe de cette éventualité. Le souci est ici de limiter la période de chômage entre deux emplois successifs du travailleur sous contrat de travail à durée déterminée. Au cours des négociations collectives au titre de la période 2008-2010, l’UGTT a présenté une série de propositions qui visent la protection des travailleurs à l’entrée, au cours et à la fin de la période du travail. i) A l’entrée du travail, l’UGTT propose :

- d’ajouter à l’article 280 du code du travail le paragraphe suivant : « Tout

recrutement non conforme aux dispositions prévues à l’article 280 est

considéré nul et le syndicat a le droit de l’annuler avec tous les moyens

légaux » Cet article stipule que « les travailleurs, qu’ils soient permanents ou non permanents, sont recrutés soit par l’intermédiaire des bureaux publics de placement, soit directement. Tout employeur est tenu d’informer le bureau public de placement territorialement compétent de tout recrutement dans un délai n’excédant pas 15 jours à partir de la date du recrutement… »

- le contrat du travail à durée déterminée doit être conclu dans les

conditions suivantes :

• l’accomplissement de travaux de premier établissement ou de travaux neufs,

• l’accomplissement de travaux nécessité par un surcroit extraordinaire de travail,

• le remplacement provisoire d’un travailleur permanent absent ou dont le contrat de travail est suspendu,

• l’accomplissement de travaux urgents pour prévenir des accidents imminents, effectuer des opérations de sauvetage ou pour réparer des défectuosités dans le matériel, les équipements ou les bâtiments de l’entreprise,

• Il est conclu selon un modèle défini par tous les partenaires sociaux, l’UGTT l’UTICA et agréé par le Ministère des affaires sociales. Il est écrit en trois exemplaires : l’employeur garde une copie, le travailleur en reçoit une et la troisième copie est déposée à l’inspection du travail et de conciliation territorialement compétente.

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• Si la période du contrat atteint deux ans, y compris les renouvellements, sans considération des interruptions, il est procédé au recrutement du travailleur au terme de la fin du contrat, sous un statut stable sans période d’essai.

• Il est interdit de remplacer un travailleur sous contrat à durée déterminée par un autre travailleur sous le même type de contrat. Dans le cas de vacances de postes d’emploi stable, la priorité est donnée au travailleur sous contrat à durée déterminée. Il est interdit aussi de recruter un travailleur sous contrat à durée déterminée pour remplacer des travailleurs en situation de grève.

• Le travailleur est informé obligatoirement par écrit de la volonté de l’employeur de ne pas renouveler le contrat de travail, au minimum un mois avant la fin du contrat et il doit être autorisé à s’absenter pour rechercher un emploi durant cette période.

• En cas de rupture du contrat par l’employeur avant la fin de période déterminée dans ce contrat, il doit procédé au payement de la rémunération totale correspondante au reste de la période du contrat, si le travailleur n’a pas commis de faute, et il lui est accordé la prime de gratification de la fin de travail.

• L’emploi permanent et l’emploi non permanent sont définis obligatoirement par une structure créée par une commission regroupant la direction et la partie syndicale.

- La période d’essai doit varier selon les catégories professionnelles comme

suit :

• 3 mois pour l’exécution,

• 6 mois pour la maîtrise et

• 9 mois pour les cadres ii) Au cours du travail, l’UGTT propose de préciser les dispositions relatives à la

mutation ou le changement de résidence :

• Celle-ci ne doit être décidée que pour nécessité de service et suite à un accord avec le syndicat en cas d’absence de volontaires. Elle doit aussi prendre en considération l’ancienneté du travailleur, sa situation familiale et de logement, la période scolaire et le statut de représentant syndical.

• L’ensemble des frais directs et indirects à cette mutation ou changement de résidence sont à la charge de l’employeur et la situation professionnelle ancienne doit être améliorée.

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iii) L’UGTT propose la protection des travailleurs en cas de chômage du à la fin

du travail :

• Délai d’information de la fin du contrat à durée déterminée : Ajouter aux cas concernés par ce délai, celui du travailleur sous contrat de travail à durée déterminée qui ont eu six mois de travail.

• Licenciement pour suppression d’emploi : Si l’employeur est contraint de réduire le nombre de travailleurs pour motif économique ou technologique, ce problème doit être soumis obligatoirement à l’examen par une commission technique qui se compose de : o Deux membres représentant l’administration o Deux membres représentant le syndicat o Deux membres représentant l’UGTT o Deux membres représentant l’UTICA

• Cette commission a le rôle de présenter un programme pour sauver l’entreprise et qui sera appliqué et suivi durant une année. La commission a aussi le rôle d’évaluer la situation économique et sociale de l’entreprise. Ses décisions sont prises obligatoirement par la totalité de ses membres.

• Prime de gratification de la fin du travail : Une prime est accordée à chaque travailleur qui quitte l’entreprise pour les raisons suivantes : Retraite choisie, fin du contrat à durée déterminée, décès ou un problème de santé, causes économiques ou technologiques et licenciement abusif

• Le montant de cette indemnité est calculé sur la base de deux mois par une année de travail sans plafond et sur la base de la moyenne annuelle du revenu brut. Elle est indépendante de l’indemnité liée au licenciement abusif.

• Prime de dommage et intérêt : Une prime de six mois de travail est accordée aux travailleurs victimes de licenciement pour motif économique ou technologique et ceci, au titre de la période de leur inscription aux bureaux publics d’emploi, en tant que chômeurs. Cette prime est indépendante de la prime de gratification de la fin de travail.

• Certificat de travail : Chaque employé doit obligatoirement obtenir un certificat sur ses salaires déclarés à la caisse nationale de sécurité sociale durant toute la période de travail passée dans l’entreprise.

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2-4-4 Pour une réglementation de la sous-traitance de la main-d’œuvre

L’intervention législative souhaitée, est appelée à prendre en considérations

un ensemble d’éléments tel que :

i) La délimitation précise des cas de recours au travail temporaire qui doivent consister en des tâches non durables énumérées limitativement et dont le remplacement d’un salarié gréviste est expressément exclu.

ii) La subordination de l’activité d’entreprise de travail temporaire à l’autorisation administrative préalable.

iii) L’exigence d’un cautionnement d’un montant suffisant pour prémunir une insolvabilité éventuelle de l’entreprise.

iv) Le plafonnage de la durée des missions d’intérim selon les cas de recours. v) L’exigence d’un contrat écrit :

• entre l’entrepreneur de travail temporaire et l’entreprise

utilisatrice : contrat de prestation de service, qui doit énoncer les motifs précis justifiant le recours au travailleur temporaire. Le nombre de travailleurs temporaires demandé, les qualifications exigées, de lieu, l’horaire et les caractéristiques particulières du travail.

• entre l’entrepreneur de travail temporaire et les salariés qu’il

embauche et rémunère : le contrat de travail temporaire, qui doit être conclu avec chacun des salariés mis à la disposition provisoire d’un utilisateur, et doit contenir la qualification du salarié, les modalités du paiement et les éléments de la rémunération due au salarié, la reproduction des clauses prévus dans le contrat de prestations de services.

vi) La nullité des clauses dite de non-embauchages, qui tendent à interdire l’embauchage à l’issue de la mission, par l’utilisateur, des salariés mis à sa disposition par un entrepreneur de travail temporaire.

vii) Le traitement sur un pied d’égalité des salariés de l’entreprise utilisatrice et ceux mis à sa disposition.

viii) L’interdiction du recours aux travailleurs temporaires, pour les entreprises qui ont licencié des salariés permanents pour cause économique pendant une période déterminée.

ix) L’adoption de structures et instruments de suivi et de contrôle pour prévenir et observer les cas de fraude.

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3. LA PROMOTION DU TRAVAIL DECENT AU NIVEAU INTERNATIONAL EST UN SOUTIEN A L’UGTT DANS SA LUTTE CONTRE LA PRECARITE DU TRAVAIL

3-1 La promotion du travail décent devient au centre de l’agenda

politique mondial

3-1-1 Le travail décent est un concept de l’OIT

La mondialisation est un thème d’actualité de l’agenda politique mondial. La discussion tend cependant à être fragmentée, limitée par des démarcations politiques ou géographiques. Certains accusent la mondialisation d’exacerber le chômage et la pauvreté. D’autres y voient la solution à ces problèmes. L’attention et la recherche se focalisent sur les marchés et les gains ou les pertes économiques potentielles plutôt que sur les effets produits par la mondialisation dans la vie et le travail des personnes, de leurs familles et dans la société. Cette absence de consensus rend plus difficile l’élaboration de politiques au niveau national et international. Le désintérêt pour la dimension humaine de la mondialisation nuit à la compréhension des forces du changement et de la manière dont les personnes y réagissent. Dans ce contexte, en février 2002, l’Organisation internationale du Travail a lancé une Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation. Il s’agit de répondre à la question : Comment la mondialisation peut-elle profiter à davantage de personnes? Le 24 février 2004, cette commission a publié son rapport intitulé Une mondialisation juste – Créer des opportunités pour tous. Il recommande de faire du travail décent un objectif mondial La question du travail décent n’est évidemment pas entièrement nouvelle45. De fait, l’OIT a été créée en 1919 par souci que la reprise économique après la guerre se fonde sur des normes internationales du travail. De même, la Déclaration de Philadelphie a réaffirmé en 1944 la nécessité d’accorder plus d’attention à la dimension sociale des politiques économiques et financières.

45 Charnovitz, S. 1987. «L’influence des normes internationales du travail sur le système du commerce mondial. Aperçu historique», Revue internationale du Travail, vol. 126, nº 5, sept.-oct. 1987 (BIT, Genève).

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3-1-2 Le travail décent devient un concept mondial.

En septembre 2005, le Sommet des Nations Unies relatif au suivi de la Déclaration du Millénaire a affirmé la nécessité d'une mondialisation équitable. Il a inscrit la promotion de l'emploi productif et du travail décent pour tous parmi les objectifs des politiques nationales et internationales. Il a ainsi souligné le rôle essentiel de l'emploi et de la qualité de l'emploi dans l'action contre la pauvreté et pour le développement.

Le débat du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) qui s'est réuni début juillet 2006 a adopté une Déclaration ministérielle de grande envergure sur le plein emploi productif et le travail décent, précisant qu'elle contribuerait à renforcer les efforts des Nations Unies et du système multilatéral pour créer des emplois, éradiquer la pauvreté et apporter un nouvel espoir à environ 1,4 milliard de travailleurs pauvres dans le monde au cours de la prochaine décennie. La Déclaration apporte ainsi un appui à l’Agenda de l'OIT pour le travail décent et renforce l'action qui vise à faire du travail décent pour tous un objectif mondial et une réalité nationale. Le Travail décent devient alors un concept mondial qui reflète un certain nombre des priorités de l'agenda social économique et politique des pays et du système international : Obtenir une mondialisation juste, réduire la pauvreté, assurer l’intégration sociale, défendre la dignité humaine. Plutôt que de conduire vers l'économie informelle ou de créer une émigration massive, l'expansion mondiale doit trouver les moyens d'offrir des possibilités de travail décent là où les gens vivent. Création d'emplois et réduction de la pauvreté sont inextricablement liées. Le travail décent est un moyen de lutter contre la pauvreté Atteindre l'égalité des chances et dépasser les discriminations de toutes sortes sont cruciales pour permettre à chacun de réaliser pleinement son potentiel. Enfin le travail n'est pas une marchandise. Les coûts du travail reflètent des êtres humains pour lesquels le travail décent est une source de dignité et de bien-être familial. De ce fait, l'OIT s'efforce désormais à développer la dimension de travail décent dans les politiques économiques et sociales, en partenariat avec les principales institutions du système multilatéral et les acteurs majeurs de l'économie mondiale.

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3-1-3 Contribution de l'Union Européenne à la mise en œuvre de l'agenda du

travail décent dans le monde

La Commission des communautés européennes soutient les dialogues initiés entre les institutions financières internationales (IFI), l'OIT, l'ONU et l'OMC, relatifs à la complémentarité et à la cohérence de leurs politiques et aux interdépendances entre croissance économique, investissements, commerce et travail décent. En 2006, elle a proposé des orientations pour que les politiques et les actions de l'UE contribuent davantage à la promotion de l'agenda du travail décent. Sa politique de voisinage contribuera à la promotion du travail décent par46:

• la mise en œuvre des engagements précis de réforme en matière de DSF, emploi, affaires sociales et égalité des chances qui sont contenus dans les plans d'action convenus entre l’UE et les pays concernés;

• le dialogue politique régulier concernant ces questions dans le cadre des structures institutionnelles créées par les accords de partenariat et de coopération et les accords d’association;

• la mise en œuvre du plan de travail quinquennal agréé dans le cadre du processus de Barcelone, en novembre 2005, qui vise notamment à renforcer des systèmes de protection sociale dans les pays de la rive sud de la Méditerranée;

• sa prise en compte dans les documents de stratégie par pays et régionale, la programmation thématique et d’autres instruments de coopération; la participation éventuelle des pays concernés à certains programmes et à la coopération avec les agences communautaires, selon des modalités à déterminer.

46 Commission des Communautés Européennes, COM(2006) 249 final Communication de la commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité Économique et Social Européen et au Comité des Régions, Promouvoir un travail décent pour tous. La contribution de l'Union à la mise en œuvre de l'agenda du travail décent dans le monde ; Bruxelles, le 24.5.2006

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Encadré : Éléments clés de la Déclaration ministérielle de l'ECOSOC

Nous encourageons fortement la coopération et la coordination entre agences, donateurs multilatéraux et bilatéraux, dans la poursuite de leurs buts de plein emploi productif et de travail décent pour tous. A cette fin, nous invitons toutes les organisations internationales concernées, à la demande des gouvernements nationaux et des acteurs concernés, à contribuer à travers leurs programmes, leurs politiques et leurs activités, aux objectifs du plein emploi et du travail décent pour tous, en accord avec les stratégies de développement national. Nous demandons aux fonds des Nations Unies, aux programmes et aux agences, et nous prions les institutions financières de soutenir les efforts pour intégrer les objectifs de plein emploi et de travail décent pour tous dans leurs politiques, leurs programmes et leurs activités. Dans cette perspective, nous invitons les parties prenantes à dûment prendre en compte les programmes par pays de l'OIT en faveur du travail décent de manière à atteindre une approche plus cohérente et pragmatique au sein des Nations Unies en faveur du développement au niveau national, sur une base volontaire. Nous demandons également aux commissions thématiques et régionales d'évaluer comment leurs activités contribuent ou pourraient contribuer aux objectifs de plein emploi et de travail décent pour tous. Nous encourageons aussi toutes les agences concernées à collaborer activement au développement de la boîte à outils pour la promotion du travail décent qui est en cours de réalisation par l'Organisation internationale du Travail, à la demande du Conseil des chefs de secrétariat pour la Coordination du système des Nations Unies. Nous faisons appel à l'Organisation internationale du Travail pour se consacrer à la mise en œuvre des engagements concernant la promotion du plein emploi productif et du travail décent pour tous pris lors des principales conférences et sommets des Nations Unies, y compris ceux contenus dans les recommandations du Sommet mondial de 2005 et du Sommet mondial pour le Développement social, de façon à réaliser des progrès significatifs à la fois dans les politiques et dans les programmes opérationnels. Dans cette optique, nous demandons à l'OIT d'envisager le développement de plans d'action assortis de délais à l'horizon 2015, en collaboration avec l'ensemble des parties concernées pour atteindre cet objectif. Nous nous engageons à mettre en œuvre la présente déclaration et invitons tous les acteurs concernés, y compris les institutions de Breton Wood et les autres banques multilatérales, à nous rejoindre dans ce combat.

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CONCLUSION

Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère du travail précaire.

Au cours des dix dernières années, la Tunisie a connu un taux de croissance moyen de 5.1 % s’appuyant sur la mise en œuvre d’une réforme libérale et une gestion macroéconomique prudente. Cette performance se révèle insuffisante pour réduire le chômage. En effet, à 14.2 %, le taux de chômage reste élevé. Il est particulièrement élevé pour les femmes (16 %), les individus âgés de moins de 25 ans (30 %) et les diplômés de l’enseignement supérieur. Par ailleurs la qualité de l’emploi ne répond pas aux attentes des demandeurs d’emploi qui sont de plus en plus qualifiés. L’emploi crée par le processus de libéralisation économique est fortement marqué par un modèle de compétitivité et d’organisation du travail qui génère du travail indécent. Le phénomène est fortement lié à l’insertion de l’économie dans la chaîne de la sous-traitance internationale avec un positionnement au bas de l’échelle de la chaîne de valeur. Que ce soit dans l’industrie, dans l’agriculture, dans les services, là où nous avons mené notre enquête quantitative et qualitative, les données révèlent une précarisation du travail rampante.. Dans le secteur privé les pratiques de sous-traitance de la main-d’œuvre conduisent à reporter hors des entreprises (et notamment hors des grandes entreprises) et souvent vers le secteur des services (pour la sous-traitance générale), une part notable de l’instabilité de l’emploi. Ces pratiques sont également développées dans plusieurs segments des services publics, sur tout le territoire national. Le niveau élevé du chômage force alors l’acceptation d’emplois sous-qualifiés ou sous-payés. Notre étude a mis en exergue les différentes dimensions objectives et subjectives du travail précaire générées par le modèle tunisien d’insertion dans l’économie mondiale. Sur plusieurs plans, le travail précaire est synonyme de travail indécent.

Les femmes et les travailleurs en relation de travail triangulaire sont les catégories les plus touchées par la précarité du travail. Les salaires sont bas et dans de nombreux cas en dessous du SMIG. Une proportion importante des travailleurs ne bénéficie pas de protection sociale. Les femmes sont moins protégées que les hommes, particulièrement contre le risque de maladie. La pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi précaire. Le risque

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d’accident de travail et de maladie professionnelle est particulièrement fréquent chez les femmes insérées dans l’industrie manufacturière. La longue durée hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont associés à la relation de travail triangulaire et au travail des hommes. Les employeurs qui manifestent une forte hostilité au syndicalisme font appel à plusieurs ruses ou formes de répression pour dresser des obstacles à l’implantation syndicale dans le secteur privé. La précarisation du travail s’étend à tous les niveaux de qualification.

Dans ce contexte et celui du chômage, la possession d’un diplôme ne protège pas complètement du chômage et de la précarité du travail. Il en est de même avec l’expérience du marché du travail. En effet, la précarité du travail s’accompagne de déclassement des travailleurs qualifiés et du non reconnaissance de la qualification acquise par l’expérience professionnelle. La précarité ne permet guère la capitalisation des savoirs et l’acquisition de nouvelles compétences que ce soit dans les tâches d’administration et de management ou les tâches techniques et de production. La précarité qui traverse tous les niveaux de qualification produit alors un faible rendement de l’investissement dans le capital humain. La précarisation du travail alimentée par la législation du travail divise les travailleurs

Force est de constater que la précarité s’appuie sur ou s’alimente de la diversité des contrats de travail précaire. Le développement des CDD favorisé par la réforme du code de travail et celui des contrats de travail atypique (SIVP, CEF).L’utilisation abusive des contrats précaires favorisée par la législation ou l’intervention croissante des programmes d’emploi dans le marché de travail, apparaît clairement dans les trajectoires professionnelles des travailleurs. En effet, sur une longue période d’observation de ces trajectoires, l’emploi occupé est très fréquemment sous statut d’un CDD, voire même sans contrat de travail écrit, notamment dans le cadre d’une relation de travail triangulaire. C’est le cercle vicieux de la précarité dans le monde du travail. La segmentation entre travailleurs permanents et travailleurs précaires devient fortement prononcée. L’examen attentif du cadre juridique de la précarité révèle que les travailleurs précaires ne bénéficient pas du principe d’égalité de rémunération et de certaines dispositions des conventions collectives sectorielles dont sont bénéficiaires les travailleurs permanents.

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L’insécurité des parcours professionnels est alimentée par les défaillances des services publics d’emploi.

La législation tunisienne sur les contrats de travail à durée déterminée s’approche de la législation européenne. Mais à l’inverse des pays européens, la Tunisie n’a pas de dispositifs qui assurent efficacement la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs car les services publics d’emploi n’ont pas la capacité d’accompagner efficacement les personnes dans leur démarche de recherche d’emploi ou de retour à l’emploi et il n’existe pas d’assurance chômage. Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux conjoints et aux enfants des travailleurs précaires.

L’emploi précaire est une barrière à l’accession au logement. Un travailleur en contrat précaire est moins susceptible de devenir propriétaires de son logement, car les crédits immobiliers lui sont plus difficilement accessibles ou plus onéreux. Une part importante des travailleurs précaires habitent dans le logement des parents. Les conditions d’habitat sont d’un niveau très en dessous de la situation moyenne de la population tunisienne. Enfin, pour ceux qui louent un logement, une forte proportion du salaire est consacrée au loyer. La précarité traverse tous les membres de la famille. En effet, au moment de l’enquête, les conjoints et les enfants sont soit sortis du marché du travail après une période de chômage, en chômage ou occupant un emploi précaire. Cette reproduction de la précarité au sein de la famille est souvent traumatisante. Elle finit par créer un sentiment de frustration lié au fait que toute la vie des travailleurs précaires, ou du moins une partie importante de leur temps, est mobilisée pour le travail alors qu’elles en retirent souvent fort peu. Le vécu dans des situations précaires sur une longue période et d’une manière généralisée aux membres de la famille suscite chez les travailleurs des interrogations sur la qualité de leurs acquis professionnels et une baise de l’estime de soi. Certains travailleurs ont été contraints de garder le célibat. Mais même dans cette situation les travailleurs éprouvent un sentiment de frustration et de sérieux troubles psychologiques. C’est le cercle vicieux de destruction de la personnalité des travailleurs précaires. La présence des syndicats: un espoir pour promouvoir le travail décent

En dépit de l’hostilité des employeurs, le syndicalisme existe et des travailleurs précaires y adhèrent. En moyenne, le taux de syndicalisation des travailleurs précaires est de 20 % parmi la population étudiée. Il est croissant avec le niveau d’éducation. Les diplômés de l’enseignement supérieur, qui ont obtenu leur diplôme au prix d’un grand sacrifice de leur famille d’origine sociale modeste, décident d’adhérer à un syndicat après le désespoir produit par leur insertion dans le cercle vicieux du chômage et du travail précaire. Les travailleurs

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précaires font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur problème. Le recours à l’inspection du travail ou au conseil de prud’homme est nettement moins fréquent car ils jugent que l’efficacité de l’action syndicale est plus élevée. La promotion du travail décent est au centre de la lutte de l’UGTT. L’analyse des causes des grèves montre que le combat est mené contre le salaire indécent, la précarité du travail, l’absence de protection sociale et la répression syndicale. La lutte contre la précarité de l’emploi se fait aussi par le dialogue social, notamment, au cours des périodes cycliques de la négociation collective. A cet

égard, certaines dispositions des conventions collectives ont été améliorées47.

Grace à la lutte syndicale certains travailleurs ont échappé à la précarité par la transformation de leur CDD en CDI. Enfin, depuis longtemps, l’UGTT poursuit sa revendication d’un fonds d’assurance contre le risque de la perte d’un emploi. Un grand défi à relever : intégrer l’économique et le social par le travail décent

L’ouverture de la Tunisie à l’économie mondiale a mis le chef d’entreprise et les travailleurs devant un défi commun : améliorer la compétitivité de l’entreprise par le travail décent. Certaines entreprises privées, aujourd’hui minoritaires, ont fait ce choix pour affronter la concurrence internationale. Elles sont alors l’allié objectif de l’UGTT. Qu’elles soient nationales ou transnationales, les entreprises façonnent le monde du travail et influent sur l’environnement socio-économique dans lequel les femmes et les hommes vivent. Le Pacte mondial lancé par le Secrétaire général de l’ONU figure parmi les initiatives particulièrement importantes. Il invite les entreprises à souscrire à neuf principes fondamentaux issus d’accords acceptés universellement sur les droits de l’homme, le travail et l’environnement. Ce pacte est le fruit d’une collaboration entre l’ONU, l’OIT, le Haut Commissariat aux droits de l’homme, l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) et d’autres acteurs. Le programme de mise à niveau des entreprises tunisiennes doit nécessairement s’inscrire dans cette dynamique internationale pour développer un secteur privé favorable à la promotion du travail décent. Le dialogue social est le moyen de promouvoir la compétitivité par le travail décent.

Au cours de ces dernières années, le droit syndical a été renforcé par la ratification de la convention n°135 de l’OIT et les dispositions introduites dans toutes les conventions sectorielles pour renforcer le statut du syndicat au sein de l’entreprise. Il reste encore du progrès à faire pour inscrire dans la réalité le progrès du droit syndical dans le secteur privé et le secteur public.

47 Cf. UGTT & FF.EBERT, Bilan des négociations collectives dans le secteur privé, avril 2008.

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Les orientations des réformes dans plusieurs domaines des services publics visent l’amélioration de leur qualité. Dans les faits les progrès obtenus sont encore en dessous de cet objectif. La réforme n’est pas toujours comprise et partagée car la gestion des ressources humaines est non participative et l’organisation des services publics est trop bureaucratique. De ce fait, les besoins des usagers (citoyens et entreprises) ne sont pas toujours au centre de leurs activités quotidiennes, bien qu’ils le soient au niveau des objectifs des réformes. C’est par le renforcement du dialogue social que la démarche qualité pourra être mise en œuvre dans les services publics. La libéralisation économique fait peur aux salariés et aux organisations syndicales parce qu’à l’expérience le travail indécent se propage dans le tissu économique. Les conflits de travail individuels et collectifs marquent alors de plus en plus les relations de travail. Pour que le processus s’inverse, il est nécessaire de rénover le dialogue social. Il s’agit de privilégier un nouveau type de rapports pour traiter en même temps les problèmes liés à la compétitivité, à l’environnement, aux accords commerciaux et au travail décent. Quatre conditions doivent être respectées simultanément par tous les partenaires sociaux :

- Assurer la transparence de l’information pertinente au niveau macro et

micro économique. Cette condition crée la confiance, donne de la crédibilité au discours économique et de ce fait elle responsabilise tous les partenaires pour affronter ensemble les défis du développement de la compétitivité et du travail décent.

- Anticiper les problèmes. Pour que les mutations économiques ne soient pas que des menaces, celles-ci doivent être anticipées par un dialogue social en amont des changements nécessaires, par exemple, en termes d’organisation de travail, de qualification et de formation. Malheureusement, le changement dans l’entreprise a souvent été géré en termes de conséquences et de réparations, alors qu’il doit l’être en termes de transition et de motivation au changement.

- Accepter l’idée que tout n’est pas possible. Chaque partenaire doit expliquer d’une manière crédible ses contraintes et écouter attentivement les contraintes de son partenaire. La transparence de l’information sur les sujets du dialogue favorise cette attitude des partenaires.

- Avoir une volonté réelle de dialoguer pour aboutir à un accord. Les stratégies des employeurs ou des syndicats qui visent l’inverse provoquent le conflit et détruisent la confiance dans le dialogue social.

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Dans le contexte de l’ouverture de l’économie à la concurrence internationale, il devient impératif d’adopter de nouveaux comportements et de nouvelles méthodes

de dialogue social pour assurer une forte réactivité de l’entreprise et développer l’emploi décent.

L’UGTT est consciente que l’entreprise et ses salariés sont confrontés ensemble à la même menace de la mondialisation48. Le syndicalisme apporte sa contribution efficace au développement économique et social lorsque le travail décent, la promotion de l’exercice du droit syndical et le renforcement de la capacité des syndicats à maîtriser les concepts des réformes économiques et sociales deviennent un pilier de la gestion des ressources humaines, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public.

Les travaux récents de la consultation nationale sur l’emploi montrent l’existence d’un consensus national sur la nécessité de supprimer plusieurs obstacles pour que les politiques économiques, sociales et de l'emploi se renforcent mutuellement.

48 Cf. Les discours des membres du bureau exécutif de l’UGTT, notamment le discours de Abdeslam JRAD, Secrétaire Général , à l’ouverture de la Conférence nationale sur l’emploi, 7 octobre 2008.